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Numéro 17

Sommaire
Interpréter l’enfant en institution
Journée d’étude Autisme et Psychanalyse : Résultats
Vers la journée de l’Institut de l’enfant
Découvrir l’enfant
La recette d’aïoli
« Affinity therapy » - Rencontre avec Ron Suskind et Valérie Gay, parents d’enfants autistes
Nathalie Jaudel et la légende noire de Jacques Lacan
Vyara - Nevyara
Le bowling comme escabeau
Boyhood

Interpréter l’enfant en institution


par Alexandre Stevens | le 06 mars 2015 | revue Numéro 17 | thème Éditorial

La pratique* avec les enfants dans les institutions du RI3 est depuis ses
débuts « post-interprétative », selon l’expression de Jacques-Alain Miller (La
Cause freudienne, no32). En effet lors de la création de l’Antenne 110 puis du
Courtil, en Belgique, nous avons d’emblée décidé qu’il n’y aurait pas
d’interprétation dans le travail que nous voulions pourtant entièrement orienté
par la psychanalyse lacanienne.
Pas d’interprétation au sens d’un appui pris sur le sens toujours lié à la
fonction paternelle. Mais pas non plus de ponctuation qui souligne un
signifiant dans la chaîne pour en isoler une causalité. Le sens familial qu’on
pourrait trop facilement donner au symptôme nous paraissait à éviter. Tout sujet est pris dans une histoire, aussi jeune
soit-il. Mais la référence aux parents, tentation inévitable dans l’analyse d’enfant, voile le réel en jeu. L’interprétation-
ponctuation qui laisse entendre une causalité du côté de l’histoire familiale n’est certes pas fausse, mais elle rate toujours
le fait que la cause laisse une faille où vient s’inscrire le sujet.

Quelle « interprétation » alors, post-interprétative, peut convenir dans ce travail en institution avec des sujets qui sont pour
la plupart psychotiques ou autistes ? Il y en a sans doute plusieurs possibles, selon le moment et le cas.

Il y a l’effort de traduction permanente de la jouissance en jeu qui déborde ces sujets, selon la proposition d’Eric Laurent
(Les feuillets du Courtil , n°21). Il s’agit alors d’obtenir une nomination qui limite et localise cette jouissance.

Il y a d’autre part l’interprétation qui porte en acte du côté de l’objet. Tel cet enfant collectionneur de déchets qui va pouvoir
trouver une limite à sa collection en même temps qu’à ses débordements, en forme de passages à l’acte, lorsqu’il trouve
une tasse vide ébréchée qui traîne au fond du jardin sous un buisson épineux. Il lui est impossible de prélever ce déchet
pour l’ajouter à sa collection parce que l’épineux rend l’objet inaccessible et en même temps le voile. Cette tasse devient
un point de repère qui lui permet de s’installer de manière plus structurée dans un atelier jardinage. La tasse ébréchée
fonctionne comme un point où s’extrait l’objet regard. Une fois le regard localisé par la tache que devient la tasse, il n’est
plus envahi et peut se mettre au travail. (Cas que j’ai présenté à la Journée Uforca 2012) C’est le déchet inatteignable qui
fait ici office d’interprétation.

Il y a encore les interprétations qui impliquent une subjectivation. Ainsi un jeune adolescent du Courtil qui frappait
régulièrement d’autres jeunes s’en excusait en disant « ce n’est pas moi c’est ma main gauche ». Il avait certainement
raison, mais cette absence de subjectivation de sa violence ne permettait pas le travail avec lui. Nous lui avons dit qu’il
devait trouver une solution à ce problème pour rester au Courtil. Il en a alors inventé une en nous disant « ce n’est pas moi
qui frappe, c’est ma main gauche, mais j’ai aussi une main droite et je vais l’utiliser pour arrêter ma main gauche ». Subtil
effet de subjectivation quand le corps apparaît morcelé au sujet.

* Ce texte a été initialement publié sur le blog de la Troisième journée de l'Institut de l'enfant
: https://jie2015.wordpress.com/. Il est reproduit ici avec l'aimable autorisation de Daniel Roy

Journée d’étude Autisme et Psychanalyse : Résultats


par Judith Zabala | le 15 mars 2015 | revue Numéro 17 | thème Éditorial

« S'aider de l'objet » - Quelques précisions concernant le


statut de l'objet dans la clinique avec les sujets autistes

La journée d'étude, organisée par l'ACF Belgique, le 28 février dernier


avait comme visée de transmettre au plus grand nombre les « résultats »1
des travaux effectués par des personnes qui s'orientent de l'enseignement
de la psychanalyse auprès de sujets dits « autistes ». Des personnes
touchées par cette question se sont donc rassemblées afin d'écouter – cas
cliniques et travaux d'orientation – et ont eu l'occasion de participer à une
discussion avec les différents intervenants. Nous avons donc entendu des
praticiens soucieux de transmettre leur rencontre et leurs questionnements
afin de : soutenir un apprentissage, se faire partenaire de ces sujets et
permettre l'émergence d'une solution singulière.

« Savoir ne pas savoir »2 ! Le ton est donné dès l'ouverture de cette


journée d'étude intitulée : Autisme et Psychanalyse : résultats. A partir des
différents exposés et de leur résonance auprès des participants de cette
journée, certains points se dessinent, les élaborations se resserrent. Autant
de travaux qui précisent un peu plus, comme le soulignait Dominique
Holvoet, ce que, dans notre champ, nous appelons : la « clinique de
l'objet ». Ce sera autour d'un fragment de cette discussion que se centrera
cet épinglage.

Bernard Lecoeur s'interrogeait sur ce qu'il y a au « coeur de la solution ».


Son travail s'ouvrait sur la question de l'usage de l'objet. Un usage bien
spécifique dans le sens où, c'est à partir de l'usage même que l'enfant autiste fait d'un objet, que l'espace dans lequel il est
d'abord pris se construit peu à peu. Ce n'est pas « l'espace qui accueille l'objet », mais l'objet qui engendre l'espace3. Pour
Bernard Lecoeur l'émergence de la solution ne se fait pas sans ce qu'il a appelé : une certaine « capacité de
déplacement ». Cette « capacité de déplacement » permet nous disait-il : « d'ouvrir l'espace et d'admettre [qu'un autre
parlêtre] y séjourne […] Certainement pas pour y résider à plein temps mais au moins au titre de passant, voir de visiteur et
c'est au prix d'une telle admission qu'une solution peut être reconnue et authentifiée. »4

Cette présence d'un autre qui authentifie, toléré par le sujet autiste - ce qui implique, comme nous l'avons vu durant cette
journée, des conditions nécessaires à ce qu'il le soit – introduit du mouvement dans l'espace du sujet.

L'intervention - véritable coupure - aura un effet sur l'espace construit par le sujet. Dès lors dans ce mouvement, une
reconstruction sera nécessaire complexifiant ainsi le circuit du sujet à partir de l'objet. Nos interventions ne visent donc pas
à ce que les sujets autistes « cèdent l'objet » - intervention qui seraient inopérantes, nous dit Bernard Lecoeur, du fait de
l'absence de substitution symbolique - mais « [s'aident] » de l'objet. « S'aider de l'objet » donc, une perspective pour penser
nos interventions auprès de ces sujets pour, qu'à partir du tracé de l'acte du clinicien, ils se forgent une place dans le réel -
tel le tracé fait à la craie par le clinicien qui borde le mouvement en tornade d'un enfant, comme le remarquait Alexandre
Stevens en se référant au cas présenté par Eléna Madera5.
Dominique Holvoet soulignait dans la discussion que ce n'est qu'à partir de l'usage que le sujet peut faire de son objet
qu'une construction de l'Autre est possible. Il nous invitait alors à diriger notre attention autour du travail de collage,
perforation, recouvrement de l'espace, afin de tenter de repérer comment, pour chaque sujet, quelque-chose se tient.

Guy Poblome s'interrogeait, quant à lui, sur les objets qui envahissent le sujet et dont la solution n'émerge pas de la simple
opération de séparation entre ce sujet et cet objet, dont l'effet est vain, voire dévastateur, mais bien en faisant le pari
d'« incorporer » l'objet dans le travail avec ce sujet.

C'est entre autre sur ce point qu'aura rebondi Eric Laurent en nous invitant à relire les cas en précisant le statut de l'objet :
celui apaisant qui condense l'agitation dans le corps ou celui qui dé-régule et affole le corps du sujet. Il a donc appuyé sur
l'importance du partenariat qui – loin d'être celui qui éloigne le sujet de cet objet qui l'affole - peut être considéré sous
l'angle de celui qui accompagne et invente offrant à l'enfant la possibilité de prendre appui sur un corps, un double, un
travail de nomination – traitant, par là même, ce qui fait effraction pour lui en lui permettant de « placer son corps ».

C'est peut-être là que git, comme nous l'indiquait Eric Laurent, le « critère important du résultat de ce qui s'obtient avec ces
enfants » : qu'ils puissent faire avec « le malentendu de l'apparition du corps dans le réel »6 - formule de Lacan mise en
évidence par Bernard Lecoeur dans son intervention - afin qu'ils puissent « séjourner là où ils sont » comme le précisait E.
Laurent.

Des précisions qui témoignent donc de « la diversité », qui intéressent et spécifient le champ de la psychanalyse7 comme
nous le rappelait Jean-Daniel Matet. La psychanalyse ne sait certes pas ce qui est bon pour un sujet autiste avant lui, pour
autant, elle suit les méandres de leur trajet singulier et fait un pas de côté à ce qui semble se présenter, de prime abord,
comme une impasse. Se faisant, comme en témoigne cette journée, elle ne recule pas à chercher...

1 Daniel Pasqualin, texte de présentation de la journée d'étude.

2 La formule « Savoir ne pas savoir », reprise à l'occasion de l'introduction de cette journée par Muriel Gerkens, présidente
de la Commission de la Santé du Parlement fédéral belge.

