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Tout travail de recherche est un processus évolutif.

Cet ouvrage contient


des noms propres, des lieux, des données qui peuvent susciter chez le
lecteur des associations d’idées nouvelles, qui appellent à être complétés
et retouchés. Aussi, les remarques, commentaires, informations ou
apports supplémentaires de la part d’autres chercheurs seront les
bienvenus pour une mouture enrichie de ce livre.
VOLUME II

361
362
PARTIE IV

LE FLUX DES ECHANGES

363
I. Les importations

Les villes dalmates en bordure de la côte adriatique disposent d’un territoire agricole dont la
taille se réduit tout au long du XVIe siècle, au gré des conquêtes turques – hormis pour Dubrovnik.
A l’inverse, l’artisanat et le commerce demeurent des branches lucratives. Ces communes sont donc
tributaires d’un apport extérieur constant en produits agricoles et d’élevage, en matières premières
et plus généralement en textiles et autres produits manufacturés, voire en marchandises de luxe
(épices, minéraux, toiles fines), pour les membres aisés de la population urbaine.
Toutefois, cet espace ne représente pas un gros marché de consommation (Zadar, capitale de
la Dalmatie, n’a que 7 à 8.000 habitants). En revanche, grâce à leur emplacement, ces cités sont très
appropriées au commerce de transit. Dans ces conditions, tout arrivage de marchandises en ville
peut à la fois alimenter le marché local et servir de bien d’exportation. De plus, certaines matières
premières peuvent être importées, travaillées par les artisans et réexportées. C’est pourquoi, dans le
cadre de cette étude, il convient d’observer l’ensemble de ces trois aspects de l’importation.

1°) Le marché du blé


Dans l’ensemble du bassin méditerranéen se pose le problème d’approvisionnement en blé
pour nourrir les populations urbaines. Il suffit d’une mauvaise récolte, d’une dévastation des terres
labourables, pour que les risques de disettes s’aggravent sur toute une zone urbanisée. Au XVIe
siècle, les villes sont beaucoup plus touchées par les famines que les régions campagnardes et des
ports de redistribution peuvent eux-mêmes être concernés par ces pénuries. La fourniture en blé est
d’autant plus empesée que les prix du transport sont très élevés.
Les grandes villes sont donc les plus grands clients du marché du blé. Venise
s’approvisionne en majorité vers le Levant. Dès 1390, elle entre en contact avec la Porte et
entretient les bonnes relations pour s’assurer les importations. Elle demande régulièrement des
autorisations de sorties de céréales du Levant au Sultan. La République de Saint-Marc se tourne
également vers la Pouille et la Sicile – principale fournisseuse de céréales notamment en temps de
crise1. A plusieurs reprises, comme en 1539, Venise interdit toute sortie du blé en dehors de « son
Golfe ». Son Office des Blés, comme dans toutes les villes, contrôle les arrivages, la mise en stock
et prévient toute pénurie dès que les entrepôts contiennent moins de huit mois à un an de blé de
provision.
Dubrovnik connaît souvent les disettes. Elle met place un dispositif semblable de contrôle
des arrivages de blé par les Recteurs et interdit toute sortie de céréales hors de la ville. Cela engage

1
C’est le cas au début du XVIe siècle, lorsque les récoltes céréalières de la Pouille sont carentielles; Giulio Fenicia,
Politica economica e realtà mercatile nel regno di Napoli nella prima metà del XVI secolo (1503-1556), Bari 1996, 6-9.

364
des gardes, nécessite des perquisitions, l’établissement de recensements des fournitures, voire la
chasse des étrangers qui n’importent pas du blé, et des rationnements. La Porte est également l’un
de ses principaux fournisseurs. Dubrovnik s’adresse plus particulièrement au sandjak de
l’Herzégovine dans son arrière-pays. Les deux Républiques ne reculent d’ailleurs pas non plus
devant le rapt des navires chargés de blé circulant en mer Adriatique2.
Dans le cadre légal, les agents du pouvoir partent en négociation et les marchands sont
encouragés par des promesses de primes (à Napoli, les autorités offrent un prix de revente nettement
inférieur au prix d’achat). A Venise, des mercadanti di biavi sont spécialisés dans la vente du blé et
en détiennent le droit exclusif dans la ville3. En cas d’échec, les navires transportant cette précieuse
denrée se font saisir et les gouvernements payent, après discussion, la valeur de la cargaison4. A
Dubrovnik, lorsque le gouvernement fait confisquer un bateau, il fixe lui-même le prix à payer pour
éviter les spéculations5. Venise fait également souvent voler des navires ragusains en provenance de
Salonique et des ports albanais6. Or, durant la seconde moitié du XVIe siècle, le bassin adriatique est
la zone principale de ravitaillement de Venise. De 1560 à 1569, sur 236 contrats d’engagement
d’importation, 17 seulement concernent des directions dépassant les limites de cette mer chaude,
c'est-à-dire, la Sicile, le Levant et un contrat pour la Provence. Parmi les ports fournisseurs en
grains qui sont mentionnés, outre les Marches et l’Abruzze, figurent les ports de la Dalmatie7.
Cette zone a donc l’intérêt d’être à la fois demandeuse et fournisseuse en blé. Notre
recherche porte alors sur plusieurs points concernant aussi bien le marché des céréales dans les
villes dalmates mêmes, que la part de leurs exportations en cas de surplus.

a) Split et Zadar dans le contexte global du marché céréalier en Adriatique.


Split et Zadar ont la double fonction d’importateur et d’exportateur de blé (carte XVII). En
1412, sur un crédit total de 60.000 ducats assurés par la banque des Priuli pour les fournitures de
biens et les services, l’Etat vénitien doit payer 1.800 ducats aux créanciers de Zadar actifs dans
l’approvisionnement en céréales8.
Durant les années 1550-1560, les marchands vénitiens se fournissent en partie au Levant, en
premier lieu à Alexandrie, tandis que certains passent par l’intermédiaire de Messina et Ancona
(villes fortement implantées dans les régions levantines).

2
F. Braudel, La Méditerranée, 300-302.
3
M. Aymard, Venise, Raguse, 87.
4
F. Braudel, La Méditerranée, 303.
5
M. Aymard, Venise, Raguse, 90.
6
F. Braudel, La Méditerranée, 303.
7
M. Aymard, Venise, Raguse, 89.
8
Reinhold C. Mueller, « Bank money in Venice, to the mid-fifteenth Century », La moneta nell’economia Europea.
Secoli XIII-XVIII, dir. V. Barbagli Bagnoli, Florence 1981, 77-104 (97).

365
Carte XVII : Les centres importateurs et exportateurs de blé; carte tirée de M. Aymard, Venise, Raguse, 41.

366
Les consuls vénitiens à Alexandrie assurent également des envois de grains; ceux qui sont
installés à Constantinople dirigent aussi des exportations de Grèce, de Thrace, d’Anatolie, voire de
Mer noire. De nombreux agents vénitiens sont encore installés à Napoli, Barletta et Palermo, villes
à partir desquelles ils informent la République des commandes possibles en blé. Leurs homologues
exercent la même activité dans les Balkans. Les possessions coloniales vénitiennes, en effet,
permettent à Venise l’accès aux territoires sous domination ottomane : l’arrière-pays dalmate,
l’Albanie, les plaines côtières de l’Epire ou de la Morée occidentale. Ces régions apparaissent
comme des zones fournissant des livraisons abondantes et régulières9.
Le marché du blé est du reste sujet à remaniements et réorganisations : jusque dans les
années 1520, la Pouille est la principale fournisseuse en blé des communes dalmates. Au cours de
septembre 1521 jusqu’à février 1522, par exemple, Split et Hvar importent 51 carri et tomoli de blé
(soit 1,9% du trafic total du blé de la Pouille) de Manfredonia et 133,12 carri et tomoli d’orge de
Barletta et Manfredonia (soit 27,8% du trafic total de l’orge apulienne)10. Puis suite à la guerre de la
Sainte Ligue, en 1539 les céréales meilleur marché sont importées à partir des ports côtiers de la
Bosnie et de la Zagora dalmate11. Avec la fermeture du trafic céréalier venant du Levant à partir des
années 1560, et la perte de Chypre en 1570, Venise doit se replier sur le seul bassin adriatique et
réclame davantage de quantités de céréales à sa Terra Ferma et à ses colonies. Les grands convois
sur longues distances sont remplacés par un ravitaillement de rayon réduit. C’est dans ce contexte
nouveau que s’inscrivent les nombreux contrats passés entre l’Office des Blés de Venise et les ports
dalmates, dont en premier lieu Zadar, Šibenik, Trogir et Split. Ces échelles servent également de
prolongement au trafic caravanier terrestre vers l’intérieur, en Bosnie et Herzégovine, grâce à des
contacts réguliers avec les sandjakbegs de ces provinces. Dubrovnik profite également de la
présence des marchands valaques nomades, qui effectuent des apports réguliers en millet, seigle et
froment. Parfois, des marchands vénitiens s’adressent directement à des ports turcs, comme dans
l’estuaire de la Neretva, où Venise entretient un consul12.
Split et Zadar sont donc des chevilles intermédiaires de la chaîne commerciale du blé
approvisionnant la République de Venise. Elles fournissent en petites quantités régulières du blé,
soit à partir de leur propre production agricole, en cas de surplus, soit en acheminant de l’intérieur
des céréales turques. En 1558, par exemple, Cesaro Barisan exporte 26 setiers (soit 1.637 kg) de
froment natto di Turchia à Venise (ainsi que du fromage en provenance de Makarska, port turc)13.

9
M. Aymard, Venise, Raguse, 94-95, 141, 144.
10
G. Fenicia, Politica economica, 11.
11
J. Vrandečić, Dalmacija i Dubrovnik, 32.
12
M. Aymard, Venise, Raguse, 94-95, 141, 144.
13
DAZd, Sp. Ar., boîte 96, B. 103, F. 17, f° 887’.

367
De fait, ces deux ports sont tout aussi dépendants d’une importation de céréales durant les périodes
de crises de leur propre production.

b) Les importations de céréales à Split.


Un bulletin d’autorisations d’importer des céréales à Split donne un éclairage assez complet
de la situation dans les années 1523 à 152614. On répertorie trois types de céréales et une
légumineuse : l’orge, le froment, le grain et la fève. Les quantités sont exprimées en plaustre, en
tumini et dans deux rares cas, en sommes (salme). Pour ce qui est des plaustres, il existe :
la plaustra grossa = 48 tumini et
la plaustra subtila = 36 tumini.
Dans un premier temps, en ayant converti toutes les plaustres en tumini, nous obtenons une
idée des importations en céréales effectuées à Split (tableau XXV).
L’orge constitue de loin la principale céréale importée en ville, qu’il s’agisse du transport
effectué durant toute l’année ou durant quatre mois. Le froment ne représente que moins de 15% du
marché céréalier en moyenne.
Tableau XXV : Répartition des céréales importées à Split dans les années 1520 (en tumini).
Année Total Orge Froment Haricot Grain
1523 (4 mois) 14.799 12.958 (87,5%) 1.823 (12,4%) 18 (0,1%) -
1524 27.471 22.767 (82,8%) 4.650 (17%) 54 (0,2%) -
1525 23.474 19.988 (85,1%) 3.384 (14,5%) 24 (0,1%) 78 (0,3%)
1526 (4 mois) 5.066 4.686 (92,5%) 378 (7,5%) 2 (0,01%) -

Le problème principal est de connaître la valeur volumétrique du tumino – à la mesure


italienne puisque toutes les importations proviennent d’Italie. Dans son étude sur les poids et
mesures dans la région zadaroise, Marina Zaninović-Rumora indique que :
1 plaustra = 1.900 litres15.
L’auteur ne précise pas s’il s’agit du poids gros ou subtil. Si l’on considère en premier lieu qu’il
s’agit de la valeur de la plaustra grosse, on obtient pour équivalence :
1 tumino = 39,58 litres = 30 kg (29,901 kg)
Si l’on considère, au contraire, qu’il est question de la valeur de la plaustra subtile, on obtient
comme équivalence : 1 tumino = 52,77 litres = 40 kg (39,871 kg)
Or, dans l’un de ses articles16, Jean-Claude Hocquet indique que le tumulo de Trapani, en
Sicile de l’ouest, équivaut, au XVe siècle, à 77 livres, ce qui revient à dire qu’ 1 tumulo = 36,7 kg.
La Sicile étant l’un des principaux fournisseurs en blé de la région méditerranéenne, il est
possible que ce tumulo ait servi de norme de calcul du grain. Il existe ainsi une grande similitude de

14
Les tableaux et graphiques concernant ces années sont tirés de DAZd, Sp. Ar., boîte 59, B. 66, F. 7/IV.
15
M. Zaninović-Rumora, Stare mjere i utezi, 114.
16
J. Cl. Hocquet, « Manuel de marchand », Cahier de Métrologie, 97-118.

368
nom et de poids entre les deux mesures, tumino et tumulo. L’hypothèse de la plaustra subtile de
1.900 litres fournit l’adéquation la plus proche (40 kg) du poids du tumulo sicilien. C’est pourquoi,
afin de simplifier la recherche, j’ai converti toutes les données en tumino de 40 kg afin de suivre
l’évolution des importations céréalières à Split pour le début du XVIe siècle (graphique XI).
Durant les années complètes, la moyenne annuelle des importations atteint 1.019 tonnes de
céréales.

Graphique XI : Evolution des importations splitoises en céréales entre 1523 et 1526

1.200.000

1.000.000

800.000
Kilogrammes

600.000

400.000

200.000

0
1523 1524 1525 1526

Sachant qu’un habitant consomme près de 240 kg par an de céréale17, cette quantité répond aux
besoins de 425 personnes. Sur une population d’environ 2.000 habitants, les importations
fourniraient ainsi 21,25% de l’approvisionnement céréalier de Split. Reste à connaître comment
sont réparties les quantités transportées, à savoir quelles sont les capacités moyennes des navires
employés.
- La moyenne des importations par voyage
Durant les quatre années, 94 voyages au total sont réalisés, avec des charges moyennes par
navires supérieures à 29 tonnes (tableau XXVI).

Tableau XXVI : Moyenne des importations céréalières splitoises au début du XVIe siècle
Année Nombre Moyenne/voyage Moyenne/voyage
en tumini en kg
1523 20 739 29.560
1524 39 704 28.160
1525 26 903 36.120
1526 9 563 22.520

A Venise durant les années 1565-1568, les moyennes de quantité de blé devant être
importées sont de 3 à 4.500 setiers de blé de fermo et de 1 à 2.000 setiers de blé de rispetto par

17
F. Braudel, La Méditerranée, 386.

369
contrat18. Cela revient à dire que les moyennes d’importation à Venise par entrepreneur représentent
environ 188.862 - 283.293 kg pour le blé de fermo et 62.964 - 125.908 kg par contrat de rispetto. A
Split, il n’existe pas de distinction de fermo et de rispetto. Néanmoins, les moyennes obtenues à
Split sont de cinq à huit fois moindres que celles des contrats pour le blé de fermo et de deux fois
moindres que pour le blé de rispetto. Ce rapport est prévisible, Split étant une ville beaucoup plus
petite que Venise, sans compter qu’elle connaît parfois des périodes de surplus qui peuvent
alimenter sa population.
Ceci étant, les quantités moyennes des charges à Venise même sont faibles. Cet état de fait
correspond, d’une part, à la tendance générale de dispersion des hommes engagés dans cette activité
et répond, d’autre part, à la logique majoritaire des petits cabotages en Adriatique contre de rares
cas de transports volumineux sur de grosses naves vers le Levant et la Sicile (seulement 7% des
contrats vénitiens concernent des régions situées en dehors de la mer Adriatique)19. Split, a fortiori,
connaît un principe identique des faibles quantités transportées par ses commerçants. Puisque
l’approvisionnement en petits cabotages est la forme dominante d’acquisition de céréales, nous
pouvons nous interroger sur les régions d’où proviennent les céréales à Split et vérifier si le principe
est valable en son entier.
- Les principaux centres exportateurs
Tandis que la majeure partie des quantités importées est fournie en plaustra et en tumini,
nous relevons encore l’importation de dix sommes (salme) de céréales en provenance de Francavilla
dans la Pouille et de 50 sommes provenant de Cotrone en Calabre (Cotronimo)20.
L’ensemble des céréales importées à Split durant la période 1523-1526 est acheminé de la
région apulienne. Certaines villes se distinguent nettement (graphique XII).
Parmi les villes de la Pouille, Barletta, avec 1.071,6 tonnes de céréales et Bari, avec 1.341,4
tonnes, sont les principales villes exportatrices durant les quatre années. Cependant, la part du
marché splitois sur l’ensemble des importateurs de céréales italiennes est très faible. Une étude des
exportations de la Pouille de septembre 1521 à février 1522 montre que Split et Hvar représentent
seulement 1,9% de leur marché du blé (81,6 tonnes en provenance de Manfredonia), contre 88%
vers l’Espagne (5,9% vers la péninsule ibérique, 2,8% vers le Portugal et 1,4% vers Dubrovnik).
Aux mêmes dates, en revanche, Split et Hvar absorbent 27,8% des exportations d’orge (213,12
tonnes dont 117,12 carri de Barletta et 16 carri de Manfredonia) contre 56,7% pour l’Espagne, se
situant cette fois en seconde place de la clientèle de la Pouille. Ces exportations de la Pouille ne

18
M. Aymard, Venise, Raguse, 89.
19
Ibid.
20
Il est impossible de déterminer l’équivalence des salme indiquées en poids actuel, puisque dans une ville comme
Ancona, cette somme peut peser 300 livres al peso d’Ancona mais également entre 315 et 318 livres al peso di camera.
Tandis que dans la Pouille, 100 sommes équivalent à 150 sommes d’Ancona – d’après Pegolotti –, et qu’à Trapani un
somme pèse 1.232 livres; J. C. Hocquet, « Manuel de marchand », 113, 118.

370
sont d’ailleurs consenties qu’en cas de surplus et dirigées à partir de la Couronne espagnole.
D’année en année, le gouvernement espagnol doit jongler avec les productions céréalières (dans les
années 1528-1530 c’est la crise) et les marchés importateurs doivent souvent s’adresser à d’autres
producteurs (en 1504 par exemple, Venise s’adresse à Chypre et à la Sicile)21.

Graphique XII : Evolution des exportations de céréales à Split entre 1523 et 1526,
à partir de cinq villes de la Pouille

25.000

20.000

15.000 1523
Tumini

1524
1525
10.000 1526

5.000

0
Barletta Bari Manfredonia Trani Peschiera

Toutefois, d’après les déclarations douanières de Split, cet approvisionnement de la Pouille


ne semble pas être un épiphénomène. En janvier 1558, Vincent Banisar a fait transporter 27,2
tonnes (17 carri grossi) d’orge en provenance de Barletta, sur la marciliane du Barlettan Giovanni
d'Andrea. Il déclare en avoir importé 14,4 tonnes (neuf carri) pour son compte et 12,8 tonnes (huit
carri) pour le compte de Bartol Cavogrosso22. Dans le même ordre d’idée, il existe encore d’autres
preuves d’importations (tableau XXVII).

Tableau XXVII : Provenance et quantité des céréales et des légumineuses exportées à partir de Split23
Année Produit Quantité Provenance
1558 Froment 25 setiers Turquie
1558 Fève 5 cena? Manfredonia
90 tumuli Brindisi
1558 Orge 17 cara grossi Barletta
1558 Blé minot 4 bottes Brindisi
1580 Millet 104 setiers Venise
1580 Seigle 1 setier Venise
1580 Sorgo 1.519 setiers Venise

21
G. Fenicia, Politica economica, 11-12.
22
DAZd, Sp. Ar., boîte 96, B. 103, F. 17, f° 883.
23
Le tableau est tiré des contrelettres splitoises. Les précisions sur l’origine des grains ne sont données que pour l’année
1558 (boîte 96, B. 103, F. 17) et 1580 (boîte 116, B. 122, F. 6).

371
La Pouille prend toujours une part importante parmi les centres fournisseurs en céréales. Les
deux autres marchés sont la Turquie et Venise. Cependant, les quantités ici avancées ne représentent
que les importations destinées à être exportées hors de Split. Elles ne concernent donc qu’un
échantillon de ce que la ville achemine, non pas pour ses besoins propres, mais en vue d’un transit.
Quoi qu’il en soit, le flux des importations est continu, avec l’Italie méridionale pour foyer de
départ.
Ces données correspondent aux constatations générales des courants d’importations sur le
bassin adriatique. Passé les années 1570, Dubrovnik, par exemple, se fournit presque uniquement
dans la Pouille et en Albanie, voire plus rarement en Sicile24. Cinquante ans après notre relevé des
importations à Split, la Pouille demeure donc la région dominante d’exportation. Cette réalité
répond à la logique des transports maritimes de faibles rayons.
Outre cette importation maritime, le blé est transporté par voie de terre. Qui plus est, le XVIe
siècle correspondrait à une réduction progressive du trafic maritime des céréales au profit des
importations meilleur marché de blés originaires des possessions ottomanes sur le continent25,
jusque dans les années 1560-1570. Du temps du comte et capitaine Antonio Pasqualigo, les sujets
de la Porte acheminent d’énormes quantités de blé et de la viande. Cette importation permet
également à Split d’avoir des excédents. Dans son compte rendu de service, le capitaine Pasqualigo
indique que 24.000 setiers sont exportés de Split vers Venise, sans compter l’exportation vers les
îles, l’Istrie et le Kvarner26. Cela représente plus de 1.500 tonnes de céréales, c’est-à-dire un
excédent de 500 tonnes par rapport aux quantités importées dans les années 1523-1526 à Split.
Cette ville est donc en grande partie tributaire du flux d’importation venant de l’intérieur du pays.
Malheureusement, comme ce type de trafic n’est pas soumis à la taxation, on ne relève aucune
donnée probante sur ce courant d’importation.
Pour mieux connaître la raison du choix des ports de la Pouille en tant que fournisseurs, il
est possible de s’interroger sur les marchands qui organisent cet approvisionnement, à savoir s’ils
peuvent être identifiés en une catégorie à part, ou bien si le commerce du blé à Split est laissé à
diverses initiatives personnelles. Reste à connaître en plus la part des étrangers dans ce trafic et si
leur présence éventuelle pourrait expliquer la prédominance des villes exportatrices comme Barletta
et Bari.

c) Les acteurs du commerce du blé et les conditions de vente


Une étude des contrats d’importation et de garantie à Venise montre qu’il y existe une
concentration relative de marchands du grain. Une partie d’entre eux détient une boutique dans l’un
24
M. Aymard, Venise, Raguse, 141.
25
J. Vrandečić, « Regio maritima », 32.
26
G. Novak, Povijest Splita, 974.

372
des fondachi de la ville, ce qui leur permet de vendre en exclusivité les céréales en ville. Ceux-là
contrôlent le marché urbain. Ce sont généralement de grands négociants qui préfèrent traiter
directement avec la Seigneurie de manière à s’assurer un prix d’achat minimum par cargaison. D’un
autre côté, certains marchands sont plus épisodiques. Ces derniers sont autorisés à vendre la moitié
de la charge aux boulangers (pistori) et à déposer l’autre moitié dans les fontegi. Parmi eux se
trouvent quelques étrangers et notamment des Splitois : August Cavogrosso et ses frères, ainsi que
Petar et Franjo Cambi en 156427. La famille Cavogrosso apparaît d’autant plus active que l’on a déjà
décrit l’importation d’orge pour le compte de Bartol Cavogrosso en 1558. Ce dernier ayant fait
importer huit carri d’orge de Turquie a pu également participer à un convoi pour Venise par la
suite.
A Dubrovnik, aucune spécialisation du commerce du grain n’est notée. Néanmoins,
certaines familles se consacrent plus particulièrement à ce trafic dans les années 1550. C’est le cas
de la famille Sorgo, la plus riche de la ville. Les six autres familles les plus couramment
mentionnées sont toutes de Dubrovnik. Parmi ces entrepreneurs, certains sont installés au-dehors,
voire travaillent pour le compte de marchands plus puissants, pour lesquels l’activité céréalière ne
représente qu’une partie du transport maritime sur leurs navires28.
Cependant, les communes, l’Office des Blés à Venise, recrutent des envoyés spéciaux
chargés d’assurer la régularité des achats en céréales pour le compte de l’Etat. Venise entretient une
série de correspondants implantés dans les villes céréalières, Napoli, Barletta et Palermo, pour
l’informer de l’état de la récolte et des prix. Implantés dans les communes italiennes, ces marchands
vénitiens ne se limitent pas, par ailleurs, au seul commerce du grain. Le cas est identique à
Dubrovnik, où des commerçants ragusains informent régulièrement la ville de la situation du
marché dans les Balkans. En revanche, le ravitaillement venant du Levant est beaucoup moins
organisé. Les transports en grains en provenance d’Alexandrie, Constantinople, Grèce ou Anatolie
sont plus irréguliers, même si à leur tête peuvent se trouver les consuls vénitiens. Qui plus est, après
les années 1560, la Porte interdit le commerce du blé, et désormais, il est difficile d’acheminer du
grain de ces régions sans faire de la contrebande ou au moyen de nombreux cadeaux et primes aux
représentants locaux du pouvoir29.
Venise et Dubrovnik sont deux grandes villes consommatrices de blé sans zone propre
d’exploitation. Split, avec une moindre superficie, peut produire certaines années suffisamment de
blé, voire des excédents – comme dans l’exemple des frères Cavogrosso et Cambi qui importent des
céréales à Venise. Pour ce qui est de savoir comment s’organise l’importation du blé et s’il existe

27
M. Aymard, Venise, Raguse, 87-89.
28
Ibid., 90-92.
29
Ibid., 93-96.

373
des marchands spécialisés, ou du moins des familles, seule la contrelettre de 1523-1526 permet de
formuler une opinion.
- A Split
Durant les années mentionnées, 53 entrepreneurs négocient du blé30. Parmi eux, 23
marchands sont originaires de Split. Ils constituent donc 43% de l’ensemble des marchands
provenant de seize villes différentes (six îles de Dalmatie; quatre villes dalmates, dont Dubrovnik;
trois villes de la Pouille; Venise; Rhodes; Priorano ?). Parmi les marchands étrangers, on relève des
groupes de ressortissants d’un même lieu : six marchands de Hvar, quatre marchands de Bari, trois
marchands de Rab et deux marchands de Venise. Tandis que parmi les commerçants étrangers
aucun n’a de lien familial avec ses compatriotes, trois familles se distinguent à Split : les Šumišić,
les fils d’Ivan (Johannis) et les Rosić. Dans la famille Šumičić, Toma réalise sept voyages et Matej
un seul. Des deux Rosić, l’un, Jeronim, est domicilié à Split et l’autre, Franjo, sur l’île de Rab.
Jeronim effectue au total cinq voyages, tandis que Franjo seulement un.
La famille Johannis est la plus nombreuse et la plus active : Mišo, vivant à la fois à Split et
sur l’île de Šolta (sept voyages), Nikola (sept voyages), Jeronim, vivant à Split ainsi que sur l’île de
Hvar (deux voyages), Luka (un voyage), Mišo, installé à Bari (un voyage) et Martin, installé à
Zadar (un voyage). Sur les six membres de la famille répertoriés, quatre, dont surtout Mišo, ont des
rapports plus ou moins directs avec l’étranger, dont Bari, zone productrice spécialisée de céréales.
Qui plus est, Luka, Nikola et Mišo de Šolta figurent parmi les rares marchands à s’être assurés un
garant pour l’acheminement de leur charge. Dans l’enregistrement du 17 avril 1526, Mišo a pour
garant Marco Antonio Alessandro de Bari. Il enregistre le 18 avril de la même année une autre
charge, pour laquelle se porte garant Cesaro de Pace de Manfredonia. Nikola assure son chargement
de froment et d’orge auprès de Scipion de Florio, de Split, le 30 septembre 1523. Luka enfin, s’est
adressé à Melio de Barisano de Barletta pour la garantie de sa marciliane.
Ces constats pris dans leur ensemble montrent qu’il existe des ébauches de regroupement du
commerce du blé. Parmi ces marchands, Toma Šumičić réalise la plus grande importation : en sept
voyages, répartis sur les quatre années, il importe 6.686 tumini de blé, soit 245.570 kg de céréales
(orge et froment). Le second plus gros importateur est Jeronim Rosić avec 6.618 tumini (243.072
kg), transportés en cinq voyages. Le troisième marchand est Antun Kokošić (5.184 tumini - 190.403
kg, en cinq voyages), et le quatrième Mišo Ivan (4.942 tumini - 181.514 kg, en sept voyages). La
famille Ivan à elle seule importe 13.068 tumini de céréales en quatre ans, pour un total de 70.804
tumini, ce qui revient à dire qu’elle assure plus de 18% de l’approvisionnement en grains.
D’un autre côté, les entrepreneurs de Bari et de Barletta sont les marchands italiens les plus
impliqués dans ce trafic. Certains sont engagés de manière directe en important des céréales

30
Analyses tirées de DAZd, Sp. Ar., boîte 59, B. 66, F. 7/IV (1523-1526).

374
(Geronimo Parapanpo, Constantino de Balento et Cola fils de Giorgio Rubei, tous de Bari) – sans
compter Mišo Ivan, Splitois installé en ville. D’autres interviennent de manière indirecte, en
assurant les transports des marchands splitois. Ainsi, Antun Kokošić fait également appel à un
membre de la famille Barisano, Evangelisto, lors de son cinquième et dernier voyage en provenance
de Bari pour lui garantir sa marchandise. De même, un certain Ivica de Split prend pour garant de
son transport d’orge venant de Barletta, Melio de Barisano déjà cité. Aussi, bien qu’il n’existe pas
de famille étrangère d’importateurs de blé, on relève deux membres de la famille de Barisano en
contact avec trois Splitois pour assurer leurs marchandises (Evangelisto et Melio)31. Leur
contribution peut soit expliquer, en partie, la prédominance des marchés apuliens dans le trafic
d’importation céréalier à Split, soit le contraire, qu’ils y aient participé parce que ces centres
distributeurs étant depuis longtemps les plus importants.
- A Zadar
La connaissance du trafic céréalier à Zadar est rendue plus complexe du fait de l’absence des
contrelettres pour cette ville. Les informations sont de ce fait partielles et épisodiques issues de la
lecture de quelques notaires et des registres douaniers d’Ancona.
Au XVe siècle, d’après les contrelettres de Šibenik (1441-1443) les principaux centres
importateurs de céréales sont Venise, les îles de Hvar, Brač, Rab, Cres et Osor. Zadar figure parmi
les ports les moins intéressés par l’approvisionnement en blé de cette ville, tout comme Trogir et
des centres d’Istrie. Durant ces quatre années, Zadar fait importer en tout 138 setiers et vingt quarts
de céréales32, soit au total 9.004 kg de céréales. L’Albanie semble également un fournisseur de blé,
à savoir en 1495 une marciliane de Kotor charge du blé à Lezhë destiné à Zadar33.
Ancona apparaît dans les années 1562-1563 comme une fournisseuse de biscottes (bicotto)
et de son (tritello) de l’Istrie (Premuda, Pula et Rovinj) à la Dalmatie (Nin, Split, Šibenik, Trogir et
Zadar) – dont la zone insulaire (Pag, Molat, Vis, Hvar, Korčula, Brač et Silba), en passant par le
Littoral croate (Osor, Krk, Rab, Cres, Senj et Rijeka). Zadar est la principale cliente : elle importe
pour 268 scudi de biscottes (29%) en 33 voyages en 1562 et pour 27 scudi (23%) en dix voyages en
1563 (l'année 1563 étant en nette régressions : seulement 34 voyages contre 93 l'année précédente
avec un montant de 118 scudi exportés en tout vers tous les ports croates contre 908,5 l'année
d'avant)34.

31
Tandis que les contrats de garantie représentent l’une des sources principales de la recherche de M. Aymard, dans nos
manuscrits, ces contrats n’apparaissent pas, excepté les quelques cas cités. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas lieu
de traiter en particulier cette thématique.
32
Instrumenta cancellariae, 68, 77, 79-83, 85-87, 90, 93-95, 98, 105-106, 153, 155-159, 162,165.
33
Tadija Bošković, Bar pod mletačkom vlašću 1443-1571, Bijelo Polje 2004, 202.
34
ASAN, ACAN n° 1573, Quarto 1562, f°4, 19, 20, 21, 27, 28, 35, 37’-38, 39-40’, 42’, 45’, 46’-47, 52, 53’, 57, 64’,
65’-66, 69, 71’, 75, 81’, 82’, 84, 85, 88, 89’, 93, 95, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 111, 112, 114'116, 119, 121’,
125’, 126’, 128-128’, 129’-130, etc. ->158’; ACAN n° 1574, Quarto 1563, f° 3, 5, 6,-6’, 7’, 8’, 11’, 12’, 15, 16’, 22’,
25, 27’-28, 32, 33, 38’-39, 41, etc.

375
En mars 1580, le commerçant zadarois Julian Bonfadini enregistre auprès du comte de
Zadar, Bartholomeo Paruta, une transaction qui eut lieu trois ans auparavant. En 1577, il acquiert
auprès du seigneur vénitien Gabrielo de Canal deux cents setiers de blé transportés sur le navire du
patron Jean Perici. En échange, il paie sous la forme de 186 muids de sardines. Le prix du setier est
fixé à cinq livres et le prix du muid à six livres35. Il en ressort que la valeur totale du blé importé est
estimée à 1.000 livres tandis que celle des sardines est évaluée à 1.116 livres. Il apparaît donc que
Julian paie 116 livres en plus de sa propre marchandise. Si l’on prend en compte les frais de
transport, il en ressort que le prix du nolis pour les deux cents setiers de blé revient à près de douze
sous le setier de blé transporté. Sur un prix de cinq livres par setier, le transport représente 12% du
prix total. La provenance de ce blé n’est pas déterminée, si ce n’est que le patron du navire, Jean
Perici, est qualifié de Grec. Il est donc possible, mais pas certain, que le blé vienne d’un port grec.
A ce titre, un autre exemple prouve qu’il existe des liens commerciaux étroits entre Zadar et
certaines villes grecques.
Ainsi en 1531, 950 setiers de haricots sont importés en provenance de Corfou, au prix de
quatre livres dix sous par setier. Le transport de ce féculent a occasionné l’organisation d’une
société commerciale qui concerne deux hommes de Corfou (les socii tranctantes) et un financier de
Rhodes (le socius stans). Le trajet comporte des haltes à Dubrovnik, dans l’estuaire de la Neretva et
à Hvar36. La valeur totale de cette charge est de 689,5 ducats, auxquels s’ajoutent 97,5 ducats, prix
du trajet. Dans cet exemple, le coût du transport représente également 12% de la valeur totale de la
marchandise. Le prix du setier de haricot est cependant moins cher de dix sous par rapport au blé, ce
qui est compréhensible, puisque le blé est beaucoup plus nécessaire que les haricots.
La comparaison des prix évoqués avec ceux des marchés vénitien et ragusain révèle
plusieurs faits. D’une part, à Dubrovnik, le coût du fret de blé connaît de nettes variations. En 1550,
il représente 18% de la valeur totale (neuf gros par setier ragusain pour un prix de cinquante gros).
Mais durant les années 1590-1600, il ne représente plus que 6 à 7,5% de la valeur totale37. A Venise,
les variations sont encore plus drastiques. Dans les années 1553-1554, tandis que le setier de blé se
vend à Venise entre cinq et six livres, il est prélevé au nom du transport jusqu’à deux livres cinq
sous, c'est-à-dire entre 42 et 50% de la valeur totale. Puis, lorsque dans les années 1555-1558 le prix
du setier augmente de dix à douze livres, le coût du transport s’élève entre deux livres onze sous en
1555 à trois livres un sous en 155838. Ce qui veut dire que la part du transport représente entre 21-
25,5% en 1555 et 25-30,5% en 1558. Le transport vers Zadar dans les années 1530 et 1580, s’inscrit

35
DAZd, Conte Bartholomeo Paruta, B. unica, f° 106.
36
DAZd, Simon Corenichius, B. I, F. XIII, f° 45.
37
M. Aymard, Venise, Raguse, 69.
38
M. Aymard indique les prix de transport durant les années 1552 à 1560 pour 100 setiers de blé : respectivement 34,
36, 41, 49 ducats et 45 ducats, puis les prix du blé lui-même; ibid., 68-69. J’en ai déduit le prix par setier en livres.

376
donc à l’intérieur des marges trouvées à Dubrovnik, sur la base des deux exemples relevés. En
revanche, le fret vers Zadar s’avère nettement plus avantageux que celui vers Venise. Le prix du
setier, cinq livres à Zadar en 1577, est plus élevé que celui d’une région productrice telle que Volo,
où il vaut trois livres en 1553-1554. D’un autre côté, à Venise, le setier coûte également entre cinq
et six livres durant ces années 1553-1554, pour ensuite doubler de dix à douze livres en 1558-1560.
Le prix de cinq livres le setier de blé à Zadar, en 1577, montre un retour aux prix initiaux à Venise
durant les années 1553-1554. Cependant, lorsque Julian Bonfadini doit payer 116 livres de plus que
le prix brut du blé, il ne fait aucun bénéfice. Cet état de fait est en réalité le lot commun des
commerçants en Adriatique, puisque le transport à lui seul, en pouvant doubler le prix de revient,
exclut les bénéfices39.
Quelques témoignages enregistrés auprès du comte Bartholomeo Paruta ad futurorum
memoriam au nom de ce même Julian Bonfadini, peuvent permettre de comprendre les motivations
pour importer ce produit pondéreux, fragile et coûteux vers Zadar. D’après le manuscrit des 29 et 30
juin 1580, suivant la coutume, lorsqu’un marchand vend des céréales ou de la farine pour le compte
d’un tiers (habituellement le « patron »), il perçoit 2% de la tare (de calo). Pour confirmer cet usage,
Julian Bonfadini fait appel à témoin d’autres marchands de Zadar : Andrej di Maffio, don Filip dalla
Riva et Aleksandar de Zavanić. Ce dernier précise encore qu’il perçoit les 2% en question aussi
bien lorsqu’il sert d’intermédiaire « cosi de particolare come ... [quelli ?] del fontico in questa città
». Don Filip, quant à lui, énumère parmi les céréales en question le blé, le froment, l’orge, le seigle,
le millet et « autres sortes de céréales »40. Tous revendiquent ce droit comme une coutume de la
ville. En réalité, cet usage de la commission de 2% existe aussi sur l’île de Rab, au moins au XVIe
siècle. Les commerçants de Rab qui font transiter les céréales des ports grecs ou italiens vers les
hameaux pastoraux de la chaîne de Velebit, perçoivent quatre sous par setier, soit 2% également41.
Cela revient à dire que le marchand intermédiaire perçoit la part du risque de transport. Aussi, le
commanditaire va payer pour, par exemple, cent setiers de blé et en recevra en réalité 98 setiers. Si
au cours du transport, l’ensemble de la cargaison arrive à bon port, le marchand intermédiaire a
réalisé le bénéfice de 2% en question. Si, en revanche, il y a perte d’un ou de deux setiers sur les
cent initiaux, en ce cas il est d’autant déficitaire proportionnellement à la perte. Les témoins
déclarent tous que cet usage est propre à Zadar, or, ce pourcentage n’est peut-être pas fortuit.
Dans le cadre du commerce de grande envergure entre Venise, Dubrovnik et Istanbul, on
relève la pratique d’évaluer les cargaisons suivant le principe du crescimentum de 2%. Cela signifie
qu’il est tenu compte de la dilatation possible des céréales provoquée durant le transport à cause du

39
Ibid., 68-69.
40
DAZd, Conte Bartholomeo Paruta, B. unica, f° 99-100’, 141.
41
Ivan Pederin, « Rapska trgovina, pomorstvo, brodogradnja, ribarstvo, materijalna kultura i novčarstvo u XVI. st. »,
Vjesnik povijesnog arhiva Rijeke, n° 35-36, Rijeka 1993-1994, 157-183 (164).

377
réchauffement. Aussi, les transporteurs doivent rapporter deux sacs, scellés au départ du port. Le
premier sac contient un modèle de la mesure ayant servi au chargement. Le second contient une
certaine quantité de grains pour témoigner de leur qualité et prouver qu’il n’a pas changé en cours
de route42. Il est donc possible, sous toute réserve, qu’à Zadar il existe une pratique semblable, et
dans ce cas, l’intermédiaire récupère précisément ces deux sacs. Sauf que dans le manuscrit de
1580, il est question de la tare or, dans l’usage vénitien et ragusain, les deux sacs sont sûrs d’arriver
à bon port. Peut-être n’y a-t-il que similitude dans le montant des droits perçus pour le rôle
d’intermédiaire. Cependant, on retrouve les 2% sur une cargaison dans un autre cas de figure. Ainsi,
l’Office des Blés de Venise assure, de 1571 à 1596, une commission régulière de 2%, précisément,
à l’un de ses agents, Lucio Baldassini, implanté à Senigallia dès 1571. Il est chargé d’exécuter un
traité avec le duc d’Urbino suivant lequel Venise est assurée de la production en blé sur ses terres,
ou de ceux de contrebande43. Le rapprochement direct entre ces deux pratiques, dans lesquelles sont
impliquées les autorités urbaines, et la revendication du droit coutumier à Zadar, est peut-être
exagéré. Néanmoins, il est difficile de nier que les valeurs sont très proches. Il est possible que les
marchands de blé à Zadar aient récupéré ce pourcentage sur l’usage général en cours dans le grand
commerce.
Cette « récupération » des usages peut être plus facilement réalisable s’il existe un
regroupement de commerçants spécialisés. Dans le premier texte, nous avons déjà eu l’occasion de
prendre connaissance de certains négociants en céréales. Qu’il ne s’agisse pas seulement d’un
constat au passage nous est confirmé par le document suivant dans lequel, une fois de plus, le
privilège d’être fournisseur en blé n’est pas vraiment avantageux. D’une part, il est explicitement
écrit « li mercanti di formenti et di biave », ce qui laisse peu de doute quant à leur spécificité, tout
comme les drapiers et les épiciers dûment attestés. Parmi ces marchands figurent Julian Bonfadini,
le plus actif quant à la mise en forme écrite des usages en pratique, et Petar Venier de Zadar. D'autre
part, ces deux commerçants, ainsi que d’autres non évoqués nominalement, sont les fournisseurs
attitrés de la compagnie militaire (la strattia). Durant les six dernières années, de 1575 à 1579, c’est
eux qui conviennent d’un prix fixe du froment, de la farine et de l’orge avec le chef de la
compagnie. Ces commerçants bénéficient donc d’un marché certain, avec l’assurance, soulignée
dans le texte, d’en avoir pour un bon prix. Ils assurent ainsi une soventione alla detta strattia44.
Cette situation privilégiée a cependant son revers. En effet, ces commerçants sont payés en
thalers45, voire éventuellement en sequins, à raison de six livres par thaler, et neuf livres par sequin.

42
M. Aymard, Venise, Raguse, 71.
43
Ibid., 93.
44
DAZd, Bartholomeo Paruta, f° 101-103’; 138-139’.
45
Comme dans l’ensemble de la Méditerranée, l’argent prend également place à Zadar en tant que mode de paiement du
blé. Cet état de fait prouve que la ville est complètement intégrée dans le marché méditerranéen du blé à tous les

378
Or, le cours courant en ville est de cinq livres seize sous, et même de cinq livres douze sous sur les
îles de Pag, Rab, Cres, Osor et Krk46. Ce qui revient à dire que, malgré la bonne somme perçue sur
la vente régulière de céréales à la compagnie militaire, les commerçants, au moment de changer les
thalers payés, perdent quatre sous, c’est-à-dire 3,3% sur chaque thaler. Cette pratique des cours
forcés se retrouve dans l’Empire ottoman dès les années 1570, période où commence la dévaluation
de l’aspre, monnaie ayant servi à l’établissement des prix intérieurs et dont la conversion
représentait des profits appréciables aux marchands occidentaux47. La compagnie a pris sans doute
cette mesure du cours forcé, non pas tant en raison de la dévaluation du thaler, que pour se prévenir
de toutes variations nuisibles à la régularité de l’approvisionnement (suite aux changements
numéraires).
Dans ce contexte général, la marge des bénéfices des commerçants zadarois s’avère donc
très étroite. Indirectement, le pourcentage de 3,3% rappelle curieusement le taux de la taxe du
trentième et expliquerait de quelle manière la compagnie a surévalué le thaler : la différence du
cours jouerait le rôle de taxation dont l’institution militaire doit peut-être rendre compte auprès de la
commune.
Pour conclure, le commerce du blé paraît être surtout l’affaire de quelques hommes
spécialisés. Tout comme à Split, à Venise et ailleurs, il n’apporte pas réellement de bénéfices. C’est
pourquoi, un marchand tel que Petar Venier, et il n’est sans doute pas le seul, étend son négoce à
d’autres activités. En décembre 1578 et en mars 1579, il est identifié en tant que percepteur de la
nuova imposta. L’objet et la valeur de cette taxe ne sont pas précisés, mais dans les deux textes, il
est question de la cargaison de tonneaux de poissons en saumure, achetés dans les poissonneries de
la ville, et destinés au marché italien (150 tonneaux pour Fermo48 et 160 tonneaux pour Chioggia49).
Dans tous les textes cités, Petar Venier relève de l’entrepreneur de haut rang, proche des organes du
pouvoir. Aussi, à défaut d’être toujours rentable, le commerce du blé paraît assurer à ses principaux
acteurs une certaine position sociale (position renforcée sans doute par le phénomène de solidarité
au sein des groupes spécifiques). Cette situation à Zadar peut être rapprochée de celle des consuls et
agents de l’Office des Blés, autres personnages de haut rang et proches des organes du pouvoir.
Ceci montre indirectement que le commerce du blé à Zadar est étroitement contrôlé par le
gouvernement, en tant que produit vital. Reste à savoir ce qu’il en est pour les autres articles dont
ont besoin Split et Zadar pour le bon fonctionnement de leur économie urbaine.

niveaux. Dans ces circonstances, on s’aperçoit que c’est l’autorité vénitienne qui se tient derrière ce commerce, puisque
la compagnie militaire est un organe du pouvoir de la République de Saint-Marc.
46
DAZd, Conte Bartholomeo Paruta, B. unica, f° 101-103’, 138-139’.
47
M. Aymard, Venise, Raguse, 97-98.
48
DAZd, Conte Barholomeo Paruta, B. unica, f° 110-110’.
49
Ibid., f° 112-112’.

379
Le marché du blé a été longuement étudié puisque cet article est essentiel à l’alimentation de
la population et qu’il fait l’objet, par conséquent, de nombreuses réglementations. En revanche,
d’autres articles moins vitaux ou peu valorisés ont fait beaucoup moins l’objet de surveillance. En
contrecoup, leurs courants de circulation sont moins connus. Les lacunes sur la nature des autres
importations et de leurs foyers de diffusion sont explicables par deux faits. D’une part, le cours
transitaire des autres denrées a été moins observé par l’historiographie croate. D’autre part, les
quelques décrets de la République de Venise du début du XVe siècle, interdisant certaines
importations des régions politiquement opposées, sont rapidement retirés, aussi toute liberté est
donnée aux entrepreneurs pour fournir leurs marchés en produits déficients. De plus, comme le
commerce s’appuie beaucoup sur une logique opportuniste, les marchands qui partent avec leurs
produits d’exportation n’ont qu’une idée approximative de ce qu’ils comptent rapporter. C’est
pourquoi dans les contrelettres les indices d’un quelconque retour de marchandises au port initial
sont très rares. Les prévisions de retours des foires des ports du Littoral croate se réduisent aux
expressions telles que : merze de ogni raxon; quibuscumque mercibus; in forma de tute robe et ogni
sorte robe. Dans la majeure partie des cas, ils concernent des matières premières et des produits
agricoles d’appoint.

2°) Le bois
Comme la presque totalité de la région dalmate est déficitaire en bois pour les constructions
« lourdes » (navale) et « légères » (le mobilier), Split et Zadar font appel à leurs partenaires
commerciaux pour assurer leur approvisionnement en bois.

a) Le Littoral croate : principal fournisseur de bois en Dalmatie


Les informations fournies par les contrelettres de Split ne révèlent malheureusement aucune
donnée quantitative. En effet, tout le legnamine lavorato e non est déclaré en vrac (a refuso). Seuls
apparaissent les foyers de diffusion les plus fréquents (graphique XIII).
Les ports du Littoral croate sont les principaux fournisseurs en bois de Split. Cette
affirmation s’appuie sur les intentions de retour de marchandises déclarées par les entrepreneurs
auprès des services de douane splitois au moment de l’exportation de leur production. Or, Split
s’approvisionnait déjà au XIVe siècle dans le littoral croate et en premier lieu à Senj50. A l’intérieur
de la première moitié du XVIe siècle figurent encore parmi les centres importateurs de bois, les
villes de Dubrovnik, Venise et la Crète à raison d’un transport respectif de bois travaillé ou non,

50
A l’heure actuelle, sur les 65.000 ha de superficie du territoire de la commune de Senj, 41.000 ha sont pris par les
forêts et terrains forestiers; Vladimir Severinski, « Senjske šume i njihova eksploatacija », Senjski zbornik, vol. I, Senj
(1965), 232-245.

380
sans précision des quantités. Après les années 30 du XVIe siècle, la mention d’une importation
quelconque de bois disparaît, excepté le transport de huit planches de bois de Vieste en avril 1583.

Graphique XIII : Les centres exportateurs de bois vers Split au XVIe siècle51

9
8
7
Nombres de voyages

6 1503-1504
5 1515-1517
4 1528-1530
3 1580-1583
2
1
0
Bakar Krk Rijeka Senj Crète Dubrovnik Venise Vieste
Centres

A Zadar, le centre d’approvisionnement le plus proche et le plus approprié est une fois de
plus Senj52. Le rayonnement de ce port dépasse d’ailleurs le seul cadre du bassin adriatique. En avril
1506, le Génois Paulo Giustini doit partir de Zadar pour chercher du bois à Senj. Il a quarante jours
pour charger sa nave. Puis il doit se rendre en Sicile au port de Syracusa et dans d’autres ports de
moindre importance en ne restant pas plus de vingt jours dans chacun d’eux. Le nolis prévu est d'un
ducat par ducat de bois acheté. Le chargement revient à trois ducats par jour restés à Senj (soit
environ 120 ducats). En cas de malversation, l’amende est de cent ducats53. L’autre port exportateur
de bois se trouve dans le Kvarner. La ville d’Obrovac, à l’embouchure d’une rivière, approvisionne
également Zadar. En 1580, un certain Marko Tomasini part chercher du bois à Obrovac. Dans son
premier voyage, il charge 47 passus et une quarta de bois (114 m3) dans la marciliane sous le
patronage d’un certain Franjo Zadarois. Au second voyage, il charge 45 pas (108 m3). Il engage le
patron à se rendre à Venise pour consigner le bois par lettres écrites chez son commissaire, Jakov
Mor54.
Ce dernier exemple montre qu’il pourrait exister une réorientation du trafic Kvarner/Littoral
croate-Dalmatie après les années 1530. Malgré le net ralentissement du courant commercial
constaté dans les contrelettres de Split, les quantités susceptibles d’être importées par un seul
commanditaire sont conséquentes (plus de 222 m3). Néanmoins, au vu des échanges que les ports de

51
DAZd, boîte 36, B. 48, F. I; boîte 49, B. 60, F. 6/II; boîte 67, B. 74, F. 7/IV; boîte 116, B. 122, F. 6.
52
Il serait très utile de consulter les archives de Senj pour connaître le volume de ses exportations de bois, et autres
matières premières. L’histoire économique à l’échelle locale, sauf exception pour le sel de Pag, Piran et Šibenik, est
encore trop peu développée dans l’historiographie croate et étrangère.
53
DAZd, Conte Antonius de Zandonatis, Instrumentis, processi, testamenti, lib. I, B. VI, f° 2, le 6.IV.1506.
54
DAZd, Conte Bartholomeo Paruta, Atti diversi, f° 107, le 25.V.1580.

381
Senj, de Rijeka et d’Obrovac réalisent également avec le port de Dubrovnik (dont il sera question
un peu plus loin), l’intensité de leur exportation s’estompe après les années 1530.
L’origine de l’approvisionnement des communes dalmates en bois après ce changement
conjoncturel est plus obscure. Peut-être qu’une partie du bois provient de l’Albanie voisine. La
région des grands estuaires au nord de Durrës est en effet une zone de grandes forêts et par
conséquent un centre important de production de bois notamment l’orme, le chêne et le
châtaignier55. Bien qu’un approvisionnement de cette partie du territoire vénitien serait une chose
logique, la documentation n’en fait aucune mention. A défaut d’éclaircir ce point, reste à connaître
la part des investissements attachés au marché du bois.

b) La valeur commerciale du bois importé


Les frais engagés dans l’entreprise d’acquisition du bois sont multiples : l’obtention des
terrains en arrière-pays pour pouvoir les exploiter, par voie de location ou d’achat direct, le
paiement d’une main-d’oeuvre pour la coupe et son acheminement, ou bien le chargement du navire
et le nolis pour du bois provenant de l’extérieur du territoire communal. A l’échelle locale, bien que
nos données soient faibles, nous pourrions nous demander quel est le coût du bois et plus
particulièrement quels sont les échelonnements de prix existant en fonction de son origine (distance
et qualité). A Split, la valeur monétaire de l’importation de bois ne peut être estimée. Un seul
exemple, encore est-il partiel, existe. En juillet 1503, le chaudronnier Ivan Marković, propriétaire de
son navire, prévoit de rapporter de la foire de Bakar à Split des peaux, du fer ouvragé et non
ouvragé, du bois travaillé et non travaillé ainsi que des draps, pour une valeur totale de 150 ducats56.
Pour l’occasion, cette somme paraît un investissement important résultant d’un profit de base
bonifié.
Dans les années 1545-1560, le prix du bail de la boucherie, poissonnerie et bois à payer à la
chambre fiscale zadaroise tourne autour de 360-400 ducats57. En 1557, trois preneurs de bail
associés perçoivent cent écus or chacun de bénéfices sur cette même taxe58. Or à raison de dix sous
le pas de bois, avec un prélèvement de 3,3% de la taxe, soit 0,33 sous par pas, 33 ducats – soit plus
de 8% des 400 ducats investis dans le bail – représenteraient une consommation approximative de

55
W. Heyd, Histoire du commerce, 359.
56
DAZd, Sp. Ar., boîte 36, B. 48, liv. I, F. 5, f° 61, le 06.VII.1503.
57
En février 1545, Franjo de Nassis fils de Šime, patricien zadarois, doit 360 ducats à son garant, Ivan de Pechiaris de
feu Franjo, patricien de Zadar, pour le paiement de cette taxe; DAZd, Conte Johannes Morea, Instrumenti, B. I, F. I/1,
f° 7’, le 26.II.1545. En mars 1556, Petar de Grisogonis de Bartholai, doit payer 400 ducats à la Chambre fiscale pour les
droits du bail de la taxe, ibid, B. I, F. I/4, f° 101’, le 20.III.1556.
58
C’est le Petar de Grisogonis avec le patricien, Pompej de Soppe et l’épicier Šime, ibid, f° 135, le 11.I.1557.

382
1.649 pas annuels59 (pour les quatre mois d’hiver – soit 412 pas par mois) c’est-à-dire près de 993
m3 de bois consommés mensuellement. Pour une agglomération de 7-8.000 habitants à raison d’un
regroupement de cinq à sept personnes par foyer, on obtient une moyenne de 1.071 à 1.500 foyers.
Ces derniers sont susceptibles, à raison de 5-6 m3 par hiver, de consommer entre 5.355 et 6.426 m3
ou entre 7.500 et 9.000m3 par hiver. Ainsi, suivant les chiffres dont nous tenons compte, la
production locale en bois de chauffage couvrirait entre 15 et 18% des besoins. Investir dans la
fourniture locale en bois s’avère donc une activité profitable, et l'on a bien vu que les gains du bail
peuvent atteindre jusqu’à cent écus. Le reste dépend du marché d’importation. Il pourrait a priori
s’avérer rentable; encore nous reste-t-il à connaître les prix appliqués sur les marchés exportateurs
et, surtout, le coût du transport maritime.
Nous avons pu relever quelques indices de prix à l’aide du dernier exemple évoqué dans
lequel participent le commanditaire Marko Tomasini et le patron zadarois Franjo. D’après le
contrat, le patron Franjo doit recevoir la moitié du « retrait »60 pour son transport, soit la moitié du
bénéfice de vente du bois. Marko compte vendre son bois à Venise à raison de 18 livres le pas. Pour
un total de 92,25 pas, la vente rapporterait au total 1.660,5 livres (soit 268 ducats). Or il ne s’agit
pas de bénéfice net. Sur cette somme, il faut déduire le prix d’achat du bois à Obrovac même. En
admettant qu’il compte doubler le prix, on obtient la somme de neuf livres par pas de bois, soit un
total de 830,25 livres. Sur ce prix, le commerçant doit payer les taxes du trentième à l’achat et pour
la vente, ce qui représente 3% de la somme d’achat et 3% de la somme de vente, soit au total 75
livres. A ces frais s’ajoute le paiement des douanes d’exportation et d’importation dont la valeur
approche le plus fréquemment les 5% du prix du produit considéré comme plus rare. On obtient un
chiffre de 125 livres. La manutention engage également des frais. Le coût du paiement des
chargeurs de bois, dans l’exemple de Tomasini, revient à six livres lors du second voyage pour
Venise. L’opération de chargement et déchargement étant renouvelée quatre fois, on obtient la
somme de 24 livres pour l’embarquement du bois. Le voyage seul suppose encore des frais per la
messa. Pour le premier voyage, Tomasini a prévu la somme de treize livres un sou. Pour peu qu’au
second voyage la somme reste sensiblement identique, on obtient un total de 26 livres. Le transport
prélève aussi sa part du capital. Dans l’exemple de Marko Tomasini et Franjo le Zadarois, ce
dernier, le patron du navire, doit recevoir la moitié du bénéfice de vente. Or, tous deux sont associés
: l’un a fourni le capital et l’autre les moyens techniques pour réaliser l’affaire. La moitié des

59
Le ducat étant égal à 6 livres 4 sous, 133x124 = 16.492 sous. 16.492x3 = 49.476 sous. 49.476:10 = 4.948 pas. Mais
comme le bois ne représente qu’un tiers des articles de la taxe en question, on effectue l’opération supplémentaire :
4.948:3 = 1.649,33 pas.
60
Le retratto désignerait le profit [Kostrenčić, Lexicon Latinitatis Mediaevis Jugoslavensis]; le gain [Fare ritratto
d’una cosa - Riceverne danaro vendendola; T. Biagi, Dizionario della lingua italiana, II, Torino 1922].

383
revenus paraît une juste récompense. Leurs profits et dépenses peuvent être représentés (tableau
XXVIII).

Tableau XXVIII : Bilan financier de la société pour le bois de Tomasini et Franjo61


Gains Frais
Vente de 92,25 pas de bois 1.660,5 livres Taxes du trentième 75 livres
Prix d’achat à Senj 830,5 livres
Chargements 24 livres
Douanes 125 livres
Nolis 124 livres
Per la messa 26 livres
Total 1.204,5 livres
Bénéfices 456 livres

Avec 73,5 ducats de bénéfices, le profit de Tomasini représenterait près de 38% de


l’investissement initial, en admettant qu’à Obrovac il ait bien acheté à moitié du prix de vente qu’il
applique à Venise.
Dans cet exemple de transport à court rayon, le fret représente 14% du prix payé à l’achat au
centre fournisseur. Mais dès que l’on dépasse le cadre de la mer Adriatique, le coût du transport
s’avère beaucoup plus onéreux. Dans le cas du commerçant génois qui se déplace jusqu’en Sicile, le
rapport est d’un ducat par ducat de bois acheté. Ce qui revient à dire que la part du transport est de
100%. Dans ce récit, les frais engagés sont très lourds. Cependant, il nous manque les données sur
la quantité de bois transportée et le prix à l’unité pour dresser un résumé significatif des dépenses et
des bénéfices.
A défaut d’avoir une idée plus précise du coût du transport à Zadar ou à Split, citons à titre
de comparaison quelques coûts de transport concernant la relation Senj-Dubrovnik, circuit
également très actif depuis les XIIIe-XIVe siècles, qui se prolonge vers le territoire de la couronne
de Hongrie et vers la Serbie62. Le bois est échangé contre des peaux, de la laine, de la soie, du sel et
encore du blé, entre autres choses. En octobre 1510, le patron d’un grip de 18 carri doit embarquer
plusieurs sortes de bois de construction à Senj et dans la baie de Ledenica pour le transporter à
Dubrovnik. Il sera payé vingt ducats pour le transport entre les deux ports. En octobre 1511, Marin
Nikola loue une pedotine de quatre carri de capacité, embarque à Senj, ou à Ledenica, des planches,
du bois d’arbres fruitiers et des mâts pour les apporter à Dubrovnik. Le prix du transport est de
quinze ducats63. Alors que le trajet à effectuer est identique, dans ces exemples, les prix du transport
varient, aussi pourrait-on s’interroger sur la part prise par la qualité du matériau transporté ou de

61
DAZd, Conte Bartholomeo Paruta, B. unica, Atti diversi, f° 107.
62
Petar Strčić; « Senj u XIII. i XIV. st. », Senjski zbornik, vol. 12, Senj (1985-1987), 1-18 (13).
63
Josip Lučić, « Veze izmeñu Senja i Dubrovnika za vrijeme hrvatske bune (1510-1514) », Senjski zbornik, vol. 17,
Senj (1990), 235-242 (238).

384
son aspect périssable. L’un des produits manufacturés à base de l’exportation segnoise pourrait
aider à saisir les nuances de ce commerce.
Les rames sont l’un des articles principaux d’exportation de Senj. Ces outils de navigation,
fabriqués dans la commune, sont très renommés. En fonction de la conjoncture politique Venise
interdit le trafic ou au contraire finance l’importation de rames jusqu’à la République64. Les villes
dalmates en profitent également pour en acquérir à leur compte. Ainsi, dans les années 1538, on
enregistre la commande de 7.343 rames auprès du capitaine de Rijeka aux frais de la caisse
publique pour le compte d’un marché conclu avec un certain Jeronim de Zadar65. Malheureusement,
le montant de la commande n’est pas mentionné.
Le bois des rames en chêne provient principalement du district de Kosinj ainsi que des
régions de Kuterevo, Krasno, Senjsko bilo et Melnica66. En juillet 1511, Marin Nikola loue la
caraque de Toma Marko de Brač pour se rendre à Senj et à Žrnovnica. Il compte y embarquer 500
rames pour les trirèmes et d’autres types de bois jusqu’au remplissage complet de la capacité du
bateau. Marin repart avec le chargement à Dubrovnik et doit payer 25 ducats à Toma pour le
transport. En août 1513, le nolis pour le bois transporté sur une saète de Senj à Dubrovnik revient
également à 25 ducats, sauf que ni la quantité ni la qualité ne sont précisées67.
D’après ces quelques exemples pris à Zadar et Dubrovnik, le prix constant du transport se
situe dans une échelle de prix entre 15 et 25 ducats pour les trajets à l’intérieur du bassin adriatique.
Les variations semblent principalement dues à la qualité et à la quantité du bois importé. En effet,
en dehors du bois de construction navale (à l’exemple des rames et des mâts), Senj exporte
également du bois brut de chauffage, du charbon pour les artisanats de fabrication de chaudron et de
porcelaine à Venise, ainsi que de la cendre de hêtre pour l’industrie du verre68. Cependant, même si
dans de nombreux cas le bois de Senj fait l’objet d’un commerce exclusif en tant que produit
pondéreux, il est souvent associé, dans le chargement, aux autres matières premières exploitables à
Senj.
Prises dans leur ensemble, les sommes investies dans l’acquisition du bois, qu’il s’agisse de
la fourniture locale en bois ou de bois importé, sont importantes. Dans les exemples étudiés, ces
frais paraissent souvent élevés (près de 15% du prix d’achat sur le trajet Obrovac-Venise et 100%
de la valeur du bois pour le trajet Senj-Sicile). Cependant, les exemples trouvés ne donnent que des
tendances et une vue globale. A l’heure actuelle, je n’ai pas d’autres informations précises

64
P. Strčić, « Senj u XIII. », (13).
65
Commissionnes, vol. 8, 146.
66
Vladimir Severinski, « Gospodarenje sjeverno-velebitskom šumama u prošlosti i danas », Senjski zbornik, vol. 2, Senj
(1967-1968), 262-275.
67
J. Lučić, « Veze izmeñu Senja i Dubrovnika », (237-238).
68
V. Severinski, « Senjske šume », (237).

385
susceptibles de fournir une image claire du volume financier et quantitatif que représente cette
importation de bois, tout particulièrement à Zadar et à Split.

3°) Le fer brut et ouvragé et autres métaux


A partir de la première moitié du XVe siècle, Zadar devient le centre de réparation des
navires de guerre vénitiens, et son arsenal fonctionne comme une sorte d’annexe de l’arsenal de
Venise69. Il est donc évident que la ville doit se pourvoir en matériaux de fer. Or les interdits
précités de commerce avec certaines régions70 gênent la possibilité d’importation. Néanmoins,
lorsqu’en 1438 survient une pénurie de fer à Zadar, le gouvernement vénitien autorise la commune
d’en importer de Rijeka et de Senj pour couvrir les besoins de la ville et ses environs71.

Graphique XIV : Evolution des centres exportateurs de fer vers Split au XVIe siècle72

6
5
Nombres de voyages

4 1503-1504
1515-1517
3
1528-1530
2
1

0
Bakar Krk Rijeka Senj Dalmatie Venise
Centres

A Split, au XVIe siècle, tout comme pour Zadar au XVe siècle, les ports du Kvarner
représentent les principaux fournisseurs de la ville (graphique XIV). Néanmoins, les mentions de
ces villes disparaissent après les années 1530 – tout comme pour le courant d’importation du bois.
Cette disparition ne veut pourtant pas dire que les centres cités ne produisent plus de métaux. Nous
savons en effet pour Senj qu’en 1541, Ferdinand Ier d’Autriche ordonne que soit envoyé un maître
canonnier, l’Autrichien Philippe Layminger, pour couler des canons à Senj. A cette fin, jusqu’à
4.033 kg de bronze sont utilisés pour la fabrication de deux canons et d’un falconet. Qui plus est, le
commerce du fer de Senj et de Rijeka est intégré dans les principaux circuits des marchés d’Europe

69
I. Pederin, Mletačka uprava, 123.
70
En 1423, Venise interdit l’importation d’articles de Senj et de Rijeka, à savoir l’importation d’éléments ferreux,
excepté en cas de grande nécessité, ainsi que le négoce des peaux. En 1439, lorsque Zadar connaît une pénurie de fer, le
pouvoir vénitien lui permet d’en importer de Senj et de Rijeka; G. Novak, Povijest Splita, 28-29.
71
A. Piasevoli, « Fragmenti ekonomskog », (26-27, 36).
72
DAZd, boîte 36, B. 48, F. I; boîte 49, B. 60, F. 6/II; boîte 67, B. 74, F. 7/IV.

386
centrale. Jacob Fugger y fait également couler des canons, tout comme à Zagreb, Ljubljana,
Budapest, Bratislava, Vienne, Villach, München et autres73.
Il semblerait donc que, de part et d’autres, il y ait une réorientation du marché. Les ports du
Kvarner se tournent davantage vers une clientèle de l’intérieur de la maison d’Autriche, tandis que
les ports dalmates se fournissent ailleurs. Le problème demeure de connaître quels sont ces
nouveaux marchés.
L’une des zones d’importations possibles est représentée par l’intérieur des Balkans. Dès le
XVe siècle, les métaux précieux, comme l’or et l’argent, sont importés à Zadar à partir des mines de
Bosnie et de Serbie74. Ces régions étant désormais sous le gouvernement de l’Empire ottoman, le
trafic terrestre avec l’arrière-pays prend probablement la relève de ces importations de métaux.
Cependant, les notaires et les registres urbains n’en font aucune mention – puisque le commerce par
voies de terre n’est pas taxé. Seule une recherche spécifique dans les actes notariés pourrait
confirmer ou infirmer cette hypothèse. Par ailleurs, les échanges avec l’intérieur des terres,
notamment avec les Valaques, sujets turcs, sont très animés : à Zadar les Morlaques apportent du
froment, de la laine, des schiavines, du cordouan, du miel, de la cire rouge et du fromage en
échange des draps, du carisé, du sucre, de l’huile, du vin, de la cire blanche et d’autres
marchandises, ce qui assure à la ville (dans les années 1550) 13 à 14.000 ducats par an75. Les
contrelettres de Split témoignent aussi de l’origine « turque » de certains produits exportés hors de
la ville.

4°) Les tratti di Turchia


Pour un nombre limité d’articles exportés de Split dans les contrelettres du XVIe siècle, il est
spécifié qu’ils ont été traités dans l’Empire ottoman (tratti di Turchia). Les autres qualificatifs sont
encore morlacha, turcheschi, et pour certaines marchandises, le lieu d’origine est davantage précisé.
Dans la mesure où la grande majorité du trafic d’importation d’origine balkanique se fait sur les
routes terrestres, les quelques données trouvées dans les contrelettres ne reflètent qu’une partie
infime de ces échanges avec l’intérieur des terres.
D’un point de vue global, les Splitois perçoivent au milieu du XVIe siècle jusqu’à 24 à
25.000 ducats de revenus annuels sur la base du trafic avec les populations de la Zagora dalmate et
avec les Bosniaques. Ces derniers importent, d’après le rapport du syndic vénitien Giovanni
Baptista Giustiniani, du miel, de la cire, des peaux, du fromage, des céréales, de la laine, de la
viande et autres76.

73
Zlatko Herkov, « Ljevaonica topova u Senju godine 1541 », Senjski zbornik, vol. 19, Senj (1992), 35-46.
74
A. Piasevoli, « Fragmenti », (27).
75
« Itinerario Giovanni Baptista Giustiniani », 198.
76
G. Novak, Povijest Splita, 971.

387
Difficile d’être plus précis avec les quelques données dont on dispose. Néanmoins, celles-ci
peuvent nous servir d’indice sur les types de produits dont se pourvoit Split suivant les années, et
par extension, les autres villes dalmates. L’une des difficultés réside dans le fait que, parfois, les
articles ne sont pas précisés. Ainsi pour un envoi de 1516, il est noté l’intention d’exporter quatre
balles de « marchandises turques diverses » à Senj à l’occasion de sa foire d’avril. L’autre difficulté
est une autre imprécision, quantitative cette fois. Pour plusieurs marchandises, les transporteurs
indiquent seulement qu’ils exportent en vrac (a refuso), des marchandises d’origines « turques ». En
revanche, des villes de l’Empire sont parfois spécifiées, ce qui nous permet de mieux cerner
l’origine de certains produits77.

a) Les produits d’élevage


Produit Quantité Provenance
Années 1503-1504
cordouan 120 pièces turcheschi78 Ce genre d’articles est
montonine 2 ligazi turcheschi
Année 1511
fréquemment mentionné. Le courant
cordouan 4 mazzi l’extérieur d’importation existe durant tout le
fromage 530 pièces Craïna
244 pièces Neretva XVIe siècle (tableau XXIX). Parmi les
a refuso l’extérieur
Années 1515-1517 denrées les plus importées figurent le
cordouan 32 pièces turcheschi
6 balles de l’extérieur
fromage, la laine et la cire. Les peaux
laine 1.100 livres morlacha représentent également une bonne part
fromage 988 pièces morlacha
Années 1528-1530 de ce marché d’importation. En
laine a refuso Makarska
miel a refuso di Turchia premier lieu, les cordouans (peaux de
Années 1557-1560 chèvres ou de chevreaux79) dominent.
agneline et toison 4,5 miers Makarska
peaux de loup 34 pièces Makarska
cuir 30 balles Makarska
cire 600 livres di Turchia
5 ligazi di Turchia
fromage a refuso Makarska
Années 1580-1583
laine a refuso di Makarska
cire 1 sac turcheschi
113 livres Neretva
Tableau XXIX : Produits d’élevage importés de l’Empire ottoman à Split80

77
Certains articles ne sont mentionnés qu’à une seule reprise. En 1558, deux cavi cerchiadi de vin sont importés
d’Omiš, ville de l’Empire ottoman sur la côte dalmate pourvue des mêmes prédispositions agricoles que les autres
communes. Cet envoi demeure fortuit. Il en est de même de l’envoi de 50 tonneaux de sardines dans les années 1557-
1560, en provenance du port de Makarska.
78
Les textes distinguent le qualificatif turcheschi de la précision tratti di Turchia ou tratti di Makarska, respectés ici.
79
U. Tucci, Lettres d’un marchand vénitien, 352.
80
DAZd, Sp. Ar., Contrelettres.

388
Tous ces produits sont issus des régions de montagnes où sont exercées les activités pastorales.
Dans les quelques précisions apportées quant à la provenance, il s’agit de villes à la frontière directe
entre l’Empire ottoman et les possessions vénitiennes. La présence de ces villes de Makarska et de
l’estuaire de la Neretva montre qu’il peut y avoir également un transport maritime des denrées de
l’intérieur.

b) Les produits artisanaux.


Une partie des produits ottomans importés par les Valaques vers Split est redistribuée vers
d’autres ports maritimes. Les contrelettres splitoises ne nous fournissent donc qu’une tendance de
ces importations (tableau XXX).

Tableau XXX : Produits artisanaux importés de l’Empire ottoman à Split81


Produit Quantité Provenance
Année 1511 Deux groupes de marchandises
schiavine 16 pièces morlachi
(de laine) 6 pièces Neretva dominent : il s’agit des confections
Années 1515-1517
ceintures 17 pièces turcheschi textiles à base animale et des textiles à
4 sacs turcheschi base végétale.
schiavine 10 balles morlacha
10 pièces morlacha Dans le premier groupe, les
Chausses (sciuvali, stivali) 11 paires turcheschi
selles 2 pièces turchescha articles à base de cuir (ceinture, selles,
toiles teintes 6 pièces turcheschi
voire les chausses) dominent ainsi que
Années 1528-1530
rasse 1 pièce turcheschi les schiavine (couvertures en laine
blanche 791 coudées turcheschi
boldroni 125 pièces di Turchia brute) et la rasse. Dans le second
Années 1557-1560
schiavine 10 balles Makarska groupe, on relève la présence
1 sac Makarska importante de tissus plus ou moins
sacheti di cuvazo ? 2 balles turcheschi
boldroni 100 pièces di Turchia apprêtés (boldroni, toiles teintes).
bougies de suif 3 caisses Makarska
Années 1580-1583
rasse 1 rotolo turcheschi
boldroni 100 pièces di Turchia
75 pièces Neretva

Le compte-rendu de Giustiniano se trouve donc confirmé, voire complété, par les


informations recueillies, de manière partielles, dans les contrelettres d’exportation splitoises.
A titre de comparaison, les importations de produits ottomans à Trogir sont beaucoup plus
restreintes : en 1567-1569, les entrepreneurs de Trogir réexportent surtout du miel tratto di Turchia,
quelques fromages, un peu de bitume naturel et très peu de cire et de marasques. Dans la bulletae de

81
DAZd, Sp. Ar., Contrelettres.

389
1575-1577, il n’est plus question que de réexportations de miel « turc »82. Il n’y a aucune trace
d’articles manufacturés comme ceux qui sont présents à Split, ce qui pourrait indiquer que cette
commune est un centre d’échanges moins important.

5°) Les importations d’Ancona


Outre les biscottes et quelques céréales importées d’Ancona, les communes de Split et de
Zadar s’approvisionnent encore en d’autres articles durant les six mois des années 1562 et 1563 –
en 1551 ne sont enregistrées que les exportations. Les données récoltées ne fournissent qu’une
notion de ce que le marché anconitain peut avoir d’intéressant pour ces deux communes (tableau
XXXIV).
Ancona attire les entrepreneurs zadarois et splitois surtout pour les tissus (draps et carisé),
voire pour quelques articles agricoles (le lin, l’ail et l’oignon). Ce sont également les produits
importés par des transporteurs de Šibenik, Trogir et Brač – en plus des biscottes.

Tableau XXXIV : Importations de Zadar et de Split à partir d’Ancona83


Année Zadar Split
1562 - deux pièces de carisé pour Pag - 300 livres de lin
(III-VIII) - 1 balle de cuir - 4.200 livres d’ail
- 2 balles de papier buvar (sugar) - 3 balles, 2 pièces de drap
- 13 pièces de carisé
1563 - 1 balle, 30 coudées, 1 pièce de draps - 2 pièces de draps
(III-VIII) - 20 amarres - 21 pièces de carisé
- 3.000 livres d’oignons
- 2.130 livres de lin
- 2 pièces, 1 balle de carisé

6°) Récapitulatif des principaux marchés de l’importation maritime splitoise en vue du transit.
Pour les raisons déjà évoquées à propos du bois et du fer, il est irréalisable de quantifier le
volume des marchandises en transit à Split. La mention de la quantité d’un article précis ne figure
que dans quelques rares cas. Cette indication sert seulement d’indice, car elle n’est pas révélatrice
de l’ensemble du volume réellement importé - une partie est vraisemblablement restée en ville pour
répondre aux besoins locaux. Parmi les marchandises transitées, on trouve aussi bien des produits
d’élevage (laine, peaux, fromage, cuir, plume), agricoles (vin, lin, huile, riz), que des articles issus
de l’artisanat (textiles divers fins et bruts, ustensiles, pièces d’armature de navires), ainsi que des
produits de luxe (carisei, plantes aromatiques) et du bitume.
Comme il est impossible de tracer une image claire des marchandises importées à Split, il
n’est pas utile de faire le récapitulatif détaillé des quelques bottes d’huile de la Pouille ou des

82
DAZd, Općina Trogir (O.T.), Grañanski spisi trogirskih knezova, Conte Nicola Priolo, Bulletarum primus, B. VIII, F.
III, (1567-1569); Conte Matheus Pizzaman, Bulletae primus, B. IX, F. 12 (1575-77).
83
ASAN, ACAN n° 1573, Quarto 1562, f° 42’, 44, 45’, 66, 87’, 89, 95’, 130, 131, 152’,156’; n° 1574, Quarto 1563, f°
91, 4’, 32’, 12’, 24’, 44’, 49.

390
chaudrons de Brindisi. En revanche, les lieux d’origine de ces articles sont connus. Cela se traduit
par le dénombrement des voyages que ces importations supposent, afin de connaître l’évolution
potentielle des centres de distribution par périodes.

a) La première moitié du XVIe siècle (graphiques XVI a, b, c84)

Graphique XVa : Centres exportateurs en 1503-1504


Dubrovnik
Les ports du Littoral croate (Rijeka, Krk, Rab,
Veneto
4% 13%
Senj, Bakar et Karlobag) jouent un rôle prépondérant
durant le premier quart du XVIe siècle. Outre leur
contribution en bois et en fer, ces villes exportent du cuir,
Kvarner
83%
des peaux, des fourrures de loups, des plumes, de la laine
et du lin, des draps de diverses qualités (alti et bassi, de la
soie venant de Senj, des draps de Krk), des toiles de
canevas, du matériel de construction de
Veneto
navires (des câbles pour le mât – sartie), et Istrie
2% 2%
des produits aromatiques. Ils contribuent sans
doute à fournir Split notamment en produits
Littoral
qualifiés de ungareschi et tedeschi, mais le
croate
rapport direct reste à prouver. Durant l’année 96%

1511, un patron a transporté en un voyage un


tonneau et 205 tonnelets de fromage de Senj.
La foire de Bakar en octobre et la foire de
Senj en avril sont les principales occasions Graphique XVb : Centres exportateurs en 1515-1517

d’approvisionnement pour les marchands dalmates.


Graphique XVc : Centres exportateurs en 1528-1530

Dalmatie Veneto En retour, les plus grosses quantités de « diverses


13% 13%
marchandises de toutes sortes » snt transitées vers
Split durant ces deux mois.
Littoral En provenance de Venise et de sa région, sont
croate
74%
importés surtout des tissus de qualité (par exemple, le
transport de cinq carisés de Venise en 1504), mais
aussi des matières premières (dix sacs de lin
acheminés en 1511) et des produits préfabriqués

84
DAZd, Sp. Ar., boîte 36, B. 48, F. I; boîte 41, B. 52, F. 4; boîte 49, B. 60, F. 6/II; boîte 67, B. 74, F. 7/IV.

391
(pex. l’importation de dix moules d’acier (azali fazi – en 1511).
Dubrovnik se démarque à travers une exportation de matériaux de construction navale (des
bâches de navire – celege; du bitume). Mais ce centre exporte également des peaux et des schiavine
(pour lesquelles il dispose d’une industrie développée). Cependant, après les années 1503-1504, la
ville disparaît des intentions d’importation. Certains autres centres d’exportation ne figurent qu’une
seule fois85.
Durant la première moitié du XVIe siècle, les ports du Kvarner et du Littoral croate
représentent donc les marchés d’approvisionnement principaux de Split. Leurs périodes de foires
correspondent aux moments forts de l’activité commerciale. C’est l’occasion pour la commune de
suppléer aux manques de matières premières dont elle n’a pu se pourvoir de l’intérieur, et en
ustensiles manufacturés à base de bois ou de métal dont elle ne dispose pas sur place. Passé ce cap,
les villes du Littoral croate disparaissent. Leur disparition du circuit des échanges avec Split se
vérifie pour les importations de bois et de fer, mais également pour les produits exportés (voir plus
loin) dans les années 1530.
D’autres centres apparaissent de manière beaucoup plus marginale. Ils interviennent pour
l’acheminement de produits plus luxueux ou spécialisés. Dans ce relevé, les ports de l’Italie
méridionale sont absents. Or, nous savons combien les villes de la Pouille contribuent à
l’importation de céréales à Split (pour les années 1523-1526). Il est donc évident que les
informations recueillies dans les contrelettres d’exportation n’offrent qu’une image très partielle de
la réalité du commerce d’importation splitois.
La seconde moitié du siècle est marquée par un changement. Les contrelettres des années
1530-1540 nous font défaut. Elles auraient été pourtant utiles pour connaître la période charnière
durant laquelle se réalise le transfert des centres d’importations d’une zone à l’autre. Nous en
sommes réduite aux constats et à quelques hypothèses.

b) La seconde moitié du XVIe siècle (graphiques XV d, e86).


De prime abord, la proportion des voyages entre la première période et la seconde est
déséquilibrée. Tandis que dans les années 1503-1530, 93 transports ont occasionné une importation,
dans les années 1558-1583, ce chiffre tombe à 31 voyages (soit plus de 33% d’importations en
moins). Le quotient des données est donc déséquilibré.

85
C’est le cas de la ville de Labin, en Istrie, dont sont issues 97 auges, ou abreuvoirs (mastello), transportées en un
voyage. La Crète est la destination d’un seul navire en 1515, dont le patron a l’intention de rapporter « plusieurs sortes
de marchandises ». Deux entrepreneurs importent deux bottes et six tonneaux d’huile de la Pouille en deux voyages.
86
DAZd, boîte 96, B. 103, F. 17; boîte 116, B. 122, F. 6.

392
Graphique XVd : Centre exportateur en 1558-1560
Les villes du Royaume de Naples87
jouent le rôle principal, pour ne pas dire

Royaume de exclusif, de marché de distribution des


Naples100% marchandises. Parmi ces dernières,
l’importation d’huile italienne augmente
considérablement88. Or, la Pouille est tout au
long des XVe et XVIe siècle l’une des
principales régions productrices d’huile d’olive : sa production passe d’environ 95.400 quintaux
d’huile au début du XVIe siècle à plus de 238.500 quintaux dans les années 1592-98. Tout au long
du XVIe siècle, Venise importe entre 10 et 13.000 miers (47.700-62.000 quintaux) d’huile
apulienne, dont 11% servent à l’alimentation, 39% sont destinés la production de savon et à la
lanification de la laine et les 51% restant sont réexportés89, notamment en Afrique du Nord90.
Graphique XVd : Centres exportateurs en 1580-1583
non mis
Dans années 1580, les villes 13%
Veneto
Dalmatie 4% 66%
exportatrices sont plus diversifiées :
Venise, Vasto, Peschici et Vieste91, Trogir
Royaume de
et l’estuaire de la Neretva, sans compter Naples 17%

les destinations non précisées. Venise se


distingue par une abondante exportation de
riz92 et l’envoi de carisés.

c) Continuité et similitudes du courant des importations, le cas de Zadar.


Zadar s’adresse aux mêmes centres de production pour ses fournitures en bois et en métaux.
En raison de l’absence des contrelettres de cette ville, seule une description générale du cours des
échanges zadarois peut être réalisée. Ainsi, au XVe siècle déjà, la ville est grandement tributaire de
son arrière-pays pour l’approvisionnement en produits d’élevage. Les Valaques acheminent des
peaux, du fromage, de la rasse, de la cire et du miel. Zadar s’adresse également à la Croatie pour

87
A savoir Amalfi, Barletta, Peschici, Brindisi, Giovinazo, Manfredonia, Vasto et Vieste. A titre anecdotique, en 1558,
500 chaudrons proviennent de Brindisi.
88
Il s’agit de deux bottes de Brindisi, trente caratelli d’Amalfi, et cent d’un poids non inscrit de Giovinazzo.
89
Salvatore Ciriacono, « Economia e commerci veneziani in età moderna. Il caso dell’olio di Corfù », Archivio veneto,
Anno CXXIX, vol. 151/série V, Venise (1998), 33-53 (37).
90
Eliyahu Ashtor, VI. « The Venetian Supremacy in Levantine Trade : Monopoly or Pre-Colonialism ? », Studies on the
Levantine, 5-53.
91
Respectivement douze et 53 bottes de vin à la mesure napolitaine.
92
On relève le transport de 54 muids, 700 livres et 200 setiers en trois voyages.

393
compléter son ravitaillement, notamment en bois. Quant à l’Italie, elle représente le marché
privilégié des tissus, des céréales, de la guède93 et des épices94.
Au XVIe siècle, la configuration des marchés est identique. L’Empire ottoman, et surtout la
zone frontalière constituent la zone d’où confluent toujours les produits d’élevage (laines, schiavine,
peaux, miel, cire et fromage), tandis que le carisé, le velours et autres tissus de luxe proviennent de
Venise et d’Italie95.
Suivant le sens des échanges observés, des modifications ont lieu entre le XVe, la première
moitié du XVIe et la seconde moitié du XVIe siècle. Le courant des importations dans le sens
perpendiculaire, c’est-à-dire d’orientation nord-est/sud-ouest, est continu sur l’ensemble de la
période observée. Pour les deux villes, et sans doute les autres ports dalmates, cette orientation est
dominante. La côte italienne orientale sert à l’approvisionnement en produits manufacturés de luxe
ou rares et en céréales; l’arrière-pays, par l’intermédiaire des Valaques, détient le gros des matières
premières utiles à l’alimentation et à l’artisanat.
Le second sens des échanges, c'est-à-dire d’est en ouest, le long de la côte dalmate, voit se
modifier les pôles principaux. Le commerce intensif qui se déroule jusqu’à la fin du premier quart
du XVIe siècle, à l’ouest avec les ports croates, disparaît. Les réfugiés de la forteresse de Klis se
livrant à la piraterie (sous le nom d’Uscoques) pourraient être la raison majeure de cette disparition.
De plus, les villes de Senj et Rijeka dépendent directement de l’administration impériale
autrichienne. Leurs marchés d’exportations et centres d’intérêt économique s’orientent désormais
davantage vers la Croatie intérieure. La relève est alors prise par les régions orientales, bien au-delà
de l’arrière-pays proche. Le Vénitien Giovanni Sagredo déclare que des marchandises de Perse,
d’Inde et d’Orient viennent par voie de terre à Split96. De plus, un compte rendu anonyme déclare
qu’en 1577, les trois places principales du trafic avec le Levant, reliant Venise à l’Empire ottoman,
sont Dubrovnik, la Neretva et Split. La Neretva est privilégiée par les sujets turcs en tant que ville
de l’Empire. C’est là, ainsi que dans les deux autres villes citées, que confluent les marchandises de
Thrace, de Serbie, de Bosnie, de Macédoine et des autres provinces sujettes des Ottomans97.
Au fil de cette analyse des importations splitoises et zadaroises, il apparaît que le rayon des
échanges économiques couvre l’ensemble du bassin adriatique. Les interdits émis par Venise et ses
tentatives de concentrer la production des villes dalmates vers son marché ne se réalisent donc pas.
La tradition plus que centenaire du courant qui relie l’arrière-pays, les villes dalmates et la côte
italienne orientale se poursuit même durant les périodes de crises politiques sur le territoire de la

93
Zadar pod mletačkom upravom, 92-93.
94
T. Raukar, Zadar u XV. st., 257.
95
Zadar pod mletačkom upravom, 257, 259.
96
L. Calvi, « La Dalmazia », (29-36).
97
Documenti storici, 365.

394
péninsule balkanique et indépendamment des intentions de contrôle vénitiennes. Dans ce contexte,
Split joue un rôle prépondérant de centre d’attraction des marchandises de la Bosnie de l’ouest98.
Les importations relevées ne reflètent qu’une partie de la réalité commerciale des deux villes. Qui
plus est, Split tout comme Zadar, jouent le rôle dominant d’escales de transit. Aussi, une part
importante des biens et articles importés sont ensuite redistribués. Les questions qui s’imposent sont
de connaître l’orientation de ce trafic d’exportation, ainsi que le volume des échanges, voire, dans la
mesure du possible, leur valeur économique.

II. Les produits d'exportation

Le manuel du marchand vénitien Bernardo Pasi offre un premier panorama global sur le
transit splitois dans la première moitié du XVIe siècle99. Dans son compte rendu rapide sur la nature
du commerce entre Venise et les diverses villes de la Dalmatie, l’auteur note que Split exporte en
direction de la capitale : « de la cire, du miel, du vin assez, des figues en tonneaux, des peaux de
moutons châtrés (castroni) et autres, des fourrures de renard, du suif subtil, de la rasse, et ce qui est
fait pour Corfou ». Toujours d'après Pasi, la ville de Trogir et l'île de Hvar ont plus ou moins le
même profil commercial que Split; tandis que dans le cas de Dubrovnik, l'auteur s'étend davantage
sur la place de cette ville comme point de jonction maritime et terrestre entre les pays turcs (dont la
Bosnie et la Serbie) et Venise, favorisant un trafic intense de tissus les plus divers.
De son côté, un homme politique, Nicolo Correr, de retour de sa fonction de comte et
capitaine de Split en 1581-83, décrit dans son rapport du 13 juin 1583 la situation économique de la
ville, notamment l’importance des échanges commerciaux. Selon lui, les artisans et les marchands
sont les seuls à s'être enrichis grâce à leurs activités (les frères commerçants Capogrosso bénéficient
d'un capital de plus de 150.000 ducats). Le trafic de la ville consiste en l'importation « de laine, de
fromage, de cuir, de chevaux de trait et autres produits qui viennent de la Turquie et de l'arrière-
pays valaque (Morlachi)100 » – c'est-à-dire de la Bosnie actuelle et de l'arrière-pays dalmate. En
échange, la ville leur exporte « du riz, du sel, du vin », et encore « d'autres marchandises qui sont
conduites à Venise et à sottovento » – c'est-à-dire, géographiquement parlant, vers l'Italie centrale et
méridionale sur le versant est de l’Adriatique (soit les 100 à 161 milles de distance qui séparent les
deux rives)101. Le territoire produit insuffisamment de blé, lequel est importé par les sujets turcs de

98
T. Raukar, « Venecija i ekonomski razvoj », (209).
99
Bernardo Pasi, Tariffa zoé notizia, Venetia 1540, 119.
100
Les textes emploient indifféremment les termes de valachus ou morlacho, la première version est utilisée dans les
sources latines et la littérature slave, la seconde est retenue préférentiellement par les Vénitiens et la littérature italienne.
101
De Split et de Šibenik, l’Italie est distance de 100 milles, de Dubrovnik, 161 milles, et les zones insulaires, le plus
souvent moins; C. Marciani, « Le relazioni tra l’Adriatico », (19).

395
la Zagora dalmate102, ou, en cas de pénurie sévère, il provient du sottovento. De sorte qu'au moment
de la carence de 1581, Split est la ville la mieux approvisionnée de la Dalmatie. Le vin est
consommé en abondance et parfois importé d'Italie en cas de nécessité. Quant à la viande, elle est
presque toujours présente, davantage que le poisson, moins consommé103.
A lire ces deux types de sources, la nature du commerce splitois semble se limiter
principalement à un marché de matières premières et de produits agricoles, complétée par des peaux
et du cuir. Il faut toutefois tenir compte du fait que Pasi traite uniquement du trafic reliant Split à
Venise. La seule nouveauté, chez Correr, est l'exportation des chevaux, tandis que les produits
manufacturés et de luxe font entièrement défaut. Ces textes suggèrent un trafic communal limité,
réduit aux seuls pourtours de la mer Adriatique, sorte de passerelle entre la zone turque limitrophe
et les villes d'Italie de l'Est. Pourtant, Correr précise bien que les marchands font partie de la classe
économiquement privilégiée.
En ce qui concerne Zadar, dans son rapport de 1553, le syndic Giustiniano indique que la
valeur des échanges non surveillés entre Zadar et « la Turquie », atteint un montant de 14.000
ducats104. Dans l’ensemble, même si la majeure partie des marchandises est destinée au marché
vénitien, Zadar parvient à conserver de vifs liens commerciaux avec la Pouille, les Marches,
l’Abruzze et la Romagne. Le transit maritime dans ses grandes lignes, au XVe siècle, se caractérise
par l'exportation de sel, de bétail, de fromage, de peaux et de vin, contre l'importation de produits
dont la production zadaroise est déficitaire comme le blé, les toiles, les épices et autres. Ce n'est
qu'avec l'intrusion dévastatrice des Turcs entre la seconde moitié du XVe siècle et au siècle suivant
que le territoire agricole zadarois est ruiné et réduit. Indépendamment de ces événements, Zadar
oriente son trafic commercial vers deux voies principales : le long de la côte adriatique de l'Albanie
au Littoral croate (Senj, Rijeka) et Venise et, dans le sens nord-sud, de son arrière-pays (Croatie,
Bosnie) vers les villes italiennes de la côte adriatique105.
Dans le détail, la nature des sources consultées pour cette analyse diffère. Pour Split, les
bulletins douaniers du XVIe siècle permettent une analyse statistique du trafic commercial. Pour
Zadar, il s’agit du recensement patient des données recueillies dans seize registres notariés, de
comtes et de la cour maritime, sur deux siècles. Cet échantillon ne donne en réalité que des indices,
car les contrelettres fournissent près de 95% de l'information concernant le commerce d'une
commune, tandis que les autres manuscrits ne donnent un éclairage que pour 5% de la réalité

102
Au sens strict, ce terme géographique désigne l'arrière-pays de Trogir à Split compris entre la rivière de Krka et le
bourg de Poljice. Par extension cette expression est employée pour désigner tout l'arrière-pays montagneux en bordure
intérieure de la Dalmatie.
103
« Relatione … Nicolo Correr », Comissiones, vol. 4, 332.
104
Zadar pod mletačkom upravom, 257.
105
T. Raukar, Zadar u XV. st., 252-254.

