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Gary Taubes
--- Lindou Joe (lacierar@yahoo.fr) ---
Traduction: Florence Ludi
Conception graphique et réalisation: Catherine Julia (Montfrin)
Illustrations: Idée Graphic d’après les dessins originaux d’Ellen Rogers
Imprimé par Qualibris/France Quercy à Mercuès
PREMIÈRE PARTIE
UNE QUESTION DE BIOLOGIE ET NON DE PHYSIQUE
Chapitre 1
Surpoids et pauvreté: un paradoxe?
Chapitre 2
Les très subtils bienfaits de la sous-alimentation
Chapitre 3
Les très subtils bienfaits de l’activité physique
Chapitre 4
L’importance de vingt calories par jour
Chapitre 5
Pourquoi moi? Pourquoi là? Pourquoi à ce moment-là?
Chapitre 6
La thermodynamique pour les nuls (1)
Chapitre 7
La thermodynamique pour les nuls (2)
Chapitre 8
«C’est tout dans la tête»?
DEUXIÈME PARTIE
INTRODUCTION AUX FONDAMENTAUX DE LA PRISE DE POIDS
Chapitre 9
Les lois de l’adiposité
Chapitre 10
Digression historique (1): la lipophilie
Chapitre 11
Introduction à la régulation des graisses
Chapitre 12
Pourquoi l’un(e) grossit et l’autre pas (ou vice versa)
Chapitre 13
Ce que nous pouvons faire
Chapitre 14
Cercles vicieux, cercles vertueux
Chapitre 15
Pourquoi les régimes marchent… ou pas
Chapitre 16
Digression historique (2): les glucides adipogènes
Chapitre 17
Faut-il privilégier la viande ou les végétaux?
Chapitre 18
La nature d’un régime sain
Chapitre 19
Un régime? Non: un mode de vie!
QUESTIONS FRÉQUENTES
ANNEXE
Régime «zéro sucres, zéro féculents»: partez du bon pied
BIBLIOGRAPHIE
En 1934, une jeune pédiatre allemande du nom de Hilde Bruch part pour
l’Amérique, s’installe à New York et s’émeut, comme elle l’écrira plus tard,
du nombre d’enfants en surpoids qu’elle y voit – «des enfants vraiment gros,
pas seulement dans les cliniques mais aussi dans les rues, dans le métro et
dans les écoles.» La vision d’enfants en surpoids est alors si prégnante à
New York que d’autres immigrants européens en demandent la raison à
Bruch, supposant qu’elle pourra leur fournir une explication. Mais qu’ont
donc les petits Américains? Pourquoi sont-ils si gros? Nombre d’entre eux
n’ont jamais vu autant d’enfants comme cela.
Aujourd’hui, alors qu’il est impossible d’ignorer que le monde entier se
trouve au beau milieu d’une véritable épidémie d’obésité, c’est en
permanence que se pose ce type de questions, à l’égard des enfants comme
des adultes. Pourquoi sont-ils si gros? Peut-être vous demandez-vous
pourquoi vous-même êtes atteint(e) de surpoids?
Mais revenons au New York du milieu des années 1930. C’était vingt ans
avant l’apparition des premiers restaurants franchisés comme Kentucky Fried
Chicken ou McDonald’s et la naissance du fast-food tel que nous le
connaissons aujourd’hui. Un demi-siècle avant la malbouffe, les portions
XXL et le sirop de glucose-fructose. En 1934, on se trouvait au plus profond
de la Grande Dépression, c’est-à-dire dans une période marquée par un taux
de chômage tel qu’on n’en avait jamais connu jusqu’alors et où de longues
files d’attente devant les soupes populaires étaient monnaie courante. Aux
États-Unis, un ouvrier sur quatre était sans emploi. Six personnes sur dix
vivaient en-dessous du seuil de pauvreté. À New York, où Bruch et ses
compagnons d’immigration étaient choqués par l’embonpoint infantile, on
disait qu’un enfant sur quatre était mal nourri. Comment cela était-il
possible?
Un an après son arrivée à New York, Bruch ouvrit à la faculté de
médecine et de chirurgie de l’université de Columbia une clinique
spécialisée dans le traitement de l’obésité infantile. En 1939, elle publia le
premier d’une série de rapports présentant les études très poussées qui
avaient été conduites sur les nombreux enfants obèses qu’elle avait traités,
malheureusement sans succès dans la plupart des cas. Les entretiens menés
avec ses jeunes patients et leurs familles lui avaient appris que ces enfants
obèses mangeaient en quantité excessive, quelle que soit la vigueur avec
laquelle eux ou leurs parents tentaient au début de nier ce fait. Mais il ne
suffisait pas de leur enjoindre de manger moins pour leur faire perdre du
poids et, quelle que soit la quantité d’instruction ou de compassion, d’aide
ou d’exhortations que recevaient enfants ou parents, rien ne s’avérait
efficace.
On ne pouvait ignorer, nota Bruch, que ces enfants avaient tout de même
passé le plus clair de leur vie à essayer de manger avec modération afin de
contrôler leur poids, ou tout au moins avaient pensé à manger moins, et
qu’ils restaient néanmoins obèses. Elle rapporta que certains d’entre eux
«faisaient des efforts considérables pour perdre du poids, renonçant
pratiquement à toute vie normale pour y parvenir». Mais se maintenir à un
poids moindre impliquait de «suivre en permanence un régime draconien» et
ils n’y parvenaient pas, même si leur obésité les rendait malheureux et faisait
d’eux des parias.
Parmi les patients de Bruch se trouvait une fillette d’une dizaine d’années
à l’ossature délicate, «disparaissant littéralement sous des montagnes de
graisse». Elle avait passé toute sa jeune existence à lutter à la fois contre son
poids et contre les tentatives de ses parents pour l’aider à maigrir. De même
que ses parents, elle savait – ou croyait savoir – ce qu’il lui fallait faire,
c’est-à-dire manger moins, et sa vie entière était définie par les efforts
démesurés qu’elle faisait pour tenter d’y parvenir. «J’ai toujours su que la
vie que nous avons dépend de notre silhouette», déclara-t-elle à Bruch. «À
chaque fois que je prenais [du poids], ça me rendait triste et déprimée. À
quoi bon vivre? […] À vrai dire, je me détestais. C’était tout simplement
insupportable. Je ne voulais pas me regarder. Je détestais les miroirs. Ils
montraient à quel point j’étais grosse. […] Cela ne m’a jamais rendue
heureuse de manger et de grossir, mais je n’ai jamais trouvé la solution et
j’ai continué à prendre du poids.»
À l’instar de cette fillette qu’évoque Bruch, les personnes souffrant de
surpoids ou d’obésité passent une grande partie de leur vie à essayer de
manger moins ou, en tout cas, de ne pas manger trop. Ils ont parfois du
succès, échouent à d’autres moments, mais ils continuent à lutter. Pour
certains, comme pour les patients de Bruch, ce combat débute dès l’enfance.
Pour d’autres, il commence en même temps que les études supérieures
lorsque, habitant pour la première fois hors de chez leurs parents, ils voient
leur abdomen et leurs hanches s’enrober d’un capiton de plus en plus
confortable (phénomène typique des campus nord-américains, appelé
freshmen twenty aux États-Unis – NDLT). D’autres encore attendent la
trentaine ou la quarantaine pour se rendre compte que désormais, rester
mince leur demande des efforts.
Lorsqu’une personne dont le poids est supérieur à ce que recommandent
les autorités médicales se rend chez un médecin (et ce, pour quelque raison
que ce soit), celui-ci lui conseille en général plus ou moins énergiquement de
combattre cette surcharge pondérale. Il lui explique que surpoids et obésité
augmentent le risque de pratiquement toutes les maladies chroniques
susceptibles de nous affecter – maladies cardiovasculaires, accident
vasculaire cérébral (AVC), diabète, cancer, démence ou asthme – et lui
enjoint d’avoir une activité physique régulière, de suivre un régime et de
manger moins, comme si le patient n’en avait jamais eu de lui-même l’idée ni
le désir. À propos de l’obésité, Bruch affirmait: «Plus que pour n’importe
quelle autre maladie, on attend du médecin qu’il amène pour ainsi dire par
magie le patient à faire quelque chose – en l’occurrence cesser de manger –,
alors que le patient a déjà prouvé qu’il n’y parvenait pas.»
Les médecins de l’époque de Bruch ne pêchaient pas par légèreté, pas
plus que ne le font ceux d’aujourd’hui. C’est simplement qu’ils adhéraient (et
adhèrent) à un système de croyances lacunaire selon lequel la raison pour
laquelle nous grossissons est simple et évidente, de même que l’est son
remède. Le corps médical nous enseigne que nous prenons du poids parce
que nous mangeons trop et / ou bougeons trop peu – et qu’il suffit de faire le
contraire pour mincir. À tout le moins, il nous faut manger «juste ce qu’il
faut» selon la fameuse prescription que fait Micheal Pollan dans Nutrition,
mensonges et propagande et le tour sera joué: au moins, nous arrêterons de
prendre du poids. C’est là ce que Bruch décrivait en 1957 comme étant
«l’opinion générale américaine qui veut que le problème [de l’obésité] soit
tout simplement dû au fait de manger plus que le corps n’en a besoin», et qui
représente aujourd’hui l’opinion générale dans le monde entier.
On peut définir cette opinion comme modèle «de l’apport et de la dépense
de calories», «de la suralimentation» ou «de l’équilibre énergétique». Selon
l’Organisation mondiale de la santé, «la cause fondamentale de l’obésité et
du surpoids est un déséquilibre énergétique entre les calories consommées et
dépensées»1. Ce modèle implique que nous grossissons lorsque nous
absorbons davantage d’énergie que nous n’en dépensons (ce que les
scientifiques appellent un équilibre énergétique positif) et que nous
mincissons lorsque nous en dépensons plus que nous n’en consommons
(équilibre énergétique négatif). La nourriture est source d’énergie et nous
mesurons cette énergie sous forme de calories. Si nous absorbons plus de
calories que nous n’en consommons, nous prenons donc du poids alors que si
nous en absorbons moins, nous perdons du poids.
Cette façon de considérer le poids est si convaincante et si largement
propagée qu’il est aujourd’hui pratiquement impossible de ne pas l’adopter.
Et même si nous disposons d’innombrables preuves du contraire, – et quels
que soient par ailleurs le temps et l’énergie que nous ayons consacrés au
cours de notre vie à essayer sans succès de manger moins et de faire
davantage d’exercice –, nous avons tendance à douter de notre propre
jugement et de notre propre volonté plutôt que de cette croyance selon
laquelle nos kilos superflus sont déterminés par le nombre de calories que
nous consommons et dépensons.
J’aime citer une anecdote pour illustrer ce point de vue. Un physiologiste
sportif reconnu, co-auteur d’une série de recommandations ayant trait à
l’activité physique et à la santé publiées en août 2007 par l’American Heart
Association (Association américaine de cardiologie) et l’American College
of Sports Medicine (Association américaine de médecine sportive), m’a
déclaré un jour que lorsqu’il avait commencé la course de fond dans les
années 1970, il était «court, chauve et gros», tandis que maintenant, âgé
d’une bonne soixantaine, il était «court, chauve et encore plus gros». Entre-
temps, il avait pris une quinzaine de kilos tout en courant pas moins
d’environ 130 000 km, soit approximativement trois fois le tour de la Terre
en passant par l’équateur. D’un côté, cet homme ne croyait pas que l’exercice
physique suffise à tout résoudre en matière de stabilité pondérale mais d’un
autre côté, il ne faisait pas de doute pour lui que s’il n’avait pas pratiqué la
course à pied, il aurait pris encore plus de poids.
Lorsque je lui ai demandé s’il pensait réellement qu’en courant encore
plus – en effectuant par exemple quatre tours de la planète au lieu de trois –
il serait resté plus mince, il m’a répondu: «Je ne sais pas comment j’aurais
pu être encore plus actif physiquement. Je n’avais pas le temps d’en faire
plus. Mais si j’avais pu bouger deux ou trois heures par jour au cours des
vingt ou trente dernières années, je n’aurais peut-être pas pris ce poids.» Qui
sait, il aurait fort bien pu grossir quand même, mais cette éventualité ne lui
venait pas à l’esprit: il était tout simplement prisonnier du modèle de pensée
dominant.
Depuis des années, cette croyance selon laquelle les kilos superflus
résultent d’un déséquilibre entre l’apport et la dépense de calories a
témoigné d’une remarquable résistance à toute preuve du contraire. Imaginez
un instant un procès pour meurtre au cours duquel des témoins dignes de foi
se succèderaient à la barre, affirmant que le suspect se trouvait autre part au
moment du crime, lui fournissant ainsi un alibi à toute épreuve, et où les
jurés persisteraient néanmoins à considérer l’accusé comme coupable pour
la simple raison que c’était ce qu’ils croyaient lorsque le procès a débuté!
Penchons-nous à présent sur l’épidémie d’obésité. De nos jours, les
humains grossissent de plus en plus. Il y a cinquante ans, un Américain sur
huit ou neuf aurait été officiellement considéré comme obèse. Aujourd’hui, le
rapport est d’un sur trois. En outre, deux sur trois sont considérés comme
étant en surpoids, c’est-à-dire que leur poids corporel est supérieur à ce qui
est estimé comme sain par les autorités de santé publique. Aujourd’hui, les
enfants sont plus gros, les adolescents aussi, et même les nouveau-nés sortent
plus gros qu’avant du ventre de leur mère. Or, tout au long des décennies
qu’a déjà duré cette épidémie d’obésité, le modèle de l’équilibre
énergétique (apport / dépense de calories) a régné en maître. Par conséquent,
les autorités sanitaires supposent que soit nous n’avons pas écouté leurs
recommandations (manger moins et bouger plus), soit nous ne faisons pas ce
qu’il faut.
Le journaliste Malcolm Gladwell a abordé ce paradoxe en 1998 dans le
New Yorker. Il écrivait ceci: «On nous a dit qu’il ne fallait pas consommer
plus de calories que nous n’en brûlions et que sans activité physique
régulière, nous ne pourrions pas perdre de poids. Or, rares sont ceux qui
parviennent réellement à suivre ces recommandations: c’est donc soit de
notre faute, soit de la faute des recommandations. L’orthodoxie médicale
penche naturellement en faveur de la première option. Les livres de régime
penchent, eux, en faveur de la seconde. Étant donné le nombre de fois où
l’orthodoxie médicale s’est trompée par le passé, cette seconde option ne
doit pas être considérée comme irrationnelle a priori et il serait intéressant
de déterminer dans quelle mesure elle peut être vraie.»
Après avoir interrogé le nombre requis d’autorités compétentes, Gladwell
décida que c’était de notre faute, que nous «manquions de discipline […] ou
de moyens» pour manger moins et bouger plus, tout en suggérant néanmoins
que la responsabilité de la corpulence de certains d’entre nous incombait
davantage à des défaillances de leurs gènes que de leur mental.
Dans le présent ouvrage, je soutiens quant à moi que la faute revient
entièrement à la médecine orthodoxe, tant en ce qui concerne la croyance
selon laquelle le surpoids provient d’une consommation excessive de
calories que pour les recommandations qui en découlent. J’affirme que le
modèle de l’équilibre entre l’apport et la dépense de calories est absurde,
que ce n’est pas parce que nous mangeons trop et bougeons trop peu que nous
grossissons et que ce n’est pas en faisant consciemment le contraire que nous
pouvons résoudre ou éviter le problème. C’est dans ce modèle que réside
pour ainsi dire le «péché originel», et nous ne trouverons jamais de solution
à nos problèmes de poids personnels, ni encore moins aux problèmes
sociétaux que constituent l’obésité, le diabète et les maladies qui s’y
rattachent tant que nous n’aurons pas compris cela et changé de voie.
