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le shofar

revue mensuelle de la communauté israélite libérale de belgique

N° d’agréation P401059 FéVRIER 2008— n°291 / ADAR I 5768

synagogue
beth hillel
bruxelles

« Conversion,
Giour et Identité »
Le Shofar est édité par la
COMMUNAUTÉ ISRAÉLITE LIBÉRALE
n°291 Février 2008 / ADAR I 5768 DE BELGIQUE A.S.B.L.
N° d’agréation P401059 N° d’entreprise : 408.710.191
Synagogue Beth Hillel
80, rue des Primeurs,
re vue mensuelle de l a B-1190 Bruxelles
communauté isr aélite Tél. 02 332 25 28
libér ale de belgique Fax 02 376 72 19
www.beth-hillel.org
EDITEUR RESPONSABLE :  info@beth-hillel.org
Rabbin Floriane Chinsky CBC 192-5133742-59

Rédactrice en chef :   RABBINS : Abraham Dahan


Jacqueline Wiener et Floriane Chinsky

COMITÉ DE RÉDACTION :  CONSEIL D’ADMINISTRATION : 


Rabbi Abraham Dahan, Rabbi Avishaï Ben David, Ralph Bisschops,
Floriane Chinsky, Ralph Bisschops, Patrick Ebstein, Paul-Gérard Ebstein,
Serge Boruchowitch, Gilbert Ephraïm Fischgrund, Josiane
Lederman, Philippe Lewkowicz, Goldschmidt, Gilbert Lederman,
Jacqueline Wiener, Emmanuel Wolf Philippe Lewkowicz, Willy Pomeranc,
Elie Vulfs, Serge Weinber, Jacqueline
ONT EGALEMENT COLLABORÉ a Wiener, Emmanuel Wolf.
cette livraison : 
Monique Ebstein, Richard Kenigsman, Les textes publiés n’engagent que
Patrick Muntz, Camille Bloch, Ruben leurs auteurs.
Simonart, Paul Kriwin
Photo de couverture :
Richard Kenigsman

Mise en page :  Photos :


www.inextremis.be Ralph Bisschops et Serge Weinber
Sommaire 05 EDITORIAL
Conversion: les paysages de la judéité
par Jacqueline Wiener

08 Le mot du président
par Philippe Lewkowicz

09 JUDAÏSME
Conversion, Giour et identité
par Rabbi Floriane Chinsky

13 Hillel et l’homme en équilibre


par Rabbi Floriane Chinsky

16 Conversion: l’aboutissement d’une recherche ?


par Henri Lindner

20 L’accueillant acuielli
16 par Richard Kenigsman

24 Nos Bné Mitsva


par Camille Bloch, Paul Kriwin, Ruben Simonart

30 Carnet
32 AGENDA

34 Leo Baeck; «d’une lignée de Rabbins»


par Monique Ebstein

42 A la mémoire de Varian Fry


par Monique Ebstein

45 La passion d’Oberammergau
par Patrick Muntz

20 52 Les «Stolpersteine» ou «Ces pavés qui


font trébucher»
par Monqiue Ebstein

54 Beth Hillel part en Israël


par Monique Ebstein

56 Conférence du Rabbin Abraham Dahan:


la femme et la religion, une éternelle mineure ?
57 Lu pour vous
par Monique Ebstein

59 Quelques nouvelles d’Israël et d’ailleurs


62 Un peu d’humour
52 62 Dîner chabbatique communautaire
63 Informations utiles
Pour l’organisation de vos Simhot
Un nom: Solange!
Un numéro: 0497.57.47.27!
le shofar

Conversion : les paysages de
la judéité
Par Jacqueline Wiener - Henrion

La « conversion » au Judaïsme ne peut se par- vingt-et-unième siècle, des voix s’élèvent ici
ler en termes semblables à ceux communé- et là pour mettre en garde contre l’extinc-
ment utilisés pour désigner le fait d’« aban- tion insidieuse du Judaïsme.
donner une croyance considérée comme
erronée pour se tourner vers une autre cor- En diaspora, l’expression « Shoah lente » a
respondant à une vérité présumée ». droit de citer et la progression exponentiel-
les des mariages dits mixtes est continuelle-
En effet, en entrant dans le Judaïsme, la per- ment évoquée, tel un magistral épouvantail
sonne s’inscrit dans une mutation prégnante dont les répercussions censées inéluctables
aux facettes variées qui dépassent très lar- seraient à elles seules suffisantes à voiler
gement le cadre d’une « simple » modifica- toute approche juive constructive, voire
tion de « foi » et dont la conséquence socio- novatrice du phénomène de la mixité conju- 5
logique, sur le chemin de l’Histoire, n’est pas gale inhérente à toute société moderne
la moindre… humaniste.

Par ailleurs, la conversion au Judaïsme est, En Israël, c’est le souci des reflux migra-
en général, évoquée à pas feutrés, comme toires pour cause de non reconnaissance
si le silence qui entoure trop souvent cette d’identité juive par les autorités religieuses
magnifique aventure humaine de l’esprit ne officielles qui pointe du doigt de nouvelles
pouvait se conjuguer qu’à la forme muette. exigences aux démographes avertis, en
Car en devenant juive, la personne quitte attendant un assouplissement du système
parfois un monde originaire aux préjugés de conversion au Judaïsme déjà pressenti
tenaces et récurrents de siècles d’antiju- indispensable par des gouvernants israé-
daïsme atavique –lorsqu’il ne s’agit pas, plus liens actuellement au pouvoir.
simplement, d’antipathies rénovées sur fond
de conflit israélo-palestien- dont la réalité Que dire aussi des conséquences encore
induit, chez ceux qu’elle désire rejoindre, tellement douloureusement perceptibles
une pudeur, une crainte, voire un présup- aujourd’hui de la Solution Finale, qui n’en
posé que l’absence de bruit, seule, permet finissent pas de voir émerger d’une société
d’en contenir les interrogations… culturelle dominante nombre d’enfants ou de
petits-enfants paternellement juifs qui expec-
La conversion au Judaïsme nous concerne torent littéralement à un Beth Din providen-
tous. Non seulement parce qu’elle touche de tiel leur inapaisable désir de se réapproprier
manière très fondamentale à l’exigence cen- des racines trop longuement enfouies dans les
trale de respect de son Prochain, mais aussi, méandres du silence, afin de retransmettre à
plus pragmatiquement, parce que à l’aube du leur propre descendance leur identité volée.
ÉD I TO R I A L

Aborder ces questions qui touchent à l’iden- la conversion constitue une formalité : il
tité juive, à l’identité humaine, de manière s’agit de régulariser une situation ressentie
appropriée, par des réponses à la fois per- comme évidente.
tinentes pour la personne et satisfaisantes
aux défis du jour auxquels le Judaïsme a à se Le troisième cas est constitué de quêtes
confronter, constitue un exercice difficile. individuelles longues. L’homme ou la femme
Car ce dernier requiert tout à la fois parfaite s’inscrit dans une logique de détachement
connaissance de la psychologie humaine et de la religion de sa jeunesse où il y avait, par
de la Tradition juive, de même qu’un sens exemple, incongruité à poser des questions,
critique prononcé et une grande humilité. ressentant, par contre, le Judaïsme comme
constituant la liberté intellectuelle par
Dans de telles conditions, l’analyse adéquate excellence. La chaleur de la famille juive
des paysages contemporains de la judéité s’ajoute, alors, à l’argumentation, tant il
choisie, par l’éclairage étayé qu’elle porte y a un émerveillement pour de ce qui est
sur la question grave de conséquence de considéré là comme une caractéristique
la pérennité démographique du Judaïsme, des Juifs. L’aura d’un peuple jugé « composé
constitue, en ce sens, un préalable de savants » apparaît aussi régulièrement,
fondamental. avec l’espoir à peine voilé de s’en imbiber
l’« inné » savoir.
Or donc, en Europe occidentale, par exem-
ple, il existe aujourd’hui cinq types de cas Le quatrième cas concerne celles et ceux
de figure dans lesquelles s’inscrivent les qui deviennent Juifs parce qu’ils le sont
volontés de conversion. déjà : les enfants adoptés par des parents
6 juifs et les enfants de père juif. Pour ces
Le premier cas procède de tout ce qui derniers, il s’agit ici de « confirmer » par un
entoure le mariage et qui s’accorde souvent, acte public ce que l’on a toujours été et non
dans ses prémices, avec une pression plus de « se convertir ». Souvent, ces enfants se
ou moins explicite de la famille du (futur) sentent humiliés par ce qu’ils ressentent
conjoint. Concernant généralement la jeune comme une discrimination injuste à
femme, la conversion projetée est souvent leur égard. Leur souhait de confirmer
associée au désir de fonder une famille ; elle formellement leur judéité se fait en réaction
s’inscrit alors dans une véritable stratégie à leur sentiment de marginalité, se sachant
éducative qui consiste en l’idée de la néces- Juifs pour les goyim et pas Juifs pour les
sité de transmettre un message cohérent Juifs. Pour eux, c’est une faute par rapport
aux enfants futurs, de leur transmettre une à la disparition des Juifs dans la Shoah que
éducation sans hiatus. de ne pas « retourner » au sein du peuple
juif. Véritable phénomène sociologique
Le second cas touche à la quête spirituelle depuis 40-45, l’identité juive se fait, dans
et affective personnelle, parce que le monde ce quatrième cas, prédominante, sans
juif a été, d’une façon ou d’une autre, appro- référence, souvent à un sentiment religieux
ché, qu’il s’agisse de cours de Judaïsme mais toujours à un très vif sentiment
qui ont été suivis, de livres lus, d’amis d’appartenance. Heureux dans leur choix,
juifs rencontrés ou de voyage marquant en ils défendent généralement avec beaucoup
Israël… L’homme ou la femme, ici, éprouve de force leur identité juive retrouvée,
un attrait irrésistible pour tout ce qui est même lorsque leur « conversion » s’opère
juif. Cette attirance est souvent théorisée, auprès d’un Beth Din libéral et que de ce
rationalisée, de manière théologique, voire fait, ils sont rejetés comme Juifs par les
biologique. Pour ce groupe de personnes, orthodoxes.
le shofar

Le cinquième cas est rare, mais néan- sent unique jusque dans le dénouement de
moins récurrent : il s’agit de personnes leur cheminement.
qui souhaitent embrasser le Judaïsme
pour des raisons chrétiennes, à savoir Mais c’est en amont de cet aboutissement-
pour expier la faute des chrétiens à l’égard là, lorsqu’il y a convergence potentiellement
des Juifs. L’exemple le plus connu de ce probable entre l’être dans son individualité,
type de démarche concerne les enfants ses interlocuteurs et le peuple juif dans sa
Allemands d’après-guerre nés de parents globalité, que ne peut cesser de débuter la
coupables… quête, à son tour, du Judaïsme contempo-
rain, d’une juste, commune et intelligible
Ces cinq catégories grossièrement brossées attitude adaptée aux exigences mêmes de
s’accordent de subtiles et nombreuses nuan- sa pérennité.
ces, faites d’une multitude de doutes, d’émer-
veillements ou de circonstances diverses La conversion au Judaïsme, nous avons
qui rendent chacun des êtres qui les compo- donc décidé d’en parler ouvertement… ■

INFOS ?
BOUCHE TROU
L e m ot d u pr és id ent

Le mot du président
par Philippe Lewkowicz

«… Et nous te bénissons pour la restauration de l’Etat d’Israël… Etablis, ô Dieu de


paix, la paix définitive entre Israël et les Etats voisins…»

Ces extraits de la prière que nous lisons Galilée - là où les hommes et les forêts ont
chaque shabbat, montre l’attachement du tant souffert en août 2006 - et nous serons
peuple juif de diaspora, et particulière- reçus par les enfants de l’Internat de l’Ecole
ment de notre communauté, à Israël. Cette Levovich de Natanya à qui nous remettrons
année, le pays où coule le lait et le miel fête le chèque qui, grâce à vous, leur permettra
ses soixante ans d’existence comme Etat de continuer pendant deux ans encore leurs
moderne et démocratique. Il importe, à la activités psychopédagogiques.
veille de cet anniversaire, de rappeler cet Je tenais à préciser ces deux événements
engagement de solidarité active qui est le car, à Beth Hillel, comme pour le reste, il n’y
nôtre depuis la création de Beth Hillel. a pas de réflexion sans action. Nos rabbins
La présence, au cours des ans, de très nous enseignent, lors de la pose des Tefilin,
nombreux membres de la communauté à que le phylactère qu’on met sur le front repré-
8 toutes les manifestations en faveur d’Israël sente la réflexion et celui qu’on enroule sur
montre combien cet engagement est partagé le bras, l’action. Pour Israël, c’est la même
par chacun de nous. chose, nous ne faisons pas que dire notre
Cette année jubilaire, nous la marquerons solidarité, nous la posons en actes.
en nous associant de manière active à la Ces actions sont les vôtres. Beth Hillel, c’est
Fédération Sioniste de Belgique, en partici- vous! C’est donc à vous tous, chers Amis,
pant aux festivités qui auront lieu au Heysel que reviennent tous les remerciements que
au mois de mai prochain. nous recevons aussi bien du K.K.L. que des
En même temps, soit du 8 au 18 mai, Beth enfants de l’Internat.
Hillel organise un superbe voyage en Israël,
dont vous trouverez le programme détaillé Am Israël Haï!
dans ces pages, et au cours duquel nous
marquerons deux étapes qui prouveront P.S.: Il reste encore quelques places pour
notre attachement à la terre et au peuple le voyage en Israël. Joignez-vous à nous en
d’Israël. En effet, nous inaugurerons le téléphonant au secrétariat de Beth Hillel
deuxième Bosquet de Beth Hillel en Haute (02 332 25 28). ■
J U DA Ï SME le shofar

Conversion , Giour et identité


Par Rabbi Floriane Chinsky

La question de la conversion, sujet brûlant et infiniment sensible, est au


cœur des défis identitaires, sociologiques et philosophiques de notre époque.
La conversion au judaïsme est un enjeu identitaire, pour les juifs comme pour
beaucoup de non juifs. Le fait même qu’une « conversion » existe marque le
fait qu’existe une différence, qui peut poser problème à certains.

L’identité juive, un questionnement de Comme toutes les questions humaines, et


l’identité humaine plus particulièrement celles qui touchent si
Nous commençons par poser la question directement à notre identité, à nos croyances
identitaire et nous demander : « Qui som- et à nos conditions de vie, l’équilibre est
mes-nous ? Qu’est-ce qu’être juif ? » Elle est difficile à trouver et difficile à expliquer.
le préliminaire obligatoire à celle de savoir Encourager les conversions peut être perçu
comment on le devient. La question de notre comme la croyance en une supériorité de
identité nous amène à celle de notre spéci- l’identité juive tout aussi bien que leur 9
ficité, par comparaison aux autres. Définir excessive limitation. Entre la Charybde du
qui nous sommes, c’est définir qui nous ne « il faut nous rejoindre car hors du judaïsme
sommes pas. L’identité juive questionne point de salut » et la Scylla du « vous ne
l’identité humaine. Comme l’identité n’est pouvez pas nous rejoindre, vous n’êtes pas
pas statique mais se révèle dans l’action, il à la hauteur », il n’y a pas d’autre voie que
faut alors demander quelles sont les passe- la droiture, comme les enfants d’Israël
relles entre nous, les actions que juifs et non marchant entre les murailles d’eau lors de
juifs peuvent mener ensemble et les chemins la traversée de la mer1, pas d’autre chemin
qui permettent de rejoindre le peuple juif. que la conscience de ce que nous faisons
et pourquoi, que la volonté d’expliquer pour
La mer à notre gauche, la mer à notre lever les incompréhensions.
droite, éviter Charybde, contourner
Scylla Des alliances fondées sur le
A la croisée des chemins entre particula- respect d’autrui
risme et universalisme, le judaïsme nous Ce travail sensible d’explication est notre
encourage à nous respecter nous-même en responsabilité collective en tant que
respectant l’autre, à aimer notre tradition communauté. Ici, plus que dans tout autre
sans être prosélyte, à accepter que l’on se domaine, il est important de choisir nos mots
joigne à nous sans nous croire supérieurs, avec soin, de nous mettre à la place de nos
à insister sur la légitimité d’une identité interlocuteurs, d’accepter leurs sentiments et
humaine non juive sans exclure. leurs craintes, avant d’énoncer notre point de

‫ ויבאו בני ישראל בתוך הים ביבשה והמים להם חמה מימינם ומשמאלם‬: Ex.14 :22
1 
J U DA Ï SME

vue. Ici, plus qu’en tout autre domaine, nous exemple, qui vivait avec ses voisins dans
voulons rester attachés à l’enseignement de un rapport de coopération, avec des alliés,
Hillel, dont l’école a eu la prépondérance des « baalé brit » (‫)בעליברית‬3.
en raison de sa modestie et de sa douceur. Dans le monde chrétien, notre existence
Hillel et son école respectaient la vérité dans est source d’un questionnement qui débou-
son caractère relatif, la liberté de penser che sur deux types d’attitudes. Pour cer-
d’autrui et en particulier de leurs opposants, tains, elle dérange, l’« ancienne alliance »
énonçaient les arguments en leur défaveur juive ayant été remplacée par la nouvelle.
avant ceux qui soutenaient leur point de Cette attitude peut mener au désir que
vue2. Cette approche n’est pas une attitude les juifs soient ou bien éloignés totale-
« angéliste » mais une attitude pédagogique, ment de la société, écartés, stigmatisés,
qui éveille l’intelligence et l’autonomie. Cette ou encore intégrés totalement au monde
attitude est la seule qui puisse nous permettre chrétien, déjudaïsés, convertis. D’autres,
de créer une atmosphère de collaboration, au contraire, et il ne faut pas sous-esti-
de rendre possible cette alliance (‫)ברית‬, mer leur nombre, se passionnent pour les
cette communauté de valeurs et d’action racines juives du judaïsme et nous portent
qui est au centre de notre identité fondée au un immense respect, ils veulent se rappro-
mont Sinaï. Elle est la seule aussi qui puisse cher de nous pour mieux se comprendre
inspirer notre action commune avec les non eux-mêmes. Notre respect et notre bien-
juifs dans l’aventure humaine, dans cette veillance doivent les accueillir.
première alliance de création qu’est l’alliance Certains milieux athées ont aussi leurs
de Noé. propres questionnements. L’égalité en droit
semble à certains devoir être assurée par
10 Comprendre les sources l’égalité totale, le partage d’une même
d’incompréhension identité, qu’elle soit appelée « idéologie de
Notre peuple, malgré sa diversité, apparaît parti » de type communisme ou nommée
aux yeux de l’extérieur comme soudé et « culture d’entreprise » version disneyland.
solidaire, comme un sous-groupe au sein D’autres athées, laïcs ou libres-penseurs
des nations. S’il existe de très nombreuses ont eu l’occasion de voir et l’intelligence
microsociétés au sein de la société globale, d’accepter le fait que le judaïsme véhicule
la nôtre est investie affectivement de façon la liberté et la responsabilité.4
forte par beaucoup de gens. On peut consi-
dérer l’alliance comme un « contrat social » Décryptage de certaines accusations
ou comme les statuts d’une association. Le de fermeture
fait que nous ayons la nôtre n’exclut ni l’exis- Les sociétés qui prétendent être les seules à
tence d’autres « britot » ni celle d’alliances incarner la pensée universelle, qu’elles soient
«parapluie», à la suite d’Abraham, par religieuses ou laïques, ne peuvent accepter la

‫ ולא עוד אלא שמקדימין דברי בית שמאי לדבריהן‬.‫ ושונין דבריהן ודברי בית שמאי‬,‫מפני שנוחין ועלובין היו‬
2 
Talmud
babylonien érouvin 13b
‫ ויגד לאברם העברי והוא שכן באלני ממרא האמרי אחי אשכל ואחי ענר והם בעלי ברית אברם‬Gén. 14 :13
3 

‫ויגד לאברם העברי והוא שכן באלני ממרא האמרי אחי אשכל ואחי ענר והם בעלי ברית אברם‬
4 

‫ אנכי ‘ה אלהיך אשר הוצאתיך מארץ מצרים מבית עבדים לא יהיה לך אלהים אחרים על פני‬: Ex. 20 :2 et Deut. 5 : 6 C’est
de cette façon que se développe l’ensemble de notre enseignement. Nous nous contenterons ici de citer la première des Dix
Paroles : « Je suis l’Eternel ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage. ». Cette première parole
pose la liberté comme base de tout, l’action « divine » ou « religieuse » comme celle qui s’attache à encourager la quête de la
liberté pour soi et pour autrui.
le shofar

différence juive. Elles la perçoivent comme Savoir ce que dit réellement


de la fermeture, de l’exclusion, un jugement. notre tradition
Elles ont raison. Notre tradition reconnaît Certains juifs se laissent convaincre que
l’existence de « familles de la terre », chaque nous sommes un peuple fermé par certai-
civilisation a son génie, aucune ne doit nes attitudes – qu’elles soient chrétiennes,
imposer son génie au autres. Pour cette laïques, médiatiques ou extrémistes jui-
raison, nous refusons Babel. ves – et s’éloignent. Si nous voulons garder
cet équilibre incroyable et fragile qui nous
Nous avons toujours combattu le permet d’être nous-mêmes tout en respec-
polythéisme et le syncrétisme, qui essayent tant les autres, nous avons besoin, qu’au
de niveler l’expérience humaine. Tout lieu de s’éloigner, ces juifs se rapprochent.
nivellement se fait par le bas, et le judaïsme Nous ne devons pas nous laisser impres-
considère que l’Homme doit grandir. C’est sionner. Notre tradition est très claire en
en cela que s’exprime notre devoir, à nous, ce qui concerne l’identité juive et l’identité
enfants d’Abraham, d’être « une bénédiction humaine et très claire en ce qui concerne
pour les familles de la terre »5. Les autres la politique de l’entrée dans notre peuple.
héritiers d’Abraham sont à nos côtés dans Ne nous laissons pas convaincre que notre
ce devoir de valorisation (bénédiction, judaïsme ressemble à un petit village gau-
‫ )ברכה‬de la diversité humaine (des familles lois assiégé. Nous n’avons pas besoin de
de la terre, ‫)משפחת האדמה‬. Notre peuple potion magique, mais un peu d’étude. Nous
est humain, dans son chemin, dans sa la poursuivons à l’occasion des cours de
volonté de grandir, et aussi dans ses judaïsme, pensée et pratique, et nous pour-
erreurs. Certaines attitudes juives, nous le suivrons nos réflexions sur la conversion
savons, ne s’inscrivent pas dans cet esprit au cours des prochains Shofar. 11
d’équilibre et de respect infini des autres
traditions. Ces attitudes sont critiquables, Il n’y a pas de conversion au judaïsme
mais il n’est pas nécessaire d’en faire une Les mots sont trompeurs. Les concepts de
affaire personnelle. Nous savons tous que notre tradition sont difficilement tradui-
le monde et l’être humain, juif ou non, sont sibles. A travers la traduction, ils revêtent
très perfectibles. Il est bon d’essayer d’y des connotations qui induisent en erreur. Se
travailler. convertir, c’est se transformer, passer d’une
chose à une autre, changer d’identité, certai-
Une critique trop absolue, émotionnelle, nement quitter une identité médiocre pour
anti-constructive, de la part de personnes en rejoindre une autre, plus désirable.
qui ne souhaitent pas étudier et qui ne La conversion au judaïsme n’existe pas.
voient que les aspects négatifs, ne rentre Ce que nous faisons au contraire, est un
plus dans le cadre de la critique légitime de Giour (‫)גיור‬. Celui qui rentre dans le judaïsme
l’identité juive. Elle exprime au contraire est nommé Guer. Ce mot signifie, celui qui
une critique de la différence en tant qu’elle- habite. On ne se convertit pas au judaïsme,
même. Elle exprime la frustration de ne on y rentre. On décide d’adopter l’espace et
pas être reconnu comme détenteur de la le temps juif, d’habiter dans le judaïsme, de
seule vérité universelle. Dans de tels cas, partager avec ses « voisins » préoccupations,
c’est celui qui critique la fermeture d’autrui rêves et projets. C’est cela, entrer dans
qui témoigne d’une prétention à détenir la l’alliance, dans la brit, l’alliance (‫)ברית‬,
recette parfaite, exclusive et universelle de dans la brit mila, l’alliance du mot, la
l’humain. circoncision (‫)מילה ברית‬.

