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Lebende Sprachen 2019; 64(1): 122–139

Jeong-yeon Kim*
Mondialisation de la littérature et littérature
mondiale – Traduction d’une culture
« mineure » vers une culture « centrale »
https://doi.org/10.1515/les-2019-0006

Abstract: The present article attempts to analyze the particularities of the practice
of literary translation from a language of peripheral culture to a language of
central culture, based on the case of Korean literature. Because of the inequality
that governs the relations between the two cultures involved, the transfer from
one to the other raises extratextual problems. After briefly tracing the history of
the translation of Korean literary works into widely spoken languages, especially
in the French-speaking communities, this paper deals with the specific characte-
ristics and modalities of this activity, as well as with their influence on the
translations itself, focusing on the choice of works to be translated, the distinctive
features of their translators, the translation processes they implement and the
socio-cultural context in which the translation is done.

Keywords: Mondialisation de la littérature, Littérature mondiale, Traduction


d’une culture mineure, Procédés de traduction, Choix des œuvres traduites

1 Introduction
L’apparition de premières œuvres littéraires coréennes dans le monde occidental
est intervenue à la fin du XIXe siècle, parallèlement à la modernisation du pays et
l’introduction de la littérature occidentale observée en sens inverse. En 1889, est
ainsi édité, aux États-Unis, un recueil de textes de tradition orale intitulé Korean
Tales. Trois ans plus tard, un réfugié résidant à Paris, Hong Jong-woo, va, avec
l’aide de J. H. Rosny, traduire, puis faire publier en France le Printemps parfumé,

un opéra lyrique appartenant à un genre spécifiquement coréen, dit pansori. En

Note: This work was supported by the Hankuk University of Foreign Studies Research Fund for
2019

*Adresse de correspondance: Jeong-yeon Kim, Graduate School of Interpretation and


Translation, Hankuk University of Foreign Studies, E-Mail: poucette@hufs.ac.kr

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Allemagne, aussi, paraîtra en 1893 un ouvrage réunissant des contes et légendes


coréens sous le titre de Korea-Märchen und Legenden (Kim, 1997: 17). Dans les
pays occidentaux, les origines de la traduction de littérature coréenne se situent
donc voilà près de cent vingt ans. En revanche, si la découverte des œuvres
occidentales a bel et bien commencé dès les années 1920, du fait de l’attrait
qu’exerçait l’ensemble d’une culture où puiser les moyens de se moderniser et
d’accéder à l’indépendance plus rapidement, en recourant au vecteur de la
langue japonaise imposée par le colonisateur, la présence de la littérature co-
réenne en Occident n’allait prendre une véritable ampleur que dans les années
1970. Il faudra en effet attendre jusqu’à l’année 1973 pour que le Centre de
promotion de l’art et de la culture coréens fournisse un appui concret à la
traduction de littérature coréenne en vue de favoriser une diffusion à l’étranger
qui annonçait déjà sa « mondialisation » ultérieure. L’initiative en avait été
suscitée par l’attribution, deux ans plus tôt, du Prix Nobel de littérature qui était
venu récompenser le roman Pays de Neige, de l’écrivain japonais Yasunari Gawa-
bata, alors que cette distinction semblait jusque-là réservée aux œuvres occiden-
tales, puisque son lauréat n’était que le troisième à représenter l’Asie, après
l’Indien Rabindranath Tagore, primé en 1913 pour L’offrande lyrique, et l’Israélien
Shmuel Yosef Agnon, en 1966. Deux autres organismes ayant vocation à faire
mieux connaître la production coréenne allaient être créés en 1992 et en 2001, à
savoir respectivement la Fondation Daesan et l’Institut de la traduction littéraire
de Corée (LTI), dans la perspective de voir ce prestigieux prix littéraire couronner
l’un de ses auteurs. Leur action s’est d’ores et déjà avérée fructueuse, puisque
plusieurs œuvres se sont illustrées dans la seule sphère culturelle francophone,
où les romans L’Invité, de Hwang Sok-yong (Zulma, 2004), La vie rêvée des
plantes, de Lee Seung-U (Zulma, 2006), et une adaptation d’une œuvre de pansori
portant le titre éponyme de Shim Cheong, fille vendue (Zulma, 2009), ont tous trois
concouru pour l’attribution du Prix Fémina étranger, tandis que deux autres
romans, La chambre solitaire, de Shin Kyung-sook (Éditions Philippe Picquier,
2008), et Ma vie dans la supérette, de Kim Ae-ran (Decrescenzo Éditions, 2013),
ont été salués par le Prix de l’Inaperçu destiné aux créations dont les qualités
n’ont pas été reconnues lors des rentrées littéraires (Kim, 2015a: 142). Cet accueil
toujours plus favorable dans le lectorat étranger allait se manifester tout particu-
lièrement à l’endroit des romans Please Look after Mom, cette traduction de
l’œuvre de Shin Kyung-Sook qui a figuré parmi les meilleures ventes de l’année
2012 aux États-Unis et a été récompensée par le Man Asian Literary Prize, puis, en
2017, de The Vegetarian dû à Han Kang et traduit par la Britannique Deborah
Smith, lesquelles allaient se voir décerner le Prix international Man Booker. De
tels succès, que d’aucuns qualifieraient de prouesses, n’ont pas manqué de
susciter l’enthousiasme général, mais des voix se sont peu à peu élevées pour