Cela ne signifie pas pour autant que je veuille suggérer qu’il existe une
recette miracle pour perdre du poids, ou qu’il y en ait tout au moins une qui
n’implique pas certains sacrifices. Mais la question est: que faut-il sacrifier
au juste?
La première partie de cet ouvrage présente les preuves qui contredisent le
modèle recommandant l’équilibre entre calories consommées et calories
dépensées. J’y étudie un grand nombre d’observations et de faits concrets
que ce modèle échoue à expliquer, ainsi que les raisons pour lesquelles il a
quand même été adopté et les erreurs qui en ont résulté.
La seconde partie présente la façon dont la recherche médicale
européenne avait commencé à considérer l’obésité et l’excès de graisse
corporelle juste avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale. Selon ce
point de vue, qui est également le mien, il est absurde de considérer que
l’obésité est causée par la suralimentation car tout ce qui fait croître l’être
humain – en taille ou en poids, en masse musculaire ou graisseuse – l’amène
à se suralimenter. Les enfants, par exemple, ne grandissent pas davantage
parce qu’ils mangent voracement et consomment plus de calories qu’ils n’en
dépensent, mais s’ils mangent autant (s’ils se suralimentent), c’est parce
qu’ils grandissent. Il leur est nécessaire de consommer plus de calories
qu’ils n’en dépensent. La raison pour laquelle les enfants grandissent est
qu’ils sécrètent des hormones qui les font grandir, des hormones de
croissance. Et il y a toutes les raisons de croire que la croissance de nos
tissus adipeux, qui entraîne, à terme, surpoids et obésité, est également
générée et contrôlée par des hormones.
Aussi, plutôt que de définir l’obésité comme un trouble dû à un
déséquilibre énergétique ou à la suralimentation comme le font les experts
depuis un demi-siècle, les chercheurs européens que j’ai évoqués plus haut
sont partis de l’hypothèse que l’obésité était fondamentalement liée à une
accumulation excessive de graisses. C’est là ce qu’en philosophie, on
qualifierait de «principe premier». La véracité de ce principe est tellement
évidente qu’il semble presque inutile de l’énoncer. Mais une fois qu’on l’a
formulé, la question qui se pose naturellement est: qu’est-ce qui régule
l’accumulation de graisse? Ici, les hormones ou les enzymes qui, de même
que les hormones de croissance font grandir les enfants, génèrent
naturellement une accumulation de graisse corporelle sont inéluctablement
susceptibles d’attirer sur eux l’attention de quiconque cherche à déterminer
pourquoi certaines personnes grossissent et d’autres pas.
Au tournant des années 1950 et 1960, époque à laquelle on répondit à
cette question de savoir ce qui régule l’accumulation des graisses, les
médecins chercheurs européens avaient malheureusement disparu (victimes
de la Seconde Guerre mondiale), emportant avec eux leurs idées sur
l’obésité. Il s’avère que deux facteurs déterminent essentiellement la quantité
de graisse que nous accumulons, et que tous deux sont liés à l’hormone
insuline.
Premièrement: lorsque notre taux d’insuline est élevé, nous accumulons
de la graisse dans nos tissus adipeux; lorsque ce taux baisse, les tissus
adipeux libèrent de la graisse qui est alors brûlée par notre organisme pour
produire de l’énergie. Ce phénomène est connu depuis le début des années
1960 et n’a jamais suscité de controverse. Deuxièmement: notre taux
d’insuline est déterminé par les glucides que nous consommons – pas à
100%, mais en grande partie. Plus nous mangeons de glucides, et plus ces
glucides sont sucrés et faciles à digérer, plus nous sécrétons d’insuline –
autrement dit plus notre taux d’insuline sanguin est élevé et plus nous
retenons de graisse dans nos cellules adipeuses. George Cahill, ancien
professeur à la faculté de médecine de l’université de Harvard, ayant compté
dans les années 1950 parmi les pionniers de la recherche sur la régulation de
l’accumulation de graisse et ayant coédité en 1965 un ouvrage publié par
l’American Physiological Society qui rassemblait les résultats de ces
recherches, m’a récemment décrit le phénomène en ces mots: «Les glucides
génèrent de l’insuline qui génère de la graisse».
En d’autres termes, la science elle-même affirme clairement que ce sont
les hormones, les enzymes et les facteurs de croissance qui régulent nos
tissus adipeux comme ils le font avec l’ensemble des phénomènes du corps
humain, et que ce n’est pas parce que nous mangeons trop que nous
grossissons mais parce que les glucides que contient notre alimentation nous
font grossir. La science nous dit que l’obésité résulte en fin de compte, non
d’un déséquilibre calorique mais d’un déséquilibre hormonal, et plus
spécifiquement de la stimulation de la sécrétion d’insuline causée par
l’absorption d’aliments glucidiques faciles à digérer tels que les glucides
raffinés – parmi lesquels la farine et les céréales –, certains féculents comme
les pommes de terre, et les sucres – parmi lesquels le saccharose (sucre
blanc) et le sirop de glucose-fructose. Ce sont ces glucides qui nous font
grossir et, parce qu’ils nous font accumuler de la graisse corporelle, qui
augmentent notre sensation de faim et nous rendent plus sédentaires.
Voilà la raison fondamentale pour laquelle nous grossissons. Si nous
souhaitons (re)devenir minces et le rester, il nous faut comprendre et
accepter cette réalité, et nos médecins (et peut-être est-ce encore plus
important) vont eux aussi devoir la comprendre et l’admettre.
Si votre seul but en lisant ce livre était d’obtenir une réponse à la
question «Que dois-je faire pour rester mince ou perdre mes kilos
superflus?», alors voici la réponse que vous attendiez: évitez les aliments
riches en glucides et gardez à l’esprit que plus un aliment est sucré ou facile
à consommer et à digérer (les glucides liquides tels que la bière, les jus de
fruits et les sodas étant probablement les pires), plus il risque de vous faire
grossir – et plus il est conseillé de l’éviter.
Ce message est loin d’être nouveau. Jusqu’aux années 1960, c’était
l’opinion exprimée par le bon sens populaire (j’y reviendrai plus tard).
Jusqu’à cette époque, les aliments riches en glucides – le pain, les pâtes, les
pommes de terre, les aliments sucrés, la bière – avaient la réputation de faire
particulièrement grossir, et quiconque ne voulait pas prendre de poids évitait
donc d’en manger. Depuis lors, le message a été répété par d’innombrables
livres de régime, parmi lesquels de nombreux best-sellers. Mais cette
donnée fondamentale a tellement été malmenée et les recherches qui s’y
rapportent ont tellement été déformées ou mal interprétées – tant par les
promoteurs des régimes faibles en glucides que par ceux qui affirment avec
force que ces régimes ne sont rien d’autre qu’une vogue dangereuse (c’est
notamment le cas de l’American Heart Association) –, que j’estime
nécessaire de l’analyser de nouveau. Si vous trouvez l’argument
suffisamment convaincant pour vouloir modifier votre alimentation en
conséquence, tant mieux. Cet ouvrage vous fournira des recommandations
pour ce faire, fondées sur les leçons de cliniciens ayant durant des années
traité des patients en surpoids et, par ailleurs, fréquemment atteints de
diabète.
Au cours des presque sept décennies qui se sont écoulées depuis la fin de
la Seconde Guerre mondiale, époque où l’on débattit des causes de la prise
de poids – calories ou glucides? –, cette question a souvent paru relever
davantage de la religion que de la science. En effet, il existe tant de
croyances différentes en matière d’alimentation saine que l’interrogation
scientifique «Pourquoi grossissons-nous?» a disparu en chemin, éclipsée
par des considérations éthiques, morales et sociologiques qui, tout en étant
valables en soi et certainement dignes d’être discutées, sont totalement
étrangères à la science et n’ont pas leur place dans une enquête scientifique.
Normalement (ou peut-être idéalement), les régimes hypoglucidiques
remplacent les glucides par des portions supplémentaires de produits
d’origine animale: œufs au petit déjeuner, viande, poisson ou volaille au
déjeuner et au dîner. Les conséquences de ce choix alimentaire exigent une
réflexion. Notre dépendance des produits d’origine animale ne nuit-elle pas
d’ores et déjà à l’environnement et ce phénomène ne risque-t-il pas
d’empirer? L’élevage de bétail n’est-il pas l’une des premières causes du
réchauffement climatique, du manque d’eau et de la pollution de notre
planète? Lorsque nous réfléchissons à une alimentation saine, ne devons-
nous pas penser à ce qui est bon pour la Terre autant qu’à ce qui est bon pour
nous? Avons-nous le droit de tuer des animaux pour les manger? De les faire
travailler pour produire nos aliments? Le seul mode d’alimentation
défendable d’un point de vue moral et éthique n’est-il pas végétarien, voire
végétalien?
Toutes ces questions sont importantes et demandent que l’on s’y intéresse,
individuellement comme collectivement. Néanmoins, elles n’ont pas leur
place dans la discussion scientifique et médicale sur les raisons pour
lesquelles nous prenons du poids. Personnellement, c’est ce dernier sujet que
je m’apprête à explorer dans les pages qui suivent. Pourquoi sommes-nous
trop gros? Pourquoi nos enfants sont-ils trop gros eux aussi? Et que pouvons-
nous entreprendre contre cela?
1. Cette affirmation, loin d’être émise par la seule OMS, est devenue aujourd’hui
universelle. En voilà quelques exemples supplémentaires. Selon les Centers for Disease
Control (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies) aux États-Unis, «[l]a
gestion du poids est une simple question d’équilibre: il s’agit d’équilibrer le nombre de
calories que vous consommez et le nombre de calories que votre organisme utilise, ou
«brûle»». Le Medical Research Council (Conseil de la recherche médicale) britannique
est d’avis que «[b]ien que l’augmentation de l’obésité ne puisse être attribuée à un facteur
unique, la cause en est un simple déséquilibre entre l’énergie consommée (dépendant de
nos choix alimentaires) d’une part et l’énergie dépensée d’autre part (principalement en
raison de notre activité physique).» Le ministère de la Santé allemand affirme: «Le
surpoids est le résultat d’une trop grande quantité d’énergie consommée par rapport à
l’énergie dépensée.» En France, l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche
médicale) indique quant à lui sur son site Internet: «Les origines de l’obésité et du
surpoids sont multiples. L’excès d’apport énergétique par l’alimentation et
l’insuffisance des dépenses sous forme d’activité physique jouent un rôle central.»
UNE QUESTION
DE BIOLOGIE ET NON
DE PHYSIQUE
--- Lindou Joe (lacierar@yahoo.fr) ---
CHAPITRE 1
1963: Chili
L’obésité est considérée comme «le plus grand problème nutritionnel des
adultes chiliens.» 22% du personnel militaire et 32% des employés de
bureau sont obèses. Parmi les ouvriers d’usine, 35% des hommes et 39% des
femmes le sont également. Ces derniers présentent un cas particulièrement
intéressant, leurs métiers impliquant très probablement un travail physique
important.
1969: Ghana
25% des femmes (50% des femmes quadragénaires) et 7% des hommes
soignés dans les dispensaires d’Accra sont obèses. «On peut légitimement en
conclure que l’obésité sévère est fréquente parmi les femmes âgées de 30 à
60 ans» écrit un professeur de l’école de médecine de l’université du Ghana,
et il est «bien connu que beaucoup de femmes travaillant sur les marchés des
villes côtières de l’Afrique de l’Ouest sont en surpoids.»
1978: Oklahoma
L’épidémiologiste Kelly West, principale spécialiste du diabète à cette
époque, rapporte au sujet des tribus locales d’Amérindiens: «on constate un
fort surpoids chez les hommes, et ce surpoids est encore plus marqué chez
les femmes.»
1981-83: Comté de Starr, Texas
Sur la frontière mexicaine, à un peu plus de 300 km au sud de San Antonio,
William Mueller et des collègues de l’Université du Texas pèsent et
mesurent plus de 1100 résidents locaux d’origine mexicaine. 40% des
trentenaires hommes sont obèses bien qu’étant pour la plupart «employés à
des travaux agricoles et / ou dans les champs pétrolifères dans la région.»
Plus de la moitié des cinquantenaires femmes sont obèses. Mueller décrit
plus tard les conditions de vie comme «très simples […]. Il y avait un seul
restaurant [dans tout le Comté de Starr], un restaurant mexicain, et sinon il
n’y avait rien.»
Cette réalité n’a pourtant pas empêché les autorités sanitaires de continuer
à conseiller cette méthode de la sous-alimentation. Dès lors, la lecture de
telles recommandations relève de ce que les psychologues appellent la
«dissonance cognitive» – une tension générée par la tentative de croire
simultanément deux opinions incompatibles.
Prenons l’exemple du Handbook of Obesity, un manuel coédité en 1998
par George Bray, Claude Bouchard et W. P. T. James, trois des plus éminents
spécialistes de l’obésité. «La thérapie diététique reste la pierre angulaire du
traitement et la réduction de l’apport énergétique demeure la base de tout
programme efficace pour perdre du poids», peut-on y lire. Mais quelques
paragraphes plus loin, les auteurs déclarent que les résultats des régimes
hypocaloriques «sont connus pour être faibles et peu durables.» Comment
une thérapie aussi inefficace peut-elle être la pierre angulaire du traitement?
Le Handbook of Obesity omet de le préciser.
La dernière édition (2005) de Joslin’s Diabetes Mellitus, un manuel sur
le diabète jouissant d’une excellente réputation parmi les médecins et
chercheurs, présente un exemple plus récent de cette dissonance cognitive.
Le chapitre consacré à l’obésité a été écrit à quatre mains par Jeffrey Flier,
chercheur spécialiste de l’obésité actuellement doyen de la Harvard
Medical School (faculté de médecine de l’université de Harvard) et sa
femme, la chercheuse Terry Maratos-Flier. Tous deux définissent à leur tour
la «réduction de l’apport calorique» comme étant «la pierre angulaire de tout
traitement thérapeutique de l’obésité.» Mais cela ne les empêche pas
d’énumérer ensuite tous les aspects inefficaces de cette «pierre angulaire».
Après avoir examiné différentes approches, de la plus légère réduction
calorique (consommer par exemple 100 calories de moins par jour dans
l’espoir de perdre 500 g toutes les 5 semaines), en passant par des régimes
hypocaloriques (800 à 1000 calories par jour) jusqu’aux régimes très
pauvres en calories (200 à 600 calories par jour) et même au jeûne total, les
auteurs concluent qu’«aucune de ces méthodes ne présente d’intérêt avéré.»
Hélas.
1. Il est possible d’engraisser sans prendre du poids: c’est le cas si l’on perd de la masse
musculaire au profit de la masse grasse. Il n’est alors pas nécessaire d’absorber plus
d’énergie que l’on n’en dépense car l’énergie passe des muscles dans la graisse. C’est
pourquoi j’ai précisé «plus gros et plus lourd».
2. Jean Mayer qui, en matière d’obésité et de régulation pondérale, se trompait sur les
points importants mais avait néanmoins parfois raison, formula en 1954 le problème de la
façon suivante: «Trop de gens croient que l’obésité s’explique par la suralimentation. En
réalité, ils devraient prendre conscience qu’il ne s’agit là que de formuler différemment
un seul et même problème, et de réaffirmer (d’ailleurs plutôt vainement) sa foi dans le
Premier Principe de la Thermodynamique. «Expliquer «l’obésité par la suralimentation
est aussi instructif qu’ “expliquer” l’alcoolisme par la surconsommation chronique
d’alcool.»
Pourtant, il doit bien y avoir une raison pour que des êtres humains
mangent plus de calories qu’ils n’en dépensent, surtout quand on considère
les souffrances à la fois physiques et émotionnelles qui résultent de l’obésité.
