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Littératures plurielles
1 | 1996
Langages et cultures
Structure du mythe
The Structure of Myth
Estructura del mito
Patrick Hubner
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/babel/3126
DOI : 10.4000/babel.3126
ISSN : 2263-4746
Éditeur
Université du Sud Toulon-Var
Édition imprimée
Date de publication : 1 novembre 1996
Pagination : 7-21
ISBN : 2-87817-049-0
ISSN : 1277-7897
Référence électronique
Patrick Hubner, « Structure du mythe », Babel [En ligne], 1 | 1996, mis en ligne le 21 mai 2013, consulté
le 23 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/babel/3126 ; DOI : 10.4000/babel.3126
Babel. Littératures plurielles est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons
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The Structure of Myth
Estructura del mito
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don Juan - peut-on parler d’un mythe de don Juan ? -, mais l’essentiel réside dans
l’utilisation de la notion de structure pour aborder ce mythe littéraire.
10 Jean Rousset ne cache pas ses emprunts à l’analyse structurale de Lévi-Strauss lorsqu’il
reconnaît une « structure permanente » donnant aux événements du mythe une
organisation particulière. Ainsi le mythe de don Juan comporterait trois unités
constitutives que Rousset assimile à ces trois invariants : premièrement la Mort, l’Invité
de Pierre tel qu’il apparaît dès la version inaugurale de Tirso dans le titre même
(« Burlador de Sevilla y Convidado de Piedra »), figure fondamentale sans laquelle
l’histoire de don Juan serait privée de substrat mythique ; ensuite le Héros qui est
entièrement déterminé par ses rapports avec le Mort, puisqu’il l’a tué, l’a de nouveau
défié mais en recevra le châtiment final, ce qui montre d’ailleurs l’importance des
relations entre les trois invariants au sein d’une « structure permanente » ; le groupe
féminin enfin, troisième figure constituée d’une série de victimes, indispensable à la
définition de l’inconstance du héros et témoignant de sa manie de toujours répéter
l’entreprise de séduction. Si Rousset souligne à ce stade de l’analyse sa dette à l’égard de
la méthode structurale de Lévi-Strauss, il se garde déjà d’en accepter toutes les
conséquences. Toutefois, il pousse le scrupule jusqu’à dégager du mythe de don Juan une
structure logique (synchronique) en mettant, selon ses propres termes, le corpus en pile
et en superposant un des trois grands mythèmes, par exemple le Mort dans ses
apparitions. Il en ressort que le Commandeur apparaît trois fois et en alternance dans
deux lieux différents et thématiquement opposés : d’abord le lieu sacré - église, mausolée
ou cimetière - où le Commandeur est invité à souper par le profanateur, ce qui constitue
l’outrage du Mort par le vivant ; chez don Juan ensuite, durant le souper, où le Mort
réapparu invite don Juan à son tombeau ; enfin dans le lieu sacré de nouveau où prennent
place le repas funèbre et la descente aux enfers. Si cette séquence à trois volets définit la
« structure permanente » repérable de Tirso à Molière, jusqu’à la reprise romantique de
Zorilla, il est une célèbre infraction à la règle : l’opéra de Mozart, comme l’opéra vénitien
dont s’est inspiré Da Ponte, confond les deux derniers lieux, ce qui modifie et radicalise le
dénouement, la catastrophe se produisant chez don Juan et le pécheur étant frappé par la
mort en pleine débauche. Cela prouve la nature structurale du système établi par Rousset,
étant donné que la modification d’une des composantes entraîne un changement de
signification. Mais demeure le problème majeur inhérent au succès même de ce mythe
littéraire dans l’impossible comparaison de toutes les versions préconisée par Lévi-
Strauss pour découvrir la loi structurale.