‫ המדאה תחפשמ לכ ךב וכרבנו ראא ךללקמו ךיכרבמ הכרבאו‬: Gén. 12:3


5 
J U DA Ï SME

Il n’y a pas de raison de changer d’identité, Léhitgayer (‫)להתגייר‬, c’est découvrir le


de dénigrer les autres ou nous-mêmes. rêve juif et vouloir s’y adjoindre, c’est
Chacun est en chemin vers l’humain, juif vouloir venir habiter avec nous, comme
et non juif, chacun a beaucoup à apprendre Ruth le dit à Noémie : « Là où tu iras,
encore, juif ou non juif. Certaines personnes j’irai, là où tu dormiras, je dormirai, ton
sentent que leur place est avec nous, peuple, c’est mon peuple, et ton dieu,
dans notre façon particulière – juive – de c’est mon dieu. Ce par quoi tu mour-
participer au grand projet humain. D’autres ras, je mourrai, et là je serai enterrée.6»
font avancer les valeurs universelles à leur (Ruth I 16-17).
façon, « religieuse » ou non, militante ou
non, croyante ou non, agissante ou non, Je souhaite que ce mot nous aide à effacer
dans toutes les autres microsociétés, des tous les préjugés qui pèsent sur le concept
groupes de prières aux groupes d’entre de conversion, à nous souvenir qu’affirmer
aide, des groupes de lecture et d’étude aux sa différence avec beaucoup de douceur
associations. et d’a propos, c’est défendre la liberté de
L’important est que chacun trouve une chacun de participer à l’aventure humaine
place où il puisse grandir et grandir les d’une façon qui lui convient, en réalisant
autres. ses qualités propres ensemble. ■

‫ באשר תמותי אמות ושם אקבר כה יעשה יקוק לי וכה יסיף כי המות יפריד ביני ובינך‬:‫תליני אלין עמך עמי ואלהיך אלהי‬
6

‫ ותאמר רות אל תפגעי בי לעזבך לשוב מאחריך כי אל אשר תלכי אלך ובאשר‬: Ruth 1 :16-17

12

INFOS ?
BOUCHE TROU
le shofar

Hillel et l’homme en équilibre ;


le Giour comme un révélateur
de notre identité Talmud Babylonien, Chabat 31a
Par Rabbi Floriane Chinsky

Une série d’histoires passionnantes mettent en scène Chamaï et Hillel répondant aux deman-
des de conversion les plus étranges. Ces histoires forment un tout, mais nous allons pour
l’instant nous contenter de la plus célèbre :

« Autre anecdote concernant un non juif qui vint se présenter devant Chamaï et lui dit :
« Fais-moi rentrer (dans le judaïsme) à la condition que tu m’enseignes toute la Torah
pendant le temps où je me tiens sur un pied. » Il l’a repoussé avec son bâton de maçon. Il se
présenta devant Hillel, qui l’a fait entrer. Il lui a répondu : « Ce que tu détestes, ne le fais pas
à tes amis», voilà toute la Torah dans son entier, le reste est commentaire, va et étudie ! »

Avant de développer quelques éléments de ce texte, je vous invite à l’étudier. Lisez-le et « ques-
tionnez »-le (c’est de là que vient le mot midrach : ce qu’on obtient quand on questionne le
texte). Il est conseillé d’étudier avec d’autres personnes, amis, partenaire, parents, enfants. 13
Chacun peut donner son avis ! Par ailleurs, je serais très heureuse que vous partagiez vos
réflexions avec nous et avec toute la communauté.

Quelques questions pour éveiller ment, dans ces situations, souhaiteriez-vous


le dialogue que l’on agisse à votre égard ?
Que sait-on de Hillel et de Chamaï ? Qu’ap-
prend-on d’eux à travers cette histoire ? Quelques réflexions à partager
Peut-on comprendre leurs attitudes res- Beaucoup de choses sont surprenantes
pectives ? Que pensez-vous de l’attitude de dans ce texte. Premièrement, l’attitude
l’homme qui vient les trouver ? Comment de cet homme qui prétend s’adjoindre au
auriez-vous agi à la place des sages ? Et si judaïsme, en n’étudiant que pendant le
vous aviez été vous-même désireux d’entrer temps de se tenir sur un pied. Lorsqu’on
dans le judaïsme ? Quelles réalités humaines connaît l’étendue des sources juives et
sont mises en avant dans ce texte ? Si vous leur richesse, on se demande comment
deviez résumer la Torah en un seul principe, cet homme ose se présenter ainsi devant
lequel choisiriez-vous ? Combien de temps les sages. Il utilise l’impératif, il pose une
pouvez-vous tenir sur un pied ? Vous êtes- limite de temps, il marque cette limite de
vous déjà trouvé dans des situations où temps de façon ridicule en la délimitant
vous étiez très fragiles comme cet homme, comme le temps de se tenir sur un pied. Il
ou très puissants comme ces sages ? Y a-t-il fait tout cela devant un sage réputé pour sa
des situations, dans le monde ou dans l’his- rigueur. Nous comprenons le refus de Cha-
toire, qui obéissent au même schéma ? Com- maï. Il semble que l’homme se présentant
J U DA Ï SME

ainsi n’avait rien à espérer d’autre, qu’il Hillel a considéré que la demande de cet
agissait par provocation et par défi, qu’il a homme n’était pas insultante, mais qu’elle
obtenu ce qu’il voulait. était l’expression d’un sentiment et d’une
volonté réels. Le caractère étrange des
Pourtant, cet homme persévère et se pré- demandes reflète souvent des problèmes
sente devant Hillel. Pourquoi ? D’où lui humains. Si cet homme se sent juif, il est
vient cette obstination ? Un rejet ne lui sur un pied, en déséquilibre du fait de la dif-
a-t-il pas suffit ? Il se peut qu’il tienne vrai- férence entre son sentiment de faire partie
ment à entrer dans le judaïsme. Il se peut de l’alliance et le fait qu’il n’y est pas encore
qu’il veuille continuer la bonne farce qu’il reconnu. Il est sur un pied, il le restera tant
a déjà jouée à un sage en réussissant à se que cette situation délicate se prolongera. Il
faire rejeter. Il est probable que ces deux ne peut être « converti » que « sur un pied ».
éléments soient présents ensembles dans
son attitude. A quoi s’attend-il ? Pourtant, l’entrée dans le judaïsme ne se
La réponse de Hillel sera différente de celle satisfait pas d’un sentiment personnel d’être
de Chamaï. Le texte n’est pas clair sur la juif. Il faut avoir également connaître le
chronologie. Hillel a-t-il d’abord fait entrer sens de cette identité et vouloir faire entrer
cet homme dans le judaïsme ou lui a-t-il cette réalité dans sa vie quotidienne. Tout
d’abord parlé ? Quoi qu’il en soit, tout se en comprenant la situation délicate de cet
fait très vite. La réponse de Hillel est très homme, on se demande comment y remé-
courte et très minimaliste. Il ne s’agit pas de dier. La réponse de Hillel est, de ce point de
respecter tous les commandements, ni tous vue encore, extraordinaire : « Ne fais pas à
les commandements vis-à-vis du prochain, ton ami ce que tu détestes pour toi ». Hillel
14 ni même le simple « amour » du prochain exprime le devoir d’empathie en même
qui figure dans la paracha kédochim 3. temps qu’il le met en pratique. Il comprend
le problème humain et lui demande d’être
Il s’agit juste d’un commandement négatif capable à son tour de comprendre les pro-
: s’abstenir de quelque chose. Il s’agit blèmes humains. Il donne en même temps un
de s’abstenir de faire une chose dont enseignement oral et un enseignement par
on comprend intuitivement qu’elle pose l’exemple, il joint l’acte à la parole, comme
problème, puisque soi-même on la déteste. Il nous le faisons à toute occasion à travers les
s’agit de s’abstenir de faire ce qu’on déteste bénédictions quotidiennes.
soi-même non pas à tout être vivant ou à
tout être humain, mais à ses amis. Cette Hillel n’a pas transmis un principe philoso-
réponse est à mille lieux de l’enseignement phique à cet homme, il lui a donné l’occa-
juif, qui insiste sur une éthique au plus haut sion d’expérimenter une certaine éthique
niveau, et qui tente de la protéger par des de vie. Il lui dit, à sa façon, cette phrase qui
commandements très concrets. revient sans cesse dans la Torah : Respecte,
Pourtant, la réponse de Hillel est infiniment aime, protège l’étranger car tu as toi-même
juive car il ajoute : le reste est commentaire, été esclave en pays d’Egypte4. Tu as été
va et étudie. Chacun peut accepter de ne étranger en venant me trouver, dit Hillel.
pas faire à ceux qu’il aime ce que lui-même Tu n’aurais pas voulu qu’on te rejette ? Ne
déteste. Chacun, à la réflexion, comprend rejette pas autrui. De façon plus large, as-tu
que l’application de ce principe n’est pas expérimenté le désagrément d’être « sur un
si simple et peut être incité à approfondir pied », en déséquilibre ? Sois donc attentif à
ce commandement. Avec un enseignement ton prochain pour faire pour lui ce que j’ai
aussi pédagogique que la réponse d’Hillel, pu faire pour toi. Toi aussi, apprends à join-
le reste viendra. dre le geste à la parole.
le shofar

Il reprend également de façon plus directe méprisante de Chamaï ? Prends garde à ne


« aime ton prochain comme toi-même ». pas agir d’une façon qui peut sembler mépri-
Trouve en toi-même, dans tes propres expé- sante, en demandant à un sage, qui reste un
riences, les ressources pour comprendre les être humain, d’enseigner pendant que tu te
autres. En respectant cet homme, Hillel lui tiens sur un pied, ce qu’il sait qu’il n’arrivera
impose le respect. pas à apprendre en toute une vie. Et enfin, si
tu n’aimerais pas que l’on te trahisse, garde
La réponse de Hillel comprend peut-être ta fidélité à Israël, maintenant que tu en fais
aussi deux sous-entendus. L’un serait partie.
orienté vers Chamaï qui, en se comportant
de façon méprisante, a enfreint le principe Par son attitude comme par ses paroles,
présenté par Hillel comme résumant l’en- Hillel fixe les principes de notre identité : la
semble de la Torah ! Sans critiquer, Hillel centralité des commandements vis-à-vis du
réaffirme le principe du respect de l’autre et prochain, la nécessité de joindre toujours
aide cet homme à soigner en lui l’affront qui l’acte à la parole, l’importance majeure de
lui a été fait. l’étude qui nous permet d’avancer dans le
chemin de l’humanité, de poursuivre la
Le deuxième sous-entendu est destiné à construction de notre identité, la prévalence
l’homme lui-même. Tu n’as pas aimé l’attitude de la capacité d’accueil. ■

15

Laissez-vous séduire par le fait d’être chouchouté !

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J U DA Ï SME

Conversion : l’aboutissement
d’une recherche ?
Par Ralph Bisschops, Dr.phil.

D’après le dictionnaire, c’est le passage de Conversion? Il y en a qui étaient plongés


l’incroyance à une religion ou d’une religion dans le Judaïsme depuis leur enfance, mais
à l’autre. Et l’incroyance, c’est quoi? C’est qui l’ont abandonné à cause de l’insuffisance
être persuadé qu’on n’a pas «à croire»? Et de leurs connaissance d’un côté, et sous
«être persuadé», c’est quoi? Et celui qui «ne l’influence d’un raisonnement simpliste,
croit pas ses yeux», c’est un non-croyant? Et propre à l’adolescence «éveillée» et des
s’il «ne croit pas que ses yeux», mais croit en années d’adulte-débutant de l’autre; les deux
quelque chose que ses yeux ne voient pas, imbus de la logique élémentaire et d’une
par exemple le rayonnement ultraviolet, approche dite «scientifique» datant d’un
est-il pour autant «un croyant» ou un «non- petit siècle avant la théorie de la relativité
croyant»? et de la mécanique quantique; le tout doublé
d’un manque d’expérience et de vécu. Et puis,
16 Ce jeu de mots-là, on pourrait le continuer quand on est jeune, l’appétit du corps est tel
à l’infini. Nous ne nous rendons pas que, spontanément, nous avons l’impression
compte, à première vue, à quel point notre que tout devrait servir à le satisfaire, à le
comportement au quotidien est basé nourrir. Quant à l’esprit, il se trouve être
sur la «croyance» en des choses et des le serviteur qui cherche et procure cette
phénomènes appris dans le cycle éducatif ou «nourriture». Ce pauvre «serviteur» picore
des choses dites par quelqu’un en qui nous en passant ce qui l’amuse ou l’intrigue (lui,
avons plus ou moins confiance: maman, et pas le corps). Ce rapport entre corps et
papa, l’institutrice, le prof, l’agent de police, esprit n’évolue pas chez tous de la même
un passant accosté dans la rue, etc. Sources manière. L’éducation, le milieu, l’entourage
d’informations scientifiques, humaines, immédiat, les circonstances et le hasard
sociales ou expérimentales et trafiquées jouent leur rôle et le résultat est rarement
néanmoins. Finalement, nous nous rendons prévisible. Et, de plus, il y a la personnalité
compte qu’il faut souvent choisir. Confrontés propre de l’individu, ses réactions.
à une «thèse», il faut – et nous le faisons Au fur et à mesure que le corps se calme,
souvent – explorer aussi une «anti-thèse» l’esprit se préoccupe davantage de
et, finalement, par expérience, par le vécu, ses propres envies. Et, c’est alors qu’il
par l’affinité, parce qu’on y croit ou non, s’appesantit sur «comment se fait-il que…?
construire ou choisir une «synthèse». A quoi sert…? Pourquoi sommes nous…?
Ce qui nous intéresse ici – et nous allons Pourquoi dois-je…? J’aurais bien voulu
nous y limiter – c’est la conversion savoir… J’aurais bien voulu comprendre…»
au monothéisme juif, tel que nous le Toutes ces questions – et d’autres encore
connaissons et que nous le pratiquons, – le poursuivent tout au long de la journée
même si les remarques générales ci-dessus et, parfois même, la nuit. Et c’est alors
s’y appliquent. qu’il cherche à gauche et à droite et qu’il
le shofar

devient un esprit-chercheur. C’est ainsi que Car ni la croyance, ni le savoir ne sont des
certains parmi ces «chercheurs» trouvent «monoblocs» avant d’être cimentés par
des réponses à leurs questions dans l’expérience et le vécu. C’est cela la première
l’enseignement religieux juif, s’y accrochent mésaventure d’Adam et Eve. Et c’est celle de
et se convertissent. Ou y retournent après chacun de nous, sous l’une ou l’autre forme.
une longue absence ou rupture. La Tora mentionne – en passant –
Un adage juif dit: «quand un ver est né dans l’existence de différents individus qui
la racine du raifort, il s’imagine que c’est étaient des monothéistes à titre strictement
ce qu’il y a de meilleur au monde». Qu’il est individuel. C’étaient des hommes dont la
inutile de chercher ailleurs. Mais, comme la croyance et probablement la pratique de
vie est plus riche en possibilités que nous la vie constituaient une exception dans la
ne l’imaginons, les choses inattendues arri- société dont ils faisaient partie. Il y avait,
vent. Inattendues comme le contact, la per- par exemple, Hénoc (Gen. 5/21-24), Noé
ception d’une vision du monde, d’une vie (Gen. 6/8), Melchitzedek (Gen. 14/18-20),
spirituelle tellement différentes de ce que Abimelec (Gen. 20/3-7, et ailleurs). Parfois,
l’on pensait avoir saisi au début, et attrayan- c’était très mal vu, comme, par exemple
tes après observation, après essai, après pour Yethro, prêtre de Midian. Les bergers
réflexion ou expérience vécue. locaux empêchèrent ses filles bergères
d’abreuver leurs brebis, probablement parce
«Ils erraient dans le désert, par des che- que leur père avait abandonné l’idolâtrie
mins isolés, sans trouver de ville habitée. locale et s’était tourné vers le monothéisme
Eprouvés par la faim et la soif, ils sen- (Ex. 2/16-21). Moïse lui-même est, au début,
taient leur âme défaillir en eux. Mais ils un exemple d’homme «entre les deux». Dès
crièrent vers l’Eternel dans leur détresse; sa naissance et pendant tout son temps 17
Il les sauva de leurs angoisses. Il les d’allaitement – jusqu’à l’âge de 6 ans? – il avait
guida par une route toute droite pour été imprégné du monothéisme de sa famille.
les amener dans une ville habitée. Qu’ils Et après? Vivre toute son adolescence et le
rendent grâce à l’Eternel pour sa bonté, début de l’âge adulte comme fils adoptif de
pour ses miracles en faveur des hommes! la fille du pharaon à la cour royale – idolâtre
Car Il rassasia l’âme exténuée et remplit par excellence – ne laisse pas intacts les
de délices l’âme affamée.» (Ps. 107/4-9). souvenirs d’enfance. Même si rien ne peut
les effacer. Et Moïse, jeune adulte tiraillé,
La «ville habitée»? C’est le lieu où les devient un homme qui «cherche». Et D.
hommes forment une société, où fleurit la sait si, de temps à autre, il n’a pas entendu
richesse culturelle et le bonheur de la convi- derrière son dos «ce sale youp!» lancé par
vialité. Si tout cela manque, la ville devient un courtisan jaloux.
déserte au lieu d’être habitée et ses habi-
tants fuient vers les champs et les forêts où D’abord, il agit en «Zorro», en justicier auto-
fleurit le corps et où l’esprit somnole ou se proclamé (Ex. 2/11-14). Ensuite, quand cela
morfond; ou encore où il a faim et soif (cf. rate, Moïse, en fuite, devient un homme qui
Ecc 10/15). cherche, qui se cherche. L’idolâtrie dans
Ce psaume 107 date de la Haute Antiquité laquelle il avait vécu le laisse totalement
et le monothéisme, la croyance en un dieu froid. L’apparition du buisson ardent est une
unique et créateur de tout, existe depuis que véritable épreuve (Ex. 3/2-4). Tout berger, à
l’homme a été créé. La Bible nous apprend la place de Moïse, aurait cru que c’était un
aussi, dès le début, qu’on peut y croire et «shed», un démon du désert, «connu» des
pourtant se laisser aller à toutes sortes idolâtres et craint par-dessus tout. Quand D.
d’incohérences et être tenté par la bêtise. constate que ce qui dévore Moïse n’est pas
J U DA Ï SME

la peur et la superstition, mais la recherche, un jour réalisé et que lui, Abraham, sera uni-
le désir de comprendre et de savoir, l’»exa- versellement reconnu comme le fondateur
men d’entrée» de Moïse pour ses nouvelles du monothéisme social à l’échelle mondiale
fonctions réussit 10/10. Et D. entame le dia- (Gen. 12/1-3). Le texte le confirme plus tard
logue (Ex.3). (Gen. 18/17-19).