Il doit bien y avoir un problème quelque part. La question est: où?
La logique qui sous-tend le modèle de l’équilibre entre les calories
consommées et les calories dépensées autorise une seule et unique réponse à
cette question. Selon cette théorie, l’anomalie ne saurait être physique (due
par exemple aux «douzaines d’enzymes» et à la «variété d’hormones» qui
contrôlent la façon dont notre organisme «transforme les aliments ingérés en
graisse», comme le suggérait l’endocrinologue Edwin Astwood il y a un
demi-siècle), puisque cela impliquerait que le principal responsable de la
prise de poids n’est pas la suralimentation mais autre chose. Toujours dans
cette logique, le problème doit donc se situer au niveau du cerveau et, pour
être plus précis, du comportement. Il relève donc du caractère. Car, n’est-ce
pas, le fait de trop manger et de ne pas bouger suffisamment entre dans le
cadre du comportement, non de l’état physiologique, une évidence devenant
encore plus flagrante lorsqu’on utilise les termes de «gloutonnerie» et de
«paresse», qui désignent des péchés capitaux dans la religion chrétienne.
Au fond, la science de l’obésité tout entière s’est trouvée prisonnière de
la logique circulaire du modèle de l’équilibre entre les calories consommées
et les calories dépensées et elle n’est jamais parvenue à s’en libérer. En
définissant la cause de l’obésité comme quelque chose devant
nécessairement se produire lorsque l’on prend du poids – à savoir absorber
plus de calories que l’on n’en dépense –, on fait obstacle à toute réponse
légitime à la question de savoir pourquoi quelqu’un ferait cela
consciemment. Ou, tout du moins, à la question de savoir pourquoi quelqu’un
ferait cela si il ou elle n’était pas mû(e) par des forces échappant à son
contrôle.
Le même problème se pose lorsqu’on demande pourquoi les régimes ne
marchent pas. Comment se fait-il que l’obésité soit si rarement guérie (quand
elle l’est) par ce qui devrait être le simple acte de manger moins? Si, pour
résoudre cette question, on suggère que la réponse corporelle des personnes
en surpoids à la restriction alimentaire est la même que celle des animaux en
surpoids – c’est-à-dire, comme l’expliquaient Jeff Flier and Terry Maratos-
Flier dans la revue Scientific American (cf. chapitre précédent), une
réduction de leur dépense énergétique assortie d’une faim accrue –, on ouvre
la voie à l’hypothèse selon laquelle les mécanismes physiologiques qui font
qu’une personne obèse conserve sa graisse superflue alors qu’elle se soumet
à un semi-jeûne sont les mêmes que ceux qui ont été à l’origine de son
obésité. Mais cette hypothèse n’est pas agréée non plus. Alors on fait porter
la responsabilité de l’échec du régime à la personne en surpoids elle-même,
que l’on accuse d’être incapable de suivre le régime consciencieusement et à
qui l’on reproche de manquer de la volonté et de la force de caractère
nécessaires pour se comporter comme une personne mince, c’est-à-dire
manger avec modération.
Si l’on croit que la suralimentation est la cause fondamentale de l’obésité,
la seule explication possible est d’accuser le comportement des personnes
concernées et, partant, leur manque de force de caractère et de volonté. Et
c’est la seule explication qui n’offre pas de base favorable pour pousser plus
avant des recherches sérieuses et, en conséquence, qui ne permette pas
l’éventuelle identification d’une anomalie encore plus fondamentale, capable
d’expliquer pourquoi une personne mangerait trop sciemment si elle avait le
choix, donc d’expliquer la vraie raison pour laquelle elle grossit.
C’est à la fin des années 1920 que cette logique insidieuse a commencé à
gagner du terrain dans les discussions scientifiques abordant la question de
l’obésité et ce, grâce à Louis Newburgh, un professeur de médecine de
l’université du Michigan qui allait par la suite devenir aux États-Unis la plus
grande sommité de la recherche sur l’obésité. Jusqu’à l’avènement de
Newburgh, la plupart des médecins qui s’intéressaient à l’obésité partaient
du principe qu’un phénomène aussi difficile à traiter devait être un trouble
organique et non le résultat d’un état mental. Newburgh, lui, conclut au
contraire que ceux qui grossissaient faisaient preuve d’un «appétit perverti»,
ce qui était à cette époque une expression technique pour dire qu’ils
ressentaient le besoin de consommer plus de calories qu’ils n’en
dépensaient, contrairement aux personnes minces. Newburgh fondait cette
conclusion sur le fait que tous les obèses doivent se suralimenter pour
grossir. Or, si cette assertion est correcte, elle n’en manque pas moins
totalement de pertinence dans ce contexte.
En effet, comme je l’ai déjà souligné, elle laisse sans réponse des
questions pourtant évidentes. Pourquoi les personnes qui grossissent
mangent-elles trop? Pourquoi ne parviennent-elles pas à contrôler leurs
envies? Pourquoi, à l’instar des personnes qui restent minces, ne mangent-
elles pas avec modération et ne font-elles pas d’exercice physique? À
l’époque de Newburgh, le choix était déjà le même que celui dont nous
disposons aujourd’hui: les personnes en surpoids refusent de faire des
efforts, elles manquent de volonté ou, tout bonnement, elles ignorent ce qu’il
faudrait qu’elles fassent. Bref, pour citer Newburgh (qui était mince), les
personnes en surpoids souffrent de «diverses faiblesses humaines,
notamment de leur ignorance et d’une trop grande propension à céder à la
gourmandise.»
Si les affirmations de Newburgh avaient été accueillies avec ne serait-ce
que la plus petite nuance de scepticisme – comme cela devrait être le cas de
toute affirmation d’ordre médical tant qu’elle n’est pas confirmée par des
données scientifiques rigoureuses –, l’obésité serait à l’heure actuelle peut-
être beaucoup moins répandue qu’elle ne l’est (et ce livre n’aurait alors pas
de raison d’être). Mais Newburgh prêchait devant un corps médical à qui on
avait appris à révérer les figures d’autorité, pas à mettre leurs déclarations
en doute.
Durant les années de l’immédiat après-guerre, les hypothèses de
Newburgh furent ainsi considérées comme parole d’évangile, aux États-Unis
tout du moins, par toute une génération de médecins de la part de qui on
aurait été en droit d’attendre davantage de discernement. Ces médecins
choisirent de croire Newburgh quand il affirmait que les personnes obèses et
en surpoids appartiennent invariablement soit à la catégorie des individus
ayant été éduqués dès l’enfance par leurs parents à ingérer plus de nourriture
qu’il n’est nécessaire (ce qui expliquait, selon lui, la prédisposition
héréditaire à l’obésité qui avait déjà été observée à l’époque et qui ne s’est
pas démentie depuis), soit à celle des individus chez qui il faut accuser
«l’association d’une faible volonté et d’une conception hédoniste de la vie».
Et depuis lors, c’est cette croyance qui est restée prédominante, bien qu’étant
autant simpliste que fausse et donc d’autant moins excusable.
La seule chose qui a changé avec le temps est, qu’aujourd’hui, les experts
formulent cette croyance de façon à ce que ses implications humiliantes ne
soient plus immédiatement perceptibles. Par exemple, si l’on aborde
l’obésité comme un trouble de l’alimentation (une attitude répandue depuis
les années 1960), on ne dit plus que les personnes obèses ne peuvent pas
manger comme les personnes minces pour cause de manque de volonté: on
dit simplement qu’elles ne mangent pas comme les personnes minces.
Dans les années 1970, nombreux étaient ceux qui pensaient que les
personnes qui grossissaient étaient tout simplement trop sensibles aux
signaux alimentaires externes, et pas assez à leurs signaux internes qui
auraient dû leur indiquer le moment où elles avaient assez mangé. Si ce
modèle ne dit pas explicitement que les personnes obèses manquent de
volonté, il suggère par contre que quelque chose, dans leur cerveau, fait qu’il
est plus difficile pour elles que pour les personnes minces de résister à
l’odeur d’un pain au chocolat ou à la vue d’un hamburger-frites et, de plus,
les incite davantage d’une part à se servir copieusement et d’autre part à tout
manger, à l’inverse d’une personne mince qui choisirait d’emblée des
portions moins copieuses ou ne se sentirait pas obligée de les finir1.
Dans les années 1970, on a assisté à l’émergence d’un pan entier de ce
qu’on appelle de façon technique (et révélatrice) la «médecine
comportementale» destiné à traiter les individus souffrant d’obésité: les
thérapies comportementales étaient autant de manières plus ou moins subtiles
de les inciter à se comporter comme les gens minces, autrement dit à manger
avec modération2. Bien qu’aucune de ces thérapies n’ait jamais prouvé son
efficacité, beaucoup sont aujourd’hui encore pratiquées. Les traitements
comportementaux du surpoids conseillent notamment le ralentissement du
rythme auquel les clients avalent la nourriture, mais aussi l’obligation pour
eux de manger uniquement dans leur cuisine ou à la table de leur salle à
manger.
Jusqu’à aujourd’hui, la plupart des grands spécialistes de l’obésité (sinon
tous) se recrutent parmi des psychologues et des psychiatres, c’est-à-dire
parmi des personnes dont le domaine d’expertise n’est pas censé être le
corps, mais l’esprit. Imaginez le nombre de victimes supplémentaires qui
mourraient du diabète si elles étaient traitées par des psychologues et non
par des médecins… Et pourtant, le diabète et l’obésité sont si intimement
liés – la plupart des diabétiques de type 2 étant obèses et beaucoup de
personnes obèses devenant diabétiques – que certains des plus éminents
spécialistes désignent désormais les deux maladies d’un seul terme,
«diabésité», comme les deux faces d’une même médaille qu’elles sont
indéniablement.
Une grande partie des discours sur l’obésité qui ont été tenus par des
professionnels au cours des cinquante dernières années peuvent être perçus
comme autant de tentatives de contourner les implications totalement
illogiques du modèle de l’équilibre énergétique. En effet, comment faire
porter la responsabilité de l’obésité à la suralimentation sans accuser en
même temps la personne en surpoids de faire preuve des faiblesses bien
humaines que sont la recherche du plaisir immédiat et / ou l’ignorance? Et si
l’on impute l’épidémie d’obésité à la «prospérité» ou à un «environnement
alimentaire toxique», comme je l’ai évoqué plus tôt, on ne peut pas l’imputer
en même temps au caractère des personnes obèses tout en reconnaissant
qu’elles n’avaient pas le choix de manger ou non avec modération. Et si, de
plus, on accuse l’industrie alimentaire de mettre à notre disposition trop
d’aliments savoureux et tentants, on déplace les responsabilités encore
davantage. Or, si c’est le milieu dans lequel nous vivons qui nous fait
grossir, comme on nous l’a dit, et pas seulement notre manque de volonté,
comment se fait-il que certaines personnes parviennent à rester minces dans
le même environnement toxique? Serait-ce à la seule force de leur volonté
qu’elles le doivent?
Dans les années 1930, Russell Wilder, de la Mayo Clinic, posa une
question très pertinente face à la conception de l’«appétit perverti» de
Newburgh: «Pour réguler le poids, il doit exister un autre mécanisme que
l’appétit puisque la plupart d’entre nous continuent à être protégés de
l’obésité bien que trompant leur appétit de diverses manières, notamment en
buvant des boissons d’apéritif et du vin en accompagnement des repas.
D’ailleurs, tous les raffinements de l’art culinaire ont pour but premier de
nous faire manger plus que nous ne devrions. Alors pourquoi ne grossissons-
nous pas tous?» C’est cette même question que nous devrions poser
aujourd’hui lorsque quelqu’un accuse la société ou l’industrie alimentaire de
faire grossir les gens. Pour quelles raisons certains d’entre nous ne
grossissent-ils pas? Pourquoi certaines personnes sont-elles protégées de
l’obésité malgré «tous les raffinements de l’art culinaire» et d’autres pas?
En 1978, Susan Sontag publia un essai intitulé La maladie comme
métaphore, dans lequel elle traitait du cancer et de la tuberculose ainsi que
de la culpabilisation des malades qui a, à diverses époques, fréquemment
accompagné ces maladies. «Les théories selon lesquelles les maladies sont
causées par des états mentaux et peuvent être guéries par la seule volonté»,
écrivit-elle, «sont toujours un indice du degré de notre incompréhension face
au terrain physique de ces maladies.»
Tant que nous croirons que l’on grossit parce qu’on mange trop, parce
qu’on absorbe plus de calories qu’on n’en dépense, nous accuserons en
dernier lieu un état mental, une faiblesse de caractère, et ignorerons
totalement la biologie humaine. Susan Sontag disait vrai: c’est une erreur de
penser ainsi, quelle que soit la maladie concernée. Et c’est une erreur
désastreuse lorsqu’il s’agit de répondre à la question de savoir pourquoi
nous grossissons. Mais alors, comment peut-on aborder ce problème?
Comment l’appréhender de façon à aller de l’avant? Ce sont ces questions
auxquelles le chapitre suivant commencera à fournir des réponses.
1. Julius Bauer, qui fut professeur à l’université de Vienne, considérait l’obésité d’une
façon beaucoup plus rationnelle. C’est pourquoi je souhaite ici le citer succinctement:
«Ceux qui continuent à croire qu’ils ont fait le tour du problème de l’obésité une fois
qu’ils ont dit qu’il existait un déséquilibre entre l’énergie absorbée et l’énergie
dépensée», écrivait-il prophétiquement en 1947, «supposent que la suralimentation et
l’obésité subséquente ne sont dues qu’à un seul et unique comportement: les accès de
gloutonnerie, provoqués par des raisons d’ordre émotionnel. Ces auteurs souhaitent-ils
voir figurer l’obésité, en tant que «problème comportemental», parmi les maladies
psychiatriques plutôt que métaboliques? Car ce serait là la conséquence, logique certes
mais absurde, de leur théorie.»
2. Il faudrait, bien sûr, définir la modération comme signifiant une quantité de nourriture
suffisamment réduite pour que la personne concernée perde réellement du poids. Notons
qu’une telle quantité pourrait être bien inférieure à celle consommée par une personne
mince de taille et de structure osseuse comparables.
INTRODUCTION
AUX FONDAMENTAUX
DE LA PRISE DE POIDS
--- Lindou Joe (lacierar@yahoo.fr) ---
CHAPITRE 9
PREMIER PRINCIPE
La graisse corporelle fait l’objet d’une régulation précise, pour ne pas dire
parfaite.
Ce principe s’applique même s’il existe des personnes qui grossissent
avec une telle facilité qu’il est difficile d’y adhérer. Ce que j’entends par
«régulation», c’est que l’organisme humain, lorsqu’il est en bonne santé,
œuvre assidûment à maintenir une quantité déterminée de graisse dans les
tissus adipeux – ni trop, ni trop peu –, ce qui assure par ricochet un
approvisionnement régulier des cellules en carburant. Notre hypothèse de
travail est que lorsqu’un individu devient obèse, c’est parce que cette
régulation s’est détraquée, pas qu’elle a cessé d’exister.
Il est incontestable que les tissus adipeux font l’objet d’une régulation
précise et qu’ils ne constituent pas simplement un genre de poubelle dans
laquelle l’organisme se débarrasserait de toutes les calories qu’il ne brûle
pas. Nous pouvons prendre pour point de départ toutes les observations
faites au chapitre 5 Pourquoi moi? Pourquoi là? Pourquoi à ce moment-là?
