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journées internationales
Alfred Cortot
Publiés par la Société des Amis des Arts et des Sciences de Tournus
avec le concours
de l'Académie de Mâcon, des Amis du Villars
du Ministère de la Culture et de la Communication
ACTES DES CONFÉRENCES
JOURNÉES INTERNATIONALES
ALFRED CORTOT
TOURNUS
Thierry Sibaud
Directeur artistique
Avant-propos
CONFÉRENCES
ALFRED CORTOT MUSICIEN DU XXE SIÈCLE,
PERSPECTIVES BIOGRAPHIQUES
François Anselmini
;
Amis des Arts et des Sciences de Tournus et Thierry Sibaud
de leur invitation je suis très heureux de prendre part à la
commémoration du cinquantièmeanniversaire de la disparition
;
d'Alfred Cortot dans la région de sa famille paternelle et près
du lieu où il repose je suis aussi très honoré d'ouvrir le cycle
des conférences de ces Journées Internationales.
ou musicien de chambre ;
comme pianiste bien sûr, mais aussi comme chef d'orchestre
environ trois cents disques, réalisés
à la musique française ;
conférences ou ouvrages consacrés aux Romantiques ou
enfin, des engagements, parfois
controversés, dans l'action politique et administrative,
notamment pendant les deux Guerres mondiales.
Jalonnée le plus souvent de succès éclatants, mais
également marquées par des polémiques, l'existence d'Alfred
Cortot est tellement riche et protéiforme qu'en rendre compte
en un temps limité paraît relever de la gageure. On peut
toutefois tenter de retracer les lignes essentielles du parcours
de celui qui demeure l'un des plus grands interprètes du XXe
siècle, et qui exerça surtout à travers ses multiples activités,
une influence déterminante sur la vie culturelle de son
temps.
;
de trente ans après celle de Chopin, à peine plus de vingt
ans après celle de Schumann à cette date, Brahms, Liszt et
Wagner sont encore en vie. Si la carrière du pianiste s'inscrit
pleinement dans le XXe siècle, il apparaît avant tout comme
un Romantique et comme l'héritier de tous ces compositeurs
qu'il vénérait plus que tout.
:
initiatrices2 ». Le jeune Alfred trouve aussi dans sa famille
les conditions d'une austère discipline il n'a rien d'un enfant
prodige, mais se montre très sérieux et appliqué. Il ne va pas
à l'école, et n'a sans doute pas beaucoup de distractions,
mais il accepte docilement de passer de longues heures à son
clavier, qu'il perçoit tour à tour comme«unjouet qui chante et
3 ERL, ;
p.13 «LePianodeL'enfance»,réf.citée.
4 Le Ménestrel, 53e année, n°46, 13 novembre 1887, p. 366.
:
Georges Mathias et Camille Dubois5. Le jeune Cortot les écoute
émerveillé « pour moi, le romantisme était une époque non
point mythique, mais quasi contemporaine. Rien d'étonnant
alors, que j'y crusse avec passion6 », dira-t-il beaucoup plus
tard en se remémorant les années passées au Conservatoire.
Cependant, les annotations de ses examinateurs le décrivent
comme un élève appliqué, voire besogneux, mais qui n'a rien
d'un brillant sujet, ce qu'il reconnaîtra volontiers plus tard.
Il reste ainsi dans cette classe préparatoire jusqu'en 1892,
c'est-à-dire pendant six longues années, avant de réussir à
»
décrocher la « première médaille qui lui permet d'intégrer
la classe supérieure de piano de Louis Diémer7.
extérieure ;
française de virtuosité brillante, mais parfois un peu
sans vraiment l'avouer, Cortot dira plus tard
n'avoireu guère d'atomes crochus avec l'esthétique qu'incarne
ce maître, qui semble avoir eu d'autant moins d'influence
qu'il est un pédagogue plutôt nonchalant (« il ne donnait
jamais un seul conseil, une seule indication sur quoi que ce
»
soit dira ainsi un autre de ses anciens élèves8). En outre,
si ses professeurs et examinateurs continuent de louer son
:
Ballade de Chopin lui vaut enfin un premier Prix, il est vrai
particulièrement éclatant contre tous les usages, il est alors
le seul nommé, et à l'unanimité du jury10.
:
Diémer, celui-ci a cependant à cœur de faciliter les débuts
de ses élèves il organise pour eux des auditions publiques,
dans son brillant salon de la rue Blanche, et les présente
parfois aux musiciens de renom qu'il connaît. Ainsi, en 1894,
;
il fait jouer à Cortot la sonate Appassionata devant le célèbre
Anton Rubinstein, de passage à Paris en sirotant son cognac,
le grand pianiste russe donne alors au garçon un conseil
lapidaire, dont celui-ci se souviendra toujours :«
Mon petit, les
sonates de Beethoven, ça ne se joue pas, ça se réinvente" ».
Quelques années plus tôt, Cortot assiste à l'âge de onze ans
aux débuts parisiens d'un autre virtuose d'exception, Ignacy
Paderewski, dont les interprétations de Chopin sont pour lui
»
une « révélation décisive et un « éblouissement12 ». Enfin, il
s'intéresse très tôt à la musique de chambre, en accompagnant
au piano les classes d'instruments à vent et en se liant avec
de futurs grands violonistes, notamment Georges Enesco et
déjà, Jacques Thibaud13.
9 Voir par exemple les notes de Louis Diémer (Archives Nationales, AJ/37/294).
10 Le Ménestrel, 62e année, n°30, p. 239. Il n'obtient qu'un premier accessit en 1894,
et aucun prix les autres années.
11 L'anecdote a été narrée à plusieurs reprises par Cortot lui-même, notamment
dans les ERL, p 48. Voir également l'Entretien-itinéraire, p.83 du présent recueil.
12 Alfred Cortot, « Paderewski pianiste », préface à Henryk Opienski, I. J. Paderewski.
Esquisse de sa vie et de son œuvre [1928], Lausanne, Editions Spes, 1948, p. XVI.