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réprouver les trop grandes libertés prises avec le texte d’origine dans ces deux
derniers cas, ces critiques débouchant sur une vive polémique à caractère métho-
dologique (Kim, 2018: 34). Quand vient le mois d’octobre et ses Prix Nobel,
critiques et lecteurs coréens s’intéressent plus particulièrement à celui qui porte
sur la littérature dans l’espoir qu’en soit lauréat le poète Ko Un, lequel a été
fortement pressenti pour cette distinction dès les années 2000.
Comme le présent article le souligne plus haut, l’essor de la traduction
d’œuvres composées dans la langue nationale vers d’autres, occidentales, qui
bénéficient d’une diffusion beaucoup plus large, comme l’anglais ou le français,
s’explique en grande partie, dans le cas de la Corée, par une politique volontariste
de l’État visant à valoriser la production littéraire dans le monde et à satisfaire
ainsi un fort besoin de reconnaissance par le biais de prestigieux prix littéraires
internationaux. Du fait de l’inégalité qui régit les rapports entre les deux cultures
mises en présence, les indispensables transferts que les traductions opèrent de
l’une à l’autre ne manquent pas de soulever certains problèmes d’ordre extratex-
tuel que le présent article s’attachera à analyser dans le contexte spécifique de
travaux réalisés en langue française. Après avoir retracé brièvement l’histoire de
la traduction d’œuvres littéraires coréennes à l’étranger, en particulier dans la
sphère francophone, l’auteur s’intéressera aux caractéristiques et modalités spé-
cifiques de cette activité, ainsi qu’à l’influence qu’elles exercent sur la traduction
proprement dite, à savoir le choix des textes à traduire, les compétences de leurs
traducteurs, les procédés qu’ils mettent en œuvre et le contexte socioculturel
dans lequel s’inscrivent leurs productions.

2 Transfert d’une culture « périphérique » vers


une culture « centrale »
2.1 Le choix des œuvres traduites

Walter Benjamin, en se posant la question fondamentale de savoir si la traduction


doit se borner à mettre à la portée d’un lecteur un texte dont il ne comprend pas la
langue et insistant sur la différence entre l’œuvre et sa traduction, a estimé que le
traducteur se devait de suivre une démarche différente de celle adoptée par
l’auteur (1997: 151). Il rappelle qu’un poète ne compose pas pour des lecteurs, un
peintre pour des amateurs d’art ou un musicien pour des mélomanes et qu’il en
va de même pour toutes les formes de création artistique, dont les autres genres
littéraires, qui ne procèdent pas davantage en fonction du point de vue des
lecteurs. L’absence de message à transmettre s’avère donc consubstantielle de la

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création littéraire, laquelle diffère foncièrement en ce point de la traduction, qui a


en revanche pour but de ne restituer « rien d’autre qu’un message, c’est-à-dire
quelque chose de non essentiel (nothing other than a message – that is, someth-
ing inessential), la responsabilité incombant alors au traducteur de « trouver
l’intention vers la langue dans laquelle l’œuvre est traduite »1.
En effet, d’une part, une traduction a foncièrement pour objectif de permettre
à son lecteur de prendre connaissance d’un texte et, d’autre part, le choix de
celui-ci, plutôt que de tel ou tel autre, prend forcément en considération le
contexte culturel et politique, voire idéologique de l’aire linguistique qui en est
destinataire, cette situation résultant elle-même d’une évolution historique et
sociale donnée. À ce propos, il convient de rappeler qu’à une certaine époque de
l’histoire japonaise, dite Sakoku, qui s’est étendue sur plus de deux siècles (1641–
1853) et s’est caractérisée par la fermeture du pays au monde extérieur, le Japon,
curieux des connaissances de l’Occident, entreprit de traduire un grand nombre
d’ouvrages, notamment, dans le domaine scientifique, de ceux provenant de
Hollande, seul pays européen avec lequel il commerça jusqu’à son ouverture
(Goto, 2016: 183), et, ce faisant, il jeta les bases d’une modernisation fondée sur le
modèle occidental, tout en introduisant des évolutions enrichissantes dans sa
langue. De même, Hyun (Wakabayasi, 2005: 44) a montré qu’après l’indécision
qui marqua les années 1895 à 1910 quant à l’accueil réservé à la littérature
occidentale, l’attrait de l’histoire et de la mythologie allait avoir raison de ces
incertitudes à la perspective de favoriser le sentiment d’appartenance à la nation
nécessaire à la construction de celle-ci. L’occupation japonaise, qui commença
pendant cette dernière année, mit un terme à la pénétration d’ouvrages histori-
ques étrangers, jugés subversifs, à la faveur d’œuvres littéraires aux préoccupa-
tions centrées sur l’esthétique. Par le biais de ses traductions, cette littérature
étrangère allait alors influencer celle de la Corée et faire évoluer son écriture vers
plus de modernité, pour créer des formes littéraires inexistantes, constituant un
mode d’accumulation de capital littéraire pour une littérature nationale en voie
de formation.
Qu’en est-il alors de la diffusion des œuvres coréennes à l’étranger ? S’agis-
sant des premières traductions de textes littéraires coréens en vue de leur diffu-
sion en France, qui se situe dans les années 1960 et 1970, elles portaient sur des
œuvres poétiques ou des contes populaires et furent réalisées, avec le concours
de réviseurs francophones, par les universitaires qui commençaient à se spéciali-

1 « The translator’s task consists in this: to find the intention toward the language into which the
work is to be translated, on the basis of which an echo of the original can be awakened in it. »
(Benjamin, 1997: 151).

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ser en littérature française. Le choix de ces genres particuliers s’explique aisé-


ment par la quasi-absence des fondamentaux d’une activité de traduction litté-
raire, notamment du fait des rares professionnels disponibles, de la difficulté de
convaincre d’éditer une production méconnue et du traitement souvent approxi-
matif. La traduction à proprement parler littéraire n’allait débuter qu’une décen-
nie plus tard et a alors concerné des œuvres de fiction contemporaines qui se sont
limitées dans un premier temps à des anthologies de nouvelles avant de s’étendre
au roman (Oh, 2003: 388). Le parti pris d’aborder ce premier genre avant d’in-
troduire le second, pourtant plus prisé des lecteurs français2, répondait à la
volonté de leur faire découvrir peu à peu la littérature coréenne au moyen de
morceaux choisis des grands auteurs. Ces années 1990 seront ainsi marquées par
l’édition en exclusivité d’œuvres d’auteurs d’ores et déjà renommés tels que Yi
Mulyol ou Yi Chongjun et il faudra attendre vingt ans pour que davantage de
parutions soient consacrées à la jeune génération3, poèmes et pièces de théâtre
étant aussi abordés, mais en nombre plus limité. Il s’avère ainsi que, parmi les
œuvres littéraires faisant l’objet de traductions en langue étrangère depuis le
nouveau millénaire, le genre du roman, plus particulièrement contemporain,
occupe une place prépondérante par rapport à celui de la nouvelle4.
Les tendances observées dans le choix des œuvres à traduire en vue de leur
parution à l’étranger résultent en fait de l’intention très « idéologique » de révéler
des aspects particuliers du pays à l’Autre et, en conséquence, de rechercher ceux
qui présentent le plus d’intérêt à cet effet. Se pose alors le problème de la
définition des critères d’une telle valeur, la solution de compromis qui semble
s’imposer consistant à se référer à ces « canons de la littérature nationale » qui