Le fait que les hommes et les femmes ne grossissent pas de la même manière
indique que les hormones sexuelles jouent un rôle dans la régulation de la
graisse corporelle (une hypothèse étayée par les expériences de Wade et ce
que nous savons des œstrogènes et de la LPL). Le fait que contrairement à
d’autres, certaines parties de notre corps soient relativement exemptes de
graisse – c’est par exemple le cas du dos de nos mains ou de notre front –
indique, lui, que des facteurs locaux jouent un rôle dans l’apparition de
dépôts graisseux à tel endroit et pas à tel autre – de même que des facteurs
locaux déterminent à l’évidence l’apparition de poils à certains endroits du
corps et non à d’autres.
Le fait que l’obésité soit un trait héréditaire (une personne a plus de
risques d’être en surpoids si ses parents l’étaient) et que la répartition locale
de la graisse elle-même relève de la génétique (rappelez-vous la stéatopygie
rencontrée chez certaines tribus africaines) indique également que la graisse
corporelle est régulée. En effet, comment les gènes transmis d’une génération
à l’autre pourraient-ils influencer l’apparition et la répartition de nos dépôts
graisseux si ce n’était pas par le biais des hormones, des enzymes et des
autres facteurs qui les régulent?
Le fait que la quantité et même le type de graisse que présentent les
animaux soient régulés avec précision constitue un argument supplémentaire
en faveur de ce principe car, après tout, nous ne sommes rien d’autre qu’une
espèce animale particulière. Certains animaux sauvages sont naturellement
gras: c’est notamment le cas des hippopotames et des baleines. Ils prennent
du poids selon les saisons, soit pour s’isoler en préparation du froid
hivernal, soit pour disposer de carburant lors de leurs migrations annuelles
ou de leurs phases d’hibernation. En outre, les femelles engraissent en
prévision de leurs gestations tandis que les mâles engraissent, eux, pour
avoir littéralement un avantage «de poids» lorsqu’ils combattent pour
conquérir les femelles. Mais ces animaux ne deviennent jamais obèses,
c’est-à-dire que leurs dépôts graisseux n’entraînent pas pour leur santé les
conséquences néfastes dont souffrent les humains en surpoids. Par exemple,
ils ne contractent jamais le diabète.
Quelle que soit l’abondance de la nourriture disponible, les animaux
sauvages maintiennent leur poids stable – ils ne sont ni trop gros, ni trop
minces –, ce qui indique que leurs organismes fonctionnent de façon à
assurer que la quantité de graisse présente dans leurs tissus adipeux leur
apporte toujours un avantage et ne risque pas de mettre leur survie en danger.
Lorsque ces animaux emmagasinent de grandes quantités de graisse, c’est
toujours pour une excellente raison. Et que ce soit avec ou sans cette graisse,
ils sont toujours en parfaite santé.4
Les rongeurs qui hibernent – comme par exemple les écureuils, dont le
poids mais aussi la quantité de graisse corporelle doublent à la fin de l’été
en quelques semaines seulement – fournissent d’excellents exemples de la
finesse avec laquelle fonctionne le système de régulation de la graisse chez
l’animal (et donc, vraisemblablement, chez l’humain également). Lorsque
l’on dissèque un de ces rongeurs au moment où il a atteint son poids
maximal, on ne voit que de la graisse, comme me l’a raconté un jour un
chercheur.
Mais à l’instar des rates ovariectomisées de Wade, les écureuils
accumulent cette graisse quelle que soit la quantité de nourriture qu’ils
absorbent. Même enfermés dans un laboratoire et tenus à un régime strict
entre le printemps, moment où ils sortent de leur hibernation, et la fin de
l’été, ils grossissent autant que leurs congénères pouvant, eux, manger à
volonté. Et qu’ils restent éveillés dans un laboratoire chauffé avec de la
nourriture à disposition ou qu’ils entrent en hibernation totale – ne se
nourrissant et ne survivant plus que grâce à leurs réserves de graisse
hivernales – ils brûleront ces réserves exactement au même rythme.
En fait, les chercheurs ne peuvent pratiquement rien faire pour empêcher
ces animaux de prendre puis de perdre de la graisse à périodes fixes. Agir
sur la quantité de nourriture disponible ne sert à rien, même au point de
risquer pratiquement de les faire mourir de faim. Ceci est dû au fait qu’à tout
moment de l’année, la quantité de graisse corporelle de ces rongeurs est
entièrement régulée par des facteurs biologiques, et non par leur
consommation de nourriture ni par la quantité d’énergie qu’ils doivent
fournir pour se procurer cette nourriture. Et il faut reconnaître que rien n’est
plus sensé (la nature fait bien les choses). Car si un animal qui a besoin de
formidables quantités de graisse pour que son organisme fonctionne durant
l’hiver devait impérativement se procurer de formidables quantités
d’aliments pour pouvoir accumuler cette graisse, un seul mauvais été aurait
suffi pour faire disparaître depuis bien longtemps l’espèce toute entière.
Alors certes, il se pourrait qu’au cours de son évolution, l’être humain se
soit distingué comme l’unique espèce de la planète Terre dont l’organisme ne
serait pas programmé pour réguler les réserves de graisse en réponse aux
périodes d’abondance comme de famine. Il se pourrait que pour la simple
raison qu’elles disposent de nourriture à profusion, certaines personnes
stockent tellement de graisse corporelle qu’elles finissent par ne presque
plus pouvoir bouger. Mais on ne peut adopter ce point de vue qu’en ignorant
pratiquement tout de ce que l’on sait en matière d’évolution.
Un dernier argument étayant la thèse d’une régulation fine et précise de la
graisse corporelle est que, dans notre organisme, tout le reste est
minutieusement régulé. Pourquoi alors la graisse devrait-elle faire
exception? Les cancers et les maladies cardiovasculaires sont des signes
flagrants de ce que le système de régulation d’un individu ne fonctionne pas
bien. Lorsque quelqu’un accumule de la graisse en excès, il est logique que
cela indique qu’il y a une anomalie dans le délicat système qui régule ses
tissus adipeux. Ce qu’il nous reste à découvrir, c’est quelle est cette
anomalie et ce que l’on peut faire pour y remédier.
SECOND PRINCIPE
L’obésité peut être causée par une anomalie du système de régulation si
infime qu’il est impossible de la détecter par des moyens techniques
d’origine humaine.
Souvenez-vous de la question des vingt calories par jour abordée au
chapitre 4: la thèse était qu’il suffit à une personne de se suralimenter de
seulement vingt calories par jour – en n’ajoutant qu’un pour cent (1%), voire
moins, à son apport calorique quotidien sans augmenter d’autant sa dépense
énergétique – pour devenir un(e) cinquantenaire obèse alors qu’elle était
mince à l’âge de vingt ans. Dans le contexte du modèle de l’équilibre entre
les calories consommées et les calories dépensées, cette thèse avait entraîné
logiquement la question suivante: comment certaines personnes parviennent-
elles à rester minces si pour ce faire, il leur faut équilibrer consciemment les
calories qu’elles absorbent et celles qu’elles dépensent tout en ne disposant
que d’une marge d’erreur inférieure à 1%? Car cela semble impossible à
réaliser – et ça l’est d’ailleurs très certainement.
Eh bien, il suffit en fait que lesdites vingt calories par jour soient
malencontreusement dirigées par notre système de régulation vers nos
cellules adipeuses pour que nous devenions obèses. C’est la même logique
mathématique qui s’applique ici. Si, en raison d’une association défavorable
de facteurs génétiques et environnementaux, une erreur de régulation a pour
conséquence que nos cellules adipeuses stockent 1% seulement des calories
qui auraient dû être utilisées comme carburant par notre organisme, nous
sommes destinés à devenir obèses.
Et si ce détournement de calories vers les adipocytes est ne serait-ce
qu’un peu supérieur à 1%, nous risquons de devenir à terme
extraordinairement gros. Pourtant, cela semblerait n’être encore qu’une
erreur de jugement relativement minime – quelques pour cent seulement sont
une donnée très difficile à mesurer – mais pas si difficile à imaginer.
TROISIÈME PRINCIPE
Tout ce qui nous fait grossir en nous rendant à la fois plus gras et plus lourds
nous entraîne à trop manger.
C’était là l’enseignement principal tiré de l’expérience de Wade avec les
rates opérées. Ce principe peut sembler contre-intuitif. Pourtant, il
s’applique nécessairement à chaque espèce animale ainsi qu’à chaque être
humain accumulant de la graisse corporelle. C’est sans doute la grande leçon
que nous (y compris les experts de la santé) devons assimiler si nous
voulons comprendre les raisons de la prise de poids et trouver des moyens
de la combattre.
Ce principe exprime une réalité fiable, fondée sur le premier principe de
la thermodynamique (ou principe de la conservation de l’énergie) que les
spécialistes de la santé ont mis tant de détermination à appliquer de façon
erronée. Tout ce dont la masse augmente, pour quelque raison que ce soit,
absorbe plus d’énergie qu’il n’en dépense. Cela signifie que si une anomalie
de notre système de régulation nous fait devenir à la fois plus gras et plus
lourds, elle nous fera nécessairement absorber davantage de calories (notre
appétit grandira) et / ou en dépenser moins que ce ne serait le cas si notre
système de régulation fonctionnait parfaitement.
La croissance de l’enfant constitue une métaphore utile pour mieux
comprendre ce lien de cause à effet entre grossir et trop manger. Par
exemple, mon fils aîné pesait 15,5 kg à pas tout à fait deux ans. 3 ans plus
tard, il avait grandi de 23 cm et pesait alors 23 kg. Ayant pris 7,5 kg en trois
ans, il avait certainement absorbé plus de calories qu’il n’en avait dépensé.
Il s’était suralimenté. Cet excès de calories avait été utilisé pour créer
l’ensemble des tissus et des structures nécessaires à un corps de dimensions
supérieures, y compris davantage de tissus adipeux. Mais mon fils n’a pas
grandi parce qu’il absorbait une quantité excessive de calories. Au contraire:
il a absorbé cette quantité excessive de calories parce qu’il était en pleine
croissance.
La croissance de mon fils, comme celle de n’importe quel enfant, est
fondamentalement due à l’action de l’hormone de croissance. Au fil du
temps, il lui arrivera de traverser des poussées de croissance qui seront
accompagnées d’un appétit vorace et, sans doute, d’une bonne dose de
paresse, mais cet appétit et cette paresse seront motivés par la croissance,
pas l’inverse. Son organisme requerra un excès de calories pour satisfaire
aux exigences de la croissance – former un corps plus grand – et il trouvera
un moyen de les obtenir, que ce soit en augmentant son appétit, en
restreignant sa dépense énergétique, ou les deux. À la puberté, il perdra de la
masse grasse et gagnera en masse musculaire; il continuera à absorber plus
de calories qu’il n’en dépensera, un phénomène lui aussi motivé par des
changements hormonaux.
Le principe selon lequel la croissance est la cause et la suralimentation
l’effet s’applique presque assurément aussi aux tissus adipeux. Pour
paraphraser ce que déclarait le spécialiste de médécine interne allemand
Gustav von Bergmann à ce sujet il y a plus de quatre-vingts ans, il ne nous
viendrait même pas à l’idée qu’un enfant grandit parce qu’il mange trop et ne
bouge pas assez (ou, à l’inverse, qu’il souffre d’un retard de croissance
parce qu’il fait trop d’exercice). Mais dans ce cas, pourquoi supposer que ce
sont des explications valables quand on parle de prendre du poids (ou de
rester mince)? «Ce dont le corps a besoin pour grandir, il le trouve
toujours», écrivait von Bergmann «et ce dont il a besoin pour devenir gras,
dut-ce être dix fois plus, il le détournera à son profit.»
La seule raison de penser que ce n’est pas vrai, que cause et effet
marchent dans un sens quand il s’agit de grandir (la croissance est cause de
suralimentation) et dans un autre quand il s’agit de grossir (la suralimentation
est cause de croissance), est que c’est là ce que nous croyons depuis
toujours, et que nous n’avons jamais pris le temps de questionner pour
vérifier que c’était une hypothèse réellement sensée. Il est en effet beaucoup
plus rationnel de supposer que, dans les deux cas, la croissance détermine
l’appétit, mais aussi la dépense d’énergie, et non l’inverse. Nous ne
grossissons pas parce que nous mangeons trop: nous mangeons trop parce
que nous grossissons.
Étant donné que ce postulat est certes fortement contre-intuitif mais
également indispensable à assimiler, je vais l’illustrer à son tour avec des
exemples issus du monde animal.
Les éléphants d’Afrique sont les plus grands animaux terrestres de notre
planète. Les mâles pèsent généralement plus de cinq tonnes, mais leur corps
contient étonnamment peu de graisse. Les baleines bleues sont les plus
grands animaux de la planète, tant terrestres qu’aquatiques. Elles peuvent
peser 135 tonnes, constituées de graisse pour une grande part. Les éléphants
d’Afrique ingèrent plus de 200 kg et les baleines bleues plus de 3 tonnes5 de
nourriture par jour, ce qui représente des quantités astronomiques, mais ni
les uns ni les autres ne deviennent jamais obèses pour autant. S’ils mangent
des quantités astronomiques de nourriture, c’est parce que ce sont des
animaux gigantesques. Qu’ils possèdent ou non d’importants dépôts de
graisse corporelle, c’est leur très grande taille qui détermine l’énorme
quantité de nourriture qu’ils absorbent.
Les jeunes de ces espèces mangent eux aussi de très grandes quantités de
nourriture. En effet, ils naissent déjà dotés d’un très grand corps, et leurs
gènes les prédisposent à grandir et à grossir encore davantage jusqu’à
atteindre les impressionnantes mensurations mentionnées ci-dessus. Or, la
croissance et la taille corporelle augmentent toutes deux l’appétit, quel que
soit le devenir des calories absorbées: stockées sous forme de graisse ou
utilisées pour développer leurs muscles, organes et autres tissus. Que ces
animaux présentent ou non d’énormes quantités de graisse corporelle, les
mêmes causes aboutissent aux mêmes effets.
Considérons maintenant ce que les chercheurs nomment des «modèles
animaux d’obésité», c’est-à-dire des animaux qui, comme les rates de Wade,
sont rendus artificiellement obèses en laboratoire. Au cours des quatre-vingt
années écoulées, les chercheurs ont appris à rendre obèses des rats et des
souris en faisant appel aux techniques de sélection, à la chirurgie (par
exemple en leur enlevant leurs ovaires), à la nutrition, ainsi qu’à
d’innombrables manipulations génétiques. Les animaux que l’on soumet à
l’un ou l’autre de ces traitements peu tentants ne se contentent pas de
développer des dépôts graisseux associés à une fonction – comme le font par
exemple les baleines bleues ou les écureuils pour pouvoir hiberner – mais
deviennent, eux, réellement obèses et se trouvent d’ailleurs confrontés aux
mêmes troubles métaboliques (diabète compris) que les êtres humains
souffrant d’obésité.
Il est à noter que quelle que soit la technique choisie pour rendre ces
animaux obèses, ils le deviennent – ou grossissent tout du moins très
sensiblement, comme c’était le cas des rates étudiées par Wade – qu’ils aient
ou non la possibilité d’absorber davantage de calories que leurs congénères
non manipulés. S’ils deviennent obèses, ce n’est donc pas parce qu’ils
mangent trop, mais parce que le système de régulation de leurs tissus adipeux
a été perturbé par des modifications physiques ou un changement
d’alimentation. Ils se mettent à stocker des calories sous forme de graisse et
leur organisme se trouve obligé de compenser: s’ils le peuvent, ils mangent
plus, sinon ils réduisent leur dépense d’énergie, et souvent ils font les deux6.
