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La révolution

finlandaise
de 1918
(Maurice Carrez)
LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 23

Si la révolution finlandaise est souvent occultée,


Victor Serge y consacre 13 pages
dans son An I de la révolution russe (1).
Ce sous-chapitre commence par les lignes suivantes : “Le traité
de Brest-Litovsk consommait le sacrifice du prolétariat
finlandais, sur lequel les révolutionnaires russes fondaient avec
raison de grands espoirs. Si, en effet, la Russie était, ce que
Lénine souligna maintes fois, l’un des pays les plus arriérés
de l’Europe, la Finlande était un des pays les plus avancés
du monde” (pp. 241-242).
Il caractérise ainsi la révolution dirigée par les sociaux-
démocrates : “Ils entendaient établir, sans expropriation
des classes riches ni dictature du travail, une démocratie
parlementaire au sein de laquelle le prolétariat eût été
la classe politiquement dirigeante” (p. 245).
Il conclut son récit de la révolution
et de son écrasement sanglant par les partis bourgeois
finlandais sur ces lignes, qui soulignent l’influence
de cet événement sur la révolution russe : “Les tueries
de Finlande ont lieu en avril 1918. Jusqu’à ce moment, la
révolution russe a, presque partout, presque toujours fait preuve
vis-à-vis de ses ennemis d’une grande magnanimité.
Elle n’a pas usé de la terreur. Nous avons mentionné
quelques sanglants épisodes de la guerre civile dans le Midi,
ils sont exceptionnels. La bourgeoisie victorieuse d’un petit pays
qui compte parmi les plus éclairés de l’Europe
rappelle la première au prolétariat russe
que malheur aux vaincus est la loi des guerres sociales” (p. 254).
L’article de Maurice Carrez est à la fois
un récit des principales péripéties de cette révolution
et une analyse de ses origines et de son développement.

(1) Editions de Delphes, 1965.

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LA RÉVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

Une révolution...
défensive (1)

L
E 28 janvier 1918, une révolu- depuis montré l’inanité d’une telle inter-
tion éclata en Finlande (2). Le prétation. Pis, des travaux récents met-
pays, qui venait d’accéder à tent en lumière la manière dont les auto-
l’indépendance le 6 décembre rités blanches tentèrent de maquiller les
1917, se trouvait alors dans une situation massacres dont elles se rendirent parfois
socio-économique dramatique : graves coupables (3)…
problèmes d’approvisionnement, chômage Ces faits justifient à eux seuls qu’on
massif, effondrement du niveau de vie s’intéresse à cet épisode trop peu connu
étaient le quotidien des couches popu- de l’histoire du Vieux Continent. Il
laires, voire d’une partie des classes convient de s’interroger à la fois sur ses
moyennes. L’armée allemande n’atten- causes, ses modalités et ses consé-
dait qu’un signe pour intervenir sur le quences immédiates ou lointaines. Dans
sol de l’ancien grand duché ; elle était le cadre de ce court article, nous nous
pressée de mettre à genoux l’adversaire contenterons de mettre l’accent sur l’en-
russe, qui était aux abois depuis bientôt grenage événementiel menant à l’affron-
deux ans et se voyait contraint de négo- tement, sur les principales phases du
cier à Brest-Litovsk les conditions d’une conflit et sur les effets politiques de la
paix humiliante.
La guerre civile qui s’ensuivit fut
d’une terrible intensité. Durant les com- (1) Cet article est la transcription écrite de trois
bats, des milliers d’hommes et de des quatre parties d’une conférence donnée au
femmes trouvèrent la mort. Mais la dé- CERMTRI en mai 2003. Il manque en particulier,
pour des raisons strictement éditoriales, la ré-
faite des rouges, accélérée par le débar- flexion initiale sur les causes profondes de l’évé-
quement de la division Von der Goltz, nement.
entraîna une répression impitoyable, où (2) Deux ouvrages de nature universitaire peu-
périrent près de 10 % de la classe vent rendre compte de l’événement, avec des pré-
supposés et des interprétations différents : Antho-
ouvrière. Ce lamentable épisode n’émut ny Upton, The Finnish Revolution, Minneapolis,
guère en son temps la presse bourgeoise 1980 ; Viktor Holodkovski, Finliandskaïa Revo-
européenne. Au contraire, les vainqueurs lioutsia 1918 goda, Moscou, éditions du Progrès,
réussirent à construire la fable d’un châ- 1978.
timent proportionné à la monstruosité (3) Heikki Ylikangas, Tie Tampereelle (“La Route
vers Tampere”), Helsinki, WSOY, 1993. Marko
des actes commis par des révoltés san- Tikka et Antti Arponen, Koston kevät (“Le Prin-
guinaires. De nombreuses recherches ont temps de la vengeance”), Helsinki, WSOY, 1999.

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LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 23

répression de masse. Nos lecteurs auront morts, une intervention des Cosaques et
ainsi, nous l’espérons, les éléments de des dizaines d’arrestations, parfois arbi-
base pour apprécier l’importance de cette traires. L’année suivante, des éléments
tranche d’histoire du mouvement ou- qualifiés d’anarchisants avaient réalisé
vrier. quelques braquages “révolutionnaires”,
que la direction social-démocrate s’était
empressée de condamner (4).
Aux origines immédiates Ces épisodes n’avaient cependant pas
la même importance que ceux de l’année
du conflit : 1917. L’écroulement soudain du tsarisme
la conjoncture politique en Russie créa alors un vide institution-
nel propice aux turbulences. Les so-
de mars 1917 ciaux-démocrates l’avaient certes pro-
à janvier 1918 nostiqué par le passé, mais dans un ave-
nir plus lointain. Otto Wilhelm Kuusi-
Il est bien évident que les causes de nen, le meilleur analyste du parti dans ce
la révolution finlandaise ne peuvent être domaine, avait prévu, dans deux séries
réduites à de simples événements poli- d’articles parus en 1911, puis en 1914,
tiques. Il faudrait aussi faire référence à que le tsarisme pourrait se prolonger en-
l’évolution des structures sociales, aux core avec l’appui des classes dirigeantes
bouleversements d’ordre culturel et men- russes, sauf si des événements imprévus,
tal de la fin du XIXe siècle, ainsi qu’à la une guerre par exemple, venaient le sa-
montée du sentiment national et à ses per de l’intérieur. Il ne pensait pas
contradictions. Nous n’avons malheu- qu’une révolution pût éclater dans l’im-
reusement pas le temps de traiter ici ces médiat. Il fallut donc improviser des
aspects essentiels de la question. Signa- lignes successives, toujours mises en pé-
lons simplement qu’ils font l’objet de ril par les rebondissements politiques en
débats passionnants entre historiens, les Russie et la relative lenteur des canaux
uns estimant que la révolution est plutôt d’information entre Petrograd et Helsinki.
La question nationale, très présente de-
une parenthèse dans la tradition intégra-
puis le début du règne de Nicolas II, évo-
tive du mouvement ouvrier (Risto Ala-
lua en outre très rapidement. On passa en
puro), les autres considérant qu’elle est
quelques mois chez tous les protago-
en partie le fruit des contradictions so-
nistes finlandais d’une problématique de
ciales (Pertti Haapala) ou bien la consé-
l’autonomie élargie à une problématique
quence d’un ressentiment construit par
de l’indépendance ; cela entraîna des
les acteurs (Jari Ehrnrooth).
jeux subtils de la part des partis bour-
Cela dit, les facteurs strictement poli- geois et des sociaux-démocrates pour se
tiques ont compté. Avant 1917, par prendre mutuellement de vitesse en
exemple, la Finlande avait été touchée conquérant à leurs vues l’opinion, fonda-
par la vague révolutionnaire de 1905. En mentalement hostile désormais à la tu-
novembre de cette année-là, la grande telle impériale. Dans le même temps, la
grève patriotique avait rapidement abouti population, tenaillée par la disette, han-
à des tensions assez graves entre les pre- tée par le spectre du chômage et la peur
mières gardes rouges du capitaine Kock des désordres, exigeait des mesures im-
(connu pour ses sympathies socialistes médiates pour améliorer la situation.
révolutionnaires) et les gardes civiques Dès que fut connue l’abdication du
commandées à Helsinki par le capitaine tsar, les principales formations politiques
Theslöff. Au mois d’août 1906, dans le
cadre de la révolte des marins russes de (4) Sur toutes ces questions, le meilleur auteur est
Viapori (la forteresse commandant le Antti Kujala, Vallankumous ja kansallinen it-
port d’Helsinki), elles avaient abouti à semäärämisoikeus. Venäjän sosialistiset puolueet
des échanges nourris de coups de feu sur ja suomalainen radikalismi vuosisadan alussa
(“Révolution et autodétermination nationale. Les
le marché populaire d’Hakaniemi, au partis socialistes russes et le radicalisme finlan-
nord de la capitale. Il y avait eu plusieurs dais au début du siècle”), Helsinki, 1989.