3 Bernard Lecoeur, « Autisme : l’espace des solution ».

4 Ibid.

5 Elena Madera, « Exister pour Yassine ».

6 Formule de Lacan relevé lors de l'intervention de Bernard Lecoeur Bernard Lecœur, « Autisme : l’espace des solution ».

7 Jean-daniel Matet « Parler avec un autiste : pas sans conditions ».

Vers la journée de l’Institut de l’enfant


par Julien Lecubin | le 18 mars 2015 | revue Numéro 17 | thème Éditorial
« Interpréter l’enfant » sera le thème de la Journée de l’Institut de l’Enfant de ce
samedi 21 mars. Voilà qui a de quoi nous interpeller puisqu’il se dit qu’au Courtil,
on n'interprète pas... Et l’on pourrait en rester là, considérant à juste titre que
l’accompagnement ne se réduit effectivement pas à la traduction d’un sens caché
que l’analyste viendrait révéler. Pour autant, les travaux de ce numéro ont ceci en
commun de présenter l’interprétation comme se situant du coté de l’enfant. Ce qui
pour autant, n'empêche pas au praticien d'interpréter... Mais alors qui interprète
quoi ? La clinique d'orientation lacanienne dépassant la question de l’œdipe,
l'interprétation s'en trouve réinterrogée par chacune des rencontres du praticien
avec l'enfant. Rencontre lors de laquelle l'interprétation se situerait moins du coté
des signifiants parentaux que dans la traduction d'une jouissance singulière. Nous
avons un aperçu saisissant de ces renversements dans les textes de ce numéro
de Courtil en LigneS. « L’analyste instrument »1 interprétant alors, comme le
propose Laurent Dupont, cet Autre utile à « découvrir » l’enfant des signifiants
dont il est l’objet, permettant ainsi au sujet de manœuvrer ses solutions en divers
lieux.
1 Miller Jacques-Alain, « Interpréter l'enfant » http://www.lacan-universite.fr/wp-
content/uploads/2013/06/interpreter_lenfant-J_A-Miller-ie.pdf

Découvrir l’enfant
par Laurent Dupont | le 17 mars 2015 | revue Numéro 17 | thème Éditorial

Je remercie chaleureusement Alexandre Stevens et Dominique


Holvoet pour leur invitation à venir parler ici. C’est à partir de ma
place de coordinateur du CEREDA, Centre d’Étude et de Recherche
sur l’Enfant dans le Discours l’Analytique, et de sa place dans
l’Institut de l’Enfant que j’ai le plaisir de parler devant vous
aujourd’hui.

Petit rappel sur ce qu’est le CEREDA

Créé en 1983 par un cartel de l’École de la Cause freudienne


composé d’Éric Laurent, Robert et Rosine Lefort, Jacques-Alain et
Judith Miller, le Cereda a très rapidement débouché sur
la constitution d’un réseau de groupes désireux d’inscrire leur travail dans le Champ freudien.

En 1993 une refonte du réseau CEREDA, initiée par Jacques Alain Miller, renforça et réaffirma : l’unité de la
psychanalyse et que l’enfant est un sujet à part entière , ainsi, le Nouveau Réseau Cereda (NRC) fut créé. Trois
“Diagonales” – francophone, hispanophone et américaine – composent aujourd’hui le NRC, et à l’orientation de chacune
desquelles une Commission d’accueil et d’orientation (CAO) préside. Je suis le coordinateur de la CAO de la diagonale
francophone.

Le Nouveau Réseau Cereda est un des trois réseaux qui participent à l’Institut de l’Enfant, avec le CIEN et le RI3.

C’est par le RI3, dans le service du Docteur Stavy à Aubervilliers, que j’ai commencé à inscrire mon désir pour la
psychanalyse. Là, j’ai pu mesurer, dans la rencontre avec ces enfants, autistes ou psychotiques, combien mon savoir
universitaire était à mettre en retrait, s’en passer pour s’en servir. C’est donc à partir de la rencontre de ce qui fait trou dans
le savoir, c’est-à-dire la clinique (soit, je le rappelle, un des impossibles freudien) du RI3 que mon désir de m’engager dans
la psychanalyse a été interrogé au plus profond et qu’il s’est prolongé au CEREDA.

Je vais donc vous parler à partir d’un titre : Découvrir l’enfant. Il s’agit de découvrir un sujet qui vient rencontrer un
analyste, mais pour ce faire, il faut souvent le découvrir de ce dont il est recouvert : les signifiants de l’Autre. Pour cela, il
est parfois nécessaire d’avoir recours à l’interprétation. Mais qu’est ce qu’une interprétation et sur quoi repose t’elle ?
Vous le savez tous, ce samedi 21 mars 2015 aura lieu la troisième journée de l’Institut de l’Enfant et cette journée, portera
sur ce thème proposé par Jacques Alain Miller : Interpréter l’enfant. Ce thème a été accompagné d’un texte, une boussole
de travail, qui porte le titre éponyme de la journée, Interpréter l’Enfant.

Ce texte de Jacques Alain Miller n’est pas venu seul nous orienter, le Séminaire VI, Le désir et son interprétation, pourrait
accompagner chaque point du texte de Miller. Cette journée promet d’être très riche, mais aussi très enseignante par le
thème, bien sûr, qui touche chacun de nous, en tant que l’on attend du psychanalyste ou de celui qui s’oriente de la
psychanalyse qu’il interprète. Encore faut-il pouvoir en dire quelque chose, d’où interprète t’on ?

Qu’interprète t’on ? Comment et quand ? Pourquoi ?

Ce n’est donc pas une conférence que je fais devant vous aujourd’hui, mais bien plutôt une intervention qui vous propose
où j’en suis de mes recherches et réflexions à partir de ce thème et que j’aimerai partager avec vous, c’est-à-dire, en
discuter.

Dès le mythe d’Œdipe, l’interprétation est présente, l’oracle de Delphe, Thirésias sont de grands interprètes. Cela implique
l’exposition d’un savoir que l’autre n’a pas. La tragédie grecque nous enseigne que les conséquences ne sont pas toujours
heureuses. Livrer un savoir, c’est ce que fit Freud au début de sa découverte de la psychanalyse et jusque tard, il livrait
le résultat de son observation au patient avec pour but de lever le symptôme, c’était là l’interprétation, nous en avons de
célèbres, de Hans à Dora, certaines sont des échecs bien connus. Le rêve de l’injection faite à Irma montre que Freud ne
peut plus dormir tranquille avec ce mode d’interprétation, il en veut à sa patiente de ne pas accepter « sa solution ».

Ce type d’interprétation se nomme construction. Dans l’imagerie populaire, c’est celle-là que l’on attend du psychanalyste,
c’est souvent celle qu’attend le patient, l’oracle qui délivre. Miller le démontre dans Marginalae de Construction dans
l’analyse, la construction ressort de l’analyste, de sa pensée alors que l’interprétation est du côté du patient. Comment
alors repérer ce qui fait interprétation ? Dans l’après coup ? Dans les dires propres du sujet ? Dans les conséquences ?

Il n’est pas sûre que ce qui fait la vulgate de la psychanalyse aujourd’hui, l’interprétation-construction, ne soit pas aussi ce
qui fait son rejet auprès de l’opinion, de parents qui parfois se sentent abusivement interprétés, de sujets qui se sentent
sur-interprétés et il n’est pas sûr qu’ils aient tort. Lacan s’est bien gardé et nous met en garde contre le sens, l’abus de
sens, l’interprétation au nom du sens qui fixe, bouche, désigne, pointe le sujet. Par exemple dans le Séminaire VI, page
196, Lacan insiste sur le fait qu’il faut se garder de comprendre, soit d’interpréter sur le sens et nous savons comment
cette position, il va l’amplifier, la logifier tout au long de son enseignement. Voilà pourquoi, il me semble important de tenir
compte des parents dans les prises en charge d’enfant, pas pour les rassurer, quoique…mais plutôt parceque, et le graphe
le montre très bien, la première question que se pose l’enfant et la plus cruciale est Che Vuoi ? Que veut l’Autre dont je
dépends vitalement. La réponse que se donne l’enfant est au cœur de ce qui l’amène à voir un psychologue, une
orthophoniste, un psychomotricien, ou se retrouve à travailler avec des éducateurs, des infirmières… Toutes
ces personnes qui se voient incarner à leur insu cette place de la demande à satisfaire et se confronter à la réponse du
sujet.

Jacques Alain Miller nous invite à repérer la place du sujet dans le graphe, sujet enfant entre énoncé et énonciation.
Extraire le sujet, c’est lui redonner sa place d’énonciation par exemple. Tom apparaît là, dans ce qui fait le singulier de son
dire, la peur du noir.

Si l’enfant naît dans un bain de langage, c’est à dire qu’il est parlé avant de parler, ce qui s’entend à ce moment et qui
s’adresse à lui est déconnecté de tout sens, il faudra tout un processus pour qu’ils soient élevés à la dimension du
signifiant. Ces signifiants, sont pour lui déconnectés de tout signifié, signifiant tous seuls : S1. Ces S1 sont seulement
articulés à des sonorités, des regards, des intonations, des touchés… une jouissance seulement éprouvée. Radicalement,
vitalement dépendant de l’Autre, Lacan résumera ainsi les premières questions que se posera l’enfant: « L’Autre peut-il me
perdre ? »

C’est dans ce malentendu permanent que l’enfant va émerger au langage. L’enjeu de cette rencontre avec l’Autre peut
s’avérer telle pour l’enfant que dans certains cas extrêmes, il ne puisse s’y résoudre. Ainsi, pour qu’un enfant s’autorise à
entrer dans le langage, il faut que quelque chose de lui soit accueilli dans sa parole même, soit ce que porte chaque parole
c’est-à-dire une demande. Si l’Autre l’accueille, il manifeste un manque à l’égard de son enfant permettant d’introduire une
dialectique du désir. Mais si l’Autre fait de cette adresse une non-adresse, un trou, alors la parole de l’enfant devient lettre
morte. À l’inverse, si l’enfant est toutpour l’Autre, s’il n’y a aucun espace du manque hors de l’enfant, alors il devient
objet bouchon de l’Autre et sa structure en sera marquée.

Il est donc important de voir que pour qu’un enfant accède au langage, il ne suffit pas de l’y éduquer, mais d’accueillir sa
parole comme telle.

C’est ce qui se rejouera dans le cabinet de l’analyste, là, à nouveau, il sera parlé par l’Autre, nous pourrions dire qu’il arrive
à nouveau dans un bain de langage. Car un enfant ne vient pas seul consulter, la plupart du temps, il est accompagné de
ses parents, d’un éducateur, de la famille d’accueil... et, à nouveau, quelque chose de sa singularité, dans ce qu’il dit, fait
ou dessine devra être accueilli pour qu’un sujet émerge à la parole.

Celui qui accompagne l’enfant ne maîtrise même pas toujours son propre énoncé, c’est un diagnostique, un trouble péché
sur Internet, dans une conversation chez des amis, la maîtresse… Je me souviens d’un enfant dont la maîtresse
soupçonnait un TDAH et avait parlé de Ritaline à la maman en disant que « ça calmait les enfants », la mère ne voulait pas
d’un médicament qui pour calmer son enfant, elle voulait comprendre, qu’un psy lui dise ce qu’il a, et surtout, comme dans
la chanson de Michel Jonasz, que c’est « avec un Autre que moi, mais pas à cause de moi ». Il a fallut recevoir cette mère,
lui permettre de déployer autant son histoire que l’idée qu’elle se faisait pour qu’enfin, cet enfant, une terreur à l’école
puisse enfin dévoiler ce qui faisait symptôme pour lui, la peur du noir, de ses cauchemars. Et oui, on peut être une terreur
et avoir des terreurs. Il s’agissait en l’occurrence de souligner le signifiant en jeu pour que la mère comme l’enfant
l’entendent et que l’enfant se découvre.