Prenons pour exemple la méthode qui, des années 1930 aux années 1960,
a eu les faveurs des chercheurs qui voulaient rendre obèses des rats et des
souris de laboratoire. Il s’agissait d’une technique chirurgicale nécessitant
d’introduire une aiguille dans une partie du cerveau appelée hypothalamus,
qui régit (et ce n’est pas un hasard) la sécrétion d’hormones pour le corps
tout entier. Après l’opération, une partie des rongeurs se mettait à manger
voracement et devenait obèse, une autre limitait son activité physique et
devenait obèse, et une troisième mangeait voracement, limitait son activité
physique et devenait obèse. La conclusion évidente était, comme le
neuroanatomiste Stephen Ranson fut le premier à le suggérer (c’est le
laboratoire de Ranson, dépendant de la Northwestern University, qui a été
dans les années 1930 à l’origine de ces expériences), que cette opération a
pour effet direct de faire augmenter la quantité de graisse corporelle des
rongeurs. Après l’intervention, leurs tissus adipeux absorbent des calories
pour pouvoir produire davantage de graisse; cela ne laisse pas suffisamment
de carburant disponible pour le reste du corps – ce que Ranson appelait la
«famine semi-cellulaire cachée» – et «force l’organisme soit à augmenter sa
consommation alimentaire générale, soit à limiter ses dépenses, soit à faire
les deux.»
La seule façon d’empêcher ces animaux de devenir obèses est de les
soumettre à une restriction de nourriture «sévère et permanente», pour
reprendre les termes utilisés par un physiologiste de l’université Johns
Hopkins dans les années 1940. Car s’ils ont la possibilité de manger, même
en quantité modérée, ils ne peuvent échapper à l’obésité. En d’autres termes,
ils ne grossissent pas parce qu’ils mangent trop, mais simplement parce
qu’ils mangent. Bien que l’opération soit pratiquée au niveau de leur
cerveau, elle a pour effet de modifier profondément le système de régulation
de la graisse corporelle, pas l’appétit.
La même chose vaut pour les animaux sélectionnés pour être obèses,
c’est-à-dire chez qui l’obésité est induite par la génétique. Dans les années
1950, Jean Mayer étudia dans son laboratoire de l’université de Harvard une
de ces lignées de souris obèses. Il rapporta qu’en les affamant suffisamment,
il parvenait à faire descendre leur poids au-dessous de celui de souris
normales, mais que même ainsi, elles «continuaient à présenter plus de
graisse que les souris normales tandis que leurs muscles avaient fondu.» Ici
encore, le problème n’était pas la suralimentation; comme l’écrivait Mayer,
ces souris «transforment en graisse la nourriture qu’elles ingèrent même dans
les conditions les plus défavorables, y compris lorsqu’on les affame à
moitié.»
Les rats Zucker sont également un exemple intéressant. C’est dans les
années 1960 que les scientifiques ont commencé à étudier ces rongeurs qui
comptent jusqu’à aujourd’hui parmi leurs modèles d’obésité favoris. À
l’instar des souris de Mayer, ces rats sont génétiquement prédisposés à
devenir gras. Un rat Zucker soumis à un régime restreint en calories à partir
du moment où il est sevré ne devient pas plus mince que ses compagnons de
portée libres, eux, de manger à volonté. Au contraire: il devient plus gras.
Son poids peut éventuellement être légèrement inférieur, mais il présente au
moins autant, voire plus de graisse corporelle. Bien qu’empêché d’être aussi
vorace que ses congénères, il engraisse davantage que s’il n’avait jamais été
soumis à un régime restrictif. En contrepartie, ses muscles et ses organes, y
compris son cerveau et ses reins, présentent un volume inférieur à la
normale. De même que les muscles des souris de Mayer «fondaient» quand
on les affamait, les muscles et les organes de ces rats Zucker à moitié
affamés sont d’une taille «nettement réduite» comparés à ceux de leurs
compagnons de portée libres de se nourrir à leur guise. «Afin de permettre le
développement de cette composition corporelle obèse face à une restriction
calorique», écrivait le chercheur qui rapporta cette observation en 1981,
«plusieurs organes en développement chez ces rats obèses sont menacés.»
Arrêtons-nous un instant sur cette réflexion. Si un bébé rat génétiquement
programmé pour devenir obèse est soumis dès son sevrage à un régime tel
qu’il ne peut pas manger plus que ne le ferait un rat mince (au mieux), et ne
peut jamais manger autant qu’il le voudrait, il répond en mettant en danger
ses organes et ses muscles pour satisfaire la pulsion génétique qui le pousse
à engraisser. Son organisme ne se contente pas d’utiliser pour engraisser
l’énergie qu’il dépenserait normalement pour ses activités quotidiennes, il
accapare et utilise les matériaux et l’énergie qu’il consacrerait normalement
à la construction de ses muscles, de ses organes et même de son cerveau.
Lorsque l’on affame ces rongeurs obèses jusqu’à ce que mort s’ensuive –
une expérience n’ayant heureusement été menée que par un petit nombre de
chercheurs –, il est fréquemment fait état qu’une grande partie de leurs tissus
adipeux étaient intacts après leur mort. En fait, lorsqu’ils meurent, ils
présentent fréquemment plus de graisse corporelle que des animaux minces
pouvant manger autant qu’ils le veulent. Lorsqu’un animal est affamé – et
cela vaut également pour l’être humain –, il consomme donc ses muscles
pour disposer de carburant, et cela vaut notamment, à terme, pour son muscle
cardiaque. En d’autres termes, à l’âge adulte, l’organisme de ces animaux
obèses est prêt à mettre en danger les organes – y compris le cœur et, donc,
la vie elle-même – pour préserver le tissu adipeux.
On le voit, le message de quatre-vingts ans de recherches sur des animaux
obèses est simple et inconditionnel, et mérite d’être répété: ce ne sont pas la
gloutonnerie et la paresse qui entraînent l’obésité. Seul un changement dans
le système de régulation du tissu adipeux peut faire d’un animal mince un
animal obèse.
La quantité de graisse corporelle que présentent les animaux obèses est
déterminée par un équilibre entre les différentes forces agissant sur le tissu
adipeux (c’est-à-dire, comme nous le verrons plus tard, sur les adipocytes),
soit pour lui apporter de la graisse, soit pour lui en retirer. Quelle que soit la
façon dont on fait engraisser ces animaux (opération chirurgicale ou
manipulation génétique), elle a pour effet de modifier cet équilibre, de telle
sorte que les animaux accroissent leurs réserves de graisse. Le concept de la
suralimentation, l’idée que l’on peut «trop manger», se vide donc de son sens
car des quantités de nourriture qui seraient normales dans un contexte
habituel deviennent alors excessives. Le tissu adipeux ne réagit pas à la
quantité de nourriture qu’absorbent ces animaux mais uniquement aux forces
qui leur font accumuler de la graisse. Et comme le fait d’augmenter leur
quantité de graisse corporelle exige d’eux une énergie et des nutriments dont
leur organisme a besoin par ailleurs, ils saisissent la moindre occasion de se
nourrir davantage, et s’ils n’en ont pas l’occasion – s’ils sont soumis par
exemple à un régime strict – ils dépensent moins d’énergie, pour la simple
raison qu’ils en ont moins à dépenser. Ils peuvent même aller jusqu’à mettre
en danger leurs organes, parmi lesquels le cerveau, ainsi que leurs muscles.
Même s’ils sont à moitié affamés par un régime extrêmement restrictif, ces
animaux trouvent toujours un moyen d’emmagasiner des calories sous forme
de graisse parce que c’est désormais pour cela qu’est programmé leur tissu
adipeux.
Si cela fonctionne également ainsi chez l’être humain (et il y a peu de
raisons de penser le contraire), cela explique ce qu’il nous est si difficile de
concevoir: que des mères puissent être à la fois très pauvres et en surpoids
tandis que leurs enfants sont maigres et chétifs. Car cela implique qu’en
réalité, tant les mères que les enfants sont à moitié morts de faim. Avec leurs
corps faméliques et leurs retards de croissance, les enfants répondent à la
sous-nutrition d’une façon qui correspond à ce que l’on attend «logiquement»
tandis que les tissus adipeux de leurs mères fonctionnent, eux, selon un
programme différent (nous verrons bientôt comment cela est possible),
accumulant de la graisse en excès et continuant à le faire quoi qu’il arrive,
même si ces femmes ont, comme leurs enfants, à peine assez à manger pour
survivre. Mais elles doivent dépenser moins d’énergie pour compenser.
Avant de passer à autre chose, je souhaite aborder une dernière question:
qu’est-ce que les principes de l’adiposité et la recherche sur les animaux
nous apprennent sur les personnes minces? Outre les modèles animaux
d’obésité, des chercheurs ont également créé ce que l’on pourrait appeler
des «modèles animaux de minceur», c’est-à-dire des animaux dont les gènes
ont été manipulés pour qu’ils soient plus minces qu’ils ne le seraient
naturellement. Ces animaux restent minces même lorsqu’on les force à
consommer plus de calories qu’ils ne le feraient d’eux-mêmes, par exemple
en injectant des nutriments et des calories directement dans leurs intestins.
Dans ces cas-là, il est probable que les animaux doivent se dépenser
davantage pour pouvoir brûler ces calories7.
Cette implication est aussi contre-intuitive que tout ce que nous avons
discuté jusqu’à présent. De même que la recherche animale nous apprend que
la gloutonnerie et la paresse sont les effets secondaires d’une pulsion à
accumuler de la graisse corporelle, elle nous apprend que le fait de manger
avec modération et d’être physiquement actif (littéralement: d’avoir
l’énergie de s’activer) ne sont pas des preuves de rectitude morale, mais les
avantages métaboliques d’un corps programmé pour rester mince. Quelqu’un
dont les tissus adipeux sont régulés de telle façon qu’ils n’emmagasinent
pas de quantités importantes de calories sous forme de graisse, ou dont les
tissus musculaires sont régulés pour brûler plus de calories que la normale,
va soit moins manger que les personnes prédisposées à prendre de
l’embonpoint (cela vaut pour le premier cas de figure), soit être plus actif
physiquement (ce qui vaut pour le second cas), soit les deux.
Ceci implique que si les marathoniens sont si minces, ce n’est pas parce
qu’ils s’entraînent religieusement et brûlent ainsi des milliers de calories.
C’est parce qu’un besoin les pousse à dépenser ces calories – et parfois à
faire plusieurs heures de sport chaque jour, voire à devenir des coureurs de
fond obsessionnels – pour la simple raison qu’ils sont programmés pour
brûler des calories et être minces. De même, si un lévrier est physiquement
plus actif qu’un basset, ce n’est pas parce qu’il désire consciemment faire de
l’exercice, mais parce que son organisme achemine les calories vers ses
tissus maigres et non vers ses tissus adipeux.
On peut avoir envie de croire que l’on reste mince parce que l’on est
vertueux et que l’on prend du poids parce qu’on ne l’est pas, mais les faits
prouvent le contraire. La vertu a à peu près autant d’impact sur notre poids
que sur notre taille. Nous grandissons parce que nos hormones et nos
enzymes nous font grandir et, en conséquence, nous consommons plus de
calories que nous n’en dépensons. La croissance constitue la cause,
l’augmentation de l’appétit et la restriction de la dépense énergétique (que
l’on qualifie respectivement de «gloutonnerie» et de «paresse») en sont les
effets, et nous grossissons suivant le même principe.
Nous ne grossissons pas parce que nous mangeons trop, nous mangeons
trop parce que nous grossissons.
1. Dans les ouvrages de vulgarisation scientifique et médicale, il est d’usage de ne
mentionner que le nom d’un seul chercheur afin d’éviter les répétitions de formules telles
que «Wade et ses étudiants» qui alourdiraient le texte. Je fais de même ici. En réalité,
Wade a mené ses expériences entouré d’étudiants de divers niveaux d’études: il s’agit
donc d’un travail d’équipe, comme c’est presque toujours le cas dans le domaine
scientifique.
2. En juillet 2009, alors que j’écrivais le présent chapitre, l’article de Wikipédia sur
l’obésité ne faisait aucune référence à la régulation des tissus adipeux (alors qu’une
discussion à ce sujet figurait dans l’article Wikipédia correspondant). L’hypothèse
implicite est ici que la régulation du tissu adipeux est un sujet totalement étranger à un
problème caractérisé par une accumulation excessive de graisse dans l’organisme.
3. En utilisant la formule «(presque) assurément», je souhaite indiquer que je suis
tellement convaincu de ce que j’avance que je serais prêt à risquer ma réputation sur cette
affirmation, mais que cela fait trop longtemps que je suis écrivain scientifique et que je
suis un adepte trop fervent du processus scientifique pour me sentir autorisé à supprimer
ce «presque». Dans le domaine scientifique, on ne peut jamais affirmer qu’une thèse est
correcte avant qu’elle n’ait franchi avec succès des tests rigoureux, et cela vaut tout
particulièrement pour les thèses allant à l’encontre de l’opinion générale. D’ailleurs,
lorsque quelqu’un agit ainsi, c’est une bonne raison de ne pas lui faire confiance, qu’il
s’agisse d’un auteur de livres de régime ou d’un expert universitaire. Ceci étant dit, si
vous préférez comprendre «assurément» quand vous lisez «(presque) assurément», vous
êtes presque assurément en droit de le faire!
4. La bosse du chameau constitue un autre exemple d’une importante masse de graisse
existant pour une excellente raison: il s’agit en effet d’une réserve permettant au chameau
de survivre dans le désert sans que l’animal ne doive (comme l’être humain) véhiculer
cette graisse dans des dépôts sous-cutanés, ce qui, en raison de la chaleur qui règne dans
ce milieu, lui poserait des problèmes d’isolation thermique. Il en va de même d’autres
habitants de milieux désertiques, comme par exemple d’une race de moutons du Moyen-
Orient dont la queue et la croupe accumulent d’importantes réserves de graisse, ou du
diable de Tasmanie dont la graisse est également stockée dans la queue.
5. Ceci n’est valable qu’en été. Durant le reste de l’année, les baleines semblent se nourrir
de leurs réserves de graisse, comme le font les rongeurs pendant leur période
d’hibernation.
6. Pour être plus précis, tous les modèles animaux d’obésité étudiés en laboratoire (à ma
connaissance) peuvent être divisés en deux catégories: premièrement, ceux pour qui ces
mêmes relations de cause à effet se vérifient, et deuxièmement ceux sur qui les
chercheurs n’auraient jamais pensé mener ces expériences parce qu’ils n’auraient jamais
imaginé que leurs animaux pouvaient grossir pour une raison autre que la suralimentation.
7. Les chercheurs ne mesurant généralement pas la dépense énergétique de ces rongeurs,
je ne peux que le supposer, non l’affirmer.
1. «Ses conférences (en langue anglaise) étaient très prisées des médecins du Royaume-
Uni et des États-Unis», écrivit The Lancet lorsque Bauer mourut, en 1979, âgé de 92 ans.
2. Cette citation est issue du manuel Obesity and Leanness (Obésité et minceur), publié
en 1940 par Hugo Rony, endocrinologue à l’École de Médecine de l’université de
Northwestern.
3. En 1940, c’est en des termes similaires qu’Hugo Rony décrivait sa conception de la
lipophilie: «En raison de quelque anomalie du [...] tissu adipeux des personnes obèses, ce
tissu absorberait plus rapidement le glucose et les lipides présents dans leur sang et à
partir d’un seuil plus bas que la normale, et résisterait par ailleurs davantage qu’un tissu
adipeux normal à la mobilisation des graisses lorsque l’organisme aurait besoin de
calories pour disposer d’énergie. Cela entraînerait chez les personnes concernées une
augmentation de la sensation de faim ainsi que de l’apport calorique, une grande partie des
aliments ingérés seraient de nouveau accaparés par l’insatiable tissu adipeux, et ce
processus se répèterait jusqu’à ce qu’une obésité généralisée s’ensuive.»