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LA RÉVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

finlandaises se précipitèrent à Petrograd. nationale de Stockholm dénoncèrent cette


La direction du SDP (Parti social-démo- orientation “nationaliste” des camarades
crate) envoya pour sa part une délégation finlandais : Branting et Kautsky y allè-
pour s’enquérir de la situation ; compo- rent de leur couplet contre l’égoïsme du
sée d’Oskari Tokoi, Karl Wiik et Väinö SDP vis-à-vis de la révolution russe. De
Tanner, elle envoya dès le 17 mars un té- même, les zimmerwaldiens et Karl Ra-
légramme à la commission exécutive du dek se déclarèrent surpris par une telle
parti. Une deuxième délégation partit orientation. Seule la direction bolche-
dans les jours suivants, avec Tokoi, Kuu- vique (par le biais d’Alexandra Kollon-
sinen, Gylling et Manner, afin d’entamer taï) apporta son soutien, parce qu’elle
des tractations avec le gouvernement avait compris que cela mettait en diffi-
provisoire russe. Elle exigea non seule- culté le gouvernement provisoire. Le
ment le retour à l’ancienne autonomie, sommet de cette orientation socialo-na-
mais des réformes institutionnelles, ainsi tionaliste fut atteint le 18 juillet 1917,
que la promulgation de toutes les lois quand la majorité parlementaire vota la
votées par le Parlement finlandais et jus- “loi sur la répartition des pouvoirs” (Val-
qu’alors repoussées par le souverain. Les talaki), due à la plume habile de Kuusi-
sociaux-démocrates, qui disposaient de- nen. Ce texte, que les sociaux-démo-
puis 1916 de la majorité des sièges à la crates ne voulurent pas faire ratifier par
Chambre et pouvaient prétendre à la di- le gouvernement provisoire, dont ils esti-
rection du Sénat (nom attribué à ce qui maient la chute prochaine, n’exigeait pas
tenait lieu de gouvernement autonome), l’indépendance directe, mais une autono-
souhaitaient sans doute voir si le jeu en mie élargie et la souveraineté du Parle-
valait la chandelle. En réalité, aucune ment finlandais dans les affaires inté-
formation n’était pressée d’accéder au rieures. Les partis bourgeois, dans leur
pouvoir : les partis bourgeois, parce majorité, y étaient hostiles, car ils crai-
qu’ils étaient minoritaires, se méfiaient gnaient des représailles russes et ne vou-
du gouvernement provisoire et crai- laient pas être dessaisis par leurs adver-
gnaient d’assumer les responsabilités de saires du prestige que le combat nationa-
la crise socio-économique ; le SDP, parce liste leur avait conféré. Ils pariaient sur
qu’il était divisé à propos de la participa- une stabilisation du pouvoir en Russie,
tion gouvernementale. qui leur serait plus favorable pour re-
Finalement, après quelques péripé- prendre la main. Sur le plan socio-éco-
ties, les sociaux-démocrates acceptèrent nomique, d’ailleurs, les choses s’avé-
de former un gouvernement mixte avec raient très délicates pour le gouverne-
six des leurs et six bourgeois en congé ment Tokoi. Il y avait, bien sûr, quelques
de parti, présidé par Oskari Tokoi. Ils succès d’estime, comme la loi des huit
prenaient ainsi le risque d’apparaître heures et la réforme démocratisant les
comme des gestionnaires de la crise et municipalités. Mais le monde du travail
de se trouver en porte-à-faux avec des attendait bien davantage, en particulier
masses radicalisées. Anthony Upton y dans le domaine de l’approvisionnement.
voit de l’aventurisme face à un pari im-
possible. Je pense, pour ma part, qu’ils
n’avaient guère le choix s’ils voulaient De nombreuses grèves
éviter de recourir à de nouvelles élec-
tions générales, pari encore plus risqué. et manifestations
Très vite, Tokoi, plus ou moins appuyé
par le groupe parlementaire et la direc- De nombreuses grèves et manifesta-
tion du parti, mit l’accent sur le renforce- tions pour l’augmentation des salaires et
ment de l’autonomie pour essayer d’élar- les huit heures avaient émaillé le prin-
gir le soutien à son gouvernement. Le 20 temps, y compris dans le secteur agricole.
avril, il tint devant le Parlement un dis- Les résultats obtenus se heurtaient toute-
cours remarqué, où il fixait comme terme fois à la pénurie de biens de consomma-
l’indépendance. Les socialistes qui ve- tion courante, qui faisait augmenter les
naient de se réunir à la conférence inter- prix de façon dramatique. Or les canaux
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LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 23

habituels d’approvisionnement étaient geoises, de l’autre, semblait un proces-


désorganisés par le blocus de la Baltique sus irréversible. Même un dirigeant so-
et la déliquescence de l’agriculture russe. cial-démocrate réputé modéré, comme
Les responsables socialistes avaient le Yrjö Mäkelin, ne croyait plus en la pos-
plus grand mal à calmer les esprits. Le sibilité d’une action concertée dans le
sénateur Tanner se fit même huer par les domaine du maintien de l’ordre. Au de-
métallos en grève de Turku en voulant meurant, la croissance très rapide des
leur prêcher la patience. De leur côté, la gardes civiques indiquait que les bour-
droite et les agrariens critiquaient l’ac- geois en avaient pris leur parti (6).
tion des sociaux-démocrates et les accu- Le tournant décisif fut cependant
saient d’irresponsabilité dans les conflits l’échec du soulèvement bolchevique de
du travail. Selon eux, Tokoi utilisait la dé- juillet 1917 et la décision du nouveau
magogie pour se maintenir en place (5). gouvernement provisoire de Kerenski de
dissoudre le Parlement finlandais.
C’était pour les sociaux-démocrates au-
L’effondrement tochtones un véritable scandale, qui les
de l’appareil policier obligeait à remettre en cause leur straté-
gie, plutôt conciliante jusque-là vis-à-vis
issu du tsarisme de la bourgeoisie nationale. Les éléments
les plus modérés du parti choisirent alors
De fait, le maintien de l’ordre était de se mettre sur la touche, tandis que
devenu un véritable enjeu politique, sur- ceux de la gauche radicalisaient leur dis-
tout avec l’effondrement de l’appareil cours. La colère populaire était, il est
policier issu du tsarisme. Dès le mois de vrai, à son comble. La base comprenait
mai se formèrent des milices de grève, mal la décision d’accepter la mise en va-
dont la plus importante était celle de cances des députés, que Manner, le pré-
Turku. Elles avaient pour mission d’éviter sident du Parlement dissous, ne rappela
les débordements et les provocations. qu’à la fin de septembre, lorsqu’il était
Mais comme s’y mêlaient parfois des trop tard pour résister. La croyance dans
soldats russes, les partis bourgeois en les méthodes parlementaires vacillait.
profitèrent pour essayer de les déconsi- L’idée d’un recours systématique à la
dérer. Le sénateur Serlachius tenta pour pression de la rue faisait son chemin, at-
sa part de les épurer et de créer des unités tisée par les éléments les plus radicaux,
de maintien de l’ordre à sa main. Il se parfois bolchevisés, comme les frères
heurta aussitôt à une grève des milices,
qui empêchèrent la réalisation de son
projet, mais hâtèrent dans le pays la for- (5) Pour l’ensemble de ce paragraphe, j’ai utilisé,
outre les ouvrages cités ci-dessus, les procès-ver-
mation plus ou moins officieuse de mi- baux des séances de la commission exécutive, du
lices bourgeoises, camouflées en général conseil national et du groupe parlementaire du
en associations de pompiers volontaires SDP, conservés aux Archives ouvrières (Työväen
ou en sociétés de gymnastique. La arkisto) d’Helsinki. On peut aussi consulter en
finnois des synthèses commodes, comme celles
gauche social-démocrate n’était pas en de Jussi Lappalainen, Itsenäisen Suomen synty
reste dans cette lutte sourde d’influence. (“La Naissance de la Finlande indépendante”),
Durant le mois de juin, certaines milices Jyväskylä, Gummerus, 1977, ou Eino Ketola,
Kansalliseen kansanvaltaan. Suomen itsenäisyys,
de grève décidèrent de donner à leur ac- sosialdemokraatit ja Venäjän vallankumous 1917
tivité un caractère durable. C’était le pre- (“Vers la démocratie nationale. L’indépendance
mier pas vers une future création de finlandaise, les sociaux-démocrates et la révolu-
gardes rouges. A Helsinki, le 9 juin, tion russe en 1917”), Helsinki, Tammi, 1987. En
français, la thèse de Jean-Jacques Fol, L’acces-
deux figures de la fédération social-dé- sion de la Finlande à l’indépendance, Paris,
mocrate du Nyland (Uusimaa), Hermann 1977, donne de bons éclairages.
Hurmevaara et Jussi Vatanen, appelèrent (6) Sur ces problèmes, Marja-Leena Salkola,
discrètement à une réunion en faveur de Työväenkaartien synty (“La naissance des gardes
la création de gardes prolétariennes sous ouvrières”), deux tomes, Helsinki, 1985, dans la
série Punaisen Suomen historia (“Histoire de la
égide socialiste. En juillet, l’existence de Finlande rouge”), étude collective financée par le
milices ouvrières, d’un côté, et bour- ministère de l’Education.

