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Jean MOOMOU
1 L’orthographe du mot est variable selon les auteurs. Dans cet ouvrage, deux écritures ont
été admises : Bushinenge et Businenge.
2 Date à laquelle prend fin le territoire de l’Inini créé en 1930.
3 Par exemple la commune de Papaï-Chton.
4 Colonie hollandaise jusqu’au 25 novembre 1975.
52 COMPRENDRE LA GUYANE D’AUJOURD’HUI
5 Une branche du groupe Djuka qui vivait dans la région de Cottica au Surinam.
6 Explorateurs notamment Crevaux, Coudreau, tripot, mais aussi des missionnaires
(Brunetti), des géographes (Jean Hurault).
7 A partir des années 1880, date à laquelle, l’or a été découvert dans le Lawa, espace de vie
des Boni.
PREMIèRE PARtIE : PROBLéMAtIQUE DU DéVELOPPEMENt 53
« Nous n’avons plus un moment à perdre, dit-il, pour nous occuper des pré-
paratifs qui doivent précéder l’établissement de ces peuplades. La disper-
sion des cultivateurs blancs ayant été poussée jusqu’à Conamama,
l’établissement des nègres libres ne doit commencer qu’à Iracoubo et finir à
Mana. Il est nécessaire d’ordonner incessamment un défriché aussi étendu
qu’on pourra le faire à l’embouchure d’Iracoubo, à la rive gauche, dans l’en-
droit où le terrain commencera à être praticable et où il ne sera plus sujet
aux inondations.[…]. Il est important de retirer ces peuples de l’intérieur des
terres et de les fixer sur le bord de la mer et le long des rivières navigables.
Dans cette position, l’accès de leurs établissements sera facile et il serait
possible d’employer contre eux la force, si elle était nécessaire pour les
contenir. Dans l’intérieur des terres la difficulté des communications les ren-
drait non seulement indifférents au commerce, mais il serait également dif-
ficile d’employer vis-à-vis d’eux dans une pareille position les moyens de
les policer8…».
[…] Cette précaution nécessaire à notre sûreté procurerait à la colonie une
population de gens robustes et utiles par leur travail et leur industrie et par
la consommation qu’ils feraient des denrées et des marchandises de la
Métropole »9.
Chargé du développement de la colonie, Guisan, quant à lui, souhaite ins-
taller les Boni dans le bas Maroni en préconisant une intégration par le métis-
sage.
« La base de ce projet consiste dans un mélange de populations ; en intro-
duisant des blancs parmi eux pour qu’il en résulte comme chez les Portugais
une nouvelle population qui sera toute de sang mêlé dans la suite (…) Il
convient de donner aux missionnaires des ordres très précis […]. Il faudrait
laisser leurs chefs aux marrons, au commencement. Ensuite les mission-
naires s’immisceront dans leurs affaires de police; puis on pourra donner
aux marrons des chefs sages qui leur feront supporter peu à peu le joug des
lois et de l’autorité, qui les feront devenir enfin des sujets utiles. C’est le
seul moyen d’éviter la terrible révolution qui se prépare sourdement par les
peuples barbares dans toute l’étendue de la terre ferme de la Guyane,10… ».
Par le biais de la religion et du métissage, Guisan entend donc enlever
aux Boni toute velléité de révolte. Dans l’esprit de Guisan, ils perdraient ainsi
ce qui fondait leur identité, à savoir les valeurs guerrières et religieuses, et
leurs mœurs en ne se définissant plus que par rapport à la culture qu’ils
auraient reçue.
8 Arch. F.O.M. C14 42, F°151, 1777 : 1 Juin « Note relative au projet concernant les
nègres libre de Surinam » par Bessner, in Jean Hurault et Monique Pouliquen : Histoire
des Boni, Documents conservés aux archives du ministère de la France d’Outre Mer série
C14 correspondance générale des xvIIIe et xIxe siècles, Paris, 1953, pp. 5 et 6.
9 Arch. F.O.M. C14 45, F° 19, 1777 : « Rapport sur les nègres marrons »; in Hurault et
Pouliquen, p. 14.
10 Arch. Col., C14 60, F° 227-243, Mai 1786 : « Mémoire sur les nègres marrons qui se sont
établis sur les terres de la Guyane française au bord du Maroni » par Guisan, in Hurault
et Pouliquen, p. 62-63.
54 COMPRENDRE LA GUYANE D’AUJOURD’HUI
assurances contre les Hollandais qu’ils redoutent, soit pour avoir des maga-
zins ou ils puissent traiter de leurs besoins et échanger leurs productions
(…) »14.