Lorsqu’un acide gras entre dans un adipocyte (ou est créé à l’intérieur de
ce dernier en étant arraché à une molécule de glucose), il est associé à une
molécule de glycérol et à deux autres acides gras pour constituer un
triglycéride, molécule trop volumineuse pour sortir de l’adipocyte. Les trois
acides gras se trouvent donc prisonniers de la cellule adipeuse, et ils le
resteront jusqu’à ce que le triglycéride soit dissocié ou se désagrège: ils
pourront alors s’extraire de la cellule et retourner dans la circulation du
sang. S’il vous est déjà arrivé de faire l’acquisition d’un meuble pour vous
rendre compte en arrivant chez vous qu’il était trop grand pour passer par la
porte de la pièce à laquelle il était destiné, vous voyez sans doute de quoi je
veux parler: on démonte le meuble (quand c’est possible!), on fait passer la
porte aux pièces détachées et on remonte le tout à l’intérieur de la pièce. Et
en cas de déménagement, on recommence en sens inverse.
En conséquence, tout ce qui favorise l’afflux d’acides gras dans les
adipocytes, où ils peuvent être associés pour former des triglycérides,
favorise le stockage des graisses et donc la prise de poids. Et tout ce qui
permet de décomposer ces triglycérides et de les faire retourner à l’état
d’acides gras, qui peuvent alors s’échapper des cellules adipeuses, permet
de mincir. Vous voyez, c’est un processus plutôt simple. Et, comme l’avait
souligné Edwin Astwood il y a un demi-siècle, il existe des douzaines
d’hormones et d’enzymes jouant un rôle dans ces processus, et il est donc
très facile d’imaginer de possibles perturbations entraînant un afflux excessif
de lipides dans les cellules et une excrétion insuffisante.
LES IMPLICATIONS
J’ai évoqué plus haut le cycle de stockage et de brûlage des graisses sur
vingt-quatre heures: le jour, nous mettons de la graisse en réserve pendant
notre digestion (en raison de l’effet des glucides sur l’insuline), puis nous en
déstockons dans les heures qui s’écoulent avant le repas suivant, ainsi que la
nuit pendant notre sommeil. Idéalement, la graisse que nous accumulons
pendant les phases de stockage diurnes est contrebalancée par celle que nous
libérons pendant les phases de brûlage nocturnes et, en définitive, c’est
l’insuline qui contrôle ce cycle car, ne l’oublions pas, lorsque le taux
d’insuline augmente, nous stockons de la graisse tandis que lorsqu’il baisse,
notre organisme mobilise la graisse et l’utilise comme carburant.
Ceci suggère que tout ce qui nous fait secréter plus d’insuline que ne le
prévoit la nature, ou qui maintient des taux d’insuline élevés plus longtemps
que ne le prévoit la nature, allonge les périodes pendant lesquelles nous
stockons de la graisse et raccourcit celles pendant lesquelles nous en
brûlons. Or, comme nous l’avons vu, le déséquilibre qui en résulte –
davantage de graisse stockée, moins de graisse brûlée – peut n’être que de
vingt calories par jour, autrement dit friser l’infinitésimal, et néanmoins
conduire à l’obésité en quelques décennies5.
Mais en allongeant les périodes pendant lesquelles nous stockons de la
graisse plutôt que d’en brûler, l’insuline a indirectement un effet
supplémentaire. Rappelez-vous: notre organisme dépend des acides gras
pour disposer de carburant durant les heures qui suivent un repas, alors que
le taux de sucre sanguin redescend à son niveau d’avant le repas. Mais
l’insuline réprime le flux d’acides gras issus des cellules adipeuses et donne
aux autres cellules de notre corps l’instruction de brûler des glucides. Aussi,
lorsque notre taux de sucre sanguin retrouve un niveau sain, notre organisme
a-t-il besoin d’un carburant de remplacement.
Si le taux d’insuline reste élevé, les lipides ne sont pas accessibles. Pas
plus que les protéines, que nos cellules peuvent également utiliser comme
carburant en cas de besoin, car l’insuline agit également de façon à ce que la
protéine reste stockée dans les muscles. Et nous ne pouvons pas non plus
faire appel aux glucides stockés dans notre foie et dans notre tissu
musculaire car l’insuline les garde également «sous clé».
En conséquence, nos cellules se trouvent privées de carburant, et nous
ressentons leur faim. Cela peut soit nous inciter à manger plus tôt que nous
n’avions l’intention de le faire, soit à manger davantage au moment prévu,
soit les deux. Comme nous l’avons vu, tout ce qui nous fait grossir nous
entraîne à trop manger. Et c’est exactement ce que fait l’insuline.
Pendant ce temps, notre corps grossit parce que nous stockons de la
graisse, et cela augmente nos besoins en carburant. Une personne qui
accumule de la graisse développe également du muscle pour pouvoir porter
cette graisse (et ce, ici encore, en partie grâce à l’insuline qui fait en sorte
que chaque protéine que nous consommons soit utilisée pour réparer les
cellules musculaires et les organes, ainsi que pour augmenter si nécessaire la
masse musculaire.) Ainsi, à mesure que nous accumulons de la graisse, notre
besoin énergétique augmente et, par conséquent, notre appétit aussi – et tout
particulièrement notre appétit de glucides, car c’est le seul nutriment que nos
cellules peuvent utiliser comme carburant lorsque notre taux d’insuline est
élevé. C’est un véritable cercle vicieux, et c’est ce cercle vicieux qu’il nous
faut éviter. Celles et ceux d’entre nous qui sont prédisposé(e)s à accumuler
de la graisse ressentent une envie irrépressible de manger précisément les
aliments riches en glucides qui vont les faire grossir.
1. Pour être précis, l’insuline fait des réserves de graisse dans le tissu adipeux et fait en
sorte qu’elle y reste. Pour compenser, nos muscles sont contraints à brûler davantage de
glucides et consomment ainsi nos réserves de glycogène, ce qui peut en soi suffire à
augmenter notre appétit. Résultat: notre corps demande à manger plus et à dépenser
moins d’énergie tandis que notre tissu adipeux se remplit continument de graisse.
2. Des chercheurs du Joslin Diabetes Center de Boston ont simulé sur des souris de
laboratoire les conséquences de l’insulinorésistance de certains tissus. Ils ont créé des
souris chez qui certains tissus étaient dépourvus de ce que l’on appelle des «récepteurs»
d’insuline – autrement dit complètement résistants à l’insuline. Comme on pouvait s’y
attendre, les souris dont les myocytes étaient dépourvus de récepteurs d’insuline, mais
pas les adipocytes, devenaient obèses: ces animaux aiguillaient le glucose non vers leurs
muscles pour produire de l’énergie, mais vers leurs tissus adipeux où il était mis en
réserve. En revanche, les souris dont les adipocytes étaient dépourvus de récepteurs
d’insuline étaient minces, et le restaient même lorsqu’on les suralimentait de force.
1. La façon dont notre taux de sucre sanguin (notre glycémie) répond à différents
aliments est appelée «index glycémique» ou IG; c’est un outil de mesure assez fiable de la
façon dont l’insuline répondra à son tour à ces aliments. Plus un aliment donné a un IG
élevé, plus il fait monter la glycémie. On trouve sur le marché des livres entiers
consacrés aux moyens de réduire l’index glycémique de notre alimentation et, ce faisant,
la quantité d’insuline que nous secrétons et la quantité de graisse que nous accumulons.
C’est le cas du livre Le nouveau régime IG d’Elvire Nérin et Angélique Houlbert (Thierry
Souccar Éditions, 2010), une des références francophones en la matière.
1. Selon des résultats de recherches publiés en 1952 dans la revue d’économie agricole
Journal of Range Management, on peut même amener des bovins à manger des aliments
qu’ils dédaigneraient en temps normal si ces aliments sont préalablement recouverts de
sucre.
Comme je l’ai déjà indiqué, presque rien de ce que j’ai écrit jusqu’ici
dans cet ouvrage n’est nouveau. Et la notion selon laquelle ce sont les
glucides qui causent l’obésité et que l’abstinence de féculents, de farines et
de sucres en est donc la méthode de traitement et de prévention la plus
évidente pas plus qu’une autre. Ce que Brillat-Savarin écrivit en 1825 a été
depuis lors répété et réinventé à nombreuses reprises. Jusque dans les années
1960, c’était ce que tout le monde pensait pour ainsi dire «naturellement», y
compris nos parents et grands-parents. Puis c’est le modèle prônant
l’équilibre entre les calories consommées et les calories dépensées qui fut
adopté et, à partir de ce moment-là, les régimes comme celui que
recommandait Brillat-Savarin furent présentés par les autorités de santé
comme des phénomènes de mode dangereux pour la santé ou «des concepts
nutritionnels bizarres», comme les désigna l’American Medical Association
en 1973.
En agissant ainsi, les autorités de santé empêchèrent non seulement
beaucoup de gens d’essayer ces régimes, mais sans doute aussi les médecins
de les promouvoir. Comme le Dr Ornish (un médecin devenu célèbre grâce
au régime éponyme dont la composition nutritionnelle est à l’opposé de celle
de Brillat-Savarin, c’est-à-dire très pauvre en matières grasses et riche en
glucides) se plaît à le dire, et précisément dans ce contexte, on peut perdre
du poids par de nombreux moyens nocifs pour notre santé, notamment en
consommant des drogues telles que le tabac ou la cocaïne, mais ce n’est pas
pour autant une raison de le faire.
Il s’agit là d’une des mutations les plus incompréhensibles du siècle passé
en matière de nutrition et de régimes. En effet, l’idée que les glucides font
grossir a existé pendant la plupart des 200 dernières années. Prenons par
exemple deux romans publiés à environ un siècle d’intervalle, Anna
Karénine de Tolstoï, écrit au milieu des années 1870, et Herzog de Saul
Bellow (1964). Dans le premier, l’amant d’Anna, Alexis Vronski, s’abstient
de manger des glucides pour se préparer à la course de chevaux qui constitue
une des scènes cruciales du roman: «Le jour des courses de Krasnoé-Selo,
Vronski vint, plus tôt que d’habitude, manger un bifteck dans la salle
commune des officiers; il n’était pas trop rigoureusement tenu à restreindre
sa nourriture, son poids répondant aux quatre pouds exigés, mais il ne fallait
pas engraisser, et il s’abstenait en conséquence de sucre et de farineux.»
Dans le second c’est le personnage principal, Moses Herzog, qui se refuse
une friandise sucrée pour des raisons identiques, pensant à l’argent qu’il a
dépensé pour des vêtements neufs qui ne lui iraient plus s’il mangeait des
glucides.
Voilà ce que les médecins ont longtemps cru et expliqué à leurs patients
obèses. Or, il est notable que le moment où ils ont changé d’opinion, c’est-à-
dire entre les années 1960 et la fin des années 1970, coïncide avec le début
de l’épidémie actuelle d’obésité et de diabète. Étant donné que la plupart des
médecins d’aujourd’hui sont d’avis qu’éviter les glucides pour perdre du
poids reflète une étrange idée de la nutrition, je souhaite résumer ici
l’historique de cette conception afin que vous sachiez d’où elle vient et
quelle a été son évolution.
1. Lors de ces colloques, les régimes restreints en calories n’étaient pas mentionnés
parmi les traitements de l’obésité car les médecins présents savaient fort bien que ces
régimes échouaient dans pratiquement tous les cas. Toutefois, on abordait
occasionnellement l’efficacité du jeûne complet, qui était certes réelle mais ne durait que
tant que les patients n’avaient pas recommencé à se nourrir.
1. C’est le régime de Donaldson qui, à la fin des années 1940, donna à Alfred Pennington
l’idée de prescrire à des cadres de l’entreprise Du Pont une alimentation essentiellement
carnée, et c’est le travail de Pennington qui incita Herman Taller, un obstétricien new-
yorkais, à écrire Les calories ne comptent pas, qui allait devenir l’un des livres de régime
les plus controversés de l’histoire de la diététique et aurait une grande influence sur le
débat – toujours actuel – consacré aux régimes hypoglucidiques.
2. Cordain et al. (cf. bibliographie).
3. On retrouve le même comportement chez les carnivores. Les lions, par exemple,
mangent les viscères (viande grasse) de leurs proies et en laissent les muscles (viande
maigre) aux charognards.
4. En 1997, John Higginson, directeur fondateur du Centre international de Recherche sur
le Cancer (CIRC, une agence faisant partie de l’Organisation mondiale de la Santé),
qualifiait de «choc culturel» l’expérience des médecins qui, après avoir suivi leurs études
en Europe ou en Amérique du Nord, partaient exercer dans l’une de ces sociétés non
occidentalisées, comme il l’avait fait lui-même un demi-siècle plus tôt en Afrique du Sud.
Ces médecins découvraient, écrivit-il «que les schémas et la pathogenèse des maladies
[…] étaient très différents de ce à quoi ils étaient habitués sous d’autres cieux. De plus,
ces différences ne se limitaient pas aux maladies transmissibles, contrairement à ce qu’ils
auraient pu supposer, mais concernaient également des maladies chroniques comme le
cancer ou les maladies cardiovasculaires.»
5. L’hypothèse selon laquelle la viande serait cancérigène «ne tient pas la route» en ce qui
concerne les Amérindiens, comme le nota en 1910 Isaac Levin, pathologiste à
l’université de Columbia. «Ils consomment de grandes quantités d’aliments [riches en
azote – c’est-à-dire de viande] et ce, fréquemment en excès» et pourtant, ils ne
connaissaient pratiquement pas de cas de cancer, comme Levin l’avait confirmé dans le
cadre d’une étude menée par des médecins du Bureau des affaires indiennes qui
travaillaient dans des réserves disséminées dans tout le Midwest et l’Ouest des États-
Unis.
L’ARGUMENT DE L’ESCROQUERIE
Que dire encore à ce propos? Une grande partie de l’hostilité à l’égard des
régimes à teneur réduite en glucides provient, depuis toujours, de la
conviction que les partisans de ces régimes veulent en réalité escroquer un
public crédule. Perdre du poids en mangeant autant que l’on veut?
Impossible.
Mais nous avons vu au fil des chapitres précédents ce qui se passe
lorsque l’on réduit sa consommation de glucides et pourquoi cela entraîne
une perte de poids, et notamment une perte de graisse corporelle,
indépendamment du nombre de calories de matières grasses ou de protéines
que l’on consomme par ailleurs. Et nous savons aussi que les lois de la
physique n’ont rien à voir avec cela.
Lorsque l’on considère tous les effets des matières grasses et des glucides
issus de notre alimentation ainsi que tous les facteurs de risque
cardiovasculaire ayant été découverts à mesure que la science évoluait
depuis les années 1970, un tableau radicalement différent se fait jour.
Commençons par ce que l’on sait des triglycérides. Ils constituent
également un facteur de risque cardiovasculaire. Plus notre taux de
triglycérides (molécules qui sont transportées par les mêmes lipoprotéines
que le cholestérol) est élevé, plus nous courons le risque d’avoir un
infarctus. Ceci n’est mis en doute par personne. Or, ce sont les glucides que
nous ingérons qui augmentent notre taux de triglycérides; les graisses,
qu’elles soient ou non saturées, n’ont aucune incidence sur eux.
Autrement dit, si vous remplacez les graisses saturées par des glucides –
si vous remplacez par exemple les œufs au bacon du petit déjeuner par,
disons, des cornflakes, du lait écrémé et une banane – il se peut que votre
cholestérol diminue, mais vos triglycérides, eux, augmenteront. La
diminution de votre cholestérol, qui pourrait être une bonne chose
(j’expliquerai brièvement ci-après pourquoi je souligne «pourrait»), sera
alors compensée par un phénomène nocif, l’augmentation de vos
triglycérides. C’est un fait qui n’a pas été mis en doute depuis les années
1960.
