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Editions Esprit

Qu'est-ce qu'un sujet politique? Remarques sur les notions d'identité et d'action
Author(s): Étienne Tassin
Source: Esprit, No. 230/231 (3/4) (Mars-avril 1997), pp. 132-150
Published by: Editions Esprit
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24276815
Accessed: 02-05-2020 15:11 UTC

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Qu'est-ce qu'un sujet politique ?

Remarques sur les notions d'identité et d'action

Etienne Tassin*

Une PART DE la PHILOSOPHIE politique actuelle semble emportée


dans des controverses qui se croisent sans se recouper (entre libéraux
et communautariens, républicains et multiculturalistes, nationalistes
et fédéralistes, etc.), mais qui s'alimentent communément à certaines
confusions conceptuelles rarement questionnées. On présuppose, par
exemple, que la notion d'identité (individuelle ou collective) a une
pertinence politique pour analyser les rapports entre appartenance
communautaire et neutralité étatique, ou on assimile le bien public
au bien commun pour évaluer la part respective que prennent le souci
de « la vie bonne » et le respect des droits et des libertés individuels
dans la définition de la communauté politique. Pour un observateur
quelque peu extérieur, ces confusions et le caractère scolastique, for
mel et assez redondant de ces débats donnent le sentiment d'un
véritable oubli de la chose politique (de sa rationalité propre et des
enjeux signifiés dans les rapports de forces) masqué paradoxalement
par un jeu d'imputations idéologiques peu propice à l'examen comme
à la discussion. N'ayant aucun titre particulier pour échapper aux tra
vers susdits, je voudrais simplement suggérer quelques distinctions
philosophiques préalables qui me semblent requises pour évaluer les
affrontements doctrinaux. Il va de soi que ces distinctions ne sont pas

Philosophe, université de Paris-IX-Dauphine et ENS Cachan. A publié dans Esprit « L'Eu


rope, une communauté politique ? », novembre 1991 ; « Identités nationales et citoyenneté poli
tique », janvier 1994. Cet article reprend et précise des thèmes développés lors de conférences
données aux universités nationales de Bogota et Carthagène en Colombie, à l'université du Chili
(Santiago et Valparaiso) et au colloque du ClPH à Paris intitulé : « Droit, démocratie, espace
public » en janvier 1997. Je remercie les professeurs Bernardo Correa, Nayib Abdala, Hum
berto Giannini, Carlos Ruiz, José Jara et Jacques Poulain.

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descriptives mais analytiques et problématiques. Elles ne prétendent


pas plus participer d'une connaissance sociologique que d'une pres
cription normative des conduites. Elles visent simplement à rappeler
le sens de l'agir politique.
Relevant le rôle joué par le thème de l'identité dans le débat sur le
communautarisme, je me demande pour commencer si la politique a
affaire à l'identité, culturelle ou communautaire, ou à l'action publi
que. Cette première distinction m'amènera à différencier l'identifica
tion culturelle inhérente à toute perspective communautaire des pro
cessus de subjectivation propres à l'espace politique public. Si la
subjectivité politique ne recoupe pas l'identité communautaire, on
peut alors comprendre que le bien public qui ordonne l'espace
public proprement dit ne recoupe pas non plus le bien commun sur
lequel se construisent les communautés. La question devient alors la
suivante : comment l'activité politique où s'affirme un sujet politique
non identitaire peut-elle, à partir d'un espace public non communau
taire, instaurer un monde commun susceptible d'accueillir des indi
vidus et des communautés relevant de processus d'identifications
différents, voire incompatibles ? Car tel est, je crois, l'enjeu de toute
communauté politique et son horizon cosmopolitique : au-delà des
politiques de redistribution et de reconnaissance que doit honorer
l'État, elle vise l'instauration d'un monde commun. Dès lors que les
conflits économiques et culturels liés à une forme de société démo
cratique sont articulés à une forme républicaine de gouvernement,
ils inscrivent l'activité politique dans un horizon cosmopolitique
dont il faut distinguer le sens original.

L'identité en question : être ou agir ?

La résurgence plus ou moins violemment exprimée des affirmations


identitaires sur laquelle s'achève le XXe siècle semble revêtir deux
aspects spectaculaires, qui ne sont qu'en apparence opposés tant ils
relèvent de la même logique communautaire : l'affirmation d'un droit à
la différence, qui n'est pas la revendication d'un respect de la singula
rité de chaque être mais celle de la reconnaissance d'entités cultu
relles communautaires élevées en principe d'identification pour les
individus ; l'affirmation d'une souveraineté nationale assimilant la
liberté politique des peuples à disposer d'eux-mêmes avec la promo
tion culturelle d'une communauté nationale. L'idéologie nationaliste
n'est souvent que la traduction prétendue « politique » d'un commu
nautarisme culturel. Elle repose sur ce qu'on a pu nommer récemment
l'illusion identitaire, cette « supposition qu'à une prétendue "identité
culturelle" correspond nécessairement une "identité politique", en

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réalité tout aussi illusoire1 ». Cette illusion s'est répandue dangereu


sement, non seulement de façon meurtrière dans les conflits que
connaissent les pays du Caucase, les Balkans, la région des Grands
Lacs africains ou, dans ses variantes intégristes, le sous-continent
indien, le Moyen-Orient ou l'Algérie, mais également au sein des
démocraties européennes ou américaines de tradition républicaine.
Dans ces dernières, elle conjoint une « politique » d'intégration avec
une pratique d'exclusion : car on ne doit pas nier que c'est au nom de
l'identité culturelle présupposée de la nation qu'un certain nombre
d'individus ou de communautés se trouvent exclus du corps politique,
privés de citoyenneté et déchus de la reconnaissance sociale que cha
cun est en droit d'attendre d'une république démocratique. L'illusion
identitaire est peut-être ce qui rend un communautarisme radical
étranger à toute compréhension authentiquement politique d'un
espace public de citoyenneté. Mais c'est aussi elle qui fait d'un natio
nalisme radical érigé en dogme politique le principal obstacle au
fonctionnement authentiquement républicain d'une démocratie.
Le sort réservé aux résidents étrangers en démocratie révèle com
bien l'assimilation ou la congruence d'une identité culturelle avec
une supposée identité politique constitue un double tort2 : un tort à
l'égard de l'identité culturelle autant qu'à l'égard de l'activité
citoyenne ; un tort à l'égard des communautés particulières au sein
desquelles les individus trouvent à s'identifier, autant qu'à l'égard de
l'espace public au sein duquel ils peuvent, par leurs actions et leurs
paroles, faire prévaloir leurs exigences d'une reconnaissance des
droits et participer aux responsabilités publiques. Pour ces résidents,
l'alternative est en effet simple : ou renoncer à la communauté d'ap
partenance originaire et à l'identité culturelle qu'elle structure au
profit d'une intégration dans le corps des citoyens ; ou renoncer à
l'activité citoyenne et aux droits politiques qui la qualifient au profit
de la préservation de son identité culturelle. La première solution se
paye du prix de l'identité : l'intégration politique dans le corps des
citoyens se présente comme l'envers d'une aliénation culturelle ; la
seconde du prix de la citoyenneté : la préservation de l'identité cultu
relle et de la communauté d'appartenance est l'envers d'une aliéna