396
commerciale106. Néanmoins, un des atouts des actes notariés privés et des registres publics est de
donner quelques valeurs des produits échangés.
D’autre part, les courants d’exportations sont tributaires des mesures économiques prises par
Venise. Le contrôle de la production communale exercé par Venise peut se définir à trois niveaux
(tableau XXXV) : sur la production du sel – où il est total, sur certaines branches de l’artisanat – où
le Sénat oriente selon ses besoins la production d’artisanats stratégiques comme la construction
navale ou l’approvisionnement en nourriture, et sur les productions agricole et artisanale – laissées
libres. Il en ressort que la majorité de la production communale dalmate est en-dehors du contrôle
direct du Sénat vénitien, mais que la production zadaroise en subit les plus grandes conséquences
puisqu'un monopole total est effectué sur le sel. Pour ce qui est des aux branches artisanales comme
la boucherie, la boulangerie et la teinturerie, nous avons eu l'occasion de voir les réglementations
les concernant, notamment à travers les décrets du comte Nicolo Correr.

Tableau XXXV : Venise et son contrôle de la production en Dalmatie (XVe-XVIe siècles)

Extension de l'influence vénitienne Type de production


A) contrôle/monopole total du Sénat vénitien production de sel

B) orientation et détermination des branches chantier naval; artisanat de boucherie


de développement et boulangerie; teinturerie de toiles

C) hors d'un contrôle direct agriculture, élevage et pêche;


la majorité des artisanats
Tiré de T. Raukar, « Komunalna društva u Dalmaciji u XV. i u 1. polovini XVI. st. », 65.

En troisième lieu, certaines informations nous parviennent de manière indirecte, lorsque par
exemple Venise met en place, au XVe siècle, une série d'interdictions de trafiquer avec certains
partenaires commerciaux. Aussi, lorsque le 15 janvier 1452, le commerce entre les villes dalmates
et les Marches anconitaines est interdit, les marchands et baillis de la taxe du trentième se révoltent
aussitôt, car l'une des principales branches de leurs échanges est ainsi interrompue. De fait, dès le
14 mars de la même année, ce décret est résilié par une ducale,107 et les contrelettres de Split
montrent qu'effectivement les communes de l'autre rive de l'Adriatique représentent toujours au
XVIe siècle un débouché commercial de premier rang (voir plus loin). Autre indice, lorsqu’en 1422,
Venise décrète que le vin ne peut être exporté de Zadar jusqu’à Senj que sur ses navires, afin de
favoriser les transporteurs vénitiens108. Ces décisions politiques sont des bribes d’une réalité
commerciale plus vaste.

106
J. Kolanović, « Izvori za povijest », (121).
107
T. Raukar, Zadar u XV. stoljeću, 248.
108
Comissiones, vol. 8, 201-202.

397
Par ailleurs, comme il n’est pas possible de réaliser une étude statistique des exportations
zadaroises, l’historien Tomislav Raukar propose d’obtenir une idée de l’intensité de ce trafic à partir
de l’analyse détaillée des variations de valeur des taxes du trentième (graphique XVI). Pour le XVe
siècle (des années 1430 à 1500), la moyenne du prix du bail du trentième est d'un montant de 500
ducats. Cependant, en 40 ans, sa valeur chute de 750 ducats au milieu des années 60 à 177 ducats en
1500109 ce qui montre clairement l'influence des événements d'ordre géopolitique ou sanitaire (la
peste en 1465) sur le cours de l'économie locale avec pour sommet de la crise, la guerre turco-
vénitienne en 1499-1502110.

Graphique XVI : Evolution du cours de la taxe du trentième à Zadar au XVIe siècle

700

600

500

400

300

200

100

0
1500 1510 1520 1530 1540 1550 1560
Années

Tiré d'après les données fournies par Zadar pod mletačkom upravom, 257.

Le redressement qui suit est toutefois rapide puisque, entre 1500 et 1510, la valeur du bail
remonte de 274 ducats en 1501 jusqu'à 408 ducats en 1506. Aussi, malgré la réduction du volume
commercial de Zadar après sa soumission à Venise en 1409 et les aléas géopolitiques, la commune
parvient à maintenir un volume commercial appréciable. Au cours du XVIe siècle, la tendance à la
hausse se confirme. Qui plus est, la période de guerre entre Venise et l'Empire ottoman en 1537-
1540 ne réduit pas la valeur du bail, cette dernière s'élevant à 602 ducats en 1540. Aussi,
indépendamment de l'atteinte portée au commerce continental de la commune, le trafic portuaire,
aussi bien transitaire qu’insulaire, se maintient111. De plus, dans le domaine diplomatique, les liens
commerciaux entre Zadar et l’Empire ottoman se renforcent, au moins pour la fin du XVIe siècle.
Les pouvoirs ottomans entretiennent des relations officielles avec les communes dalmates et le
représentant de l’Etat turc, l’émin, se trouve à Zadar. Le premier émin trouvé dans la documentation
zadaroise est mentionné en 1587. Ce fait n’exclut pas toutefois l’existence de contacts politico-
109
T. Raukar, Zadar u XV. stoljeću, 249, tab.VIII.
110
Zadar pod mletačkom upravom, 92.
111
Ibid., 257.

398
économiques bien avant. Le rôle de l’émin est de contrôler le commerce avec la Bosnie et de
prélever la douane sur les marchandises exportées du territoire bosniaque. Il peut également
intervenir pour plaider la cause de ses marchands capturés par les Uscoques ou interpellés par la
République. Sa fonction ressemblerait à une sorte de consulat, sans que les sources ne précisent cet
aspect de son rôle112.
Pour ce qui est de Split, la connaissance de ses produits d'exportation est favorisée par
l'existence des autorisations d'exporter délivrées par les comtes de chaque commune et regroupées
en périodes de deux-trois ans. Deux registres du XVe siècle ont été exploités par des historiens
croates, l'un concernant Šibenik, l'autre Split. L'auteur Grga Novak a réalisé une analyse statistique
des contrelettres de Split des années 1475-1476113. Il fournit, entre autres, une comptabilité des
produits exportés, ainsi que leurs destinations sur la côte adriatique orientale et en Italie, mais omet
cependant de classifier par catégorie de marchandises, faute sans doute de disposer suffisamment
d'éléments. Pour ce qui est du commerce splitois au XVIe siècle, grâce aux indications de Josip
Vrandečić114, cette recherche s’appuie sur une série de contrelettres couvrant tout le XVIe siècle :
1503-1505; 1511; 1515-1517; 1528-1530; 1557-1560; et 1580-1583115. Ces documents permettent
de cerner l'évolution du flux des marchandises sortant du territoire de Split, pour des destinations
principalement maritimes. Ils favorisent également la connaissance de l'orientation commerciale
autorisée par Venise dans le cadre de sa politique économique. Seul inconvénient, parmi les
périodes lacunaires figurent celles des guerres entre Venise et l'Empire ottoman (1537-40 et 1570-
71).
Plusieurs difficultés subsistent par conséquent. D'une part, certains types de marchandises ne
paraissent pas dans ces documents, tels que le sel et les armes. Certains produits sont sans doute
soumis à un autre régime. Le commerce des armes, par exemple, serait réglementé directement par
le comte dans ses actes et instruments variés, de même que le trafic du sel passe par des canaux
administratifs différents. L’exemple de Šibenik montre en outre que la chaux (picis) fait l’objet d’un
bulletin particulier pour son exportation jusqu’au chantier naval de Venise en 1442-1143116. De
plus, ces registres ne citent pas certaines marchandises libérées du paiement de la douane vers le
littoral dalmate117, ce qui enlève quelques données à cette recherche. Enfin, certains hommes
d’affaires sont absents dans ces registres. Des personnalités, tels que les diplomates ou des
personnages méritants, peuvent être exemptées du paiement de certaines taxes et être inscrites dans
112
S. M. Traljić, « Zadar i turska pozadina », (215-216).
113
G. Novak, « Quaternus izvoza », (92-102).
114
Cet auteur s'est servi des séries de contrelettres pour un sondage concernant l'exportation des chevaux dans le cadre
de son mémoire de magister sur les « deux Dalmaties ». Je le remercie pour sa collaboration.
115
Il existe également un registre couvrant les années 1594-95, mais cette étude s'arrête à la mise en fonction de l'escale
de Split en 1592. Une brève analyse de ce dernier registre est proposée néanmoins dans la dernière partie.
116
Instrumenta cancellariae, VIII. Bulletae picis, 179-184.
117
G. Novak, « Quaternus izvoza », (92).

399
un autre registre que dans les contrelettres. Néanmoins, les données qui y sont trouvées servent de
bon indicatif du commerce maritime splitois.
Exemples d’unité de compte non convertible 118
Un autre problème concerne les destinations
multiples d'un seul navire. Certains patrons déchargeant
leurs marchandises dans plusieurs ports, omettent de donner
le détail de la quantité effective laissée dans chaque port.
De sorte qu’on en est réduit parfois à tracer dans les grandes
lignes les courants d’exportation, sans pouvoir préciser la
commune, voire même la région concernée.
Une autre difficulté, enfin, est soulevée par les
mesures et la variété des contenants utilisés. En effet,
certains produits sont exportés dans des emballages
divers dont la capacité volumétrique varie non
seulement suivant leur provenance mais également à
l'intérieur d'une même région. De plus, pour
certaines mesures de masse ou de longueur, la
métrologie moderne n'est pas parvenue à définir avec
sûreté leurs équivalents avec nos mesures actuelles. Les quelques illustrations, issues d’un
dictionnaire illustré du XVIIIe siècle de Zadar, montrent combien les contenants, de fabrication
artisanale (comme le panier ou les cuves ci-dessous, destinées à l'eau ou au vin), ont une capacité
très variable et aléatoire, d'autant que certaines appellations communes d'un récipient concernent
deux ou plusieurs produits différents. Parmi ces mesures figurent entre autres les tonneaux (botte) –
dont l'équivalent a été trouvé et le rotolo –
considéré surtout comme une mesure de masse
d’origine arabe, le ratl, mais qui ici s’avère
représenter un « rouleau », puisqu’il ne concerne
que des textiles. Quant aux contenants, ils sont
légion : les faisceaux (mazzi), les cuves (mastello)
et les paniers (vesta) n’en sont qu’un échantillon.
C'est pourquoi, il sera tenu surtout compte des variations de volume de ces marchandises.
Par ailleurs, il est possible de se fonder sur les contrelettres pour trouver un indicatif du
poids financier de quelques produits. En associant le prix des taxes de certaines marchandises avec

118
Illustration, et toutes celles à venir tirée d'Antonio Putti, Dizionario enciclopedico-intuitivo figurato 1862, éd. Lj.
Šimunović, Florence 1994, vol. I [A-M] et vol. II [N-Z].

400
la quantité exportée, nous pouvons calculer en gros les revenus qu'en tire la ville pour les années
concernées. Cependant, il faut préciser que ces contrelettres comprennent des années incomplètes
au début et/ou à la fin du registre administratif. Elles couvrent six mois au plus, le plus souvent trois
mois, et donnent une image restreinte du flux des exportations. Dans la suite du texte, je qualifie ces
années de contiguës puisqu'elles viennent aux extrémités des registres. Seules les années centrales
sont complètes. Ces réserves faites, nous pouvons estimer les variations du flux économique qui
reflète la santé du marché splitois. Il reste encore à souligner que la politique économique menée
par Venise au XVIe siècle à l'égard des communes dalmates est plus favorable qu'au siècle
précédent.
Contrairement au XVe siècle, le gouvernement de Venise n'entrave pas directement le
commerce dalmate par des décrets limitatifs. La République tente bien de se maintenir comme
principale puissance commerciale dans « son » Golfe. Elle essaye d'obliger les usagers du trafic en
transit en Adriatique à faire vérifier les documents aux ports de Venise ou de Chioggia. Elle publie
même un décret le 20 décembre 1551, selon lequel il est interdit de mener un trafic d'une rive à
l'autre du Golfe, mais cette loi est tout simplement ignorée par les sujets dalmates et les Italiens119.
Les marchandises de l’exportation peuvent se classer en sept catégories : 1) Les animaux, le
bétail, 2) Les produits d'élevage, 3) Les produits de la mer, les poissons, 4) Les produits agricoles,
5) Les produits artisanaux, 6) Les matières premières brutes et 7) Les épices et les produits
manufacturés de luxe.
Bien que le bétail et les produits d’élevage aient une origine animale commune, j’ai
distingué le transit des bêtes sur pied de celui des produits à base animale ayant occasionné un
apprêt supplémentaire. D’une part, en cas d’attaque ottomane, les bêtes vivantes font nettement plus
partie du butin de guerre que leurs produits dérivés. Les répercussions de ces saisies sur le trafic
sont plus importantes et tout de suite quantifiables. D’autre part, les produits d’élevage impliquent
un certain temps d’élaboration, un savoir-faire ainsi qu’une main-d’oeuvre supplémentaire, plus
exigeants que pour les pâturages. Le commerce local de ces produits finis peut nécessiter la
présence d’intermédiaires, à savoir entre l’éleveur et l’apprêteur. Il peut s’agir également d’une
seule et même personne qui élève et élabore, pour le vendre, le produit fini sur le marché. Dans
d’autres cas, certains hommes d’affaires, ayant des propriétés terriennes avec du bétail, confient
l’élaboration des dérivés à des tiers, moyennant finances. Les chevaux, enfin, sont des animaux qui
sont exploités uniquement vivants. Leur élevage répond à une logique et à une fin différentes de
celui des bovins et des ovins.

119
C. Marciani, « Le relazioni » (32).

401
1°) Les animaux, le bétail
L’élevage du petit bétail est essentiellement concentré sur la production de fromages, de
laine, de peaux et de viande, de sorte que le trafic d’animaux de pâturage est insignifiant. En
revanche, les bêtes de somme et surtout les chevaux constituent un article d’exportation non
négligeable.

a) Le petit bétail (animali minuti)


Les animali minuti représentent tous les animaux de pâturage de petite taille, à savoir les
moutons, les chèvres, les boucs et les béliers – entiers et châtrés. Les registres des contrelettres de
Šibenik, Split ou Trogir ont tendance à n’employer que la formule générale et omettent de donner le
détail des bêtes exportées, si ce n’est l’exportation de chèvres et surtout celle de béliers châtrés
(castratus), produit destiné à la consommation de viande.
Pour le XVe siècle, les registres de Šibenik témoignent d’une forte exportation de béliers
châtrés – auxquels s’ajoute en août 1442 l’exportation de 300 animali minuti vers les Marches120 –
presque exclusivement vers les Marches (dont Ancona, Pesaro et Recanati). Les quantités sont
imposantes (tableau XXXVI) – d’autant plus que les quelques 6.000 bêtes exportées en 1443 ne
sont qu’une estimation, puisque le registre s’arrête au mois de septembre. La finalité de ces
exportations est d’approvisionner les Marches en viande.

Tableau XXXVI : Exportation de béliers châtrés de Šibenik (par tête)


Année Quantité Direction
1442 2.659 Ancona, Marches, Abruzze, Pesaro, Venise
1443 6.149 Ancona, Recanati, Marches

A Zadar, le livre des comptes du patricien Donat Matafarić fait quant à lui mention d’achats
d’animaux sur l’île de Kornat en automne 1456 par des Valaques121, témoignant ainsi de l’existence
d’un circuit terrestre local d’appoint. Tout au long des XVe-XVIe siècles, ce circuit intermédiaire en
bétail avec les Valaques est même vital pour Šibenik, dont l’élevage est beaucoup moins important
qu’à Zadar : en 1451, le bail sur les boucheries et pêcheries vaut 600 ducats à Šibenik, contre 1.450
ducats à Zadar122. De même à Split, la commune se fournit en petit bétail en provenance de la
Zagora dalmate, pour en réexporter une partie minime vers la Pouille et les Marches123.
Au XVIe siècle, les exportations semblent nettement se restreindre (tableau XXXVII). A
Trogir, pour deux registres test (1566-1568 et 1575-1577), en décembre 1566, 101 chèvres
uniquement sont exportées vers Trani, puis 133 autres deux ans plus tard, tandis qu’en 1575 sont

120
Instrumenta cancellariae, 175.
121
DAZd, Spisi obitelji Matafar, f° 22a.
122
J. Kolanović, Šibenik, 187.
123
I. Pederin, « Il comune di Spalato », (57).

402
exportés 371 animaux de petit bétail, dont cette fois 76% de béliers châtrés, vers Ancona, Trani et
surtout sottouento. En 1576, seulement 58 bêtes, dont 90% à nouveau de béliers, sont transportées
en direction de Korčula et sottouento124.

Tableau XXXVII : Exportation du petit bétail de Split et de Trogir au XVIe siècle (par têtes)125
Année Quantité Directions
1515 146 Venise, non mis
1517 220 Hvar, Istrie, Pouille, Venise
1529 200 Trani
1530 541 Pouille, Trani, Venise
1557 627 Istrie, Pouille, sottovento
1558 2 sottovento
1566 101 Trani
1568 133 Pouille
1575 371 Ancona, Trani, sottovento
1576 58 Korčula, sottovento
1581 482 Dalmatie, Hvar, sottovento
1582 722 Dalmatie, sottovento

A Split, les premiers transports de bêtes d’élevage ne sont enregistrés qu’à partir de la fin
des années 1510, les premières années du XVIe siècle étant marquées par la fin de la guerre turco-
vénitienne en 1502. Le territoire est dévasté, la viande et les articles dérivés de l’élevage sont trop
peu produits pour suffire à alimenter le marché local. Il semblerait donc qu’il faille attendre une
dizaine d’années pour qu’il y ait une reprise du trafic. Il est à noter une légère augmentation du
nombre de têtes de petit bétail exportées vers la fin du siècle, augmentation qui est surtout suscitée
par un fort pourcentage de béliers châtrés envoyés vers la côte apulienne : en 1529 déjà, ils
représentent 80% des exportations, en 1530, les chèvres représentent 35% et les béliers châtrés
17%, tandis qu’en 1557, 100% des exportations concernent ces béliers, puis en 1581 leur part se
maintient autour de 89,6%, voire 98,6% en 1582. Il est possible que les exportations soient plus
nombreuses, puisque certaines années ne sont pas complètes, or les animaux sont principalement
transportés durant les saisons d’été et d’automne. Néanmoins, les chiffres avancés ne traduisent que
de faibles quantités d’animaux sur pied transportés par voie maritime.
Le transport maritime, principalement des chèvres et des béliers châtrés, demeure donc
épisodique. Les destinations principales sont les villes de Venise puis de Trani et Ancona (pour
Trogir) et les régions prédominantes sont la Pouille et la Dalmatie – ou plus exactement les parties
insulaires de la côte, car les centres urbains principaux, tels que Zadar, Šibenik et Trogir, sont
absents – ce qui s’explique par l’existence de leurs propres troupeaux d’élevage. Le trafic est
majoritairement orienté vers la côte italienne, et à la fin du siècle, hors des territoires vénitiens

124
DAZd, O.T., Bulletarum primus, B. VIII, F. 3.
125
DAZd, Sp. Ar., boîte 49, B. 60, F. 6/II; boîte 67, B. 74, F. 7/IV; boîte 96, B. 103, F. 17; boîte 116, B. 122, F. 6.

403
(sottovento). Tandis qu’au XVe siècle, du moins pour Šibenik, les exportations de petit bétail sont
importantes, au XVIe siècle, il ne s’agit plus que d’un transport d’appoint.
- Les animaux de ferme
Le porc fait partie des animaux élevés dans les environs des communes dalmates, surtout
dans l’arrière-pays, appelé pour la circonstance Murlachia, ou Valaquie. A Split, dès 1358, il
devient interdit de posséder des porcs dans la ville par mesure d'hygiène126. Les données concernant
son exportation sont toutefois beaucoup plus limitées. Au XVe siècle, le porc est la seule bête
d'élevage exportée au cours de l'année 1475-76 en direction des Marches (quatre porcs). Or, à cette
époque l'importation de porc salé est exempte du droit de douane pour cause de rareté, tandis que
l'exportation en est fortement taxée. Au XVIe siècle, le porc fait son apparition en 1530, avec
l’envoi de plusieurs paquets de viande de porc salé en janvier pour Venise et l’Istrie127 voire Krk,
Rijeka et Trani, puis 1557 avec 63 bêtes destinées à sottovento, Hvar et Venise128, puis en 1580-
1581, mille livres de viande de porc en décembre 1580 pour Venise et quatorze porcs vers Hvar129.
A Trogir, la quantité de porcs exportée est tout aussi faible : sept porcs pour Senj en décembre
1567, puis 25 pour l’île de Hvar en 1568, et à nouveaux 33 porcs en deux mois (décembre 1576 et
janvier 1577), dont onze sous la forme de porcs salés, en direction de Piran et sottovento130. En
1568, sur les rares porcins exportés hors de Trogir, pour les 25 bêtes destinées en décembre de cette
année à l’île de Hvar, il est indiqué qu’elles sont tratti de Murlachia et que la licence a été octroyée
pour un transit131. Il est possible de remarquer que les envois de porcs concordent avec la période
d’abattage de cet animal en décembre, tandis qu’en janvier sont envoyés les porcs salés.
Enfin, peu d’informations concernent la volaille, si ce n’est l'envoi de 206 poules et d’une
caisse en direction de Hvar, de la Pouille et de Trani en 1529.

b) Le gros bétail (animali grossi)


Les premières exportations de bovidés ne commencent qu’à partir des années 1529-1530.
Leur trafic ne semble pas non plus suivre une logique économique stricte.
- Les bovidés
Non seulement les premiers envois de têtes de gros bétails ne sont enregistrés qu’à partir de
la fin des années 1520, mais par ailleurs au XVe siècle à Šibenik (1441-1443), il n'y a aucun bovidé
d’exporté.

126
I. Pederin, « Il comune di Spalato », (57).
127
DAZd, Sp. Ar., boîte 67, B. 74; F. 7-IV, f° 567’, 568.
128
Ibid., boîte 96, F. 103, F.17, f° 878, 880’
129
Ibid., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 440, 440’,447’.
130
DAZd, O.T. Bulletarum primus, B. VIII, F. 3, f° 1032’, f. 1043; Bulletae primus, B. IX, F. 12, f° 1212’, 1213’.
131
Ibid., B. IX, F. 12, f° 1043.

404
Tableau XXXVIII : Evolution des transports de bovidés à partir de Split (et Trogir) au XVIe siècle132
Année Quantité Destinations
1529 14 Ogni loco
1530 299 Barletta, Pouille, Trani, Venise
1557 160 Brač, Cesena, Hvar, Korčula, Pouille, Vis, Venise
1558 290 Dalmatie, Šibenik, Pouille, Venise, Vis
1559 33 Hvar, Korčula, Pouille, Rab
1567 78 Hvar, sottouento
1568 5 Hvar
1569 20 Hvar
1576 48 sottovento
1580 6 Korčula
1581 34 Hvar, sottouento
1582 24 Hvar, Korčula, sottouento

Au début du XVe siècle, le prix d'un boeuf (bo) à Split tourne autour de 15 livres133, et à
Zadar, à la fin du siècle, il peut valoir 4 ducats (en 1463)134. Dans un premier temps, la composition
des troupeaux transportés est variée, avec des génisses (manzo), des vaches (vacha) et des veaux
(vitello, vedello), de sorte qu’en 1530, les génisses constituent environ 25% des envois. Cette année
là, 70% des bovins sont envoyés à Venise (tableau XXXVIII). Par la suite, des années 1557 à 1582,
la totalité des exportations concerne la génisse (manzo). A la fin des années 1557, les destinataires
sont relativement nombreux pour des quantités qui restent d’appoint. Une décennie plus tard,
l’approvisionnement en bêtes de l’île de Hvar en début d’été et à l’automne, assuré à la fois par
Trogir et Split, est majoritaire. En 1581, les envois pour Hvar représentent 59% des exportations et
un an plus tard 75%.

Ainsi, seuls les gros marchés consommateurs de viandes tels que Venise et la Pouille, et plus
généralement les villes italiennes du littoral, peuvent être acheteurs de ces denrées pour
approvisionner leur population, tandis que l’île de Hvar se pourvoie en bêtes de somme et de trait

132
DAZd, Sp. Ar., boîte 67, B. 74, F. 7/IV; boîte 96, B. 103, F. 17; boîte 116, B. 122, F. 6. O.T., Bulletarum primus, B.
VIII, F. 3; Bulletae primus, B. IX, F. 12.
133
I. Pederin, « Il commune », (57).
134
DAZd, Spisi obitelji Matafar, boîte 1, f° 69’.

405
dont elle ne dispose pas sur place. Les quantités exportées sont minimes pourtant, jusqu'à la fin du
XIVe siècle, Split avait une longue tradition d'importation puis de réexportation de bétail, sur
lesquelles la ville percevait de bons revenus de douane. Cette cité servait le plus souvent de foire
aux bestiaux, où les autochtones et les étrangers achetaient et embarquaient les bêtes pour les
exporter135.
Or depuis 1420, la ville est coupée de son arrière-pays direct. Ce dernier est constitué par
l'outremonts dalmate et la Bosnie, régions d'où venaient précisément ces bêtes, de sorte qu'en temps
de conflits, le trafic est vraisemblablement interrompu, ou du moins, notablement affaibli. De plus,
bien que Split soit l’une des villes dont le bétail est le moins touché par les pillages turcs, près de
5.000 bêtes sont enlevées de son district entre 1498 et 1539136. Durant la période de paix, l'année
1558 marque la reprise et de plus, sur les 290 bêtes exportées hors de Split, 240 viennent
précisément du territoire ottoman (de Makarska)137.
Jusqu'en 1563, la commune emploie les rentrés de la douane d'exportation des animaux pour
le paiement du médecin, le nettoyage du port et la réparation de la digue et des loges sur la côte138.
Sachant qu'en 1555, Split dispose d’un revenu annuel de 1.200 ducats, sans compter les 1.060
ducats versés au gouvernement vénitien pour les frais des institutions communales, quelle part
représente la taxe sur le gros bétail dans les entrées communales ? Jusqu'à cette date, la douane est
de vingt sous par âne, cheval et boeuf et de cinq sous par veau. Si nous prenons comme indice
l'année 1530, durant laquelle 299 bêtes sont exportées, le profit serait de 299 livres, soit moins de
50 ducats. Devant une telle faiblesse des revenus, en 1555, la taxe est augmentée de 500%, soit le
montant d’un ducat par âne, cheval et boeuf139. En 1557, 160 bovidés sont exportés, puis 290 en
1558, ce qui donne respectivement 160 ducats de revenus en 1557 et 290 ducats l'année suivante,
soit le triple et le sextuple du profit des trente années précédentes. Pour l’année 1557, le comte de
Split n’indique que le montant du bail de la taxe du trentième, qui s'élève à 600 ou 700 ducats par
an, tandis que les dépenses ordinaires atteignent 1.000 ducats annuels140. Sachant que le prix de la
location du bail est établi en fonction des estimations de gain à la fin du terme, en 1557, la part de la
taxe sur les gros animaux d'élevage représenterait 22% du revenu du trentième. L'année 1558, le
revenu de la Chambre est de 1.100 ducats (pour 800 ducats de dépenses ordinaires141), ce qui revient
à dire que le trafic du gros bétail représenterait près de 27% des revenus et serait l'une des branches
principales du commerce de transit splitois.

135
G. Novak, Povijest Splita, 477
136
J. Vrandečić, Dvije Dalmacije, d'après le graphique 10.
137
DAZd, Sp. Ar., boîte 96, B.103, F. 17, f° 886’.
138
J. Vrandečić, Dvije Dalmacije, 95.
139
Ibid., 66.
140
« Relationes … Aloysii », Comissiones, vol. 11, 106.
141
« Relatione … Michiel Bon et Gasparo Erizzo », ibid., 124.

406
- Les équidés (cavallo, roncino, jumenta, mula, poledro142)
Dans les années 1560, il se trouverait sur le territoire de Zadar près de 5.436 chevaux de
trait143. Le chiffre avancé semble très important, d’autant plus que dans les rares cas de vente mis en
évidence dans les sources, ces bêtes sont surtout vendues à la pièce ou en groupe de trois animaux
maximum, contrairement à la pratique de vente du petit bétail. Cette quantité de chevaux, employés
dans l’agriculture, pour une ville de près de 7-8.000 habitants voudrait dire que tout foyer agricole
dispose d’au moins un animal de trait. En temps de crise territoriale, cela paraît impossible. Il en
résulterait que la situation agricole s’est fortement améliorée après les années 1550 avec la période
d’accalmie politique. Cette assertion quant au nombre de chevaux de trait reste toutefois à prendre
avec précaution.

Année Qualité + accessoires Prix Source


1440 noir & selle & 1 copafeni 8 dc Johannes de Calzina, B. I, F. I, f°61’
1442 7 dc Johannes de Calzina, B. I, F. II/3, f°131
1443 Noir 6 dc Johannes de Calzina, B. I, F. II/4, f°167’
1509 Roncinus 6 dc Simon Corenichius, B. I, F. I, f°17
1518 pili baii 16 dc Conto Pietro Marcello, B. II, II, f°41’
1520 Cavallo 65 l Simon Corenichius, B. I, F. XI, f°4
1520 Equo 50 dc Conto Pietro Marcello, B. II, III, f°203
1540 sasinatum & selle 70 dc Augustinus Marcius, L. II, f°53’
1549 leardum & selle couverte 30 dc Johannes Morea, B. I, F. I/1, f°12
1580 petit cheval 35 tolari Conte Bartholomeo Paruta, B. I, f°89
Tableau XXXIX : Prix du cheval à Zadar aux XVe-XVIe siècles

La valeur du cheval augmente nettement en un siècle (tableau XXXIX). Indépendamment


du fait que la qualité des chevaux suggère des différences radicales de valeurs, nous pouvons tout
de même cerner un groupe de prix pour les années 1440 tournant autour de 6-8 ducats, tandis que
les valeurs du XVIe siècle sont de cinq à six fois plus élevées. Au sein de ces périodes, les variations
restent toutefois là aussi très fortes et toute tentative d'obtention d'une moyenne pour le XVIe siècle
est trop hasardeuse.
Seuls deux exemples d'exportation à un siècle de distance ont été trouvés. Ainsi en 1442,
une certaine quantité de chevaux est exportée de Zadar vers les Marches144; puis en 1544, trois
chevaux et un poulain sont exportés du village de Krneza, du district de Nin, en direction de
l'Istrie145. Dans le premier exemple, le cheval apparaît comme une monnaie d’échange et une
garantie. En effet, Giaccomo Bartholomeo de Gandonis de Bologna doit recevoir 166 livres 10 sous
de Boldrino de Monza, ancien écuyer de Bernardo Mauroano à Zadar. Dans ce dessein, Boldrino
remet un de ses chevaux à Giaccomo. Ce dernier promet de l’envoyer dans les Marches. Dans le

142
Cheval de race, cheval de petite taille, jument, mule, poulain.
143
A. Piasevoli, « Fragmenti », (44).
144
DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. I, f°313.
145
DAZd, Augustinus Martius, lib. II, f°84’.

407
voyage sont inclus les chevaux de Giaccomo, son facteur Ançelino et Boldrino, dans une barcose.
Les conditions du transport du cheval qui sert de caution sont les suivantes : le cheval ne doit à
aucun moment échapper au contrôle d’Ançelino jusqu’à la vente et Giaccomo se charge de payer le
naulo. Sur le prix de vente dans les Marches, Giaccomo se réserve les 166 livres 10 sous qui lui
sont dus et le surplus revient à Boldrino; si le prix est plus bas, Boldrino doit payer la différence à
Ançelino. Le cheval est transporté au risque de Boldrino.
Dans le second exemple de 1544, le prix des trois chevaux n’est pas mentionné. Cependant,
l’incident qui a lieu autour de ce transport peut à nouveau être significatif de la valeur accordée à
cet animal. De fait, Petar Sikurić de Zadar a chargé ces bêtes sur sa barque fin novembre à l’insu
des propriétaires, Šime Segotić et son parent Ivan, tous deux habitants de Krneza. Suivant l’accord
du 19 décembre 1544, Petar est obligé de rendre les chevaux d’ici le mois de mars 1545, ou de
payer leur valeur. Or pour réaliser ce projet, il doit hypothéquer tous ses biens en garantie. Dans les
deux cas de figure, le cheval apparaît ainsi à la fois comme une marchandise précieuse monnayable
et comme une sorte de bien immobilier qui sert de base pour une caution ou une garantie. Quant à la
provenance géographique de ces animaux, au XVe siècle, le cheval est un article importé en ville de
l'arrière-pays croate et de Bosnie pour être ensuite réexporté146. Cette estimation se vérifie avec les
données trouvées pour le commerce splitois. Dans le système de taxation, ces bêtes sont prises dans
le groupe du gros bétail tels que les boeufs et l'âne. Cependant, l'évolution de leur trafic durant le
XVIe siècle est différente (tableau XL).

Tableau XL : Evolution des exportations des types d’équidés de Split (et Trogir) au XVe siècle147
Année Cavallo Mula Poledro Roncini & jumenti Total
1503 1 - - - 1
1511 13 - 1 - 14
1515 39 - - - 39
1516 62 - - - 62
1517 78 - - - 78
1529 35 - - - 35
1530 31 1 - 26 58
1557 113 1 4 221 339
1558 132 11 13 667 823
1559 293 12 15 798 1.118
1560 12 1 - 14 27
1567 5 3 - 9 17
1568 1 3 - 199 203
1569 22 - - 206 228
1575 41 - 6 782 829
1576 4 1 - 788 793
1580 - - - 11 11
1581 59 9 3 1.344 1.415
1582 33 2 4 1.109 1.148
1583 13 3 2 - 18

146
Zadar pod mletačkom upravom, 92.
147
DAZd, Sp. Ar., Contrelettres; O.T., Bulletarum primus, B. VIII, F. 3; Bulletae primus, B. IX, F. 12.

408
Les mules entrent en très faible proportion au sein des équidés exportés. Les principaux
marchés sont la Pouille, Venise et les îles telles que Hvar, Vis, Brač et Korčula. A la fin du siècle,
ces exportations augmentent en direction de la côte ouest de l'Adriatique vers sottovento. Le
commerce des chevaux de race et des poulains atteint son summum à la fin des années 1550, avec
une moyenne de 227 chevaux en 1558-1559, pour ensuite retomber à une dizaine de chevaux en
moyenne, aussi bien à Split qu’à Trogir. A Split, ces bêtes sont essentiellement destinées aux
marchés de l’Italie riveraine orientale (sottovento, 35%), auxquels s’ajoute la Pouille (20%), ce qui
revient à peu près au même, et encore à Venise (16%). Pour ce qui est de Trogir, la destination
exclusive, si ce n’est un transport pour l’île de Vis en 1575, est sottovento.
Le nombre des chevaux de
petite taille (roncino) exportés
augmente de façon vertigineuse après
la seconde moitié du XVIe siècle, au
moment où la mention des juments
disparaît au profit des seuls roncini.
Avant les années 1530, aucun animal
n'est exporté; passée cette date, 733
chevaux sont exportés en moyenne en
1558-1559, puis 203 une décennie
plus tard – mais à partir de Trogir,
pour augmenter à 785 de moyenne en
1575-1576, toujours en partance de
Trogir, et atteindre enfin les 1.227
bêtes en moyenne exportées par an en
1581-1582, les années complètes. Ces chiffres sont supérieurs à ceux des années 1475-76, lorsque
373 chevaux sont transportés en direction de la Pouille, des Marches et du sud de l'Italie (Napoli) –
tandis qu’à Šibenik, dans les années 1441-1443, seulement 4 chevaux (equus) sont envoyés en 1442
vers les Marches (dont Pesaro). Un siècle plus tard, les marchés semblent être restés identiques.
Pour Trogir, les lieux sont divers : la Pouille (dont Vasto), l’Istrie (Piran), le Littoral croate (Rijeka),
la Vénétie (Protogruao et Venise), mais l’essentiel va vers sottovento et encore les lochi e stati
alieni. A Split, les chevaux de petite race sont exportés entre 1557 et 1581 vers la Pouille (13%) et
surtout sottovento (80%). Les autres destinations sont les villes d'Italie telles qu'Ancona, plaque
tournante du commerce des chevaux, Ortona, Pescara, Napoli et la Pouille; les îles de Brač, Hvar et
Rab; l'Istrie et le Littoral croate. Bien que les données concernant les contrelettres de 1475-1476 ne

409
portent que sur une année fiscale, nous pourrions parler de l’accroissement des partenaires
commerciaux. Les raisons de cette diversification restent encore à éclaircir.
L’arrivée significative des équidés sur le marché des animaux dans la seconde moitié du
XVIe siècle est le premier constat qui s'impose. Parmi ceux-ci se distinguent donc les chevaux de
trait (jumenti, mula et roncini) pour les travaux agricoles – les roncini servant aussi beaucoup au
transport de biens sur les voies terrestres montagneuses –, et les chevaux de race (cavalli) pour les
transports et les exercices de guerre.
Leur apparition révélerait :
- une stabilisation des conditions de vie politique à la fin du siècle, qui permet une reprise de
l'agriculture sur les territoires en bordure de la mer Adriatique. Ceci implique un usage croissant des
animaux de trait parmi lesquels figurent les roncini et jumenti, voire même un élevage local effectué
à ces fins par la population de la Zagora dalmate.
- l'accroissement du commerce terrestre et l'intensification des contacts et de la collaboration sur le
terrain des entrepreneurs de Split, et dans une moindre mesure ceux de Trogir, avec la population de
l'intérieur des terres qui seraient les éleveurs de ces chevaux. En effet, un fascicule notarial des
années 1548-49 enregistre cent contrats de ventes de chevaux, dans lesquels 82 vendeurs
proviennent de l'arrière-pays turc et importent à Split 127 bêtes148.
- l'approvisionnement en bêtes pour la guerre, la cavalerie.
Ce commerce des chevaux est typique du genre d'échanges établi entre les deux rives de
l'Adriatique. La continuité de ce trafic s’intègre notamment à la longue période des campagnes
d'Italie, qui commence par la marche sur Napoli de Charles VIII en 1494 et qui se termine par la
paix de Cateau-Cambrésis en 1559. Dans le domaine des stratégies de guerre, la cavalerie
représente un élément variable suivant les armées nationales149. Avec la bataille de Padoue en 1509
apparaît une nouvelle stratégie au sein de la cavalerie.150 Cependant, malgré le grand prestige qui lui

148
T. Raukar, « Komunalna društva », (76).
149
De 1494 à 1520, la France possède l'armée la plus prestigieuse essentiellement composée de chevaux. L'Espagne a
un détachement de 2.500 chevaux lourds, qui ne constitue pas l'armée principale. En outre, ces équidés sont souvent
remplacés par des mules, animaux locaux. Dans l’Empire ottoman au contraire, la cavalerie (sipãhis) comprend entre 10
et 12.000 hommes à cheval, avec en plus deux à six cavaliers chacun, soit environ 40 à 50.000 chevaux. Outre les
sipãhis, en temps de guerre, des levées d'armée fournissent encore 50.000 autres chevaux venant d'Europe. A la bataille
de Padova en 1509, près de 400 à 500 chevaux solidement bardés et armés font une charge forcenée; The new
Cambridge modern history, vol. I : The Renaissance 1493-1520, éd. G.R. Potter, 1971, 277-286.
150
A partir de cette date se distinguent les chevaux légers et les chevaux lourds. Les hommes-en-armes se différencient
des archers sur des chevaux plus légers. Leur efficacité incite Venise à louer des chevaux légers espagnols et des
stradioti dans les Balkans. La mobilité de ces chevaux lui fournit la principale défense après la défaite d'Agnadello
(1509). La priorité est donnée à une cavalerie conduisant des chevaux rapides, les cavaliers étant armés de casques et
d’armures de corps légères, d'épées, de lances légères et d'archers. Dans la cavalerie lourde, les hommes conservent
l'arquebuse pour constituer une colonne de piques. Avec en hausse de la flèche (shot), les charges sont remplacées
progressivement par des colonnes de chevaux moyennement lourds armés de pistolets, qui avancent en ordre serré pour
fermer le rang, chaque rang partant après avoir tiré et le suivant venant à sa place. L'avantage de cette tactique est
d'obtenir un courant continu de feu en direction de l'ennemi. Aussi, même s’il semblerait que cette stratégie exige des
nerfs solides et une grande discipline (ce qui ne serait pas l'atout principal de la cavalerie), ces chevaux moyens et

410
est attaché, cette armée étant constituée en majorité de nobles et de gentilshommes. Dans le long
terme, cette forme de combat à cheval est supplantée par l'infanterie, et ce pour des raisons d'ordre
davantage social et économique que militaire - même si les capitaines et commandants d'armée se
plaignent continuellement de l'indiscipline de leur cavalerie. Après la bataille de Pavie en 1525, la
proportion des chevaliers par rapport aux fantassins devient de l'ordre de un contre sept ou huit. Les
chevaux légers sont utilisés en éclaireurs, pour les raids et pour agacer continuellement les troupes
déjà engagées. Les chevaux lourds gardent leur fonction d'arrêter un corps d'infanterie par des
charges répétées en fournissant à l'artillerie et aux troupes une cible stationnaire151.
Ainsi, la distinction effectuée dans les sources entre le terme de cavalo et celui de roncino
s’explique mieux; il s'agit d'animaux employés à la guerre pour des fonctions différentes.
Dans son ensemble, le cheval est l'une des trois composantes principales des produits
exportés de Dalmatie vers l'Italie du sud-est avec les toiles et les esclaves. Šibenik, Vis et Trogir
sont notamment les premiers exportateurs de chevaux en direction de la foire de Lanciano, où les
bêtes sont vendues à raison de treize ducats l'une152. En 1412 déjà, le prix d'un cheval à Split est de
dix ducats153. En réalité, les prix varient peu en près d’un siècle, ou plutôt, le prix de l'animal
augmente de trois ducats à la fin du parcours d'exportation, soit près d'un tiers de sa valeur.
Le montant financier que représente ce commerce des chevaux pour la commune croît
considérablement dans la seconde moitié du siècle, au moment où le gouvernement intègre ce
revenu dans ses comptes et non plus dans celui de la ville. Rappelons que jusqu'en 1555, il est
prélevé vingt sous par cheval et autre grosse bête, puis un ducat à partir de cette date.

Graphique XVII : Cours de la valeur de la douane prélevée sur les équidés et cours des exportations

1600
1400
1200
1000
Exportation
800
Taxe
600
400
200
0
1511 1515 1516 1517 1529 1530 1557 1558 1559 1581 1582

lourds restent essentiels; toute armée déficiente en chevaux devient la victime de celle mieux équipée. D'ailleurs, la
cavalerie lourde reste l'aristocratie de la guerre; ibid. vol. I, 286 et vol. II : The reformation 1520-59, éd. G.R. Elton,
1968, 498.
151
Ibid., 286 et vol. II, 498.
152
C. Marciani, « Le relazioni », (32).
153
I. Pederin, « Il commune », (57).

411
En faisant omission des années limitrophes, jusque dans les années 1530, la moyenne tourne
autour de 8 ducats annuels de profits (graphique XVII). Passé le cap de l'année 1555, la moyenne se
hausse à 969 ducats, toutes années confondues, puis à 1.281,5 ducats pour les deux années
complètes des années 1580. De 1530 à 1558 le taux de croissance est donc de 121%. Cette première
hausse révèle moins une augmentation du transport des chevaux que celle du prix de la taxe. Elle est
le fruit d’une décision politique. En revanche, le taux de croissance entre 1558 et 1582 est de 1,7%
et cette fois il traduit bien une hausse du trafic.

2°) Les produits d'élevage


C'est l’un des types de production locale le plus porteur du marché d'exportation dalmate.
Split est régulièrement approvisionnée par son arrière-pays et redistribue les excédents. Parmi ceux-
ci, trois produits se distinguent : les peaux, le miel et le fromage. Pour ce qui est de Zadar, il est plus
difficile de tracer une vision exhaustive des marchandises animales commercées. Sauf exception, le
miel154 et la viande ne figurent pas dans les registres notariés. Cela ne veut nullement dire que leur
trafic est inexistant. Simplement on reste dans l’impossibilité de le quantifier et de connaître leur
valeur.

a) Les peaux à cuir, à laine et à fourrure


Le domaine des peaux et de la pelleterie nous confronte à de nombreux termes et
expressions, de sorte qu’il faut prendre garde de ne pas faire un usage simplificateur de la
terminologie155. Ainsi, même dans le cas de termes qui paraissent évidents de par leur racine, des
doutes sont permis : pelles et pellis peuvent tout aussi bien désigner du cuir, du parchemin, de la
laine ou de la fourrure156. Au sein des peaux elles-mêmes, leur usage diffère en fonction de
l'expression utilisée. Enfin, il convient de distinguer, pour une même origine animale, s'il s'agit de
toison ou bien de cuir – cela est surtout vrai pour les moutons et les agneaux.
La richesse du vocabulaire concernant ce domaine dans les sources de Split complique la
recherche. L'origine animale des « peaux » (terme général concernant les diverses espèces de peaux
et de fourrures) exportées est très diversifiée, allant des marchandises les plus communes aux plus
luxueuses : agneau, bœuf, veau, renard, fouine, martre, etc. Les peaux sont classifiées en trois
catégories selon leur nature et leur origine : les peaux domestiques, les peaux de sauvagine et les
cuirs. Les plus courantes sont de type domestique.

154
En février 1516, Lazaro de Bologna, habitant à Zadar, fait importer huit tonneaux de miel de Split à Zadar dans la
barque d’un homme de Šibenik; DAZd, Sp. Ar., boîte 49, B. 60, F. 6/II, f° 474.
155
Robert Delort, Le commerce des fourrures en Occident à la fin du Moyen Age (vers 1300-1450), vol. I-II, Rome
1978.
156
Ibid., 12.

412
- Les peaux domestiques
Il est possible de relever dix types de peaux domestiques, dont les plus rarement
mentionnées sont les betane157, les tosone158 et les schenali159. Pour les autres, le trafic est plus
documenté.
• Agneline : Ce terme désigne deux produits différents. Dans le cas où elles sont transportées
dans des sacs et mesurées au poids, les agneline désignent des laines, tandis que si elles sont
dénombrées à la pièce, ou regroupées en mazzi ou fasciculli, elles indiquent des peaux à
fourrure160. Dans les contrelettres, cette marchandise est fréquemment enregistrée en nombre, de
sorte qu’il s’agirait en premier lieu d’une exportation de peaux destinées aux fourreurs. De plus,
les registres précisent souvent leur état : elles peuvent être brutes (crude), n'ayant subi
vraisemblablement qu'un léger apprêt pour leur conservation, et leur couleur varie entre le blanc
et le noir. Le plus souvent il est spécifié qu'elles sont apprêtées (conze), à savoir mégissées, de
sorte qu’il s’agirait essentiellement d’agnelins. Leur emploi serait alors de garnir les vêtements161.
Cela indiquerait de plus que, provenant de l'arrière-pays, les peaux brutes sont travaillées dans le
milieu urbain de Split pour n'être redistribuées qu'ensuite. Or dans tout l'espace européen, les
pelletiers en agneaux dominent cette branche de l'artisanat162 et cela se vérifierait à Split
également. Lorsqu'elles ne sont pas simplement dénombrées, les agneline peuvent être également
transportées dans des emballages divers dont il nous manque souvent la quantité. Pour l'année
1557, la question est autre : il est indiqué une exportation, sans direction et en vrac (a refuso). Ce
cas de figure concerne les peaux vendues hors saison ou endommagées. A Split, la situation
semble plutôt rare. Le principal problème porte sur les divers types d’emballages163, même si ces
peaux sont transportées de préférence par centaine. Grâce aux équivalences trouvées (voir en
annexe), nous pouvons suivre l’évolution du marché.
• Bechine : Dans le monde méditerranéen, ce terme désigne les peaux de bouc et de chèvre de
manière assez vague pour concerner les deux bêtes, voire, l’ensemble des caprins. Dans tout le

157
Ce produit est exporté en 1516 : onze peaux à Šibenik; DAZd ; Split. Ar., boîte49, B. 60, F. 6-II, f° 484’.
158
Cet article est exporté par pièces et par balles. Les données sont essentiellement circoncrites aux années 1515-1517.
Cette dernière année, trois balles sont envoyées à Senj à l'occasion de la foire de Saint-Georges. Trois balles sont encore
exportées en 1557, cette fois-ci vers Venise, lorsque les villes du Littoral croate ne sont plus importatrices. Concernant
l’exportation à la pièce, l’ensemble de la production va à Senj (90 peaux en 1515, 60 peaux en 1516 pour Labin et Senj
et 50 peaux en 1517); DAZd, Split. Ar., boîte 49, B. 60, F.6-II, f° 475’-476, 488, boîte 96, B.103, F.17, f° 878’, 901.
159
Dans les contrelettres on trouve une mention en poids, à savoir l'envoi d'un sac en 1516 en direction de la foire de
Senj. Il se pourrait que cette peau ait une destination d'usage pour le cuir. Reste encore la mention de dix pièces
envoyées l'année suivante, toujours à Senj, pour la foire; DAZd, Split. Ar., boîte 49, B. 60, F.6-II, f° 476, 488.
160
R. Delort, Le commerce des fourrures, 15, 85.
161
Ibid., 9.
162
Ibid., 82.
163
Ainsi durant l'année 1503, une baleta est exportée en direction de Bakar durant la foire de la ville; de même en 1515
une autre baleta est envoyée à Senj. En 1558, deux colli sont exportés à Rab et l’on a un cas un peu à part suivant lequel
des peaux sont exportées à raison de 4,5 miara à destination de Rijeka en provenance de Makarska – ce qui, compte
tenu de la bizarrerie de la mesure employée, peut nous faire douter qu’il s’agisse bien de peau.

413
bassin méditerranéen – Levant, Balkans et Asie mineure – les peaux de chèvre sont
essentiellement utilisées pour leur cuir en raison de leur très bonne qualité et de la solidité du poil;
en revanche, elles sont peu employées dans la pelleterie car trop lourdes et de poil trop grossier.
De plus, pour l'ensemble des caprins, la peau – côté poil – est utilisée très fréquemment, car elle
rend le vêtement étanche lorsque la pluie coule sur les longs poils du duvet. Les chevreaux, enfin,
servent à la réalisation de chevrotins (caureti) pour coudre des pelisses destinées aux milieux
humbles; quant aux chèvres et aux chevrettes, leur cuir intervient dans la fabrication des gants
souples et fins164.
• Betane : la beta serait une peau de laine d’agneau165, à moins qu’il ne s’agisse de la basane, de
l’arabe bîtana, soit une peau de mouton tannée et employée notamment en bourrellerie, sellerie,
maroquinerie et reliure166. Il est possible encore qu'il soit question de cette peau d'agneau mort-né
appelée astrakan. Dans le cadre de sa recherche, R. Delort n'emploie pas ce terme et pour ce qui
concerne les agnelets nés prématurément et morts dès la naissance, cet auteur parle des albertoni
ou de morticine lorsqu'ils sont sacrifiés dans les jours qui suivent leur naissance167.
• Boldroni : Il s'agit de la toison complète du jeune mouton, souvent utilisée pour sa fourrure168.
La marchandise étant déclarée aussi bien sous forme de balles qu’à la pièce, elle servirait de
préférence à fourrer les vêtements et le mobilier. Tout porte à croire qu'il s'agit d'une peau
acheminée de l'intérieur des terres puisqu’à plusieurs reprises, en 1581, l'accent est mis sur son
traitement en terre turque (tratti di Turchia) : sur 2.181 pièces exportées en 1581, 725 sont
spécifiées comme telles. Plus précisément, 75 pièces sont déclarées originaires de la Neretva
(Narenta).
• Bovine : Les peaux de boeuf – et des autres bovidés – sont considérées pour être
exclusivement utilisées dans l’industrie du cuir169. Pourtant, dans la majeure partie des cas, leur
exportation est déclarée par pièces, exception faite des deux balles exportées vers Dubrovnik en
1503. Mais le compte de ces peaux ne se fonde sur aucun critère précis (on ne trouve pas de
multiples de cent) – voire l’annexe métrologique; il varie avec les déclarants. Ce cuir paraît être
de bonne qualité, puisqu’une seule fois des peaux sont vendues a refuso en 1516, en direction de
Venise.
• Ircinas : Il s’agit de peaux de bouc, qui seraient traitées pour le cuir170. Au XVe siècle, la
Catalogne et l'Italie sont les principales productrices de peaux de chèvre et de bouc171. Toutefois,

164
R. Delort, Le commerce des fourrures, 80-82.
165
Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, vol. I, Niort 1883, 645.
166
Dictionnaire Petit Robert 1, éd. 1977, 164.
167
R. Delort, Le commerce des fourrures, 83.
168
Ibid, 86.
169
De ce fait, elles sont exclues, ou presque, de l’analyse de Delort. Voir son constat quant au cuir, ibid., 5.
170
C’est l’avis de Delort quant à ces peaux domestiques, ibid., 80.

414
la terminologie peut apporter beaucoup à l’analyse et permettre de nuancer la première
conclusion. Les ircinas sont un produit spécifique par rapport à l’ensemble des peaux de caprins,
désignées sous l’appellation de bechine.
• Manzi : Outre la « génisse », cela désigne également la peau qui en est issue, à en juger par les
caractéristiques qui lui sont attribuées et par le système de compte : peaux parfois teintes et
transportées par balles.
• Montonine : Ce terme peut aussi bien représenter une toison de moutons que celle d’agneaux à
laine, rarement utilisés par les pelletiers. Il concerne dans les deux cas des animaux domestiques
issus d’un élevage – a priori implanté dans l’arrière-pays ou sur les îles. Au même titre que
l’agneau, le mouton fournit de très nombreuses fourrures au commerce européen – dans lequel le
marché de la pelleterie domine celui de la sauvagine. S’il s’agit de la toison, le poil sert à la
fabrication des pelisses, efficaces contre le froid. S’il est question de la laine, elle donne des
vêtements prêts-à-porter. Pour tenter de distinguer une catégorie de l’autre, les descriptions
accompagnant les productions sont utiles. Dans bon nombre de cas, ces peaux semblent
préalablement teintées à leur arrivée sur le marché, d’une couleur – principalement le noir – voire
de diverses couleurs (colorati, sans précision). Pour de nombreuses fourrures, la couleur peut être
indicative de l’espèce ou de la variété de l’animal à fourrure, mais dans notre cas, comme il est
peu probable que de nombreux moutons soient noirs à l’origine, je tendrais plutôt à croire que ces
peaux ont été traitées, d’autant que le noir est la « couleur » de prédilection pour les vêtements
durant tout le XVe siècle172. Dans ces cas là, il serait plus approprié de parler de laine. Outre la
coloration, peut être indiquée l’origine géographique : en 1517, une partie d´entre elles
proviennent du territoire turc (turcheschi) et ce généralement acheminées à l’état cru (crude) à
Split. Bien que l’élevage ait pour but principal la production de viande, une partie est consacrée à
la pelleterie.
• Schenali : L’origine viendrait du terme italien schiena désignant la peau dorsale du boeuf.
Dans la pelleterie, des fourrures peuvent être constituées de fragments de diverses parties d'un
animal, comprenant le ventre, la queue, les cuisses et autres173.
• Tosone : C'est une peau d'agneau dont le poil a déjà été tondu et qui a repoussé plus dru et plus
raide174.
A Zadar, le commerce local des peaux semble appréciable puisqu’il anime de nombreux
métiers. Ainsi, au XVIe siècle, 23 tanneurs exercent en ville sur un total de 185 artisans répartis en

171
Ibid., 205.
172
Rémy Volpi, Mille ans de révolutions économiques. La diffusion du modèle italien, Paris 2002, 66.
173
Ibid., 20.
174
Ibid., 85.

415
31 branches professionnelles175. En importance, ils tiennent la seconde place après les cordonniers,
avec plus de 12% de représentants parmi les artisans. Les principaux centres d’approvisionnement
de la ville sont l’arrière-pays croate par voie de terre, la Croatie médiévale et la Bosnie
environnante dès le XVe siècle, ce qui se confirme un siècle plus tard, lorsque dans son rapport de
1553 le syndic Giustiniano indique que les Valaques importent des peaux à Zadar en échange de
produits plus raffinés. Il existe de fait un vif échange commercial par voie de terre entre la
commune de Zadar et son arrière-pays désormais sous domination ottomane. Ainsi, malgré les aléas
politiques, les courants traditionnels d'échanges se poursuivent. Il est possible que les peaux soient
apportées à l'état brut, pour être ensuite retravaillées par les nombreux tanneurs relevés, qui en font
importer de grande quantité. Ces derniers se fournissent également parmi les producteurs d'autres
régions côtières : trois tanneurs doivent 22,5 ducats à un homme de Kotor en 1550 pour prix de 500
peaux d'agneaux176, ce qui donne une estimation du prix de gros d’une pièce d’agnelin à 5,6 sous.
D’autres sources, par ailleurs, fournissent quelques prix (tableau XLI), voire des équivalences : en
1552, un mazzo contiendrait dix peaux177.

Année Qté. Type Prix Prix à Source


l’unité
1460 divers « pela » - 90 sous Spisi obitelji Matafar
1460 divers pela de chastron - 8 sous Spisi obitelji Matafar
1460 divers pela di bo/bouina - 70-100 sous Spisi obitelji Matafar
1519 40 10 l 5 sous Conte Pietro Marcello, B. I, F. II, f°55
1520 8 fourrées 9 l 12 s 24 sous Conte Pietro Marcello, B. I, F. II, f°177’
1520 6 3l 10 sous Conte Petro Marcello, B. I, F. II, f°187
1529 128/132 agneau, mauvais 12/14 l 2 sous Conte Marc Antonio Contareni, B. I c. 118, F. 2, f°73
état, de Pag
1550 500 agneau, de Kotor 22,5 dc 5,6 sous Prošlost Zadar III, n. 89, p. 259
1552 10 montonine 10 l 20 sous Conte Antonio Civran, B. I, L. 311, F.9, f°128-136
Tableau XLI : Prix des peaux à Zadar aux XVe-XVIe siècles

Outre les peaux importées par les éleveurs valaques, une partie est produite par les lieux
d’élevage insulaire. Ainsi, dans le domaine de la compagnie de Donat Matafarić, en juin 1460, un
berger doit payer 10 sous pour une partie de peau de bœuf, puis un autre berger de l'île de Kornat
doit payer également 10 sous pour un morceau de peau de boeuf, dont il est dit qu'il est mort dans le
domaine178.

175
Les charpentiers, les tailleurs, les calfats, les tonneliers, les forgerons, les fabricants d'épée, les producteurs de
balistes, les sculpteurs, les lainiers, les teinturiers, les cordonniers, les « sabotiers », les bouchers, les meuniers, les
boulangers, les charcutiers, les pharmaciens, les orfèvres, les joailliers, les peintres, les ébénistes, les barbiers, les
chirurgiens, les aubergistes, les cuisiniers, les producteurs de pain, les porteurs, les nautiers, les pyrotechniciens et les
nurses; Zadar pod mletačkom upravom, 255.
176
Ibid., 92, 257, note 89, 259.
177
DAZd, Conte Antonio Civran, F. 9, f° 128-136.
178
DAZd, Spisi obitelji Matafar, f° 56’, f° 59’.

416
Pour ce qui est du commerce extérieur, les peaux d'agneau (agneline) semblent être les plus
répandues, ce qui se reflète dans les prix; ils peuvent faire quintupler la valeur d'une peau suivant sa
qualité. Le prix moyen d'une peau d'agneau tourne donc autour de cinq sous. Toutes les autres
peaux qui ont nécessité un apprêt supplémentaire voient leur valeur augmenter à raison de 20 à 25
sous la pièce. Dans l'ensemble, les quantités achetées sont modestes. Des peaux de l'île de Pag sont
présentes, preuve d'un trafic maritime mettant une fois de plus en jeu les îles du territoire zadarois
avec la commune, comme c’est également le cas pour le bétail.
Au XVe siècle, ces peaux sont ensuite redistribuées par bateau à partir de Zadar en direction
des Marches (Rimini, Ancona) et de l’Abruzze (Pescara, Ortona). Šibenik est également un port à
partir duquel certains négociants se pourvoient179, de sorte qu’elles représentent l'une des principales
marchandises du transit zadarois avec le sel, le bétail, le vin et le fromage180. Cette marchandise peut
être d'ailleurs l'objet de troc. Les Valaques et les villageois du district zadarois sont sans doute les
plus grands acteurs de ces échanges en nature, mais le troc peut également toucher le commerce
extérieur de gros. En 1447, le teinturier Lovro Milković veut acheter seize milliers de guède d'une
valeur de 190 ducats à un marchand de Ravenna contre des peaux et du fromage de la même valeur
qu'il a transporté à Ravenna même181. A Šibenik, les données sont plus quantifiables. Dans les
années 1441-1443, plus de 24.336 peaux sont exportées, dont essentiellement celles de bouc (29%),
d’agneau (26%) et de mouton (20%), avec encore 109 peaux de bœuf et de mouton transportées en
commun. Sur les 6.431 agnelins, près de 85% sont destinés aux communes du Littoral croate (Senj
et Bakar, notamment durant les périodes de foire, et Rijeka), le reste étant acheminé à Venise. Dans
le cas des bechine et bovine en revanche, excepté 55 peaux pour Karlobag, toutes les autres sont
destinées aux communes des Marches et de l’Abruzze (dont Ortona, Francavilla, Pesaro et Rimini).
On relève encore l’importation de 120 peaux de chevreau pour Venise, cité où sont également
convoyées 100 peaux de bélier châtré (pelles castratorum). Pour Split, à la fin du XVe siècle, le
bilan est nettement moins intéressant : 889 agneline, 489 bechine et quelques bovine. Les marchés
importateurs sont diversifiés et seule une faible partie des produits artisanaux, dont les peaux
travaillées, est distribuée hors de la commune182 : vers la Pouille (avec également des peaux de bœuf
non dénombrées), Treviso en Vénétie, Rijeka, Bakar et Senj sur le Littoral croate et Dubrovnik183.

179
En août 1442, Juraj Greco de Zadar transporte à partir de Šibenik 62 peaux de boeuf vers Ortona; Instrumenta
cancellariae, 153. De même, en septembre 1442, Juraj sert de transporteur à Francesco Cicharelli d’Ortona pour y
importer 273 autres peaux de boeuf (dans douze balles); ibid, 154. En juin 1443, Juraj, toujours, transporte pour le
compte de Masio Giorgio d’Ortona 49 peaux et 430 fromages pesant 4.000 livres en tout; ibid., 169. Le même mois,
Ivan Krasnić de Zadar exporte de Šibenik vers Zadar, sur la barque de Florian Petrov de Zadar, 58 peaux de moutons et
de boeuf; ibid., 169. Enfin, le même jour, 17 juin, Krešo Raduščić de Zadar compte transporter vers les Marches, vers
Pesaro et Rimini, 300 peaux de moutons, ainsi que 588 kg de cire; ibid.
180
T. Raukar, Zadar u XV. st., 254-255.
181
Zadar pod mletačkom upravom, note 52, 93.
182
T. Raukar, « Komunalna društva », (70).
183
G. Novak, « Quaternus izvoza », (99, 101).

417
Ces quantités sont d’autant moindres que durant ce même siècle, le marchand vénitien Barbarigo à
lui seul négocie 26.000 peaux d’agneaux en 1440 et le marchand Privanović de Dubrovnik
transporte en un seul voyage près de 14.000 peaux en 1407184. Ces deux villes réalisent avant tout
un commerce de transit. Au début du XVe siècle, Dubrovnik ne possède en propre que 30 à 40
agneaux pour cinq cheptels identifiés en 29 ans185. Les grandes quantités de troupeaux transportées
hors de cette République proviennent donc d’une importation importante de l’intérieur des terres.

40000
Agneline 74%
35000
30000
25000
Pièces

Boldroni : 40%
20000
15000
Manzi : 40%
10000
Agneline : 60% Manzi : 69%
5000
Agneline : 66%
0
1503-1504 1511 1515-1517 1528-1530 1557-1560 1581-1583
Années des registres douaniers

Graphique XVIII : Evolution des exportations de peaux domestiques à Split au XVIe siècle (par pièce)

Cependant, au XVIe siècle, le trafic splitois des peaux domestiques est en nette progression
(graphique XVIII). Il est possible en outre de constater une évolution du type de peaux destinées à
l’exportation : jusque dans les deux premières décennies, les agnelines dominent le marché – avec
plus de 31.835 peaux à fourrure au total entre 1511 et 1517 (l'année 1517 étant incomplète), puis la
relève est prise par les boldroni, le siècle se terminant par une prépondérance des exportations de
manzi, mais pour des quantités plus modestes.
Les destinations varient en fonction des types de peaux et des périodes. En ce qui concerne
les agneline, sur une moyenne annuelle d'environ 7.959 peaux, durant la seconde décennie du XVIe
siècle, le marché est exclusivement limité à la côte orientale de l'Adriatique186. Les seuls partenaires
importateurs sont les bourgs de Bakar, de Senj et de Rijeka (19.795 agnelins en 1515-1517), sites
pourtant producteurs également de peaux d’agneau. Leur importation de la production splitoise
étant régulièrement vérifiée, il ne s’agit pas de carences systématiques. Ces trois principaux ports du

184
R. Delort, Le commerce des fourrures, 237.
185
Ibid., tableau I : Composition de divers troupeaux autour de Dubrovnik (1401-36) d’après quelques exemples extraits
de : DADb, Diversa cancelleria, registres 34 à 52, 213.
186
Cela confirmerait l'idée, émise par Delort, d'un trafic propre à cette région des pelleteries d'agneau. Il cite en effet
l'existence d'au moins trente-huit « espèces » d'agneaux, caractérisées par leur provenance géographique et dans
lesquelles ne figurent ni Dubrovnik, ni la côte dalmate, ni l'arrière-pays bosniaque. Nous voyons bien ici, en appui à la
thèse de Delort, que ces fourrures domestiques ne sont pas incorporées au commerce international mais ont un champ
de circulation limité à la zone « esclavone ». Ce trafic donc, bien qu'abondant est presque exclusivement réservé à un
usage local d'une marchandise de qualité moins prisée; ibid., 218-220.

418
Littoral croate serviraient plutôt d’escale de transit vers l’intérieur du pays, vers les marchés de la
Croatie pannonienne et au delà, en direction de l’Autriche et de la Hongrie187. Dix ans plus tard, la
moyenne descend à 1.200 fourrures par an pour les années 1528-30 et en 1581 à 500 peaux. Sur
deux ans cela représente 6.478,5 peaux par an. Lorsque dans les années 1520, le flux des
exportations s’amoindrit, les ports du Littoral croate dominent le marché (1.300 peaux en 1530,
contre 1.100 en Dalmatie en 1529 et 300 en Istrie en 1528). L'orientation de ce trafic vers le Littoral
croate de la Couronne de Hongrie-Croatie atteste d'une tradition présente dès le siècle précédent, au
moins, puisqu’en 1475-76 déjà, des peaux d'agneaux étaient exportées vers cette région. Nous
pourrions conclure de la continuité de ce réseau du XVe jusqu'aux deux premières décennies du
XVIe siècle. Puis, le commerce des agneline s’interrompt brutalement, si ce n’est le transport de
cent peaux vers Venise en 1530 et de cinq cents agneline vers des « terre aliene » en 1581. Le
territoire italien n’apparaît donc pas dans ce trafic tout au long du XVIe siècle, les Marches ayant
été importatrices uniquement à la fin du XVe siècle. Quant à la disparition des partenaires croates,
elle s'explique par des changements géopolitiques. A la suite de l'invasion ottomane dans les
Balkans, le territoire croate reçoit de plus en plus de populations réfugiées, fuyant les zones de
guerre de l'intérieur de la Croatie et de la Bosnie. Ces migrations forcées et subies auraient créé des
perturbations directes dans les villes d'arrivée, situées au nord-est de la côte adriatique orientale.
Deux d'entre elles au moins ont leur foire annuelle : Bakar en avril et Senj en octobre.
L'organisation d'une telle manifestation commerciale sous-tend une conjoncture paisible, pour
garantir la sécurité physique et économique à la clientèle. Nous savons que des migrations existent
en direction de Senj au moins dans les années 1537-40, à la suite de la chute de la forteresse de Klis.
Il est fort probable que ces mouvements aient commencé auparavant. Cette intrusion a
vraisemblablement perturbé la bonne marche des foires et la confiance de la clientèle (l'une des
conséquences les plus nettes de cette migration à Senj est l'implantation des Uscoques). Or les
peaux splitoises sont le plus souvent acheminées précisément vers les villes de Bakar et de Senj
durant leurs foires. La cessation de ces manifestations commerciales, en plus des interventions
politiques, contribue à l’arrêt du trafic vers cette direction et l’étude systématique des autres types
de peaux confirme cette impression générale.
L'autre facteur de chute du commerce des agnelins vers les villes du Littoral croate est à
mettre également sur le compte d'une paupérisation de la population de cette région. En milieu
urbain en effet, les principaux clients sont les fonctionnaires de la municipalité et les notabilités

187
La carte générale du commerce de la fourrure de R. Delort présente les courants et les espèces de peaux exportées
dans tout l’espace européen et les régions limitrophes. Un grand espace vide s’y trouve précisément entre la côte
adriatique orientale et tout l’intérieur continental jusque l’Autriche, la Hongrie, directement au nord – sans compter
l’espace balkanique plus à l’est. Il est donc possible que les ports du Littoral croate remplissent au moins en partie cette
lacune vers les zones continentales de leur arrière-pays direct et au delà.

419
urbaines (patriciens, maîtres des métiers, riches marchands, hommes de loi ou de sciences, etc.). Le
clergé de la ville, les moines ainsi que les nobles des environs, les paysans aisés, laboureurs et
artisans de village se fournissent aussi directement chez les pelletiers ou marchands locaux188.
L'arrivée rapide d'une population déracinée aux ressources minimes influe sur l'ensemble de la
société des villes du Littoral croate, créant de nouvelles hiérarchies et priorités sociales, tout en
bloquant semble-t-il pour un temps les ressources économiques principales. Touchée par la
migration massive, Senj voit se modifier ses caractéristiques (elle devient un centre stratégique de
défense de l’Empire au lieu du centre commercial des époques précédentes). Elle change
d’orientation économique (sens du transit commercial, partenaires et marchés traditionnels). Cette
ville phare entrâine alors à sa suite les communes voisines dont les logiques commerciales sont
identiques. De surcroît, du point de vue politique, le gouvernement autrichien organise le territoire
frontalier à l'Empire ottoman en confins militaires, au sein desquels Senj devient une base militaire
importante de défense, modifiant ainsi pour longtemps le caractère géopolitique de toute cette
région189.
Les boldroni apparaissent une première fois en 1529, puis à nouveau, après un long silence
en 1581. La première vague de redistribution, en 1529, touche d'abord Venise, puis la relève est
prise par les autres communes de la côte orientale italienne (1.500 peaux en 1581 et 1.100 en 1582
vers sottovento), avec une l'apparition furtive de Trogir qui en fait importer 29. Contrairement aux
peaux d’agneau, ce matériau plus prisé n’est pas destiné aux ports croates mais il atteint les rivages
outre adriatiques pour répondre à une clientèle plus aisée.
Les quantités de montonine qui sortent du territoire splitois sont modestes. De plus, les
divers éleveurs valaques de l’outremonts vendent directement les peaux de leurs troupeaux en ville,
aux marchands, aux bouchers ou surtout aux artisans190, car au moment de l’exportation, la majeure
partie de ces toisons est apprêtée (conze). L’artisan local joue donc le rôle d’intermédiaire entre
l’éleveur et le commerçant, en transformant la matière brute. Ainsi une partie des toisons serait
travaillée par des tanneurs, teinturiers – dans le cas du traitement de la laine, et fourreurs locaux sur
place, pour être ensuite réexportées apprêtées et/ou teintes vers l'ouest. Nous n’avons en revanche
aucune indication de la taille de ces toisons, pas plus que ne sont prises en compte, dans les
déclarations, les « tares » éventuelles qui correspondent en général à 20% de la production – peau
endommagée ou de mauvaise qualité. Les moutons dalmates sont en général peu réputés à

188
R. Delort, Le commerce des fourrures, 692, 697.
189
Voir tout le chapitre concernant les Uscoques et les conditions géopolitiques dans les chapitres précédents.
190
Pour ce qui est des buts de l’élevage animal domestique, voir les indications de Delort (pp. 204-208). De même, cet
auteur parle de l’existence de gros ramasseurs s’intercalant entre l’éleveur et le marchand, mais il s’agit plutôt de
grandes entités urbaines telles que Dubrovnik qui centralise les moutons dalmates aux mains des pelletiers pour ensuite
les céder sommairement traitées aux marchands; ibid, 211. Dans notre cas, l’envergure de ce commerce, tout en incluant
les besoins et la consommation locale, nous semble trop faible pour mettre en jeu autant d’intermédiaires.

420
Dubrovnik, Venise ou la Pouille et font une faible concurrence aux fourrures ovines de Romanie
beaucoup plus appréciées – lorsqu’ils ne se font pas passer illégalement pour elles191. En calculant
les quantités annuelles pour les années complètes (1503, 1511, 1516, 1529, 1581 et 1582), la
moyenne atteint les 500 peaux. Cette quantité annuelle est près de six fois plus importante que celle
des animaux de cheptel exportés à la même période. Le niveau de leur exportation reste cependant
très modeste par rapport au grand commerce des fourrures sur tout l’espace européen. En effet, la
qualité dalmate est plus dépréciée que la production de Romanie, géographiquement la plus proche.
La viande, quant à elle, resterait plutôt en ville pour la consommation urbaine, tandis que l'artisanat
local travaille la fourrure des bêtes – et sans doute le cuir également mais aux seules fins locales –
et l'achemine vers les marchés demandeurs. Parmi ces derniers, Venise représente le plus gros
consommateur de peaux : entre 1511 et 1530, 58% des exportations lui sont destinées. Les autres
ports importateurs, Senj et Bakar (13%), puis Lanciano (9%), dominent durant la première moitié
du siècle – tout comme pour le marché des peaux d’agneaux. La seconde moitié est marquée en
revanche par l’exportation prioritaire vers les régions italiennes du sottovento (61% dans les années
1581-82), tandis que les importations vénitiennes chutent à 24%.
A ce titre, nous pouvons nuancer le constat de Delort suivant lequel Dubrovnik draine la
majorité des peaux dalmates. Cela est sans doute vrai pour le XVe siècle mais ne l’est plus cent ans
plus tard. Tout du moins ne s’agit-il pas de la même zone prise en considération, puisque Delort
localise la production dalmate – ou esclavone – autour de Bar (inclue en fait dans le territoire
albanais sous la domination de Venise), l’estuaire de la Neretva (désormais en territoire turc),
Korčula et Kotor – sans compter l’arrière-pays bosniaque de Dubrovnik192. Dans notre étude, la
production dalmate des peaux se situe dans la partie centrale de la côte; quant à l’exportation, elle
est nettement orientée vers les régions de l’ouest (du Kvarner à l’Italie). Les foires des ports croates
et de Lanciano servent de lieux d'écoulement principaux pour les marchés en dehors de Venise
jusqu’à la fin des années 1550. Ensuite, les foires croates disparaissent et le circuit est relayé non
plus seulement par Lanciano mais aussi par les autres villes italiennes; seul l'aspect saisonnier
constitué par les foires disparaît.
La part des ircinas est marginale : 147 peaux de bouc vont à Venise et quarante à Senj en
1515. Ces faibles quantités révèleraient que le marché local absorbe le gros de la production.
En ce qui concerne les bechine, dans la distribution des produits d’élevage, l’accent est mis
sur les cuirs et fourrures animales, du moins chez les caprins. En effet, si l’on se réfère à la
production en bêtes sur pieds, en 1515, seules 190 chèvres sont exportées, ainsi que dix bêtes en
1582. Or l’analyse l’exportation des peaux de ces mêmes bêtes donne une autre image. Les bechine

191
Ibid., 212-214
192
Ibid., 214.

421
forment la plus grosse part des peaux d’ovins déclarées dans les contrelettres et les quantités
mentionnées193 sont beaucoup plus importantes que le cheptel de base exporté. La viande semble
donc avoir été moins distribuée hors du port de Split que la peau transformée par l’artisanat local.
Tout porte à croire que ces peaux servent à la production du cuir.
Le commerce des peaux de caprins prend son essor à partir de l’année 1511 et se maintient
de manière plutôt stable jusqu’à la fin du siècle (excepté le fléchissement des années 1550). La
moyenne annuelle des exportations atteint respectivement 1.499 peaux pour les années 1510, 1.344
peaux pour la fin des années 1520, 493 pour les dernières années de 1550 et enfin 1.214 peaux dans
les années 1580. L'exportation moyenne représente 1.000 peaux de caprins par an. Le trafic touche
l'ensemble des ports de la mer Adriatique. Tandis qu’à la fin du XVe siècle et qu’au début du XVIe
siècle, toutes les peaux vont en Italie (105 vers Venise et 254 vers Trani, Guasto et Termoli), dans
les années 1510, Venise absorbe 59% du marché, l’Italie 26% (les Marches, la Pouille, Firmo,
Ravenna, Vasto et Termoli) et la Dalmatie 24% (départagée essentiellement entre Zadar et Kotor).
Les ports du Littoral croate jouent un rôle minime, en important seulement 6% de la production
totale. A la fin des années 1520 en revanche, la Dalmatie, la ville de Kotor surtout, domine le
marché en important 78% de la production, suivie de loin par les ports croates (15%), puis l’Italie et
Venise. Dans les années 1550, nouveau changement : la Pouille importe l’intégralité de la
production (1.971 peaux entre 1557 et 1560). La répartition du flux des importations est donc très
variable, contrairement à celle des autres productions pelletières. Elle a donc pour fonction de
combler les vides du marché survenant à l’improviste. L'Italie du sud-est prend ensuite la relève au
début des années 1580, tandis que les places du Littoral croate disparaissent complètement après
1530. En fait, Venise exceptée, l'Italie (Pouille, sottovento et sept autres villes) représente sur tout le
siècle 36,5 % de l'ensemble du trafic. Reste à mentionner l'exportation de ces peaux en vrac (a
refuso) en direction du Littoral croate (Bakar, Senj), de l’Albanie vénitienne (Kotor) et vers Rhodes
en 1517 – bien que la production de peaux de caprin en Romanie soit plus réputée. En 1529, des
peaux non traitées sont exportées a refuso à Venise. L'année suivante, des peaux sont exportées en
balles (nombre non déterminé) en Istrie et a refuso pour Kotor. Une part importante du marché des
bechine est occupée par ces peaux de seconde catégorie et déclassées. Elles pourraient servir à une
clientèle peu aisée ou de pièces de retouche.
Si l’on s’en tient au fait que les bovine servent effectivement au cuir, alors qu’elles ne sont
pas comptées au poids comme la logique le voudrait, il est possible qu’il existe une différence entre
l’exportation de peaux brutes et de celles qui sont apprêtées. Ceci mettrait en lumière le rôle de
l’artisanat local qui traiterait les brutes avant leur commercialisation finale sur le marché étranger.
193
Outre le comptage par pièces, il existe aussi par balles : cinq balles en direction de Termoli (1511), trois balles
exportées à Kotor et cinq balles à nouveau à Termoli (1515), trois balles en direction de Senj et quatre balles vers la
Pouille (1516) puis encore une balle vers la Pouille (1517).

422
Les tanneurs s’approvisionneraient en premier auprès des éleveurs, puis vendraient les peaux prêtes
à l’emploi aux maroquiniers et tailleurs divers situés hors de la ville. La documentation ne permet
pas de définir s’il s’agit de poil rasé ou non. La consommation de viande de boeuf apparaît plus
importante que celle du cuir, article réservé au seul marché local. Les quantités exportées sont très
modestes (683 peaux exportées au maximum en 1558), et après l’année 1558, toute trace de ce
trafic disparaît. Il tombe sous l’influence probable de la pression ottomane (guerres ou dévastations)
qui rend impossible l’existence de surplus de produits bovins à exporter. Le marché se resserre au
contraire à la seule consommation locale en viande, en cuir pour le couvert et le vêtement194. La
Pouille constitue près de 46% du marché d’importation sur l’ensemble des données. Venise et la
Dalmatie ne suivent que de très loin. Pour répondre aux besoins de son marché de consommation en
bottes, sacs, ceintures, vestes et autres vêtements ou objets de maroquinerie, la Pouille complète ses
fournitures auprès de Split. Vu les faibles quantités relevées, ces importations ne concernent que des
prélèvements d’appoint. Mais, si le marché de la peau de boeuf est réduit, c’est sans doute aussi une
affaire de qualité, car le commerce de la peau de génisse prend une autre ampleur.
Les manzi. En 1503, de la peau teinte est importée à Split en provenance de Senj. Or, d'après
la documentation disponible, tandis que l'exportation des génisses existe dès le début du siècle, le
commerce de leur peau hors de la ville ne commence qu'à partir de 1557 : 43 balles sont
acheminées en Istrie puis respectivement 17 et 3 balles en direction de sottovento en 1558 et en
1559; Venise importe encore 17 balles en 1581. Jusque-là, aucune équivalence n’est fournie. Mais
en 1582, dix balles sont destinées à aller sottovento à raison de cent peaux par balle. Bien que le
système de compte (emploi des balles et des centaines) soit caractéristique pour les fourrures,
l’appellation manzi concerne le cuir. La nuance apportée par le mode de comptage se référerait alors
à l’exportation de peaux prétraitées et non pas brutes. Par rapport au commerce des peaux de
boeufs, la relève est prise par celles des génisses autour de ces années charnières de 1557-1558. Le
marché y gagne sans doute en qualité, la peau étant plus tendre. De fait, avec un nombre d’années à
peu près identique (sept pour les bovine, six pour les manzi), le volume du trafic quintuple presque
pour des marchés semblables. Les années 1580 représentent une nette reprise de ce commerce,
puisque les manzi représentent désormais 40% du trafic des peaux domestiques et le nombre de
pièces a plus que quadruplé. Peut-on imputer le phénomène à une stabilisation politique – qui nous
gênait pourtant auparavant – et/ou à un changement de goût dans la consommation des cuirs
favorisant l’exportation splitoise ? Les marchés d’importation ne changent guère. Mais la Pouille

194
Néanmoins, si l’on compare ces chiffres avec ceux du troupeau identifié de bovins à Dubrovnik pour les années
1401-1436, là aussi, les chiffres sont plutôt modestes : la moyenne est de treize bovins toutes catégories confondues –
boeufs, vaches, jeunes – pour onze années, avec une grande majorité de vaches; R. Delort, Le commerce des fourrures,
tableau I précité, 213. La République de Saint-Blaise bénéficie cependant d’une conjoncture politique plus calme qui
l’épargne. Elle peut donc compter sur une stabilité de son marché d’importation de l’intérieur des terres en produits
animaux bruts qu’elle redistribuerait une fois la production traitée.

423
joue un rôle plus marginal au profit de l’ensemble de la côte adriatique ouest (sottovento). Le
marché italien consomme plus de 43% de la production splitoise – voire même 55%, si l’on y ajoute
les chiffres concernant l’Italie orientale et la Pouille. Le marché italien est relayé ensuite par la
République de Venise avec une importation représentant plus de 35% du trafic global.
Les quantités exportées de manzi demeurent modestes, pour un nombre sensiblement égal de
peaux, Venise n’est que le second marché importateur, tandis que dans le trafic des toisons de
mouton, la République est le principal importateur. De fait, la Signoria dispose d’un éventail de
fournisseurs beaucoup plus large que les autres régions et sa population contient une masse plus
importante de gens aisés, plus prompte à acheter des vêtements et ornements en fourrure qu’en
simple cuir. Les autres régions, quant à elles, ont un réseau commercial aux ramifications plus
étroites et puisent donc plus abondamment dans le marché dalmate et leurs populations – plus
économes dans leur consommation – se fournissent plus volontiers en cuir pour les divers usages.
Cette supposition pourrait expliquer ce cours du marché. Quant aux autres villes de la Dalmatie,
elles disposent de leurs propres ressources qui suffiraient à la consommation locale de chacune.
A Zadar, l'orientation de l'exportation des peaux est difficile à cerner : en 1581 sont
transportées 99 peaux de moutons et 64 peaux de boeufs à Venise195. La mention de Venise, en tant
qu'importatrice de ces peaux, révèlerait tout comme pour le vin et les figues à Split, qu'elle prend
une part dominante dans les débouchés commerciaux des communes dalmates dans leur ensemble.
Les peaux sont l'objet d'un échange terrestre nord-sud (Croatie médiévale, Bosnie) et maritime
suivant un axe est-ouest (de Kotor à Venise), sans qu'il soit possible à l'heure actuelle de définir
davantage les quantités et les autres centres d'importation et d'exportation gravitant autour de Zadar.
A titre comparatif, enfin, il est possible de présenter brièvement l’exportation de peaux
domestiques à partir de Trogir. Là, les quantités générales sont nettement plus modestes : 1.835
peaux déclarées dans les registres de 1568-1569 (cette dernière année étant interrompue en
septembre), dont 82% concernent les bechine, avec une majorité destinée au marché apulien,
excepté l’envoie de 200 peaux de bouc pour Venise et de onze manzi pour la Dalmatie et l’Istrie. En
1575-1577 – dont l’année 1575 commence en mai – le total des pièces exportées atteint les 8.898
peaux, dont 5.418 pièces convoyées pour la seule année 1577. Plus de 39% concernent à nouveau
les bechine et 33% les agnelins. Il est intéressant de noter dans le cas des boldroni, qu’en 1575 il est
spécifié que les bêtes ont été tuées dans la boucherie de la ville (de animali amazzati in questa
becaria)196. Cette fois-ci, les plus gros importateurs sont des villes précises, puisque 29% du marché
est absorbé par Rijeka (suite à l’exportation de 2.539 agneline et 20 boldroni en 1577) et 20, 5% par
la commune de Casto en Lombardie (à nouveau avec 1.812 bechine et 20 boldroni pour la seule

195
DAZd, Conte Bartolomeo Paruta, B. I, f° 4.
196
DAZd, O.T., Bulletarum primus, B. VIII, F. 3, f. 1201’.

424
année 1577), puis suivent alors sottovento (18%) Venise (5%) et l’Istrie (dont Piran et Pula – 2%).
Le trafic de Trogir s’avère ainsi nettement inférieur à celui de Split, avec un rayonnement
commercial plus modeste.
- Les peaux de sauvagine
En Dalmatie, la chasse et l’élevage des animaux à fourrure ont une longue tradition. Les
fourriers apparaissent au début du XIIIe siècle et Zadar devait un paiement en peaux de martre à
Venise jusqu’en 1354. Cette commune s’approvisionnait auprès de l’île d’Osor, qui contenait un
élevage d’animaux à fourrure, ainsi que d’autres îles au nord. Les hermines, renards, ours et loups
provenaient de Bosnie, voire de Serbie. Encore au XVIe siècle, un nombre important de fourriers
demeure dans la ville, jusqu’à ce que Venise organise ses propres ateliers et que cette branche
artisanale disparaisse progressivement à Zadar197. De même, la région splitoise abonde en animaux
sauvages à fourrure. Il ne s’agit pas à proprement parler de « produits d’élevage » mais de produits
de la chasse, mais elles sont insérées dans ce paragraphe par commodité.
Les fourrures de sauvagine comprennent celle du renard, du loup, de la martre, du lapin, du
chat sauvage et du loup cervier. Leur qualité est davantage soumise aux facteurs naturels198. La
Dalmatie abrite exclusivement des animaux de milieu montagneux et forestier (bois, clairière et
forêt profonde) provenant de la chaîne des Dinarides qui longe toute la côte adriatique orientale.
Ces bêtes vivent dans deux localités : les marges forestières (renard, loup, lapin) et les maquis et
steppes (chat sauvage, martre, loup cervier).
• Conini : Les peaux de lapin sont préférées à celles de lièvres dont le cuir est considéré
comme trop faible. Le commerce de cette fourrure est attesté sur tout le littoral dalmate dès le Xe
siècle. Bien qu’apprécié autant pour sa chair que pour sa fourrure, cet animal est rarement
apprivoisé en Europe199, et d’autant moins sans doute dans l’arrière-pays dalmate, plus faiblement
organisé sur le plan économique.
• Fuine : Il s’agit d’une espèce de martre. Au XVe siècle, cet animal prend une place
prépondérante dans la mode. Il est très présent dans le grand commerce. La martre vit dans les
forêts de haute futaie et son poil est le plus fourni en décembre et début janvier. De nombreuses
redevances devaient se payer en peaux de martre en Dalmatie et en Croatie, en tant que cens pour le
seigneur ou à Venise au XIIIe siècle – au point qu’un des cens porte ce nom, marturina.
Aujourd’hui même, la monnaie nationale de la Croatie porte le nom slave de cet animal, la kuna.

197
A. Piasevoli, « Fragmenti », (26).
198
Ils sont de trois ordres : zoologiques (hibernation ou non, périodes d’accouplement et de gestation, durant lesquelles
le poil s’abîme, espace d’habitation), abiotiques (climat et changement du pelage suivant les saisons, qualité de l’eau et
de l’air) et humains (défrichement de la forêt réduisant l’espace vital, chasse et pièges endommageant le poil, tuerie
pour protéger les troupeaux); voir tout le § « L’influence du milieu et le milieu et ses variations »; R. Delort, Le
commerce des fourrures, 99-104.
199
Ibid., 129-131.

425
Or, dans le cas du marché de Split, nous avons surtout affaire à la fouine, une martre de terrains
découverts dont le poil est moins soyeux, de couleur blanc jaunâtre avec des taches et des anneaux
noirs200. Ce changement de qualité peut être imputé à la raréfaction de l’animal le plus noble,
remplacé par une espèce apparentée, moins pourchassée jusque-là.
• Gati : Le chat sauvage, très fréquent au Moyen Age, est considéré comme un animal très
nuisible, qui tue davantage qu’il ne mange. La peau de couleur indéterminée (blanc, noir, gris, roux)
est très prisée. Aux XIVe-XVe siècles la Dalmatie fournit – avec l’Espagne – les plus belles
peaux201.
• Lodre / ludre : La peau du loup est rougeâtre avec des poils longs grossiers, un duvet bleu
gris et un ventre blanc jaunâtre. Elle est utilisée dans la confection des moufles et des pelisses.
Cependant, son odeur et la mauvaise réputation de l’animal desservent son emploi202, sans compter
les difficultés de la chasse de cet animal.
• Rixi : Ce terme désigne le lynx rouge à taches noires, dit loup cervier. Sa taille est plus petite
que celle des variétés nordiques et son poil moins fourni. Il n’est chassé qu’en hiver, période durant
laquelle sa couleur est la plus belle. Dans le grand commerce, une bonne partie provient de Hongrie,
parfois de Calabre et surtout d’Espagne – du moins pour les XIVe et XVe siècles. Par ailleurs, de
nombreux documents attestent pour ces périodes, de l’usage de ces fourrures en Dalmatie et en
Albanie; le terme de rixus provient précisément du croate ris désignant le lynx203.
• Volpe / bolpe : Il s’agit de la fourrure de renard, appréciée dans toute la zone européenne. Le
renard méditerranéen, de surcroît, comporte une fourrure tirant davantage sur le jaune clair (et non
le rouge) ce qui constitue son originalité204.
Pour le XVe siècle, le registre de Split (1475-1476) ne semble pas contenir d’informations
quant à l’exportation de peaux de sauvagine, ou alors en quantités tellement négligeables que
l’historien Grga Novak ne les a pas relevées. A Šibenik, en revanche, pour les années 1442-1443
sont enregistrées 1.486 fourrures, dont 46% de schilatos (fourrures d’écureuil), 36% de vulpus et
16% de fuine, avec encore une exportations marginale de fourrures de chat sauvage (une pièce) et
de fourrures de martre (26 pièces dont la moitié pour la foire de Saint-Georges à Senj et l’autre
moitié pour les Marches, dont Pesaro). Les fourrures d’écureuils sont surtout exportées vers les
Marches (dont Pesaro) à 73%, le reste étant envoyé sur le Littoral croate (à l’occasion des foires de
Senj et de Bakar, ainsi qu’à Rijeka). En revanche, le marché importateur prépondérant des fourrures
de martre (fuine) est celui du Littoral croate (72%), notamment à l’occasion de la foire de Senj mais

200
Ibid., 156, 168-169.
201
Ibid., 173-174.
202
Ibid., 127.
203
Ibid., 172-173.
204
Ibid., 128, 166.

426
surtout pour alimenter le port de Rijeka, à partir duquel les fourrures sont convoyées à l’intérieur du
royaume de Hongrie-Croatie. Les 28% restant sont à nouveau destinés aux Marches. Les fourrures
de renard, enfin, sont quasiment toutes orientées vers les Marches (98%), si ce n’est trois fourrures
pour la foire de Senj et trois autres pour la foire de Sainte-Marguerite à Bakar.
Au XVIe siècle, le trafic des sauvagines à partir de Split est plus animé – quant à Trogir
(registres de 1566-1569 et 1576-1577), il n’existe aucune trace de ce genre de commerce. Une
première courbe des exportations de sauvagines est possible avec l’analyse du trafic par pièces
(graphique XIX).

