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Résumé • Summary
La prévalence du prurit chez les patients hémodialysés chro- The prevalence of pruritus varies from 60% to 90% in
niques varie de 60 à 90%. Le but de cette étude était d’évaluer la patients receiving hemodialysis. The aim ot this study was to
fréquence du prurit ainsi que ses caractéristiques parmi une evaluate the frequency of pruritus and its characteristics among
population de patients marocains traités par hémodialyse. Les moroccan patients receiving hemodialysis. Pruritus related to pri-
patients ayant un prurit d’une autre cause que l’insuffisance mary skin disease or other identified cause than chronic renal
rénale chronique étaient exclus. Les paramètres cliniques et bio- failure was excluded. Biological parameters were compared
logiques des patients avec ou sans prurit ont été comparés. between patients with pruritus and those without.
Parmi 180 patients examinés, 134 présentaient un prurit soit Pruritus occured in 74,4% of hemodialysis patients and con-
74,4% (66 hommes, 68 femmes, moyenne d’âge 44,8 ± 14 cerned 66 men and 68 women, mean age 44,8 + 14 years. Dura-
ans). La durée de l’hémodialyse variait de cinq mois à dix ans. Les tion of hemodialysis varied between 5 months to 10 years. Main
principales caractéristiques du prurit étaient les suivantes : carac- characteristics of pruritus were a general pattern in 70%, mode-
tère diffus dans 70%, intensité modérée dans 50%, apparition rate intensity in 50%, appearence after dialysis in 81,2% and
après la séance d’hémodialyse dans 81,2% et un retentissement severe psychologic repercussion in 20,8%.
psychologique sévère dans 20,8% des cas. Le traitement par Antihistamines first-line treatment was rarely effective. UVB
antihistaminiques était sans effet. Dans sept cas, une photothé- radiation used in 7 cases leaded to a marked improvment.
rapie par UVB était spectaculairement efficace. This study underlined the high frequency of pruritus in
Cette étude a montré une fréquence élevée du prurit parmi moroccan patients with chronic renal failure on maintenance
les patients marocains insuffisants rénaux traités par hémodia- hemodialysis. Hemodialysis can initiate this symptom as well as
lyse périodique. L’hémodialyse peut initier ce symptôme comme improve it. Biological parameters were not different between
elle peut l’améliorer. Les paramètres biologiques n’étaient pas patients with or without pruritus. It also pointed out on thera-
significativement différents entre les patients avec prurit et ceux peutic challenges. However, UVB radiation seems to be an effec-
sans prurit. Le traitement demeure un véritable défi : il faut néan- tive therapy in intractable itching as well as increased frequence
moins insister sur l’efficacité de la photothétrapie UVB et l’hydra- of weekly courses of hemodialysis. Long term skin hydratation
tation cutanée au long cours, ainsi que l’augmentation de la fré- should be also highly recommended.
quence hebdomadaire des séances d’hémodialyse.
Mots-clés : Prurit – Hémodialyse – Insuffisance rénale chronique. Key words : Pruritus – Chronic renal failure – Hemodialysis.
articles originaux
● Abréviations
IRC : insuffisance rénale chronique PTH : parathormone
HD : hémodialyse UVB : ultraviolets B
Cette étude transversale a concerné tous les patients traités Patients Patients
avec prurit sans prurit
par hémodialyse périodique dans le Service de néphrologie du
(n = 134) (n = 46)
Centre hospitalier Ibn Rochd de Casablanca au Maroc. La
période d’étude se situait durant les mois d’octobre et de Age (ans; moyenne et écart-type) 44,8 ± 14 44,9 ± 15
décembre 1999. Le critère d’inclusion était la présence d’un pru- Sexe (M/F) 66/68 20/26
rit lié à l’hémodialyse chronique : les patients ayant un prurit
Durée de l’hémodialyse (mois) 81 ± 43,5 82,5 ± 46,9
d’une autre origine étant exclus. Nous avons ainsi éliminé les
prurits dus à la gale (notion de prurit familial, présence de sar- Causes de l’urémie
copte à l’examen des squames cutanés et/ou réponse au traite- • Néphro-angiosclérose 44 6
ment antiscabieux) ; à une dermatose prurigineuse cliniquement • Glomérulonéphrite chronique 28 6
visible (eczéma, psoriasis, etc.). Les dosages sanguins de trans- • Pyélonéphrite chronique 8 1
aminases, des sels biliaires et les examens parasitologiques des • Diabète sucré 8 2
selles permettaient d’éliminer les prurits dus à une parasitose