14 Arch. Col., D. F., Guyane N° 470, 1789 : Rapport de Lescalier : « Décisions demandées
pour l’administration de la colonie, N° 6, sur l’établissement d’un poste au Marony et de
plusieurs missions et postes dans l’intérieur », in Hurault et Pouliquen, p. 70.
15 Les relations amicales ne vont naître qu’à partir de 1848, où le contexte colonial a changé
et surtout en 1860.
16 Arch. Col., D. F., Guyane, n° 286 « Mémoire sur les nègres fugitifs de Surinam » 1777,
in Hurault, Revue d’histoire d’Outre-Mer, 1960, p. 6.
17 Arch. F.O.M. C14 41. F° 7, 10 Août 1774 : Lettre de Fiedmond au Ministre, in Hurault
et Pouliquen, p. 1.
18 Arch. F.O.M. : Dépôt des Fortifications, Guyane n° 281 (Carton 5) : « Mémoire en
réponse au projet d’attirer sur les terres françaises, les nègres de Surinam » par La Croix,
ordonnateur de la Guyane (Réfutation du mémoire de Fiedmond 1777, in Hurault et
Pouliquen., p. 95.
19 Un des premiers à rendre visite aux Boni.
56 COMPRENDRE LA GUYANE D’AUJOURD’HUI
armes, étaient sans foi, sans loi, sans préjugés, sans reconnaissance, qu’ils
étaient fourbes, menteurs, escroqueurs, extrêmement paresseux, superstitieux,
libertins et incestueux, et qu’il pourrait être dangereux de les établir sur notre
voisinage »20.
Deux mondes sont alors en confrontation. Vus de la colonie française de
ce temps-là, les Boni sont chargés des maux les plus terribles aux regards des
péchés relevés dans la Bible. Plus tard, un sage rétorquera : « Nous avons
nos croyances auxquelles nous avons foi et qui ont démontré leurs forces,
notre tribu est bien organisée et il a fallu établir des règles de conduite et des
contraintes pour vivre en société ». Il poursuivra : « Si nous étions paresseux
comme ces messieurs l’affirment, aurions-nous l’idée de nous établir en
Guyane en traversant les forêts du Surinam et franchir le fleuve Maroni et les
troubler sur leur propre territoire ? Enfin nous sommes superstitieux certes,
mais pas incestueux car nos croyances nous interdisent de l’être »21.
L’attaque qu’effectuent en 1789 les Boni contre des habitations du
Surinam en enlevant un certain nombre d’esclaves accroît encore la peur des
autorités françaises.
A partir des années 1830, les Boni en cherchant à s’établir dans la région
de l’Oyapock deviennent à nouveau un sujet de préoccupations pour les auto-
rités de la colonie. La politique adoptée par Laurens de Choisy, gouverneur de
la Guyane est sans ambiguïté : il s’agit de détruire une « bande de nègres
fugitifs », comme l’indique le conseiller Lagrange22 :
« Les Boni, écrivait-il, sont des gens redoutables, une horde de nègres fugi-
tifs, livrés à tous les emportements d’une indépendance nouvellement
acquise et encore contestée, ne respirant que désordre et pillage, qu’il faut
non seulement repousser mais détruire à tout pris (…). Il faut se garder d’at-
tirer vers nous pour ne pas créer dans notre Guyane cette lèpre dangereuse
et coûteuse de marrons reconnus »23.
Quant aux Boni, ils ne se départissent pas de la fierté que leur confère une
liberté conquise par la force de leurs armes24. L’affrontement entre les Boni et
les autorités coloniales de la Guyane française a lieu dans la région de
20 Arch. F.O.M. C14 62 ff° 94-100 : « Rapport du 13 Juin 1788. Bessner propose en 1776
d’établir sur notre territoire 30 000 marrons. Un fond de 20 000 L. est assigné pour ce
projet », in Hurault et Pouliquen, p. 68.
21 Joseph toukouyou entretien du 5 mars 2002 à Cayenne.
22 On ne peut pas s’empêcher de remarquer que les premières lois qui conduisent à l’aboli-
tion datent de 1835, et que les Boni constituaient un nouvel exemple pour les futurs libres
aux yeux des autorités coloniales obsédées par l’ordre et le travail. Ce qui peut-être expli-
querait l’attitude de Lagrange.
23 A3 (02) « Rapport concernant les Boni et les Indiens par Lagrange, 11 Janvier 1836 »,
Revue d’histoire d’Outre-Mer, tome xLVII 1960 premier trimestre, p. 123.
24 « Va-t-en dire à ton Gouverneur que s’il a envie de me voir, il peut venir me trouver, que
s’il est un homme puissant, je le suis autant que lui » Phrase de Boni Okilifu d’après la
lettre de Mallevault au Ministre, in Série x Paquet 388.