13 ERL, p.5-6 et p. 16.
Mais c'est encore un autre grand pianiste, français
déterminante :
celui-ci, qui a sur notre jeune pianiste L'influence la plus
Edouard Risler. De quatre ans seulement
l'aîné de Cortot, Risler obtient dès 1889 un premier prix
dans la classe de Diémer, et part ensuite se perfectionner
en Allemagne auprès de l'élève préféré de Liszt, Eugene
d'Albert. De retour à Paris, il est chargé par Diémer de faire
travailler ses élèves les plus jeunes. C'est ainsi qu'il fait la
:
connaissance de Cortot, qui éprouva pour lui une sorte de
coup de foudre « Il était mon frère et mon modèle. Je lui
dois tout. Il m'aimait, je L'admirais de tout mon cœur, et [.]
ne songeais qu'à l'imiter14 », dira-t-il de son mentor. Avec ce
dernier, il découvre en effet tout autre chose que les exercices
Conservatoire ;
scolaires et la virtuosité un peu clinquante enseignée au
Risler lui révèle le style pianistique lisztien,
orchestral et puissamment évocateur, mais aussi le grand
:
répertoire dont ilest un interprète d'élection Liszt bien sûr, de
même que Bach, Beethoven et Chopin. Une lettre de 1895, que
j'ai d'autant plus à cœur de vous citer qu'elle est expédiée du
Villars, où Cortot passe ses vacances (il y évoque ses longues
promenades dans les prairies bordant la Saône), montre toute
l'influence de Risler sur la formation de notre pianiste15 : on y
;
apprend quecelui-citravaille, sur les prescriptions de son aîné,
les Études de Chopin ce recueil deviendra ultérieurement, on
le sait, l'un des piliers du répertoire de Cortot. On peut aussi
penser que les conseils de ce prestigieux mentor l'ont aidé
à décrocher son prix en 1896 ; et quoi qu'il en soit, c'est bien
Risler qui lui révèle sa vocation d'interprète romantique et qui
fait vraiment de lui un grand pianiste.
14 Ibid.,p.14.
15 Alfred Cortot, lettre à Edouard Risler, 22 juillet 1895 (coll. privée).
Risler parraine également les débuts du jeune
musicien:cedernierdonne en
effet beaucoup de ses premiers
concerts en duo avec son aîné déjà célèbre. Cet ami précieux
est aussi à l'origine d'un élément décisif entre tous dans la
carrière de Cortot, à savoir sa rencontre avec la musique
de Wagner, qui fait alors fureur à Paris. Wagnérien fervent,
Risler est un habitué du théâtre de Bayreuth, où il exerce
chaque été la fonction de musicien-répétiteur. La maison
;
Pleyel offre alors une récompense aux lauréats des prix du
Conservatoire lorsque vient son tour en 1896, Cortot demande
à ce qu'on lui paie le voyage de Bayreuth, et accompagne ainsi
choc :
son inséparable ami. L'arrivée dans la ville de Wagner est un
lors de la première répétition à laquelle il assiste, il
est tellement exalté qu'il tombe dans une sorte de catalepsie.
«j'étais Siegfried lui-même,j'étaiscomplètement envoûté par
cette musique qui satisfaisait également mon intelligence, ma
sensibilité, mon imagination16 », dira-t-il plus tard, sans avoir
jamais rien renié de cet enthousiasme. Risler l'invite aussi
à partager ses fonctions dans les coulisses du festival, où il
;
accompagne au piano les solistes et dirige les chœurs durant
les répétitions il le présente aussi à la redoutable Cosima
Wagner, veuve de Richard. Cortot fait enfin la connaissance de
»
tous les Français qui font le « pèlerinage wagnérien, qu'ils
soient musiciens, écrivains ou issus des élites aristocratiques
et bourgeoises. Le séjour de Bayreuth, où Cortot retourne
dans les mêmes conditions en 1897 et 1901, revêt donc une
double importance, sur le plan artistique d'abord (la musique
de Wagner étant une révélation fulgurante), mais aussi sur le
plan social, et même mondain, puisqu'il lui permet de faire la
connaissance de musiciens célèbres et de riches mélomanes
prêts à le soutenir.
:
la direction musicale, notre jeune musicien de vingt-cinq
ans voit très grand il fait construire une fosse d'orchestre
identique à celle de Bayreuth au Théâtre du Château d'Eau,
où ont lieu les représentations, recrute aussi un orchestre
de quatre-vingt-dix musiciens et parvient à attirer le célèbre
ténor Van Dyck pour donner la réplique à Felia Litvinne, avec
laquelle il semble bien que notre Cortot ait alors une liaison.
Après quatre mois de répétitions, la première a lieu le 15
mai 1902, et c'est un tel événement musical et mondain qu'il
éclipse partiellement la création de Pelléas et Mélisande, qui
a lieu exactement au même moment. Les représentations
remportent un grand succès artistique et critique, mais sont
en revanche un désastre sur le plan financier.
Cortot se lance malgré cela dans une nouvelle
entreprise wagnérienne l'année suivante, toujours avec le
17 Sur les entreprises wagnériennes de Cortot, nous nous fondons, outre les ERL,
sur les nombreux articles que la presse parisienne leur consacrent [en particulier
la revue Le Monde artiste, qui suit presque au jour le jour les travaux et les
répétitions), ainsi que sur les archives de la comtesse Greffuhle [Manuscrits de
la Bibliothèque de l'Institut de France, fonds Bernard Gavoty, Ms8359, chemise 7,
« Carrière wagnérienne d'Alfred Cortot » et Archives Nationales, fonds Greffuhle,
AP/101/II).
soutien de la comtesse Greffulhe, en donnantde largesextraits
de Parsifal; les recettes ne sont toujours pas bonnes, tandis que
les critiques sont plus négatives (un article de Debussy raille
par exemple la direction de Cortot18). Nullement découragé, le
;
jeune chef crée en 1904 une association de concerts portant
son nom la programmation de ces Concerts-Cortot est elle
aussi très ambitieuse, faisant découvrir au public parisien des
chefs-d'œuvre alors méconnus tels que la Missa Solemnis
de Beethoven ou le Requiem allemand de Brahms, mais
aussi les créations de nombreux compositeurs français de
l'époque19. L'expérience s'arrête toutefois au bout d'une seule
saison, toujours pour des raisons financières. Cortot poursuit
néanmoins ses activités de chef en occupant pendant quatre
ans la tête de l'Association des concerts symphoniques de
Lille20. De même, il dirige souvent les concerts de la Société
Nationalede Musique, y présentant parfois ses propres œuvres
(même s'il renonce très vite à être compositeur).