intestinale, une insuffisance hépatocellulaire ou à une choles- Hémoglobulinémie (g/100 ml) 7,7 ± 1,8 6,9 ± 1,8
tase. L’examen dermatologique a été réalisé par deux dermato- Urée sanguine (mmol/l) 27,8 ± 39,3 35,1 ± 20
logues. Ont été recueillies les données suivantes : âge, sexe, Créatininémie (µmol/l) 734,5 ± 244,2 623 ± 221,2
durée de l’hémodialyse chronique, nature de la néphropathie
causale, caractéristiques cliniques du prurit, sévérité du prurit Natrémie (mmol/l) 136 ± 4 135 ± 4
évaluée subjectivement par le retentissement sur les activités Kaliémie (mmol/l) 5,25 ± 1 4,77 ± 0,9
diurnes et le sommeil, lésions cutanées associées. Sur le plan bio-
Calcémie (mmol/l) 2,10 ± 0,3 1,96 ± 0,35
logique, les résultats des paramètres suivants ont été notés : uré-
mie, créatininémie, natrémie, kaliémie, phosphorémie, uricémie, Phosphorémie (mmol/l) 1,70 ± 0,78 1,96 ± 38
hormone parathyroïdienne, anticorps anti-virus de l’hépatite C. Uricémie (mg/l) 63,7 ± 16,6 66 ± 3,2
Le traitement prescrit pour le prurit a été précisé ainsi que l’évo-
Parathormone intacte (pg/ml) 308,6 ± 345 297 ± 343
lution. Nous avons comparé les données cliniques et biologiques
des patients ayant un prurit à celles des patients sans prurit par le Anticorps positifs pour le virus 63,4 66,7
test du x2 pour les variables discontinues et par les tests d’ana- de l’hépatite C
lyse de variance pour les variables continues.
nocturne chez 125 (93%) et diurne chez 114 (80%). L’intensité
était jugée modérée par 67 patients (50%), intense par 40
■ Résultats (29,8%) et très intense par 27 (52,9%). Des lésions cutanées
secondaires au grattage existaient chez 55 patients (41%), des
Parmi 187 patients hémodialysés dans ce centre, 184 ont été lésions de surinfection à type de croûtes purulentes dans huit cas,
interrogés et examinés. un épaississement des ongles dans 78 cas. Le retentissement psy-
Quatre présentaient un prurit non lié à l’hémodialyse (gale chologique du prurit était modéré dans 76 cas (58%), sévère dans
dans trois cas et un cas de candidose vulvo-vaginale). Parmi les 28 cas (20,8%), absent dans 28 cas (20,8%) et très sévère dans
180 patients inclus, 134 présentaient un prurit lié à l’hémodia- deux cas (1,5%). Les signes dermatologiques associés au prurit
lyse soit 74,4%. sont représentés dans le tableau II. La xérose ou sécheresse cuta-
née intense, observée chez 82% des patients, prenait un aspect
d’ichtyose dans deux cas. L’ongle équisegmenté ou « half and half
● Aspects cliniques et biologiques nail », caractérisé par une bande proximale blanche et une bande
distale normale ou pigmentée, a été retrouvé chez 85 malades.
Le tableau I résume les caractéristiques cliniques et biolo- Nous n’avons trouvé aucune corrélation entre la présence et la
articles originaux
● Caractéristiques techniques de l’hémodialyse continu n’étant retrouvé que dans un cas sur deux.1 Le dos était
préférentiellement atteint, suivi par les avant-bras sur le site de la
La durée des séances d’hémodialyse était de 5 heures à rai- fistule artério-veineuse. Lorsque le prurit est présent, il peut être
son de deux fois par semaine chez 108 patients et de 4 heures généralisé dans la moitié des cas.1,9 Dans ce travail, l’évaluation
trois fois par semaine chez les 72 autres. La membrane de dialyse de l’intensité du prurit n’a pas été réalisée par des mesures
était de type Cupropharm et a été réutilisée chez quinze objectives, telles qu’une échelle visuelle analogue. Un question-
malades. La restérilisation des dialyseurs se faisait à l’hypochlo- naire spécifique du prurit est en cours de validation chez les
rite de sodium. L’anticoagulant utilisé était l’héparine standard. patients urémiques.10 Néanmoins, on peut estimer que l’inten-
La température du dialysat était de 37°C et la concentration du sité du prurit restait modérée dans un cas sur deux, alors qu’elle
calcium de 1,75 mmol/l. Au moment de cette étude, aucun peut être assez sévère dans 8 à 40% des cas.3 Le grattage intense
patient ne recevait de l’érythropoïétine.
peut induire secondairement des excoriations cutanées, des
lichénifications ou épaississements de la peau, voire des surinfec-
tions. Le prurit ne paraît pas influencé par des facteurs tels que
■ Discussion l’âge, le sexe ou la nature de la pathologie rénale sous-
jacente.1,3,11 Le facteur saisonnier n’a pas été exploré du fait de la
Il ressort de cette étude que trois quarts des hémodialysés courte période d’inclusion.