1. Jean-François Bayart, l'Illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996, p. 9.


2. Sans même évoquer le cas des travailleurs clandestins systématiquement privés des droits
humains les plus fondamentaux dès lors que leur citoyenneté n'est pas reconnue (comme le
droit aux soins auprès de l'Assistance publique), il suffit d'observer, dans la plupart des démo
craties, comment la privation des droits politiques (y compris au niveau local) dont sont frappés
les étrangers résidents, traités comme s'ils n'étaient pas membres actifs de la vie collective, les
expose au risque d'être également déchus des droits sociaux. A défaut d'être « citoyens » fran
çais, par exemple (c'est-à-dire en réalité, à défaut d'être des « nationaux » français), les tra
vailleurs émigrés réguliers (acquittant des impôts au même titre que les « Français ») se voient
de plus en plus couramment reprocher de bénéficier des droits de protection sociale attachés à
leur activité (allocations familiales, droit au logement ou au Rmi, etc.).

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tion politique. En un mouvement pervers, l'affirmation de


1'« identité » nationale dont se réclame cette politique d'exclusion,
vient alors entretenir sinon développer une stratégie de repli ou de
renfermement identitaire centré sur les valeurs culturelles et confes
sionnelles, et profondément aveugle, voire hostile, aux vertus et aux
exigences d'un espace public démocratique. Les stratégies d'identifi
cations culturelles communautaires apparaissent comme une réplique
des communautés particulières à l'identification stato-nationale d'un
peuple culturellement unifié avec un État politiquement centralisé.
En croyant faire œuvre d'assimilation, l'intégrationisme politique
nourrit l'intégrisme communautariste. Car il n'est que l'élévation du
principe communautariste à la puissance supérieure de l'État, conçu
comme l'exacte expression d'une identité culturelle qu'il postule
comme sa condition mais qu'il érige en motif de son action politique.

C'est à déconstruire cette assimilation si évidente entre une iden


tité culturelle nationale et une entité politique étatique qu'il convien
drait d'abord de s'attacher en distinguant les processus d'identifica
tion par lesquels un individu se reconnaît une identité - processus
indissociables des processus généraux de communautarisation (fami
liale, confessionnelle, ethnique, sociale, nationale, « européenne »,
etc.) par lesquels se constitue un « être-en-commun », une unité com
munautaire et une identité collective -, des rapports de subjectiva
tion par lesquels un être privé identifié par ses appartenances com
munautaires s'élève, porté par l'action publique au sein de
confrontations politiques, à la dignité d'acteur politique, c'est-à-dire
de citoyen. Cette distinction s'impose dès qu'il s'agit de définir les
caractères propres d'une communauté politique (et pas simplement
économique, sociale, culturelle...) et des membres qui la constituent
en propre, les citoyens (qui ne sont pas des individus privés identifiés
par leurs désirs, leurs besoins, leurs coutumes, leurs mœurs, leur
confession, leur origine ethnique ou territoriale, leur culture, leur
mode d'insertion dans la sphère du travail, etc.). Car, d'un côté, un
individu n'accède à sa dimension spécifiquement citoyenne par
laquelle il peut assumer le gouvernement de son existence dans un
espace public d'actions et de paroles, qu'en s'arrachant à toute iden
tification privative de type communautariste, qu'en renonçant à
confondre son existence et son action politiques avec son identité
strictement privée, et qu'en renonçant à faire de l'État (de la commu
nauté politique en général) le lieu et l'élément de son identification.
Et, d'un autre côté, une communauté n'accède à sa dimension spécifi
quement politique par laquelle elle peut prendre en charge l'adminis
tration des affaires publiques et promouvoir un « vivre-ensemble »
citoyen, qu'en s'arrachant à tout ancrage particulariste, et qu'en
renonçant à prétendre substituer une communauté identificatoire

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d'ordre supérieur aux communautés hétérogènes qui la constituent,


bref en récusant avec autant de radicalité toute logique communauta
riste que toute logique individualiste (qui ne sont que deux aspects
d'un même particularisme de l'identification).
Ce partage des strates de l'existence individuelle et collective doit
lui-même être repris dans une série de trois distinctions sans les
quelles on ne saurait saisir le sens d'un espace public d'action poli
tique. Il nous faut reconnaître, en premier lieu, que ce qui, dans
l'ordre politique, s'oppose à Yidentité communautaire ou culturelle
n'est pas une identité politique, mais une activité citoyenne ; en
second lieu, que cette activité, même si elle a pour condition une
appartenance communautaire, ne vise pas celle-ci comme sa fin pas
plus que la promotion d'une identité culturelle, confessionnelle ou
nationale, puisqu'à l'identification culturelle s'oppose la subjectiva
tion politique qui fait coïncider l'action politique (et les rapports
conflictuels qui la traversent) avec l'exposition de la singularité des
individus ; et, enfin, que cette subjectivation politique exige pour se
déployer un espace public de citoyenneté qui s'oppose à toute logique
communautariste et se règle sur des principes éthico-juridiques irré
ductibles à de simples valeurs culturelles.
Activité politique versus identité culturelle ; subjectivation poli
tique versus identification communautaire ; principes de l'espace
public versus valeurs de l'espace commun. Ce n'est certes pas sans
raisons que cette triple distinction se présente comme une opposition,
voire une contradiction, des pôles de référence : l'emphase sur l'iden
tité culturelle entraîne aisément l'occultation de la signification pro
prement politique de l'agir ; l'insistance sur les repères d'apparte
nance communautaire méconnaît la révélation de l'agent comme sujet
politique dans l'action citoyenne ; la valorisation d'un bien commun
s'élève contre l'institution de l'espace public de citoyenneté en bien
public. Que la première série (identité, communauté, bien commun)
soit condition de la seconde (activité, citoyenneté, bien public), et que
celle-ci ne puisse se déployer que sur fond d'un partage communau
taire, nul doute. Mais il nous faut être attentif à ne pas confondre
l'identité d'un individu avec sa citoyenneté, son être (privé) avec son
action (publique), la source de son être avec le déploiement de ses rai
sons, son appartenance communautaire avec son activité politique, sa
culture avec l'agir-ensemble d'une communauté politique, le senti
ment national avec la responsabilité politique, bref, le principe de
filiation qui fonde une identité commune dans le partage de valeurs
culturelles avec le principe d'action qui déploie une citoyenneté par
tagée dans l'identité d'un combat politique mené au nom de principes.
Au fond, il semble donc qu'on doive dissocier l'être individuel
(l'être-soi) ou l'être communautaire (l'être-commun) qui obéissent

