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Otto Kuusinen

et la révolution
finlandaise
de 1918
LES CAHIERS DU M OUVEM EN T O UVR IER / NUM ÉRO 40

Maurice Carrez vient de publier aux éditions Méridiennes deux volumes intitulés
La fabrique d ’un révolutionnaire, Otto Wilhelm Kuusinen (1881-1918), d’où nous
avons extrait quelques pages consacrées à la révolution finlandaise de janvier-
mars 1918 et à la politique qu’y développe Kuusinen, l’un des dirigeants du Parti
social-démocrate finlandais,
futur dirigeant du Parti communiste finlandais
et de l’Internationale communiste.
Otto Kuusinen (1881-1964) fut l’un des fondateurs du Parti communiste
finlandais en 1918, de 1921 à 1939 sera secrétaire du comité exécutif
de l’Internationale communiste, en 1923 sera nommé membre
du présidium du comité exécutif de l’Internationale. Il devient alors citoyen
soviétique et est en 1940 élu député au Soviet suprême de l’URSS. En 1941, il est
élu membre du comité central du Parti communiste russe. De 1940 à 1945,
président du présidium du Soviet suprême
de la République de Carélie finlandaise, créée en URSS après la guerre avec la
Finlande. En juin 1957, après l’élimination par Khrouchtchev
du ‘groupe antiparti” (Molotov, Malenkov, Kaganovitch, Boulganine, Sabourov,
Pervoukhine et Chepilov, "qui se joignit à eux”, selon la formule inventée par
Khrouchtchev), il est nommé membre du secrétariat
du comité central et du présidium du comité central du PCUS.
Pour éclairer la lecture des pages suivantes, nous ne saurions trop conseiller
aux lecteurs de se reporter
à l’article de Maurice Carrez
sur la révolution finlandaise
dans le n° 23 des Cahiers
du mouvement ouvrier (1).1

Otto Wilhem Kuusinen (1) Maurice Carrez : ltLa révolution


finlandaises>, Cahiers du mouvement
( 1881- 1918) ouvrier, n° 23, pp. 53 à 72.
Réformons sw rençïagefTienî pokfcque
d u r dtiiQBâni social-danoerale
Mandat*

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I
OTTO KUUSINEN ET LA REVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

"S i nous n ’étions pas unis,


alors s ’écrouleraient
les espérances... ”
Sus aux blancs ! aussi, dans la matinée du 28, la création
d ’un Conseil suprême ouvrier (CSO,
Tyôviien Paaneuvosro) de 35 membres,
La prise de pouvoir de la nuit du
où devaient figurer des représentants des
27 au 28 janvier 1918 s’avéra d’emblée
syndicats, du parti et des Gardes rouges
beaucoup plus difficile que prévu et les
(appellation désormais officielle de
premiers jours de la révolution furent
toutes les gardes ouvrières unifiées sous
marqués par de lourdes incertitudes. un même commandement, VEsikunta,
Certes, il y avait l’apparence d’une sorte d’état-major), A la première réu­
mécanique apparemment bien huilée. nion de la Délégation du peuple, à 9 heures
La déclaration du Comité exécutif du matin, un programme, sans doute ré­
ouvrier, approuvée le 27, fut bien pu­ digé par Kuusinen, fut approuvé avec
bliée à temps et connue rapidement de la comme points principaux : la démocrati­
population. La Délégation du peuple fut sation des institutions et de l’éducation,
aussi instituée officiellement le lundi une réorganisation de l ’aide sociale
28 janvier et commença aussitôt ses tra­ qu’on voulait plus généreuse, la libéra­
vaux. tion immédiate des métayers et la mise
On y retrouvait, comme prévu, prati­ en place d’une économie répandant aux
quement tous les membres de la Com­ besoins (on ne parlait pas de socialisa­
mission exécutive nationale du parti, à tion, ce qui est à noter). Ce programme,
l’exception de Wiik et Gylling : Marner publié le lendemain en même temps
(président), Sirola (Affaires étrangères), qu’une déclaration de la Délégation du
Taimi et Haapalainen (Intérieur, c ’est-à- peuple, fut soumis à l’approbation des
dire aussi Affaires militaires), Letonmàki travailleurs dans des réunions de masse
et Kiviranta (Justice), Turkia (Procura- tenues dans les principales villes du pays
ture), Kohonen (Finances), Eloranta aux mains des rouges, c ’est-à-dire Hel­
(Agriculture), Elo (Postes et communi­ sinki, Vyborg, Turku, Kotka, Pori et
cations), Kuusinen (Education) ; les syn­ Tampere.
dicalistes aussi étaient présents, malgré Globalement, la réception fut posi­
les réticences initiales, avec Tokoi (Ravi­ tive, même s’il y eut des critiques contre
taillement), Lumivuokko (Travail) et la modération jugée excessive des me­
Lindqvist (Transports). Un embryon sures économiques (certains souhaitaient
d’administration se mit aussitôt en place une socialisation rapide). Par ailleurs, les
dans les locaux du Sénat. On annonça Gardes rouges se mobilisèrent massive-
LES CAHIERS DU M OUVEM ENT OUVR IER / NUMÉRO 40