chroniques ont un prurit lié à l’hémodialyse, corroborant ainsi les
séries de la littérature où la prévalence du prurit dépasse 86%.1-3
Stricto sensu, le prurit lié à l’insuffisance rénale chronique et ● Aspects biologiques
apparaissant avant l’institution de l’hémodialyse ne doit pas être
confondu avec le prurit apparu dans les suites de l’hémodialyse. Dans cette étude, les paramètres biologiques n’étaient pas
Cependant, en pratique quotidienne, cette distinction est peu significativement différents dans les deux groupes avec ou sans
utile. La survenue du prurit n’apparaît pas liée à l’ancienneté de
articles originaux
prurit ; cette constatation a été faite dans plusieurs séries.3,11 Il
l’hémodialyse.8 Dans la majorité des cas, le prurit apparaît après semble que les patients ayant un prurit sévère aient des taux san-
le début des séances d’épuration extrarénale. Ainsi, près d’un guins plus élevés de parathormone (PTH).9 Au stade terminal de
quart des patients présentent un prurit uniquement durant ou l’insuffisance rénale, il se développe un hyperparathyroïdisme
juste après la séance d’hémodialyse, comme c’est le cas dans secondaire pouvant être responsable de prurit : certains patients
notre série, alors que 67% des patients de Gilchrest ont un prurit
ont été spectaculairement soulagés de leur prurit après para-
au cours de la séance elle-même.8 Dans cette dernière étude
thyroïdectomie.I Cependant, Cho et coll. ont bien montré qu’il
concernant 237 patients, l’évaluation du prurit était faite par
n’existait pas de corrélation positive entre le taux de PTH et la pré-
questionnaire envoyé par la poste, ce qui pourrait expliquer un
sence du prurit ainsi que de son intensité.12 Un certain nombre
chiffre aussi éloigné de nos résultats.8
d’arguments plaident contre le rôle de la PTH dans la genèse du
prurit tels que la récidive du prurit après parathyroïdectomie, l’ab-
● Aspects cliniques sence de corrélation entre les taux sanguins de PTH et le prurit, la
présence de prurit sévère chez les patients ayant des taux bas de
Près de 70% de nos patients rapportaient des épisodes inter- PTH et à l’inverse l’absence de prurit chez des patients ayant des
mittents de prurit, ce qui est le cas le plus fréquent, le prurit taux élevés de l’TH.1,13 Un lien a été suggéré entre le prurit et le
● Etiopathogénie
cité constante et spectaculairement rapide. Plusieurs auteurs ont Clinical features of pruritus among patients undergoing maintenance
hemodialysis. Arch Dermatol 1982 ; 118 : 154-6.
montré l’intérêt de l’intensification de la dialyse pour réduire le
prurit : 6,7 dans notre contexte, le facteur limitant de cette intensi- 9. Stahle-Backdahl M. Uremic pruritus. Seminars in Dermatology 1995 ; 14 :
fication est représenté par le peu de disponibilité des machines 297-301.
par rapport au nombre élevé des malades. Deux essais avec la 10. Yosipovitch G, Zucker I, Boner G, Gafter U, Shapira Y, David M. A ques-
naltrexone (S0 mg/j/4 semaines ou 7 jours) ont été réalisés avec tionnaire for the assessment of pruritis : Validation in uremic patients.
des résultats contradictoires.19,20 Sur le plan local, l’application Acta Derm Venereol 2001 ; 81 : 108-11.
d’émollients est bénéfique et parfois suffisante14 et la prescrip- 11. Balaskas EV, Bamihas GI, Karamouzis M, Voyiatzis G, Tourkantonis A. His-
tion doit être généralisée à nos patients malgré le coût élevé de tamine and serotonin in uremic pruritus : Effect of ondansetron in CAPD
ces topiques qui ne sont pas remboursables. La capsaïcine, anta- pruritic patients. Nephron 1998 ; 78 : 395-402.
goniste de la substance P, s’est révélée efficace en crème dosée 12. Cho Y-L, Liu H-N, Huang T-P, Tarng D-C. Uremic pruritus : Roles of parathy-
à 0,025 sur le prurit localisé mais nécessite cependant quatre roid hormone and substance P. J Am Acad Dermatol 1997 ; 36 : 538-43.
applications quotidiennes.12 Des conseils hygiéno-diététiques 13. Stahle-Backdahl M. Uremic pruritus. Clinical and experimental studies.
tels que le régime pauvre en calcium semblent donner de bons Acta Derm Venereol (Stockh) 1989 ; 1 (Suppl. 45) : 1-38.
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