PREMIèRE PARtIE : PROBLéMAtIQUE DU DéVELOPPEMENt 57
25 Publié dans la Revue Maritime et Coloniale, tome IV, février 1862, p. 332
26 Affluent du Maroni sur lequel les Boni se sont installés
27 Cf carte, in Sausse 1951 : 84.
28 « Nos relations avec les nègres et les Indiens du Haut Maroni » par le lieutenant de vais-
seau Sibour, in Revue maritime et coloniale, tome I, janvier-février 1861, pp. 118-119.
29 Arch. F.O.M D3 (1), in Hurault et Pouliquen : Histoire des Boni, Documents conservés
aux archives du Ministère de la France DOM série C.14 correspondance générale 18/19e
siècle, p. 194.
58 COMPRENDRE LA GUYANE D’AUJOURD’HUI
tique des autorités coloniales à l’égard des Boni. A lire William Cohen (1981 :
409) elle nous apparaît proche de celle que la France pratiquait sur le conti-
nent africain à la fin du xIxe siècle où des missionnaires jouèrent un rôle déter-
minant dans le processus de la colonisation française.
Seize ans après le revirement de 1860-1861, la première esquisse du rôle
que devaient jouer les Boni dans l’économie guyanaise se dessine peu à peu.
En 1876 dans sa lettre adressée au président de la Société de Géographie,
Crevaux30 souligne que : « le pays gagnerait beaucoup à se servir des bras
vigoureux de tous les noirs de l’intérieur »31. Accompagné du préfet aposto-
lique Ambroise Emonet32, et du père kraenner33, Crevaux rencontre les popu-
lations du fleuve Maroni, les Paramaka, les Djuka, les Boni et les
Amérindiens. Dès lors, les autorités coloniales réfléchissent plus fermement à
la question de l’évangélisation des Boni, estimant qu’elle seule peut amélio-
rer la nouvelle relation qui se met en place.
Les autorités coloniales françaises commencent alors la conquête des
espaces restés en marge du territoire colonisé (Maroni et Oyapock), d’où l’en-
voi d’une succession de missions34 sur le Maroni avec pour objectif principal
d’évaluer la faisabilité du projet de colonisation. Pour mener à bien cette colo-
nisation, elles entendent s’appuyer à la fois sur l’autorité des Gran-Man35 boni
à qui elles accordent les attributs du pouvoir (uniforme, képi, drapeau fran-
çais) et une pension, et sur la population boni qui représente une solution au
manque de main-d’œuvre que connaît la Guyane après l’abolition de l’escla-
vage de 1848. Emerge par conséquent dès 1860 une certaine instrumentalisa-
tion des Boni par le colonisateur français. Celle-ci va s’accentuer avec la
découverte de l’or dans le Lawa à partir des années 1880 et continuer tout au
long de la première moitié du xxe siècle. Ils assurent notamment le ravitaille-
ment des chercheurs d’or et de l’administration coloniale, ainsi que le rôle de
relais du pouvoir colonial dans les régions aurifères. Dans le premier rôle, ils
acheminent non seulement les produits nécessaires à l’exploitation et à la sur-
vie du monde aurifère mais aussi transportent personnel, matériel de l’admi-
nistration coloniale dans la mesure où ce sont des canotiers expérimentés à la
navigation fluviale et qu’ils disposent de surcroît de matériel adéquat. Le
second rôle revient aux Gran Man Boni qui, vivant à proximité des zones
aurifères, deviennent « les yeux et les oreilles » du gouverneur avec qui ils
ont des rapports amicaux. Ils jouent ainsi un rôle de premier plan non seule-
ment dans la gestion du monde aurifère mais aussi dans celui de la frontière
qui sera définie finalement le 25 mai 1891 par l’arbitrage du tzar Alexandre
III de Russie. A noter que ces deux fonctions sont accomplies également par
les Djuka dans leur relation avec les autorités hollandaises.
Peu après cette conférence, les Boni furent confrontés aux nouveaux
défis que posaient les grands bouleversements économiques dans la région du
Lawa. Il leur fallait trouver une place dans le nouveau système économique
qui s’étendait au fleuve Lawa et à ses criques en 1888, et qui rompait avec le
mode de vie qu’ils avaient jusqu’alors. Il leur fallait aussi relever le défi de la
rencontre avec l’Autre (Européens, Créoles, Anglais, Chinois, Indiens) et
celui d’accéder au statut nouveau de citoyens français tout en continuant à
jouir de l’autonomie territoriale. Le désir d’être citoyens français s’observe
aussi bien dans les attitudes des Boni à l’égard des Français, que dans les
lettres du Gran Man Anato (1876-1891), qui disait : « notre désir le plus
ardent est de rester français (…) nous vous le répétons aujourd’hui, nous
sommes français »40. Cette volonté de devenir français est telle qu’en 1892,
le Gran Man Ochi (successeur de Anato) prend la décision de quitter le vil-
lage de Cottica situé sur la rive hollandaise pour s’installer avec son peuple
sur la rive française en créant le village de Agoodé. Si les Boni ont souhaité
appartenir à la France, ils ne se sont pas du tout exprimés à l’égard des
Hollandais.