nient là où il leur avait été demandé de le Au-delà d'une ligne courant en gros du
faire, et la grève générale fut bien suivie Vuoksi jusqu’au sud du lac Pàijânne, puis
dans les principales agglomérations du passant un peu au nord de Tampere et
sud du pays. Enfin, l'attitude des forces Pori, soit environ 15 % du territoire (il est
russes fut plutôt bienveillante ; lors vrai le plus peuplé et le plus riche), les
d’une réunion entre le Comité exécutif Gardes rouges n’avaient que des points
ouvrier et le comité de zone, le 28 jan­ d’appui isolés autour d'Oulu, Kemi, Kuo-
vier à midi et demi, on fit le point et l’on pio et Varkaus. Les blancs avaient déjà
remarqua que presque partout les soldats nettoyé le 28 toute la Carélie du Nord et
encasernés avaient accueilli sans hosti­ tentaient même des coups de main sur les
lité apparente la révolution finlandaise. amères des rouges, comme les Gardes ci­
A Vyborg, le mardi 29 janvier, les délé­ viques (blancs) d’Uusimaa à Kerava, le
gués de la 42e armée déclarèrent que les 30 janvier. Jusqu'au tout début février, en
blancs finlandais, par leurs attaques outre, les Gardes rouges manquèrent sé­
continuelles, étaient devenus des enne­ rieusement d’armement ; le train venu de
mis. Mais, conformément à la position Petrograd n’arriva en effet à Helsinki que
officielle du gouvernement russe, ils se le dernier jour de janvier et à Tampere le
prononcèrent pour une position stricte­ 2 février 1918. Dans ces conditions, il
ment défensive sans intervention directe n’était pas vraiment question de pouvoir
dans les affaires finlandaises. Glazou- lancer une attaque générale, comme il res­
nov, pour sa part, avait demandé le 28 sortit du rapport fait pai Aaltonen (tou­
aux forces russes de résister aux attaques jours membre de l’état-major) le 31 jan­
de Mannerheim. Le mercredi 30 janvier, vier devant la Délégation du peuple,
le commissariat du peuple dépêcha Pro- Très vite par ailleurs, les troupes
chian auprès de la Délégation du peuple russes, sur l’appui desquelles comptaient
finlandaise afin de lui signifier une re­ les rouges, s’avérèrent défaillantes.
connaissance officielle. Certes, Smilga et Cheinman avaient pro­
Mais sous ces dehors apparemment mis de tout faire pour inciter les soldats
victorieux, il y avait d’autres réalités beau­ tusses à coopérer dans les zones où les
coup plus préoccupantes, en particulier sur blancs se montraient agressifs, mais il y
le plan militaire. Le commandement des avait loin de la coupe aux lèvres. Le
Gardes rouges connut d’emblée du tan­ commandant en chef des troupes nasses
gage. Comme les escouades de Gardes en Finlande, Glazounov, eut beau encou­
rouges envoyés au domicile des respon­ rager les siens à se battre en Ostrobotnie
sables politiques de droite étaient revenues le 28, il dut dès le lendemain renoncer à
les mains vides, on accusa Aaltonen d’im­ contre-attaquer ; il demanda alors à la
péritie. En réalité, sa faute principale, 106Ldivision (ou ce qu’il en restait !) de
comme le note avec pertinence Anthony battre en retraite, malgré l’opposition du
Upton, avait été de trop faire confiance colonel Svetchnikov. En Carélie, le 30 jan­
aux unités locales, avec un plan d’en­ vier, le comité de zone échoua dans sa
semble lacunaire. Il n’avait pu que donner tentative de m obiliser la 42' armée
des directives très simples aux unités pour contre les blancs. Les hommes ne vou­
éviter des pertes inutiles. Il fut donc rem­ laient tout simplement plus se battre, las­
placé à la tête de l’Esikunta par Haapalai- sés des ordres contradictoires et désireux
nen, pour la plus grande joie de son en­ avant tout de rentrer chez eux. De ce fait,
nemi Taimi, qui attendait son tour. La Dé­ toute résistance massive étant impos­
légation du peuple fut mise au courant le sible, il fut décidé de n’utiliser que des
lendemain,mardi 29. volontaires. Svetchnikov procéda de la
sorte en Ostrobotnie le 31, demandant
l’évacuation des autres, c’est-à-dire la
Les Gardes rouges grosse majorité. Ainsi, sur les 40 000
contraints à la défensive Russes présents encore en Finlande dé­
but janvier, entre 2 000 et 4 000 à peine
Sur le terrain, les Gardes rouges (le deuxième chiffre inclut les Estoniens
étaient en fait contraints à la défensive. rouges) participèrent de manière spora­
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OTTO KUUSINEN ET LA REVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