Causalité psychique ou causalité biologique ? Ni l’une ni l’autre


1
Voilà pourquoi Jacques Alain Miller nous invite à travailler la question de l’interprétation . Ceci implique forcément de
prendre en compte celui qui accompagne l’enfant, il nous demande même de cristalliser ce concept, afin de savoir à quels
signifiants a affaire l’enfant, pour saisir la place qui lui est donnée, le contenu et le sens de la demande, et surtout de
découvrir si l’enfant lui-même fait une demande et laquelle.

Tous ceux qui travaillent avec les enfants savent combien ils prennent le langage au sérieux, mais aussi toutes les
productions qu’ils réalisent dans le bureau de celui qui les accueille au nom de la psychanalyse. L’enfant repère très vite
que la parole n’a pas le même statut suivant celui à qui il s’adresse.

Un enfant qui rencontre un analyste devrait donc être appelé à cette place où sa parole est accueillie. Qu’est ce qui fait
que ce ne soit pas systématiquement le cas ? Qu’est ce qui fait que les parents soient si méfiants à l’égard de la
psychanalyse ? L’interprétation, ou encore ce qui est supposé au cœur de l’interprétation n’y est pas pour rien. Soutenu
par les adversaires de la psychanalyse, la vulgate qui voudrait que les psychanalystes cherchent à culpabiliser les parents
en les faisant coupables, en tant que cause, d’un trouble qui serait neurologique ou génétique, jette l’opprobre sur la
pratique analytique. Et il faut bien reconnaître que dans certaine société psychanalytique, c’est ainsi que l’on se repère.
Pourtant, Lacan en relisant Freud, puis en avançant seul dans sa compréhension du psychisme humain, ne peut être
targué d’avoir voulu réduire la psychanalyse à une faute des parents. Au contraire, dès le début et jusqu’à la fin de son
enseignement, la dimension de choix du sujet est fondamentale. La marque initiale de jouissance qui s’imprime sur le
corps n’est pas apposée par le fer des parents, mais est bien la résultante de ce que nous évoquions plus haut, un corps
jouissant, hors-langage, qui est bombardé de sensations produites par des signifiants et qui rencontre l’énigme radicale de
2
lalangue, que Lacan écrira en un seul mot . Nul ne saura jamais le pourquoi de cette marque plutôt qu’une autre, elle
s’aperçoit, c’est tout, faisant de la causalité ni de l’ordre de l’organique, ni du psychique, mais un trou. C’est ce dont tentent
de témoigner les Analystes de l’École dans leur témoignage de passe, une manière de cerner ce réel en jeu.

On n’a pas vu d’enfant faire la passe, pourtant Jacques Alain Miller nous dit qu’il en est des enfants comme des adultes,
3
l’analyse doit les mener à ceci que l’Autre n’existe pas .

Sens, hors-sens et logique


4
Jacques Alain Miller fait le parallèle entre interprétation et dévoilement . Il aborde la question à partir de l’Œdipe et d’une
lecture du Séminaire VI. Je pense qu’une part du procès qui est fait à la psychanalyse est dû à un abus d’interprétation et
principalement des interprétations au nom de l’Œdipe, pointant une causalité dans la triade père/mère/enfant. Le moins
que l’on puisse dire est que Lacan se démarque de ce triptyque et ce, dès le Séminaire VI. Miller montre comment Lacan
commence son aventure au-delà de l’Œdipe. Faisons un petit tour sur l’Œdipe selon Lacan, sa formalisation trouve son
apogée dans la métaphore paternel.

Dans la relation de dépendance qui l’unit à sa mère, l’enfant va découvrir que sa mère désire au-delà de lui-même. Sa
mère n’est pas toute mère, elle n’est pas toute comblée par l’enfant, elle désire au delà de lui, elle est aussi une femme.
Cette version fait émerger un manque du côté de la mère, son désir devient un x pour l’enfant, x qui trouve sa réponse
dans ce que Lacan nommera le nom du père. Le nom du père n’est donc pas le père réel de l’enfant mais ce qui vient
répondre, pour l’enfant, à l’x du désir de la mère. Pris dans une dialectique entre désir supposé de la mère et nom du père,
l’enfant est alors en position de symptôme du couple parental. Voilà pourquoi le père est d’abord une fonction. Il y a donc
pluralisation des noms du père. Ce point est un point qui inclut Œdipe et son au-delà.

5
Pourtant, dans sa note à Jenny Aubry , Lacan va évoquer le cas où l’enfant n’est pas confronté à un x, mais au laissé
tomber radical ou à incarner l’objet qui vient boucher le fantasme maternel, soit ce qui lui permettrait à elle de désirer
ailleurs. Attention, tout enfant, du fait même qu’il est parlé, ressort du fantasme de l’Autre et principalement de celui ou
celle qui lui donne les soins, là nous parlons de saturer le manque. Dans ce cas, « Le symptôme qui vient à dominer
6
ressortit à la subjectivité de la mère » . L’enfant est pris comme objet venant saturer le manque maternel, il se voue à venir
condenser la jouissance maternelle.

Découvrir l’enfant, au-delà des diagnostiques, c’est déjà le tenir pour un sujet à part entière. Soutenir les dits et les
productions de l’enfant, c’est ce qui fait interprétation, autant au niveau de l ‘enfant que de son entourage. C’est ce qui
permet à la fois de devenir le partenaire de l’enfant, mais aussi un bouger de son ensevelissement sous les signifiants de
l’Autre. Une fois ce dégagement opéré, il est important de rester vigilant, c’est à dire de ne pas le ré-ensevelir sous des
signifiants interprétatif. Soit de se faire instrument du sujet dans son énonciation même, pour qu’il construise ses propres
solutions.

Dans l’Étourdit, Lacan donne une indication fondamentale sur l’écoute singulière de l’analyste : « qu’on dise reste oublié
derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend ». Il y a ce que l’on entend, il y a ce qui se dit et, derrière, un dire. Ce dire obéit à
une logique, mais cette logique ne ressort pas du sens, d’un S2 à adjoindre au S1 énoncé dans la séance. Elle
ressort d’une articulation de jouissance. Pour saisir le réel en jeu, Lacan va proposer un mode d’interprétation qu’il
appellera apophantique, il s’agit de lire ce qui se joue dans la séance en se dégageant du sens et du signifié présentifié. Il
propose trois mode d’interprétation liés à la « lecture de la séance », de ce qui se dit : l’homophonie, la grammaire et la
logique, dont l’une des acceptions est de faire entendre à celui qui dit, ou qui fait, ce qu’il dit ou fait, sans ajouter ou
modifier les signifiants en jeu. Tous ces modes d’interprétations opèrent sur une forme d’équivoque qui produit une
coupure. Il en est de même avec les enfants, leur sensibilité au signifiant permet le recours à l’homophonie par exemple. Il
n’y a pas d’interprétation a priori avec les enfants, que ce soit avec le jeu ou les dessins. Il y a à faire émerger des
signifiants et opérer un travail de lecture.

Un désir qui ne doit pas être anonyme

Ce travail de lecture est à faire et refaire sans cesse, avec tous les partenaires de l’enfant afin de repérer la jouissance ou
les signifiants en jeu. Ceci pour permettre de le dégager de sa place d’objet dans le discours de l’Autre et de ramener la
question à ce qui se passe dans le ici et maintenant de la rencontre.

En effet, il y a la marque initiale du signifiant sur le corps propre du sujet, marque de jouissance, qui s’élève à la dimension
du signifiant en passant d’abord par la trace. Dans le processus analytique les enfants ne diffèrent pas beaucoup des
adultes. Mais il y a, comme le souligne Jacques Alain Miller, un processus qui est moins fixé6 et permet des bougés. C’est
en mettant au travail avec lui les signifiants qu’il amène que l’on peut se faire son partenaire, et même quand les enfants
sont en position de saturer le manque maternel, alors, extraire les signifiants en jeu, soutenir les inventions, faire signe à
ce qui permet de mettre un écart, nommer la jouissance permet à l’enfant de s’extraire un peu de ce qui le cloue.
Voilà pourquoi le désir de celui qui s’adresse à un enfant n’est pas et ne doit pas être anonyme. Il est donc important de
savoir ce qu’il en est de son désir pour chacun de ceux qui s’autorisent de travailler avec des enfants, c’est à cela que sert
de faire une analyse, de contrôler sa pratique, mais aussi, pourquoi pas, de rejoindre un groupe du CÉRÉDA ou de
travailler dans l’un des trois réseaux qui participent à l’Institut de l’Enfant.

1 Miller Jacques-Alain, « Interpréter l’enfant », News de l’Institut de l’enfant, n°9, Juin 2013.

2 Lacan Jacques, Le séminaire, livre XX, Encore , Paris, Le Seuil, 1972.

3 Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », op. cit.

4 Miller J.-A., « Une réflexion sur l’Œdipe et son au-delà », Mental, n°31, p. 135.

5 Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, le Seuil, 2001.

6 Ibid. p. 373.
La recette d’aïoli
par Céline Aulit | le 18 mars 2015 | revue Numéro 17 | thème Éditorial

Âgé de quelques jours, Maxime est retiré de sa famille biologique et


confié à une famille d’accueil qui sera très vite relayée par une prise en
charge en hôpital de jour. De nombreuses disputes entre les parents et la
famille d’accueil conduisent le juge à la décision de placer Maxime alors
âgé de 4 ans dans une institution avec l’espoir de rétablir un certain
apaisement. Au moment du placement, Maxime vit un épisode de
décompensation : il se replie, désinvestit le lien social et les effets de ce
placement se marquent directement dans le corps : la propreté pourtant
acquise laisse la place à une énurésie, il étale ses excréments sur les
murs et suite au témoignage de phénomènes hallucinatoires, des
neuroleptiques lui sont prescrits.
Aujourd’hui, Maxime a 15 ans. Lorsqu’il est arrivé au Courtil il y a un an,
sa position est obséquieuse, position dans laquelle il semble être plongé
tout entier, sans une pointe de semblant. Il passe son temps à nous
demander si nous voulons de l’aide pour l’une ou l’autre chose, retirant
notre manteau pour l’accrocher au porte manteau quand nous
franchissons la porte de son groupe de vie. Cette position s’est atténuée
au fil du temps. Nous avons très vite remarqué une certaine forme
d’horreur que cet aspect policé vient recouvrir. L’an passé, à la période
de Noël, lors d’une conversation autour du foie gras, ses propos glissent
très vite vers le gavage des oies pour en arriver au gavage des hommes.
Nous ne sommes pas en manque d’exemples du genre qui, si nous le
laissons parler, virent à une horreur qui laisse l’autre sans mot. Le sens
pour Maxime est directement connecté à son effet réel.