Les mutations de la société boni à l’âge de l’or et du grand takari engen-
drent préoccupations et interrogations nouvelles sur leur façon de vivre, ainsi
que sur leur condition d’homme Boni, Djuka. L’implantation française s’ac-
compagne de la découverte de l’or dans le haut Maroni (Lawa) durant les
années 1880. Cette introduction de l’économie aurifère et marchande
engendre un certain nombre de conséquences dans la société boni :
– D’une part, elle marque surtout l’entrée des Boni dans un monde qu’ils
ne maîtrisent forcément pas. Il s’agit du monde colonial, celui qu’ils
avaient quitté, et dont le seul souvenir qui leur est resté est celui de
l’univers esclavagiste transmis par le témoignage des Anciens. Cette
société coloniale arrive, avec ses hommes, dans le monde boni41, en
quête d’un enrichissement. Ces « Doo Séi sama » (ces étrangers)
comme les Boni les appellent dans leur langue, amènent avec eux leurs
mœurs, leurs façons de vivre, de penser, leurs lois qui sont différentes
de celles de cet isolat humain Boni.
– D’autre part, des étrangers vont occuper leur territoire car, très souvent,
les permis d’exploitation délivrés par l’administration coloniale seront
en décalage avec les réalités du terrain. Les concessions étant généra-
lement des terres appartenant aux Boni, des conflits entre ceux-ci, les
autorités traditionnelles et les orpailleurs créoles en découlent.
« L’arrivée dans mes villages des hommes civilisés a fait naître chez mes
sujets, avec le premier souffle de la liberté et du travail, des goûts et des us
qui nous étaient jusqu’alors inconnus à nous les Bonis (…) » dit le Gran Man
Anato au Gouverneur de la Guyane48.
Si durant le marronnage, subvenir aux besoins de sa famille, de sa femme
signifiait pour un Boni leur assurer la protection, leur défricher un abatis et
leur construire des canots, à l’époque de l’or, la nature des besoins a changé.
Il faut désormais apporter du sel, du pétrole pour faire le feu et de la lumière,
des boîtes de conserves, du riz, de la farine, du sucre, du café, des vête-
ments… Si les villages étaient peuplés d’hommes avant la découverte de l’or,
désormais, ils sont désertés par ceux-ci, à la recherche d’un travail : trans-
porteurs, piocheurs sur un placers au service d’un concessionnaire ou pour
leur propre compte à l’aide d’une batée.
Le changement qui marque le temps de l’or et du grand takari, s’exprime
aussi dans le domaine de l’architecture (Hublin, 1988)49. Alors qu’ils avaient
vécu jusque-là dans de petites maisons en forme de huttes couvertes de
feuilles de palmier, constituées en général de deux pièces (salon et une
chambre à coucher), les Boni vont changer la forme de la maison tradition-
nelle au contact des chercheurs d’or créoles50. Ces transformations matérielles
reflètent des aspirations plus profondes.
52 [80] « Li qua fai grand zaffaï » (…) « Dimain, nou qua pati », in Henri Coudreau
(1895 : 6).
53 Amaïkon Dakan, entretien du 15 février 2002 à Saint-Laurent-du-Maroni.
54 « temps difficile, mais un bon temps ».
55 Mobilité
56 Antoine Bayonne, entretien réalisé à Cayenne, 28/07/2006.
57 traduit littéralement, le mode de vie du blanc.
58 Poko Aluku (Opu-nengue Djuka), entretien village Newiby, le 24/07/2006.
66 COMPRENDRE LA GUYANE D’AUJOURD’HUI
59 Ce poste administratif créé en 1859 va exister jusqu’en 1940, puisqu’il va disparaître avec
la fin du bagne et la création du poste de Maripasoula durant les années 1940.
60 En langue djuka et boni.
61 Espace où habitaient quelques Boni du village Apatou/ Maïman.
62 témoignage de Poko Aluku, de Bamkoï Boussuman, et de madame Yéépi Afsebdé, des
personnes qui ont descendu vers le bas Maroni entre la fin des années 1930 et le début
des années 1950.