dique ou continue aux combats, ce qui les fonctionnaires. Une grève paralysa
était loin de compenser l’aide étrangère les principales administrations d’Helsinki
(volontaires suédois, puis division alle­ (ministères, postes, écoles, bureaux des
mande) dont bénéficiaient les blancs. chemins de fer, etc.) dès le 28 janvier.
Dans son rapport du 30 janvier devant la Elle ne put jamais être vraiment surmon­
Délégation du peuple, Sirola se montra tée, sinon par des licenciements (officia­
très pessimiste sur l’aide à attendre des lisés le 20 février) et des remplacements
Russes. II y aurait, affirmait-il, une éva­ (fort incomplets). Mais surtout, fait gra­
cuation rapide. La seule promesse faite vissime, les principaux dirigeants des
était de défendre la voie ferrée Helsinki- partis bourgeois ainsi que les sénateurs
Petrograd en cas d’attaque blanche. avaient totalement échappé aux arresta­
A ces problèmes d ’ordre militaire, tions. Ils se cachaient dans Helsinki avec
s’ajoutaient les difficultés d’ordre poli­ une facilité déconcertante en attendant
tique. Au sein du SSDP (1), la mobilisa­ de pouvoir évacuer, ce que fit Svinhuf-
tion des cadres n’était pas de tout repos. vud le 2 mars dans des conditions ro-
Certes, des gens réticents à une prise de cambolesques quand les blancs s’empa­
pouvoir révolutionnaire, comme Gylling, rèrent dans le port, avec la complicité
Airola ou Salin, se rallièrent assez vite, d ’officiers russes, du brise-glace Tarno
tout comme une majorité de députés du qui le mena à Tallin, puis de là en Alle­
groupe parlementaire. Des hommes de magne.
tempérament indépendant, comme Yrjô On doit souligner aussi, pour finir,
Màkelin, ne firent pas non plus de gros­ que l’indiscipline d’un certain nombre
ses difficultés pour prendre des respon­ d ’éléments des Gardes rouges entraîna
sabilités. Mais il y eut à l’inverse des dé­ dans les premiers jours du conflit des
fections. Sans surprise, la droite du parti, actes de violence qui inquiétèrent la Dé­
avec H uttunen, Tanner, Paasivuori, légation du peuple. Dans une de ses déli­
Ryômà, V. Wuolikoki ou bien Keto, se bérations du 1er février, elle eut à traiter
retira sur TAveutin, avec la ferme inten­ des assassinats du député Antti Mikkola
tion de profiter du moindre faux pas de et du sportif J. Halme. Elle en conclut
la Délégation du peuple pour abattre ses qu’il faudrait sans doute en venir à des
cartes. D’autres éléments comme Wiik mesures spéciales de police. Elle était en
se refusèrent dans un premier temps à fait soucieuse de ne pas s’aliéner l’opi­
toute fonction officielle, avant de venir à nion publique, En effet, si le soutien po­
contre-cœur rendre de menus services. pulaire ne faisait pas défaut, il était très
Beaucoup d’autres encore trouvèrent des inégal selon les groupes sociaux, La
prétextes pour éviter de s’engager : paî classe ouvrière, comme le montraient les
exemple, Af Ursin, qui évoqua une santé réunions de masse et les engagements
précaire pour éviter de prendre en charge dans la Garde rouge, prenait générale­
le secteur de l'Education, Joonas Laher- ment le parti de la Délégation du peuple.
La paysannerie pauvre ne se montrait
ma ou bien l’ex-sénateur Voionmaa, qui
pas hostile non plus, mais avec un peu
se défila, paraît-il, lors d ’une entrevue
avec Kuusineu le premier jour de la ré­ plus de réserves, La petite bourgeoisie
était en revanche d’emblée hostile, sauf
volution. 11 fallut recruter beaucoup de
une minorité, tout comme les paysans
jeunes au sein de l’administration de la
propriétaires (ces deux derniers groupes
Délégation du peuple pour pallier ces dé­
sociaux formaient Ses gros bataillons des
fections. Gardes civiques [blancs] depuis l’été
1917). Les fonctionnaires de l’ancien
Une grève paralysa Etat étaient également des opposants po­
tentiels, y compris les plus modestes, du
les principales moment où ils portaient une casquette.
administrations d’Helsinki Quant aux classes dirigeantes, la bour­
geoisie et les gros propriétaires terriens,
Il y eut d ’autre part, mais c ’était en
partie prévu, de grosses difficultés avec ( 1) Parti social-démocrate de Finlande.

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LES CAHIERS DU M OUVEM ENT O UVR IER / NUMERO 40