2 « Les romans représentent [en France] 35 % du chiffre d’affaires réalisé sur tous les ouvrages

traduits, les œuvres en langue anglaise arrivant en tête de cet ensemble ». (Kim, 2018: 42)
3 Pour prendre connaissance des statistiques exactes, voir Kim (2015a), « La traduction d’œuvres
littéraires coréennes en français : son bilan à partir des années 2000 et ses perspectives »,
Translation and Interpretation Studies, 19(4), 135–195.
4 Le déséquilibre existant entre la traduction d’œuvres fictionnelles et celle de la poésie résulte
évidemment de la difficulté particulière posée par cette dernière, mais aussi de la place que ces
deux sous-genres occupent dans le paysage éditorial français : tandis que le second connaît
aujourd’hui d’importantes évolutions qui le situent à l’égal des œuvres concourant pour l’attribu-
tion de grands prix littéraires et qu’éditeurs comme traducteurs se montrent tout aussi intéressés
par ses œuvres, le nombre de maisons d’édition françaises se consacrant au premier diminue
aujourd’hui constamment et les parutions n’interviennent guère que dans les revues spécialisées
(Choi, 2012). Dans le domaine de la fiction, la nouvelle, particulièrement appréciée par le lectorat
français au XIXe siècle, a cédé la place au roman dans les goûts de ce public, alors que sa
production tend à s’accroître en Corée et qu’elle est consacrée par d’importantes distinctions
nationales.

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ont souvent présidé à cette démarche par le passé. Or, l’enjeu de la traduction
repose en réalité sur qui opère ce choix, selon quelle perspective et à l’intention
de qui, le premier élément de réponse à ces questions indiquant une alternative
entre l’éditeur et le traducteur du pays d’accueil. Dans le cas d’une culture dite
« mineure », peu susceptible d’éveiller l’intérêt du public de par son faible
rayonnement, la volonté de faire paraître une œuvre coréenne en langue étran-
gère émane le plus souvent de son traducteur, dont le point de vue est inévita-
blement subjectif.
En termes purement quantitatifs, les statistiques viennent corroborer ce fort
déséquilibre dans la bilatéralité des échanges littéraires5 et, en ce qui concerne la
Corée comme toute autre culture périphérique, la traduction qui est le vecteur de
ces échanges ne fait avant tout que répondre à l’introduction d’une culture
centrale dans le pays. L’adoption des idéogrammes par les systèmes d’écriture
des autres pays d’Extrême-Orient a permis à la littérature chinoise de s’y répandre
largement et c’est en se revendiquant d’une « littérature mondiale » que les
œuvres occidentales sont apparues sur le marché coréen et s’y sont durablement
implantées. L’inverse n’est cependant pas vrai et, dans le cas de la Corée, en dépit
de quelques évolutions liées au succès que rencontrent les productions de sa
culture de masse à l’étranger, d’importantes disparités demeurent dans ses rela-
tions avec les cultures de plus grande diffusion. Reflet de la position hégémo-
nique d’une langue et d’une culture par rapport à d’autres, laquelle dépend elle-
même du poids géopolitique des pays concernés, la traduction qui constitue le
support de leurs échanges ne peut que ressentir cette inégalité dans le secteur de
l’édition. La moindre résonance que peuvent acquérir des traductions de romans
coréens par rapport à celles d’œuvres anglaises, françaises ou allemandes résulte
en grande partie de la structuration de ce marché à l’échelle mondiale en fonction
des rapports de domination et de la hiérarchisation des cultures qui régissent
l’espace transnational, comme permettent de le constater, ne serait-ce que super-
ficiellement, de grandes manifestations internationales telles que les Foires du
livre. Selon Casanova (1999), ces lieux du dialogue interculturel, qui constituent
des espaces sociaux comme d’autres, obéissent à la triple logique mondiale du
marketing politique, du marché de l’édition et d’échanges culturels au sein
desquels la diffusion des œuvres littéraires peut jouir d’une certaine autonomie.
En envisageant la traduction sous cet angle, la question de savoir « que
traduire » prend une portée idéologique qui dépasse le critère des qualités litté-

5 Selon les statistiques de l’Institut de la traduction littéraire de Corée (LTI), le nombre des
œuvres littéraires de la sphère francophone traduites en coréen serait plus de dix fois supérieur à
celui des œuvres coréennes traduites dans ces parties du monde.