Un faible taux de cholestérol HDL (le «bon» cholestérol) est également un
facteur de risque cardiovasculaire. Le risque d’infarctus est beaucoup plus
important chez un individu qui présente un faible taux de HDL que chez un
autre dont le taux de cholestérol total ou HDL est élevé. Chez les femmes, le
taux de HDL permet même de prédire une future maladie cardiovasculaire
avec un tel degré de précision qu’il est de facto le seul indice sérieux de
prévision de ce risque. (Par ailleurs, lorsque l’on cherche des facteurs
génétiques susceptibles de prédisposer certaines personnes à vivre
exceptionnellement longtemps – plus de 95 ou de 100 ans –, l’un des rares
gènes qui réponde à la définition en est un qui confère un taux naturellement
élevé de cholestérol HDL.)
Si vous remplacez les matières grasses, y compris les graisses saturées,
par des glucides, vous diminuez votre HDL – et augmentez donc votre risque
d’infarctus, au moins en ce qui concerne cet indice de prévision de risque.
Pour reprendre mon exemple, si vous remplacez les œufs au bacon de votre
petit déjeuner par des cornflakes, du lait écrémé et une banane, votre («bon»)
cholestérol HDL va diminuer tandis que votre risque cardiovasculaire, lui,
augmentera. À l’inverse, si vous mangez habituellement des céréales, du lait
écrémé et des bananes et décidez de les remplacer par des œufs au bacon,
votre cholestérol HDL va augmenter et votre risque cardiovasculaire
diminuer. On sait cela depuis les années 1970.
Les conseils que l’on nous prodigue depuis de nombreuses années –
baisser notre taux de cholestérol total et de LDL ainsi que perdre du poids
(en mangeant moins de graisses saturées et davantage de glucides) – sont en
contradiction flagrante avec le conseil que l’on pourrait nous donner pour
augmenter notre HDL – HDL qui, comme nous l’avons vu, est un indice de
risque cardiovasculaire beaucoup plus fiable. On nous a dit que nous
pouvions augmenter notre cholestérol HDL en étant physiquement actif, en
perdant du poids et même en consommant de l’alcool avec modération, mais
ce n’est que bien rarement que l’on évoque la possibilité d’obtenir le même
résultat en remplaçant les glucides de notre alimentation par des matières
grasses. (La raison probable pour laquelle la perte de poids est si efficace
pour faire augmenter le taux de HDL est que si l’on perd du poids, c’est
parce que l’on mange moins de glucides, notamment moins de glucides
comptant parmi les plus adipogènes – et ce, nous l’avons vu, y compris
lorsque l’on suit un régime hypocalorique. Par conséquent, le taux d’insuline
baisse, la personne perd du poids, et son taux de HDL n’augmente que parce
qu’elle a modifié son apport glucidique.)
Les nutritionnistes et les autorités en charge de la santé publique, qui
insistent de façon si résolue pour que nous ayons une alimentation pauvre en
matières grasses et riche en glucides afin d’éviter les maladies
cardiovasculaires, reconnaissent pourtant dans d’autres contextes que non
seulement les régimes hyperglucidiques font baisser le cholestérol HDL,
aggravant ainsi le risque de maladies cardiaques, mais qu’ils le font même
de façon si fiable que depuis quelque temps, des chercheurs se fondent sur le
taux de HDL des sujets participants à leurs essais cliniques pour déterminer
la quantité de glucides qu’ils consomment. Dans un récent article du New
England Journal of Medicine, on pouvait lire que le cholestérol HDL est
«un biomarqueur des glucides alimentaires.»6 En d’autres termes, si votre
taux de HDL est élevé, il y a fort à parier que vous mangiez peu de glucides.
Si au contraire, votre taux de cholestérol HDL est faible, il est probable que
votre alimentation en regorge.
En accordant de l’attention à la façon dont le HDL et les maladies
cardiovasculaires sont liés – et pas seulement le LDL (dit «mauvais»
cholestérol) et le cholestérol total – on peut apprendre des choses sur les
prétendus risques et bénéfices d’aliments – notamment la viande rouge, les
œufs au bacon, et même le beurre ou le saindoux – qu’il vaudrait peut-être
mieux privilégier au lieu des glucides adipogènes. Il est important de
comprendre que les graisses contenues dans ces aliments ne sont pas toutes
saturées. En fait, ces graisses animales se composent – ainsi que les graisses
végétales – d’un mélange de graisses saturées et insaturées qui, toutes, ont un
impact différent sur notre taux de cholestérol LDL et HDL.
Prenons l’exemple du saindoux, longtemps considéré comme l’archétype
d’une matière grasse extrêmement mauvaise pour la santé. Par le passé, il
était employé dans de nombreuses préparations culinaires, notamment dans
la moitié Nord de la France, avant d’être remplacé en grande partie par des
graisses trans (artificielles), dont les nutritionnistes ont découvert qu’elles
pourraient en fin de compte favoriser les maladies cardiovasculaires.
Lorsque l’on examine la composition nutritionnelle du saindoux, on se rend
compte qu’environ la moitié des graisses qu’il contient (47% pour être
exact) sont monoinsaturées, ce qui devrait logiquement le classer dans la
catégorie des matières grasses presque unanimement considérées comme
bonnes pour la santé. Les graisses monoinsaturées augmentent le taux de
cholestérol HDL et diminuent le cholestérol LDL (deux points positifs à en
croire les médecins). Et 90% de ces graisses monoinsaturées se composent
du même acide oléique que celui que l’on trouve dans l’huile d’olive – huile
d’olive dont les champions de la diète méditerranéenne chantent les louanges
sur tous les tons. Il est vrai que par ailleurs, le saindoux contient
effectivement un peu plus de 40% de graisses saturées; mais un tiers de
celles-ci se composent de l’acide stéarique que l’on trouve dans le chocolat,
et qui est aujourd’hui également considéré comme une «bonne» matière
grasse car il augmente le taux de HDL sans avoir d’impact sur le LDL (un
point positif et un point neutre). Les graisses restantes (environ 12% du total)
sont polyinsaturées et font donc baisser le taux de cholestérol LDL sans
avoir d’impact sur le HDL (ici aussi un point positif et un point neutre).
Au total, plus de 70% des matières grasses qui composent le saindoux
améliorent donc le profil de cholestérol par rapport à ce qui se passe lorsque
l’on remplace le saindoux par des glucides. Et les 30% restants augmentent
certes le «mauvais» cholestérol LDL, mais également le «bon» cholestérol
HDL. En d’autres termes, et aussi incroyable que cela puisse paraître, si
vous remplacez les glucides que vous consommez par la même quantité de
saindoux, vous réduirez de fait votre risque d’infarctus. Vous acquerrez une
meilleure santé. Et il en va de même de la viande rouge, des œufs au bacon,
ainsi que de pratiquement tous les produits animaux susceptibles d’être
mangés en remplacement des glucides qui nous font grossir. (Le beurre étant
un cas un peu à part car seule la moitié des matières grasses qui le
composent améliorent réellement notre profil de cholestérol; notons
néanmoins que si l’autre moitié augmente le LDL, elle augmente également le
HDL.)
Examinons à présent les résultats d’essais cliniques dans le cadre
desquels on demandait aux personnes recrutées de faire exactement ce que je
viens de suggérer, c’est-à-dire de remplacer les glucides adipogènes qu’ils
avaient l’habitude de manger par des produits d’origine animale riches en
matières grasses, et notamment en graisses saturées.
Au cours des dix dernières années, de nombreux essais ont comparé
l’impact de régimes à la fois très pauvres en glucides et riches en lipides et
en protéines – du type «Atkins», un régime devenu célèbre lors de la
parution en 1972 du bestseller du Dr Robert Atkins «Dr. Atkins’ Diet
Revolution», édité en France en 1975 sous le titre La révolution diététique
du Docteur Atkins et dont une nouvelle version vient de sortir en France
sous le titre Le nouveau régime Atkins – avec l’impact de régimes allégés en
matières grasses et en calories tels que ceux que recommande notamment
l’American Heart Association.
Ces essais sont les meilleures études jamais consacrées aux effets d’une
alimentation riche en matières grasses et en graisses saturées, à la fois sur le
poids et sur les facteurs de risque cardiovasculaires et de diabète. Leurs
résultats sont remarquablement convergents. Une partie des sujets participant
à ces études étaient autorisés à manger autant de matières grasses et de
protéines (donc de viande, de poisson et de volaille) qu’ils le souhaitaient
mais devaient éviter les glucides (qui ne devaient pas dépasser au maximum
50 ou 60 g par jour, soit l’équivalent de 200 à 240 calories); ils étaient
comparés avec un groupe de sujets devant, eux, non seulement réduire leur
apport en calories totales, mais surtout éviter les matières grasses et les
graisses saturées. Chez les sujets qui mangeaient essentiellement des
matières grasses et des protéines, on constata ce qui suit:
1• Ils avaient perdu au moins autant – et pour certains beaucoup plus – de
poids que les autres.
2• Leur taux de cholestérol HDL avait augmenté.
3• Leur taux de triglycérides avait considérablement diminué.
4• Leur tension artérielle avait baissé.
5• Leur taux de cholestérol total était demeuré à peu près stable.
6• Leur taux de cholestérol LDL avait légèrement augmenté.
7• Leur risque d’infarctus avait fortement diminué.
Examinons l’une de ces études en détail. Intitulée A TO Z [d’après les
quatre initiales des régimes étudiés (cf. ci-dessous), «from A to Z» signifiant
par ailleurs «de A à Z» – NDT], cette étude coûta deux millions de dollars,
financés par le gouvernement des États-Unis; elle fut menée par des
chercheurs de l’université Stanford et ses résultats furent publiés en 2007
dans The Journal of the American Medical Association. Elle comparait
quatre régimes:
1• Le régime Atkins (A): 20 g de glucides par jour pendant les 2-3 premiers
mois; ensuite 50 g. Protéines et lipides à volonté.
2• Un régime traditionnel (T), également connu sous le nom de régime
LEARN: restriction calorique, les glucides constituant 55 à 60% de
l’ensemble des calories consommées, les matières grasses moins de 30% et
les graisses saturées moins de 10%. Activité physique régulière
recommandée.
3• Le régime Ornish (O): moins de 10% des calories issues des matières
grasses. Les sujets devaient méditer et faire de l’exercice.
4• Le régime Zone (Z): 30% des calories issues des protéines, 40% des
glucides et 30% des matières grasses.
Le tableau ci-contre présente les effets respectifs des quatre régimes sur
le poids et les facteurs de risque cardiovasculaire des sujets un an après le
début de l’étude:
Ce qui ressort de ces résultats, c’est que les sujets qui suivaient le régime
Atkins, à qui l’on avait demandé de ne pas se restreindre en termes de
quantité de nourriture et de manger de la viande rouge – avec les graisses
saturées qui vont avec – à volonté, perdaient plus de poids, voyaient leur
taux de triglycérides diminuer davantage (un bon point), leur taux de
cholestérol HDL augmenter davantage (un autre bon point) et leur tension
artérielle baisser davantage (encore un bon point) que les sujets soumis aux
autres régimes étudiés7.
Voici comment les chercheurs de Stanford se prononcèrent sur les
résultats:
De nombreuses inquiétudes ont été exprimées concernant les régimes
amincissants à faible teneur en glucides et forte teneur en graisses totales et
en graisses saturées, dont on craint qu’ils n’influent défavorablement sur les
taux de lipides sanguins et le risque cardiovasculaire. Ces inquiétudes n’ont
pas été corroborées par les récents essais menés sur différents régimes
amincissants. Ces essais récents, et notamment la présente étude, ont
systématiquement montré que les taux de triglycérides et de cholestérol HDL,
la tension artérielle et le niveau d’insulinorésistance, soit ne différaient pas
de façon significative, soit étaient plus satisfaisants chez les sujets soumis à
un régime très pauvre en glucides.
La cheville ouvrière de cet essai était Christopher Gardner, directeur du
département de nutrition du Stanford Prevention Research Center. Il
présenta les résultats lors d’une conférence intitulée The Battle of the Weight
Loss Diets: Is Anyone Winning (at Losing)? (La bataille des régimes
amincissants: y a-t-il un vainqueur?) qu’il est possible d’écouter sur
YouTube. Il débuta son intervention en expliquant que, végétarien depuis 25
ans, il avait voulu mener cette étude parce qu’il s’inquiétait de la possible
dangerosité de régimes tels que le régime Atkins – pauvres en glucides, riche
en viande et en graisses saturées. Et que le triomphe de ce même régime
Atkins avait été pour lui «difficile à avaler».
LE SYNDROME MÉTABOLIQUE
Ce que j’ai essayé de montrer dans ce chapitre, c’est que la peur des
graisses, et en particulier des graisses saturées, prend son origine dans l’état
des connaissances scientifiques des années 1960 et 1970, mais qu’elle ne
résiste pas aux découvertes de recherches plus récentes ni à l’état des
connaissances scientifiques d’aujourd’hui. Ceci étant dit, il nous reste encore
un point très important à aborder.
J’ai évoqué précédemment ce qui se passe lorsqu’une personne devient
insulinorésistante, c’est-à-dire que les cellules de ses muscles et de son foie,
notamment, développent une résistance à l’action de l’hormone insuline. Non
seulement cette personne secrète plus d’insuline en réaction et tend pour
cette raison à prendre du poids – et tout particulièrement au niveau de la
taille où les cellules adipeuses sont les plus sensibles à l’insuline –, mais
elle développe également peu à peu de nombreux autres troubles
métaboliques: sa tension artérielle augmente ainsi que son taux de
triglycérides, son cholestérol HDL diminue; de plus, les particules de LDL
qui circulent dans son sang deviennent plus petites et plus denses; elle
devient intolérante au glucose: il lui devient donc difficile de contrôler sa
glycémie; elle peut même développer un diabète de type 2 si son pancréas ne
parvient plus à secréter suffisamment d’insuline pour compenser
l’insulinorésistance.
Ce faisceau de facteurs de risque cardiovasculaire porte le nom de
«syndrome métabolique» (ou, dans la langue courante, de «syndrome de la
bedaine») et constitue de fait une étape intermédiaire vers les maladies
cardiovasculaires. Selon les estimations officielles, plus d’un quart de la
population adulte des États-Unis et environ une femme sur six et un peu
moins d’un homme sur quatre en France souffrent aujourd’hui du syndrome
métabolique. La raison pour laquelle ces chiffres sont si élevés est que parmi
les symptômes du syndrome métabolique, on compte le diabète et l’obésité,
qui connaissent actuellement tous deux de véritables épidémies. À mesure
qu’un individu grossit et, tout spécialement, que son périmètre abdominal
augmente, il tend à avoir des difficultés croissantes à maîtriser sa glycémie
et risque davantage de souffrir d’hypertension, d’athérosclérose, de maladies
cardiovasculaires ou d’AVC. Toutes ces maladies sont liées au même groupe
de ce que les spécialistes appellent «anomalies lipidiques», à savoir: taux de
cholestérol HDL bas, taux de triglycérides élevé, LDL petites et denses. Ces
anomalies lipidiques sont dues à l’insulinorésistance et à la sécrétion
d’insuline accrue qui l’accompagne; elles sont donc causées in fine par les
glucides que nous mangeons et, parmi eux, sans doute surtout par les sucres
(saccharose et sirop de glucose-fructose).