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tous deux à une logique identitaire, de Yaction citoyenne et politique


(ce qu'Aristote appelait le « tâure-ensemble » ou Hannah Arendt
« Vagir concerté ») qui obéit, elle, à des normes éthico-juridiques
affirmant, au moyen d'initiatives spécifiquement politiques parce que
publiques, des principes (liberté, égalité, équité, justice, droit, res
pect des identités et des particularités, etc.) poursuivis contradictoi
rement et conflictuellement au sein d'un même espace institué à cet
effet. Mais il existe plusieurs manières de marquer cette différence :
soit en la radicalisant dans une séparation entre la communauté
d'identification culturelle et l'espace public d'action politique, ce qui
priverait la première d'expression politique et le second de son
contenu d'effectuation ; soit en l'inscrivant à l'intérieur même du
régime démocratique selon une accentuation différente de son prin
cipe d'organisation politique.
De cette démarche témoigne, par exemple, la distinction que pro
pose Benjamin Barber entre démocratie représentative, démocratie
unitaire et démocratie forte :

Dans les systèmes représentatifs, écrit-il, l'extension de la citoyen


neté dépend de ce à quoi nous consentons (what we agree), c'est donc
une question de contrat ; dans les systèmes unitaires, elle dépend de
ce que ou de qui nous sommes (what or who we are), c'est donc une
question d'identité ; et dans les systèmes à forte démocratie, elle
dépend de ce que nous faisons (what we do), c'est donc une question
d'activité3.

Différenciation des formes de démocratie, donc, selon qu'elles se


règlent sur ce à quoi nous consentons, sur ce que nous sommes, sur
ce que nous faisons ; contrat, identité ou activité, tels sont les critères
qui distinguent les démocraties contractuelle (représentative) ou
identitaire (unitaire) d'une démocratie forte, que j'appellerai volon
tiers démocratie en acte pour souligner la double caractéristique de
ce type de société : elle se règle sur une action concertée des
citoyens, et elle n'existe qu'en acte, n'est démocratique que dans la
mesure de l'active participation des citoyens qui la composent (cesser
d'agir, pour les citoyens, c'est, pourrait-on dire en plagiant le langage
informatique, « désactiver » la démocratie).
Ce pourquoi Barber rappelle, après Arendt, qu'action et publicité
sont les deux premières conditions du politique. Avant toute chose,
« là où il n'y a pas d'action, il n'y a pas de politique [...] Le politique

3. Benjamin Barber, Strong Democracy. Participatory Politics for a New Age, Berkeley, Los
Angeles, University of California Press, 1984, p. 226. Il ajoute : « Dans ce dernier cas, l'impor
tant n'est pas le fait que ceux qui sont citoyens participent à l'auto-gouvernement, mais le fait
que ceux qui participent à l'auto-gouvernement sont citoyens d'un régime dans lequel la partici
pation est ouverte, la prise en charge de l'auto-gouvernement libre et les institutions participa
tives en général accessibles. »

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est action et concerne l'action4 ». En raison de l'éminence de l'agir


sur l'être, de l'activité sur l'identité, l'argument central d'une concep
tion forte de la démocratie consiste donc « à affirmer la prééminence
du rôle de l'activité civique » sur toute forme d'identité, mais sans
pour autant substituer la participation civique aux définitions tradi
tionnelle, légale ou nationale de la citoyenneté5. Toute action politi
que est, par ailleurs, publique, et la démocratie forte « crée un public
capable de délibération et de décision publiques raisonnables ».
La publicité désigne l'institution d'un espace qui tient une société
fortement démocratique à distance d'une double illusion, libérale et
communautaire : à distance de la « fiction d'individus atomisés
créant des liens sociaux ex nihilo », et à distance du « mythe corpo
ratiste ou collectiviste qui postule une communauté abstraite anté
rieure aux individus6 » dans laquelle ceux-ci puiseraient leur sens
d'être et leurs intentions d'agir. Images inversées l'une de l'autre, ces
deux figures sont en réalité l'expression connexe d'une même
logique identitaire. L'une postule la multiplicité d'individus auto
nomes, l'autre la communauté d'individus intégrés. Mais on pourrait
dire que le communautarisme est une amplification d'une logique
individualiste élevant l'autonomie à hauteur d'une communauté uni
taire d'individus, comme on peut dire que l'individualisme libéral
n'est que la condensation dans la figure de l'individu autonome du
contenu de toute vie communautaire. C'est, dans les deux cas, le
principe identitaire qui ordonne l'existence politique. Récusant la
prévalence du schème identitaire, commun aux deux illusions, Bar
ber rapporte l'institution de la communauté à l'activité politique
déployée au sein de l'espace public, et non à l'identité supposée des
individus ou de la communauté.

Loin de postuler une communauté a priori, la théorie de la démocratie


forte comprend la création de la communauté comme l'une des tâches
principales de l'activité politique sur le mode de la participation.
Loin de postuler une identité historique comme condition du poli
tique, elle conçoit le politique comme ce qui conditionne les identités
historiques données -comme le moyen par lequel les hommes
s'émancipent des forces historiques qui les déterminent7.

À partir de l'exemple de Barber, on pourrait dire que si les proces


sus d'individuation et les repères d'identification sont indissociables
des processus de communautarisation, en revanche les modalités
d'existence et d'exercice de la citoyenneté, tout comme l'espace
public institué pour son déploiement et son accomplissement sont,

4. Benjamin Barber, op. cit., p. 122-123.


5. Ibid., p. 228.
6. Ibid. p. 133.
7. Ibid. p. 133.

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eux, par définition (et doivent rester en fait), étrangers à toute reven
dication identitaire ou communautaire. On pourrait illustrer cet écart
en disant que la question : « Que sommes-nous ? » et sa traduction
pragmatique (« Affirmons notre identité avant tout pour la préser
ver ») n'ont aucun sens politique alors qu'elles sont au cœur de la
revendication communautariste. En revanche, la question politique
proprement dite : « Que faisons-nous (ensemble) ? » ou « Qu'avons
nous à faire ensemble ? » (en qualité de citoyens libres, justes, équi
tables, etc., et respectueux de nos identité en elles-mêmes apoli
tiques) trouve une traduction ontologique immédiate dans la
possibilité d'une affirmation de sa singularité individuelle. Qui je
suis n'est en effet présentable publiquement (en sorte que je puisse
vivre, parler et agir dans un monde commun et non pas seulement
dans la sphère privée de mes communautés d'appartenance origi
naires) que sous condition d'une citoyenneté active8. C'est même
l'agir concerté sur le mode de cette citoyenneté active qui « produit »
(donne naissance et fait surgir sur la scène publique) qui je suis.
Principe de subjectivation politique, la citoyenneté est la condition
transcendantale de toute identification communautaire non strictement
idiosyncrasique.
Il faut donc différencier ce procès de subjectivation politique lié à
l'activité citoyenne des modalités d'identification culturelle liées à
une appartenance communautaire.