A d’autres moments, l’horreur lui sert de mode d’adresse à l’autre : un jour, il dit à l’école que son père s’est pendu et que
sa mère le lui a dit ce week-end. S’agit-il d’une interprétation dans l’après-coup de l’absence de son père qui travaillait ce
week-end–là ? En tous les cas, cela rejoint un mode d’accrochage à l’autre -sur le versant du réel- de plus en plus présent.
Il se branche tout à coup sur l’intervenant via un événement horrible, un interdit ou une forme de destruction de l’ordre
établi. Maxime nous interpelle par ce côté ostentatoire. Un autre exemple d’accrochage passe également par des blagues
téléphoniques dont il vient nous témoigner ensuite. On a l’idée que ses blagues ne sont pas de vraies blagues. Un jour, il
se présente à une intervenante en lui disant qu’il ne viendra pas à son atelier parce qu’il va fuguer. Elle l’accroche, ils
montent faire l’activité prévue et tout à coup, Maxime lâche : « Ah j’ai oublié de fuguer ! » sans la pointe d’humour que l’on
pourrait attendre en pareilles circonstances.

Une autre de ses particularités est de faire circuler une parole plutôt malveillante sur les autres : entre sa famille d’accueil et
ses parents, dans une moindre mesure entre nous et ses parents mais c’est surtout entre les jeunes qu’il sème la zizanie.
La situation s’est fortement dégradée lorsqu’il a reçu un premier coup d’un autre jeune, sorte d’effraction dans le réel. En
même temps que ses lunettes, c’est, semble-t-il, son voile sur le monde qui a volé en éclats. Ses histoires horribles ont pris
le devant de la scène. Il se met alors dans une position de laisser tomber que l’on retrouve aussi au quotidien, dans sa
forme la plus pure et la moins métaphorique, puisque s’il n’est accroché à aucun intervenant ni à aucune activité, il peut se
laisser tomber par terre.

Un jour que les infirmières ne répondent pas à son appel de venir le secourir, il se plante dans la cuisine , très menaçant,
en exigeant un couteau pour se tuer. Suite au laisser tomber des infirmières, je lui propose, scandalisée, qu’il écrive une
lettre au directeur pour dénoncer l’horaire des infirmières qui partent trop tôt. Cette parole l’a remis sur pied, il s’est
rebranché en écrivant cette lettre et en allant la porter au secrétariat. Suite aux difficultés avec des jeunes du Courtil qui
fréquentent la même école, à plusieurs reprises, il a refusé de s’y rendre. De recevoir sa parole en écrivant un petit mot
dans son journal de classe à l’attention de sa titulaire, lui a permis de rejoindre l’école. Les formes sont remises à l’avant-
plan, l’écrit opère comme asséchage du sens.

L’accrochage à l’adulte est primordial dans le travail avec Maxime. Il est constamment occupé avec nous. Lorsqu’il fait une
activité, quelle qu’elle soit, il a besoin d’être accompagné par l’intervenant. S’il cuisine par exemple, il détaille tous les
mouvements comme allumer la taque, mettre la margarine dans la poêle en demandant l’approbation de l’intervenante ou
en commentant la position du manche qui doit être mise de telle façon pour la sécurité. Il commente tout ce qu’il fait,
comme si la pensée n’était pas là pour mettre à distance un inconscient qui coule à flots. C’est sans doute cela qu’il essaie
d’extraire dans le réel, via une pratique très particulière qui consiste à s’arracher avec les dents des bouts de peau d’orteil.

Au moment où il est arrivé, Maxime avait six téléphones « au cas où l’un d’entre eux tomberait en panne. » A la place de
ces six téléphones, on a mis en place, avec les moyens du bord, un système de circulation avec des points de chute très
précis au sein du Courtil. Cette circulation constitue une sorte de bord qui tient son corps. Le moment du coucher a
demandé un rituel particulier puisque c’est justement le moment de décrochage d’avec le monde. Il allait alors faire des
propositions sexuelles auprès d’autres jeunes ou boutait le feu à du papier pour enclencher l’alarme et « appeler »
l’intervenant. Une petite discussion en haut avec l’intervenant qui fait la nuit, l’amène dans sa chambre où il accepte de
rejoindre son lit à la condition que cet intervenant laisse la porte de sa chambre ouverte.

Un soir, Maxime croise l’intervenante dans le hall de nuit. Elle lui dit que les enfants ne peuvent plus circuler dans les
couloirs à cette heure-là. Il s’offusque, hausse le ton et part dans sa chambre. L’intervenante l’entend téléphoner,
s’indignant de ce qu’il vient de se passer. Après ce coup de fil, Maxime ressort de sa chambre, se plante devant la
chambre de l’intervenante en lui disant que c’est de sa faute s’il n’arrive pas à dormir parce qu’elle ne lui a pas donné une
recette d’aïoli pourtant promise durant l’été, recette dont cette collègue n’a pas le souvenir mais qu’elle improvise. Armé de
cette recette « d’aille-au-lit » que Maxime prend au pied de la lettre, il consent à aller se coucher. Nous apprendrons par
hasard qu’il a appelé son père, lui disant qu’il a eu un accident, qu’il y a des blessés graves et qu’il doit venir le chercher à
l’hôpital. Adresser ce scénario horrible (qui n’est autre qu’un accident vécu qui lui revient régulièrement dans le réel) a
permis à Maxime de se raccrocher à l’intervenante et de lui demander cette recette pour rejoindre son lit.

Maxime vient sans cesse nous montrer à quel point les significations imposées par l’Autre ne tiennent pas la route. Via une
ironie, que l’on retrouve tant dans l’obséquiosité que dans ses histoires horribles, il vise à détruire l’Autre. Même si cette
pratique ironique a comme conséquence chez certains sujets psychotiques de pouvoir se situer dans une certaine forme
de lien social, dans le cas de Maxime, l’ironie n’opère pas comme traitement car l’Autre est déjà détruit. L’opération est
nulle et n’a pas de valeur. Seuls l’écrit et certaines formules circonscrites parviennent à assécher cette descente dans le
gouffre du sens.

Un traitement par l’objet semble plus opérant dans son cas : Maxime a une passion pour la circulation des objets qu’il
chine dans les brocantes et qu’il revend. Cette circulation qui assure un lien minimal au monde sans que le sens ne soit à
l’avant-plan, semble plus apaisante que celle de la parole.

« Affinity therapy » - Rencontre avec Ron Suskind et Valérie Gay, parents


d’enfants autistes
par Maxime Annequin, Célestine Lefèvre et Claire Le Poitevin | le 19 mars 2015 | revue Numéro 17 | thème Éditorial

Pour Courtil en ligneS, Maxime Annequin, Célestine Lefèvre et Claire Le Poitevin sont partis à la rencontre de Ron Suskind
et de Valérie Gay, tous deux invités du colloque organisé par le groupe de recherche autisme (GRA) qui s'inscrit dans les
travaux du laboratoire de psychopathologie de Rennes II. Ce colloque, organisé par Myriam Perrin et Jean Claude Maleval,
portait comme titre « Affinity therapy : Recherches et pratiques contemporaines sur l’autisme » 1.

Il s’est tenu les 5 et 6 mars, à la faculté de médecine, avec la participation de nombreux praticiens auprès d’autistes, de
parents et associations de parents, de directeurs d’institutions, et surtout des premiers concernés : deux autistes, Owen
Suskind et Alan Ripaud.
Présentation de Ron Suskind par Marie Brémond

Ron Suskind, journaliste, récompensé par le prix Pulitzer, père d'un enfant
autiste Owen, et sa femme Cornelia se sont livrés passionnément à la
rencontre attentive de leur enfant, Owen, autiste, récoltant chaque détail,
rassemblés dans un livre "Life animated: a story of sidekicks, heroes and
autism" 2 . Face à l'assemblée de l'ONU, le père dira : " mon fils m'a appris la
surprise dans un pays où on nous enseigne résultat et méritocratie" 3.

Owen répète sans cesse un mot depuis ses trois ans "juicervose" et se passe
en boucle des vidéos de Walt Disney, au côté de son frère, Walt.

Un soir, regardant La petite sirène, la famille Suskind écoute Ursula faire un


pacte avec Ariel pour que celle-ci parvienne à se métamorphoser en humain :
"Cela ne te coûtera rien de plus que d'offrir ta voix !". "Just your voice !".
Owen a six ans, et sa mère vient de comprendre qu'il ne parlait pas d'un jus
(juice), depuis ses trois ans, mais de la voix d'Ariel.

Les phrases répétées d'Owen sont des dialogues de Disney, et certaines


servent à dire ce qui se passe autour de lui. Iago, la marionnette perroquet
d'Aladin, est celle que va tenir le père pour dialoguer avec son fils pendant des années. Tour à tour, les parents
accompagnent leur fils dans le visionnage des films, apprennent avec lui les répliques qui rythment leurs conversations, et
qu'il utilise peu à peu pour commenter le monde.

"Le jour, nous étions journalistes, la nuit nous devenions des personnages de dessins animés pour entrer en
communication avec notre fils" 4 confient les parents.

Owen apprend à lire en lisant les génériques de Disney, il ne sait pas écrire, mais son graphisme à lui est le dessin des
personnages animés. Son thérapeute Dan Griffin décide aussi d'inverser les rôles et d'apprendre comment Owen dialogue,
en s'adressant à Zazu, le copain du Roi lion. Aujourd'hui, Owen est dans une université spécialisée où il anime le ciné-club
Disney de l'université. "Owen a choisi ses affinités pour construire son chemin dans le monde", nous dit le père. Ces
affinités ont donné le nom à un savoir faire "Affinity therapy" ayant donné lieu à ce colloque à Rennes le 5 et 6 mars.

Il est très réjouissant de découvrir que ce qui met en émoi aujourd'hui le monde anglo-saxon sous le nom d' "affinity
therapy" est ce qui nous renvoie dans notre pratique institutionnelle, à l'invention du sujet, au coeur de notre orientation de
travail!

Rencontre avec Ron Suskind par Maxime Annequin et Célestine Lefèvre

Courtil en ligneS : Votre livre Life animated a pour sous-titre "A story of sidekicks, heroes and autism". Les personnages
secondaires — sidekicks — tiennent une grande place dans la vie de votre fils. Owen a choisi de rentrer en conversation
avec un certain nombre d'entre eux via les dessins animés de Disney depuis tout petit. Comment définiriez vous en
quelques mots son attachement particulier pour les acolytes plus que pour les héros ou même les ennemis des films de
Disney?

