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LIBRE EXPRESSION

Elzéard Bouffier,
l’homme qui plantait des arbres :
modernité d’un forestier atypique

En 1953, Giono, écrivant L’homme qui plantait des arbres, commit une supercherie littéraire.
L’histoire se veut exemplaire et un tantinet magique : seul à l’insu de tous, pendant des décen-
nies, un berger solitaire de haute Provence sème et plante jour après jour des essences feuillues
de la région et transforme ainsi des landes montagnardes arides et désolées en forêt luxuriante.
Il s’ensuit le retour de l’eau des sources et l’arrivée de milliers d’habitants qui vivent heureux et
en harmonie avec la nature.
L’histoire ou plutôt le témoignage historique prétendument réel et propre à édifier les lecteurs
du Reader’s Digest apparut tout de suite comme invraisemblable à l’éditeur qui la rejeta. Elle fut
finalement publiée par le magasine Vogue puis traduite et répandue à travers le monde (1).
Pour les forestiers, ce texte est paradoxal à plusieurs titres. D’une part, en s’adonnant à un sport
national bien français, il commence par égratigner l’administration en soulignant le manque de
finesse intellectuelle d’un agent local et le déploiement bavard et peu efficace de l’administra-
tion centrale en mission. Cependant Giono reconnaît aux Eaux et Forêts, et plus particulièrement
à l’un de ses cadres, un rôle clé dans la défense des plantations et la protection du planteur
atypique. Confiné dans un rôle de stricte protection, le forestier acquiert une image positive
contrairement aux exploitants industriels, corrupteurs potentiels d’agents et prêts à couper les
arbres au titre du « bois énergie ». L’idée de planter pour un jour récolter ne fait manifestement
pas partie du message de Giono.
Il reste que le ressort essentiel de la transformation positive du milieu opéré par le héros réside
bien dans la mise en œuvre de stratégies techniques de restauration écologique par la planta-
tion et le semis. Dans ce pays désertique et aride quasi vide d’hommes, Giono n’envisage pas
la possibilité que les forces naturelles conduisent spontanément à une reconstitution d’un état
boisé.
Pourtant les semences et donc les semenciers sont tous présents à très faible distance. C’est là
même que le berger va à pied chercher ses graines. En l’absence de pression anthropique, les
processus de sylvigénèse auraient dû se déclencher après le départ des hommes, conformément
à ce que l’on observe dans la réalité. Mais Giono n’est ni un technicien ni un naturaliste. Il fait
d’ailleurs, avec succès, semer des glands en juin et planter du hêtre en plein, sans abri sur ce
qui ressemble fort à des rendzines calcaires. Quand on connaît les soucis et les échecs qu’eu-
rent à subir nos aînés avant d’arriver à y installer des pins noirs autrement rustiques, on reste
un peu rêveur.
Au travers de son œuvre il poursuit une réflexion philosophique et métaphysique, teintée de
pensée orientale visant à réconcilier l’homme et la nature. L’action harmonieuse des deux est la

(1) NDLR : Rappelons que c’est la Revue forestière française qui publia la première en France ce texte de Jean Giono L’homme qui
plantait des arbres, vol. XXV, n° 6, 1973, pp. 499-508.

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HERVÉ LE BOULER

seule susceptible d’engendrer des résultats positifs. La nature seule est hostile et stérile et
l’homme coupé du lien avec la nature devient inhumain. Très marqué par les ravages de la
Première Guerre mondiale et les effets moraux néfastes de l’industrialisation et de l’urbanisation,
il croit au réenchantement du monde par le travail de la terre et le contact avec la nature.
L’œuvre du berger Elzéard Bouffier ne se réduit pas à la reconstitution d’un écosystème fores-
tier, sa finalité profonde est de permettre une régénération sociale et morale.
La philosophie de Giono a été appropriée tout autant que dénoncée par des courants de pensée
forts éloignés les uns des autres.
Son goût du retour à la terre, son pacifisme intransigeant, l’ont fait qualifier de réactionnaire et
même de pétainiste défaitiste mais il a aussi été revendiqué par des mouvements anarcho-liber-
taires dans la lignée des communautés néorurales post-soixante-huitardes.
Pour le forestier et l’écologiste d’aujourd’hui, il y a matière à une approche moins idéologique
et à s’interroger sur le succès de ce texte devenu une référence conseillée par les programmes
scolaires contemporains.
La réussite apparemment simplissime de la recréation de la nature par un homme sans d’autres
moyens financiers et techniques que sa sagesse et son obstination est l’occasion d’activer
l’image du saint religieux ou laïc aux mains nues qui de l’abbé Pierre à Coluche soulève des
montagnes face aux puissants et à la société technicienne par le simple fait de sa bonne volonté
et de son exemplarité.
À l’inverse de cette image positive du planteur d’arbres, il y a pourtant aujourd’hui dans une
partie de la pensée contemporaine une méfiance pour le reboisement, symbole d’une interven-
tion exagérée de l’homme dans la nature.
Dans cette vision d’une nature assez forte pour se débrouiller toute seule, il vaudrait mieux
éviter, voire interdire que l’homme intervienne. Peut-être est-ce le fait que l’intervention d’Elzéard
Bouffier est absolument dépourvue de toute spéculation économique qui le rend si sympathique.
On retrouve cette dichotomie dans un certain regard de la société sur les forestiers d’aujourd’hui.
L’image du forestier gardien et protecteur de la forêt est très positive, celle du producteur et pis
encore du marchand de bois l’est beaucoup moins. L’image d’une synthèse sous la forme de la
gestion durable multifonctionnelle a semble-t-il du mal à s’imposer.
Sans statut social officiel, ni mandat, ni budget, Elzéard Bouffier n’en reste pas moins profon-
dément proche de l’image que les forestiers ont d’eux-mêmes. Il planifie son action sur le long
terme, gère ses ressources génétiques, crée une pépinière, trie les semences, expérimente les
essences et en organise le mélange. Et au final il reste celui qui applique le vieux principe :
« imiter la nature, hâter son œuvre ».

Hervé LE BOULER
CONSERVATOIRE NATIONAL
DE LA BIODIVERSITÉ FORESTIÈRE
Pépinière forestière de l’État
DRAAF Pays-de-la-Loire
Route de Redon
F-44290 GUÉMENÉ-PENFAO
(herve.le-bouler@agricutlure.gouv.fr)

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