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raires, car le choix d’une œuvre particulière est opéré en fonction de l’aspect que
l’on souhaite faire découvrir à l’Autre, cette sélection n’allant pas jusqu’à relever
d’une volonté de mainmise sur la littérature telle que l’ont exercée certains États à
des fins politiques, notamment en Chine, de 1949 à 1966, dans le but de se doter
d’un support de propagande à l’étranger (Xiuhua Ni, 2017). Dès lors, la sélection
de l’aspect à évoquer devra prendre en compte l’intérêt particulier qu’il présente
en raison de sa valeur, celle-ci se mesurant le plus souvent au regard de « canons
de la littérature nationale » qui réunissent le plus large consensus. En Corée, cette
démarche a présidé en grande partie à la politique éditoriale des premiers temps,
qui visait à mettre l’accent sur la « particularité », c’est-à-dire les traits distinctifs
de la culture coréenne, à laquelle vient aujourd’hui s’opposer une universalité
thématique plus ouverte au lectorat étranger. Ce renouvellement est notamment
représenté par le roman La vie rêvée des plantes, de Lee Sung-u, qui traite de la
vie, de l’amour et de la conscience et que le Syndicat de la librairie française a
placé en douzième position de son classement en 2006, mais plus encore par cet
autre roman consacré au thème de la mère, Please Take care of Mom6, qui a
remporté le succès commercial que l’on sait aux États-Unis. Par la suite, le soutien
à l’édition s’orientant toujours plus dans ce sens7, des débats enfiévrés allaient
s’engager entre spécialistes quant auquel des deux aspects privilégier. La littéra-
ture coréenne produite dans le contexte spécifique de la Corée porte inévitable-
ment les traces de son histoire, de sa société et de sa culture, et ces traces
pourront atteindre une certaine universalité qui les rendra accessibles à l’Autre en
les objectivant. En d’autres termes, le lectorat mondial et la littérature coréenne
peuvent tout aussi bien se rencontrer par le biais de la « particularité » que de
l’« universalité », voire d’une autre approche encore, et une œuvre ne saurait
s’engager exclusivement dans l’une de ces voies, son éventuelle traduction sup-
posant en outre une certaine distanciation par rapport à son identité nationale et
pouvant ainsi réduire le clivage avec le lectorat. Traduites dans de nombreuses
langues, les romans de Haruki Murakami fournissent une bonne illustration de ce

6 Traduction en langue anglaise du roman de Shin Kyungsook intitulé Eommarulbutakhae, qui a


paru en 2008 en Corée, où il s’est vendu à plus de deux millions d’exemplaires. Traduit en 32
langues différentes, il a connu un important succès commercial dans sa version anglaise aux
États-Unis, où il a été édité en 2011 et, dès l’année suivante, son auteur s’est vu décerner le Man
Asian Literary Prize. Il s’ouvre sur une scène où une mère, arrivée de province à la gare de Séoul,
lâche la main de son mari et disparaît. Toute la famille part aussitôt à sa recherche, une quête que
les chapitres successifs évoquent selon les points de vue narratifs de la fille, du fils et du mari,
mais aussi de la mère, le récit retraçant peu à peu sa vie tout entière sacrifiée à sa famille. L’œuvre
dépeint avec subtilité la femme qu’elle est avant tout, plus que l’épouse ou la mère, de même que
les sentiments de tous ceux qui composent sa famille.
7 https://www.ltikorea.or.kr/

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processus, puisque les lecteurs les assimilent moins à la littérature japonaise


qu’ils n’y voient l’œuvre d’un auteur donné se distinguant par l’originalité de son
écriture, de même que celles de Jean-Paul Sartre ou d’Albert Camus ne peuvent
être réduites à leur seule appartenance à la littérature française. Cette vision, que
nous qualifierons d’« apatride » ou de « transnationale », ne procède nullement
d’un effacement de l’identité nationale, mais revient à s’affranchir de son carcan
obsessionnel pour, à notre sens, ouvrir de nouveaux horizons à la littérature
nationale au moyen de sa traduction, ainsi que par la nécessaire prise en compte
des œuvres toujours plus nombreuses issues de la diaspora dans toute sa diver-
sité 8.
Les questions qui se posent quant au choix pertinent des œuvres à traduire
portent aussi sur le profil de ceux qui l’opèrent, les critères selon lesquels ils
procèdent et le lectorat recherché. Si différentes filières de sélection peuvent
coexister, la responsabilité en incombe en principe à l’éditeur ou au traducteur du
pays destinataire, mais, dans le cas d’une création émanant d’une culture mi-
neure ne pouvant intéresser qu’un public restreint dans celle de plus grande
diffusion, les auteurs ou éditeurs de la première prennent eux-mêmes l’initiative
de faire paraître une œuvre. Ce constat s’applique notamment à la Corée, où les
organismes compétents se sont chargés de promouvoir la littérature du pays,
quoique sans grand succès en raison de leur méconnaissance des marchés de
l’édition concernés, d’où le faible retentissement des parutions auprès des publics
étrangers. À cet égard, la réussite commerciale de Please Take care of Mom aux
États-Unis met bien en lumière le rôle prépondérant que peuvent jouer les
maisons d’édition dans la sélection d’œuvres à traduire, puis dans leur accompa-
gnement promotionnel, sachant qu’en l’espèce, la traduction a été sollicitée par
l’une de celles-ci après qu’elle eut particulièrement apprécié le traitement du
thème universel de la mère que réalise ce roman. Elle s’inscrivait ainsi en rupture
avec le mode opératoire habituel voulant que les traducteurs, après avoir traduit
l’œuvre de leur choix, recherchent eux-mêmes des éditeurs qui acceptent de la
faire paraître. En outre, il convient de rappeler qu’en l’occurrence, il s’agissait
d’Alfred A. Knopf, qui appartient au géant américain de l’édition Random House
et met en œuvre une politique de marketing particulièrement dynamique, notam-
ment au moyen de publicités et conférences organisées aussi bien aux États-Unis
qu’en Europe, et de critiques favorables publiées dans la presse (Kim, 2018: 48).

8 Lee Chang-rae (États-Unis), Anatoli Kim (Kazakhstan), Yu Miri (Japon), Kaneshiro Kazuki
(Japon), Caroline Hwang (États-Unis), Lee Yang-ji (Japon), Susan Choi (États-Unis) et Li Mirok
(Allemagne) pour ne citer que quelques-uns de ces auteurs dont les œuvres sont rédigées dans les
langues respectives incitent à une réflexion sur les notions de « littérature nationale » et de
« langue maternelle ».

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Cet exemple démontre une fois de plus à quel point le champ qui s’ouvre à la
traduction des littératures de petite diffusion est subordonné aux conditions de
réception de ses productions par des cultures destinataires de plus grande enver-
gure, à savoir à la configuration du marché de l’édition visé, à l’existence
éventuelle de collections spécialisées, à la politique éditoriale des différentes
maisons et à la place occupée par les revues et périodiques littéraires. Cet accueil
subit notamment l’influence de la vision qui y prévaut de la culture émettrice et
de la place de sa langue, une même œuvre pouvant faire l’objet d’appropriations
différentes, voire contradictoires, en fonction des intérêts spécifiques de la sphère
intellectuelle réceptrice. Dans ces conditions, la présence d’importateurs spécia-
lisés sur le marché destinataire pourrait favoriser l’essor de la traduction littéraire
pour le pays émetteur.