Le politique en question :
communauté ou publicité ?

Une fois reconnu ce qui fait obstacle dans la notion d'identité (la
manière dont elle bloque l'accès à une compréhension du politique
dans sa dimension propre : l'agir), et une fois repéré la façon dont elle
lie ensemble les deux points de vue opposés (libéral et communauta
riste), leur interdisant de s'élever à la reconnaissance de la dimension
politique de l'espace public par rapport à la communauté, il faut
encore saisir l'articulation de l'identité culturelle ou communautaire
à la subjectivité politique du citoyen-acteur, et celle de l'espace
public d'action à la communauté culturelle d'identification. J'envisa
gerai la distinction entre identification culturelle et subjectivation
politique (c'est-à-dire l'articulation entre existence privée et publi
que), puis la distinction entre bien commun et bien public (c'est-à
dire l'articulation entre communauté et espace public).

8. H. Arendt, The Human Condition (1958), trad. fr. Condition de l'homme moderne, Cal
mann-Lévy, chap. V.

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Identification culturelle et subjectivation politique

Qu'elle se formule dans un registre ethnique, confessionnel ou


national, l'identité affirmée d'un individu présente toujours un double
caractère : elle est culturelle ; elle est communautaire. L'identifica
tion passe par l'adhésion à un ensemble de signes à forte teneur sym
bolique, forgés dans une tradition, érigés en valeurs culturelles et
fonctionnant comme des repères identificatoires ; et elle est indisso
ciable de la revendication assumée d'appartenir à une communauté
supposée soudée dans le partage commun desdites valeurs, et recon
naissable, donc, à ces signes élevés en symboles d'identité et d'unité.
Adhésion à des « valeurs », intégration à une communauté, élec
tion de symboles : toute identité individuelle et privée se constitue
dans une identification à des repères culturels communautaires, eux
mêmes vécus comme relativement homogènes, stables, partagés, bref,
investis d'une forte charge identificatoire. Il semble impensable
qu'aucune identité individuelle puisse s'affirmer autrement qu'en
assumant l'identification d'un sujet à cet ensemble de repères par
lesquels il se reconnaît pour ce qu'il est en se reconnaissant sem
blable à ceux qui partagent ce même monde ou cette même culture.
Et il semble impossible qu'aucune communauté, quelle qu'elle soit,
privée ou publique, confessionnelle ou économique, culturelle ou
politique, etc., puisse jamais faire l'économie de ce partage de
valeurs, d'expériences, d'histoire, d'intérêts et d'idéaux par lequel
elle trouve à s'unifier et dans lequel elle puise les raisons d'une iden
tité et d'une action collectives. La communauté s'identifie comme
telle dans l'assomption commune de « valeurs » partagées. Et tout
individu s'identifie en affirmant son appartenance à la communauté
au travers de l'adhésion à ces « valeurs », de l'élection de ses sym
boles, de l'assomption d'une identité collective dans laquelle il dit se
reconnaître. L'identité résulte de l'identification, elle-même accom
plie dans un jeu de reconnaissances et d'adhésions.
Si toute identité résulte d'une identification à des repères et à ceux
qui sont supposés les incarner, l'identification est condition d'une
insertion ou d'une intégration dans une communauté, tandis que cette
insertion est elle-même condition de l'identité individuelle. Ainsi
reconnue, l'identification culturelle se révèle être la condition de
l'existence d'une collectivité suffisamment unie pour mener une poli
tique commune. Condition empirique certes, et non transcendantale,
mais condition sine qua non puisqu'à défaut d'une identité collective
minimale, à défaut de repères partagés d'appartenance commune,
toute entreprise politique serait vouée à l'échec ou inenvisageable.
Mais elle se révèle aussi, et c'est cet aspect que j'entends souligner,
l'exact contraire d'une subjectivation politique. Car celle-ci s'élabore
non pas dans le partage de valeurs identificatoires, mais au travers

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des conflits politiques, dans les actions et les paroles visant un bien
public et déployées dans une confrontation à d'autres sujets-acteurs
agissant et parlant.

Parce qu'elle a toujours déjà, peu ou prou, décidé de ce que sont


les membres de la communauté (à défaut de leur laisser le soin et
l'occasion d'affirmer qui ils sont), la logique identitaire des commu
nautés récuse en effet tout processus de subjectivation politique qui
passe, lui, par une confrontation réglée avec des forces adverses au
sein d'un espace public, confrontation qui offre à chaque acteur de la
vie politique de révéler qui il est, c'est-à-dire de se découvrir lui
même (de se trouver en se révélant). On peut avancer en effet, comme
le suggèrent les analyses d'Arendt, que ce n'est que dans Yaction
menée avec d'autres (et contre d'autres) que se révèle, à lui-même
comme aux autres, l'acteur politique ; jamais dans le simple partage
de « valeurs » ou la seule communauté de repères, jamais dans le
seul fait d'être de telle ou telle communauté. En régime démocra
tique, cela signifie que ce n'est que dans les luttes entreprises pour la
reconnaissance des droits, luttes obéissant aux principes de justice,
d'égalité et de liberté, que les individus privés et particuliers se
découvrent citoyens, acteurs singuliers sur une même scène politique.
La subjectivation politique, cette manière de se singulariser dans
l'action et de conquérir ainsi une consistance et une visibilité
publique, est indissociable des confrontations politiques, des rap
ports de force et des échanges argumentatifs, puisque c'est de ceux-ci
qu'elle surgit, puisqu'aucune entité communautaire ne lui préexiste.
La subjectivation politique doit alors se comprendre comme le rap
port jamais égalé entre un processus d'identification culturelle ou
communautaire et le procès d'institution d'un espace public de
citoyenneté politique. Car reste insurmontable l'écart entre le sujet
de l'action politique et celui de l'identification communautaire, ce
qui fait apparaître que la subjectivation politique est en réalité non
identitaire (c'est-à-dire non communautaire) puisque le sujet poli
tique ne cesse de se définir au sein de rapports qu'aucune commu
nauté ne précède ni ne circonscrit, au sein de rapports qui le portent
à l'existence hors de toute filiation, hors de toute appartenance com
munautaire et, par là, défont celles-ci. Rapport jamais égalé, donc,
puisqu'il ne peut y avoir recouvrement de la question « que suis
je ? » avec la question « que faisons-nous ? », sauf à comprendre que
c'est de l'action politique, de l'agir même, que peut surgir la singula
rité d'un agent en lieu et place d'une identification culturelle. Mon
action (et non mon être) est ce par quoi je me présente comme sujet
politique, citoyen, ce par quoi je peux apparaître tel, à mes yeux
• comme à ceux des autres. La subjectivation politique éprouvée dans
l'espace public, hors de toute filiation et de toute appartenance, me