elles constituaient un pôle de résistance soit une semaine après le début de la ré­
infrangible. On peut observer en outre volution, parut une première circulaire
que si, dans la Finlande blanche, une destinée aux élèves, aux parents et aux
partie des couches populaires fut gagnée enseignants ; on y expliquait que les cent
aux. blancs grâce à une propagande pré­ ans écoulés avaient constitué pour le
sentant les rouges sous les aspects les pays une “glaciation spirituelle’' (henki-
plus rebutants, cela ne fut pas vrai des nen jaakausf) sous l’égide de la réaction.
classes moyennes et dirigeantes dans la Le secteur éducatif se trouvait donc dans
Finlande rouge. un état insatisfaisant dont il fallait le ti­
En dépit de ce tableau peu encoura­ rer. Il convenait dans un premier temps
geant, Kuusinen s ’engagea à fond dans de supprimer un enseignement religieux
l’aventure. Il est possible qu’il croyait, dogmatique, digne d’un autre âge, afin
au début, aux chances de réussite du d ’y développer des enseignements mo­
soulèvement. Cela dit, il n’était pas le fa­ dernes et de revoir les manuels d’histoire.
natique que s’employèrent à décrire Os- La tâche essentielle était cependant la
kari Tokoi et Emil Laiho (alias Louhik- démocratisation de l’école et son ouver­
ko) ; leurs témoignages furent écrits, il ture réelle à tous les enfants. On annon­
est vrai, bien des années après les événe­ çait pour ce faire la mise en place d’un
ments, et dans des circonstances où il comité de réflexion. Le samedi 9 février
leur était utile de charger la barque d’au­ 1918, Kuusinen présenta à la séance du
trui. En réalité, comme le prouvent tous soir de la Délégation du peuple le projet
ses écrits et ses actes d’octobre 1917 à de création d’un Conseil de l’éducation
janvier 1918, Kuusinen était conscient (,kouluneuvosto) comprenant deux sec­
des risques inhérents a. une prise de pou­ tions, l’une des affaires scolaires, l’autre
voir ; il serait pour le moins étonnant de l’apprentissage. Il recommanda d’y
qu’il eût changé son fusil d’épaule dès la nommer, outre les époux Pârssinen, Hulda
fin janvier alors qu’il avait à écouter des Salmi, R. Penttinen et Y. K. Laine (qui,
rapports pour le moins alarmants de la plus tard, minimisa beaucoup son rôle au
part de ses collègues ; le pouvoir rend sein de la Délégation pour les besoins de
fou, mais pas à ce point ! Au demeurant, sa défense devant les tribunaux blancs).
Joonas Laherma, confus, je le concède, Il était prévu aussi de mettre en place lin
dans ses souvenirs, croyait si peu à cette conseil des affaires culturelles (Taidea-
thèse qu’il écrivit le contraire, au risque siain neuvosto). Le 16 février, ta Déléga­
de déplaire à ses camarades de parti. tion du peuple accepta le principe d’aug­
Pour lui, “Kuusinen doutait dès le début menter de façon importante les salaires
de la réussite du soulèvement. Dans la des instituteurs du primaire et d’apporter
phase initiale, U était devenu pleinement une aide matérielle aux enfants pauvres
convaincu que le soulèvem ent était des écoles.
condamné à échouer pour maintes rai­ Elle le confirma le 22 février. Ces
sons mesures avaient pour but évident de sé­
duire les milieux de renseignement et de
la culture, dont l’appui serait d’un grand
Otto Kuusinen secours pour la Délégation du peuple. En
même temps, la circulaire du 3 février
à l’époque cherchait à faire intervenir les milieux
où il participait à la populaires dans les problèmes scolaires,
ce qui était une revendication ancienne
Délégation du peuple des militants sociaux-démocrates et une
question souvent débattue dans les Mai­
En tant que délégué du peuple à sons du peuple. Mais si l’écho fut plutôt
l’Education, Kuusinen se consacra natu­ positif parmi ceux qui étaient convaincus
rellement à son secteur d’attribution. Il de la justesse du soulèvement, les ensei­
était épaulé dans sa tâche par l’énergique gnants et les artistes restèrent sourds à
Hilja Pârssinen et son mari, l’un et l’au­ cet appel du pied, sans doute parce que,
tre enseignants. Le dimanche 3 février, dans leur grande majorité, ils penchaient
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OTTO KUUSINEN ET LA REVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

pour les blancs. Beaucoup d ’ensei­ vaient arrêtées, soit parce qu’elles ren­
gnants, par ailleurs, et même de parents, contraient de vraies difficultés, soit par
du moins à la campagne, tenaient à l’en­ mauvaise volonté ou fuite de leurs pro­
seignement religieux traditionnel. priétaires, Eioranta avait préparé une
Mais le rôle de Kuusinen ne se limi­ motion relativement radicale qui donnait
tait absolument pas à ses fonctions offi­ à l’Etat et aux communes le droit de so­
cielles de délégué du peuple à l’Educa­ cialiser des entreprises industrielles et
tion. Sur ce point, les témoignages se re­ agricoles en cas de besoin.
joignent. de même que les travaux des Haapalainen présenta un texte plus
historiens. En vérité, il fut, jusque vers la prudent, où il était question de remise en
fin mars, l'un des personnages clés de la route soit au compte de l’Etat, soit à
Délégation du peuple, bien que ses appa­ compte privé (ce qui supposait un arran­
ritions publiques restassent rares et qu’il gement), et seulement si cela était tech­
préférât l’ombre à la lumière. Le dé­ niquement possible et économiquement
pouillement des archives ne laisse aucun profitable. Il proposait en outre la créa­
doute à ce sujet. On le vit par exemple tion d’un comité industriel chargé d’exa­
élu le jeudi 31 janvier (avec Eioranta et miner la faisabilité des projets. Kuusi­
Letonmàki) à la commission financière nen, qui se méfiait des mesures trop ra­
chargée d’épauler Korhonen dans sa dicales et voulait rester sur un terrain
tâche. Cette élection peut sembler appa­ réaliste, proposa le texte suivant : “La
remment mineure, mais, en réalité, il ne question de la socialisation des établis­
s’agissait pas d’un poste anodin dans la sements productifs doit être résolue au
mesure où la révolution rencontrait cas par cas et secteur par secteur. Pour
d’énormes difficultés dans la gestion de cela, il faut se tourner vers des experts,
ses finances, en dépit des efforts de Ko­ avec comme possibilité d'utiliser en tant
rhonen et de Gylling (nommé le 8 fé­ que tels des groupes de travail. L ’orga­
vrier). On ne pouvait confier une tâche nisation pratique sera laissée aux syndi­
aussi ardue à des seconds couteaux, cats." Sa position, on le voit, était très
Kuusinen était d’autre part très sollicité politique. Il fallait éviter de prêter le
pour le recrutement et les nominations flanc à des groupes de pression radica-
de cadres révolutionnaires. Ainsi, le 16 fé­ lisés et laisser aux organisations éprou­
vrier, la Délégation du peuple le chargea vées de travailleurs ainsi qu’à des gens
avec Einari Laaksovirta de trouver un qualifiés la réflexion sur ce qui était pos­
nouveau président à la Délégation d’Uu- sible ou pas. La proposition d’Eloranta
simaa, poste éminemment important de lui semblait excessive et celle d’Haapa-
l’administration régionale rouge. Kuusi­ lainen imprécise, bien que compatible
nen intervint en outre de manière sur le fond avec la sienne. Ce fut néan­
constante dans le domaine de la poli­ moins cette dernière qui arriva en tête,
tique économique, avec une voix d’avance sur la sienne.
Les plus “ modérés” avaient voté pour
lui (Tokoi, Turkia, Gylling, Manner,
Un vif débat sur la Elo), les plus radicaux pour celle d’Elo­
ranta (Letonmàki, Kiviranta, Taimi.,.), ce
socialisation éventuelle qui était significatif des lignes de force.
de diverses entreprises Il est intéressant d’observer que Siroîa
avait choisi Haapalainen plutôt que Kuu­
Le 11 février eut lieu au sein de la sinen. S’étant rallié finalement à la mo­
Délégation du peuple un vif débat sur la tion Haapalainen, Kuusinen fut élu en­
socialisation éventuelle de diverses en­ suite au comité industriel, où il représenta
treprises. Cela faisait suite à une déci­ l’aile modérée. Il y avait une continuité
sion du 7 février chargeant Lumivuokko, dans son attitude, car deux jours plus tôt,
délégué du peuple au Travail, d’établir face à un Letonmàki pressé de prendre
un rapport sur la question, suite à des des mesures économiques “révolution­
pressions venues de la base ouvrière. De naires” , il avait répliqué fermement que
nombreuses entreprises, en effet, se trou­ “toute forme de marche forcée menait à