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LA RÉVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

Rahja ou Adolf Taimi. Consciente du Conseil central révolutionnaire (TVKN).


fossé qui était en train de se creuser entre Réuni entre les 9 et 11 novembre, il posa
le mouvement ouvrier organisé et une ouvertement la question d’une prise de
partie des travailleurs, désespérée par la pouvoir par la force. Les dirigeants syn-
situation, la direction du parti mena une dicaux, davantage au courant de l’état
campagne très dure, qui stigmatisait la d’esprit de la base, n’étaient pas les
collusion entre les bourgeois nationaux moins virulents. En revanche, des
et le gouvernement provisoire. La défaite hommes classés généralement plus à
électorale du début octobre entraîna une gauche hésitaient encore, voire réprou-
grande amertume, bien qu’elle fût loin vaient l’idée d’un soulèvement, dont ils
d’être déshonorante (45 % des suffrages mesuraient les risques pour le mouve-
et une progression en voix). Le groupe ment ouvrier.
Sirola-Manner-Kuusinen commença vers
cette époque à radicaliser ses positions
au sein du SDP ; les dirigeants syndicaux
(Tokoi, Haapalainen) de même. Cette
La grève générale
évolution inquiétait la droite du parti et Finalement, il fut décidé de lancer
certains dirigeants comme Wiik, un zim- une grève générale. C’était un compro-
merwaldien de la première heure, qui dé- mis acceptable par tous, accueilli de plus
nonçait dans son journal “l’esprit avec sympathie par les nouveaux maîtres
d’aventure” d’une partie de la commis- de Petrograd, les bolcheviks. Kuusinen
sion exécutive. Les bourgeois, quant à pensait qu’elle suffirait à éclaircir la si-
eux, se sentaient encouragés dans leur tuation. La grève commença dans la nuit
intransigeance. Partout, leurs partisans du 14 novembre 1917. Certaines gardes
les pressaient de rétablir l’ordre, y com- rouges en profitèrent pour s’emparer du
pris par la force. Le 27 octobre, un ba- pouvoir local pour quelques jours. Mais
teau arriva d’Allemagne, chargé d’armes les divergences entre les tenants de la
et de chasseurs, ces volontaires nationa- voie parlementaire et ceux de l’action di-
listes partis en 1915 combattre l’armée recte fragilisèrent le processus. De plus,
russe au sein d’un régiment spécifique un certain nombre de violences eurent
de l’armée allemande. L’intention était lieu. Le TVKN finit par donner l’ordre
de forger le noyau d’une future force de reprendre le travail. C’est précisément
d’intervention. La droite fourbissait ses à ce moment-là que Kuusinen changea
armes. d’option. Il avait, jusque-là, combattu la
prise de pouvoir. Mais il estimait désor-
mais que les violences liées à la grève
“Nous exigeons” générale montraient une poussée anar-
chique dans les masses, qu’il fallait ca-
Le 8 novembre, le groupe social-dé- naliser sous peine de dérapages. C’était
mocrate présenta au Parlement une dé- un renfort de poids pour la cause révolu-
claration intitulée Me vaadimme (“Nous tionnaire. Mais il ne réussit pas à en-
exigeons”), rédigée par Kuusinen. Vo- traîner avec lui la majorité du groupe
lontairement impérieuse, elle posait toute parlementaire social-démocrate, qui vou-
une liste de revendications immédiates, lait attendre le congrès exceptionnel du
dont le démantèlement des gardes ci- parti pour se décider. Entre-temps, Lé-
viques, en pleine floraison sur l’en- nine avait envoyé aux dirigeants de la
semble du territoire national. Elle n’écar- gauche une exhortation à passer à l’ac-
tait pas, en cas de refus, le recours à l’ac- tion.
tion extraparlementaire. Il faut dire que Le congrès extraordinaire des 25, 26
des gardes rouges apparaissaient elles et 27 novembre 1917 ne parvint pas à
aussi un peu partout dans le pays et que trancher nettement en faveur de l’option
de nombreuses organisations de base révolutionnaire. Les délégués restaient
poussaient à l’action directe. Pour cana- partagés, y compris dans leur for inté-
liser cette énergie, les dirigeants sociaux- rieur. L’instauration d’une dictature du
démocrates imaginèrent de créer un prolétariat, prônée par Taimi, Rahja et
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LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 23

une partie des représentants des gardes à la bataille sans aucune chance de réus-
rouges, apparaissait à beaucoup comme site. C’est l’idée que défendirent Sirola
irréaliste après l’échec de la grève géné- et Kuusinen le 19 janvier au conseil du
rale, qui avait douché l’enthousiasme parti. Ce dernier refusa cependant de
des chefs syndicaux. Les bourgeois, qui créer une commission de préparation à la
sentaient ces hésitations, décidèrent pour révolution, malgré leur menace de dé-
leur part de tailler dans le vif. Effrayés mission (agitée aussi par Turkia et Man-
par la combativité ouvrière, ils confiè- ner). Il y avait pourtant urgence : le même
rent le gouvernement à l’énergique Svin- jour, les gardes civiques et les gardes
hufvud, un nationaliste jeune-finnois, rouges de Viipuri en étaient venues à
décidé à s’appuyer sur l’Allemagne et à l’affrontement armé. Finalement, après
obtenir le plus vite possible le départ des d’interminables palabres et rebondisse-
troupes russes. L’homme ne tarda guère ments, la nouvelle commission exécutive
à montrer ses intentions. Il commença du parti commença le 23 janvier à
par déclarer unilatéralement l’indépen- prendre les mesures concrètes en faveur
dance, alors que les sociaux-démocrates d’un futur soulèvement. Letonmäki et
considéraient comme nécessaire de la Haapalainen furent peu après placés à la
négocier. Il fit pression sur les garnisons tête d’un comité ad hoc, qui en fixa la
russes pour qu’elles évacuent rapidement date pour le 27, puis le 28 janvier. Ces
leurs casernes. Il annonça surtout la tergiversations avaient fait perdre un
création d’une force armée nationale à temps précieux. Déjà, l’armée blanche
partir des gardes civiques et des chas- attaquait en Ostrobotnie et en Carélie.
seurs revenus au pays. Pour l’encadrer, il En effet, Mannerheim était devenu le 15
avait déjà pris contact avec un certain janvier président du comité militaire ins-
nombre d’anciens hauts officiers du tsar titué par le gouvernement légal. Il était
d’origine finlandaise. Parmi eux, un cer- parti quatre jours plus tard pour Vaasa,
tain baron Mannerheim, qui devait s’im- et, dès le 25, avait pris la décision d’atta-
poser à la tête de l’armée blanche quer les garnisons russes de la région,
quelques semaines plus tard. afin de créer une base solide depuis la-
Les gardes rouges, comme la direc- quelle il pourrait éventuellement inter-
tion sociale-démocrate, y virent à juste venir contre les gardes rouges (7).
titre des mesures d’intimidation à l’égard
du mouvement populaire. Il s’agissait
vraisemblablement d’une sorte de provo- Finlande rouge
cation destinée à exaspérer la base pour
inciter les chefs soit à se couper d’elle en contre
se soumettant, soit à commettre l’irrépa-
rable en choisissant la confrontation. Ce
Finlande blanche
vieux renard de Svinhufvud ne s’était
pas trompé. Début décembre, la direc- Nous voyons donc que, dans l’esprit
tion du SDP tenta de desserrer l’étreinte des dirigeants rouges, la révolution était
des gardes rouges en les soumettant à un un acte défensif, une solution de dernier
contrôle plus rigoureux, en particulier à recours. Elle ne fut envisagée qu’au mo-
Turku et Helsinki. Ce fut un échec. Dès ment ultime, alors même que Svinhuf-
lors, seule l’option dure paraissait réaliste.
Au début janvier, la majorité des diri- (7) Pour la période qui va de septembre 1917 à
geants sociaux-démocrates était gagnée à janvier 1918, outre les sources et la bibliographie
l’idée que la voie parlementaire était précitées, j’ai eu beaucoup recours à la documen-
bouchée et que la bourgeoisie se prépa- tation rassemblée pour mon étude sur Otto Wil-
helm Kuusinen, dirigeant social-démocrate fin-
rait au coup de force. Il ne pouvait être landais, 1903-1918, qui doit paraître en finnois
question de laisser aux gardes rouges les fin 2004 ou début 2005, ainsi qu’Hannu Soikka-
plus radicalisées l’initiative d’un soulè- nen, Kohti kansanvaltaa (“Vers la démocratie”),
vement. Il fallait donc, dans un réflexe tome 1, Helsinki, 1975, qui est une histoire du
SDP avant 1937. Des éléments également dans la
défensif, prendre la direction du mouve- thèse de David Kirby, The Finnish Social-Demo-
ment populaire pour éviter qu’il ne parte cratic Party, 1903-1918, thèse, 1970.

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LA RÉVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