Graphique XIX : Exportation des sauvagines de Split au XVIe siècle (par pièces)205

7000
volpe : 100%
6000

5000
volpe : 99%
4000
Pièces

volpe : 100%
3000
volpe : 51%
2000

1000
ludre : 77%
0
1503-1504 1511-1517 1528-1529 1557-1559 1581-1583
Années des registres douaniers

Selon ce mode d’estimation, le plus gros courant d’exportation de sauvagines apparaît à la


fin des années 1520 et les fourrures de renard dominent le marché. Toutefois, cette approche est
incomplète. Ainsi, le commerce des fourrures de lynx rouge se déroule uniquement avec des sacs et
non par pièces. Il serait alors question d’une peau endommagée ou de basse qualité, à un prix sans
doute moins élevé que celui des autres espèces ou encore deux fois moins cher que la peau saine de
l’animal. Les quantités de sacs transportés connaissent une hausse saccadée qui s’anime à l’inverse
du trafic des fourrures de renard : en 1529-1530 ne sont transportés que trois sacs, tandis que pour
la seule année 1582 on note l’envoie de trente sacs. La contenance du sac en nombre de fourrures
n’étant pas connue, il est difficile d’estimer le volume réel de ces transports pour les incorporer au
graphique des peaux de sauvagine. Néanmoins, la hausse montrerait que cet animal reste abondant
dans la région. Les ports importateurs de fourrures de lynx sont en majorité situés à l'est de Split :
Chypre en 1529 (signalé in Levante), puis la Neretva en 1557 et 1558, Dubrovnik en 1558 et à

205
DAZd, Sp. Ar., Contrelettres.

427
nouveau la Neretva en 1581. L'autre direction, à l'ouest, concerne l'Italie avec Trani en 1529 (à
raison de deux sacs) et en 1530 la Pouille.
Le commerce des peaux de martre, bien qu’il soit en tête des exportations du début du siècle,
est réduit : 133 fourrures sont exportées vers le Littoral croate dans les années 1510, à l'occasion des
foires respectives de Bakar et de Senj. Cette dernière ville semble un pôle d'attraction commercial
plus important que la première. La moyenne annuelle d'exportation tournerait autour de 43
fourrures par an (nombre qu'il faudrait augmenter, puisque les données pour l'année 1517 sont
limitées à six mois). Passée la deuxième décennie du siècle, le trafic des fuine disparaît, suite peut-
être au déplacement de cet animal vers d’autres régions, à son extinction dans les environs de Split,
à d’autres causes liées aux difficultés de la chasse en territoires limitrophes sous l’autorité des
Ottomans ou encore à un changement des courants d’échanges et de marchés, puisque pour d’autres
articles écoulés sur le Littoral croate le trafic cesse également – il demeure néanmoins difficile à
l’heure actuelle de trancher.
Un même profil du cours des exportations et des destinations concerne le trafic des fourrures
de lièvre. Elles apparaissent dans les sources à partir de 1511, avec pour unique marché
d'importation les villes du Littoral croate. Deux balles et un collo en 1516 sont destinés à la foire de
Senj, et un ligazo est exporté à Zadar en 1517. La période de commercialisation de ces animaux est
restreinte aux années 1510, lorsque plus de 816 fourrures sont exportées au total vers Senj et, dans
une moindre mesure, vers Bakar. Il est possible que la production soit rare et que cette peau soit
concurrencée par celle du lièvre (changeant de fourrure – blanche en hiver et brune en été) de la
Bosnie et de l’Herzégovine qui dessert – au moins au XVe siècle – les marchés par ailleurs
importateurs de Kotor, Dubrovnik voire de Vlorë. La plus grande proximité de ces deux zones a dû
jouer en faveur de cet état de choses. Cependant, il se pourrait qu’il s’agisse d’une autre variété de
lapins, celle dite du maquis, en bordure des forêts méridionales dégradées. Ces lièvres sont très
abondants au XVe siècle et ceux de la Dalmatie auraient fourni Venise, Genova et jusqu’à des
régions beaucoup plus septentrionales telles que Londres et Bruges206. A nouveau, comme dans le
cas des fourrures de martre, leur trafic pour le Littoral croate est interrompu.
Une fois de plus, la situation est similaire avec le trafic des peaux de loup. Ces fourrures
sont rarement exportées et vers une destination unique, le Littoral croate, soit neuf en 1503-1504 et
quatre-vingt-seize en 1515-1517 à destination de Senj, puis trente-quatre en 1559, cette fois-ci pour
Rijeka. Le plus souvent ce trafic se déroule à l’occasion de la foire de Senj, en octobre. Pourtant, en
1529, un marchand à l’intention de rapporter des fourrures de loup en revenant (per ritorno) de
Senj. C'est précisément une période durant laquelle ce genre de marchandise est absent, aussi se
pourrait-il que les loups aient fui les zones de conflit dans l'arrière-pays dalmate pour se réfugier

206
R. Delort, Le commerce des fourrures, 133, 165.

428
plus à l'ouest. Pour savoir où se fournissait exactement la ville de Split, nous disposons d'une
information précieuse, au moment de l'exportation de trente-quatre peaux pour Rijeka : il s'agit du
port de Makarska. A cette date, la ville fait déjà partie de l'Empire ottoman. Toutefois, la majeure
partie de ces fourrures provient de l'arrière-pays dalmate, c'est-à-dire de la Bosnie. Split est
directement desservie par la population de l'outremonts et elle va plus rarement s'approvisionner
dans les ports ottomans de la côte adriatique orientale. Il est néanmoins possible que, ce commerce
apportant des revenus intéressants, les personnalités turques locales aient développé cette branche
économique temporairement, avec Makarska comme centre exportateur. Les années suivantes, ces
fourrures n'apparaissent plus du tout dans les sources dépouillées – ce qui concorde avec les
observations précédentes concernant le trafic des fourrures de lièvre et de martre.
De même que l’exportation à partir de Šibenik en 1441-1442 est marginale, à Split au XVIe
siècle, le trafic des fourrures de chat sauvage est insignifiant : un seul voyage est déclaré en 1504, à
raison de trois fourrures destinées à Senj. Plusieurs facteurs peuvent être imputés sans qu'aucun ne
prévale : l’extinction de l’espèce dans cette zone après une chasse intensive – que ce soit pour la
fourrure ou pour la défense – le reclassement des courants commerciaux et les changements de
modes vestimentaires.
Le trafic des peaux de renard, enfin, est plus animé. A Split, la présence d’une exportation
(en outres, en balles, en sacs, en miers) est visible à partir des années 1511. Le courant
d’exportation le plus important date du milieu du siècle, avec pour destinations finales les régions
du nord-ouest de la Croatie (port de Rijeka et région de l'Istrie), ainsi que la côte orientale de l'Italie.
En 1529, à trois reprises des marchands comptent exporter des fourrures endommagées vers Kotor,
Senj et Venise. Elles ont sans doute été abîmées au cours de la chasse ou d’abord stockées dans la
ville, pour être vendues en dehors de la saison de la chasse, ouverte plutôt en automne et en hiver.
Le Littoral croate est privilégié durant la première moitié du siècle, pour disparaître ensuite de la
liste des exportations. Dans le système de comptage par pièces, en revanche, le détail des directions
est moins précis. Plus exactement, les entrepreneurs prévoient d’atteindre des ports très variés au
cours d’un seul voyage. La plus importante quantité de fourrures est exportée durant les années
1528-1530 avec 6.025 peaux au total. Puis ce cours se réduit de 39 à 43% durant la seconde moitié
du XVIe siècle, mais la fourrure de renard devient le seul article d’exportation des sauvagines.
La moyenne annuelle des exportations de ces fourrures atteint les 1.365 peaux, montant qui
rejoint ceux des peaux domestiques les plus vendues. Durant la première moitié du siècle, au moins
7.125 peaux sont exportées, avec une moyenne annuelle minimale de 1.187, tandis que durant la
seconde moitié nous trouvons 7.134 peaux pour une moyenne annuelle minimale aussi de 1.189. Le
commerce des fourrures de renard se maintient donc en permanence pendant tout le XVIe siècle. Le
plus souvent, la production paysanne de la chasse est employée essentiellement à l’échelle locale et

429
n’est pas mise dans le commerce. Cependant, les espèces méridionales ont une fourrure
suffisamment appréciée pour concurrencer les autres productions locales. L’existence même d’une
exportation de Split – quelle que soit son envergure, compte tenu de ces deux constats, révélerait
deux réalités. D’une part, la qualité du poil de la bête semble être assez prisée pour faire l’objet d’un
trafic – d’autant plus que certaines régions et îles dalmates devaient payer un tribut annuel en
renards à leur seigneur sans doute dès le haut Moyen Age. D’autre part, parmi la population de
l’arrière-pays une partie doit être spécialisée dans la chasse, en vue de l’acquisition de la fourrure
pour la vente. L’activité de ces trappeurs étant encore peu développée, peu efficace et destructrice
durant le Moyen Age et après207, cet animal devrait abonder dans la périphérie de Split. Cette
abondance est d’autant plus visible que la fourrure exportée, considérée comme produit de luxe,
atteint des marchés beaucoup plus diversifiés que les peaux précédentes. Ainsi, le port de Kotor est
un client durant tout le siècle. Les régions insulaires (Rab, Vis, Hvar et Pag), toutes des zones où ce
genre d'animal fait défaut, représentent une autre constante. Split dessert également en continu les
autres villes de la Dalmatie, sans que nous ayons toujours le détail des villes concernées, si ce n'est
Kotor, Korčula et Šibenik – ville qui est elle-même exportatrice, du moins au XVe siècle. Le réseau
d'exportation est plus diversifié durant la première moitié du siècle, des fourrures étant transportées
jusqu’à Vlorë et Zante. Les villes du Littoral croate sont surtout intéressées durant la première
moitié du siècle, excepté Rijeka, qui en importe encore en 1583. Durant la seconde moitié du siècle,
le marché s’oriente nettement plus à l'ouest vers les villes d'Italie (sottovento). Venise ne domine
pas le marché d'importation. Elle est supplantée par la Pouille et les villes des Marches
anconitaines, clientes permanentes de ce genre de produits. La ville de Senj a une position un peu
controversée. Située en bordure d'une région montagneuse et boisée où les renards sont susceptibles
de vivre, c'est pourtant une ville importatrice. Or en 1529, l'un des marchands compte rapporter
quatre balette de ces peaux précisément de Senj. Il est possible que la production locale ne suffise
pas à fournir la noblesse croate du lieu, mais en cas d'excédents la ville peut exporter ses fourrures.
Le trafic des peaux de sauvagine peut ainsi se résumer en deux périodes et en deux
orientations du marché. Durant les premières deux décennies du XVIe siècle, la majorité des
fourrures de tout type est exportée vers les ports du Littoral croate qui servent de lieux de transit
pour réexpédier ensuite ces fourrures vers l’intérieur du Royaume de Hongrie-Croatie. A partir de la
seconde moitié du siècle, seules les fourrures de lynx et de loup sont exportées vers des destinations
plus diversifiées, au sein desquelles le marché d’importation italien (Marches, Pouille et plus
généralement sottovento) domine.

207
Ibid., 127, 192, 197.

430
- Les peaux à cuir
Le cuir est très présent dans la vie urbaine des communes, notamment pour la confection de
chausses, les cordonniers étant parmi les plus nombreux artisans : à Split, ils sont 41, juste derrière
les tanneurs (55), soit à eux deux, ils représentent 37,6% des artisans de la ville entre 1443 et 1449.
A Šibenik, également, les tanneurs et les cordonniers constituent ensembles 36,6% des corps de
métier entre 1437 et 1515208. A Zadar, au XVIe siècle, enfin, ils sont à eux seuls les plus
nombreux209. Les peaux de porc (pelle de porcho), notamment, sont réservées à l’industrie du cuir et
à la confection de chausses. Ainsi, au sein de la communauté pastorale rattachée à une compagnie
d’entrepreneurs zadarois implantée sur l’île de Kornat, ces cuirs sont fréquemment l’objet de
transaction : entre 1457 et 1462, le prix d’une pièce de cuir porcin varie entre 3 livres 10 sous et 7
livres210 et une paire de sandales en cuir de porc vaut 8 sous211. En revanche, pour ce qui est de son
exportation, les données sont très maigres : à partir de Split, huit peaux sont transportées en 1515 en
direction de Bakar sur le Littoral croate et des îles (Hvar et Rab, puis une peau en direction de
Korčula). Il s’agit donc essentiellement d’une consommation locale. En dehors de cette exception
ou du cas d’autres formes non identifiées212, le cuir issu du traitement de la peau des bovins et des
caprins est inclus dans un trafic d’échanges commerciaux.
Dans nos sources, deux types de cuir existent, le cuir commun et un cuir plus luxueux, le
cordouan.
• Chorium, coria, coriamina : Ce terme d’origine latine désigne la peau destinée au cuir. Il
existe deux qualités : le cuir de boeuf et le cuir de génisse. Il est généralement non traité (crudi),
quoique dans les contrelettres de Šibenik se trouve aussi les syntaxes coria cruda et aptata, ou
encore conzia, soit du cuir cru, apprêté, ou encore en bon état.
• Cordo(v)ani : C’est un type de cuir, plus précisément du cuir de Cordoue, d’où son appellation
cordouan. Il s’agit d’un cuir de bouc ou de chèvre tanné (imprégné d’écorce de chêne pulvérisée),
ce qui le distingue du cuir marocain passé à la chaux, selon une technique transmise en Espagne par
les Arabes213. Il est notamment employé à la fabrication de souliers et de bottes214.
Dans le cas de Šibenik au XVe siècle, le Littoral croate est le fournisseur exclusif en cuirs de
bœuf. Il n’est pas possible d’estimer le volume des peaux importées dans cette commune, la
majorité des transports concernant leur envoi « en vrac », par sacs, par centenarii et autres, et rares
208
J. Kolanović, Šibenik u kasnome, 255.
209
Ils sont au nombre de 29 artisans, avec 140 membres de leur famille; Zadar pod mletačkom upravom, 255.
210
DAZd, Spisi obitelji Matafar, f° 33a, 34a, 38a, 39, 41a, 42, 42a, 49a.
211
Ibid., f°56’.
212
Parmi les marchandises posant un problème d’identification, on trouve 18 peaux d’agudine conze exportées vers la
Pouille en 1503, ainsi que des peaux de temenenza importées de Bakar pour une valeur totale de 150 ducats.
213
Les métiers du cuir, dir. J. C. Dupont, J. Mathieu, Université de Laval, 1981, note 13, 212.
214
Cependant, dans le cas de la confection des chausses, il est indiquée qu’il s’agit d’une peau de chèvre corroyée, mais
non tannée; Elisabeth Lalou, « Les cordonniers metteurs en scène des mystères de saint Crépin et saint Crépinien »,
Bibliothèque de l’Ecole des chartes 1985, 91-115 (93).

431
sont les données quantifiées de ces cuirs crus ou apprêtés. En revanche, sur les 27 déclarations
d’intention d’importation, douze concernent Senj et Bakar, notamment en période de foires (Saint-
Georges pour Senj et Sainte Marguerite pour Bakar), dix la ville de Rijeka et cinq de ces trois
centres en même temps. Aucun cuir n’est par ailleurs redistribué hors de Šibenik.
A Split, comme pour Šibenik, les deux villes du Littoral croate, Senj et Bakar, apparaissent
comme les principaux fournisseurs en cuir commun dans les années 1503-1504. En effet, dans le
registre de ces années, l'intention d'importer du cuir, travaillé ou non, est mentionnée à quatre
reprises, en provenance de Senj, de Bakar et de Rijeka –cette dernière en particulier ayant une
longue tradition comme port de transit pour les cuirs venant de la Croatie médiévale et de la
Hongrie durant les XVe et XVIe siècles215. Une partie est peut-être importée toute préparée et l'autre
est tannée sur place par l'artisanat local. Quoiqu’il en soit Split connaît au contraire un réseau de
redistribution (graphique XX).

6000

5000

4000

Cordouan
Pièces

3000
Cuir

2000
107 balles
1000
5 balles
2 balles
0
1503-1504 1511 1515-1517 1528-1530 1558-1560 1581-1583
Années des registres douaniers

Graphique XX : Evolution des exportations des cuirs et cordouans à partir de Split au XVIe siècle216

Les cuirs communs sont transportés par balles et par pièces. Dans le premier cas de figure,
les quantités augmentent considérablement entre 1515-1530 (quatre à cinq balles) et 1558-1560
(107 balles), période à laquelle le trafic en balles s’interrompt. Lorsque le comptage est fait par
pièces, le commerce du cuir s’étend alors sur l’ensemble du XVIe siècle, la seconde moitié
représentant 70% du marché. Les principaux centres importateurs sont les villes italiennes sur toute
la côte orientale du pays; ces villes prennent plus de 42% de la part du marché du cuir, dont
notamment Lanciano à l’occasion de sa foire. Les tendances de ce commerce sont similaires à celui

215
Ferdo Gestrin, Trgovina slovenskega zaledja s primorskim mesti od 13. do konca 16. stoljeća, Ljubljana 1965, 174.
216
DAZd, Sp. Ar., Contrelettres.

432
des fourrures, pour lesquelles la côte italienne représente également le client principal après la
seconde moitié du XVIe siècle. Après le déclin des foires du Littoral croate, la relève, pour le cuir,
semble être prise par les marchés du territoire ottoman : en 1558, trente balles de cuir sont originaire
de Makarska et réexportées vers la Pouille.
Le marché du cordouan est également présent durant tout le XVIe siècle. La première année
(1503), il est qualifié de turcheschi, avec parfois la précision que ce cuir provient du mouton mais
aussi de la génisse. Les peaux sont emballées aussi bien dans des mazzi, des balles que dans un
ligazeto ou peuvent être exportées par pièce. A Zadar en 1519, une pièce de cordouan vaut 1 livre 5
sous217. Le volume des exportations augmente dans les années 1515-1517 (plus de 5.000 pièces) et
1581-1582 (près de 3.000 cordouans). Cet article étant d’origine orientale, son trafic est donc
tributaire des périodes d’accalmie avec la frontière ottomane. De fait, les reprises sont lentes à se
manifester : plus de dix ans après la guerre de 1499-1502 et plus de quarante ans après la guerre de
1573-1540. Les destinataires sont en majorité les centres occidentaux. En 1503, la ville de Kotor
absorbe 44% de la production splitoise, la Dalmatie 30% et la Pouille 26%. Dans les années 1510,
les villes du Littoral croate, Bakar et Senj, représentent 26% du marché, suivies de la ville de
Lanciano (17% avec 942 cuirs exportés la seule année 1517) et la Pouille (12%). La Romagne est
représentée par la ville de Ravenna en 1529 uniquement, tandis que les Marches importent à travers
Lanciano, à nouveau, jusqu'à 314 peaux en 1559. Le reste du marché est occupé par Venise à partir
de 1529 jusqu'à 1581 (25%) et par sottovento dans les années 1580 (soit 75%). Ce cuir fait donc
l'objet d'un trafic orienté est-ouest, alimenté par l'arrière-pays dalmate et dirigé vers les ports
adriatiques.
- Résumé de l’exportation des peaux
La désignation de pelles est en soi assez vague et une bonne part des peaux déclarées dans
les contrelettres ne comporte pas d’autre qualificatif (couleur, origine, voire provenance), ce qui
désignerait une fourrure d’agneau218. Ce récapitulatif permet ainsi d’incorporer l’ensemble des
« peaux » (à laine, à cuir ou à fourrure) pour avoir une image plus globale puisqu’elles impliquent
une participation de l’artisanat local et alimentent une bonne part du commerce splitois par rapport
aux autres marchandises exportées.
Selon l’unité de compte employée (la balle ou la pièce), le volume des peaux transportées
varie davantage. Dans le compte par pièces, les plus fortes exportations ont lieu dans les années
1515-1517; dans le compte par balles, le sommet des transports de peaux est atteint dans les années
1557-1560. Aussi, les approvisionnements en peaux vers les marchés extérieurs sont constants tout
au long du XVIe siècle; principalement durant les périodes les plus éloignées des guerres. Les

217
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. II, F. II, f°36.
218
R. Delort, Le commerce des fourrures, 82.

433
années complètes (1511, 1517, 1558 et 1582), près de 2.000 peaux, d’origines animales variées,
sont exportées en moyenne par an. Or, à la fin du XVe siècle (1481-1484) 20.748 peaux étaient
exportées, soit une moyenne de 5.187 peaux, à laquelle s’ajoute l’exportation totale de 145 balles219.
Ces résultats démontrent une nette régression du trafic des peaux au XVIe siècle, période qui
accuserait donc, malgré tout, le coup des événements politiques.
Quant aux marchés destinataires, le volume change en fonction des périodes et des peaux
(graphique XXI) En 1503-1504, le Littoral croate est à 82% importateur de peaux domestiques et la
Dalmatie est le principal importateur de cuir (65%). En 1511, les peaux de sauvagines sont surtout
exportées vers des destinations indéterminées, ou plus exactement, lorsque plusieurs centres
importateurs d’orientations diverses sont déclarés dans le registre (74%), tandis que le Littoral
croate importe la majorité des peaux domestiques (73,5%) et des cuirs (100%). En 1515-1517, le
Littoral croate domine le marché d’importation : 83% des importations de peaux domestiques
(26.750 pièces), 93% de celles de peaux de sauvagines (716 pièces) et 31,5% des cuirs (1.102
pièces), en partage avec l’Italie (31% - 1.097 pièces). Passée cette période, le marché s’oriente
progressivement vers l’ouest. En 1528-1530, la Dalmatie est la principale importatrice de peaux
domestiques (41%), mais Venise importe surtout des cuirs (87% - 1.185 pièces), tandis que sur les
6.025 fourrures transportées hors de Split, 5.920 sont déclarées pour des destinations indéterminées.
Cette tendance s’accentue pour les peaux de sauvagines en 1557-1560 et 1581-1593 : 90% et 100%
des fourrures ont des destinations non précisées. En revanche, l’Italie importe à elle seule 87% des
peaux domestiques en 1557-1560 (3.089 pièces) et 40% des cuirs (671 pièces) pour cette même
période, suivie de près par sottovento (38,5% - 651), destination qui s’affirme en 1581-1583,
lorsque cette zone importe 62% des peaux domestiques (7.856 pièces) et 64% des cuirs (1.782).
Ainsi, avec la disparition des communes du Littoral croate, le marché des peaux rebondit à la fin du
XVIe siècle sur les ports italiens de la côte occidentale de l’Adriatiques.
Ainsi, aux XIVe et XVe siècles, la Dalmatie fait partie des principaux producteurs de
« peaux à fourrure » dans la catégorie des « pays mixtes », englobant l’Europe du Nord-Ouest et la
Méditerranée. Alors que dans les autres régions telles que la Pouille et la Calabre (on ne dispose pas
d’information pour la Romanie), la forêt garnit plus ou moins densément des zones non cultivées et
que le gibier se raréfie, la Dalmatie (y compris Dubrovnik) continue à fournir des peaux de
sauvagine et des peaux domestiques220. Mais tandis que la part de la sauvagine prévaut dans la
première moitié du XVe siècle sur les peaux domestiques, cette tendance s’inverse nettement un
siècle plus tard (graphiques XXI et XXII). Ici aussi se sont fait sentir les effets de la chasse,
d’autant plus significatifs qu’on ne trouve nulle trace d’une exportation du vair (espèce d’écureuil),

219
T. Raukar, « Komunalna društva », (70).
220
R. Delort, Le commerce des fourrures, 243, 247.

434
pourtant réputé en Dalmatie les siècles précédents. La mode vestimentaire peut toutefois avoir joué
un rôle. Le menu vair est principalement utilisé au XIVe siècle, soit, à deux siècles auparavant. Déjà
au milieu du XVe siècle suivant, les vêtements en agneaux méditerranéens prédominent. Ce
changement de marché est vrai dans le cas de Split, puisque les agnelins sont les principaux
produits d’exportation (64% de l’ensemble de la production jusqu’en 1528-1530), lorsque le
volume des exportations s’effondre.

Graphique XXI : Les centres importateurs de peaux à partir de Split au XVIe siècle221

30000

25000
1503-1504

20000 1511

1515-1517
Pièces

15000 1528-1530

1557-1560
10000 1581-1583

5000

0
Istrie Littoral croate Dalmatie Venise Italie sottovento terre aliene indéterminé
Destinations

Dans le domaine de la mode vestimentaire, cela correspond à l’emploi de la pelleterie


domestique pour fourrer l’intérieur des vêtements d’agneau, alors que la sauvagine s’affiche à
l’extérieur, en parure. Le triomphe de l’agneau date des années 1470-1480. Or pour ce qui est de la
région dalmate, il se poursuit toujours. A la fin du XVe siècle et au début de la Renaissance, les
agneaux représentent toujours des 2/3 aux ¾ de la matière première nécessaire pour fourrer un
vêtement. Ils sont progressivement supplantés par les espèces précieuses dont la valeur monétaire
dépasse d’ailleurs largement la leur222.
La relève est prise vers la fin des années 1520 par les fourrures de renard, suivies des peaux
de caprins. Cette domination s'étend jusqu'aux années 1557-60, lorsque la production des volpe
représente 40% du total et celle des bechine 23%. Ces deux catégories de peaux se maintiennent à la
fin du siècle mais sont supplantées par les boldroni, et surtout par les peaux de génisse. D'une
manière générale, la diversité des espèces régresse fortement. Tandis qu’au début du siècle nous
dénombrons jusqu'à quinze types de peaux (de 1511 à 1517), dans la seconde moitié il en reste
seulement huit (avec des variations sur certaines espèces : présence de bovine et de ludre dans les

221
DAZd, Sp. Ar., Contrelettres.
222
Ibid., 432, 442-446.

435
années 50, remplacement par des agneline et des boldroni dans les années 80). L'appauvrissement
de la pelleterie touche ainsi près de 50% des espèces dénombrées – mais pour quel secteur ?
La pelleterie domestique est toujours en tête des exportations, tandis que les deux autres
catégories connaissent de fortes fluctuations, allant du simple au double pour le cuir, et en déclin
pour les fourrures de sauvagine (graphique XXII). Parmi la sauvagine après les années 1550, les
peaux de lapins, de chat sauvage et de martre disparaissent du marché ainsi que, partiellement, les
peaux de loup. Dans les 1580, il ne reste plus que la fourrure de renard, dont le volume des
transports se redresse avec 3.702 pièces exportées. Les espèces domestiques sont plus constantes,
mais disparaissent néanmoins le betane, les tosoni, les peaux de boucs et les schenali.

40000
82% en 1503-1504
35000
73,5% en 1511
30000
83% en 1515-1517
Nombre de peaux

25000
Peaux domestiques
20000 Peaux de sauvagine

15000 Cuir
33% en 1528-1530
62% en 1581-1583
10000
41% en 1528-1530 87% en 1557-1560
5000

0
Dalmatie Littoral Venise Italie sottovento terre aliene Indéterminé
croate
Centres importateurs

Graphique XXII : Répartition entre les « peaux » exportées d’après les contrelettres splitoises223

Au contraire, les boldroni n'apparaissent que de manière épisodique à partir des années 1520, puis à
nouveau dans les années 1580. Le marché du cuir se maintient à peu près, si ce n'est une régression
dans les années 1520 et celle des années 1550, qui touche toutefois l'ensemble des « peaux ».
Les productions venant de la région proche de Split semblent de plus en plus remplacées par
les productions plus orientales, telles les boldroni et les cordouans. La production domestique
reprend cependant son cours en 1581-83 avec l'emploi de caprins et de génisses. Le renard
représente la totalité du fruit de la chasse à cette même période, soit que la chasse ait éliminé les
autres espèces, soit que la mode ait complètement changé.
Nous ignorons toutefois le volume monétaire que représente ce marché. Le commerce des
peaux comporte de nombreux frais : le port, les frais de manipulations (allant de l'emballage à
l'embarquement sur le navire), le fret, l'assurance, les prélèvements fiscaux. Lorsque les peaux sont
exportées par voie de mer, Venise prélève dans sa taxation 3,5% de la valeur de la marchandise per

223
Ibid.

436
dazio et boleta, du moins au XIVe siècle. Cette mesure touche surtout les peaux précieuses. En
Méditerranée, la fiscalité sur le trafic maritime ne se fait sentir qu'aux entrées et sorties du port et se
trouve donc être beaucoup moins lourde que pour l'usage des routes terrestres224. Cette donnée
pourrait expliquer en partie la persistance d'une exportation dalmate, indépendamment de la
concurrence des peaux de la Romanie ou des régions plus au nord-est. La proximité par rapport au
marché vénitien et l'emploi privilégié de la voie de mer favorisent la pérennité du trafic des peaux
dalmates.
Les peaux domestiques lourdes sont meilleur marché que celles de la sauvagine considérées
comme plus précieuses. Leur prix connaît cependant de fortes variations. Les peaux précieuses sont
transportées dans des bateaux armés dans le bassin adriatique sous contrôle vénitien, et aucune
assurance n’est payée. Le marché des peaux de Split ne touche pas forcément Venise et les
quantités transportées peuvent se révéler trop modestes pour nécessiter un armement. Au moment
du transport, il est fort probable que des peaux aient subi quelques détériorations; aussi, au moment
de la vente, un certain pourcentage de peaux est donné en sus à l'acquéreur représentant la part des
« tares » prévues (à savoir les peaux défectueuses mais tout de même utilisables). Ainsi sur cent
peaux d'agnelet déclarées, l'acheteur en acquiert 115 au prix convenu pour la centaine. La qualité
d'une telle centaine varie avec les espèces. La valeur de cette tare est par ailleurs fonction inverse de
la qualité des peaux : la tare prend de grandes proportions dans les peaux de lapin et se révèle
presque inexistante pour les peaux de martre. Elle est tarifée de 4 à 20% pour les peaux d'agneau, de
6 à 22% pour les lapins et peut ne pas être prise en compte pour les hermines, martres225. En fait, les
quantités transportées par les marchands atteignent rarement à Split un multiple de cent. Tout porte
à croire qu'il s'agit donc surtout d'un trafic local et non du grand commerce, de sorte que nombre de
facteurs ne sont pas pris en compte (tels que l'assurance, la tare). D’où un coût vraisemblablement
moindre des marchandises splitoises et un marché plus confidentiel qui touche les partenaires de
longue date à l'ouest comme à l'est.
Pour vouloir traiter de l’insertion du marché splitois dans le grand commerce, nous pouvons
reprendre la répartition schématique des différents centres proposée par Delort. Selon l’auteur, il
existerait trois types de centres : ceux de transit, fréquentés par les seuls marchands, ceux de
redistribution regroupant les pelletiers, et enfin les grands centres d’échange comportant à la fois
marchands (dans le rôle du vendeur) et les pelletiers (l’acquéreur)226. Dans le cadre d’un simple
transit, les marchandises restent aux mains d’un seul transporteur pour n’être vendues qu’une fois à
destination. En observant d’un point de vue global le grand commerce, les routes du trafic des

224
Ibid., 1171.
225
Ibid., 1175, 1181-1182.
226
Ibid., 1002.

437
fourrures en Méditerranée sont les plus importantes (au même titre que l’Europe profonde et la
Baltique - mer du Nord). C’est bien dans cet espace que s’insère la commune de Split.
Mais, les seuls noeuds de communication retenus dans le tracé est-ouest sont Péra,
Constantinople, Modon, Candie, Dubrovnik (en tant que point de jonction des itinéraires maritimes
et terrestres) et Venise. Ce sont les principales escales du cabotage organisé le long des côtes
grecques, dalmates, italiennes, voire plus loin, en Provence et en Catalogne. Tous ces centres
d’échange bénéficient des deux courants de transit avec arrivages de fourrures de Russie du Sud,
d’agnelets de Romanie, de peaux des Balkans, et inversement de fourrures montées à Venise, et
d’autres peaux d’Occident. C’est pourquoi à première vue, la Romanie apparaît comme le
concurrent direct des villes dalmates et se situe à un échelon supérieur au sein de la hiérarchie des
zones exportatrices. Les villes de la côte dalmate ne figurent qu’au titre de port de transit autour de
Dubrovnik : dans l’énumération de ces centres figurent Kotor, Ulcinj, Lokrum, Zadar, Bar, Trogir,
Hvar et Korčula. Font pendant à ces villes, sur l’autre rive de l’Adriatique, les Marches, Bari,
Brindisi, Trani et la Pouille; les voyages rapides ne prévoient que des haltes à Kotor, à Dubrovnik et
à Zadar. Ces ports peuvent recevoir et redistribuer de l’intérieur des terres des quantités de peaux
issues du grand commerce et servent à ce titre de points de rupture de charge227.
Dans cette analyse géoéconomique qui concerne les XIVe et XVe siècles, la commune de
Split est complètement ignorée. Pourtant, au XVIe siècle, la ville peut apparaître comme un grand
centre d’échanges (la troisième catégorie énoncée plus haut) de l’Adriatique. Elle reçoit en amont
des peaux brutes - lorsqu’elles sont fournies par les chasseurs et éleveurs de l’arrière-pays – mais
aussi des peaux traitées et en partie ou totalement ouvrées d’origine plus orientale – apportées par
voie de terre (Bosnie) et/ou de mer (Neretva, Makarska) par des marchands. Sur place, ces peaux
sont identifiées, taxées. Une partie est recomposée en nouveaux ballots une fois la vente locale
terminée pour être exportée. Certains produits ne changent pas de mains, mais n’ont fait qu’un
séjour de transit en ville. Néanmoins un pourcentage important passe par les ateliers de
transformation artisanale si l’on tient compte de la fréquence de l’emploi des termes conze et tenti,
témoignant d’un soin spécifique apporté à ces marchandises. Puis, la redistribution se fait, semble t-
il, vers une clientèle fidélisée.
La République de Venise est plutôt faiblement représentée dans ce commerce. La première
moitié du siècle est dominée par le commerce des foires du Littoral croate et la seconde par les
communes de la Pouille et par les foires de Lanciano. Kotor et certaines communes de la Romanie,
pourtant considérées comme phares du commerce, se trouvent ici être également importateurs. Tous
ces facteurs font penser que Split est, ou est devenue, un centre de transit très actif, voire même de

227
Ibid., 1003-1004, 1011-1012.

438
redistribution de ses propres productions primaires désormais apprêtées. En revanche, les traces
d’une présence de peaux occidentales sur le marché splitois sont beaucoup plus faibles.
Pour ce qui est de l’acheminement des peaux par les voies terrestres, Split dépend, comme la
majorité des ports, des routes de l’arrière-pays228. Or la conquête ottomane du XVe siècle favorise en
temps de paix la pénétration vers l’Europe profonde, ce qui se traduit par la diversité des peaux
présentes à Split et la pérennité des cordouans et des agnelets. La commune approvisionne Senj et
Bakar durant leurs foires, pour vraisemblablement alimenter un commerce terrestre vers l’Europe
centrale. La conquête ottomane va de pair avec la fin d’une période florissante du commerce du
Littoral croate après la chute de Klis en 1537. Split se trouve donc bien être un noeud de
communication des peaux – toutes catégories confondues – dans la direction est-ouest, fournissant
aussi bien les centres réputés du cabotage à l’est (tels que Dubrovnik, Kotor, Modon, etc. ...), que
les villes elles-mêmes de traitement et de redistribution de la côte italienne orientale, ainsi que les
centres de transit vers l’intérieur des terres de l’Europe occidentale.
A partir du prix moyen de la pièce d’agnelin trouvé dans les sources de Zadar, il est tentant
de l’appliquer au trafic splitois des peaux pour considérer le volume financier que représentent les
échanges de peaux entre Split et ses partenaires commerciaux (tableau XLII).

Tableau XLII : Volume financier de la vente des peaux d'agneaux


exportées de Split sur la base des prix de Zadar au XVIe siècle
Années Quantité Prix global
1511-1517 31.835 1.283,67 dc
1528-1530 1.200 48,38 dc
1581 500 20,16 dc

Le revenu de la Chambre de Split sur le trentième du commerce des agnelins, pour les seules
années 1511-1517, représente environ 42 ducats annuels (1511, 1515-1517). Or, il ne s'agit que du
type de peau le plus commun. Si l'on ajoutait les valeurs concernant les peaux et fourrures plus
précieuses, les chiffres seraient beaucoup plus importants pour la seule branche de la peausserie.

b) Le fromage
Les communes dalmates ont une importante production fromagère sur leurs territoires
agricoles et dans les zones insulaires. A Zadar, par exemple, dans l’entreprise d’élevage de la
compagnie de Donat Matafarić durant la seconde moitié du XVe siècle, la production de fromages
de brebis tient une bonne part : en 1460, 65% des recettes totales proviennent de cette activité.
Même s’il existe beaucoup de variables229, grâce au détail des comptes de la compagnie pour deux

228
C’est valable aussi Venise et Genova, reliées par voie terrestre à l’Allemagne du sud et à la Flandre; ibid., 1022.
229
Dont la lactation des brebis et des chèvres ou la taille du produit final, de confection artisanale, de sorte que selon les
circonstances, le poids des meules varie de 5,9 à 12 kg (f° 81’), de même que les prix (20 à 30 sous pour des fromages
de 5 à 7 kg, voire 50 sous pour une meule de 12 kg; DAZd, Spisi obitelji Matafar, f° 69, 69’, 70’ et 71.

439
années, il est possible d’avoir une idée de la production fromagère sur l’île de Kornat : en 1458, la
compagnie produit près de 6, 1 tonnes de fromages d’une valeur de 166,5 ducats et en 1466, près de
7,2 tonnes estimées à 195 ducats230. Outre cette production insulaire, Zadar fait importer du fromage
de son territoire agricole. Le marchand zadarois se rend rarement au-delà de la crête de Velebit et ce
sont plutôt les villageois et les éleveurs valaques de l'arrière-pays qui viennent approvisionner le
marché communal en vendant leurs productions231. Ainsi, en 1414, trois Valaques du katun de Višić
vendent à l'un des marchands les plus actifs de cette période, Grgur Mrganić, 80 decalatros (soit
381,6 kg) de fromage232.
Les courants d’exportations sont diversifiés. Dans le cas de la compagnie Matafarić, la
destinée de cette production insulaire est multiple : une partie est envoyée jusqu’à la commune de
Zadar et mise dans l’entrepôt du bailleur principal pour pourvoir au marché local. Une autre partie
est gardée afin de saler les fromages pour une meilleure conservation et une consommation différée.
Enfin, la troisième et majeure partie (40%) est exportée à Venise : en 1466, 2.939 kg de fromages y
sont envoyés, avec des transports réalisés à deux reprises, en mars puis en avril233. Parfois, le
fromage apparaît comme un produit local destiné à la consommation urbaine tout en étant utile en
tant que monnaie d’échange de matières premières avec le Littoral croate. Ainsi, en 1415, deux
associés zadarois prévoient d’acheter, avec un budget initial de 6 livres, des figues et du fromage à
Zadar, puis de se rendre à Nin pour y acheter du vin. Ils comptent vendre ces marchandises au port
de Rijeka pour y acheter du bois. Le chargement en bois n’étant pas suffisant, ils vont compléter
leur cargaison à Senj pour rentrer ensuite à Zadar234. Il existe encore d’autres marchés : le fromage
est parmi les articles exportés de la ville en direction de l’Italie (Pouille, Marches, Abruzze et
Romagne), en échange de produits déficitaires comme le blé, les toiles, les épices et autres235. En
1412, par exemple, deux membres du patriciat zadarois, Krševan de Zadulinis et Mihovil de Soppe,
vendent à un marchand de Grado quinze milliers de fromages (≈ 7,1 t.) fabriqués sur l'archipel de
Kornati236. Dans les années 1562-1563, Ancona importe du fromage salé et frais en provenance de
Zadar : plus de 1.162 kg d’avril à juillet 1562, puis 663 kg, 38 meules et 8,5 mier rien que pour
avril-mai 1563. Dans l’un des envois, le transporteur vient de Molat, ce qui pourrait servir d’indice
quant à la provenance du fromage237. Le volume des exportations de fromages est mieux documenté
à Šibenik et à Split (tableau XLIII).

230
Ibid., f° 44, 45 et 80.
231
T. Raukar, Zadar u XV. st., 256-257.
232
Zadar pod mletačkom upravom, note 51, 93.
233
DAZd, Spisi obitelji Matafar, f° 80’-81.
234
A. Krekich, « La Curia consulum », doc. n° 11, le 10.III.1415, (167-169).
235
T. Raukar, Zadar u XV. st., 252-254.
236
Zadar pod mletačkom upravom, note 51, 93.
237
ASAN, ACAN n° 1573, Quarto 1562, f° 46’, 48’, 92, 98, 116; n° 1574, Quarto 1563, f° 13’, 18’, 30, 32, 38’.

440
A Šibenik, pour la seule année complète, 1442, les 241,5 tonnes de fromages représentent
près de 49.588 pièces exportées à partir de la cité, soit une moyenne de 4.508 fromages par mois
(sans le mois de décembre, durant lequel aucun fromage n’est exporté). La plus forte saison est au
printemps (en mai et en juin) avec plus de vingt départs de bateaux durant ces mois-ci. La part de
Venise varie entre 53,3% et 40,8% dans les années 1441-1443, tandis que celle des Marches
augmente, passant de 32,4% en 1441 à 48% en 1443238. A Split les exportations sont nettement
inférieures : en dix-sept mois (1475-76), 3.010 pièces de fromages (soit près de 15 tonnes)239 sont
exportées et ce, semble-t-il, exclusivement vers Venise, de même que dans les années 1480, la
moyenne avoisine les vingt tonnes240.

Tableau XLIII : Volume des fromages exportés à partir de Šibenik et de Split au XVe siècle241
Šibenik Split
Année 1441 1442 1443 1475 1476 1481 1482 1483 1484
(VI-XII) (I-X) (VI-XII) (I-XII) (I-XII) (I-VI)
(mois) (IX-XII) (I-XII) (I-VIII)
Volume 28,3 t 241,6 t 131,8 t 0,603 t 4,1 t 25 t 21 t 18,7 t 12 t

Un siècle plus tard, la situation se redresse et cet article fait l'objet d'un trafic plus intense. Il
pose cependant un problème de métrologie puisqu’à Split sont employés des unités de poids, le mier
(miaro) et la livre, une unité de compte, le sac (sacho) et plusieurs types de contenants (outre/udro,
ligazo, tonneau/barilo). Certaines de ces unités apparaissent assez rarement et n'ont pas d'équivalent
connu en pièces ou en poids que l'on puisse inclure dans un tableau récapitulatif, hormis une
indication à Trogir de 1567 selon laquelle un ligazo équivaut à 80 livres242. En outre, dans les
contrelettres de cette ville (1566-1569 et 1575-1577), le système de comptage est plus simple : on
trouve des déclarations à la pièce, au poids (la livre) et plus rarement d’autres unités de compte
(ligazo, miaro, voire une fois udreto et caureto). De même à Šibenik (1441-1443) les déclarations
se font en milliers et en livres, avec des équivalents par pièce. Mais, là encore, la masse du fromage
peut varier entre 2,3 et 19 livres243. Or, d’une commune à l’autre, une même mesure n’a pas le
même équivalent : un decalatro de fromage représente 4,7 kg à Zadar244, mais autour de 3 kg à
Šibenik245, de sorte qu’une meule de fromage de la première moitié du XVe siècle à Šibenik aurait
un poids de 14 kg.

238
J. Kolanović, « Il commercio tra Marche e Dalmazia », (298).
239
G. Novak, « Quaternus izvoza », (101).
240
T. Raukar, « Komunalna društva ».
241
Tiré d’Instrumenta cancellariae, 67-106, 152-178 et du tableau de T. Raukar, « Komunalna društva », 43-118.
242
« 400 lire formazzo de tramessi in 5 ligazi »; DAZd, O.T., Bulletae primus, B. IX, F. 12, f° 1029.
243
« casei (…) libras DCCCC in peciis 3402 »; 81; « casei libras 750 in peciis 40 », 167; Instrumenta cancellariae.
244
T. Raukar, Zadar u XV. st., 298.
245
J. Kolanović, Šibenik u kasnome, 307.

441
A Split, au XVIe siècle, des équivalences sont parfois données
mais, d'une année sur l'autre, ou au sein de la même année, elles
varient (voir annexe). Néanmoins, afin de faciliter et rationaliser
l’estimation du volume de fromages exportés, les moyennes de 5
kg la pièce de fromage à Split et de 6 kg la meule de fromage à
Trogir246 sont retenues comme base de calcul, de même qu’un
mier splitois équivaut à 477 kg. Il est à noter au passage que la
taille des fromages exportés pourrait être nettement inférieure à
celle des fromages vendus dans le marché urbain, puisqu’à
Šibenik la meule pèserait 14 kg et à Zadar jusqu’à 19 kg247.
Un second inconvénient est de moindre importance. Dans certaines déclarations douanières,
l’entrepreneur avance plusieurs points d’ancrage dans son parcours, qui rend plus difficile une
répartition stricte des quantités distribuées par site.
Les quelques valeurs demeurées sans équivalences en poids actuels (tableau XLIV) rendent
compte néanmoins du fait que le marché du fromage couvre l’ensemble des centres adriatiques
situés à l’ouest de la Dalmatie, depuis les ports croates jusqu’à la Pouille.

Tableau XLIV : Transports de fromage et leurs destinations suivant les unités non converties248
Année Quantité Contenant, Directions
Unité de compte
1503 2 sacs Marches
20 caureti Bakar, Krk, Senj
1515-17 29 ligazi Bakar, Bakarac, Hvar, Piran, Rijeka, Venise
1 ligazeto Venise
1 sac Bakar (foire)
3 outres Piran
5 mitira Muggia
1528-30 3 sacs Venise
2 ligazi Venise
3 outres Krk, Venise
2 udreti Venise
1 tonneau Pouille
1581 1 outre non mis

Les registres nous révèlent quelques lieux d'origine des fromages : l'arrière-pays de Split, et
plus largement, le territoire ottoman à la frontière. Le cheptel propre de la ville est trop restreint
pour alimenter l'exportation. En 1503, des fromages proviennent des régions de la Neretva et de la
Krajina, d’autres sont mentionnés en 1516 comme étant murlacho, à savoir valaques, de l'arrière-
pays montagneux en bordure de la côte. En 1558 enfin, une grande quantité de fromages exportée
246
En 1568 sont notées plusieurs équivalences. Le poids d’une meule varie entre 8,196 et 14,545 livres, soit entre 4 et
6,9 kg, la moyenne retenue – avec d’autres données – étant de 6 kg.
247
Selon un acte, la pièce de fromage originaire de Molat pèse 40 livres; DAZd, Conte Marc Antonio Contarini, B. I, F.
II, car. 118, f°74.
248
DAZd, Sp. Ar., Contrelettres.

442
en vrac (a refuso), sans quantités précises (douze fois a refuso en direction de la Dalmatie – dont
Zadar, l'Istrie, Venise et sottovento), provient du port ottoman de Makarska. En somme, durant la
première moitié du siècle, la voie terrestre est privilégiée, puis, à partir de 1558, sur la base des
données trouvées, l’approvisionnement de Split est complété par la voie de mer (Makarska).
Grâce aux conversions obtenues il est possible de suivre le cours global des exportations
splitoises de fromages durant le XVIe siècle (graphique XXIII – la rubrique « indéterminé »
concerne les destinations multiples avancées pour un même voyage et pour lesquelles il est
impossible de départager une quantité propre à un site).

Graphique XXIII : Orientation des transports de fromages à partir de Split et évolution chronologique249

160

140

120
1503
100 1511
Tonnes

1515-17
80
1528-30
60 1557-59
1581-82
40

20

0
Italie sottovento Venise Istrie Côte croate Dalmatie Albanie Indéterminé
Centres importateurs

Durant la période 1511-1517, une moyenne annuelle de 12.362 fromages est exportée. La
décennie suivante, la moyenne baisse à 9.417 fromages par an. Les années 1557-59 sont encore plus
médiocres avec une moyenne annuelle d'environ 3.005 fromages. Puis la situation se redresse
nettement en 1581-82, l’exportation surpasse celle des périodes précédentes avec une moyenne de
23.485 fromages par an.
En poids, l’évolution du marché est tout aussi perturbée (tableau XLV), notamment à Split,
pour laquelle nous disposons de six registres notariés contre deux pour Trogir.

Tableau XLV : Exportations de fromages à partir de Split et de Trogir au XVIe siècle250


Années 1503 1511 1515-17 1528-30 1557-59 1567-69 1575-77 1581-82
Volume 4t 41,2 t 206 t 141,3 t 45 t 283 t 175,2 t 234,8 t

249
DAZd, Sp. Ar., Contrelettres.
250
Ibid. et DAZd, O.T., Bulletae primus, B. IX, F. 12; Bulletarum primus, B. VIII, F. 3.

443
A Trogir, les principaux mouvements d’exportations se déroulent de mai à août, tout comme
à Šibenik, avec des variations à l’intérieur des registres : 59 tonnes en 1567, puis 110 et 114 tonnes
en 1568 et 1569. Une décennie plus tard, les quantités sont en baisse : 76,8 tonnes de fromages sont
exportées en 1575 et 64 tonnes en 1576, tandis que l’année 1577 s’interrompt en juillet (34,4 t.). Il
s’agit en partie d’un réseau de transit, puisqu’à plusieurs reprises l’origine des fromages est
désignée : trato di Turchia, avec notamment le port de Makarska en tant que centre distributeur,
comme dans le cas de Split. Ensuite, la répartition des destinataires est également diversifiée : en
1567, seule Venise importe des fromages, tandis qu’en 1568 sont désignés jusqu’à sept marchés
différents : la Pouille, Pesaro, Chioggia, les Marches, les luoghi stranieri, voire « comme il lui
plaira ». Néanmoins, 76% du courant d’exportation est absorbé par Venise, de même que l’année
suivante, où cette tendance se renforce, avec 93% des fromages envoyés vers la cité de Saint-Marc.
Cette année là, tous les centres importateurs sont italiens, surtout des communes : Meduno, dans le
Frioul, Ferrara et Ravenna, plus sottovento. En 1575-1577, la part de Venise se réduit
considérablement : en 1575, la cité absorbe 70% du marché d’importation. La Sérénissime disparaît
ensuite entièrement les deux années suivantes au profit de petits centres de son domaine en terre
ferme (per il dominio) : l’Istrie (dont Piran), la Vénétie (Chioggia, Caorle, Burano et Portogruaro),
le Frioul (dont Meduno), ou encore de Ferrara et surtout de destinataires plus éloignés et hors du
Stato del Mare de Venise (Per logi et stati alieni, Per tere aliene, Per doue gli piace et sottovento).
Pour ce qui est de Split, en deux siècles (tableau XLVI), le marché du fromage connaît une
nette progression.

Tableau XLVI : Exportations de fromages à partir de Split à la fin des XVe et XVI siècles251
Année 1481 1482 1483 1484 1581 1582 1583
(mois) (VI-XII) (I-XII) (I-XII) (I-VI) (I-XII) (I-XII) (I-V)
Volume 24,9 t 20,6 t 18,7 t 11,9 t 152,8 t 164,4 t 0, 97 t

Dans les années 1480, la moyenne avoisine les vingt tonnes, tandis qu’un siècle plus tard,
elle est huit fois supérieure (158,6 tonnes). La fin des années 1520 et les années 1550 représentent
un ralentissement logique dû aux dévastations turques dans les zones agricoles des communes. Car
dans la première moitié du XVIe siècle, les cités telles que Split et Trogir – dont le territoire
intérieur est restreint et dont la production des îles environnantes est de faible rendement – ont le
plus subi les actions de guerre, les épidémies de peste et la faim. Durant le premier quart du XVIe
siècle, la superficie de production de Split se réduit de manière significative; la chute
démographique, à la suite de la grande épidémie de peste dans les années 1526-1527, en est l’une
des causes252. La diminution de l'exportation des produits agricoles n’est pas ainsi nette dès le début
du siècle suivant, comme le suppose T. Raukar, puisque les données de l'année 1511 montrent bien
251
Tableau tiré de T. Raukar, « Komunalna društva » (70).
252
Ibid.

444
qu'il y a persistance du rendement quand la paix revient. Un retour à la normale se produit à la fin
du siècle.
En résumé, le commerce du fromage connaît une période de hausse au début et à la fin du
siècle avec un léger déclin dans les années 1550. La reprise de la fin de siècle témoignerait d'une
plus grande stabilisation de la situation politique ayant favorisé l'élevage local et amélioré le
commerce interrégional dans le sens des importations vers Split. Quelques données concernant la
période précédente permettent de suivre le cours du commerce du fromage splitois sur deux siècles.
A la fin du XVe siècle, en dix-sept mois (l'année 1475-76), 3.010 meules de fromage253 (soit près de
15 tonnes) sont exportées et ce, semble-t-il, exclusivement vers Venise. Ce chiffre est trois fois
inférieur à la moyenne annuelle globale pour le XVIe siècle, qui est supérieure à 10.000 pièces.
Mais ce constat reste à prendre avec beaucoup de précautions en raison des hasards de la recherche.
Durant le XVIe siècle, la ville de Split approvisionne exclusivement les ports situés à l’ouest de la
mer Adriatique.
D’un registre à l’autre, la clientèle varie beaucoup. En 1503, la Pouille est la seule
importatrice. La part de Venise, centre importateur jusqu’en 1559, s’amoindrit progressivement : en
1511, elle absorbe 96% du marché, en 1515-17 45%, en 1528-30 40% et enfin en 1557-59 47%. La
Dalmatie n’est une destination intéressante qu’en 1515-17, avec une part du marché de 14%. Split y
dessert principalement Zadar, Hvar et Šibenik. De même, le Littoral croate importe surtout du
fromage dans les années 1515-17 (13%). Les îles de Rab, Krk et Cres sont les principales clientes.
Leurs commandes se poursuivent en filigrane jusque dans les années 1557-59, à travers des voyages
à destinations multiples (dans la rubrique « indéterminé »). L’apparition de Bakar et de Rijeka est
encore plus furtive (1528-30 et 1557-59). Le rôle de l’Istrie, en revanche, augmente du simple au
quintuple. En 1515-17, l’Istrie, plus exactement la ville de Piran, représente plus de 6% du marché.
En 1557-59, la part de cette région atteint les 33,6%. A la fin du siècle, elle partage de moitié les
importations avec la côte orientale de l’Italie (sottovento), de même qu’elle est le principal port
d’importation de Trogir en Istrie.
Piran demeure la principale ville importatrice. Il serait intéressant de connaître l'évolution
économique de cette ville pour comprendre la raison de son trafic. Il est possible que ce port
redistribue les marchandises dalmates plus loin vers l'intérieur des terres. L’Italie pour sa part,
s’approvisionne régulièrement en fromage tout au long du siècle. La Pouille est le seul protagoniste
de ce trafic en 1503; en 1528-30, sa part est de 13%, auxquels s’adjoignent 23% pour le reste de
l’Italie. Que ce soit dans la catégorie « Italie » ou celle « indéterminé », Split dessert principalement
dix villes : Vasto, Caorle, Mazorbo (1515-17), Barletta, Firmo, Monopoli, Termoli et surtout
Ravenna, plus les Marches en général, Trani (1528-30) et Pesaro (1557-59). Ces centres
253
G. Novak, « Quaternus izvoza », (101).

445
poursuivent le courant des échanges à la fin du XVIe siècle, sous l’appellation générale de
sottovento, évinçant tous les autres marchés, l’Istrie exceptée.
Le cas du fromage est un exemple révélateur de l’importance jouée par la stabilisation
politique et les bons rapports frontaliers. Dépendante de la production des éleveurs valaques et de
ses partenaires dans les ports ottomans de l’Adriatique, Split accroît considérablement son
exportation à la fin du siècle. Elle approvisionne à la fois une région anéantie par les vagues
migratoires successives de Bosnie (l’Istrie) et les villes italiennes. En Istrie, le port de Piran joue le
rôle de re-distributeur, fournissant la région, et peut-être, plus au Nord, dans le continent. Les
centres croates disparaissent avec le danger uscoque et faute de monnaie d’échange (les matières
brutes). Cependant, les ports insulaires maintiennent des relations continues jusqu’à la fin des
années 1550; les îles sont sur la trajectoire maritime de l’approvisionnement italien. Le retrait
vénitien à la fin du siècle s’explique moins. Nous pouvons avancer, sous toute réserve, la trouvaille
de fournisseurs plus modiques, ou bien l’affaiblissement de la pression économique vénitienne sur
la Dalmatie en général.
A Zadar au XVIe siècle, les informations sont similaires à celles du siècle précédent. La part
destinée à la consommation urbaine est constituée en grande partie par le fromage local venant des
régions insulaires254. Parmi la clientèle urbaine il existe des compagnies de fantassins situées en
bordure de la ville. En 1529, le capitaine de compagnie Chagnol de Bergamo prend quarante meules
de fromage pesant 400 livres, ainsi que trente têtes de petit bétail, trois boeufs, des deniers, de
l’argent, du vin et d’autres produits sur l’île de Molat pour une valeur totale de trente livres255. Au
milieu du XVIe siècle, l’existence d’une importation valaque de fromages témoigne de la continuité
des courants traditionnels d'échange256. La destination finale de cette production ne peut être que
supposée, faute de documentation précise. Le seul marché importateur mentionné est Venise en
1519, lorsque douze pièces de fromage y sont transportées257. Il existe que deux informations
concernant la taille ou le prix du fromage. En 1529, le fromage confectionné à Molat pèse 40
livres258, soit 19 kg et en 1528, une meule de fromage peut coûter jusqu’à 8 livres259.
Toutes ces données sont faibles et il en est de même pour l'estimation du prix d'une pièce,
d'autant plus que la taille et la qualité de cette production sont sujettes à de fortes variations. Notons
toutefois qu’un fromage à huit livres vaut beaucoup plus qu'une peau d'agneau, plus exactement 32
fois sa valeur. Reste à savoir qui perçoit la marge bénéficiaire, le producteur agricole ou le
marchand lui-même.

254
Ibid., (93).
255
DAZd, Conte Marc Antonio Contarini, B. I, F. II, carta 118, f° 74.
256
Zadar pod mletačkom upravom, 257.
257
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. I, f° 40’.
258
DAZd, Conte Marc Antonio Contarini, B. I, F. II, car. 118, f°74.
259
Ibid., f°72.

446
Sur la base du prix unique recensé du fromage conventionnel, nous pouvons appliquer le
même procédé que celui qui est effectué sur les peaux de Split, pour tenter d'estimer le volume
financier de la vente des fromages splitois exportés (tableau XLVII).

Tableau XLVII : Valeur de la vente du fromage exporté de Split au XVIe siècle


sur la base du prix de la pièce trouvé à Zadar
Années Moyenne annuelle Volume financier
1511-1517 11.682 pièces 15.073,5 ducats
1528-1530 8.239 pièces 10.603,97 ducats
1557-1559 2.903 pièces 3.745,8 ducats
1581-1583 13.401 pièces 17.291,6 ducats

Pour peu que ces chiffres soient exacts, la part des échanges de fromage représente un
énorme volume financier pour le marché splitois. Cependant, à l'intérieur de ces sommes, il est
indispensable d'en déduire le prix à payer au moment de la déclaration de douane. A ce titre, durant
les meilleures années, vers 1580, la Chambre de Split prélèverait près de 571 ducats de revenus,
tandis que durant les années 1550, qui marquent une très nette chute d’exportation, les revenus
s’élèvent à 124 ducats. Ces valeurs représentent entre trois fois et quatorze fois la valeur des
revenus issus du commerce des peaux d’agneaux.
Dans le calcul du volume financier des échanges de fromage, il faut également déduire le
prix du transport qui varie notablement selon les directions. Il ne s'agit donc en aucun cas d'un
bénéfice direct pour la commune. De plus, ces sommes globales sont à diviser avec la multitude des
marchands ayant participé à la transaction du fromage, quelque soit leur contribution.

c) Le miel
La compagnie zadaroise de Donat Matafarić du milieu du XVe siècle révèle l'existence d'une
production locale de miel dans les foyers des bergers loués par les associés. Ils possèdent des ruches
(buzi ou choize) à abeille (aue), au prix de 6 sous la ruche. Une grande pinte de miel (mel in
pintaro) vaut 12 sous, de même qu'un setier de miel (83,31 litres) vaut également 12 sous260, ce qui
pourrait laisser supposer qu'une pinte contiendrait près de 84 litres de miel. Toutefois, en dehors de
ces quelques informations, il n’existe pas de traces d’une exportation de miel à partir de Zadar.
A Split en revanche, l’exportation de miel au XVe siècle est documentée. Elle témoigne soit
du niveau élevé de développement de l'agriculture splitoise, pour un territoire relativement restreint,
soit du rôle de redistribution que joue cette commune.

Tableau XLVIII : Volume de miel transporté à partir de Split à la fin du XVe siècle261
Année 1475 1476 1481 1482 1483 1484 Total
(mois) (VI-XII) (I-X) (VI-XII) (I-XII) (I-XII) (I-VI)
kg 7.106 4.799 8.798 12.402 3.072 874 37.051

260
DAZd, Spisi obitelji Matafar, f° 70.
261
Tiré de T. Raukar, « Komunalna », (68).

447
A la fin du XVe siècle, les moyennes tournent autour de six tonnes en 1475-76 et de six à
huit tonnes pour les années 1481-84, suivant la prise en compte des seules années complètes (1482-
83) ou aussi des années « contiguës » (tableau XLVIII). En 1475-1476, le miel est exporté vers
l’Italie (Venise, la Pouille et les Marches)262. On retrouve des chiffres similaires à Šibenik avec près
de 7 tonnes en 1441263, puis 2,9 tonnes et entre 2.083-2.483 litres de miel en 1442, puis un volume
moindre en 1443, année qui s’interrompt en septembre. Šibenik a trois principaux centres
importateurs : Venise, le Littoral croate (aussi bien les zones insulaires telles que Rab, Cres, Krk,
mais aussi Pag, que Karlobag, Senj et Rijeka) et les Marches (dont notamment Ancona).
Il est assez difficile de déterminer le volume du trafic de ce produit d’après les contrelettres
du XVIe siècle, puisque trois types de contenants dominent, tout comme à Šibenik : les caratelli, les
outres et les tonneaux, avec leurs subdivisions – tandis qu’à Trogir, le calcul se fait surtout en
caratelli, en barils et leurs subdivisions. Nous pouvons faire une étude comparée de leur évolution
respective. Le graphique XXIV ne prend en compte que les années pour lesquelles les informations
ont été relevées et non les tranches périodiques de dix ou vingt ans, ce qui explique qu'il y ait des
lacunes de dates.

Graphique XXIV : Evolution des exportations de miel de Split au XVIe siècle264

300
250
200 Carateli
Quantités

150 Udri
100 Barili
50
0
1503-1504 1511 1515-1517 1528-1530 1557-1560 1580-1593
Années des registres douaniers

Le cours des caratelli, connaît une légère ascension au début du siècle jusqu'à l'année 1515.
A cette date, les transports sont constants avec une moyenne annuelle d’environ 45 caratelli, en ne
tenant compte que des années complètes. Vers la fin du siècle, ce trafic diminue de plus de la
moitié. Cette image contraste avec la courbe des outres (udri). Seules les années 1510 montrent un
trafic intense avec un pic de 181 outres en 1515, contre une moyenne d'environ 70 outres les années

262
G. Novak, « Quaternus izvoza », (99).
263
Ces chiffres ne sont qu’une estimation, car les déclarations se font à la fois en outres, en caratelli et en modii et plus
rarement en livres. De plus, le muid de Šibenik varie entre 104,14 et 124,14 l (Instrumenta cancellariae, 521) et une
outre peut contenir soit 8 soit 10 setiers, le setier de Šibenik variant lui-même entre 17,36 et 20,83 litres (Ibid.). La
situation est tout aussi enchevêtrée pour le caratello, qui peut contenir entre 3,75 et 5 muids, selon les déclarations.
264
DAZd, Sp. Ar., Contrelettres.

448
« contiguës » et de trente outres en 1503-1504 et 1529, c’est-à-dire des valeurs plutôt négligeables.
Un siècle plus tôt, 320 outres de miel sont distribuées entre Venise, Napoli et les Marches265.
Cela veut dire qu'à mesure égale, le volume de miel à la fin du XVe siècle représente entre le
double et le quadruple des moyennes trouvées. D’après ces premières informations, le trafic du miel
chute vers la fin du siècle. Pour compléter les premières impressions, le mieux est de se reporter aux
autres contenants évoqués au cours de la déclaration de douane. Il nous reste encore à joindre à ces
indiques la courbe des tonneaux.
Bien qu’il soit impossible de regrouper toutes les mesures et contenants sous un même poids
contemporain, l’étude comparée des trois unités de compte fournit assez d’éléments d’estimation.
Tout d'abord, certaines années sont absentes : aucun miel n'est exporté en tonneaux en 1503-1504,
ni en 1558. Il est donc visible que l'image du trafic du miel fournie par ce contenant est toute
différente. D’après ce graphique, les exportations sont les plus importantes l’année 1511. Après
cette date, le trafic chute pour ne se redresser qu'en l'année 1528. Cependant, tout comme pour les
caratelli, le trafic demeure permanent durant tout le siècle. Une tendance nette se profile donc,
malgré la confusion des données causée par la différence des unités de compte : le trafic du miel est
plus important jusque dans la première moitié du siècle. Il décroît ensuite et se maintient à un
niveau plutôt faible.
L’estimation du volume de miel transporté suivant les destinations ne peut être réalisée. Les
intentions de départ, dans le cas du miel, concernent plusieurs marchés lors d’un même voyage. La
fréquence des citations de lieux peut seule fournir des tendances.
La République de Venise apparaît comme le principal importateur de miel durant toute la
période considérée. Les autres marchés ne sont apparents que durant les deux premières décennies
du siècle. Parmi ces centres, les ports italiens (Barletta, Molla, Monopoli, Ravenna et Trani) sont les
plus demandeurs, mais on relève aussi que la ville pourvoit quelques lieux dalmates tels que l'île de
Hvar, Kotor, Ston et Zadar, alors que cette dernière commune a également sa zone de production en
arrière-pays. Ce produit apporte un éclairage nouveau sur le sens des exportations splitoises. A deux
reprises, du miel est exporté dans la région qui sert habituellement d'approvisionnement. En 1516,
un caratello de miel est enregistré pour aller dans la région de la Neretva. Fait plus curieux, en
juillet 1557, six caratelli sont transportés en Turquie (Turchia), tandis qu'en décembre de la même
année, il est prévu d'importer huit caratelli de miel tratto di Turchia. Nous pouvons avancer deux
hypothèses : la première concerne le jeu de l'offre et la demande. La seconde possibilité peut
concerner la qualité du produit, auquel cas la provenance d'origine du miel s’explique. Les périodes
suivantes voient disparaître tout importateur excepté la République.

265
G. Novak, « Quaternus », (99).

449
A Trogir, enfin, les exportations de miel sont encore plus épisodiques : il n’y en a pas en
1566, ni en 1576 et 1577. En 1567-69 toutes les quantités de miel sont exportées à Venise, exceptés
3 barileti pour Fano et 10 carateletti pour sottovento. Un seul fait est intéressant à noter, à savoir
que la majorité des quantités de miel déclarée provient de « Turquie » (tratto di Turchia). Dans le
registre de 1515-1575, seulement 32 caratelli et 21 barils sont exportés en 1575, dont tous pour
Venise, exceptés 2 caratelli pour Portogruaro, dont une partie est à nouveau une redistribution de la
production « turque ».

d) La cire (cera)
A Zadar, le trafic de la cire est très peu documenté. En juin 1443, le transporteur zadarois
Krešo Raduščić exporte à partir du port de Šibenik 588 kg de cire (1.232 livres dans sept colis) vers
Pesaro et Rimini266. Dans le livre de comptes d’Ivan Detrico figure une dette de 12 sous pour de la
cire travaillée par un certain Radichio le 1er octobre 1521267. Toutefois, la cire y apparaît le plus
souvent sous la forme de chandelle, également objet de transactions. D’un autre côté, un document
de 1556 atteste que la cire est régulièrement acheminée en ville puis réexportée, bien que les
quantités et les directions précises fassent défaut. L'inventaire du marchand Lazar de Gnochis de
Pontremolo dresse la liste des marchandises avec lesquelles il commerce et contient en plus ses
accords de crédit. Il en ressort que Pontremolo négocie surtout avec des produits agricoles et
d'élevage, y compris d'apiculture – à l’exemple d’autres marchands zadarois de son temps – grâce
au maintien des rapports commerciaux avec l'arrière-pays268. Zadar exporte également cette
marchandise dans les Marches et l’Abruzze269. Au XVe siècle, la cire provient du territoire agricole
de la commune270, puis au siècle suivant les relations commerciales avec l'intérieur ottoman se
poursuivent, ce qui entraîne la continuité des importations de cire à Zadar par l'intermédiaire des
Valaques271. A Split, le rôle de l’arrière-pays sous occupation ottomane est confirmé.
Dès les années 60 du XIVe siècle, un commerce de cire reliait Split à Florence et à Ancona,
suivant la logique d'importation de produits agricoles dans ces centres urbains développés. La
rupture du flux se fait sentir avec la reprise en main par la République de Venise à partir de 1420272.
Pour le XVe siècle, les données restent à approfondir : en 1475-1476, de la cire est exportée à Bakar
et à Dubrovnik273. A Šibenik durant la première moitié de ce siècle (1441-1443), plus de deux
tonnes de cire est exportée, dont près de 95% à destination des Marches (surtout Ancona, Pesaro et

266
Instrumenta cancellariae, 169.
267
S. F. Fabijanec, « Bilanca », (105).
268
Zadar pod mletačkom upravom, 259-260.
269
Carte « Les relations commerciales de Zadar aux XIVe-XVe s. »; T. Raukar, Zadar u XV. st., 255.
270
T. Raukar, Zadar u XV. st., 257.
271
Zadar pod mletačkom upravom, 257.
272
I. Pederin, « Il comune di Spalato », (50-51).
273
G. Novak, « Quaternus izvoza », (99).

450
Recanati), le reste allant à Zadar ou à Venise. En 1443, l’année n’étant pas complète, seulement une
tonne et trois colli sont exportés, uniquement vers les Marches.

Graphique XXV : Evolution du volume du trafic de la cire de Split au XVIe siècle274

60

50

colle
40
coleti
Quantités

ligazo
30 ligazeto
formele
sacho
20
sacheto

10

0
1503 1511 1515-1517 1528-1530 1557-1560
Années des registres douaniers

Au XVIe siècle à Split, cet article fait toujours l'objet d'un commerce suivi, étendu de l'Italie
jusqu'en Crète, tandis qu’à Trogir, l’exportation de cire est quasi inexistante, exceptés quelques
ligazi destinés à Venise en 1568-69, dont il est indiqué qu’elle provient de « Turquie ». Les
contenants et les mesures sont des plus variées275 et nécessitent une approche par étape, d'autant plus
qu'une seule équivalence est fournie suivant laquelle une pièce de cire atteint 19 livres. Dans
certains cas, plusieurs ligazi sont eux-mêmes transportés dans des formeli. Dans d'autres cas, ils
représentent plusieurs pièces de cire sans qu’il soit possible pour autant de préciser les quantités. De
même les livres de cire peuvent être rangées dans des sacs, là encore sans autre précision. C'est
pourquoi, la première étape est de présenter les contenants ou unités de compte de profil numérique
à peu près identique pour illustrer les variations du volume du trafic (graphique XXV).
A première vue, les transactions les plus intenses se situent autour des années 1511-1517,
bien que quantitativement, plus de vingt ligazi soient exportés en 1530; le ligazo demeure une unité
de compte. Son volume double entre 1503 et 1530, pour chuter ensuite à partir des années 50.
Aucune mention n'est connue pour la fin du siècle. L’exportation en livres peut seule nous
permettre de quantifier le cours du trafic (tableau XLIX).

274
DAZd, Sp. Ar., Contrelettres.
275
A Šibenik s’est également le cas. Les colli et les pains de cire surtout ont des poids variés : 1 collo pèse entre 103 et
176 livres, un pain pèse entre 90,5 et 183 livres.

451
Tableau XLIX : Orientation du trafic de la cire à Split au XVIe siècle (en livres puis en kg)276

Année / 1511 1529 1530 1558


Destination
Pouille 29 135 - 600
Venise - - 292 -
Total en kg. 13,832 64,394 139,283 286,199

Une lente hausse du volume atteint son maximum en 1558. Cette information entre en
contradiction avec les conclusions issues du premier graphique. Ils soulignent néanmoins une
constante exportation de cire jusque dans les années 1560 car, après cette date, nous n'en avons plus
aucune trace, si ce n'est l'importation de 113 livres de cire de la Neretva en 1581 et l'exportation
d’une scuca (?) vers Venise, en 1582, d'une cire traitée en Turquie. Enfin, comme contenants
vraiment marginaux – si ce n’est à Šibenik au XVe siècle où il est plus couramment utilisé –, citons
l'emploi de pains de cire (pani, paneni, paneti), à savoir quatre en 1515 pour les villes du Littoral
croate, ainsi que 27 en 1516 en direction de Venise puis à nouveau des villes du Littoral croate
(Bakar, Bakarac et Rijeka) et de l'île de Hvar et de deux pani et deux paneti vers Venise en 1530.
Un autre témoignage concerne l’exportation à la pièce : un pezo en 1515 vers les villes de Bakar et
Bakarac, ainsi que vers les îles de Rab et de Krk sur le Littoral croate, puis soixante à l'occasion de
la foire de Bakar en 1516 et onze vers la Dalmatie en général et Venise. L'année 1528, quatre pièces
sont exportées vers la Pouille et Venise. Complétons cette énumération par le relevé d'une caisse en
direction de Trani en 1529 et d'un tonneau l'année suivante vers la Pouille également.
A travers ces quelques mesures, nous ne pouvons pas cerner l'ampleur de ce trafic orienté,
semble-t-il, principalement vers le Littoral croate, la Pouille et Venise. Comme il est impossible de
quantifier ce trafic par région, nous recourons au décompte du nombre d'autorisations délivrées
pour chacune des principales régions (graphique XXVI).
Les principaux marchés importateurs restent les villes du Littoral croate et Venise durant les
années 1510; puis, ce sont les villes italiennes qui succèdent, principalement Trani (1529) et
Lanciano (1559). Le commerce de circonstance existe lorsque, par exemple, un marchand devant se
rendre à Modon en 1515, prend de la cire avec lui. On s'explique plus difficilement l'exportation de
quelques ligazi vers la Turquie en 1557, puisque dans la majorité des cas où l'origine de la cire est
donnée, elle provient précisément de Turquie ou y est traitée (natte, estrati ou tratta di Turchia).
Qu'est-il entendu par Turchia ? Difficile à dire, si ce n'est l'arrière-pays ou le long de la côte
adriatique dans la zone sous occupation turque plus au sud. C'est le cas de figure pour 600 livres de
cire (soit près de 286 kg) venant de Makarska, en 1558, et destinées à la Pouille, le port cité faisant
partie de la sphère politique ottomane. Parfois, d'ailleurs, cette cire est déjà travaillée (lavorata), ce

276
DAZd, Sp. Ar., boîte 41, B. 52, F. 4; boîte 67, B. 74, F. 7/IV; boîte 96, B. 103, F. 17.

452
qui pourrait expliquer la diversité des mesures employées différenciant la cire brute de celle ayant
fait l'objet d'une manipulation.

Graphique XXVI : Trafic de la cire splitoise suivant les centres importateurs au XVIe siècle277
1503-1504 1511 1515-1517 1528-1530 1557-1560 1581-1583

Turchia

Grèce

Dalmatie
Centres importateurs

Littoral croate

Venise

Pouille

Marches

Abbruze

0 5 10 Nombre de15
déclarations
20 25 30

Venise fait partie des grandes consommatrices de cire, qu'elle importe des villes dalmates
durant tout le XVe et au XVIe siècle278.
A Split, nous avons pu trouver de nombreux éléments d'analyse de ce commerce de la cire.
Sur Zadar, la seule indication de prix de vente de cire date de 1408, lorsque 2.000 livres de cires
sont vendues pour 200 ducats à raison de dix ducats la livre279. De ce fait, bien que la cire apparaisse
comme un produit de consommation courante, nous pourrions en déduire que son prix peut être
élevé dans le cas où il s’agit d’une qualité supérieure et d’un produit vendu à l’état raffiné.

e) La laine
La qualité de la laine et les centres de production sont deux facteurs importants de son trafic.
Dans la grande industrie lainière européenne, les laines les plus appréciées proviennent des pays
flamands, d'Espagne et d'Angleterre. De sorte que toute draperie de qualité supérieure se doit
d'utiliser de la laine anglaise ou de la toison d'origine espagnole suivant une tradition qui remonte
au XIe siècle. L'habitude d'introduire la laine autochtone pour la draperie de qualité inférieure dans
les grands pays producteurs comme en Hollande et en Belgique, date elle du XIVe siècle. Trois

277
DAZd, Sp. Ar., Contrelettres.
278
T. Raukar, « Komunalna društva », (67).
279
A. Krekich, « La Curia Consulum et Maris », doc. 6, (161-162).

453
qualités se distinguent : le drap fin composé de laine anglaise, le drap moyen composé de laine
d'Espagne, de Poitou, d'Ecosse, et enfin une laine de qualité inférieure à base d'agnelin280.
En Italie, l'accent est davantage porté sur la commercialisation des draps de laine que sur la
production elle même. Des régions, comme la Toscane au XIVe siècle et la Lombardie au XVe
siècle, font importer des laines de haute qualité du Gharb, d'Espagne et des Baléares, sans nuire à la
production locale. La production de laine même se déroule dans les villages sous forme paysanne
dont c’est l’activité principale, tandis que dans les seigneuries féodales, dans les grands ateliers de
monastères et dans les communes, elle prend un caractère artisanal. Et même lorsque l'industrie
lainière s’effectue à grande échelle, la petite activité lainière se poursuit localement de façon
artisanale, pour approvisionner la population locale aux modestes moyens281.
A Split, la majorité de la laine provient de l'arrière-pays montagneux et du versant
bosniaque. Une autre zone d'élevage est constituée par les îles environnantes. Dans les contrats de
pâturage, le propriétaire des bêtes reçoit la plupart du temps en plus du prix de location de son bail,
la moitié de la laine et du fromage. Il s'agit souvent d'animaux mélangés, comportant aussi bien des
bovidés et des ovidés avec un cheptel de taille très variée mais toujours producteur au minimum de
produits d'élevage qui servent de monnaie de paiement. Par la voie de ces contrats de location
d'animaux, la commune de Split et les particuliers peuvent s'approvisionner en laine. L'orientation
majoritairement méditerranéenne exclut a priori l'importation de laine étrangère et surtout, nous
avons témoignage de la présence très ancienne de l'élevage sur ce territoire. Au moment de
l'extension de la surface agricole de la ville de Split vers les terres extra muros au XIe siècle,
certains terrains sont vendus contre de la laine de mouton ou contre un mouton, une chèvre, en plus
d'un acompte éventuel en argent282. Cependant, la majorité des accords notariés (près de 90% au
XIVe siècle) porte sur le trafic de terrains agricoles et vinicoles (vente, legs testamentaires), tandis
que les contrats de cheptel apparaissent beaucoup plus rarement.
Au XVIe siècle désormais, une bonne part de la population urbaine des grandes régions
productrices, telles que la Flandre, se consacre uniquement à l'élevage et à la production de la laine
sous forme de grandes exploitations appartenant aux institutions ecclésiastiques, hospitalières ou à
de riches citadins, et dont la production supplante même celle du grain. De grandes exploitations
agricoles y pratiquent principalement l’élevage ovin, tandis que la part paysanne de la production
lainière pour le marché industriel y est limitée283. Dans la région splitoise au contraire, nous n'avons

280
A. Verhulst, « La laine indigène dans les anciens Pays-Bas entre le XIIe et le XVIIe siècle. Mise en oeuvre
industrielle, production et commerce », Revue historique, n° 504, (1972), 281-322 (289).
281
Gino Luzatto, Ekonomska povijest italije, trad. J. Stipišić, Zagreb 1960, 250-252.
282
Au XIe siècle, un certain Petar achète aux fils d'un certain Semidrago une terre à Greben contre 22 toisons de mouton
au prix d’un sou, deux toisons de moutons et trois coudées de toiles. Les autres denrées de troc sont encore le fromage,
les céréales et des têtes de petit bétail; G. Novak, Povijest Splita, 399-400.
283
A. Verhulst, « La laine indigène » (303).

454
pas trace d'une mutation de la structure de production. Les principaux acteurs (monastères, riches
particuliers – patriciens puis citadins aisés) de l'extension territoriale agricole, qui s'est déroulée du
XIe au XIVe siècle, continuent d'investir dans les biens immobiliers sans passer à une
« industrialisation » de la fabrication de la matière première – seul le mode de production agricole
est passé de l'esclavage aux colonats. Qui plus est, l'élevage constitue traditionnellement l'activité
de base des Valaques, organisés en unités d'exploitation autochtones appelées katun. Ces derniers
constituent une multitude de petites exploitations rurales – plus précisément montagnardes – qui
sont encore présentes de nos jours sur les flancs de la chaîne des Dinarides. Ces organisations sont
principalement autonomes, à savoir privées, et leurs productions sont négociées par les Valaques
auprès de la population urbaine du littoral.
En revanche, des lacunes importantes apparaissent quant à la répartition des tâches pour le
traitement de la laine brute. Outre la tonte de base, le travail de la laine se déroule en quatre étapes :
le dégraissage des laines284, le cardage285, le filage286 et l'ourdissage287. En Italie, les procédés sont
identiques. Une fois la laine brute acquise, généralement sale, il faut d'abord effectuer le triage, puis
la battre, retirer la bardane, laver la laine puis l'imprégner d'une huile végétale. Puis ce produit est
raclé et éventuellement cardé. Viennent ensuite un fin cardage et le filage. Une fois le filage fini, et
le fil éventuellement teint, succède l’embobinage, puis l'encollement et le tissage même288.
Certaines de ces activités connaissent des changements : entre les XIIIe et XIVe siècles en
Europe centrale, la quenouille – ou fuseau – est remplacée par le rouet289, et à la fin du XVe siècle,
le foulonnage au pied est supplanté par le foulonnage au moulin à eau290. La diffusion de celui-ci est
plus lente car cette technique est plus coûteuse. Le premier nécessite le plus de main d'oeuvre, de
composition uniquement féminine. Le second suppose une installation près d'un point d'eau pour
utiliser la force hydraulique hors des villes. Ces quatre étapes du traitement de la laine doivent sans
doute se faire aux abords de la ville, dans les villages des coteaux. Une partie de cette laine est
ensuite travaillée en ville pour la fabrication de drap291. A partir de l'ourdissage, il faut encoller la

284
Débarrasser la laine de son suint dans un bain chaud, puis sécher sur des perches et battre pour faire tomber la
poussière.
285
Briser légèrement la laine pour rendre les fils plus hérissés et plus velus à l'aide de cardes (pointes de fer recourbées).
286
Former des « aiguillées » à l'aide du rouet muni d'un fuseau à ailette en métal.
287
Enrouler la laine filée sur une grosse bobine pour mesurer la longueur du fil puis déposer sur l'ourdissoir pour
compter le nombre de fils. Voir l'annexe de l'article de J. F. Belhoste, « L'industrie du drap fin en France (XVe-XVIIIe
siècles) », Histoire économique et sociale, n° 3/1994, 457-475 (470-471).
288
Il s'en suit encore un long nettoyage, puis le pilonnage effectué à l'aide de la force hydraulique dans des stupa,
l'extension du tissu puis son arrachage pour ébouriffer le poil des deux côtés de la toile qui a pu se tasser trop lors du
pilonnage. En dernier lieu s'effectue la tonte; G. Luzzato, Ekonomska, 253.
289
M. Aymard, « Production, commerce et consommation des draps de laine du XIIe au XVIIe siècle », Revue
historique, n° 499, Paris (1971), 5-12 (5).
290
J. F. Belhost, « L’industrie du drap», (470).
291
En Italie, la production de laine et de draps à l'intention de la population locale s'effectue dans des petits ateliers
artisanaux sous la conduite d'un maître aidé des membres de sa famille ou d'un éventuel apprenti. Pour peu que

455
chaîne pour l'affermir avant de la monter sur le métier à tisser. Puis le drap tissé est débarrassé de
ses noeuds, pailles et autres déchets292. A Split, ce travail est effectué dans les maisons
majoritairement par les femmes293. L'étape suivante de fabrication du tissu est prise en main par les
laineurs. Au XIVe siècle déjà, Split a développé l'art du tissage pour la fabrication d'un tissu de
laine de qualité et il faut employer deux maîtres laineurs pour celle d'un métier à lainer et gratter la
laine. Ces maîtres artisans viennent pour la plupart d'Italie et concluent un accord d'un an,
renouvelable, après avoir été choisis par le grand Conseil (au XIVe siècle)294. Etant donné une
tradition longue d'au moins deux siècles, nous pouvons normalement supposer que, pour la période
qui nous concerne, il existe des laineurs et autres artisans autochtones travaillant la laine et formés
sur place. Huit maîtres laineurs exercent dans les années 1443-1449 à Split, sur 255 artisans
recensés295, soit plus de 3% de la population des métiers.
Les différentes peaux envoyées sur le marché permettent d'estimer l'origine et la qualité de
la laine. Nous avons observé que les agnelins sont les plus exportés, tandis que les peaux de
moutons (montonine) apparaissent plus rarement dans le commerce d'exportation. Dans le contexte
de la production flamande, l'agneline est plutôt considérée comme une laine fruste locale de qualité
médiocre – si tant est que cette appellation utilisée aussi bien aux Pays-Bas qu'en Dalmatie désigne
bien le même produit. Comme la peau de mouton est moins fréquente sur le marché d'exportation,
l'élevage d'ovidés est davantage orienté vers la production de la laine, et par extension – ce qui sera
traité à la suite du texte – de draps. Aussi, à petite échelle, l'agglomération de Split importe de son
arrière-pays la production lainière d'une qualité moindre pour ensuite la retravailler. Les quelques
mentions d'une origine plus lointaine de la laine, dans l'outremonts valaque et bosniaque, ne change
en rien le constat d'une production presque locale. En 1517 par exemple, 700 livres de laine
murlacha sont exportées et en 1581, une lana sutta comprada qui est achetée sur place en ville, par
un certain Ivan de Rijeka296. Toute cette région vit en symbiose comme une entité économique :
l’arrière-pays produit et fournit les matières brutes, et la ville est acheteuse, transformatrice et
exportatrice.

l'entreprise prenne de l'expansion, on fait appel à un petit crédit pour l'acquisition de la laine et la répartition des tâches
entre les collaborateurs; G. Luzato, Ekonomska, 254.
292
J. F. Belhost, « L’industrie du drap», (470).
293
En Italie, le soin du filage est confié aux femmes dans leurs maisons de campagnes, tandis que le battage, le
raclement, le cardage de la laine et d’autres travaux plus durs sont donnés à des ouvriers loués. Les opérations de tissage
s'effectuent dans les ateliers ou à la maison, tandis que le lavage, le foulage, l'arrachage, l'extension et la tonte - qui
nécessitent de plus grands investissements - sont pris en charge par un entrepreneur qui finance à son compte des
ouvriers sous sa dépendance; G. Luzzatto, Ekonomska, 254.
294
Nevenka Bezić-Božanić, « Nekoliko podataka o tekstilonom i kožarskom obrtu od XIII. i XIV. st. u Splitu »,
Kulturna Baština, god.VII, n° 11-12, Split (1981), 69-76.
295
T. Raukar, « Komunalna društva».
296
DAZd, Sp. Ar., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 458’,le 6.X.1581.

456
L'estimation du volume de cette marchandise est rendue complexe par la diversité des
mesures et contenants utilisés. Les unités de poids (le mier, la livre) sont mêlées à des unités de
masse (le sac) et à d'autres contenants, tels que les fazoleti (100 en 1517), les balles et les manzi297
(voir annexe) ! Le sac est l’unité de compte la plus utilisée.
L’exportation en sac est en croissance constante, atteignant un maximum en 1581 avec plus
de 35 sacs exportés. Le jeu des conversions offre pour équivalence moyenne de 1 sac = 562 livres,
grâce à laquelle l’évolution du trafic peut être un tant soit peu suivie. Le tableau L présente la
somme de toutes les unités, miers, livres et sacs, convertis.

Année 1515 1516 1517 1530 1558 1581 1582


(III-XII) (I-XII) (I-XI) (I-VIII) (I-VIII) (I-XII) (I-XII)
Livres 3.774 9.644 2.725 9.620 10.116 28.721 7.547
kg 1.800 4.600 1.300 4.589 4.825 13.700 3.600
Tableau L : Exportations de laine à partir de Split durant le XVIe siècle298

Le transport de la laine splitoise est à peu près constant, avec une moyenne supérieure à 4,67
tonnes certaines années complètes. La meilleure année représente un volume de plus de 13,7 tonnes
en 1581, c’est-à-dire le triple des quantités habituelles. Mais cette hausse est perdue un an plus tard
: en 1582, le cours chute à 3,6 tonnes.
L'orientation du trafic de la laine apporte un complément important à la compréhension de
ce marché : elle permet de connaître les destinations d’exportation et de suivre l’évolution de
l’extension de ce marché suivant les années (graphique XXVII).
La Dalmatie est un débouché commercial permanent, tout au long du XVIe siècle,
impliquant les villes de Zadar (en 1515 il est précisé qu’il s’agit de laine valaque), de Trogir et de
Šibenik, ainsi que les îles de Pag, Hvar et Rab. Cette région importe en moyenne (les années
complètes), 2,75 tonnes par an. Bien que les villes citées soient susceptibles de s'approvisionner en
laine dans leurs propres arrière-pays, il semblerait que Split ait le meilleur contact avec son
outremonts et qu'elle soit le plus régulièrement fournie et donc à même de répondre aux manques
survenant dans les villes voisines.

297
Une autre difficulté se pose concernant un certain nombre de schiavine et leur emploi. A l'origine, il s'agit d'étoffes
de laine grossière et donc, de pièces de toile en un tenant. Pourtant, à plusieurs reprises, les formulations sont ambiguës.
En effet, l'usage répété de certaines expressions laisse croire qu'il puisse s'agir également d'une certaine unité de compte
: lana in schiavine 3 sono 2 sachi [DAZd, Sp., boîte 49, B. 60, F.6/II, f° 489’, 30.V.1515]; lana in schiavine quatro
stopa sachi nove [ibid., boîte 116, B. 122, F.6, f° 440’, 30.XII.1580]; lana schiavine 2 piene [ibid., f° 441’, 31.I.1581];
et lana sussida in sacchi quatro et in schiavine cinque peso netto lire 3.504 [ibid., f° 453’, 3.VII.1581]. Le calcul du
volume de laine exportée ne se fonde que sur les données fournies en sacs. Cependant, comme la formulation ne permet
pas de douter que la schiavina ait servi d’unité de compte, l'une des hypothèses possibles serait le recyclage de cette
toile. Lorsque certaines de ces pièces de laine sont hors d’usage, des marchands les destineraient à être dépareillées pour
récupérer leur teneur en laine. Ces pièces ayant vraisemblablement un format à peu près connu, le marchand en fait son
estimation en volume de laine dans un sac. Ce point de vue expliquerait alors comment trois schiavine sont
« découpées» dans deux sacs, à savoir en les ayant préalablement dépareillées.
298
DAZd, Sp. Ar., boîte 49, B. 60, F. 6/II; boîte 67, B. 74, F. 7/IV; boîte 96, B. 103, F. 17; boîte 116, B. 122, F. 6.

457
Graphique XXVII : Orientation du trafic de la laine de Split au cours du XVIe siècle299

14000
12000 1511

Kilogrammes
10000 1515-1517
8000 1528-1530
6000 1557-1560
4000 1580-1582
2000
0
Dalmatie Côte croate Venise Istrie sottovento Italie Turquie
Centres importateurs

Les centres du Littoral croate sont des marchés importants durant la première moitié du
siècle. Ils se fournissent principalement à l'occasion de leur foire (3,9 tonnes dans les années 1515-
1517). Puis, comme pour les autres produits analysés jusqu'à présent, ce flux s’interrompt après
1530, date à laquelle l’île de Krk importe 277,5 kg de laine. La relève est prise, une fois de plus, par
les foires de Lanciano, ville déjà importatrice en 1517 (555 kg), puis en 1559 (2,5 t). Les autres
centres italiens concernés sont Brindisi et la Pouille en général.
A partir de la seconde moitié du siècle, l'ensemble de la côte orientale de l'Italie représente
au total plus d'un tiers du marché de la demande en laine (de 1557 à 1582, les ports de sottovento
importent 16,14 tonnes). Venise quant à elle attire 11,5% de cette demande. Mais, bien que le
marché de la laine semble réduit, il s'est ouvert en 1558 vers les régions orientales jusqu’à la
Neretva (1,2 tonne en 1559, sous l’appellation « Turquie ») et même Famagouste (la laine y est
malheureusement exportée a refuso, en 1558). Cette intervention provient d'un certain Toma de
Hvar qui importe de la laine traitée à Makarska300. Son apparition épisodique montrerait que Split
peut servir de lieu de passage et de centre de transaction pour les marchands dalmates étrangers.
Dans les quelques cas où cela est précisé, la laine provient surtout de centres de production
valaque (lana morlacha) et une fois de la Neretva, en 1511, en plus du port de Makarska cité plus
haut en 1558. Cela confirme la provenance rurale proche de ce produit, acheminé jusqu'à la ville de
Split pour être réexporté. Pour avoir une image plus précise de ce trafic, encore faudrait-il disposer
des données d'importation en ville pour vérifier la part représentée par la redistribution du produit
par rapport à la consommation urbaine. Mais cette information fait défaut. A titre de comparaison,
nous pouvons observer la situation présente dans d'autres régions de production, comme par
exemple les Pays-Bas.

299
Ibid., Contrelettres.
300
lana di refuso trata da Macarsca (...) per Faradigusta; ibid., boîte 96, B. 103, F. 17, f° 887.