En ce qui concerne le syndrome métabolique, les connaissances
scientifiques ont beaucoup évolué depuis la fin des années 1950, époque à
laquelle des chercheurs ont établi pour la première fois un lien entre la
consommation de glucides et un taux élevé de triglycérides, ainsi qu’entre ce
dernier et les maladies cardiovasculaires. Ces liens sont passés quasi
inaperçus durant des décennies, pour la simple raison que spécialistes des
maladies cardiovasculaires et nutritionnistes étaient littéralement obnubilés
par les graisses saturées et le cholestérol. Ils ne voyaient pas de nécessité à
explorer des voies alternatives pour expliquer la survenue des infarctus: ils
ne le firent donc pas. La personnalité motrice de la recherche sur le
syndrome métabolique a été un médecin de l’université Stanford, Gerald
Reaven, qui comprit précocement que ce sont la sécrétion excessive
d’insuline et l’insulinorésistance qui sont les principaux facteurs à l’origine
de toute cette série de troubles métaboliques.
Lorsque les autorités sanitaires commencèrent, au milieu des années
1980, à accorder de l’attention aux travaux de Reaven, elles rechignèrent à
accepter les thèses qu’il avançait, car c’étaient les glucides, et non les
matières grasses, que ses recherches accusaient comme étant la cause
alimentaire des maladies cardiovasculaires et du diabète. «Toute personne
qui consomme davantage de glucides doit se débarrasser de cette charge en
secrétant plus d’insuline», expliqua Reaven au National Institute of Health
lors d’une conférence sur le diabète en 1986, avant de présenter des preuves
des liens existant entre l’insuline et les maladies cardiovasculaires. À juste
titre, le président de la conférence, George Cahill de l’université de
Harvard, déclara au sujet des découvertes de Reaven qu’ils «parl[ai]ent
pour eux». C’est d’ailleurs là que le bât blessait, et l’un des administrateurs
du National Institute of Health, se référant au travail de Reaven, le reconnut
sans ambages: «Parfois, nous voudrions qu’il disparaisse car personne ne
sait qu’en faire.»
Les connaissances scientifiques actuelles sur le syndrome métabolique
représentent vraisemblablement la plus grande avancée des cinquante
dernières années dans la compréhension de ce qui cause des maladies
cardiovasculaires et de leurs liens étroits avec l’hypertension, l’obésité et le
diabète. Ces connaissances expliquent pourquoi ces trois pathologies
augmentent de façon très importante le risque cardiovasculaire et pourquoi,
lorsqu’un individu souffre de l’une des trois, il risque d’être également
atteint des deux autres. Ce que le syndrome métabolique nous apprend, c’est
que les maladies cardiovasculaires et le diabète ne sont pas causés par des
facteurs de risque isolés – un taux bas de cholestérol HDL par exemple, ou
un taux élevé de triglycérides, ou des particules de LDL petites et denses –
mais par le fait que l’insulinorésistance, ainsi qu’un taux élevé d’insuline et
de sucre sanguin, sèment la confusion dans toutes les cellules de l’organisme.
En effet, l’insuline agit sur les adipocytes (les cellules adipeuses) pour
que nous accumulions de la graisse corporelle. Les adipocytes en expansion
libèrent alors des molécules, les «cytokines de l’inflammation», qui ont des
effets nocifs sur notre organisme tout entier. Au niveau du foie, elle induit la
transformation des glucides en graisse (composée de triglycérides), graisse
qui est envoyée dans le sang et là, sur les particules de LDL qui deviennent
alors progressivement petites et denses. L’insuline agit également sur les
reins pour faire monter la tension artérielle en réabsorbant le sodium (ce qui
a le même effet que manger d’énormes quantités de sel) ainsi qu’en affectant
la sécrétion d’acide urique, qui s’accumule également dans le sang en
quantités préjudiciables à la santé. (Un excès d’acide urique dans le sang
provoque la goutte, une pathologie également liée à l’obésité et au diabète, et
dont l’incidence est elle aussi en augmentation dans les sociétés
occidentales.) Elle a aussi des effets sur les parois des artères, causant leur
durcissement mais aussi une accumulation de triglycérides et de cholestérol
dans des plaques athérosclérotiques en formation.
Parallèlement, le taux de sucre sanguin chroniquement élevé qui va de
pair avec l’insulinorésistance crée un grand nombre de problèmes. Il expose
le corps tout entier à un stress oxydant (c’est pour prévenir, ou combattre, ce
stress oxydant que l’on nous répète à l’envi qu’il faut manger des aliments
riches en antioxydants). Il entraîne également la création de produits de
glycation avancée ou AGE, des composés toxiques semblant être à l’origine
de nombreux phénomènes, du durcissement de nos artères au vieillissement
de notre peau en passant par le vieillissement prématuré induit par le
diabète.
Pour diagnostiquer un syndrome métabolique, on conseille aux médecins
de vérifier en premier lieu si le périmètre abdominal de la personne est en
augmentation, le syndrome métabolique étant étroitement lié à l’obésité.
Étant donné que dire que quelqu’un est atteint d’un syndrome métabolique
équivaut à dire qu’il ou elle est insulinorésistant(e), les spécialistes font
porter la responsabilité des deux pathologies aux habitudes sédentaires et à
la suralimentation. Pourquoi? Parce qu’ils croient que les habitudes
sédentaires et la suralimentation font grossir. Ils conseillent donc (cela nous
est désormais familier) de suivre un régime allégé en matières grasses –
parce qu’ils s’inquiètent du risque cardiovasculaire accru qui accompagne le
syndrome métabolique –, de manger moins, et de bouger plus – parce qu’ils
pensent que c’est ainsi que l’on perd du poids.
Faisons appel au bon sens. Comme le disait Reaven il y a déjà un quart de
siècle, ce sont les glucides qui augmentent le taux d’insuline. Nous savons
maintenant que les glucides nous font grossir, et il a été démontré dans de
nombreux essais cliniques que les régimes à faible teneur en glucides et à
forte teneur en matières grasses amélioraient toutes les anomalies d’ordre
métabolique et endocrinien inhérentes au syndrome métabolique – taux de
cholestérol HDL bas, taux de triglycérides élevé, LDL petites et denses,
tension artérielle élevée, insulinorésistance et taux d’insuline chroniquement
trop élevés. Tout cela suggère donc à l’évidence que les glucides qui font
grossir sont également ceux qui causent le syndrome métabolique. Et indique
que, de même que pour l’obésité et le surpoids, le meilleur – et peut-être le
seul – moyen de traiter cette pathologie est d’éviter les aliments riches en
glucides, et tout particulièrement ceux que l’on digère facilement, ainsi que
les sucres.
1. Le Régime Miami (2005) est une autre variante à succès du même principe, à la
différence près qu’il met l’accent sur les viandes maigres et les matières grasses
d’origine végétale (notamment les huiles d’olive et de colza, les avocats et les fruits à
coque). Un essai clinique mené sur ce régime a montré que les sujets présentaient,
comme on pouvait s’y attendre, une perte de poids comparable à celle qu’induisaient les
régimes de type Atkins, mais une amélioration plus faible des facteurs de risque
cardiovasculaire et de diabète.
2. Robert Kemp partagea son expérience dans une série de trois articles publiés dans la
revue médicale britannique Practitioner entre 1963 et 1972, période à la fin de laquelle
le nombre des patients obèses ou en surpoids qu’il avait traités s’élevait à presque 1 500.
Wolfgang Lutz présenta quant à lui les résultats de ses travaux dans un ouvrage intitulé
Leben ohne Brot («Une vie sans pain», 1967) dont une version, révisée conjointement
avec le biochimiste Christian Allan, fut publié en anglais sous le titre Life without bread
– How a low-carbohydrate diet can save your life (2000, «Une vie sans pain –
Comment un régime pauvre en glucides peut vous sauver la vie»).
3. Dans leur ouvrage The Carbohydrate Addict’s Diet, Rachel et Richard Heller avancent
en fait exactement le contraire: selon eux, la méthode la plus efficace pour perdre du
poids sur la durée est un régime incluant quotidiennement un «repas récompense»
équilibré contenant des glucides. Ce concept est sans doute susceptible de fonctionner et
de mériter d’être essayé, mais jusqu’à présent, il n’a pas été suffisamment étudié pour
qu’on puisse le considérer comme fiable.
4. Il en va de même pour l’élévation occasionnelle du cholestérol résultant d’une perte de
masse graisseuse. Elle est due au fait que les adipocytes stockent du cholestérol en même
temps que la graisse, ce qui a pour conséquence que lorsque des acides gras sont
déstockés, il y a également libération de cholestérol – avec à la clé une possible
augmentation du taux de cholestérol sanguin. Les données disponibles indiquent que ce
dernier retourne à la normale ou peut même descendre à un niveau plus bas que
précédemment une fois que la graisse superflue a fondu et ce, quel que soit l’apport en
graisses saturées de l’alimentation.
5. Comme l’écrivit Blake Donaldson dans ses mémoires en 1962, quelle que soit la
bonne santé d’une personne suivant le régime à forte teneur en viande qu’il prescrivait,
«s’il lui arrive qui que ce soit, et ne serait-ce que si une taupe se trouve happée et
déchiquetée par sa tondeuse à gazon, ce sera imputé à son régime.»
11• Quels sont les indicateurs de l’état de « santé » les plus importants ?
De faibles niveaux de marqueurs LDL-cholestérol, ApoB-100 ou
triglycérides ? L’indice de masse grasse, le poids ? D’autres ?
C’est une question qui fait toujours débat au sein de la communauté
médicale, mais la plupart des chercheurs s’accordent aujourd’hui pour dire
que le syndrome métabolique est conditionné par de multiples facteurs.
L’indicateur le plus important et le plus facile à évaluer serait le tour de
taille. Mais d’autres facteurs, tels que la présence de particules LDL petites
et denses (ou un nombre élevé de particules apoB ou LDL), un taux de
triglycérides élevé, un faible taux de cholestérol-HDL, une tension artérielle
élevée ou une hyperglycémie sont à prendre en compte. Si votre taux de
triglycérides est élevé et que votre taux de HDL est faible, ce sont là de bons
indicateurs de l’existence d’un syndrome métabolique et de la nécessité de
réduire les glucides, et particulièrement le sucre, dans votre alimentation.
16• Dans quelle mesure les effets délétères d’une alimentation riche en
glucides sont-ils réversibles ?
Pour une faible proportion d’individus, même une importante restriction des
glucides n’induira pas de perte de poids significative. Des dizaines d’années
d’alimentation riche en sucre et en glucides ont causé des dommages
importants à leur système de régulation hormonale, et l’excès de graisse ne
peut tout simplement pas être inversé. Mais même dans ces cas là, les
risques de maladie car-diovasculaire, de diabète et de cancer peuvent être
réduits. En d’autres termes, l’ensemble des anomalies métaboliques et
hormonales connues sous le nom de syndrome métabolique devraient se
résoudre. À ce titre, le meilleur moyen d’envisager cette limitation des
glucides est peut-être celui donné par mon ami Bob Kaplan, qui dirige un
ensemble de centres de fitness autour de Boston. Voilà comment il présente
les choses :
Limiter les glucides dans son alimentation n’apportera rien de magique. On se
rapprochera simplement du type d’alimentation que l’Homme a presque
toujours suivi, et auquel nous sommes probablement génétiquement adaptés, et
toute perte de poids ou d’eau, tout effet bénéfique sur les lipides sanguins
constituent une correction davantage qu’une amélioration de notre état de
santé.
Bénéfices vs Correction
- Une alimentation pauvre en glucides ne vous fait pas perdre de poids, elle
corrige votre poids.
- Une alimentation pauvre en glucides n’élimine pas la rétention d’eau, elle
corrige votre rétention d’eau.
- Une alimentation pauvre en glucides n’améliore pas vos lipides sanguins,
elle corrige vos lipides sanguins.
- Une alimentation pauvre en glucides n’améliore pas votre santé, elle corrige
votre mauvaise santé.
ÉDULCORANTS ET DOUCEURS
Si vous ressentez le besoin de manger ou de boire quelque chose de sucré,
choisissez les édulcorants alternatifs les plus recommandables proposés sur
le marché, notamment le sucralose, l’aspartame, le mélange stévia–érythritol
ou la saccharine. Évitez pour l’instant les aliments contenant des polyols –
comme le sorbitol ou le maltitol – qui peuvent causer des maux d’estomac
(ces édulcorants seront éventuellement autorisés à l’avenir en quantités
limitées).
LES BOISSONS
Vous pouvez boire les boissons autorisées à volonté, mais ne forcez pas sur
les liquides. La meilleure boisson est l’eau. Vous pouvez également choisir
des eaux minérales aromatisées avec des extraits de fruits mais ne contenant
pas de glucides.
Boissons caféinées: chez certains patients, la consommation de caféine
peut perturber la perte de poids et le contrôle de la glycémie. En gardant cela
à l’esprit, vous pouvez boire chaque jour jusqu’à trois tasses de café ou de
thé (sans sucre, additionné éventuellement d’édulcorant artificiel et / ou de
crème) ou de soda caféiné sans sucre.
L’ALCOOL
Au début du régime, évitez de consommer de l’alcool. Plus tard, lorsque
vous perdrez régulièrement du poids et vous serez habitué(e) à votre nouveau
mode d’alimentation, vous pourrez si vous le souhaitez réintroduire l’alcool
en quantités modérées, à condition qu’il soit pauvre en glucides.
LES QUANTITÉS
Mangez quand vous avez faim; arrêtez de manger quand vous êtes
rassasié(e). Ce régime est particulièrement efficace lorsque l’on mange «à la
demande», c’est-à-dire à chaque fois que l’on a faim, mais en s’arrêtant dès
que l’on se sent rassasié. Apprenez à être à l’écoute de votre corps. Un
régime faible en glucides ayant naturellement un effet réducteur d’appétit, il
vous permet de réduire progressivement les quantités de nourriture que vous
absorbez sans ressentir d’inconfort. C’est pourquoi vous ne devez jamais
vous sentir obligé(e) de finir votre assiette. Mais à l’inverse, il ne faut pas
que vous ayez faim! Vous n’êtes pas tenu(e) de compter les calories:
appréciez donc le fait de pouvoir perdre du poids confortablement, sans
souffrir de la faim ni de fringales.
Il est recommandé de démarrer la journée par un repas nourrissant à
faible teneur en glucides. Notez que de nombreux médicaments et
compléments alimentaires exigent d’être pris avec chaque repas, soit trois
fois par jour.
Au petit déjeuner
• De la viande ou une autre source de protéines (des œufs généralement).
• Une source de matières grasses. Elle peut être identique à la source de
protéines: par exemple, les œufs au bacon contiennent des matières
grasses. Mais si votre source de protéines est «maigre», adjoignez-lui un
peu de matières grasses sous forme de beurre, de crème à café ou de
fromage.
• Des légumes à faible teneur en glucides (si vous le souhaitez). Préparés
par exemple en omelette ou en quiche.
Au déjeuner
• De la viande ou une autre source de protéines.
• Une source de matières grasses. Si votre source de protéines est «maigre»,
adjoignez-lui un peu de matière grasse sous forme de beurre, de sauce de
salade, de fromage, de crème ou de chair d’avocat.
• 1 à 1 ½ grande assiette de salade ou de légumes-feuilles cuits.
• ½ à 1 grande assiette d’autres légumes.
En collation
• Choisissez des en-cas faibles en glucides, contenant des protéines et / ou
des matières grasses.
Au dîner
• De la viande ou une autre source de protéines (œufs, poissons…).
• Une source de matières grasses. Si votre source de protéines est «maigre»,
adjoignez-lui un peu de matière grasse sous forme de beurre, de sauce de
salade, de fromage, de crème ou de chair d’avocat.
• 1 à 1 ½ grande assiette de salade ou de légumes-feuilles cuits.
• ½ à 1 grande assiette d’autres légumes.
Chapitre 12: Pourquoi l’un(e) grossit et l’autre pas (ou vice versa)
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