Le cas d’Abraham est très différent. Pour Voilà pour les «chercheurs». Nous nous arrê-
accentuer à quel point il était imprégné terons là, même si la Bible et l’Histoire sont
d’idolâtrie, nos commentateurs disent que riches d’autres noms.
Terah, son père, était un marchand d’idoles Passons à des hommes et des femmes
et qu’Abraham travaillait dans le commerce qu’on ne considérerait pas comme «cher-
de son père! Pour comprendre la conversion cheurs» ou comme «affamés», mais qui
d’Abraham dans de telles circonstances, il sont en «appétit». Des gens ordinaires, qui
faut s’imaginer jusqu’à quel point Abraham continuent leur vie tel quel, mais avec une
«cherchait». Quand il «trouve», il comprend petite envie de quelque chose de plus dans
une chose d’une importance capitale: il ne le domaine spirituel ou moral. Mais, quand
suffit pas de «chercher» et de «trouver». Il l’occasion croise leur chemin, ils la saisis-
ne faut pas condamner ses descendants à sent! Le cas connu, et reconnu comme clas-
grandir dans l’idolâtrie et les obliger à «cher- sique, est celui de Ruth.
cher» comme lui. Peut-être se disait-il: «Moi,
Abram (ce n’était pas encore Abraham!) je Le «Livre de Ruth», que nous lisons à Cha-
l’ai vécu et je sais comme c’est dur. Mes vouot (il n’est pas interdit de le lire à d’autres
frères n’ont réussi qu’à moitié; comme mon moments…) nous raconte l’histoire d’une
18 père d’ailleurs. Pourquoi ne pas transmettre Moabite, mariée à un Juif migrant dans le
cette «trouvaille», le monothéisme, de père pays de Moab. Comme les choses se faisaient
en fils? Pourquoi ne pas essayer d’organiser à l’époque – plus de 3000 ans en arrière – on
une société où le monothéisme se transmet- l’avait probablement «mariée». C’est ainsi
trait de «pères en fils»? D’une génération que Ruth, sans le chercher, s’est trouvée en
entière à l’autre? Je ne saurais pas le faire contact avec le Judaïsme, a pu «goûter» ce
ici, en Chaldée… Ici nous vivons sous une que c’était et n’a plus voulu rien d’autre. Plus
vraie dictature païenne. Il faudra aller vivre tard, après le décès de son mari, sa belle-
quelque part où les dictatures sont petites mère Noémi, veuve depuis des années, se
et dispersées. Comme à Canaan, par exem- prépare pour rentrer dans sa Judée natale.
ple… Je vais parler à mon père...» Ce mono- Elle propose avec insistance à Ruth de res-
logue imaginaire est suggéré par le texte qui ter à Moab et de retourner dans la maison
dit que c’est Terah qui a pris sa famille et de son père, sa maison natale. Vient alors la
ses biens pour partir à Canaan (Gen. 11/31), réplique archi-connue de Ruth:
mais il s’arrêta aux frontières de Chaldée.
Probablement en se disant: «Bon! Ici à «N’insiste pas près de moi pour que je te
Harân, nous sommes assez loin du dictateur quitte et m’éloigne de toi; car partout où
et j’en ai assez de voyager!» tu iras, j’irai; où tu demeureras je veux
Quand vous faites le premier pas dans la demeurer; ton peuple sera mon peuple et
bonne direction, quand vous choisissez la ton dieu sera mon dieu; là où tu mourras,
bonne voie, alors, souvent, D. vous aide pour je veux mourir aussi et y être enterrée.
continuer. Quand Terah, fatigué, s’assied, D. Que l’Eternel m’en fasse autant et plus
adresse la parole à Abraham et lui dit de (forme de serment) si jamais je me sépare
continuer. Il lui promet que son rêve d’une de toi autrement que par la mort!» (Ruth
société – et même plus – monothéiste sera 1/16-17).
le shofar

C’est ainsi que Ruth la Moabite est partie quoi face à la religion?
avec Noémi à Bethléem et est entrée défini- L’incroyance est souvent vue comme le
tivement dans le Judaïsme et dans la société premier pas nécessaire pour une approche
juive. Plus tard, elle épousera Boaz, un scientifique du monde et de ce qui s’y passe.
Judéen de Bethléem. En quatrième généra- Elle est opposée à une approche dite dog-
tion, Ruth deviendra l’arrière grand-mère du matique. Une autre formulation, plus claire
roi David. Ces «va-et-vient» d’une croyance peut-être, présente cette différence comme
ou d’une religion à une autre, existent depuis celle entre causalité et finalité. La science
la Haute Antiquité jusqu’à nos jours. Même essaie de répondre aux questions qui com-
dans chaque religion, il existe des sectes et mencent par «comment se fait-il que…?
des nuances, des tendances et des commu- Why…?» L’approche finaliste, par contre,
nautés avec leurs règles et coutumes, qui cherche à définir «dans quel but…? What
admettent ou non les nouveaux venus, sauf for…?» A première vue, les deux peuvent
si…. Bien sûr, il y a également des règles éventuellement se compléter, mais l’appro-
communes. Le Judaïsme, par principe, ne che dite «scientifique» considère l’autre
pratique pas le prosélytisme. Il est interdit de comme une tentative de la discréditer. Cela
rappeler à un converti le fait qu’il était avant se ressent surtout très fort dans la biologie.
un non-Juif. Sauf si… En tant que Juifs, nous Dans son livre ‘Entre le cristal et la fumée’
avons l’obligation de nous conduire d’une (p. 14), Henri Atlan rappelle que «les rela-
façon qui «sanctifie» le Nom de D. aux yeux tions particulières de la biologie avec le fina-
des non-Juifs. Et d’éviter le contraire, c’est-à- lisme sont bien résumées dans une formule
dire une conduite qui Le discrédite, Le pro- connue: la téléologie - raisonnement par
fane. Ces conduites positives ou négatives causes finales – qui est comme une femme
sont une question de choix, à condition d’en sans qui le biologiste ne peut pas vivre, 19
être conscient. C’est notre «carte de visite» mais dont il a honte d’être vu avec elle en
auprès de ceux qui cherchent, qui nous public». Cette formule daterait du milieu du
observent, qui nous jugent. XIXème siècle. Elle est toujours d’actualité.
Pour nous, les Juifs – inspirés par la finalité
«Voyez, je vous ai enseigné des lois et des religieuse –, la science, son approche et ses
statuts, selon ce que m’a ordonné l’Eternel, moyens permettent de réduire les dégâts au
mon D., afin que vous vous y conformiez… minimum et rendent plus facile d’atteindre
Observez-les et pratiquez-les! Ce sera là la fin et de gonfler le bonheur au maximum
votre sagesse et votre intelligence aux yeux possible. Nous essayons d’utiliser au mieux
des peuples, car lorsqu’ils auront connais- nos connaissances scientifiques au service
sance de toutes ces lois, ils diront: Elle de la finalité, les directives de l’enseigne-
ne peut être que sage et intelligente, cette ment religieux. Car à part savoir «pourquoi»
grande nation!» (Deut. 4/5-6). Et aussi (Why?), l’homme est appauvri s’il manque
«Paix, paix (bienvenue!) pour qui vient un but (what for?). Notre religion offre à
de loin comme pour le plus proche! Je le l’homme un but qui le dépasse en durée (la
guérirai» (Is. 57/19). vie), en espace (le monde) et en volume (le
corps). Le tout, par une moralité lui permet-
Ces citations, pour nous rappeler que notre tant de rester sur le bon chemin.
première tâche est d’aider l’autre à trouver
le chemin et de contribuer ainsi d’une façon «Qui est sage pour comprendre ces choses,
essentielle à l’équilibre et à la paix de l’Hu- intelligent pour le connaître? Droites sont
manité. Ce dont nous rêvons tous. les voies de l’Eternel, les justes y marchent
Pour terminer, revenons brièvement à la ferme, les pécheurs y trébuchent» (Osée
toute première question: l’incroyance, c’est 14/10). ■
J U DA Ï SME

L’accueillant accueilli Par Richard Kenigsman1

J’ai toujours aimé dessiner et peindre des Je me dérobais plutôt sous les robes et les
histoires juives comme certains se plaisent jupes, sans progéniture, sans obligation de
à en raconter, avec humour et malice. résultat hormis les plaisirs que procure ce
Mon imagination subversive et moqueuse genre d’expédition bien peu punitive.
s’emparait sans scrupule d’une blague, Sex or Lex , telle était la question.
d’une affiche, d’un récit biblique pour les Je me jouais de la Loi, de son joug, de sa
détourner de leur droit chemin. rigueur et de sa pesanteur.
Tremper ma plume dans la source et l’en-
crier biblique, quel plaisir! Mais un jour, la loi de la vie, sous les traits du
Le style s’apparentait au Pop Art, un Pop Art petit prophète Jonas, se joua de moi. Elle dis-
juif, subversif qui procédait par montage, tingua, sans nous l’annoncer, un enfant que
collage ou détournement. Zita ma femme et moi souhaitions adopter : il
J’accueillais souvent dans mes tableaux des s’appelait Jonas, avait 12 mois et vivait à Kau-
personnages aux prises avec les rouleaux nas en Lituanie. Or cela faisait des années que
de la Loi : la Torah. je peignais l’autre Jonas, le légendaire Jonas
Je brossais par exemple des Torah dansan- et sa baleine.
tes et bondissantes dans les bras des rois, J’avais en quelque sorte adopté ce héros
ou alors des Torah avalées par des prophè- dans mon univers de peintre, ignorant tout
tes comme des sabres magiques ou mieux du bébé lituanien. La vie nous avait joué un
20 encore des Torah fumées par de curieux tour à sa façon en nommant et désignant à
religieux, intoxiqués par leurs espérances Kaunas Jonas, le fils attendu, le fils espéré. Et
ou leurs certitudes. « J’aime la loi et j’en moi, à Bruxelles, j’avais choisi Jonas comme
fume » annonçait l’un de mes personnages. modèle.
Je prenais beaucoup de plaisir à ces petits
jeux sans deviner qu’un jour, un de ces êtres Je l’avais représenté dans mes tableaux et mes
recueilli sur mes toiles au détour d’une his- dessins emmuré dans son silence, refusant
toire, l’histoire de Jonas, me prendrait à son
tour dans ses propres filets.
Voici cette histoire, celle de l’accueillant
accueilli. C’est mon histoire, celle d’un coup
de filet pris à son propre piège, d’un pêcheur
à la ligne engendrant sa propre lignée, d’un
fil de récit transformé en fils.
Voici comment Jonah mon fils passa de mes
toiles dans ma vie. Voici l’histoire de son
adoption.

« Croissez et multipliez » est le premier des


commandements de la loi juive. Voici comment Jonah mon fils passa de mes toiles
Jusqu’alors je ne m’en étais guère soucié. dans ma vie. Voici l’histoire de son adoption.

1 Auteur de la décoration de la Grande Hannouccia, en 2007, de notre synagogue, Richard Kenigsman a réalisé de nombreuses
œuvres artistiques et exposé notamment au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme et au Centre Pompidou(Paris),au Yeshiva
University Museum et à la Alan Brown Foundation (New York), à la West London Synagogue (Londres), à l’Espace Senghor,
ou encore, entre autres, à l’Université Libre de Bruxelles et au Musée Juif de Belgique ; voir son site www.kenigsman.com.
le shofar

d’entendre l’injonction divine. J’avais peint ses sourdement à la porte. Nous retournions
compagnons d’infortune et décrit ses démêlés vers nos racines. Zita était née à Bucarest,
avec son Dieu invisible et menaçant. J’avais mes parents venaient de Varsovie et nous
peint Jonas hésitant entre Ninive et Thar- n’avions jamais songé nous rendre dans un
sis, Jonas implorant le ciel au plus fort de la pays de l’ex URSS. Mais nous avions cru à
tempête, Jonas prenant sur lui les pêchés du cette histoire d’enfants venus de l’Est lors-
monde, Jonas déprimé, Jonas tiré au sort, que notre avocate, juive orthodoxe, nous
Jonas jeté dans la mer déchaînée et englouti avait annoncé d’une voix tremblante
dans le ventre du Grand Poisson, Jonas fina- - Dieu nous a pris nos enfants, Dieu nous
lement rejeté à Ninive là où son Dieu avait les rend. Les enfants reviennent, les enfants
exigé qu’il se rende. reviennent! Nous avions entendu son cri qui
s’élevait par delà le temps des souffrances.
A Ninive, dans un prodigieux Alors nous avons confectionné nos dossiers,
retournement consulté les associations et franchi tous les
Un Grand Poisson libéra Jonas. obstacles en braves petits combattants de
A Kaunas, en Lituanie l’adoption . Celui que nous allions accueillir
Un petit poisson spermatique avait scellé et, nous l’espérions, nous accueillerait lui
mon sort. aussi, celui qui changerait de nom, de rési-
L’enfant s’appelait donc Jonas. dence, de nationalité s’appelait donc Jonas.
A Bruxelles, ce prénom pénétra mon être
Me retourna et me rejeta dans les flots de A Kaunas, en levé de rideau, la veille du juge-
ma vie. ment, nous allions rencontrer Jonas pour la
première fois.
Nous partîmes pour la Lituanie. Pour ce 21
premier voyage, nous étions trois : Zita ma La première scène d’une adoption se déroule
femme, le Docteur M. amie pédiatre qui nous curieusement en miroir d’une naissance
accompagnait et moi, futur papa, tremblant habituelle. Ainsi, en principe et en temps
de peur à l’idée de comparaître devant le ordinaires, lorsque l’enfant paraît …, le cer-
tribunal de Vilnius. Un jugement, cinquante cle de famille s’agrandit.
et un ans et deux mille kilomètres me sépa- Dans l’adoption se joue l’autre face de la
raient du bébé de 12 mois que nous allions même pièce.
adopter. Un ami me dit : « Un spermatozoïde
n’est pas un papa ! » Mais, pensais-je, la loi Lorsque les parents… paressent, l’enfant
ferait-elle de moi un papa aussi incontesta- lui est déjà là, né sous le signe de la vie qui
ble qu’un papa biologique ? Que valaient les donne, puis hélas abandonne son projet.
lois de la nature devant celles des hommes, Mais la vie retrouve parfois de nouveaux
un spermatozoïde devant un aspirant papa? élans, de nouvelles raisons de vivre.
Elle installe alors l’enfant au centre d’un petit
Nous survolâmes la grande forêt où des mil- monde, et, de proche en proche, d’orphelinats
liers de juifs furent assassinés par les nazis en centres nationaux et réseaux internatio-
aidés des milices lituaniennes. naux, la vie sourit à l’enfant et l’enfant sourit
Vue du ciel, là où ils furent traînés et mas- à la vie. Ensemble, la vie et l’enfant, l’enfant
sacrés, je ne voyais qu’une masse épaisse et sa vie courent aussi leurs chances d’ac-
et triste, profonde comme le trou de ma cueillir et d’adopter une nouvelle famille.
mémoire. Le centre, ici l’orphelinat, existe mais pas
Soudain surgit Vilnius, aussi appelée avant le cercle, pas encore. C’est ce centre à peine
la Shoah, la Jérusalem du nord. Mon cœur inscrit qu’il va falloir fortifier pour dessiner
se mit à battre très fort. L’Histoire frappait les contours d’un futur cercle familial avec
J U DA Ï SME

le concours des autres, de tous les autres, y les aventures ont été reprises par d’autres
compris de ses futurs parents adoptifs. cultures.
Chacun prendra son temps, chacun voudra Son histoire est racontée dans le livre des
contrôler cette histoire qui ne pourra pas prophètes et lue à la synagogue le jour de
s’écrire trop rapidement car toute la société Yom Kippour, le jour du Grand Pardon.
devra concourir à sa réussite. On peut comprendre pourquoi ces ambiva-
lences avaient troublé le monde grec qui,
Si l’adoption est aussi un don de la société, recueillant le poème biblique, opta sans équi-
alors il est normal que les futurs parents lui voque pour Jonas, prénom bien masculin.
paient un tribut afin d’être quitte d’elle et de La portée de ce texte est pourtant univer-
jouir d’une histoire jouable. selle même si au départ, l’histoire de Jonah
La jouissance finale viendra justement de la est une histoire juive.
somme des petites jouissances de ceux qui Le récit nous parle d’un appel, du trouble
ont pris part au jeu. qu’il provoque, du refus de l’entendre et de
Si l’un des acteurs en est privé, il se paiera l’accueillir, de l’ambivalence, des hésitations
sur l’ensemble. C’est alors la mise en pièce et des retournements qu’il entraîne.
de toute la pièce. A la fin l’histoire, Dieu intervient, moralise
Voici le premier personnage qui le premier a un peu et discute avec Jonah de compréhen-
repéré l’enfant. Voici le second qui vérifie sa sion, de repentance et de pardon.
santé et lui donne peut-être ses premières C’est un texte important dans la liturgie et
caresses, ses premières marques d’affection la morale juive, je ne l’ignorais pas.
et de tendresse. C’est aussi l’histoire de nos démêlés avec
Voici l’avocate qui avertit les futurs parents nos propres appels intérieurs.
22 réjouis ou cloués sur place par la nouvelle. Moi, qui n’avais pas entendu les appels de
Cela pourrait-il déjà se dénouer ? Il suffirait paternité, je ne me sentais guère concerné
d’un pas et l’enfant passe du centre vers le par la techouva, la repentance, trop morale
couple. à mes yeux.
Non, trop simple, ce ne serait qu’un tour de Mais j’avais pourtant été frappé par le bou-
passe-passe, sans profit pour le monde qui en leversement qu’une parole, même en forme
demande sa part. Et c’est tant mieux. de tableau, avait pu produire dans ma pro-
Il faudra que les fonctionnaires fassent fonc- pre existence.
tionner le système et que le tribunal juge. Comment aurais-je pu deviner que cette
Chacun prendra part au festin du petit pro- histoire qui m’avait tout de même troublé au
phète car c’est lui qui réjouira son monde. Cha- point de l’illustrer dans mon travail m’avait
cun paie, sauf l’enfant qui a déjà payé. retourné, pareillement à ce fameux refoulé
Si la pièce est jouable, les parents l’adopteront. qui fait retour là où on ne l’attend pas?

Voici donc comment Jonas est devenu Jonah. Le tribunal de Vilnius nous permettant de
Jonas (en grec), Jonah (en hébreu), Jounes choisir un nouveau prénom pour Jonas, nous
(en arabe) est en grec du genre masculin. Il décidâmes que Jonas retournerait à Jonah.
s‘écrit avec un « s » final Jonas. En cas d’adoption, Jonah, petit émigré, quit-
Mais, à l’origine Jonah est un nom hébreu : la terait sa terre natale en laissant Jonas der-
colombe, qui se termine par un « h ». Jonah rière lui.
est alors du genre féminin.
De plus Jonah peut désigner à la fois un pré- Moi l’émigré de seconde génération
nom féminin et un prénom masculin. Nourri d’identités multiples
Jonas/Jonah notre héros biblique, celui qui De rien, de vide
m’avait inspiré, est bien un homme dont De signes colorés.
le shofar

Toi l’Etre, toi la lettre « h » assez prodigues pour se donner à eux-
Aux senteurs miraculeuses mêmes et s’abandonner en même temps à
Aux paisibles engendrements leur nouvelle fortune.
À la postérité abondante
Je te pose la question : Ils étaient assez « allumés » pour s’enflam-
Pourquoi jeter sur la route mer, assez accueillants envers les autres
Un nouvel émigré ? pour s’accueillir eux-mêmes.
Toi qui sème à tout vent
Souffle-moi la réponse. Avant le jugement, je priai en pensant à ces
héros mythiques. Je priai à ma façon bien
Avais-je reconnu dans le flot engloutissant sûr, mais comme tout le monde, lorsque l’on
Jonas, les vagues d’immigration, celles de attend les résultats d’un examen médical ou
mes parents et de mes grands-parents que d’un concours. Je priai pour que Jonah fusse
mon pays d’accueil, la Belgique, avait connues adopté et que son nouveau nom et prénom
et connaît encore aujourd’hui? lui portassent chance. Comme dans le récit
Avais-je craint que mon petit ne devienne, biblique, je jetai les sorts, pour que la subs-
comme tant d’autres émigrés, étranger à lui titution d’une lettre par une autre insufflât
même? dans sa nouvelle identité un appel d’être au
Etais-je inquiet sur son sort et le mien avant parfum d’amour et d’hospitalité. Je sollicitai
ces changements d’identité demandés à la les dieux de la peinture pour que les raci-
justice? nes de son nom d’origine pussent se tourner
Jonas S. allait devenir Jonah Kenigsman vers le ciel et puiser dans ce deuxième souf-
pour le reste de ses jours, des nôtres et pour fle une nouvelle vitalité.
les générations engendrées ou adoptées qui 23
suivraient. Le futur petit Jonah allait-il sor- J’appelai enfin l’Etre pour que l’accueilli soit
tir sans dommage de ces métamorphoses ? accueillant envers sa nouvelle famille.

Ce furent d’autres histoires bibliques qui Ces appels furent entendus.


apaisèrent mes craintes. Jonah fut adopté le 21 juillet 1996, le jour de
La vieille Bible est remplie de ces modifi- la fête nationale belge.
cations de nom et de ces personnages aux Jonah est aujourd’hui un petit garçon de 11
identités multiples. ans plein d’invention et qui, curieusement,
Après son combat avec Dieu, Jacob change aime jouer avec les mots et les images.
de nom et s’appelle Israël. Même le premier Moi, je ne peins plus d’histoires juives mais
des patriarches se nommait Abram avant des histoires universelles.
d’acquérir un « h », inclus désormais dans Vaste programme! ■
son nom Abraham.
C’étaient de grandes figures reconnues par
l’Etre, accueillant avec ou sans grâce, avec Richard Kenigsman
ou sans ferveur, parfois même avec humour expose
leur nouveau nom ou le nom de leur progé- « L’Homme du Roi »
niture en même temps que leur futur destin. planches originales et dessins
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Nos Bné Mitsva


Par Dracha de Camille Bloch

… « Le livre de la Genèse, du grec « nais- et 1 fille, Rachel lui donne enfin un fils, Yos-
sance », « commencement », « source », est sef.Yaacov décide de rentrer au pays, mais
le premier livre de la Torah. En hébreu, son doit encore ruser avec Laban afin d’obtenir
intitulé est Bereshit ( « en tête de »). son salaire.
Il explique l’origine de l’homme et du peu- Il obtient de lui comme salaire toutes les
ple hébreu jusqu’à son arrivée en Egypte en bêtes qui naîtront et seront tachetées ou
l’éclairant par le projet de D… Ma parasha mouchetées.
s’appelle Vayétsé qui veut dire « Il sortit ». Yaacov s’enfuit de Haran sans rien dire
Dans ma parasha aujourd’hui, il s’agit de avec ses femmes, les serviteurs et tout ce
Yaacov qui fuit la colère de son frère Esaü qu’avait Laban. Laban les poursuit et fait
car il a reçu la bénédiction paternelle à la des reproches. Yaacov se défend et Laban
place de celui-ci. se radoucit.
Yaacov va donc partir vers Haran, rejoin- Les deux hommes concluent une alliance.
dre Laban et la terre dont Abraham, Sarah Yaacov dit à ses enfants et ses beaux frè-
24 et Rivka étaient venus. En chemin, il va res « Rapportez des pierres pour que l’on
s’endormir et faire un songe. construise un monceau» et ils mangent
Il va rêver d’une échelle. là, sur le monceau, en signe d’alliance. Le
On peut alors penser qu’il fait le joint entre lendemain, Laban embrasse ses fils et ses
le ciel et la terre. Dans ce rêve, D. lui parle, filles et Yaacov poursuit son voyage.
lui promettant aide, protection, bénédic- Vers la réconciliation, nous l’espérons, avec
tion et descendance nombreuse, comme à son frère Esaü.
ses pères. Il lui donne à lui et à sa descen-
dance, la terre d’Israël. Ma paracha parle de différents thèmes
Arrivé à Haran, Yaacov loue ses services à qui sont importants :
son oncle Laban. • la fécondité, que souhaitent Léa et Rachel ;
Tombé amoureux de Rachel, la plus jeune avoir des enfants pour transmettre,
fille de Laban, il doit fournir sept ans de • la confiance, qui fonde l’amitié et l’amour,
labeur pour recevoir sa main. Laban le celle qui manque entre Yaacov et Laban
trompe et lui donne sa fille Léa en mariage • la patience et la persévérance, qui carac-
sous prétexte que l’aînée doit être mariée térisent Yaacov.
avant la cadette. Il travaille alors encore
sept ans pour Rachel qu’il finit par épouser, Dans cette histoire, ce qui m’a touchée,
puis il travaille encore sept ans pour avoir c’est la séparation d’entre Yaacov et sa
encore quelques biens. famille.
Léa lui donne plusieurs fils, mais Rachel, Se séparer de sa famille pendant 21 ans,
quand à elle, est stérile. c’est beaucoup.
Rachel lui donne alors sa servante comme Pourtant, au cours de ces 20 années, Yaa-
concubine mais Léa en fait autant. cov a appris qui il était. Il se faisait à cha-
Finalement, alors que Yaacov a déjà 10 fils que fois marcher sur les pieds, mais il a
le shofar