:
ou socialiste22. C'est également là qu'il noue une relation
étroite avec Gabriel Fauré celui-ci lui dédie de nombreuses
œuvres (notamment les 7e et 9e Nocturnes), et, devenu
directeur du Conservatoire de Paris en 1905, l'y fait nommer
professeur de la classe féminine de piano deux ans plus tard.
Cortot entame ainsi une brillante carrière de pédagogue, avec
parmi ses premières élèves, des artistes aussi remarquables
que Magda Tagliaferro, Clara Haskil ou Yvonne Lefébure.
de jouer ensemble :
musiciens décident, peut-être sur une idée de Léon Blum,
ainsi est constitué le légendaire trio
Cortot-Thibaud-Casals, qui donne son premier concert en
considérable :
mai 1906. D'emblée, cette association remporte un succès
avec elle, la littérature pour trio cesse d'être
cantonnée dans les salons d'amateurs pour s'imposer sur
les scènes de concert. Outre le renom qu'elle lui apporte,
:
partir de 1910, le pianiste joue de moins en moins avecThibaud
et Casals et de plus en plus en soliste les partenaires n'ont
plus le temps de répéter ensemble, et la réputation de chacun
d'eux est désormais établie à l'échelle européenne. Dans les
années précédant la Grande Guerre, Cortot donne ainsi de
quarante à soixante concerts par an, dont plus de la moitié à
l'étranger, du Portugal à la Russie. Reconnu comme un grand
interprète de Beethoven et Liszt, tout autant que de Chopin,
il contribue aussi à faire connaître la musique de son temps,
23ERL,p.6.
»
24 Nous puisons ces informations dans l' « agenda de carrière que tient Cortot à
partir de 1906, et dont les archives de Bernard Gavoty portent la trace (Manuscrits
de la Bibliothèque de l'Institut de France, fonds Bernard Gavoty, Ms8359, chemise
14. « Biographie, résumé de la carrière de Cortot »). Nous abrégerons désormais
la référence à ce document sous la désignation « Agenda de carrière ».
25 Sur les activités de Cortot durant la Première Guerre mondiale, voir notre mémoire
de master 2 (François Anselmini, Vers une biographie d'Alfred Cortot (1877-
1962). Un pianiste dans la Grande Guerre (1914-1918), Université de Caen-Basse
:
Normandie, 2010), ainsi que François Anselmini, « Alfred Cortot et la création des
Matinées Nationales l'Union Sacrée mise en musique », Revue de Musicologie,
tome 97, n°1. 2011, p. 61-84).
:
Cortot ne fait pas l'expérience du front mobilisé en 1915
seulement, il est versé dans le service de santé et ne quitte
pas Paris. Mais avant cela, le célèbre pianiste s'engage dès
août 1914 pour venir en aide aux nombreux artistes que le
conflit plonge dans de grandes difficultés matérielles : la
mobilisation désorganise en effet les troupes et les orchestres,
tandis que l'état d'urgence impose la fermeture des salles de
spectacles. Aux côtés de quelques personnalités du monde du
théâtre, Cortot fonde donc dès les premiers jours de la guerre
l'Œuvre Fraternelle des Artistes, qui verse des secours aux
artistes contraints au chômage. Obtenant le soutien de l'Etat,
mais aussi de multiples institutions culturelles et d'un grand
nombre d'écrivains, de compositeurs ou d'acteurs célèbres,
cette œuvre de guerre crée d'emblée un climat de solidarité
et d'Union sacrée au sein du monde du spectacle. De même,
Cortot crée une autre œuvre caritative en 1915, l'Association
des Anciens Elèves du Conservatoire, qui célèbre les élèves
morts pour la patrie et vient en aide à leurs familles.
:
en effet un moyen de propagande et de mobilisation des
esprits toujours ouvertes par la Marseillaise et l'allocution
d'une personnalité politique ou Littéraire, ellesfontalternerles
œuvres musicales et la lecture de chefs-d'œuvre du patrimoine
littéraire français ou de poèmes de circonstance. Ainsi insérée
dans un rituel patriotique, la musique permet, grâce à sa
puissance d'émotion, une communion du public autour des
valeurs de patriotisme et d'unité nationale. Cependant, si les
Matinées sont largement dominées par la musique française,
Cortot et les autres organisateurs font preuve d'une ouverture
d'esprit remarquable pour l'époque en programmant aussi
des œuvres germaniques, excluant toutefois Wagner et les
compositeurs allemands contemporains.
:
Cortot cherche alors à réaliser une véritable Union Sacrée
des musiciens il s'efforce ainsi, sans succès, de réunir les
compositeurs de toute tendance au sein d'une seule et même
Société Nationale de musique, mais aussi de convaincre tous
les éditeurs français de collaborer ensemble à une édition
nationale des grandes partitions classiques, destinée à faire
pièce aux éditions allemandes.
:
deux Guerres, L'essentiel de sa carrière se déroule en effet à
l'étranger dans les années 1920, il passe jusqu'à six mois par
saison aux Etats-Unis, où ildonne un grand nombre de concerts ;
à ces voyages transatlantiques s'ajoutent d'innombrables
séries de concerts à travers l'Europe, jusqu'à la Turquie et
l'Egypte. Au cours de ces tournées qu'organise l'Association
Française d'Action Artistique, qui a succédé en 1922 au service
:
de propagande fondé par Cortot, le pianiste se comporte comme
une sorte de diplomate musical il est ainsi très souvent reçu
par les autorités locales ou les représentants diplomatiques
français comme un personnage officiel, et chaque concert est
présenté comme une action de propagande en faveur de la
France et de son excellence musicale. Beaucoup de ces voyages
République :
semblent ainsi épouser les aléas de la diplomatiede la Troisième
par exemple, Cortot multiplie les tournées dans
les pays de la « Petite Entente »
(Roumanie, Tchécoslovaquie,
Yougoslavie), qui constituent alors les alliés privilégiés de la
France. De même, il est l'un des premiers artistes français à
rejouer en Allemagne, en 1927, c'est-à-dire aux plus beauxjours
de la politique pacifiste d'Aristide Briand. Enfin, il se produit en
URSS au printemps 1936, au moment de la signature d'un accord
franco-soviétique.Ainsi, c'est au titre des Affaires Etrangères,
et non des Beaux-Arts, qu'il est élevé aux plus hauts grades de
l'ordre de la Légion d'Honneur, en récompense de « l'influence
[exercée] en faveur de nos arts27».