“I
LES CAHIERS DU M OUVEM ENT O UVR IER / NUMERO 40

la répression”. Pour loi, il fallait faire taire et de membre de la Commission


les choses sans précipitation et dans l’or­ exécutive nationale du parti ; n’était-il
dre. Les projets devaient être bien pré­ pas entre autres l’auteur de la déclaration
parés, d’où sa proposition de mettre en du Comité exécutif ouvrier le 28 janvier
place un comité de socialisation {reprise et de celle de la Délégation du peuple le
ensuite par Haapalainen avec une autre lendemain ?
dénomination). On peut également observer l’impor­
Bien que minoritaire sur le papier au tance du rôle de Kuusinen dans ses inter­
sein du comité industriel, il conserva une ventions au Conseil national du Parti so­
influence notable, puisque, le mardi 12 fé­ cial-démocrate du 3 février 1918. Cette
vrier, ce fut lui qui présenta à la Déléga­ réunion était cruciale pour les dirigeants
tion du peuple le plan d’action prévu par révolutionnaires, car elle était censée
ce dernier. leur obtenir l’aval officiel du parti avant
A toutes les casquettes précitées, le congrès. Or les adversaires du soulè­
vement étaient représentés en force dans
Kuusinen ajoutait celle de consultant sur
cette instance, malgré l’absence de Gyl-
les questions diplomatiques. Le 14 fé­
ling et Wiik, démissionnaires de la Com­
vrier 1918, il fut chargé avec Sirola de
mission exécutive nationale du parti.
discuter avec le socialiste de droite sué­
Etaient présents en effet des militants
dois Bôhmer, de passage au siège du
comme Vuoristo, Saarikivi ou Airola,
parti et qui se proposait de jouer les in­ dont la gauche pouvait craindre qu’ils ne
termédiaires avec le pouvoir blanc.
fissent du scandale, La position de Mà-
On était alors dans une phase délicate kelin était également importante, non
de la révolution. Des éléments blancs pas qu’il fût, comme l’affinnent curieu­
s’étaient emparés des îles Âland sous la sement Anthony Upton et Hannu Soik-
direction de Fabritius Le 10 (ils avaient kanen, un adepte inconditionnel de la
rapidement désarmé le petit contingent tactique parlementaire, mais parce qu’il
russe) et le gouvernement suédois avait était parfois imprévisible.
décidé le 13 d ’envoyer des navires de Or ce fut lui que l’on nomma prési­
guerre dans la zone, prétendument pour dent de séance, les “modérés” ayant es­
évacuer les civils, en vérité avec des in­ péré sans doute, mais à tort, qu’il rejoin­
tentions moins pures. De plus, la Délé­ drait leur camp. Le bouillant Airola atta­
gation du peuple venait d'apprendre la qua bille en tête, comme à l’accoutu­
veille que les négociations de Brest-Li- mée : il regretta que le compromis n’eût
tovsk avaient été interrompues et que les pas été trouvé avec les parlementaires
Allemands reprenaient leur avance en bourgeois, car, selon lui, la social-démo­
Livonie et en Estonie. Cela ne laissait cratie avait les moyens de les y forcer. 11
pas d’inquiéter et Sirola devait se rendre s’inquiéta aussi de la propension des
le plus vite possible à Petrograd pour masses à ne pas agir selon des "procédés
sonder les intentions bolcheviques. La sociaux-démocrates", c ’est-à-dire sages
négociation avec Bôhmer exigeait donc et légaux (il faisait là allusion aux vio­
d’être traitée avec le plus grand sérieux lences contre les blancs). Il déclara ce­
pour essayer de voir ce que voulaient pendant qu’il n’était pas possible de re­
vraiment les Suédois, que ce soit le gou­ venir en arrière dans l’immédiat et qu’il
vernement ou les sociaux-démocrates de fallait agir positivement. La première
Branting. La présence de Kuusinen est mesure qu’il appela de ses vœux fut de
significative du poids qu’il avait au sein séparer nettement les affaires militaires,
de la Délégation du peuple, surtout gérées par les Gardes rouges et les radi­
quand on sait qu’en théorie, Sirola et son caux, des affaires civiles. Cette proposi­
département avaient à eux seuls la possi­ tion fut vivement soutenue par les droi­
bilité de traiter. Ajoutons enfin que Kuu­ tiers, mais également par Turîda et Murto.
sinen était en permanence sollicité pour Face à ces propos assez ambigus, Màke-
rédiger des déclarations ou des décrets, lin prit une position plus claire. Selon
en raison de ses talents de plume comme lui, ce qui était arrivé n’était pas à re­
de sa longue expérience de parlemen­ mettre en cause. Au contraire, cela aurait
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OTTO KUUSINEN ET LA RÉVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