63 Poko Aluku (Opu-nengue Djuka), entretien village Newiby, le 24/07/2006.
64 Afsendé Yéépi (Djuka), entretien réalisé à New Liby, le 20/07/2006.
PREMIèRE PARtIE : PROBLéMAtIQUE DU DéVELOPPEMENt 67
65 ADGuy : Série x, paquet n° 798, Dossier Inini, Rapport du Médecin Lieutenant Bretillot
à Monsieur le Gouverneur de Cayenne. territoire de l’Inini, 24 mars 1941.
66 Omissi Fossé, entretien réalisé par téléphone, Papaï-Chton, le 28/09/2006.
68 COMPRENDRE LA GUYANE D’AUJOURD’HUI
67 Par exemple la loi est votée au Surinam en 1856 permettant à certains Djuka de descendre
le Maroni pour travailler dans l’industrie forestière qui a cours dans la région de Cottica
au Surinam. In Richard et Sally Price (2003 : 43).
68 Les Boni, les Djuka s’installent à la « Roche Bleue derrière l’Hôpital après 1945 ».
69 Omissi Fossé, entretien réalisé par téléphone, Papaï-Chton, le 28/09/2006.
70 Par exemple toutou (toto), Doudou (actuel Gran Man des Boni), Guadi, Yété (qui est
toujours en poste).
71 Par exemple : usine de bois de Castaing à Balaté, Usine de bois de Gifon, la SFM
(Société forestière du Maroni).
72 Usine de contreplaqué.
73 Entreprise crevettière crée en 1962. Il s’agit d’une compagnie américaine connue sous
l’appelation (Compagnie de Congélation du Maroni ou Mann Shrimp Company,
COCOMA)
74 Entreprise de bauxite.
PREMIèRE PARtIE : PROBLéMAtIQUE DU DéVELOPPEMENt 69
vagues migratoires des Boni, des Djuka, des Paramaka. A noter que la migra-
tion des Paramaka est timide, mais commence dès la fin des années 1950 et
surtout durant les années 1960 : Papa Pompéa se souvient encore de l’instal-
lation définitive de son père à Saint-Laurent-du-Maroni : « J’ai 65 ans
aujourd’hui, et j’avais quinze ans à l’époque où mon père est descendu défi-
nitivement à Saint-Laurent-du-Maroni […] Avant son installation, il venait
vendre du bois aux usines de cette ville [...] »84.
Un certains nombre de Boni ou de Djuka vont quitter également leur vil-
lage d’origine à la recherche des grands tradi-praticiens qui sont partis du
tapanahony (Da Ofaï du village de Patience par exemple) pour s’installer
dans le bas Maroni. Possédés par un mauvais esprit, ils n’ont pas pu trouver
dans leur village des « Obia-man » capables de l’enlever ou de l’apprivoiser.
Enfin, d’autres facteurs expliquent l’attrait des Boni et Djuka pour les
villes coloniales : il s’agit, en particulier, de l’école. En effet, entre la fin des
années 1940 et les années 1970, des structures éducatives hollandaises et fran-
çaises s’implantent dans l’espace de vie des Paramaka, des Boni et des Djuka.
Arrivés au terme de leur cursus scolaire, par exemple à Cottica, un certain
nombre d’enfants boni partent à Paramaribo pour poursuivre leur scolarité.
D’autres ont été choisis par leurs maîtres d’école qui, à la fin de leur contrat
à Cottica, partaient avec un enfant du village à Paramaribo. Gluder âgé de 60
ans aujourd’hui, témoigne : « Je suis né en 1946 à Cottica. A l’âge d’environ
6 ans, ma maîtresse a demandé à ma mère si elle pouvait m’emmener à
Paramaribo poursuivre ma scolarité. Ma mère était d’accord, et je suis parti
vers 1951-1952. Aujourd’hui je suis avocat au Surinam […] »85. Par consé-
quent, certaines familles boni, djuka, paramaka émigrent vers Paramaribo à la
fin des années 1960 et surtout durant les années 1970 soit pour accompagner
leurs enfants scolarisés, soit pour suivre le mari qui occupe un emploi. La
mémoire collective raconte également que certains prêtres à l’issue de leur
mission d’évangélisation sont partis avec des enfants boni86 durant les années
1960 à Paramaribo.
82 Venu en Guyane faire son service militaire en 1969 puis à l’issue de son service, il s’ins-
talle définitivement à Saint-Laurent-du-Maroni en Octobre 1975.