vud et Mannerheim fourbissaient déjà législatif représentant les intérêts popu-


leurs armes. Elle n’était pas non plus laires (les principales organisations ou-
conçue à partir d’un modèle de type bol- vrières y avaient des représentants). Le
chevique, ni semblable aux soulève- territoire sous contrôle rouge, c’est-à-dire
ments hongrois ou berlinois de l’année la Finlande méridionale au sud d’une
suivante. La déclaration faite le 29 jan- ligne Pori-Vyborg (Viipuri), était lui-même
vier 1918 par la Délégation du peuple, découpé en départements et communes
son principal organe politique, appelait à dirigés également par des “délégations”.
“un soutien des masses” et promettait de L’autonomie communale, très large, était
suivre “les règles du jeu démocratique”. garantie par la loi ; un article du Sosiali-
Elle ne faisait pratiquement pas référence demokraatti, daté du 14 février 1918, y
au socialisme, si ce n’est en promettant insistait : “Chaque commune formera en
des réformes sociales qui s’en inspi- propre une petite république, dans le
raient. Dans sa symbolique, néanmoins, cadre de l’Etat républicain finlandais.
elle assumait l’héritage ouvrier et la lutte Elle gérera ses propres affaires, choisira
de classe, mais sans prôner la dictature sa police, ses représentants de l’ordre,
du prolétariat. Le projet de Constitution pourra exercer sa justice au travers de
élaboré en février par Kuusinen s’inspi- tribunaux de juges de paix. La tâche de
rait du modèle suisse (démocratie ci- l’Etat sera seulement de veiller à ce que
toyenne), un peu des idées républicaines le droit et la liberté des communes res-
françaises de 1870-1871 (par exemple, tent inviolés. En un mot, la commune
l’autonomie communale) et aussi de cer- formera le fondement de toute vie éta-
tains passages de la Constitution améri- tique saine.” La déclaration du 29 jan-
caine (8). Les rouges finlandais devaient vier mettait fin aux anciens tribunaux,
convaincre pour durer. Car il faut avoir à remplacés par des tribunaux populaires,
l’esprit que les blancs n’étaient pas en dont le but était de “réconcilier les
pleine déliquescence. Partant de leurs humbles avec la justice”. La peine de
points d’appui en Ostrobotnie et en Ca- mort était abolie. Les pouvoirs de police
rélie, ils contrôlèrent en moins de huit étaient provisoirement assurés par les
jours toute la Finlande centrale et sep- gardes rouges locales. Pour tenter de ré-
tentrionale, en écrasant les gardes rouges gler le mieux possible la crise alimen-
installées dans les villes (Jyväskylä, Oulu, taire, on établit des commissions d’ap-
Kuopio) et en encerclant, puis désar- provisionnement dans chaque localité.
mant, les garnisons russes. Le gou- Elles étaient dotées de larges pouvoirs
vernement de Svinhufvud, qui avait fui à d’investigation, qui provoquèrent quel-
Vaasa, avait l’appui des classes moyen- quefois des abus et enracinèrent chez
nes et supérieures, ainsi que d’une bonne certaines victimes des haines inex-
partie de la paysannerie. En outre, les piables.
blancs se présentaient en libérateurs du Le recours à la démocratie directe se
pays, ce qui servait leur propagande. La retrouvait aussi dans les grandes réu-
partie, en fait, s’annonçait plus serrée nions de masse qui accompagnaient les
que certains rouges ne l’avaient pensé. principales décisions du régime. L’une
des plus célèbres fut celle du 3 mars à
Helsinki, où des milliers de personnes
Deux pouvoirs face à face furent conviées à une sorte de gigan-
tesque assemblée générale pour écouter
Du côté rouge, l’organe dirigeant Oskari Tokoi et Edvard Gylling s’expli-
était la Kansanvaltuuskunta (KV), ou quer sur les négociations en cours avec
Délégation du peuple. Ce terme était vo- la Russie bolchevique. L’apparence dé-
lontairement emprunté à la tradition fin- mocratique du pouvoir avait toutefois
landaise, de façon à éviter l’amalgame
avec le terme de commissariat, pour le
moins connoté. La KV était assistée par (8) En français, voir Maurice Carrez, “Les
images du pouvoir dans la Finlande rouge de
le Työväen Pääneuvosto, le Grand 1918”, Territoires contemporains, n° 6, 1998,
Conseil des travailleurs, sorte de pouvoir pp. 91-98.

61
LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 23

des limites objectives. Les dirigeants eu- — rénover la justice ;


rent le plus grand mal à contrôler les dé- — démocratiser la législation ;
bordements de la “terreur rouge” au tout
— réformer l’impôt au profit des plus
début et à la fin du processus révolution-
humbles ;
naire. La conduite de la guerre imposait
par ailleurs une surveillance assez stricte — établir une assurance accidents et une
des populations et une limitation des dé- assurance vieillesse ;
placements. Fin avril, quand la situation — développer la scolarisation ;
militaire devint désespérée, fut en outre — libérer les métayers ;
institué un dictateur, en la personne de — mettre le capital bancaire au service
Kullervo Manner. La centralisation des de la collectivité ;
décisions politiques majeures dans les
mains d’un groupe d’hommes assez res- — rétablir la discipline au travail ;
treint était au demeurant une réalité dès — socialiser certains secteurs écono-
l’origine. La seule organisation politique miques si le besoin s’en faisait sentir.
autorisée était le SDP, dont la propagande Ces mesures, on le voit, n’étaient pas
était omniprésente, bien que l’expression en soi socialistes. Le 11 février, un débat
de divergences fût en théorie possible. de la KV sur la socialisation des entre-
Notons enfin que plusieurs milliers de prises abandonnées par leurs proprié-
personnes avaient été mises aux arrêts ou taires aboutit à l’adoption, par 7 voix
surveillées à titre préventif. La Déléga- contre 6, du projet assez modéré d’Eero
tion du peuple, toutefois, exprima sa ré- Haapalainen. Le nouveau pouvoir ne prit
probation face aux exécutions som- pas non plus d’engagements démesurés
maires, sauf à l’extrême fin du conflit, sur le problème de l’approvisionnement.
quand elle n’avait de toute façon plus Il se voulait réaliste et concret. Sur les
aucune prise sur les événements. dix points précités, à l’exception de
Le pouvoir rouge montra aussi d’as- l’établissement d’une loi sur les assu-
sez bonnes dispositions sur le plan de la rances ouvrières, tous firent l’objet d’un
gestion, quoi que ses adversaires en aient ou plusieurs textes législatifs.
dit. Dans des circonstances difficiles, en En deux mois, les dirigeants rouges
dépit de ses propres divisions, il tenta furent capables de faire voter une
d’assumer ses responsabilités civiles. Ce Constitution d’inspiration démocratique,
n’était pas seulement une machine bu- dont certains passages pouvaient ouvrir
reaucratico-militaire tournant à vide dans la voie à un futur socialisme. Due une
le fracas des armes et de la rhétorique. fois encore à la plume de Kuusinen, elle
Grâce au nombre élevé de militants so- fut adoptée après de longues discussions
ciaux-démocrates, y compris dans les et de nombreuses propositions d’amen-
zones rurales, le SDP fut d’emblée en dements. Des lois réformèrent par
mesure de contrôler les deux tiers des ailleurs le fonctionnement de la justice et
communes incluses dans la zone rouge. assurèrent la démocratisation du système
Il existait ainsi des pouvoirs locaux ca- scolaire. Sur le plan économique, les
pables d’assurer le fonctionnement à peu usines les plus importantes assurèrent
près normal de la vie sociale, écono- une production malgré les nombreux
mique et culturelle. C’était un facteur obstacles nés de la guerre. Edvard Gyl-
important de stabilité. Les risques de ling, qui avait l’étoffe d’un homme
désordre étaient ainsi limités et la mise d’Etat, s’efforça en outre de surmonter
en œuvre des directives centrales à peu avec doigté les invraisemblables difficultés
près assurée sauf, bien sûr, dans la phase financières auxquelles son gouverne-
terminale de la révolution. La Déléga- ment était confronté.
tion du peuple avait d’ailleurs fait Oskari Tokoi, dont les qualités poli-
connaître ses intentions en matière de ré- tiques étaient elles aussi indéniables,
formes dès le 29 janvier. Son programme s’employa, avec l’aide des commissions
comprenait dix points : spécialisées, à adoucir la pénurie alimen-
— briser la bureaucratie d’Etat ; taire : le rationnement fut établi sur des
62
LA RÉVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

bases plus équitables, la gestion des tude. Les militants de gauche furent pla-
stocks fut rendue plus transparente et des cés en détention, avec quelques “ba-
négociations furent ouvertes avec la vures” à la clé, la censure fut établie, les
Russie pour s’approvisionner en Sibérie. gardes rouges écrasées sans ménage-
Le 30 mars, après bien des péripéties, 30 ment, les garnisons russes désarmées en
wagons de grains arrivèrent en grande dépit de leur relative passivité, et l’ar-
pompe à la gare d’Helsinki. Mais la di- mée devint l’objet de toutes les atten-
sette était trop grave pour redresser fon- tions.
damentalement la situation. L’état de guerre avait besoin d’un ré-
Signalons enfin que la Délégation du gime autoritaire. Sur le plan écono-
peuple fut attentive à l’établissement de mique, les dirigeants blancs obtinrent
liens internationaux, sans œillères idéo- sans difficulté la collaboration des chefs
logiques. Dans les négociations avec les d’entreprise et des paysans propriétaires.
Russes, elle montra son attachement à En revanche, ils échouèrent pour l’essen-
l’indépendance du pays et fit même des tiel dans le domaine de l’approvisionne-
demandes concrètes pour le rattachement ment. Les problèmes restèrent cependant
de la Carélie à la Finlande rouge. Elle moins aigus que dans la zone sous
tenta aussi de nouer des contacts avec contrôle rouge, du fait du moindre
l’Allemagne, les Etats-Unis, le Royaume- nombre de citadins et de plus faibles
Uni et la Suède. Elle traita aussi avec densités. Mais la priorité absolue donnée
courtoisie les diplomates en poste en aux combattants entraîna des pénuries
Finlande et qui souhaitaient partir. Les supplémentaires pour les civils. De plus,
problèmes étaient toutefois insolubles. les couches populaires, déjà victimes du
Les Russes se trouvaient eux-mêmes en chômage, souffrirent plus que d’autres
très graves difficultés et prisonniers des de la disette, car le système de réparti-
accords de Brest-Litovsk. Les diplo- tion resta plutôt inégalitaire. Cela ex-
mates occidentaux ne voulaient avoir af- plique en partie la facilité avec laquelle
faire qu’au gouvernement de Svinhufvud l’armée blanche imposa la conscription,
et la Suède avait jeté son dévolu sur les
y compris dans les ex-circonscriptions
îles Aland. Dès la fin mars, furent égale-
rouges : elle permettait de manger.
ment mis en débat des projets de com-
promis avec le gouvernement de Vaasa, Les blancs déployèrent surtout une
bien que la Délégation du peuple eût re- intense activité diplomatique, en particu-
fusé la médiation des sociaux-démo- lier en direction du Reich. Grâce à des
crates suédois en février (après de contacts privés, le Sénat envisagea dès
longues délibérations) (9). décembre de demander au gouvernement
du Kaiser une aide militaire, mais il y re-
Du côté blanc, le premier émoi passé, nonça en raison de désaccords internes.
on mit en place un gouvernement relati- Lors des négociations de Brest-Litovsk,
vement efficace, appuyé sur une force des émissaires demandèrent en revanche
militaire de mieux en mieux organisée aux négociateurs allemands de leur ga-
sous l’égide de Mannerheim. La machine rantir Petsamo et la Carélie orientale.
étatique, réfugiée à Vaasa, fit tout son Ceux-ci leur signifièrent un refus. Cela
possible pour maintenir l’image de la n’était que partie remise. Le 14 février,
continuité : le Sénat (gouvernement) tint les deux envoyés de Vaasa en Alle-
des réunions régulières et les députés magne, Edvard Hjelt et Rafael Erich, ob-
bourgeois qui avaient réussi à passer les tinrent de leur propre chef une aide mili-
lignes se réunirent en Parlement. Les mi- taire de Berlin. Mannerheim, furieux,
nistères comme les grandes administra- menaça de démissionner. Les sénateurs
tions furent reconstitués dans la mesure
du possible. Le gouvernement blanc (9) Pour ce paragraphe, la meilleure source reste
pouvait aussi compter sur la police, la Osmo Rinta-Tassi, Kansanvaltuuskunta punaisen
Suomen hallituksena (“La Délégation du peuple,
plupart des officiers et sous-officiers de gouvernement de la Finlande rouge”), Helsinki,
carrière, les diplomates en poste. Svin- 1986, autre volume de la série sur l’histoire de la
hufvud et ses amis agirent avec prompti- Finlande rouge.