:
de Debussy. Le répertoire gravé est néanmoins plus restreint
que celui de ses concerts il enregistre essentiellement les
compositeurs romantiques (Chopin plus que tout autre) et
de la musique française (notamment des pièces de Debussy,
Franck, Ravel et Saint-Saëns) ; en revanche, Beethoven est
quasi absent de sa discographie, car il est alors inconcevable
qu'un Français concurrence les pianistes allemands,
notamment Artur Schnabel, qui réalise la première intégrale
des Sonates.
de chambre :
seul piano, et continue de pratiquer avec passion la musique
le trio Cortot-Thibaud-Casals retrouve une
belle activité à partir de 1921, en particulier avec des disques
remportant de fracassants succès (notamment celui du
Premier Trio de Schubert, qui reste aujourd'hui insurpassé).
La difficulté de concilier les agendas respectifs des trois
vedettes, mais aussi des tensions d'ordre privé et politique
séparent cependant Casals de ses camarades vers 1935 :
contrairement aux deux autres, le violoncelliste refuse d'aller
jouer dans l'Allemagne nazie, puis s'engage avec passion
dans la défense de l'Espagne républicaine. Le duo Cortot-
Thibaud demeure en revanche actif, et le pianiste joue aussi
avec d'autres interprètes (il enregistre par exemple des
Mélodies de Debussy avec la soprano Maggie Teyte, qui fut la
deuxième à tenir le rôle de Mélisande, après Mary Garden).
:
Il reprend en outre une pratique non négligeable de chef, en
fondant trois orchestres l'Orchestre Symphonique de Paris,
créé en 1928, mais qu'il confie dès l'année suivante à Pierre
Monteux, faute d'avoir le temps de s'y consacrer vraiment ;
en alternance avec un débutant nommé Charles Munch ;
l'Orchestre de la Société philharmonique en 1935, qu'il dirige
:
c'est parce qu'avec l'éditeur et journaliste musical Auguste
Mangeot, il a créé dès 1919 un nouvel établissement l'École
Normale de Musique. Mangeot a été son collaborateur au
sein du Service de propagande artistique, et le projet des deux
hommes est un moyen de poursuivre leur action en faveur du
rayonnement de la musique française. Entièrement privée,
mais soutenue par les pouvoirs publics, la nouvelle école est
en effet d'abord destinée à accueillirdesélèves étrangers (que
le Conservatoire n'admet qu'en nombre restreint), et qui, une
fois leur formation terminée, pourront retourner dans leur
pays d'origine témoigner de l'excellence de l'enseignement
musical français. Mais cet objectif patriotique n'est pas le
seul de Cortot, qui insiste pour que l'établissement soit une
école normale, c'est-à-dire qu'elle forme des professeurs
de musique dûment qualifiés, tout autant que des virtuoses.
Si les débuts sont modestes, l'Ecole attire ensuite de plus
en plus d'élèves grâce au prestige de ses professeurs, que
Cortot fait venir en jouant pleinement de ses amitiés parmi
d'autres, Casals y enseigne le violoncelle, Thibaud et Enesco
:
le violon, Landowska le clavecin, Paul Dukas et Stravinsky la
composition. Utilisant les méthodes pédagogiques les plus
modernes et délivrant des diplômes comparables à ceux de
l'Université, l'Ecole offre aussi à ses élèves une formation
musicale complète, avant qu'ils ne se spécialisent dans un
domaine ou un instrument. Les premières années, Cortot ne
s'investit guère dans sa gestion quotidienne, mais professe
chaque mois de juin des « cours public d'interprétation »,
:
les œuvres nouvelles d'un grand nombre de compositeurs
français ou étrangers Ravel, Poulenc, Albert Roussel mais
aussi Prokofiev et bien d'autres viennent assister ou prendre
part à ces concerts. L'orchestre des élèves joue également
des œuvres plus anciennes mais alors méconnues
concoursde Nadia BoulangerouWanda Landowska, Cortotfait
avec le ;
notamment de son école le foyer d'une première redécouverte
«
du répertoire baroque », interprétant des œuvres de Haendel,
Bach ou Couperin28.
:
la musique à un public aussi large que possible se manifeste
par la rédaction de nombreux ouvrages constamment animé
par la volonté de transmettre l'amour de son art, il a en effet
pour singularité d'être un musicien qui parle et qui écrit. Pour
l'éditeur Maurice Sénart, racheté plus tard par la maison
Salabert, il entame ainsi dès 1915 la série des « Editions de
travail », dans laquelle il revoit et commente les partitions
romantiques, celles de Chopin pour commencer29. En 1928,
paraît aussi une méthode intitulée Principes rationnels de
la technique pianistique, qui s'attaque à toutes les difficultés
techniques que pose l'art du piano, décomposant chacune
d'elles pour la ramener à une formule élémentaire30. Tous
ces écrits pédagogiques demeurent très utilisés dans les
conservatoires d'aujourd'hui, de même que les musicologues
s'appuient encore sur ses travaux destinées à défendre et
illustrer la musique française de son temps. Entre 1920 et 1939,
Cortot publie en effet dans La Revue Musicale de minutieuses
analyses des œuvres pianistiques des compositeurs français ;
ces études seront ensuite réunies en volumes sous le titre
La Musique française de piano31. S'il y célèbre, avec quelques
réserves, le génie de Debussy, Ravel ou Fauré, il se montre en
revanche sévère pour l'œuvre de Satie, dont il n'aime guère
l'esprit de canular, ou pour les compositeurs néo-classiques
desannées1930, qu'iljugeformalistes et inexpressifs. Toujours
dans les années 1930, il donne aussi pour le public mondain
29 A. Cortot, Edition de travail des œuvres de Chopin. Douze Etudes pour piano
opus 10, Paris, Maurice Sénart, 1915. Plus de 80 volumes d'oeuvres de Chopin,
Schumann, Liszt, Schubert,Weber et Czerny paraîtront jusqu'au débutdesannées
1960.