2.2 Les traducteurs des cultures mineures

Dans un pays possédant une langue peu pratiquée à l’étranger, la traduction


constitue l’indispensable outil d’une ouverture sur le monde et l’effectif des
professionnels de ce domaine y est d’autant plus faible que ce pays a entrepris
tardivement de se tourner vers l’extérieur, un tel manque de moyens humains ne
pouvant à son tour que limiter le niveau général de la traduction littéraire en
langue étrangère, et ce, quelle que soit la qualité des textes rédigés dans la langue
source. « Oiseau rare » parmi d’autres sur le plan linguistique, la Corée n’échappe
pas à ce problème, car les locuteurs étrangers capables de traduire des œuvres
littéraires ne sont qu’une centaine, toutes nationalités confondues9, ce nombre
tombant même à quatre en moyenne pour chacune de leurs vingt-sept langues et,
si ce chiffre augmente bien évidemment en fonction de leurs niveaux de diffusion
respectifs, il demeure insuffisant face à la diversité et à la richesse du patrimoine
littéraire national. Comme dans tous les pays linguistiquement minoritaires où la
pénurie de traducteurs étrangers à même de traduire à partir de la langue
nationale ne permet pas de répondre à la demande dans le domaine littéraire, un
mode original de traduction en partenariat permet en Corée de pallier ce manque
par l’association de deux traducteurs dont les langues maternelles sont respecti-
vement celles des langues source et cible de la combinaison linguistique concer-
née, l’intervention de ce dernier dépassant celle d’un réviseur (Sung, 2009 ; Kim,
2015). Quoique cette forme de cotraduction aille à l’encontre de la déontologie
professionnelle en usage dans les pays possédant une langue de grande diffu-

9 Statistiques de l’Institut de la traduction littéraire de Corée (LTI)

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sion, le LTI (Literature Translation Institute) coréen exige que les traducteurs
sollicitant une subvention d’aide à la traduction recourent à ce procédé. Celui-ci
présente l’avantage indéniable de mettre en œuvre les savoirs fondamentaux que
possède le sujet traduisant en vue d’un accès plus fiable au sens, par sa maîtrise
de la langue source et sa connaissance de la culture et de la tradition littéraire
auxquelles se rattache l’œuvre en question. Le sens apparent du texte littéraire,
qui prend le plus souvent valeur de métaphore, recouvre un faisceau de significa-
tions cachées, d’isotopies conférant toute sa portée à l’œuvre, seul le traducteur
ayant pour langue source de travail sa propre langue maternelle étant à même de
prendre la pleine mesure de cette épaisseur sémantique. En revanche, il ne pourra
éviter les écueils de sa restitution dans la langue d’arrivée en raison de sa maîtrise
inévitablement lacunaire de cette dernière, ce problème se posant d’autant plus
en traduction littéraire que l’écriture doit y être non seulement irréprochable,
mais d’une grande aisance propice à l’expression de l’inspiration. Dans le do-
maine langagier, la littérature constitue en effet un art et sa forme obéit donc à
des préoccupations esthétiques relevant de la notion de « littérarité » définie par
Roman Jakobson (1973). Cette dimension artistique résulte en grande partie de la
mise en œuvre des procédés formels de composition que sont l’organisation
judicieuse des rythmes et sonorités, mais aussi le recours à des figures de style
telles que la métaphore vive. Loin de se limiter à l’harmonie de l’expression, la
forme poétique est souvent en elle-même porteuse de sens, à tel point qu’elle fait
parfois prédominer le signifiant sur le signifié. Dès lors, les préoccupations du
traducteur littéraire porteront en premier lieu sur cet aspect fondamental pour
l’obtention d’un texte de qualité dans la langue cible, cet objectif relevant d’une
gageure s’il n’est pas locuteur natif de cette dernière, et ce, indépendamment des
compétences qu’il peut y avoir acquises, ce qui le cantonnera dans une transposi-
tion de la forme qui ne permettra pas à celle-ci de révéler toute sa valeur, sans
parler des maladresses ou des impropriétés de langage qui pourront heurter le
lectorat destinataire. Dans le cadre d’une cotraduction, le rôle du locuteur de la
langue cible consistera donc en premier lieu à veiller à la restitution de la qualité
poétique par les choix opérés et à la compatibilité de ceux-ci avec le dessein
général de l’œuvre, ce travail prenant la dimension d’une recréation de la forme.
Il butera ce faisant sur la difficulté de réaliser une parfaite adéquation entre cette
idée de départ et la forme qui en constitue l’expression, de par sa méconnaissance
de la langue source qui ne lui permet pas de juger que le texte produit respecte ou
non l’originalité de l’écriture, la cohésion interne et la prégnance de la création
d’origine, ou que l’un de ses énoncés possède un sens ponctuel qui le distingue
de celui d’ensemble : autant d’éléments d’appréciation qui lui sont inaccessibles,
car ne pouvant être apportés que par la confrontation de l’original à sa traduction
et par la connaissance du contexte intertextuel de cette création, notamment les