fini par se révolter contre cette situation. pour lui, et il deviendra bientôt Israël (…).
Il a fini par quitter Haran sans l’accord de Les thèmes qu’il me parait important de
Laban. Il a fini par prendre conscience que souligner (…) sont les suivants :
les choses devaient changer. • La fécondité est ici essentielle. On peut
Quand il était à Beer Chéva, il ne savait voir comme il est important pour Lea
pas vraiment son identité. Après 20 ans d’avoir des enfants et comme Rachel souf-
comme berger, comme mari, comme père, fre de ne pouvoir en avoir. La stérilité est
comme neveu, comme employé, il a appris un problème qui peut toucher et marquer
qui il était, il a changé, et ce changement beaucoup de femmes, comme l’a été Rachel
va se traduire par un changement de nom qui en a souffert profondément jusqu’à dire
la semaine prochaine : Yaacov devien- que le seigneur l’avait jugée et condamnée.
dra Israël. Ses enfants seront appelés les Puis, il y a eu un autre sentiment : celui de
« enfants d’Israël », et c’est encore le nom justice lorsque enfin, elle tomba enceinte
de notre peuple aujourd’hui. Nous sommes de Yossef.
un peuple de l’identité. • Un autre thème important qu’il faut évo-
quer est celui de la confiance.
Pour devenir ce peuple, il aura fallu remet- Yaacov avait trompé son père et son frère.
tre « l’église au milieu du village ». En effet, Ici, Yaacov faisait confiance à Laban, mais
dans cette histoire, toutes les identités se celui-ci l’a trompé. Pour bien se construire,
mélangent. il est important d’avoir confiance envers
D’abord, la semaine dernière, Yaacov s’est ses amis et en soi-même. Mais aussi de res-
fait passer pour Esaü, mentant à son père à pecter la confiance que les autres ont en
propos de son identité. nous. 25
Puis, cette semaine, Léa s’est faite passer - La patience et la persévérance. Yaacov
pour Rachel. doit travailler sept ans puis encore sept ans
Encore pire, Léa et Rachel ont demandé à et encore… C’est aussi quelque chose de
leurs servantes de les remplacer pour avoir nécessaire a acquérir dans une vie.
plus d’enfants.
Enfin, Rachel a même vendu une nuit avec Il faut souvent beaucoup de patience pour
son mari pour obtenir les mandragores qui construire quelque chose, faire aboutir un
devaient la rendre fertile. projet….
Pour couronner le tout, Rachel a nommé Pour se construire et construire sa propre
son fils « Yossef », qui veut dire « qu’il vie, il faut de la patience mais aussi de la
m’en donne un autre ». Le nom du fils sert volonté.
à demander d’avoir un autre fils ! C’est On peut donc dire que tous ces thèmes abor-
comme si mes parents m’avaient appelée dés dans ma parasha font finalement partie
« Au suivant » Bloch ! de notre quotidien à tous. Elle nous montre
Ce nom ne donne pas d’identité à Yossef. bien à quel point la famille, la confiance en
Leur rôle de remplaçantes ne donne pas soi et envers les autres, les rapports entre
d’identité aux servantes. les hommes et les femmes, sont importants
L’échange entre Léa et Rachel ne respecte dans la l’accomplissement de notre vie.
pas leur identité, et le fait d’être plusieurs
femmes avec le même homme non plus. Dracha de Paul Kriwin
Tout ce mic-mac vient du début, quand Yaa- … « Lors des épisodes précédents, Jacob
cov s’est fait passer pour Esau et a trompé avait « acheté » le droit d’aînesse à Esau
son père, triché sur son identité. puis avait trompé son père pour recevoir sa
Tout est en train de se remettre en ordre bénédiction. Il avait dû s’enfuir chez Lavan,
J U DA Ï SME

son oncle, où il avait séjourné 20 ans, s’était Israël part et s’installe auprès de ses parents
marié à Rachel et à Léa. dans les plaines de Mamré, où Isaac meurt.
Après ces longues années, dans notre Ses fils vont l’enterrer. Esaü s’éloigne alors
paracha, Jacob rentre dans le pays de ses pour rejoindre la montagne de Séir et évi-
pères. Sur le chemin du retour, Jacob est ter les disputes entre bergers.
attaqué par un ange et se bat avec lui. Il est Puis vient la naissance d’Amalec, qui sera
blessé à la cuisse, au niveau du nerf scia- pour Israël un ennemi rusé et dangereux
tique. C’est à la suite de cet épisode qu’on Toutes ces histoires vous choquent peut-
ne consomme pas le nerf sciatique. Jacob être. Pourquoi parler de toutes ces hor-
gagne quand même ce combat. Il recevra reurs le jour de ma Bar Mitsva ? La Torah
de l’ange une bénédiction ainsi qu’un nou- enseigne la vie, et la vie est faite de bien et
veau nom : Israël. de mal. Sans le mal, le bien n’existerait pas.
On ne se rendrait pas compte de la gen-
Jacob rejoint ensuite sa tribu et prépare la tillesse des gens, il n’y aurait peut être pas
rencontre avec Esaü. Il envoie des messa- autant de sentiments entre les gens.
gers pour annoncer sa venue et sa volonté Il faut aussi parler des problèmes et du
de paix, mais aussi pour vérifier si Esau a mal pour savoir mieux le combattre ou le
des intentions pacifiques. Jacob apprend confronter. La Torah nous parle de ces pro-
que 400 hommes accompagnent son frère, et blèmes difficiles pour que nous puissions y
se prépare au pire. Pour cela, il ne prépare réfléchir et y trouver des solutions.
pas seulement sa défense, mais aussi un Un des grands problèmes de la paracha qui
genre de guerre psychologique, une guerre m’a intéressé est : « comment Jacob peut se
de la paix : il envoie d’abord des messagers réconcilier avec son frère ».
26 qui ont pour mission, cette fois, de surpren- Jacob ne sait pas quelle tactique utiliser. Il
dre Esaü en faisant des cadeaux. Il espère a peur de se faire tuer et toute sa famille et
ainsi calmer la colère de son frère. ses enfants.
Cette tactique va bien marcher puisque
Esau l’embrasse au lieu de l’attaquer. Ils Si j’avais été à sa place, j’aurais peut-être
font la paix et Jacob présente sa nombreuse essayé de me faire passer pour un autre, de
famille à son frère. Puis, ils se séparent. parler à la famille pour arranger les choses.
Jacob et sa famille s’installent à Soukkoth. J’aurais voulu parler à Esau sans lui dire
Là se déroulent des évènements terri- qui j’étais, et seulement une fois le pro-
bles : le viol de Dina, seule fille de Jacob, blème résolu, lui dire qui je suis.
la demande en mariage du violeur tombé Ainsi, je me serais déguisé pour résoudre
amoureux. La condition mise au mariage le problème causé par le fait que je m’étais
sera sa circoncision et celle de tout le vil- déguisé avant ! Peut-être que je demande-
lage. Simon et Lévi, frères de Dina, profi- rais pardon tout simplement.
teront de l’affaiblissement dû à l’opération Jacob, lui, essaye de se faire pardonner par
pour tuer tout le monde. Jacob et sa famille le biais d’émissaires. A chaque fois, Esau
s’enfuient, ils retournent à l’endroit où et son armée croyaient que Jacob arrivait
Jacob avait dormi et prié, 21 ans aupara- quand les émissaires approchaient. Ils
vant, et y construisent un autel en remer- se préparaient au combat mais à chaque
ciement (…). fois, les émissaires étaient pacifiques
Jacob reçoit à nouveau le nom d’Israël, et apportaient des cadeaux. Du coup,
directement de Dieu cette fois. Rachel l’armée ne pouvait rien contre Jacob, ni
meurt à Beth El, en donnant naissance à tuer l’émissaire, car c’était un serviteur
« Ben Oni » (fils de ma douleur) que Jacob de Jacob qui se disait lui-même serviteur
renomme « Ben Yamin », fils de ma droite. d’Esau ! Il ne pouvait pas voler de troupeau
le shofar

car justement, ces troupeaux étaient Ruben n’a pas le droit d’aînesse à cause de
destinés à Esau comme cadeau de la part sa faute, c’est son frère puîné qui devrait en
de Jacob ! Lors des réelles retrouvailles, hériter ! Malheureusement, Simon et Lévi
la haine d’Esau fut désamorcée grâce à ont fait preuve d’une violence inadmissi-
sa tactique L’étude de la Tora nous permet ble. Comment leur donner un tel honneur ?
de mieux affronter et comprendre les Il revient donc au fils suivant, Juda, d’être
problèmes. Avant de rencontrer vraiment doublement béni. Et pourtant, nous voyons
les difficultés comme Jacob rencontre Esaü, dans notre paracha que c’est Joseph qui va
on rencontre beaucoup de « troupeaux », de hériter du droit d’aînesse, alors qu’il n’était
difficultés qui ne sont que sur le papier et que l’avant-dernier fils !
qui nous permettent de réfléchir aux vrais
problèmes de la vie… » Donc, l’ordre est chamboulé en ce qui
concerne l’attribution du droit d’aînesse !
Dracha de Ruben Simonart Jacob favorise Joseph pour Joseph mais
… « J’aimerais dire un mot sur ma paracha, pas contre les autres enfants.
VayéHi, « il a vécu », Genèse chap. 49. On voit donc que le fait que Ruben n’ait
Jacob est sur le point de mourir et il appelle pas de double bénédiction n’est pas une
Joseph à ses côtés. Il en profite pour bénir punition.
les deux fils de Joseph, Ephraïm et Ména-
ché, et les adopter. Jacob bénit ses fils avant C’est comme dans nos vies. Il y a parfois
de mourir en faisant la description de cha- des choses difficiles à accepter, des remar-
cun d’entre eux. Il demande ensuite à être ques par exemple, si on pense qu’elles sont
enterré en terre de Canaan. Joseph tient faites contre nous.
parole et reçoit la permission du Pharaon. Au contraire, si on y voit le positif, on peut 27
A sa mort, un grand deuil de 70 jours est en tirer de bons enseignements pour le
organisé. La paracha s’achève au moment futur.
où Joseph lui aussi disparaît. On veut croire que les frères de Joseph ont
De cette façon, VayéHi clôt le livre finalement réussi à se soigner de leur jalou-
de la Genèse et conclut l’histoire des sie, acceptent le choix de Jacob, et voient
Patriarches. cette bénédiction d’un bon oeil.
En étudiant la paracha, j’ai été frappé par D’autres arguments témoignent du fait que
la bénédiction qui est faite à Ruben au Ruben ne soit pas puni :
chapitre 49 verset 23: « Ruben ! Tu fus mon 1. J oseph reçoit la double bénédiction avant
premier né, mon orgueil et les prémices que Jacob ne rappelle la faute de Ruben.
de ma vigueur ; le premier en dignité le 2. L e texte en hébreu ne parle pas de Ruben
premier en puissance. Impétueux comme au passé. Il ne dit pas « Tu fus mon pre-
l’onde, tu as perdu ta noblesse car tu as mier né », mais « tu es mon premier né ».
attenté au lit paternel, tu as flétri l’honneur Ruben reste d’aîné dans les faits.
de ma couche.» 3. En bénissant les enfants de Joseph, Jacob
dit « Ephraim et Ménaché seront pour
Je me suis demandé pourquoi Ruben moi comme Réuven et Chimon », ce qui
n’avait pas été rejeté du cercle familial : prouve bien qu’il aime tous ses enfants, y
puisque il a profané la couche de son père compris Réuven et Chimon!
en partageant le lit de Bilha, on comprend
que son père lui en veuille ! A cause de son Ruben reste donc un personnage central.
erreur, il semble que Ruben n’ait pas eu le On se rappelle de ses bonnes actions :
droit d’aînesse. Il aurait été puni. Mais il y Premièrement, c’est lui qui a cueilli les
a un problème avec cette explication : si mandragores que Léa a ensuite données
J U DA Ï SME

à Rachel. C’est grâce à ces mandragores content pour lui qu’il ait reçu la bénédiction.
que Rachel serait devenue fertile et aurait Ruben a protégé Joseph, il voit qu’il a bien
donné naissance à Joseph. fait, il est reconnu à travers la bénédiction
Deuxièmement, il a ensuite courageuse- de son frère. Nous nous étions demandé
ment pris la défense de Joseph en empê- pourquoi Ruben n’avait pas été rejeté du
chant ses frères de le tuer et en suggérant cercle familial. Avons-nous maintenant
qu’ils le mettent dans un puit. une réponse ? Ruben a beaucoup de qua-
Troisièmement, lorsqu’il a voulu le lités et une excellente influence parmi les
sortir du puit et qu’il a découvert que frères qui vont maintenant devoir consti-
Joseph n’était plus là, Ruben a déchiré tuer le peuple d’Israël.
ses vêtements en signe de deuil. Pour Notre peuple ne peut pas se constituer sur
finir, il a été le premier à vouloir prendre le principe de l’exclusion.
la responsabilité de Binjamin si Jacob le De nos jours aussi, les erreurs sont là pour
lui confiait, pour que la famille ait enfin à nous permettre à tous d’apprendre, pas
manger. pour en profiter pour s’exclure les uns les
autres.
On voit que Ruben est un personnage très La Torah ne dit pas que nos ancêtres étaient
positif. On a l’impression qu’il est un peu parfaits, mais que leurs vies sont pour nous
l’ange gardien de Joseph ; il est certainement source de réflexion et d’enseignement… ■

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Carnet
Nos prochains Bné Mitsva :
Le 2 février 2008 – Parasha Michpatim: Shana SELIK
Le 16 février 2008 – Parasha Tetsaveh: Julia PLAT

Décès z’’l
C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès d’Olga Gaudier, grand-mère
de notre amie Nathalie De Lathouwer-Devaux. A Nathalie et Jean-David, nous adressons
nos plus sincères condoléances.

Le décès le 23 décembre 2007, de Julia Palacci, grand-mère de notre ami Frederic Raffeld.
A Frédéric, son épouse Deborah, leurs enfants David et Dana, ainsi qu’à la famille, nous
tenons à exprimer ici toute notre sympathie.

Le décès le 31 décembre 2007, de Hélène Baumerder, maman de notre amie Lucile Van
den Berg-Baumerder. A Monsieur Denis Baumerder, son époux, à Lucile et Gérard, à leurs
enfants ainsi qu’à la famille, nous tenons ici à dire notre profonde sympathie.

Le décès, le 4 janvier 2008, de notre ami David Perahia. A son épouse Jacqueline, ses
30 enfants, ainsi qu’à la famille, nous tenons à dire notre profonde sympathie.

Le décès, le 5 janvier 2008 à Genève, de Marlyse Levy Mandel, sœur de notre ami Paul-Gérard
Ebstein. A son époux, Roby Levy Mandel, à qui nous souhaitons un prompt rétablissement,
à ses filles Anne et Françoise, à Paul-Gérard et ses enfants Patrick et Véronique, ainsi qu’à
la famille, nous tenons à exprimer toute notre sympathie et notre amitié.

Si vous désirez recevoir notre Newsletter,

envoyez votre adresse e-mail sur info@beth-hillel.org

avec, comme communication:

Abonnement Newsletter.
le shofar

31
AG EN DA

FEVRIER 2008 / MARS 2008

Vendredi 1er février 2008 Jeudi 14 février 2008


20H00: Office de 20h00: Midrach dans le texte avec Rabbi
Kabbalat Chabbat Abraham Dahan

Samedi 2 février 2008 Vendredi 15 février 2008


26 Chevat 5768 - Michpatim 20h00: office de Kabbalat Chabbat
10H30: Office Bat Mitsva Shana Selik
Samedi 16 février 2008
Lundi 4 février 2008 10 Adar I. 5768 – Tetsaveh
Pas de Cours de Judaïsme avec 10h30: Office Bat Mitsva Julia Plat
Rabbi Chinsky
Lundi 18 février 2008
Mercredi 6 février 2008 20h00 à 21h30: Cours Adultes: notre Judaïsme,
32 Roch Hodech Adar I. pensée et pratiques avec Rabbi Chinsky
Pas de Talmud Tora
Mercredi 20 février 2008
Jeudi 7 février 2008 14h15 à 16h15: Talmidi
Pas de Midrach dans le texte avec
Rabbi Dahan Jeudi 21 février 2008
20h00: Conférence de Rabbi Dahan à
Vendredi 8 février 2008 Beth Hillel «La femme et la religion, une
20h00: Office de Kabbalat Chabbat éternelle mineure?» (voir annonce)
Oneg Chabbat offert par la
famille Perahia Vendredi 22 février 2008
20h00: office de Kabbalat Chabbat
Samedi 9 février 2008 Suivi d’un dîner chabbatique commu-
3 Adar I. - Terumah nautaire (pour participer 02.332.25.28)
10H30: Office
Samedi 23 février 2008
Lundi 11 février 2008 27 Adar I. – Ki Tissa
Pas de Cours de Judaïsme avec 10h30: Office
Rabbi Chinsky
Lundi 26 février 2008
Mercredi 13 février 2008 20h00 à 21h30: Cours Adultes: notre Judaïsme,
14h15 à 16h15: Talmidi pensée et pratiques avec Rabbi Chinsky
le shofar

ADAR I. / ADAR II. 5768

Mercredi 27 février 2008 Lundi 3 mars 2008


14h15 à 16h45: Talmidi 20h00 à 21h30: Cours Adultes: notre Judaïsme,
pensée et pratiques avec Rabbi Chinsky
Jeudi 28 février 2008
19h00: Assemblée Générale Statutaire Mercredi 5 mars 2008
Annuelle 14h15 à 16h45: Talmidi
20h00: Midrach dans le texte avec Rabbi
Abraham Dahan Vendredi 7 mars 2008
Roch Hodech Adar II.
Vendredi 29 février 2008. 18h30: Dîner chabbatique du Talmud Tora
20h00: Office de Kabbalat Chabbat 20h00: Office de Kabbalat Chabbat

Samedi 1er mars 2008 Samedi 8 mars 2008


24 Adar I. 5768 - Vayakhel 1 Adar II. - Pekoudé 33
10H30: Office «Communautaire» 10H30: Office

Envie de nous écrire ?


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C O MMU N AU T É

Leo Baeck : « d’une lignée de


Rabbins » 1873-1956
Par Monique Ebstein

Leo Baeck est considéré comme une des plus hautes figures rabbiniques du judaïsme
européen au 20ème siècle. Tout au long de sa vie, il a eu la charge d’une communauté,
il a enseigné et écrit une oeuvre volumineuse, dont trois volumes seulement sont
traduits en français1. C’est pourquoi il est insuffisamment connu dans les pays fran-
cophones. Nous voudrions tenter de réparer cette injustice en présentant une courte
biographie et un bref aperçu de sa pensée2.

En Allemagne, les mouvements annoncia- C’est vers le dernier quart de ce 19ème siè-
teurs de l’émancipation des Juifs commen- cle, le 23 mai 1873, que Leo Baeck naquit
cèrent vers la fin du 18ème siècle. Elle ne fut à Lissa en Posnanie, province qui appar-
cependant reconnue juridiquement que par tenait alors au royaume de Prusse avant
34 la proclamation de la loi de 1869. Les condi- d’être rendue à la Pologne en 1919, comme
tions préalables à cette évolution avaient conséquence de la défaite de l’Allemagne
été établies par le processus de séculari- après la 2ème Guerre Mondiale. Son nom
sation mis en marche par les Lumières, et de famille dériverait de «Ben Qadosh»,
surtout par le passage d’une société encore fils de martyr, rappelant ainsi d’anciens
teintée de féodalisme au capitalisme bour- pogromes du Moyen Age. Les ancêtres de
geois des Temps modernes. Ce n’étaient Leo Baeck étaient originaires de Moravie
plus les murs du ghetto qui identifiaient le et de Hongrie. Par son père et par sa mère,
Juif, car si l’émancipation avait fait éclater il descendait de familles rabbiniques très
l’autonomie de la communauté juive repliée respectées. Son père Samuel Bäck, (lui-
sur elle-même, elle avait conféré à chaque même changea plus tard l’orthographe de
Juif le statut de citoyen. Nombreux furent son patronyme), à la fois rabbin et érudit,
ceux qui voulurent adapter les valeurs reli- était renommé pour avoir écrit une «His-
gieuses traditionnelles et l’héritage culturel toire du peuple juif et de sa littérature, de
aux critères de la raison et de la modernité. l’exil de Babylone à nos jours».
Cependant, si le résultat de l’émancipation Leo Baeck grandit dans un climat intel-
juive resta en deçà du but qu’elle s’était fixé, lectuel et religieux qui n’était pas touché
si l’intégration sociale ne fut pas une réus- de près par les mouvements modernes de
site totale, le 19ème siècle apparaît comme l’époque. Sa famille vivait dans une atmos-
une période d’intense vie intellectuelle. phère à la fois humaniste et chaleureuse.

1L
 eo Baeck: « L’Essence du Judaïsme », traduction 1993 par M-R Hayoun ; «Les Evangiles, une source juive», traduction
2002 par M-R Hayoun ; « Ce peuple. L’Existence juive », traduction 2007 par M-R Hayoun
2C
 et article se base sur la biographie écrite par le Rabbin Walter Homolka, «Leo Baeck, Perspektiven für heute»
Ed. Herder,Freiburg in Br. 2006
le shofar

L’ouverture d’esprit peu ditionnel de Dilthey, leurs


commune de ses parents fit idées se rejoignaient cepen-
de lui un homme qui, sa vie dant sur certains points
durant, sut respecter tous essentiels. Pour tous deux,
les courants du judaïsme. le problème central était
l’esprit humain en quête du
Son premier maître fut son rapport entre le Temps et
père, il poursuivit ensuite l’Eternité.
sa scolarité au lycée de sa Tous deux refusaient de
ville. A Lissa, les relations limiter la connaissance
entre Juifs, Allemands et humaine à une simple col-
Polonais étaient tendues. lecte de constatations et de
Les Juifs étaient certes faits. Dilthey voyait dans
moins anti-polonais que le Judaïsme une entité
les Allemands, ils se consi- historique. Pour Baeck,
Leo Baeck
déraient tout naturellement, le Judaïsme était un tout com-
tant du point de vue culturel, linguistique plexe dont la caractéristique essentielle
que politique, comme allemands, ce qui à était sa continuité.
cette époque était bien accepté par leurs
compatriotes. En 1897, Leo Baeck a 24 ans. Il se voit confier
En 1891, après «l’Abitur»3, Leo Baeck com- un premier poste de rabbin à Oppeln, en
mença des études au Séminaire rabbinique Haute Silésie et y restera dix ans. C’est là
de théologie à Breslau, la plus ancienne qu’il épouse la jolie Nathalie Hamburger,
école supérieure juive d’Allemagne, où petite-fille du rabbin dont il était devenu le 35
enseignaient des professeurs aussi illustres successeur, et c’est là aussi que Ruth, leur
que l’historien Heinrich Graetz (1817-1891). unique enfant, vint au monde. Dans cette
En 1892, il s’inscrivit au Séminaire de Phi- ville d’environ dix mille habitants, il y avait
losophie de l’Université de Breslau4. En une synagogue libérale de 750 membres.
plus de la théologie, de l’histoire et de la Un des premiers actes posés par le nou-
philosophie, il suivit également des cours veau rabbin fut l’inauguration de l’orgue.
de langues anciennes et orientales. Les années passées à Oppeln furent très
heureuses pour la jeune famille. Le res-
Puis en 1894, il se rendit à Berlin pour étudier pect et la renommée qu’y gagna Leo Baeck
à «l’Académie pour la Science du Judaïsme» dépassaient déjà largement les confins de
où le programme ne différait pas essentiel- sa communauté.
lement de celui du Séminaire de Breslau,
mais dont l’esprit était clairement celui du Les premières publications de Leo Baeck
judaïsme libéral. Baeck en était proche, le désigneraient plutôt comme adhérant au
mais il voulut également assister à certains mouvement libéral. Cependant, il répéta
cours du Séminaire rabbinique traditionnel souvent au cours de sa vie qu’il ne visait pas
fondé par Esriel Hildesheimer. Il poursuivit tant la réforme que le progrès, que pour lui
ses études de philosophie à l’Université de la piété telle qu’il l’entendait – une attitude
Berlin, comme étudiant et disciple de Wil- nourrie par l’antique piété juive- n’avait rien
hem Dilthey (1833-1911). Si Baeck ne peut à voir avec le terme polysémique et ambigu
être considéré comme un disciple incon- de «libéral».