30 Principes rationnels de la technique pianistique [1928], Paris, Éditions Salabert,
1996.
31 La musique française de piano [1930-1943], 3 volumes, Paris, PUF, coll.
« Quadrige », 1981.
de l'Université des Annales, des « concerts-conférences »
qui remportent un immense succès et dont le texte est
publié dans la revue Conferencia : de 1931 à 1939, ses cinq
conférences annuelles ont lieu devant des salles combles et
enthousiastes, à tel point que le pianiste est souvent obligé de
répéter deux fois chacune de ses séances. Enfin, Cortot devient
dans l'Entre-deux Guerres un collectionneur et bibliophile
accompli, acquérant des manuscrits de Beethoven, Chopin,
Liszt, Debussy et d'autres, et possédant une exceptionnelle
bibliothèque d'ouvrages musicaux anciens32.
;
incarnant aux yeux d'un large public le « grand pianiste»
par excellence avec ses multiples activités, il est aussi un
personnage incontournable de la vie culturelle de l' époque.
Mais quand débute un second conflit mondial, notre
musicien est de nouveau happé par la grande Histoire, et son
comportement durant l'Occupation va, on le sait, grandement
affecter sa réputation.
Ce qu'on pourrait appeler une « légende noire»
occulte en effet partiellement la grande richesse de la carrière
de notre pianiste. Pour de nombreux mélomanes, le nom de
Cortot évoque le régime de Vichy et la Collaboration, et son cas
illustre, dans le domaine de la musique, l'idée selon laquelle
l'Occupation est un « passé qui ne passe pas », éveillant
encore aujourd'hui passions et polémiques. À cette mémoire
controversée, qui se nourrit plutôt de rumeurs et de propos
rapportés que de faits précis, on peut tenter d'opposer une
:
choisit dès septembre 1939 de replonger dans l'action politique
et administrative reproduisant son attitude de 1914, il suspend
alors toute activité musicale et retourne dans l'administration
des Beaux-Arts, qu'il a fréquentée lors du précédent conflit ;
il y fonde un Service baptisé « Lecture, Arts, Sports et Loisirs
;
dénonce les plaisanteries et le formalisme des compositeurs
des années1930 de même, l'accent mis sur l'encadrement et la
formation de la jeunesse séduit manifestement ce pédagogue
exigeant. Enfin, il espère que le nouveau pouvoir saura mettre
en œuvre une véritable politique de la musique, capable de
moderniser et rationaliser la vie musicale française.
Ainsi, disponible physiquement (par sa présence
à Vichy) et intellectuellement pour se mettre au service du
nouveau régime, Cortot prend part à la Révolution Nationale
en espérant y représenter la musique et les musiciens. Il
demeure donc dans la nouvelle capitale entre l'été 1940 et la
fin 1941, et devient un dignitaire de l'Etat français, conseiller
national et titulaire de la Francisque. Les fonctions qu'il
occupe sont toutefois relativement subalternes chargé de
mission dans l'administration de la Jeunesse, puis dans celle
:
des Beaux-Arts, il joue surtout le rôle d'un expert chargé des
questions pédagogiques et musicales, ayant une influence
incertaine sur ses ministres de tutelle35. S'il reprend une
« Jeune France »
(qui organise des manifestations culturelles
ambitieuses dans toute la France) ou les Jeunesses Musicales
de France, qui font découvrir la musique aux lycéens et
étudiants, et qui connaîtront un beau succès après-guerre38.
:
les scènes de la capitale. Toutefois, il n'abandonne pas l'action
politique à la demande d'Abel Bonnard et du gouvernement
Laval, il met en effet sur pied un « comité d'organisation »,
qui cherche à appliquer aux professions musicales le
corporatisme de la Charte du Travail. Son objectif est de créer
un « Ordre des musiciens », qui permettent notamment de
:
Se pose dès lors la question des rapports de Cortot
avec l'occupant il a été considéré comme un collaborateur,
en raison de sa participation à plusieurs manifestations
culturelles organisées par les Allemands, telles que la
Semaine Mozart en décembre 1941 (où il joue avec Jacques
Thibaud) ou le concert qu'il donne avec Wilhelm Kempff et
Germaine Lubin dans le cadre de l'exposition du sculpteur
préféré d'Hitler, Arno Breker, à l'été 1942. Comme d'autres,
il se produit aussi avec des orchestres allemands en tournée
française et sur l'antenne de Radio-Paris, que contrôle la
Propaganda Staffel, mais dont le Grand Orchestre rassemble
les meilleurs instrumentistes français. Sans doute cette
accommodation était-elle alors en partie nécessaire à qui
voulait poursuivre sa carrière à Paris, et c'est l'intransigeance
d'un Pablo Casals qui constitue l'exception. En outre, si
Cortot prend certaines positions nettement pro-allemandes
(ilsigne par exemple un « appel contre le terrorisme en »
décembre 194140), il défend aussi des musiciens menacés
d'arrestation pour faits de résistance, notamment le directeur
39 Ce comité est créé par un décret du 24 mars 1942 sous l'appellation de « Comité
d'organisation professionnelle de la musique », avant d'être transformé en
»
« Comité professionnel de l'art musical et de l'enseignement libre de la musique
par une loi en date du 14 octobre 1943.