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LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 23

eurent eux-mêmes la mauvaise surprise tation par leur propre gouvernement. Les
de constater que cette aide était accom- garnisons russes, pourtant mieux équi-
pagnée d’un traité désavantageux livrant pées que leurs assaillants, ne présentè-
le pays à l’emprise économique et mili- rent pas d’opposition sérieuse en Ostro-
taire de l’Allemagne. La Finlande était botnie ; elles déposèrent les armes après
réduite au statut d’Etat vassal. des sièges plus ou moins symboliques.
Malgré les remous provoqués, Svin- Que des rouges finlandais aient souhaité
hufvud accepta de parapher ces condi- leur engagement à leurs côtés, c’est une
tions léonines lors d’une visite éclair à chose ; que l’affaire eût été réalisable en
Berlin, fin février. Après plusieurs se- est une autre. Précisons aussi que le
maines de palabres, Mannerheim se ral- gouvernement bolchevique, après avoir
lia fin mars à cette option, sachant que incité le SDP à faire la révolution, ne lui
ses troupes avaient fait la différence dé- apporta qu’une aide très limitée : quelques
cisive à Tampere. Il ne présenta aucune milliers de fusils, un train blindé,
objection, donc, au débarquement des quelques pièces d’artillerie, du grain,
troupes de Rüdiger von der Goltz le 3 une aide diplomatique en pointillés…
avril à Hanko (Hangö), au sud-ouest Pas de quoi, en un mot, gagner une guerre
d’Helsinki. Cette orientation nettement civile. Après le traité de Brest-Litovsk,
germanophile n’avait pas empêché les cette aide devint pratiquement nulle, du
blancs de négocier avec les Britanniques fait des engagements pris avec l’Alle-
(mission de Rudolf Holsti), les Français magne.
et les Américains, qu’ils convainquirent Côté rouge, la partie semblait pour-
de couper tout lien avec les rouges. tant encore jouable en janvier. Les
gardes ouvrières locales comprenaient
environ 30 000 membres, organisés en
Les opérations militaires compagnies et commandés par des “offi-
jusqu’à la fin avril ciers” élus. Leur armement était som-
maire et la discipline aléatoire. Mais cer-
Il convient d’abord de mesurer les taines troupes avaient beaucoup d’allant,
surtout celles qui étaient constituées par
forces en présence au départ en distin-
de jeunes sportifs ouvriers. Malheureu-
guant les protagonistes finlandais des
sement, les traits négatifs l’emportaient.
soldats russes encore présents en Fin-
Les hommes avaient du mal à rester loin
lande.
de leurs bases plusieurs semaines et il
Les 40 000 militaires russes encore était difficile de les faire participer à des
présents fin janvier sur le sol finlandais opérations d’envergure, car ils avaient
furent longtemps présentés comme les l’habitude d’agir tout au plus à l’échelle
alliés naturels des gardes rouges. Cette d’un bataillon. Leur encadrement était
thèse, largement développée par les vain- très inégal. Seule une minorité des res-
queurs, doit faire l’objet d’une grande cir- ponsables avait une véritable formation
conspection. Elle repose certes sur des militaire. En outre, l’état-major chan-
faits réels, comme la participation de geait trop souvent. Parmi les comman-
certains officiers russes aux opérations dants en chef, Ali Aaltonen, un ancien
du front nord-ouest dans les premiers lieutenant de l’armée tsariste, fut ren-
jours de la guerre civile ou bien l’enga- voyé après une journée d’opérations,
gement de volontaires auprès des gardes sous prétexte qu’il n’avait pas réussi
rouges (2 000 à 4 000, selon les l’arrestation des responsables politiques
sources). Mais il n’y a non seulement bourgeois présents à Helsinki. Son suc-
aucun plan d’engagement général de ces cesseur, Eero Haapalainen, fut démis
troupes dans le conflit, mais aucun indice quant à lui de ses fonctions pour intem-
de ce que pensait la majorité de ces pérance. Certains chefs de corps eurent
hommes sur le plan politique ! Il est fort cependant l’occasion de montrer une
probable qu’ils n’aient attendu qu’un re- certaine valeur, comme Adolf Taimi,
tour rapide au pays, rendu logique par la Tuomas Hyrskymurto, Hugo Salmela et
déclaration d’indépendance et son accep- A. Nesky. Le problème essentiel restait
64
LA RÉVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

en réalité l’insuffisance des liaisons nola, plus à l’est, les deux adversaires
entre le commandement central et les tentèrent de progresser le long du lac
unités de combat, qui dénotait un Päijänne pour se déborder mutuellement.
manque de discipline et de professionna- Les combats se soldèrent par un match
lisme (10). nul vers le début mars. D’autres opéra-
Côté blanc, il y avait au départ envi- tions d’envergure eurent lieu vers la même
ron 34 000 membres des gardes civiques époque en Carélie. A quatre reprises, les
et anciens chasseurs revenus d’Alle- rouges tentèrent de percer le front du lac
magne, un chiffre légèrement supérieur à Vuoksi. Les actions les plus dures furent
celui des gardes rouges. Comme leurs menées en direction d’Antrea et de l’est
adversaires, il s’agissait pour l’essentiel du Ladoga. Mais, là encore, sans succès,
de volontaires et non de professionnels. malgré leur supériorité numérique dans
Ils ne disposaient pas non plus d’un for- cette zone du front. Svetsnikov et Haapa-
midable arsenal. Leur avantage était sur- lainen montèrent une seconde offensive
tout d’être commandés par d’authen- sur Haapamäki début mars, qui échoua à
tiques généraux, parfois doués dans l’art son tour.
militaire, et qui avaient connu les ba- En vérité, Mannerheim avait patiem-
tailles de la Première Guerre mondiale. ment consolidé ses arrières et n’attendait
Le système de conscription fut aussi plus plus qu’une occasion favorable. Le 15
rapidement mis en place que dans la par- mars, pour éviter de se faire précéder par
tie rouge. Mais ces avantages n’apparu- les Allemands, le rusé général en chef
rent pas d’emblée décisifs. Le gou- amorça une manœuvre enveloppante
vernement de Vaasa souhaitait vivement dans la région située au sud de Vilppula ;
trouver des alliés qui fussent en mesure son objectif était la ville industrielle de
de contrebalancer l’éventuel appui russe Tampere, l’un des bastions rouges les
aux combattants rouges. plus solides.
Il avait remarqué que cet endroit du
Trois phases essentielles de combat front était favorable à une attaque de re-
peuvent être dégagées. La première fut vers. Il se heurta d’abord à une résistance
marquée par la généralisation des offen- acharnée, qui fit douter ses subordonnés.
sives rouges en direction du nord. Après Mais, le 20 mars, la partie était gagnée. Le
une dizaine de jours de combats assez 25, Tampere était encerclée. Elle tomba le
confus, les blancs s’emparèrent du centre 6 avril après des combats de rue et des
et du nord du pays, tandis que les gardes bombardements d’une violence inouïe.
rouges consolidaient leur emprise au sud L’ancien général du tsar tenait sa victoire,
d’une ligne Imatra-Heinola-Vilppula-Pori. même si, sur le reste du front, les blancs
Un front plus ou moins flou fut ainsi n’avaient pas encore obtenu d’avantages
constitué dans la première quinzaine de décisifs.
février. Les rouges, qui voyaient affluer Une troisième phase s’ouvrit alors,
vers eux les volontaires (au total 50 000 marquée à la fois par le débarquement de
à 60 000 hommes vers le 15 février), Von der Goltz et la ruée des blancs vers
avaient le vent en poupe. Ils étaient mo- le sud. Le 3 avril, les rouges ne purent
tivés par une bonne propagande et l’ins- opposer que 1 000 combattants à la divi-
tauration de soldes attractives. Coordon- sion allemande. Ils ne tinrent qu’une
née par le colonel russe Svetsnikov, une journée, au prix de lourdes pertes. Dès
attaque de grande ampleur débuta le 21 lors, la route de la capitale était ouverte
février avec 10 000 hommes sur le front et les gardes rouges de tout le sud-ouest
nord-ouest, entre Vilppula et Ruovesi. du pays pris comme dans une nasse. Le
Son but était de s’ouvrir la route vers 13 avril, Helsinki tomba après d’intenses
Haapamäki pour couper ensuite la voie
ferrée stratégique entre Vaasa et Käkisalmi. (10) De bonnes analyses dans Heikki Ylikangas,
Mais elle fut totalement interrompue le op. cit., et Jussi Lappalainen, Punakaartin sota
(“La Guerre des gardes rouges”), deux tomes,
27 en raison d’une contre-attaque dange- 1981, dans la série sur l’histoire de la Finlande
reuse des blancs. Dans la région d’Hei- rouge.