3L
 ’Abitur est en Allemagne l’examen qui, après l’enseignement secondaire, permet d’accéder à l’Université.
4B
 reslau, ville de Basse Silésie, devenue aujourd’hui Wroclaw, Pologne.
C O MMU N AU T É

Le progrès tel qu’il le comprenait se réali- pour tous et pour toujours, signifierait
sait au travers d’une évolution historique imposer sa propre interprétation à ses
que Baeck concevait du point de vue théo- descendants. Le seul résultat serait un
logique comme «l’histoire d’une rencontre fossé de plus en plus profond entre la Foi
avec Dieu». Pour lui, le libéralisme reli- et la Connaissance. (…)Chacun est libre
gieux n’était pas différent du conservatisme de comprendre et d’interpréter la Parole
libéral, c’est à dire qu’il considérait que les de Dieu selon son savoir et son entende-
deux courants cherchaient à conserver la ment, d’y puiser ce qui pourra le désal-
mémoire du passé, tout en étant ouverts à térer maintenant, même si aux temps
la pensée nouvelle. anciens on y cherchait et trouvait autre
chose. Les Ecritures ne doivent jamais
Dès 1896, il prend position sur le concept devenir pour nous un texte dépassé, elles
de «l’orthodoxie juive»5: «Si l’on ne donne ne doivent même jamais être un texte
pas au concept de «dogme» une accep- vieilli. Au temps des Lumières, on fit
tion trop large, on peut affirmer que la constatation que tant de confessions
le judaïsme n’a pas de dogmes, ou du différentes, et même contradictoires,
moins qu’il n’en a plus, depuis qu’il n’est se réclamaient d’un seul Livre, on y vit
plus régi par l’organisation centrale du la preuve que ce livre était imprécis et
Sanhédrin: voilà pourquoi il ne peut pas ne pouvait donc être divin. Nous, par
se réclamer d’une «orthodoxie». Des dog- contre, y voyons la preuve de son éternelle
mes, c’est à dire des articles de foi obli- vérité. Les Ecritures tiennent le même
gatoires, ne peuvent être établis que par discours à l’enfant, à l’homme dans la
une autorité religieuse qui parle au nom fleur de l’âge, au vieillard, mais chacun
36 de tout le monde. Seule une telle auto- d’entre eux entend autre chose. (.....) En
rité a le pouvoir de prendre éventuelle- ce sens le Judaïsme est une religion sans
ment des mesures contre un insoumis. dogme. Aucun de ses courants n’a donc le
Elle seule peut décider de ce qui doit être droit de s’auto-déclarer «orthodoxe, car
cru, et c’est donc à elle de décréter qui là où il n’y a pas de dogmes, il n’y a pas
est en droit de se qualifier d’orthodoxe. d’orthodoxie. Ce qui sépare les différents
(…)Au Moyen Age, quelques «Sages» ou mouvements à l’intérieur du judaïsme,
philosophes de la religion ont essayé de ce ne sont pas des problèmes de foi, mais
fixer l’enseignement du judaïsme dans «le cérémonial», c’est à dire la façon
un certain nombre d’articles, qui ne peu- d’honorer et de rendre hommage à Dieu.
vent cependant être considérés comme Le courant que l’on appelle d’habitude
des dogmes, car il n’y avait pas d’Auto- «orthodoxe» devrait plutôt se nommer
rité reconnue pour en décider. Une telle courant «fidèle au cérémonial». Les sym-
situation est un avantage pour notre boles du cérémonial (...) sont entre autre
religion. Cela lui a permis de conserver la langue dans laquelle on prie. Mais les
sa fraîcheur et sa souplesse. Les percep- prières doivent nous parler, avoir un
tions profondes de la conscience ne sont sens pour nous, c’est le critère d’après
jamais les mêmes d’une génération à lequel il faut les évaluer. Un office qui
l’autre. (…)Chaque époque doit essayer ne signifierait plus rien pour nous, n’est
de comprendre clairement ce en quoi elle pas un office religieux, mais un office
croit et ce qu’elle espère. Mais vouloir cérémoniel. Ceux qui y participent fidè-
déclarer que la forme, dont on revêt cette lement ne sont pas pour autant des fidè-
croyance et cette espérance, est valable les «pieux», mais «cérémoniels».

5 « Orthodox oder cereminiös ?» in «Jüdische Chronik 3»


le shofar

Lorsque Leo Baeck quitte sa première dans le judaïsme. D’une façon inhabi-
communauté, en 1907, il définit ce que tuelle pour son époque, il était très ouvert
représente pour lui la fonction de rabbin: envers les jeunes femmes qui décidaient
«Notre religion ne fait pas de différence d’entreprendre des études à «l’Académie
entre «prêtres» et «laïcs». Elle n’accorde à pour la Science du Judaïsme». C’est là qu’il
personne une place prééminente dans la fut l’un des professeurs de Regina Jonas
Maison de prières. Des marches condui- (1902-1944) qui devint la première femme
sent certes à la chaire, mais elles sont de rabbin. Il lui décerna au cours de ses étu-
bois ou de pierre, elles ne mettent per- des un certificat de «prédicatrice réfléchie
sonne au-dessus de la communauté. Et et éloquente». Il signa de sa main une copie
celui qui lui adresse la parole en reste un de son diplôme de rabbin en 1942. Rappe-
maillon. Pour parler avec les Prophètes, lons que Regina Jonas fut déportée à The-
l’idéal serait que toute la communauté soit resienstadt, puis envoyée à Auschwitz où
constituée d’érudits, que chacun soit son elle fut assassinée le 12 octobre 1944.
propre maître et fasse retentir en son âme Nous savons par contre qu’il n’aimait pas
la Parole de Dieu. Mais d’ici l’avènement donner cours aux enfants pour la bonne
de ces temps messianiques, il faut bien raison qu’ils attendent des réponses claires
que la fonction, qui devrait être exercée et simples à des questions difficiles. Baeck
par chaque membre de la communauté, n’était pas un grand orateur et le contenu de
le soit par celui dont la fonction explicite ses homélies était beaucoup plus impres-
est d’annoncer la Parole de Dieu». sionnant que l’éloquence avec laquelle il les
prononçait. Un membre du conseil d’admi-
En 1907, Baeck fut nommé rabbin à Düssel- nistration de sa communauté qualifia un
dorf où il resta 5 ans. Il fut le successeur jour ses prêches «de conversations privées 37
du rabbin Samson Hochfeld (1871-1921), de Baeck avec Dieu».
un grand érudit, appelé à Berlin afin d’en-
seigner à l’Académie pour la Science du En 1912, Leo Baeck s’établit à Berlin avec
judaïsme. Entre-temps, Baeck avait gagné sa famille. Il eut la fonction de grand-rabbin
l’estime de toute l’Allemagne grâce à son pour toutes les synagogues qui suivaient
indépendance d’esprit et de pensée, mais le nouveau rite, il prêcha dans trois syna-
aussi à cause du respect que lui-même gogues libérales, et enseigna à l’Académie
portait aux autres convictions. Pour lui, pour la Science du judaïsme. Mais son acti-
le pluralisme était une des richesses prin- vité fut bientôt interrompue par le début de
cipales du judaïsme. C’est ainsi que dans la première Guerre Mondiale. Baeck fut l’un
le bâtiment de sa synagogue, une salle des premiers à répondre à l’appel de l’Asso-
était réservée à une petite communauté ciation des Juifs allemands: «Mettez-vous
de prière orthodoxe. En tant que rabbin, au service de la patrie». La guerre donnait
Leo Baeck sut éviter toute scission, et sans en effet aux Juifs l’occasion de prouver leur
s’écarter de la voie vers la modernisation patriotisme en appliquant le slogan: «Tous
où s’était engagé son prédécesseur, il sut les Allemands doivent faire leur devoir,
faire en sorte que la minorité orthodoxe mais les Juifs allemands doivent faire
ne quittât pas la communauté. Comme à plus que leur devoir». Baeck qui avait à ce
Oppeln, l’enseignement religieux était une moment 41 ans et entrait dans sa période la
des tâches principales du rabbin. plus créative, exerça, comme trente autres
rabbins son activité d’aumônier militaire
Leo Baeck attribuait une très grande sur les fronts est et ouest. Il visitait les
importance à l’éducation des filles ainsi blessés et dirigeait les offices, sans omettre
qu’à l’égalité de l’homme et de la femme d’envoyer à la communauté de Berlin des
C O MMU N AU T É

nouvelles régulières qui étaient publiées. à 1955, il en devint le Président du Conseil


Ses écrits qui datent du début de la guerre international. De plus, il assuma la prési-
nous permettent de constater à quel point dence de l’Association générale des Rab-
il participait à l’élan patriotique général. bins d’Allemagne, et celle du Bnei Brith
Cependant à son retour à Berlin, en juin pour la région allemande.
1918, il répondit au discours de bienvenue En février 1934, un an après la prise de pouvoir
qu’on lui adressa en disant que quatre ans par les nazis, il écrit en parlant du «renou-
auparavant, il avait quitté sa communauté vellement religieux»: « Pour nous Juifs
en se sentant essentiellement allemand. A allemands, la clé se trouve dans la
son retour, il n’était pas moins allemand, réponse à une question, à la question bien
mais davantage juif. Il était convaincu que précise de savoir si nous sommes prêts à
les Juifs devaient davantage se rattacher à aller vers une renaissance spirituelle, un
leur propre héritage: «Le monde changera. renouvellement intérieur, si les forces
En tant que Juifs allemands, nous som- internes, essentielles, caractéristiques,
mes confrontés à notre destin singulier. qui nous viennent de notre judaïsme, qui
Le siècle dernier fut, dans l’histoire du sommeillent en nous, peuvent se ravi-
judaïsme, le siè- ver et retrouver
cle des Juifs alle- leur efficacité. La
mands: ils étaient misère et l’oppres-
à la pointe du « L’ouverture d’esprit peu sion deviennent
combat des idées commune de ses parents fit de supportables,
où l’esprit juif les endurer peut
cherchait son ori- Leo Baeck un homme qui, sa vie conduire à la créa-
38 gine et son abou- durant, sut respecter tous les tion, elles peuvent
tissement. De même être une
nouveaux problè-
courants du judaïsme » bénédiction si, en
mes, de nouveaux elles, malgré elles
défis nous attendent à présent. Est-ce ou par elles, nous arrivons à libérer et
que nous, Juifs allemands, saurons leur élever notre vie intérieure qui aupara-
apporter des solutions originales ? Nous vant était à l’étroit et ne trouvait pas son
avons un patrimoine ancien, nous devons chemin. Notre destin, à nous Juifs alle-
conserver notre place. (…)Un monde va, mands, dépend de notre réponse ».
un monde vient, mais l’homme reste,
l’homme et ses devoirs. Par ces mots, A Berlin, il donna des cours et dirigea des
saluons le passé, accueillons l’avenir !»6 séminaires d’homilétique, de mystique
juive, d’histoire du judaïsme, de science
A partir des années vingt, Baeck assuma religieuse comparée, comme par exemple
de nombreuses fonctions dans des asso- le problème de la base historique de la
ciations religieuses, caritatives, politiques Révélation dans l’Evangile de Jean. Ses
et culturelles. Il devint ainsi le médiateur cours étaient analytiques, systématiques
entre le judaïsme libéral et le judaïsme et libres de tout préjugé. Toutefois ses
orthodoxe, entre le patriotisme allemand homélies n’aboutissaient pas à une
et les idées sionistes. De 1926 à 1938, il fut conclusion définitive, car elles étaient
membre du Conseil berlinois de la «World le reflet de la pensée d’un homme qui
Union for Progressive Judaism», et de 1939 recherche la vérité.

6 Discours prononcé en 1919 à la mémoire des membres du Conseil d’administration et des auditeurs tombés pendant
la guerre.
le shofar

En tant qu’enseignant, son but fut créer un organisme central pour protéger
toujours d’arriver à ce que ses étudiants les droits fondamentaux des citoyens juifs.
« développent la conscience de ce qui est Ce fut en 1933 que, sous la direction de Leo
immuable dans le noyau du judaïsme Baeck, la «Reichsvertretung der deutschen
(…) afin d’être prêts à dialoguer de façon Juden» (Représentation dans le Reich des
féconde avec les différents courants du Juifs allemands) fut finalement créée. Elle
monde contemporain »7 avait comme tâche d’être leur porte-parole
vis-à-vis des autorités allemandes et des
Baeck avait très tôt pris parti en faveur institutions étrangères, et d’être un guide
d’Eretz Israël. En 1897, il avait refusé de spirituel au sein de la communauté juive.
signer une protestation contre le Congrès Après les pogromes de novembre 1938, cet
sioniste de Bâle. Dans le journal publié organisme fut soumis au contrôle de la Ges-
par Martin Buber « Der Jude » (Le Juif), il tapo et surveillé de près par Eichmann et
écrit en 1917, « Nous avons besoin (d’un Heydrich, ce qui réduisit considérablement
lieu) pour notre vie et pour notre survie ». toute possibilité d’initiative. Mais malgré
Baeck n’était pas sioniste du point de vue le danger grandissant, Leo Baeck voulut
politique, mais il pensait que la Palestine continuer à diriger la «Reichsvertretung».
était une chance pour le judaïsme libéral, Il n’attachait pas une grande importance à
et il regrettait que les Juifs orthodoxes y sa propre sécurité. Durant l’été 1939, il se
dominent la vie religieuse. Il écrit: «Voilà rendit à Londres, où vivait sa fille avec sa
la question qui se pose en ce qui concerne famille, - sa femme Nathalie était morte à
la Palestine: que doit y être la vie reli- Berlin en 1937 - pour voir s’il existait des
gieuse ? La Palestine doit-elle être domi- possibilités de faire sortir des Juifs d’Alle-
née par les orthodoxes ? Par le nihilisme magne. L’imminence de la guerre ne l’em- 39
russe ? Des devoirs importants revien- pêcha pas de rentrer car «tant qu’il y aura
nent au mouvement libéral religieux ». un seul Juif en Allemagne, ma place sera
là-bas et je ne quitterai pas le pays».
Au printemps 1935, Leo Baeck prit part
avec sa femme au voyage inaugural du «Tel Les temps les plus difficiles commencèrent
Aviv», et il séjourna une semaine dans le alors. La coopération que les nazis exi-
pays. Voilà ce qu’il écrit: « Si dans l’histoire geaient de la part de la communauté juive
des Juifs, il y a une preuve de la Provi- pour la déportation de ses membres était
dence, si l’ancienne parole du Talmud est comme un couteau qui ferraillait dans une
vraie, selon laquelle Dieu donne le remède plaie. Baeck ne pouvait y échapper et il dut
et la guérison avant la souffrance, c’est assumer ses responsabilités. En tant que
bien parce qu’aujourd’hui une Palestine Président de la «Reichsvertretung», il était
juive est redevenue une réalité ». obligatoirement en contact avec les auto-
rités nazies. En 1942 il rédigea, sur ordre
Leo Baeck était partiellement préparé aux de la Gestapo, une étude sur la situation
évènements de 1933. Cependant, jamais juridique des Juifs, ou plus exactement
il n’aurait pu prévoir l’horreur des années sur la question de savoir comment les Juifs
suivantes. Lorsqu’il fut clair que le but avaient acquis une position juridique dans
poursuivi par les nazis était l’extermi- les pays européens. Lorsqu’il fut arrêté
nation totale des Juifs, il essaya tout au et déporté à Theresienstadt, le 27 janvier
moins de sauver autant de victimes que 1943, il en emporta le manuscrit ainsi que
possible. On avait beaucoup trop tardé à celui de l’introduction au livre qui devait

7 Hans Liebschütz: «Judaism and History of Religion in Leo Baeck’s Work», in Leo Baeck Institute Yearbook II, London 1957
C O MMU N AU T É

devenir «Ce peuple». Jusqu’à la dernière de possibilités de rester en bonne santé


minute, il oeuvra en vue de faire émigrer entraîna un maximum d’occasions de
des Juifs, organisant entre autre des trans- tomber malade. Le local de séjour devint
ports d’enfants vers l’Angleterre. un mouroir. Ensuite dans un lieu de plus
en plus étroit, l’on entassa de plus en plus
Leo Baeck avait presque 70 ans lorsqu’il de monde, de sorte que chacun était obligé
fut déporté. Dans le camp, il fut bientôt de se frotter à son voisin et de le pous-
nommé président du Conseil des anciens, ser. Il y avait une volonté que l’égoïsme et
et il se préoccupa activement, dans la la convoitise fassent des ravages, et que
mesure de ses possibilités, de venir en toute bienséance disparaisse.8
aide à tous ses codétenus. Si la compo-
sition de la population du camp ne per- Après que Theresienstadt eut été libéré par
mettait pas d’organiser un mouvement l’Armée rouge, au début du mois de mai
de résistance politique, Leo Baeck voulut 1945, Leo Baeck resta encore pendant deux
instaurer une résistance morale. Il la pra- longs mois dans le camp où sévissait une
tiqua, l’enseigna et en donna l’exemple: se épidémie de typhus, afin d’accompagner les
comporter comme un homme doit se com- malades et les mourants. Il avait fait sienne
porter, toujours et partout, même dans les la maxime d’un de ses amis: «Nous sommes
circonstances les plus difficiles, avec des locataires en ce monde. Il y a des cho-
bonté, sincérité et bienveillance. ses que nous pouvons faire avancer, nous
pouvons apaiser des souffrances, aider,
A Theresienstadt les prisonniers allaient mais nous ne pouvons pas dominer. Notre
vers Leo Baeck, et il allait à eux. Dans une mission est de servir avec modestie et res-
40 petite salle de caserne, 700 à 800 personnes pect. Nous sommes des serviteurs».9
se serraient pour entendre ses exposés sur
les sujets les plus divers qui pouvaient être Lorsque Leo Baeck quitta Theresienstadt
Maïmonide mais aussi Platon ou Kant. Au le 1er juillet 1945, il avait 72 ans. Après
cours de nombreux entretiens privés, il se une brève escale à Paris, il gagna Londres
consacrait à ses compagnons de captivité où vivaient sa fille Ruth, son gendre et leur
et agissait envers eux en tant que rabbin petite fille Marianne. Il ne les avait pas
et consolateur. Il prêta autant qu’il le put vus depuis six ans. Il était bien conscient
son assistance spirituelle et son enseigne- que le rapport entre les Juifs et l’Allema-
ment à tous les prisonniers, leur permet- gne ne devait être défini ni par un atta-
tant ainsi de garder leur dignité humaine chement sentimental, ni par un rejet. Il
dans un environnement qui se prêtait à écrivit dans un journal allemand: «Le Juif
l’avilissement de l’être humain. Plus tard, qui accepte de voir et d’entendre, voit les
Leo Baeck écrira dans ses souvenirs de ombres qui sont descendues sur son exis-
captivité: «La description de beaucoup de tence, il entend la voix de ces ombres; on
choses qui se sont passées pendant cette dirait que ces ombres projettent encore
période de ténèbres pourrait être intitu- leur ombre et qu’elles parlent. Elles font
lée: «Le Mal comme objet d’expérimen- à présent partie de sa vie. Il y a dans
tation». Une telle expérimentation de la la Bible une parole que Dieu a adres-
volonté de faire le mal se pratiqua dans sée à Israël – Lui seul, le Dieu Un pou-
le camp de concentration de Theresiens- vait la prononcer: «Tu es un peuple à la
tadt. (…)En premier lieu, un minimum nuque raide». Ces ombres ont également

8 Préface de Leo Baeck in Hans G. Adler «Theresienstadt 1941-1945. Der Antlitz einer Zwangsgemeinschaft», Tübingen 1955
9C
 itation d’un discours de Richard von Weizsäcker, en 1998
le shofar

la nuque raide. Elles ne s’inclinent pas, plénière du Parlement de Düsseldorf, en


impossible de les chasser, elles accom- présence de Theodor Heuss, Président
pagnent chaque Juif, elles restent avec de la République Fédérale, un discours
lui lorsqu’il met le pied sur un sol nou- solennel pour rendre hommage au grand
veau… »10 Parlant des ruines de l’his- érudit du Moyen Age.
toire, Baeck dénonce la responsabilité de
l’homme qui fait descendre les ténèbres Il décrivit un Juif qui même après son
sur le monde, et non la responsabilité de exil sut «rester lui-même». Ses auditeurs
Dieu. purent comprendre que Baeck faisait
allusion aux Juifs du temps présent que
A Londres, Baeck adopta la nationalité l’on avait «dépouillés d’eux-mêmes»,
britannique et concentra toutes ses peu d’années auparavant. Mais il avait
forces en vue de la conservation et la aussi écrit: «Lorsque nous pensons
diffusion de la pensée et du savoir juifs. aux années d’infamie, - et nous devons
Il assuma également de nombreuses y penser, - nous n’avons pas le droit
fonctions: Président du Conseil des Juifs d’oublier ces personnes qui marchèrent
d’Allemagne, et Président du «World en toute simplicité et droiture avec
Union for Progressive Judaism». Il créa Dieu. Elles peuvent à présent intercéder
la «Londoner Society for Jewish Studies», pour leur peuple auprès de Lui. Durant
et enseigna de 1948 à 1953 l’Histoire du les périodes où nous étions au fond du
judaïsme au «Hebrew Union College» à gouffre, il m’a été donné de rencontrer
Cincinnati. Son attachement pour la terre de telles personnes, et c’est pour moi un
d’Israël était resté le même. devoir absolu de témoigner que je leur
suis reconnaissant du plus profond de 41
En 1947, il s’y rendit pour un séjour de mon coeur»12 .
sept semaines, puis en 1948, il publia
dans le New York Times, avec Albert Leo Baeck mourut le 2 novembre 1956, à
Einstein, un appel aux Juifs et aux Londres, après une longue maladie. Dans
Arabes de Palestine leur demandant de une oraison funèbre très émouvante,
ne pas employer l’arme de la terreur. Theodor Heuss rappela leur première
Lors d’un nouveau voyage qu’il y fit en rencontre à Düsseldorf, lorsqu’il l’avait
1951, il s’exprima ainsi: «Où qu’il (le Juif) entendu prononcer son brillant discours
vive, l’Etat d’Israël le concerne, qu’il sur Maïmonide. Maintenant l’on pouvait
le veuille ou non, cet Etat exerce une constater que la caractéristique qu’il avait
influence sur lui et il est l’expression de attribuée au grand philosophe médiéval
son destin historique»11. était aussi la sienne: «Vivre pour les
autres, et pourtant rester soi-même».
Le 7 juillet 1954, à l’occasion du 750ème Il fut enterré au cimetière de la West
anniversaire de la mort de Maïmonide, London Synagogue, Hoop Lane. Sur sa
invité par le Conseil central des pierre tombale on peut lire l’inscription
communautés juives de Düsseldorf, il hébraïque: «Migesa rabbanim» (d’une
prononça dans la salle de l’Assemblée lignée de Rabbins) ■