dû être fait déjà avant, au moment de la les sections rurales fussent bien repré­
grève générale de novembre, fl fallait sentées au sein de ce Conseil suprême
avancer et mettre en ordre de marche le des ouvriers. La déclaration finale, parue
parti, 11 n’y avait là aucune trace de ce le lendemain, était malgré tout une vic­
modérantisme supposé dont on l’affuble. toire pour l’aile politique de la Déléga­
Personne n’osa le contredire ouverte­ tion du peuple. On y retrouvait tous les
ment. points importants qu'elle souhaitait voir
mis en exergue : la présentation de la ré­
volution comme une nécessité, l’appro­
Ne pas en rajouter bation des institutions et du programme
qu’elle avait mis en place, l’insistance
dans le radicalisme sur ses visées démocratiques (référence à
un vote populaire sanctionnant les me­
Kuusinen, pour sa part, saisit rapide­ sures prises), l'affirmation du rôle sou­
ment qu’il ne fallait pas en rajouter dans verain du congrès ainsi que la séparation
le radicalisme, car cela aurait eu l’effet des fonctions civiles et militaires. En
contraire de celui escompté. outre, le texte soulignait, élément essen­
L’intervention de Màkelin avait en tiel aux yeux de Kuusinen, que la socia­
outre poussé le verrou. Il choisit donc de lisation devait se faire progressivement,
rassurer les hésitants, tout en leur faisant sans accélération artificielle. Les vio­
crédit de certaines critiques. "Tout ne lences inutiles et l’anarchie étaient éga­
s ’est pas passé comme nous l ’avions es­ lement condamnées, ce qui motivait le
péré, concéda-t-il. L ’événement est une vœu de voir rapidement institués des tri­
nouveauté, c ’est pourquoi il faut être bunaux révolutionnaires.
compréhensifs." Il insista toutefois sur
les chances de réussite, quitte à manier
l’euphémisme : “La situation semble Le projet constitutionnel
bonne actuellement, même si on n ’est
pas encore entièrement sûr du résultat." présenté
I! ne chercha pas à masquer en retour les
trois difficultés majeures qui se présen­ à la fin février 1918
taient ; l’organisation de la guerre contre devant la Délégation
les blancs, le manque de vivres et l’état
des finances. Puis, en politicien chevronné du peuple finlandais
qui savait faire vibrer les cordes sen­
sibles, il partit sur un éloge de l’unité, Parmi les mesures préconisées par le
clé de la réussite finale. Il ne put s’empê­ Conseil national du Parti social-démo­
cher cependant de mettre en garde les crate figurait d ’autre part en bonne place
éventuels récalcitrants : ‘‘Si nous la rédaction rapide d’une Constitution
n'étions pas unis, alors s ’écrouleraient démocratique. Cette tâche fut confiée à
les espérances qui selon moi .sont sûres Kuusinen, secondé par son beau-frère,
désorm ais." Au terme du débat, une juriste de profession, Einari Laakso-
commission de quatre membres fut élue virta ; elle n’était pas seulement honori­
pour rédiger la déclaration finale. Ou y fique, mais centrale dans le dispositif ré­
retrouvait Airola et Vuoristo, preuve que volutionnaire. Le choix de Kuusinen
le poids des “modérés” était bien pris en était dicté par le fait qu’il était le princi­
compte. Sans pouvoir donner au texte pal spécialiste du parti en matière de
une coloration trop moi Je, ils imposèrent questions constitutionnelles et qu’il était
toutefois, malgré les objections d’Hur- en même temps membre de la Déléga­
mevaara et d’Hârmâ, de donner 15 siè­ tion du peuple. L’intéressé se mil fié­
ges au parti dans le futur Tyêvàen Pâd- vreusement au travail. Ses papiers prou­
neuvosto, au grand dam des Gardes vent au demeurant qu’il fut l’âme du
rouges qui estimèrent que cette sur-re­ projet.
présentation était une marque de défiance Celui-ci fut prêt avant le 20 février,
à leur égard. Ils veillèrent aussi à ce que date de son examen de passage devant la

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LES CAHIERS DU M OUVEM ENT O UVR IER ! NUMÉRO 40