Ron Suskind : le discours intérieur d'Owen — "discours intérieur" est une expression de Lev Vygotsky, nous n'en avons
pas beaucoup parlé lors de ce congrès mais c'est quelqu'un d'important — ce discours intérieur existe alors que beaucoup
de disciplines pensent que les personnes autistes ne peuvent y avoir accès.
Il en va autrement pour Owen et d'autres enfants. Il a développé ce
discours intérieur dans une conversation avec les acolytes, les
personnages secondaires des films de Disney. Parmi une centaine
d'entre eux, il a choisi des personnages-clés qui, bien sur, conseillent
le héros. Leur tâche est d'aider le héros à accomplir sa destinée.
Ceux-ci sont plus variés, et intéressants que les héros dans la plupart
des fables. Les héros sont habituellement pauvres et élémentaires,
ils représentent des constructions simples, que beaucoup de gens
peuvent s'approprier et suivre tout au long de leurs parcours. Les
compagnons de ces héros sont bien plus intéressants. Owen
choisissait des personnages secondaires pour le conseiller lui, le
héros émergeant, dans des situations très diverses. Son évolution en
tant que héros a été graduelle, seulement maintenant peut-il se voir
comme le héros qu'il est devenu. Mais malgré tout, même
aujourd'hui, il sent que son lien le plus fort n'est pas avec les héros
mais avec leurs compagnons, les acolytes qui savent ce qu'il ressent
au fond de lui. Peut-être que la différence entre les héros et leurs
acolytes est artificielle, car nous sommes tous au mieux des compagnons quand nous aidons les autres à accomplir leur
destin tout en recherchant en même temps les qualités du héros en nous-même. Mais on ne se refait pas dans cette vie!
Cela fait écho à mon travail de journaliste ayant dû écrire sur la présidence et sur d'autres personnes connues
publiquement. A la minute où ceux-ci disent " je suis maintenant un héros, c'est le temps pour moi de me renouveler ",
arrive le moment de leur déclin parce qu'ils se séparent de ce qui fait leur essor et leur transformation."

Courtil en ligneS : Comment expliquez-vous que le psychologue de Owen, Dan Griffin, ait décidé de suivre les centres
d'intérêts d'Owen: les dialogues de Disney et l'usage des marionnettes tels que celle de Iago pour parler avec lui. Qu'est-ce
qui a incité ce thérapeute à prendre cette option de traitement —c'est-à-dire la thérapie par affinité — quand d'autres
thérapeutes semblaient sous-estimer le besoin d'Owen d'utiliser ces inventions pour se socialiser?

Ron Suskind: Je pense que Dan Griffin était résistant comme d'autres thérapeutes au début. Ce que Dan a constaté dans
les séances l'a pourtant intrigué et a commencé à le convaincre. L'électricité qui avait envahit l'espace du cabinet, ses
interactions avec Owen l'ont convaincu qu'il y avait quelque chose de plus là, puis il s'est mis à penser comme un
thérapeute à nouveau : comment utiliser cette énergie que lui et d'autres thérapeutes considèrent comme le Saint Graal —
c'est-à-dire cette motivation intrinsèque chez l'enfant autiste ? Les mécanismes de récompense des circuits du cerveau
d'Owen fonctionnent-ils comme ceux des autres enfants? Leur motivation est souvent difficile à exploiter dans le monde
extérieur. Dan a saisi cette motivation, très décidé à la diriger vers un panel beaucoup plus large d'interactions sociales
avec l'extérieur.

Traduction et établissement des textes par Marie Brémond.

Présentation de Valérie Gay par Bénédicte Turcato

Valérie Gay a témoigné lors du colloque "Affinity Therapy" du trajet et des inventions de son fils Théo, en particulier son
affinité pour Kirikou. Ecrivain et peintre comme elle l’indique sur son blog Médiapart5 — Valérie Gay a écrit un livre « Autre-
Chose dans la vie de Théo » pour lequel elle recherche actuellement un éditeur, qui vise à faire comprendre aux enfants et
aux adultes le monde de l’autiste. Une invitation à entrer dans le monde de son fils, par l’entremise de son premier
objet, narrateur : un T-Rex que Théo nomma « Autre-Chose ». Une rencontre pudique, toute en délicatesse, avec les
inventions de Théo et les trouvailles de sa mère pour les soutenir, les décoder au quotidien. En effet, elle n’a jamais cédé
sur son désir de se laisser enseigner par son fils sur la façon d’entrer en lien avec lui. Valérie Gay est membre de
l’association de parents la MàO, La Main à l’Oreille6, et de l’association Améthyste 7.
Rencontre avec Valérie Gay par Claire Le Poitevin

Courtil en ligneS : Vous êtes intervenue hier au colloque en tant que mère
d'un enfant autiste. Dans l'après-coup de ce colloque, qu'est ce que vous en
tirez ?

Valérie Gay : J'en retire avant tout beaucoup d'espoir et j'ai également le
sentiment apaisant de sortir de ma solitude. Enfin les querelles entre psys et
parents vont pouvoir cesser car l'Affinity Therapy va permettre à tous de
travailler main dans la main. Les psys, les universitaires, les parents, les
associations, les chercheurs et cela, dans l'intérêt de l'enfant. D'un point de
vue plus personnel, je suis très heureuse de faire partie de ce mouvement en
marche. C'est très important pour moi, et pour mon fils.

Courtil en ligneS : Ce qui n'était pas le cas avant.

Valérie Gay: Avant, j'avais le sentiment d'être isolée, d'être jugée. Il est vrai que je suis personnellement très en colère
contre les comportementalistes ABA qui m'ont fait beaucoup de mal à l'époque de l'émergence de l'autisme de mon fils.
Heureusement, tous les comportementalistes ne sont pas aussi intégristes.

Mes amis ne comprenaient pas pourquoi je restais en colère, considérant que puisque je m'en sortais bien avec mon fils, je
n'avais plus de raison de me méfier d'eux. Mais toutes ces années à me battre seule, sans soutiens, sans pouvoir
m'appuyer sur les compétences professionnelles pour me seconder, c'était dur.

Avec l'affinity therapy j'ai le sentiment d'avoir trouvé mon école de pensée, d'appartenir à un groupe, à un mouvement. Non
seulement mon fils et moi allons être soutenus, mais je vais pouvoir à mon tour aider d'autres parents, d'autres enfants à
évoluer sans violence et sans heurts à travers leurs affinités. J'aime cette idée de partage.

Courtil en ligneS : Cela vient nommer quelque chose que vous faisiez déjà ?

Valérie Gay : Tout à fait ! C'est ce que j'ai mis en place avec Théo, par instinct.

Il est arrivé un temps où il a fallu prendre des décisions quant à Théo car je ne trouvais aucune aide extérieur qui me
convenait.

Alors j'ai décidé d'arrêter de travailler pour m'occuper de lui à plein temps, et j'ai pris aussi le parti de ne pas écouter les
conseils des comportementalistes qui à l'époque envahissaient le Net. Je n'arrivais pas à concevoir qu'il fallait que j'aborde
l'éducation de mon fils par le biais de son comportement. Non, ce qui comptait pour moi c'était de partir à sa rencontre, de
découvrir qui il était.

Alors je l'ai regardé, je l'ai écouté et je l'ai suivi pour le meilleur et pour le pire. Je suis entrée dans son monde et petit à
petit, je lui ai donné les armes nécessaires pour rejoindre le nôtre. Mais pour cela, avant tout, il fallait lui donner envie de le
rejoindre.

Jamais je n'ai regretté d'avoir fait ce choix, même s'il m'a en quelque sorte enfermée dans la solitude durant plus de 9 ans.
Aujourd'hui Théo va bien, il a rejoint une école, il a des projets d'avenir, il voudrait être architecte et voudrait avoir des
enfants.

Durant ces deux jours de colloques, j'ai entendu des mots qui rendaient lisible ce que j'avais fait d'instinct toutes ces
années avec Théo.

C'est comme si on avait théorisé, et validé mes choix. Je me sens rassurée… et confiante".

Remerciements à Charles Cullard pour avoir coordonné l'équipe de correspondants à Rennes lors du colloque.

1 http://affinitytherapy.sciencesconf.org

2 Suskind Ron "life animated: a story of sidekicks heroes and autism". Mars 2014.
3 En l'honneur de la journée mondiale sur l'autisme, Ron Suskind est l'un des invités : il raconte son témoignage :
http://webtv.un.org/watch/world-autism-awareness-day-2014-opening-doors-to-inclusive-education-panel-
discussion/3426728550001/

4 Suskind Ron , "reaching my autistic son through Disney". New York Time magazine , 7 Mars 2014 :
http://www.nytimes.com/2014/03/09/magazine/reaching-my-autistic-son-through-disney.html?_r=1

5 http://blogs.mediapart.fr/blog/valerie-gay-corajoud

6 https://lamainaloreille.wordpress.com/

7 http://www.ecole-amethyste.com/

Nathalie Jaudel et la légende noire de Jacques Lacan


par Philippe Hellebois | le 06 mars 2015 | revue Numéro 17 | thème Éditorial

Ce livre 1 * fera-il événement pour d’autres, beaucoup d’autres, comme il le fit


pour ses premiers lecteurs en ce mois d’août 2014 ? C’est à espérer tant il est
à la hauteur de son objet, Jacques Lacan. Et ceci, autant par la rigueur de sa
démonstration, l’ampleur de ses sources et de ses références que par son
style. Il se lirait d’une traite si les journées étaient plus longues, portés que
nous sommes par le désir de son auteure. Nathalie Jaudel ne nous donne
pas seulement son texte, mais aussi sa voix, pour nous emporter au rythme
de sa plaidoirie vibrante, incisive et, quand il le faut, implacable.

Il fallait toutes ces qualités pour s’attaquer à la légende noire de Jacques


Lacan inventée et propagée sous couvert d’objectivité historique par Elisabeth
Roudinesco. Celle-ci en avait donné un portrait tellement accablant qu’il avait
agréablement surpris les pires adversaires de Lacan, tel un André Green de
triste mémoire (page 81). Disons même qu’il les avait comblés au point de
leur permettre de se faire remplacer par elle très avantageusement. En effet,
elle plaît beaucoup aux médias, ce qui n’était pas toujours leur cas. Essayons
d’être aussi nuancé et précis que Nathalie Jaudel : Elisabeth Roudinesco est
une historienne diplômée de l’Université française, mais elle a oublié, en
s’occupant de Lacan, tout ce qu’elle avait pu y apprendre. Elle était ainsi
passée de l’enquête à l’inquisition, instruisant contre Lacan une manière de
procès en sorcellerie.

Nathalie Jaudel porte justement le tranchant de sa critique sur un point capital


que personne à peu près parmi les plumes médiatiques censées rendre
compte de son Histoire de la psychanalyse en France, de son Jacques
Lacan, ou encore son Lacan envers et contre tout – ne s’était aventuré à
contester jusque-là : sa méthode historique. N. Jaudel ne se laisse jamais distraire par la polémique et ne procède que par
la rigueur d’une argumentation savante. La discipline historique a ses lois et ses instruments – la mémoire diffère de
l’histoire, voire s’y oppose ; le témoignage tardif n’est pas toujours la meilleure source d’être plus contemporain de
l’historien que des évènements, en tout cas il doit être discuté ; les sources écrites sont indispensables, etc. Il s’agit
d’abord de savoir comment E. Roudinesco s’en arrange.