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normes d’écriture auxquelles elle répond, son appartenance à un courant de


pensée ou ses liens thématiques et stylistiques avec les autres œuvres du même
auteur. Si, lors des nombreux échanges qui interviennent tout au long du travail,
cette méthodologie « à quatre mains » de la cotraduction remédie le plus souvent
aux défaillances incriminées de part et d’autre du binôme, elle comporte aussi le
risque inhérent de s’écarter de l’œuvre d’origine par trop d’adaptations à la
langue et à la culture « dominantes » de destination. Les carences ainsi consta-
tées amenant à conclure aux résultats inégaux des pratiques actuelles, la solution
la plus souhaitable consisterait à former des traducteurs locuteurs de langues
étrangères disposant de réelles compétences linguistiques et doués de sensibilité
littéraire, le LTI s’engageant sur cette voie par la création de bourses d’études et
l’organisation d’ateliers de traduction pour les différentes langues de grande
diffusion. La traductrice Deborah Smith, qui a notamment bénéficié de ces
dispositifs, s’est vu décerner le prestigieux prix Man Booker International qui
récompensait sa traduction d’un roman de Han Kang, The Vegetarian, auquel la
presse et le public ont fait un accueil enthousiaste en raison des qualités littérai-
res du texte produit en langue anglaise. Comme l’ont souligné Roland Barthes et
Umberto Eco, la réussite d’une traduction se mesure au plaisir que le résultat
obtenu procure à son lecteur par l’émotion d’ordre à la fois intellectuel et affectif
qu’il exprime, ainsi que par l’adéquation parfaite qu’il réalise entre ce message et
les moyens servant à le mettre en valeur. En effet, contrairement à ce qui se
produit dans le cas de textes à vocation pratique pour lesquels la qualité de
traduction peut se résumer à un transfert d’informations d’une langue à une
autre, la nature littéraire d’une œuvre doit aussi se manifester dans la traduction
qui en est réalisée. À n’en pas douter, le texte livré par Deborah Smith répond à
cette condition, mais qu’en est-il de cet autre critère de la restitution exacte de
celui d’origine, qu’il soit ou non de nature littéraire ? En outre, toute traduction
digne de ce nom ne se doit-elle pas de pouvoir exister par elle-même sans exiger
de revenir sans cesse à l’original pour être en mesure de l’apprécier pleinement ?
Eu égard à ces considérations, les libertés que la traductrice s’est avérée avoir
prises avec le texte de départ ont par la suite suscité nombre de critiques quant à
ses carences en termes de congruence notionnelle (Kim, 2017 ; Shin, 2017 ; Lee,
2017 ; Cho, 2017 ; Woo, 2016). Quelles qu’aient été ses intentions et en dépit de ses
qualités littéraires, sa traduction produit l’effet d’un tout nouveau texte auquel
l’œuvre d’origine n’a servi que de point de départ et qui évolue ensuite parallèle-
ment à celle-ci. Lorsque les langues source et cible d’une traduction sont liées par
des rapports d’hégémonie en faveur de cette dernière, la tentation est certes
grande de procéder par acclimatation du texte en débarrassant celui-ci de toute
trace d’étrangeté qu’il puisse comporter au regard de la culture dominante
(Venuti, 1995: 326), mais la dimension esthétique d’une œuvre ne résulte-t-elle

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pas de son élaboration formelle ? Le déploiement de moyens expressifs aboutit à


la composition d’un texte singulier, extrêmement dense et sans égal au sein
même de sa culture. Pour le traducteur littéraire, cette individualisation du
discours, qui dépasse la seule notion de style pour constituer l’« écriture » origi-
nale d’un auteur, représente le volet le plus complexe de son travail de restitution.
Si la traduction d’une œuvre issue d’une culture périphérique à destination d’une
autre, centrale, permet de l’y faire apprécier, voire récompenser par une distinc-
tion, le texte en question n’en sera que plus valorisé et diffusé dans le monde. Le
succès recherché justifie-t-il pour autant de supprimer ce faisant des éléments qui
participent de l’originalité même de ce texte ? La mise en valeur d’une œuvre lors
de sa traduction constitue-t-elle un moyen ou une fin en soi ? Le besoin de
reconnaissance qui se manifeste particulièrement du fait de la rareté des traduc-
teurs locuteurs de langues étrangères pouvant travailler vers le coréen et les
circonstances défavorables dans lesquelles sont parfois réalisées les traductions
ne dispensent nullement de l’obligation d’appliquer les principes fondamentaux
de l’équilibre entre microstructures et macrostructures, du respect du sens et de
la restitution fidèle des équivalences poétiques.

2.3 Les procédés de traduction

Un débat oppose depuis toujours les tenants de la littéralité à ceux de la liberté en


traduction. En Amérique, Nida a proposé les notions d’équivalence formelle ou
dynamique, en se basant sur la compréhension des unités linguistiques, tandis
que Newmark se démarque de cette dichotomie en avançant celle d’une traduc-
tion sémantique ou communicative, Venuti se plaçant quant à lui d’un point de
vue plus socio-culturel et idéologique dans sa suggestion des notions d’éthique
de la traduction et de domestication et préférant parler de « résistance » ou de
« transparence », des notions qui ne se situent pas moins pour autant dans
l’antagonisme habituel. Il en va de même en Europe, où House avance des critères
d’évaluation des traductions qualifiés d’« overt » ou de « covert » et Köller, la
distinction entre correspondance et équivalence fondées respectivement sur la
langue et sur la parole, les premières relevant de la linguistique contrastive et les
secondes, des sciences de la traduction. La sociologie de la traduction d’Even-
Zohar et de Toury, qui établit un lien entre les notions d’« adequacy / acceptabili-
ty » d’une part, et celle d’équivalence, d’autre part, en mettant l’accent sur le
contexte historique des textes littéraires et sur la valeur de la traduction en tant
que « système », est considérée tout aussi indispensable à la critique des traduc-
tions que les notions de « décentrement » et d’« annexion » de Berman. En
France, il convient de citer les fameux « verres transparents et colorés » de

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Mounin, qui, en invitant à réexaminer les soi-disant critères de « fidélité » du