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Qu'est-ce qu'un sujet politique ?

fait reconnaître comme l'agent de mes actes au sein de rapports anta


gonistes. L'activité citoyenne, « action concertée » comme le dit
Arendt (cette lutte pour le droit au sein des conflits sociaux) révèle
qui je suis ; elle n'expose pas ce que je suis. Elle me révèle comme
agent de mes actions, jamais comme auteur de mes actes, héritier de
mon histoire, membre de ma ou de mes communautés, fils de mes
lignages9... Le sujet politique est l'acteur révélant dans l'action et la
parole publiques sa singularité sur une scène d'apparition aux autres.
Il n'est pas l'individu identifié (et s'identifiant) par son appartenance
communautaire et culturelle. La subjectivation politique s'oppose
ainsi à l'identification culturelle comme l'agir à l'être ; comme la sin
gularité à la particularité, « qui je suis » à « ce que je suis », qui s'ex
pose à qui se protège, bref le citoyen révélé par son intervention dans
l'espace public à l'individu privé défini par ses repères d'apparte
nances communautaires. Cette opposition n'implique nulle hiérarchi
sation de valeur entre l'identité communautaire et la subjectivité
politique : elle dessine plutôt deux registres différents de l'existence
humaine qui tous deux offrent aux êtres humains des conditions diffé
rentes d'épanouissement, des « genres de vie » différents. Mais aussi
faut-il reconnaître que si l'identification communautaire est condition
empirique de l'action citoyenne, et donc de la subjectivation poli
tique, cette dernière, produite dans l'action, est, comme on l'a vu,
condition transcendantale d'une identification culturelle ouverte aux
autres genres de vie.

Avant d'examiner la deuxième distinction, on notera qu'en


revanche le propre de l'idéologie nationaliste - qui soutient l'assimi
lation de la citoyenneté à la nationalité - est d'affirmer que la ques
tion de l'identité communautaire prévaut sur toute autre, ou du moins
qu'elle règle les autres dimensions de la vie politique : l'identité com
munautaire (culturelle) exige alors de se produire comme souverai
neté nationale (politique). Il est vraisemblable qu'aucune souverai
neté nationale ne saurait s'affirmer et être reconnue sur la scène
internationale autrement que par l'exhibition politique de cette iden
tité culturelle. Dans cet inévitable mouvement d'émancipation et de
constitution des États-nations, les individus se produisent sur la
scène politique comme membres d'une communauté (ethnos) et non
comme citoyens d'un espace public (démos). Si leur titre de citoyen

9. Le même individu a pu, sans incohérence, clamer dans l'espace public de la rue où le
conduisait son action concertée avec d'autres, qu'il était Algérien au début des années soixante,
juif allemand à la fin, lesbienne avorteuse au début de la décennie suivante, gréviste et beur de
la seconde génération ensuite ou citoyen d'une république bosniaque pluriculturelle aujour
d'hui, etc. Ces rôles composent un acteur politique homme et femme, Algérien et Allemand,
Arabe et Européen, prolétaire et citoyen, juif et musulman, sans aucune contradiction logique :
la subjectivité politique, tout entière nouée dans l'action politique commune, n'obéit nullement
au principe d'identité qui règle l'identification communautaire.

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Qu'est-ce qu'un sujet politique ?

peut recouvrir d'autres actions que la seule affirmation d'une apparte


nance nationale, il est néanmoins entièrement fondé dans le principe
de nationalité. Mais lorsque l'exigence d'autonomie politique souve
raine n'a pas d'autre motif que l'affirmation d'une identité culturelle,
elle adopte nécessairement la logique hégémonique de toute commu
nauté culturelle prétendant faire valoir son existence contre les autres
prétentions culturelles. L'émancipation nationale s'inverse en asser
vissement impérial, l'autonomie politique se désavoue dans son
principe caché : l'hégémonie culturelle communautaire.

Bien commun et bien public

Si l'on veut penser l'institution d'un monde commun il nous faut


dissocier le bien commun du bien public ou encore la communauté
(l'espace commun) de la publicité (l'espace public). L'enjeu de toute
citoyenneté est, en effet, l'instauration de ce que nous pouvons appe
ler, après Hannah Arendt, « un monde commun ». C'est par rapport à
l'instauration de ce monde commun qu'il faut envisager l'institution
de l'espace public. Chaque individu comme chaque communauté
s'identifie, certes, selon des schèmes d'identifications différents,
incompatibles, voire exclusifs les uns des autres (et allant jusqu'à
occasionner les pires manifestations de haine comme on l'a vu aussi
bien en Europe qu'en Afrique ou en Amérique). L'institution d'un
espace public de concitoyenneté entre communautés opposées consti
tue alors l'enjeu de toute politique, puisqu'elle seule peut donner
naissance, par-delà l'exclusivisme communautariste, à un monde com
mun, non originaire, non natif, mais politiquement institué là où fait
défaut une communauté de naissance. L'espace public est ainsi le lieu
et l'enjeu d'un « vivre-ensemble » qui ne renie rien des particula
rismes identificatoires mais les transcende néanmoins dans l'assomp
tion d'un monde commun. C'est en ceci qu'il constitue un bien public.
Deux caractères de l'espace public dessinent sa dimension émi
nemment politique. En premier lieu, parce qu'il s'agit d'un espace
d'activité (et non d'identité), aucune identité réelle ou supposée, don
née ou reconstruite, ne fonde la publicité constitutive de cet espace
politique. Au contraire, comme le rappelait Barber, loin de dériver
d'une identité originaire, une société fortement démocratique ne doit
son caractère de communauté qu'à son caractère de publicité. La visi
bilité de l'espace public commande l'identité de l'espace communau
taire. La publicité est une visibilité instituée pour s'affranchir de
l'obscurité des origines et délier la vie politique de tout attachement
natif, identitaire et particulariste. S'il appartient à la nation d'asseoir
l'appartenance communautaire des individus sur une identification
personnelle à des valeurs partagées, il appartient en revanche à l'es