10 C
 ité d’après Ernst Ludwig Ehrlich in «Leo Baeck – der Mensch und sein Werk» (2001)
11 L
 eo Baeck: Oeuvres complètes, vol 6
12 Leo Baeck: Oeuvres complètes, vol 6
C O MMU N AU T É

A la mémoire de
Varian Fry (1907-1967)
Par Monique Ebstein

A ma grande honte, il y a quelques jours cialisé dans les Affaires internationales, il


encore, je n’avais jamais entendu parler de est aussi photographe et rédacteur dans plu-
Varian Fry. Une visite à la petite exposition1 sieurs quotidiens et magasines.
qui se tient actuellement à Paris jusqu’au 9
mars 2008, à la Halle Saint-Pierre, au pied de En 1935, il effectue un reportage à Berlin. Il
la butte Montmartre, m’a permis de découvrir y est témoin de la barbarie des nazis, et il en
le parcours d’un homme, un journaliste rendra compte dès son retour. Il écrira plus
américain, à qui plus de 2000 Juifs et militants tard: «Je n’étais pas tout à fait un inconnu
anti-nazis, parmi lesquels des intellectuels pour la Gestapo. J’avais écrit un article
et des artistes, doivent d’avoir survécu aux sur la manière dont les nazis traitaient
déportations et à la guerre. les Juifs.» Or l’ascension de Hitler avait
profondément bouleversé l’intelligentsia
42 L’originalité de l’exposition est d’être allemande, et Fry avait d’ores et déjà
présentée en deux parties: un volet historique pris conscience du climat de haine et des
révèle des documents et des photographies persécutions qui allaient contraindre à l’exil
qui rendent compte de l’action de Varian Fry, un grand nombre d’intellectuels et d’artistes.
et un volet artistique expose un ensemble de Certains n’hésitèrent pas dès cette époque
très belles oeuvres individuelles mais aussi à quitter l’Europe pour choisir la Palestine,
collectives. La plupart d’entre elles ont été la Chine, l’Amérique du Sud ou le Canada,
réalisées par ces candidats réfugiés, alors d’autres optèrent pour Paris ou l’Angleterre.
qu’ils attendaient le visa qui leur permettrait
de s’engager sur la route de l’exil. Il s’agit, Fry adhérait à l’association «American
pour la plupart, d’artistes de très grande Friends of German Freedom» qui soutenait
renommée. Parmi eux, Marc Chagall, Max les activités de résistance du groupe socialiste
Ernst, Marcel Duchamp, Roberto Matta. allemand «Neu beginnen» (Recommencer à
zéro). Le 25 juin 1940, il participe à New York
Qui fut Varian Fry ? Il vient au monde à New à une manifestation qui dénonce l’article 19
York en 1907, dans un milieu aisé. A 20 ans, il de l’armistice stipulant que la France devra
entre à Harvard où il obtient son BA. Huma- «remettre, à la demande de l’Allemagne, tous
niste fin et cultivé, il connaît bien le latin et les ressortissants allemands désignés par le
parle plusieurs langues. Il se marie, voyage gouvernement du Reich.» Cela signifiait trahir
en Europe, puis de retour à New York, il étu- la parole donnée aux réfugiés politiques
die l’histoire et les relations internationales et aux Juifs allemands. Ce même jour fut
à l’université de Columbia. Journaliste spé- créé l’ «Emergency Rescue Committee»

1 Exposition: Halle Saint-Pierre, 2 rue Ronsard – 75018 Paris Tél: OO/33/1 42 56 72 89 - Métro : Anvers/Abesses - Ouvert tous
les jours de 10h00 à 18h00 jusqu’au 9 mars - Catalogue - www.hallesaintpierre.org
le shofar

(Comité de sauvetage d’urgence) qui sera Ernst; des sculpteurs comme Jacques
opérationnel en peu de jours. Il bénéficie du Lipchitz....Maintenant qu’ils étaient en
soutien d’universitaires influents, de l’aide du danger, je devais les aider». Certains d’entre
Museum of Modern Art de New York, de la ceux qui furent contactés, tels Picasso,
Fondation Rockfeller, de la New School for Kandinsky, Matisse, Pablo Casals, André
Social Research et du New World Found. Il Gide et André Malraux, refusèrent de partir.
reçoit également l’appui d’Eleanor Roosevelt, Mais beaucoup d’autres saisirent l’espoir,
l’épouse du Président des Etats Unis. Celle-ci fut-ce au prix d’une attente incertaine, de
parvient à convaincre le département bénéficier d’un visa qui leur permettrait de
d’Etat d’accorder des «visas de sauvetage» se réfugier aux Etats-Unis. Pour ne citer
hors quota d’immigration. L’ERC décide arbitrairement que quelques noms parmi
aussitôt d’envoyer un de ses représentants, les plus célèbres: Hannah Arendt, André
afin d’organiser l’aide aux réfugiés les plus Breton et sa femme, le peintre Jacqueline
exposés dans la zone sud de la France, et Fry Lamba ainsi que leur fille, la petite Aube,
se porte candidat. René Char, Marc Chagall, Max Ernst, Wanda
Landowska, Franz Werfel et Alma Mahler,
Varian Fry arrive à Marseille via Lisbonne. Max Ophüls, Heinrich et Golo Mann, Jacques
Il a en poche une lettre d’Eleanor Roosevelt, Schiffrin, (l’éditeur qui lança les éditions de
une autre du sous-secrétaire d’Etat, Summer la Pléïade)..... Aujourd’hui nous ne pouvons
Welles, 300 dollars ainsi qu’une liste de deux oublier un motif très important de notre
cents noms établie par les groupes d’émigrés reconnaissance envers Varian Fry: nous
allemands, autrichiens, tchèques, italiens, lui devons l’énorme patrimoine culturel
français, et complétée par le Museum of Modern que représente l’ensemble de la production
Art et la New School for Social Research. La d’après-guerre de ces intellectuels et de ces 43
durée prévue pour son voyage est de 15 jours, il artistes !
restera en France plus d’un an.
Pendant les 13 mois où il reste en France,
Le CAS (Centre Américain de Secours), Varian Fry déploie une activité débordante
filiale du ERC, est aménagé de façon très et souvent clandestine que désapprouve le
rudimentaire dans les locaux de l’hôtel département d’Etat à l’heure où Washington
Splendide à Marseille. A partir de là, Varian entend conserver une ambassade à Vichy.
Fry entre en contact avec les réfugiés: A partir de ce moment, le jeune Américain
«Mes listes de réfugiés étaient de toute de la bonne société new-yorkaise qui avait
évidence arbitraires. Elles avaient été toujours eu une vie agréable, connaît des
dressées rapidement et de mémoire par difficultés innombrables, et il les surmonte
des personnes qui vivaient à plusieurs avec un admirable esprit d’indépendance.
milliers de kilomètres de là, et n’avaient Il accompagne Heinrich Mann, Franz
qu’une idée très vague de ce qui se passait Werfel et Alma Mahler lorsqu’ils passent
en France....Ces listes hétérogènes sont la frontière espagnole, il visite les camps
incomplètes; or un nom absent, un nom d’internement de la zone sud (Saint-
rayé, c’est un espoir qui se brise. La liste Cyprien, Gurs, Argelès, le Vernet, Rieucros,
idéale serait celle des persécutions, celle les Milles). Il est même détenu du 2 au 5
qui se calquerait sur la liste même des décembre 1940, «à titre préventif», lors de
nazis....Parmi les réfugiés surpris en la visite du maréchal Pétain à Marseille. Et
France, il y avait beaucoup d’écrivains lorsqu’il sera convaincu de l’imminence de
et d’artistes que j’admirais: des écrivains son expulsion, Varian Fry poursuivra ses
comme Franz Werfel et Lion Feuchtwanger; efforts: «Ce travail est comme la mort,
des peintres comme Marc Chagall et Max irréversible. Nous avons commencé ici
C O MMU N AU T É

quelque chose que nous ne pouvons pas politique américaine à la fois généreuse,
arrêter. Nous avons permis à des centaines pragmatique et cynique, l’action de Varian
de personnes de se raccrocher à nous. Fry est celle d’un héros ayant su braver les
Nous ne pouvons pas subitement déclarer choix de son gouvernement, car il jugeait
qu’en définitive la tâche nous ennuie et que l’Amérique ne devait pas secourir
que nous rentrons». Puis, au cours de la uniquement les grands noms de la culture
première quinzaine du mois de septembre européenne, mais toutes les victimes
1941, il sera arrêté et reconduit jusqu’à la potentielles de la barbarie nazie.
frontière espagnole sous l’escorte de deux
inspecteurs de police. Varian Fry revint à deux reprises en
Europe, et prit contact avec certains des
Dès son arrivée à New York, fin octobre, artistes qu’il connaissait. Son but était de
il donne une conférence sur la situation collecter des oeuvres qui seraient destinées
des réfugiés en France, et sur la «stupide à des ventes publiques. Avec les fonds ainsi
politique» du département d’Etat. Il réunis, l’ «International Rescue Committee»
est considéré avec suspicion par ses issu de l’ERC, voulait publier un volume de
compatriotes, parce qu’il dénonce la lithographies en vue de commémorer le
politique américaine d’immigration sauvetage des intellectuels et des artistes
sélective et restrictive à l’égard des européens. Seuls certains d’entre eux firent
présumés communistes, et des Juifs: preuve de générosité.
«Maintenant je sais, et je veux que
les autres sachent avant qu’il ne soit Le 12 avril 1967, peu avant sa mort, Varian Fry,
trop tard......Les gens ne comprennent très ému, fut décoré de la Croix de Chevalier
44 pas, cela ne les touche pas plus qu’un de la Légion d’Honneur. Elle lui fut remise au
tableau de statistiques. Ils n’ont pas vu, Consulat Général de France à New York. Ce
pas entendu, pas senti, alors ça ne les fut la seule reconnaissance officielle de son
émeut pas». En décembre 1942, il écrit vivant. Le 13 septembre de la même année, il
dans «The New Republic» un article au mourut d’une crise cardiaque.
titre éloquent «Le massacre des Juifs en
Europe». En 1945, il publie le récit de sa Le 5 février 1996, Varian Fry fut le premier -
mission en Europe, mais l’éditeur censure et jusqu’à présent le seul - citoyen américain
toute critique à l’égard de la politique à être honoré comme «Juste parmi les
américaine concernant les réfugiés, et ne Nations». La cérémonie eut lieu à Yad
rend pas compte de ce que fut réellement Vashem en présence du secrétaire d’Etat
l’action de Fry sur place. Ce ne fut qu’en américain, Warren Christopher, qui planta
1999 que l’ouvrage sortit en France sous le un arbre dans l’allée des Justes. Dans son
titre «La Liste noire». discours, il reconnut que l’action héroïque
de Fry n’avait jamais reçu le soutien qu’elle
On comprend le désenchantement de méritait de la part du département d’Etat, ni
Varian Fry. Il vécut après la guerre du gouvernement des Etats-Unis.
«dans une sorte d’exil intérieur qui ne
fut jamais complètement brisé jusqu’à Le 1er janvier 1998, il reçut à titre posthume,
sa mort en 1967»2 . Il avait eu une foi la citoyenneté d’honneur de l’Etat d’Israël,
opiniâtre en sa mission, humanitaire accordée à un certain nombre de Justes qui
certes, mais contenue dans des limites surent rallumer la lumière de l’humanité
à ne pas dépasser. Au regard d’une pendant l’époque nazie. ■

2 Emmanuelle Loyer dans «De Paris à New York. Intellectuels et artistes français en exil».
le shofar

La passion d’Oberammergau
Par Patrick Muntz

Le village de la Passion mergau m’a dit qu’il y a encore


Durant mon congé de l’été 2007, 17 villes dans ce cas aux Etats-
j’ai visité le village bavarois PHOTO Unis. Depuis le 16ème siècle,
d’Oberammergau dans les pré PATRICK peu de ces villages développè-
Alpes (à 25 Km de Garmich Par- MUNTZ ? rent des spectacles aussi longs
ten Kirchen), pour mieux com- et grandioses qu’Oberammergau
prendre certaines complexités et il se fait que cette passion-là
des relations judéo catholiques. se fera connaître, puis deviendra
J’avais lu « Le christianisme et fort courue dans les mondes ger-
ses Juifs » (Ed. du Seuil 2004), où l’ethno- manique et anglo-saxon, après avoir été un
logue Jeanne Favret-Saada aidée de la must du gotha nord européen, et ce, malgré
psychanalyste Josée Contreras retrace de sérieux relents d’antisémitisme.
l’histoire de cette passion collective pour
la mort de leur Christ et ses liens avec Depuis 1950, chaque saison voit ce specta-
l’histoire de la Bavière et du romantisme cle de plus de huit heures joué une centaine
allemand. En contrepoint, elles montrent de fois (durant 4 ½ mois) devant plus d’un
la place qu’occupe l’antijudaïsme dans le demi million de spectateurs, dans cet audi- 45
message de l’Eglise tandis que l’autre moi- toire en forme de hall de gare 1900 (comme
tié de l’ouvrage traite de l’antisémitisme la gare d’Anvers ou celle d’Orsay convertie
allemand et un peu anglais des 19 et 20ème en musée à Paris). Le spectacle présentera
siècles. de la mi-mai à la fin septembre 2010, la vie
de ce Juif, depuis son entrée à Jérusalem
Je passai deux jours dans ce village où jusqu’à sa « résurrection » (pentecôte). Les
« Passionsspiele » est un spectacle de la principaux personnages du procès et de la
passion de Jésus présenté chaque décennie mise à mort de Yeshua Ben Yossef (Yesus
depuis 1633, suite à un voeu collectif fait Christos) y sont incarnés par des acteurs,
pour éloigner une épidémie de peste bubo- des choristes, des musiciens et plus de 450
nique qui décimait la région. Après la 1ère figurants, (sans compter les responsables
représentation de 1634, il fut décidé par des décors, couturières, décorateurs,…),
un engagement solennel, que les suivan- tous habitants d’Oberammergau.
tes auraient lieu à la fin de chaque décen-
nie. Plus tard s’ajouteront les jubilées et le Un peu d’histoire
350ème anniversaire fut le dernier en 1984. Le spectacle profondément refondu en 1806
De fait, la passion de Jésus jouée sur scène par un prêtre, Joseph Daisenberger, res-
devint un phénomène européen à partir tera le modèle jusqu’en 1980. La libération
du bas Moyen Age. Les centaines de vil- de la Bavière de l’occupation napoléonienne
lages qui la jouaient, chacun à leur façon, devint l’occasion pour les romantiques de
se réduisirent progressivement. On peut recréer l’union du peuple germanique. Des
encore y assister aujourd’hui en Italie, en territoires protestants avaient été annexés
Espagne et même en Belgique. Le directeur et le comte de Montgelas, 1er ministre de
artistique du nouveau spectacle d’Oberam- Bavière, décida d’utiliser le spectacle à des
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fins politiques. Dès 1816, les appels du pied Une Passion peut en cacher une autre
aux Protestants s’accompagnèrent de sub- L’amour pour son propre Seigneur peut
tiles nouveautés de l’abbé Othmar Weis déraper en haine pour des étrangers dont
et la passion fut rebaptisée « le Grand on fait des boucs émissaires utiles à l’affer-
Sacrifice du Golgotha ». On ne se privait missement de la foi des fidèles. Personne,
pas de rappeler que Luther, en son temps, au XIXe siècle, n’y avait vu autre chose que
avait assisté à des spectacles de la passion de la religion mais en 1900, le rabbin amé-
et qu’une série de détails avaient été rendu ricain Krauskopf accusa la pièce d’antisé-
plus digestes, comme lors de la « dernière mitisme comme il le faisait pour les Evan-
cène », le maître distribuant le pain suivant giles. Il écrivit en avoir été horrifié et avoir
la forme rituelle des presbytériens. dû se retenir de crier, à trois titres : le men-
songe sur les lois juives et autres faits histo-
Last but not least, la représentation rassem- riques, la fausseté de leurs interprétations
blait des milliers d’anonymes, créant chez et la cruauté injustifiée des conclusions. Le
eux un vécu de communion et jouait simul- rabbin rencontra Gregor Lechner, le Judas
tanément sur plusieurs stimuli perceptifs. de 1850 à 1880 car les spectateurs l’avaient
Elle débordait les défenses rationnelles et insulté, menacé et battu, ses voisins du vil-
soudait public et acteurs dans une même lage l’avaient souvent accusé d’être un traî-
émotion. Le spectacle devint aussi, en 3 tre malgré la dévotion catholique familiale
décennies, le rendez-vous de la gentry et de connue de tous. Cet homme avait empêché
l’aristocratie anglaises. Le village multiplia son fils de perpétuer ce jeu de rôle pour ne
les représentations dans une même saison pas lui imposer les souffrances que son
décennale, attirant des Chrétiens de toute père et lui-même avaient dû endurer.
46 l’Europe du nord et des Etats-Unis… et en
1900, on vit affluer plus de 200.000 specta- Ce rabbin américain expliquait que les
teurs tandis que se publiaient des centai- Juifs étaient montrés sous une lumière
nes de livres, de brochures, d’articles de abominable et mensongère. Il prenait
presse… particulièrement dans les milieux conscience de ce que les Chrétiens ne
conservateurs, nationalistes, chrétiens ou savaient des Juifs que ce qu’on leur avait
antisémites. fait croire par les écritures sélectionnées
parmi les plus anti-juives, l’enseignement
Le succès hors de Germanie s’était mis en des catéchismes, les discours prêchés du
place par deux anglicans éblouis par le haut des chaires de vérité, les publications
spectacle de 1850 au point de lui pardon- antijuives de toutes sortes qui pullulaient à
ner d’être catholique. Le bruit de leur émer- l’époque. Le rabbin Krauskopf ajouta que
veillement toucha la Cour et le haut clergé des échos de la critique biblique n’avaient
anglais. La notoriété du spectacle franchit jamais retenti dans ces montagnes et que
les frontières quand l’Eglise anglicane vit les villageois n’étaient hantés par aucun
cette Passion bavaroise comme le modèle doute. Ils faisaient envie par la chaleur
qu’elle cherchait pour sa prédication. de leur foi et pitié vu leur raison enchaî-
Des Protestants allemands, puis anglais, née par la crédulité. L’ethnologue Favret-
présentèrent à leurs coreligionnaires ce Saada explique (p. 226 -228) que le rabbin
spectacle rebaptisé « mystère » ou « drame était émerveillé de la variété des langues
sacré ». Des Réformés de haute naissance entendues, la diversité des physionomies,
allaient le promouvoir en esquivant les la bigarrure des vêtements, le mélange des
objections réformées et en employant des classes sociales… puis qu’il reçut sa dou-
arguments adaptés à la sensibilité de cha- che froide à l’entrée : le coryphée enjoignait
que public. à « ceux qui refusent la rédemption par le
le shofar

Christ de se courber bien bas pour subir La polémique actuelle


la malédiction et la juste colère de D-ieu, Après l’accession de Hitler au pouvoir poli-
tonnerre et glaive de feu ». Ces péripéties tique, le spectacle fut accusé par la presse
qui indignent Krauskopf faisaient la joie anglo-américaine de pousser au pire fana-
des autres spectateurs. Pour lui, c’était un tisme. Pour 1930 et le 6ème jubilée de 1934,
traité anti-juif théâtralisé. Il écrit en les nazis accentuèrent le côté méprisable
1901 dans « A Rabbi’s Impressions of the et dégoûtant des personnages juifs. La
Oberammergau Passion play » (Ed. Rayner controverse et le scandale reprirent après
à Philadelphie) que : 1945 parce que le passionsspiele perpé-
« Le vêtement de Judas, son allure et sa tuait l’enseignement traditionnel chrétien,
démarche sont calculés pour éveiller la minimisant le rôle des Romains dans la
haine la plus violente. Une robe jaune, crucifixion et chargeant collectivement
emblème de l’envie et de la trahison ; une les Juifs du « déicide » comme si la Shoa
bourse à la ceinture, symbole de l’avidité n’avait été qu’un intermède à la marche
juive pour l’or ; des yeux perçants sans triomphale du « heren volk ». Des relents
repos ; les cheveux en broussaille ; la face d’antijudaïsme prenant des formes antisé-
hagarde ; le glissement du pas comme un mites furent constatés en 1950 et il fallut
serpent…. Comment Jésus a-t-il pu choi- 35 ans de bataille et d’incompréhensions
sir pour figurer parmi ses proches cet être mutuelles de l’Anti Diffamation League
dont la présence distille le poison, dont soutenu par le Bnei Brith contre la ville,
la voix sonne faux, dont le regard frappe son mayeur, son conseil communal (qui
des coups de dague ? … Johann Zwinck décide des changements acceptables de
(l’acteur) aura composé son personnage cette passion) ainsi que des théologiens
en combinant les représentations du juif qui marchandaient tout changement que 47
successivement imaginé par les pères de demandaient les Juifs, avant qu’une nou-
l’église, les fanatiques aux âges obscurs, velle mouture, allégée de ses pires outran-
par les railleurs et les persécuteurs du ces, voit le jour en 1990 puis en 2000. Celle-
Moyen Age et par les modernes antisémi- ci fut bâtie par des artistes professionnels
tes. L’auteur a eu sous la main tous ces avec d’autres musiques, de nouveaux costu-
modèles sordides… mes et tableaux de l’ « Ancien Testament »
pour que les personnages collent avec le
Le rabbin apprit aussi que, devant les vrai Israël sous occupation romaine, en se
outrages perpétrés contre ce Christ, cer- centrant sur l’Evangile de Mathieu plutôt
tains spectateurs vivaient des crises hys- que celui de Jean qui avait servi jusqu’en
tériques, devenaient momentanément fous, 1984. Qu’il ait fallu 35 ans pour modifier le
courraient à travers le village, en proie à spectacle est un indice que les habitants
de violentes hallucinations. Du coup, la n’avaient pas compris et que seuls une nou-
diversité qui l’avait tant séduit avant le velle génération et le travail de mémoire de
spectacle, lui apparut comme une gigan- la RFA dans ses écoles et ses médias per-
tesque menace car les spectateurs allaient mettront de mûrir les mentalités.
prêcher, donner des conférences chez eux
sur la cruauté juive envers le « doux sei- L’arrivée des rabbins américains avait pro-
gneur » dont, en plus, la judéité était pure- voqué une crainte permanente dans la ville.
ment ignorée… en ce début du 20ème siècle Le directeur du spectacle m’expliqua qu’on
où se multipliaient en Europe de l’Est les n’avait pas trouvé ce que des intellectuels
pogroms, les procès pour crimes rituels citadins juifs américains avaient de com-
et même des accusations de saignement mun avec des conservateurs catholiques
d’hostie. bavarois de la campagne.
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Rien que la judéité de Yeshua Ben Yossef Une Passion collective dévorante
(Jésus) fut un scandale qui ne fut digéré Outre le texte en vente de l’édition 2000,
par la Bavière qu’après des années de débat j’ai pu me procurer les versions de cette
pour qu’ils admettent qu’il fallait habiller le passion de 1990, 1984 (le 7ème jubilée) et
« Sauveur » comme les autres Juifs et non 1960. On trouve de la documentation du
comme un sénateur grec sur un nuage nouveau spectacle (les habitants semblent
ou un personnage du Walhalla (mytholo- embarrassés et cacher l’ancien), des photo-
gie nordique) au milieu de la fange d’une graphies de certaines scènes en cartes pos-
« cour des miracles » juive. Des « tableaux tales, un reportage des répétitions durant
vivants » immobiles de scènes de l’ « Ancien les années intermédiaires. L’identité des
Testament » pour illustrer la permanence Oberammergauer inclut cette passion et les
de certains défauts (défauts humains ou habitants, seuls habilités à la jouer, doivent
défauts juifs ?) font peut-être problème car avoir la tête de leur rôle au moins 12 mois
tout change avec la façon de les présen- avant la saison du spectacle; ce sera donc
ter, les mots employés en « voix Off » qui le cas à partir d’ avril 2009. Le prix des
les accompagnent, etc. La relecture des entrées et un fond spécial servant d’assu-
Evangiles par les spécialistes chrétiens rance professionnelle permettent de payer
actuels n’est connue que de quelques uns… les figurants, les aides, les techniciens, les
Une structure antijuive en pointillés pour- acteurs pour leur chômage obligé. Les rôles
rait donc être encore perceptible mais les les plus importants sont tenus par deux
organisateurs actuels pointent la bouteille acteurs (deux Jésus, deux Judas, deux
à moitié pleine (tout ce qui fut transformé grands prêtres…) qui doivent avoir une
entre 1984 et 1990) plutôt qu’à moitié vide, santé de fer pour tenir 8 heures, certains
48 comme s’en plaignent des intellectuels juifs jours sous la pluie. Des habitants âgés por-
pour son potentiel explosif. Comme on le tent la barbe en permanence pour garder la
constate partout, l’apprentissage d’une lec- tête de leur rôle de prêtre ou de Juifs prati-
ture plus adulte, critique et plus historique quants du temps de Jésus. Je trouve saisis-
des Evangiles se transmet mal des artistes sant pour des Catholiques bavarois (région
et des spécialistes au public chrétien. qui fut un des berceaux du nazisme et reste
un bastion des conservateurs) de garder
Dans la 1ère saison d’après guerre, en 1950, avec fierté la « barbe juive », et comment
l’ancien chef de la Hitlerjugend jouait le rôle comprendre le sens de ces comportements,
du Christ ; le metteur en scène avait été le vécu des acteurs et leurs effets sur les
volontaire dans le service de Goebbels... et tiers ? Aucun maquillage, aucune perruque
le reste était à l’avenant. Ce spectacle était ou fausse barbe, aucune protection contre
financé par l’armée US d’occupation car le mauvais temps, aucun procédé électri-
c’était déjà la guerre froide et les Allemands que pour mouvoir les décors, aucun allège-
étaient traités en alliés. Quand la polémique ment des armures, des armes et des croix
se déclencha, les villageois défendirent leur de crucifixion (celle de Jésus pèse 80 kilos)
pièce, becs et ongles, à partir du principe : ; tout est fait pour rester dans les condi-
« Pas question de toucher à notre tradi- tions de la représentation de 1634. C’est
tion ! ». Des décennies durant, ils résistèrent admirable et inquiétant qu’ils vivent cela
de toutes leurs forces aux modifications pro- comme leur passion par transposition de
posées par les Juifs et quelques théologiens celle des Evangiles.
(appelés traîtres). Pour finir, la Passion 1990
et 2000 est moins antisémite que le film de La piété des Oberammergauer, leurs saints
Mel Gibson, grâce à l’arrondi imposé aux curés, leur « ferveur médiévale » ont nourri
coins les plus saillants du texte ! au 19ème siècle une nostalgie du vrai
le shofar