40 Le Petit Parisien, 66e année, 11 décembre 1941, p.1 et 3.
du Conservatoire de Paris, Claude Delvincourt41. Ce qu'on lui
reprochera le plus à la Libération, c'est cependant d'avoir
donné des concerts en Allemagne, en mai et novembre 42, à
l'invitation de son ami Wilhelm Furtwangler42. Cortot tentera
de se justifier en invoquant la possibilité qui lui fut donnée par
la même occasion de jouer dans des camps de prisonniers
français, mais aussi par sa volonté d'assurer une présence
française sur les scènes allemandes, là où il avait obtenu de si
grands succès avant guerre. Sa très ancienne et très profonde
germanophilie culturelle (on se souvient de sa passion pour
Wagner], l'a ainsi conduit à souhaiter un rapprochement
entre les deux pays, même à cette époque, méconnaissant
que la patrie de Schumann était aussi celle d'Hitler. Comme
Furtwangler, dont l'attitude face au nazisme est elle aussi
controversée, il pensait aussi que l'art et les artistes sont au-
dessus des contingences politiques, et sans doute s'agissait-
illà d'une position difficile à tenir pendant la Seconde Guerre
mondiale.
et de résistants;
des documents attestant ses interventions en faveur de juifs
il est également défendu par le directeur
du Conservatoire, Claude Delvincourt. Finalement, la seule
sanction prise à son encontre est de lui interdire de paraître
sur scène pendant un an : il reste donc dans la retraite d'avril
1945 à avril 1946, puis reprend aussitôt ses concerts.
Une partie du milieu musical se montre cependant
moins clémente. Pour sa rentrée parisienne, Cortot est en
effet invité en janvier 1947 à jouer le Concerto de Schumann
avec l'Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire.
Cependant, le principal syndicat d'artistes, qui ne lui pardonne
pas d'avoir voulu placer sous sa tutelle les mouvements
syndicaux dans le cadre de son projet d' «Ordre des musiciens»,
interdit à tous ses membres de jouer en sa compagnie. Sur la
demande de l'administration de l'orchestre du Conservatoire,
qui craint le scandale, Cortot est donc contraint de renoncer
au concerto, et accepte à la place de jouer des pièces pour
piano seul de Chopin entre deux morceaux symphoniques.
Ce compromis un peu bancal n'empêche pas qu'éclatent
de multiples incidents lors des deux concerts au Théâtre
des Champs Elysées (les 18 et 19 janvier) : les partisans du
pianiste réclament le concerto et sifflent L'orchestre, tandis
que ses adversaires lui lancent des quolibets et des insultes
l'assimilant à un Nazi. Après ce scandale, Cortot décide à la
fois de porter plainte contre le syndicat (il gagnera le procès
au terme d'une longue procédure) et de privilégier pour un
temps les concerts à l'étranger45.
;
aussi pour cette raison qu'il grave toujours de nombreux
disques néanmoins, beaucoup de ceux-ci ne sont pas publiés
en raison de leurs imperfections techniques, sur décision des
Weber ou Schubert ;
avec des volumes désormais consacrés à Schumann, Liszt,
surtout, le pianiste publie en 1949, à
l'occasion du centenaire du compositeur, un ouvrage d'une
importance capitale, intitulé Aspects de Chopin49 : il y déploie
en effet toute son érudition et y révèle son rapport intime avec
la personnalité et l'œuvre du maître polonais. On ne peut que
regretter que d'autres projets n'aient pas abouti, notamment
celui d'un livre sur Schumann, ou celui d'une étude consacrée
à la musique pour piano d'un autre romantique du XXesiècle,
Olivier Messiaen50.
49 Alfred Cortot, Aspects de Chopin [1949]. Paris, Albin Michel, 2010. L'ouvrage vient
d'être réédité à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Chopin, avec une
préface d'une des pianistes françaises les plus en vue actuellement, Hélène
Grimaud.
50 Le projet d'article sur Messiaen est mentionné par une lettre sans date (mais
ultérieure à 1945), adressée à Fred Goldbeck (Médiathèque Musicale Mahler,
fonds Yvonne Lefébure - Fred Goldbeck, correspondance générale).
de ses parents et de ses frères et sœurs, de cette famille qui
l'aimait tant et qui avait décidé à sa naissance de faire de lui
un musicien. « Alfred Cortot Musicien :
»
tels sont les mots
qui ornent, en grandes lettres rouges, sa sépulture dans le
petit cimetière du Villars, tout proche d'ici. Il paraît que ses
derniers mots, avant de mourir, furent de demander
?
salle est-elle pleine ». Pour achever l'évocation de cette
« La :
exceptionnelle vie d'artiste, je préfère pour ma part citer de
lui cette déclaration faite en 1953, et qui me paraît résumer,
mieux que tout autre, sa personnalité et sa carrière :
«
«
pianiste romantique
:
Posez la question autour de vous la qualification de
»
est attachée à mon nom. Je ne puis,
ni ne veux la renier51 ».
51 Cité par Bernard Gavoty, Alfred Cortot, Paris, Buchet-Chastel, 1977, p. 126.
François Anselmini est agrégé d'histoire, doctorant à
l'Université Paris Panthéon-Sorbonne et chargé de cours
à l'Université de Caen. Il a soutenu en 2010 un mémoire
de master d'histoire contemporaine à l'Université de Caen
Basse-Normandie, intitulé Vers une biographie d'Alfred
Cortot (1877-1962). Un pianiste dans la Grande Guerre,
1914-1918. Il prépare actuellement une thèse consacrée à
la biographie d'Alfred Cortot sous la direction de Pascal
Ory et de Myriam Chimènes. Il vient de publier deux
articles consacrés aux activités d'Alfred Cortot pendant
la Première Guerre mondiale, l'un dans La Revue de
Nationales :
Musicologie (Alfred Cortot et la création des Matinées
l'Union sacrée mise en musique, novembre
2011), l'autre dans Vingtième Siècle. Revue d'histoire
contemporaine (Un pianiste dans la Grande Guerre. Alfred
Cortot et la mobilisation des musiciens français pendant la
Première Guerre mondiale, à paraître). En février 2012, il a
également participé au colloque international célébrant le
cent cinquantième anniversaire de la naissance de Claude
Debussy (Cité de la Musique, Conservatoire National
Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Musée
d'Orsay Opéra Comique, 3-5 février 2012) ; il y a présenté
:
une communication intitulée Incarner le génie musical
français Alfred Cortot et Claude Debussy, qui évoque les
relations entretenues par le pianiste avec le compositeur
et sa musique.