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Qu'est-ce qu'un sujet politique ?

pace public, espace civique et constitutionnel, de garantir non pas


l'identité commune de chacun et de tous, mais l'exercice des droits
civiques et politiques qui donnent son sens politique aux actions des
citoyens.
En second lieu, parce qu'il s'agit d'un espace d'action (et non
d'identification), aucune identification réelle ou postulée ne règle
l'agir commun, aucune visée unitaire ou identificatoire ne commande
les luttes et les rapports antagonistes qui nourrissent cet espace poli
tique. Au contraire, l'espace public récuse toute focalisation sur un
bien commun qui prétendrait unifier en un même destin l'hétérogé
néité des revendications élevées au nom de différentes conceptions
du bien. La publicité du bien doit se comprendre comme ce qui prévient
son appropriation communautaire. Le bien public ne peut d'aucune
façon être confondu avec l'un quelconque des biens dits communs
que poursuivent les communautés particulières en tant qu'elles se
distinguent précisément par des valorisations de biens communs dif
férents voire incompatibles entre eux.
Le concept de « bien commun », tel qu'il fut élaboré au Moyen Âge
ne fait en effet que traduire l'importation des affaires domestiques,
des préoccupations de la maisonnée dans l'ordre politique. Comme le
rappelle Arendt, il exprime fondamentalement la socialité du foyer,
Yoikonomia généralisée : « Loin de dénoter l'existence d'un domaine
politique [le bien commun] reconnaît simplement que les individus
ont en commun des intérêts matériels et spirituels10. » Si l'enjeu de
toute vie politique, et donc de toute citoyenneté, est le déploiement
d'un monde commun, il faut donc reconnaître que loin de s'ordonner,
comme les communautés particulières au principe d'un « bien com
mun », l'institution d'un espace public constitue lui-même le « bien
public » auquel se rapporte tout individu particulier et toute commu
nauté particulière comme son unique bien commun.
Au cours de sa vie, un homme se meut constamment dans deux ordres
d'existence différents : il se meut au sein de ce qui lui est propre, et il
se meut également dans une sphère qui lui est commune avec ses
pairs. Le bien public, ce dont se soucient les citoyens, est réellement
le bien commun puisqu'il a son site dans le monde que nous avons en
commun sans le posséder en propre. Il arrive assez fréquemment qu'il
entre en contradiction avec ce que nous estimons bon pour nous
mêmes dans notre existence privée11.

C'est en raison de cette contradiction, qui anime et menace toute vie


politique, que la citoyenneté doit se comprendre comme ce régime

10. H. Arendt, The Human Condition, op. cit., p. 35, Condition de Thomme moderne, op. cit.,
p. 44.
11. H. Arendt, "Public Rights and Private Interests", in Small Comforts for Hard Times:
Humanists on Public Policy, Money/Stuber ed., New York, Columbia University Press, 1977.

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Qu'est-ce qu'un sujet politique ?

politique de l'existence publique d'un individu qui subordonne


- politiquement tout au moins - son affirmation identitaire (et le
monde particulier de celle-ci) à l'instauration d'un espace public
d'actions critiques et créatrices de droits, et à l'affirmation d'un
monde commun, qui ne se donne certes pas comme un bien préfé
rable en soi aux communautés particulières d'existence individuelle,
mais qui en est la condition.
Il nous faut tout autant éviter de confondre l'espace public avec un
espace commun déployé autour du foyer d'un bien commun, qu'éviter
de confondre l'espace public avec le monde commun auquel l'action
concertée donne naissance. L'articulation de l'espace public au
monde commun se déploie, en effet, selon un double conditionnement
qu'on ne peut prétendre figer sur l'un de ses axes. L'espace public
n'est, certes, pas le monde commun12. Mais le monde commun est ce
en vue de quoi l'espace public prend sens puisque c'est ainsi qu'il
peut constituer un domaine public. Il nous faut donc comprendre que
le monde commun est, d'un côté, la condition d'une polis, de l'institu
tion d'un espace public ; et, d'un autre côté, mais en même temps, que
c'est seulement l'institution de cet espace qui rend possible un
monde commun, que c'est seulement à condition d'un domaine public
que le monde peut être commun. En cette circularité énigmatique
réside la signification de la communauté politique. Elle indique que
toute politique - toute activité humaine qui s'ordonne à l'auto-institu
tion indéfiniment reconduite d'une scène d'action et de visibilité
communes pour les citoyens-acteurs - a le monde comme condition et
comme enjeu. L'activité politique prend sens de ce qu'elle fait appa
raître entre les hommes un monde commun, qu'elle lui donne lieu.
L'action politique est ce par quoi le monde a lieu. Le bien public, qui
n'est l'apanage d'aucune communauté particulière, ne peut donc
consister dans l'affirmation et la préservation d'une prétendue iden
tité communautaire : il est la préservation, l'auto-institution continuée,
de l'espace politique d'apparition et de visibilité qui donne lieu à un
monde commun.

Multiculturalisme et conflits démocratiques

Avant d'examiner la signification cosmopolitique de ce monde


commun élevé depuis l'espace public d'action citoyenne, je voudrais
juste indiquer comment s'articulent à cette compréhension de l'es
pace public les deux principaux problèmes que soulèvent les exi

12. Sur les conditions philosophiques de cette distinction entre communauté et publicité et
de l'articulation entre domaine public et monde commun, cf. E. Tassin, « Espace commun ou
espace public. L'antagonisme de la communauté et de la publicité », in Hermès n° 10, Paris,
Cnrs, 1991, p. 23-37.

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Qu'est-ce qu'un sujet politique ?

gences de reconnaissance politique : le problème des différences


culturelles sollicitant une reconnaissance de droit (question du multi
culturalisme) et celui du conflit entre les normes de droit dont se pré
valent ces sollicitations (question des luttes démocratiques).
Le premier problème est celui de la coexistence des différences
culturelles avec l'exigence d'unité sociale et politique. Le problème
de la reconnaissance des identités communautaires particulières
change de nature dès lors qu'on admet que l'espace politique de la
citoyenneté ne recouvre ni de droit ni de fait les sphères culturelles
d'appartenance des individus. Pour le dire autrement, l'espace public
de citoyenneté invite à sortir du schéma stato-national qui a prévalu
en Europe depuis la fin du Moyen Âge. Non que la citoyenneté ignore
le fait culturel ou communautaire en sa particularité, au contraire ;
mais elle n'a jamais à se confondre avec lui. Ce n'est qu'à condition
d'assimiler l'identité culturelle avec l'action citoyenne qu'on peut
prétendre attribuer à des minorités culturelles des droits qui sont en
réalité l'apanage des citoyens. Ou encore : si la reconnaissance de la
particularité culturelle (c'est-à-dire de l'identité communautaire) est
un droit, sa préservation ne constitue pas, elle, une politique. Qu'on
comprenne bien : le respect des appartenances individuelles est une
condition de la vie politique, sans laquelle l'espace public n'aurait
plus aucun sens ; mais la promotion des identités communautaires au
titre d'une politique constitue en revanche une menace pour l'espace
public, puisqu'elle vient contredire le principe même du vivre
ensemble.