christianisme patristique de cette époque de Chrétiens sont tentés par le confort


supposée bénie qui avait précédé la déchi- d’une Eglise frileuse, certaine de son bon
rure de la Réforme. La littérature exaltait droit et habituée à ronronner sa vérité. En
ce dernier vestige d’ « une paysannerie déli- page 6, le quotidien « Le Soir » du 14-09-2007
cieusement fidèle à son folklore » comme nous expliquait que le retour de prêtres
disait une agence de voyage anglaise pour aux formes anciennes de messes en latin,
le spectacle de 1880. Il faut réserver très le dos tourné au public, est favorisé par
longtemps à l‘avance (dès janvier 2008 pour Benoît XVI, ami de « la fraternité Saint
ce coup-ci) pour avoir une chance… Pour Pie X » et des « lefévristes » qu’il vient de
les Juifs qui ont vu ce spectacle, outre cette réintégrer sans restriction dans le giron
glorification sans nuances du « Christ-roi » de l’Eglise. Ce « retour à l’église de tou-
et certaines outrances qui résultent du jours » comme dit un prêtre interviewé,
romantisme allemand, il reste des épura- s’accompagne cependant de la réédition de
tions à réaliser, même si le public n’est plus missels qui usent du même anti-judaïsme …
violent et ne confond plus rôles et acteurs. de toujours, lui aussi.
Cela exigera cependant une connaissance
du catéchisme et du doigté, un vocabu- Le missel de ces prêtres n’invoque plus « les
laire chrétien pour que l’histoire réelle Juifs perfides » que Jean XXIII avait enlevé
soit comprise des habitants qui décident en 1959 mais « Prions aussi pour les Juifs,
en dernier ressort. Cependant, comment afin que D-ieu notre Seigneur enlève le
réagir en face d’ajouts bien intentionnés voile qui couvre leur cœur… exaucez la
de philosémites qui utilisent un des vingt prière que nous vous adressons pour ce
Evangiles apocryphes pour montrer des peuple aveugle ; faites qu’ils reconnais-
scènes absentes des Evangiles canoni- sent la lumière de votre vérité… et qu’ils 49
ques, comme on l’avait fait contre les Juifs soient arrachés à leurs ténèbres » (prière
avant la réforme de 1990 ? Dans cette nou- d’intercession du Vendredi Saint). On y lit
velle mouture, une scène montre l’apôtre encore « Vous savez quelles étaient ces
Yehouda (Judas l’Iscariote) accusant les assemblées de méchants : c’était celles
prêtres et exigeant la restitution de son des Juifs, et vous connaissez l’iniquité
maître, quand il comprit que ces Sadu- de cette multitude de pécheurs : elle a
céens n’allaient pas le faire juger à la régu- consisté dans le dessin de tuer notre Sei-
lière. On a même choisi en 2000 un grand gneur JC… Ils ont aiguisé leurs langues
et bel homme blond pour ce rôle. C’est vrai comme une épée. Que les Juifs ne disent
que pour tout homme épris de science et pas : « Nous n’avons pas fait mourir le
d’exactitude, la crédibilité des Evangiles Christ »… Pilate a prononcé le verdict, il
« apocryphes » ne le cède pas à priori à a ordonné de le crucifier, il l’a en quelque
celle des quatre officiels, mais il faudra, sorte tué de sa main ; mais en réalité, ô
à l’avenir, être attentif à tout changement Juifs, c’est vous qui l’avez tué ». (Texte de
des sources qui, en elles-mêmes ou par leur St- Augustin qui évoque dans d’autres pas-
traitement, peuvent apporter le meilleur ou sages « Judas, le détestable marchand » ou
le pire. bien « ce peuple incrédule et ennemi »).
On trouve cette réécriture de l’histoire
Un effort permanent d’éducation pour garder un croquemitaine à détester,
Nous savons aujourd’hui que la démocratie, dans une réédition récente de ce missel de
les conquêtes sociales, le haut niveau d’édu- 1962, préfacée par… le cardinal Ratzinger.
cation sont temporaires car il faut sans Le même risque existe à Oberammergau
arrêt remettre l’ouvrage sur le métier pour où un travail d’éducation doit suivre celui
seulement maintenir ce qui est. Nombre des artistes qui organisent le spectacle
C O MMU N AU T É

(qui, eux, sont plus avancés), pour éviter fours rappelant les ordonnances antijuives
que ne se cabre le conseil communal. Nous des nazis qui restreignaient les Juifs en les
pouvons aller là-bas voir et entendre, faire humiliant, le Musée juif et le Mémorial de
connaissance des acteurs et regarder ces la Shoa, étonnant par sa taille, sa noirceur,
villageois se décarcasser avec courage, son architecture … en plein centre ville.
analyser le texte et le spectacle, puis pro- Il faudrait faire prendre conscience aux
poser des améliorations villageois que les exagérations envers les
• en faveur de la plausibilité historique des Juifs étaient déjà en germes aux temps
scènes, pour polémiques des pères fondateurs, que les
• l’élimination d’éventuels relents d’antisé- Evangiles furent lissés entre eux et adaptés
mitisme qui affleurent ça et là, ainsi que aux critiques païennes pour ne plus heur-
pour ter un public romain à convertir, que des
• u ne présentation plus juste de ce qu’étaient textes (comme ceux de Celse, les originaux
et sont les Juifs aux yeux de ces Chrétiens de Flavius Joseph…) furent détruits pour
sincères mais rarement informés à bon- imposer le dogme… bref, qu’ils minimisè-
nes sources. rent toujours l’inhumanité de l’occupation
de fer de la Rome impériale. Les sources
En particulier, discuter en connaisseurs romaines décrivent Pilatus remplacé en
des écritures chrétiennes et juives, de ce 36 parce que ses provocations menaçaient
que disent les Evangiles et qui n’est pas pour la énième fois de faire exploser ce
enseigné aux fidèles. La plupart des Chré- baril de poudre. Le procurateur détestait
tiens ignorent ce que leurs théologiens, les Juifs et le leur fit comprendre dès son
pasteurs et prêtres écrivent sur ce qui s’est arrivée en 26, en imposant des offrandes
50 probablement passé autour de leur messie offensantes (des truies) dans le « saint des
à Jérusalem entre 29 et 34, et c’est par inha- saints ». Il dut faire marche arrière devant
bitude qu’ils sont choqués de l’apprendre. la colère des Juifs parce que l’empereur le
Otto Hüber, le directeur avec qui je parlai testait. Il en conçut une haine féroce de ce
fin août 2007, imposa en 1989 et 1999 que peuple qui osait braver son autorité et les
les principaux acteurs participent à un us et coutumes de l’empire. Il faut informer
voyage de 10 jours (3 groupes de 50 per- les villageois qu’une sourde lutte de pou-
sonnes), organisé par ses soins en Israël. voir opposait ce Romain et le grand prêtre
Cela permet de s’imprégner du vrai peuple et que les philosophes et écrivains grecs
juif à la place des projections paranoïa- et romains les plus connus étaient presque
ques qui leur avaient tenu lieu de pense tous méprisants envers ce peuple différent,
bête. Evidemment, ce premier voyage accusé d’être paresseux puisqu’il s’arrê-
n’alla pas jusqu’à leur faire découvrir des tait de produire plus d’un jour par décade.
lectures décoiffantes des Evangiles. Deux La circoncision était considérée comme
jours de visite à Berlin leur montreraient ce un crime de lèse majesté à la beauté de
que leurs compatriotes de la capitale font l’homme, au mieux comme une faute de
pour nourrir leur mémoire anti-totalitaire. goût imputable à notre barbarie.
Voyez la revue Regards (n° 646 de sept 2007,
p. 22 à 24), qui nous parle de centaines de A cela s’ajoutait que la Judée était une
pavés dorés intégrés aux trottoirs devant des régions les plus délicates à gouverner,
certaines maisons pour rappeler que des nécessitant l’exemption de certaines offran-
familles juives déportées y avaient vécu, des et prières à l’empereur. Le peuple juif
un grand miroir dans une station de métro était un des seuls à résister si fort à la pax
où sont inscrits 1.700 noms de Berlinois culturelle romana. Quand, en 38, les Juifs
juifs déportés, des panneaux aux carre- ne suivirent qu’imparfaitement le culte ins-
le shofar

tauré à la gloire de Caligula, un véritable les polémiques d’une religion juvénile qui
pogrom (le 1er de l’histoire, 1.600 ans avant veut s’imposer contre sa grande soeur. C’est
que le mot ne soit créé en pays slave) fut montrer notre considération envers eux que
organisé par les hellénisés d’Alexandrie de penser que les Chrétiens pratiquants peu-
contre le tiers juif de la ville (molestations, vent comprendre que l’inspiration divine du
viols, assassinats dans les rues puis dans début dut se transmettre à des copistes et
les maisons…). Les soldats refusèrent d’in- des ecclésia qui avaient des besoins propres,
tervenir et il fallut des mois de tels outrages que les moutures successives des Evan-
et un voyage à Rome de 5 anciens, présidés giles durant 3 siècles en firent des œuvres
par le vieux Philon, pour qu’avec lenteur partiellement humaines, donc sujettes à de
et mauvaise grâce, un semblant d’ordre légitimes interrogations et parfois, à cau-
soit rétabli, sans aucune poursuite ni exi- tion. Durant la polémique entre évêques sur
gence de restitution contre les violeurs, les le film de Mel Gibson, l’épiscopat américain
meurtriers et les voleurs. Il faudra illustrer permit aux théologiens catholiques les plus
pour ces Bavarois, combien les évangélis- connus, de donner leur avis dans la presse
tes et les épiscopos étaient hellénisés et que les Evangiles les plus anti-juifs (Jean et
fiers de l’être, combien ils justifiaient de Mathieu) furent écrits dans un contexte de
violenter les Juifs par leurs dures paroles, rivalité, de polémique et de haine des décen-
un mépris palpable, des écrits polémiques nies après les faits, obligeant tout « honnête
et poussaient leurs ouailles à la mission homme » à regarder une partie de ces textes
(de conversion) mais aussi à refuser de canoniques comme une « interprétation de
fréquenter des médecins, patrons, profes- la réalité ».
seurs juifs (les premiers Conciles furent
on ne peut plus clairs, pour confirmer ces Puisque les auteurs des deux alliances étaient 51
points). Bref, que tout en construisant la tous juifs, il serait porteur que Chrétiens et
foi, les Evangiles -et surtout leur lecture- Juifs craignant Dieu, scrutent en commun
servirent à déformer ou cacher certains leurs divergences et complémentarités, et
faits d’histoire et à fabriquer un Juif détes- admettent, sans attenter au noyau de la foi
table. Des siècles plus tard, on prétendra la de l’autre, un respect minimum de la réalité
nature éternellement mauvaise du Juif, de de l’Histoire. Surtout que les Evangiles « apo-
ses livres, de sa culture et de ses lois, ce qui cryphes » enfin disponibles que l’Eglise n’a
débouchera sur une remise en cause de sa pas pu détruire de Judas, Marie-Madeleine
simple humanité. et Thomas trouvés à Nag Hamadi (Egypte),
nous montrent des personnages intelligents
Or, les Oberammergauer résisteront car ils qui avaient plus la confiance de leur maître
n’ont que ces Evangiles comme point d’ap- dont ils étaient les membres que les autres
pui pour construire une nouvelle identité apôtres d’origine galiléenne et samaritaine,
chrétienne, si nous voulons les alléger de peu instruits, lâches et peu débrouillards.
l’antijudaïsme de Sénèque, de Chrysostome, Les intérêts de ces petits serviteurs jaloux
de Luther, de Voltaire, de Drumont et de tant furent défendus par le courant dominant
d’autres. La plupart n’oseront pas adopter la des pères hellénisants qui diabolisèrent une
façon juive, espiègle et culottée, amoureuse « prostituée » (Myriam-Magdalena) et un
mais humoristique de « coucher » avec le « traître » (Yehouda) qui, eux, nous commen-
texte pour produire des enfants ou interpré- çons à le comprendre, étaient des Judéens
tations nouvelles inconnues des générations instruits qui organisaient la vie du groupe
précédentes. Mais peut-être apprendront-ils itinérant et qui traduisaient, pour les autres,
à lire autrement leurs « écrits inspirés » et en le structurant, l’enseignement du Rav de
ces « paroles d’Evangiles », à y discerner Nazareth. ■
C O MMU N AU T É

Les « Stolpersteine » ou « Ces


pavés qui font trébucher » Par Monique Ebstein

Il se peut que, lorsque vous vous resta passive. A ce coup d’essai


promènerez dans les rues d’une devait succéder une déportation
ville allemande, vous aperce- à bien plus grande échelle.
viez, encastré dans le trottoir,
au milieu des pavés ordinaires, Les nazis pouvaient être satis-
un pavé de même grandeur faits. Le test de Cologne n’avait
que les autres, mais en laiton pas suscité de réaction. La
et comportant une inscription. Wehrmacht occupait alors une
Vous vous inclinerez pour la grande partie de l’Europe et rien
déchiffrer, et vous aurez ainsi n’empêchait plus l’extermina-
répondu à l’attente de ceux qui tion massive des Juifs. A la fin
ont voulu les exposer à la vue Gunter Demnig de la guerre, six millions de Juifs
des passants. Les Allemands européens avaient été assassi-
commencent à connaître ces «Stolpersteine» nés auxquels il faut ajouter des milliers de tzi-
ou «pavés qui font trébucher». Voici leur his- ganes, d’opposants politiques, d’homosexuels,
52 toire. de malades euthanasiés, de témoins de Jého-
vah, de déserteurs, de résistants.
Gunter Demnig est un artiste allemand dont
la spécialité est de tracer des pistes, des lignes Or un jour, en 1992, alors que devant l’Hôtel
en couleur à travers la campagne, mais aussi de Ville de Cologne, l’on posait une pierre à la
sur l’asphalte des rues de la ville. Ces lignes mémoire des Sinti et des Roms, Gunter Dem-
sont toujours destinées à raconter des histoi- ning fut profondément choqué par la remar-
res concernant des vies humaines. Voilà pour- que d’une passante, manifestement ignorante
quoi il ne pouvait manquer d’être confronté à du passé récent: «Il n’y a jamais eu de tziganes
ces millions de vies brutalement interrompues parmi nous !» Ce fut l’étincelle qui mit le feu
par la violence de la barbarie nazie. Considé- aux poudres ! Rien n’aurait pu mieux le moti-
rées dans leur ensemble, elles constituent un ver à vouloir redonner un nom à chacune des
collectif où risquent de se noyer les destins victimes disparues. C’est alors qu’il conçut ses
individuels. C’est pourquoi Gunter Demnig a pavés symboliques. Ils devaient être encas-
longtemps essayé de se représenter les souf- trés dans la voie publique, dans le trottoir,
frances endurées par chacune des victimes devant la maison où avaient vécu celui, celle
assassinées. ou ceux qui avaient été des voisins comme
Il traça d’abord des lignes blanches, à travers les autres, des voisins que l’on aimait bien,
les rues de Cologne, pour rendre visibles les que l’on rencontrait chez le même boulanger,
chemins de la déportation suivis par des cen- que l’on saluait dans les jardins publics. Leurs
taines de Roms et de Tziganes, et il réussit à enfants fréquentaient la même école que les
faire graver une plaque commémorative sur autres enfants et le soir, ils allaient boire un
le pont Hohenzollern. Ils furent un peu moins verre dans le même bistrot. Ces voisins-là, on
de mille personnes à être arrêtées au mois de les avait laissés s’évanouir dans le néant, sans
mai 1940, au vu et au su de la population qui proférer la moindre protestation.
le shofar

Les pavés que réalisa Gunter de Demning. Voici une anecdote


Demning sont ces «Stolpers- qui illustre bien le combat éter-
teine», c’est à dire ces «pavés nel entre le bien et le mal.
qui font trébucher», ces pavés
auxquels ne se heurtent pas Des membres de l’Université
seulement le pied du passant, de Cologne lui demandèrent de
mais surtout sa conscience et sa poser des pavés en souvenir de
mémoire. L’artiste se renseigna professeurs déportés. Le rectorat
d’abord auprès de la commu- objecta que cela semblait inutile,
nauté juive de Cologne, puis étant donné qu’il y avait déjà un
de Yad Vashem, pour savoir si le fait de gra- «lieu du souvenir». Or ce lieu était une petite
ver à même le sol le nom de Juifs défunts vitrine, cachée dans un couloir isolé. Devant
était interdit par la religion juive. Ceux qu’il l’insistance des demandes, le rectorat refusa
interrogea lui répondirent que non, bien catégoriquement la pose de pavés sur le cam-
au contraire, ils étaient tout à fait prêts à pus universitaire. Demning rechercha les limi-
appuyer son initiative. tes précises du terrain, et posa ses pavés sur le
trottoir municipal, devant l’entrée principale de
C’est ainsi qu’en 1993 commença à se concréti- l’université. Il dut se débrouiller pour se procu-
ser le projet «Stolpersteine». Ces pavés sont de rer l’électricité nécessaire aux travaux, car le
dimension 10x10x10. Ils sont en béton recouvert concierge ne lui donna pas accès au courant.
de tôle de laiton. Ils portent l’inscription: «Ici
vécut..., « puis le nom et les dates de la naissance Les réactions aux «Stolpersteine» sont parfois
et du décès de l’ancien habitant de la maison. vives et controversées. A Kassel, le Conseil
Ces informations proviennent de recherches municipal en a refusé la pose en invoquant 53
entreprises par des initiatives de citoyens en l’argument que «le choix des personnes devant
collaboration avec les archives. Des parents en bénéficier rappelait la sélection d’Aus-
d’un disparu, d’anciens voisins ou des connais- chwitz». Le maire socialiste (SPD) de Munich,
sances sont aussi des sources précieuses de Christian Ude s’y opposa également, alors que
renseignements. Le texte est sobre et sans fio- le maire conservateur (CDU) de Hambourg,
riture. Gunter Demning le rédige lui-même avec Ole von Beust, se déclara fier de présider à
l’aide d’Uta Franke, la coordinatrice du projet. la pose du 1000ème pavé dans sa ville. C’est
Il encastre personnellement chaque pavé dans à cette occasion que deux anciens camarades
le trottoir. Les frais de réalisation et de pose, la de classe se rencontrèrent: l’un avait survécu
plupart du temps supportés par des donateurs à Stalingrad, l’autre à la Shoah.
privés, se montent à 95€ par pavé. L’accord de
la municipalité doit être obtenu et le pavé, après Pour Gunter Demning, le commentaire le plus
avoir été posé, devient sa propriété. Gunter important qu’il puisse entendre à propos de
Demning en a posé des milliers, dans plus de 170 son travail, c’est celui qu’expriment certains
villes et communes allemandes, et il envisage proches des victimes: «Maintenant nous pou-
d’étendre son action à tous les pays où les nazis vons revenir en Allemagne».
ont procédé à des déportations. Nombreux sont
ceux qui le soutiennent: des «initiatives citoyen- ***
nes» locales, des écoles, des entreprises et des
institutions. Les commandes reçues à ce jour D’après «Gunter Demnings Stolperstein-Pro-
l’occuperont pendant un an et demi environ. jekt»