AU PIANO AVEC CORTOT
GuthrieLuke
: ;
Orchestre de l'École Normale de Musique de
Paris, Direction et piano Alfred Cortot Jacques
Thibaud, violon. Enregistré les 16 et 18 mai 1932.
À
propos du Concert dans le Goût théâtral de Couperin,
j'ai découvert un jour son enregistrement dont j'ignorais
l'existence. J'étais tellement ravi de cette musique nouvelle
à mes oreilles que pendant des semaines je commençais
chaque matin en L'écoutant. Quand Cortot lut cela dans une de
mes lettres, il me répondit :
« Du haut de sa demeure éternelle, François Couperin le
Grand me charge de vous dire qu'il est heureux de vous servir
!
de réveil matin »
:
Furtwangler disait
:
que l'on rattrape. Tout cela est accompagné de battements
de grosses caisses long, long, court, court, long, long, court,
court, etc. À la longue, cela devient monotone, presque
!
insupportable. Mais Il y avait là une leçon inattendue, une
démonstration définitive de qualités rythmiques. La plupart
:
Ecoute n°5 Trio pourpiano, violon, et violoncelle
No.6 en Sib Majeur, op.97 l'Archiduc de L. van
Beethoven (Extrait).
Alfred Cortot, piano; Jacques Thibaud, violon
Pablo Casals, violoncelle.
;
Enregistré le19 novembre et le 3 décembre 1928
au Small Queen's Hall de Londres.
Günter Reinhold
Approches
Une grande chance de ma jeunesse (j'avais alors 15
ans environ) a été de rencontrer Alfred Cortot. Mon professeur
Leonie Mendelssohn-Bartholdy connaissait le Maître depuis
l'époque d'avant-guerre. En fait, elle m'a fait comprendre
L'extraordinaire importance de cet artiste, le qualifiant comme
étant un des plus grands pianistes de l'époque. Après l'avoir
entendu pour la première fois, la fascination était telle que je
me demandais comment je pourrais L'entendre plus souvent.
J'ai donc écrit à son agent, désirant connaître les dates des
divers concerts dans les régions avoisinantes de ma ville
natale, Erlangen. Ainsi, j'ai eu la possibilité d'assister à une
bonne dizaine de concerts pendant plusieurs années, et ceci
parfois avec le même programme. Mais, à chaque concert,
ilse passait une chose merveilleuse. J'avais l'impression
d'assister à un acte créateur spontané. J'en devenais presque
dépendant.
Ainsi, le rayonnement de son jeu menait à la situation
suivante, un vieil homme qui était placé devant moi murmurait:
« là, on meurt presque », après que Cortot eut terminé le
2ème prélude de Chopin.
Ou encore :
« Je me suis toujours Levé de bonne heure. J'aime
ce qui commence, ce qui renaît. Un jour à son début,
quelle promesse. »56
L'enseignement
Cortot avait quitté le Conservatoire en 1917. Après en
avoir pris connaissance, j'ai pensé qu'il voulait se consacrer
à sa carrière de soliste. Mais j'ai été tout étonné d'apprendre
qu'il avait fondé deux années plus tard une école normale
pour la musique, à laquelle il avait donné aussitôt le nom
École Normale de Musique.
55 Hauert Gavoty1955,page 3.
56 Hauert Gavoty 1955. page 19.
57 Gavoty, 1977. page 133.
Sa réaction apparaît déjà dans le nom École normale
de Musique, ce qui indique l'idée de mettre à égalité
l'enseignement et la formation des solistes.
À
propos de la conception de l'école, je voudrais souligner
deux points :
• Il concevait une ample brochure concernant
l'enseignement, quelque peu comparable aux
Musikalische Haus- und Lebens-regeln de Schumann.
Ilétait d'ailleurs assis, vêtu d'un manteau (la salle n'était pas
bien chauffée), jambes dessus-dessous, une cigarette aux
lèvres. Il jouait son programme sans aucune expression et
sans pédale.
!
Alfred Cortot donnait un bis. Une fois terminé, le Maître eut
l'intention de se lever de sa chaise. Malheur Son frac était
resté coincé à son siège. Il essaya à plusieurs reprises de se
lever, sans succès. Je me trouvais tout près de l'estrade, qui
n'était pas très haute. Je sautais alors sur celle-ci, en disant
« un moment, Maître, s'ilvous plait » etje le libérais. Il me dit :
« Merci, Monsieur ».
RémiJacobs
Mesdames et messieurs,
:
exécution de l'Allegro initial de la Sonate Waldstein, avec les
appréciations suivantes « Elève très remarquable. Jeu chaud
et coloré, très intelligent. »
remarque:
son interprétation du final de l'Appassionata lui vaut cette
« a fait d'énormes progrès. » Et à l'examen du
:
trente ans d'intervalle. Vous observerez que le jeu de Cortot y
est immuable même clarté de la polyphonie, même conduite
du phrasé, même sobriété du discours, évitant les excès de la
pédalisation.
AUDITION DU CD NIMBUS
:
Autre question Pourquoi Alfred Cortot n'a-t-il jamais
publié d'édition de travail des sonates de Beethoven ?
L'hypothèse la plus vraisemblable tient au fait que
Cortot a été précédé par un de ses collègues, le pianiste et
compositeur Georges Sporck, auteur (très sourcilleux de ses
droits) d'une édition assortie de « conseils sur l'interprétation
»
et la façon de travailler Beethoven parue en 1912. Il y avait un
risque de plagiat que Maurice Sénart (qui publiait les éditions
de travail de Cortot) se serait refusé à assumer.
Ce »
sera l'hommage de « la voix de son maître à celui
qui a tant fait pour sa réputation. À noter que l'École Normale
de Musique célébrera également le cinquantenaire de la
disparition de son fondateur
:
cigare dans l'autre, dit simplement ces quelques paroles qui
me remplissent de stupeur « Oh Diémer, votre Cognac est
excellent. J'en reprendrais bien encore un verre. »
AC :
Merci mon Chéri.