Délégation du peuple. Il comprenait instituant un régime strictement parle­


83 articles qui ont fait depuis l'objet de mentaire. L'Eduskuma, composé de 200
nombreux commentaires : Anthony Up- membres (article 17), était élu par tous
toti a essayé de le tourner assez injuste­ les citoyens âgés d’au moins 20 ans, sauf
ment en ridicule ; Vîktor Holodkoski en ceux privés de leurs droits civiques pour
a fait des compliments, tempérés par le infraction à la loi (article 18). Ses mem­
fait qu’elle n’ouvrait pas la voie à une bres décidaient de la durée de ses ses­
économie socialiste (argument agité sions (article 19) et avaient le droit de
trente ans plus tard par Kuusinen, de­ proposer des lois individuellement ou en
venu citoyen soviétique) ; Osmo Rinta- groupe (article 20). Ils élisaient des com­
Tassi pour sa part, s’appuyant sur des missions — certaines d’entre elles étant
commentaires plus anciens de juristes, obligatoires (article 21) — ou des comi­
en a fait une présentation assez neutre et tés en fonction des besoins (article 22).
bien circonstanciée. Il a montré en parti­ Leurs votes devaient être confirmés par
culier les liens de continuité entre les écrit (article 25). Le Parlement était seul
propositions de février 1918 et celles habilité à voter sans restriction les lois et
présentées en commission constitution­ les décrets (articles 26, 27, 28), même si
nelle à rautomne 1917. La lecture atten­ le gouvernement (appelé Délégation du
tive du manuscrit montre d’abord que peuple) avait le droit d’en proposer — à
eelui-ei ne visait nullement à implanter condition d’être jugés conformes à la loi
en Finlande la dictature du prolétariat, par la commission constitutionnelle (ar­
Au contraire, il s’agissait d’un projet de ticles 28, 29), Il décidait aussi, à la majo­
démocratisation très large des institu­ rité des deux tiers, de l’institution de
tions, comme l’avaient annoncé à la fois nouveaux impôts et droits de douane (ar­
la Délégation du peuple dans son texte ticle 34). U votait le budget chaque an­
du 29 et le Conseil national du Parti so­ née (article 36) et surveillait sa mise en
cial-démocrate du 3 février. La Finlande application (articles 37, 38). Il approu­
était définie en effet comme une répu­ vait les traités signés avec des Etats
blique (article 1) où le pouvoir apparte­ étrangers (article 39). En cas de négocia­
nait pleinement au peuple souverain par tions officielles avec d’autres pays, il
le biais d ’un Parlement élu (article 2). avait le droit de former des commissions
Les droits individuels y étaient garantis où les partis étaient représentés propor­
par le titre I, comprenant 16 articles (in­ tionnellement (article 41). Il veillait à
cluant les précédents). l’inviolabilité des frontières, à l’indépen­
Chaque citoyen avait ainsi droit à la dance et à la neutralité du pays — sauf
protection de sa vie, de son honneur et cas d’absolue nécessité pour cette der­
de sa liberté (article 4), liberté de rési­ nière (article 42a). En cas de conflit avec
dence, de déplacement (article 5), mais l’extérieur, il ne pouvait limiter les liber­
aussi de croyance (article 6), d’expres­ tés que de manière transitoire (article
sion (article 7), de réunion (article 8) et 42b). Le Parlement, en revanche, avait le
de port d’armes (article 9). Le droit de droit de prendre des mesures contre des
propriété, y compris économique, était personnes ou des groupes rebelles vou­
reconnu (article 11), mais avec la préci­ lant abolir la Constitution (article 44). Il
sion qu’il était réglementé par la loi et lui était interdit cependant d ’abolir la
sous surveillance de l’Etat (article 10). Constitution démocratique et d’en établir
La grève était autorisée, même sur le lieu une oligarchique. Dans ce cas, le peuple
de travail, à condition de recourir à des avait le devoir d’insurrection (article 45),
méthodes paisibles (article 12), On ne Le titre III définissait pour sa part les
pouvait être condamné ou emprisonné droits du peuple à proposer des lois et à
sans jugement ou simplement parce participer à des référendums (6 articles).
qu’on avait des dettes (articles 13-14). Il suffisait pour cela d’avoir les signa­
Les mauvais traitements lors d’arresta­ tures d’au moins 10 000 citoyens sur un
tions ou d’emprisonnements étaient in­ projet (article 46). Une fois le texte pré­
terdits (article 15). Le titre il définissait paré, le Parlement était tenu de l’exaini-
les droits du Parlement (29 articles) en ner (article 48). Si un tiers des députés
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OTTO KUUSINEN ET LA RÉVOLUTION FINLANDAISE DE 1918