83 « Nous nous souvenons encore de la venue des Boni, des Djuka, des Paramaka, mais
aussi des Saramaka à Saint-Laurent-du-Maroni. Ces populations travaillaient dans les
usines de bois, dans les entreprises notamment de crevettes. Ils habitaient tous dans le vil-
lage du capitaine toutou, mais aussi à Saint-Jean-du-Maroni […]. En ce temps-là, l’acti-
vité du bois était la première industrie de Saint-Laurent-du-Maroni. […] »
[121] : Georges téfilus et Jean-Claude Bour, entretien réalisé à Saint-Laurent-du-
Maroni, le 17/10/2006.
84 Pompéa, entretien réalisé à Saint-Laurent-du-Maroni, le 05/11/2006.
85 Edgar Gluder, (originaire du village de Cottica), entretien par téléphone depuis
Paramaribo, le 30/09/2006.
86 Nous ne pouvons donner les noms de ces enfants puisqu’ils ne le souhaitent pas dans la
mesure où ils ont une double nationalité (surinamienne et française).
PREMIèRE PARtIE : PROBLéMAtIQUE DU DéVELOPPEMENt 71
87 texte destiné au gouverneur de la Guyane, dicté en 1889 par le Gran Man boni à
Alexandre Mondésir, secrétaire particulier du gouverneur de la Guyane. Arch. F.O.M.
Guyane D3 (6), in Hurault et Pouliquen, p. 209.
88 Décret du 17 mai 1969 (n°69-261), in Journal Officiel.
89 Gran Man et premier maire boni.
90 Ce territoire est né de l’application du décret du 30 Juin 1930. Il tire son nom d’une
rivière qui se jette dans le fleuve Lawa (cours supérieur du Maroni), limité par le
confluent du fleuve Sinnamary et de la crique Courbaril, par la Roche Diamant sur la
rivière Comté, par le saut Cafésoca sur l’Oyapock, par les frontières franco-hollandaises
à l’Ouest et franco-brésilienne au sud et à l’est. Pour de plus amples renseignements
consulter la carte du territoire de l’Inini in Gabriel Bureau : La Guyane méconnue,
Fasquelle Editeurs, Paris, 1936, p. 152-153.
91 L’expression est empruntée à Jean Hurault.
92 ADGUY, Per, « Réunion d’étude sur les problèmes administratifs posés par les primitifs
de la Guyane », Radio Presse Dimanche, 8 avril 1962, p. 31-32.
72 COMPRENDRE LA GUYANE D’AUJOURD’HUI
– D’autre part, dès les années 1970, commence une vie politique tour-
mentée. Elle résulte du fait que pouvoir spirituel et pouvoir temporel
sont détenus par le même homme, à savoir le Gran Man Emmanuel
tolinga qui, de plus, exerce la fonction de maire, et, également des
luttes entre Boni pour accéder aux postes de responsabilités. La prise
en charge de la politique par les Boni et plus tard par les Djuka est mou-
vementée : violences électorales, bagarres, scandale financier. appa-
raîssent. A ces divisions politiques se mêlent des clivages familiaux,
lignagers101 et ethniques102 à partir des années 1990. La classe politique
chez les Boni du Lawa est fermée, articulée autour de la famille du
Gran Man ce qui se traduit par l’exclusion des autres villages dans la
participation du pouvoir municipal (source de mésentente), phénomène
qui s’accentue de plus en plus, même encore aujourd’hui, dans la
mesure où certaines familles, notamment à Papaï-Chton, considèrent la
politique comme étant une « affaire familiale et lignagère »103 et non
« une chose de tout le monde »104 (chose publique). Cet « accapare-
ment » du pouvoir municipal par une famille, par exemple à Papaï-
Chton, est justifié par le fait que celui-ci est né en pays Boni par
l’action du Gran Man défunt, tolinga105.
A ces oppositions s’ajoutent également les clivages gauche/droite,
sources de tension et de fracture : désormais, naissent deux partis politiques
dans l’espace de vie des Boni du Lawa, des Djuka de Grand Santi, des Boni
d’Apatou : – Parti des vieux « gaan sama paltéï » tourné vers le gaul-
lisme106, aujourd’hui vers le chiraquisme (droite), – et le Parti des jeunes
« young man paltéï » tourné vers le parti socialiste guyanais (parti socialiste).
Ce phénomène se diffuse tout au long de l’axe fluvial Maroni-Lawa. En effet,
dans toutes les communes du fleuve, ce clivage gauche/droite fragilise tou-
jours les rapports entre les membres des sociétés fluviales. Les périodes élec-
torales sont très mouvementées : elles ont pour effet de souvent cristalliser les
points de vue. L’exercice de la démocratie génère alors une atmosphère de
violence pour les camps rivaux.
101 « Lo ».