AC :
m'a donné, comme je vous en informais tout à
Et bien il
l'heure, un enseignement qui m'a suivi durant toute ma vie, et
dans tous les domaines de mon art d'interprète. Après avoir
eu son Cognac et au moment où je m'apprêtais à partir, ils'est
levé, il m'a mis la main sur l'épaule et il m'a dit simplement :
« C'est bien mon petit, c'est bien. Mais tu sais, les Sonates de
Beethoven, ça ne se travaille pas, ça se réinvente. »
MK: Et c'est ainsi que vous nous avez enseigné que, interpréter
c'est recréer en soi l'œuvre que l'on joue. C'est la phrase
que vous mettez en exergue à toutes vos Editions de travail,
Maître.
AC :Oui.
MK Pourquoi, Maître, avez-vous fondé à votre tour une école,
:
l'École Normale de Musique, en 1919 ?
à
continuez à le dispenser l'École Normale ?
:
AC Je continue à le donner, non seulement à l'École Normale,
mais encore à l'Académie Chigiana de Sienne, et enfin dans
des leçons et des auditions particulières, qui remplissent mes
journées lorsque j'ai le privilège d'être à nouveau dans cette
petite demeure helvétique.
MK :
L'Orchestre Philharmonique de Paris?
AC : Oui.
MK :
Et l'Orchestre Symphonique.
AC :Oui.
MK Est-ce au sein de ces deux orchestres que vous avez
:
?
AC:Oui.
MK :
Lors de la fondation de l'École.
AC:Oui.
MK :
Maître, il le pianiste, le musicien
y a aussi de chambre.
: !
AC Ah
MK :
Et vous nous permettrez de vous demander d'évoquer.
AC :
c'est moi qui suis amené à évoquer quelques-uns des
Là,
plus beaux moments affectueux et artistiques de mes activités
musicales. Car, nous étions liés par une amitié fraternelle, et
qui date tout à fait du début de notre carrière, Pablo Casals,
Jacques Thibaud et moi-même, par des liens qui étaient, des
liens qui dépassaient véritablement la camaraderie, et qui se
mettaient sur le plan, comme je viens de vous le dire, familial.
Et, à l'occasion de quelques vacances que nous passions,
ou voisins ou ensemble, nous avions pris l'habitude, pour
nous-même, et sans public, de déchiffrer toute la littérature
pour trio qui existait, pour notre propre joie. Et il s'est trouvé
que quelques familiers de notre entourage ont entendu ces
concerts, ces concerts privés, et nous ont demandé de les
transporter sur le pont en public. Ce qui a donné lieu, sans
répétition, sans répétition préalable, car nous n'avons jamais
:
eu une répétition, à laquelle on dit « Il vaudrait mieux faire
cette nuance, ou il faudrait prendre ce tempo plus lent. » Nous
avons toujours d'instinct, obéi à ce que nous sentions chacun,
tout en essayant d'en faire un bloc homogène, gardant chacun
MK : Ahbon!Alors.
AC: Car dans notre art, tout vit sur la question d'amour.
MK Puis-je vous demander, Maître, comment vous avez été
:
AC :
c'était tout à fait naturel de ma part,
Oui. En effet, mais
étant donné que c'était un hommage rendu à des mémoires
illustres, et à des tempéraments musicaux qui m'étaient peut-
être congénitaux. Et dans l'intimité desquels je vis en ayant
le sentiment d'une atmosphère continuellement remplie de
sensations musicales et d'intimité artistique.
MK Comment vous est venue l'idée des les grouper, et quels
:
trésors cela représente dans l'enseignement que vous nous
prodiguez et dans les concerts que vous donnez, n'est-ce pas,
tout ceci qui accompagne et était vos interprétations ?
:
AC Je ne m'y étais pas placé du point de vue musicologique,
mais du point de vue de l'affection que je porte à tout ce
qui a enrichi mon existence, par un apport de génie qui
ne m'appartenait pas, et dont je n'ai essayé que d'être le
traducteur aussi proche que possible.
MK traducteur qui a fait une carrière d'une soixantaine
:
Le
d'années, bientôt?
de neuf ans.
MK :
Et qui a donné combien de concerts, Maître ?
AC D'après ce que me disent mes managers, il faudrait
Oh
:
à
envisager peu près six mille concerts, dans toutes les parties
du monde.
MK :
Merci de nous le livrer, Maître.
MK :
On parle des enregistrements.
AC :
Ah Mon Dieu ! Les innombrables enregistrements.
MK :
Du passé, et encore actuels?
AC :
actuels. Car je prépare en ce moment un
Oui, encore
enregistrement des trente-deux sonates de Beethoven qui
retient tous mes moments de liberté, quand je suis à Paris,
et qui j'espère, représentera un nouvel élément de la culture
pédagogique par le caractère des observations qui s'y verront
formulées, accompagnant les textes musicaux.
AC:Oui.
MK Puis-je, en terminant cet entretien, vous demander quel
:
Alfred Cortot
CONFÉRENCES
Corfo~
perspectivesbiographiques
13
François Anselmini
Au piano avec
Guthrie Luke
Souvenir de
GünterReinhold
Cortot et
Cortot
Beethoven<57
47
59
RémiJacobs
DOCUMENTS
13 juillet 1960,
L'art de l'interprète
Lausanne
Entretien-itinéraire avecAlfred Cortot
Maryvonne Kendergi et la société Radio-Canada,
79
Alfred Cortot 92
Les opinions développées dans les divers travaux publiés dans
ces
Actes engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
: :
Conception graphique de la couverture Phasme.com
Crédits photographiques:
Mise en page et impression Imprimerie Schenck-Tournus
Droits réservés. En dépit de nos recherches, certains des
auteurs des œuvres photographiques ou leurs ayants droit n'ont pu être identifiés.
Dans l'hypothèse où l'un d'eux viendrait à constater l'utilisation d'une
ou plusieurs
œuvres dont il peut légalement se réclamer, nous l'invitons à prendre contact avec
la SAAST.
ISSN 0153-9353
Dépôt légal octobre 2012
Achevé d'imprimer en septembre 2012
Actes des conférences données les 4, 5, 6 et 7 juillet
2012 à l'auditorium de l'Hôtel Dieu-Musée Greuze de
Tournus, dans le cadre des Journées Internationales
Alfred Cortot.
ACDÉMIE
MACON
SociétédesAmis desArts
etdes Science,de Tournus
LesAmis
duVillars