458
Du XIIIe au XVIe siècle, la vente directe de la matière première par les producteurs, soit sur
un marché, soit au siège de l'exploitation du producteur, y est régulièrement attestée. Il s'agit alors
surtout de la vente au détail de petites quantités apportées sur le marché le plus proche par les petits
producteurs des environs. Le commerce de cette laine indigène est surtout attesté, au XVIe siècle,
en Brabant et à Hondschoote. Ces régions connaissent le même principe de commercialisation,
suivant lequel de petits producteurs environnants viennent apporter quelques toisons ou quelques
sacs pour les vendre au détail sur le marché. Lors de leur vente sur la place du marché, les autorités
urbaines prennent des dispositions pour séparer et distinguer les diverses qualités de laines (laines
de toison, agnelins, ou encore laines de provenance géographique variées). Il en ressort que dans ces
régions hollandaises se trouvent des marchands plutôt spécialisés dans l'acquisition et la
redistribution de laines indigènes, et ceux spécialisés dans les laines importées. Les drapiers de la
première catégorie se fournissent auprès des paysans et aux marchés de la région. Il s'agit du petit
commerce, portant sur de faibles quantités de laine ou de fil. En Brabant, le commerce interrégional
est même très développé à partir du XVe siècle; son développement atteint de telles proportions que
les autorités sont obligées d'interdire la vente de laines et de moutons à des étrangers qui veulent les
exporter. Ce commerce interrégional, concernant les diverses régions des anciens Pays-Bas, est
attesté en partie par les appellations d'origine régionale des laines. Au XVIe siècle, ce commerce
régional, voire interrégional, est d'autant plus développé301.
A Split, le commerce de détail, entre producteurs et éleveurs, existe sur le marché urbain,
suivant un modèle sensiblement identique à la situation décrite aux Pays-Bas. En revanche, pour ce
qui est du commerce de gros, les seuls indices que nous ayons sont la renommée existante des
drapiers en tant que seule catégorie marchande distinguée des autres merçarii, ainsi que l'emploi de
termes géographiques disséminés désignant le type de laine exporté. Quant aux exportateurs eux-
mêmes, il est question de marchands embarquant à bord du navire diverses marchandises, parmi
lesquelles la laine ne tient pas de place spéciale. Le caractère interrégional du commerce de la laine
sur la place splitoise pourrait être explicité par ces multiples désignations de laine. Cependant, nous
n'avons aucune grande exploitation industrielle de la toile telle qu'elle est présente à Dubrovnik, par
exemple, pouvant justifier une organisation complexe de ce commerce. De fait, l'ensemble de ce
trafic se réduit à deux directions en moyenne : respectivement la Dalmatie – le Littoral croate, en
1515 et la Dalmatie – sottovento, en 1581. Les années 1530 et 1558 offrent la plus grande diversité
des flux vers l'étranger. De sorte que ce marché a une clientèle plutôt ciblée, avec un sommet des
exportations à la fin du siècle.

301
A. Verhulst, « La laine indigène », (318-320).

459
A Zadar, la laine est travaillée dans les exploitations rurales, notamment en zone insulaire,
comme en témoigne les comptes du patricien Donat Matafarić pour l’île de Kornat. Les familles des
bergers possèdent plusieurs vêtements et objets en laine, dont des sacs en laine d’une valeur d’une
livre et les membres des maisonnées participent à son nettoyage et au tissage, puisque l’on trouve
dans un inventaire de berger une paire de peignes à laine (petoni). A Kornat dans les années 1460,
une livre de laine blanche coûte 4 sous302.
La laine à Zadar est négociée suivant les mêmes principes qui régissent les produits
d'élevage précédents. Une fois de plus, les quantités font défaut et les seules indications relevées
dans les actes notariés ne donnent un éclairage que pour le tout début du XVe siècle. Le lieu
d'origine de cette laine apparaît être principalement l'île de Pag, soit à nouveau un milieu insulaire
tout comme pour les peaux. Mais ce sondage n'est pas suffisamment représentatif pour tirer des
conclusions. En 1437, une marciliane de Rimini fait importer dans cette ville 200 livres de laine
(soit 95,4 kg) provenant de Zadar303. Le sens des exportations vers les Marches se poursuit donc au
XVe siècle, tout comme à Split.

Année Origine Quantité Prix Prix à l'unité Source


1416 Pag 1.700 livres 152 l 12 s 1 l 14 s/livre CC&M, B. II, F. 7, f°5-5’
1442 578 1/2 decalatros 1.093 1/2 l 1 l 17 s/dct. Johannes de Calzina B. I F. II/1, f°24
1442 Novalja (Pag) 184 1/2 decalatros 401 l 11 s 2 l 3 s/dct. Ibid.
1442 Zadar 80 decalatros 160 l 2 l/dct. Ibid.
Tableau LI : Prix de la laine à Zadar

Le peu d’exemples de vente de laine retrouvés dans les sources montre toutefois que les
quantités commercialisées peuvent représenter un volume énorme (tableau LI). En prenant pour
équivalence qu’1 (de)calatrum = 10 livres à Venise304, dans le seul registre du notaire Johannes de
Calzina, il est question en 1442 de 40.210 kg de laine vendue.
Quelques dettes pour de la laine apparaissent dans le livre de comptes d’Ivan Detrico. Le 11
octobre 1521, Detrico donne à un certain Alvise 4,25 coudées de laine basse grise et 0,5 coudée de
toile basse grise pour des serviteurs au prix de 5 livres 18 sous l'ensemble305. De même le 16 mars
1522, il doit donner de la laine pour le compte du caporal Simon et ses fantassins, pour laquelle il
paiera sept livres onze sous à la Chambre. Le même jour, il a vendu à ce caporal un calatro de laine
(soit 4,78 kg) au prix de trois livres306. Le prix de la laine a augmenté d'une livre en un siècle, soit
près de 33%. Rien n’exclut néanmoins qu’il soit question de qualités variées de laine.

302
DAZd, Spisi obitelji Matafar, f° 70-71’.
303
Zadar pod mletačkom upravom, note 51, 93.
304
J. Kolanović, suplément 1 : Metrološki sustav Šibenika u XV. st., tiré de Šibenik u XV. st., 623.
305
S. F. Fabijanec, « Bilanca », (103).
306
Ibid., (108).

460
A titre de comparaison des prix, à Dubrovnik, en 1493, le millier de laine brute vaut trois
sous six deniers. Mais cette indication ne nous révèle en rien une moyenne des tarifs de la laine
puisqu’en 1574, le millier de laine française, l’une de meilleure qualité, est vendu au prix de six
ducats le millier307. Les valeurs de la laine sont donc extrêmement variables et il nous est impossible
de dresser un tableau systématique des tarifs et de leur cours pour cette marchandise tributaire de
nombreux facteurs quant à sa qualité.
Enfin, pour ce qui est des autres communes dalmates, les données sont très modestes. En
1442-1443, Šibenik exporte 1.700 livres (≈ 972 kg) de laine, dont 88% sont destinés au Littoral
croate (Senj, Rijeka et la foire de Bakar) et le reste aux Marches. Cependant, cela ne veut pas
nécessairement dire que le marché de la laine est nul, puisqu’à Split, en 1475-1476, seulement une
petite quantité de laine est exportée sur l’île de Cres308, or au XVIe siècle ce commerce connaît un
véritable élan. Il semblerait d’ailleurs que le marché de la laine est l’un des plus porteurs à Split,
puisqu’à Trogir, pour ce même siècle, les quantités exportées sont négligeables : 8 calatri pour
sottovento et les stati alieni avec 200 autres livres pour Vis en 1575 et près de 190 kg pour l’île de
Hvar en 1576, tandis que dans le registre de 1566-1569, cet article est inexistant.

f) La viande
Ce produit est principalement exporté déjà salé pour la conservation. C’est principalement
de la viande de porc, parfois de génisse. Une fois de plus, les contenants et unités de compte sont
diversifiés, bien que le tonneau se distingue des autres. La viande salée étant un produit
d’exportation constant dans le commerce splitois durant les siècles antérieurs, son transport apparaît
dès 1503, mais ce a refuso (en vrac), ce qui empêche un repère quantitatif. En 1511, 27 pièces de
porc sont exportées, entre autres, à Venise et à nouveau plusieurs pièces (piu) en direction de Trani
(viande de porc salée) en 1530. Restent encore parmi les mesures marginales : une caisse et un
ligazo de viande de génisse, en 1530, également en direction de Venise.

Tableau LII : Volume des exportations de viande salée de Split à Venise au XVIe siècle
1511 1515 1516 1517 1528 1530 1559 1580 1581
Barillo 2 - 2 4 3 3 5 - -
Lire - 450 - - - - - 1.000 1.000

A la fin du XVIe siècle, près de 500 kg de viande sont exportés (tableau LII), soit plus du
double que dans la seconde décennie du siècle. De là à en conclure que le trafic a augmenté
énormément serait peut être exagéré, étant donné les lacunes pour les années intermédiaires.
Comme catégorie spéciale de viande, nous relevons encore l'exportation de dos de boeuf (tergora

307
D. Roller, Bratovštine, 27, 41.
308
G. Novak, « Quaternus izvoza », (99).

461
bovina) à raison de trois pièces pour Napoli en 1557 et enfin deux terzarole (ris de boeuf ?) vers
Venise, en 1530.

g) Autres produits d’élevage


Il reste encore certains produits d'élevage marginaux parmi lesquels une exportation de
quatre tonneaux de charcuterie (salume) vers la Pouille en 1530; de la graisse de porc (sonza di
porco) en 1557 pour sottovento (quatre tonneaux) et en 1583 pour Venise (huit tonneaux).

3°) Les produits de la mer


Dans sa correspondance à partir de Famagouste, le marchand vénitien Andrea Berengo
relate qu’à l’occasion de ses séjours à Venise il ne manque pas de faire des achats en Dalmatie,
notamment à Vis, en particulier pour s’approvisionner en sardines et maquereaux salés309. De fait,
contrairement à la production agricole, la pêche n’est l’objet d’aucune restriction politique de la part
de Venise, ni territoriale à l'arrivée des Turcs. Les illustrations les plus claires des organisations et
des techniques de pêche sont repérables dans les régions insulaires. Des exemples concernent
notamment l'île de Rab et ses eaux territoriales, ainsi que les îles de la circonscription de Zadar.

a) Organisation et techniques de pêche


Les compagnies d'exploitation du poisson au XVIe siècle fonctionnent principalement sur
les mêmes principes que les autres formes de regroupement commercial. Dans ces ensembles
d’archipels, les baillis ou bien les propriétaires eux-mêmes – aussi bien laïques qu’ecclésiastiques –
de territoires maritimes (îlots, îles, baies et zones de côte considérées comme propriété privée)
fournissent aux pêcheurs le navire, le matériel de pêche, le droit de pêche sur leurs eaux et parfois le
sel nécessaire ultérieurement pour la saumure. Dans la majeure partie des cas, comme dans toute
compagnia, le pêcheur, en tant que socius tractans a le devoir de vendre en échange une partie de
son poisson au socius stans. L'accord stipule également ce prix de vente. La part de poissons
accordée varie entre la totalité de la pêche ou seulement un certain pourcentage de la production, le
plus souvent la moitié. De plus, le pêcheur est tenu d'entretenir à ses frais le navire. Il donne
généralement le produit de sa pêche au jour le jour à l'investisseur. Les propriétaires terriens
peuvent s'associer parallèlement avec des marchands. Ces derniers sont également parfois
propriétaires de navire, auquel cas ils contribuent au transport ultérieur des poissons pêchés pour
leur exportation310. A Zadar, les pêcheurs se regroupent entre eux et avec les marchands pour la

309
Lettres d’un marchand, Lettre du 21 décembre 1555, doc. 149, 171.
310
I. Pederin, « Rapska trgovina », (174).

462
distribution du poisson frais sur le marché de Zadar, puis sur ceux de Venise et de l'Italie en
général, à l'état de saumure dans les tonneaux.
Les îles zadaroises comportent des bassins très productifs, dont le bassin de l’archipel de
Kornati d’une longueur d’environ de 320 km. Les baies les plus fertiles sont celles de Molaščica (en
exploitation de 1440 à 1501) sur l’île de Molat et de Saharun sur l’île de Dugi otok, réputées pour
leur production de petits poissons pélagiques (maquereaux, sardines et apparentés). En prenant en
compte la production de l’anse de Novigrad et des îles de Rab et de Pag, il serait possible de pêcher
jusqu’à près de 30.000 livres de thons par an311. Ainsi, les pêcheurs des îles et agglomérations
environnantes (Silba, Olib, Premude, Skard, Ist, Solina, Polja, Božave, Brbinja, Savra, Sestrunja,
Zverinca et Iž) se retrouvent pour pêcher dans ces deux zones. Ce genre de poisson bleu nécessite
de s'éloigner de la côte jusqu'à 15 à 18 milles nautiques et même, durant les nuits d'été, de demeurer
éloigné de la côte près de vingt jours312.
Le compte rendu d’un procès engagé par les producteurs de 1466, et dont la situation ne se
règle définitivement qu’en 1548, est riche en informations touchant les techniques de pêche
employées, les zones fertiles en poisson, les conditions de travail et les enjeux autour de la pêche,
qui entraînent un tiraillement constant entre les autorités communales et les pêcheurs313. En 1466,
les représentants des pêcheurs insulaires d'Iž, de Veli Rat, de Dugi Otok (du lieu de Sali) et de
Pašman portent plainte devant la Cour de ce que le propriétaire des eaux territoriales, le monastère
de Saint-Krševan, ne remplit pas ses devoirs envers eux; d'après le droit coutumier, le monastère
doit leur fournir une miche de pain et une cruche de vin par pêcheur au moment de la remise du
tribut (c'est-à-dire le huitième de la pêche). Or la remise de cette taxe se faisait également au profit
de la commune depuis le XIe siècle, le monastère l’ayant récupéré en grande partie. Aussi, la Cour
nie l'existence d'une quelconque compensation et menace tout fraudeur envers le monastère d'une
amende de 25 livres.
Les eaux riches en poisson de la zone insulaire zadaroise attirent également d'autres
pêcheurs dalmates. En 1485, des gens de Šibenik sont accusés de n'avoir pas payé le tribut au
monastère, alors qu'ils ont pêché dans les eaux de la commune et vendu le poisson sur le marché
zadarois. Suivant la commune, ils doivent donner également un huitième de la récolte de cette
pêche. La défense argue de ce que cette obligation ne touche que les pêcheurs zadarois et de son
district et non pas les étrangers. La Cour de Zadar en décide autrement, obligeant les pêcheurs
venus de Šibenik à payer le tribut au monastère et à la commune. Ces tensions montrent combien la
commune et le monastère s'efforcent de conserver leurs privilèges sur la pêche à Zadar et dans son

311
A. Piasevoli, « Fragmenti », (40-41).
312
P. Starešina, Pomorstvo Silbe, Zadar 1971, 11.
313
Toutes les informations sont recueillies par Nikola Čolak, « Ribarstvo u Zadarskom arhipelagu u 15. i 16. st. »,
Morsko ribarstvo 1, god. IX, Rijeka (janvier 1957), (10-13).

463
archipel. L'enjeu en est la richesse des revenus issus de la pêche. Les professionnels de la pêche
sont regroupés au sein de la confrérie de Saint-André et Saint-Nicolas. Ils se divisent entre les
pêcheurs avec des grands filets à traite et les autres munis d'outils plus simples314. Cette subdivision
démontre en même temps la spécialisation et l'avancée de la technique de pêche, qui ne peut être
motivée que par l'abondance de poissons.
Au XVIe siècle, le combat entre les pêcheurs insulaires et les autorités laïques et
ecclésiastiques se poursuit. En mai 1500, le représentant du monastère de Saint-Krševan et de la
commune de Zadar exhorte la Cour à renouveler l'obligation des pêcheurs à payer le huitième de la
pêche. Les pêcheurs quant à eux, avec l'aide de leur avocat, un patricien de la famille réputée des de
Begna, reconnaissent devoir payer le tribut, mais seulement dans les cas où ils pêchent à proximité
immédiate de la ville et pour les poissons vendus sur le marché urbain. Ils jugent incompatible, en
revanche, de remettre une part du poisson pêché en haute mer, ou celui qui est en bordure des îles,
destiné à leur propre usage ou à la vente ailleurs. La Cour décide que les pêcheurs insulaires doivent
donner au monastère et à la commune un huitième de tous les poissons pêchés et vendus dès que le
prix de vente dépasse les dix livres. Toute entorse à ce décret est sanctionnée par une amende d'un
demi ducat. La Cour a ainsi étendu les droits des autorités en place sur l'ensemble de l'archipel.
En 1524, un citadin trouve un nouveau mode de pêche plus rentable315 et requiert du
gouvernement vénitien qu'il soit interdit aux autres pêcheurs de se servir de cette nouvelle technique
les dix années suivantes. Le pouvoir vénitien lui accorde cette requête et punit de 50 ducats
d'amende tout contrevenant qui se servirait de cette nouvelle méthode, et le menace de la perte des
sardines pêchées, des filets et autres affaires. La commune de Zadar en profite pour mettre en
vigueur un nouveau décret. Les pêcheurs devraient désormais venir saler leur poisson dans la ville
en ayant auparavant rédigé une demande écrite d'autorisation. Cependant, devant la plainte des
pêcheurs et la possibilité que la production en pâtisse, le gouvernement vénitien exige de la
commune par un décret d'avril 1532 de laisser les pêcheurs tranquilles. Ces derniers doivent
seulement apporter tout le poisson sur l'île de Panitula pour satisfaire à toutes les taxes et
obligations auxquelles ils sont soumis pour leur poisson frais. Le sel doit obligatoirement être
acheté auprès de l'Etat. Une confirmation de vente est remise à chaque propriétaire de navire et ce
dernier doit payer la taxe du trentième pour le poisson salé. Ensuite, le pêcheur reste libre de
disposer du poisson suivant sa volonté. Les pêcheurs qui utilisent les grands filets à traite doivent
continuer à fournir 200 tonneaux de poisson salé par an, comme ce qui était en vigueur auparavant.
La commune ne respecte cependant pas ce décret, puisqu'elle a vendu aux enchères les 200

314
Ibid., (10-13).
315
Le texte manuscrit ne décrit pas la technique en question, mais d'après J. Basioli, cité par N. Čolak, il se pourrait qu'il
s'agisse de la technique du filet à traite avec flambeau décrite plus loin.

464
tonneaux de sardines récoltées par les pêcheurs insulaires, avec un profit de 50 ducats. Le
gouvernement demande que cette vente soit annulée et que la commune s'en tienne au décret
précédent.
Les pêcheurs n’en demeurent pas moins exposés aux irrégularités de la commune et
subissent les conséquences du climat politique : ils sont enrôlés dans les galères pour la République,
doivent participer à la lutte contre les Uscoques et sont encore engagés dans d’autres actions
similaires. Cette pression a pour conséquence la chute du nombre de filets à traite de 60 à 18. Or la
commune continue d’exiger d’eux les 200 tonneaux de sardines annuels malgré la baisse de la
production. Pour pouvoir satisfaire à cette exigence, les pêcheurs sont obligés de vendre à moitié
prix, ce qui représente, d'après le compte rendu manuscrit de leur plainte, une perte de 6.000 ducats.
En 1537, le gouvernement vénitien doit à nouveau intervenir en faveur des pêcheurs contre la vente
aux enchères des 200 tonneaux, la pêche étant l'une des branches économiques les plus profitables
de cette région. L'administration zadaroise oblige alors les pêcheurs à conduire les 200 tonneaux
jusqu'à la ville sous peine d'une amende de 25 livres. Or jusqu'à présent, les pêcheurs vendaient
leurs poissons sur place et la commune venait rechercher sa part. Avec ce nouveau décret, les
pêcheurs sont obligés de tenir des dépôts en ville, d'entretenir des contacts avec des vendeurs sur
place ce qui occasionne des frais supplémentaires et une perte de temps. A ce titre, l'une des
conséquences est que les pêcheurs doivent jeter vers la fin du mois de mai la moitié des poissons
par-dessus bord en raison de la baisse du trafic poissonnier – d'autant plus qu'avec la conquête
ottomane, le territoire, et donc les échanges, se sont réduits. De plus, l'obligation d'avoir une
dépendance en ville entraîne la nécessité de contracter des emprunts avec garantie auprès des juifs,
dont les pêcheurs estiment les intérêts exorbitants. La dernière conséquence de ces nouvelles règles
réside dans le prix du poisson. Les pêcheurs travaillent également à perte : ils vendent dix têtes de
sardines pour un sou, alors que 1.000 sardines valaient vingt livres. Ils perdent donc les trois quarts
de la valeur de vente.
La permanence des pressions exercées sur les pêcheurs les amène à se plaindre à nouveau
auprès du Sénat vénitien. La procédure s'étend de 1546 à 1548 entre les pêcheurs et le monastère de
Saint-Krševan. En 1548, le Sénat donne les conclusions suivantes : les pêcheurs avec des filets à
traite de l'archipel de Zadar peuvent librement pêcher sur tout le territoire et jeter aussi bien lesdits
filets que toute autre arme nécessaire à la pêche sans aucune obligation de payer le tribunum. Ils ne
sont pas pour autant libérés des autres taxes urbaines et de l'obligation de fournir la ville en quantité
suffisante de sardines. Pour peu qu'ils pêchent dans les baies et les lieux réservés au monastère et à
la commune, ils doivent toujours payer le huitième de la production316.

316
N. Čolak, « Ribarstvo », (12-13).

465
Parmi les techniques de pêche, la tracta est un filet à traction, d'une longueur de vingt-cinq
pas et d'un coût de huit livres. Il sert aussi bien à la pêche aux sardines qu'à celle des thons. Ces
filets ont souvent deux propriétaires ou plus – parcenevoli – qui participent alors
proportionnellement à la répartition du poisson pêché avec leur filet (en 1570). Les propriétaires
uniques existent aussi, comme le pêcheur Nikola Frančić sur l’île de Rab, qui achète en 1573 huit
filets au prix de 52 livres317. Les seize implantations insulaires et côtières de Zadar représentent une
capacité de 200 filets à traction (tracta). L'île d'Iž à elle seule en a neuf. Ces filets destinés aux
sardines nécessitent l’usage d’environ trois barques de quatre marins par filet. Ainsi, par exemple,
la majeure partie de la population masculine insulaire à Silba (120 habitants au total en 1500) se
consacre à la pêche318. En dehors de la tracta, il existe encore deux techniques : la rete (dont on a
mention en 1540 au moins), filet en suspension adapté à la pêche au thon sur tout le large des côtes,
avec lequel les pêcheurs attrapent le poisson qu’ils ont effrayé au préalable, et le parangal (dont on
a témoignage en 1556)319.
Dans les eaux de Zadar se pratiquent d'anciennes techniques de pêche telle que celle du
« grillement » (svaržale, d’après le verbe griller, sparžiti). Dans ce système, on brûle un tronçon de
branche de cassis par temps de mer calme sans lune. Ce tronçon est tailladé à la hache sur une partie
en forme de torche, portée alors sur les épaules par le pêcheur le long de la côte passant de roche en
roche. Le poisson est attiré et aveuglé par la lumière et se fait attraper. Lorsque arrive l'usage de la
lampe à essence, le tronçon est trempé dans l'essence pour mieux brûler. L'expression du
« grillement » est également employée pour le cassis tailladé ou la vigne sèche enflammés sur une
base grillagée en fer placée près de la poupe de la barque et renforcée à la barre par deux barres de
fer à l'occasion de la pêche de poisson bleu. Il existe encore la technique très ancienne à l'hameçon,
qui est fixé à un filet, pour la pêche le long de la côte320. A la fin du XVIe siècle, apparaissent les
premiers bacs à poissons fermant et parcellisant une partie de la mer pour l'élevage des poissons. Le
premier bac trouvé dans les sources de Rab date de 1577, propriété d'un certain Zakaria Benedetti
avec l’accord du comte et capitaine321.
Dans la littérature du XVIe siècle enfin, on peut trouver l'évocation du déroulement de la
pêche. Le patricien de Hvar, Petar Hektorović, a rédigé un essai destiné à son ami, sous le titre De
la pêche et conversations de pêche322, dans lequel il décrit trois jours passés auprès de deux
pêcheurs dans les eaux de Stari grad à Hvar, pendant l’été 1555. Tout critique littéraire s'accorde à

317
I. Pederin, « Rapska trgovina », (174).
318
P. Starešina, Pomorstvo Silbe, 11-12.
319
I. Pederin, « Rapska trgorvina », (173-174).
320
P. Starešina, Pomorstvo Silbe, 12.
321
I. Pederin, « Rapska trgovina », (174).
322
éd. Biblioteka Bašćina, réd. A. Čavić, Petar Hektorović, Ribanje i ribarsko prigovaranje složeno po Petretu
Hektoroviću, Venetia MCLXVIII, Stari Grad Faros 1997.

466
louer la description réaliste de ce petit voyage. Dix vers extraits de ce texte, écrit en vieille langue
čakavienne littéraire propre à la région dalmate, rendent compte d'une technique courante de pêche
qui comporte des similitudes avec ce qui a été déjà avancé :

Činih, da splav sprave i arbor i jidro,


i vesla da stave i timun i sidro
i mriže tankoga tega, ke padaju 55
der do dno dna morskoga i putom plivaju;
i na to ubranu travu gorske paše,
limičnom vezanu, da se riba straše;
kopitnjak i osti i luča zametaj,
s kim će ribe bosti večer vozeć uz kraj. 60
Još Paskoj dovede sina za potribe,
koji š njim prisede, da buca na ribe323.

L'un des principes de base, commun à toutes ces régions de pêche, est d'effrayer le poisson
afin de l'orienter vers une zone précise qui permet de les amasser en quantité suffisante pour les
prendre à la pièce si besoin est, voire à main nue, en fonction du poisson recherché.
Actuellement la recherche ichtyologique apporte sa contribution à une pêche plus rentable,
par une meilleure connaissance des conditions naturelles de vie des poissons. Il s'avère qu'en
Adriatique, les bancs les plus nombreux sont, parmi les poissons de surface, dits bleus et
pélagiques, ceux des sardines (clupea pilchardus), puis des maquereaux (caranx trachurus) des
thons (euthynnus pelamis) et affiliés. Pour les poissons en eau profonde, dis blancs et benthiques,
les plus représentatifs sont les merlans (merluccius vulgaris) et les picarels (smaris vulgaris). Les
progrès effectués dans la pêche au gros n’assurent pourtant pas une rentabilité maximum. La pêche
ne peut être que temporaire et saisonnière, qui plus est très fluctuante et instable. De fait, les lieux
de vie, les trajets et l'étendue du champ de déplacement de ces poissons restent encore des inconnus.
La masse des sardines par exemple fluctue toujours, et leurs colonies migrent suivant des circuits
non encore maîtrisés324. Les aléas d'une pêche abondante quelque quatre siècles auparavant sont
d’autant plus faciles à imaginer.

323
« Et ils préparent un navire avec le mât et la voile,
l'équipant des rames, du gouvernail et de l'ancre
et des filets finement tressés, avec des poids qui tombent 55
jusqu'au fond de la mer et les flottants nageant [à la surface]
et avec cela l'herbe cueillie dans les pâturages des monts,
attachée avec du fer-blanc, pour effrayer le poisson;
le pecten, la torche de pin et le harpon,
avec lesquels on pique le poisson le long de la côte le soir. 60
Paskoj amène aussi son fils en cas de besoin,
qui s'assoit avec eux, pour frapper sur les poissons ». [p. 38]
324
Pomorska enciklopedija, art. « Ribarstvo », 601, (1960).

467
b) Production et commerce de poissons à Zadar
La pression exercée par la commune sur les pêcheurs et l’intervention salvatrice de la
République démontrent que la production des produits de la mer est abondante, notamment tout
autour des eaux insulaires. Cependant, les traces d’échanges commerciaux, voire des informations
quelconques sur le volume de la pêche, sont très limitées. Les poissons mentionnés dans les textes
d'archives sont surtout les maquereaux, les thons et les sardines. Les types de navires employés pour
la pêche sont exclusivement les grips325.
La production d’une gélatine de poisson est particulièrement appréciée. L’un des centres
serait l’ancien village de Gazenice (Gasenizze) où sont situées des pêcheries et des salines le long
de la côte326. En avril 1563, Toma de Zadar exporte ainsi 20 tonneaux de gélatine, avec sa cargaison
de fourrure de renard, ses maquereaux et du fromage, à Ancona327.
Bien que le territoire maritime de la commune de Zadar comporte plusieurs îles où le
poisson abonde, très peu d'indications touchent ce commerce. La tradition est néanmoins longue
d’au moins quatre à cinq siècles, puisque dès le XIe siècle, les moines de Saint-Krševan prélevaient
un tribut (tributum) sur la pêche des pêcheurs urbains. Ce privilège est confirmé à deux reprises,
dont en 1466, malgré les protestations des producteurs. Le fait que de nombreuses églises de la
péninsule même portent le nom de saint Nicolas, protecteur des pêcheurs et des marins, est
révélateur de l’ampleur de cette branche du secteur primaire328.
Les informations récoltées dans les actes notariés du XVIe siècle sont succinctes : 40
tonneaux de sardines provenant de l'île de Šolta, douze tonneaux de mera et huit tonneaux
d'anguilles (angusigose) et de saupes (salpe) sont acheminés à destination de la rive orientale de
l'Italie (sottovento). Mais dans le même temps, des échanges existent également avec d’autres villes
dalmates, indépendamment de la production propre de la cité. Ainsi, en novembre 1516, le
Bolognais Lazaro importe onze tonneaux de sardines et de maquereaux à partir de Split pour Zadar,
dans la barque d’un patron zadarois329.
Parallèlement, un registre notarié contient quelques équivalences d'unités de poids pour
l'année 1553, à savoir :
- 2 vachette = 93 tonneaux = 1.312 miara
- 1 vachetta = 46,5 tonneaux = 651 miers330 => 310,5 tonnes ?
En 1556, l'inventaire de Lazar Pontremolo témoigne indirectement de l'intérêt de ce
marchand pour les produits de la mer. Il contient entre autres 1.300 tonneaux prévus pour le poisson

325
Ibid.
326
A. Piasevoli, « Fragmenti », (40-41).
327
ASAN, ACAN n° 1574, Quarto 1563, n°431, f°30.
328
A. Piasevoli, « Fragmenti iz ekonomskog », (40-41).
329
DAZd, Sp. Ar., boîte 49, B. 60, F. 6/II, f° 480.
330
DAZd, Conte Antonio Civran, F. 9, f° 128-136.

468
salé. De plus, Pontremolo possède sur l'île de Dugi otok onze filets et quatre navires de 500 à 800
setiers de capacités331.
Les registres douaniers d’Ancona, quant à eux, sont limités à quelques mois, de mars – mai à
août de l’année concernée. Les Zadarois y importent surtout des maquereaux secs : 26 miers et 13
milliers en juin-juillet 1551, puis 1.400 maquereaux sec et 1 mier en avril-mai 1562, et enfin 1.200
maquereaux en avril 1563, auxquels s’ajoutent 8 tonneaux de sardines en juillet 1551332.

c) Le trafic des poissons à partir de Split


La côte adriatique orientale bénéficie d'une riche faune aquatique et ce foisonnement se
retrouve dans l'offre en poissons de la ville de Split avec près de huit espèces marines proposées sur
le marché d'exportation. Le poisson constitue d'ailleurs un élément nutritif de première importance
dans l'alimentation côtière et se trouve valorisé par sa richesse en protéines et minéraux333. A Split,
comme dans les cas précédents, la majorité des poissons est commercialisée déjà salées, facilitant
ainsi leur conservation et le transport. Ces saumures sont appréciées dans l'ensemble des régions de
la mer Adriatique. De nos jours ces poissons salés en provenance des villes dalmates, accompagnés
de vin rouge, sont considérés comme une délicatesse. Au XVIe siècle, la principale mesure utilisée
est le tonneau (barilo).
• Pesci saladi/salamuri/sechi (poissons salés, en saumure, séchés). Avant d'entrer dans le détail
des espèces diverses, le trafic des pesci saladi donne un premier aperçu de ce commerce. Un
inconvénient se pose cependant à nouveau, les contenants, à savoir les cavi, tonneaux, tonnelets,
sacheti et miara334.
Une bonne partie de ce poisson est encore exportée en vrac (dont pour les 400 cavi il est
indiqué aussi a refuso, mais il serait hasardeux de se servir de cette donnée comme moyen
d'équivalence). Cela est vrai pour l'année 1503, durant laquelle le poisson est exporté à Molla, dans
l’Abruzze et les Marches; de même en 1511 du poisson a refuso est transporté pour Venise et en
1515 des navires contenant ce chargement se dirigent vers les Marches et Fermo. Les registres

331
Zadar pod mletačkom upravom, 259.
332
ASAN, Cartolario 1551, f° 24’, 47, 60’, 63’; Quarto 1562, f°46’, 67’, Quarto 1563, f° 30, 38’.
333
La part comestible du poisson contient 75-80% d'eau, 15-24% de protéines, 0,5-2,2% de graisse, 0,8-1,5% de
matières organiques, des vitamines – dont la vitamine A du foie de certaines espèces exploitées pour la production
d'huile, la vitamine C d'une bonne part des coquillages –, des diastases, et du fer, du cuivre, du zinc, du magnésium, de
l’iode et du cobalt. L'organisme absorbe jusqu'à 96% des protéines du poisson (plus que la viande de boeuf). Le besoin
quotidien en protéines chez l'homme est d'environ 1g pour 1 kg de poids corporel dont la moitié sous forme de protéines
animales. Chez un adulte de 70 kg, une boîte de thon à l'huile de 100 g. (25 g. de protéines) et 300 g. de pain (21 g. de
protéines) lui assure 66% des protéines totales et 83% des protéines animales nécessaires; Pomorska enciklopedija, art.
« Ribe » (1960), 573-584.
334
Une seule équivalence est donnée en 1583, lorsqu'un marchand enregistre 52 tonneaux pour Ravenna en indiquant
qu'ils représentent 66 miara et contiennent 800 poissons. Ceci nous donnerait comme équivalence : 1 tonneau = 1,27
miara = 15 poissons; mais étant donné que l'on ne sait pas de quel type de poissons il s'agit et sachant que leur taille
varie, il est impossible d'appliquer ce système de comptabilité pour toutes les autres données.

469
précisent le plus souvent qu'il s'agit de poissons secs (seccho) et de plusieurs sortes. Nous n'avons
malheureusement aucun système fiable d'équivalence, mais si nous nous référons aux années 1581-
82, nous voyons que ce trafic peut connaître de grandes variations (les deux années sont complètes)
: près de 10.000 poissons sont exportés en un an.
L’orientation du trafic varie également. Les ports italiens de la côte orientale sont les
principaux marchés importateurs, tout au long du siècle, avec une légère prédominance des Marches
au début du siècle, puis de Venise entre 1511 et 1530 et pour finir de sottovento dans les années
1580. Le marché du Littoral croate n’est présent que durant la deuxième décennie du siècle tandis
que l'Istrie (la ville de Piran) se fait importatrice de poisson à deux reprises dans les années 80. Tout
au long du siècle, 25 voyages au total sont effectués. La part du marché de Venise représente 20%,
suivie de la part des Marches et de sottovento à égalité, avec 16% du marché d’exportation. Ce
nombre de départs est très faible, d'autant plus qu'il n'existe aucune trace de ce commerce pour les
années 1504, 1528 et 1529, pas plus que dans le registre de 1557-1560. Il s'agirait donc d'un trafic
plutôt marginal. En réalité, il faut voir le détail des poissons exportés par espèce pour se faire une
idée plus claire de ce que représente cette branche de l'exportation splitoise.
• Les orphies, aiguilles (agui, belone acus). Ce trafic n'est visible que de 1503 à 1530. Leur
exportation est très peu significative : cinq tonneaux sont transportés vers la Pouille en 1503-1504
et trois tonneaux vont en direction de Syracusa (Saragossa) en 1530.
• Les chinchards (suri). Leur exportation ne concerne que l'année 1511 et les années 80. La
première année, quatre tonneaux sont exportés à Venise. De 1581 à 1583, 64 barils sont transportés
vers sottovento (et à Piran en 1581). L’année 1583, le marchand Antonio di Garzani précise,
lorsqu’il exporte ses chinchards, que douze tonneaux contiennent en tout 26.400 poissons335, soit à
raison d’1 tonneau = 2.200 poissons. Si l’on faisait le total des 46 tonneaux exportés en 1583, sur la
base de cette équivalence provisoire, nous obtiendrions un total de 101.200 poissons336.
• Les maquereaux (scombri, scussi). Ces poissons sont exportés dans trois contenants : les
tonneaux, les sacs et les miara (voir annexe). Or il est impossible d'établir un système d'équivalence
puisque ces contenants étant de fabrication artisanale, ils sont extensibles et variables. Dans l'autre
cas, nous avons le témoignage de chargements de maquereaux, dès 1503, et ce en vrac, en direction
de l’Abruzze, de Napoli et de la Pouille. Il paraît difficile de quantifier ou de suivre une évolution
quelconque. Le volume de ce commerce est minime, et les transports sporadiques ne concernent que
les ports à l'ouest de Split : de Piran jusqu'à l'ensemble de la côte orientale italienne (la plus grande

335
DAZd, Sp. Ar., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 479, le 29.I.1583.
336
Par extrapolation, on obtiendrait une consommation d’environ 277 poissons par jour ce qui, en prenant une
consommation moyenne de vingt poissons par personne, représenterait une ration quotidienne pour dix personnes. A
travers ces calculs, on ne peut donc pas parler d’un véritable commerce des chinchards, mais d’une exportation
d’appoint.

470
quantité de maquereaux exportés concernent l’envoi de dix miers de poissons vers sottovento). La
direction sottovento suscite trois voyages en 1581 et un en 1582 à la différence des autres ports qui
ne sont cités qu'une seule fois. A l’inverse, en février 1581, des sechie de scombri sont importés à
Split en provenance de Venise. A Zadar en 1562, 1.400 pièces et un mier de maquereaux secs sont
exportés à Ancona avec 50 livres de fromage salé337.
• Les thons (tonina). Son exportation n'apparaît que jusque dans les années 1530. Toutes les
mesures sont fort heureusement exprimées en tonneau, y compris le transport d’un grand tonneau
destiné à la Pouille en 1530. En 1529 toutefois, trois caratelli de thon sont exportés à Trani338. Cette
région de la Pouille importe 96 tonneaux de thon entre 1516 et 1528. Les quatre tonneaux pour
Otranto contiennent du thon salé, tandis qu'un certain nombre de tonneaux à destination de la
Pouille, en 1517, contiennent également des sardines mélangées.
• Les picarels (girize salade; zgirol). Leur exportation s'étend sur tout le siècle mais à très faible
quantité. Le seul transport significatif est la charge de 120 tonneaux exportés à Monopoli, plus deux
tonneaux vers la Pouille en général en 1529. Les autres déclarations répondent le plus
vraisemblablement à la consommation sur le navire. De même en 1582, les quatre tonneaux de
picarel (appellation italienne menole), en provenance de Trogir, représentent sans doute la
consommation de l’équipage (per tramesso).
• Autres espèces de poissons. Comme autres poissons, citons le trafic de scoranze, des poissons
d’eau douce appelés encore « bogiana » qui proviendraient de l’estuaire de la Boyana. En 1530, ces
poissons sont transportés en vrac vers l’Abruzze.
• Les sardines (sardelle). Ce type de poissons fait l'objet du plus grand trafic (graphique
XXVIII), dans de nombreuses directions. Bien que les contenants (tonneau, tonnelet, caratelo et
miara), soient divers, la majorité des exportations est réalisée en tonneaux, avec quelques fois des
équivalences convertibles. Les sardines sont pour une bonne part expédiées déjà salées. Toutefois,
toutes ne sont pas pêchées à Split. Les ports d’Omiš (quelques barils en 1503, puis six barils, à
destination de Ravenna, en 1583) et de Makarska (50 barils en 1558 sont transportés vers la Pouille,
sottovento et Venise) fournissent également le marché adriatique en transitant par Split. Le marché
est très fluctuant : de seulement 67 tonneaux en 1503, l’exportation bondit à 810 tonneaux en 1516,
tandis qu’en 1559 le trafic se réduit à 284 tonneaux, pour reprendre ensuite à la fin du siècle (616 et
559 barils). Pour ce qui est des autres contenants, les plus grosses quantités de sardines sont
également transportées dans les années 1515-1517.

337
ASAN, Quarto 1562, f° 46’, 67’.
338
DAZd, Sp. Ar., boîte 67, B. 74, F. 7-IV, f° 561’, le 26.VII.1529.

471
1000 100% sardines

800 75% sardines 98% sardines 97% sardines


86% sardines 100% sardines
Tonneaux

600

400 83% sardines 100% sardines

200 50% sardines

0
1503 1511 1515 1516 1529 1558 1559 1581 1582

Année complète

Graphique XXVIII : Exportation des poissons à partir de Split au XVIe siècle

L'année 1503, les plus gros marchés d'importation de sardines sont l’Abruzze et la Pouille
(81%). En 1511, Venise est la destinataire principale (84%). En 1515, les régions sont plus
diversifiées : 26% du trafic est destiné aux régions italiennes comme la Pouille (dont Termoli), la
Romagne (représentée par Ravenna) et le Molise et 18% pour les seules Marches (avec notamment
Lanciano); 28,5% concernent le Levant (fin a Cipri), à savoir Chypre (dont Nicosie) et les colonies
vénitiennes en Egée (Monemvasie et Zante) et 12% des sardines sont exportées à Venise. Le reste
du trafic est réparti entre l’Istrie et la Dalmatie (dont l'île de Hvar, Šibenik et Zadar), puis les villes
du Littoral croate (Bakar, Senj, Karlobag, Krk et Rab). En 1516, le profil du marché change à
nouveau : 40% du trafic est dirigé vers Venise, 37% vers l’Italie du centre et du sud. On relève une
exportation de transit vers Candie (20 carateli) et Napoli (16 carateli) en passant par Hvar, et
l’exportation jumelée vers Zadar et les Marches (plus de 20 tonneaux). A partir de 1517, le port de
Piran en Istrie commence à s'approvisionner en sardines de Split pour devenir l'un des principaux
marchés, avec sottovento, des années 1580. Durant les quelques mois d’hivers 1528, 23 tonneaux
sont exportés à Dubrovnik et 5 autres pour Vlorë, tandis que durant l’année complète de 1529, on
retrouve les trois principaux marchés : les Marches (40,5%, dont Ascoli), la Pouille (28%, dont
Trani, Monopoli et Barletta) et le Levant (11%, dont Corfou, Zante, mais aussi Vlorë). Les autres
espèces de poissons (thons – 32 tonneaux, maquereaux – 3 sacs, picarels – 120 tonneaux et zgirol –
2 tonneaux) de cette période sont exportées exclusivement vers la Pouille (dont Trani et Monopoli).
En 1530, la Pouille domine le marché des importations (69%) avec les communes de Termoli,
Barletta et Brindisi. S'il était possible de s'appuyer sur une équivalence trouvée pour 1583, suivant
laquelle six tonneaux contiennent 21.900 pièces, soit 1 tonneau = 3.650 pièces, la moyenne annuelle
des sardines exportées à la fin des années 1520 atteindrait 1.706.983 pièces.
Au fur et à mesure que nous progressons dans le temps, les ports cités sont de plus en plus
rares, pour se réduire à ceux de la Pouille, à Piran et à sottovento dans les années 1580. En 1558, la

472
Pouille et sottovento absorbe 85% du trafic, le reste étant destiné à l’Istrie et à Venise. Un an plus
tard, 7% des sardines sont expédiés vers Ravenna et les 93% vont vers la Pouille. Durant le registre
de 1557-1560 l’exportation connaît un fort fléchissement, qui pourrait s’expliquer par la raréfaction
du poisson à Split. Un indice peut nous orienter vers ce sens, puisque 50 tonneaux destinés à la
Pouille proviennent à l’origine du port de Makarska. Dans les années 1580, le trafic se redresse avec
629 tonneaux (dont 98% de sardines) et 6.900 poissons de diverses espèces exportés en 1581, puis
575 tonneaux (dont 97% de sardines) et 10.500 poissons divers en 1582. Dans le compte par pièce,
84% sont destinés à sottovento et 16% à Piran, tandis que tous les tonneaux de sardines sont
expédiés vers sottovento, alors que les maquereaux et les chinchards vont à Piran. En 1582, la
situation est semblable : 91% des sardines vont vers sottovento et le restant vers Piran. En 1583,
année incomplète, les six tonneaux prévus pour Ravenna proviennent d'Omiš, tandis que les 89
tonneaux restant vont vers sottovento.
Le trafic des poissons est donc très fluctuant, situation qui se retrouve également à Trogir.
Dans le registre de 1566-1569, pour les années complètes, Trogir exporte 742 tonneaux de poissons
en 1567, dont 85% de sardines et 12% de poissons secs ou en saumure, essentiellement vers Venise
(57%) et en partie vers la Pouille (29%), le reste allant à Zadar et à Vasto. En 1568, le volume
augmente à 1.151 tonneaux, dont 78% de sardines, 9% de maquereaux et 8% de chinchards. Les
sardines sont envoyées à 44% vers les centres du Levant (Corfou, Candie, Chypre et Zante)339. Une
décennie plus tard, les quantités sont encore plus importantes. Au cours de la période juin 1576 à
juillet 1577, Trogir exporte 3.266 tonneaux, avec à nouveau la prépondérance des sardines (81%).
Trogir apparaît donc comme un plus gros marché d’exportation que Split. Cette ville est encore
supplantée par Šibenik. D’après son registre de la même période, jusqu’à 4.125 tonneaux sont
exportés, dont 88% de sardines et près de 10% de maquereaux340.

4°) Les produits agricoles


La production agricole splitoise est de type méditerranéen. Elle abonde en fruits, en vignes,
en oliveraie. Reste à connaître si la ville produit des surplus susceptibles d’être exportés. De même,
dans son rôle de port de transit, Split est sans doute amenée à convoyer les articles alimentaires de
ses partenaires économiques. A Zadar, tout comme dans le cadre des marchandises d’origine
animale, certaines denrées apparaissent de manière très marginale dans les registres notariés étudiés.
Ainsi la rubrique fruits et légumes est-elle inexistante, même si nous avons la trace de leur trafic341.

339
DAZd, O.T., Bulletae primus, B. IX, F. 12.
340
Josip Kolanović, « Izvoz ribe na drugu obalu Jadrana u XV. i XVI. stoljeću. Na primjeru Šibenske i Trogirske
komune », Tisuću godina prvoga spomena ribarstva u Hrvata, Zagreb 1997, 319-330 (325).
341
En 1516, 44 tonneaux de figues sont importés de Split à Zadar; DAZd, Sp. Ar., boîte 49, B. 60, F. 6/II, f° 480. Cet
exemple montre une fois de plus que Split est un important fournisseur de figues pour Zadar et sans doute pour la côte
adriatique orientale.

473
a) Les fruits et légumes
Au sein de cette catégorie, certains produits sont exportés de manière tout à fait artisanale et
épisodique342, tandis que d'autres sont l'objet d'un trafic suivi et volumineux.
Les amandes (mandola) sont l'objet d'un trafic épars de 1503 à 1530, pour lequel nous
sommes à nouveau confrontés aux difficultés de conversion (tableau LIII).

Tableau LIII : Exportation des amandes de Split au XVIe siècle


Année Dalmatie Littoral croate Venise Pouille
1503 3 sacsa - 10 sacs -
1511 5 sacsb 1 barilc 4 carateli -
1517 1,5 sacsd 1,5 tonneau 2 sacs -
- - - 1 sacheto -
- - - 1 outre -
1528 en vrace - - 1 sac
1529 - - - 1 bariletof
- - - 2 sacs
1530 - - 1 sac -

En 1511, le tonneau d'amandes destiné à une vente en vrac pour Senj provient des terres du
marchand, puisqu'il est spécifié de sue intrade. A deux reprises, ces amandes sont transportées cum
scorzo en 1511 et 1517 et une fois per tramesso, safretto. En 1529, cette amande est qualifiée
d'ambrosine.
A partir du XVIIIe siècle la marasque (maraska), variété de cerise acide méditerranéenne,
est utilisée à Zadar pour la fabrication d'une liqueur sur la base d'une recette tenue secrète du nom
de « Maraskino ». A quelle fin est-elle utilisée jusque là ? On peut supposer qu’il existait déjà une
fabrication locale de la liqueur. Dans le même temps, ces cerises peuvent être consommées fraîches.
La majeure partie de ces petites cerises sont transportées et déclarées dans des tonneaux – ce
qui suppose qu’elles sont fermentées préalablement à la distillation, mais aussi en outres, en
tonnelets et en carateli (tableau LIV). Quant aux autres quantités, les tonneaux sont présents sur
tout le siècle, tandis que les barriques ne sont utilisées que jusqu’en 1516. Les marasques sont
exportées essentiellement durant la première moitié du siècle, l’année 1511 (avec trente tonnelets
vers Venise) et l’année 1529 (avec 18 tonneaux vers Venise), atteignant les cargaisons les plus

342
En 1515, du raisin aigre (agresta) est transporté en quantité, semble-t-il, minime (une mezarola) à Venise; en 1530,
trois citrons font partie d’une cargaison vers la République; cette même année, un ligazo de salade est aussi prévu pour
Venise. De la noix est transportée, à raison de deux sacs pour Hvar, Dubrovnik et Korčula en 1515 et de trois setiers
pour Trani en 1530. Des olives sont exclusivement exportées en 1557 vers Venise, soit huit tonneaux et deux carateli.
Etant donné que dans la majeure partie des cas ces marchandises sont destinées à Venise, il est très probable qu'il
s'agisse d'un trafic d'appoint lié à une commande particulière d'un client précis hors des tendances du marché. Toutefois,
ces « exentricités » sont plus présentes durant les premières décennies du siècle qu'à la fin de la période considérée.
a
Ces sacs vont à Šibenik.
b
Ils sont destinés à Zadar.
c
Il va à Senj.
d
3 sacs sont en fait partagés entre Hvar et Bakar.
e
Une partie va à l'île de Pag et une autre vers la Pouille.
f
Les amandes vont à Barletta.

474
volumineuses. En dehors des rares transports vers l’Empire ottoman (17 tonneaux en 1557), la
République de Saint-Marc absorbe l’essentiel du marché.

Année Venise Pouille Dalmatie sottovento Turchia


1503 7 tonneaux
1 barrique - - - -
2 outres
1511 15 tonneaux
30 barriques 4 barriques - - -
3 caratelli
1515 29 tonneaux 2 barriques - - -
1516 36 tonneaux
6 barriques 3 barriques 4 tonneaux - -
1 sac
1517 44 tonneaux 6 tonneaux - - -
3 outres
1529 118 tonneaux 9 tonneaux - - -
1530 49 tonneaux 21 tonneaux - - -
1 outre
1557 44 tonneaux 5 tonneaux - 3 tonneaux 16 tonneaux
1558 6 tonneaux - 2 tonneaux - -
1559 36 tonneaux - - - -
1581 20 tonneaux - - - -
1582 71 tonneaux - - - -
Tableau LIV : Exportation de marasques de Split au XVIe siècle

Parfois ces cerises sont transportées per tramesso. Les deux pôles principaux d’importation
sont incontestablement Venise d’abord, puis la côte apulienne (avec notamment les villes de
Brindisi, Termoli et Trani en 1529-1530). Le marché de Venise est approvisionné de manière assez
irrégulière; les principales périodes d’importation sont les années 1511, 1530 et 1582. Le courant
des exportations paraît donc assez sporadique, encore faudrait-il savoir à quelles occasions
répondent ces pics de transports.
Le marché des raisins sec (vun passa, uva passa) est limité aux années 1503-1528 et ce pour
des quantité très minimes, tandis que les destinations varient. En 1503 sont exportés dix tonneaux et
un tonnelet vers la Pouille, ainsi qu’une cargaison mixte de figues et de raisins secs. En 1511 ces
chiffres se réduisent à un tonneau et deux outres, l’ensemble étant expédié cette fois vers Venise. En
septembre 1515 n’est exportée qu’une outre vers Bakar et Senj (durant sa période de foire), puis de
septembre à octobre 1516 sont exportés cette fois dix-huit barils vers la Dalmatie, Rijeka et Bakar,
ainsi que trois tonnelets vers Venise. En décembre 1528, seulement une outre est exportée vers
Venise et un sac vers la Pouille.
- Les figues (figi)
C'est le seul fruit véritablement exporté en gros. La figue de Split étant réputée sur le marché
adriatique, les marchands spécifient dans beaucoup de déclarations à la douane qu'elle provient de
leurs possessions ou de celles de monastères – en 1511, des figues proviennent du monastère
Sainte-Marie de Poljud. Bien mieux, ce marché étant porteur, les producteurs de figues vont jusqu'à

475
en acheter encore pour l'exportation (c'est du moins ce que suggère la formule plusieurs fois
employée de comprade e de sue intrade).
Pour la fin du XVe siècle, près de 3.000 barils sont exportés à Venise par an en 1475-1476,
puis plus du double (près de 7.000 tonneaux) en 1481-1483 (tableau LV). Le sens de cette
exportation de figues vers Venise, dans près de 99% des cas serait, selon l’historien T. Raukar, le
résultat d’une politique arrêtée de la République de faire acheminer les produits agricoles (dont le
vin également dans près de 88% des cas) des communes dalmates vers son propre marché de
consommation.
Tableau LV : Exportations des figues vers Venise au XVe siècle343
Année Barils Part de l’exportation totale
1475 3.150 100%
1476 2.839 100%
1481 6.450 99,35%
1482 6.593 96,04%
1483 7.721 99,47%
1484 494 92,51%
Total 27.337 98,87%

Au XVIe siècle, les mesures de poids et les contenants employés sont une fois de plus variés.
Un premier tableau résume les unités les moins usitées (tableau LVI). Bien qu’il soit impossible de
cerner le volume global représenté par ces contenants, unités de comptes et mesures, la majorité de
cette marchandise est destinée à Venise, tout comme à la fin du XVe siècle.
Seul l’emploi de l’outre peut fournir quelques notions du volume de figues exportées. En
prenant pour équivalence un udro = 62 kg344, les quantités acheminées durant les XVe-XVIe siècles
apparaissent déjà très importantes. En 1482, 8,7 tonnes et en 1483, 13,6 tonnes de figues sont
exportées vers des directions non spécifiées345. Au début du XVIe siècle, les quantités chutent à 12,6
tonnes de figue en moins de deux ans (1503-1504) destinées à Venise, puis à 2,6 tonnes en 1511
(année complète)346. Le trafic en outres s’interrompt après 1528-1530, années durant lesquelles plus
que 3,2 tonnes sont transportées en trois ans. Dans ce calcul par outre, le volume de l’exportation se
réduit donc considérablement (jusqu’à cinq fois moins en 28 ans – en 1483 et en 1511, années
complètes). Mais le compte en sac donne une autre image : en 1476 (dix mois), seize sacs sont
transportés, en 1481 (six mois), douze sacs, en 1482 (douze mois), quatorze sacs, et en 1483 (douze
mois), vingt sacs347. Or, des quantités plus importantes de sacs sont transportées au XVIe siècle
(tableau LVI) : 21 en moins de deux ans en 1503-1504, 42 en 1511 (douze mois), 156 sacs en

343
Tiré de T. Raukar, « Komunalna društva », (78).
344
Voir l’annexe métrologique et les calculs concernant la figue.
345
L’auteur calcule respectivement 140 et 219 outres pour ces années complètes; T. Raukar, « Komunalna društva »,
(68).
346
Le transport de ces figues est réparti entre les ports croates et Venise.
347
T. Raukar, « Komunalna društva », (68).

476
moins de trois ans en 1515-1517, mais seulement six sacs en 1528-1530, principalement vers les
ports du Littoral croate et Venise.

Tableau LVI : Exportation de figues en contenants non convertis


Année Quantité Mesure Direction
1503-1504 44 sachi barili Bakar, Senj, Dalmatie
21 sacs Senj, Venise
131 sacheti Venise
8 caratels Ravenna, Venise
18 brade (?) Pouille
1511 42 sacs Bakar, Dubrovnik, Krk, Omiš, Senj, Venise, Zadar
30 caratels Venise
1 caisse Venise
1515-1517 1 caratel Venise
2 caratelli pic. Bakar (fiera), Bakarac, Krk, Rab, Rijeka, Senj, Venise
156 sacs Bakar (fiera), Bakarac, Krk, Rab, Rijeka, Senj (fiera),
2 sacheti Venise
6 miara vel circa Venise
1528-1530 1 ligazo Venise
6 sacs Venise
32 sacheti Venise
1 caisse Venise
1 caratel Venise
1559 3 miara Dalmatie
3 caisse Neretva

Le manque d’équivalent gène beaucoup l’estimation du volume de figues exportées de Split,


et la simple analyse des transports en outres et en sacs montre combien ces quantités pourraient être
importantes. Seules les destinations demeurent un indicatif fiable. Ainsi, la majorité des villes du
Littoral croate importent des figues jusqu’à l'année 1530, à l'occasion notamment de leurs foires.
Toutefois, ce commerce couvre toutes les directions des côtes de l'Adriatique, de la Pouille jusqu'à
la Neretva. Les autres contenants sont le baril et ses subdivisions très ramifiées, allant jusqu’au
barileto piccoli, ou petit barillet (tableau LVII); ils permettent de mieux suivre le cours du marché.

Année petit barillet barillet petit baril moyen baril grand baril baril Total
1503 180 3.270 419 2 748 8.614 13.233
1504 80 781 200 - 3 3.689 4.753
1511 - 6.741 770 2 540 2.048 10.101
1515 6 7.357 - 4 12 2.033 9.412
1516 480 8.156 - - - - 8.636
1517 16 10.791 - 262 1.329 - 12.382
1528 - 1.470 - - - 121 1.591
1529 - 801 - - - 1.331 2.132
1530 - 109 370 - - 333 812
1557 - 1.272 - - - 220 1.492
1558 - 5.517 - - - 980 6.497
1559 - 32 - - - 8.564 8.596
1580 - 1.845 - - - - 1.845
1581 - 24.971 - - - 82 25.053
1582 - 21.392 - - - 57 21.449
1583 - 2.732 - - - - 2.732
Tableau LVII : Exportations de figues splitoises au XVIe siècle

477
Comparée aux données du XVe siècle, la proportion de figues exportées en barils apparaît
bien moindre. Cependant, l’historien T. Raukar n’a pas fait apparaître les autres subdivisions du
tonneau. Pourrait-on alors parler d’une régression du marché ? Faute de disposer d’une présentation
identique du trafic de la figue, il paraît plus prudent de s’abstenir de toute conclusion.
Parmi les marchés d’importation, la République de Saint-Marc est tout au long du siècle le
principal importateur. Si nous observons l’évolution des exportations en barillets, nous constatons
que jusqu’aux années 1580, la moyenne des quantités exportées avoisine les 1.000 barillets. Au-delà
de cette date, l’exportation prend de l’ampleur et atteint jusqu’à 25.000 tonnelets en 1581.
Toutefois, dans les années antérieures figure l’usage du baril, voire même du grand baril. Ces unités
devraient représenter près du double de la contenance du barillet. Nous pourrions alors conclure,
avec prudence, que le volume des exportations est en réalité constant.
Par ailleurs, dans les sources, aucune équivalence n'est donnée, si ce n'est la mention de
barils de fontigo 20 ou de fontego 80 en 1503 ou encore des figues todeschi 40 vers Venise la même
année.
Il faut ajouter, en plus, les cargaisons de figues transportées en vrac en 1503, vers Bakar et
Senj, encore dix voyages « en vrac » en 1511 vers ces mêmes villes, mais aussi vers Bakarac,
Venise et Zadar. En 1515, des pommes et du fromage sont exportés en vrac, à destination des villes
habituellement citées du Littoral croate, des îles de Krk et de Rab, ainsi que de Rijeka jusqu'à
Modon en Grèce. En 1516, nous retrouvons les mêmes destinations exceptée la ville de Modon.

Graphique XXIX : Centres importateurs de figues splitoises au XVIe siècle

1503-1504 1511 1515-1517 1528-1530 1557-1559 1580-1583

Grèce

Turchia

Venise
Destinations

Côte croate

Marches

Dalmatie

Istrie

Pouille

0 50 100 150 200 250

Nombre de déclarations

478
En plus d’un aperçu global des principales directions de ce commerce, il est possible d'entrer
dans le détail en calculant le nombre d'autorisations délivrées pour chacune de ces destinations
(graphique XXIX).
La République est de loin la principale destination de ce commerce et ce tout au long du
siècle. Les premières décennies sont en partie représentées par les villes de Senj, Bakar, Bakarac,
Rijeka et les îles de Krk et Rab. En revanche, cette fois-ci, la direction du sottovento ne suppléé plus
au vide de l’importation croate. A ce titre, la participation des villes de la côte italienne est moindre
que pour les autres produits. Seules les villes de Ravenna, de Trani et d'Ancona se distinguent dans
la période de 1528-30.
Ces figues viennent en premier lieu de la région même de Split. Mais nous trouvons encore
d'autres indications, telles que l'existence de figues dites allemandes (figi todeschi) en 1503, 1517,
1530, 1557 et 1559; d'autres figues semblent parvenir en 1511 et 1515 de Senj, qui est pourtant un
marché importateur, mais qui est le principal fournisseur de Trogir.
En effet, en 1567, tous les 14.195 barillets exportés à partir de Trogir, et ce exclusivement
pour Venise, proviennent à l’origine de Senj. Quelques équivalences sont données, mais, tantôt
c’est un bariletto qui équivaut à ½ setier, tantôt c’est un baril à part entière. Le marché des figues à
Trogir est très fluctuant : 14.195 barillets, 28,5 setiers et 28 barils dits « todeschi » sont exportés à
Venise en 1567, mais l’année suivante l’exportation ne commence qu’en septembre et se réduit à
6.910 tonnelets, sept setiers et deux barils a refudi. Tandis que dans ce registre toutes les figues sont
destinées à Venise, en 1575-1577, le marché se diversifie et s’élargit à d’autres zones : les territoires
de la République comme l’Istrie et le Frioul (dont Portograo) et Chioggia, puis Ferrara, voire
sottovento, même si la Sérénissime demeure la principale importatrice. Là encore, le cours des
exportations varie : en 1575, année pourtant incomplète (IV-XII), 17.210 barillets de figues de sorte
de Segna et 2.098 barils sont exportés, tandis que durant l’année complète (I-XII) de 1576, les
exportations chutent à 3.511 tonnelets, 1.896 barils et 15 miers.
- L’oignon
Des quantités importantes d’oignon semblent être transportées de manière continue jusqu’à
la seconde moitié du XVIe siècle. Il est exporté en vrac en 1515, 1517 et 1557, vers la limite
orientale de la Dalmatie (Hvar, Dubrovnik, Korčula, Kotor), puis sur la Neretva et jusqu'à la Pouille
en 1517, pour finir à l'ouest la dernière année indiquée, vers sottovento. Des oignons sont aussi
transportés (quatre-vingt tanole – unité non identifiée) à Ulcinj en 1515, près d’une tonne (une
botte) vers la Dalmatie centrale (Šibenik, Trogir, Zadar), en 1517 et presque 120 tonnes (250 miers)
à nouveau vers la Neretva, en 1558.

479
b) Les céréales et les féculents
Les céréales sont l’objet d’intenses transactions commerciales à la fois sur terre comme sur
mer. Durant les XIVe-XVe siècles, une partie des céréales nécessaires à l’alimentation de la
population urbaine est régulièrement acheminée des villages alentours. Toutefois, en fonction des
conditions climatiques, les quantités produites varient et ne suffisent pas toujours; aussi les
communes dalmates entretiennent-elles des réseaux réguliers d’importation des céréales avec les
communes de la côte ouest de l’Adriatique, dans les Marches, l’Abruzze, la Pouille348, l’Albanie
(voir le chapitre sur les importations).
Il n’y a pas de trace jusque-là d’une exportation de céréales ou de féculents à partir de Zadar.
En revanche, pour le port de Split, pourtant moins doté quant à sa production céréalière, un courant
de transit persiste tout au long du XVIe siècle.
Certains articles se trouvent mentionnés à titre très épisodique. C'est le cas du houblon
(braza otruento), exporté à Trani en 1529 dans une balle; de même que l'on trouve des caroubes
(carobbe), exportées dans la ville voisine de Šibenik à raison de 5.677 miers en 1581 et 27 « bore »
(?) d'avoine pour la Pouille en 1529. En revanche, un marchand déclare 104 setiers d'une espèce de
blé (megio) provenant de Venise, en 1581 ainsi qu'un setier de seigle la même année, d'origine
identique. Ces produits ont dans l'ensemble un impact commercial marginal dans le trafic splitois,
malgré la présence de fève, de farine, voire même de froment.
Le commerce de la farine (farina) est limité à la période 1511-1557 et ne comporte que deux
directions : le Littoral croate (Bakar, Bakarac, Krk et Rijeka) et Venise. Les quantités se limitent au
transport de deux sacs vers le Littoral croate et vers Venise en 1511, et un chargement de trois
setiers en 1557, parmi les envois les plus significatifs.
Les limites temporaires du transport du froment
(formento) commencent en 1503 pour se finir en 1558.
Venise se distingue des autres régions. En 1515, du froment
est transporté en vrac vers la Dalmatie, l'Istrie, Senj et la
Pouille. A cela s'ajoutent neuf setiers, en 1503, pour le port
de Korčula, puis trois sacs en 1530, trois setiers en 1557 et
26 setiers en 1558 allant tous à Venise. Cette dernière année,
le froment est nato di Turchia.

L'extension du commerce de l’orge (orzo, ordei) est d'autant plus limitée que dans les trois
quarts des cas ce produit est transporté pour les propres fins du commerçant (de sua rason) ou d'un
commanditaire également acquéreur pour sa consommation. C'est le cas, en 1558, d'un transporteur

348
T. Raukar, Zadar u XV. st., 225-256.

480
qui le fait de sua rason per conto Bartholomei Cavogrosso (par ailleurs l'un des membres de la plus
riche famille marchande de Split) et qui importe ainsi dix-sept cara grossa de Barletta; ville où ce
produit est également exporté à cette date sans que l'on puisse en connaître la quantité. En 1559
encore, de l'orge est déclarée au nom de tiers : de Vincenzo Augubio et de Zuan Casmichi, à savoir
deux quatri qui restent à Split. Cette même année, deux marchands déclarent respectivement leurs
douze quatri et douze cara pour Split et ce pour leur propre usage. Quelques autres données éparses
indiquent explicitement le courant d’exportation : 5,2 hl d’orge sont transportés vers Korčula en
1503, 833 l vers Venise en 1557 et 300 « mesure non indiquée » vers la Pouille en 1530.
La fève (faua) est l'objet d'une redistribution. Importée d'Italie, elle est redistribuée plus à
l'est sur la côte orientale de l'Adriatique. C'est tout du moins ce que nous laissent penser les
quelques informations glanées là où les mesures sont diversifiées : 90 setiers vont vers Korčula en
1503, 12 sacs en Dalmatie en 1517 et cinq autres sacs vers la Neretva en 1559. Les seules
provenances relevées sont Manfredonia en 1558, avec 90 tumuli importés et Brindisi, la même
année, à raison de cinq cena (?) alla subtile.
L’origine du riz (risi) n'est pas de la commune même de Split. Venise apparaît comme
l’unique fournisseur de riz en 1581 et en 1582, à raison de 51 miers (24 tonnes), 700 livres (334 kg)
la première année et de 200 setiers (17 hl) l'année suivante. Pour toute exportation nous notons
l’envoi en 1581 de 23 miers (onze tonnes) vers la Neretva. L’importation splitoise de riz répond
surtout aux besoins de la consommation locale, et en cas d’excédent, ce produit est transporté plus à
l’est vers le marché ottoman.

c) Le lin
Ce produit est déclaré une seule fois en une unité de poids (le rotolo). Par ailleurs, il est
transporté dans des sacs, et même à l'état de semence. Cela m'a porté à croire à son commerce non
manufacturé. C'est pourquoi je l'ai classé dans la catégorie des produits agricoles. Mention est faite
néanmoins d'un lin subtil ou grossier, en provenance de Venise, aussi l’article sous une forme
apprêtée ne viendrait-il pas des environs de Split. Le transport du lin se limite à la première moitié
du XVIe siècle (1503-1558). Le sac est l’unité de compte la plus usitée (graphique XXX).
Le marché dalmate domine ce trafic avec pour villes principales Zadar et Kotor, puis les
ports tels que Hvar et plus à l'est Korčula et même Dubrovnik en 1511. L'année 1516 voit le
transport de lin à destination de Rhodes, pour laquelle il manque malheureusement la quantité. Le
déclin des exportations en sacs vers les années soixante peut être trompeur, puisqu’en 1558, 380
livres (soit presque 200 kg) sont exportés vers sottovento. Par la suite toutefois, ce genre de marché
semble disparaître tout à fait, au moins pour les années 1580.

481
20

18
Dalmatie
16 Littoral croate
14 sottovento

12
10
8
6
4

2
0
1503 1511 1515 1516 1517 1529 1557

Graphique XXX : Exportations du lin à partir de Split au XVIe siècle (en sacs)

En 1529, plus de 10,3 hl (124 setiers) de semence de lin sont également exportés, vers
Venise. Ce volume important montre que Split dispose d’une production appréciable de cette
linacée. Il suppose aussi que la ville en fournit son artisanat du textile et dispose de surplus pour les
exportations.

d) L'huile
Cet article a une importance fondamentale dans le monde médiéval, car il est employé dans
plusieurs domaines. Outre l’alimentation, il sert à la production manufacturière. L’huile intervient,
en effet, dans la production du savon, représentant 1/3 du poids final de ce dernier produit, ainsi que
dans le traitement de la laine. De sorte que durant le XVIe siècle, Venise contrôle de près la
production de la Pouille et en importe des quantités énormes : plus de 63.100 hl d’huile (dans les
années 1610), 82.030 hl (au milieu du siècle) et près de 65.984 hl annuels (dans les années 1580) –
en1592-1598, l’huile apulienne constitue encore entre 75 et 97% des importations totales d’huile349.
Le territoire zadarois, aussi bien sa partie continentale que dans sa zone insulaire, comporte
de nombreux pieds d'oliviers350 nécessaires à la production d'huile. Pourtant, aucune analyse
approfondie n'a été effectuée concernant le trafic de ce produit. Il semblerait qu'aux XIVe et XVe
siècles, une partie de la production d'huile soit exportée en direction de Rijeka sur le Littoral croate
mais sans aller au-delà vers la rive italienne de l'Adriatique351.

349
S. Ciriacono, « Economia e commerci », (35-38); pour les calculs en hectolitres, l’auteur donne pour équivalence : 1
mier = 631 litres.
350
Pour exemple, en 1518, quinze pieds d'olivier plantés sur deux gognays de terre à vignoble sont vendus pour 100
livres; DAZd, Conte Pietro Marcello, B. II, F. II, f° 43.
351
D'après la carte des relations commerciales de Zadar tirée de T. Raukar, Zadar u XV. st, 254.

482
Split, en tant que port de la Méditerranée, dispose également d’olivaies. Une partie de la
production d’huile est destinée à des marchés extérieurs à la commune. Par ailleurs, les contenants
de ce produit de consommation courante ont été étudiés par les métrologues, ce qui facilite un peu
l'estimation du volume échangé : 1 botte = 20 tonneaux = 1.299,27 litres. Tout n’est pas résolu pour
autant puisqu’il existe encore des caratelli, des migliari, des mezaroli, des caputi et enfin des cavi
cerchiadi.
Une première estimation du trafic peut être réalisée une fois les bottes converties en
tonneaux, puis en litres actuels (tableau LVIII).

Tableau LVIII : Exportation d’huile de Split au XVIe siècle (en litres)


Littoral Total
Année Dalmatie croate Venise Pouille Turquie
1503 53.270 - - - - 53.270
1511 - - 40.277 - - 40.277
1515 65 25.985 65 - - 26.115
1517 59.766 - - - - 59.766
1529 130 - 597.664 - - 597.794
1530 - - 797.752 - - 797.752
1558 - - 51.971 77.956 51.971 181.898
1559 - - - - 103.941 103.941
1560 - - - - 1.299 1.299

Les plus grands volumes d’exportations concernent la fin des années 1550, l’année 1530
(pourtant incomplète), avec 8.000 hl d’huile exportés vers Venise, étant exceptionnelle. Durant cette
période, la République, rappelons-le, importe au total 63.100 hl d’huile; de sorte que la part
splitoise représente entre 9,5 et 13% du marché vénitien à la fin des années 1520. Les plus forts
volumes concordent avec les périodes de stabilités politiques. Après la guerre de 1499-1502, de
nombreux oliviers sont arrachés. Il faut le temps de la reprise de la production, en plus de dix ans,
pour que la production oléicole puisse satisfaire aux besoins de consommation locale, puis, aux
marchés d’exportation. Après le conflit de 1537-1540, le territoire dévasté ne produit plus d’olives.
Seules les zones insulaires supplées en partie les fournitures en huile.
Les autres systèmes de comptage utilisés se trouvent sans équivalence en litre actuel,
toutefois les quantités sont minimes : un caratello en 1503, un caratello et deux mezaroli en 1511,
trois caratelli et un mezarol en 1515, deux caratelli en 1516, un autre caratello en 1529 et un
dernier caratello en 1559. La période 1511-1516 est cette fois prédominante, contrairement à
l'exportation en tonneaux. Il est possible que les mezaroli et caratelli représenteraient un moindre
volume et concerneraient le marché au détail. Une fois que le trafic a pris de l'ampleur, les mesures
s'adaptent en conséquence.
Avec 8.000 hl d’huile exportés en 1530, Venise détient le record des importations. Ces
convois doivent répondre à une urgence, car, en moyenne, le volume des transports annuels par

483
tonneaux ne dépasse pas les 1.000 hl, toutes régions comprises. En dehors de cette commande
exceptionnelle, le circuit connaît encore diverses fluctuations. Dans les années 1510, la primauté de
l'importation revient aux villes du Littoral croate (Bakar, Krk, Senj ou Rijeka dans les années 1510),
suivies par Venise à partir de la fin des années 1520352, tandis qu’un millier est exporté vers les
paesi Turchesci en 1557. La Pouille est régulièrement desservie, à raison d'un voyage annuel
seulement. Les autres principaux centres d'importation sont Hvar en Dalmatie et la Neretva en
territoire ottoman, à partir de l'année 1558 jusqu'en 1560 (1.000 hl en 1559) – cette dernière prenant
la relève des villes dalmates et du Littoral croate, qui disparaît du marché splitois, comme pour les
autres denrées, dès 1517. En revanche, les villes italiennes de la côte orientale (sottovento) ne
représentent pas un débouché commercial pour l’huile splitoise, contrairement à la tendance
habituelle de reprise de marché constatée pour d’autres produits. Ce commerce florissant cesse en
effet complètement à la fin du XVIe siècle.
Les fluctuations du circuit oléifère n’ont rien de surprenant. D’une année sur l’autre la
production des oliveraies varie beaucoup. Au XVe siècle, Split doit réaliser des importations pour
son propre marché de consommation. Leur cours est tout aussi capricieux. En 1441, Split importe
entre 8,4 et 10,5 hl d’huile (196,5 muids à la mesure de Šibenik353) de Šibenik, tandis que l’année
1442, aucune importation n’a lieu de cette ville. En 1443, année incomplète, seulement sept muids
sont importés en quatre mois354.
A la fin du XVIe siècle, Split doit à nouveau faire appel à des marchés extérieurs pour son
approvisionnement. De fait, à plusieurs reprises l'huile provient de la Pouille (deux bottes d'huile
pugliese en 1516 et six tonneaux pugliese en 1517 per transito de Dalmatia, de même en 1558 une
certaine quantité355 est importée à Split en provenance de Giovannazo). Cette même année trois
bottes sont cargate del porto de Bariza (vraisemblablement une erreur de transcription pour Bari).
L'année suivante, deux bottes d'huile dite de julio (déclarées en quantité équivalente de 80 stari
tafur) sont encore importées de Brindisi.
Pour conclure, Split, tout en étant exportatrice d’huile, grâce à ses nombreuses plantations
d’oliviers, importe par intermittence de l'huile. Au XVe siècle, elle se pourvoit en appoint à partir de
Šibenik. A la fin du XVIe siècle, la crise de la production est plus grave. Split importe des volumes
plus importants des terres italiennes. Elle en redistribue probablement une partie vers les villes de la
côte dalmate et toute la Dalmatie, voire vers Venise et plus loin jusqu'aux ports ottomans. Il en
résulte que Split joue un rôle transitoire, à la faveur des accords commerciaux bilatéraux conclus

352
Une exception cependant. En 1511, quatre bottes et un caratello de morga de oio sont transportés vers Venise. Le
terme morga vient de morchia, soit le dépôt, le marc. Quel serait l’usage de plus de 4.000 litres de « dépôt » d’huile ?
N’en ayant aucune idée, je mentionne cette cargaison à titre indicatif.
353
1 muid = 42,92-53, 65 l; J. Kolanović, Šibenik u kasnome, 307.
354
Instrumenta cancellariae, contrelettres 73, 75-78, 157-158.
355
Il s’en trouve cent d'une mesure que je n'ai pu identifier.

484
avec certains ports italiens : en exemptant les ressortissants des deux communes du paiement des
taxes, le coût de la marchandise à la vente est amoindri.
Pour ce qui est de Zadar, l'absence de textes sur son exportation d'huile laisse penser qu'une
grande partie de la production existante est consacrée à la seule consommation locale. Toutefois,
quelques transactions entre marchands zadarois et étrangers révèlent tout de même l'existence d'un
trafic. Dans l’exemple ci-dessous, il s'agirait plutôt d'importation d'huile. En août 1554, un
marchand zadarois, Marko Kokari et deux entrepreneurs de la ville de Chieti (Chetta), Rocco
Baptista et Scipion de Sacoza, achètent à un marchand d'Ortona, Pietro Grassino Bergomenti, deux
milliers d'huile pour 72 ducats. Cette huile est ensuite vendue par les trois associés, à Chieti, à
Francesco de Palma baron de Manupello avec un quart d'huile en plus, pour le prix de 97,5 ducats.
Les bénéfices de la vente sont partagés de telle sorte que Pietro perçoit 36 ducats en monnaie,
Rocco perçoit l'équivalent de 36 ducats en laine et Marko est payé 31,5 ducats en argent356. Rien ne
garantit que le premier vendeur d'huile soit d'Ortona, et que l'huile elle-même vienne de cette ville.
L'huile est d’ailleurs revendue dans l’Abruzze. Toutefois, un marchand zadarois participe à ce
trafic, et un quart d'huile supplémentaire est vendu. L'intervention d'entrepreneurs italiens, quant à
elle, expliquerait en quelque sorte les quantités énormes d'huile en jeu : à raison d’un millier =
20.832,5 litres à Zadar357, c’est un total de 41.665 litres d'huile qui sont transportés d'Ortona, ou de
Zadar, lieu de l'accord, jusqu'à Chieti. Un an plus tard, un trafic implique à nouveau des marchands
italiens et des Dalmates. En octobre 1555, Camillo Dominico Caponi de la Grotte, près de Firmo,
nomme Piero Dominico Pompea de la Grotte procureur de Francesco d'Udine, actuellement habitant
à Zadar, pour exiger de Damijan Sosine de Šibenik deux tonneaux d'huile (soit entre 117 et 130
litres)358. Piero est habilité à défendre le procès éventuel devant le comte de Šibenik et à vendre
l'huile359.
La nature exacte des courants d'échanges reste floue. Zadar est cependant impliquée dans un
réseau actif entre les communes italiennes et d'autres villes dalmates. Une partie de l'huile zadaroise
provient des îles. En 1519, le marchand Nicolo de Monte Ulmo accuse Matula Vodopić, de l'île
d'Ugljan, de ce que son marin Šime Fortuna lui aurait volé dix muids d'huile, qu’il lui avait remis.
Pourtant, le comte absout Matula, considérant qu'il n'y eut pas de vol360. A priori l'huile provenant
de cette île aurait été perdue quelque part durant le trajet reliant Ugljan à Zadar. Quoiqu’il en soit, le
trafic local semble établi de longue date.

356
DAZd, Johannes Morea, B. I, F. I/1, f° 29.
357
M. Zaninović-Rumora, Stare mjere i utezi, 101.
358
Ibid., 99.
359
DAZd, Johannes Morea, B. I, F. I/1, f° 52’.
360
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. II, F. II, f° 242.

485
Le recueil des prix et quantités dans les sources analysées est une fois de plus très succinct
(tableau LXIX). Au début des XVe et XVIe siècles, les prix par boisseau d'huile tournent autour des
mêmes valeurs, soit en moyenne quatorze sous par boisseau. En 1554, le prix augmente. Si nous
considérons en effet qu'un millier contient 250 boisseaux et que le ducat vaut six livres quatre sous
(soit 124 sous) le prix du boisseau d'huile équivaut à près de vingt sous361.

Année Qualité Quantité Prix Prix à l'unité Source


1411 464 boisseaux 324 l 16 s 14 s/setier CC&M. (Krekich), n°10, 166-167
1418 73 boisseaux 33 l 9 s/setier CC&M., B. II, F.7, f°18’-19
1519 12 boisseaux 8l8s 14 s/setier Conto Pietro Marcello, B. II, F. III f°260’
1519 1 pila=50 muids Conto Pietro Marcello, B. II, F. II, f°307
1519 1 pila=22 muids Conto Pietro Marcello, B. II, F. II, f°307
1554 d'Ortona 2 milliers 72 dc 36 dc/mil. Johannes de Morea, B. I, F. I/1, f°29
1554 d'Ortona 2 mil. 1 qu. 97 1/2 dc Johannes de Morea, B. I, F. I/1, f°29
1555 1 baril=3 siculori 2 barils Johannes de Morea, B. I, F. I/1, f°52’
Tableau LXIX : Prix de l'huile à Zadar

La hausse est de six sous par rapport aux prix antérieurs. Il est possible que ce soit dû en
partie à une inflation ou encore, à la provenance italienne de l'huile. Quelle que soit l’option choisie,
les quantités d'huile vendues d’après notre documentation restent plutôt modestes. Ces indices
suffisent-ils à conclure que la production d'huile est essentiellement réservée au marché local ? La
question reste ouverte.
En somme, l’ensemble de la production agricole et d’élevage de Zadar provient surtout des
territoires insulaires. C’est l’une des conséquences des guerres ottomanes, ces dernières ayant
accentué les différences dans toute la Dalmatie entre les villes continentales et les villes
insulaires362. Une des principales branches de l’économie urbaine zadaroise reste alors la production
artisanale qui, peut-être, palie les défaillances des autres activités économiques de la ville.

e) Le vin
La viticulture est une branche importante de l’économie dalmate. L’évolution du marché
local du vin d’après les revenus de la taxe du vin à Zadar (graphique XXXI) témoigne pour sa part
de l’interférence des conflits politiques sur la production vinicole. Dans cette commune, bien que
son arrière-pays soit dévasté par les guerres ottomanes durant la première moitié du XVIe siècle, la
production vinicole est en grande partie compensée par celle de son territoire insulaire et par celle
de son district proche. Il en ressort que le volume de la production de vin reste relativement stable.

361
M. Zaninović-Rumora, Stare mjere i utezi, 101. Si 500 boisseaux valent 72 ducats, alors 500 boisseaux valent 9.928
sous, c'est à dire à raison d'1 boisseau = 19,856 sous.
362
Remarque de T. Raukar dans « Venecija i ekonomski razvoj », (218-221).

486
Graphique XXXI : Evolution du cours de la taxe sur le vin au détail (1490-1560)
1200

1000

800
Ducats

600

400

200

0
1490 1498 1501 1505 1510 1515 1520 1525 1530 1540 1545 1550 1555 1560
Année

Tiré d’après le graphique 8, T. Raukar, « Komunala društva », (71)

Seules les périodes intenses de conflits (1499-1502) laissent des traces visibles de chute de
la production363, tandis que durant le XVIe siècle, la production vinicole se maintient à un niveau
important. En plus du marché local, le vin également intégré au circuit des marchandises vendues
aux Valaques, en échange de leurs productions d’élevage364.
Dans les autres communes, la production est également significative, permettant des surplus
pour l’exportation. En effet, dans les contrelettres de Split ou de Trogir apparaissent souvent les
expressions confirmant l’origine locale du vin : de sue intrade, nasciuto de Spalato, ou nasciuto in
questo territorio pour Trogir. A Split, ce produit suscite parmi les plus fréquents voyages et il fait
l'objet de multiples classifications. Il existe du vin provenant du domaine même du commerçant, du
vin est expédié pour sa consommation propre, du vin de qualité distincte (soto et sopra coperta) et
encore d'autres subtilités.
- Zones de productions et qualificatifs du vin
A Zadar, la majeure partie des vins exportés vient de la zone agricole de la commune, dont
le territoire insulaire, et de l’arrière-pays proche. Les toponymes rencontrés dans les actes notariés
sont divers : des localités comme Xoracondiur, Tuklječane (Tuschgliacane), Cosmoselo, Briškane,
Blato, Nin et l’île d’Ugljan365 ou quelques vignobles, tels le mont Ozrinj366, Siniglievaz367 et
Cerodol368.

363
T. Raukar, « Komunalna društva », (71-72).
364
Zadar pod mletačkom upravom, 259.
365
Un gognay vendu dans la région de Sainte-Euphémie sur cette île pour 18 livres et 2 gognay sur le même territoire
pour 70 livres; DAZd, Johannes Morea, B. I, F. I/4, f° 99; le 18.III.1556 et f° 105; le 10.IV.1556.
366
Cinq gognay vendus pour 133 livres; ibid., f° 90’, le 3.II.1556.
367
Un gognay pour 55 livres; ibid. f° 184, le 30.IX.1559.
368
Un gognay et demi pour 31 livres, 1,75 gognay pour 35 livres et 2,5 gognay pour 12 livres; DAZd, Conte Pietro
Marcello, B. II, F. II, Venditione, donatione, f° 47-47’, 49.

487
A Split, certaines déclarations douanières contiennent des désignations variées ajoutées au
produit pour indiquer qu’il s’agit du vin produit sur le territoire même, soit chez un propriétaire
terrien et producteur particulier qui irait l’exporter à son compte, soit dans un domaine
ecclésiastique (avec la référence archiepiscopo) – tout comme à Trogir (della calza del vescovato).
Parfois, son origine est spécifiée, comme provenant du territoire de Split ou du bourg voisin de
Poljica369. La production de vin représentant l’une des branches principales de l’économie splitoise,
les producteurs s’opposent longtemps à l’importation de vin étranger370. Trois expressions
apparaissent fréquemment dans les déclarations de douane : sopra coperta, sotto coperta, et in
coperta, dont le sens reste encore à éclaircir, si ce n’est que la majorité des cargaisons de vin ainsi
qualifiées sont transportées en direction de Venise.
Les deux qualificatifs suivants, vino per la messa et vino de tramesso, ont la même
signification. C’est du vin destiné à la consommation par l’équipage au cours du trajet. Il s’agit de
portages (portate italiennes), à savoir les transports des parts de ravitaillement de chaque membre
de l’équipage (du marin) sans le paiement du nolis, voire des quantités de vin confiées par un
marchand à un marin, pour éviter également le paiement du nolis.
- Les prix du vin
A Zadar, les actes notariés fournissent davantage d’éléments que pour les autres produits
(tableau LX). Parmi les accessoires liés à la vente de vin, en 1579 une botta de vin vaut vingt
livres371 et qu’une vegeta de vin de quinze muids vaut quatre livres en 1519372.
Le prix du muid de vin tout au long des deux siècles apparaît relativement stable avec une
constante de trente sous à trois livres le muid et pour moyenne deux livres le muid. Les autres prix,
qui se rapportent à d’autres systèmes de compte ou à d’autres contenants tels que la vegeta sont
beaucoup plus sujets à variations. Dans nos sources, ces tonneaux (vegeta) voient leur capacité
varier entre 15 et 32 muids, soit entre 1.200 litres373 et 2.560 litres – ce qui ne fournit pas une base
statistique fiable.

369
Toute une série d'appellations de vin sont essaimées dont le sens demeure inconnu. En 1503, 199 litres de vin in
scutina sont exportés à Venise, ainsi que 147 litres vers Zadar et Venise de vin palazata pour la consommation locale et
enfin 197 litres de vin venetias concerna vers Venise. En 1504, in comerza : 398 litres de vin sont exportés vers Venise,
ainsi que 492 litres de vin camese. De la rason de la communita de Chioza : en 1515, deux tonneaux (soit 128 litres) de
ce vin, ainsi que 164 litres de vin picholo sont exportés à Venise.
370
Suivant le Statut de la ville et les nombreux décrets du Conseil communal, le commerce du vin doit être contrôlé de
près, le vin étant l’un des principaux articles de la production agricole. A l’arrivée du gouvernement vénitien, les
fonctionnaires importent du vin et ouvrent des débits de boisson. Après plusieurs contestations, le comte est habilité à
délivrer des autorisations d’importer. La concurrence du vin étranger dans les années 1420 provoque la chute des prix,
c’est-à-dire 40 sous la quarta de vin; G. Novak, Povijest Splita, 29-30.
371
DAZd, Conte Bartholomeo Paruta, f° 70.
372
DAZd., Conte Pietro Marcello, B. II, F. III, f° 290.
373
A raison de 1 muid = 80 litres; T. Raukar, Zadar u XV. st., 238.

488
Tableau LX : Prix du vin à Zadar aux XVe-XVIe siècles
Année Qualité Quantité Prix Prix à l'unité Source
1410 83 muids 166 l 2 l/md. CC&M, B. II, F. 9, f°11
1410 1.400 muids 700 dc 2 dc/md. CC&M, B. II, F. 9, f°9
1416 100 muids 60 dc 3 l/md. CC&M, B. II, F. 7, f°15-15’
1416 de Zadar 20 muids 56 l 37 s 8 d/md. CC&M, B. II, F. 7, f°5-5’
1443 pour Senj 476 muids 36 s/md Johannes de Calzina, B. I, F. II/8, f°390’
1466 de Briškane, Ljube, prix de base 38 – 40 s/md. Spisi obitelj Matafar, f° 36’, 73’, 74, 79’
Blato et Nin prix au détail 54 – 64 s/md.
prix à la quarte 8 – 16 d/qu. Ibid., f° 97’, 87
1514 monovasie 6 vegete 72 dc 12 dc /marcellis Simon Corenichius, B. I, F. IV, f°7
moschatelle, Crète mocenigis/veg.
1518 de Cosmosselo 15 muids 24 l 32 s/md. Pietro Marcello, B. I, F. IV, f°1
1519 9 muids 18 l 40 s/md. Pietro Marcello, B. I, F. IV, f°47
1519 1 vegeta = 32 muids 1 vegeta 32 l 18 s/veg. Pietro Marcello, B. I, F. IV, f°48
1519 1 veg.=20 md. Šib. Pietro Marcello, B. II, F. II, f°306’
1519 1 baril = 6 sitularum 1 baril 3 l 10 s Pietro Marcello, B. II, F. II, f°306’
1519 1 vegeta = 23 muids Pietro Marcello, B. II, F. II, f°307
1519 de Xoracondiur 1 1/2 muid 6 deniers/quarta Pietro Marcello, B. II, F. II, f°307
1519 1 vegeta=15 muids Pietro Marcello, B. II, F. III, f°290
1520 22 muids 70 l 8 s 3 l 4 s/md. Pietro Marcello, B. I, F. IV, f°56
1520 de Mocio 30 s/md. Pietro Marcello, B. I, F. IV, f°163’
1520 2 muids 4l 2 l/md. Pietro Marcello, B. I, F. IV, f°183
1520 6 muids 10 l 33,33 s/md. Pietro Marcello, B. I, F. IV, f°187’
1520 80 muids 160 l 2 l/md. Pietro Marcello, B. I, F. IV, f°197’
1521 1 caratelo = 12 muids 1 caratello 18 l 30 s/md. Pietro Marcello, B. I, F. IV, f°320
1555 de Tuschgliacane 6 muids 18 l 3 l/md. Gabriel Cernotta, B. I, F. I, f°30’-31
1555 de Tuklječane 6 quartes 94 l 4 s 15 l 14 s/qu. Gabriel Cernotta, B. I, F. I, f°32
1584 2 bouteilles 171 l 14 s 85 l 17 s/bout. Francesco de Ligniceo, B. I, F. VI, f°14
1584 1 bouteille 90 l 2 s Francesco de Ligniceo, B. I, F. VI, f°14

La quarte (20 litres) peut curieusement s’avérer beaucoup plus chère alors qu’il s’agit d’une
subdivision du muid, son prix à l’unité variant entre six deniers et quinze livres quatorze sous;
tandis que le quartarello (cinq litres) vaut trente sous, prix qui peut être appliqué également au
muid, ce qui ferait revenir le prix normal du muid à 96 livres (puisque 1 muid = 64 quartarelli). La
boteglia ne correspond sûrement pas à nos normes de bouteille actuelles. Il doit en tout cas s’agir
d’un contenant de luxe puisque son prix tourne autour de 85 et 90 livres à la fin du XVIe siècle. Si
l’on prenait l’équivalence moyenne de deux livres par muid, une bouteille contiendrait 45 muids
(soit 3.600 litres). Cette boteglia est donc à considérer comme une mise en bouteille spéciale dont le
prix élevé répondrait à une clientèle nouvelle, aisée, désireuse de se procurer des vins de qualité. La
seule possibilité qui pourrait exprimer toutes ces confusions et extravagances dans les données
serait à mettre sur le compte d’un changement radical dans les systèmes de compte et les
appellations.
La viticulture apparaît dans l’ensemble comme une activité relativement onéreuse, dès que
nous observons le prix de certains accessoires impliqués dans la conservation et le transport du vin.