102 Oppositions entre Djuka et Boni lors de la séparation de la commune de Grand Santi-
Papaï-Chton entre 1990 et 1994), à Apatou entre Amayota Gérard (de père Boni mais de
mère Djuka) pour son statut de maire, sans oublier celles entre Boni et Créoles de
Maripasoula entre 1985 (date à laquelle un premier Boni a été élu conseiller général du
canton de Maripasoula, puis maire de cette commune à partir de 1986) à nos jours.
103 « Famïï Sani, Lo Sani ».
104 « wi sani » (Chose publique).
105 Gran Man du « lo » des Cawina-nengue (Papaï-Chton).
106 D’ailleurs, Papaï-Chton connu sous le nom de Pompidouville, célèbre le président
Georges Pompidou, car elle fut inaugurée le jour où Georges Pompidou fut élu président
de la République française. En effet, le premier maire Boni, tolinga, fut reçu à l’Elysée
par le président Pompidou avec son ami Robert Vignon en 1971.
76 COMPRENDRE LA GUYANE D’AUJOURD’HUI
dans les couples boni, djuka, saramaka, paramaka génère, de la part des
hommes, de la frustration et développe un certain complexe d’infériorité par
rapport à une femme plus émancipée. D’ailleurs, parmi les causes du suicide
particulièrement important chez les hommes boni, djuka, paramaka depuis
ces dernières années, ne peut-on pas adjoindre cette donnée ? Le suicide et
les homicides, des phénomènes qui étaient rares deviennent une pratique fré-
quente109.
A cela s’ajoute le fait que l’homme djuka, saramaka, boni, paramaka,
voire amérindien n’est plus celui qui vivait de la chasse, de la pêche, de son
abatis (champ) ou de son artisanat, il est un ouvrier communal, un fonction-
naire, un chercheur, un chef d’entreprise (légale ou illégale). Par conséquent,
il n’est pas épargné par le mal qui frappe les sociétés dites modernes en l’oc-
currence : le chômage, l’exclusion, la mendicité, la clochardisation.
Désormais, on voit de jeunes Boni, Djuka, Saramaka, Paramaka, dormir sur
les trottoirs des villes du littoral guyanais (Cayenne, kourou, Saint-Laurent)
et celles du littoral surinamien (Paramaribo, Albina). Ce phénomène de clo-
chardisation était et demeure inconnu dans l’espace villageois.
Le manque d’emploi et d’avenir dans les communes du Maroni-Lawa
mais aussi dans les villages a pour conséquence directe, l’exode rural massif
des Bushinenge vers le littoral, phénomène commencé dès les années 1940. Il
s’accentue tout au long des années 1980 et surtout durant les années 1990.
Une fois arrivés en ville, ceux qui ont les moyens poursuivent leur route vers
la France et les Pays-Bas. Pour les « liba piking »110, la ville devient un rêve
et, croient-ils, une réponse à une intégration possible. Mais, en même temps,
surgissent des problèmes sociaux (promiscuité, hygiène, violence, vols,
agression, déculturation…) et identitaires. Cette évolution des Hommes de la
forêt (Bushinenge) vers un nouveau statut, celui d’Hommes de la ville
(« villinengue »), constitue une véritable mutation aux multiples consé-
quences.
Enfin, la question aurifère et celle de la violence qui lui est liée, marquent
aujourd’hui la société boni. La fin du xxe siècle fut caractérisée par l’irruption
d’un certain nombre de problèmes spécifiques, repérables au sein de toutes les
populations bushinenge de la Guyane française. A cet égard, sont éloquents
les titres des journaux aussi bien guyanais111 que nationaux112 : « Entre Far-
West et développement durable. Or « sang » contre or vert en Guyane fran-
çaise »113. C’est dire combien la situation politique, économique et sociale des
riverains du fleuve Maroni qu’ils soient Amérindiens, Djuka, Paramaka ou
Boni paraît complexe et préoccupante. Jadis, sacré pour ses habitants, parce
109 Comme c’est le cas de l’homme qui tue celui qui lui enlève sa femme.
110 (Les habitants du Fleuve).
111 France-Guyane et Rot Kozé.
112 Le Monde, Le Monde Diplomatique, L’Express.
78 COMPRENDRE LA GUYANE D’AUJOURD’HUI
que espace de liberté, le fleuve est désormais profané par la ruée vers l’or. Le
Maroni est souillé, sur le plan symbolique, par les orpailleurs, mais il l’est
aussi sur le plan écologique, à cause du mercure qui s’y déverse entraînant de
graves problèmes de santé publique. La « pureté » du fleuve semble dispa-
raître en même temps que les coutumes qui régissent ces sociétés ; c’est toute
une organisation culturelle et sociale qui semble s’écrouler car ces change-
ments s’accompagnent d’actes de violences répétées comme ceux qui se sont
déroulés dans les zones d’orpaillage de Maripasoula. Des pratiques qui étaient
jusque-là inconnues des Bushinenge en général deviennent réalité : prostitu-
tion, drogue, alcoolisme, suicide, vols, assassinats.