11 Non seulement Lévi-Strauss préconise de rassembler l’ensemble des versions du même
mythe, mais il suggère l’étude de variantes éloignées, par exemple celles relatives à
Dionysos, cousin matrilatéral d’Œdipe, dont la confrontation seule peut aboutir selon lui à
la loi structurale du mythe. Si le projet est réalisable quand il s’agit du domaine
circonscrit des mythes zuni d’origine et d’émergence (environ 800 mythes), il s’agit bien
en ce qui concerne les mythes littéraires d’une « impossible somme », comme l’a souligné
Pierre Brunel dans son étude du mythe d’Electre. Comme ce mythe appartient au même
fonds littéraire grec que celui d’Œdipe, Pierre Brunel s’est essayé à son analyse
structurale en fonction du modèle proposé par Lévi-Strauss et il en ressort
d’intéressantes comparaisons : les rapports de parenté s’y trouvent curieusement
inversés dans leurs structures élémentaires ; la destruction des monstres y souligne la
répétition de l’acte divin - Oreste luttant avec les armes d’Apollon contre les Erinyes nées
du sang répandu sur le sol, ne fait que répéter le geste du dieu tutélaire tuant le serpent
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Pythô et le dragon femelle, évidents symboles chtoniens - ; enfin, l’étymologie des noms
propres, qu’il s’agisse d’Agamemnon - mémoire et admiration -, de Clytemnestre - celle
aux illustres prétendants -, d’Electre - la brillante - ou d’Oreste - celui de la montagne -,
souligne l’élévation tant physique que morale, mais aussi le péché d’orgueil, versant
négatif de cette élévation. Dans la perspective d’une comparaison généralisée, préconisée
par Lévi-Strauss, rapprochant l’abandon d’Œdipe - pied enflé - de celui de son cousin
matrilatéral, Dionysos Loxias - marchant de travers -, il serait possible d’envisager des
similitudes structurales entre le mythe d’Electre et celui d’Alcméon ; par exemple, la
vengeance posthume du père ou encore le meurtre de la mère par le fils, jusqu’à
l’acharnement des Erinyes sur le meurtrier. Mais il s’agit bien à plus grande échelle d’une
« impossible somme », tellement sont nombreuses les similitudes structurales entre
mythes, comme déjà le sont les variantes d’un seul et même mythe. S’impose
nécessairement une révision de la notion de structure pour mieux l’adapter aux mythes
littéraires.
12 Toute une série de variations sur la notion de structure marque l’intervalle entre l’
Anthropologie structurale et Les Structures anthropologiques de l’Imaginaire, « introduction de
l’archétypologie générale » présentée en 1960 par Gilbert Durand. Avant même que Paul
Ricœur fasse une critique en règle du formalisme de Lévi-Strauss dans l’article paru en
1963 dans la revue Esprit sous le titre-programme « Structure & herméneutique », Durand
revenait déjà sur l’analyse structurale des mythes, dans une rubrique significativement
intitulée « Mythes et sémantisme » où se trouve clairement rejetée la tentation que Lévi-
Strauss a eue d’assimiler le mythe à un langage et ses composantes symboliques aux
phonèmes : le « niveau plus élevé » ne serait pas selon G. Durand « celui de la phrase »
mais serait le niveau symbolique, ou plutôt archétypal, fondé sur 1’« isomorphisme » - ou
mieux 1’« isotopisme » - des symboles au sein des « constellations structurales ». À la
place des « paquets de relations », Durand voit des « paquets de significations » et le
mythe serait en fait constitué d’un « essaim d’images », formule empruntée à
l’ethnologue politicien Jacques Soustelle. C’est pourquoi, aux yeux de Durand, l’épaisseur
sémantique du mythe dépasse l’idée d’harmonie, fût-elle musicale, et il s’agirait plutôt
d’un « palais de miroirs » où chaque mot renvoie en tout à des significations cumulatives,