point de vue du lecteur, a contribué à faire évoluer la traductologie vers une
« culturologie », ainsi que le néologisme « cibliste » et la métaphore du « sour-
cier » qu’a employés Ladmiral et qui ont favorisé l’implantation du paradigme
dichotomique. Ces différentes propositions dichotomiques relatives à la méthodo-
logie de traduction ne peuvent en aucun cas être neutres, car, pour choisir
judicieusement l’un ou l’autre des procédés prônés, il importe en premier lieu de
prendre en considération le champ traductif, lequel est indissociable du champ
littéraire et, par là même, du lecteur.
Si l’ensemble de la littérature se compose de textes autonomes obéissant à
des conventions de genre différentes, le contexte social, politique et culturel de
cette autonomie confère à celle-ci ce qui en fait la valeur, à savoir l’historicité.
D’une époque à l’autre, la traduction littéraire est valorisée différemment en
fonction de la place qu’y occupe la lecture. Cette pluralité de la traduction
littéraire, tout comme les propositions épistémologiques qu’il est convenu de
regrouper sous le terme de théorie de la traduction, ne peut paradoxalement
qu’être le reflet de la caractéristique principale de la littérature, c’est-à-dire de
l’autonomie des textes, des particularités de ceux-ci et des exigences des lecteurs.
Après la remise du prix Man Booker International à Deborah Smith10, la
traductrice de The Vegetarian, et à Han Kang, qui est l’auteure de l’œuvre d’ori-
gine, cette traduction en langue anglaise allait susciter un vif intérêt10; alors que
l’octroi d’un soutien à la traduction d’œuvres littéraires coréennes était jusque-là
assujetti au respect de certaines conditions portant sur les procédés à mettre en
œuvre en vue de la restitution fidèle et excellente de ces textes dans une langue
étrangère, la consécration de The Vegetarian allait inciter à rechercher les moyens
de reproduire cette remarquable réalisation. Or, l’enseignement qu’il faut en tirer
est que la méthodologie qui y a été employée ne constitue pas la seule démarche
qui s’offre à l’heure de la mondialisation de la littérature, mais une solution parmi
tant d’autres. Il s’avère en outre que, face à la différence et à la diversité d’une
production littéraire « exotique », il convient de procéder au cas par cas plutôt
qu’en systématisant le traitement des œuvres. Une promotion efficace de la
littérature coréenne sur la scène littéraire mondiale, passe par de constantes
initiatives visant à favoriser le dialogue et les échanges dans ce domaine. S’il
importe évidemment, de notre point de vue, de poursuivre la réflexion sur les
critères qui déterminent la qualité d’une traduction, il convient aussi de s’interro-

10 Ressortissante britannique et étudiante de coréen sept années durant, elle a traduit cette
œuvre sans aucune aide. Sa manière de procéder trop libre par rapport à l’original et en
conséquence peu fidèle à celui-ci allait faire couler beaucoup d’encre, tout autant que ses qualités
littéraires certaines et sa grande lisibilité dans la langue d’arrivée (Kim, 2018: 37).

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ger sur les lectures que peut particulièrement rechercher le lectorat étranger sans
pour autant viser à répondre à la demande issue d’une culture centrale en se
plaçant dans une optique de conquête de marché. La notion de littérature mon-
diale reposant par nature sur le principe de l’échange et de la compréhension de
l’Autre, sa diffusion suppose un suivi de l’accueil qui lui est réservé dans les
différents pays où sont diffusées ses productions. Pour le lecteur étranger, celles-
ci pourront présenter des aspects inexistants dans sa littérature nationale, celle
qu’il découvre ainsi pouvant s’enrichir au contact de ses réactions ou critiques et
ce cercle vertueux s’avérant ainsi bénéfique de part et d’autre.
Aujourd’hui, le théâtre de la concurrence littéraire se situe à l’échelle interna-
tionale, chaque pays s’employant à y occuper une position de premier plan. Il ne
s’agit pas ici de rivalité entre des auteurs ou des œuvres donnés, mais bel et bien
d’une concurrence mondiale entre nations dans le secteur de la culture. Selon
Casanova (1999: 3–5), il ne s’agit cependant pas d’un phénomène récent, loin de là,
car la littérature a toujours fait l’objet de conflits et rivalités entre pays producteurs
revendiquant le caractère « universel » de leurs œuvres en vue de se constituer un
capital culturel. D’aucuns arguent ainsi que l’on ne peut que se résigner à cette
réalité et qu’il faut en conséquence se lancer résolument dans la compétition. Pour
une œuvre donnée, cette concurrence s’impose doublement en vue de survivre
dans l’écosystème culturel national et de se mesurer à la production d’autres
cultures tout aussi soucieuses de se pérenniser et d’être reconnues à l’étranger
(Jameson, 2008). Dès lors, la voie à suivre semble évidente s’agissant des questions
fondamentales qui se posent sur l’essence de la littérature : qu’est-ce que la
littérature nationale, pour quelle raison lisons-nous de la littérature, souhaitons-
nous posséder une littérature mondialisée ou faire partie de la littérature mon-
diale ? Dans le contexte actuel de mondialisation inexorable, quelle peut être la
valeur intrinsèque de la littérature ? La littérature mondiale ne doit-elle pas s’in-
scrire en faux contre les grandes contradictions de l’époque ? L’humanité n’a-t-elle
pas besoin d’une littérature qui l’aide à survivre dans de meilleures conditions,
atténue les clivages créés par la mondialisation et favorise le vivre ensemble ?
Une âpre concurrence internationale, une littérature peu avantagée par la
faible diffusion de sa langue et la recherche du succès commercial représentent
des facteurs parmi d’autres d’une réalité qui ne plaide pas en faveur d’une mise
en valeur de l’étrangeté d’une culture minoritaire. Dans ces conditions, l’une des
solutions s’offrant à la traduction de l’une des œuvres qui sont issues de celle-ci
pourrait consister à réaliser une traduction hybride où le texte proprement dit
s’accompagnerait d’une critique de grande qualité, de notes explicatives sur la vie
de l’auteur et de commentaires sur les particularités de son style, ces divers
éléments incitant à la réflexion le lecteur qui découvre cet écrivain et lui permet-
tant de mieux comprendre son œuvre. Ces différentes indications, qui prendraient

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tantôt la forme de notes du traducteur, tantôt celle d’une préface ou d’une post-
face également rédigées par celui-ci, ne pourraient qu’inviter le lecteur à s’ouvrir
davantage à l’Autre et à de nouveaux horizons littéraires. De même qu’une œuvre
perdrait de sa valeur en raison de ses analogies de style ou de thématique avec
une autre déjà existante, une traduction littéraire réalisée de manière systéma-
tique en vue de satisfaire les goûts des lecteurs du pays destinataire ne pourrait
conserver l’originalité qui lui confère son appartenance à la littérature mondiale.
En dépit des limitations inhérentes à toute littérature minoritaire, il conviendra
d’entreprendre la traduction d’une plus grande variété d’œuvres, tout en mettant
en relief leur part intrinsèque d’étrangeté et en favorisant la compréhension et
l’échange à l’aide de commentaires et critiques portant sur ces traductions. En
d’autres termes, une approche fondée sur une coexistence mutuellement enri-
chissante par la rencontre de l’Autre dans le cadre de l’une des composantes,
aussi minoritaire soit-elle, de la littérature mondiale est préférable à une démar-
che axée sur l’exportation vers une culture centrale en vue de s’y implanter à tout
prix.