65
LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 23

bombardements, qui détruisirent une Kullervo Manner


partie de la Maison du peuple, presque
neuve. Les débris de l’armée des rouges fut élu dictateur
battait en retraite vers la vallée du Kymi,
avec parfois femmes et enfants. C’est dans ces conditions que, le 10
avril, Kullervo Manner fut élu dictateur.
On lui adjoignit, pour l’aider dans sa
L’agonie de la Finlande rouge dura tâche, un état-major de quatre membres,
encore un mois. Depuis la fin mars, la constitué d’Eloranta, Eino Rahja, Riune
Délégation du peuple était en relative dé- et Hansen, appartenant tous à la mou-
liquescence. La situation financière vance dure des gardes rouges. Les “poli-
n’était plus maîtrisable. Les fonction- tiques” de la Délégation avaient subi une
naires refusaient de collaborer. Les réu- défaite, eu égard aux suffrages obtenus
nions étaient de moins en moins régu- pour cette élection. Dans la foulée, Eino
lières. Rahja fut envoyé à Helsinki pour organiser
Les dirigeants étaient le plus souvent la défense. Une déclaration au peuple fut
absents, soit qu’ils fussent au front, soit rédigée dans l’urgence pour essayer de
qu’ils fussent en Russie pour quémander redonner un peu d’espoir à ceux qui
de l’aide. Ils se querellaient à tout pro- étaient en train de le perdre. Quelques
pos, les uns souhaitant négocier, les jours plus tard, on tenta de réorganiser le
autres pas, certains proposant d’établir fonctionnement du pouvoir civil. Kuusi-
une dictature, les autres s’y refusant en- nen devint pour quelques jours le prési-
core. dent de la Délégation, avec pour mission
de remettre un peu d’ordre dans le sauve-
L’épuisement et l’amertume avaient qui-peut général.
raison de ces hommes pourtant trempés
Tout cela venait beaucoup trop tard et
au combat. Début avril, les choses empi- n’eut guère d’effet. Le ressort était cassé.
rèrent encore. L’évacuation de la capitale La KV était de plus en plus divisée : Le-
par la Délégation du peuple, quelques tonmäki, l’un des adeptes de la ligne dure,
jours avant qu’elle ne tombe, avait été cherchait à s’emparer des commandes,
très mal perçue par la base, qui y voyait accusant Kuusinen de mollesse. Beau-
une forme de trahison. coup trouvaient dans des missions à
Le moral des troupes baissait, il deve- l’étranger une excuse pour éviter d’assister
nait beaucoup plus difficile de les com- à ce naufrage. Gylling et Tokoi cher-
mander. Le front n’était même plus chaient à négocier avec les Anglais, Ko-
stable au-delà du Kymi, des bandes er- hanen et Arjanne se tournaient vers les
raient à l’aventure, cherchant un passage partis scandinaves, Mäkelä songeait à
vers l’est. installer des colonies agricoles en Russie
Quant aux socialistes de droite, menés rouge, Sirola s’activait pour accueillir les
par Tanner et Paasivuori, ils avaient ou- futurs réfugiés à Petrograd. Kuusinen
vertement pris leurs distances. Profitant était à Moscou, cherchant de l’aide lui
de la chute d’Helsinki, ils avaient lancé aussi, Tokoi était perdu quelque part sur
un appel à la cessation des combats et à la voie ferrée de Mourmansk… Au front,
les gardes rouges étaient désespérés.
la construction d’un nouveau parti.
Beaucoup voulaient rentrer chez eux
Une fois arrivée à Vyborg (Viipuri), pour protéger leurs familles, dont ils
le 9 avril, la Délégation du peuple tenta étaient sans nouvelles. Les rumeurs les
de réagir. Il fallait organiser la résistance plus folles circulaient et c’était à qui cri-
sur un espace plus restreint à l’est du tiquerait le plus les chefs politiques.
Kymi. Pour cela, des mesures exception- Sur le plan militaire, l’encerclement,
nelles devaient être prises. puis la chute de Vyborg constituèrent la
Dans les conversations qu’il avait dernière grande opération de la guerre
eues avec eux, Lénine les encourageait à civile. 20 000 blancs s’attaquèrent alors
ne pas lâcher prise. On parlait en outre à 18 000 rouges relativement bien armés,
d’une possible révolution en Allemagne. mais démoralisés. L’offensive débuta le
66
LA RÉVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

19 avril et prit un tour décisif quand les était lui-même inquiet de la sauvagerie
rouges perdirent le contrôle de la voie de ses troupes sur le terrain. Il avait dû
ferrée le 23. Le 24, les blancs atteigni- rédiger une circulaire interdisant les exé-
rent les faubourgs. Le lendemain, à la cutions sommaires dès la fin février.
grande colère des combattants, la Délé- Mais comme elle n’était pas respectée, il
gation partit pour Petrograd, où elle tint fut contraint de renouveler son interdic-
sa dernière réunion le 27 avril. Le 29, tion, cette fois de manière plus ferme, le
Vyborg tombait. Peu après, vers Lahti, 28 mai. Il faut dire qu’existait un réel
les gardes rouges qui tentaient de rompre émoi, y compris à l’étranger, face à des
l’encerclement des blancs et des Alle- actes inadmissibles. Il y avait aussi la
mands furent complètement défaits après crainte, dans une conjoncture encore in-
une âpre bataille. La vallée du Kymi certaine, de voir se reconstituer une op-
tomba à son tour début mai. Le dernier position résolue et, qui sait, germer un
combat de la guerre civile eut lieu le 14 nouveau soulèvement. La date pour le
mai à Ino, au sud de Vyborg. Le 16, les moins tardive de la seconde mise en garde
troupes de Mannerheim défilaient fière- laisse toutefois penser que les respon-
ment dans Helsinki ; pourtant, depuis un sables des gardes civiques et de l’armée
mois, une horrible répression avait com- blanche avaient en partie fermé les yeux
mencé. sur les exactions commises, qu’ils ju-
geaient peut-être inévitables…
La Délégation du peuple était, quant
Après la tempête à elle, restée impuissante face aux débor-
dements de certaines gardes rouges, qui
Bilan direct des combats s’en étaient prises ici ou là, dans les pre-
mières semaines du conflit, à des pas-
Le terme de “bilan direct” peut être teurs, des maîtres d’école, des proprié-
contesté, dans la mesure où il établit une taires terriens ou, tout simplement, des
division un peu artificielle entre les gardes civiques en fuite vers le nord.
morts intervenues avant le 16 mai, date Elle avait néanmoins condamné ferme-
de la fin des combats, et celles qui ont eu ment, par la plume de Kuusinen, les
lieu après. Il a toutefois le mérite de “cruautés inutiles” (circulaire Julmuksia
mettre en relief les effets de la répression vastaan — “Contre les cruautés” — de
officielle, celle qui tua, si j’ose dire, “à février 1918) et pris des mesures qui
froid” et non dans le feu de l’action. avaient gardé une certaine efficacité jus-
Pour ce qui est des morts au combat, qu’à la fin mars. Mais en avril, dans leur
Jaakko Paavolainen en a recensé 3 600 retraite, certaines unités avaient à nou-
du côté des rouges et 3 100 du côté des veau commis des actes de vengeance
blancs, soit une proportion importante gratuits, dont s’était emparée la propa-
des hommes engagés dans les opérations gande blanche. Il faut dire, à la décharge
(plus de 10 % des effectifs de départ). Il des dirigeants rouges, que les “colonnes
faut y ajouter près de 20 000 blessés, volantes”, rendues furieuses par la défaite,
dont certains moururent dans les mois ou étaient devenues à peu près incontrô-
les années suivants. lables.
Pour ce qui est des morts de la terreur, La comparaison des chiffres permet
l’estimation de l’auteur précité est de cependant d’observer que les thurifé-
1 650 victimes de la terreur rouge (dont raires de la “guerre de libération” avaient
quelques centaines de simples civils) et moins de scrupules à éliminer les soi-di-
8 400 personnes fusillées par les blancs
(en avril et mai le plus souvent). Il faut (11) Tous les chiffres cités proviennent de l’en-
ajouter à ces chiffres déjà effrayants 1 600 quête menée par Jaakko Paavolainen, Poliittiset
disparus, la plupart gardes rouges ; or ces väkivaltaisuudet Suomessa 1918 (“Les Violences
politiques en Finlande en 1918”), Tammi, Helsinki,
hommes et ces femmes n’avaient pas tous 1966. Tome 1 : Punainen terrori (“La Terreur
fui à l’étranger, ce qui laisse deviner leur rouge”), tome 2 : Valkoinen terrori (“La Terreur
triste sort (11)… L’état-major des blancs blanche”).