489
Le prix d’une botte dépasse les vingt livres en 1579374. Le prix des vegete est très variable en
fonction de leur capacité. En 1519, une vegeta de quinze muids (pour 1.200 litres de vin) reviendrait
à quatre livres et en 1558, un accord concerne deux vegete vendues trois ducats (soit neuf livres la
pièce)375.
Dans la compagnie de Matafarić, le prix du vin varie entre la vente au détail (de 54 à 64
sous) et celui de la fourniture directe par les bergers de l’île de Kornat travaillant pour la compagnie
(de 28 à 40 sous le muid). Grâce à sa production vinicole, la compagnie fait près de 35% net de
bénéfices durant l’année 1466-1467, puisqu’elle a dépensé près de 488 livres et en a gagné au total
661 livres376.
L’appartenance socioéconomique des commerçants de vin s’avère très variée. Toutes les
catégories de l’échelle sociale y sont représentées : du vigneron au patricien communal avec un
engagement des étrangers. Toutefois, selon les acteurs de ce commerce, le vin connaît différentes
extensions commerciales. A la base des échanges se trouvent des producteurs – cultivateurs de
vignes, qui vendent leur vin le plus souvent aux propriétaires des terrains377, à des marchands au
détail378 ou sans doute également à des acquéreurs de vin pour leur consommation propre379. Leurs
échanges concernent dans l’ensemble de faibles quantités avec un champ d’action limité. Le stade
suivant des transactions met en jeu les membres aisés de la société avec des quantités plus
abondantes de vin vendu : se trouvent impliqués à la fois les professionnels du commerce, aussi
bien que les patriciens communaux, pour une consommation semble-t-il essentiellement locale, à
l’exemple de la compagnie de Matafarić. Certains patriciens et autres propriétaires terriens vendent
la production récoltée par leurs paysans à leurs interlocuteurs commerciaux. Beaucoup de femmes
sont également impliquées dans ces échanges, le plus souvent des veuves qui poursuivent et règlent
les engagements de leurs défunts maris380. Dans le commerce d’exportation enfin, les principaux

374
En septembre 1579, Ivan Ambrusić se plaint auprès du propriétaire d’une boutique, Martin Bottaro, de ce que son
partenaire Stjepan Businić lui a présenté pour la vente un tonneau de mauvaise qualité pour lequel il réclamait vingt
livres; DAZd, Conte Bartholomeo Paruta, f° 70.
375
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. II, F. III, f° 290; Conte Nicolaus Canalis, B. I, F. I/1, f° 12’.
376
DAZd, Spisi obitelj Matafar, f° 88.
377
En 1555, Marko Sugović du village de Tuklječane est redevable de payer les bénéfices du vignoble à deux
patriciens, le père Ivan et son fils Grizogon de Dominis de l’île de Rab; DAZd, Conte Gabriel Cernotta, B. I, F. I, f°
30’-31, 32, le 25.X.1555.
378
En 1520, Matej Samadić de Mocio doit payer à Ikno Unimić de l’île de Pašman trente sous par muid de vin acheté;
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. I, F. IV, f° 163’, le 10.XI.1520.
379
En 1518, Sancila Rusić achète de Dragica Milinović de Cosmosselo 15 muids de vin de son vignoble au prix de 32
sous par muid; ibid., f°1, le 4.XI.1518. De même, en novembre 1519, Ivan Perkačin, du village de Xoracondiur, doit
donner à un certain Uršo Rumanove 1,5 muid de vin ou lui rembourser à raison de 6 deniers par quarta de vin; ibid., V.
II, F. II, f°307, le 14.XI.1519.
380
Dans ces accords de vente dans lesquels interviennent les membres aisés de la population, le vin y apparaît parfois
comme un produit parmi d’autres notamment dans le cas de vente de produits agricoles locaux. En septembre 1410, le
patricien Kolan de Grimani réclame au marchand Ivan Martini 10 livres pour le reste du prix du vin ainsi que 3 livres
pour la location de deux veterum durant un an et 14 livres 1 sou pour 24 setiers d’huile à raison de 12 sous par setier;
DAZd, CC&M, B. II, F. 9, f° 7’-8. La même année le patricien Zojlo de Fera réclame à Toma de Petrić 700 ducats pour

490
acteurs sont les étrangers avec leurs interlocuteurs communaux. Le vin peut être aussi bien traité
comme une marchandise unique qu’incorporé dans un ensemble d’autres produits zadarois.
En résumé, la vente du vin est organisée à trois niveaux : la vente au détail dans la région
productrice, la vente en gros entre les citadins aisés et enfin l’exportation aux mains des marchands
et patriciens communaux et des étrangers de passage. La part de la consommation locale semble
toutefois prépondérante : 1.400 muids de vin sont échangés entre deux patriciens zadarois contre
400 à 476 muids de vin exportés vers Milje et Senj.
- Les mesures et leurs conversions
A Zadar, le livre des comptes de la famille
Matafarić permet d’obtenir quelques équivalences des
capacités locales des contenants zadarois. Fait
significatif, la capacité des tonneaux peut varier au cours
des transaction, puisqu’en 1462, il est bien spécifié : che
sie mizura lo caratelo salua la mizura iusta piu o men
quando se mizurara lo charatelo381. Dans la pratique,
cette constatation se vérifie : au cours d’une vente le
caratello contient 10 muids, puis dans une autre, il n’en
contient plus que 2 muids382 (tableau LXI).
Tableau LXI : Equivalence de quelques mesures à Zadar dans les années 1460
Mesure Rapport Capacité
Cavo 9-20 muids 720 – 1.600 litres
Caratello = barillo 2-10 muids 160 – 800 litres
Mozo 60 quartes ≈ 80 litres
Quarta 20 litres
Quartarello 5 litres

Ces équivalences auraient été d’autant plus utiles s’il existait des contrelettres zadaroises,
mais elles font défaut à l’heure actuelle. Dans le cas de Split, certaines équivalences sont également
posées afin de clarifier les volumes de vin exportés, tandis qu’en annexe figure le détail de tous les
calculs de conversion (tableau LXII).
Tableau LXII : Equivalences de quelques mesures à Split au XVIe siècle
Mesure/Contenant Capacité
Amphore 600 litres
Botte 450 litres
Cavo cerchiado 200 litres
Caratello = barilo 64 litres
Quarta 33,5 litres
Seccho 9 litres

la vente de 1.400 muids de vin. L’un des marchands les plus en vue, Grgur Mrganić, réclame en février 1416 à la veuve
de Zojlo de Galellis, Katarina et à son fils Šime, 60 ducats pour la vente de 100 muids de vin; ibid., f° 9 et f° 15-15’.
381
Ibid., f° 64.
382
Ibid., f° 86’.

491
Néanmoins, certaines unités de compte ou mesures usitées dans les contrelettres n’ont pas
été mises en évidence par les travaux de métrologie. En espérant trouver par la suite une explication
rationnelle de leur usage et par soucis d’exhaustivité, ces unités ont été regroupées (tableau LXII).
A défaut de connaître le volume en litres de ces charges, on peut constater que les quantités relevées
sont faibles. A peu d’exceptions près, l’unique destination est la République de Saint-Marc.
Une fois prises les précautions liées à la diversité des mesures utilisées au cours des
déclarations douanières de Split, il est possible d’estimer le volume de vin exporté à partir de cette
commune à la fin du XVe et tout au long du XVIe siècle.

Tableau LXIII : Transport du vin à partir de Split (unités de compte sans équivalence)
Année Quantité Unité de compte Destination
1503 1 carateleto Venise
1511 1 mezarol Venise
1 barillo mezo Venise
1515-17 8 mezarolli Karlobag, Šibenik, Zadar, Venise
5 caratelleti Venise
1529 4 ligazi Venise
2 caratelleti Venise
2 caratelli picoli Venise
1558 8 doge plena Venise

- L’exportation globale de vin


A la fin du XVe siècle, le volume moyen annuel de vin exporté atteint les 2.217,6 hl les
années complètes et 1.341 hl par an toutes années confondues. Venise importe, à elle seule, 2.043 hl
par an dans les années 1482-1483 (tableau LXIV).
Tableau LXIV : Evolution de l’exportation du vin en hl et part de Venise (1475-1484)383
Année 1475 1476 1481 1482 1483 1484
(mois) (VI-XII) (I-X) (VI-XII) (I-XII) (I-XII) (I-VI)
Exportation totale 902,18 hl 1.738,80 hl 895,94 hl 2.134,84 hl 2.300,40 hl 73,76 hl
Part de Venise 714,32 hl 1.604,72 hl 578,38 hl 1.945,12 hl 2.141,52 hl 7.053,58 hl
(79,18%) (92,29%) (64,56%) (91,11%) (93%) (87,67%)

Durant cette période, sur l’ensemble du marché d’exportation, la part de Venise représente
en moyenne 50%, suivie de la Pouille avec 20%. Dans le cas de figure du vin, jusqu’à près de 85%
de l’exportation est orientée vers Venise, car les produits agricoles sont dominants sur les autres
marchandises dans l’importation vers Venise, cette ville étant le seul marché de consommation
potentiel384.
Au XVIe siècle, une fois surmontées les difficultés liées à la multitude des données inscrites
dans les registres douaniers, le volume global de vin exporté de la commune de Split peut être
présenté, en rappelant que les calculs sont grevés par les années incomplètes et par l'absence de
contrelettres pour les décennies 1540 et 1570 (tableau LXV).

383
T. Raukar, « Komunalna društva », (68, 78).
384
Ibid.

492
Tableau LXV : Evolution du volume de vin de Split transporté au XVIe siècle (en litres)
Dalmatie Istrie Littoral Pouille Romagne/ Venise territoire Divers Total
Année croate Marches ottoman
1503 994 - - 3.280 - 50.150 - 752 55.176
1504 - - - 6.056 - 107.588 - 3.596 117.240
1511 3.026 - 5.680 - - 27.597 - - 36.303
1515 7.880 - 1.392 - - 8.238,5 1.096 1.284 19.890,5
1516 2.384 - 906 - - 38.552 1.156 5.432 48.430
1517 - - 600 - 795 15.760 - 128 17.283
1528 - - - - - 889 - - 889
1529 1.088 - - 31.205 - 1.322 1.092 3.934 38.641
1530 983 - - 9.384 - 2.065 - - 12.432
1557 - - - - - 7.024 - 1.200 8.224
1558 1.600 - - - - 31.816 - 10.912 44.328
1559 - - - - - 1.919 - - 1.919
1580 - - - - - 983 - - 983
1581 - - - - - 2.784 - 2.784
1582 - 1.792 - - - 6.056 - 4.950 12.798
1583 - - - - - 6.704 - 6.704

Entre 1482-1483, la moyenne annuelle est de 2.043 hl. Avec une moyenne d’environ 78 hl
dans les années 1580, en cent ans, le marché d’exportation de l’un des produits les plus rentables du
commerce splitois a chuté de 96%. Toute l’évolution du marché du vin durant le XVIe siècle ne se
traduit que par une décroissance saccadée. Entre 1504 (1.172,40 hl) et 1582 (≈ 128 hl), les échanges
chutent de 89%. Ainsi, seul le volume de vin exporté les premières années de ce siècle correspond à
celui du siècle précédent.
Durant les années 1503-1504, celles des transports les plus importants de vin, 200 voyages
déclarés sont effectués en mer. Avec un total de 172.416 litres (55.176 en 1503 et 117.240 en 1504),
chaque navire transporterait 862,08 litres de vin en moyenne. Or ces voiliers ne convoyant pas tous
du vin, cela augmente les quantités des embarcations spécialisées (soit un peu plus de deux bottes
par navire). La moyenne baisse ensuite à environ 37.822 litres de vin entre les années 1511 jusqu'à
1529 (quantités des années 1511, 1516 et 1529). L’année 1558 représente un sursaut de reprise, le
trafic chutant à nouveau dans les années 1581-1582 avec 5.666,5 litres en moyennes.
Les 117.240 litres de vin transportés en 1504 (année complète) répondraient à un besoin de
318 litres de vin par jour. A raison de la consommation d’un litre par jour par personne, dans le
contexte d’une auberge ou lieu d’hostellerie, l’exportation splitoise fournirait du vin pour près de
300 personnes, en assurant ainsi l’approvisionnement de plusieurs tavernes. Mais, lorsque dans les
années 1515-1517, 85.604 litres de vin sont transportés au cours d’environ 850 voyages, la
moyenne ne représente plus que 112,4 litres par navire (soit un quart de botte), et ce commerce se
transforme davantage en ravitaillement d’appoint des marchés importateurs.
La première décennie du XVIe siècle, durant laquelle les quantités de vin transportées sont
les plus abondantes, coïncide avec la présence de la clientèle des villes du Littoral croate. Pour la

493
seule année 1511, les villes de Senj, Bakar, Karlobag et Rijeka représentent près de 25% du marché
d’importation. Puis, dès 1517, le transport du vin vers ces villes disparaît, excepté un convoi de
1.791 litres de vin vers l’île de Rab. En Dalmatie, les principaux clients sont Dubrovnik, Lovran,
Šibenik, mais surtout Zadar et Pag (une botte en 1530). Les communes de la Pouille sont
importatrices par intermittence. L’année 1529, les villes de Barletta, Monopoli et Otranto, avec
Cremona, importent jusqu’à 31.000 litres, constituant plus de 90% du marché. Sur le sol ottoman,
les seules régions destinataires sont la Krajina et la Neretva, et ce à titre très épisodique.
Venise, quant à elle, attire à soi près de 85% du marché d’importation en moyenne au XVe
siècle. La situation ne change guère un siècle plus tard. Sa part reste non seulement importante,
mais en un siècle, elle passe d’environ 85% à 100%. Ces informations sont donc révélatrices de
l’influence très nettement néfaste des dévastations ottomanes sur le sol de l’arrière pays splitois : la
production vinicole s’amenuise sous le coup de la guerre ouverte ou des intrusions et quasi
permanentes. Le nombre des partenaires commerciaux se réduit, notamment sur la côte est de
l’Adriatique sous l’effet des perturbations économiques provoquées par la guerre en Croatie. Seule
Venise peut s’assurer le convoi régulier de vin et devient le client exclusif. La production insulaire
de vin ne peut compenser la perte des exploitations vinicoles sur l’arrière-pays agricole splitois à la
fin du XVIe siècle.
C’est précisément dans ces années 1580 que du vin italien apparaît sur le marché splitois. Du
vino latino est importé à Split du port italien de Peschici (Beschize) en 1581. La quantité de vin –
non précisée – est calculée alla misura napolitana. Puis en 1582, il est prévu d'exporter 5.859 litres
(550 secchi) vers une destination non indiquée ainsi que 1.377 litres pour Piran en Istrie. Enfin, 53
bottes (soit 23.850 litres de vin) sont déclarées à l'importation en provenance de Vasto en 1583.
Split joue donc ici à la fois le rôle de marché de transit, mais fait également appel à la production
italienne pour s'approvisionner. C'est la première fois que figurent les années tardives de ce siècle
alors qu'auparavant nous étions témoins d'une exportation limitée aux années 1510, voire à une
moindre échelle aux années 1520-30. Il semble donc qu'il y ait un basculement du flux de ce trafic
vinicole durant lequel Split se voit dans l'obligation d'importer.
A Zadar, les nombreux actes de vente et d’échange de vignobles dans les actes notariés
témoignent amplement de l’existence d’une production locale de vin. Au XVe siècle près de 15.000
hl de vin sont vendus au détail annuellement sur le marché communal. De fait, la majeure partie de
la production est destinée à la consommation urbaine. Du vin zadarois est acheminé hors de la
commune, préférentiellement vers Venise mais aussi vers la Croatie médiévale, l’arrière-pays et
d’autres ports de la côte adriatique385. En 1422, un marchand vend à deux Valaques trente muids de
vin. En 1446, 32 muids de vin sont exportés en direction de Corfou, port avec lequel Zadar

385
Zadar pod mletačkom upravom, 92-93.

494
entretient encore des liens vingt ans plus tard pour un second transport de vin vers cette
commune386. Enfin, le vin est l’un des principaux produits locaux destiné à l’exportation en
direction de la côte orientale de l’Italie en échange de l’importation de céréales387. Le circuit des
échanges est en revanche beaucoup moins connu. Bien souvent dans les actes de vente notariés, les
indications sur la destination finale du vin sont omises, qu’il s’agisse de la consommation locale ou
de l’exportation. Les résultats ne peuvent être obtenus que par recoupement. Les contacts avec les
colonies vénitiennes insulaires (l’île de Crète) se poursuivent, tout comme dans le trafic avec
Corfou, au moins durant la première moitié du siècle : du vin de Malvoisie est importé en ville.
D’après les acteurs engagés dans les transactions d’achat et de vente, l’exportation du vin zadarois
comprend aussi bien des cités du Littoral croate (Rab388), d’autres communes dalmates (Split389,
Nin390, Skradin et Šibenik391) et des villes d’Istrie (Milje392). La compagnie de Matafarić est
également active dans l’exportation. Bien que la majorité de ses transactions liées au vin soit
concentrée sur le marché intérieur, les entrepreneurs zadarois possèdent une marciliane servant au
transport de leurs marchandises. Le vin sert notamment de monnaie d’échange contre le bois de l’île
d’Osor, puis en 1467, 500 litres de vin couleur vermeille (vino vermeglio) sont exportés en Istrie en
échange à nouveau de bois, faisant un profit sur la vente du vin de 12 livres 19 sous393. Ces
informations demeurent néanmoins sporadiques.
La ville de Senj, évoquée en 1443394, est impliquée dans le système d’échanges en nature, en
raison de sa production importante de bois. Or, tout comme pour le trafic de Split, il est fort
possible que les ports du Littoral croate médiéval cessent de représenter une clientèle après les
années 1520. Cela n’empêche pas leurs commerçants d’être présents dans la commune après cette
période. Ainsi en mars 1520, Franjo Xivicović de la ville de Senj vient payer aux héritiers de Franjo
Turko 160 livres pour 80 muids de vin ayant appartenu au défunt395. Les communes italiennes telles

386
Ibid., note 50, 93.
387
T. Raukar, Zadar u XV. st., 254-255.
388
Le 25 septembre 1555, le noble Grizogon de Dominis de Rab reçoit de son débiteur Marko Sugović du village de
Tuklječane, 6 muids de vin à 18 livres contre la valeur des bénéfices d’un vignoble; DAZd, Gabriel Cernotta, B. I, F. I,
f° 30’-31; le même jour, Marko paie 94 livres 4 sous pour 6 quartes de vin au père de Grizogon, Ivan; ibid., f° 32.
389
En février 1519, Marin et sa femme Nikolota de Papra acceptent de Toma Maselini une vegeta de vin de 32 muids
pour équivalent d’une dette contractée à Split en juin 1518 de 32 livres 18 sous (soit un peu plus d’une livre par muid);
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. I, F. IV Cittazioni,f° 48.
390
En mars 1442, Petar Marigić de Nin, habitant à Sutsio, doit cinq livres à Grgur Cimičić de Pag (lieu-dit de Dinjiška)
pour une certaine quantité de vin, à payer d’ici la Saint-Vito (15.VI.); DAZd., Johannes de Calzina, B. I, F. I, f° 282.
391
En novembre 1519, Šime Bonivento, fermier des « autres vins étrangers » prévoit de conduire pour au moins l’une
des deux villes une vegeta de vin de 20 muids sur une barque; DAZd, Conte Pietro Marcello, B. II, F. II, f° 306’.
392
En novembre 1507, Blaž de Soppe prête au marchand Petar Colle de Milje 300 ducats pour conduire 400 muids de
vin durant tout le mois de mai; S. Gunjača, « Repertorium », 261-347 (335).
393
DAZd, Spisi obitelj Matafar, f° 87, 96 et 96’.
394
En février 1443, Marchese Giaccomo de Tarvilio, habitant de Zadar, est associé au Bolognais Giaccomo de
Gondonis pour une exportation de 476 muids de vin, 1 vaselum d’huile de 11 muids, 100 quarts d’haricots vers Senj.
Les profits et pertes sont partagés en deux parts égales; DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. II/8, f° 390’.
395
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. I, F. III Atti de possesso, f° 197’.

495
que Venise396 et Fermo397 sont également incluses dans le trafic, sans compter les autres villes dont
les témoignages de contacts directs sont absents, mais dont nous avons la trace à travers la présence
de leurs marchands398. A Venise, le vin peut servir de garantie pour un ancien gage, une restitution
de dette ou un héritage. En mars 1548, le procurateur de Theodoro Clada, Natale Miremura, doit
aller récupérer une vegeta pleine de vin et des ducats à Venise en possession de Covazo della
Porta399.
Pour terminer, il est possible d’évoquer la très faible exportation de vin à partir de Trogir,
exportation qui, à la différence de Split et de Zadar est, pour les périodes considérées,
exclusivement destinée au marché vénitien (tableau LXVI).

Tableau LXVI : Exportation de vin à partir de Trogir à la fin du XVIe siècle


Année 1566 1567 1568 1569 1575 1576 1577
(X-XII) (I-XII) (I-XII) (I-IX) (IV-XII) (I-XII) (I-VII)
Quantité 298 litres 1.749 litres 6.342 litres 9.362 litres 2.477 litres 5.532 litres 2.856 litres

Tout au long des XVe et XVIe siècles, la production vinicole des communes dalmates est
suffisamment abondante pour susciter une exportation vers des ports adriatiques et jusqu’en Egée,
Venise absorbant néanmoins le plus gros volume de vin. A la fin du XVIe siècle, le marché du vin
dalmate semble cependant connaître une crise, allant jusqu’à provoquer des importations, d’Italie
méridionale, fait qui avait été jusque-là vivement combattu par décisions des conseils communaux
dès le XIIIe siècle.

5°) Les produits artisanaux


La République de Venise n’intervient pas directement dans l’organisation des artisanats en
Dalmatie et de fait, les artisans sont, avec les marchands, la catégorie sociale la plus aisée au XVIe
siècle. Même si l’activité de ces derniers a de préférence un rayonnement local, il existe des traces
de trois niveaux d’exportations, celui des produits artisanaux réalisés sur place, celui des produits
issus de la transformation des matières premières et celui du transit des articles de provenance
extérieure à la commune. Cette exportation concerne principalement quatre branches : l'habillement,
le textile, les ustensiles et le mobilier.

396
Deux arbitres sont élus en juin 1441 pour régler un procès entre Nadalin de Pechiari et le patron d’une barcose,
Antun Govedinić, autour du nolis pour un transport de vin à Venise; DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. I, f° 145’.
397
Caravella de Comachi, patron d’une barque, a subi un naufrage sur la route de Fermo à Zadar. Il a perdu entre autres
deux bottes de vin et deux tonneaux d’outils; DAZd, Conte Bartolomeo Paruta, B. unica, atti diversi, f° 91.
398
Le cas de la société mentionnée ci-dessus entre le Tarvilien et le Bolognais.
399
DAZd, Conte Johannes Morea, B. I, F. I/1 Instrumenti, f° 9.

496
a) L'habillement
Les contrats de dots, les testaments et les inventaires montrent la part importante que jouent
les vêtements dans la vie quotidienne des cités400. Cependant, les données concernant leur valeur
commerciale et le volume de ces échanges sont très rares. Quelques documents du XVe et de la
première moitié du XVIe siècle donnent un faible éclairage sur certaines marchandises, d’usage plus
ou moins répandu, en vente à Zadar (tableau LXVII).

Tableau LXVII : Prix des articles vestimentaires à Zadar


Année Attributs Prix Source
1441 veste 20 livres Johannes de Calzina, B. I, F. I, f° 180.
1449-1475 béret (berita, verda) 20-24 sous Spisi obitelji Matafar, boîte 1, B. I
béret doublé/masculin (dupia/de omo) 60 sous
foulard féminin avec fils d’or en soie (façol de 60 sous
dona laura cum sida)
manteau (mantello) 140–160 sous
chemise en rasse (chameia) 53 sous
chemise masculine (chamize de omo) 20 sous
chemise féminine (de dona) 34 sous
veste masculine (gunise coe ueste de omo) 60 sous
robe blanche féminine (gonela biava de femine) 2 ducats 5 sous
gants en laine 10 sous
chausses (scharpe) 12 sous
sandales en cuir de porc (sola) 8 sous
1506 veste féminine noirea 25 ducats Antonio de Zandonatis, B. I, F. VI, f° 19.
1506 veste féminineb 10 ducats Ibid
1506 veste féminine en zambelotoc 4 ducats Ibid.
1506 gabardine blanche en zambeloto avec du fil doré 22 ducats Ibid.
1506 gabardine en toile de festechin verte claire 4,5 ducats Ibid.
1520-1525 chapeau (capello) 18 sous Augustinus Martius, bilan Detrico, f° 1-10
1522 chapeau noir 22 sous Ibid.
1520-1522 boutons 12-18 sousd Ibid.
1522 ceinture 15 sous Ibid.
1522 ceinture catalane 16 sous Ibid.
1522-1524 paire de botte 4 livres Ibid.
1557 cape orange 15 livres Nicolaus Canalis, B. I, F. III, f° 4
1557 gants en damas noir 6 livres Ibid.

Les prix relevés montrent clairement deux niveaux de consommation. Bien que leurs valeurs
varient, les vestes féminines s’adressent à une clientèle aisée, qui les a vraisemblablement fait
importer d’Italie. En revanche, les vêtements que se procure Ivan Detrico pour habiller ses aides
dans la boutique ont une valeur beaucoup plus modeste. A titre indicatif, on relève que de 1520 à

400
L’étude d’inventaire d’un patricien de Šibenik du milieu du XVe siècle montre par exemple que les vêtements
constituent 28% des biens de Juraj Kamenarić, avec en tête le mobilier (58%); Goran Budeč, « Inventar dobara
šibenskog patricija ser Jurja Kamenarića iz 1451. godine », Zbornik odsjeka za povijesne znanosti HAZU, vol. 28,
Zagreb (2010), 67-106 (69).
a
En deux pilis cum suis mamicis, strichatis, subsichis cendato.
b
deraxo pilieonis sine mamicis.
c
Tissu en poil de chèvre ou de chameau.
d
Dépenses faites par Detrico à trois reprises.

497
1526, Ivan achète seize chapeaux pour ses apprentis, deux ceintures et deux paires de bottes401. Ces
biens sont sans doute de fabrication locale.
Dans l’état actuel de la recherche, il est impossible de savoir si la production artisanale dans
ce domaine dépasse le seul cadre de la ville. En revanche, nous pouvons observer que l’activité des
tailleurs et cordonniers locaux est régulièrement requise.
A Split, cette branche de l’artisanat est représentée de manière très marginale dans le
commerce. Dans ce groupe, sept objets sont exportés en petites quantités et le plus souvent à raison
d'un voyage. Il s’agit de coiffes (barete)402, de sandales (baxete conze)403, de bonnets de feutre ou de
laine (pilei)404, de quelques sacs, de plumes405, de bottes, de ceintures, de couvre-chefs et de
chausses. Le chapeau (capelli), confectionné le plus souvent en laine, fait l'objet d'un trafic constant
de 1504 à 1580.
Les colonies vénitiennes en Egée sont les destinataires les plus fréquentes (tableau LXVIII),
dont Malvoisie en 1515 (80), puis Corfou en 1529 (100), ainsi que la bordure maritime de l’Empire
ottoman, la Neretva en 1558 (170). Le marché croate n'est présent que jusqu'en 1517 y compris
l'exportation d'un sac de chapeau à Senj. La Dalmatie (avec dix chapeaux pour Šibenik en 1504 et
200 capelletti pour Dubrovnik en 1558) est un client intermittent, tandis qu’à la fin des années 1550
et les années 1580, une grande quantité de chapeaux est transportée vers les places italiennes :
jusqu’à 234 chapeaux en 1581 (sottovento).

Tableau LXVIII : Exportation de chapeaux de Split au XVIe siècle (en pièces)


Année Dalmatie L. croate Pouille sottovento Venise E. ottoman Total
1504 10 - - - 6 - 16
1511 125 - 32 - - 125 282
1515 - - - - - 80 80
1517 - 100 24 - 19 - 143
1529 - - - - - 100 100
1558 200 - - - - 170 370
1559 - - 206 - - - 206
1580 - - - 234 - - 234

Il semble que pour répondre à ce marché, les commerçants fassent également appel à des
chapeaux d’importation, puisqu’en 1517 bon nombre de chapeaux allant à Bakar sont soit de
fabrication hongroise, soit représentent un type hongrois (ungareschi) de même que pour un sac de

401
S. F. Fabijanec, « Bilanca », (105-113).
402
Une douzaine de ces coiffes est exportée à Barletta en 1530.
403
En 1528 seulement, quarante sandales sont déclarées pour Venise.
404
L'année 1557, dix-huit bonnets sont exportés à Napoli.
405
Un sac vers Venise en 1529.

498
chapeaux allant à Senj. Comparé au XVe siècle, ce marché connaît un léger ralentissement. En effet,
dans les années 1481-1484, 640 chapeaux sont transportés406, vers des destinations non précisées.
Presque toutes les ceintures (cenge/centure) sont de fabrication ou de type turc (turchesche).
Leur trafic se limite aux années 1515 jusqu’en 1530. Elles sont en majorité destinées aux villes du
Littoral croate (quatre sacs et 34 pièces vers la foire de Bakar, puis Rijeka, Senj et Rab) exceptée
une importation vers Hvar en 1530 (un sac de ceinture passize).
Les chausses (scarpe/starepe) sont transportées vers trois marchés : la Pouille, les villes du
Littoral croate et la Dalmatie (tableau LXIX).

Tableau LXIX : Centres importateurs de chausses de Split au XVIe siècle (par paire)
Année Dalmatie L. croate Pouille Total
1503 30 - - 30
1504 37 10 - 47
1516 - 31 - 31
1517 - 21 40 61
1528 - - 685 685
1529 90 30 90 220

Les voyages sont limités aux deux premières décennies du XVIe siècle, puis, cet article
artisanal disparaît, ne survivant pas le conflit de 1537. Excepté l'envoi d'un sac de chausses à
Barletta en 1529, leur exportation est comptée par paires.
Le marché de la Pouille domine nettement (675 paires en 1528). La Dalmatie n'apparaît que
faiblement à travers l'île de Hvar (295 paires en 1503) et la commune de Šibenik. Sur le Littoral
croate, Senj se distingue, que ce soit en temps de foire ou non, avec une seule importation encore de
l'île de Krk en 1528-29. Le trafic étant orienté vers l’ouest, l’interruption après les années 1520 peut
concorder avec celle des contacts avec la région bosniaque, où ce genre d’artisanat est très
développé.

b) Le textile
Le travail et le commerce du textile, avec ses débuts dans la Flandre au XIe siècle et les
foires de Champagne au XIIe siècle, connaît sur le sol dalmate un premier élan au XIIIe siècle,
notamment à Zadar, puis au XIVe siècle, avec l’affirmation de la classe aisée, fabricatrice de draps,
des drapiers (draparius), de même que l’arrivé des teinturiers (tinctarius), dont l’activité prend son
essor au XVe siècle. Split, de même, développe sa fabrication artisanale en ateliers, secondée par le
travail dans des foyers assuré par une main-d’œuvre domestique féminine, de textiles de qualité407.
Outre l'apprêt de la laine, constitué de cinq étapes, la fabrication du drap comprend encore quatre

406
T. Raukar, « Komunalna društva », (70).
407
Sabine F. Fabijanec, « Dva trgovačka inventara kao pokazatelji ekonomskog i kulturnog života u Zadru », Povijesni
prilozi, vol. 25, année 22, Zagreb (2003), 93-131 (96-97).

499
opérations générales dont le lainage408 et la tonte409. Le nombre et l'ordre de passage au foulonnage,
au lainage et à la tonte varient suivant la qualité recherchée et les habitudes de fabrique. Les deux
dernières étapes sont la teinture410 et le pressage411. La seule teinture exige un matériel coûteux
constitué de chaudières arrimées à des fourneaux munis d'une fermeture en fer, de chaudrons, de
cuves en bois cerclées de fer, des moulinets à tordre les draps412. La fabrication complète du drap
comprenant toutes les étapes depuis le travail de la laine jusqu'au produit fini, pour une pièce longue
de 25 à 40 mètres, représente une période de cinq à six mois413. Comme la concurrence nordique ne
touche pas les industries drapières italiennes sur les marchés du Levant qu’à la fin du XVIe et au
début du XVIIe siècle414, l’ensemble du bassin adriatique fonctionne avec sa propre production.
Néanmoins, à son avènement au pouvoir, tout en laissant librement se dérouler les activités
agricoles, Venise bloque en revanche toute possibilité d’initiative urbaine dans la production
industrielle élaborée. Elle protège ainsi plus particulièrement sa propre production de draps en
empêchant les patriciens urbains de mettre en place des manufactures de toiles415. Seule la ville de
Dubrovnik représente une concurrence sérieuse pour le marché vénitien dans cette région
puisqu’elle est dirigée de manière autonome par une classe de patriciens marchands416.
Il existe cependant une vive activité d’échanges de draps et un savoir-faire professionnel
dans l’élaboration des toiles qui désavouent les interdits vénitiens de production et de commerce.
Qui plus est, le textile apparaît comme le produit le plus documenté dans les manuscrits zadarois.
Tout d’abord, des sociétés se fondent pour commercer à Dubrovnik. En 1493, par exemple, un
certain Juraj Brajković de Zadar et le Kotorois Ivan, fils de feu Stjepan, disposent d’un capital
constitué d’un millier de laine brute d’une valeur de 52 ducats et d’un métier à tisser (dont on a les
dimensions : una telga brachiorum septem cum dimidio ad quadrum vel circa). Ils doivent emporter
ce matériel en Dalmatie pour le vendre au meilleur prix417. Cette vente répond donc à un besoin en
outillage spécialisé.

408
Brosser fortement le drap, préalablement mouillé, à l'aide de chardons montés sur deux morceaux de bois.
409
Egaliser la surface du drap posé sur une table à tréteaux avec les forces (ciseaux). Le drap est ensuite mouillé et
tendu par de long châssis de bois verticaux. Il se déplit en séchant ; J. F. Belhost, « L’industrie drapière », (470).
410
Cette dernière peut s'effectuer soit sur le drap tissé et apprêté, sur la laine ou encore sur le fil. Le choix est fonction
de la couleur recherchée; ibid.
411
Une fois épincé, brossé et tuilé, le drap est porté à la presse : lourd bâti de bois muni d'une grosse vis qui comprime
une pile de draps pliés en accordéon où l'on place dans chaque pli un carton. Excepté pour les draps noirs et écarlates,
l'opération est réalisée à chaud à l'aide de plaques de fonte ou de cuivre intercalées chauffées auparavant au four; ibid.
412
Ibid.
413
Ibid.
414
Ibid.
415
T. Raukar, « Komunalna društva », (216).
416
Dubrovnik commence sa propre production de textiles à la fin du XIVe siècle en faisant venir des drapiers italiens :
en 1398, Domenico d’Augubio est libéré du paiement de la douane pour l’importation de son matériel et l’ouverture de
son atelier; en 1416, Augustino Golacucio de Permula obtient de la commune un prêt de 120 hyperpères pour introduire
l’artisanat du drap; D. Roller, Dubrovači zanati, 7.
417
Ignacij Voje, « Ekonomske veze izmeñu Dubrovnika i Dalmacije u XV. st. », Radovi instituta za Hrvatsku povijest,
vol. 10, Zagreb (1977), 379-394.

500
Un événement est encore plus révélateur de l’existence d’un groupe d’artisans dalmates
qualifiés dans la production textile. L’un des premiers teinturiers introduits dans l’atelier de l’italien
Domenico d’Augubio à Dubrovnik est le Zadarois Luka. En 1419, il s’engage à teindre et à laver les
toiles de l’atelier aux prix appliqués à Venise. Un an plus tard, il est embauché par le Florentin
Bruno et le Lucquois Blasio durant cinq ans, jusqu’à sa mort418. Dubrovnik fait donc appel, au début
de son industrie textile, à un professionnel zadarois, ce qui prouverait qu’il existe bien un savoir-
faire à Zadar dans la production complète du drap.
Dans la ville même, la vente de draps s’avère aussi rentable. Ce commerce semble
représenter l’une des parties les plus vivantes du marché zadarois. Les commerçants locaux
investissent beaucoup dans cette branche de la production. Qui plus est, le drapier est l’un des
personnages les plus en vue de la société urbaine. Comme il est impossible, ou presque, de
commercer avec le sel de Pag, les marchands se reportent de fait avec profit vers le négoce des
draps. La famille Venturino Paxini offre une illustration locale du genre de société commerciale qui
s’est créée pour la tenue d’une boutique de draps en 1442.
En juillet de cette année, Petar fils de feu Venturino Paxini de Zadar vend dans le cadre
d’une colleganza à son gendre Petar Marusić, fils de feu Cvitko, marchand à Zadar, un tiers des
draps, toiles et autres marchandises et les droits sur sa boutique de draps située sur la place
principale de Zadar, l’ensemble de l’affaire valant 2.000 ducats. Petar vend le second tiers à sa fille
Nikolota, femme de Petar Marušić. Le dernier tiers, Petar le vend à son fils naturel, Ventur de
Venturino. Petar Marušić promet de payer les deux tiers revenant à sa famille en dix ans, à raison de
133 ducats une livre 18 sous par an, jusqu’à concurrence du prix total de 1.300 ducats. Donat, fils
de feu Pavao, orfèvre et marchand de Zadar se porte son garant. S’il advient que Donat n’a pas payé
une des années, Petar Venturino a le droit de vendre ses affaires jusqu’à la somme due. Ventur doit
payer son tiers en dix ans également, à raison de 66 ducats 3 livres 16 sous par an. Son beau-frère
Petar se porte garant419.
La valeur de ce négoce de drap représente donc près de 2.000 ducats, tandis que Petar
Venturino s’est assuré une « rente » de près de 200 ducats par an durant dix ans. La provenance et
la qualité des draps ne sont pas précisées. Mais le rayonnement de cette activité peut être connu à
travers la mention de tous les lieux dans lesquels les versements peuvent être effectués, c'est-à-dire,
Zadar, Šibenik, Trogir, Split, Kotor, Dubrovnik, Piran, Venise et dans toute la Croatie, la Dalmatie,
l’Istrie et les Marches. De la sorte, le champ de cette affaire couvre les deux rives du bassin
Adriatique. Dubrovnik étant mentionnée, nous pourrions supposer que cette ville servira, une fois
de plus, de voie de pénétration vers les Balkans – territoire qui n’apparaît pas dans le contrat.

418
D. Roller, Dubrovački zanati, 59.
419
DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. I/2, f° 55’-57’, le 3.VII.1442.

501
Au XVIe siècle, la situation n’a semble-t-il pas changé. Qui plus est, des marchands
étrangers s’installent en ville. En 1557, le Vénitien Francesco Albertis, habitant à Zadar, s’engage
dans une société consacrée au commerce du drap. Il investit 26 pièces de divers types de toiles et 35
3/4 pièces de velours d’une valeur totale de 611 ducats et 5 livres420.
- Une activité complémentaire : la teinturerie
L’un des autres indicateurs de la vigueur du trafic des draps de toutes sortes est le commerce
de la teinture et l’essor de l’artisanat qui lui est lié. A Split, l’une des premières teintureries privées
date de 1366421. Un siècle plus tard, les quelques maîtres teinturiers recensés, ainsi que les laineurs,
se trouvent être des Italiens de Firmo, de Florence et de Como422. Cela correspond à la tendance
générale sur le bord adriatique oriental. A la même période (1420), les autorités de Dubrovnik
encouragent également l'arrivée d'artisans étrangers, surtout des Florentins, en vue de la mise en
place d'industries drapières423.
La guède (guado), exclusivement importée d’Italie, est en tête des colorants424. A Zadar, en
1447, le teinturier Lovro Milković importe seize milliers de guède au prix de 190 ducats (soit près
de douze ducats le millier). Il compte en réexporter une partie aux Valaques. Il faut néanmoins
préciser qu’au XVe siècle, l’art de la teinturerie est le monopole de la Chambre communale et il
nécessite beaucoup d’investissement, plus que pour d’autres artisanats. Cet art dépend, de plus, de
l’importation de matières premières, en premier lieu, de la guède. Ce qui fait que seules les
personnes fortunées de la société zadaroise peuvent se permettre de pratiquer cet artisanat425.
En 1527, d’après le recensement de cette date, il existe à Zadar trois teinturiers déclarés.
Cependant, entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle, cette activité connaît un ralentissement
certain. L’un des bons indicateurs de l’évolution de cette branche artisanale est le cours de la vente
du bail sur la taxe de la teinturerie de Zadar.
Entre 1460 et 1520, la valeur de la taxe est tombée de 80%, suite au conflit de 1499-1502.
Les périodes de crise politique sont facilement lisibles (graphique XXXII). Les périodes de chute
du cours du bail vont de pair avec la guerre de 1537-1541, durant laquelle le bail se vend 40 livres.

420
Zadar pod mletačkom upravom, 259.
421
De plus, en 1370, l’archevêque Ugolino cède en bail à trois patriciens splitois le moulin et la production de draps
(gualtherias) à Solin. Durant cette même période, un Anconitain prête cent ducats à un certain Franjo Cole pour
fabriquer une (autre) teinturerie à Split; I. Pederin, « Il comune », (59-60).
422
En 1400, il s’agit de Coradino Firmani, Zanobio Lapon de Florence et Bernardo Giovanni de Ripa de Como; N.
Bežić-Božanić, « Nekoliko podataka ».
423
M. Aymard, « Production, commerce », (7).
424
L’un des centres probables d’approvisionnement serait la cité de Sansepolcro en Italie centrale, dont la production de
guède commence au XIIIe siècle et se poursuit jusqu’au XVIIIe siècle. Ce centre relie à la fois Florence (patronne de
Sansepolcro et dont l’Arte de la lana nécessite de plus en plus de guède à partir de 1441) et les communes de
l’Adriatique occidentale telles que Rimini, Fano et Ancona – par ailleurs partenaires commerciaux des communes
dalmates; Franco Polcri, « Produzione e commercio del guado nella Valtiberina toscana nel ’500 e nel ’600 », Proposte
e ricerche 28, Ancona, Camerino, Macerata, Perugia, San Marino, Siena (Arezzo), Urbino (1992), 26-38 (26-27).
425
Zadar pod mletačkom upravom, 89, 93.

502
La reprise cependant est très modeste. En 1558, le bail vaut 170 livres. Cette décadence n’est donc
plus seulement une conséquence directe des guerres à proximité du territoire. Elle est également
conditionnée par la tendance économique générale de régression du commerce des toiles. La baisse
du trafic à Zadar révèle aussi la diminution de l’importation de toiles de laine brute et de rasse,
venant cette fois-ci de l’arrière-pays, et non d’Italie comme pour les étoffes les plus luxueuses. Les
arrivages de ces articles de qualité inférieure sont bloqués par les conflits avec les Turcs.

Graphique XXXII : Cours de la taxe de teinturerie de Zadar aux XVe-XVIe siècles

1400

1200

1000

800
Lires

600

400

200

0
1440 1460 1480 1500 1520 1540 1560 1580
Année

Graphique réalisé d’après les données textuelles de T. Raukar, Zadar pod mletačkom upravom, 256.

Les maîtres teinturiers ont moins de toile à teindre et ne surmontent qu’avec difficulté les pénuries
de toiles brutes même durant l’essor du milieu du XVIe siècle426. Il en est de même à Split, où la
baisse des exportations est due à la stagnation générale de la consommation de draps.
- Le commerce du textile dans son contexte général
A Zadar, le drap, les schiavine et la rasse sont les trois produits principaux figurant dans les
registres notariés, tandis qu’à Split, le tissu est l’un des produits les plus présents sur le marché. De
la toile rustre à la toile de qualité importée préalablement d'une région productrice, l’éventail des
choix est très étendu. Bien que sa production de draps soit restée au niveau artisanal, la ville connaît
un rayonnement commercial de sa production sur tout le bassin adriatique dès le début du XIVe
siècle427. Au début du XVe siècle cependant, lorsque les événements politiques rendent le climat

426
Ibid., 256.
427
Dès 1312 (date de rédaction du Statut), des toiles de laine sont exportées à Venise, à Napoli, voire vers les Valaques
de l’arrière-pays et surtout pour la noblesse de Bosnie, friande de ces marques de luxe. Qui plus est, à la suite de la paix
de Zadar en 1358, Split devient un centre d'intérêt pour quelques Florentins venus vendre leurs draps. Ces derniers sont
ensuite achetés par des agents commerciaux bosniaques. En effet, nombre d'actes de crédit des années 1359 à 1369 sont
rédigés par des prêteurs locaux à des Bosniaques en vue de l'achat de draps; cette clientèle va croissant. En même temps
que la présence d'au moins un agent florentin, Bernardo Chiarini, marchand de drap, la concurrence ragusaine se fait

503
économique défavorable à tout développement, les Florentins engagés dans le négoce des draps se
retirent. Les actes notariés rendent alors compte d'importateurs de toile en provenance de Venise en
vue de les revendre dans l'arrière-pays (à Klis)428, sans que soit toutefois précisées la qualité et la
diversité d'emploi de ces draps, ce qui aurait permis de distinguer la part de la production locale par
rapport à la marchandise importée puis redistribuée.
• La popularisation de la draperie
Le XVe siècle connaît une grande expansion du drap au point que de nombreuses imitations
se font jour : des draps considérés comme prestigieux sont tissés selon les techniques traditionnelles
avec les laines réputées, de sorte que les noms des draps désignent davantage leur qualité que leur
origine. Parallèlement, cet essor de la draperie est influencé par un changement de la consommation
: la popularisation de la draperie. Il entraîne la production de toiles de qualité moyenne ou
inférieure, qui répond mieux aux goûts d'une clientèle nouvelle. En Dalmatie, le pouvoir
économique de la population roturière des marchands – drapiers qui plus est – des artisans, voire
des fonctionnaires, s’affirme par rapport à celui des patriciens. Cette volonté de nouveauté est
entraînée, entre autres, par les nombreux voyages à l'étranger des marchands, qui adaptent les
modes au goût du jour. Il s'ensuit des transformations techniques, l'emploi d'une main-d'oeuvre
rurale moins chère. Cela entraîne une modification qualitative de la production, ainsi qu’un
élargissement social et géographique du marché international. Les distinctions de prestige se
déplacent au niveau des couleurs : les couleurs écarlates, dont le rouge surtout, succèdent au bleu et
au vert relégués au rang de couleurs de province et de la campagne. La robe de laine reste
cependant le vêtement noble par excellence, par opposition au vêtement ajusté des gens plus
modestes. Ces deux types de vêtements succèdent au vêtement léger, aux toiles de lin et aux soieries
brochées. Néanmoins, le drap reste un article cher qui absorbe près de 10% des dépenses des
familles aristocratiques et la part de la consommation urbaine est prépondérante, même si la
population rurale trouve moyen de consommer en achetant des qualités inférieures. La production
textile européenne est très diversifiée. Elle comprend des toiles de laine, de coton et de soie, de
couleurs et de type divers. Toutes les catégories de la population apprécient, suivant leur bourse, les
produits de cette industrie. Les villes dalmates font importer de nombreux articles d’Italie
(Florence, Milano, Como, Mantova, Verona, Vincenza, Piacenza, Ferrara), de Flandre (Yperne –
toile appelée « ypre »), et d’Angleterre (panni di Lundres). Une partie est ensuite redistribuée vers

également sentir au travers du marchand Mihovil Ivanov établi en ville, qui vend également ses draps. Les Florentins
sont d'ailleurs implantés sur tout le littoral oriental de l'Adriatique et y importent entre autres de la toile, des draps et de
la futaine, de même que certains de ces produits proviennent de la Pouille, ou encore de Dubrovnik. En plus des draps
de laine, en 1358, un marchand de tissu est spécialisé dans la toile de coton (futaine) et même dans la soie; N. Bežić-
Božanić, « Nekoliko podataka », I. Pederin, « Il commune di Spalato », (36-37).
428
Ibid.

504
l’intérieur des Balkans429 – Split sert notamment de relais pour les draps de Florence et de Bergamo
exportés en Bosnie (Jajce et Jezero)430.
Au XVIe siècle cependant, nombre de petites manufactures locales sont vouées à l'échec
pour être devenues la proie d'un capitalisme commercial qui tend à prendre le contrôle de la
production, à assurer le ravitaillement en matières premières, à fixer les qualités, à éliminer
l'obstacle des corporations. Jusqu’à la première moitié du XVIe siècle prévaut le principe du troc
selon lequel les draps sont vendus en échange d’autres produits (en 1403 déjà, deux marchands de
Split et de Klis importent de la toile de Venise et la payent moitié en cire et moitié in schilatis pour
faire face à la crise monétaire du moment431). Le grain est la principale monnaie d’échanges. Ce
type de négoce n’est plus en cours dans les années 1560-1570, tandis que dès les années 1530-1550,
la consommation du drap stagne face à la régression économique des pays destinataires de ces draps
(Italie du Sud, Autriche, Hongrie). En revanche, les productions locales, de type artisanal
confectionnant un drap de qualité inférieure, résistent partout432.
• Le transit des tissus
Dans certains cas de figure, plutôt que d’exportation, il s’agit de redistribution. A Zadar, les
tissus et la guède font partie au XVe siècle des trois produits, avec les céréales, les plus importés de
Venise et d’Italie en général, pour être par la suite vendus en partie aux Valaques433. Un siècle plus
tard, la situation reste identique. Les Zadarois importent des toiles de laine, du carisé et du velours,
en majorité de Venise. Cependant, les quantités exactes importées ne sont pas connues, pas plus que
la part des toiles réexportées vers l’intérieur du continent. Il est seulement possible de suivre les
courants généraux de transit, leur logique et modulation.
En plus de revendre des tissus aux Valaques en bordure des frontières entre deux Etats, des
marchands dalmates pénètrent également plus avant vers la Bosnie ottomane. Durant la seconde
moitié du XVe siècle et au-delà, un nombre croissant de Dalmates s’engage dans des affaires de
crédit et dans des sociétés à Dubrovnik. Partant de cette ville, ils peuvent atteindre les réseaux
commerciaux avec l’arrière-pays balkanique, pour vendre leurs produits et parvenir jusqu’à
certaines matières premières. Les Splitois sollicitant des créances auprès des Ragusains pour
participer au négoce des draps sont nombreux. La situation prend de plus en plus d’ampleur à partir
des années 1471, lorsque les rapports de la République de Saint-Blaise avec l’Empire ottoman se
stabilisent, et lorsque la manufacture de textile ragusaine se renouvelle434. Plusieurs exemples

429
D. Roller, Dubrovački zanati, 5.
430
I. Pederin, Jadranska Hrvatska, 126-128.
431
D. Roller, Dubrovački zanati, 5.
432
M. Aymard, « Production, commerce », (9-12).
433
Zadar pod mletačkom upravom, 93.
434
Pour ce qui est du détail de la mise en place, de l’organisation et de la production des manufactures de Dubrovnik
aux XVe-XVIe siècles, voir D. Roller, Dubrovački zanati, § « Tekstilna struka », 5-112.

505
témoignent d’une ingérence de commerçants dalmates à Dubrovnik, à travers des prêts et des
crédits, ayant pour fondement l’approvisionnement en tissus de l’intérieur. En 1487, un certain
Marco de Split, se faisant passer pour un habitant de Barletta, s’endette pour des schiavine d’une
valeur de 17 ducats et 9 gros. Il restitue la somme sur la vente de 45 setiers de haricots. De même,
entre 1440 et 1453, le marchand zadarois Petar Antun de Nassis subventionne plusieurs Ragusains,
ainsi que des marchands de Bosnie et de Serbie, sans passer par l’intermédiaire des Ragusains. Il
peut prêter de fortes sommes allant jusqu’à plus de 600 ducats435. Toutefois, l’objet de ces
financements n’est pas précisé. Ces commerçants dalmates, à l’instar des Italiens, exploitent donc
l’emplacement de Dubrovnik pour pénétrer le marché des Balkans et dévier en partie les interdits de
transit édictés par Venise.
- Les exportations de textiles
Cette exportation concerne une variété relativement grande de draps aux appellations
diverses. Outre la difficulté de leur identification quant à leur qualité, se pose le problème de
conversion des mesures, contenants et autres indicateurs de masse ou de longueur utilisés, ceux-ci
étant également variés. Ces produits illustrent bien l'extension et la vivacité du commerce
d'importation et d'exportation de la commune. Certains d'entre eux sont exportés sous forme de tissu
brut non élaboré, d'autres sont déjà teints; parfois leur appellation fait référence à un tissu
particulier, d'autres désignations sont bien spécifiques d'une région de production ou
caractéristiques d'une qualité, les deux possibilités couvrant aussi bien des toiles épaisses que des
toiles délicates. Leur importance dans la documentation varie fortement.
• La futaine (fustagno). Cette toile est un mélange constitué principalement de coton auquel
sont rajoutées de petites quantités de lin pour renforcer le tissage. Les villes d'Italie font importer
leur coton à partir du petit centre de production de Sicile et surtout de Chypre et de Syrie.
L'industrie de la futaine quant à elle est surtout établie dans les villes de la plaine de Padova, et se
trouve organisée de la même manière que l'industrie de la laine. Le centre de Cremona, à lui seul,
exporte quelques dix mille pièces de toiles et ce en majorité vers Venise436.
A Split, les traces de cette production sont très faibles. Deux exportations en 1511
concernent des futaines destinées à être travaillées (per tenzer) et vont en direction de Venise.
L'apparition de cette toile est furtive. Venise importe deux coupons de tissus (cavezi) et 29,5
coudées vénitiennes en 1511, Barletta et la Pouille importent six pièces en 1530.
En se rappelant qu'une brazza longue de Venise, utilisée pour les étoffes de moindre valeur,
représente 679,3 mm437, cela signifie que l'année 1511, au moins vingt mètres de futaine ont été

435
I. Voje, « Ekonomske veze », 379-394.
436
G. Luzatto, Ekonomska, 248-249.
437
M. Zaninović-Rumora, « Stare mjere i utezi Zadarskog », (27).

506
transportés à Venise. Plutôt que de parler d'une véritable production locale, nous pourrions
davantage évoquer le rôle transitaire de Split dans ce circuit.
• Le drap (panno)
Le sens très général du terme panno nous fait pénétrer dans l'univers des couleurs
chamarrées. Les qualificatifs le plus fréquemment employés sont basso, alto puis codogni, cum
caveza, per cambine, delle cavenazo e legnami et mezi. Les couleurs les plus usitées sont le noir
auquel, se joignent le rouge, le brun, l'azur, et le rouge écarlate, lorsqu'il n'est pas tout simplement
indiqué piu colori. Cela correspond parfaitement au phénomène de mode qui est apparu dès la
seconde moitié du XVe siècle. A cette époque circule la « nouvelle draperie » impliquant l'emploi
des teintures les plus chères – visible dans l'écart des prix qui varient de un à dix selon les étoffes –
apparues sur le marché afin de séduire la population riche des villes. Les couleurs éclatantes sont à
la mode, le rouge en tête438. Cette irruption d'un signe extérieur de richesse va d'ailleurs de pair avec
l'extension de l'emploi de la soie439. Comme le terme de panni ne précise pas la qualité du drap, la
présence de tant de couleurs à la mode pourrait signifier que les draps exportés de Split sont
représentatifs du marché de luxe.
Dès la seconde moitié du XIVe siècle, Split connaissait un commerce prospère. Avec les
premières années du XVe siècle cependant, survient la guerre de factions à Split entre les partisans
du roi Sigismond et son rival Ladislav de Naples. Avec l'effet conjugué de la piraterie, ces
événements entraînent le retrait des entrepreneurs étrangers et le manque d'espèces pécuniaires. En
1403 par exemple, un agent splitois et un marchand de Klis concluent un accord commercial pour
l'importation de draps de Venise, dont le paiement s'effectue en nature avec de la cire et des
peaux440. Cet aperçu succinct montre bien la longue tradition du commerce de transit des draps tenu
par Split. Une étude plus précise des lieux d'exportation au XVIe siècle, apporte un éclairage
supplémentaire sur la continuité de ce trafic.

Tableau LXX : Conversions des unités de mesure ou de compte


Unité de mesure Equivalence
1 passo 1.733,60 mm
1 cavezo 2.080,32 mm
1 brazzo 679,3 mm
30 panni = 850 lire441 1 panno = 28,33 lire 1 panno = 13,5 kg
1 balla = 12 cavezi (1530)442 1 balla = 24.963,84 mm

438
En 1427, selon la couleur du drap, la pièce florentines varie entre 80-82 ducats pour le rouge écarlate à 51 pour
l’azur; la pièce de drap véronais, moins appréciée que celle de Florence, alterne entre 32 ducats en couleurs azur et
blanc et 26 ducats pour le vert de brun; Hoshino Hidetoshi, L’arte della lana in Florence nel basso Medioevo, Florence
1980, 223.
439
M. Aymard, « Production, commerce », (8).
440
I. Pederin, « Il commune », (31-67).
441
DAZd, Sp. Ar., boîte 116, B. 122, F. 6, f°440, le 26.XII.1580 : « 30 panni pesano 850 lire ».
442
Ibid., boîte 67, B. 74, F. 7/IV, f°575, le 16.VII.1530 : « panni bassi in cavezi 12 in 1 balla ».

507
L’estimation du volume de ce trafic est grevée par l'usage d'emballages ou d’unités de
compte disparates : des cavezi (les coupons de tissu), passa (le pas), mezere, pezze (la pièce), brazze
(la coudée), rotoli (le rouleau), balette (la petite balle), balle (la balle) et lire (la livre). Quelques
mesures de longueur sont connues des métrologues, d’autres sont fournies par les contrelettres
(tableau LXX).
L'année la plus représentative (tableau LXXI), 1511, plus de 220 mètres de draps sont
exportés; par la suite, ces quantités tombent à trente en 1529 puis une moyenne annuelle avoisinant
les dix mètres (en années complètes) jusqu'en 1559. Ce trafic reste donc modeste et il est surtout
relativement limité dans le temps. Le volume des pièces exportées demeure très limité, avec une
moyenne avoisinant les cinq pièces, excepté en 1580, lorsque trente draps sont exportés à
sottovento. Pour cette année, il est indiqué que les trente draps pèsent 850 livres443 (plus de 405 kg).

Tableau LXXI : Exportations des draps à partir de Split au XVIe siècle


Année Unité de mesure
1503 1 pièce 10 mètres
1504 - 2 mètres
1511 4 pièces 221 mètres
1515 4 pièces 2 mètres
1516 5 pièces 15 mètres
1517 1 pièce 0,7 mètres
1529 5 pièces 52 mètres
1530 - 25 mètres
1558 1 pièce 10 mètres
1559 3 pièces 8 mètres
1560 5 pièces -
1580 30 pièces -

Les comptes en quantités de masse et de longueur sans équivalence n’apportent guère


d’amélioration (tableau LXXII).

Tableau LXXII : Transport de draps à partir de Split en unités sans équivalence


Année Quantité Mesure Destination
1503 2 mezere Dubrovnik
1515 1 rouleau Bakar (fiera)
1516 1 baletta Senj (fiera)
1528 1 rouleau Dalmatie
1529 4 rouleaux Ravenna
1558 2 rouleaux Dubrovnik

L’orientation de cette exportation change par périodes (graphique XXXIII). Les toutes
premières années du siècle, les villes importatrices sont Hvar, Dubrovnik, Senj et Venise, avec
encore deux mètres exportés vers la Pouille en 1504. A partir de 1511, apparaissent des villes de la
Crète, de la Grèce jusqu'à Constantinople. Zante est ainsi mentionnée en 1511 et en 1516 à

443
Ibid., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 440, le 26.12.1580.

508
plusieurs reprises, puis Candie, Céphalonie, Corfou et Constantinople. Ces villes ne figurent plus
parmi les centres importateurs après cette date, ou sous la mention générale de Levant, en 1529.
Dans le territoire ottoman, une pièce et cinq coupons de toiles sont exportés vers la Neretva en 1558
et trois pièces en 1559. Dans la région dalmate, la ville de Kotor vient en tête des importations,
suivie de Hvar et de Dubrovnik (en 1503 puis 1558). Sur le Littoral croate, les villes de Bakar et de
Senj puis de Rijeka sont importatrices en 1529, ainsi que les îles de Krk et Rab (présentes jusqu'en
1560). L'Albanie est présente à trois reprises en 1529 pour une exportation de deux balles à Vlorë,
suivie de deux pièces et de quatre coupons en 1559.

9
8
7
N ombre de déclarations

6 1503-1504
5 1511

4
1515-1517

3
1528-1530

2
1558-1560
1580
1
0
Dalmatie L. croate Pouille Marches Venise sottovento Albanie E. Ottoman Levant
Centres importateurs

Graphique XXXIII : Centres importateurs de draps à partir de Split au XVIe siècle

Ainsi, jusque dans les années 1560, ce commerce est principalement dirigé vers l'Orient,
exceptés quelques voyages vers la Pouille ou Ravenna (quatre rouleaux). Dans les années 1580, les
ports orientaux disparaissent. Une importante quantité de toile est transportée, en un seul voyage, en
direction du centre de l'Italie orientale en un seul voyage. Il n’est pas réellement question d’une
réorientation du marché. En réalité, ce trafic s’éteint, les commanditaires de la première moitié du
XVIe siècle disparaissent. Pour connaître les raisons de ce changement, l’une des possibilités est
d’observer l’origine de cet article.
Quelques indications nous sont fournies quant à la provenance de cette toile. Dans les
années 1515, des tissus tella et des tissus alto et basso sont en provenance de l'arrière-pays de Senj,
de même en 1529 deux voyages sont effectués à Senj. Les deux déclarants indiquent dans la
contrelettre leur intention d'apporter des draps au retour. En 1582 encore, Venise est cette fois
exportatrice de quatre balles de draps venetiani. De cette diversité de lieux et de cette dispersion de
données, nous pouvons simplement conclure que sous l'appellation de « drap » se cache
vraisemblablement une variété de qualités. D'un autre côté, la présence relativement forte d'une
clientèle orientale confirmerait la nature plutôt luxueuse d'au moins une partie de ces marchandises
et serait en adéquation avec la panoplie des couleurs chamarrées indiquée plus haut. Aussi, les
tensions politiques répétées auraient-elles rendu ce commerce de luxe trop incertain. De plus, le

509
retrait des fournisseurs, comme le port de Senj, dès les années 1530 dans les autres secteurs, a pu
contribuer à ce fléchissement du trafic.
La variété des qualités de drap, dépendante de la matière première, à savoir la laine, est
davantage précisée dans le cas de Zadar. Cette commune s’approvisionne essentiellement en laine
du territoire insulaire et de l’arrière-pays, dite lana morlacha. Celle-ci est considérée comme étant
de mauvaise qualité, au point que lorsque Dubrovnik développe son industrie du drap, la
République interdit son importation de Bosnie – en 1459; elle défend également le mélange de
laines, sous peine d’un mois de détention444. D’un autre côté, la laine d’Italie, plus spécialement de
la Pouille et de l’Abruzze, jouit d’une réputation variable. A Dubrovnik, elle est prisée au début du
XVe siècle, interdite d’importation en 1449, réimportée à partir de 1481 (au moment de la crise de
la production ragusaine), et encore interdite en 1510445. Au contraire, la laine lombarde, de Verona,
et celle de Mantova, sont réputées au XVIe siècle446. Dès 1481, leur importation n’est plus taxée.
Comme Zadar fait surtout parvenir de la laine valaque, il en résulte que la ville ne produirait que du
drap de qualité très moyenne, destiné à l’habillement des habitants peu fortunés, et sans doute, sans
intention de l’exporter. Cela n’exclut en rien le trafic de draps plus luxueux.
Les données concernant la provenance du drap à Zadar sont rares. Pour le XVe siècle, peu de
mentions ont été trouvées. La première concerne la vente de quatre coudées de drap de Verona en
1411447. Un an plus tard, un drapier zadarois vend douze coudées de drap de Ferrara à un client
patricien de la ville448. Au XVIe siècle, le Vénitien Francesco de Albertis fait parvenir ses draps de
Venise. Ces fournitures répondent sûrement à une demande. De fait, une clientèle aisée,
demandeuse de vêtements de luxe, est attestée. Ainsi en mai 1545, l’archevêque de Zadar, Franjo de
Grisogonis, procureur de Pelegrin fils de Ivan Baptist de Zadar, doit exiger de Franjo Mihovilov
Cerdonis, originaire de Nin et habitant à Venise, un certain nombre de vêtements confectionnés à
base de drap. Il est question d’un saggium (vêtement en damas noir), d’une coiffe de toile noire,
ainsi que de 44 coudées de toile blanche brute et fine, de 42 coudées de toile blanche et une bague
en or avec une pierre calcédoine. L’ensemble est déposé chez un épicier vénitien449.
Malheureusement, la valeur de ces marchandises n’est pas indiquée. L’origine de ces draps est
également vénitienne. En dehors de leur origine italienne, les prix relevés (seulement huit
documents) permettent de mieux définir leur qualité et de cerner leur lieu possible de fabrication
(tableau LXXIII).

444
I. Pederin, « Il comune », (22-23).
445
Plus particulièrement la laine dite lana augustina de Abruzzo.
446
La République importe aussi de la laine d’Espagne (de Catalogne et de Barcelona) dans le cadre des relations de
bonne entente mutuelle, et en moindre quantité, celle de France et d’Angleterre; ibid., (23-24, 26).
447
DAZd, CC&M, T. Prandino, B. II, F. 9, Sentenze, f° 9’-10’, le 26.XI.1411.
448
Ibid., f° 16-17, le 7.V.1412.
449
DAZd, Conte Johannes Morea, B. I, F. I/1, f°9, le 2.V.1545.

510
Tableau LXXIII : Prix des draps vendus à Zadar450
Année Quantité Qualité Prix total Prix de la coudée
1410 6 coudées latin 13 livres 4 sous 2 livres 4 sous
1411 8 coudées rouge 28 livres 3 livres 10 sous
1411 8 coudées gris, fin 40 livres 5 livres
1411 2 quarta noir 2 livres 10 sous 5 livres
1411 4 coudées blanc, fin 23 livres 4 sous 5 livres 16 sous
1411 2/3 pièce rouge 3 livres 4 sous 4 l 16 s/pièce
1411 4 coudées de Vérone 12 livres 5 sous 3 livres 10 sous
1411 9 coudées bleu 20 livres 5 sous 2 livres 5 sous
1412 12 coudées gris, de Ferrare 42 livres 3 livres 10 sous
1412 14 coudées 3 quarta vert et bleu 73 livres 15 sous 5 livres
1412 1/2 coudée gris pour pagnalis 2 livres 2 sous 4 livres 4 sous
1412 1/2 coudée gris pour caligis 6 livres 12 livres
1520 non mis soie 1 livre 8 sous Inconnu
1520 4 coudées festechin, basso 3 livres 14 sous 18,5 sous
1520 4 1/2 coudées festechin 5 livres 4 sous 23 sous
1520 4 1/4 coudées festechin basso 4 livres 19 sous
1520 1 coudée rouge 18 sous 18 sous
1520 3 coudées noir, basso 2 livres 17 sous 19 sous
1521 10 coudées carisei rouge 36 livres 3 l 12 sous
1521 10 coudées sarafel 2 livres 4 sous
1521 2,5 coudées noir, basso 3 livres 24 sous
1522 9,5 coudées rouge, mezeto 28 livres 10 sous 3 livres
1522 2,25 coudées mezetto 6 livres 15 sous 4 livres 9 sous
1522 2 coudées blanche, basso 1 livre 19 sous 19,5 sous
1522 6 coudées 2 couleurs, basso 5 livres 10 sous 18,3 sous
1522 2 coudées jaune 1 livres 18 sous 19 sous
1523 2,5 coudées jaune 2 livres 7 sous 19 sous
1523 2,5 coudées gris, basso 2 livres 10 sous 20 sous
1523 2 coudées biancheta 1 livre 18 sous 19 sous
1523 1,125 coudée blanc, alto 8 livres 7 sous 7 l 8 sous
1523 1,25 coudée basso 1 livres 3 sous 18,4 sous
1523 4 coudées basso 3 livres 16 sous 19 sous
1523 2,75 coudées basso 3 livres 11 sous 26 sous
1524 2 coudées 2 couleurs, basso 1 livre 18 sous 19 sous
1525 4,5 coudées basso 4 livres 6 sous 19 sous
1525 1,75 coudée basso 1 livre 12 sous 18 sous
1525 1 coudée jaune 18 sous 18 sous
1525 3,5 coudées basso 3 livres 6 sous 19 sous
1527 1 1/3 coudée noir 1 livre 4 sous 18 sous
1529 4 pièces feutre 2 livres 8 sous 12 s/pièce
1529 2,75 coudées basso 2 livres 12 sous 19 sous
1555 372 3/4 coudées basso, Venise 60,12 ducats 20 sous
1558 22 pièces carisei, Venise 231 ducats 10 dcts 3 l 2 s/ pièce

Bien que cela ne soit pas explicitement indiqué dans les sources, ces prix déterminent deux
catégories de draps : le drap (panno) et le carisé, provenant d’Italie451 et le drap (panno) de
fabrication locale.

450
DAZd, CC&M, F. 9, f° 11’-12, le 11.X.1410, f° 9’-10’, le 26.XI.1411; f° 16-17, le 7.V.1412; S. F. Fabijanec,
« Bilanca », (105, 107, 112, 113, 115); Zadar pod mletačkom upravom, note 86, 259.
451
Les draps les plus chers sont d’origine italienne (Ferrara, Verona). Dans les cas où le prix du drap correspond à ce
groupe de prix élevés, j’en déduis qu’il pourrait également provenir d’Italie.

511
Au début du XVe siècle, le panno appartenant au groupe de prix les plus élevés, vaut trois
livres six sous en moyenne. Cet ensemble connaît quelques variations suivant la couleur, le blanc et
le noir étant placés en tête, le drap bleu apparaissant le moins cher. Nous retrouvons sans doute le
phénomène de mode mentionné ultérieurement dans le cadre du trafic splitois. Puis les draps déjà
traités à des fins spécifiques peuvent également s’avérer plus chers. En 1521 et 1522, à deux
reprises, les draps rouges valent trois livres douze sous (le carisei) et trois livres (le mezeto), et
encore, le drap mezeto vaut quatre livres neuf sous. Il est donc possible que ces trois draps
proviennent également d’Italie. Pour peu qu’il s’agisse bien d’une qualité similaire, nous relevons
une certaine constance dans les prix à Zadar; excepté le drap blanc (alto) vendu, en 1523, au prix de
sept livres huit sous la coudée. Ce dernier prix indique non seulement que le blanc est la « couleur »
la plus chère, mais qu’en plus d’un siècle, la valeur de la coudée aurait augmenté de 22%. Les
autres tarifs ne s’étant pas autant accru, nous pouvons imputer cette différence à une qualité de la
laine nettement supérieure pour la fabrication de ce drap.
La seconde catégorie de draps est regroupée autour d’une moyenne de prix de 19 sous la
coudée. Les couleurs cette fois-ci ne jouent aucun rôle prépondérant. En plus de trente ans (de 1520
à 1550), le prix n’a pas varié. Ce type de drap est trois à quatre fois moins cher que celui de la
première catégorie. Il répond vraisemblablement à une production locale à base de laine du
territoire proche. Cette hypothèse devrait être confirmée par le fait que les draps mentionnés sont en
grande partie négociés par le couple Ivan et Lukrecija Detrico, dans les années 1520-1530. Ces
derniers appartiennent à l’une des familles patriciennes les plus réputées de Zadar. D’après leur
livre de comptes, on relève qu’ils achètent régulièrement du drap, vendent de la laine, et surtout,
qu’ils louent une boutique à un maître teinturier à raison de huit ducats par an pour le bail. Dans
leur bilan général figure l’acquisition de nombreux clous, de chaînes de bras, de cordages, de fer, et
encore d’autres pièces utiles à la teinte des tissus452. Leur activité laisse à penser que le couple
s’approvisionne en draps d’origine locale et en petites quantités.
Reste à comprendre quelle est la valeur du drap vendu à Zadar par rapport au centre de
production principal de la côte orientale de l’Adriatique, Dubrovnik (tableau LXXIV), sachant que
jusqu’en 1481, les prix du drap sont libres, tandis qu’avec la chute de la production manufacturée,
le Grand conseil de Dubrovnik les impose453.
Quelques constats. Premièrement, durant la seconde moitié du XVe siècle, le rapport entre
les prix est similaire. Cela suppose des qualités identiques. Dans certains cas, les draps sont, à Zadar
comme à Dubrovnik, d’origine italienne, dans d’autres, ils sont des produits confectionnés sur
place. Tout comme à Zadar, le premier prix est quatre à cinq fois plus cher que le second. Ce

452
S. F. Fabijanec, « Bilanca », (103).
453
D. Roller, Dubrovački zanati, 41.

512
rapport tourne donc autour de un à cinq à Dubrovnik. D’autre part, à cette même période, le prix
moyen relevé à Dubrovnik, de vingt sous la coudée (en 1481 et en 1500), est très proche du prix de
19 sous la coudée à Zadar, pour le drap considéré comme local. Là s’arrêtent les points de
ressemblance entre le marché ragusain et celui de Zadar.

Tableau LXXIV : Prix des draps à Dubrovnik de 1460 à 1548454


Année Qualité Prix à la pièce Prix de la coudée
1460 bleu foncé, de Florence 50 ducats 5 livres 3 sous455
1481 drap de 50 trames456, 60 coudées457 10 ducats 20 sous
1481 60 trames, + 77 livres, 60 coudées 12 ducats 25 sous
1481 70 trames, + 82 livres, 60 coudées 15 ducats 31 sous
1500458 12 ducats 20 sous
1548459 écarlate, 60 coudées 240 ducats 4 ducats 10 deniers
1583 écarlate, 60 coudées 120 ducats 2 ducats
1583 blanc, 100 coudées 333 ducats 3 ducats 2 livres 1 sous
1583 vert, 100 coudées 366 ducats 3 ducats 4 livres 2 sous
1583 écarlate, 100 coudées 500 ducats 5 ducats
1583 bleu, 100 coudées 350 ducats 3 ducats 3 livres
1583 écarlate, 60 coudées 750 ducats 7 ducats 3 livres

En effet, contrairement à Zadar, où l’on remarque une certaine stabilité des prix, à
Dubrovnik, ces derniers s’accroissent fortement durant la seconde moitié du XVIe siècle. Les draps
peuvent être de 10 à 46 fois plus cher. Dans une même année (1583), à description identique, les
prix du drap varient du simple au septuple, sans que cette fois-ci la couleur joue une fonction
quelconque. Nous en déduisons que la qualité de la laine est le principal responsable de la
détermination du prix du drap. Selon son origine française, anglaise, espagnole ou italienne, le prix
va être plus ou moins élevé. Aussi, bien que la Dubrovnik fixe les prix depuis un siècle, elle reste
tout de même tributaire du cours des prix de la matière première dominante.
En somme, la production et le commerce du drap à Dubrovnik atteignent des dimensions
internationales. Ses entrepreneurs achètent de la laine en Occident et la revendent en Orient (Empire
ottoman). Zadar, en revanche se limite à la fabrication et à la vente locale, s’adressant

454
Tous les prix sont tirés du livre de D. Roller, pp. 40-41, avec l’apport de mes calculs personnels.
455
Dans le texte, on ne trouve que le prix à la pièce. Je suggère un prix à la coudée, sous réserve qu’il s’agisse bien
d’une pièce de 60 coudées, le standard établit à Dubrovnik cinq ans plus tard.
456
En 1432, le Grand Conseil détermine des poids fixes des pièces. Le drap de 50 trames doit peser 72 livres au moins
(soit près de 34 kg); D. Roller, Dubrovački zanati, 33. En 1465, ce même drap doit peser 43 livres, ceux de 60 trames,
45 livres et ceux de 70, 46 livres. Puis, à partir de juillet 1499, il est décidé qu’il faut faire 4 draps de 50 avec un millier
de laine et avec le reste, des draps de 60 et de 70, qui sont de meilleur qualité; ibid., 37.
457
Depuis 1465, les draps de 50, 60 et 70 trames doivent avoir 60 coudées de longueur; ibid., 34. A Zadar, et dans les
autres villes dalmates, la taille de la pièce de drap n’est pas aussi clairement déterminée. La pièce de drap de laine de
1555, notée dans le tableau sur Zadar, a une longueur de 62,13 coudées. De plus, il faut tenir compte de l’existence de la
coudée courte (= 0,6393 m) et de la coudée longue (= 0,6793 m); Zadar pod mletačkom upravom, note 87, 259.
458
En 1504, pour stimuler la production et la vente, le Grand Conseil décide de baisser le prix du drap de deux ducats.
Toute toile valant douze ducats doit valoir dix et ainsi de suite. De plus, les vendeurs au détail sont libérés du paiement
de la taxe; D. Roller, Dubrovački zanati, 37.
459
A partir de 1530, le drap de laine blanche doit peser 82 livres, puis 86 livres en 1549. Le drap de laine de couleur
doit peser au moins 47 livres; ibid., 38.

513
éventuellement à des marchés du bassin adriatique. Ce dernier constat expliquerait dans le même
temps la plus grande stabilité des prix.
• La toile (tella - vellum)
Cette toile est teinte à plusieurs reprises, blanche ou turquoise (1515). Les systèmes de
compte utilisés sont variés (tableau LXXV) et ce marché d'exportation se limite aux années 1503-
1529.
Outre une balle exportée vers la Pouille en 1503, le nombre de pièces de tissu transporté,
tout en allant croissant, est minime. Quant aux rouleaux au contraire, leur volume décroît.

Tableau LXXV : Exportation de la toile à partir de Split au XVIe siècle


Année Pièce Rouleau Mètres
1503 3 Hvar, Pouille 20 Dubrovnik, Hvar, Pouille
1504 3 Venise 1 Šibenik
1511 1 Senj, Zadar 70 Dalmatie, Senj, Marches
1515 6 Bakar 2 Pouille
1516 17 Hvar, Pouille
1529 3 Pouille

C’est également le cas des chargements en coudées et coupons de tissus convertis en mètres. Les
toiles proprement dites ne sont donc pas d’une qualité suffisante pour être exportables. Elles
répondent surtout aux besoins du marché local et il est fort possible que les quelques transports
mentionnés correspondent aux prévisions de l’équipage pour ses déplacements. Du reste, le
rayonnement géographique des transports de toile est tout aussi limité, essentiellement la Dalmatie,
dont notamment Hvar et Zadar, quelques villes du Littoral croate (dont la foire de Bakar) et Trani
pour la Pouille, lorsque la ville est spécifiée.

Tableau LXXVI : Prix de la toile à Zadar au XVIe siècle460


1518 8 coudées toile 3 livres 10 sous 9 sous
1519 20 coudées toile 6 livres 6 sous
1521 6 coudées toile de Constance 2 livres 8 sous 8 sous
1521 2 coudées toile de Constance 16 sous 8 sous
1522 3 coudées toile de Constance 1 livres 18 sous 13 sous
1522 1 coudée toile 8 sous 8 sous
1522 3,5 coudées toile 1 livre 8 sous 8 sous
1522 2 coudées noir 1 livres 18 sous 19 sous
1523 4,5 coudées toile 1 livre 17 sous 8 sous
1523 2 coudées toile 16 sous 8 sous
1523 4 coudées toile de Constance 1 livres 12 sous 8 sous
1526 1,5 coudée toile de Constance 15 sous 10 sous
1527 3 coudées toile de Constance 1 livre 10 sous 10 sous
1527 3,5 coudées toile de Constance 1 livre 15 sous 10 sous
1529 1,5 coudée toile de Constance 14 sous 9 s/coudée
1529 3,5 coudées toile de Constance 1 livre 4 sous 7 s/coudée

460
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. I, f° 7, le 15.XI.1518; f° 259’, le 6.VI.1519; S. F. Fabijanec, « Bilanca », (108,
109, 110, 112, 115).

514
A Split, ce tissu local n'est pas gratifié, à la différence de certaines toiles réputées, de
qualificatif géographique spécial. En revanche, à Zadar, il existe une « toile de Constance », à
savoir une toile de couleur châtain461. Dans cette ville, quelques prix ont été mis en évidence
(tableau LXXVI).
Le prix moyen de ce type de tissu est constant : neuf sous la coudée, soit deux fois moins
cher que le panno. Comme il n’y a pas de couleur indiquée – hormis la « toile de Constance » qui
est en outre la plus chère –, il doit s’agir sans doute du tissu non traité, ou plus exactement n’ayant
pas encore été teint. A ce titre, trois actes notariés fournissent le coût de la teinture. En 1519, Nikola
Marković dépense 27 sous pour la teinture de neuf coudées de rasse. La même année, l’artisan
Nikola Trokulić doit payer quinze sous pour quatorze coudées de rasse, tandis qu’Ivan de Nassis
achète au teinturier Krešo Zentilurić onze coudées de rasse à une livre dix sous462. Le prix de la
teinture d’une coudée de rasse, la toile la moins chère qui soit, peut aussi varier entre un et trois
sous. Les prix différencient nettement la tella, produit brut, du panno, produit fini.
• La toison (tosoni)
Compte tenu que des balles sont utilisées dans les déclarations de douane, il semble justifié
de classifier ce produit dans un type de textile. Présente de 1516 à 1557, sa répartition ne couvre
que la ville de Senj et Venise avec encore Labeta (tableau LXXVII).

Tableau LXXVII : Transports des toisons à partir de Split


Année Quantité Mesure Destination
1516 60 pièces Labeta, Senj
1517 3 balles Senj (fiera)
50 pièces Senj (fiera)
1557 3 balles Venise

Résumer la situation du commerce du textile, quel qu'il soit, paraît une tâche bien ingrate
étant donné la diversité des problèmes, et en même temps la floraison des informations. Au XIVe
siècle, Split est davantage considérée comme un centre de redistribution de draps plutôt que comme
un producteur463, à la différence de Dubrovnik qui couvre le marché avec sa propre toile. Deux
siècles plus tard, le contexte commercial semble n'avoir guère changé; les mentions diverses d'une
origine plutôt « balkanique » (notamment lorsque le drap est qualifié de « turc » tout en provenant
des ports adriatiques soumis à l'Empire) de certains draps, ou tout du moins, de l'arrière-pays direct,
persistent.
• La rasse, tissu fruste (rassa)
Ce type de drap, réalisé à partir de la laine locale, ne nécessite pas de gros investissements
techniques. Dubrovnik en produit au XIVe siècle et durant les années 1420 pour une clientèle
461
S. F. Fabijanec, « Bilanca », (120).
462
DAZd, Conte Pietro Marcello, vol. I, f° 225’, le 25.III.1519; f° 228, le 30.III.1519; f° 258’, le 3.VI.1519.
463
G. Novak, Splitska povijest, 423.

515
pauvre. Contrairement aux autres draps, la ville de Saint-Blaise n’impose aucun décret concernant
sa fabrication. Ce n’est qu’en 1574 qu’elle ordonne de traiter d’abord tous les autres tissus, et
seulement lorsque ce travail est fini, de fouler en dernier lieu la rasse. Cependant, lorsque la
production manufacturière de draps de Dubrovnik connaît un net ralentissement, la production de
rasse est la seule à se maintenir au niveau antérieur grâce à la facilité d’accession à la matière
première464.
Ces indices pourraient montrer que Zadar produit tout autant de pièces de rasse pour les
besoins du marché local. Il n’existe malheureusement aucune donnée à l’heure actuelle permettant
de connaître l’extension de son négoce hors de la ville. En revanche, quelques prix existent (tableau
LXXVIII).

Tableau LXXVIII : Prix de la rasse à Zadar au XVIe siècle465


Année Quantité Prix total Prix de la coudée
1519 10,5 coudées 5 livres 5 sous 10 sous
1519 10 coudées 5 livres 10 sous
1519 10 coudées 5 livres 10 sous
1519 9,5 coudées 4 livres 8,4 sous
1519 14 coudées 8 livres 10 sous 10 sous
1519 11 coudées 11 livres 20 sous
1519 10 coudées 3 livres 10 sous 7 sous
1519 4 coudées, noir 2 livres 10 sous
1519 19 coudées 5 livres 14 sous 6 sous
1519 17 coudées 7 livres 13 sous 9 sous
1519 9 coudées 3 livres 12 sous 8 sous
1519 14 coudées 7 livres 10 sous
1519 11 coudées 6 livres 12 sous 12 sous
1520 60 coudées ad fullam 36 livres 12 sous

La coudée de rasse vaut dix sous en moyenne, avec les quelques variations habituelles dues
au jeu du marché, et peut-être en fonction de la couleur puisque ces tissus sont produits jusqu’à la
fin du XIVe siècle uniquement à base de laine blanche ou noire, puis, ensuite, ils sont teints en
plusieurs couleurs. De plus, une qualité spéciale, appelée bardian provient de l’arrière-pays. Elle est
généralement utilisée pour l’habillement des bergers466.
Le cas de Split permet de se rendre compte que ce tissu originaire de l'arrière-pays dalmate
connaît une large extension de son marché de consommation d'Italie à l'Orient.
La diversité des contenants et des poids et mesures est d’autant plus importante qu’elle tient
en compte la qualité, la couleur et l’origine géographique de chaque cargaison de rasse exportée
(voir l’annexe).

464
Ibid., 32-33.
465
DAZd, Pietro Marcello, B. I, f° 29’, le 15.I.1519; f° 34, le 21.I.1519; f° 36’, le 26.I.1519; f° 41, le 5.II.1519; f° 48, le
14.II.1519; f° 90, le 1.VI.1520; f° 90, le 1.VI.1520; B. II, f° 261’, le 10.VI.1519; f° 262’, le 11.VI.1519; f° 277, le
12.VII.1519; f° 299, le 20.VIII.1519; f° 225’, le 25.III.1519; f° 228, le 30.III.1519.
466
D. Roller, Dubrovački zanati, 33.

516
Le rouleau de tissu (rotolo) est le système de compte le plus souvent employé. Durant les
années complètes, la moyenne tourne autour de 133,5 rouleaux (l'année 1511 a été exclue du calcul,
car elle sort fortement des normes). A première vue cependant, le courant d'exportation est plus
favorable les deux premières décennies. A la fin des années vingt et par la suite, une fois que
l’exportation se réduit de moitié, la situation se stabilise. Les quantités exportées se maintiennent en
moyenne autour de 112 à 118 rouleaux par an. Les années 1503-1504, la moyenne tourne autour
105 rouleaux pour augmenter dans les années 1510 à une moyenne supérieure à 193 rouleaux soit
près du double de la production. La fin des années 1530 marque une chute à 79 rouleaux de
moyenne (si l'on excepte l'année 1528), moyenne qui se voit légèrement augmentée vingt ans plus
tard, à plus 81 rouleaux, pour chuter à 67 rouleaux dans les années 1580. Globalement parlant, la
première moitié du siècle représente un volume d'exportation plus important.
Certaines des toiles exportées sont déclarées en coudée (brazza), sauf que les données sont
extrêmement disparates. Cette mesure est en effet très peu utilisée directement, mais il est possible
d’y ajouter les conversions en mètre d’autres mesures.
Le flux de rasse exportée connaît d'importantes variations (graphique XXXIV). Le cours des
exportations décroît. L'année 1511 apparaît comme la plus grosse affaire commerciale de la rasse du
siècle, avec près de 16.000 mètres. Les années antérieures, la moyenne des exportations dépasse les
8.000 mètres, tandis qu’en 1515-1517, plus de 17.800 mètres sont exportés, en 1529-1530 plus de
7.000 mètres, en 1557-1559, presque 10.000 mètres en moyenne et en 1581-1583, près de 4.000
mètres. En somme, entre 1511, première année de reprise après la guerre de 1499-1502 et les
années 1580, le cours des exportations chute progressivement de près de 89%.

Graphique XXXIV : Evolution des exportations de rasse de Split au XVIe siècle

300

250

200
Rouleaux

150

100

50

0
1490 1500 1510 1520 1530 1540 1550 1560 1570 1580 1590
Année

517
Diverses qualités ou qualificatifs particularisent cette rasse. Les catégories de couleurs les
plus fréquentes sont le gris cendré (beretina) et le blanc avec quelques rasses de couleur noire467. En
1503, 38,5% au moins est de qualité grossière (grossa) pour 25% de fine texture (sotile); en 1504, la
catégorie prédominante comprend 48% de rasse beretina avec une majorité à 25,7% de rasse subtile
contre 20,5% de textile grossier. En 1511, la rasse blanche et beretina est présente à 66,45% avec
en plus 11,5% de rasse exclusivement blanche, voire de la rasse verte à 0,6% et de la rasse noire
répartie avec les autres couleurs de manière parsemée; en 1515, 47% de ce produit sont exportés
sous forme grossière contre 2% de qualité subtile et ce rapport se maintient à peu près identique
l'année suivante. A partir de l'année 1528, les marchands cessent de préciser les caractéristiques de
leur produit. Ce n'est qu'en 1560 que l'on peut estimer l'exportation de rasse blanche présente à
23%, tandis que durant la faible exportation de 1580, la totalité du chargement contient de la rasse
beretina. En 1582 enfin, en plus d'être blancs, les 27% de la rasse concernent un produit qualifié de
turc. Il s'agit bien de fait d'un produit de l'arrière-pays splitois. La présence de ces couleurs confirme
l'existence d'un artisanat de teinturerie, mais il est possible qu'il s'agisse d'une rasse importée déjà
teinte ou d'une rasse parvenue brute et que les artisans locaux ont travaillée pour répondre aux
marchés d'exportation. Ces derniers sont très divers et couvrent l'ensemble du bassin adriatique, et
même au-delà (graphique XXXV).

180

160

140
Nombre de déclarations

120
1503-1504
100 1511
15151517
80
1528-1530
60 1557-1560
1580-1583
40

20

0
Dalmatie L. croate Istrie Abbruzze Marches Pouille Romagne Venise sottovento Albanie E. ottoman Levant Syracuse
Centres importateurs

Graphique XXXV : Centres importateurs de rasse de Split au XVIe siècle

Ce produit de la région balkanique présente un grand intérêt aussi bien à l'Ouest qu'à l'Est.
Dans la première moitié du siècle et jusqu'à l'année 1530, ce marché prend sa plus grande extension.

467
La guède est la matière première colorante la plus usitée dans la région. La couleur bleue s’obtient en mélangeant
cette guède avec l'indigo. Le drap est teinté à l'intérieur de grandes cuves en bois cerclées de fer, à demi enterrées, qui
sont périodiquement remplies d'eau chauffée dans une chaudière en cuivre. L'indigo ajouté est dissous dans une autre
chaudière. Le noir est obtenu en plongeant le drap préalablement teint en bleu foncé dans un bain chaud de bois d'Inde
ou de Campêche et de galle d'Alep, mélangé avec de la couperose verte. La teinture rouge est obtenue avec de la graine
d'écarlate ou vermillon. La laine ou le drap doivent être passés auparavant dans le bouillon d'une chaudière contenant de
l'alun ou du tartre et de l'eau sure pour fixer la couleur. La teinture proprement dite est réalisée après avoir laissé l'étoffe
ou la laine quelques jours en repos dans une chaudière bouillante; J. F. Belhost, « L’industrie drapière », (470-471).

518
Sur la côte adriatique orientale, il comprend aussi bien les villes croates dont Senj, Bakar, Bakarac,
Karlobag et Rijeka, ainsi que les îles de Krk et de Rab. Les mentions les plus nombreuses
concernent les foires des deux premières villes. En Dalmatie, c'est surtout l'île de Hvar, mais aussi
les villes de Zadar, Trogir, Šibenik, voire de Ston (un rodoleto en 1516) jusqu'à Dubrovnik (dès
1504) et Korčula, puis Kotor et Bar en Albanie vénitienne. En Istrie, les deux villes concernées par
le trafic sont Piran et Muggia (en 1517), cette région étant importatrice jusqu'en 1582 avec des
absences très longues.
Les principales régions importatrices se situent sans conteste en Italie. Depuis le XVe siècle
déjà, la ville de Florence connaît une affluence importante de ces draps. Suite à une pétition de la
corporation de « l’Arte della Lana » en février 1488, la commune interdit le commerce de cette
marchandise sur tout le territoire florentin. Jusqu’à cette date, plus de six cents pièces sont
confectionnées annuellement, occasionnant beaucoup de dépenses au détriment de la production
locale. Dans les années 1460, les toiles de rasse suppléent aux manques de tissu pour les vêtements
dans les régions non productrices. En juin 1489, la corporation décide de ne permettre que la
fabrication de rasse rouge, les autres articles étant importés468. Au XVIe siècle, la ville de Split
fournit principalement Venise et la Pouille, dont le volume des importations (toutes périodes
confondues) est sensiblement équivalent. Auprès de Venise même, on note encore une importation
dans la Vénétie en 1515 à Caorle. Au sein de la Pouille, les villes les plus fréquemment
mentionnées sont Barletta, Trani, Napoli, Otranto et Bari. En Romagne, Ravenna (de 1503 à 1529)
joue sans doute le rôle de redistributeur, de même que Lanciano, Termoli, Ortona et Manfredonia
dans l’Abruzze. Dans les Marches, la tâche d'être la plaque de redistribution incombe le plus
naturellement à Ancona, mentionnée dès 1504. En 1530, une cargaison est destinée à Molta ou
Molla. A partir des années 1580, l'ensemble de ces régions italiennes est cité sous le terme global de
sottovento une fois de plus. Plus à l'ouest enfin, Syracusa importe de la rasse, uniquement en 1530,
en même temps qu’une cargaison de poissons et de schiavines.
Vers l'Orient, la première étape est la Neretva, en territoire ottoman (1516), puis plus loin en
Albanie (1528) et enfin vers le Levant, ou encore al faro Oriente (dès 1504 et en 1511), expression
la plus fréquemment utilisée. Toutefois, des villes et régions précises sont indiquées par les
transporteurs : la foire de Sainte-Catherine à Modon dès 1503 et en 1515, Candie en 1516, Rhodes
entre 1516 et 1517 et enfin Corfou, seulement en 1529.
Il serait possible de transposer le prix de la coudée de la rasse estimé à Zadar sur le volume
des exportations de Split pour obtenir une idée du volume financier que représente le trafic splitois.
En 1511 sont exportée 36.502 coudées et en 1560 29.442 coudées. A raison de dix sous la valeur
468
H. Hidetoshi, L’arte della lana, 236-237. L’auteur ne se penche plus sur la production et le commerce de la rasse au
XVIe siècle, il semble toutefois qu’il y ait une continuité de ce commerce, non pas obligatoirement à partir de Split,
mais des ports dalmates dans leur ensemble.