Cependant, des forces contraires (on pourrait Andras Langen in «Spuren vergessener
dire mauvaises) s’opposent parfois au travail Nachbaren» Markstein Verlag 2007 ■
C O MMU N AU T É

Beth Hillel part


en Israël

Du 8 au 18 mai 2008

Ce voyage sera l’occasion de comprendre


en Israël l’origine de notre modernité
54 et de percevoir comment le plus antique
reste toujours le plus neuf

Prix : 1.800 € tout compris en ½ pension


(vol, transferts, guides, repas matin et soir, musées)

Inscriptions :
Au secrétariat de Beth Hillel par versement d’un
acompte de 300 € sur le compte 192.5133742.59
Passeport valable et assurance assistance indispensables
le shofar

Notre Programme
Jeudi 8 mai : Mercredi 14 mai :
Rendez-vous à Bruxelles National à 6h du Matin : Le Golan, château de Nimrod; accueil
matin. Arrivée à Tel Aviv à 14h30. Transfert et au Moshav Yonatan
installation à l’hôtel King Salomon à Jérusalem. Après midi : Katzrin et sa synagogue antique;
En fin de journée, circuit de reconnaissance cave à vin et dégustation
(en bus) de la Ville Nouvelle. Fin de journée : cours avec Rabbi A. Dahan
Soirée : dîner et détente à l’hôtel. Dîner et détente au Kibboutz

Vendredi 9 mai : Jeudi 15 mai :


Matin : visite du Musée d’Israël, le sanctuaire Départ pour Tel Aviv : Accueil et collation-
du Livre (manuscrits de la mer morte) rencontre à l’internat Levovitch de Natanya
Après midi : Mont des Oliviers et Mont Scopus Après midi : visite du Musée de la Diaspora
Kabbalat Shabbat à la synagogue libérale (Beth Hatefutsoth); installation à l’hôtel Basel
«Kol Ha’ Neshama» et dîner à l’hôtel Soirée : dîner à l’hôtel et promenade vivifiante
en bord de Mer, monument de l’Alya
Shabbat 10 mai :
Shabbat au Kotel Vendredi 16 mai :
Après midi : Pour ceux qui le souhaitent, Matin : visites des Musées Bialik et Gutman
promenade et visite du musée Rockefeller. Promenade à Nahal Binyamin et shouk Hacarmel
Soirée : dîner à l’hôtel, sortie à Ben Yehuda. Promenade apéritive à Neve Tsedek
Kabbalat Shabbat à la synagogue libérale Beit
Dimanche 11 mai : Daniel et dîner à l’hôtel
Matin : Mémorial Yad Vashem ; le Mont Herzl
Après midi : organisé par le KKL, rencontre Shabbat 17 mai :
avec Mr Shimon Peres Office à Beit Daniel 55
Fin de journée : Les Tunnels du Kotel Pour ceux qui le souhaitent, promenade et
Soirée : dîner et détente à l’hôtel visite de Musées
Soirée: dîner à l’hôtel et promenade à Yaffo,
Lundi 12 mai : arrêt gourmand chez Abulafia (pâtisseries).
Départ vers le Nord
Visites de Meggido et du Mont Tabor Dimanche 18 mai :
Tibériade : tombeau de Maïmonide; Matin : Visite du Musée de l’Indépendance
déjeuner au bord du Lac A 12h départ vers l’aéroport
Métula : conférence in situ de Stéphane Juffa Arrivée à Bruxelles à 21h30
(Metula News Agency) sur la situation
géostratégique de la région.
Soirée : installation au Kibboutz
Hotel Hagoshrim en Haute Galilée
Dîner et détente au Kibboutz

Mardi 13 mai :
Matin : visite de Safed et de ses
splendides synagogues
Après midi : visite de la base militaire de
Nebei Yosha. Cérémonie d’inauguration du
bosquet Beth Hillel à Shumit
Dîner et détente au Kibboutz
C O MMU N AU T É

A Beth Hillel

le 21 février 2008 à 20h00


Conférence du Rabbin Abraham Dahan

LA FEMME ET LA RELIGION
UNE ÉTERNELLE MINEURE ?

56
L’histoire des femmes dans une société faite par les hommes,
pour les hommes, reste à écrire. Notre époque connaît une
évolution certaine de la place des femmes.
En ce qui concerne son statut sur le plan religieux nous sommes
encore loin du compte. Dans cette problématique, qu’enseigne
notre vieux Judaïsme et où en est-il ?

Synagogue Beth Hillel


80 rue des Primeurs
1190 Bruxelles Tel 02 332 25 28
info@beth-hillel.org
www.beth-hillel.org

P.A.F. : membres: 3.00 € - non-membres: 5.00 €


le shofar

Lu pour vous
ces livres qui sont disponibles à la Bibliothèque de Beth Hillel
Par Monique Ebstein

Une vie avant ce jour de mai 1945 où elle aurait pu ren-


Simone Veil trer en France avec ses filles. Après son retour,
Ed. Stock Simone, malgré le terrible traumatisme qu’elle
Qui ne connaît pas Simone Veil ? Elle a quitté avait vécu, reprit des études qui avaient été
voici un an toute activité publique et reste un interrompues pendant plus d’un an. Voulant
des personnages emblématiques du paysage devenir avocat, elle choisit le droit. En 1946,
politique français. Depuis qu’elle s’est retirée de elle se maria très jeune avec Antoine Veil. Quel-
la vie active, elle a rédigé une autobiographie ques années plus tard, en 1954, après s’être
qui retrace son parcours inscrite à un stage qui devait la préparer au
Un parcours qui commence comme celui de concours d’accès à la magistrature, elle pourra
beaucoup de jeunes filles juives de son âge. écrire avec une légitime fierté:» J’avais 27 ans,
Simone Jacob naquit en 1927 à Paris, dans une des diplômes, un mari, trois enfants, un travail.
famille d’origine lorraine, tout à fait assimilée, J’étais enfin entrée dans la vie».
s’identifiant totalement à la patrie française Tour à tour magistrat chargée du problème des
qui, en 1791, avait fait des Juifs d’Alsace-Lor- prisons, Ministre de la Santé sous Valéry Gis-
raine des citoyens à part entière. Son père, card d’Estaing, Présidente du Parlement Euro- 57
architecte, prévoyant le développement de la péen, de nouveau Ministre de la Santé et de la
Côte d’Azur, s’installa avec sa famille à Nice Ville sous la présidence de Jacques Chirac, puis
où Simone eut une enfance heureuse, dernière présidente de nombreuses commissions dont
enfant d’une fratrie composée d’un garçon et celles des droits de l’homme, elle fut en dernier
de trois filles. lieu et jusqu’en janvier 2007, présidente de la
Puis vint la guerre. Nice étant en zone occupée Fondation pour la mémoire de la Shoah.
par les Italiens, les Juifs y étaient relativement Le lecteur ne peut qu’admirer la force qui a
plus en sécurité que dans le reste de la France. permis à cette toute jeune fille de passer au tra-
Mais après la chute de Mussolini, le risque des vers de l’horreur absolue, de remonter la pente
rafles et des arrestations s’avéra de plus en plus de la vie de fonder une famille et de mener en
grand. Le père de Simone et son frère furent même temps une vie politique de très grande
arrêtés et déportés vers l’Ukraine d’où ils ne envergure. Simone Veil confesse ouvertement
revinrent pas. Elle-même fut arrêtée avec sa son éloignement du judaïsme religieux, mais
mère et sa soeur aînée en avril 1944, et après à aucun moment elle ne récuse son apparte-
avoir transité par Drancy, toutes trois furent nance au peuple juif, et l’éthique qui a guidé
déportées à Auschwitz, puis transférées à Ber- sa vie et son action politique est bien celle de
gen-Belsen. Par une chance extraordinaire, notre tradition. En faisant adopter, après de
une kapo se prit de pitié pour la jolie jeune fille nombreux combats la Loi légalisant l’inter-
qu’était Simone, et lui assigna ainsi qu’à sa mère ruption volontaire de grossesse, elle a voulu
et à sa soeur un poste dans un atelier où le tra- mettre fin aux situations dramatiques où se
vail était un peu moins inhumain qu’ailleurs. trouvaient les femmes les plus vulnérables. En
Cependant sa mère et sa soeur contractèrent politique elle a toujours milité en faveur de la
le typhus peu de temps avant la libération du construction européenne, d’une conception
camp et sa mère mourut quelques semaines ouverte de la démocratie et de réformes en
C O MMU N AU T É

vue d’une société plus juste. La lecture de son programmes de développement agricole. En
livre est à la fois passionnante et enrichissante 2002, il intervint à la télévision d’Etat de Cuba
parce qu’elle nous replonge dans le détail d’évè- en critiquant les infractions du gouvernement
nements que nous avons vécus. Ses jugements en matière des Droits Humains, mais en même
sur les situations, et ses opinions sur les nom- temps il se prononça en faveur d’une levée du
breuses personnalités politiques françaises blocus économique de l’île. Toutes ces actions
et internationales, rencontrées au cours de sa menées pendant plus de 20 ans, avec loyauté
longue carrière, sont parfois inattendus et tou- et discrétion, furent récompensées par le Prix
jours intéressants, même lorsque le lecteur ne Nobel de la Paix, attribué en 2002 à l’artisan
les partage pas. Cette autobiographie peut être des Accords de Camp David.
considérée comme un véritable livre d’histoire Ce courage tranquille donne à mon avis un
contemporaine. grand crédit à Jimmy Carter lorsqu’il s’exprime
sur le conflit israélo-palestinien. Dans son
*** livre il en retrace l’histoire. Nous la connais-
sons, certes, mais peut-être pas avec tous
Palestine, la paix, pas l’apartheid les détails, les chiffres et les textes qu’il nous
Jimmy Carter (né en 1924) donne. Ses profondes convictions chrétien-
Ed L’Archipel nes et son action permanente en faveur des
Ce livre dont le titre est susceptible de provo- Droits de l’Homme me semblent garantes de
quer la colère, mérite cependant d’être lu par un sa sincérité. Cet amoureux de la Paix déplore
lecteur qui désire s’informer. En effet l’auteur un conflit qu’il a essayé de toutes ses forces de
n’est autre que l’ancien président des Etats- résoudre et dont il n’entrevoit de solution que
Unis, Jimmy Carter. Alors qu’il n’était encore dans une véritable volonté de paix de la part
58 que le gouverneur de la Géorgie, Jimmy Carter des adversaires. Sans une paix sincèrement
s’intéressait déjà passionnément à Israël où il négociée, il n’y aura jamais un vainqueur et un
se rendit pour la première fois en 1973, invité vaincu, il n’y aura que des vaincus.
par Yitzhak Rabin le vainqueur de la guerre de
Kippour. Sous sa présidence (1977-1981), les Le livre est accompagné d’une chronologie
premiers accords de Camp David entre Israël très détaillée, et de 6 Annexes qui reprodui-
et l’Egypte furent approuvés. sent les textes:
Il est à présent, selon ce qu’écrit le magazine • des résolutions 242 du Conseil de Sécurité
Time «le meilleur ex-président des Etats- de l’ONU du 22 novembre 1967,
Unis». En effet, dès 1982, il créa, à Atlanta, la • de la résolution 338 du 22 octobre 1973,
Fondation Carter qui se donne pour mission • Accords de Camp David du 17 septembre 1978,
la résolution des conflits, la promotion de la • de l’Accord-cadre pour la conclusion d’un
démocratie, et l’aide au développement huma- traité de Paix entre Israël et l’Egypte du 17
nitaire. On voit Carter mener des missions d’ob- septembre 1978,
servation d’élections à travers le monde, dans • de la résolution 465 du 1er mars 1980,
de nombreux pays où il y a un risque qu’elles • du «Plan de paix de la Ligue arabe du 28 mars
soient irrégulières (Panama, Nicaragua, Haïti, 2008, de la réponse d’Israël à la «Feuille de
Ethiopie, Territoires palestiniens). Il s’est route» du 25 mai 2003
également fait le médiateur dans des conflits
explosifs. En 1994, il désamorça une crise ***
nucléaire entre son pays et la Corée du Nord. A noter :
La même année, il évita une invasion armée La parution d’un hors-série du magazine «Le Point»
des troupes américaines en Haïti, et négo- daté janvier-février 2008 et actuellement en vente :
«Les textes fondamentaux de la pensée juive
cia un cessez-le-feu en Bosnie-Herzégovine. - Maïmonide, Mendelssohn, Buber, Levinas,
Parallèlement, il mène en Afrique d’ambitieux Arendt»
le shofar

Quelques nouvelles d’Israël


et d’ailleurs

La famille Quandt, propriétaire de BMW, va Günter Quandt utilisait également ses


ouvrir ses archives afin de faire la lumière relations pour se débarrasser de ses
sur l’implication de Günter Quandt et son concurrents : outre les entreprises de
fils Herbert dans les crimes nazis. Juifs «aryanisées», les non-Juifs étaient
contraints de céder leurs actions à Quandt
Herbert Quandt est connu pour avoir et eux qui résistaient étaient arrêtés. A la
évité la faillite de BMW, en rachetant en différence d’autres grands patrons du IIIe
1959 l’entreprise que Daimler s’apprêtait Reich, tels que Flick ou Krupp, les Quandt
à liquider. Bien qu’ayant une fortune esti- ne furent pas inquiétés, après la guerre,
mée aujourd’hui à quelque 26 milliards et échappèrent à la procédure de Nurem-
d’euros, les Quandt vivent de manière berg, nonobstant l’existence de docu-
extrêmement discrète : aucune appari- ments pourtant accablants en possession
tion dans les media, aucun remous d’or- des Britanniques. L’hypothèse développée 59
dre privé…Un documentaire de la chaîne par le documentaire est que ces derniers
de télévision publique allemande NDR, « eurent, à leur tour, besoin des usines de
le Silence des Quandt », diffusé en novem- Günter Quandt dont les sites étaient restés
bre dernier est à l’origine de l’ouverture en état de marche, malgré les bombarde-
des archives familiales. ments alliés. Contexte de la guerre froide
naissante aidant, l’affaire sombra finale-
Ce documentaire dévoile comment la ment dans les oubliettes de l’oubli…
famille, déjà richissime avant la guerre,
profita du nazisme pour s’enrichir davan- ***
tage.Membre du parti nazi, dès 1933, Günter
Quandt (1881-1954), propriétaire de l’usine Bien que depuis près de 50 ans en Austra-
d’accumulateurs AG Afa (future Varta), uti- lie, Alex Kurzem possède un léger accent
lisa dès les années 30 les relations que lui européen qui trahit ses origines. Long-
permettait le remariage de son ex-épouse temps, ses enfants et son épouse austra-
Magda avec Goebbels pour assurer à son lienne ont cru qu’il n’avait rien conservé
entreprise un succès remarquable. En effet, d’autre de son enfance en Lettonie. Il
sous-marins et bombardiers se retrouvè- racontait juste qu’il était orphelin et qu’il
rent tous équipés d’accumulateurs sortis avait été adopté durant la Seconde Guerre
d’Afa produits sur un site industriel situé Mondiale par une famille lettone.
près de Hanovre et dont Herbert Quandt Mais sa véritable histoire est bien diffé-
était le directeur du personnel. Or donc rente : c’est celle d’un enfant juif dont la
la main d’oeuvre était fournie par le camp famille avait été massacrée en 1941 et qui
de Stocken, où l’« on meurt en six mois », devint la mascotte d’une troupe de soldats
disaient les SS aux nouveaux venus... lettons alliés des nazis qui ignoraient tout
C O MMU N AU T É

de ses origines. Pendant des décennies, pagande - qui sera retrouvé par son fils
Alex Kurzem raconta un récit allégé de à Riga, la capitale lettone -, en uniforme,
son histoire dont il ne restait qu’une petite toujours.
valise et quelques vieilles photos où on le
voit, à 6 ou 7 ans, portant un uniforme de Durant tout ce temps, Alex Kurzem vit
la Wehrmacht ou entouré de soldats let- dans la terreur d’être découvert… Par la
tons. Sourire aux lèvres, le gamin porte suite, le garçon est envoyé à Riga, chez
parfois une arme en bandoulière. Durant les Dzenis, une famille d’industriels qui,
cinquante ans, Alex Kurzem a ignoré de en1944, alors que les Soviétiques repren-
quel pays il venait, qui étaient ses parents, nent le pays, fuie la Lettonie pour l’Alle-
mais certains souvenirs restaient éton- magne en l’emmenant avec eux.
namment nets. Il y a une dizaine d’années,
il les a dévoilés à son fils aîné Mark, qui Là, ils vivront durant cinq ans, dans un
en a fait un documentaire diffusé en Aus- camp de déplacés, avant de partir pour
tralie, puis un livre biographique, « The l’Australie. Les Dzenis n’ont jamais su
Mascot », publié dans plusieurs pays, dont qu’Alex était juif…
les Etats-Unis.
***
Cet ouvrage raconte les évènements, qui
débutent en octobre 1941. Alex, enfant, La secrétaire d’Oskar Schindler, Mimi
vit avec sa mère, un frère et une soeur Reinhardt, vient de s’installer en Israël
plus jeunes dans un village - Koidanov, pour vivre aux côté des ses enfants,
nommé Dzerzhinsk par la suite - en Bié- petits-enfants et arrière petits-enfants.
60 lorussie. Les troupes allemandes ont déjà Juive polonaise, internée à Plaszow, elle
envahi l’est de l’Europe, les massacres de fut employée par Oscar Schindler grâce à
la population juive débutent en Biélorus- sa parfaite connaissance de l’Allemand.
sie, perpétrés par des Allemands, mais C’est elle qui tapa la liste des 1200 Juifs
aussi par des groupes locaux. Lorsque le que Schindler sauva. Dans cette liste figu-
11e bataillon policier de réserve allemand, raient les noms de ses employés ainsi que
assisté par un bataillon lituanien - arrive leur famille, y compris les enfants, quali-
à Koidanov, Alex se cache dans un arbre fiés de main d’œuvre « essentielle à l’effort
et assiste, atterré, au défilé des juifs de de guerre ». Interviewée récemment dans Le
son village, dont les siens, menés au bord Figaro, Mimi Reinhardt explique qu’à l’arri-
d’une fosse où ils sont exécutés. vée des alliés, « c’était alors à notre tour
Alex Kurzem s’enfuit, seul, dans la forêt. de faire quelque chose pour l’aider. Nous
Après quelques temps d’errance et de men- lui avons fait revêtir un uniforme rayé et
dicité, il est capturé par le 18e bataillon l’avons escorté jusque chez les Américains
policier letton, en opération en Biélorus- afin qu’il soit traité convenablement ». Et
sie, dont il devient la coqueluche. On lui de préciser : « Toute notre vie, nous avons
donne un nom, Uldis Kurzemnieks - Uldis continué de nous désigner sous l’appella-
est un prénom letton commun, le Kurzeme tion « Juifs d’Oskar Schindler » et après sa
une région du pays - et une date de nais- mort, nous nous sommes recueillis sur sa
sance officielle, le 18 août 1935. tombe à Jérusalem»...

Alex-Uldis apprend le letton, cire les ***


chaussures, apporte l’eau, amuse les hom-
mes du bataillon, les suit en Lettonie. En Selon une étude israélienne, l’utilisation
1943, il joue même dans un film de pro- régulière et prolongée d’un téléphone
le shofar

portableaugmenterait le risque de déve- vit toutefois pas sans arrière-pensées :


lopper une tumeur au niveau des glandes souvent, au détour d’une conversation,
salivaires. Les responsables de cette étude d’une expression ou d’un regard, le passé
qui s’est concentrée sur les utilisateurs ressurgit parfois de façon très intense.
réguliers et prolongés – plus de 22 heures Aujourd’hui, on compte environ 200 000
par mois – incitent à restreindre l’usage du Juifs vivant en Allemagne.
mobile chez les plus jeunes. Selon cette
étude israélienne, qui fait partie d’un pro- ***
gramme de l’Organisation mondiale de la
Santé, ce sont dans les communes rurales Une résolution présentée par l’Etat d’Is-
que les risques sont les plus élevés car les raël a pour la première fois été adoptée le
radiations y sont les plus fortes. mardi 11 décembre dernier par une com-
mission de l’ONU, signe, sans doute, de
*** l’amélioration de la perception d’Israël au
sein de l’Organisation internationale.
Venus d’ex-URSS ou d’Europe de l’Est, de La résolution porte sur les transferts de
nombreux Juifs ont choisi de s’installer technologie en matière agricole des pays
dans la capitale allemande, redonnant riches vers les pays en voie de développe-
ainsi un nouveau souffle au judaïsme alle- ment. Elle fut approuvée par la Commis-
mand. Le Grand rabbin orthodoxe de Ber- sion des Affaires économiques de l’As-
lin, Ytzhak Ehrenberg, se réjouit : « Berlin semblée générale puis adoptée en séance
existe à nouveau sur le planisphère des plénière par une majorité écrasante de
hauts lieux du judaïsme contemporain ! voix, une vingtaine d’abstentions seule-
» Dans la capitale émerge une nouvelle ment et aucun vote contre. 61
génération de Juifs allemands, la première Cette résolution adoptée constitue un impor-
depuis la République de Weimar. Cette tant pas en avant qui démontre qu’Israël a
nouvelle génération de juifs berlinois ne beaucoup à apporter à l’ONU… ■

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C O MMU N AU T É

Un peu d’humour
C’est l’histoire de Dany, un Séfarade qui veut Puis, Dany se présente pour passer un
devenir Ashkénaze. examen sur tout cela devant un Beth Din
Il apprend le yiddish, se met à apprécier le ashkénaze. Tout se passe excessivement
geffilte fish tartiné de raifort, danse debout bien jusqu’à la dernière question : «Comment
sur sa chaise avec un mouchoir, parle de allez vous? « demande le rabbin.
Riga et d’Odessa comme si c’était Cordoue « Très bien ! » répond Dany.
ou Casablanca, connaît la Pelikaanstraat « Recalé ! »rétorque le rabbin. ■
à Anvers et ignore Bou’harim à Jérusalem,
chante comme un cantor à la schul.

Le vendredi 22 février 2008


62
après l’office de
kabbalat chabbat

DîNER CHABBATIQUE COMMUNAUTAIRE


A BETH HILLEL

Pour vous inscrire, il vous suffit de téléphoner


au secrétariat au 02.332.25.28
I nfor m ation s u til es

VIE COMMUNAUTAIRE

OFFICES DE CHABBAT

Vendredi à 20h et samedi à 10h30

Talmud tora et preparation a la bar/bat mitsva

Tous les mercredis après-midi. Voir calendrier.

Cours adultes et cercles d’etude

Contactez Rabbi Abraham Dahan ou Rabbi Floriane Chinsky

Yiskor

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pour des membres de votre famille, contactez Giny ( 02.332.25.28

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Le jour A Beth Hillel ( 02.332.25.28
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Rabbi Abraham Dahan ( 02.374.94.80 ou 0495.268.260

Si vous désirez souscrire à Gan Hashalom,


téléphonez à Willy Pomeranc
Le jour ( 02.522.10.24 • Le soir ( 02.374.13.76

Gan Hashalom est réservé aux membres de la CILB en règle de cotisation


et ayant adhéré à la société d’Inhumation

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