au moins le souhaitait, ledit projet pou­ tion était repris par exemple des Consti­
vait faire l’objet d’un référendum (article tutions bourgeoises de la fin du XVIII'
49). En cas d’approbation majoritaire, il (américaine de 1776 et françaises de
avait alors force de loi (article 50). Les 1789 et 1793). Mais il est évident aussi
citoyens pouvaient être amenés à se pro­ qu’il n’était pas un simple projet républi­
noncer sur des changements constitu­ cain “bourgeois” . Ainsi, l’article 10 ne
tionnels si les deux tiers des députés y sanctifiait pas le droit de propriété, mais
consentaient : la majorité populaire laissait entendre que ce dernier pouvait
simple suffisait à entériner les réformes être limité au nom de l’intérêt général.
proposées (article 51). On pouvait par Le n° 12 donnait des armes importantes
référendum voter l’annulation d’une loi aux travailleurs en cas de conflit du tra­
parlementaire deux mois au moins après vail. De nombreux autres articles, en
son adoption (article 52). Le titre IV (30 outre, posaient les jalons d’un système
articles) concernait les droits de l’Etat et de démocratie directe, donnant aux ci­
de l’appareil judiciaire, mais il cherchait toyens la possibilité de surveiller ou de
aussi à garantir le droit de contrôle des démettre leurs représentants. D’autre
citoyens. Les fonctionnaires, par exem­ part, beaucoup de dispositions sur le
ple, devaient tous les cinq ans se sou­ fonctionnement de VEduskunta ou la li­
mettre à une évaluation de leur travail ; mitation des droits du gouvernement,
ils ne pouvaient voir renouveler leur em­ des fonctionnaires et de la justice étaient
bauche que s’ils avaient donné satisfac­ inspirées par les combats concrets de la
tion (article 54). Si Je poste était soumis social-démocratie finlandaise contre
à élection, on pouvait demander un vote l’autoritarisme gouvernemental, les me­
pour abréger la durée de son exercice sures antiparlementaires et les abus de
avec l’appui d’un cinquième des élec­ pouvoir des fonctionnaires. Ainsi, le pro­
teurs concernés (article 55). La Déléga­ jet de Kuusinen ne portait pas seulement
tion du peuple, organe exécutif suprême, la marque des joutes parlementaires de­
était soumise à la surveillance régulière puis 1907, mais aussi des luttes de la
du Parlement (articles 56, 60, 61, 62, classe ouvrière contre l ’arbitraire. 11
63). Ses membres étaient élus pour trois avait de la sorte, aux yeux de nombreux
ans au plus (article 57). De même, la Finlandais, une tonalité socialiste.
Cour suprême, le procurateur et les pré­ Au demeurant, quelle est cette étrange
sidents des tribunaux étaient désignés conception (le plus souvent implicite)
par le Parlement (articles 66, 68), Toute selon laquelle un projet socialiste doit
victime d ’un jugement inique pouvait en établir des soviets et la dictature du pro­
appeler au procurateur (articles 70, 71) létariat pour être considéré comme tel ?
et obtenir réparation (article 82). Tout Il n’existe en réalité aucun modèle de
fonctionnaire ayant abusé de ses pou­ Constitution socialiste, pas plus qu’il
voirs était passible d’un jugement (ar­ n’existe de modèle de Constitution bour­
ticle 74) et était responsable de ses actes geoise. Un projet prend une tournure so­
(article 81). cialiste lorsque son but est d’offrir aux
plus humbles la possibilité de faire en­
tendre leur voix et de défendre concrète­
Un cachet ment leurs intérêts (avec une chance de
victoire), pas seulement de les remettre
libéral progressiste entre les mains des élites. Nous pouvons
remarquer en tout cas que, par certains
Beaucoup des dispositions ici dé­ aspects, le projet constitutionnel de jan­
crites reprenaient, en les poussant jus­ vier 1918 correspondait à certaines aspi­
qu’à leur terme, certains éléments des rations citoyennes d’aujourd’hui dans de
Constitutions “bourgeoises” les plus nombreux pays développés. Il avait de
avancées de l’époque (helvétique, fran­ ce fait une certaine modernité, même s’il
çaise et américaine en particulier). Ce donna à ses ennemis l’occasion de railler
projet avait donc en partie un cachet li­ son caractère utopique. Anthony Upton
béral progressiste. Le droit à l’insurrec­ insiste quant à lui sur l’incompatibilité

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LES CAHIERS DU M OUVEM ENT OUVR IER / NUMÉRO 40

qu’il y aurait eu entre un tel projet et les raineté populaire ; en outre, la majorité
réalités de la guerre civile. Cet argument de la Délégation du peuple, sans doute
n’est pas entièrement recevable, car dans moins au fait des astuces constitution­
l’esprit de Kuusinen et de ses collègues nelles, demanda le retrait de l’article 9,
de la Délégation du peuple, sa mise en ce qui était effectivement une naïveté.
application supposait d’abord line phase Le texte constitutionnel préparé par
transitoire où les organisations ouvrières Kuusinen ne traitait pas du problème de
seraient directement au pouvoir. La théo­ la décentralisation. Il se contentait d’an­
rie révolutionnaire officielle (celle des noncer dans son article 78 qu’on légifé­
déclarations des 28 et 29 janvier) était rerait sur l’autonomie communale. No­
que la classe ouvrière n’avait pris que tons cependant que, dans la pratique, du
provisoirement le pouvoir, et non défini­ moins en février et mars, quand le pou­
tivement. voir rouge fonctionnait à peu près dans
Plus solide en revanche est la re­ la zone qu’il administrait, des éléments
marque de ce même Anthony Uptor de démocratie directe et d’autonomie
quant aux difficultés que n’aurait pas communale purent être observés. Pour
manqué d’apporter un résultat négatif au finir, le projet Kuusinen-Laaksovirta fut
référendum constitutionnel on une vic­ examiné le 20 février en réunion de la
toire bourgeoise aux élections législa­ Délégation du peuple. Les articles 9 (li­
tives. Kuusinen n’avait prévu que deux berté de s’armer pour les citoyens) et 10
pare-feu, l’article 9 qui permettait aux (limitation au droit de propriété), suscep­
citoyens de posséder des armes, donc en tibles de provoquer des polémiques, fu­
théorie de former des milices populaires, rent retranchés. Quelques modifications
et l’article 44, raillé par notre collègue formelles sans importance furent égale­
britannique, sur le droit à l’insurrection. ment exigées. Moyennant cela, il fut dé­
Ceux-ci laissaient la possibilité de tenter finitivement adopté le 23 pour être pré­
un deuxième coup d’Etat avec une appa­ senté au CSO. Les circonstances firent
rence légale, mais en contradiction appa­ toutefois qu’il ne fut jamais mis en ap­
rente avec les affirmations sur la souve­ plication.

Début du m anuscrit de Kuusinen Otto Kuusinen à l’époque où il participait


concernant le projet constitutionnel à la Délégation du peuple.
présenté à la fin février 1918 devant la
Délégation du peuple finlandais.

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