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et urbain depuis déjà plus d’un siècle. Bien au-delà des expérimentations L’approche historique est plurielle ; elle relève d’un héritage hybride entre
de la contre-culture, dont elle apparaît généralement comme un épiphé- une histoire de l’architecture orientée « énergie-environnement-climat »
nomène, elle trouve des antécédents conceptuels et expérimentaux dès la d’un côté et « technologie-infrastructure » de l’autre. Le premier ensemble
fin du xixe siècle. Ce rêve a été celui de grandes figures du monde de l’in- est traditionnellement tourné vers l’analyse des formes de l’habitat verna-
génierie, de l’industrie et de l’architecture. Dès que la question de la dis- culaire en fonction des identités climatiques, et essentiellement focalisé
tribution et de la connexion à grande échelle s’est posée, le projet de la sur les rapports, dits passifs, illustrés par les travaux de Victor Olgyay ou
déconnexion est apparu. Ses protagonistes articulaient deux ambitions : se d’Amos Rapoport5. Le second se structure en donnant toute sa préémi-
couper de l’emprise des grands réseaux et garantir, par l’intermédiaire d’un nence à la question de la technologie et de ses progrès. À partir du milieu
système de services intégré au bâti, un minimum vital (eau, électricité, cha- des années 1960, l’ingénierie devient l’élément essentiel du rapport entre
leur). Comment s’articule cette autre histoire des services ? Quels en sont l’architecture et l’environnement. James Marston Fitch, Leo Marx6 et plus
les figures de proue et les projets de référence ? radicalement encore Reyner Banham vont faire apparaître la technolo-
Son cheminement est marqué par des réalisations aussi étonnantes que le gie au premier plan. Mais si Banham, dans L’Architecture de l’environne-
système mécanique autonome de John Adolphus Etzler en 1841 ou la mai- ment bien tempéré 7, examine l’architecture du point de vue de ses services,
son électriquement autonome de Thomas Edison en 1912. Théoriquement il n’aborde pas la question des réseaux, ni celle de l’autonomie énergétique.
et techniquement fragiles, les caractéristiques de ce renouvellement éner- Pour ce qui est de la connexion, l’histoire et la théorie de l’architecture et
gétique se sont accentuées au xxe siècle. Mû par les avancées technolo- de la ville sont relativement discrètes sur leur rapport au réseau, alors qu’il
giques et le contexte de crise sociale de la fin des années 1960, le mouve- constitue un élément fondamental du projet urbain et territorial, dans la
ment de l’autonomie énergétique arrive à une maturité internationale au réalité comme dans la fiction. Il faut alors se tourner du côté des historiens
lendemain du choc pétrolier de 1973. Fortement impulsée par la contre- des techniques, qui ont fait de l’extension des connexions le phénomène
culture américaine, l’autonomie quittera cet espace-temps pour se pro- majeur de la modernité. Le branchement à l’espace réseau a notamment
pager géographiquement, remontant des filières plus institutionnelles et été théorisé par Gabriel Dupuy dans L’Urbanisme des réseaux. Théories et
poussant ses propres limites, de l’unité domestique à la ville-territoire. La méthodes8 , où il établit l’avènement de la « cité des réseaux » en éclairant les
maison autonome d’Alexander Pike ou la cité auto-énergétique de Georges rapports que l’urbanisme entretient avec leur progression. Mais le système
Alexandroff attestent de la puissance du concept, qui conjugue virtuosité réseau y reste le modèle à défendre et à améliorer. La connexion l’emporte.
technique et projet économique, politique, social et environnemental, dans Lorsque la déconnexion est évoquée, elle n’est jamais « projet », rares sont
un renversement critique de l’ordre technologique hérité. L’autonomie ses valeurs de distinction positives. Elle apparaît le plus souvent comme le
énergétique a fonctionné comme une fabrique d’idéalité rurale et urbaine : négatif de la connexion : elle est non désirable, marginalisante, punitive.
retour d’une nature nourricière, autogarantie des nécessités vitales, écono- C’est la situation des exclus, de ceux qui sont à l’écart des normes d’accès
mie de la quotidienneté, relocalisation des ressources et cogestion. aux services essentiels. Il y a eu pourtant, à certaines périodes de l’histoire,
Sous le prisme du rapport connexion versus déconnexion, la première partie la revendication de l’autonomie comme projet technique, architectural et
de cet ouvrage proposera une mise en perspective historique du thème, depuis politique, bien différent d’une autonomie « subie » (la maison isolée géo-
les origines de la cité assainie, raccordée ou câblée, au début du xixe siècle, graphiquement ou socialement, qui doit se débrouiller sans le réseau). En
jusqu’au moment où la consommation énergétique devient l’objet d’une gou- ce sens, être déconnecté et être sans réseau ne sont pas la même chose. La
vernementalité réfléchie, et le raccordement aux infrastructures urbaines, déconnexion est un projet de nos sociétés modernes.
un modèle d’alimentation générique. Élément structurant de la planifica- Aujourd’hui la problématique environnementale et l’accélération des
tion urbaine et territoriale, la prise en compte du réseau énergétique dans la recherches prospectives sur la métropole post-carbone nous invitent
théorie urbanistique sera interrogée tout en éclairant quelques propositions à l’introspection disciplinaire quant à l’héritage de cet urbanisme des
favorisant l’autonomie. La seconde partie, en suivant l’évolution des pro- réseaux, faisant ressurgir des problèmes qui semblaient résolus depuis long-
grammes et des échelles, analysera la décennie d’expérimentations archi- temps. L’évolution des modes de vie (économies d’énergie, décroissance)
tecturales 1970-1980, qui a participé à l’éclatement du cadre énergétique et les avancées techniques questionnent les limites du modèle d’organisa-
moderne. tion et de gestion des services urbains conçu pour la croissance et selon des
remerciements 5
sommaire 7
i n t r o d u c t i o n 9
cha p it re I connexion versus déconnexion 16 —
La capture énergétique du territoire 19 / Le réseau-filet 19 / Conquête et maîtrise
des flux 23 / La ville de service 25 / Connexion et coercition 29 / Paysage embrouillé 35
/ Un élément structurant de la planification urbaine et territoriale 41 / Réorganiser
la rue et assurer le branchement 43 / Une utopie réticulaire de grande échelle 47 /
La rationalisation du noyau de services 55 / La modernité est branchée 64 / La cité des
abonnés, du monopole privé au service public 71 / Un mécanisme de la biopolitique 73
— Être débranché. Genèse d’une nouvelle utopie technique 78 / Autonomie et
autarcie 78 / De la colonie de peuplement à la planification de plus larges ensembles
agro-industriels 80 / L’Éden mécanique de John Adolphus Etzler 82 / La tentative de
Thomas Edison 85 / Frank Lloyd Wright, la quête de l’autosuffisance ou la connexion
« a minima » 88 / L’appel de Leberecht Migge : « Tous autosuffisants ! » 92 / L’optimisme de
Richard Buckminster Fuller 94 / Quel programme énergétique pour la maison du futur ? 103
— Vers un affranchissement énergétique 109 / Mobilité et connexion 110 / Du
« clip-on » au « plug-in » 113 / L’eldorado électrique 117 / L’illusion d’une déconnexion 120 /
Une dystopie de la connexion 123 / Positivité du nomadisme et déterritorialisation 125 /
Les technologies de l’espace dans la prospective architecturale 128 / Fixation domestique 133 /
L’autosuffisance des environnements artificiels 140 / Du jetable au durable 145 / Critique de
l’orthodoxie technique moderne 149 |
n o t e s 285
Index 307 |