si bien qu’il ne pourrait pas y avoir d’équivalence véritable entre le concept de structure
et les processus formels logiques. Gilbert Durand reconnaît cependant qu’il est possible de
conserver du modèle structural proposé par Lévi-Strauss les deux facteurs d’analyse
suivants : d’une part, l’analyse diachronique du déroulement discursif du récit mythique ;
d’autre part, l’analyse synchronique à deux dimensions, à l’intérieur du mythe à l’aide de
la répétition des séquences, à l’extérieur du mythe à l’aide d’une comparaison avec
d’autres mythes semblables, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité - « impossible
somme » ! -. La clef sémantique du mythe serait moins dans la loi structurale que dans
l’analyse des « isotopismes symboliques et archétypaux » par la mise en évidence du
caractère matériel des structures du mythe et la mise en valeur de leur caractère
sémantique à côté des formes syntaxiques de ce mythe. En fait, dans l’alignement
synchronique des thèmes mythiques réalisé par Lévi-Strauss se glissent des indices
purement qualitatifs, et non pas relationnels comme le prétend l’appellation « paquets de
relations » : par exemple, dans la troisième colonne, la qualité monstrueuse et chtonienne
du Dragon ou du Sphinx importe plus que la relation proprement dite, et la quatrième
colonne n’insiste que sur l’élément sémantique et étymologique de l’infirmité, discutable
aux yeux de Gilbert Durand, déjà hypothétique dans la présentation que Lévi-Strauss en
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fait. Il reste par ailleurs à envisager le rapport entre la structure permanente du mythe et
les incidentes géographiques et historiques, déterminant son devenir littéraire.
13 Par-delà la relative permanence des structures mythiques - ainsi ladite « structure
permanente » du mythe de don Juan définie par Jean Rousset -, s’opèrent de multiples
distorsions des structures de base dans le devenir littéraire des mythes, comme le précise
Gilbert Durand dans une plus récente mise au point de l’analyse structurale, publiée en
1978 sous le titre : « Pérennité, dérivations et usure du mythe ». Une critique de la notion
de structure semble encore s’imposer car, en français, le terme se fond trop facilement
dans le mot « forme » ; en allemand, en revanche, se distinguent du mot « Form » (cf.
« Einsfache Formen » d’André Jolies), les termes de « Gestalt (cf. « Gestalt-theorie ») et de
« Aufbau » où le préfixe « auf » souligne le caractère dynamique également présent dans
l’étymologie latine du terme « structure » (de « struere », construire). La notion de
structure est à utiliser dans ce sens dynamique qui seul peut rendre compte des
métamorphoses littéraires d’un mythe, soit par « amplification », c’est-à-dire par
modification ou intrusion de mythèmes dans les colonnes mythémiques, soit par
« schématisation » ou appauvrissement. Le seuil critique de pareilles « dérivations »
apparaît lorsque l’on perd la structure de base de l’ensemble constitutif, ce que Durand
définit concrètement comme 1’« usure » du mythe. Si l’imposant catalogue de Raymond
Trousson sur le mythe de Prométhée dans la littérature européenne suffit à démontrer la
permanence d’une structure mythique dans son devenir littéraire, l’analyse du Prométhée
mai enchaîné d’André Gide laisse entrevoir un vidage total de la substance mythémique, en
raison du contre-pied que l’auteur a pris par rapport à la figure philanthropique de la
tradition ; il fait par exemple dire à son personnage descendant de l’Opéra à la Madeleine
parce qu’il en a assez d’être sur le Caucase : « Je n’aime pas l’homme mais j’aime ce qui le
dévore [...] », ce blasphème esquissant la figure d’un anti-Prométhée.