Nathalie Jaudel commence par le commencement, soit par une critique des sources. E. Roudinesco recourt de façon
incessante, et parfois exclusive, à des témoignages oraux dont les transcriptions ne sont disponibles nulle part, ses
témoins sont en outre choisis avec une partialité manifeste, ses sources écrites sont rares. Elle relève aussi ce qui a frappé
depuis longtemps de nombreux lecteurs, soit la fréquente absence de notes – le b.a.-ba pourtant de tout historien qui se
respecte – pour étayer ses accusations les plus graves à l’encontre de Lacan.

Après le choix des sources, Nathalie Jaudel examine leur usage. Elle constate combien les interprétations manquent
quand elles sont nécessaires, ou inversement parasitent les textes d’être partielles, fausses, réduites à un jugement de
goût. Lacan, sous le crayon d’E. Roudinesco, ne serait finalement qu’un grand penseur transitoire doublé d’un perpétuel
méchant homme, écrit-elle (page 83).

Malicieusement aussi, Nathalie Jaudel parsème son livre de citations de Vladimir Nabokov et son roman La vraie vie de
Sebastian Knight que l’on ne s’attend pas à rencontrer en pareille compagnie. Il s’agit d’une trouvaille supplémentaire,
Nabokov ayant dépeint en ces pages Elisabeth Roudinesco avant sa naissance sous les espèces d’un biographe aussi
négligent que méchant, le bien nommé Mr. Goodman.

Le bonheur de cet argumentaire rigoureux n’est pas seulement dans la dissipation de l’aura nimbant la biographe
autoproclamée de Lacan, comme le brouillard d’automne par le soleil matinal – elle n’est après tout encensée que par ceux
qui ne la lisent pas –, mais aussi et surtout dans le portrait de Jacques Lacan qui s’en dégage, un portrait qui a la
splendeur du vrai. Vrai, parce que basé sur son enseignement, et splendide, de camper un homme qui n’est jamais l’ombre
de son voisin. Elle relève ainsi combien Lacan ne voulait absolument pas être biographié – le contraire de Gide –, et ceci
pour une raison bien simple qui en subsume beaucoup d’autres : la biographie comme genre est une illusion puisqu’elle
transforme l’existence en histoire, en destin, alors qu’elle n’est constituée que d’une succession de rencontres
contingentes. Autrement dit, la biographie ramène le réel au sens : « Le caractère hasardeux, accidentel, fortuit, en aucun
cas concerté, de ce qui fit la trame de son existence, Lacan ne cessera de le mettre en évidence, parce que la
caractéristique principale d’une vie d’homme, c’est d’aller “à la dérive”, car “personne ne comprend rien de ce qui arrive” »
(page 163).

Lacan, disant volontiers que le réel était son symptôme, se faisait ainsi l’enfant de l’inattendu, au plus grand dam de sa
biographe à laquelle il n’a cessé et ne cessera d’échapper. Dirait-on alors que la vivante enrage et que le mort rigole ? Non,
plutôt que la vie n’est pas où l’on croit…

* Ce texte de Philippe Hellbois a été précédemment publié dans Lacan Quotiden, n°421. Il est reproduit ici avec l'aimable
autorisation d'Eve Miller-Rose.

1 Jaudel Nathalie, La Légende noire de Jacques Lacan. Elisabeth Roudinesco et sa méthode historique, Paris, Navarin –
Le Champ freudien, 2014.

Vyara - Nevyara
par Tatyana Spassova | le 15 mars 2015 | revue Numéro 17 | thème Éditorial
« …et tu ne vas rien dire. Le langage est une source de
malentendus. »

Le Petit Prince, Antoine de Saint- Exupéry

Vyara (le prénom Vyara, ou bien Véra en bulgare, signifie ”foi” ) est
une petite fille douloureusement fragile. A un an et demi, son poids
est celui d’un nouveau-né - 3,600 kg. Elle ne parle pas et en
décembre 2013, elle est placée en institution (Foyer de soins
médico-sociaux pour enfants). Elle arrive sans acte de naissance,
sans nom de famille, mais accompagnée par le grand intérêt des
médias. Des titres tels que ”Un enfant dans un état terrifiant retrouvé
dans une baraque” ont paru dans la presse locale, ce qui enfermait
Vyara dans sa position de victime d’une mère irresponsable.

L’histoire familiale de la petite fille était tout aussi dramatique. L’enfant est le fruit d’un inceste (on apprend cela
ultérieurement), ce qui détermine l’attitude ambivalente de la mère envers sa fille. D’un côté, en accomplissant la fonction
symbolique de nomination, en lui donnant le prénom Vyara (ou Foi, une des trois sœurs de la religion chrétienne - Foi,
Espérance et Charité, décapitées au Ile siècle avant J.-C., et noms des vertus théologales), la mère donne en même temps
à l’enfant un des premiers points de départ et une des premières identifications. Elle lui donne la possibilité de rencontre
avec l’Autre du désir. Néanmoins, elle ne va pas jusqu’au bout de sa fonction symbolique, parce qu’elle n’inscrit pas son
enfant dans le registre de l’Etat et l’enfant n’obtient pas de nom de famille. De cette manière la mère de Vyara non
seulement n’assure pas de place pour son enfant au sein de la société, mais elle ne l'inscrit pas non plus dans l’ordre
symbolique.

L’accueil de Vyara au sein de l’institution était marqué par une inquiétude et une certaine angoisse tant du côté de l’équipe
faisant l’accueil, que du côté de l’enfant. Notre angoisse était liée à la confrontation à notre propre perception de ”la
normalité” - normes prescrites et indicateurs du développement de l’enfant- et à l’apparence de cette petite fille. Cette
angoisse rejoignait quelque chose de l’ordre du réel, condensé dans le corps de cet enfant si différent des autres. Vyara
était douloureusement maigre et fragile, ses jambes ressemblaient à des bâtonnets autour desquels une peau pendouillant
s’était enroulée. Les mesures corporelles – la taille, le poids, le tour de tête, étaient en dessous de la norme pour son âge.
Le retard dans le développement neuropsychique était grand. La petite fille n’arrivait pas à tenir debout, à rester assise de
façon autonome, ne se retournait pas du dos au ventre. L’enfant avait une hypotonie musculaire généralisée qui était plus
prononcée au niveau des jambes. Les mouvements des mains étaient non coordonnés. Seul le regard de Vyara ne
correspondait pas à cette image classique de dépression chez le bébé. Avec une inquiétude de plus en plus grande, son
regard se déplaçait de personne à personne, accompagné d’une grimace qui ressemblait à un sourire, mais qui était plutôt
un étirement des lèvres. Au moment où la situation est devenue insupportable pour la fillette, Vyara s’est mise à pleurer, la
tête sur le côté (de sorte qu’elle ne croisait pas mon regard), point extrême de cette angoisse. Elle s’est mise à mordre
nerveusement la paume de sa main droite. Dans son attitude et sur son visage, on percevait le désespoir et le
mécontentement liés à l’impuissance de s’opposer à cette intrusion de l’Autre dans son monde encapsulé, cet Autre qu’elle
percevait de façon subjective comme tout puissant et imposant sa volonté sur elle. Quelques temps après, des
mouvements rythmiques de succion sont apparus au niveau de ses lèvres, comme si la petite fille essayait de retrouver
l’équilibre après la tension qui s’était accumulée dans son corps ; elle s’adonnait à la jouissance de la pulsion orale.

« Le désert est beau - dit le petit prince - parce qu’il cache quelque part un puits »

Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry

Très rapidement le symptôme principal est apparu - la régurgitation de la nourriture. Vyara acceptait avec avidité le
biberon proposé avec du lait adapté, mais jusqu’au repas suivant, toute la nourriture s’écoulait progressivement de sa
bouche. Parfois, l’enfant gardait du lait dans sa bouche, comme si elle voulait prolonger la jouissance enclenchée de la
pulsion orale. Ce symptôme a commencé à prendre des proportions effrayantes pour la survie de Vyara. Non seulement
elle ne prenait pas de poids, mais suite à quelques infections elle a perdu 100 grammes. Cela a déclenché un
”enthousiasme” médical qui visait le diagnostic et la thérapeutique. On a commencé à effectuer des perfusions
intraveineuses qui assuraient la survie de l’enfant au niveau des fonctions corporelles. De longues hospitalisations ont eu
lieu, ainsi que de nombreuses consultations avec des spécialistes. Le chirurgien était persuadé que l’enfant n’avait aucune
malformation au niveau du système digestif et que cela ne pouvait pas être la cause de son symptôme.

Une scène a donné une nouvelle direction à mes réflexions et une nouvelle évaluation par rapport au symptôme de
l’anorexie du nourrisson. Un matin, on était trois personnes autour du lit de Vyara - l’infirmière, la psychologue de
l’institution (Véronica) et moi-même. A ma question ”Comment va aujourd’hui Vyara”, l’infirmière explique que l’enfant avait
de nouveau régurgité. Déçue, je me suis retournée vers la fillette en lui demandant ”Mais pourquoi est-ce comme ça, Vyara
?”. Véronica me répond alors : ”Parce qu’elle est Vyara-Nevyara /en français cela se traduirait Foi – Non Foi /”. J’étais
fascinée par cette réponse, parce que j’avais l’impression que Véronica avait nommé, avait désigné quelque chose de
spécifique pour Vyara, notamment en ce qui concerne son rapport à l’Autre, quelque chose qui me donnait des indices sur
les causes de son symptôme. Vyara, elle aussi avait l’air fascinée, parce que quand Véronica lui a chatouillé la plante du
pied, elle n’a pas retiré brusquement sa main, ce qu’elle fait habituellement pour montrer que cela ne lui plait pas. Vyara a
déplacé un peu son pied avec un sourire délicat. De cette manière, Véronica a obtenu un statut privilégié.

J’ai décidé de revisiter le début de l’histoire familiale de Vyara, là où s’est noué le nœud de son corps avec le langage.
Quand Vyara apparait au monde, elle est marquée par le signifiant ”fruit d’un amour interdit”, ce qui a entraîné une
incessante oscillation entre le statut de l’objet du désir de l’Autre maternel et le statut de l’objet déchet. Elle est Vyara -
Névyara / Foi, Croyance – Non Foi, Croyance /, parce qu’elle a rencontré un Désir - Non Désir. En rencontrant, après sa
naissance, un Autre maternel capricieux et insuffisamment désirant, sans accès au symbolique, on pourrait faire
l’hypothèse que Vyara essaye probablement de ”disparaître” à travers son symptôme d’anorexie du nourrisson.