519
moyenne de la coudée de rasse, le volume financier du trafic splitois représenterait 2.968 et 2.374
ducats pour les deux années les plus fortes d’exportations – c’est-à-dire des revenus minima de 98
et de 78 ducats pour la Chambre splitoise. La valeur financière de cette exportation apparaît – sous
réserve de la différence des années – quatre à sept fois supérieure à celle du transport du drap à
l’étranger. La rasse figure ainsi parmi les produits d’exportation les plus importants de l’économie
de la ville de Split. Pour ce qui est du trafic de la rasse à Zadar, il est fort probable que son
importance soit équivalente à celui qui existe à Split. Mais, faute de plus amples informations, nous
ne pouvons que nous limiter à des hypothèses : le commerce de la rasse à Zadar doit dépasser le
cadre du marché local et rapporter des revenus importants aussi bien aux particuliers qu’à la
Chambre de la ville.

c) Les ustensiles
Des outils de bricolage en passant par des ustensiles de la vie quotidienne, le panorama est
large. Dans la majeure partie des cas, les quantités exportées sont minimes, mais on garde
témoignage, néanmoins, de la richesse de cette production artisanale locale et de la diversité des
corps de métier. Parmi les objets très peu représentés se trouvent des bouchons (? botiro)469, des clés
(chiodi)470, des vases (concha)471, des cruches (corcha)472 des récipients métallisés (? metalo
canipaze)473, des tasses (tassi)474, des tamis (vuol)475, des jarres en cuivre (zare de rame)476 et des
sachets477.
• Les clous (agudi et clavi)
Les clous tiennent une place
importante dans l’artisanat local.
L’activité de teinturerie – tapissage du
couple Detrico en témoigne, puisqu’il fait
des dépenses régulières pour en acquérir
(tableau LXXIX). Les trois types
principaux de clous sont répertoriés : les
petits (piccoli), au prix d’un sou les douze

469
Une vesiga est exportée vers Trani en 1529.
470
Un tonneau et demi est transporté vers sottovento en 1581.
471
Une centaine de bassines en bois va vers la Pouille en 1511; un vase en cuivre est vendu à Venise en 1529.
472
Un marchand compte vendre six cruches, grandes et petites, sur l'île de Hvar en 1503.
473
En 1529, 400 de ces récipients sont envoyés à Venise.
474
En 1581 seulement, seize pièces sont exportées vers sottovento.
475
La Pouille en importe 40 pièces en 1557.
476
Deux pièces sont exportées à Venise en 1529.
477
En 1558, deux balles de ces sachets qualifiés de da cuvazo (?) da Macarsca sont exportées dans la Pouille; puis, en
1559, une balle est destinée à Lanciano. Split relie ici les places ottomanes à l'Italie orientale.

520
à treize clous, les grands (da mager et gondolini), à raison de sept à huit grands clous par sou, et les
agudi de Cesena, à raison de dix clous par sou. Les Detrico achètent encore des agudi cinquantini
(3,5 livres en 1526; huit sous de dépense en 1530), ainsi que 200 clous de sexina pour trois livres
dix sous (soit trois clous pour un sou). Ces deux autres types de clous apparaissent très rarement.
L’approvisionnement en clous varie selon les années, mais nous pouvons déduire du total des
dépenses que le couple Detrico consacre un ducat en moyenne par an à l’acquisition de clous de
tailles diverses. Or, la location de leur teinturerie rapporte huit ducats par an. Les Detrico consacrent
donc la valeur d’à peu près un huitième du revenu issu de la location de la teinturerie à l’achat
d’outillage en fer. En plus des clous, en 1522, Ivan achète trois lances au prix de cinq sous la
lance478.

Tableau LXXIX : Dépenses en clous d’Ivan et Lukrecija Detrico (1520-1531)


Année Petits clous Grands clous Clous de Cesena
Quantité Prix Quantité Prix Quantité Prix
1520 2.300 5 livres 4 sous - - - -
1521 550 2 livres 4 sous - - - -
1522 4.288 17 livres 3 sous 200 1 livre 6 sous - -
1523 125 10 sous 100 13 sous - -
1524 813 3 livres 5 sous - - - -
1526 1.213 4 livres 17 sous 450 2 livres 18 sous 400 2 livres
1527 - - 400 2 livres 16 sous 50 8 sous
1528 125 10 sous - - - -
1529 300 1 livre 4 sous - - - -
1530 650 2 livres 12 sous - - - -
1531 300 1 livre 4 sous - - 150 15 sous
Total 10.664 38 livres 13 sous 1.150 25 livres 4 sous 600 3 livres 3 sous
Prix total : 66 livres 17 sous (11 ducats)

A Split, des clous sont exportés durant une période limitée dans le temps entre 1503 et 1517.
Par chance, tous sont transportés dans des tonneaux. Pour ce qui est du clavo, il est qualifié, à une
reprise de vergas et l'on apprend seulement qu'un tonneau sort de la ville (extra Spalato). Ce
commerce est très restreint et ne couvre que la Dalmatie et la côte italienne orientale (tableau
LXXX).
Année Dalmatie Pouille Abbruzze & Marches
1503 - - 9
1504 - 8 -
1511 39 2 -
1517 5 - -

Tableau LXXX : Exportation des clous de Split au XVIe siècle (en tonneaux)

En Dalmatie, en dehors de Šibenik, les principaux ports concernés sont les îles de Hvar et de
Korčula, deux places réputées pour la construction maritime et qui nécessitent donc ce genre de

478
S. F. Fabijanec, « Bilanca », (105-117).

521
pièces pour leurs chantiers. La première est l’arsenal principal de la Dalmatie, la seconde est un port
de guerre.
Il n’existe pas en revanche d’indications sur les villes concernées au sein des régions
italiennes, mais c'est un marché qui s'estompe rapidement. Cette restriction dans le temps peut
témoigner de trois phénomènes concurrents : soit la tentative de s’imposer dans le marché du clou a
échoué, soit encore ce trafic répond à un besoin urgent de commande inattendue, soit enfin la
production splitoise régresse en parallèle à l'augmentation de la fabrication des régions
antérieurement importatrices.
• La chandelle, le cierge (candelle)
Il est spécifié à plusieurs reprises que les chandelles sont en suif. Elles sont l'objet d'un trafic
étendu et intense durant tout le siècle, ce dont témoigne entre autres la diversité des mesures et des
unités de compte utilisées (tonneaux et tonnelets, caisses et petites caisses, voire caseleti, outres,
caratels, mezarola et livres). Une seule équivalence est donnée, selon laquelle un tonneau contient
cent chandelles en 1581. Grâce à cette information, les tendances d'exportation peuvent être suivies
(tableau LXXXI).

Centre Littoral croate Dalmatie Venise Romagne Pouille sottovento


Année
1503 - - 3 caisses - - -
900 pièces 254 pièces
1511 - - 1 caisse - - -
1515 - - 2 caisses - - -
1516 - - 6 caisses - 1 caisse -
200 pièces 100 pièces 500 pièces
1517 - - 7 caisses - - -
100 pièces 600 pièces
1528 - - 1 caisse - 1 caisse -
300 pièces 1.100 pièces
1529 - - 7 caisses - 8 caisses -
200 pièces
1530 - - 10 caisses - - -
700 pièces
1557 - - - - 2 caisses -
1558 - 1 caisse 22 caisses - 18 caisses -
1559 - - 9 caisses 1 caisse 4 caisses -
1560 - - - - 1 caisse -
1581 - - 47 caisses - - -
100 pièces
1582 - - 19 caisses - - -
1583 - - 4 caisses - - -
Tableau LXXXI : Exportation de chandelles à partir de Split au XVIe siècle

Les quantités exportées à la pièce sont dans l'ensemble modestes si l'on excepte les
chargements vers la Pouille, en 1528, pour un total de 1.100 chandelles. L'importateur le plus
régulier est Venise, tandis que les villes dalmates et croates ne réalisent que des importations
d'appoint. En tant que produit de consommation courante dont la production est étendue, Split ne

522
sert qu'à fournir l'important marché de consommation représenté par la ville de Saint-Marc. Elle
fournit partiellement l'île de Hvar, par ailleurs région la plus riche de la côte dalmate, voire d'autres
villes en Italie orientale. Le négoce des chandelles par caisses confirme cette impression. Son flux
est en progression constante durant tout le siècle. Du début à la fin du siècle, il augmente de 100%.
Dans les années 1510, la moyenne annuelle durant les années complètes représente trois caisses.
Dans les années vingt, elle double (sept caisses). Dans les années 1558-1559, le trafic augmente de
50% (treize caisses par an). Enfin, la moyenne des années 1581-82 atteint les 33 caisses exportées.
Venise absorbe la grande majorité du négoce. La plus grande commande est atteinte en 1581, avec
47 caisses transportées vers la République. La Pouille représente le second grand marché
demandeur (huit caisses en 1529 et 18 caisses en 1558), mais il disparaît en 1560 (une caisse).
Pour ce qui est des unités de compte et des mesures dont l'équivalence est indéterminable,
elles sont légions (tableau LXXXII).

Tableau LXXXII, Transport des chandelles suivant des unités de compte non converties.
Année Quantité Mesure Destination
1503 2 caratelli Venise
3 casseletti Venise
1 cesto Venise
1515 4 barilli Venise
1 casseta ?
1516 4 bariletti Venise
1517 1 bariletto Hvar, Pouille
1 casseta Hvar, Venise
1 cesto Venise, la Sensa
1 mezarola Hvar, Venise
a refuso Venise
1528 2 casseleti Venise
1529 3 barileti Pouille, Ravenna, Venise
1 cassa ligada Venise
80 libre Venise (environ 38 kg)
1 casseta Venise
1 udro Venise
1581 3 caselleta sottovento
1583 1 cesto Venise

Aucune déclaration douanière ne mentionnant l’origine de ces chandelles, tout porte à croire
qu’elles sont la production de l’artisanat splitois. Des quantités énormes de suif sont probablement
importées à Split pour être retravaillées par les artisans de la ville. Malheureusement, la provenance
de cette matière brute n’est pas connue et ce type d’artisanat n’a jamais été étudié par
l’historiographie pour permettre de mieux comprendre les retombées financières de cet échange.

d) Le mobilier et pièces de construction


Des articles aussi divers que des mâts de navire, des douves de tonneaux et des couvertures
piquées sont transportés hors de la ville en quantité souvent peu importante.

523
- Les pièces de construction navale
Dans le livre des comptes de la compagnie de Matafarić, un voilier est confié en 1456 à un
capitaine afin qu'il se rende à Corfou pour équiper le navire en diverses pièces de construction
navale et en outils de calfat479. Cet exemple témoigne d’échanges existant entre les deux ports, plus
exactement de l’importation d’outillages navals en provenance de cette ville de la mer Ionienne. En
outre, ce livre fournit quelques prix de pièces (tableau LXXXIII).

Tableau LXXXIII : Prix de quelques outillages et éléments de construction navale


Objet Prix
Grande couverture (celiga grande) 19 livres
Couverture de navire (celiga) 13 livres
Grosse amarre (libano) 10 livres
Mâte de Venise (arburo a Venezia) 9 livres
Pont de capitaine (schala) 1 livre 10 sous
Grande rame (remo grande) 18 sous
Lanterne (ferale) 16 sous
Falque (falcha) 15 sous
Baril d’eau (barela per aqua) 14 sous
Grande scie/de pont 12 sous
(sigadico groso/de custrato)
Outil pour forer (lumbo) 12 sous
Chaudron pour mélanger (chaldare) 5 sous
Planche de pont (taula per lo custrato) 4 sous
Poutre porteuse (maier) 3 sous
Chaîne (cathena) 2 sous
Clous pour la poutre porteuse 16 sous/100
(agudi de mader)
Clou de sezena 16 sous/100
Cordage (sartia) 5 sous/livre
Bitume (pigula) 1 sous 4 deniers/livre
Etoupe (stupa) 5 deniers/livre

Pour ce qui est des exportations possibles de pièces détachées de navire, les contrelettres de
Split sont peu bavardes. Un mât de caravelle (arbor de caravela), objet très spécifique, est exporté
vers le port de Korčula en 1503. Il est sans doute expédié à la suite d'une commande précise. Une
quantité en vrac de cordelles (cordella) est exportée à Hvar en 1503. En 1528, neuf voiles
spécifiques (la mezana, mise à la poupe du navire) sont destinées à Venise.
Les planches (tavola) sont exportées sur tout le siècle de manière très ponctuelle : 25
planches sont importées par la Pouille en 1530, suivi d'un miaro d'albeo en 1559 pour le port (ou
chantier naval ?) de Korčula et à nouveau sur cette place en 1581 à raison de 25 pièces également.

479
DAZd, Spisi obitelji Matafar, f° 109’.

524
- Le matériel d’habitation, de bricolage et l’outillage agricole
Il existe toute une palette d’articles divers exportés en très petites quantités le plus souvent.
En 1504, six couvertures piquées (coltre),
transportées en une seule balle, sont exportées à
Otranto. Pour ce qui est des pièces de tonneau,
en 1515, quatre milliers de douve (doge) sont
transportés vers Firmo, puis 216 pièces d'albeo
sont expédiées à Korčula en 1581, tandis que
quatre fassi de fond de tonneau (fond) sont
envoyés également à Korčula, témoignant du
rôle d’appoint joué par Split en réponse aux
besoins d'urgence de ce port connu pour sa
production de vin.
Plus épars encore, de la ferraille (feramenti : serrure, armature, ferrure) de orenese de piu
sorte pelleze, est envoyée sous forme de huit pièces à Dubrovnik en 1503. En 1530, 600 balais
(scove) sont transportés à Rijeka et trente poutres (travocelli) sont exportées vers la Pouille.
Le terme massaritie est générique pour désigner le mobilier.
Comme il s'agit d'une
caisse, il doit être question
d’objets de petite taille. Ces
derniers sont la propriété d'un
certain monsignor Ivan Batista
Basadović, au nom duquel le
transporteur fait sa déclaration. La
caisse va à Venise, en 1530. Peut-
être cette affaire concerne le
déménagement dans la République
du dit Basadović. On remarquera
que dans certains cas, la déclaration est nécessaire.
• La schiavine, pour finir, est une couverture, une toile épaisse, un matelas ou encore un petit
manteau, et son commerce est beaucoup plus documenté.

525
Ces couvertures de fabrication artisanale proviennent la plupart du temps de l'arrière pays,
acheminés par les Valaques. A Zadar, le syndic Giustiniano les cite dans sa relation de 1553480.
Quelques prix existent (tableau LXXXIV).

Tableau LXXXIV : Prix des schiavine à Zadar au XVIe siècle481


Année Nombre Prix total Prix à la pièce
de pièce
1519 2 8 livres 4 livres
1519 1 - 5 livres 11 sous
1519 1 - 6 livres 12 sous
1519 1 - 3 livres 8 sous
1520 1 - 6 livres

Au sein d’un même acte notarié, les prix de ces couvertures sont variables, leur taille jouant
sans doute un rôle. Néanmoins, la moyenne du prix des schiavine est de 5 livres 2 sous.
Au premier abord la ville de Split, quant à elle, se sert d'intermédiaires tels que Dubrovnik et
Senj en 1503 (ex Ragusa, lavorado et non per ritorno de Segna), pour se fournir par la suite
directement dans son arrière-pays, ce qui est précisé à plusieurs reprises. En 1515 par exemple, ces
schiavine sont qualifiées de morlachi de même qu’en 1517, alors qu'en 1558, certaines sont tratti da
Macarsca. Certaines schiavine contiennent des qualificatifs tels que pelose et rase.
Dès les années 1510, Split
jouerait alors le rôle de draineur des
produits repris aux mains des
fabricants pour les redistribuer au-
delà. Ces couvertures sont
transportées dans des balles, ou
déclarées à la pièce, ou encore sous
forme de ligazo. Des équivalences
sont fournies par intermittence, ce qui
permet d'obtenir des données globales. Le ligazo n’est employé qu’une seule fois (1 ligazo = 13
pièces). La balle connaît une légère variation : en 1530, 1 balle = 9 pièces, en 1581, 1 balle = 10
pièces. Aussi, la première équivalence est-elle utilisée jusqu'aux années 30, puis la seconde pour les
années 1557-83, période qui coïncide avec l'apparition du terme sottovento, et pouvant justifier le
changement de taille des pièces emballées. L’exportation vers cette dernière zone peut avoir
occasionné des changements de tailles ou de poids de ce produit. Les marchés sont tous orientés à
l'ouest de la commune que ce soit sur le sol adriatique oriental ou italien, voire au de-là (tableau
LXXXV).

480
Zadar pod mletačkom upravom, 257.
481
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. I, f° 212, le 28.II.1519; B. II, f° 336’, le 23.I.1520.

526
Terre Total
Année Dalmatie L. croate Abruzze Marches Pouille Venise sottovento Syracusa aliene
1503 - - 5 - 8 - - - - 8
1511 10 21 9 11 10 - - - - 61
1515 - 32 4 34 - - - - - 60
1516 2 48 24 - 18 9 - - - 101
1517 1 60 9 - 86 - - - - 156
1529 - - - 40 9 20 - - - 69
1530 - - 486 - 41 64 - 2 - 593
1557 - - - - 251 - - - - 251
1558 - 41 - - 165 100 200 - - 506
1559 20 - 300 - 20 - - - - 340
1560 - - - - 10 - - - - 10
1581 12 - - - 30 - 864 - 4 906
1582 - - - - - - 140 - - 140
1583 - - - - - - 20 - - 20
Tableau LXXXV : Les exportations de schiavine de Split au XVIe siècle

Au milieu du XVe siècle, 226 pièces et neuf balles sont exportées (pour des destinations
inconnues)482. Contrairement à l’évolution de certains produits tels que les peaux, le volume des
e
exportations des schiavine augmente donc entre la fin du XV siècle et le siècle suivant (870 pièces
en 1581 vers sottovento). Cette croissance du volume correspondrait à l’ouverture accrue du marché
splitois vers la zone ottomane proche, en temps de paix bien sûr, le marché ottoman lui-même ayant
augmenté sa production de schiavine.
Les régions de l'Italie orientale sont les clientes les plus représentées (qu’elles soient
précisées, avant les années 50 ou confondues sous l’appellation de sottovento, après 1550). Parmi
les villes de l’Abruzze, Lanciano se distingue. Cette ville est desservie à l'occasion de sa foire,
comme c'est le cas en 1515, ou comme simple escale de transit comme il est précisé en 1516. Elle
conserve son marché d'importation, enregistré jusqu'en 1559. Termoli est la seconde ville de cette
région concernée par un tel trafic avec 486 pièces importées en 1530 (ou 54 balles) tout en étant
déjà présente dès 1511. Dans les Marches, deux villes servent de point de transition : Ravenna (dès
1511) et par la suite Fermo en 1515. Après 1529, le détail des villes des Marches desservies se perd.
Dans la Pouille, aucune précision de lieu n'est donnée, excepté en 1530, lorsque Brindisi fait
importer ces marchandises. Venise, quant à elle, est présente sur une courte période de 1516 à 1558
avec de faibles quantités.
Les foires de Senj et de Bakar, comme à l'habitude, drainent une partie du marché des
schiavine jusqu'en 1517; la relève est ensuite prise en 1558 par l'île de Rab, laquelle achemine 41
couvertures. La plus grande particularité de ce marché est l'enregistrement d'une exportation de
deux schiavine à Syracusa.

482
T. Raukar, « Komunalna društva », (70).

527
Il importe de souligner au passage le cas de Trogir, car il révèle deux faits. D’une part,
aucun autre article artisanal n’apparaît dans les contrelettres consultées (si ce n’est encore
l’exportation de quatre meules de moulin pour Zadar en 1569)483. D’autre part, des échanges
existent avec le Littoral croate durant la seconde moitié du XVIe siècle. Les données sont très
sporadiques, toutefois, 20 balles sont exportées de Trogir vers Trani en 1566, deux pièces vers Senj
l’année suivante et quatorze balles vers la Pouille en 1569. Dans le second registre douanier,
l’exportation est à la hausse : 3.302 pièces sont exportées vers sottovento en 1575, mais cet envoi
paraît exceptionnel, puisque l’année suivante, il n’est plus question que de trois schiavine.
Pour finir, en combinant les prix trouvés à Zadar avec le volume des exportations de Split à
la pièce, il serait possible d’en déduire la valeur financière. Aussi, dans les années 1530, Split
exporte 486 couvertures vers la Pouille, et en 1582, 870 couvertures sont exportées vers sottovento.
Pour ces deux seules directions principales du commerce splitois, les valeurs respectives sont de
400,5 et de 717 ducats –- ce qui revient à dire que la Chambre de Split, en prélevant la taxe du
trentième, perçoit au minimum un gain de 13 ducats en 1530 et de 24 ducats en 1582. Les recettes
de la ville pour ces années n’étant pas à disposition, il n’est pas possible de calculer la proportion
que prend ce trafic des couvertures dans l’ensemble des prélèvements de la ville. Mais il ne saurait
s’agir d’un bénéfice important, puisque les sommes calculées sont modiques484.

e) Divers
En 1529, un ligazo de ficelle (spago) est partagé entre Hvar et la Pouille. De même, des
ligadi, qui pourraient être ou du bois, ou du cordage, sont exportés en vrac à Venise en 1529. Il
existe un autre terme pour le cordage, que l'on retrouve aussi dans les registres. Pour ce qui est du
savon (savon), toute la production va en direction de la Neretva, à savoir respectivement huit et six
caisses en 1557 et 1558. En 1529, 800 paires des jougs pour le boeuf (zoe) sont exportées à Barletta,
ainsi que dix pièces sur l’île de Hvar, la même année. L'année 1529, un tonneau de cendres
(zenere), est enregistré, en direction de Hvar. Cet article sert au lavage du linge et constitue l’un des
produits de base pour les mélanges utilisés dans les chantiers navals.
Parfois accompagnée avec la gélatine (zelatina), la gelée (celadia) est transportée dans des
tonneaux ou des tonnelets (35 et 47 tonneaux en 1528-1529, dix en 1560). Le principal marché
d'importation est constitué par la Pouille (Barletta, Trani) de 1528 à 1560, suivi de Hvar, Krk et des
Marches, uniquement durant les années 1528-30. Venise et Trani font importer respectivement deux
et trois tonnelets en 1530, alors qu'en 1580 enfin, douze tonnelets partent en direction de sottovento.

483
DAZd, O. T., Bulettae, f° 1044’.
484
Je n’ai pas relevé d’autres prix de comparaison sur d’autres villes, excepté en 1489 à Dubrovnik, ville dans laquelle
une schiavine vaut 51 livres 12 sous; D. Roller, Dubrovački zanati, 41. Cela représente près de dix fois la valeur des
prix à Zadar. Cette donnée est insuffisante pour en tirer des conclusions pertinentes.

528
Le marché des cordes (corde) est présent des années 1503 à 1529, à raison d'un voyage par
an dans une direction chaque fois différente, ce qui laisse à penser qu'il s'agit d'un commerce
d'appoint commandité. La Dalmatie et la Pouille sont les seules destinataires. Cinq mazi sont
transportés vers Hvar en 1503, un ligazo vers Zadar en 1515, une pièce vers la Pouille en 1528 et un
ligazo vers Trani en 1529. Enfin, en 1511, trente paquets de coreli (ou mazi) sont exportés à Hvar et
vers la Pouille. La traduction de ce terme pose cependant problème : s'agit-il de coretto ? Le sens du
mot varie entre une partie de l'armature, un ornement ecclésiastique, une veste militaire ou un
corset. En 1529 ensuite, 142 pièces sont transportées vers la Pouille, à savoir à Monopoli et à Trani.

6°) Les matières premières brutes


a) Le fer (ferro)
A Zadar, tandis que les informations concernant une importation de fer en ville sont
relativement abondantes, en revanche, le trafic interne, voire extérieur, dont il est l’objet, n’est que
peu connu. Ce métal est sans doute commercialisé sous la forme de produits finis, répondant aux
besoins locaux de l’artisanat et de la construction. L’arsenal de Zadar étant spécialisé dans les
réparations de navires, il doit exister une vente de matériaux en fer sur place à ces fins. C’est le cas
notamment en 1410, lorsque le prêtre Šime de Falcado, recteur de l’église de Saint-Thomas de
Blato, district de Zadar, réclame à Nicolo de Ferrara, habitant de Zadar, deux livres cinq sous pour
du fer sine rampigenus d’une barque – ainsi que 25 livres pour une partie du prix de la barque485.
Mais les exemples de ce genre n’apparaissent que peu dans les sources.
Pour ce qui est d’une exportation éventuelle de fer hors de Zadar, en 1438, lors de la pénurie
de fer, le pouvoir vénitien permet à la commune d’en importer du Littoral croate, mais interdit à la
ville d’en exporter vers la Pouille ou dans les Marches486. Ce supplément au décret pourrait révéler
l’existence d’un transport de fer occasionnel vers l’Italie orientale, dans le cadre d’une exportation
englobant d’autres produits. Reste que le volume de ce transport est impossible à quantifier.
Aussi peut-il être prudemment avancé que la majeure partie du fer acheminé à Zadar
correspond à une demande du marché local et répond aux besoins de l’artisanat urbain. L’activité du
couple Detrico en donne une illustration487. Dans le cadre de leur teinturerie, Ivan et Lukrecija font
une certaine dépense en fer et en clous. En 1522, ils payent 17 sous pour 6 livres 3/4 de fer. Il en
ressort qu’1 kg = 4 sous488. Leur intérêt ne se limite d’ailleurs pas au fer. Ils acquièrent également
d’autres produits à base de métaux.

485
DAZd, CC&M, T. Prandino, F. 9, f° 6’, le 30.VIII.1410.
486
A. Piasevoli, « Fragmenti », (26).
487
S. F. Fabijanec, « Bilanca », (105-117).
488
Ibid., (109).

529
A Split, ce produit aux caractéristiques diverses (doux, travaillé ou non), est l'objet d'un
transit originaire de l'ouest (Venise, les villes du Littoral croate, voire l'île de Hvar)489 à destination
de la Dalmatie et plus à l'est, voire aussi de la Sicile. Son commerce est restreint aux années 1503-
1530 : la limite peut être imputée à la cessation des rapports économiques avec des villes du Littoral
croate.
Tableau LXXXVI : Exportation de fer de Split au XVIe siècle (en fassi)
Année Dalmatie Crète Italie
1511 a - -
32
1516 b - -
11
1517 c - -
12
1529 - d -
22
1530 - - e
10

Les mesures les plus usitées sont les fassi, terme général pour un emballage, dont aucune
équivalence n’est donnée. Avec cette unité, le trafic s'oriente différemment suivant le temps
(tableau LXXXVI). Quant aux autres unités, toujours aussi diverses et variées, elles incitent au
moins à mieux cerner les directions du trafic (tableau LXXXVII).

Tableau LXXXVII : Transport du fer à partir de Split, dans des contenants divers
Année Quantité Mesure Destination
1503 16 – extra Spalato
1511 1.100 livres Kotor, Pouille
1515 3 miara Malvoisie
48 furletti Candie, Nicosie
7 capitios Corfou
a
1 sac Modon
1516 4 mazi Céphalonie, Corfou, Zante
1529 350 livres Dubrovnik
1530 non mis Hvar, Rijeka, Trani

Le fer, obtenu à partir des échanges avec le Littoral croate, est en partie redistribué vers les
ports orientaux. Une fois que le trafic avec les ports de Bakar et de Senj s’interrompt, ces cargaisons
disparaissent des déclarations douanières. Toutefois, ce constat ne nous permet pas de dire la raison
de ces convois de fer vers Corfou et jusqu’au Levant.

489
En 1529, quatre déclarations de départ enregistrent l'intention d'importer du fer, de retour des régions citées (per
ritorno).
a
Hvar, Korčula
b
Hvar, Korčula, Kotor
c
Hvar, Korčula, Šibenik, Trogir, Zadar.
d
Zante
e
Syracusa
a
valeat spinol 3.

530
b) Le (matériel en) bois (legnam(in)e)
A Zadar, il n’y pas trace d’un commerce extérieur, si ce n’est l’exportation en mai 1563 par
Šime de Zadar de 600 planches (tauole) à Ancona490. Les contenants en bois, comme les différents
types de tonneaux, sont quant à eux mentionnés de manière épisodique (tableau LXXXVIII).

Tableau LXXXVIII : Valeur des tonneaux à Zadar


Année Type de tonneau Prix Source
1416 cuporum, 1 millier 6 ducats C.C.M., Teodoro de Prandino, B. II, F. 7, f° 9-10
1519 vegeta de 15 muids 4 livres Conte Pietro Marcello,vol.II, f° 290
1558 vegeta 9 livres Nicolaus Canalis, b. I, fasc. I/1, f° 12’
1579 botta à vin 20 livres Conte Bartholomeo Paruta, B. I, f° 70

Le bois étant un matériau importé, les produits finis qui en résultent sont plus chers, par
exemple, que ceux du domaine textile observés juste auparavant. La variation des prix est la
conséquence des différences existant entre ces tonneaux quant à leur capacité et leur qualité. Ces
informations sont trop réduites pour pouvoir parler de l’importance de la production à base de bois
sur le marché local et a fortiori sur leur vente éventuelle en dehors de la ville.
En revanche, il existe un artisanat spécialisé dans le travail du bois dans la ville. Un texte de
1519 nous en apporte un témoignage modeste. Cette année-là, le 23 mai, Juraj de Rebo, fils de feu
Dominik de Collane, habitant à Zadar, promet de faire remettre en ville certains ameublements en
bois pour le compte d’Ivan de Nassis, durant tout le mois d’octobre. Il est question de trente
planches (trabes) d'une longueur de 18 pieds ad mensuram constantam, de vingt burcharellos et des
bois de construction navale aux mesures calibrées (morelli) « en suffisance » et de 200 tables
taillées (schiapaditas). Dans le cas où Juraj ne livre pas ces objets durant les cinq prochaines
années, il devra payer leur prix à Ivan le 29 mai 1524. La valeur totale est estimée à 24 ducats491.
Il est à supposer que ces tables et autres objets en bois sont de fabrication locale. Si l’on
prend en compte que l’on dispose d’environ 250 objets d’une valeur globale de 24 ducats, on
obtient une valeur moyenne de douze sous par objet. Ce tarif, très relatif, est nettement inférieur à la
valeur d’un autre produit fini, le tonneau. Il correspond davantage aux prix relevés pour les
éléments vestimentaires. L’artisanat du bois est donc relativement animé, répondant aux seuls
besoins de la ville.
A Split, le bois et ses emplois sont présents dans le commerce, à cela près qu'aucune
quantité n'est fournie. Il se transporte en effet en vrac, que ce soit du bois travaillé ou autre (storti –
sous forme de copeaux ?, d'ogni sorte). Le trafic se limite aux années 1503-1529. Venise est la
principale importatrice (en 1515-1517 et 1528) tandis que les autres transports sont dirigés vers
Hvar (1503), la Pouille (1557) et Rijeka (1529). A deux reprises l'origine de ce produit est

490
ASAN, Il Quarto 1563, mai 1563, n° 713, f° 12.
491
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. II, f° 254’, le 23.V.1519.

531
mentionnée : en 1529, un marchand a l'intention d'acheminer du bois travaillé ou non (et capelii) de
retour de Senj. En 1583, soit 51 ans plus tard, du bois est importé de Peschici (huit planches).

c) Le bitume naturel (pegola)


A la différence des deux premières matières brutes, le commerce de cet article s'étend plus
longuement de 1511 à 1559; sans que cette fois une quelconque provenance ne soit mentionnée.
Šibenik semble jouir dès le XVe siècle du statut privilégié de fournisseur de bitume. Le 20 juin
1442, le patron splitois d’une marciliane, Mišo de Petar, est chargé de transporter plusieurs outres
de bitume à partir de Šibenik, vers l’Arsenal de Venise, d’après une commande faite par le comte
Fantino de Cha de Pesaro492.
Les trois qualités principales sont le bitume dur, cru et liquide (et une fois du bitume cota
pour l'île de Krk), parmi lesquelles, la variante dure l'emporte (avec quatre mentions).
L'outre (udro) est la mesure la plus usitée. Suivant les recherches de Berislav Šebečić493, 1
udro = 50 livres et 1 miara = 100 livres, ce qui permet une conversion directe en kilogrammes,
sachant qu'une livre revient à 477 g. Les quantités trouvées se répartissent sur les deux rives de
l'Adriatique et restent plutôt limitées (tableau LXXXIX), alors que les plus gros volumes sont
exportés durant les années incomplètes.

Année Dalmatie L. croate Venise Veneto Marches Abruzze Pouille Total


1511 - - 263 - 340 - - 603 kg
1515 - - 907 525 - - - 1.432 kg
1516 692 - - - - - - 692
1517 4.8534 24 170 - - - 465 5.512
1529 - - 143 - 143 - - 286
1530 - - 954 - - - - 954
1558 - - - - - 340 - 340
1559 - - 143 - - - - 143
Tableau LXXXIX : Exportation du bitume naturel de Split au XVIe siècle

En Dalmatie, l'île de Hvar est de loin la plus grande importatrice avec 4.700 kg de bitume
acheminés en 1517. Les autres unités de compte ne permettent pas d’obtenir le volume des
transports (tableau XC).

Tableau XC : Transport du bitume à partir de Split en contenants non convertis


Année Quantité Mesure Destination
a refuso Zadar
1516 2 udretti Bakar (fiera)
1517 a refuso Krk
1 sac Pouille

492
Instrumenta cancellariae, 9.
493
« O trgovini bitumenom u Dalmaciji od XIII. do XVIII. stoljeća », Rudarsko-geološko-naftni zbornik, vol. 8, Zagreb
(1996), 129-138.

532
Les quantités sont dans l'ensemble importantes vers la Dalmatie, beaucoup plus réduites dans les
autres régions avec une moyenne annuelle très variable.

d) Le plomb (piombo).
A Split, toute la production de plomb est envoyée à Venise entre 1516 et 1529,
respectivement 24, 80 et 70 pièces. A Zadar, la seule indication d’un commerce de plomb relevée
jusque-là se trouve dans la teinturerie des Detrico. En 1520, le couple dépense une livre treize sous
dans l’achat de sept livres de plomb et d’une lame en étain (stagnada). Puis en 1521, ils achètent
dix-sept livres de plomb et des clous pour la somme de 4 livres 18 sous, ainsi que trois chaînes de
bras pour la somme d'une livre seize sous494. En onze ans, avec leur seule activité, les Detrico ont
employé environ onze kilogrammes de plomb. Comme d’autres entreprises de leur genre sont
certainement en activité, la demande en métaux existe et leur importation alimenterait
essentiellement le marché local. Toute trace d’une réexportation est absente dans les sources
actuellement observées. Comme Split transporte des minerais, rien n’exclut que Zadar le fasse
également. Aussi, une étude plus approfondie sur la question serait souhaitable.

e) Le cuivre (rame).
Ce métal est déclaré à l'état neuf ou vieux, sous forme de chaudrons (21 caldiere dans la
Pouille en 1517), voire griso coleti. Les limites temporelles vont de 1503 à 1558, avec une mention
unique en 1581, l'ensemble étant transporté dans des balles et petites balles, rouleaux, mazi,
tonneaux, sacs ou encore notifié en livres. En 1529, une douzaine de plaques de cuivre (carta reme)
sont transportées vers les villes de Monopoli et Trani. Les déclarations en poids (livres) sont très
peu apparentes et représentent une exportation de 23 kg de cuivre pour Venise en 1503 et un peu
plus d'un kilo en 1581 pour la même destination.

Année balle pièce


1503 2 4
1511 1 1
1515 6 48
1516 6 4
1517 34 29
1529 - 12
1530 4 10
1557 2 -
1558 - 2
Tableau XCI : Transports de cuivre à partir de Split au XVIe siècle

494
S. F. Fabijanec, « Bilanca », (106, 107).

533
La seule équivalence existante est celle de huit pièces de cuivre transportées dans deux
balete, ce qui voudrait dire qu'une baleta contient quatre pièces de cuivre. Avec les balles, cette
dernière mesure est la plus utilisée (le tabeau XCI).
La plus grande période d'exportation du cuivre se situe au milieu des années 1510, avec
jusqu'à 48 pièces de cuivres déclarées en 1515 et 21 en 1517. Par ailleurs, une bonne partie de ce
cuivre est considérée comme vechio, ce qui pourrait indiquer qu'il s'agit d’un produit destiné à être
vendu dans un programme de recyclage.

Tableau XCII : Transport du cuivre selon des contenants non convertis


Année Quantité Mesure Destination
1516 2 barils Venise
2 mazi Senj (fiera)
1517 1 collo Venise
1529 1 ligazeto Venise
1530 1 ligazo Venise
1558 1 rouleaux Dubrovnik

Que l’on prenne en compte les unités de mesure ou d'emballage non convertibles (tableau
XCII), les quantités transportées en vrac (en 1517 et 1529) ou les données précédentes, la
principale destination est Venise, présente de 1503 à 1581. Les autres marchés importateurs sont la
ville de Senj (de 1515 à 1517) durant sa foire, puis Hvar, en 1503, Modon (durant sa foire en 1515)
et enfin la Neretva citée en 1557 (deux balles) et en 1558 (deux pièces).

f) Le suif (sevo)
Le suif est régulièrement exporté par petites quantités entre 1516 et 1581. Par chance, deux
équivalences sont inscrites : en 1559, 200 livres tiennent dans une caisse, et en 1581, quatre
tonneaux contiennent 368 livres, ce qui fait qu’1 tonneau = 92 livres. Cela n'exclut pas les mesures
sans équivalences (tableau XCIII).

Tableau XCIII : Volume de suif et orientation de son trafic en unité de compte non convertibles
Année Quantité Mesure Destination
1516 1 sac Zadar
1517 1 ligazo Marches, Romagne
1528 1 sac Kotor
1557 3 colli Venise
1560 24 balles Venise

Les mesures convertibles en kilogrammes permettent de compléter le trafic (tableau XCIV)


Année Venise Hvar
1517 95 kg -
1557 95 kg -
1559 - 95 kg
1581 175,5 kg -
Tableau XCIV : Exportations de suif à partir de Split au XVIe siècle

534
Le volume du trafic annuel est minime : de 95 à un maximum de 175,5 kg exportés en 1581.
Il s'agit sans doute d'une exportation d'appoint avec accord préalable entre le fournisseur et le client,
lorsque il s'agit de destinations en Dalmatie telles que Zadar, Kotor ou les régions italiennes. Hvar
est à l'époque la région dalmate la plus aisée et doit sans doute consommer beaucoup de suif, qu'elle
ne peut produire de manière autonome. Venise quant à elle draine tous les types de produits
disponibles à proximité, ce qui explique facilement le rôle prépondérant de son importation.

g) L’or et l’argent
A Zadar, l’or et l’argent sont deux métaux obligatoirement importés en ville. Leur
commerce interne correspond au développement de l’artisanat de l’orfèvrerie et des commandes
pieuses et artistiques.
Comme dans les autres villes dalmates, l’activité d’orfèvrerie remonte très loin dans le
temps à Zadar. Cet art est attesté depuis le XIIe siècle. Au XIVe siècle viennent exercer des orfèvres
étrangers d’Allemagne, d’Italie (Ravenna, Florence, Rimini, Padova) et de Dalmatie (Kotor). Les
artisans font importer leurs matières premières principales des mines de Bosnie et de Serbie.
Jusqu’au XVe siècle, l’art de l’orfèvrerie étant florissant, il suppose une consommation importante
de métaux précieux. En 1487, la fraternité des orfèvres est officiellement enregistrée. Cependant,
avec l’accélération des invasions ottomanes, cet art s’estompe, et avec lui, les importations. Reste
que parallèlement à l’existence de la fraternité qui perdure jusqu’en 1808495, cet artisanat doit
certainement se maintenir dans la ville, et avec lui, le trafic des métaux précieux.
Bien que les commandes d’oeuvres artistiques pieuses et laïques soient nombreuses, seuls
quelques exemples s’égrainent dans les textes. En 1442, l’orfèvre Dujmo, de feu Ivan Matafarić de
Zadar, promet au frère Petar de l’ordre des Franciscains, guardiano à Pag, de faire une croix
d’argent et une représentation des quatre évangélistes, d’un poids total de 18 onces. Une fois la
croix terminée, les guardiani doivent donner de l’or pour la dorer. Dujmo a reçu 36 livres pour
acheter l’argent, à raison de deux livres par once d’argent. Il est payé à raison de quatorze sous par
once d’argent utilisé pour la croix. Les Rameaux sont le terme de son contrat496. Le maître artisan
sera donc payé près de deux ducats pour son travail tandis que la valeur totale de l’oeuvre d’art
revient à un peu moins de six ducats. Le frère Pierre va ainsi avoir une dépense totale minimum de
huit ducats, dont un quart est réservé au salaire de l’orfèvre. Au XVIe siècle, malgré les nombreuses
œuvres d’orfèvrerie commanditées notamment par le clergé, les maîtres orfèvres sont peu nommés.
L’orfèvre zadarois Mate Dragonjić s’installe à Split en 1561 et il travaille pour des familles de
patriciens de Split ou de Brač. Mate Babić exerce son activité de 1563 à 1566, puis il part pour

495
A. Piasevoli, « Fragmenti », (26-27).
496
DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. II/3, f° 132’, le 5.XII.1442.

535
Napoli en emportant des pièces du trésor de l’église Saint-Dominique, soit seize onces d’argent à
raison d’un ducat par once. De 1564 à 1572, cinq orfèvres exercent à Split, originaires d’Arnerio, de
Dubrovnik, de Zadar et autres, puis certains s’en vont pratiquer leur art en Italie (à Senigallia,
Ravenna, etc.). Pour répondre aux commandes d’objets d’art et/ou sacré d’une clientèle diversifiée
(allant des patriciens jusqu’aux paysans et aux marins), les orfèvres font importer l’or et l’argent des
mines balkaniques497.
Le produit brut coûte plus cher que le travail d’un maître accompli. Cela revient à dire que
l’emploi des matériaux comme l’or et l’argent nécessite une capacité budgétaire importante que ne
peuvent s’offrir que des institutions et des personnalités de haut rang. Est-ce qu’une partie de ces
commandes est destinée à un marché étranger ou reste-t-elle réservée à l’usage local, la question
reste entière.
En revanche, les objets en or et en argent servent de dépôt de garantie en cas d’emprunt. En
1558 a lieu un procès entre deux associés dans une entreprise vinicole, Mišo Tragurita contre
Elizabeta, veuve de Nikola Merkotić. Le détail des dépenses est fourni à la Cour par la défense.
Parmi les pièces justificatives, Elizabeta mentionne, à plusieurs reprises, avoir déposé des objets en
or et en argent pour de petites sommes. En 1554, il est question de deux cuillers d’argent contre huit
livres d’emprunt. En 1555, elle vend un anneau d’or pour rembourser un prêt de 21 livres 3 sous. La
même année, elle paie du vin de Rab en donnant des cuillers d’argent contre une valeur de trois
livres douze sous. En 1556, elle dépose chez le juif Gobetto des affaires en or, en argent, des
boutons et des fourchettes valant 22 livres contre un prêt de 11 livres498.

h) Le marbre et la pierre
Un modeste commerce du marbre semble exister. En 1410, le marin Luka Galičić de Zadar
réclame au marin Blaž de Zadar trois ducats quatre livres sept sous sur les 35 ducats dus pour la
moitié de neuf plaques de marbre (marmaris) d’une valeur totale de 70 ducats, à raison de deux
ducats par plaque. Blaž les a transportées sur le navire de Petar Venturino pour le compte de Juraj
de Rosa, afin d’acheter du sel à Monte Gargano (près de Foggia, ad terram Montis sancti). Juraj a
payé les plaques, et Blaž est condamné à payer la somme réclamée à Luka499. Le prix total avancé,
qui dépasse la valeur réelle des plaques de marbre, comprend également le coût du transport et de la
main-d'oeuvre. Dans cet exemple, le marbre sert de monnaie d’échange contre du sel en Italie. La
provenance de ce matériau manque toutefois, ainsi qu’une plus ample illustration des échanges de
ce matériau de construction.

497
Cvito Fisković, « Zadarski zlatar Mate Dragonjić », Radovi JAZU, vol. 13-14, Zagreb (1967), 103-113 (104, 107-
108, 112-113).
498
DAZd, Nicolaus Canalis, B. I, F. III, f° 7-7’.
499
DAZd, CC&M, Theodoro de Prandino, F. 9, f° 1, le 4.VIII.1410.

536
La pierre est très présente dans la construction de bâtisses diverses et seule une recherche
suivie sur les constructeurs apporterait une image plus précise du trafic des blocs de pierre. En
1423, par exemple, le constructeur zadarois le plus réputé de l’époque, Vidul Vidanov, conclu un
contrat de restauration de la chapelle Saint-Simon à Zadar. Il utilise beaucoup de matériaux,
notamment de la pierre blanche pour le clocher. A cet effet, il conclut avec Ivan, de feu Damjan,
Cicević le transport en treize fois sur la barque d'Ivan de plaques de pierre blanche (quadronis
albis) de l'île de Dugi otok pour le prix de onze ducats500.

7°) Les produits manufacturés, de luxe


Au XVe siècle, les marchandises luxueuses telles que les épices, la verrerie et autres produits
acheminés à Zadar proviendraient en majorité de Venise501. Ce courant se poursuit un siècle plus
tard, sauf qu’il est difficile d’estimer le volume et la valeur des échanges. L’usage de l’encens, du
poivre et des vêtements de luxe est une chose relativement courante. Le bilan des Detrico en
témoigne. En 1521, ce dernier achète pour son apprenti du poivre et de l’encens, pour une valeur
d'une livre dix sous502. Aussi, bien que les données soient très éparses, seule une recherche
systématique dans les documents manuscrits pourrait révéler l’importance des marchandises de luxe
sur le marché zadarois.

a) Les épices
A Zadar, les premiers vendeurs d’épices (spetiarius), puis aromaterius (1317) sont présents
dès les XIIIe-XIVe siècles. D’après quelques inventaires, les entrepreneurs zadarois du XIVe siècle
(marchande, commerçant, drapier) possédaient plusieurs épices : du sucre (çucharo), du safran
(çafarano), de l’encens (inçenso) – dont du sang du dragon (sanginis dragonis), du cumin (cumin),
du gingembre (cinbru), des clous de girofle (garafalo), du poivre (piuerada), de la moutarde
(mostarda), de la cannelle (cannelle), et autres503. Une affaire d’héritage révèle en outre la présence
jusqu’à sa mort en 1308 d’un marchand juif de Syracusa, Juda Leonus Turtovidi, à Zadar, où il
laissa des épices, dont du poivre, sans doute importées du Levant pour fournir le marché dalmate504.
Aux XVe-XVIe siècles, la consommation intérieure des épices se maintient sans doute505, sauf que

500
Emil Hilje, « Zadarski graditelj Vidul Ivanov i njegovi sinovi », Rad. Zavoda povij. znan. HAZU, vol. 47, Zadar
(2005), 149–190 (151).
501
T. Raukar, Zadar u XV. st., d’après la carte p. 255.
502
S. F. Fabijanec, « Bilanca », (106).
503
S. F. Fabijanec, « Dva trgovačka inventara », (101-102).
504
Eliahu Ashtor, « Jews in the Mediterranean Trade in the Middle Ages », Technology, Industry and Trade. The
Levant versus Europe, 1250-1500, London 1992, 159-178 (169).
505
En 1408, Pietro Venturino Paxi de Cesena, habitant à Zadar, détient une boutique d’aromates. Il réclame cinq cents
ducats à son client, le patricien zadarois Franjo Colani de Fanfogna, pour prix d’une tonne de cire (dix
ducats/centenario), de 500 kg de poivre (vingt ducats/centenario), de 250 kg de sucre (quinze ducats/centenario) et

537
les modes d’approvisionnement et le réseau commercial demandent encore à être éclaircis. Au
milieu du XVe siècle, au moins deux navires de Zadar se rendent à Alexandrie, dont un chargé
d’épices à son retour en 1452506. Pour une période similaire, les contrelettres de Šibenik ne
contiennent aucun transport d’épices. A l’inverse, le commerce des épices est plus documenté pour
Dubrovnik, ce dont témoignent au minimum les registres douaniers d’Ancona507. Il est possible que
la ville de Saint-Blaise approvisionne également le marché zadarois.
A Split au XVIe siècle, il existe une trace tenue d’exportation d’épices, dont le convoiement
s’arrête après la seconde moitié du siècle. En 1529, une caisse de sucre (zuchari) est exportée à
Barletta et l'année suivante des pains de sucre (dont la quantité est omise) vers la Pouille. Du safran
(zaffran) est transporté en 1530 vers Venise, à raison de 23 d'une quantité non lisible, ainsi que de
trois livres (soit un peu plus d'un kilogramme). La même année, trois sacs de cumin (cimin) sont
déclarés pour aller vers Venise. En 1558 enfin, trois caisses de cannelle (canielle) sont exportées
vers la Pouille.
Ces modestes transports sont le résultat du retour de certains hommes d’affaires du Levant
puisque tous les trajets prévus s’orientent vers l’ouest. Ils ne sont que les reflets du commerce
important des épices organisé de longue date par Venise, Genova et les Portugais.

b) Les tissus de luxe


• Le samit (samito), drap de soie brodé d'or et d'argent. En 1530, trente-quatre coudées
splitoises sont transportées vers Venise, soit un total de moins de 22 mètres de samit (1
brazza sotile = 0,639 m).
• Le carisé (carisea)
Cette étoffe est notamment très recherchée en Turquie. Dubrovnik en importe régulièrement
sur de gros navires au départ de Londres : plus de 25.000 pièces destinées au Levant la seule année
1531508.
Split transporte des quantités beaucoup plus modestes à partir de 1515-1517 (tableau XCV).
Durant cette période, elle achemine 179 pièces, dont 160 vers le Littoral croate (Senj en priorité),
quatre vers la Pouille et cinq vers Venise, ainsi que 21 rouleaux vers Corfou. En 1529, les deux
seuls destinataires sont Hvar (19 pièces) et le Levant (deux pièces). Dans les années 1550, les
principaux clients sont le port de la Neretva (46) et les îles (70 à Hvar en 1557, 24 à Brač en 1558 et
9 à Rab la même année). Quelques pièces sont également acheminées à l’ouest (neuf vers sottovento

enfin, pour la location d’une boutique, dans le quartier de Saint-Pierre le Vieux, à vingt-cinq ducats; A. Krekich, « La
Curia », doc. 6, (161-162).
506
T. Raukar, Zadar u XV. st., note 44, 261; E. Ashtor, « Il commercio levantino », (229).
507
Le 10 avril 1562, par exemple, Beno Gondola décharge à Ancona quatre caisses de sucre, deux caisses de safran, une
branche de cassier (cassia) et 2 colli de poivre, tout en payant 16 sous de taxe; ASAN, Quarto 1562, f° 31’.
508
J. Tadić, « Le port de Raguse », (19-20).

538
en 1557 et deux vers la Pouille deux ans plus tard). En 1582 est réalisé le transit de vingt pièces de
carisé à partir de Venise à destination de Dubrovnik. Là s’interrompt toute trace de trafic.

L. croate Dalmatie E. ottoman Levant Pouille sottovento Venise Total


1515 150 - - - - - 5 155
1516 - - - - 4 - - 4
1517 10 10 - - - - 20
1529 - 19 - 2 - - - 21
1557 - 70 - 9 - 79
1558 9 26 41 - - 76
1559 - - 6 2 - - 8
1582 - 20 - - - 20
Tableau XCV : Exportations de carisé à partir de Split (en pièce)

Important ces tissus à partir de Venise (dès 1503), Split les redistribue essentiellement vers
les ports de l’Empire ottoman, en très faibles quantités, ainsi que sur les îles du Littoral croate et de
la Dalmatie. La présence de cet article occidental de luxe à Split montre que la ville possède une
clientèle locale relativement riche. De même, ses entrepreneurs peuvent être engagés dans un
commerce au long cours, même si Venise est le principal fournisseur direct des produits luxueux.

c) Le verre (veri)
Il s'agit sans doute du verre de Murano; quoi qu'il en soit, une petite caisse en est exportée
vers l'île aisée de Hvar en 1529.

Situées dans le bassin méditerranéen, les communes de Zadar et de Split offrent sur le
marché des échanges des produits typiques de cette zone climatique : le vin, l’huile et les poissons
remplissent les tonneaux des transporteurs maritimes dans un circuit régulier de cabotage (carte
XVIII). Le trafic n’en est pas statique pour autant. Selon la récolte, les deux villes exportent du blé;
à la coupe des oliviers, dévastés par la guerre, elles doivent importer de l’huile d’Italie. A leur
production territoriale de matières premières s’ajoute la confection artisanale, dont quelques articles
(chausses, clous, peaux apprêtées et surtout de la rasse) alimentent le marché étranger. Les villes
s’adressent à des fournisseurs diversifiés, puisant des produits d’élevage et artisanaux des Balkans,
des matières brutes et des fourrures du Littoral croate et des articles luxueux de l’Italie, voire du
Levant. Leur rôle de ports de transit s’affirme avec la redistribution d’une partie des importations
vers les mêmes partenaires commerciaux, en sens inverse. Leur profil commercial est sensiblement
identique à celui des autres communes dalmates, si ce n’est que Split irrigue la plus grande part des
marchandises de Bosnie (faute d’un territoire important), alors que Zadar, siège politique de la
Dalmatie, dispose de la plus grande superficie agricole et peut davantage offrir sa production locale
(le sel étant sous contrôle vénitien).

539
Le réseau de cabotage suppose des arrêts fréquents et le déchargement régulier, par étapes,
des marchandises. Que ce soit sur leurs propres navires ou sur des embarcations louées auprès
d’étrangers, les Zadarois et les Splitois naviguent de ports en ports vers des destinations parfois
lointaines, même s’ils traversent le plus souvent la mer Adriatique pour rejoindre les côtes
italiennes. C’est l’occasion de renouveler des associations commerciales à chaque arrêt, de
s’informer des denrées dont la valeur est en hausse. Aussi n’est-il pas anodin d’observer dans un
premier temps la fréquence de ces mouvements maritimes, pour conclure de l’importance du trafic,
puis, en second lieu d’estimer la valeur économique des partenaires d’échanges.

540
Carte XVIII : Résumé du trafic commercial des communes l’Adriatique orientale

541
542
Partie V

LE RAYONNEMENT ECONOMIQUE

543
L’importance économique d’un centre commercial peut s’observer à travers quatre domaines
principaux : les acteurs du trafic, le volume des marchandises échangées, l’étendue géographique du
réseau et la balance du commerce.
La vivacité d’un marché urbain se mesure à l’implication de ses hommes d’affaires, en
distinguant la part d’activité des marchands locaux de celle des commerçants étrangers. La
population participera plus ou moins au commerce général selon le dynamisme économique de sa
ville, comme l’illustre la Bosnie avant la conquête ottomane. Ses richesses économiques (mines et
minerais) sont principalement exploitées par des entrepreneurs ragusains509. En Dalmatie, les
habitants animent l’essentiel des transports maritimes, les étrangers étant néanmoins présents. Ainsi,
les populations de l’arrière-pays approvisionnent les cités par les routes terrestres, puis, dès le XVe
siècle, de nombreux Italiens originaires de l’ensemble de la péninsule sont également impliqués
dans le trafic intra-adriatique, que ce soient des entrepreneurs des villes littorales comme Fermo et
Manfredonia, ou ceux des cités de l’intérieur comme Padova510. Cette tendance continue le siècle
suivant, avec une variété de ressortissants italiens (de Genova à Otranto) – sans compter la présence
de Catalans, de Siciliens et de représentants du pouvoir ottoman. De sorte que les deux communes
ne sont pas cloisonnées dans le seul marché de subsistance, mais intégrées, par le biais de leurs
partenaires commerciaux (courtiers, créanciers, procurateurs, associés et autres), à un réseau plus
large.
Le volume des marchandises échangées est plus difficile à évaluer. Le commerce maritime
de Split et Zadar serait essentiellement constitué de portate, c'est-à-dire de transports peu
volumineux effectués régulièrement par cabotage, sauf en temps de guerre. A Split, le volume des
exportations avec Venise tend à augmenter à la fin du XVIe siècle : de 1586 à 1591, avant la mise
en place définitive de l’escale, 11.000 colis en moyenne sont transportés vers la République; après,
de 1592 à 1596, leur nombre est de 16.460511. Cette croissance du trafic a sans doute des
répercussions sur les autres marchés d’échange.
Reste à connaître le rayonnement final de ces transports, à savoir s’ils sont limités au seul
bassin adriatique ou s’ils débordent de cet espace géographique. Cependant, il ne s’agit pas
seulement de savoir, par exemple, que la Pouille importe des marchandises de Split, mais encore de
mieux connaître le rôle joué par cette région dans le commerce international. Selon l’importance du
centre économique dans lequel des marchandises sont débarquées, le prolongement de ce flux des
exportations splitoises n’est pas anodin. En effet, le marché d’importation diffère du marché de
transit. Le premier s’approvisionne en articles splitois et zadarois pour répondre à ses besoins
locaux. Le second prélève une part des arrivages pour son compte, puis transporte les surplus vers
509
Voir principalement le livre de D. Kovačević-Kojić, Trgovina u srednovjekovnoj Bosni.
510
G. Novak, « Quaternus izvoza », (99).
511
F. Braudel, La Méditerranée, 264.

544
d’autres sites. De sorte que, pour connaître l’extension réelle des marchés zadarois et splitois, il est
nécessaire de faire le bilan de tous les centres économiques avec lesquels les deux villes
entretiennent des contacts commerciaux, en tenant compte de leurs caractéristiques et de leur propre
rayonnement économique.

I. Les partenaires commerciaux de Zadar et de Split

La première approche générale se fonde sur l’étude statistique des destinations du transport
maritime splitois durant les XVe et XVIe siècles.

1°) Animation et orientation du marché d’exportation de Split


En 1475-1476, 169 départs sont enregistrés de Split pour une période de dix-sept mois512,
soit environ dix départs par mois. Juste après la guerre de 1499-1502 les départs se raréfient (huit
voyages en vingt-cinq mois). Mais, durant la première décennie du siècle, ils augmentent (quatorze
départs par mois en 1511 et jusqu’à vingt-cinq en 1515-1517). La période de stabilité et de reprise
qui suit la guerre de 1502, coïncide avec celle de la plus grande fréquence des sorties en mer : plus
d’un départ par jour en moyenne en 1515-1517. Nous ne disposons pas des dates concernant les
périodes de crise. Il semblerait néanmoins que la reprise économique soit rapide. Les sorties en mer
enregistrées entre 1528 et 1583 montrent une moyenne constante de dix-sept à dix-huit déclarations
par mois (graphique XXXVI).

Graphique XXXVI : Fréquence des départs de Split au XVIe siècle

900
800
700
600
500
400
300
200
100
0
1503-1504 1511 1515-1516 1528-1530 1557-1560 1580-1583

512
G. Novak, « Quaternus izvoza », (99).

545
Cet indice, représentant une sortie en mer tous les deux jours, en dehors des années 1515-1517, ne
prend en compte que les déclarations obligatoires. Pour être exhaustif, il aurait encore fallu
déterminer d’autres départs ayant un caractère partiellement ou exclusivement commercial.
C’est le cas des navires commandités par Venise pour le transport du sel, des délégations
diplomatiques ou de personnalités politiques, ayant également embarqué des marchandises. Toutes
ces entreprises n’apparaissent pas dans les contraliterrae. Cependant leur part dans le trafic général,
le transport du sel excepté, ne joue pas un rôle déterminant. De plus, ces voyages échappent à
l’activité des patrons et commanditaires indépendants. A cela s’ajoutent les transports de céréales :
dans les années 1523-1525, en vingt-six mois partent quatre-vingts navires transportant uniquement
des céréales (soit une moyenne de trois départs par mois).
Il convient également de noter les départs moins fréquents en hiver. De décembre à mars,
moins de vingt départs, sur des périodes de deux fois un mois (sur deux à trois ans), ont lieu
(graphique XXXVII). Ces voyages hivernaux sont plus fréquents durant la première moitié du XVIe
siècle, puis en 1569, Venise interdit les départs en mer du 15 novembre au 20 janvier, les victimes
des intempéries étant trop nombreuses pour justifier le risque d’un voyage513.

140

120

100

1503-1504
80
1515-1517
1523-1525
60
1528-1530
1557-1560
40 1581-1582

20

0
Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Aoőt Septembre Octobre Novembre Décembre

Graphique XXXVII : Départs de Split par saisons

Aussi, durant les deux seules années complètes de la fin du siècle (1581-1582) la moyenne
mensuelle est d’un voyage tous les trois jours. Les plus fortes périodes de départ sont concentrées
au printemps (les foires des ports croates en avril, dans les années 1515-1517), en été (vers l’Italie)
et en automne (à nouveau les foires en octobre), de sorte qu’en 1515-1516 ont lieu deux départs par
jour. Sur toute la région méditerranéenne, la fréquence des sorties en mer augmente avec l’intensité

513
F. Braudel, La Méditerranée, 227.

546
des activités commerciales. Cette règle vaut pour les cités de Split et de Zadar. En somme, la
fréquentation du port de Split, à raison de plusieurs départs journaliers du printemps à l’automne,
apparaît moyennement importante. Le trafic y est régulier et animé.
L’observation suivante se porte donc sur les destinations finales, avec leurs ramifications
potentielles, du commerce de transit des deux cités. Seul le dépouillement des contrelettres de Split
permet une approche quantitative des principaux marchés d’exportation et des partenaires
privilégiés de la ville de Saint-Doyme. Le tonnage exact exporté vers chaque destination étant
impossible à calculer, en raison de la trop grande disparité des poids, contenants et mesures, les
pourcentages obtenus (graphiques XXXVIII a, b, c, d, f, g) présentent la fréquence des intentions
de départ citées dans les déclarations douanières. Le trafic connaît une nette évolution.

Graphique XXXVIIIa : Les partenaires de Split en 1475-1476

Dubrovnik 3%
Confins 1%

Dalmatie 2% Levant 1%
Littoral croate
11%

Royaume de
Naples 22%
Venise 57%

Patrimoine de St
Pierre 3%

A la fin du XVe siècle, sept destinations dominent (a) (Dubrovnik reste géographiquement
rattachée à la Dalmatie). Au cours du XVIe siècle, les destinataires des exportations splitoises se
diversifient. Une majorité d’entre eux est implantée sur l’ensemble de la mer Adriatique.
L’Empire ottoman et, plus largement, le Levant, sont également impliqués dans le circuit
commercial étudié (d, e, f, g). La proportion des divers importateurs évolue, marquant ainsi la
dynamique de la ville de Split.
Durant la fin du XVe siècle et le début du siècle suivant, Venise draine vers elle plus de la
moitié puis plus d’un tiers de la production splitoise (a, b, c, d, e).

547
Royaume de Naples
24%

Vénétie 32%

Patrimoine de St
Pierre 7%
Levant 2%
La Porte 1%
Dubrovnik 4%
Albanie vénitienne Dalmatie 9%
9%
Littoral croate 11%
Istrie 1%

Graphique XXXVIIIb : Les partenaires de Split en 1503-1504

Cela concorde avec la volonté de la République de contrôler le marché de ses colonies et


d’approvisionner en priorité sa population. Progressivement, les arrivages, toujours importants,
diminuent. Détentrice d’un grand tiers des importations en provenance de Split durant la première
moitié du XVIe siècle, Venise importe moins d’un tiers des marchandises splitoises (f, g). Or, on l’a
vu, le volume des exportations augmente avec la stabilisation politique. Les autres places
commerciales italiennes sont les bénéficiaires de ce renversement de tendance et prennent une
importance croissante (d-f). A la fin du siècle, toute la côte italienne orientale (sous l’appellation de
sottovento) reçoit entre 56 et 60% de l’ensemble des exportations de Split (g).

Albanie vénitienne Colonies vénitiennes


4% 0% Levant 1%
Dubrovnik 2%

Dalmatie 17%
Venise 36%

Littoral croate 21%

Istrie 1% Royaume de Naples


Patrimoine de St. 15%
Pierre 3%

Graphique XXXVIIIc : Les partenaires de Split en 1511

Durant la fin du XVe et la première moitié du XVIe siècle (a-d), les ports du Littoral croate
représentent le troisième partenaire privilégié de Split, pour presque disparaître du réseau

548
commercial à la fin du XVIe siècle. Cette disparition est sans doute à imputer à plusieurs facteurs. Il
y a d’une part la volonté politique de Ferdinand Ier de privilégier les échanges économiques de son
empire avec les Marches. En 1527, il assure à tous les marchands italiens au départ d’Ancona et de
Pesaro des allègements fiscaux, dans l’idée de faire transiter les marchandises italiennes à travers
les ports de Trieste et de Rijeka pour les acheminer ensuite vers les centres commerciaux du
continent (Ljubljana et Villach jusqu’à Anvers à l’ouest, Zagreb et Buda à l’est)514. D’autre part, les
ports du Littoral sont exposés aux assauts des Ottomans et Senj devient le siège des Uscoques.
Toutefois, tous les liens commerciaux ne sont pas rompus : à Trogir, dans les années 1567-1568 et
1575-1577, le Littoral croate persiste comme direction des exportations à raison de 3 à 5% des
échanges.
La Dalmatie constitue un lieu naturel d’échanges réguliers. Elle tient généralement la
quatrième place dans le trafic splitois.

Graphique XXXVIIId : Les partenaires de Split en 1515-1517


Albanie vénitienne Colonies vénitiennes
1% 2%
Levant 0%
La Porte 0%
Dubrovnik 1%

Dalmatie 15%
Venise 37%

Littoral croate 17%

Istrie 2% Patrimoine de St
Pierre 2%
Royaume de Naples
23%

Les autres directions apparaissent plus rarement. Les ports de l’Adriatique orientale sont les
plus représentés durant l’année 1511. Quant aux ports adriatiques faisant partie de l’Empire
ottoman, ils ne font leur apparition qu’à partir des années 1557-1560 (excepté trois voyages vers
l’estuaire de la Neretva en 1516).

514
Ferdo Gestrin, « Rapporti commerciali tra les terre slovene et l’Italia tra XIII e XVII secolo », Le relazioni
economiche e commerciali, Roma 1983, 61-84 (74-75).

549
Graphique XVIIIe : Les partenaires de Split en 1528-1530
Colonies vénitiennes
1%
Albanie vénitienne 2% Levant 1%
Ailleurs 1%
Dubrovnik 1%

Dalmatie 9%

Littoral croate 4%
Venise 43%

Royaume de Naples
35%

Patrimoine de St Pierre
3%

A ce titre, les départs les plus nombreux des années 1515-1517 (d) coïncident avec la
période durant laquelle les destinations sont parmi les plus diversifiées. Nous pouvons encore
relever deux voyages à Syracusa (Saragossa515) en 1530.

Graphique XVIIIf : Les partenaires de Split en 1557-1560

La Porte 2% Albanie vénitienne


1%
Dubrovnik 1%
Dalmatie 10%
Venise 26%
Littoral croate 2%

Istrie 2%

Patrimoine de St
Pierre 4%
Sottovento 24%

Royaume de Naples
28%

Vers la fin du siècle, les directions n’offrent pas de grandes surprises. Quelques imprécisions
demeurent, comme les mentions de terre aliene, altri lochi, altre terre. Ces mentions apparaissent
encore plus fréquentes et diversifiées à Trogir durant les registres de la seconde moitié du XVIe
siècle. Outre l’expression per terre aliene figurent encore lochi e stati alieni, voire dove li piace. Or,

515
Deux voyages fournissent cette ville en produits typiques de la zone dalmate : des poissons, de la rasse et des
schiavines; DAZd, Sp. Ar., boîte 67, B. 74, F. 7-IV, f° 571.

550
toujours à Trogir, ces expressions apparaissent de plus en plus, parallèlement à l’essor conjugué de
la direction sottovento. Dans les années complètes de 1567-1568, alors que Venise domine le
marché des importations de Trogir avec 52% des intentions de voyages, les terre aliene figurent
seulement à 3% et sottovento à 5 %, l’autre direction principale des exportations de Trogir étant le
Dominio en général, qui comprend la Dalmatie (56%), l’Istrie (32%) et la Vénétie (12%). En moins
de dix ans, et après la guerre de Chypre, la tendance est inversée. Dans les années 1575-1577 (dont
seule l’année 1576 est complète), cette fois la direction sottovento domine à 42%, suivie par Venise
à 19%, qui est accolée par les terre aliene à 15%. C’est également la part du Dominio, dont cette
fois-ci les zones privilégiées sont le nord-ouest du bassin adriatique, avec le Frioul (35%), puis
l’Istrie (31%), suivis de la Dalmatie (16%) et de la Vénétie (15%). Quant au Levant, ou plus
exactement les ports de Zante, Céphalonie, Candie, Chypre et Corfou, sa place se maintient autour
des 2 à 3% du marché d’exportation de Trogir. En parallèle, tout comme à Split, la part du
Royaume de Naples se réduit de 18 à 1% et celle du Patrimoine de St. Pierre reste faible (2%).

Graphique XVIIIg : Les partenaires de Split en 1580-1583

Albanie vénitienne
1%
Terre aliene 1%
La Porte 1%
Inconnu 2%
Dubrovnik 1%
Dalmatie 7%
Venise 21%
Littoral croate 1%

Istrie 3% Patrimoine de St
Pierre 1%

Royaume de Naples
1%

Sottovento 60%

L’essor des directions indéterminées, qu’il s’agisse de l’expression sottovento ou celle de


terre aliene – surtout à Trogir, concorde avec la mise en pratique du « transito sottovento ». Afin de
contrecarrer la tendance au resserement de son espace maritime commercial, avec notamment la
multiplication de ports francs encouragés par les autres puissances (à savoir Ancona, Dubrovnik,
Trieste et Rijeka), Venise décide d’appliquer un régime douanier privilégié pour les entrepreneurs
vénitiens avec la rive occidentale de l’Adriatique centrale et méridionale. En 1517, pour
commencer, la taxe de 12% sur les draps bergamasques destinés à l’exportation est supprimée. Elle

551
est progressivement remplacée par une taxe commune – la taxe de la « stadella » – à toutes les
marchandises originaires de Flandres, d’Allemagne et d’ailleurs concentrées vers Verona, Mantova
et Ferrara pour Venise et dirigées vers « les foires du bord de mer de la rive sottovento ». En 1545,
Chioggia obtient sa douane du « transito sottovento », ou encore la « bolletta di transito ». Or, le
grand « avantage » de ce système douanier est d’éluder le paiement des entrées et sorties réelles du
port concerné et de favoriser la contrebande, dans la mesure où les marchandises qui sont en réalité
prévues pour aller ailleurs – notamment vers le Levant – sont de fait déclarées comme articles pour
le sottovento. Chioggia, par exemple, devient ainsi un centre réputé de « contrebande » dans les
années 1580516. Tout porte à croire, même si à l’heure actuelle aucun document ne l’atteste, que le
régime des « bollette di transito » soit également entré en vigueur dans les communes dalmates –
parce que les Dalmates sont de facto citoyens vénitiens ? –, à l’intérieur du système des
contrelettres traditionnelles. Tout du moins, la formule est copiée. Quoiqu’il en soit, la relâche du
contrôle vénitien sur le trafic commercial dans le bassin adriatique, avec les détournements
possibles qu’il génère, est encore lisible dans la formulation trouvée à Trogir, à savoir que le
déclarant peut aller dove li piace.
La libéralisation des voies commerciales se traduit donc à Split par le passage de la
déclaration d’une destination précise à celle de sottovento. Vers la fin du XVIe siècle, la
Méditerranée n’est plus le centre commercial le plus actif. Venise perd une partie de son importance
stratégique. La navigation au long cours dans les eaux atlantiques et du Pacifique supplante, sans le
remplacer, le réseau des multiples cabotages méditerranéens. Aussi, la République ne semble plus à
même de contrôler « son Golfe ». L’Autriche conteste sa prédominance; les Espagnols ont pénétré
l’espace adriatique. Le changement de désignation des destinations finales dans les contrelettres (on
passe des ports définis à l’expression sottovento) est symptomatique de l’évolution économico-
spatiale qui s’est produite.
Split distribue ses marchandises vers une huitaine de marchés commerciaux répartis sur
l’ensemble de la mer Adriatique et vers les possessions ottomanes. De la fin du XVe siècle à la fin
du XVIe siècle, l’importance des centres importateurs change. Venise perd progressivement sa
primauté sur les importations splitoises au profit des autres ports italiens situés sur la bordure
orientale de l’Adriatique.
Il est plus difficile, en revanche, d’offrir une image exhaustive du réseau économique de
Zadar. C’est le centre le plus important de toute la Dalmatie vénitienne. Durant la période angevine,
l’exploitation du sel de Pag et la possession foncière du plus vaste territoire de l’arrière-pays lui ont
permis d’étendre un réseau commercial sur l’ensemble du bassin méditerranéen, et surtout

516
Massimo Costantini, « “Sottovento”. I traffici veneziani con la sponda occidentale del medio-basso Adriatico »,
Proposte e ricerche. Economia e società nella storia dell’Italia centrale, vol. 49/XXV, Ancona (2002), 7-22 (10-12).

552
d’approvisionner l’ensemble des ports adriatiques. Venise ayant établi son monopole sur le sel
pagois, Zadar est dépourvue de sa source principale de revenus. Néanmoins, la ville reste le centre
commercial le plus important, au moins au XVe siècle517. Ses partenaires commerciaux sont
identiques à ceux de Split. Malheureusement, il est impossible de fournir des indications
quantitatives (nombre de départs, fréquence des destinations, etc.) en raison de l’absence plusieurs
fois soulignée des contraliterrae.
Pour mieux comprendre le rôle économique joué par les deux villes à l’intérieur du bassin
adriatique, et sur l’ensemble de la Méditerranée nord-occidentale, il convient de réaliser un
récapitulatif analytique de leurs différents partenaires commerciaux, de l’ouest vers l’est.

2°) La péninsule italienne


Du Moyen Age à la Renaissance, les Italiens sont les promoteurs de systèmes politiques
originaux, de l’entreprise industrielle moderne, de nouvelles techniques financières et économiques,
de pratiques commerciales dominant le monde économique518, de la réflexion intellectuelle et des
Arts. Forts de leur potentiel économique énorme, les Etats italiens tissent un large réseau
commercial sur l’ensemble du bassin méditerranéen, en Occident et en Orient; leurs commerçants
sont actifs sur les foires périodiques disséminées sur le continent européen; ils forment des colonies,
des comptoirs économiques dans les ports les plus riches du Proche-Orient et de l’Asie mineure,
alimentant ainsi de manière continue les recettes fiscales de leur pouvoir central.
De 1494 jusqu’à la paix de Cateau-Cambrésis en 1559, le territoire italien est l’objet de
conflits entre plusieurs grandes puissances, toutes désireuses de devenir maîtresses du pays.
Néanmoins, indépendamment des vicissitudes politiques, avec l’intrusion de puissantes monarchies
dans la péninsule, les centres urbains demeurent des pôles d’attraction économique importants.
D’une part, le poids économique de l’Italie est souligné par une forte démographie. Avec 51 villes
de plus de dix mille habitants, l’Italie est, en 1500, l’un des territoires les plus peuplés d’Europe519.
Derrière la France, qui compte 15 millions d’habitants en 1500, avec une densité de population de
3,5%, la péninsule italienne compte 10 millions d’habitants, avec un taux de densité de 2,4%520.
D’autre part, au XVIe siècle, une restructuration politico-sociale a cours avec le développement
d’une économie régionale, à la tête de laquelle se trouvent les membres de l’aristocratie et de la

517
Voir tous les livres de Tomislav Raukar, dont Prošlost Zadra, vol. III et Zadar u XV. stoljeću.
518
Le « modèle italien » prend naissance au XIe siècle sous l’impulsion d’entrepeneurs ambitieux qui mettent en place
les premières banques privées, qui s’organisent en sociétées commerciales, dont les cités marchandes fondent des
consulats pour le regroupement de leurs commerçants en « nation » dans les centres étrangers, et enfin, qui
internationalisent le commerce européen; voir tout le développent sur la diffusion des techniques italiennes dans le
monde et les différentes révolutions commerciales qu’ils ont suscité dans : R. Volpi, Mille ans de révolutions.
519
Paolo Malanima, « Italian cities 1300-1800, A quantitative approach », Rivista di storia economica 2, Anno XIV,
Bologne 1998, 91-125 (97).
520
Mc. Evedy, R. Jones, Atlas of Word Population History, Londres 1978.

553
bourgeoisie locale. Ces derniers contrôlent l’ensemble des activités commerciales sous toutes ses
formes (fiscalité, ravitaillement en biens de consommation, etc.)521.

Carte XIX : Les communes italiennes de l’Adriatique avec le découpage politique de l’Italie

Dans cet ensemble, la côte italienne orientale constitue une voie naturelle de communication
avec la Dalmatie (carte XIX). Les rives de l’Abruzze sont seulement à cent milles de Split et de
Šibenik, voire moins pour les îles522. Les échanges d’hommes (les migrations) et de marchandises
sont permanents. A la fin du Moyen Age, seuls les rapports géopolitiques ont changé. Trois entités
politiques se partagent l’Italie orientale. D’un côté, la République de Saint-Marc domine le nord du
pays et possède des colonies sur l’ensemble de la Méditerranée. De l’autre, deux ensembles sont

521
Salvatore Ciriacono, « Venise et ses villes. Structuration et déstructuration d’un marché régional (XVIe-XVIIe
siècle) », Revue historique n° 560, PUF Paris 1986, 287-307 (287-288).
522
C. Marciani, « Le relazioni », (19).

554
inféodés à une puissance venant de l’extérieur : les Marches et la Romagne sont rattachées au
patrimoine de Saint-Pierre, l’Abruzze et la Pouille forment le Royaume de Naples et deviennent
sujettes du roi d’Aragon en 1442.
Il s’agit dans cette partie de présenter les trois grands ensembles territoriaux italiens à partir
du XVe siècle, dans l’optique de leur partenariat commercial avec les deux villes dalmates étudiées.

a) Venise et la Vénétie
Au XVe siècle, grâce à son autonomie politique et économique, la République de Saint-Marc
représente une véritable cité-Etat523. Ce statut particulier se fonde sur plusieurs faits.
D’une part, son originalité politique et son expansion territoriale. Venise maintient, en effet,
une organisation étatique de type communal et urbain, tandis que des puissances monarchiques ou
princières s’établissent à ses frontières. La responsabilité gouvernementale de l’Etat revient à une
classe dirigeante oligarchique regroupée en Conseils. En outre, au XVe siècle, cette cité conquiert
un vaste territoire en Italie (onze villes de la Terra ferma524), à la frontière des Etats milanais,
florentin et autres. Cette conquête confère à Venise un territoire de 26.000 km², lui assurant le statut
de première puissance italienne. Elle acquiert également une grande partie du littoral adriatique
oriental (l’Istrie, la majorité de la Dalmatie – depuis 1420 – et certains ports albanais)525. Puis, la
République poursuit son expansion vers le Levant (Chypre, la Crète, Corfou, Zante et Céphalonie),
de sorte que la superficie totale de son domaine géopolitique atteint les 45.500 km²526.
La ville même comprend près de 100 à 150.000 habitants, voire 1.650.000 en 1548 et
1.700.000 en 1575, en ajoutant la population de la Terra ferma527. Cette expansion territoriale
permet l’exploitation économique et fiscale des zones assujetties et assure un positionnement
stratégique dans les réseaux commerciaux reliant les pays d’Orient à ceux de l’Europe occidentale.
Ces derniers éléments contribuent, d’autre part, au renforcement du pouvoir économique de
Venise. Durant la seconde moitié du XVe siècle, ses recettes annuelles représentent entre 1.100.000
et 1.220.000 ducats. Elles sont réparties de la manière suivante : 600 à 700.000 ducats proviennent
de la ville même, 320.000 ducats sont apportés par la Terra ferma et 180 à 200.000 ducats
proviennent des colonies. A la fin du XVIe siècle, ses recettes augmentent considérablement : entre

523
Le développement qui suit est repris de Jean Claude Hocquet, « Cité-Etat et économie marchande », Systèmes
économiques et finances publiques, dir. R. Bonnoy, Paris 1996, 67-86.
524
Treviso (1344), Vincenza (1404), Verona et Rovigo (1405), Padova (1405), le Frioul, Bellune et Feltre (1420),
Crema, Brescia et Bergamo (1426-1438); S. Ciriacono, « Venise et ses villes », (287).
525
J. C. Hocquet, « Cité-Etat », (61).
526
Vitorino Magalhães Godhino, « Venise : les dimensions d’une présence face à un monde tellement changé – XVe-
XVIe siècles », Venezia, centro di mediazione tra Oriente e Occidente (secoli XV-XVI), Aspetti e problemi, dir. H.-G.
Beck, Manoussacas, A. Pertusi, Florence 1977, 11-50 (26).
527
Ibid., (26-27).

555
deux millions et presque le double (de 1582 à 1620)528. Les recettes publiques de la métropole529
représentent l’un des revenus les plus élevés du monde grâce, tout d’abord, à son activité
industrielle. Son arsenal constitue la première industrie de l’Etat : au XVe siècle, la ville possède
300 navires avec 17.000 hommes, 300 navires avec un effectif total de 8.000 marins, quarante-cinq
galères avec 11.000 hommes530. L’habileté bancaire de la République est la seconde cause de son
succès531. Sa politique magnanime et dynamique lui permet de se maintenir sur la scène économique
encore à la fin du XVIe siècle, lorsque son influence politique décline532.
En Dalmatie, la République applique les mêmes principes de domination que dans la Terra
ferma. Dans le domaine politique, elle contrôle directement toutes les provinces par l’intermédiaire
de magistrats vénitiens (recteurs, comtes, capitaines). Les noblesses et bourgeoisies locales ne
disposent que d’une faible marge de manœuvre au sein de leurs Conseils. D’un point de vue
économique, le port de Venise gère l’ensemble des importations et des exportations de matières
premières et de produits finis533. En Dalmatie, le monopole sur l’exploitation du sel de Pag lui
assure plus de 40% des revenus coloniaux534.
L’apport économique de la Dalmatie à l’intérieur de son domaine colonial se révèle donc
important. Dans le cas de Split, cette domination subit toutefois une régression. A la fin du XVe
siècle, Venise absorbe 57% de son marché d’exportation. Durant la première moitié du XVIe siècle,
la République représente entre 37 et 49% des exportations splitoises. Puis, durant la seconde moitié
du siècle, sa part se réduit à 20% du marché global, soit une chute de 35% en moins de cent ans.
Dans le cas de Trogir, sur une moindre échelle de temps, l’évolution est similaire : en 1567-1568,
Venise occupe encore 52% du marché des importations, tandis qu’en 1575-1577 sa part est réduite à
19%.
L’Etat tâche donc d’imposer son monopole, attirant vers lui les productions des centres
économiques qu’il domine, en Dalmatie, tout comme en Terra ferma. Dans cette dernière région, la
laine, le coton, l’huile, les draps de laine doivent être commercialisés à Venise. La production de
luxe de ses villes va obligatoirement vers la République, même si les conditions de vente y sont
moins rentables535. A l’instar des villes de la Terra ferma, les cités dalmates tentent d’échapper à ce
contrôle rigide. Fortes de leurs rapports traditionnels avec d’autres centres économiques, elles
parviennent à détourner le flux des exportations hors de la République. Cette tendance s’accentue à
la fin du XVIe siècle. Il convient toutefois de modérer ce constat, car il s’agit partiellement d’un

528
Ibid., (28).
529
En 1492, elles chiffrent à 1.285.700 florins; J. C. Hocquet, « Cité Etat », (61).
530
Gino Luzatto, Studi di storia economica veneziana, Padova 1954, 37.
531
Ibid., 225-235.
532
Réflexion de F. Braudel, Autour de la Méditerranée, dans « La vie économique à Venise au XVIe siècle », 391-405.
533
S. Ciriacono, « Venise et ses villes », (288).
534
Sur les 180-200.000 ducats provenant des colonies, Venise perçoit annuellement 80.000 ducats sur le sel pagois.
535
S. Ciriacono, « Venise et ses villes », (289-290).

556
leurre. D’une part, Venise conserve le monopole sur le sel dalmate, qui lui assure de très forts
revenus, et accessoirement sur la chaux. D'autre part, ces transports maritimes de marchandises sont
réalisés par des entrepreneurs privés. Lorsque Venise, en accord avec la Porte, met en place l’escale
de Split, en cette même fin de siècle, elle s’assure à nouveau le monopole des importations des
marchandises venant de l’Orient. Il convient donc de distinguer les entreprises économiques locales
des particuliers, de la politique étatique d’envergure internationale. Cette dernière est organisée par
deux puissances, Venise et la Porte, menacées économiquement par l’intrusion des Etats
occidentaux dans les eaux méditerranéennes.
Cela explique, par ailleurs, l’implication modérée des marchands vénitiens dans le trafic
dalmate : à Zadar, trois commerçants vénitiens seulement fondent une association commerciale en
ville durant les XVe-XVIe siècles. Certains s’installent durablement, tels Francesco Bianco qui
achète un navire auprès de Šime de Soppe et de Stjepan Negro de Zadar en janvier 1507536,
Michaelo de Zeta qui commandite en 1509 la construction d’une marciliane auprès du calfat
zadarois Šime Krelić, contre 55 ducats537, Bastieno Nicolo de Venise, marchand à Zadar qui prend
en location un terrain viticole en mars 1557, et Antonio Giovanni de Venise, épicier à Zadar, qui
apparaît comme témoin dans un accord commercial d’octobre 1559538. A Split, la part des
transporteurs vénitiens est faible (1,5 à 14%). Suivant les périodes, ils représentent entre 7 à 22%
des commanditaires et des marchands autonomes à sortir du port de Split. En outre, leur présence
diminue vers la fin du siècle539.
Les Vénitiens s’appuient de préférence sur les marchands locaux ou chargent des
intermédiaires d’intervenir en leur nom pour l’acquisition des biens de consommation. Ainsi en
1533, le droguiste Šime Bonamini et le marchand vénitien Alviso Stelo engagent deux courriers
pour l’approvisionnement en froment de l’Empire ottoman à partir de Zadar. Nicolo Domenico
Roberto de Pesaro et le Bosniaque Bernard Romanello de Ključ commandent 2.000 quarts de
froment à la grande mesure zadaroise (soit 416,6 hl) auprès de Petar Najčinović, « sujet du
Sérénissime Empire turc ». Il doit transporter ce froment sur la rivière de la Karinšćica, à ses frais,
jusqu’à Zadar et le faire consigner dans les huit jours. Pour leur part, les acheteurs doivent le payer
dans les vingt jours à raison de 4 livres 15 sous/quart. Cela représente un total de 72 sequins
vénitiens (à raison de 7 livres 12 sous le sequin) et de 128 écus d’or vénitiens. De plus, le riche
marchand zadarois Antun Venturino se porte garant de Petar auprès des deux commissaires540. En
1555, un agent du comte vénitien de Zadar, Sachman Gliegevar (!), s’adresse au marchand Franjo

536
S. Gunjača, « Repertorium actuum », (270).
537
Ibid., (346).
538
DAZd, Conte Johannes de Morea, B. I, F. I/4, f° 142’, 185’.
539
Ils sont douze en 1503-1504, 29 en 1515-1517, quinze en 1528-1530, cinq en 1557-1560 et neuf en 1580-1583.
540
DAZd, Conte Augustinus Martius, Instrumenti, B. I, f° 1-1’.

557
Venturino, fils de feu Antun, pour acquérir des toiles, des tapis et du carisé de luxe (douze ducats la
pièce) provenant de Venise. La valeur totale de la commande atteint 174 ducats 3 livres 10 sous541.
Quelques marchands vénitiens s’impliquent néanmoins dans les branches surveillées du
commerce, plus particulièrement dans le trafic des céréales et du sel. En 1444, le Vénitien Pascalo
Nicolo Rizo finance l’entreprise de Masio Colo Matheo de Franca Villa, procurateur de son
compatriote Silvestro Covelli. Masio achète 900 muids de sel (près de 73 tonnes) auprès des
marchands Nikola et Grgur de Venturino à Pag. Les deux frères doivent transporter cette cargaison
dans l’Abruzze et seront payés par Pascalo à leur arrivée542. En février 1519, le Vénitien Francesco
Veneto et le Zadarois Jeronim Tomasović vendent 102 setiers d’orge (près de 85 hl) au patricien
Franjo Šime Marči de Šibenik pour 34 ducats543. En 1554, le commerçant Francesco de Albertis, ad
presens Jadre habitatori, semble durablement installé en ville puisqu’il loue pour quatre ans une
maison en pierre dans le quartier Saint-Stéphane en mars auprès de Šime Vukotić. La nature de ses
affaires n’est pas précisée544. En décembre 1556, le Vénitien Pietro Marco Francesco est le
procurateur du patricien pagois Ivan Karić. Ce dernier a acheté 100 muids de sel (333 hl) à Split et à
Omiš, pour une valeur de 200 ducats, auprès de l’Office du provéditeur. Pietro Marco est alors
chargé de comparaître devant le provéditeur du sel à Venise pour confirmer cette vente. Les
dépenses de voyage ont été partagées entre l’Office et Ivan545.
D’autres ressortissants italiens de la Vénétie sont encore actifs. Au XVe siècle, un homme
d’affaires de Verona fonde une société à Zadar. Un autre Véronais, Galvano Pelegrini, vend une
caraque au Zadarois Jakov de Liparelo, pour 27 ducats, le 2 décembre 1441. De plus il lui concède
un prêt « gratuit » de 10 livres à rendre avant Noël546.
A Split, plusieurs ressortissants de la Vénétie et du Frioul se chargent en partie
d’approvisionner leurs marchés locaux. Ils participent également aux activités de cabotage en
Adriatique dès le début du XVIe siècle. Deux Véronais s’attachent uniquement à l’importation
d’articles dalmates vers Venise. En avril 1530, Giovanni de Geronimo s’associe à Vincenzo
Morello de Chioggia pour importer 445 fromages, tandis que Nicolo dal Cavaletto apparaît comme
un négociant en animaux d’élevage. En trois voyages (juillet, novembre et décembre 1557), il
conduit douze génisses et vingt-six équidés vers Venise et vers sottovento, sur les navires de
Dalmates orientaux et d’Albanais (Nikola et Rado de Kotor, Juraj Beriša de Bar). Il est donc
possible qu’il se soit rendu dans les ports de ses transporteurs, le nord de l’Albanie vénitienne étant
une importante place d’échanges de chevaux.

541
DAZd, Conte Johannes de Morea, Instrumenti, B. I, F. I/4, f° 65’.
542
DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. II/10, f° 431.
543
DAZd, Simon Curenichius, B. I, F. II², bastardello, f° 11.
544
DAZd, Conte Johannes de Morea, B. I, F. I/3, f° 25.
545
DAZd, Gabriel Cernotta, B. I, F. II, f° 13’-14’.
546
DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. I, f° 219’.

558
D’autres commerçants appartiennent à la même sphère géographique. Ils se bornent en
majorité à importer des articles dalmates vers leur ville d’origine. C’est le cas de Domenico Zechire
de Grado, qui importe du fromage en 1516. De même, quatre hommes d’affaires vivant à Caorle,
approvisionnent ce centre dans les années 1515-1517. Giacconmo Minius de Buran de Caorle
importe 150 fromages, quatorze tonneaux de sardines et 286 kg de bitume. Antonio de Brescia,
habitant à Caorle, transporte une cargaison similaire : 430 fromages, 238,5 kg de bitume et de la
rasse. Bernardo et Giaccomo Manio Cemonuntio s’associent pour l’affrètement de cinq miers de
fromage. D’autres entrepreneurs ne se bornent pas à la seule activité d’approvisionnement local.
Ainsi, Giovanni Passara de Trieste transporte trois équidés et quatre-vingt-sept chapons vers le
littoral italien en 1558. Luca de Giorgio d’Udine est le seul à exporter sa marchandise, constituée de
pièces de draps (vraisemblablement italiennes) et de peaux de bœufs (trente), vers la Dalmatie.
Les négociants de Chioggia547 sont, de loin, les plus nombreux, après les Vénitiens. Sur les
trente-trois hommes recensés, plus de 45% d’entre eux jouent le rôle de transporteur pour le compte
de leurs compatriotes, de Dalmates et d’Italiens d’horizons divers (Bergamo, Vasto et Verona).
Quinze d’entre eux (à nouveau plus de 45%) voyagent à leur compte, le plus souvent une seule fois.
Ils transportent à l’occasion la cargaison d’un autre commerçant. Andrea Bonaldo de Chioggia est
le plus entreprenant de tous. En trois voyages, de juillet 1515 à mai 1517, il importe vers Venise
plus de cinquante-quatre peaux, deux cent dix fromages, plus de trois cents tonneaux de figues, du
cordouan et un peu de vin. De plus, il sert de transporteur à Franjo Petrić de Brač (en juin 1516), à
Antun Cavogrosso de Split et à Juraj Radektić (en mai 1517) pour se rendre à Venise. Certains
Chioggotti sont regroupés en familles. Ainsi, Francesco Mazagallo effectue trois voyages entre
octobre 1515 et juin 1516. Il importe plus de 677 tonneaux de figues, huit tonneaux de miel, 126
tonneaux de sardines, 165 peaux de moutons et six fromages vers Venise – dont une livraison pour
le commanditaire Rosso Randolpho de Chioggia. Son parent, Luca Mazagallo, importe également
cent trente tonneaux supplémentaires de figues en novembre 1516. La famille Nordio de Chioggia
est la plus impliquée dans le négoce splitois. Elle comprend trois membres : Viso, Giovanni-Maria
et Vincenzo. Giovanni-Maria dirige le navire pour le compte de Viso en août 1581, avec une

547
L’industrie salinière de Chioggia commence au XIIe siècle, culmine au XIIIe, entre en crise durant la première moitié
du XIVe siècle et s’éteint au XVIe siècle, lorsqu’il ne reste plus qu’environ 160 salines en 1531, exploitées par une
main-d’œuvre de moins en moins qualifiée. Tout comme à Pag, Piran ou Corfou, l’exploitation du sel de Chioggia est
soumise à la politique de monopole commercial de Venise; cette dernière s’assure notamment les 4/5e de la production
annuelle au XVe siècle et promulgue des mesures restrictives pour contrer en outre la contrebande croissante. La cité
mène par ailleurs une culture agricole intensive constituée de productions viticole, potagère et fructifère. Avec la
chasse, la pêche est une activité économique de première importance. Le poisson est pêché dans les eaux côtières, mais
surtout dans les zones lacustres et lagunaires, la pêche en haute mer ne prenant son essor qu’à la fin du XVIe siècle. La
production artisanale, quant à elle, est concentrée sur la fabrication d’outils et ustensiles nécessaires à la construction
navale et se limite surtout à subvenir aux besoins locaux. Les voies commerciales de Chioggia relient par mer et par
fleuves la Lombardie aux marchés de la vallée de Padoue et le Polesine au bassin de l’Adige. Son commerce reste
néanmoins freiné par le monopole de l’oligarchie vénitienne sur les activités marchandes en Adriatique; Sergio Perini,
Chioggia al tramonto del Medioevo, Sottomarina (VE) 1992, 101, 114, 130-131, 137-138, 146, 158-159, 166, 173.