3 Conclusion
Le présent article s’est attaché à analyser les particularités que revêt la pratique
de la traduction littéraire lorsque les langues de travail source et cible sont
respectivement issues de cultures périphériques et centrales, en se fondant sur le
cas de la Corée, dont il examine la situation du point de vue des modalités du
choix des œuvres à traduire, de la disponibilité de locuteurs de langues étrangè-
res capables de traduire convenablement des textes littéraires coréens et des
méthodologies qu’ils adoptent ce faisant, ainsi que des facteurs socio-culturels
du contexte spécifique dans lequel se situent les œuvres traduites.
S’agissant d’une combinaison linguistique où la langue source ne jouit que
d’une faible diffusion du fait du statut minoritaire de sa culture, la traduction,
notamment littéraire, présente la particularité de recourir le plus souvent à un
binôme de traducteurs effectuant un travail commun parfois désigné par le terme
de cotraduction. En dépit des faiblesses qui lui sont inhérentes, comme le souli-
gne le présent article, ce procédé est appelé à perdurer jusqu’à ce qu’aient été
formés suffisamment de traducteurs étrangers locuteurs de la langue cible qui
possèdent des dispositions pour la traduction littéraire, mais avant tout une
excellente connaissance de la langue et de la culture source afin de bien appré-
hender l’œuvre sur le fond comme sur la forme. En ce qui concerne cette dernière
condition, la traduction citée en exemple du roman The Vegetarian révèle à quel
point des lacunes entraînant des erreurs de sens peuvent nuire au texte obtenu,

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quelles qu’en soient par ailleurs ses qualités. Korneï Tchoukovski (1984: 20)
affirme ainsi à ce propos : « l’empreinte de la personnalité d’un auteur dans la
langue de ses œuvres est son style personnel et il lui est propre. Si nous modifions
ce style, nous le défigurons. Dans sa traduction, si le traducteur impose son
propre style, il transforme le portrait de cet auteur et en fait son propre auto-
portrait. »
Depuis que sont traduites des œuvres littéraires coréennes dans les principa-
les langues occidentales, soit quarante ans à peine, ce sont le plus souvent les
traducteurs qui portent leur choix sur ces textes avec l’approbation des organis-
mes chargés du soutien à l’édition et en s’attachant à mettre en lumière les traits
distinctifs de la culture du pays pour que ses productions originales occupent une
place à part entière dans la littérature mondiale. Selon Cho (2012: 518), cette
politique volontariste de mondialisation s’apparente d’une certaine manière à un
match de football où, pour remporter la victoire, que représente ici l’attribution
du Prix Nobel de littérature, il faut sans cesse passer le ballon au joueur le plus
talentueux dans l’espoir que soit marqué un but, c’est-à-dire faire éditer l’auteur
ou l’œuvre les plus susceptibles d’être récompensés. Si la promotion de la
littérature coréenne à l’étranger au moyen de sa traduction s’oriente dans le
même sens que ces rencontres sportives ayant pour objectif d’engranger des
points le plus rapidement possible, elle favorisera une démarche de traduction
caractérisée par une uniformisation des textes résultant d’une volonté de plaire
au lecteur et de s’implanter sur le marché de la culture centrale, et ce, au
détriment de leur qualité. Étant donné les rapports de force qu’entretiennent les
langues entre elles, il semble naturel que les plus faibles adoptent un comporte-
ment « défensif » face aux plus fortes (Cronin, 1995: 90). Toutefois, à supposer
que cette démarche d’acclimatation permette à des œuvres traduites d’une langue
minoritaire de faire leur entrée dans la littérature mondiale, elle ne fera par là
même que renforcer et perpétuer une hégémonie fondée sur une universalité qui
repose sur des critères occidentaux, sans fournir un apport propre à cette étran-
geté qui participe de la valeur littéraire. Dès lors, il convient de s’interroger sur
l’opportunité de ranger dans cette « littérature mondiale » des œuvres ainsi
dépourvues d’hybridité, tout comme des traductions contribuant à une standardi-
sation de la littérature par l’élimination de ses éléments d’étrangeté. La « mondia-
lisation de la littérature » peut-elle se résumer à une concurrence visant à l’hégé-
monie culturelle ? La valeur de la littérature issue d’une culture donnée ne tient-
elle pas à la part de nouveauté et de diversité enrichissantes qu’elle renferme ? Si
la traduction d’œuvres littéraires issues d’une culture minoritaire subit nécessai-
rement les contraintes découlant de la situation de celle-ci, elle se doit de
dépasser son besoin obsessionnel de reconnaissance et de consécration pour
s’enhardir à suivre une démarche visant à valoriser la littérarité et la singularité

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de ces oeuvres, puisque, comme l’estime Berman (1984: 16), « l’essence de la


traduction est d’être ouverture, dialogue, métissage, décentrement ». En consé-
quence, l’auteur du présent article avance l’idée qu’il conviendrait de diversifier
le champ des œuvres traduites en privilégiant la mise en valeur de l’étrangeté,
mais aussi d’accompagner les traductions réalisées de commentaires et critiques
destinés à éclairer le lecteur sur un univers inconnu et à lui permettre de consti-
tuer des acquis intertextuels, tout en encourageant l’échange et le dialogue.
Enfin, il importe d’avoir toujours présent à l’esprit le rôle décisif que jouent les
éditeurs et les agents littéraires du pays d’accueil dans le choix d’œuvres particu-
lièrement susceptibles d’attirer le lectorat étranger et dans la promotion même de
la traduction littéraire.

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