« C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante »

Le Petit Prince, Antoine de Saint- Exupéry

Ma confiance en la science ayant atteint ses limites, je me suis mise à rencontrer Vyara plus longuement sur les conseils
de Vessela Banova. Lors d’une des premières rencontres avec Vyara, en dehors de mes activités professionnelles, je lui ai
raconté l’origine de son prénom. Les fois suivantes j’ai essayé de lui présenter l’histoire de son arrivée dans l’institution
sous forme d’un conte, en l’appelant ”Petite Poucette”. Au début Vyara percevait ma présence comme une intrusion. J’ai
constaté que si je me mettais à côté de son lit, à un demi mètre de distance, elle se sentait apaisée et sécurisée. Quand je
lui tendais un jouet, elle dirigeait sa main la paume en avant, comme si elle voulait à la fois prendre et repousser l’objet.
Juste avant de toucher le jouet, elle retirait sa main. Ce comportement correspondait à son attitude face à l’objet anal.
Vyara était constipée, c’est-à-dire elle disait ”Non” à la demande de l’Autre. J’ai découvert le hochet préféré de Vyara.
C’était un hochet qui produisait les sons d'une mélodie et le bruit d’une sonnerie, en différence du bruit mécanique que
produisaient les autres hochets. C’est là, que s’est dégagé l’objet voix, notamment la voix de l’Autre, quand elle lui était
adressée directement. Le seul moyen de l’extraire de l’indifférence et de provoquer son regard, c’était de l’appeler par son
prénom avec une douce intonation. Quand je rentrais dans la chambre, je la saluais en me tournant vers elle ” Salut,
Vyara”. Elle haussait la tête, me regardait quelques secondes et souriait. Si je continuais à lui parler, elle continuait à me
regarder, mais dès que j’arrêtais, elle baissait la tête. Quand je partais, en lui disant ”Au revoir”, elle me regardait à
nouveau et me suivait du regard jusqu’à ce que je quitte la pièce, mais elle ne pleurait jamais après moi.

Vyara passait du temps aussi avec l’enseignant de musique Tzvétanka qui trouvait qu’elle avait le rythme. J’ai appris par la
psychologue que Vyara ne se reconnaissait pas dans le miroir mais qu’elle observait avec intérêt les reflets des visages et
des objets. Véronica avait remarqué qu’aux moments où elle jouait, promenait ou posait Vyara devant le miroir, l’enfant
était calme et souriant. Ceci était possible à condition que la voix de la psychologue l’accompagne. Quand Véronica
cessait de parler, Vyara se fâche et son visage devient différent. Cela m’amène à la question ”Que représente la voix de
l’Autre pour Vyara ?”. Est-ce que la voix venant de l’Autre est le point d’appui dans la relation qu’elle essaye de construire
avec L’Autre ? Ou bien cette voix la protège de quelque chose de sombre, qui menace de l’avaler ? Est-ce que les mots
venant de l’Autre sont comme le jouet tendu, quelque chose qu’elle peut prendre de lui ?

C’est ainsi que progressivement et sans nous en apercevoir Vyara a commencé à prendre du poids. Actuellement elle fait
6kg. Le symptôme de la régurgitation n’a pas disparu mais apparait de plus en plus rarement. C’est trop tôt pour que l’on
saute de joie. Un nouveau symptôme est apparu - ”les pneumonies inhabituelles”. Vyara est tombée malade d’une série de
pneumonies atypiques. Elles apparaissaient subitement, sans fièvre, sans toux, l’enfant étant dans un bon état général. Je
plaisantais, en disant que nous avons sauvé Vyara du déficit d’attention mais en même temps nous l’avons ”étouffée”
d’attention. J’étais très surprise quand après une série de radiographies et de consultations, le consultant national de
pédiatrie pose le diagnostic de « pneumonies d’aspiration », des pneumonies provoquées par la présence de petites
parties de nourriture dans les voies respiratoires de l’enfant. La pulsion orale, qui représentait le socle du symptôme de
régurgitation, réapparaissait sous une autre forme. Ce n’était pas le seul masque sous lequel nous retrouvions la pulsion
orale. Depuis peu, on observe un jeu que Vyara fait avec sa propre salive. Elle garde la salive en bouche, en faisant des
mouvements en avant et en arrière jusqu’à ce que cela provoque une grande écume. Une question est apparue : ”Quel est
le statut de cette salive ? A-t-elle le statut de l’objet autistique, remplaçant les mots qui sortent de la bouche, ou bien s’agit-
il d’autre chose ?”.

En conclusion, j’aimerais souligner que Vyara est une petite fille de deux ans, qui ne parle pas mais de qui et à qui on
parle. C’est une petite fille portant le prénom d’une vertu, mais qui est le fruit d’un amour incestueux. Ce signifiant l’a
marquée et suite à sa rencontre avec un Autre maternel capricieux et pas assez désirant l’enfant a oscillé entre le statut
d’objet du désir et d’objet déchet, sans avoir accès au symbolique. Cet enfant s’est retrouvée fixée dans une prise mortelle
de la jouissance de la pulsion orale. Malgré les petits pas de succès, telle la prise de poids, Vyara est toujours en risque. Il
reste la question ouverte ”Comment pourrions-nous limiter l’influence de la pulsion orale et faire bouger Vyara de cette
position ?”, parce que l’enjeu est très grand - la vie d’un enfant.
Le bowling comme escabeau
par Jean-François Lebrun | le 17 mars 2015 | revue Numéro 17 | thème Éditorial

Antoine me parle fréquemment de son stage à la ferme. J’ai pris sur


moi un jour de lui en demander des nouvelles, ce qu’il y avait fait ces
derniers jours. Sa réponse a fusé, laconique : « De tout ». Comme
j’essayais d’en savoir davantage, il a répété : « Eh bien, de tout ! » en
une fin de non-recevoir radicale. J’avais négligé de lui laisser
l’initiative. Lorsque c’est le cas, il peut consentir à l’échange, il peut
accepter d’évoquer ses activités, et il peut même rapporter des
anecdotes. Je suis souvent surpris de son entrée dans la parole.

Antoine aura bientôt vingt ans. Arrivé enfant au Courtil, dans une
position de retrait autistique, ce sujet a pu s’ouvrir et développer
certaines modalités de lien à l’autre. Relevons actuellement deux
appuis : d’une part, le maintien d’un stage à la ferme, et d’autre part
une activité d’élection : aller jouer au bowling.

Quelques traits qualifiant une position subjective


Plusieurs éléments convergent pour former une position schizophrénique. Il utilise un langage babil enfantin. Avare de
paroles, il lui est difficile d’adopter une position d’énonciateur ou d’exprimer des affects ; il se soustrait à la demande de
l’autre.

Antoine est très sensible à la faille qui surgit dans l’Autre. Dans les moments de flottement, lorsque la chaîne s’interrompt,
une jouissance délocalisée, menaçante, s’empare de lui. Il ne tient plus en place. Il se retourne alors contre le semblable, il
l’ennuie, le titille, et l’insulte peut surgir. Il ne s’agit pas d’une position de persécution paranoïaque : simplement il localise
dans le petit autre présent la jouissance énigmatique, et peut bousculer ou frapper celui-là même avec qui il s’entendra
l’instant d’après. Toutefois, il ne fait pas bon se trouver en opposition frontale avec lui : il est arrivé qu’il mette à mal son
« rival », adulte ou jeune.

Une réponse que l’on peut qualifier d’ironique envers l’Autre vient apaiser ce rapport en miroir avec ses pairs. A l’adulte,
l’intervenant, il adresse de petites blagues, toujours les mêmes, et s’amuse de la surprise ainsi créée. Comment habiter un
corps qui n’a pas été pris dans les mailles du signifiant ? Comment éprouver des sensations corporelles comme avoir
chaud l’été, froid l’hiver, être trempé sous la pluie, ou encore, avoir besoin de se laver, de se changer ?

Antoine n’a pas connu son père, dont la mère se sépare lorsqu’elle est enceinte de trois mois. Le nouveau-né arrive dans
une vaste famille matriarcale centrée sur la grand-mère maternelle et regroupant sa mère et la vaste fratrie de celle-ci.
Dans ce milieu, l’enfant n’est guère pris en compte. C’est seulement après s’en être éloigné, dans le cadre d’un projet
d’autonomie de la mère, qu’Antoine commencera à parler. Sa première parole aurait été un « papa » adressé à un frère de
sa mère.

« Lorsqu’il était bébé – dira sa mère lors de l’entretien d’admission d’Antoine au Courtil - on ne l’entendait pas. Il pleurait
pour le biberon et c’est tout. » Elle évoque un enfant en position de refus face à toute demande, qui n’obéit pas, qui ne tient
pas en place et qui a des difficultés à s’endormir. Des observations anciennes évoquent quelque chose qui a pu poser
problème au niveau de ce qui s’entend, mais ce n’est pas établi. D’autres semblent rapporter que lorsqu’elle est réglée, la
voix n’est pas intrusive : lire une histoire à Antoine, ou même, lire une histoire en néerlandais. De même, se situer dans le
bain sonore d’une conversation ne lui pose pas problème. Son intégration au Courtil a soutenu et développé son entrée
dans la parole, mais non sans le branchement et la présence de l’intervenant. En prenant appui sur les intervenants, il a pu
passer, progressivement, d’un chaos indifférencié à un monde un peu plus structuré. Il a accédé progressivement au
langage. Parler de défense face au langage renvoie plutôt à un recul face à l’énigme de l’Autre, énigme de sa demande, de
son désir. Ce qui est problématique pour lui, ce n’est pas ce qu’on lui demande, mais qu’on le lui demande. Il va dès lors se
soustraire à l’interlocution. De même, il se tient à distance de l’affect. Ainsi peut-il évoquer, avec un égal sourire détaché,
un événement dramatique (« Je n’ai jamais connu mon père » et plus récemment « ma grand-mère est décédée » pour
préciser quelques jours plus tard qu’il n’ira pas aux obsèques) ou une mésaventure (gagner la ferme à vélo par une pluie
battante et sans manteau).

Le trouble du langage dont Antoine est affecté rend sa parole difficilement compréhensible. Toute tentative de mener une
conversation avec lui rencontre cette barrière radicale. L’interlocuteur se trouve bientôt « largué », ne comprenant plus rien.
Dans le langage-babil qui est le sien, en effet, prédomine la sonorité des voyelles au détriment de celle des consonnes.
Quant à celles-ci, certaines seulement sont sélectionnées, pour en représenter d’autres (ainsi « T » représente
indifféremment « C », « Q », « S », « T», « F » ; de même « Z » représente « Z », « V » ; etc.) Ainsi demandera-t-il un
zerre de tota tola . L’impression s’en retire d’une faible discrimination entre les sons de la part du sujet.

Cependant, il aurait été entendu une fois, une seule fois, formant parfaitement le mot prononcé, pour le reprendre aussitôt
après dans sa prononciation particulière. Aussi pouvons-nous y voir un trait d’ironie : prendre l’autre dans les filets de
l’incompréhensible. Demandons-nous également si ce parler dégradé ne viendrait pas témoigner d’une attitude défensive :
comme si le refus d’entrer dans l’univers signifiant, choix insondable, impliquait d’ignorer les discriminations sonores, de
faire fi de la structure d’opposition signifiante, de refuser la valeur différentielle du signifiant.