67
LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 23

sant “ennemis de la patrie”. Même si les Les camps de prisonniers,


rouges n’étaient pas tous des modèles de le Tribunal pour crimes d’Etat
vertu, force est de constater qu’ils
avaient eu plus de retenue lorsqu’ils et l’amnistie
semblaient tenir le manche. Je ne souhaite
donc pas, à titre personnel, renvoyer dos Selon Jaakko Paavolainen, il y avait,
à dos les protagonistes. début mai 1918, 64 camps de concentra-
tion, stricto sensu, avec 81 000 prison-
La prétendue absence de parti pris niers, répartis essentiellement au sud du
ressemble à s’y méprendre à de la com- pays. Ce chiffre absolument énorme (6 %
plaisance pour des gens qui ne furent, ni de la population adulte du pays) donne
plus ni moins, que des tueurs en série, une idée de ce que les blancs étaient
qui se couvrirent ensuite du manteau pa- prêts à faire pour éradiquer l’esprit révo-
triotique. On peut comprendre leurs moti- lutionnaire. Début juin 1918 fut entamé
vations, les replacer dans le contexte un processus de regroupement : il n’y
troublé de l’époque, mais il est inaccep- eut plus désormais que 26 lieux de dé-
table de faire croire qu’elles étaient en- tention. Peu à peu, la population carcé-
tièrement justifiées. rale commença à diminuer. En décembre
Sur le plan strictement matériel, le bi- 1918, beaucoup de camps avaient été dé-
lan n’a jamais été tiré. L’ouvrage de Leo mantelés et il ne restait plus que 6 100
Harmaja, Effects of the War on Economy emprisonnés, considérés comme les plus
and Social Life in Finland, reste très gé- dangereux. Fin 1921, seuls 900 prison-
néral et ne distingue pas la période de la niers politiques demeuraient en pri-
guerre civile des autres phases de la Pre- son (12). Cette chute apparemment ra-
mière Guerre mondiale en Finlande. pide des effectifs s’explique à la fois par
Tout laisse penser, cependant, que les les pertes énormes de détenus et par l’ac-
pertes économiques et financières ne fu- tivité fiévreuse du Tribunal pour les
rent pas négligeables. crimes contre l’Etat institué dans les pre-
mières semaines de juin.
Des villes comme Tampere, Helsinki
ou Vyborg furent bombardées, parfois Les pertes étaient prévisibles. Dans
gravement ; des installations indus- un pays taraudé par la disette, où l’on
trielles et des infrastructures de transport manquait de médicaments et de méde-
furent partiellement endommagées, l’acti- cins, entasser 80 000 personnes dans des
vité productive cessa par ailleurs plu- baraquements de fortune, c’était en en-
sieurs mois dans les communes proches voyer sciemment un bon nombre à la
du front. Les populations civiles durent mort. Les rations alimentaires étaient
en outre nourrir et loger les troupes, trop faibles, l’hygiène déplorable et le
obéir aux réquisitions et payer des moral des prisonniers en berne. De quoi
contributions de guerre. offrir aux épidémies le terrain le plus fa-
vorable. On estime à 12 500 le nombre
Entre mai et novembre 1918, une partie de prisonniers décédés, le plus souvent
de la classe ouvrière, tenue pour sus- en moins de trois mois ! Dans certains
pecte, se retrouva de surcroît derrière les camps, comme celui de Tammisaari, on
barbelés des camps. dépassa 25 % de pertes. Il n’y avait pas
Ajoutons à cela les soldes des com- de travail forcé ou de mauvais traite-
battants, les pensions versées aux veuves ments systématiques. Certains gardiens
et aux orphelins des blancs, les répara- étaient même désolés de voir ce spec-
tions payées à certains propriétaires dans tacle, s’indignaient également du com-
les années suivantes. portement brutal de l’inévitable propor-
L’addition ne peut être inférieure au tion de brutes et de poivrots qu’il y avait
total à des millions de marks, sans doute parmi eux. Le gouvernement et l’armée
bien davantage, qui ne furent cependant
que des broutilles à côté des souffrances (12) Jaakko Paavolainen, Vankileirit Suomessa
humaines et morales endurées par l’en- 1918 (“Les Camps de prisonniers en Finlande en
semble des Finlandais. 1918”), Helsinki, Tammi, 1971.

68
LA RÉVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

comprirent d’ailleurs assez vite qu’il fal- Les conséquences politiques


lait éviter un trop grand scandale, surtout à court terme
au début de l’automne, quand l’étoile de
l’allié allemand commença à sombrer. Le gouvernement de Vaasa revint
Une des solutions au problème était de s’installer à Helsinki dans les premiers
pousser l’activité du Tribunal pour les jours de mai 1918. Un Parlement crou-
crimes contre l’Etat, afin de sortir du dis- pion, où ne fut autorisé à siéger qu’un
positif les éléments les moins “cou- seul social-démocrate, Matti Paasivuori,
pables”. On mobilisa donc durant l’été dont l’hostilité au soulèvement était
tout ce que la Finlande comptait comme connue, fut chargé d’assurer le pouvoir
hommes de loi, afin d’instruire 75 500 législatif en attendant la mise en place
affaires ! On conclut à 67 800 culpabi- d’un nouveau régime et la tenue de pro-
lités, sur lesquelles 65,5 % devaient chaines élections. L’armée attendait aussi
aboutir à moins de trois ans d’emprison- sa part, bien qu’elle fût en théorie sou-
nement. 555 condamnations à mort seu- mise au pouvoir politique. Mannerheim,
lement furent prononcées, le reste étant en particulier, était disposé à dire son
constitué pour l’essentiel par des peines mot dans les grandes affaires. Parallèle-
de trois à six ans d’emprisonnement. ment au retour de l’ancien gouverne-
1 100 mineurs de moins de quinze ans ment, on assista à celui des anciennes
faisaient partie des condamnés. autorités locales et des hauts fonction-
Mais il y avait un certain irréalisme à naires. En apparence, la machine n’avait
maintenir des peines de prison dans un pas subi de trop graves dommages, ce
pays appauvri où il aurait fallu construire qui aiderait à gérer une situation drama-
un gigantesque réseau d’établissements tique du point de vue socio-économique.
pénitentiaires et se priver durablement Les vainqueurs n’avaient plus le
d’une main-d’œuvre qualifiée dans l’in- choix de leurs alliances internationales.
dustrie et l’artisanat. De telle sorte que Ils devaient se conformer au traité du
l’idée d’une amnistie commença à che- 7 mars, d’autant que Von der Goltz
miner dans les têtes, précédée par la pra- n’était pas du genre à faire des compro-
tique assez massive des libérations mis. Ils espéraient de la sorte recevoir
conditionnelles. Le 30 octobre 1918, aussi une aide d’urgence. Le calcul
alors que la révolte commençait à s’avéra à courte vue : dès juillet 1918,
poindre dans les rues de Berlin, on pro- les défaites allemandes sur le front occi-
nonça 10 000 grâces, suivies par 6 500 le dental sonnèrent l’hallali de l’armée im-
jour de l’indépendance finlandaise (6 dé- périale. Toujours est-il que, dans cette
cembre). Les élections de mars 1919 conjoncture, les éléments les plus
ayant ramené encore 80 députés sociaux- conservateurs de la coalition bourgeoise
démocrates au Parlement (sur 200), pas songèrent à établir en Finlande une mo-
tous “assagis” au demeurant, le vote narchie constitutionnelle autoritaire,
d’une loi d’amnistie devint une priorité avec à sa tête un prince allemand : ils
politique, du moins pour ceux des élus pensèrent un temps à l’un des fils de
bourgeois qui avaient le sens de l’Etat. Guillaume II, avant de se rabattre sur
En juin, un premier texte provisoire fut Frédéric-Charles de Hesse. Le 17 août
adopté, suivi en janvier 1920 d’une vraie 1918, le Parlement croupion vota le prin-
loi d’amnistie redonnant à 40 000 cipe monarchique et, le 9 octobre, Frédé-
condamnés leurs droits civiques sous ric-Charles reçut officiellement le trône
certaines conditions. Il n’y eut plus alors de Finlande. Mais à cette date, le Reich
que 1 500 prisonniers politiques. En était au bord de l’implosion. L’heureux
outre, seules 268 exécutions capitales élu s’empressa de refuser ce cadeau em-
avaient été appliquées sur les 555 pré- poisonné. Les républicains bourgeois,
vues. emmenés par le futur président Stahl-
C’est à ce prix que la bourgeoisie fin- berg, reprirent espoir, bien que Manne-
landaise acheta la paix civile, sinon la re- rheim, homme de conviction contraire,
nonciation à la lutte des classes. eût été nommé provisoirement régent.
69
LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 23