Le deuxième problème est celui des modalités sous lesquelles la


société démocratique moderne peut, au travers des luttes sociales et
politiques, faire prévaloir l'égalité et valider les modes de légitima
tion des pouvoirs politiques. S'il est une condition impérative de
l'exercice d'une citoyenneté, c'est l'auto-institution renouvelée de
l'espace public comme lieu où, premièrement, les revendications
sociales conflictuelles et hétérogènes menées au nom de différentes
normes du droit peuvent trouver une traduction politique, et qui,
donc, deuxièmement, rend toujours légitime, comme l'a écrit Claude
Lefort, le débat sur le légitime et l'illégitime. L'espace public est
alors ce qui peut faire advenir un monde commun en accueillant le
conflit, en organisant l'expression politique des différends qui oppo
sent, parfois violemment, les minorités fluctuantes dans leur aspira
tion à voir reconnaître leur revendication de droits. Il n'y a ni droit ni
société démocratique sans l'institution d'un espace de conflit qui
transforme la simple opinion (affirmation d'un « être-quelque
chose », expression sauvage d'une identité non assumée) en objet de
dialogue et de controverse publique. Aucune réponse « pratique »,
c'est-à-dire technique, aux problèmes posés par la société démocra

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Qu'est-ce qu'un sujet politique ?

tique ne peut faire l'impasse sur une compréhension du caractère


nécessairement et heureusement hétérogène et conflictuel de la
société démocratique, bref sur son indétermination foncière.

La république en question :
préférence nationale ou cosmopolitique ?

L'énigmatique circularité d'un espace public qui a le monde com


mun pour condition et pour visée nous invite à nous demander, d'une
part, comment peut se déployer un espace public ancré dans des
expériences semble-t-il restrictives d'appartenances communautaires
et des intérêts semble-t-il particuliers, voire exclusifs, pour ce
monde ; et, d'autre part, comment cet espace public qui ne saurait,
semble-t-il, transcender le particularisme hétérogène des communau
tés, des expériences et des intérêts particuliers pour le monde, que
dans une universalité abstraite et neutre, peut-il ouvrir à un monde
réel et réellement commun ? Bref, on doit se demander comment il est
possible, sans trahir les légitimes exigences de reconnaissance, de
transcender, dans un espace public de coresponsabilité pour le
monde commun, une hétérogénéité communautaire vouée à une
conflictualité insurmontable ?
Je voudrais suggérer, pour terminer, que la réponse se situe certai
nement dans une compréhension de la dimension proprement « mon
daine » de toute politique, qui fait de toute politique authentique une
cosmopolitique. Toute véritable politique est une politique du monde,
du « cosmos », une cosmopolitique, non pas au sens d'une mondiali
sation des rapports humains ou de l'institution d'une société univer
selle (ce qui obéirait encore au principe communautaire), mais au
sens où les républiques sont les lieux d'un monde commun possible (et
non pas de communautés identificatoires). S'il y a, en effet, de ce
siècle finissant une leçon politique à tirer, c'est certainement qu'il
nous a appris que certaine « politique » peut entreprendre de détruire
le monde commun, ce par quoi il n'y a plus, pour nous, lieu d'être au
monde ou du monde. Ainsi de la « politique » coloniale ou impériale,
qui est une culture de la communauté au lieu d'être une politique de
la publicité. Ainsi, surtout, des systèmes dictatoriaux ou totalitaires
de ce siècle qui ont montré comment l'élimination de l'espace public
était en réalité une destruction du monde commun, l'entreprise d'une
désolation totale, loneliness selon Hannah Arendt. Ces « politiques »
qu'on peut dire « acosmiques » procèdent à une récusation du monde
commun en raison d'un fantasme communautaire qui les mènent à
éliminer tout espace public démocratique, sous couvert de restitution
d'une identité nationale, raciale, culturelle ou confessionnelle suppo
sée menacée. Ces entreprises qui menacent plus que jamais devraient

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nous faire prendre conscience que l'espace public n'est ni le lieu ni


le mode de façonnement d'un « être-commun », qu'il n'est pas le
principe d'une identification communautaire. Mais qu'il est le lieu
institué d'un agir concerté qui lie la pluralité des communautés parti
culières, qui fait accéder les mondes vécus à une visibilité politique
et qui, maintenant les lieux communs dans leurs intervalles et leurs
connexions, donne existence à un monde commun.

C'est en ce sens qu'on peut parler d'une cosmopolitique. On ne


peut, en effet, être citoyen d'un Etat qu'à condition de se comprendre
comme citoyen du monde. Mais on ne peut se comprendre comme
citoyen du monde qu'au sein d'un État particulier - à condition que
celui-ci soit de constitution républicaine et fasse prévaloir la chose
publique sur l'identité commune. Car tel est le sens véritable de
l'idée républicaine : elle est ce qui ouvre une nation au monde com
mun au lieu de réduire celui-ci à celle-là. Une cosmopolitique est
alors « mondaine » en deux sens.

Si l'analyse arendtienne du domaine public permet de penser la


nécessaire disjonction des ordres de la communauté et de l'espace
public, de l'identité et de l'activité citoyenne, elle montre en même
temps que la condition sine qua non d'un espace proprement poli
tique, c'est-à-dire d'un espace public constitutif d'une communauté
politique est l'enracinement privé dans le monde, le fait d'occuper
une place reconnue par les autres dans le monde. Inscription double,
puisqu'elle est pour une part celle d'une communauté particulière
d'identification, et à ce titre toujours plus ou moins exclusive ; et,
pour une autre part, celle d'une communauté cosmopolitique, d'une
citoyenneté du monde, qui résulte, elle, non pas de l'appartenance
native, mais de l'institution élective d'un monde commun et qui,
cependant, ne trouve à s'effectuer politiquement que dans des appar
tenances à des communautés finies. L'inscription simplement privée
dans un monde, c'est-à-dire dans une communauté d'appartenance et
d'identification (constitutive d'un monde certes commun, mais encore
enclos dans la particularité d'une communauté), est donc condition
du déploiement d'un espace public non particulariste, lui-même
condition d'un monde commun non particulier. Il ne s'agit pas là
d'une « dialectique » spéculative élevant la particularité à la dignité
d'un universel partagé, mais simplement d'une « stratification » qui
« étage » et saisit les registres de l'existence en les distinguant, sans
les séparer ni les rendre exclusifs les uns des autres. L'enjeu est de
comprendre que le monde commun auquel ouvre l'espace public n'est
commun que d'être polémique au sens héraclitéen - ouvert sans cesse
par polèmos à Yapeiron -, tandis que les communautés particulières
d'appartenance identificatoire obéissent, elles, à une loi de clôture.
Si, par conséquent, l'étagement que j'évoque ici nous conduit de la