L’absence du shifter « Je » signale une difficulté radicale par rapport à une position d’énonciateur. Refuser les mots du
langage le cantonne à une désignation élémentaire, aux énoncés très simples d’un monde peu différencié. Antoine ne
semble pas évoluer dans un monde où le signifiant représente un sujet pour un autre signifiant. La prise à la lettre laisse
peu de prise à l’imaginaire ; elle ne permet pas ou très difficilement une articulation signifiante, chaque terme paraissant
plutôt comme un S1 déconnecté d’une chaîne. Comment, d’ailleurs, appréhender la différence sexuelle : « lui » renvoie
aussi bien à un sujet masculin, ou féminin, ou à un objet…

L’appui pris sur une activité d’élection : le jeu de bowling

Antoine étant scolarisé en journée, nous avons été confrontés à un intérêt grandissant de sa part pour le jeu de bowling.
Cette activité a émergé progressivement au retour de l’école, parmi d’autres jeux comme jouer au billard, jouer à la balle,
au football etc…. Curieusement, cette activité, qui a pris de plus en plus d’importance à la résidence Sakharov, ne semble
pas avoir été pareillement investie auparavant. Il formulait chaque jour la demande de cette activité. En fait de demande, il
s’agissait plutôt d’une affirmation : « Moi, il veut aller au bowling » - ne souffrant pas de délai.

Il supportait difficilement au début que l’activité n’ait pas lieu dans l’instant ; l’ajourner d’une demi-heure lui était compliqué.
Pour accélérer le départ en activité, il pouvait se mettre à recruter d’autres jeunes, une stagiaire, un intervenant, et aller
chercher la clé du véhicule. Une fois la partie achevée, il en redemandait aussi bien une autre, à croire qu’il aurait pu
continuer indéfiniment ; au besoin, il y allait de son argent de poche. Le jour où l’intervenant s’est trouvé sans le budget
nécessaire, Antoine a pu aller jusqu’à avancer lui-même pour tout le groupe l’argent de la partie. Nous nous sommes
interrogés sur le statut qu’avait pour lui cette activité : s’agissait-il, dans le circuit de la boule qui part et revient, de la
tentative indéfiniment réitérée d’inscrire un fort-da, un battement ?

L’activité s’est étoffée : il a acquis une boule personnelle et le sac approprié ; il a reçu d’un joueur la paire de chaussures
adéquates ; il a demandé qu’on l’inscrive à un club où il a donc acquis de la technique ; il est devenu un habitué des pistes.
A présent, cette activité est presque quotidienne. Cependant, il n’y a pas chez lui d’investissement particulier sur « sa »
boule de bowling : il peut très bien l’emporter et, une fois arrivé au club, en utiliser une autre. Si le score obtenu pouvait
l’intéresser au départ, et le valoriser, ce n’est plus vraiment cela qui le captive. Bien qu’ayant de la technique, il peut
réaliser de très bons résultats comme des scores très médiocres, sans en paraître autrement incommodé. La boule
envoyée, à peine regarde-t-il sa course sur la piste.

Ce qui l’intéresse c’est le lancer - lancer la boule - qu’il envoie non sans une réelle maîtrise technique mais un peu
n’importe comment, sans trop viser. Sa boule envoyée sur la piste, il y a chez Antoine comme une jubilation. Elle vient
signaler la dimension libidinale à l’œuvre dans cette détente par laquelle Antoine envoie la boule sur la piste.

Mais ce n’est pas tout. S’il arrive qu’il aille jouer tout seul, ce n’est jamais qu’un pis-aller : « jouer seul ce n’est pas drôle »
dit-il. Un véritable amateur va se concentrer sur sa visée, sa technique, son résultat ; il va tenter de s’améliorer. A Antoine,
il faut des partenaires de jeu - jeunes, stagiaire, intervenant. Aussi insistera-t-il pour embrigader l’intervenant dans la partie.
C’est ainsi que le cadre du bowling lui permet de participer à un jeu pacifié avec des petits autres, en s’intéressant même
aux coups réalisés et à leurs résultats.

C’est la règle du jeu, avec la succession ordonnée des tours de chacun, qui vient opérer pour lui un réglage dans le lien à
l’autre. Cette activité ressemble à une pratique de bord : l’objet boule, comme prolongation du corps, a pour effet de
condenser la jouissance, venant réaliser une connexion avec l’autre du jeu, moyennant quoi il devient possible de faire lien.
Un nouage RSI peut s’en déduire, la règle venant limiter la jouissance articulée au jeu de boule avec les autres. Antoine
paraît avoir fait du bowling son piédestal sur quoi il monte "pour se faire beau ", ce que Jacques-Alain Miller, à la suite de
Lacan, a nommé un escabeau. L'escabeau, concept transversal, traduit de façon imagée "la sublimation freudienne, mais
à son croisement avec le narcissisme.(...) L'escabeau est du côté de la jouissance de la parole qui inclut le sens"1
L’appui pris sur un stage à la ferme
Un stage à la ferme est venu clore une période d’inaction. Une dégradation de sa situation scolaire, liée notamment à
l‘incompréhension de certains enseignants, avait conduit à sa déscolarisation. Cet arrêt a malheureusement laissé en
friche son intérêt pour le savoir. Le stage se maintient depuis un an et demi. Nous nous étions demandé lors de son
passage en Appartement de quelle façon il allait pouvoir se passer de la présence constante de l’intervenant : comment
allait-il se lever, prendre son déjeuner, et se préparer pour arriver à l’heure à la ferme…Il semble que cela tienne.

Ce n’est pas l’intérêt pour l’agriculture, l’élevage des animaux ou les tâches agricoles qui le mobilisent : confronté seul à un
travail à exécuter, il va décrocher. Livré à lui-même, il peut s’endormir. Il lui faut le corps de l’autre. Il lui faut une présence
effective, et il la trouve en la personne du fermier. Il se branche sur Bernard le fermier. Le petit monde de la ferme lui est
devenu familier, avec la succession ordonnée des tâches. C’est ainsi que centré sur le fermier, il peut exécuter à la ferme
des travaux qu’à l’école, dans les ateliers professionnels, il refusait.

Un autre aspect de cet appui trouvé à la ferme se dégage des petites responsabilités qui lui sont confiées, autour des
activités d’équitation organisées à l’intention de classes d’enfants handicapés. Antoine a reçu la tâche, dont il s’acquitte
très bien paraît-il, de veiller à ce que les poneys soient bien sanglés, que chaque enfant soit bien installé sur la selle, et
ainsi de suite. Après quoi il s’agit de mener l’équipage dans le tournage en rond de la piste. Il s’agit de veiller au bon
déroulement du circuit. Antoine aurait semble-t-il trouvé là une place, prenant appui sur l’appui qu’il représente lui-même
auprès de ces petits autres.

Antoine utilise un langage qui équivaut plutôt à un codage de la réalité : les mots désignent des objets, tout comme le
signe renvoie à quelque chose. D’où son attrait pour tout ce qui équivaut à un code, un mécanisme, une marche à suivre,
un mode d’emploi, tout ce qui renvoie à une succession réglée d’étapes ou d’opérations. Il a beaucoup utilisé cet intérêt
envers les mécanismes pour traiter l’intervenant -décontenancer l’Autre et rire de son inconsistance : faire sonner le
téléphone, actionner l’ouvre-porte, le démarreur de la voiture, subtiliser un GSM et appeler un numéro au hasard. Ainsi
peut-il « dialoguer » avec ses correspondants de Facebook au moyen d’un répertoire stéréotypé.

Surprenantes sont les prises de parole qui surgissent, spontanées, comportant comme une adresse à l’autre et fusant de
préférence au milieu d’un bain sonore. On a alors comme l’émergence d’un sujet. Je me suis trouvé très surpris lorsqu’au
milieu d’un groupe Antoine m’a lancé, en son jargon : « Qu’est-ce qu’on fait vendredi ? » Il m’a fallu un temps pour saisir à
quoi cette question référait. Quelques temps auparavant, dans le cadre de sa demande de tutelle, conditionnant l’obtention
d’une allocation pour handicapé, je l’avais accompagné chez l’expert psychiatre, puis chez le juge du Tribunal d’Instance.
Celui-ci nous avait précisé la date du prononcé, indiquant que notre présence n’y était que facultative. Elle tombait un
vendredi, ce qu’Antoine avait parfaitement retenu.

1 Miller, Jacques-Alain, "L'inconscient et le corps parlant", La cause du désir, n°88, p. 111.

Boyhood
par Céline Aulit | le 18 mars 2015 | revue Numéro 17 | thème Éditorial
Boyhood, c'est une traversée, celle de Mason, petit funambule de 6
ans qui souffle ses 18 bougies à la fin du film. Mais Boyhood, c'est
aussi et peut-être avant tout le projet aussi magique qu'étrange de
Richard Linklater, son réalisateur qui a souhaité être au plus près de
cette période de l'enfance en filmant les mêmes acteurs durant douze
ans. Il célèbre les petits événements éclairs de la vie, la beauté du
temps qui passe. Les changements physiques des acteurs ne nous
échappent pas et participent à l’intensité de ce film de près de trois
heures où l’on ne s’ennuie à aucun moment. La maturation de la voix
de Mason en est un exemple très marquant. Cette prouesse
cinématographique passe par le désir du réalisateur qui traverse la
caméra et vient nous frapper de plein fouet. Il s’agit avant tout d'en
faire un parcours vivant, sans en figer l'un ou l'autre moment, le scénario n’étant lui-même pas écrit à l’avance puisque les
acteurs eux-mêmes participent à la fabrication du film.
Dans cette œuvre, il est donc surtout question de vie. Mason et sa sœur parcourent une enfance entre leurs deux parents
séparés. Le père, à l’allure désinvolte, investit beaucoup la relation avec ses enfants autour de ce qu’il peut leur
transmettre. En ce qui concerne la mère, jamais ses enfants ne semblent avoir été mis à la place d'objet venant combler et
obstruer la voie du désir, reprenant tardivement des études et tentant des relations de couple vouées à l’échec. Ce film
d’une certaine façon montre à quel point l’aspect désirant se transmet davantage par des actes que par des paroles.
Certains signifiants figent et cristallisent des identifications mais les actes que posent tour à tour les parents de Mason lui
ouvrent une voie à la création, au choix de la façon dont il appréhendera le monde.

Nous pourrions nous laisser aller à interpréter l’une ou l’autre scène de cette enfance loin d’être simple. Mais c’est
précisément ce que nous ne ferons pas car d’une part quelle enfance est vraiment simple ? Et d’autre part, ce n'est sans
doute pas tant ce chaos qui est à épingler que le vivant qui s'en dégage. Pas de mélodrame mais des images justes qui
racontent une vie. Beaucoup de choses ratent et pourtant un désir certain parcourt le film, le raté étant une des façons de
dire, de toucher l'inconscient comme le souligne Hélène Bonnaud.1

1 Bonnaud Hélène, L'inconscient de l'enfant, du symptôme au désir de savoir , Paris, Edition Navarin - le Champ freudien,
2014.

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