559
cargaison de dix-neuf miers de fromage, vers sottovento. Vincenzo utilise les services de deux
autres compatriotes, Filleto Borgan et Iseppo, afin de conduire 652 pièces et 700 livres de fromages,
ainsi que 1.100 tonnelets de figues vers la même destination. Citons encore un Grec, Persian de
Chioggia, qui transporte les cargaisons de deux Vastesi (Lorenzo de Cittan et Visandro de Nardo)
en juin et en octobre 1581, ainsi que celle de Colino Pelegrini Spina en direction de sottovento. Il
semble spécialisé dans le transport des équidés (cinquante-cinq en trois fois), l’un des secteurs les
plus rentables de la fin de siècle.
Les commerçants de Lombardie, région réputée pour son industrie lainière, participent
également aux échanges avec le port de Split. Durant la première moitié du siècle (entre 1503 et
1530) figurent sept commerçants de Bergamo : Pietro Raymondo (en tant que patron de Petar
Milošić de Hvar), Donato de Vivien (commanditaire auprès de Thomas de Malta habitant à Venise),
Geronimo (commanditaire de Georges Cavedisti), Giaccomo de Varis (commanditaire de Marko de
Zadar), Antonio de Philippo (associé à Marko Auguste de Brač), Christopho (avec Domenico
Sancho de Chioggia) et Simon de Giovanni (qui voyage seul une fois). Deux marchands, Antonio
(en février 1515) et Valentino (en février 1559), viennent de Brescia, mais le premier vit à Caorle.
Quatre entrepreneurs de Crema sont également présents durant la première moitié du siècle (entre
1515 et 1530) : Nicolo de Benedesto, Vincenzo, qui habite à Venise, Jacomin et Geronimo. Un seul
vient de Mantova et réalise un voyage en mars 1581, en tant que transporteur de Mišo Sijerčinić.
Les activités de ces quelques entrepreneurs de la Vénétie, du Frioul et de la Lombardie,
illustrent en partie la nature des échanges réalisés entre le littoral dalmate et Venise. La République
et sa région importent des matières premières de l’arrière-pays dalmate, les produits d’élevage et
agricoles, et des têtes de bétail. Elles absorbent également une partie des articles manufacturés
d’origine dalmate et montagnarde (schiavine548, artisanat « turc » ou « morlaque »), redistribués par
Zadar et Split.
Venise et sa Terra ferma exportent en échange leur production de luxe (glaces, miroirs,
sucre, orfèvrerie, savon, riz, soie, draps luxueux et épices549) pour les besoins artistiques550 et
vestimentaires de la population dalmate aisée : patriciens, hommes d’affaires roturiers et membres
du clergé551. Le commerce des draps est, entre autres, une entreprise fructueuse. Les draps italiens

548
En 1520, le Conseil commercial de Venise intervient auprès du comte de Zadar, Pietro Marcello, en lui envoyant une
lettre de subvention pour un certain Rado Dalp. Ce dernier a une de dette de vingt livres auprès du Valaque Ivan,
contractée, notamment, pour l’achat de deux schiavine. Le Conseil lui finance cette dette; DAZd, Conte Pietro
Marcello, B. II, Citazione e sentenzie, f° 338’.
549
A. Krekich, « La Curia », doc. 6, 161-162.
550
En 1442, le franciscain Petar de Pag commande à l’orfèvre Dujmo Ivan Matafarić une croix en argent, avec la
représentation des quatre évangélistes, d’un poids total de dix-huit onces. Une fois la croix terminée, elle doit être
dorée. Dujmo reçoit une avance de 36 livres pour l’achat de l’argent (en calculant 2 livres/once d’argent). Il doit être
payé ensuite 12,6 livres pour son travail (14 sous/once de la croix); DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. II/3, f° 132’.
551
En 1545, par exemple, l’archevêque de Zadar, Franjo de Grisogonis, en tant que procurateur de Pelerin Ivan Batist
de Zadar, commande des articles luxueux (un vêtement en damas noir – saggio –, une coiffe de toile noire, 58 m de toile

560
aux couleurs chatoyantes, en provenance de Verona, de Ferrara et d’autres villes, sont vendus à
raison de 3 livres 10 sous/coudée, voire 5 livres pour les draps fins verts et blancs552. Les drapiers
zadarois s’avèrent être parmi les habitants les plus riches de la ville553. Le drapier Franjo Venturino,
fils d’Antun, est notamment le fournisseur en draps du comte de Zadar en 1555554.
Par un nouveau décret de décembre 1551, la République persiste à vouloir contrôler le flux
des productions dalmates, en interdisant le trafic entre les deux rives555. En réalité, les rapports entre
les deux régions maritimes de part et d’autre de l’Adriatique se poursuivent. Ils sont non seulement
traditionnels mais également logiques. De sorte que ce courant prend une ampleur encore plus
importante vers la fin du XVIe siècle, à travers le phénomène qu’illustre l’expression « aller vers
sottovento ».

b) Le patrimoine de Saint-Pierre
Dans ce vaste ensemble, les Marches et la Romagne constituent les vis-à-vis directs des
centres dalmates. En dehors de la courte période de pouvoir de Francesco Sforza, les Marches sont
conquises par le Saint-Siège. Au milieu du XVIe siècle, seul le duché d’Urbino556, avec Pesaro et
Senigallia, reste en dehors du Patrimoine de Saint-Pierre jusqu’en 1631. Cette région possède une
riche tradition agricole, notamment de culture du froment557. La Romagne comprend les provinces
de Forli, de Ravenna, de Ferrara et de Bologna. Après les luttes entre Venise, les Français et la
famille papale, la région redevient propriété pontificale en 1512558. Dans cette région, la papauté tire

blanche et une bague en or sertie d’une pierre de calcédoine) de Franjo Mišo Cerdonis de Nin, habitant à Venise. Ces
marchandises se trouvent en dépôt chez l’épicier vénitien Fermo; DAZd, Johannes de Morea, B. I, F. I/1, f° 9.
552
En 1411, le drapier Jakob, fils de feu Ivan, vend 23 m de draps divers, dont trois mètres de draps de Verona, au prix
de 127 livres 3 sous, à un membre de la famille Grisogonis; DAZd, CC&M, T. de Prandino, F. 9, f° 9’-10’. Un an plus
tard, le drapier Ivan, fils de feu Juraj, vend douze coudées (huit mètres) de drapi beretini de Feraro (à raison de trois
livres dix sous la coudée) au patricien zadarois Marko de Civallelis; ibid., f° 11’-12.
553
Un accord est conclu en 1442 entre Petar Venturino Paxini de Zadar et son gendre Petar Maručić de Cvitko,
marchand de Zadar. Ils détiennent en collegancia une boutique de draps sur la place zadaroise centrale, d’une valeur
originale de 1.300 ducats. Petar Venturino vend sa part de la collegancia : un tiers des draps, toiles et autres
marchandises à son gendre, un tiers à sa fille Nikolota Maručić et un tiers à son fils naturel Vintur de Venturino. Petar
Maručić promet de payer son beau-père pour les deux tiers des marchandises, soit un total de 2.000 ducats, durant dix
ans, à raison de 133 ducats 1 livre 18 sous par an. Vintur de Venturino doit payer son tiers en dix ans également, à
raison de 66 ducats 3 livres 16 sous par an, son beau-frère Petar étant son garant; DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F.
I/2, f° 55’-57’. La valeur totale de cette boutique est donc de 2.666 ducats. De plus, l’étendue de leur entreprise est
vaste, car ils peuvent conclure le paiement de l’affaire dans de multiples lieux : en Dalmatie (Zadar, Šibenik, Trogir,
Split et Dubrovnik), en Albanie vénitienne (Kotor), en Istrie (Piran), sur le Littoral croate, à Venise et dans les Marches.
554
En septembre 1555, un agent du comte, Sachman Gliegievar, s’approvisionne en draps auprès du doge de Venise par
l’intermédiaire de Franjo Venturino. Il dépense 10 ducats en toile (à raison de 11 et 12 sous la coudée de toile), 7 ducats
pour deux tapis et 157 ducats 3 livres 10 sous en toile de carisé; DAZd, Johannes de Morea, B. I, F. I/4, f° 65’.
555
C. Marciani, « Le relazioni », (17).
556
Cette ville septentrionale des Marches développe une culture intensive des céréales. En 1443, le pape Eugène IV
détient le titre de duc d’Urbino. Ses successeurs sont les ducs della Rovere jusqu’en 1631; Enciclopedia Italiana, Topo-
Ved – XXXIV, Rome 1937, 776-779.
557
Ibid., Malc-Messic – XXII, Rome 1934, 219-237.
558
Ibid., Reh-Romani – XXIX, Rome 1936, 928-937.

561
la majorité de ses revenus de trois sources principales : la taxe frumentaire, la taille et le monopole
sur le sel de Cervia559.
Tandis que les Ragusains semblent principalement présents aux foires de Recanati560 et à
Ferrare, les Splitois et les autres Dalmates privilégient leur présence économique avec Fermo,
Pescara et Ravenna. Ancona est le pôle d’attraction de tous les hommes d’affaires dalmates.
- Ancona
Ville papale, Ancona représente le principal port d’accès à la mer Adriatique du Saint-Siège.
Avec Dubrovnik, elle est l’un des rares centres ayant conservé son autonomie politique, (au moins
jusqu’en 1532, date à laquelle elle est entièrement intégrée à l’Etat papal). Les deux villes sont
d’ailleurs des partenaires commerciaux privilégiés de longue date561. Leurs accords mutuels562
montrent clairement que les Ragusains assurent la majorité des transports pour le compte de ce port.
Ils véhiculent de l’or, des pierres précieuses, des monnaies d’argent, des « marchandises du Levant
ou hors du Golfe », des draperies, de l’huile, du vin et du sel.
La ville dispose d’une activité industrielle de fabrication de savon importante dès la fin du
e
XIV siècle. Aussi, la cendre de savon et le savon sont les articles d’exportation les plus
fréquemment mentionnés dans les contrats563. Le froment et les produits agricoles en provenance de
son arrière-pays et de la Romagne complètent son offre du marché d’exportation. Qui plus est, le
port sert d’escale de transit pour les draps florentins et les toiles frustes de la région et des
Balkans564.
Son indépendance économique et politique lui permet d’étendre son territoire agricole, de
voir sa population s’accroître et de mieux assurer la sécurité de ses voies de communication. Le
volume commercial du port d’Ancona est vingt fois moindre que celui de Venise. Pourtant, de la fin
du XIVe à la première moitié du XVe siècle, Ancona compte des représentants consulaires sur

559
A la fin du XIVe siècle, ces taxes s’accroissent avec la crise politique. En 1371, les revenus sont à Rimini 593 livres
bolognaises 6 sous 8 deniers (la frumanteria) et 14.500 livres (la tallia), à Ravenna 350 livres bolognaises, 4 sous 10
deniers (frumantaria) et 3.900 livres (tallia). La taxe du sel à Cervia fournit un revenu de 23.000 livres bolognaises;
John Larner, The Lords of Romagna, romagnol society and the origins of the Signorie, New York 1965, 220-222.
560
Ville des Marches dont la production agraire est constituée de fruits (figues), de raisins, de vignes et de blés. Elle
possède également un élevage de bovins et de porcins, ainsi qu’une industrie de la soie; Enciclopedia, Porti-Reg –
XXVIII, Rome 1935, 952-953.
561
Entre 1372 et 1385, le trafic Ancona-Dubrovnik constitue la relation commerciale la plus active de l’Adriatique.
Plusieurs accords de privilèges mutuels sont signés entre les deux villes durant cette période; E. Ashtor, « Il commercio
levantino », (220).
562
En 1436 et en 1440, elles signent deux nouveaux accords commerciaux qui leur assurent des allégements de
paiement des taxes. Dans certains cas, les Ragusains sont traités comme les citoyens d’Ancona. Ils ne payent alors
qu’entre 3% et 5% de la valeur des articles (suivant les marchandises et suivant leur provenance). Les deux accords
contiennent vingt-six articles déterminant dans le détail les taux différenciés à payer selon la finalité du transport
(importation-exportation ou transit); Jovan Radonich, « Dubrovačka akta i povelje », Zbornik za istoriju i književnost
srpskog naroda, vol. III, Belgrade (1934), 340-496, (364-368).
563
E. Ashtor, « Il commercio levantino », (219). Les Ragusains peuvent embarquer sur les naves anconitaines et
réciproquement. Ancona s’assure surtout l’importation des céréales : les Ragusains doivent vendre exclusivement le blé
et les légumes à ses citoyens. Ces accords montrent clairement qu’Ancona privilégie son rôle de port de transit.
564
Rosario Pavia et Ercole Sori, Le città nella storia d’Italia : Ancona, Bari 1990, 13-16.

562
l’ensemble du pourtour méditerranéen (Constantinople, Famagouste565, Alexandrie – premier
consulat dès 1386566, Chios, Syracusa, Barcelona et Valencia)567. Ainsi, au début du XVe siècle, des
marchands anconitains sont implantés dans le port d’Alexandrie et la ville de Damas. Ils demeurent
cependant en grande infériorité numérique face aux Génois et aux Vénitiens568. Néanmoins,
jusqu’en 1453, les relations commerciales d’Ancona avec l’Orient musulman sont assez
régulières569. Dans les années 1430-1440, un navire part en direction d’Alexandrie une fois par an.
Ancona y exporte de l’huile, du savon, du papier, des étoffes, du plomb, du miel, du safran, des
coraux et des joyaux. En retour, les naves anconitaines sont chargées de coton, de sucre, d’épices et
d’esclaves (de Constantinople)570. En 1493, les autorités d’Ancona établissent la foire de mai – sans
doute en rapport avec la Saint-Cyriaque – du 7 au 23, avec l’affranchissement du paiement des
taxes et de la gabelle huit jours avant et huit jours après le jours de la fiera. Toutefois, les
marchandises venant du Levant et hors du Golfe sont taxées de seulement 2%, à moins qu’elles
aient transitées d’abord par Venise, le bulletin de cette ville en faisant foi. Une trentaine d’ordres
font encore suite571. En 1519-1520, la Cour papale intervient pour dénouer le conflit opposant
Recanati et Ancona autour de leurs foires respectives. Les deux communes se font concurrence, les
pèlerins de Loretto sont importunés en août, ainsi que les marchands étrangers par leurs
sollicitations intempestives à venir à leurs foires qui se déroulent en même temps. Le pape Léon X
décrète donc que Recanati doit organiser sa foire du 1er septembre au 15 octobre, tandis qu’il est
interdit à Ancona d’appliquer des affranchissements de douane durant toute la période allant du 15
août au 15 octobre572.
Les années 1520 sont aussi marquées par diverses tractations avec la Porte. En octobre 1520,
Soliman II confirme la capitulation (ahdname) de Selim Ier, selon laquelle les Anconitains peuvent
payer les mêmes taxes douanières que les Ragusains – privilège repris en octobre 1587 par un
ferman de Murat III. Six ans plus tard, les autorités d’Ancona demandent au sultan qu’il interdise à
ses marchands de se rendre à Recanati, car ils se font voler par les brigands locaux, et qu’il les

565
Cette possession génoise contient à l’époque la plus grande colonie d’Anconitains : des marchands, des boutiquiers,
des artisans et des juifs anconitains, jusqu’au siège des Catalans en 1442; E. Ashtor, « Il commercio », (230).
566
Ibid., (221).
567
R. Pavia, E. Sori, Le città nella, 13-16.
568
De 1400 à 1456, leur nombre tombe de quinze à deux marchands dans le premier centre, à Damas ils sont trois
marchands en 1413, puis ils disparaissent en 1455; E. Ashtor, « Il commercio », (225-226).
569
Des associations ad cambium sont régulièrement enregistrées pour des voyages à Péra, Jaffa, Galipoli,
Constantinople et Beyrouth dans les actes notariés de Tommaso Marchetti dans les années 1440, par exemple; ASAN,
Atti notarili n° 114, B. II, F. IV-VI. De même, chez le notaire Antonius Johannis magister Jacobus de Ancona, plusieurs
contrats ad gambium sont signés, notamment entre Anconitains et Ragusains, pour des voyages à Rhodes, Beyrouth,
Alexandrie et la Syrie en générale, durant les années 1444-1453; ASAN, n° 72, B. I, F. I-VIII.
570
E. Ashtor, « Il commercio », (227-230).
571
ASAN, ACAN n° 2772, Sopra la fiera di maggio de Ser Angilo cancelario 1493 insino 1503, Capitoli della
Franchigia per la Fiera di maggio, f° 1-47’.
572
ASAN, ACAN Pergamen n° 20 et 22 (14.X.1519, 09.X.1520).

563
incite plutôt à se rendre à la foire d’Ancona573. De fait, Soliman II s’adresse aux sandjaks de Vlorë,
Shkodër, Durrës, Herceg Novi, Janina, Larta et aux autres ports de la Romanie pour leur ordonner
de se rendre à la foire d’Ancona plutôt qu’à celle de Recanati574.
Après le sac de Rome en 1527, la position politique de la ville vacille. Le territoire
anconitain passe en alternance sous le pouvoir des troupes impériales et des troupes françaises.
L’Etat pontifical tient à assurer la défense et le contrôle de son territoire. Il munit la ville d’une
forteresse imposante. Ainsi, tout comme Zadar, Ancona n’est pas seulement un centre commercial,
mais également une base militaire, tournée à la fois contre les Turcs et contre les Occidentaux575.
Toutefois, en ce même XVIe siècle, la ville devient un centre de redistribution du sel de
dimension internationale. Des arrivages de sel espagnol sont réexportés vers le Milanais et les
cantons suisses. Durant près d’un demi-siècle (de 1520 à 1570), Ancona bénéficie des difficultés
rencontrées par Venise (la déstabilisation de son commerce du sel). Elle développe ainsi un transit
important de sel en provenance de Dubrovnik et de Barletta, pour ensuite le redistribuer sur
l’ensemble des pays italiens, en particulier vers l’Etat de Milan. Cependant, dans la mesure où les
transports sont effectués sur des navires étrangers (essentiellement des navires vénitiens, zadarois et
ragusains), ce port est considéré comme un « port passif ». Outre les transporteurs ragusains, de
nombreux commerçants florentins participent activement à l’approvisionnement des Marches et de
l’Abruzze en sel. Ils agissent aussi bien en tant qu’agents du roi d’Aragon, en tant que commissaires
du pape Léon X ou bien au nom du duc d’Urbino. Ils se rendent à Brindisi, autre centre de
production de sel, emploient des navires ragusains et réexportent le sel vers le Patrimoine de Saint-
Pierre et vers les Etats aragonais576.
Le commerce du textile et des peaux, enfin, représente le troisième volet important du
développement commercial de la ville. Alors qu’à la fin du XVe siècle le niveau économique
d’Ancona se réduit à l’échelle régionale, une nouvelle voie de transit des textiles et des peaux est
organisée en passant par ce port, grâce à son emplacement sur l’axe routier vers l’Italie centrale et la
réduction des taxes douanières. De sorte qu’après les années 1520, Ancona devient un centre
international de redistribution des tissus, important les peaux et exportant des vêtements. Sur place,
le marché anconitain attire les commerçants florentins, ragusains, grecs et même turcs, avec des

573
Sur les huit rouleaux manuscrits de l’Empire ottoman écrits en turc, le premier (mois de zilkade 926, octobre 1520),
l’annexe 1a (mois de dzemaziulevvel 995, octobre 1597), et le deuxième (mois de dzelaziulahir, mars 1526). Les
troisième et quatrième reprennent le contenu du second manuscrit et le cinquième est un privilège aux marchands
espagnols, français, anglais et portugais du sultan qui doit leur être remis par l’intermédiaire des pouvoirs anconitains –
est-ce à dire qu’ils voyageront sur les navires des Anconitains ? Ils peuvent payer les mêmes taxes douanières comme
les Ragusains (mois de Safer 931, novembre 1524). La traduction succincte des rouleaux a été réalisée par le turcologue
Nenad Moačanin, auquel j’exprime ici ma reconnaissance.
574
Pergamene di Solimano II, ACAN 74 bis (traduction italienne).
575
R. Pavia, E. Sori, Le città nella, 21.
576
Jean-Claude Hocquet, « Commercio e navigazione in Adriatico : porto di Ancona, sale di Pago e marina di Ragusa
(XIV-XVII secolo », Atti e memorie, Nuova serie Anno 82° Ancona 1977, 221-254, (222, 240-241, 244).

564
marchandises anglaises (le carisé – kersey ou encore panni di Londra) et italiennes (les tissus de
luxe), qui sont ensuite exportés vers Dubrovnik, Herceg Novi et Vlorë, et plus généralement vers les
Balkans. Cependant, à même titre que le trafic international du sel organisé à Ancona est le fruit
d’une impulsion étrangère, le développement de son marché des textiles vient également de
l’extérieur. Les entrepreneurs anconitains ne sont pas les instigateurs de ce mouvement, tout au plus
en profitent-ils. En réalité, les hommes d’affaires florentins, et une fois de plus les Ragusains, se
tiennent à la base de l’organisation de cette expansion commerciale, qui atteindrait son apogée dans
les années 1540-1550577. Le trafic se prolonge dans les années 1560 : pour ce qui est du textile, les
Ragusains Benedikt Gundulić et Franjo Zuzorić déclarent régulièrement non seulement des tissus
divers qu’ils importent à Ancona, mais aussi des épices (poivres et sucres), de la cire, des cuirs et
des pelotes de fils. Le port est encore animé par des Turcs (tels que Ali, Ibrahim, Kassem, Cogia
Mahmut, Bachone, Tercat), ainsi que par des Arméniens (Cheder Giordanno, Simon, Zaffer), les
Français Pierre Rovelaschi et Joseph de Francia et quelques Grecs, qui débarquent dans le port de
Saint-Cyriaque avec des ciambelotti, de la soie, du cordouan, des chandelles, des peaux et des cuirs,
du coton, tandis qu’à l’inverse, les Dalmates extraient de la ville d’autres tissus et notamment du
carisé578. De sorte qu’Ancona apparaît à nouveau comme le réceptacle passif d’un circuit
commercial international. Lorsque les courants d’échanges internationaux se modifient, la ville
retourne, au XVIIe siècle, à son niveau économique du XVe siècle, d’importance régionale579.
Durant sa période d’expansion, Ancona entretient des liens étroits avec les villes de la côte
adriatique orientale580. Les Anconitains obtiennent des franchises et en donnent en retour. Outre une
importation de bois et de cuivre originaires du Littoral croate581 destinés à être redistribuer vers le
Levant582, Ancona s’approvisionne en poissons, en vin, en étoupe, en cordouan, en rasse, en bitume,
en laine, en cire, en fromages d’Istrie et de Dalmatie, ainsi qu’en soie de l’île de Rab, en échange de
quantité de biscottes et de quelques savons583.
Que les sources soient splitoises ou anconitaines, les relations avec Split sont peu
significatives (quelques voyages dans les années 1557-1560 et 1562-1563). Du port de Split, cette
commune y exporte surtout des chevaux, des peaux et des chapons. Du port d’Ancona, les Splitois
en emportent de l’ail, des biscottes, des draps, du carisé et du lin, en échange de boldroni, de
577
Peter Earle, « The Commercial Development of Ancona, 1479-1551 », The Economic History Review, vol. 22,
Bristol (avril 1969), 28-44.
578
Résumé des registres ASAN, ACAN n° 1573 (1562) et ACAN n° 1574 (1563).
579
P. Earle, « The Commercial », (43-44).
580
En 1510 encore, les Ragusains ouvrent un consulat à Ancona; Josip Lučić, « Prilike u Dubrovniku 1510. do 1514. i
ustanak na Hvar », Radovi instituta za Hrvatsku povijest, vol. 10, Zagreb (1977), 357-378.
581
En 1551, les plaques et pièces de cuivres et les pièces de bois équarris (planches, cercles de tonneaux, planches à
enfourner, sièges, etc.) viennent de Rijeka; ASAN, ACAN n° 126, Cartolario 1551, f° 2, 4, 41’, 42, 46’, 47’, 65, 83. En
1562, les pièces de bois viennent de Rijeka et Senj et celle de cuivre d’Ossor; ASAN, Quarto 1562, f° 25’, 77, 153’. En
1563, à nouveau, les pièces de bois coupé viennent de Rijeka, mais en moindre quantité; ASAN, Quarto 1563, f° 15.
582
E. Ashtor, « Il commercio », (232).
583
ASAN, Cartolario 1551, Quarto 1562, Quarto 1563.

565
chandelles de suif, de cuir et de fromage salé. Toutefois, des Anconitains pénètrent le marché
splitois, afin de trouver à meilleur prix ses articles commerciaux. Certains s’installent dans la ville
même. C’est le cas, dans les années 1510, de Marco d’Ancona. Son activité locale ne nous est pas
connue. En revanche, il réalise plusieurs départs vers des destinations diverses. En novembre 1511,
notamment, il exporte soixante-treize tonneaux de figues, du vin, de la rasse et des sardines, sur le
navire de Nicolo de Malamocco, vers Venise. En mars 1517, il effectue un court voyage vers Hvar
avec un tonneau de clous sur le grip de Marko de Brač. A la fin des années 1520, Giorgio
d’Ancona, fils de feu Gregorio, demeure également à Split. Avec six départs entre décembre 1528
et mai 1530, il est le plus entreprenant des Anconitains. En dehors de trois voyages en solitaire, il
sollicite les services du Splitois Jeronim Manzan, de Petar Herba de Korčula et de Jakov Remer. Il
exporte au total plusieurs tonneaux de cire, des chandelles, des peaux, de la rasse, du cuivre, du vin
vers Venise, ainsi que quarante-cinq balles de schiavine vers Termoli. Flamino Guidi d’Ancona est
présent dans les années 1580. Il entreprend de joindre la rive adriatique occidentale avec trente
équidés en trois voyages. En dehors de ces quelques « personnalités », cinq autres Anconitains
réalisent un aller-retour entre Split et la péninsule italienne en trois ans (1529, 1558-1559).
Etablis de longue date, les contacts entre Zadar et Ancona sont mieux connus. Des
commerçants anconitains s’installent en ville à partir du XIVe siècle pour y établir leurs
entreprises584. Plusieurs contrats de commerce mutuel sont conclus entre les deux centres depuis
1388585. Les relations de bonne amitié se prolongent au XVe siècle, lorsqu’en 1400 un marchand de
Zadar s’adresse au consul anconitain à Alexandrie pour le paiement d’impôt suite à l’importation de
marchandises en provenance de Senj. Le consul est donc habilité à représenter les ressortissants de
Zadar à Alexandrie586.
La vivacité du trafic entre Ancona et Zadar se confirme encore au XVIe siècle. Le 30 janvier
1520, le comte de Zadar, Pietro Marcello, renouvelle le contrat commercial entre les deux villes.
Tous les citadins qui apportent leurs marchandises à Zadar et vice-versa sont dispensés de payer les
taxes habituelles per li capituli tra die cita antiquissimis temporibus facti587. Cinq ans plus tard, la
commune d’Ancona se plaint de ce que d’autres Dalmates se font passer pour des Zadarois afin de
jouir de leurs privilèges commerciaux et frauder la douane. Aussi réclame t’elle que tout citoyen
zadarois venant négocier en ville soit munit d’une fede actentica del regimento de Zara avec le
sceau de la commune, l’indicatif de ses nom et prénom, du type de navire, des marchandises dont il
dispose, d’où il vient et où il va, sans quoi, il ne pourra bénéficier des exemptions et immunités

584
Voir S. F. Fabijanec, « Poslovna djelatnost », (48-50).
585
« R. VIII. Pacti facti tra il Comuno de Ancona et lo Comuno de Giara (1388) », Ancona e il suo mare. Norme, patti e
usi di navigazione nei secoli XIV e XV, vol. I, éd. M. V. Biondi, Ancona, pas d’année de publication, 109-111.
586
E. Ashtor, « Il commercio », (224-225).
587
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. I, f° 146’.

566
convenues588. Les têtes de petit bétail provenant des zones d’élevage insulaires sont exportées à
Ancona589, ainsi que le sel de Pag, tout du moins la part que les Zadarois sont autorisés à négocier.
Avant la domination vénitienne, en 1406, Grgur de Rosa, patricien zadarois, et l’archevêque
Bertucio de Pag commanditent le transport de mille muids de sel (81 tonnes) sur le navire de quatre
entrepreneurs de Zadar (Martin Domenico de Recanati habitant à Zadar, Vlatko Dragobić, le
marchand Ivan Vokšić et le cordonnier Drago) vers Ancona, au prix de 7 ducats/centenario590. Des
Anconitains viennent également se fournir directement à Zadar pour les produits confectionnés
rudimentaires, comme les schiavine, vendues sur place, à raison de 3 livres/pièce, en 1519591. La
même année, le noble Barlettan Francesco Veneto vend 102 setiers d’orge au noble de Šibenik,
Franjo Simeonić apportés par Jeronim Tomasović de Zadar, contre 34 ducats592. Dans les années
1562-1563, les Zadarois exportent à Ancona des maquereaux, des fromages salés, des feuilles
(foglia), de la rasse de Rab, du cuir, du bitume, des poissons, du suif, de la gélatine, des fourrures de
loup, du feutre, de la laine et des schiavines. En 1551, en plus d’y importer des poissons (sardines et
maqueraux), des fromages salés et des cercles de tonnaux, deux Zadarois servent de transporteurs à
des commanditaires turcs en provenance de Budva et de Zante, avec des cargaisons de cordouans,
de tapis de tailles variées, de ciambelotti, de feutre et de cuirs de Morée.
- Bologna
Le chef-lieu de l’Emilie a une vie politique mouvementée, alternant entre le pouvoir des
Visconti, les périodes d’autonomie et l’autorité pontificale. En 1530, la ville devient définitivement
une possession de l’Eglise593. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, la cité compte 60.000
habitants, étant ainsi l’une des plus peuplées d’Europe594. Sa zone agraire est vaste et la région
abonde en forêts et en ressources minérales. La ville développe son activité artisanale et son
université est réputée595. A la fin du XIVe siècle, son industrie de la soie connaît un grand essor, au
détriment du tissage de la soie de Lucca596. Une innovation technique, l’invention du moulin à soie
avec une grande mécanisation de la procédure, met en effet la ville en tête des productrices de la
soie. A la fin du XVIe siècle, elle en détient le monopole. Aussi, sur les 70-72.000 habitants de
Bologna dans les années 1581-1587, près de 35% de la population vie de cette industrie. Les

588
« Super observantia capitulorum cum Zarettinis, sub die XIIII Junii 1525 »; Ancona e il suo mare, 111-112.
589
A. Piasevoli, « Fragmenti », (44).
590
A. Krekich, « La Curia consulum et maris », doc. 5, (159-161).
591
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. I, F. II Citazioni e sentenzie, f° 222.
592
DAZd, Simon Corenichius, B. I, F. I/13, f° 14’.
593
Voir une chronologie succincte des divers pouvoirs et des révoltes : Dizionario storico italiano, Milan 1940, 52-55.
594
Carlo Ponti, « Per la storia del distretto industriale serico di Bologna », Quaderni storici, nuova serie 73, Bologne
(avril 1990), 92-167 (94).
595
Enciclopedia italiana, Bil-Bub, vol. XII, 1930, 346-349.
596
C. M. Cipolla, V. « The Italian and Iberian Peninsulas », The Cambridge economic history of Europe, vol. III
« Economic organization and policies in the Middle Ages », éd. M. M. Postan, E. E. Rich, E. Miller, Cambridge 1963,
397-429 (413).

567
quantités de manières premières produites par les campagnes environnantes sont énormes : près de
191 tonnes de pelotes de soie en 1568 et le double en 1585597.
Bien que Bologna n’apparaisse pas parmi les destinataires directs du trafic splitois, des liens
existent certainement, du fait de la présence durant les deux siècles de Bolognais dans les deux
villes étudiées. En 1442, Giaccomo Bartholomeo de Gandonis de Bologna acquiert à Zadar un
cheval au prix de 13,38 ducats auprès d’un ancien écuyer, Boldrino de Monza. Il possède d’autres
chevaux, qu’il veut transporter dans les Marches en compagnie de son facteur Angelo et de
Boldrino. Les partenaires comptent vendre les chevaux à un prix supérieur, puisque Giaccomo se
réserve sa part de 166 livres 10 sous, tandis que le surplus va à Boldrino. Dans le cas où ils ne
parviendraient pas à obtenir de marge, Boldrino doit payer la différence au transporteur Angelo598.
Un an plus tard, on retrouve Giaccomo de Gandonis associé à Marchese, fils de feu Giaccomo de
Tarvilio, habitant à Zadar. Ils acquièrent 476 muids de vin (environ 38 hl), onze muids d’huile et
cent quarts de haricot (environ 2,1 hl) à Zadar. Ils comptent vendre ces marchandises à Senj pour
une valeur totale de plus de 159 ducats599. En 1445, Guilliemo Giaccomo de Bologna, en tant
qu’habitant à Zadar, achète à Ancona une certaine quantité de blé (certas salmas grani) de vendeurs
anconitains600. Au début du XVIe siècle vivent deux Bolognais à Zadar : Lazaro de Bologna et son
fils Pietro de Lazaro. Leur activité en ville n’est pas documentée. En revanche, ils sont actifs dans
les contrelettres splitoises durant les années 1515-1516. En novembre 1515, Lazaro importe des
sardines, de la rasse, du bitume, du lin et douze tonnelets de figues à Zadar, sur le navire de Filip
Kartić. En février, il pourvoit sa ville d’adoption en miel, sur la barque d’Ivica de Šibenik. Sept
mois plus tard, il importe encore onze tonneaux de sardines et quarante-quatre tonneaux de figues,
sur la barque de Pavao de Zadar. Son fils en revanche dessert les ports de la Pouille en août 1516,
avec quarante-huit tonneaux de poissons, sur le grip de Jeronim Vadiočić de Split601.
Deux autres Bolognais sont engagés dans le courant d’exportation splitois au début du XVIe
siècle. En août 1516, Nano de Bologna sert de transporteur à Marko Juraj Ruinalhod de Split pour
exporter deux balles de schiavine et une balle de peaux d’agneaux à la foire de Bakar. Il compte
importer en retour des draps de qualité moyenne et d’autres marchandises. Lorenzo Anzila de
Bologna réalise deux voyages, en août 1516 et en juillet 1517. La première fois, il exporte vingt-
neuf tonneaux et deux ligazi de poissons en direction de Zadar et des Marches. Son second départ
est à destination de la Romagne et des Marches. Il emploie le grip de Jeronim Vadiočić de Split,
pour y transporter du vin, de la rasse, du suif et une balle de caneus.

597
C. Ponti, « Per la storia », (94-95). Quantités obtenues d’après le graphique 1 p. 97, selon lequel 400.000 livres, en
1468, et 800.000 livres de folicelli, ou bozzoli, di seta, en 1585, sont importées pour la confection des draps de soie.
598
DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. I, f° 3133.
599
Ibid., B. I, F. II/8, f° 390’.
600
ASAN, Antonius Johannis magister Jacobus de Ancona, n° 72, B. I, F. II, f° 32.
601
DAZd, Sp. Ar., boîte 49, B. 60, F. 6/II, f° 472, 474, 479’, 480.

568
- Fermo
Cette ville des Marches dispose d’un territoire fertile en céréales, en vignes, en oliviers et en
arbres fruitiers. Elle possède des élevages d’animaux et développe la sériciculture, l’apiculture et la
production vinicole et oléicole. Son Statut date de 1507, ce qui témoignerait de son développement
tardif. Bien que la ville soit une possession du pape, elle est dominée par divers despotes (dont
Francesco Sforza de 1433 à 1446). Elle fait partie de l’Etat pontifical jusqu’en 1514, pour être cédée
ensuite à un autre despote, Luigi Uffreducci. En 1550, elle retourne sous le pouvoir du neveu du
pape602. Les Splitois y exportent essentiellement des peaux, du coton, voire des articles istriens (des
baquets).
Le port de Split attire quatre entrepreneurs du lieu en trois ans. En avril 1515, Cosimo de
Damiano de Fermo s’associe à Bernardo Lorenzo de Fano pour exporter cinquante tonneaux de
sardines vers Šibenik et vers les Marches, sur la marciliane de Rado de Split. En octobre de la
même année, Andrea della Gritta importe vers sa ville des poissons, des peaux et quatre mille
douves de tonneaux (doge), sur le grip de Lovro Beličić. Dans les années 1559, Francesco de Fermo
s’intéresse déjà au trafic des chevaux, qui prend son essor à la fin du siècle. Il exporte quinze
équidés sur la barque de Marin de Rinaldo vers sottovento. Hannibal de Fermo transporte quant à
lui un seul cheval de montagne (roncin) vers la même direction, pour le compte de Petar de Bar, en
mars 1581. Ainsi, bien que peu nombreux, les hommes d’affaires de Fermo ne se limitent pas à une
activité restreinte d’approvisionnement de leur propre marché. Ils établissent aussi des contacts plus
suivis avec l’ensemble du littoral dalmate.
Des relations économiques sont également attestées entre Fermo et Zadar. En 1555, Camillo
Domenico Caponi dela Grotte, lieu près de Fermo, est le facteur de Francesco d'Udine, habitant de
Zadar. Il nomme Pietro Domenico Pompeo dela Grotte pour exiger de Damian Sosine de Šibenik
deux tonneaux d’huile, qui devaient être vendus à Šibenik603. En 1558, Rado de Kotor,
nouvellement installé à Zadar, nomme l’Albanais Beldino, habitant de Fermo, son procurateur pour
y exiger deux tonnelets (vegete), valant neuf livres la pièce, d’un certain Marko Julio604. Fermo
apparaîtrait ainsi comme l’un des marchés d’approvisionnement en huile de Zadar.
- Ravenna
Dès le XIIIe siècle, Venise impose un pacte à cette ville de l’Emilie, suivant lequel elle
contrôle toute la production et le commerce du sel. De 1449 à 1509, la République administre
directement la ville. Après 1509, Ravenna devient une ville du Saint-Siège. Elle subit des
dommages importants lors des conflits avec les troupes françaises en 1512605. C’est le marché

602
Enciclopedia italiana, Fer-Franci, vol. XV, 1932, 33-36.
603
DAZd, Conte Johannes de Morea, B. I, F. I/4, f° 52’.
604
DAZd, Nicolaus Canalis (1558-1585), B. I, F. I/1, f° 12’.
605
Ibid., Porti-Reg, vol. XXVIII, Rome 1935, 868-878.

569
splitois d’exportation le plus important de l’Emilie-Romagne au début du siècle. En quelques
années, de 1511 à 1529, Ravenna importe du miel, de nombreux tonneaux de poissons, près de
1.089 tonneaux de figues, des chandelles, des pièces de cordouans, des schiavine, voire des draps,
ainsi que du bitume.
Les négociants de Ravenna présents à Split sont les plus nombreux de la région de l’Emilie-
Romagne durant tout le XVIe siècle. Entre 1503 et 1583, ils sont quatorze Ravegnani, répartis sur
neuf années. Certains voyagent à leur compte, tandis que la majorité joue le rôle de commanditaire.
Une partie se contente de ravitailler Ravenna. C’est le cas de Moscharello. En septembre 1503, il
importe plusieurs tonneaux (en vrac) de figues sur le navire de son compatriote Chrandazo. En
décembre de la même année, Pietro Paladino importe également des figues (520 tonneaux), du miel
et de la rasse. En 1504, le Ravegnan Francesco Castelli transporte aussi des figues (232 tonneaux),
pour le compte de Francesco della Vechia, sans doute de Ravenna. En juillet 1529, Giovanni Pietro
de Ravenna retourne vers sa ville natale avec une cargaison de 284 fromages et le plus important
volume de sardines (38 tonneaux). La même année, Hippolyto de Zaneri entreprend trois allers-
retours Ravenna-Split, sur des embarcations différentes. Il importe au total 475 fromages, cent
cordouans, de la rasse, du bitume (143 kg), des draps (2,9 kg), cinquante-sept tonneaux de figues,
un peu de miel et des chandelles (un tonnelet). Durant la seconde moitié du siècle, le Ravegnan
Bernardo della Varei importe en deux voyages 29.900 poissons, dont 21.900 sardines (six tonneaux)
originaires du port d’Omiš, en territoire ottoman.
D’autres Ravegnani ne négligent pas de participer au cabotage entre les ports dalmates et
italiens, soit pour y importer leur marchandise italienne, soit pour redistribuer les articles acquis à
Split. C’est le cas d’Andrea de Trina (en août 1515) et de Francesco de Ravenna (en décembre
1515). Tous deux s’associent à des transporteurs dalmates (Filip Kartić de Split, Matej de Split et
Marin Dvorniković). Le premier se rend à Zadar avec quatorze tonneaux de sardines. Le second
compte exporter de l’ail et des noix vers Hvar, Korčula et Dubrovnik. En septembre 1516, Giovanni
Antonio de Ravenna se rend à Venise avec du fromage (104 meules), des figues (cent tonneaux), du
poisson (quatre tonneaux) et de la rasse. Un an plus tard, Giovanni Matheo commandite le transport
de cinquante tonneaux de figues vers Venise. Puis il exporte seul des chandelles de suif vers Hvar et
Venise. En 1581, enfin, Manoli de Ravenna convoie douze chevaux pour le compte d’Antonio de
Talona vers sottovento. A Zadar, deux Ravegnani vivent en ville et sont impliqués dans les affaires.
En août 1553, le premier, Luigi de Miculis, épicier à Zadar vend au second, Augusto de Nigris,
également habitant de Zadar, une marciliane lui appartenant en commun avec Paulo, fils de
Francesco Breschinini, habitant à Malamochi. Trois ans plus tard, Luigi reçoit 7% de bénéfice
d’une société commerciale conclue avec Alessandro Zacharie de Bologna et le capitaine Juliano
Quarino de Faenza, coursier de feu Lazaro de Faenza, ancien comte à Zadar, soit 267 ducats. Luigi

570
promet en plus de donner à Juliano encore 8% de bénéfices à la fin de l’année sur cette somme,
qu’il va investir dans une nouvelle société avec Lazar de Pontremolo. L’accord est conclu dans son
épicerie606.
- Rimini
Cette ville de l’Emilie connaît une période d’indépendance de 1463, à la suite des luttes
entre le roi Sigismond et le pape Pie II, jusqu’en 1500. Néanmoins, durant ces années, elle est
dépourvue de son arrière-pays et de ses ressources agricoles. Après quelques interventions du
pouvoir des Borgia et de Venise, cette cité tombe sous le pouvoir direct de l’Etat pontifical607.
Rimini est également un marché pour les importations de sel zadarois au début du XVe
siècle. Avant 1416, le marin zadarois Stjepan Stojković avait acheté le droit de propriété d’un quart
de navire au défunt Lipazello d’Ancona, ancien habitant de Zadar. Le navire, dont la capacité totale
atteint 40,5 tonnes, vaut 75 ducats. Stjepan paya en plus dix ducats de frais d’armement. Il avait
conclu avec Lipazello une association de deux ans en vue du transport de sel. En 1416, Stjepan
réalise un premier voyage de Zadar à Pesaro pour le compte de Grgur de Rosa, nouveau propriétaire
des trois quarts du navire, et habitant de Rimini. Puis, Stjepan se rend une seconde fois de Pag vers
les Marches, pour un nolis de sept ducats par centenario de sel. Un troisième transport de sel est
ensuite réalisé par un autre patron, sur le même navire, de Pag à Rimini, pour un prix total de cent
ducats608. Les Splitois y exportent, quant à eux, des peaux609, mais les rapports sont rares, et aucun
Rimineso n’a pu être identifié dans le port de Split.
- Les autres centres pontificaux
De nombreux navires dalmates affluent donc sur la côte italienne. En sens inverse, aux XVe
et XVIe siècles, certains commerçants des Etats pontificaux se déplacent vers les territoires
eschiavons, pour acquérir des biens de consommation. Nicolo de Ferrara610 réside à Zadar durant la
première moitié du XVe siècle. En 1410, il réalise deux affaires. D’une part, il achète des éléments
d’armature en fer pour les navires, valant deux livres cinq sous, auprès du prêtre Simon de Falcado
(recteur de l’église de Saint-Thomas de Blato, district de Zadar). Il acquiert d’autre part une
copropriété de navire pour le prix de 25 livres611. Le port de Split offre de multiples informations sur
la présence d’autres ressortissants des Etats pontificaux : de Fano, de Pesaro, de Recanati, d’Urbino,
de Cesena, de Modena et de Roma.

606
DAZd, Conte Johannes de Morea, B. I, F. I/3, f°13; F. I/4, f° 102’.
607
Enciclopedia Italiana, Reh-Romani, vol. XXXIX, Rome 1936, 340-343.
608
DAZd, CC&M, Teodoro de Prandino, F. 7, f° 2-3’.
609
En 1520, deux Splitois concluent le transport de peaux à Rimini valant 200 ducats; Marica Rismondo-Berket, « Novi
prilozi izučavanja splitskog srednjovjekovnog pomorstva », Pomorski zbornik, vol. 16, Rijeka (1978), (299).
610
C’est une ville de l’Emilie, située à 46,4 km au NNE de Bologna. L’agriculture constitue sa principale ressource
économique. A partir de 1471, elle dispose d’une imprimerie. En tant que propriété de la maison d’Este, elle vit un
grand développement artistique et littéraire au XVe siècle, sous un gouvernement libéral. A l’époque d’Ercole Ier (1471-
1505) elle connaît un âge d’or; Enciclopedia Italiana, Fer-Franci, vol. XV, 1932, 40-48.
611
DAZd, CC&M, Theodoro de Prandino, Sentenze, B. II, F. 9, f° 1.

571
Trois Cesenati contribuent à importer des chevaux dans diverses villes de la Pouille :
Francesco de Cesena est le transporteur d’Antonio Sanetori en avril 1530, Matheo de Cesena
transporte les chevaux de Nikola Kasović de Hvar en août 1558, tandis que Giorgio de Cesena
effectue seul un voyage en juin 1559. En retour, trois départs, réalisés par des étrangers, ont lieu
vers Cesena : en mai 1517 (soixante fromages), en août 1557 (douze génisses et un mulet) et en
octobre 1557 (huit génisses). Le Romain Benedetto Tireno se sert du navire de Jeronim de Hvar
pour se rendre en transit à Venise en octobre 1515, avec une pièce de camelot noire. Trois Fanois612
sont actifs au début et à la fin du XVIe siècle. En mai 1511, Giovanni de Fano part vers Senj avec
des tonneaux et des miers de poissons salés. En juin, Bernardo de Lorenzo de Fano s’associe à
Cosimo de Damiano de Fermo, dont l’activité a déjà été décrite. En mai 1582, enfin, Antonio
d’Alberti prend à son service le navire d’Antun de Šibenik pour se rendre sur la rive occidentale
adriatique avec cent cinquante peaux de génisse. En juillet 1558, Zanfilio de Pesaro613 est le patron
d’Aurélien de Rhodes pour exporter sept chevaux vers sottovento. En août 1581, J. [sic] della Grese
de Pesaro retourne également vers l’autre rive avec dix chevaux et trois peaux de génisse. En
novembre 1558, Leonardo de Recanati emploie les services d’Ivan Anković pour transporter cinq
chevaux, toujours vers sottovento. En juillet 1581, Juliano d’Urbino loue une barque pour
transporter un cheval de montagne (la direction n’est pas précisée). Michael Ulianović de Modena614
est sans doute un Dalmate résidant dans cette ville. Il réalise trois voyages en 1558-1559, en
employant chaque fois les services d’un transporteur (Jeronim Zenova, Jacques Greco et Kristijan
de Split). Il est spécialisé dans le convoiement de chevaux : neuf vers sottovento, sept vers Ancona
et sept autres vers Zadar et l’Istrie.
Les entrepreneurs de Senigallia615 apparaissent durant la seconde moitié du XVIe siècle. Ils
sont trois en 1557 : Galiazo, Meo et Batho. Ils vont tous vers le littoral oriental italien. Le premier y

612
Fano est une ville du littoral des Marches, dans la province de Pesaro. En 1403, elle est assiégée par les armées du
pape et celles de Frederico de Montefeltro. En 1487, elle subit des attaques sans lendemain des Ottomans, puis l’assaut
du duc d’Urbino en 1517. En 1533, elle passe sous la protection de l’Eglise; O. Freri-A. Malatesta, Dizionario, 134-135.
Ses activités économiques principales sont la pisciculture, la sériciculture et la filature de la soie. En 1463, elle devient
territoire du pontife. En 1502, le typographe Girolamo Soncino y introduit l’imprimerie; Enciclopedia italiana, Eno-
Freo, vol. XIV, Rome 1932, 787-789. Au mois d’août, elle organise sa foire traditionnelle, occasion durant laquelle se
déroule un approvisionnement animé en épices par l’intermédiaire de marchands d’Ancona, de Fabriano, de Fano même
et de Venise; Giancarlo Castagnari, Nora Lipparoni ; « Drogheria e spezieria a Fabriano tra XV e XVI secolo », Atti e
memorie. Medicina e salute nelle Marche dal Rinascimento all’età napoleonica, 97, Ancona (1994), 317-331 (329).
Une de branches artisanales principales est la construction navale et le transport maritime, activités dans lesquelles
participent ne nombreux ressortissants croates, de Pula, Senj, Zadar, Šibenik Trogir et Dubrovnik en tant que marins,
artisans et autres durant les XIV-XVIe siècles; Mario Bartoletti, Una città adriatica fra Medioevo et Rinascimento.
Documenti della marineria di Fano nei secoli XIV-XV-XVI, Pesaro 1990, 87, 179.
613
Cette ville des Marches appartient à la famille des Malatesta jusqu’en 1631, date à laquelle elle devient le domaine
des pontifes; O. Freri-A. Maltesta, Dizionario, 274.
614
A partir de 1346, cette ville est la propriété des Estensi. Durant la Sainte Ligue, la ville est conquise en 1511 par le
pape Julien II, puis restituée aux Estensi en 1527; O. Freri-A. Malatesta, Dizionario, 229-230.
615
Cette ville des Marches est prise par le pape Pie II en 1462 au pouvoir des Malatesta, puis remise à son neveu,
Giovanni della Rovere, en 1472. Elle produit des céréales et de l’huile; Enciclopedia Italiana, Reh-Romani, vol. XXIX,
Rome 1936, 379-380.

572
importe douze chevaux et quarante-deux chapons, le second cent chevaux et le troisième huit
chevaux, six balles de schiavine et 156 peaux de génisse. En 1581, deux autres Senigalliesi,
Vincenzo et Giovanni-Paulo s’engagent dans les mêmes activités. Vincenzo transporte quatorze
chevaux vers sottovento et Giovanni-Paulo huit chevaux, un mulet et quatre-vingts chapons. A
Zadar, ils contribuent au ravitaillement de ce centre en blé. En 1579, le Lombard Giovanni Pietro
Danieli de Brescia, caporal habitant à Zadar, est le facteur de Tranquilio Amali de Senigallia. Il
compte encaisser une lettre de change d’Ivan de Begna valant trente-quatre livres. La lettre a été
reçue par Ivan en juin 1576 (soit déjà trois ans auparavant), vraisemblablement en raison de la
fourniture de froment provenant de Senigallia. Silvestro et Antonio de Fabri de Senigallia
reconnaissent avoir perçu près de cinquante ducats de bénéfices (307 livres 12 sous) sur la vente des
soixante-six setiers de froment616. Des Croates vivent également à Senigallia, sans renoncer à
réaliser des bénéfices dans la région dalmate. Luka Martin Steve de l’île d’Osor, habitant à
Senigallia, vend ainsi, en 1538, une marciliane de 360 setiers de capacité, en mouillage dans le
chantier naval du port (au squerio), au cordonnier Petar Skoretić de Zadar, au prix de 92 ducats617.
La majeure partie des Italiens des Etats pontificaux ravitaille leur propre région. A partir de
la seconde moitié du siècle, plusieurs d’entre eux se spécialisent dans le convoiement des équidés,
aussi bien vers les Marches et la Romagne, que vers d’autres centres italiens. On relève néanmoins
une part importante de ces négociants impliqués plus directement dans les marchés dalmates.
Certains relient les ports de la Dalmatie orientale (le nord de « l’Albanie vénitienne ») jusqu’aux
ports croates, et ne se limitent pas, ainsi, au seul trafic de subsistance.
Le volume des produits exportés à partir de Split vers les Etats pontificaux, sur la dizaine
d’années mise en évidence dans les contrelettres, est approximatif. Les bêtes et produits d’origine
animale tiennent la première place des importations : 171 équidés (dont 147 vers Ancona), deux
cents chapons, plus de six cents kilos de fromage par an, 848 peaux (425 vers Ancona et 423 vers
Fermo), et une grande quantité de rasse618. Les poissons tiennent une part importante dans le trafic :
plus de 571 tonneaux (dont 153 vers Ravenna) et 9.400 pièces. Parmi les produits agricoles, seules
les figues sont importées, et ce, essentiellement vers la Romagne : 2.131 tonneaux (dont 1.089 à
Ravenna même). Quelques produits manufacturés sont également l’objet d’un négoce, en premier
lieu les cordouans (185 pièces), les schiavine (70 pièces et trois balles), des clous (neuf tonneaux) et
quatre milliers de cercles de tonneaux. S’ajoute encore l’importation de 238,5 kg de bitume en 1511
et en 1529 vers Ravenna.

616
DAZd, Conte Bartholomeo Paruta, B. unica, Atti diversi, f° 119-120’.
617
DAZd, Conte Augustinus Martius, B. I, f° 36’.
618
C’est à dire un total de plus de 305 m, 73 kg, quatre balles et deux colis de rasse.

573
c) Le Royaume de Naples
Le territoire soumis à la couronne d’Aragon représente un immense marché à ravitailler. Il
connaît une importante poussée démographique : au début du XVIe siècle, ce royaume compte une
population de 1.300.000 habitants, elle augmente jusqu’à 2.100.000 habitants au milieu du siècle et
compte 2.700.000 habitants à la fin du XVIe siècle. La population de Napoli croît de 150.000 à
245.000 habitants entre le début et le milieu du XVIe siècle619. C’est également un immense
producteur de céréales. Malgré les restrictions des Statuts urbains, qui limitent les possibilités
d’exportation afin d’assurer l’alimentation de la population locale, ce territoire demeure l’un des
greniers à blé de la Méditerranée. Pour des raisons fiscales, la Couronne encourage les exportations,
car la licence d’exportation du grain lui apporte les plus grands revenus620.
Dans cet ensemble, deux régions ont principalement développé leurs rapports économiques
avec la Dalmatie : l’Abruzze et la Pouille.
La Pouille est l’une des régions principales de production d’huile de la Méditerranée, dont la
qualité très élevée est recherchée sur tous les marchés internationaux. Venise s’efforce de contrôler
ce marché pour sa consommation propre et pour sa réexportation. En effet, le marché de l’huile est
très lucratif. Entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, les chiffres d’affaires totaux peuvent
atteindre les 800.000 à 1 million de ducats. Une fois le territoire soumis à la Couronne de Naples,
Venise parvient à entretenir de bons rapports diplomatiques avec cette puissance jusqu’en 1620,
afin de disposer des récoltes oléicoles abondantes, et grâce à la forte valeur numéraire de son ducat.
Ainsi, dans les années 1592-1598, les importations à Venise en huile viennent à 75-97% de la
Pouille. Or, durant cette période, la région produit 15.000 miers d’huile (soit 94.650 hl) par an. Les
principales zones de production sont les territoires d’Otranto et de Bari621.
Les ressources économiques principales de l’Abruzze sont l’agriculture (en premier lieu les
céréales et les oliviers) dans les zones de plaines maritimes, et l’élevage. La région ne comprend pas
de cultures extensives, car les terrains sont fractionnés. Elle connaît une forte poussée
démographique au XVIe siècle : en 1505, 143.000 habitants, puis 268.000 en 1595622.
L’Abruzze importe de la côte adriatique orientale des chevaux, des peaux, des schiavine, des
poissons en saumure, du fromage et du matériel de construction (notamment de la pierre). Elle
exporte en échange tout d’abord du vin, du vinaigre, de l’huile, des céréales, ainsi que du riz, des
biscuits, des cercles de tonneaux, du bois et des caroubes. De sorte que la balance commerciale est

619
Vitorino Magalhães Godinho, « Venise : les dimensions d’une présence face à un monde tellement changé – XVe-
XVIe siècles », Venezia centro di mediazione tra oriente e occidente (secoli XV-XVI). Aspetti e problemi., Firenze 1977,
111-150 (127).
620
C. M. Cipolla, V. « The Italian », (402).
621
S. Ciriacono, « Economia e commerci », (34, 37, 40).
622
Enciclopedia Italiana, A-Agri, vol. I, Rome 1929, 126-148.

574
positive pour la côte orientale de l’Adriatique, car la valeur des marchandises dalmates est
supérieure à celle des céréales623.
Il ne s’agit pas seulement de ravitailler une population croissante. Certains centres se sont
spécialisés dans le trafic de transit, comme c’est le cas d’une des villes les plus fréquentées par les
hommes d’affaires dalmates : Lanciano.
- Lanciano
Cette ville de l’Abruzze représente un lieu de foire très attractif, après que le roi aragonais
eut accordé des concessions de libre commerce à Venise, à Dubrovnik et aux Dalmates en 1459624.
Les marchands dalmates, les Ragusains en premier lieu, se servent deux fois par an de ce port pour
y apporter les produits agricoles et d’élevage, en vue de leur exportation vers l’Occident. Ils
acquièrent de la laine d’Aquilée, et dans une moindre mesure, des produits alimentaires (céréales,
huile et sel)625. Venise suit de près le trafic de ces foires, car les pirates turcs menacent souvent leur
bon déroulement. Des rapports sont régulièrement envoyés aux recteurs de Zadar pour informer de
la présence de fustes ottomanes dans les eaux de Lanciano, voire pour envoyer des forces maritimes
de protection626. Indépendamment de ce danger, les Zadarois s’approvisionnent en orge de la région
contre des poissons salés. Les commerçants de Šibenik y importent des chevaux, des peaux et des
schiavine. Avec les commerçants d’Ulcinj et de Dubrovnik, ils participent également au commerce
des esclaves d’origines diverses, vendus au prix moyen de quinze ducats l’un, qu’ils importent dans
ce centre627. Nous avons déjà traité des rapports avec Split en période de foire. Tandis que les
Dalmates sont actifs dans ce port, aucun citadin de Lanciano n’apparaît dans les ports de Split, de
Zadar ou de Šibenik.
- Bari
C’est la ville principale de la Pouille. Elle sert de centre d’exportation des céréales, de
l’huile et du sel. Au milieu du XVIe siècle, c’est même la principale exportatrice d’huile du
Royaume de Naples : avec plus de 30.000 sommes d’huile exportées entre 1554 et 1556, Bari assure
plus de 44% du trafic628. Cette huile est utilisée en partie pour la production de savons, qui sont
ensuite exportés. La confection de ces savons nécessite du nitrate de potassium (salnitre) en
provenance des ports orientaux. Aussi, les Ragusains organisent-ils un trafic important reliant

623
C. Marciani, « Le relazioni », (31-32).
624
Ibid., (21).
625
Bogumil Hrabak, « Katalonci izmeñu italijanskih gradova i Dubrovnika 1390.-1530. », Acta historico oeconomica,
vol. 13, Zagreb (1986), 141-188, (149)
626
En 1596, une grande fuste de l’île de Krk et une fuste de Zadar sont envoyées en renfort dans les eaux d’Ortona pour
s’opposer à deux brigantins de corsaires; C. Marciani, « Le relazioni », (21).
627
Ibid., (22, 32, 34).
628
G. Fenicia, Politica economica, 44.

575
Dubrovnik à Alexandrie. Ils importent de l’argent et de l’oxyde de plomb à Bari, y achètent des
amandes destinées à Alexandrie ou à Beyrouth, puis vendent le nitrate de retour d’Orient629.
Tandis que leur présence n’est pas attestée à Zadar, des hommes d’affaires baresi sont
présents à Split. Ils sont six entre 1503 et 1581, les plus nombreux se manifestant durant la première
moitié du XVIe siècle. Des étrangers habitent également à Bari, comme Toma, originaire de Split et
Jovan de Serbie. Ce dernier réalise quatre voyages entre 1503 et 1515. Son champ d’activité s’étend
à Venise et à la Pouille. Il exporte vingt-neuf tonneaux et deux cavi de vin vers Venise, deux balles
et un rouleau de rasse vers Bari et une balle de rasse vers la Pouille. Toma de Split importe
également une balle de rasse vers sa ville d’adoption.
- Barletta
Cette ville de la province de Bari est prise par le roi Ferdinand Ier d’Aragon au cours de la
conquête de la Pouille en 1438-39. La tentative de reconquête de Robert d’Anjou, en 1460,
échoue630. C’est l’un des principaux fournisseurs en produits céréaliers et oléicoles, ainsi qu’en sel.
En 1502, les Ragusains obtiennent le privilège de transporter les chargements de sel de Barletta vers
les fondachi d’autres villes de l’Abruzze. Ils n’en ont pas le monopole, car les marchands de
Šibenik et de Hvar transportent également ce sel vers Vasto, Lanciano, Ortona, Pescara et Franca
Villa631. Dans les années 1510, les Ragusains s’approvisionnent en quantité importante de sel pour
leur propre marché632. De la soie brute est produite à Barletta, puis exportée vers Florence, souvent
par l’intermédiaire de commerçants ragusains. Du corail et de la potasse en provenance de Syrie ou
d’Alexandrie parviennent également à Barletta633. Cette ville est également un centre bancaire
important dès le XVe siècle634.
Les contacts entre ce port et Zadar ne semblent pas négligeables. En 1441, un Barlettan,
Giovanni de Mettelo, conclut à Zadar un accord de nolisement avec le Ragusain Matej, patron
d’une barcosie. Matej doit se rendre de Zadar à Manfredonia avec les marchandises de Giovanni.
Dans le cas où il ne serait pas possible de les écouler, il doit décharger à Barletta. L’ensemble des
trajets doit être compris dans une période de huit jours. Au retour de l’une des deux villes, il doit se
rendre soit à Šibenik, soit à Zadar. Dans le cas où Matej chargerait les marchandises d’autres
entrepreneurs, il partage les bénéfices des transports avec Giovanni. Ce dernier doit payer pour sa
part trente ducats à la fin du parcours. Il prévoit de payer un demi-ducat par jour supplémentaire de

629
B. Hrabak, « Katalonci », (167).
630
O. Freri-A. Malatesta, Dizionario, 41.
631
C. Marciani, « Le relazioni », (31-32).
632
J. Lučić « Prilike ».
633
B. Hrabak, « Katalonci », (154, 163).
634
R. de Roover, II. « The Organization of Trade », The Cambridge economic, vol. III, 42-118 (95).

576
séjour en Italie. De plus, Matej avance dix ducats à Giovanni, qu’il remboursera à la fin des
voyages. Les témoins de ce contrat sont Giaccomo de Napoli et le marchand Petar Venturino635.
Les rapports avec Split sont intenses : vingt-neuf Barlettani sont présents dans le port entre
1503 et 1581. Deux d’entre eux, Melio de Barisano et son parent Evangelista de Barisano,
demeurent à Split. Melio commandite treize voyages entre 1515 et 1530 sur les navires de patrons
d’origines variées (Split, Korčula, Trogir, Šibenik et Barletta). Sa destination principale est la
Pouille, en transitant par Hvar. Il y importe de la rasse (plus de 6 kg et deux balles), plus de dix
chevaux, des amandes, du miel, six tonneaux de sardines, sept fromages, dix-huit paires
d’escarpins, des pains de sucre, quatre futaines, quatre douzaines de guara et un tonneau de cire. Il
réalise exceptionnellement un voyage vers Venise en 1529, pour y exporter quatre-vingt-huit
tonneaux de figues. Son parent Evangelista commandite sept voyages entre 1515 et 1530, dont deux
au nom d’Alviso Pisani, noble de Venise. Antun Kokošić est son transporteur privilégié. Il exporte
principalement de la rasse vers la Pouille (huit balles, deux tonneaux et un rouleau en cinq
voyages). Il se rend encore à Vlorë, en 1528, avec quinze tonneaux de sardines, deux kilos de rasse
et dix-huit peaux. Deux ans plus tard, il exporte du miel (un caratello) à Venise.
Trois autres Barlettani se distinguent en raison des départs successifs qu’ils réalisent. En
quatre voyages, de novembre 1516 à août 1517, Juliano de Metolo s’intéresse exclusivement au
ravitaillement de la Pouille (près de trois kilos et trois balles de rasse et deux ligazi de cire). Simon
de Barletta commerce dans les années 1529-1530 et entreprend dix voyages en tant que patron d’un
grip pour des commanditaires en majorité barlettani (six sur dix). Le volume total de ses transports
est important. Il comprend des produits d’élevage : de la volaille (vingt poules et vingt-sept
chapons), 835 fromages, du miel (un tonneau et une outre), de la rasse (deux tonneaux et un
rouleau) et 38 peaux de bœufs. Simon exporte aussi des produits agricoles : seize tonneaux de gelée,
dix tonneaux de figues, un tonneau de marasques, ainsi que du poisson (340 tonneaux de sardines,
de thons et de maquereaux). Sa cargaison contient encore des articles manufacturés : deux caisses
de chandelles de suif et trente paires d’escarpins. Toutes ces marchandises sont destinées à Barletta,
Trani, Monopoli et plus largement à la Pouille. Geronimo Gonella, enfin, commandite quatre
voyages de mai 1529 à avril 1530. Il importe 610,5 litres d’huile, 1.833 litres de semences de lin et
seize mètres de rasse vers Venise. Il se tourne ensuite vers l’approvisionnement de la Pouille. Il
importe 317 fromages, dix-sept tonneaux de sardines, trois tonneaux de maquereaux, quatre
génisses, vingt-sept mètres de rasse noire, puis un rouleau de rasse simple à nouveau vers Barletta,
Monopoli et Trani.

635
DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. I, f° 180.

577
Le champ d’action des Barlettani s’étend ainsi à l’ensemble du bassin adriatique. Ils
contribuent pour une part à ravitailler les centres apuliens, tout en utilisant, d’autre part, le port de
Split comme un centre de transit vers l’est.
- Brindisi
C’est l’une des principales escales italiennes de transit vers l’Albanie du Sud, vers les terres
helléniques et vers le Levant636. Six entrepreneurs de la ville sont présents à Split entre 1503 et
1582. Trois d’entre eux servent de transporteurs pour des commanditaires dalmates et italiens.
Francesco Monacho, notamment, en tant que patron de Mario de Bisoglie transporte en juin 1582
treize chevaux vers sottovento. Il effectue un voyage à son compte trois mois plus tard, avec vingt
fagots de cordouans vers la même direction. Marco Churfospais de Brindisi se distingue en raison
de sa fonction et de la nature de sa cargaison. En tant que douanier et créancier royal des douanes de
Brindisi, il importe 90 tumuli de fèves de Brindisi vers Split, en octobre 1558, sur son propre navire.
De fait, Brindisi apparaît surtout dans les contrelettres splitoises comme un port exportateur.
En plus des fèves déjà mentionnées, quatre bottes de grain, 1,2 hl d’huile et cinq cents chaudrons
sont exportés, en deux voyages, vers Split dans les années 1558-1559. En revanche, un seul départ
est réalisé en 1530. A cette occasion, vingt fromages, de la laine (trois sacs), des sardines (74
tonneaux), quatre schiavine et des cerises (un tonneau) sont importés à Brindisi. En revanche, aucun
ressortissant de la ville n’est présent à Split ni à Zadar.
- Manfredonia
La ville est située sur le versant sud de la montagne Gargano. Elle devient la propriété des
Aragon à partir de 1448637. C’est le port le plus au nord de la Pouille. La culture des céréales
constitue l’une de ses principales activités économiques. Elle dispose également de pâturages,
produit de l’huile, cultive des vignes et développe la pisciculture. Durant la période angevine, elle
exporte surtout des céréales, sans atteindre toutefois le niveau de Barletta, Bari, Brindisi et Otranto.
En effet, de nombreux terrains ne sont pas cultivés et subissent l’apparition de la malaria et du
paludisme638. Son rôle économique principal demeure néanmoins l’exportation de céréales. Elle
attire de nombreux marchands de toutes nationalités. On y relève notamment la présence de
commerçants aragonais travaillant pour le compte de Dubrovnik à la fin du XVe et au début du
XVIe siècle639. Les Ragusains ne sont pas en reste. Dans les années 1510, ils importent vers leur
République d’importantes quantités de blé, d’huile, ainsi que de la laine, voire du sel640. En échange,
Manfredonia importe de nombreux chevaux de Dalmatie (Trogir, île de Hvar), au prix de treize

636
B. Hrabak, « Katalonci », (168).
637
O. Freri-A. Malatesta, Dizionario, 211.
638
Enciclopedia Italiana, Malc-Messic, vol. XII, Rome 1934, 112.
639
B. Hrabak, « Katalonci », (150).
640
J. Lučić, « Prilike ».

578
ducats par animal, du cuir, des peaux, de la laine de Kotor, et des poissons salés provenant de
l’ensemble de la côte dalmate (Hvar, Vis, Zadar et Kotor)641.
Tandis que dans les années 1524-1525, cette ville exporte d’importantes quantités de
céréales vers Split, un seul voyage est réalisé de Split vers Manfredonia (pour y exporter de la
rasse). Une vingtaine de négociants manfredoniani participe au trafic splitois tout au long du siècle.
Quelques-uns uns réalisent plusieurs départs de Split. Dans les années 1503-1504, Donato
Franchi/Frandio sert de transporteur à quatre commerçants splitois et à un homme de Šibenik, sur sa
caravelle. Il se rend seul également à Korčula pour y importer un mât de caravelle – la ville étant
connue pour son chantier naval. En quatre mois, Donato se rend cinq fois à Venise et dans la
Pouille. A Venise, il transporte uniquement de la rasse (2.630 pièces, + 2 kg et + 1.786 m). Dans la
Pouille, il importe trois balles et 4,3 kg de rasse, 17 cavi de vin, trois tonneaux de figues et cinq
tonneaux de clous. Entre 1503 et 1517, Scipion de Florio de Manfredonia vit à Split. Il réalise huit
voyages, dont trois en solitaire. C’est un spécialiste du trafic de la rasse et des chevaux, qu’il
exporte en priorité vers Hvar et vers la Pouille. En octobre 1516, il exporte encore 318,5 coudées
(216 mètres) de soie, en plus des articles habituels. Son parent, Bernardo de Florio, n’intervient
qu’en octobre 1516, lorsqu’il exporte de la cire et de la rasse vers Hvar et la Pouille. Philippo de
Manfredonia est actif en 1559. Il transporte neuf chevaux, deux génisses, deux pièces de carisé à
son compte et de la rasse turque pour Luka de Split, vers la Pouille. A la fin du siècle, le Grec
Manoli de Manfredonia est le plus entreprenant parmi sept autres compatriotes manfredoniani.
Patron d’une barque, il charge quatre cargaisons en mars 1581. Il transporte au total vers sottovento
: 906 kg de laine, dix schiavine, 51 peaux de moutons, 62 kg de fromage, quinze chevaux et un
mulet. Il est associé à deux reprises à des compatriotes, Luigi Giaconi et Luca Siavino. Ivan, pour sa
part, est originaire de Rijeka, mais il habite à Manfredonia. En octobre 1581, il transporte la
cargaison de Stephano Giorgio de Manfredonia et de Mišo d’Ostoja de Vranjica : neuf chevaux et
50 peaux de bœufs, ainsi que de la rasse et un âne vers sottovento, sur son grip.
- Monopoli
Cette ville est située entre Bari (à 44 km) et Brindisi et compte 6.300 habitants en 1532. Sa
production d’huile augmente fortement au XVIe siècle, lorsque le port exporte jusqu’à 35.000 hl
d’huile par an642. C’est aussi l’un des principaux chantiers de construction navale de la Pouille643.
Durant le XVIe siècle, vingt-et-un départs de Split sont réalisés en direction de Monopoli,
parfois en relation avec d’autres villes apuliennes (Trani et Barletta). Les bêtes et les produits
d’élevage sont les plus importés : 81 kg de rasse, 1.420 fromages, 142 chevaux et quatre-vingts

641
C. Marciani, « Le relazioni », (32).
642
Enciclopedia Italiana, Messic-Ms, vol. XIII, Rome 1934, 691-692.
643
B. Hrabak, « Katalonci », (168).

579
peaux. Le poisson figure en seconde place avec 199 tonneaux. Du vin (12 hl) y est exporté, mais en
vue d’un transit plus lointain.
Ce n’est qu’à partir de la fin du XVIe siècle, que deux hommes de la ville s’impliquent dans
le trafic de Split : Angelo della Noce et Giaccomo Indello. Ce dernier réalise trois départs entre
juillet et août 1581. Il exporte vingt-huit équidés et deux schiavine vers sottovento, ainsi que quatre
génisses et un cheval de montagne vers Hvar. Toutes les exportations vers Monopoli sont donc
réalisées par des Dalmates et d’autres Italiens.
- Ortona
Cette ville côtière de l’Abruzze obtient en 1414 le privilège de battre monnaie. Elle devient
un port franc au milieu du XVe siècle. Cependant, dès 1447, une grande partie de sa flotte et de son
arsenal est détruite par Venise. En 1525, Charles Quint donne la ville à Charles de Lannoy. En
1582, les membres de la famille Lannoy vendent la ville à Marguerite d’Autriche, et elle devient
une propriété des Farnese644. C’est une importante productrice de vin, qui en envoie notamment des
quantités conséquentes vers les ports du Littoral croate. Son petit chantier naval est réorganisé pour
assurer les transports maritimes du Royaume. Il emploie, de plus, des ouvriers dalmates645. Des
marchandises splitoises sont exportées vers ce centre : quatre-vingt-dix chevaux (dont 58 chevaux
de montagne), 334 kg de bitume (assurément pour le chantier naval) et 1,4 kg de rasse, en sept
voyages, en 1558-1559.
Quatre entrepreneurs d’Ortona participent au trafic splitois entre 1517 et 1559 : Francesco
de Giaccomo, Thomaso de Marimo, Giovanni-Pietro et Antonio. Les deux premiers voyagent en
solitaire. En 1517, le premier exporte dix tonneaux de poissons salés en Dalmatie et dans l’Abruzze.
Le second convoie, à la même date, de la rasse et de la gelée (geladia) vers Šibenik, Zadar et
Ortona. En 1529, Giovanni-Pietro se rend à Hvar avec dix tonnelets de sardines et Antonio, en
1559, importe vingt-cinq chevaux dans sa ville. Aussi, sur les quatre commerçants, un seul ravitaille
uniquement sa ville, tandis que les autres réalisent des cabotages divers le long de la côte adriatique.
A Zadar, au moins deux hommes d’affaires sont présents. En août 1554, Hannibal de Sanctis de
Maris règle avec le marchand zadarois Marko Kokari le bilan d’une société vinicole conclue entre
son frère Mutrio, vicaire d’Ortona, et Marko à Ortona en janvier de cette année, laquelle société a
réalisé un bénéfice de 55 ducats646. Peu de jours après, le même Marko Kokari doit payer, en
compagnie de Rocco Batista de Chieti, et au nom de Sciption de Sacoza de Chieti, 72 ducats au
marchand Pietro Grassino Bergomenti d’Ortona pour prix de deux milliers d’huile. Il achète de plus
auprès de Francesco de Palma de Manupello, deux milliers et un quart d’huile au prix de 76,5

644
Enciclopedia Italiana, Novg-Paler, vol. XXV, Rome 1935, 634-635.
645
C. Marciani, « Le relazioni », (24-25, 35).
646
DAZd, Johannes de Morea, B. I, F. I/3, f° 28.

580
ducats. Cette quantité est ensuite répartie entre les trois partenaires commerciaux, Marko, Rocco et
Scipion647.
Le Zadarois Marko Kokari est ainsi un négociant en huile italienne, dont il ravitaille la ville,
grâce à ses partenaires outre adriatique. Même si Ortona n’est pas l’une des plus grosses
productrices d’huile, ses hommes d’affaires s’impliquent dans son commerce de gros au cours des
cabotages entre les deux rives.
- Otranto
C’est un important fournisseur de céréales de la couronne aragonaise. Les marchands de
Barcelona participent, notamment au XVIe siècle, à l’approvisionnement de l’Empire648. Son
territoire agricole produit également les plus grosses quantités d’huile de toute la Pouille, avec celui
de Bari 649.
Sept entrepreneurs d’Otranto contribuent au trafic de transit splitois tout au long du XVIe
siècle (1503-1582), et six voyagent en solitaire. La plupart importent des articles de Split vers leur
ville. Ainsi, en juillet 1503, Raymondo Mori transporte vers sa ville de la rasse, pour le compte de
Pietro Agresto. Theodoro Masaracci part à deux reprises. En avril 1504, il importe 5,7 kg de rasse et
six couvertures de lit (en une balle). En 1511, il importe deux kilos de rasse de couleurs variées
(dont une partie provient de Trogir) et quatre tonneaux de thon. Gabrielo approvisionne sa ville une
première fois en juillet 1515 avec dix paquets de cuir, vingt-deux fagots de feuilles (cartello) et un
rouleau de toile (canevanza). La seconde fois, en janvier 1517, il se rend à Hvar et dans la Pouille
avec un petit ballot de rasse et un sac de cimaduro de pano (?). Elie de Modun, exporte sa cargaison
de rasse vers les mêmes destinations (Hvar et la Pouille) en juin 1515. De même, Francesco Steti
exporte trois balles de rasse vers la Pouille en juin 1516. Dès la seconde moitié du siècle, les autres
commerçants d’Otranto se tournent vers sottovento. En octobre 1557, Stameti y exporte trois
équidés, puis en novembre 1582, Giovanni y transporte six fagots de peaux de génisse.
Les marchands d’Otranto ne sont pas les seuls à participer aux importations vers ce centre.
En plus des articles déjà mentionnés, dix tonneaux et 24 cavi de vin, et plus de deux kilos de rasse
sont convoyés en 1504, puis neuf chevaux de montagne en 1557. L’activité des Otrantini déborde
ainsi le cadre temporaire des relations directes entre les deux villes, qui cessent au milieu du siècle.
- La Sicile
Cette île est considérée comme étant un territoire pauvre, semi colonial, jouissant néanmoins
d’une certaine liberté politique grâce à son parlement. D’importantes sommes d’argent, issues des
taxes, sont perçues par le pouvoir espagnol pour servir à la défense militaire et aux frais de la flotte
royale. En 1588, la Sicile fournit plus d’un million d’écus en espèces et en provisions pour
647
Ibid., f° 29.
648
The New Cambridge, II. The Reformation 1520-59, éd. G. R. Elton, Cambridge 1968, 312.
649
S. Ciriacono, « Economia e commerci », (37).

581
l’Armada. A la fin du XVIe siècle, les marchands génois détiennent l’essentiel de son commerce. Le
pays est un important fournisseur de céréales et de soie brute650. Jusqu’au milieu du XVIe siècle, les
Vénitiens entretiennent notamment une correspondance importante pour informer leur République
des récoltes et des prix de l’orge et du blé de Palermo, afin d’assurer son approvisionnement; puis,
après la guerre de Lépante, le gouvernement intervient directement pour les commandes en
céréales, dont le volume atteint plus de 8.330 hl par an entre 1571 et 1574651.
La Sicile joue encore un rôle dominant comme centre de redistribution des esclaves, et ce
jusqu’au XVIe siècle. Comme nous l’avons observé auparavant, les Dalmates ne sont pas étrangers
à cette traite. Dans les années 1510, les Ragusains établissent un réseau maritime continu entre les
ports croates et la Sicile. Ils exportent du bois de Senj sur cette île, ainsi qu’en Sardaigne, contre du
vin652. Ils s’approvisionnent également en sel de cette région, en passant par la ville de Napoli653.
Deux Siciliens sont actifs à Split. Le premier, Antonio, ne réalise qu’un seul départ, sur le
navire d’Ivan de Kotor, en mai 1558, en exportant deux chevaux de montagne à Trogir. Le second,
un Siciliano sans nom, en revanche, déclare huit départs, dont quatre « en transit par cette escale
franque », dans les années 1581-1582. Son activité s’étend sur l’ensemble du bassin adriatique, et il
n’est spécialisé dans aucun domaine. Il exporte en tout, d’est en ouest, cinquante et un sacs (vingt-
huit miers) de riz vers la Neretva, 5.766 miers de caroube vers Šibenik, huit tonneaux plus 9.400
poissons vers Ancona, trente schiavine (trois balles) vers la Pouille, et enfin 1,4 kg de rasse et
quatre-vingt-huit schiavine vers sottovento. Dans les contrelettres, seul le port de Syracusa est
mentionné, en 1530, pour y exporter des sardines et du fromage; Syracusa est également la ville
d’origine du juif Juda Leonus Turtovidi qui avait importé des épices à Zadar au début du XIVe
siècle654. Il semble donc exister une certaine continuité des relations économiques entre la Sicile et
la Dalmatie, ce dont témoignent les données éparses, qu’une consultation des sources en Sicile
permettrait d’étoffer.
- Termoli
Cette commune est une destination du marché d’exportation splitois durant la première
moitié du XVIe siècle (de 1511 à 1530). Dans les années 1520, elle est l’un des fournisseurs en
céréales de Split. En échange, elle importe des peaux (seize pièces et cinq balles), de la rasse (8,6 kg
et plus de 204 m), des schiavine (neuf pièces et 54 balles), du poisson (26 tonneaux de sardines et
trente palamide salées), 525 fromages, ainsi qu’un tonneau de clous, douze chapeaux et trois
tonneaux de marasques.

650
The New Cambridge, vol. III, 254-255
651
M. Aymard, Venise, Raguse, 94, 147.
652
J. Lučić, « Prilike ».
653
B. Hrabak, « Katalonci », (180).
654
E. Ashtor, « Jews in the Mediterranean Trade », (169).

582
L’ensemble des exportations est réalisé par six commerçants de Termoli (Matheo, Mino,
Pardo, Cicho, Marco et Doris) en un seul aller-retour (sur les huit marchands de cette ville qui
apparaissent dans les sources). Deux d’entre eux, Matheo de Lanciano de Termoli (en 1504) et
Cicho de Termoli (en 1511) servent de transporteur. Le premier se rend vers la Pouille avec de la
rasse et du poisson. Le second charge de la rasse, des chapeaux et des schiavine pour le compte de
son compatriote Pardo de Termoli, en direction de leur ville d’origine. Deux autres, Pelerino de
Termoli (en 1511) et Giaccomo de Termoli (en 1515) voyagent en solitaire. Pelerino veut vendre de
la rasse à Zadar et à Termoli, tandis que Giaccomo se rend à Hvar et dans la Pouille avec du drap
noir et de la rasse.
- Trani
Ce port est situé à une vingtaine de kilomètres de Barletta. Après avoir reconnu la
souveraineté d’Isabelle d’Aragon en 1435, Trani obtient des privilèges économiques et des réformes
financières en 1443. Durant la guerre, elle devient la place marchande la plus importante du sud de
l’Adriatique. Ce commerce est mené par des hommes d’affaires (marchands, marins et armateurs)
appartenant à la classe roturière de la ville. La vieille aristocratie tient le pouvoir politique et
repousse les aspirations de cette classe citadine à participer au gouvernement, situation que l’on
retrouve dans les communes dalmates. En 1495, après la prise de Napoli, Charles VIII confirme les
privilèges accordés auparavant. Après une parenthèse sous la domination vénitienne (occupation en
1498), la ville retourne sous la couronne d’Espagne. Elle est cédée à Charles-Quint en 1509.
La population de Trani, comme l’ensemble de la péninsule, connaît une importante poussée
démographique. De 1443 à 1499, elle augmente de 870 foyers à 1.022. La peste et les guerres
provoquent une chute démographique dans les années 1529-1530 (716 foyers), vite compensée en
quelques années. En 1545, la ville compte 1.124 foyers.
Du milieu du XVe au milieu du XVIe siècle, Trani devient un centre commercial important.
Les Vénitiens y acquièrent des céréales et du nitrate de potassium. Ils vendent en retour des produits
manufacturés et du bois. Les Véronais et les Florentins y achètent de l’huile, des amandes et des
céréales. D’autres nationalités fréquentent la place : des Ragusains, des gens de Rijeka et d’autres
Croates du Sud, des Génois et des Bolognais. Les Tranesi sont également massivement impliqués
dans le commerce du port : ils négocient notamment les armes pour les navires, servent de
médiateurs avec l’intérieur du pays655.
Trani sert également d’escale de transit à la soie brute provenant de la Pouille. Dubrovnik y
transporte notamment des chevaux en vue de leur exportation sur l’ensemble du littoral italien. Au

655
Enciclopedia Italiana, Topo-Ved, vol. XXXIV, Rome 1937, 164-166.

583
milieu du XVe siècle, les commerçants juifs, aragonais et ragusains mènent un commerce de la soie
brute et des coraux656.
Cette ville apparaît plusieurs fois comme destinataire des articles splitois. En 1504, Trani
importe 254 peaux, 49 tonnelets de figues, cinq outres de miel, trois colis de cire et de la rasse.
Dans les années 1529-1530, elle importe en premier lieu des animaux et des produits d’élevage :
254 bêtes sur pied, trente-six poules, 164 peaux, 1.642 fromages, dix kilos et quatre balles de rasse,
plus de treize outres de miel et un peu de cire (une caisse, deux sacs et un ligazo). Les produits
agricoles sont moins représentés : seize tonneaux et deux outres de figues, six tonneaux de
marasques, des noix, de l’huile et du riz. Le poisson abonde, avec quarante-deux tonneaux en deux
ans. Des produits manufacturés, Trani n’importe que dix-neuf kilos, quatre caisses et deux barils de
chandelles.
Les négociants de Trani ne sont pas en reste. Alors que le trafic direct vers Split s’arrête en
1530, cinq Tranesi s’y rendent entre 1504 et 1559, et sept y sont présents de 1581 à 1583. Il est
donc évident qu’ils ne se limitent pas au ravitaillement de leur ville. Toutefois, la majorité ne réalise
qu’un aller-retour aussi bien pour le compte d’un tiers qu’en leur nom propre, le plus souvent vers
la Pouille, puis vers sottovento. Seul Geronimo de Trani commandite trois voyages de mai à août
1582. Il exporte au total quatorze chevaux vers la rive italienne orientale. Il semble donc qu’il suive
le courant général du marché des équidés qui se confirme à la fin du XVIe siècle.
- Vasto
La ville est conquise par Ferdinand Ier d’Aragon en 1464657. Des relations directes avec Split
n’apparaissent qu’entre 1511 et 1515. En revanche, les entrepreneurs de Vasto participent aux
échanges commerciaux entre 1511 et 1583. La ville même importe trois chevaux et 8,6 kg et 136 m
de rasse (en majorité de couleur verte), 413 peaux de bœuf et une caisse de livres, en six voyages.
Par ailleurs, dix marchands se rendent à Split (1511, 1559, 1581-83). Un seul réalise une activité de
grande envergure. Entre août 1581 et avril 1583, le Vasteso Fabieno Pagano commandite dix
voyages. Il agit à quatre reprises en tant qu’agent d’un tiers : en août 1581, pour le compte de
Giovanni Andrea, châtelain de Vasto; en mars 1583, d’après un mandat rédigé en décembre 1582
par un certain « monsieur Alfonso »; et au nom de Bartholomeo Simon, d’après une note du 20 avril
1583658. Le volume total de ses exportations vers sottovento comprend 119 chevaux, 161 pièces et
53 fagots de peaux, dix fagots de cordouan, 202 pièces de boldroni, 141 kg et trois cassettes de
chandelles en suif, ainsi que du poisson (trente-neuf miers, soit 200 chinchards et vingt-quatre
tonneaux de cievalli). En retour, il importe 53 bottes de vin alla misura napolitana à Split (après
l’autorisation d’Alfonso, puis au nom de Bartholomeo). Son activité est une illustration typique des
656
B. Hrabak, « Katalonci », (164,166).
657
O. Freri-A. Malatesta, Dizionario, 188 (voir à Istonio).
658
DAZd, Sp. Ar., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 480.

584
échanges qui animent les deux rives. La ville italienne importe des articles des Balkans contre sa
production agricole, du vin ou de l’huile. Les Vastesi Giovanni et Scipion sont les seuls autres
entrepreneurs à réaliser deux voyages. Le premier emploie les services d’Angelo de lo Ponti en
mars et en avril 1511, pour approvisionner sa ville en peaux, en rasse et en livres (la cassette déjà
mentionnée). Le second part seul en octobre 1582, puis il s’associe à Mengo de Trogir pour
exporter dix paquets et 254 pièces de peaux de génisse vers sottovento. L’activité des marchands de
Vasto déborde donc du seul trafic local de la ville.
- Les autres centres de la Couronne
Tout comme dans les Etats pontificaux, les marchands italiens du royaume s’impliquent en
personne sur les marchés dalmates. Le littoral croate (Esclavonie) représente un centre important
d’approvisionnement en chevaux de montagne (roncino). Ces animaux sont plus petits que ceux que
l’on trouve en Italie, mais ils sont plus résistants à la fatigue, ce qui explique leur demande659. En
dehors des individus déjà mentionnés, on relève encore d’autres ressortissants italiens660.
Nous avons insisté jusqu’ici sur la présence d’Italiens à Split. Or dès la première moitié du
e
XV siècle, des commerçants de la péninsule s’activent à Zadar aussi. Certains parviennent à
exporter encore quelques quantités de sel à partir de Zadar vers les ports de l’Abruzze. Nous avons
déjà mentionné l’achat de sel (neuf cents muids) par Masio Cole Matheo de Franca Villa, pour le
compte de Silvestro Covelli de la même ville, auprès des frères Venturino de Zadar. Le paiement
peut d’ailleurs être effectué en Dalmatie, dans l’Abruzze, dans les Marches, dans la Pouille et à
Venise661. D’autres s’impliquent dans le commerce du vin. Ainsi, en 1507, Blaž de Soppe doit trente
ducats d’or à Pietro Colle de la Pouille pour l’exportation de 400 mori de vin durant tout le mois de
décembre662.
En échange du sel et des autres articles du littoral croate et de l’arrière-pays, les
commerçants italiens participent à l’approvisionnement de la Dalmatie en huile italienne. En 1554,
le commerçant Marko Kokari de Zadar s’associe à Rocco Baptista de Chieti et à Scipion de Sacoza
de Chieti pour l’achat de deux miers d’huile auprès du commerçant Pietro Grassino Bergomenti,
marchand à Ortona. Francesco de Palma, baron de Manupello achète deux milliers et un quarto
d’huile pour 97 ducats. Pietro obtient 36 ducats, Rocco préfère recevoir l’équivalent en laine et
Marko reçoit 31,5 ducats en espèces663. Les Italiens s’associent aux Zadarois pour les transactions
de froment. En 1579, le patricien Ivan de Begna et le patron d’une barque, Nicolo Penzo de

659
C. Marciani, « Le relazioni », (34).
660
En 1561, le franciscain Thomaso Dattilo de Lanciano va en Dalmatie acheter des chevaux. En février 1565, Antonio
Cacciamosche de Vasto reçoit 60 ducats pour se rendre en Esclavonie et acheter des chevaux. Si nous prenons treize
ducats comme prix moyen du cheval sur la foire de Lanciano, il importerait entre quatre à cinq chevaux; ibid., (39).
661
DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. II/10, f° 431.
662
S. Gunjača, « Repertorium », (335).
663
DAZd, Conte Johannes de Morea, Instrumenti, B. I, F. I, f° 29.

585
Chioggia, doivent 147 ducats et deux livres à Silvestro de Corinaldo, fils de feu Matheo, pour 57 hl
de froment (à raison de 13 livres le setier).
D’autres ressortissants du Royaume de Naples contribuent à rendre l’activité du port de Split
attrayante. Dans l’Abruzze, ils sont deux, en plus de ceux dont nous avons déjà observé l’activité.
Ce sont Francesco Romano de Chieti (en avril 1583) et Amico de l’Abruzze (en avril 1581). Le
premier exporte trois chevaux et le second douze équidés vers sottovento.
En Campanie, ils sont onze hommes d’affaires, dont sept marchands de Mola664. Parmi ceux-
ci, Colino Angelo de Mola réalise huit voyages de Split, en tant que patron de navire. Ses
commanditaires viennent de Zadar, de Trani, de Sicile (Giovanni) et de Monopoli. Entre septembre
1581 et septembre 1582, il transporte quarante-trois chevaux, quatre tonneaux et 5.000 pièces de
poissons et deux balles de schiavine vers sottovento.
A Split, deux marchands de Napoli sont actifs durant la première décennie du siècle :
Antonio Tolosso, en tant que patron d’Ivan Fuligić de Split en 1504 et Giorgio de Napoli, avec le
patron Luka Cevola de Koper, en juillet 1515. A Zadar, en 1546, un commerçant napolitain, Marco
Antonio Melarzo, est installé à Zadar (ad presens in Jadra). Le vicaire Ivan Donat Beganio et son
neveu Aloiz Beganio ont contracté une dette de 350 livres auprès de lui en février665. Avec
l’avènement de la nouvelle dynastie aragonaise en 1443, Napoli devient le centre politique du
royaume d’Aragon en Italie. Elle compte 50.000 habitants au début du XVe siècle. Entre 1445 et
1463, les commerçants étrangers prennent une part importante dans la vie économique de la ville.
Les Catalans viennent en tête, suivis des Toscans, des Génois, des Vénitiens, et même de Flamands
et de Français. L’activité d’une famille marchande napolitaine, les d’Afflito, témoigne de la variété
des produits échangés. Les tissus de laine, florentins, véronais, flamands et anglais tiennent la
première place. Les d’Afflito négocient également des coraux, des futaines, des esclaves, du cuir,
des mulets, du thon, de la soie et du fer. Toutefois, les principales sources de financement et les
techniques économiques restent le domaine des étrangers, Florentins et Catalans avant tout666. Au
XVIe siècle encore, le marché napolitain est essentiellement occupé par des commerçants étrangers
: des Catalans pour l’exportation de la soie, et surtout des Génois, des Vénitiens et des Ragusains.
De sorte que les marchands napolitains préfèrent envoyer leurs matières premières vers Venise et
Florence, en échange de produits manufacturés667.