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particularité close des communautés à monde privé, à l'universalité


ouverte du monde commun instauré depuis un espace public d'appa
rition, il n'indique nullement la constitution d'un État mondial. Au
contraire, comme Arendt ou Jaspers l'ont souligné13, la perspective
d'un État mondial ne fait que reconduire à un niveau supérieur le
principe d'identification et d'unification communautariste que la pen
sée de l'espace public combat.
Tel serait alors le sens authentique d'une citoyenneté du monde :
être citoyen du monde n'est pas appartenir à une communauté mon
diale - à une humanité qui serait tout entière apatride de vouloir être
à elle seule une seule communauté -, c'est réfléchir sa propre ins
cription dans, et sa propre appartenance à, une ou des communautés
finies - mais dans la perspective du monde commun ; c'est rapporter
les droits civiques et politiques, toujours liés à la reconnaissance
politique d'une communauté particulière, au principe du « droit à
avoir des droits14 », lequel n'a de sens qu'au vu du monde commun
auquel s'exposent la pluralité des hommes agissant dans des espaces
publics différenciés. Si les individus s'identifient au sein des nations,
les citoyens déploient leurs actions et leurs paroles, s'affrontent et
tissent des rapports politiques dans des espaces publics qui visent
l'instauration d'un monde commun au sein même des États. Loin de
s'accomplir comme incarnation de la nation, le destin de l'État, pour
rait-on dire, est au contraire de la dépasser. Est alors citoyen du
monde, non pas l'individu privé identifié et s'identifiant par l'assomp
tion de valeurs, l'élection de symboles, l'intégration à des communau
tés particulières, mais le sujet politique découvrant et révélant qui il
est singulièrement au sein des rapports politiques, déployant ses
actions et ses paroles au sein d'espaces publics de confrontations, de
conflits et d'argumentations, bref, ce citoyen préférant l'exposition de
sa singularité à l'exhibition de sa particularité aux autres, les prin

13. À elles seules, les premières lignes de l'article consacré à Karl Jaspers en 1957 résu
ment la pensée d'Arendt : « Nul ne peut être citoyen du monde comme il est citoyen de son
pays. [...] Les concepts politiques sont fondés sur la pluralité, la diversité et les limitations réci
proques. Un citoyen est par définition un citoyen parmi des citoyens d'un pays parmi des pays.
Ses droits et ses devoirs doivent être définis et limités, non seulement par ceux de ses conci
toyens mais aussi par les frontières d'un territoire. La philosophie peut se représenter la terre
comme la patrie de l'humanité et d'une seule loi non écrite éternelle et valable pour tous. La
politique a affaire aux hommes, ressortissants de nombreux pays et héritiers de nombreux pas
sés ; ses loi sont les clôtures positivement établies qui enferment, protègent et limitent l'espace
dans lequel la liberté n'est pas un concept mais une réalité politique vivante. L'établissement
d'un ordre mondial souverain, loin d'être la condition préalable d'une citoyenneté mondiale,
serait la fin de toute citoyenneté. Ce ne serait pas l'apogée de la politique mondiale mais très
exactement sa fin », "Karl Jaspers, Citizen of the World", in Men in Dark Times, New York, Hbj,
1983, p. 81-82 ; trad. fr. Vies politiques, Gallimard, 1974, p. 94-95.
14. H. Arendt, The Origins of Totalitarianism, New York, Hbj, 1975, II, p. 296 ; l'Impéria
lisme, Fayard, 1982, p. 281. Le droit d'avoir des droits est le droit, écrit Arendt, de « vivre dans
une structure où l'on est jugé en fonction de ses actes et de ses opinions » et se soutient du
« droit d'appartenir à une certaine catégorie de communauté organisée ».

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cipes aux valeurs, l'action concertée à l'être-en-commun, le bien


public au bien commun et, pour le dire d'un raccourci, préférant
l'institution républicaine de sociétés démocratiques à la préservation
despotique de communautés culturelles.
Nous demandions : Qu'est-ce qu'un sujet politique ? On le voit, la
réponse articule nécessairement un processus de subjectivation poli
tique révélant un agent singulier dans l'action publique démocratique
- dans l'exposition aux conflits par lesquels les individus se rappor
tent les uns aux autres de manière politique - avec l'institution d'un
espace public de coexistence des identités individuelles et commu
nautaires (de sexe, de classe, de confession, de culture, etc.) qui,
seul, peut élever les appartenances communautaires à la dignité d'un
monde commun. Ainsi entendu, le sujet politique d'une république
démocratique est citoyen du monde : le monde commun est ce à quoi
son action publique donne naissance ; le monde commun est ce qui
donne sens à son action publique. Alors la liberté n'est pas vaine :
elle est effective dans chaque action ; l'action n'est pas arbitraire :
elle actualise à chaque fois l'égalité requise entre citoyens comme
entre communautés ; la culture n'est pas un repliement identitaire :
elle est le déploiement d'un rapport aux autres exhaussé à la dignité
d'un monde commun dès lors qu'elle lui donne apparence15. Seule
une philosophie cosmopolitique entendue en ce sens pourrait s'élever
contre les politiques acosmiques que ce siècle a propagées.
Étienne Tassin

15. C'est évidemment en ce sens (et non dans une perspective communautariste et élitiste)
qu'il faut comprendre l'analyse arendtienne des rapports de la culture à la politique : « D'une
façon générale, la culture indique que le domaine public, rendu politiquement sûr par des
hommes d'action, offre son espace de déploiement à ces choses dont l'essence est d'apparaître
et d'être belles. [...] La culture et la politique s'entr'appartiennent alors, parce que ce n'est pas
le savoir ou la vérité qui est en jeu, mais l'échange judicieux d'opinions portant sur la sphère de
la vie publique et le monde commun, et la décision sur la sorte d'action à y entreprendre, ainsi
que la façon de voir le monde à l'avenir et les choses qui y doivent apparaître. » H. Arendt, "The
Crisis in Culture; Its Social and its Political Significance", in Between Past and Future (1968),
New York, Penguin Books, 1977, p. 218 et 223 ; « La crise de la culture », in la Crise de la
culture, Paris, Gallimard, 1972, p. 279 et 285 (je souligne).

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