Pendant que la droite s’affrontait sur monde ouvrier. Mais il réserva ses
la question constitutionnelle et tentait flèches les plus acérées pour l’ex-Délé-
d’échapper à l’opprobre de l’alliance al- gation du peuple et le nouveau Parti
lemande, un certain nombre de diri- communiste finlandais en train de naître
geants sociaux-démocrates qui avaient à Moscou. Les dirigeants du SDP main-
pris leurs distances avec le soulèvement tenu appelèrent à un congrès extraordi-
tentèrent une OPA sur le parti. Ils profi- naire le 4 décembre 1918. Dans ce but,
taient du chaos créé par la fuite des chefs les droitiers avaient réussi à obtenir l’ap-
révolutionnaires et de 10 000 gardes pui d’une partie du centre, avec l’ancien
rouges (accompagnés de leurs familles) zimmerwaldien Karl Wiik et le syndica-
en Russie pour tirer les marrons du feu liste Mikko Ampuja. Le congrès, tenu
et obtenir une légitimité qu’aucun les 27 et 28 décembre, entérina une ligne
congrès par le passé n’avait conférée à très réformiste, mais se heurta à une op-
leur ligne réformiste. Parmi eux figu- position vigoureuse d’éléments restés fi-
raient le juge Tanner, principal artisan du dèles à la gauche et emmenés par Joonas
complot, le médecin Hannes Ryömä et Laherma. Certains membres de cette op-
deux anciens sénateurs de 1917 : Julius position étaient de fait très proches des
Ailio et Väinö Wuolijoki. Pour caution communistes, mais ce ne fut qu’au
ouvrière, ils obtinrent l’appui de congrès suivant, en décembre 1919,
quelques anciens journalistes du Tra- qu’ils constituèrent une véritable ten-
vailleur, Väinö Hupli et Väinö Hakkila, dance organisée (13).
du théoricien kautskyste J. W. Keto et de De l’autre côté de la frontière, les
deux vieilles figures du parti à Helsinki, émigrés sociaux-démocrates fondèrent
Matti Paasivuori et Miina Sillanpää. Le fin août le SKP (Suomen Kommunisti-
10 avril 1918, le surlendemain du départ nen Puolue), l’un des premiers partis
de la Délégation du peuple à Vyborg, ils communistes au monde. Sirola, Kuusi-
firent circuler un texte appelant à des né- nen et Manner, les éléments réputés mo-
gociations avec les blancs et dénonçant dérés de la Délégation du peuple, s’em-
l’aventurisme des chefs rouges. Ils firent parèrent d’emblée des commandes, au
pression sur les gardes rouges de la ville prix d’un gauchissement très net du dis-
pour une reddition sans combat à Von cours. Le nouveau parti fit une autocri-
der Goltz. Le 16 avril, une fois la capitale tique sévère de la révolution manquée et
tombée, ils demandèrent aux rouges de
déclara que son but était la préparation
cesser unilatéralement leur résistance et
d’un deuxième soulèvement en Finlande.
qualifièrent le soulèvement de “tragique
En réalité, les divisions internes étaient
erreur”. Le 6 mai, alors que le fracas des
très fortes (avec, entre autres, l’opposi-
canons ne s’était pas encore tu, Hannes
tion des frères Rahja) ; de plus, une partie
Ryömä fit paraître un opuscule analysant
non négligeable des réfugiés, en particu-
l’année écoulée et justifiant la création
lier d’anciens syndicalistes, refusèrent
d’un parti social-démocrate épuré. Le
même jour paraissait un nouveau journal l’adhésion. Le SKP avait les pires diffi-
destiné à prendre la succession du Tra- cultés à entretenir des liaisons avec la
vailleur, le Social-démocrate de Finlande, Finlande, ce qui entraîna des options
à la tonalité nettement plus “modérée”, pour le moins irréalistes. Au printemps
sauf à l’égard des révolutionnaires. Il dé- 1919, Otto Kuusinen fut donc envoyé
nonçait le bolchevisme et ses adeptes, sur place pour tenter d’organiser les
réels ou supposés, ainsi que la dictature choses. Il acquit très vite la conviction,
du prolétariat, traduction de Kautsky à justifiée, que la révolution immédiate
l’appui. n’était plus possible et, contre l’avis de
la direction restée à Moscou, il mit sur
Durant l’été, le juge Tanner partit pied un mouvement ouvrier légal, à
pour la Suède et le Danemark chercher gauche de la social-démocratie tanne-
des appuis internationaux. Il en profita
pour dénoncer les conditions des camps
de prisonniers. C’était un moyen de ré- (13) Pour ce paragraphe, voir Hannu Soikkanen,
cupérer en sa faveur l’amertume du op. cit.

70
LA RÉVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

rienne. C’est ainsi que naquit en mai des années 1930 pour éliminer les
1920 le Parti ouvrier socialiste finlandais germes de contestation révolutionnaire,
(SSTP), auquel se rallièrent de très nom- au nom d’un esprit de type “ancien com-
breux militants et électeurs de gauche battant”. Il réussit à ramener Svinhufvud
(14). au pouvoir et à faire interdire en 1930 le
Entre-temps, les partis bourgeois, qui mouvement ouvrier crypto-communiste,
avaient tenu compte de l’avertissement dont l’influence ne se reculait pas depuis
des élections législatives de 1919, dix ans. Dans ses fondements idéolo-
étaient revenus à de meilleurs senti- giques, le mouvement de Lapua était
ments. Sous l’impulsion de Stahlberg, ils donc plus une formation ultra-conserva-
adoptèrent un régime républicain, trice et nostalgique qu’une formation
consentirent à des réformes sociales fasciste proprement dite, bien que dans
(surtout à la campagne) et acceptèrent IKL, parti fondé sur ses ruines en 1935,
une large amnistie. Les revanchards ul- il y eût d’authentiques admirateurs du
tras durent attendre 1930 pour tenter de nazisme ou du mussolinisme.
reprendre l’initiative. D’une certaine ma- Quoi qu’il en soit, le traumatisme de
nière, le pire était évité, même si les 1918 a laissé des traces durables dans la
gardes civiques conservaient pignon sur conscience collective, tant du côté des
rue. En outre, Svinhufvud et Manne- vainqueurs que des vaincus.
rheim durent se retirer provisoirement de Les premiers ont cherché à imposer
la vie politique suite à l’échec du raid leur interprétation des événements à
d’Aunus, qui entraîna la paix de Tartu l’ensemble de la société ; pour eux, la ré-
avec la Russie des Soviets à l’automne pression était une obligation morale et
1920. leur action entièrement légitime.
Les seconds se sont battus durement
pour récupérer leurs droits et justifier
Les conséquences politiques leur point de vue ; les survivants ont mis
à plus long terme en place une sorte de “contre-culture”
populaire, très vivace jusqu’aux années
La division du mouvement ouvrier 1970. De nos jours encore, dans les fa-
était destinée à durer. En dépit des vicis- milles, on garde la fierté d’avoir un aïeul
situdes de son histoire, l’extrême gauche garde rouge ou garde civique. L’esprit de
communiste (ou proche des commu- dialogue s’est bien sûr développé, ce
nistes) réussit à se maintenir en vie. A dont témoigne aussi la recherche histo-
l’exception des années 1930-1944, où elle rique depuis les années 1960, mais la
fut interdite et contrainte à une vie sou- coupure demeure entre les deux héri-
terraine sous la pression des activistes tages.
d’extrême droite, elle parvint même à
concurrencer électoralement le Parti so-
cial-démocrate, voire à le talonner durant Conclusion
toute la période de croissance de l’après-
guerre. Aujourd’hui encore, il existe une La révolution finlandaise de 1918 ne
véritable force électorale à gauche de la fut pas simplement le fruit des circons-
social-démocratie, beaucoup plus forte tances immédiates. Elle naquit d’un élan
en général que dans les autres pays scan-
dinaves.
A l’autre extrémité du spectre poli- (14) Pour les premiers pas du Parti communiste
tique, le mouvement de Lapua (du nom finlandais, le meilleur ouvrage est celui de Tauno
Saarela, Suomalaisen kommunismin synty 1918-
d’une bourgade ostrobotnienne d’où est 1923 (“La Naissance du communisme finlandais,
parti le phénomène) est également à 1918-1923”), Helsinki, KSL, 1996. Deux ou-
mettre en relation avec le soulèvement vrages plus anciens en langue anglaise : John
de 1918. Ses promoteurs se voulaient les Hodgson, Communism in Finland : a History and
Interpretation, Princeton UP, 1967, et Anthony
héritiers de la “guerre de libération” et Upton, Communism in Finland, Londres, Wei-
voulaient profiter de la crise du début denfeld et Nicolson, 1970.

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LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 23

économique brutalement interrompu par de vue beaucoup de travail à faire pour


la guerre, ainsi que de la survivance arriver au bout de l’enquête. Cela dit, le
d’archaïsmes institutionnels qui exaspé- prolétariat révolté n’échoua pas sur tous
rèrent en dernier ressort les contradic- les plans. Il conserva sa combativité et
tions sociales. La progression des idées ses organisations de masse ; il gagna sur-
évolutionnistes et contestataires en fut tout des réformes que la bourgeoisie re-
aussi l’un des ressorts, tout comme la chignait à lui accorder depuis quinze
conjoncture très particulière de l’année ans.
1917.
Il n’y eut donc pas à proprement parler Maurice Carrez
de hasard dans son éclatement ; elle était (université de Bourgogne)
peut-être évitable dans l’absolu, mais les
tensions socio-politiques accumulées de-
puis vingt ans finirent par déboucher sur (15) Risto Alapuro, Suomen synty paikallisenan
ilmiönä 1890-1933 (“La Naissance de la Finlande
une guerre civile. Le soulèvement té- comme phénomène local, 1890-1933”), Helsinki,
moigne ainsi de l’ambivalence du mou- Hanki ja jää, 1994.
vement ouvrier, qui n’était pas seule-
ment un facteur d’intégration so-
ciale (15), mais un élément de contesta-
tion du système qui se voulait en rupture
avec les normes dominantes.
Cette révolution était au départ
conçue comme un acte défensif et elle
fut, de fait, réalisée sur des bases très
éloignées de celles du bolchevisme. Ses
dirigeants prirent leur décision au der-
nier moment ; ils n’avaient au demeurant
ni la volonté, ni les moyens d’établir une
dictature du prolétariat. Victimes de
leurs hésitations, de leur incapacité à
mettre au point un appareil militaire suf-
fisant, de leurs divisions également, ils
ne purent résister aux assauts conjugués
de la bourgeoisie autochtone et du mili-
tarisme allemand, la Russie rouge étant
dans l’incapacité de leur porter secours
efficacement.
Les conséquences furent bien sûr dra-
matiques sur le plan humain. Il apparaît
aujourd’hui que l’ampleur de la répres-
sion a été sous-estimée, car certains
chefs blancs commirent de véritables
exactions à l’issue immédiate des com-
bats, quelquefois à l’insu de leurs supé-
rieurs hiérarchiques. Il reste de ce point

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