14 Quelques conclusions peuvent être tirées de la confrontation des travaux de Jean Rousset
avec ceux de Gilbert Durand. Pour commencer, un mythe littéraire n’existe que par une
série de mythèmes figuratifs et il faut un certain nombre de colonnes fixes dans le tableau
qui les recense ; ainsi, pour prendre un exemple-limite, que sait-on vraiment de Protée, si
ce n’est qu’il change de forme ? Par conséquent, il s’agit moins d’un mythe que d’une
allégorie du changement ou de la métamorphose, A défaut de loi structurale véritable,
s’impose cet axiome : la fragilité du mythe est inversement proportionnelle à sa richesse
en mythèmes. Ensuite, il convient de noter que le mythe ne se conserve jamais à l’état pur
dans son devenir littéraire. En ce qui concerne ce devenir, il existe des possibilités
d’enrichissement du mythe par captage d’autres séries mythémiques souvent proches,
par la figure biblique du Christ se surimposant à celle de Prométhée par exemple, comme
des possibilités d’appauvrissement jusqu’à la simple allégorie, dans le cas de Protée. Enfin
s’affirme de nouveau la nécessité d’aménager l’analyse structurale en fonction de règles
plus souples tenant compte de la richesse du symbolisme sous-jacent dans nombre de
mythes littéraires.
15 C’est par le biais de la notion de « schème », terme moins marqué que celui de
« structure », qu’il faudrait peut-être envisager l’approche du mythe littéraire. Emprunté
à la terminologie de Gilbert Durand, le « schème » désigne une relation simple entre deux
principes contraires suscitant le drame. Quant à 1’« archétype » qui donnerait son
impulsion au mythe, il faudrait également souligner son ambivalence, puisqu’il réunit à
l’intérieur d’une même relation deux schèmes inverses, comme le signale Pierre Brunel
revenant sur la définition trop univoque de Durand. L’idée d’une profonde ambivalence
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16 Parmi les caractères déterminants du mythe littéraire, Philippe Sellier a rappelé qu’il
s’agit d’un récit régi par une logique de l’imaginaire, marqué par la pureté et la violence
toute particulière des oppositions structurales, et déterminé par une fonction socio-
religieuse. Ces caractères nécessaires et suffisants pour la définition d’un mythe littéraire
justifient une approche syncrétique, étant donné que la référence à une logique de
l’imaginaire peut notamment renvoyer aux travaux de Gilbert Durand, comme à Jung et à
Bachelard, que le jeu des oppositions structurales s’éclaire à la lumière du modèle
proposé par Lévi-Strauss, tandis que la motivation socio-religieuse fait écho aux études de
Georges Dumézil et de Mircea Eliade, pour ne citer que quelques noms.
17 Un prudent syncrétisme semble donc s’imposer pour le décryptage des mythes
littéraires : tout effort de traduction d’un mythe risque d’être trahison si l’on oublie cette
marge d’irréductibilité du mythe à toute structure, qu’elle soit logique, archétypale ou
sacrée, car enfin cette marge semble être le lieu même où s’inscrit la possibilité d’un
devenir littéraire.
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BIBLIOGRAPHIE
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J. ROUSSET, Le mythe de don Juan, « Coll. U prisme », Paris, Armand Colin, 1978. Philippe Sellier, Le
mythe du héros, Paris, Bordas, 1970.
RÉSUMÉS
Cette analyse structurale du mythe littéraire s'appuie sur les travaux de Claude Lévi-Strauss et
montre la tension productive entre les notions de structure et de mythe littéraire, tension qui
devient la source abondante de signifiants polyphoniques.
This in-depth analysis of the structural law which shapes the literary myth is based on Claude
Lévi-Strauss’s works, and shows that there exists a fruitful tension between the notions of
structure and literary myth, a tension which becomes an abundant source of polyphonic
meanings.
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Con la ayuda de los trabajos de C. Lévi-Strauss, G. Durand y J. Rousset, se intenta dar una brillante
análisis de la ley estructural del mito literario. La noción de estructura y la de mito literario
mantienen entre sí una tensión fecunda, fuente inagotable de la riqueza polifónica de los
significados.
INDEX
Keywords : anthropology, structure, Oedipus myth, mythème, invariant, system
Palabras claves : antropología, estructura, mito de Edipo, mythème, invariante, sistema
Mots-clés : anthropologie, structure, mythe d’Œdipe, mythème, invariant, système
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