En guise de conclusion
Après une longue période d’hésitations (1776-1960), la France décide
durant les années 1960 de répondre à la demande d’intégration des Boni. Mais
celle-ci n’est pas sans conséquences, puisqu’elle plonge les Boni dans un nou-
veau système politique et un nouveau mode d’existence et de pensée auxquels
ils n’étaient pas préparés.
Par ailleurs, la situation s’est complexifiée depuis 1986, avec l’irruption
de la guerre civile du Surinam dans la vie des populations du Maroni. Pour y
échapper, beaucoup de Bushinenge119 qui vivaient au Surinam ont traversé le
Maroni pour rejoindre leurs « frères » Djuka et Boni installés sur la rive
française (Gauffre, 1988 : 100-111). Cette immigration des Bushinenge du
Surinam, notamment celle des Saramaka mais aussi celle des habitants de la
rivière de Cottica120, pose de nombreux problèmes. La politique d’immigra-
tion instaurée par la France dès l’éclatement du conflit, impose la nationalité
française à ses riverains. Aussi la police des frontières renvoit-elle régulière-
ment, à partir de Saint-Laurent-du-Maroni, tous les ressortissants surinamiens
à Albina121. Pourtant, de nombreux Bushinenge manifestent le désir de deve-
nir français ; certains vont même jusqu’à rejeter la nationalité surinamienne,
considérée comme moins « bonne » et moins « avantageuse » pour reprendre
l’expression commune des Bushinenge, d’autres vont utiliser les deux.
tous122, sans exception, veulent avoir une part du « gâteau français », selon
l’expression des Bushinenge d’aujourd’hui, c’est-à-dire bénéficier des avan-
tages sociaux offerts sur la rive française du Maroni.
118 Phénomène qui va s’accentuer dès la fin des années 1980, même les hommes entre 1988
et 1990 vont au Surinam assouplir leurs cheveux.
119 Descendants de noirs qui ont fui le système esclavagiste du Surinam dans la seconde moi-
tié du xVIIIe siècle.
120 Ce sont des Djuka pour la plupart.
121 Ville surinamienne située en face de Saint-Laurent-du-Maroni.
122 Qu’il soit Boni, Djuka ou Saramaka.
PREMIèRE PARtIE : PROBLéMAtIQUE DU DéVELOPPEMENt 81
Pour paraphraser René Dumont qui, dans son ouvrage intitulé Le mal
développement disait de l’Afrique qu’elle « est mal partie » – toutes choses
étant égales – on peut avancer l’idée que les sociétés bushinenge, sur ce plan,
sont aussi mal parties.
Même si la société boni est prise depuis longtemps dans le piège de la
modernité, chômage, insécurité, grèves, vols et violences villageoises devien-
nent aujourd’hui des réalités quotidiennes. La liste de ces problèmes semble
s’allonger sans que des solutions viennent à l’esprit des responsables poli-
tiques des communes du Maroni et du Lawa mais aussi de ceux qui siègent
dans les centres décisionnels du littoral. On peut se demander si une véritable
crise ne ronge pas les sociétés bushinenge.
Pour sortir de cette impasse, les Bushinenge cherchent des solutions vers
une meilleure intégration dans la société guyanaise. Si ceux qui sont scolari-
sés (certains atteignent le grade de bacheliers, d’aucuns poursuivent même
des études supérieures) et ceux qui possèdent un emploi s’en sortent relative-
ment bien, et il n’en est pas de même pour une majorité.
L’école peut jouer un rôle essentiel dans le processus d’insertion des
Bushinenge dans la société française, voire dans l’Union européenne. Une
telle entreprise, pour être efficace, exige une volonté politique des acteurs
concernés, une implication consciente des parents bushinenge citadins ou vil-
lageois ainsi que la mise en place délibérée de structures qui fonctionnent
réellement et prennent en compte les données environnementales, écono-
miques et culturelles des jeunes scolarisés. Les sociétés bushinenge sont à la
croisée des chemins dans un monde dominé par les systèmes marchands qui
« assignent à résidence » les précarisés qui, de ce fait, « sont en situation de
marronnage, avec ce que le terme comporte d’errances et de désespoir mais
aussi d’exigence et de dignité » (Moreau, 2006, 3).
BIBLIOGRAPHIE