664
C’est une ville de la province de Bari, située dans le carrefour entre la route maritime et le réseau continental
intérieur. Elle produit du vin, de l’huile, de la caroube, des amandes et elle développe la pisciculture; Encyclopedia
Italiana, Messic-Ms, vol. XXIII, Rome 1934, 112.
665
DAZd, Conte Johannes Morea, B. I, F. I/1, f° 17’.
666
Amadeo Feniello, « Marchandises et charges publiques : la fortune des d’Afflito, hommes d’affaires napolitains du
XVe siècle », Revue historique n° 613, Paris (janvier-mars 2000), 55-119 (55, 73, 76, 84, 87).
667
The New Cambridge, vol. II, 312.

586
Deux hommes de Pomigliano sont de passage à Split en septembre 1504. Francesco Panono
et son compatriote Fernando de Boroni sont associés pour transporter de la rasse, des figues et du
raisin grec (vun/uva passa) vers la Pouille. Quatorze Italiens, en plus de ceux déjà cités, viennent de
cette région. C’est le cas de Matheo Marcello de Lecce, commanditaire d’un voyage sur le navire de
Matej Borčić de Vis, en février 1581, pour le transport de vingt-trois chevaux vers sottovento. Moio
et Carlo de Molfetta commanditent un seul voyage, respectivement en septembre 1557 et en juillet
1559, avec des cargaisons de chevaux et de peaux vers la Pouille. Colino Marino de Molfetta
exporte neuf chevaux vers le littoral italien, sur le navire de Giaccomo de Brindisi, en juin 1582.
Antonio de Pegna de San Severo commandite le transport de vingt-deux chevaux vers sottovento,
sur le navire d’Alimento Farinello, en mars 1581. Alviso Penesi vient de Taranto et réalise seul un
voyage en juin 1530. Sa cargaison contient trente-sept tonneaux de sardines, deux rouleaux de rasse
et un sac de cire, destinés aux ports de l’Abruzze et de la Pouille. Citons encore six commerçants de
la ville de Vieste, présents dans le port splitois entre janvier 1516 et octobre 1581. Marino de Vieste
est notamment le patron de deux entrepreneurs : Matej de Šibenik, qui habite à Vico, et Domenico
Spagnoletto de Peschici (Peschize). Il transporte sur son grip seize tonneaux et 1.200 poissons, sept
chevaux de montagne, un mulet et 71 peaux vers la rive italienne orientale.

L’activité des ports et des marchands italiens étudiés illustre en partie la nature des échanges
entre les deux rives adriatiques. Les contrelettres de Split permettent de compléter la connaissance
du volume des marchandises importées dans le royaume. Les articles splitois les plus recherchés,
sur une dizaine d’années entre 1557 et 1582, sont les bêtes et les produits d’élevage. On compte 254
têtes de bétail (vers Trani), neuf génisses, trente veaux, 257 chapons, des poules (une caisse et 72
bêtes), 1.069 chevaux, 17 mulets, 120 chèvres. Les produits d’élevage sont : plus de 417 kg de cire
(avec encore huit colis, sept sacs, 19 ligazi, sept formele, un tonneau, trois pains et une caisse)
destinée en majorité vers la Pouille, 1.128 pièces et 49 balles de cuir (dont huit balles pour
Lanciano), plus de 40 tonnes de fromages (dont les trois-quarts vers la Pouille), 4.004 pièces et 19
balles de peaux diverses (dont 413 pièces pour Vasto et neuf balles pour Lanciano), plus de 2.274 m
et plus de 388 kg de rasse (sans compter 207 balles, 13 cavezi, six ligazi, trois colis, neuf pillas, sept
outres et onze pièces), en majorité destinée aux marchés apuliens, 141 balles et 136 pièces de
schiavine et cinq tonneaux de viande. Les poissons sont également importés dans ce territoire, en
grande majorité vers la Pouille : plus de 2.997 tonneaux, dix-neuf caratelli (dont seize vers Napoli
et trois vers Trani), 400 cavi cerchiadi, un sac et quatre tonnelets.
Parmi les produits agricoles, les figues tiennent le premier rang des exportations avec 592
tonneaux, 182 tonnelets et trois outres, uniquement vers la Pouille. Plus de 28,7 hl de vin sont
destinés à la Pouille (plus trente-quatre tonneaux et cent un cavi). Les autres articles apparaissent de

587
manière épisodique : des amandes, de l’ail, de la gelée, 6,7 hl d’huile, du lin, des noix et du raisin de
Malvoisie (le raisin connu sous le nom de vun passa). Parmi les matières brutes se distinguent le
bitume (739 kg) et le fer (286 kg). Les produits manufacturés sont très variés, mais ils apparaissent
le plus souvent en petite quantité. On compte de nombreuses chandelles (20 kg, trente-six caisses,
dix-sept tonneaux et deux tonnelets), 787 paires d’escarpins, treize tonneaux de clous, 751 pièces,
dix balles et quatre fagots de cordouan, deux tonneaux et 142 couteaux ou poignards (vers
Monopoli), 404 planches en bois, exclusivement vers la Pouille. Quelques draps apparaissent
également : tels, entre autres, six pièces de carisé, six pièces de futaine, 216 m de soie, de la toile
(une pièce, une balle, huit kilos et six cavezi), du samit et 34 m de serge blanc (sarza biancha). Les
produits de luxe, d’origine orientale, sont également présents : trois caisses de cannelle, cinq sacs de
riz et une caisse de sucre (pour Barletta).
Lorsque Venise perd sa position de marché dominant dans les exportations splitoises à la fin
du XVIe siècle, elle est supplantée par les destinations au sud de Rimini, qualifiées de sottovento. Le
volume des exportations vers cette zone, en 1557-59 et en 1581-82, doit être ajouté aux données
précédemment relevées. Le centre et le sud de l’Italie importent sur une année 266 chapons, 753
chevaux et mules, 39 génisses (1557) puis 16 (en 1581-82), ainsi que quatorze porcs (1557). Les
produits d’élevage importés chaque année sont : 2.518,5 pièces et 132,5 ballots de peaux, 235
pièces de cordouans (pour les années 1580), 40 tonnes (7.575 pièces) et plus de 90 miers de
fromage, de la laine (885 kilos en 1557, 1,7 tonne en décembre 1580, 7 tonnes en 1581, six miers en
1582), et plus de 188 kilos de chandelles en 1581. L’importation des poissons est très importante :
412 tonneaux en moyenne par an dans les années 1580 et 1.150 poissons par an sur cinq ans. En
revanche, les produits agricoles tiennent une moindre place : seulement 800 tonnelets de figues en
1582 uniquement, 181 kilos et trois sacs de lin en un seul voyage en 1581, trois tonneaux de
marasques en 1557 et deux tonneaux de miel la même année. Les produits artisanaux sont, en
revanche, mieux représentés : 1.388 pièces de boldroni par an, 716 g de rasse par an et 6,8 mètres
de rasse en 1581, treize balles par an dans les années 1550 et 24 balles et plus de 281 pièces de
schiavine par an dans les années 1580, et enfin 234 chapeaux en 1580 seulement. En 1581 sont
exportés 700 resci.

Aucun réseau direct n’est établi entre les Etats occidentaux de l’Italie et les ports dalmates.
En revanche leurs ressortissants apparaissent tout au long du XVIe siècle dans les contrelettres
splitoises, et certains habitent à Split. Ils contribuent au réseau commercial animant l’ensemble du
bassin adriatique.

588
Dans le duché de Milan668, deux Milanais669 sont présentés comme des marchands habitant à
Split même dans les années 1510 : Augustino de Canobia et Nicolo de Boneto. Le premier réalise
trois voyages entre mai et août 1515, en employant les services de Pietro Agresto, Nikola
Malamocho et Petar Seargut de Split. Il exporte au total onze chevaux, soixante-deux planches de
bois, treize cuirs de bœuf, un tonneau de couteaux, deux balles de rasse et une pièce de drap vers la
Pouille. Son compatriote Nicolo transporte 90 tonneaux et 160 tonnelets de figues, deux tonneaux
de marasques, du bois à profusion, un tonneau de viande salée et un tonneau de sardines à Venise,
en deux voyages. A Zadar, en juillet 1557, le Milanais Michaelo de Zuanbrecio conclut une
compagnie avec le Vénitien Nicolo Fortuna avec un budget initial de 200 ducats, à investir dans
diverses marchandises. Michaelo est chargé de leur transport sur une galée et reçoit en salaire
mensuel huit livres et des biscuits670.
Notons encore la présence de Bastiano de Peschiera en octobre 1558, de R. [sic] de Zindri de
Trevilio qui voyage pour le compte de Venturo Hubert en avril 1581, ainsi que de trois Lombards,
Giaccomo, associé à Andrea en juillet 1557, et Baptista de Lombardie en juin 1581. Francesco
Franchi vient de Genova. Il transporte vingt-neuf ballots de cordouan vers Venise, sur le navire du
patron Giorgio Corchato, en septembre 1581. Giorgio de Pisa transporte six équidés vers la Pouille,
en tant que patron de Francesco de Brizo, en mars 1558. Matej de Šibenik vit dans le Piémont à
Vico, il est associé au patron Marin de Vieste dont il a déjà été question671.
Les ports de Split et de Zadar communiquent donc directement avec vingt-cinq centres
italiens (Ancona, Bari, Barletta, Brindisi, Caorle, Cesena, Chioggia, Fermo, Giovinazzo, Grado,
Lanciano, Manfredonia, Mola, Monopoli, Napoli, Ortona, Otranto, Peschici, Polignam, Ravenna,
Syracusa, Termoli, Trani, Vasto et Venise). Ils sont aussi indirectement reliés, par l’intermédiaire de
leurs ressortissants, à vingt-huit autres marchés italiens (Bergame, Bologna, Brescia, Chieti, Crema,
Fano, Genova, Lecce, Mantova, Milano, Modena, Molfetta, Pesaro, Peschiera, Pisa, Pomigliano,
Recanati, Roma, San Severo, Senigallia, la Sicile, Taranto, Treviglio, Trieste, Udine, Urbino,

668
Au XVe siècle, les Visconti offrent de nombreux privilèges aux artisans étrangers susceptibles d’implanter la
manufacture de la soie à Milan. Ils intègrent progressivement les nouveaux arrivants dans des corporations de métiers
complexes (les guildes), pour mieux réguler et contrôler la production et le trafic; L. Thrupp, « The Gilds », The
Cambridge economic, 230-280 (270). Louis Sforza introduit la culture du riz durant la seconde moitié du XVe siècle. Le
riz commence à être cultivé à Pise à partir de 1468 et dans la plaine lombarde à partir de 1475. Avec les guerres,
d’Italie, ces cultures sont ruinées; The New Cambridge, vol. I, 32. A la mort de François Sforza en 1535, son territoire
est l’objet de conflits entre la France et l’Espagne. En 1545, il devient la propriété de Charles Quint, après la mort de
Charles d’Orléans, ibid., vol. II, 220-221, 353.
669
Dans les années 1500, avec 100.000 habitants, Milan figure parmi les villes les plus peuplées d’Europe. C’est l’un
des centres industriels les plus importants. Il est réputé pour ses manufactures du métal et de l’armement. Les troupes
espagnoles pénètrent dans la ville en 1563. Milan devient alors le principal point d’appui de l’Espagne en Europe; The
New Cambridge, vol. III : « The counter-reformation and price revolution 1559-1610 », 256.
670
DAZd, Gabriela Cernota, B. I, F. III, f° 17’-18.
671
Il existe encore des Italiens dont la ville n’est pas identifiée. Domenico Spagnoleto, Juraj de Hvar et Ambrosio da
Ponte habitent à Peschici, ville de la Pouille, d’autant qu’en octobre 1581 douze bottes de vin de cette ville sont
importées à Split, les bottes étant calculées alla misura napolitana. Giovanni Paulo Tunize vient de Camcuno et Octavo
Nicolo Maved... de Pulegnamo.

589
Verona et Vieste). Parmi ces centres, certains sont des foyers d’absorption des courants migratoires
dalmates (partie I), notamment à Pesaro et à Fano, où les Croates constituent 15% de la population.
Ces échanges se fondent sur une longue tradition, entretenue avec soin, grâce aux accords
diplomatiques et commerciaux remontant au XIIIe siècle.
D’un point de vue économique, ces relations ont une double portée. D’une part, les
Dalmates y exportent de tout : matières premières (bitume essentiellement), produits agricoles
(figues, céréales selon la saison, vin, huile...), d’élevage (fromage en premier lieu, peaux et
fourrures...) et de pisciculture, produits artisanaux (essentiellement la rasse retravaillée et les
schiavine). Face au peu d’intérêt des Italiens envers le trafic des Balkans, a fortiori en temps de
conflits armés, les Splitois et les Zadarois irriguent de l’intérieur les marchandises « turques »
contre des produits de luxe, des céréales et de l’huile. Ils participent d’ailleurs activement aux
échanges établis, soit en tant que transporteurs, soit en tant que commanditaires. Ils ne dénient pas
non plus de conclure des sociétés avec des négociants italiens pour ravitailler leurs centres
respectifs et achalander leurs boutiques.
D’autre part, la plupart des marchés italiens sont en contact avec d’autres centres
occidentaux. Leurs hommes d’affaires disposent de navires sur lesquels des Dalmates embarquent
sans doute, pour poursuivre plus loin l’étude de marché. De sorte que le réseau dalmate, de transit
en transit, se ramifie au-delà de la péninsule italienne. L’étude préalable du savoir-faire commercial
a montré également la portée culturelle de ces relations entre les deux rives de l’Adriatique. Les
nouvelles techniques financières et de négoce sont rapidement assimilées, lorsque les moyens le
permettent, et appliquées sur le sol dalmate, bien avant les territoires nord-occidentaux.

3°) L’Istrie
La péninsule istrienne est délimitée à l’ouest par le golfe de Trieste et à l’est par les
montagnes de l’Učka et de la Čičarija. Elle couvre une superficie de 2.820 km2672. Cette région
bénéficie d’une grande couverture forestière, (hêtres et chênes). Son sol, constitué de terre rouge,
renferme des mines de charbon et des poches de bauxite673.
Depuis le XIIIe siècle, la partie nord-ouest du littoral istrien (Poreč, Umag, Novigrad,
Motovun, Piran, Izola et Koper) est sous domination vénitienne. Au XIVe siècle, Venise étend son
territoire vers la partie sud-ouest (Pula et Rovinj). Enfin, au XVe siècle, elle acquiert Muggia et la
partie continentale de la péninsule, détenant alors les trois-quarts du territoire istrien (Provincia
dell’Istria). Seul le comté de Pazin (Grafschaft Mitteburg ou Contea di Pisino), comprenant Pazin et

672
Knjiga o Istri, dir. Tone Peruško, Zagreb 1968, 2.
673
Ibid., 7-8.

590
ses alentours, appartient depuis 1374 aux Habsbourg674. De sorte que la péninsule est partagée entre
deux puissances, la République de Venise et l’Empire d’Autriche (carte XX).
Durant la période étudiée, l’Istrie subit de nombreux fléaux. D’une part, plusieurs
mouvements armés : les incursions ottomanes, au nord, dans la partie continentale (neuf fois entre
1470 et 1499, puis en 1501 et en 1511), les conflits entre Venise et l’Autriche (la guerre ouverte
entre les deux puissances n’est déclarée qu’en 1615, mais jusque-là, les provocations sont
fréquentes au moment de la ligue de Cambrai en 1508-1523), et le vandalisme des Uscoques à la fin
du XVIe siècle675. Cette situation politique provoque les dévastations fréquentes du territoire et le
pillage du bétail. D’autre part, la démographie istrienne est fortement touchée par les épidémies de
peste (quatorze fois au XVe siècle et seize fois au XVIe siècle, avec la mortalité la plus importante)
et de malaria676. Ces épidémies interrompent régulièrement le trafic commercial entre les bourgs de
l’intérieur, les ports du littoral et la ville de Trieste, port voisin de l’Istrie le plus développé. De
plus, le climat désastreux (hivers longs et très froids) aggrave les conditions de vie.
Ces facteurs conjugués provoquent la désertification du pays, l’abandon et la dévastation des
terres. La démographie est en dents de scie (52.765 habitants en 1554, 70.000 habitants en 1580,
puis 46.000 en 1601). Entre le XIIIe et le XVIe siècle, plus de 80% des villages sont abandonnés.
Aussi, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, la République de Venise mène une politique de
repeuplement en organisant le système des colonats familiaux. Dans la région sud et ouest de
l’Istrie, chaque famille obtient entre 19 et 38,5 hectares de terre, dont une partie ne peut être utilisée
que pour les pâtures677. Les immigrés les plus nombreux viennent des régions croates et bosniaques
tombées sous les Turcs. Après avoir transité en Dalmatie, ils se réfugient en Istrie. A partir du
milieu du XVIe siècle, le Sénat vénitien charge des magistrats et des provéditeurs de répartir et de
distribuer des terrains à cultiver. Venise donne aux nouveaux arrivés les semences et les outils, et de
l’argent pour l’élevage du bétail. Pour toute terre défrichée, elle libère les propriétaires du paiement
de l’impôt durant vingt ans. En dehors des Croates, on compte encore des Monténégrins, des
Albanais et des Roumains678.
De son côté, Ferdinand d’Autriche encourage les mouvements de migration dans le comté de
Pazin. En 1532, il libère les réfugiés bosniaques et les Uscoques du paiement de toutes taxes durant
six ans, et leur accorde le droit de choisir leurs chefs679.

674
M. Bertoša, « Društvene strukture », (127).
675
Ibid., (127-131); Kniga o Istri, 23-25.
676
En 1553-1554, les deux tiers de la population de Koper meurent, ainsi qu’à Piran en 1556. A Poreč, entre 1580 et
1601, 75% de la population disparaît, M. Bertoša, « Društvene strukture », (127-131); Knjiga o Istri, 23-25.
677
M. Bertoša, « Društvene strukture », (131, 133).
678
Toutes ces populations s’assimilent progressivement, en dehors de quelques Monténégrins conservant leur
confession orthodoxe, et quelques Roumains parlant toujours leur langue maternelle; Kniga o Istri, 27.
679
Ibid., 29.

591
Les vagues d’immigration encouragées par les pouvoirs vénitiens et autrichiens créent des
conflits entre les nouveaux arrivants et la population autochtone, à laquelle les terres sont
confisquées et sur laquelle les charges fiscales retombent. Néanmoins, les émigrés contribuent à la
revitalisation économique de la région680.
En effet, la situation économique des ports du littoral régresse dans les années 1510. Jusque-
là, les ports jouissent de leur position géographique privilégiée, en tant que lieu de halte et de
paiement des douanes pour les navires allant à Venise. Désormais, les villes istriennes survivent.
Dominées par des puissances étrangères, et en grande partie dépeuplées681, elles sont dans
l’impossibilité de développer leur propre activité économique et commerciale. Les relations
maritimes sont réduites au minimum, tandis que les rapports terrestres avec l’intérieur sont peu sûrs
et très limités682.
L’importance économique de l’Istrie repose sur ses richesses naturelles. Les parties
montagneuses sont destinées à l’élevage des moutons. Des pasteurs semi-nomades se chargent de la
production de lait, de laine et de l’élevage du bétail. Les forêts de hêtres sont exploitées dans la
partie orientale de l’Učka; le bois sert notamment à la fabrication des tonneaux. Les petites zones de
plaines, en Istrie centrale, sont utilisées pour la culture. La zone du littoral est dominée par la
culture des oliviers, et surtout par l’activité de pêche. Il n’existe pas d’artisanat à proprement parler,
chaque foyer réalisant les outils et les habits dont il a besoin683.
Les communes du nord-ouest de la péninsule (Koper, Milja, Piran et Izola) sont animées par
les échanges commerciaux avec leur arrière-pays et la principauté de Pazin (importation de blé, de
fromage, de laine, de matériaux en bois et en fer contre du sel). En 1580, à Koper, sur les 50.000
ducats de revenus, 68% sont déversés directement à Venise, le reste demeurant dans la caisse
communale et ne suffisant pas à combler le déficit (16.000 ducats d’entrées contre 20.000 ducats de
sorties). Les cités du côté sud-oriental produisent surtout de l’huile, produit qu’elles exportent avec
le vin et le sel dans l’arrière-pays et en Fourlanie. Les activités économiques sont réparties par
genre : l’agriculture, la pêche et la navigation reviennent aux hommes et le travail dans les salines
est destiné aux femmes684.

680
Dans le comté de Pazin, la population subit également de fortes pressions économiques. Organisée en entités
féodales (les mansi), la population servile doit donner un dixième de blé, de vin et d’ovins. De 1498 à 1578, elle doit
encore des redevances en monnaie et en nature pour certains jours de fête. Ce n’est qu’avec l’émigration des fuyards de
Bosnie de l’ouest, de la Croatie et de la Dalmatie, que le principe des mansi est abandonné. Les nouveaux occupants
obtiennent des privilèges, tandis que les indigènes sont davantage ponctionnés fiscalement. Les possessions paysannes
varient alors entre 0,2 et 14 hectares, M. Bertoša, « Društvene strukture », (134-135, 137).
681
Koper est la ville la plus importante avec 8.000 habitants en 1533, mais vingt ans plus tard, ce chiffre tombe à 2.300
habitants, et ne se redresse qu’à partir des années 1580 avec 5.800 habitants. Les autres ports comptent entre 700-800
habitants pour Poreč et 1.500 habitants pour Milje, Izola et Labin; ibid., (142-143).
682
Ibid.
683
Knjiga o Istri, 73-74, 82.
684
Miroslav Bertoša, Istarsko rano novovjekovlje. Razvojne smjernice od 16. do 18. stoljeća, Dalmacija, Dubrovnik,
83-120 (106).

592
Dans le contexte de dépression générale qui touche la péninsule istrienne, seule la ville de
Rovinj est à peu près épargnée. Les épidémies ne l’ont pas touchée et Rovinj parvient à poursuivre
ses activités économiques antérieures : la construction navale, l’agriculture, les transports
maritimes, la pêche685 et un peu d’artisanat. Piran et Rovinj construisent des marcilianes d’une
capacité allant de 60 à 80 tonnes, et des navires de plus petite taille. Ces villes exploitent également
des carrières de marbre et de pierre de bonne qualité, pour les exporter à Venise. Néanmoins, sur
l’ensemble du territoire istrien, l’agriculture et l’élevage représentent les principales sources de
revenus686. Piran a encore une autre spécificité : l’exploitation du sel. Mais la production et la vente
de ce dernier sont essentiellement contrôlées par Venise, si l’on excepte la contrebande de cet
article, dont tire parti la population locale687. En revanche, la ville puise des revenus importants de la
pêche688.
En somme, l’ensemble de la région istrienne traverse une période de crise démographique,
politique et économique. Les productions agricoles et pastorales répondent essentiellement aux
marchés et à la consommation intérieurs. Les traces d’un commerce plus étendu n’ont pas été
réellement étudiées (si l’on excepte les transports de sel). Cette régression économique générale se
reflète également dans les relations entre les ports dalmates et ceux d’Istrie.
Un échange commercial existe constamment tout au long du XVIe siècle. Mais, bien que ces
deux régions soient presque voisines, l’Istrie ne représente que 1 à 3% du marché splitois au XVIe
siècle. Ce dernier pourcentage est atteint dans les années 1580-1583. Cette « hausse » pourrait
évoquer les prémices du redressement économique de la péninsule à partir de la fin du XVIe siècle,
qui se poursuivra le siècle suivant. Dans les villes mêmes de Split et de Zadar, les Istriens ne sont
pas présents de façon significative.

685
Tous les ports istriens disposent de nombreuses criques et des baies retirées très appropriés pour la pêche. Leurs
Statuts codifient les droits de pêcheurs, les infractions potentielles; Josip Basioli, « Trgovina i raspodjela morske ribe na
obalama Istre u prošlosti », Jadranski zbornik, vol. VI, Rijeka-Pula (1966), 165-196. L’auteur avance les prix et les
revenus de ce trafic des poissons, mais pour les siècles postérieurs à cette étude.
686
M. Bertoša, « Društvene strukture », (145).
687
Durant la première moitié du XVe siècle, Venise fixe la production du sel de Piran à 4.700 muids par an. Ses salines
sont destinées par la République à l’approvisionnement de la Vénétie, du Frioul et du Cadore. Jean-Claude Hocquet,
« La politique commerciale du sel de la République de Venise du XIe au XVIe siècle », Le rôle du sel dans l’histoire,
dir. M. Mollat, Paris 1968, 227-231. Voir tous les travaux postérieurs de l’auteur sur le trafic et la mesure du sel à Piran.
688
Au XVIIIe siècle, la pêche représente 61% des revenus urbains; J. Basioli, « Trgovina i raspodjela », (173).

593
Carte XX : La côte adriatique orientale aux XVe-XVe siècles

Carte réalisée par Aurélie Fabijanec

594
Les transports splitois vers les ports sont constitués essentiellement par du fromage en
grandes quantités (3.232 pièces dont 2.583 pour Piran en 1515-1517, cent pièces, douze miers et
quatorze outres en 1528-1530, 3.028 pièces et plusieurs transports en vrac en 1557-1560, et 58.275
livres (≈ 3 t), douze miers dans les années 1580-1583). Split fournit les marchés istriens en peaux de
sauvagines et domestiques diverses, ainsi qu’en cordouans, en poissons (1.700 pièces, 153 barils et
15 miers en 1580-1583) et en chevaux (vingt-neuf têtes dans les années 1558-1560). Piran est la
partenaire privilégiée de ces fournitures (en 1580-1583, elle importe deux bottes de vin). En
somme, les articles vendus en Istrie viennent de l’arrière-pays dalmate ou constituent des appoints
pendant les périodes de crises aiguës689. De sorte que si l’on excepte les arrivages de fromage, le
volume de ces transactions apparaît très modeste. Non seulement l’Istrie subsiste difficilement
durant cette période, mais la proximité de Venise, qui draine la majeure partie du trafic dalmate,
rend difficile le développement plus étendu des réseaux commerciaux entre ces deux régions.

4°) Le Littoral croate


Trois puissances se partagent ce territoire (carte XX). Le (golfe du) Kvarner est constitué par
la ville de Rijeka et les îles de Krk, Rab, Cres et Osor (canal du Kvarner). Les îles sont intégrées au
domaine vénitien, tandis que le port de Rijeka est la propriété du Saint-Empire. Sur la Côte croate,
les villes de Senj, Bakar, Karlobag et Bakarac appartiennent à la couronne de Hongrie-Croatie. Ces
dernières sont toutes administrées par les membres de la lignée des Frankopan/Frangipani (dont le
nom s’affirme au XVe siècle690), seigneurs croates, vassaux du roi de Hongrie691. L’ensemble
continental représente un carrefour important. Il relie les régions de la Croatie septentrionale avec le
trafic maritime adriatique, du nord au sud, ainsi que les cités dalmates au pied de la chaîne des
Dinarides avec l’Italie orientale. Parmi les ports cités, certains se distinguent particulièrement.

689
On relève ainsi un arrivage de 216 têtes de petit bétail en 1515-1517, au moment des affrontements entre Venise et
l’Autriche. Les apports de plusieurs barils de sardines et autres poissons sont également réguliers, alors que les ports
istriens ont leur propre production poissonnière. Durant ces années 1515-1517, une botte et 58 barils sont transportés.
690
Le premier prince de Krk, Dujmo († 1163), ancêtre des Frankopan, apparaît en 1118, avec l’arrivée au pouvoir de la
République de Venise dans l’île. Les Frankopan originaires de Krk n’ont pas de liens de parenté avec les Frangipani de
Rome, dont l’origine remonte au Xe siècle. Mais, lors de sa mission diplomatique à Rome auprès du pape Martin V, en
automne 1430, le ban de Croatie, Nikola Frankopan, est reçu avec enthousiasme par les Frangipani romains. Les
Frankopan jouissent d’une grande réputation à cette époque, et les Frangipani, en phase de décadence, ont rapidement
trouvé des documents « anciens » pour prouver que les princes croates de Senj sont « vraiment » les descendants des
Frangipani. Le pape confirme cette filiation et octroie au prince Nikola et à ses descendants un nouveau blason (deux
lions d’or rompant deux pains sur fond blanc et rouge et une étoile d’or en haut de l’écu); Vjekoslav Klaić, Krčki
knezovi Frankapani, livre I, Zagreb 1901, 82-83, 217-218.
691
Plus tard, ces centres vont revenir à la famille des Zrinski, nobles les plus puissants du royaume de Croatie, suite aux
contrats matrimoniaux conclus entre l’une des branches des Frankopan et certains membres des Zrinski.

595
a) Senj
La ville de Senj est située à l’issue du défilé, entre Razvale et Vratnik, coupant les
Dinarides. Les routes terrestres qui pénètrent vers l’intérieur des terres par ce défilé relient, suivant
l’axe nord-sud, la mer Adriatique avec les villes de la couronne de Hongrie-Croatie (Ogulin,
Modruš, puis Zagreb et au-delà). Sur l’axe transversal, est-ouest, Senj constitue une étape
commerciale importante dans le trafic maritime et terrestre entre la Dalmatie et l’Italie.
Outre cette position stratégique, Senj dispose de deux richesses de base : le bois et le fer.
Encerclée par l’extrémité nord de la chaîne de montagne de Velebit, Senj puise dans la zone boisée
de son arrière-pays pour se fournir en matières brutes692. Grâce à ces facilités d’approvisionnement
en bois, elle devient un centre important de production d’articles en bois, en premier lieu de rames,
et de produits ferreux. Elle noue de plus des relations commerciales solides avec les régions
voisines, grâce à la diplomatie habile de ses seigneurs successifs.
Depuis les années 1290, le port de Senj est intégré au domaine des comtes de Krk (futurs
Frankopan). Le comte Ivan V est le propriétaire de Senj depuis 1350. En 1392, ce seigneur puissant
devient le ban du royaume de Croatie, Dalmatie et Slavonie, sous la couronne de Saint-Etienne. Le
roi Sigismond lui octroie le droit d’exploiter les mines d’or, d’argent, de cuivre, de bronze et de fer,
sans paiement de taxe. La ville connaît ainsi un essor économique remarquable, qui se traduit en
outre par la création de consulats des principaux partenaires commerciaux à la fin du XIVe siècle693.
Tant que les relations avec les seigneurs croates sont bonnes, la République de Venise soutient
l’importation du bois de Senj et finance le commerce des rames694. A ce titre le commerce du bois
est en grande partie détenu par les marchands étrangers. Parmi ceux-ci figurent également des
Catalans, au moins au début du XVe siècle. Ils emploient la place comme port de transit, dans le
cadre d’un courant de réexportation atteignant des comptoirs orientaux695. Quant aux Vénitiens,
implantés en ville, ils y introduisent leurs statuts commerciaux696. Dubrovnik tire également un
intérêt direct de ses relations avec Senj. Celle-ci représente une tête de pont pour la pénétration des
pays de la Hongrie-Croatie. Le courrier diplomatique de cette République circule via Senj vers les
villes de Zagreb, Budapest, Vienne et le reste de l’Europe centrale697.

692
Voir plus spécialement l’article de V. Severinski, « Senjske šume ».
693
Un consul vénitien est institué dès 1374. Ancona nomme également un représentant consulaire en 1390. Le consulat
anconitain est encore documenté au moins jusqu’à la fin du XVe siècle ; S. F. Fabijanec, « Trgovački promet », (107).
694
P. Strčić, « Senj u XIII. », 1-18.
695
En 1524, le marchand de Barcelona Gabriel Torrales obtient une rémission du roi d’Aragon pour l’achat de matériel
en bois (lignamina diversa) acheté à Senj. Alors que les matériaux de construction et à des fins militaires sont touchés
par l’interdit d’exportation, Gabriel est autorisé à transporter le bois de Senj vers la Barbarie, sur le navire de son
compatriote Salvador Ferra; Claude Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés, 1380-1462, Paris
1967, 19-20.
696
V. Severinski, « Senjske šume », (237).
697
J. Lučić, « Veze izmeñu Senja », (236)

596
Au XVe siècle, la ville est gouvernée par les comtes de Frankopan. Ils laissent une large part
d’autonomie aux Segnois dans la gestion de leurs affaires économiques. Les intérêts vénitiens dans
cette ville sont toujours sensibles. En 1408, le comte de Senj, Krk et Modruš, Nikola Frankopan,
conclue un accord commercial avec Venise, selon lequel les marchands vénitiens installés à Zagreb
disposent de privilèges particuliers pour l’arrivage et le dépôt de leurs marchandises. En 1455, cet
accord est renouvelé et étendu : les navires de Senj sont autorisés à transporter leurs marchandises
dans les régions vénitiennes, mais au retour ils ne doivent embarquer que de la marchandise
vénitienne, en premier lieu des tissus de luxe à destination de Buda698. Les commerçants de Senj
exportent donc du bois, du bétail et de la chaux vers l’Istrie, la Dalmatie et Venise, avec une
tarification précise qui distingue les tarifs douaniers suivant la nature des marchandises, les
directions et l’origine des commerçants699. A la seconde moitié du XVe siècle, la commune devient
le principal port adriatique du royaume hungaro-croate, alors que la majorité des autres sites
portuaires sont aux mains de Venise700. Les métaux (fer, cuivre, plomb, étain) proviennent de la
Carinthie en quantités croissantes pour être travaillés sur place puis distribués vers les Marches et
les autres zones italiennes limitrophes, en évitant le marché vénitien. Le second gros trafic concerne
les cuirs de bœufs en provenance de la Hongrie, exportés notamment vers Venise701 En septembre
1497, le trafic des métaux prend son essor. Le comte Bernard Frankopan signe à Buda un accord de
transport du cuivre avec János Thurzó. Pour chaque cent viennois de cuivre702 conduit de Buda et
des ports danubiens voisins, les transporteurs payent 8 florins, plus les taxes (généralement la malta
fluviale) tout en étant exemptés du payement de la taxe royale du trentième703. Le bois de charbon
est quant à lui importé en quantités importantes à Venise pour alimenter l’artisanat de porcelaine et
de chaudronnerie de la République. La cendre du bois de hêtre sert en Italie à la fabrication du
verre704.
En tant que centre de transit commercial, Senj suscite l’implantation de diverses colonies705.
Au cours du XVe siècle, des Florentins s’y installent et animent un réseau commercial reliant
l’Adriatique à Zagreb par la via Schiavonia verso Saghabria, cette dernière domiciliant également

698
Zlatko Herkov, Povijest zagrebačke trgovine, Graña za gospodarsku povijest Hrvatske 21, Zagreb 1987, 10, 11.
699
Les sujets vénitiens qui exportent des biens à Senj, ou qui veulent se rendre vers Zagreb et la Bosnie, doivent payer
10 sous de douane par mesure de blé, 4 sous par tête de bétail, ainsi que 10% de la valeur d’un cheval. Pour toute
marchandise sortant de l’Adriatique, il faut payer un ducat pour mille ducats de valeur marchande, tandis que les
articles vénitiens sont exemptés de paiement. Les autres marchandises sont taxées à 40% de leur valeur en cas
d’exportation et à 5% de la valeur pour les importations; I. Pederin, Mletačka uprava, 127-128.
700
Boris Grgin, « Senj i Vinodol izmeñu kralja Matijaša Korvina, Frankapana i Venecije (1465-1471) », Radovi Zavoda
za hrvatsku povijest 28, Zagreb (1995), 61-70, (63).
701
Zsuzsa Teke, « Il porto di Segna come impresa economica nel Medioevo », Studia historica Adriatica ac
Danubiana, Anno I, n. 1, Trieste (2008), 71-79 (76-77).
702
1 cent viennois = 56 kg.
703
Berislav Šebečić, « Hrvatski i meñunarodni bakreni i solni putevi u dijelu Europe », Rudarsko-geološko-naftni
zbornik 13, Zagreb (2001), 73-86, (74).
704
V. Severinski, « Senjske šume », (237).
705
B. Grgin, «Senj i Vinodol izmeñu », (63).

597
d’autres Florentins, dont certains occupent des fonctions importantes (en 1482, Domenico de
Florencia y est collecteur des impôts pour la Slavonnie). De Senj, ils réalisent des opérations
commerciales avec la Hongrie, mais aussi plus à l’est, jusqu’en Albanie. Les draps de luxe (telam
quandam serciam, auroque intertextam; merces sericeas) constituent leur fond de commerce
principal – la valeur des draps confisqués aux héritiers de Giaccomo del Bene atteint par exemple
les 3.000 florins. Le Florentin Giovanni (Sowan) Pastor occupe le poste de Capitaine de Senj en
1496. Au début du siècle suivant, il utilise la route Zagreb-Senj pour une vaste exportation de bêtes
jusqu’à Venise – jusqu’à 4.000 têtes de bétail sont transportées en une seule fois706. La République
de Dubrovnik, quant à elle, instensifie ses relations avec Senj à partir de la fin du XVe siècle. Son
consulat est créé en 1491. De nombreux contrats commerciaux sont conclus entre des transporteurs
segnois et des marchands ragusains. Les articles en bois (planches et poutres en bois pour navire,
rames, cerceaux, cerclages pour tonneaux, mâts de navire), ainsi que les minerais (fer, plomb, oxyde
de plomb) constituent les principales marchandises importées à Dubrovnik. Les entrepreneurs de
Senj tirent profit de leurs relations avec les Ragusains. Ces derniers redistribuent les marchandises
vers des destinations débordant le cadre de l’Adriatique, étendant de la sorte le rayonnement
économique du port. Dans les accords de transport des matières brutes et des articles manufacturés,
une grande partie des marchandises est ainsi destinée aux ports italiens (Manfredonia, Barletta),
siciliens (Palermo, Trapani), voire en Orient707.
La vitalité du commerce de Senj se reflète encore par l’organisation de deux foires
annuelles. Celle de Saint-Georges, en avril, et celle de septembre708. L’importance des foires en
général a déjà été soulignée dans le contexte des opérations financières qui s’y déroulent durant les
quelques jours où elles ont lieu. C’est dans le cadre de ces foires que nous trouvons le plus de traces
du commerce entre les ports de Split, de Zadar et la ville de Senj. Zadar a entretenu des échanges
économiques avec Senj depuis le XIIIe siècle de manière très intense709. En 1401 encore, un
marchand de Zadar exporte du bois équarri de Senj à Alexandrie710. Une fois de plus, les principaux
articles d’échange sont le bois et le fer. Ce trafic est pratiquement ininterrompu. Il s’affaiblit
temporairement, lors des interdictions d’exportations, principalement de bois et de fer, émises par la

706
Impliqués économiquement dans le commerce de la Croatie médiévale, les Florentins s’engagent également dans la
situation politique en apportant une aide financière à la défense du territoire suite à la bataille désastreuse de la Krbava
en 1493; Neven Budak, « I fiorentini nella Slavonia e nella Croazia neil secoli XIV e XV », Archivio storico italiano, n°
566/IV, Anno 153, Firenze (1995), 682-695 (687, 692-694).
707
En mai 1510, le patron ragusain d’une caravelle doit embarquer plusieurs sortes de bois de Senj à destination de
Dubrovnik, ainsi que dix miari de plomb et oxyde de plomb à destination de la Sardaigne, puis du Caire. Le prix du
transport s’élève à 160 ducats; J. Lučić, « Veze izmeñu Senja », (237).
708
S. F. Fabijanec, « Trgovački promet », (121-123).
709
P. Strčić, « Senj u XIII. », (8).
710
Eliahu Asthor, « Observations on Venetian Trade in the Levant in the XIVth Century », East-West Trade in the
Medieval Mediterranean, Variorum Reprints, London 1986, 533-586 (576).

598
République de Venise dans les années 1420, puis 1430. Néanmoins, les comtes des villes dalmates
ne peuvent interdire, lors des pénuries, l’approvisionnement en matières brutes qui est nécessaire711.

b) Rijeka
Le bourg de Rijeka (l’antique Tarsatica romaine) a près de 500 habitants dans la première
moitié du XVe siècle. Il est situé dans le golfe du Kvarner, à l’estuaire de la rivière de la Rječina
(« la grande rivière »)712 dont il tire son nom. C’est le port le plus occidental de l’Europe centrale en
mer Adriatique. Il représente un nœud de communication entre les routes terrestres au nord-ouest, et
avec les routes maritimes au sud. Le massif de Gorski Kotar au nord-est gêne la circulation vers
l’intérieur de la Croatie, tandis que l’ancienne route romaine est employée pour atteindre la région
de la Carniole, et de là, Ljubljana et l’Autriche713. Du XIVe au XVIe siècles, Rijeka change plusieurs
fois de seigneurs. En 1465, à la mort du dernier descendant de la famille Walsee, Rijeka devient
directement la propriété des Habsbourg714. La ville est alors donnée à ferme. De nouveaux
responsables administratifs et militaires sont mis en place, à la tête desquels est placé un capitaine.
De plus, suite à la menace ottomane, en 1483, l’empereur Maximilien entame une réforme
géopolitique; il modifie le découpage administratif des zones de l’arrière-pays715. Rijeka devient une
ville frontalière entre, à l’est, le territoire de la couronne de Hongrie-Croatie, et à l’ouest, le Saint-
Empire. Son district est très peu étendu716.
Cependant, la ville bénéficie des changements intervenant dans son arrière-pays. A partir de
la seconde moitié du XVe siècle, la zone rurale de l’intérieur des terres (l’arrière-pays croate et la
Carniole slovène) connaît une restructuration économique. Les zones rurales, en raison de la plus
grande monétarisation de leurs obligations féodales717 et du développement de l’activité de crédit,
s’orientent davantage vers la production de type artisanal et manufacturé, notamment celle de toiles
brutes (drap de coton, rasse). Elles s’intègrent alors plus fortement au marché du port maritime. Cet

711
En 1424, Venise interdit l’exportation de bois de Senj vers l’Abruzze, la Pouille et les Marches. Ce trafic est à
nouveau permis en 1433; Ivan Pederin, « Rapske šume, fontik, universitas i banke s osvrtom na odgovarajuće ustanove
u Zadru », Rapski zbornik, Zagreb 1987, 131-140 (135). Puis en 1430-1433, de nouvelles interdictions entrent en
vigueur : le commerce du fer et des produits ferreux est prohibé, en dehors des seuls besoins de la ville, sous
autorisation des comtes. De même, en 1438, Venise permet à Zadar d’importer du fer de Rijeka et de Senj pour son
propre marché et celui de ses environs. En revanche, s’il est tenté d’exporter ce fer vers la Pouille et les Marches, la
marchandise est saisie comme produit de contrebande; G. Novak, Split u svjestkom, 26.
712
Darinko Munić, « Venecijanci u Rijeci tisućučetiristotih godina », Zbornik sv. Vida, vol. III, Rijeka (1998), 45-67,
(51).
713
Darinko Munić, « Rijeka i njena luka », Zbornik sv. Vida, vol. I, Rijeka (1995), 35-49 (37).
714
Auparavant, en 1335-1365, le bourg appartient aux comtes de Krk, tout comme la ville de Senj. Après cette période,
Rijeka revient aux comtes de Devin/Duino, vassaux de l’empereur d’Autriche, par l’intermédiaire du patriarcat
d’Aquilée. A la mort du dernier descendant, Hugues VI de Devin, l’empereur Albert IV d’Habsbourg nomme Rudolf
Walsee de Souabe pour nouveau seigneur; Anamari Petranović, « Osobno pravo riječkoga srednjovjekovlja », Zbornik
sv. Vida, vol. II, Rijeka (1997), 53-62 (16).
715
D. Munić, « Rijeka i njena luka », (40).
716
Lujo Margetić, « Rijeka u drugoj polovici XIV. st. », Zbornik sv. Vida, vol. I, Rijeka (1995), 9-20, (12).
717
Les serfs et paysans devaient donner une partie de leurs revenus en argent, plus un dixième de leur blé, de vin et de
têtes de jeune bétail; D. Munić, « Rijeka i njena luka », (39).

599
essor de l’activité artisanale des régions rurales se répercute sur celui du bourg de Rijeka. Il a pour
conséquences le développement du port et l’extension du réseau commercial718. La construction
navale devient l’une des orientations économiques principales du bourg. De nombreux artisans
spécialisés dans le travail du bois (coupeurs de bois, charpentiers) ou du fer (forgerons), sont
implantés le long de la rivière de la Riječina. Ils sont employés par les calfats dans de multiples
petits chantiers, pour la construction de caraques, de marcilianes, de galées et d’autres embarcations
légères. Dans le port même et devant les portes de la ville, les transporteurs et les marins offrent
leurs services pour le transport des marchandises719. Ces tendances économiques sont soutenues par
les autorités locales. Ces dernières y voient un moyen d’accroître les revenus communaux à travers
le paiement des taxes de vente720.
En effet, jusqu’en 1444, chaque foyer doit payer une redevance d’un marc (environ huit
livres) annuel. Compte tenu de la faiblesse du montant prélevé (autour de cent marcs), le comte
Reinbert Walsee renonce à son droit féodal. En réalité, l’essor économique aidant, les revenus du
commerce de transit s’accroissent721. D’une part, pour toute marchandise apportée par voie de terre,
le commerçant doit payer à la ville une taxe de la valeur du quarantième de l’article (soit 2,5%) et
une taxe d’utilisation de la route722. D’autre part, pour toute marchandise importée ou exportée par
voie de mer, les commerçants doivent payer deux ducats. De plus, la même année 1444, le comte de
Walsee inaugure la foire de la Saint-Jean-Baptiste le 24 juin. Du 21 au 27 juin, la ville de Rijeka est
une zone franche. En dehors du trafic de l’huile, du fer et des peaux, les commerçants n’ont aucune
taxe douanière à payer, durant cette période, pour les marchandises transportées723. C’est encore lui
qui à deux reprises parvient à conclure des accords commerciaux favorables avec le doge Francesco
Foscari concernant la marine marchande de Rijeka et la navigation en 1431 et 1442724.
Ainsi soutenu par la logique économique des autorités urbaines et territoriales, le port de
Rijeka devient un lieu de transit important pour les marchandises en provenance de l’arrière-pays
vers les villes dalmates (de Šibenik à Kotor), à l’est, et vers les ports italiens (d’Ancona à Brindisi),
à l’ouest. Aidée, de plus, par les difficultés diverses intervenant à Trieste, Rijeka deviendra le
second port le plus important de la monarchie habsbourgeoise725. Dès le milieu du XVe siècle les
hommes d’affaires d’origines les plus diverses (Istrie, Ljubljana, Dubrovnik, Zagreb, Split, Venise,

718
Ana Kastelić, « Trgovina s platnom, raševinom in barvili (terraghetto, terrarosso) na Reki v letih 1527 do 1631) »,
Jadranski zbornik, vol. VI, Rijeka-Pula (1966), 393-403.
719
D. Munić, « Rijeka i njena luk », (39)
720
A. Kastelić, « Trgovina s platnom », (394)
721
L. Margetić, « Rijeka u drugoj polovici », (18).
722
A. Kastelić, « Trgovina», (395).
723
L. Margetić, « Rijeka u drugoj polovici », (19).
724
F. Gestrin, Trgovina slovenskega, 83.
725
A. Kastelić, « Trgovina », (394).

600
Allemagne, Autriche, Hongrie et France) y sont présents726. Les Florentins, notamment, utilisent
Rijeka dans les années 1480 pour pénétrer l’intérieur des terres, en passant ensuite par Metlika en
Basse Carniole pour rejoindre la Hongrie727. En 1530, par décret de l’empereur Ferdinand, la ville
obtient son premier Statut, qui régule les rapports entre les habitants et leurs seigneurs, les
Habsbourg728.
Le début du XVIe siècle est marqué par les campagnes militaires (Maximilien contre les
Vénitiens en 1508-1516729, et Ferdinand Ier contre les Ottomans). Le commerce de transit de Rijeka
atteint son niveau le plus bas dans les années 1520, lorsque Ferdinand Ier décrête en 1520 que le
trafic commercial soit réorienté vers Trieste en raison de la menace ottomane. Toutefois, il reprend
rapidement de manière plus vigoureuse : en 1521, les revenus de la taxe du 40e se chiffrent à 868
ducats, tandis qu’en 1526 ils ont presques doublé (1523 ducats)730. L’octroi du Statut de la ville en
1530 témoigne de cette reprise. Un nombre important de décrets concerne le contrôle du marché,
des corps de métiers artisanaux et des poids et mesures. Faisant suite à l’essor économique de la
ville, ces décrets traduisent le souci de la qualité et de l’honnêteté des transactions, ainsi que la
nécessité de légiférer sur des activités qui se développent731. Des entrepreneurs de Rijeka sont même
présents à Zadar durant la seconde moitié du XVIe siècle. Antun Draskonić de Rijeka, en tant que
procurateur de Matej de Girković de la même ville, reçoit de son compatriote, Franjo Aksić,
habitant à Zadar, 379 livres un sou pour la location d’une pharmacie à Zadar d’une valeur totale de
3.702 livres un sou, investis par Matej Girković732.
Le port de Rijeka réussit donc à établir un réseau ramifié avec des partenaires privilégiés
suivant les marchandises. Le transport de la rasse et des toiles diverses est important (702 kg de
toile de coton sont acheminés par voie terrestre en 1586)733. Le sel, les poissons, le vin, l’huile et les
figues sèches sont transportés sur des bêtes de somme vers la Carniole et l’Autriche, tandis que la
ville s’approvisionne en fer à partir de ces régions. Le fer et les articles à base de fer, ainsi que les
rames, sont ensuite réexportés en partie vers les ports de la péninsule italique et ceux de la
Dalmatie. Les produits finis (notamment les draperies) proviennent des villes italiennes (Fano,
Florence, Venise, Rimini, Ancona, Pesaro, Ortona, Recanati), voire d’Espagne (Barcelona). Le port

726
D. Munić, « Venecijanci u Rijeci », (50).
727
N. Budak, « I fiorentini nella Slavonia », (693).
728
Vinko Hlača, « Riječka luka kroz pravne propise u prošlosti i sadašnjosti », Zbornik sv. Vida, vol. II, Rijeka (1997),
199-216, (201).
729
En 1508, Venise conquiert la ville. Mais dès l’année suivante, l’empereur Maximilien la récupère. En représailles,
les Vénitiens pillent et brûlent la ville. La paix est conclue en 1512; D. Munić, « Rijeka», (40).
730
F. Gestrin, Trgovina slovenskega, 88, 113.
731
Voir la publication du Statut de Rijeka, Zlatko Herkov, Statut grada Rijeke iz godine 1530, Zagreb 1948, tout
particulièrement le chapitre explicatif concernant le commerce et les artisanats, 109-114.
732
DAZd, Conte Johannes de Morea, B. I, F. I/4, f° 155.
733
A. Kastelić, « Trgovina », (395).

601
étend encore ses échanges commerciaux avec la région du Pirée734. Parmi les marchandises en
transit à partir des régions croates et slovènes figurent également deux bases de teinture : la
terraghetta et la terrarossa. Ces produits sont presque exclusivement réservés aux marchés italiens
producteurs de textiles (Florence, Firmo…). Ancona et Pescara sont aussi des marchés
importateurs. Les commerçants italiens se sont impliqués dans leur acheminement vers les centres
producteurs735.
Cet essor du petit bourg de Rijeka au cours des XIVe-XVIe siècles n’est pas un phénomène
de courte durée. Il obtient sa consécration en 1719, lorsque l’empereur Charles VI proclame Rijeka
port franc736.

c) Autres centres du Kvarner


Les îles précitées de la région, font partie intégrante de ces courants d’échanges.
- L’île de Rab
Rab est un centre important de production de bois. L’île contient notamment des chênes,
bois de qualité pour la construction navale, dont Venise tente de contrôler l’exploitation737. Dès le
XVe siècle, Rab entretient des relations commerciales avec des villes de la côte italienne (en
particulier Brescia, Fermo, Fano, Ancona738 et plus généralement les Marches et la Pouille). Les
navires rabois y transportent des cargaisons de miel, de rasse, voire des chevaux, en échange
d’huile, de biscuits, de vin et de draps de luxe. Une production de soie commence au XVIe siècle,
destinée surtout à fournir le marché vénitien. L’île dessert également Zadar et Split en bétail, en
agneaux et en laine, durant les périodes de pénuries occasionnées par les assauts ottomans. De plus,
un fontegho de céréales existe à Rab. L’approvisionnement en blé de l’île la relie avec les
destinations les plus diverses : Patras en Grèce, Herceg-Novi en Herzégovine, l’Istrie et les
Marches. Enfin, dans les années 1570, le chantier naval de l’île connaît une phase d’expansion. Le
matériel en bois, tel que les rames, provient de Senj. Zadar, Split, l’île d’Olib, la presqu’île de Nin
font partie de ses clients739. La dynamique économique de l’île s’affirme de plus par l’organisation
annuelle de la foire de Sainte Marguerite, à laquelle les habitants de la côte croate limitrophe

734
D. Munić, « Rijeka i njena luka », (39).
735
A. Kastelić, « Trgovina », (395)
736
V. Hlača, « Riječka luka », (202).
737
En 1441, le bail d’exploitation des forêts s’élève à près de 484 ducats. Vers la fin du XVe et le début du XVIe siècle,
Venise légifère sur l’exploitation des forêts de Rab. Plusieurs interdits de coupe non contrôlée sont émis (1487, 1488,
1495, 1516, 1532). Un superintendant aux forêts de Rab est nommé en 1551. Les équipages des navires de guerre
vénitiens continuant de couper du bois sur l’île sans autorisation, en 1581, le Sénat instaure une amende de 500 livres
pour tout contrevenant; I. Pederin, « Rapske šume », (135).
738
Plusieurs rouleaux, coudées et pièces de rasse de Rab et de soie (saia d’Arbi) sont exportés à Ancona durant les
années 1562-1563; S. F. Fabijanec, « Trgovački promet », (141).
739
I. Pederin, « Rapska trgovina », (164).

602
(Karlobag et Obrovac) importent du fromage, de la poix, des céréales et de la farine en échange du
sel740.
- Les îles de Cres et de Krk
L’île de Krk, avec une superficie de 409,93 km² est l’île la plus grande de l’Adriatique
orientale. Au XVIe siècle, elle est peuplée par 10.460 insulaires. En 1480, après trois siècles de
gouvernement sous les comtes de Frankopan, l’île devient une possession de Venise. Ses ressources
principales sont la viticulture, l’élevage et les produits de la pêche. En 1553, sa balance économique
est plutôt équilibrée (3.450 ducats d’entrées et 3.339 ducats de dépenses).
Le principal atout de l’île de Cres, d’une superficie de 404,33 km², est son activité d’élevage
et en conséquence la production de laine et de rasse. En 1553, avec les 120.000 moutons et chèvres
recensés, la production de laine atteint les 150.000 coudées, soit près de 102.000 mètres. Les
prélévements fiscaux qui en découlent se montent à 628 ducats, plus 70 ducats venant de la taxe du
trentième741.

d) Les centres de la Côte croate


- Bakar et Bakarac
La ville de Bakar (du terme slave « cuivre ») organise, tout comme à Senj, deux foires
annuelles. L’une, celle de Sainte-Marguerite, se déroule en juillet. L’autre a lieu en octobre. Dans le
bourg proche de Bakarac a lieu la foire « de la blanche » en octobre également742. En 1479 puis en
1489, cette ville seigneuriale des Frankapan est affranchie de tous les impôts743. En 1524, le comte
Bernard Frankapan délivre aux habitants de Bakar l’Urbar, texte de loi qui garantie et confirme les
anciens privilèges d’autonomie et codifie les tarifs des prélèvements fiscaux sur les activités
agricoles et commerciales. Les fondements économiques initiaux de la cité sont l’agriculture,
l’élevage et l’exploitation puis la manufacture du bois744. Bakar relit sur un large rayonnement la
Croatie, la Slavonie avec la Carinthie, la Styrie et la Hongrie745. Elle est intégrée au circuit des
métaux transportés sur la « route du Royaume de Saint-Etienne » depuis les mines de Banska
Bystrica en Bohème jusqu’à Buda par voie fluviale, puis en empruntant les voies de terre menant à
Zagreb, Modruš et Rijeka, avec une dérivation vers Bakar, pour ensuite arriver à Venise par mer. A
l’échelle locale, Bakar est le débouché des exportations de métaux croates provenant des mines de
Rude près de Samobor, l’ensemble des territoires traversés étant une possession des comtes de

740
Fabijanec, «Trgovački promet», (112-115, 121, 133).
741
Ibid., (115-116).
742
Ibid., (121-123).
743
Ivan Erceg, « Prilog o gospodarskom stanju u Bakru neposredno nakon pogubljenja Zrinskog i Frankopana », Acta
historico-oeconomica 21, Zagreb (1994), 73-84 (75).
744
Vinko Tadejević, «Bakarski urbar iz 1524. godine», Bakarski zbornik 7, Bakar (2001), 60-75.
745
I. Erceg, « Prilog o gospodarskom », (75).

603
Frankapan. Exceptionnellement, au début du XVIe siècle, des mineurs de Rude refusent de vendre
du cuivre à Krsto Frankopan, seigneur de Samobor, pour l’exporter en secret vers Ljubljana où ils
ont fondé une forge pour la transformation du cuivre, puis vers Trieste ou Rijeka746. De la fin du
XVIe à la fin du XVIIe siècle, Bakar représente une concurrence sérieuse pour Rijeka; après cette
période, les Hollandais pénètrent économiquement la région et représentent une clientèle
suffisamment importante pour satisfaire les deux ports747.
- Karlobag
La ville de Scrissa, mentionnée pour la première fois en 1251, est située sous le col central
de Velebit et relie l’arrière-pays de la Lika à l’île de Pag748. C’est, avec Obrovac, l’une des deux
principales places de marché de la famille seigneuriales des Kurjaković. La proximité directe du
principal producteur de sel, Pag, favorise les échanges économiques. La cité importe du sel, de
l’huile, du vin, des fruits et légumes, tandis qu’elle y exporte essentiellement du bois et des céréales
parvenant de la Lika et de la Krbava. Conscients de son importance économique, les comtes
renouvellent régulièrement les privilèges d’exemption de douanes à leurs sujets, en 1387, 1432 et
1461. En outre, le 5 juin 1453, le Sénat ratifie l’accord entre Venise et les comtes de la Krbava,
selon lequel les sujets de Karlobag et d’Obrovac sont autorisés à exporter du fromage, de la poix,
des chapons, des céréales et de la farine dans les régions sous la domination vénitienne, ainsi que
dans les foires de Senj et de Rab. En revanche, il leur est interdit de se rendre dans les Marches ou
le Royaume de Naples. Neuf jours plus tard, les frères Karlo et Toma Kurjaković plaident pour une
libre circulation maritime dans toute l’Adriatique, y compris les rives sous l’autorité de l’Etat papal
et du Royaume napolitain, notamment pour l’exportation de matériaux en bois vers les Marches,
l’Abruzze et la Pouille. En tout et pour tout, pourtant, seuls sont permis les échanges commerciaux
avec la côte croate, tandis qu’ils sont prohibés avec la rive occidentale de l’Adriatique. Seule
concession, le droit d’importer des Marches et de la Pouille chaque année quelques produits (40
tonneaux de vin, trois tonneaux d’huile, 3 milliers de guède et d’alun), mais exclusivement dans des
navires vénitiens et en payant la taxe du trentième. Deux ans, puis quatre ans plus tard, les comtes,
peu satisfait des « privilèges » accordés, réitèrent leurs revendications de libre commerce, mais sans
grand succès. L’une des conséquences pratiques les plus visibles est l’expansion du marché de
contrebande749.

Le complexe géographique du Littoral croate bénéficie donc de plusieurs atouts


économiques : une localisation privilégiée, à l’intersection de plusieurs Etats, un arrière-pays riche

746
Šebečić, « Hrvatski meñunarodni », (75-76).
747
D. Munić, « Rijeka i njena luka », (41).
748
Ive Mažuran, Karlobag 1251.-2001., Karlobag 2001, 17.
749
Mislav E. Lukšić, «Prilog poznavanju mletačke pomorskotrgovinske politike prema Krbavskim knezovima sredinom
XV. stoljeća», Radovi Zavoda za povijesne znanosti Hazu 45, Zadar (2003), 39-69 (46-47, 54-57, 62).

604
en matières premières, une modernisation de leur technique d’échanges, et une autonomie dans la
gestion des affaires économiques (excepté les îles vénitiennes). Reste à savoir quelle place tient cet
ensemble dans les échanges avec la Dalmatie (à travers l’exemple de Split), durant le XVIe siècle,
période de troubles intermittents.
Au XVIe siècle, le trafic le plus intense entre le port de Split et les villes du Kvarner et du
Littoral croate a lieu durant la première moitié du siècle. L’activité commerciale est directement liée
aux vicissitudes politiques. Durant la période de 1503-1504, soit juste après la fin de la guerre en
1502, la part du marché croate ne représente que 8% de l’ensemble du trafic maritime splitois. Ces
échanges prennent leur essor durant les périodes de paix. En 1511, avec une participation de 21% ce
trafic vient juste après celui de Venise. Les cinquante-quatre déclarations de voyage durant cette
année font une moyenne d’un départ par semaine. Ces partances sont en réalité presque
exclusivement concentrées autour des périodes de foire. Les échanges des ports croates avec Split
sont ensuite supplantés par ceux de la République de Saint-Marc et des ports du Royaume de
Naples (17% en 1515-1517, soit en troisième position).
Parallèlement à cette augmentation des fréquences de départ, le volume des marchandises
transportées s’accroît. D’un point de vue général, il s’agit des articles provenant de l’arrière-pays
dalmate. Ainsi, les peaux et fourrures animales de nombreuses espèces constituent l’une des
constantes de ce trafic (respectivement 73 pièces 12 balles; plus de 4.693 pièces; 3.082 pièces et
plus de 90 balles). De même, le cordouan et les schiavine, le feutre, les camelots et le carisé font
partie de l’offre splitoise sur le marché croate. Certains produits artisanaux sont encore qualifiés de
« turcs » (ceintures, dites aussi pasize, chaussures, toiles teintes), ou provenant de la confection
splitoise (chausses et escarpins divers, chapeaux dits hongrois, et beaucoup d’articles concernant le
cheval : brides, fer à cheval, couverture, feutre). Parmi les produits d’élevage, le fromage tient la
place principale (au moins 7.180 pièces, sans compter les nombreuses mentions sans quantités et les
divers contenants employés). Quant aux matières brutes, sont transportées 230 outres et deux petites
outres de bitume, et plus de 29 balles de cuivre ancien. Les produits agricoles, surtout les figues et
le vin (plus de six bottes), n’apparaissent qu’à partir de 1511, la guerre de 1502 ayant laissé des
séquelles.
La configuration géopolitique des décennies suivantes modifie grandement la position des
ports croates sur la scène commerciale dalmate. D’une part, suite à la débâcle militaire des Croates
contre les Turcs à Mohács, à partir de 1526, les seigneurs du royaume de Croatie, Dalmatie et
Slavonie reconnaissent la souveraineté de la famille des Habsbourg. Vienne gouverne alors
directement les ports croates. Progressivement, l’Etat autrichien y renforce le système de défense
contre la menace ottomane. Les centres commerciaux perdent de leur importance économique pour
devenir des forts militaires défensifs. D’autre part, avec la chute de Klis en 1537, Senj est envahie

605
par les réfugiés de l’intérieur de la Zagora dalmate. Il s’ensuit la création du nid d’Uscoques déjà
observée dans la seconde partie de cette étude. Par contrecoup, la population marchande et
artisanale, garante de la vivacité commerciale de tout centre, fuit la ville : en 1520, Senj compte
entre 2.500 et 3.000 habitants, en 1538 leur nombre s’est réduit à 1.000, dont 160 sont des hommes
de garnison750. Même Rijeka devient de plus en plus associée au nom des corsaires. Ces derniers
viennent se fournir en petits navires facilement manœuvrables dans son chantier naval. De plus, de
nouvelles taxes douanières sont ordonnées dans son arrière-pays, élevant le coût des
marchandises751, qui ne sont plus compétitives.
Ce changement de rôle a des répercussions immédiates sur le commerce de transit observé
jusque-là, entre les ports dalmates et ceux du Littoral croate. Les intentions de départ vers cette zone
se raréfient progressivement (seize voyages en 1528-1530; dix départs entre 1557 et 1560; cinq
départs, dont quatre vers Rijeka, en 1580-1583). Le volume des marchandises transportées baisse en
conséquence. Cette fois encore, les peaux conservent la première place (3.677 pièces et de
nombreux ballots et miers). Les autres produits (agricoles, artisanaux et d’élevage) sont importés en
quantités négligeables. Certains proviennent des possessions ottomanes (dont Makarska). On relève
encore vingt-trois équidés, marchandise nouvelle, dont le nombre n’atteint pas, de loin, les quantités
envoyées vers la côte italienne.
Les îles, pourtant épargnées par la menace militaire, subissent également le contrecoup de la
chute du commerce. Economiquement, elles sont liées au trafic des ports du continent (par exemple,
Krk échangeait beaucoup de vin contre du bois de Senj). Les Uscoques se sont appropriés
l’ensemble de l’espace maritime constitué par le canal du Kvarner. Ils rendent ainsi la navigation
marchande impossible à tout entrepreneur étranger et aux commerçants locaux.
En somme, les ports dalmates (dont Split nous sert ici de modèle), exportent les produits en
provenance de l’arrière-pays montagneux et des localités ottomanes, et importent des matières
brutes (fer et produits ferreux, et bois de construction). En raison de l’aggravation de la situation
politique dans cette zone de l’Adriatique (le Saint-Empire conteste de plus en plus ouvertement la
primauté de Venise sur « son Golfe », renforce la ligne de défense militaire de ses possessions
contre les Ottomans et encourage l’activité des corsaires de Senj), le volume de ce trafic diminue.
De sorte que les conflits politiques et d’intérêts économiques qui opposent la couronne d’Autriche à
Venise s’avèrent beaucoup plus efficaces que les interdits vénitiens du XVe siècle.
Toutefois, ce constat général reste à nuancer fortement. En premier lieu, on ne sait rien, ou
presque, du volume et de la nature des marchandises transportées par voie terrestre et fluviale. Par
la voie fluviale, Riječina puis Kupa, les transporteurs peuvent atteindre le bourg de Dubovac (près
750
Stjepan Pavičić, « O Senju, svojem naseljnom i društvenom razvitku od 10. stoljeća do turskog prodora », Senjski
zbornik, vol. III, Senj (1967-1968), 324-370 (338).
751
D. Muić, « Rijeka i njena luka », (41).

606
de la ville impériale fondée plus tard, Karlovac, au confluent de la Kupa, de la Mrežnica et de la
Korana), et de là, la forteresse de Sisak, traversée par la Sava. A partir de ce centre, deux voies
terrestres sont possibles. L’une va au nord-ouest rejoindre Zagreb (puis la Hongrie ou la Slavonie).
L’autre route, fluviale puis terrestre, s’oriente vers l’est. Elle pénètre la région de la Lika (vaste
plaine située derrière la barrière montagneuse de Velebit) pour rejoindre la Bosnie, ou descendre au
sud vers la Dalmatie. Une autre route relie Rijeka à Senj et de là, joint le port de Karlobag, puis les
villes de la côte dalmate752.
Un réseau routier existe, largement employé dans le commerce vers l’intérieur des terres. Or,
vers la fin du XVIe siècle, les transports traditionnellement effectués par voie maritime sont de plus
en plus concurrencés par les artères terrestres. Dubrovnik, par exemple, se replie sur son trafic vers
les terres balkaniques, d’où les articles principaux (cuirs et laines) viennent par voie de terre. La
piraterie intervient pour une bonne part dans ce changement des pratiques de transport. En effet, le
prix des transports maritimes augmente en raison des primes d’assurances imposées par la
conjoncture753. Si l’on relève une reprise du trafic caravanier dans la péninsule balkanique, il n’est
pas exclu que cette reprise touche également les zones en bordure de la côte adriatique orientale.
C’est pourquoi, à défaut d’avoir suffisamment d’éléments pour confirmer l’hypothèse d’un trafic
terrestre important entre les villes de la côte dalmate et celles du Littoral croate, on est en droit d’en
supposer l’existence, les besoins en matières premières brutes restant les mêmes que durant les
siècles antérieurs.

5°) La Dalmatie
La région est constituée de villes ayant des traits similaires. Elles ont hérité du Moyen Age
classique une administration de type communal fondée sur les décrets de leurs Statuts. Du temps de
leur autonomie politique, sous les rois angevins, elles vivent une période de prospérité. Les villes de
l’intérieur de la Croatie et de la Bosnie sont inféodées à un seigneur qui les soumet à sa logique
politique et économique. Elles représentent une réserve fiscale et en hommes pour les guerres. Au
contraire, l’intérêt des communes dalmates est de développer toutes leurs ressources économiques
au profit de leur population, fondement de leur succès. Un premier système d’imposition directe est
certes créé sous le roi Sigismond, la taxe du trentième754. Mais, en revanche, elles bénéficient d’une
vaste autonomie économique accompagnée de l’établissement d’un réseau commercial ramifié sur
un large territoire. Lors de sa conquête politique progressive de la région (entre 1409 et 1420),

752
D. Munić, « Venecijanci u Rijeci », (50).
753
F. Braudel, La Méditerranée, tome I, 262-264.
754
Il semblerait, en réalité, que la taxe du trentième ne soit réellement mieux gérée qu’avec le successeur de Sigismond,
après, donc, la perte de la Dalmatie, puisque la taxe du trentième passe de 20 à 50.000 florins avec le roi Mathias
Corvin; P. Engel, The realm, 324.

607
Venise récupère le système fiscal mis en place. Tout en laissant aux communes dalmates un
semblant d’autonomie politique pour les affaires intérieures, Venise tient à imposer, avec plus ou
moins de succès, l’acheminement exclusif de leurs richesses marchandes vers son centre. Elle n’y
parvient réellement que pour la production saline de Zadar (Pag), Split et Šibenik755. Durant le XVe
siècle, les communes dalmates connaissent leur plus grande extension territoriale vers l’arrière-
pays. Ces territoires se réduisent un siècle plus tard, après la guerre de Chypre. L’orientation forcée
du commerce par Venise, les conflits avec la puissance ottomane voisine, les épidémies et les fuites
de la population vers l’Italie affaiblissent fortement leurs chances de développement économique756.
Le contrôle de Venise s’exerce différemment selon les types de production. Ainsi, la
Chambre commerciale vénitienne dirige entièrement la production de sel. Certaines branches de
l’activité artisanale comme la construction navale, la boucherie, la boulangerie et la teinturerie sont
partiellement surveillées (imposition directe sous forme de taxes, formulation de normes de taille,
de poids de la production, limitation de la capacité de volume des navires…). En revanche, la
République laisse l’entière liberté de développement des cultures, de l’élevage et de la pêche. De
même les autres artisanats sont en dehors de son système de surveillance757.
Cette ingérence vénitienne dans la gestion des communes dalmates a des répercussions
différentes suivant les atouts économiques de chacune d’entre elles. En tant que centre principal de
production de sel, Zadar perd sa source principale de revenus. Les autres villes dalmates, plus
agricoles, sont en revanche moins touchées. Aussi, à partir de trois centres typiques, l’historien
Tomislav Raukar distingue trois modèles de dynamique économique. Avant 1409, Zadar (1) connaît
une forte expansion commerciale fondée sur la production des salines de Pag et sur le plus vaste
territoire agricole de la Dalmatie. Après cette date, sa croissance économique est freinée. Split (2)
n’a, avant son allégeance à Venise, qu’une croissance modeste. Son territoire agraire est peu étendu.
En revanche, avant et après 1409, la ville est avantagée par ses relations privilégiées avec la partie
continentale. De sorte que son développement économique ne connaît qu’un ralentissement partiel.
Quant à l’île de Hvar (3), elle est auparavant un centre peu développé, dont les ressources
principales sont la viticulture et la pêche. Mais, grâce à la position stratégique de son port sur le
circuit maritime de Venise, l’île jouit d’une période de croissance économique. C’est un lieu de
transit très fréquenté758. Hvar acquiert ainsi la réputation d’être le centre dont les revenus par
habitant sont les plus élevés : 1.000 ducats pour les familles de la ville de Hvar les plus riches,
contre 200 ducats par habitant pour les autres communes dalmates.

755
T. Raukar, Hrvatsko, 153-154.
756
Tomislav Raukar, « Društvene strukture u Mletačkoj Dalmaciji », Društveni razvoj u Hrvatskoj od 16. do početka
20. stoljeća, 103-126.
757
T. Raukar, « Komunalna društva », (65).
758
Ibid., (73).

608
La pression économique et politique de Venise s’exerce donc différemment sur les villes
dalmates. Certains centres exploitent les prédispositions naturelles dont ils sont pourvus pour se
développer. Les îles sont particulièrement avantagées par leur isolement spatial.

a) Les zones insulaires


Les incursions ottomanes portent moins faiblement atteinte à la production des îles
(l’agriculture, la pêche et les forêts) et ces celles-ci offrent en outre un abri avantageux aux navires
de passage. La zone communale de Hvar et Vis est la plus riche : la valeur du trafic commercial
atteint les 70 à 80.000 ducats par an, dont 30.000 proviennent de la vente du vin et des poissons.
• A Hvar, dès 1282, le gouvernement vénitien décide construire un arsenal sur l’île.
L’artisanat local lié à la construction navale est d’autant plus développé, qu’en 1416 le roi de
Hongrie-Croatie requiert l’envoie de quelques bons maîtres artisans et ouvriers pour la fabrication
de galères, des maîtres d’ouvrage pour les brigantins et les galiots, plus d’autres armateurs et
charpentiers. A Hvar même, sur les 180 artisans recensés (et classés en 28 catégories) tout au long
du XVe siècle, il y a quatorze calfats, huit charpentiers, un fabricant de rames, dix-huit maçons et 26
tailleurs de pierre759.
Dans les années 1420, la fonction de l’arsenal de Hvar devient militaire et Venise réorganise
le port et ses bâtiments : les chantiers navals sont déplacés, un puit (1425) est construit, une
nouvelle rive d'accostage est murée avec sa digue (1455) pour l'ancrage des galères et des navires
d'approvisionnement, des entrepôts et des ateliers sont construits pour le montage des pièces et le
stockage du matériel. En 1454, une nouvelle porte est percée dans les remparts, la Porte du marché,
pour permettre un accès direct à la place de la cathédrale et éviter l'arsenal. Dans les années 1440,
un mât est érigé pour hisser le pavillon, ainsi qu’un pilier pour punir et discipliner le personnel des
chantiers, les marins, les soldats et la population en général. Hvar devient ainsi le lieu d’entretien
des galères servant au contrôle de l’Adriatique et fournit la flotte de guerre vénitienne lors des
batailles. Hvar s’approvisionne en premier lieu en produits manufacturés en bois de Senj (les rames,
pièces de rechange, etc.), mais cette importation cesse avec l’arrivée des Uscoques760. Au milieu du
XVIe siècle, Hvar produit plus de 16.664 hl de vin – contre 7.290 hl à Korčula761.
• A Vis, en 1553, les pêcheurs attrapent en un seul jour trois millions de sardines – dont la
Chambre acquiert 14.000 ducats de revenus par rapport aux 70.000 ducats au total issus du trafic

759
Marinko Petrić, « Obrti, usluge i službe na Hvaru u 15. stoljeću », Božić-Bužančić zbornik, Split 1996, 213-279 (215,
249-250).
760
Nives Likošek, Hvarski arsenal. Brodograditeljska djelatnost mletačkog vojnopomorskog arsenala u povijesti.
Manuscrit tiré à part à l’occasion du Symposium More – Hrvatsko blago des 23-25 avril 2008, 1-31, (6-7,9).
761
T. Raukar, « Venecija i ekonomski razvoj », (222).

609
commercial de l’île762. La possibilité de pêcher près de 120 tonnes de sardines en une nuit vient sans
doute de l’emploi d’un voilier de pêche capable de naviguer en mer ouverte, la gajeta falkuša, pour
rejoindre notamment l'île de Palagruža. Cette gajeta est équipée du filet à traite (tratta) et les
pêcheurs s’organisent en « compagnie » de plusieurs navires763 A travers l’île, et pour ses besoins
propres, transitent le bois de Rijeka, le froment, le riz et l’huile de la Pouille et les cuirs et peaux
viennent de l’intérieur des terres764.
• L’île de Korčula dispose d’abondantes couvertures boisées. L’exploitation de cette richesse
naturelle permet l’essor de son chantier naval. En 1499, les calfats réclament auprès des autorités
vénitiennes le droit de construire des navires d’une grande capacité de charge – ils sont autorisés à
construire des voiliers d’une capacité maximum de trente tonneaux, à condition de ne les vendre
qu’aux chrétiens765. En 1525, au port de Korčula sont mouillés dix navires de 100 à 400 bottes et
une multitude de barques plus petites766, de sorte que durant la moitié du XVIe siècle, la capacité
totale de sa flotte s’élève à 3.250 tonneaux767. Toutefois, l’île est en quelque sorte victime de son
succès : en 1596, la ville de Korčula ne compte plus que neuf calfats, car 160 autres représentants
de ce corps de métier sont partis s'installer à Dubrovnik, attirés par le chantier naval ragusain
concurrent768. Par ailleurs, l’île abonde encore en carrières de pierres de très bonne qualité, pierres
qui sont exportées à Dubrovnik, à Kotor, vers toute la Dalmatie et au-delà769.

b) Trogir
La population de la ville de Saint-Laurent atteint les 2 à 3.000 habitants770. Cette commune a
un certain nombre d’atouts, dont le trafic des chevaux apparaît comme le principal, puisque ces
animaux sont distribués aussi bien vers l’intérieur des terres que vers l’Occident. En 1553, les sujets
de la Porte sont autorisés à venir sur la place de marché de Trogir pour en exporter autant qu’ils
veulent771. Les chevaux de race sont aussi transportés en grande quantité vers sottovento (et au
passage vers l’île de Vis) en 1575772, et les chevaux de montagne sont plus particulièrement destinés
à Lanciano, où les Trogirois sont les premiers exportateurs durant sa foire (les roncini y sont vendus
au prix de 13 ducats l’un)773. Cela n’empêche pas les conflits, puisqu’en à la fin du XVIe siècle

762
Itinerario di Giovani Baptista Giustiniano, (220, 222).
763
Joško Božanić, « Milenij ribarstva na otocima viškog arhipelaga », Tisuću godina prvoga spomena ribastva u
Hrvata, Zagreb 1997, 289-307 (293, 295)
764
Itinerario di Giovani Baptista Giustiniano, (220, 222).
765
Dušan Kalogjera, Shipbuilding in Korčula, Zagreb 1998, 61.
766
« Relationes … Leonardo Venerio, Hieronymo Contareno », Comissiones, vol. 8, (18).
767
D. Kalogjera, Shipbuilding, 61.
768
J. Vrandečić, « Regio maritima », 31.
769
« Itinerario Giovanni Baptista Giustiniano », (252).
770
T. Raukar, Hrvatsko, 171.
771
« Itinerario di Giovani Baptista Giustiniano », (210).
772
DAZd, OT, Bulleatae primus.
773
C. Marciani, « Le relazioni », (32).

610
perdure encore la concurrence acharnée qui oppose Trogir et Split pour attirer les caravanes des
sujets ottomans vers leur propre marché774. Split apparaît tout de même comme le principal port
commercial775.
L’exportation des bovidés et caprins est moins représentative (près de 400 bêtes au
maximum en 1575 vers sottovento). Selon les registres de 1567-1569 et 1575-1577, la production
vinicole de Trogir est exclusivement destinée au marché vénitien, tandis qu’en revanche, les peaux
de bouc sont en majorité exportées vers le Royaume de Naples. Les produits de la pêche
représentent le second atout majeur de cette ville, dont le marché supplante celui de Split : Trogir
exporte 742 tonneaux de poissons frais et en saumure en 1568, 1.151 tonneaux un an plus tard et
3.266 tonneaux en 1576, à destination de Venise, de la Pouille, et plus modestement vers la
Romanie et le Levant (Corfou, Candie, Chypre et Zante – 2-3%).
Les autres articles commerciaux transitent par le port. Les figues sont importées de Senj ou
de sa région environnante (outre les fighe de Segna, on relève des fighi todeschi), pour être
réexportées ensuite vers Venise (plus de 14.195 tonnelets en 1567, plus de 6.910 l’année suivante),
puis vers l’Istrie, le Frioul et sottovento (plus de 17.210 tonnelets en 1575). Les produits naturels
(cire et miel) sont originaires du territoire ottoman voisin et réexportés à nouveau vers Venise. Dans
les Marches, Ancona sert de fournisseur en biscottes et en pièces de carisé, tandis que les Trogirois
y exportent des béliers châtrés et à une reprise des chiffons (trois fagots de straciarie)776. De mai à
août se déroule le circuit des meules de fromages, originaires en majorité du port de Makarska et
redistribuées vers Venise (la plus grosse exportation a lieu en 1569, avec 114 tonnes de fromages).
L’orientation du trafic fluctue suivant la même logique déjà constatée à Split : dans les
années 1567, Venise accapare 52% du marché, tandis qu’en 1575-1577, elle n’en occupe plus que
19%, au profit de sottovento (42%) et des terre aliene (15%), voire du Dominio, avec en tête le
Frioul.

c) Šibenik
Tout comme les autres ports du continent, la ville sert de lieu de transit pour les
marchandises de l’arrière-pays vers les ports de l’Adriatique. Au XVe siècle, c’est l’un des centres
les plus peuplés après Dubrovnik et Zadar et peut-être Split777. Elle dispose de richesses agricoles et
salines. Dans les années 1441-1443, ses principaux partenaires commerciaux sont les ports du
Littoral croate (31,8% du marché) devant Venise (31,3%). Les foires de Senj et de Bakar jouent un

774
Libro d'oro, doc. 183, 598.
775
D’une part, c’est là qu’est créée l’escale. D’autre part, des marchandises de Trogir sont acheminées par voie de terre
pour être exportées à partir du port de Split. Dans une contrelettre de 1511 par exemple, de la rasse en provenance de
Trogir est exportée vers Otranto via Split.
776
DAZd, OT, Bulletarum primus; ASAN, Quarto 1563, f° 33, 35, 95.
777
T. Raukar, Hrvatsko, 171.

611
rôle déterminant. Šibenik s’approvisionne en fer et en cuivre en échange de 36,7% de son trafic des
peaux animalières et de son huile. Tandis que Split entretient une relation privilégiée avec la Pouille
(en 1475-1476), ce port oriente davantage son commerce d’exportation vers les Marches (21,2% du
marché). Lorsque les Valaques apportent les bêtes et les produits d’élevage en ville au printemps et
en été, les commerçants de Šibenik et les Italiens les exportent sur ces marchés de la péninsule. Les
foires italiennes, surtout celles de Recanati et de Rimini, sont les occasions privilégiées pour
conclure les accords de transport des marchandises. Le vin et le poisson sont deux autres articles qui
y sont acheminés.
Šibenik présente d’autres caractéristiques similaires à celles de Zadar et de Split. La majorité
des hommes d’affaires participant au commerce de la ville est d’origine locale (65%). Toutefois, les
marchands vénitiens, de l’Abruzze, de l’Istrie et de l’Albanie vénitienne contribuent aussi aux
échanges. Les peaux, le fromage, le vin, les bêtes (chapons), le poisson et l’huile constituent leurs
principaux articles de vente, tandis que le sel est, tout à comme à Zadar et à Split, monopole
d’Etat778.
Split communique surtout avec quatre centres, par voie maritime. Ainsi, Hvar se révèle l’un
des partenaires principaux de son trafic. Lors des années de faibles échanges, elle représente 67%
du trafic dalmate (en 1528). En 1557, elle domine le reste des marchés dalmates, lorsque les
destinations sont plus nombreuses, avec 30% des importations. Zadar vient en seconde place
(maximum de 35% du trafic en 1515), suivi de l’île de Korčula (maximum de 23% du trafic en
1581) et de Šibenik (maximum de 19% en 1503). Les autres ports (l’île de Vis, Omiš…)
n’apparaissent qu’à raison d’un seul voyage. Reste qu’il est possible que la majeure partie du trafic
entre les centres dalmates du continent s’effectue par voie de terre. En somme, les quatre lieux cités
représentent les centres économiques les plus dynamiques de la Dalmatie vénitienne : Hvar est l’île
la plus riche grâce à ses ports de transit, Zadar est le centre politique de cette Dalmatie (par
opposition à la Dalmatie ottomane), Korčula est l’un des principaux chantiers navals de la région et
Šibenik une ville importante de production d’huile et détentrice des moulins à eau les plus
nombreux.
Dans cet espace géographique dalmate, une ville a un statut particulier. Dubrovnik n’entre plus
sous la sphère d’influence vénitienne.

d) Dubrovnik
Avec l’achat du territoire de Konavle en 1419 et 1427, le territoire de Dubrovnik couvre une
superficie totale d’environ 1.500 km²779. Au XVe siècle, cette commune compte près de 6.000

778
J. Kolanović, « Il commercio tra Marche », 282-303.
779
Ivan Erceg, « Pregled proizvodnje i trgovine soli u dubrovačkoj republici », Acta oeconomica, vol. 17, Zagreb

612
habitants dans son enceinte et 3.000 dans le bourg environnant780. Forte de son autonomie,
Dubrovnik développe ses activités économiques sur trois fronts : la colonisation économique des
régions de la péninsule balkanique, la mise en place d’une industrie drapière dès le début du XVe
siècle781 et le déploiement de ses capacités de construction navale débouchant sur la conquête des
centres maritimes dans l’ensemble de la Méditerranée.
En premier lieu, la République de Saint-Blaise s’infiltre dans le réseau commercial terrestre
des Balkans au cours du XIVe siècle. Au début du siècle suivant, les seigneurs successifs de la
Bosnie accordent des privilèges de libre commerce aux Ragusains, comme en 1461, lorsque le
prince Etienne Vukčić Kosača leur permet la libre circulation sur ses terres (en Herzégovine).
L’activité principale des entrepreneurs de Dubrovnik en Bosnie est l’exploitation des mines
d’argent (Srebrenica, Fojnica, Kreševo...), de plomb (Olovo), de cuivre (Ostružnica, Srebrenica) et
de fer (Busovača)782. L’exploitation en exclusivité des mines d’argent assure la richesse de base de
la République de Saint-Blaise. Elle entraîne à sa suite le droit à l’exportation des métaux, déborde
sur le contrôle des taxes douanières et le monopole de la frappe de la monnaie. Grâce à l’afflux
constant de métal blanc, Dubrovnik accumule un capital énorme stable, alors que la République
concurrente de Venise attend les galères levantines pour combler les besoins quotidiens en
numéraire783.
A la fin du XVe siècle, des colonies d’exploitation économique sont implantées dans près de
trente villes et comptent trois cents hommes d’affaires784. Ceux-ci détiennent presque exclusivement
le monopole du transit entre les Balkans (Bosnie, Serbie, Albanie, Bulgarie) et l’Occident jusqu’à la
conquête du territoire. Ces installations sont accompagnées par l’établissement de plusieurs
consulats sur tous les lieux stratégiques785.

(1990), 1-32 (1, 9).


780
T. Raukar, Hrvatsko srednjovjekovlje, 171.
781
Les ateliers de draperie sont situés en dehors de l’enceinte murale dans le bourg proche, à Pile. Ce fait constitue une
originalité par rapport à l’exploitation des autres bourgs de ville. Dubrovnik est la seule ville à avoir un complexe
artisanal dans son faubourg, à la différence des autres centres qui ont un environnement agricole. Cette industrie suscite
notamment l’intervention d’investisseurs florentins et aragonais. Dubrovnik tire parti de ces contacts pour développer
au XVIe siècle son réseau de transit commercial sur l’ensemble de la Méditerranée. L’organisation d’un ars lanae à
Dubrovnik commence avec l’arrivée, dans les années 1420, de Pietro Pantela de Piacenza, entrepreneur italien. Il
introduit les techniques italiennes de production de draps de laine luxueux dans la ville. Cette production connaît son
plein essor dans les années 1460, puis elle s’essouffle à la fin du siècle. Elle est rapidement compensée
économiquement par la construction navale et le trafic de transit sur toute la Méditerranée; ibid., 159-160, 172.
782
Parmi les partenaires commerciaux de Dubrovnik, les rois bosniaques figurent en bonne place. Le roi Tvrtko II
Tvrtković, envoie notamment une cargaison d’argent à Dubrovnik d’une valeur de 30.000 ducats. En échange des
minerais, de la cire et de faibles quantités de lapis-lazuli, Dubrovnik fournit la Bosnie en sel de l’estuaire de la Neretva
et en textile italien; D. Kovačević, Trgovina, 52-53, 141, 98, 173, 177, 182.
783
Ivica Prlender, « Mediteranska trgovačka Republika pred izazovom oceana », Radovi zavoda za hrvatsku povijest,
vol. 37, n° 1, Zagreb (2005), 55-62 (58).
784
J. Tadić, « Le port de Raguse », (10).
785
Par exemple à Novo Brdo (1370), Srebrenica (1376), Drijeva au bord de la Neretva (1381), Priština (1396). Durant
la première moitié du XVe siècle, des colonies sont constituées en Bosnie (Jajce, Višegrad, Goražde, Fojnica, Visoko...);
I. Mitić, « Dubrovački konzuli », (19, 25).

613
Lorsque la conquête ottomane prend fin dans l’arrière-pays ragusain, la République perd sa
principale source de revenus : les mines. Dubrovnik se retrouve dans sa position initiale
d’intermédiaire commercial. Néanmoins, grâce à l’accumulation d’un capital important, elle peut
trouver une nouvelle voie de développement. La première étape est l’infiltration dans le commerce
terrestre à partir de l’ancien axe d’exploitation de l’argent. La seconde étape, la plus importante, est
l’accroissement de sa flotte et l’orientation vers l’espace maritime786.
L’unification du territoire naguère morcelé par les multiples petits Etats sous la bannière de
l’Empire ottoman permet l’extension du réseau commercial terrestre des Ragusains. Ils détiennent
la majorité du trafic entre leurs mains, suite à l’action préalable de sa diplomatie auprès des
autorités ottomanes avant la conquête. La neutralité politique de Dubrovnik, assurée par le concile
de Bâle, constitue l’un des facteurs décisifs de réussite du commerce de transit ragusain dans
l’Empire. Au XVIe siècle, cette neutralité s’exprime pleinement lors des conflits vénéto-ottomans.
Les commerçants du Levant se servent des navires ragusains pour réaliser leurs transports vers les
pays occidentaux787. En effet, parallèlement à la pénétration économique du territoire balkanique,
durant deux siècles, Dubrovnik développe un autre secteur primordial de son activité économique :
la construction navale et le service de transport maritime788.
Au XVe siècle, Dubrovnik accroît donc ses capacités de construction navale et développe
son service de transports maritimes pour ses hommes et pour les marchands étrangers. Après avoir
obtenu en 1382 du roi Charles III de Naples les mêmes privilèges économiques que Venise et
Genova, elle consolide ses relations avec la Sicile et le Royaume de Naples en établissant de
nouveaux consulats à Trani (1409), Ancona (1441) et Manfredonia (1442). L’action diplomatique
des Ragusains permet de renouveler régulièrement leurs droits sur le territoire789. Dès la seconde
moitié du XVe siècle, ces points d’appui servent d’ouverture pour établir des rapports économiques
en Espagne et en France. Le roi de France, Charles VIII, leur octroie le droit de libre commerce en
1497, ce que son successeur, Louis XII, renouvelle en 1502. Un consulat est fondé en 1499 à

786
I. Prlender, « Mediteranska », (59-60).
787
I. Mitić, « Dubrovački », (26, 50-51).
788
A partir de la fin du XIVe siècle, la ville oriente progressivement son économie vers les réseaux commerciaux
maritimes et se tourne vers les ports italiens. Un nombre croissant de marchands et de marins s’installe notamment en
Sicile. Il s’ensuit la création d’un consulat à Syracusa en 1390 et d’un autre à Messine en 1399. Ce sont les premiers
consulats en Italie. Ils vont être suivis par de nombreuses autres institutions de ce genre sur l’ensemble de la péninsule
italienne, au fur et à mesure de l’expansion du commerce maritime ragusain. Les consuls ne sont pas Ragusains, comme
dans les Balkans, mais des hommes d’affaires et des personnages locaux influents, car les Ragusains vivent rarement en
permanence dans ces lieux. Le Sénat de Dubrovnik nomme ces consuls étrangers. Ils ne reçoivent pas de salaire, mais
un certain pourcentage sur les marchandises débarquées par les marchands et les marins ragusains. Bien intégrés dans la
ville où ils exercent leur fonction, ces consuls sont souvent des hommes influents qui peuvent intervenir dans des
décisions politiques en faveur des intérêts économiques de Dubrovnik. D’autres sont eux-mêmes des commerçants, qui
traitent de manière privilégiée avec des Ragusains, ou qui recommandent les transporteurs de Dubrovnik à leurs
collègues. Ils sont, de plus, bien informés de tous les mouvements politico-militaires et économiques de leur région;
ibid., (24, 30-31, 52).
789
En 1429, la reine Jeanne accorde à la République de nommer des consuls sur tout le royaume napolitain; Ferdinand I
renouvelle ces privilèges, puis Frédéric III en 1498; ibid., (27-28).

614
Marseille. Les rapports entre Dubrovnik et la France se poursuivent durant tout le XVIe siècle. Deux
nouveaux consulats sont créés dans les années 1590790.
Les Ragusains entrent en contact direct avec le roi d’Aragon, lorsqu’en 1442 le Royaume de
Naples devient une possession aragonaise. Le roi Ferdinand II le Catholique leur accorde le libre
commerce sur ses terres en 1479. Six ans plus tard, il les libère du paiement des taxes portuaires sur
tout le territoire791. En 1523, le roi Charles Quint permet aux Ragusains d’importer le blé et les
céréales de Sicile et de Napoli à Dubrovnik, et confirme les privilèges antérieurs en 1534792. Ces
privilèges économiques sont accompagnés par l’établissement de rapports commerciaux importants
entre des marchads catalans et ragusains. Certains hommes d’affaires de Catalogne s’installent à
Dubrovnik durant le XVe et la première moitié du XVIe siècle. Ils concluent des accords de
transport pour le compte de Ragusains, et inversement, vers les ports principaux de la Pouille, voire
encore à Roma et à Genova. A l’aide des Catalans établis dans ces villes italiennes, ils contribuent
au trafic des céréales, de l’huile et d’autres articles issus de la Pouille et participent aux échanges
ragusains avec les pays d’Orient (notamment à Alexandrie et à Beyrouth)793. Grâce à l’appui du
souverain dont l’Empire est le plus vaste d’Occident, Dubrovnik développe un service économique
de transport maritime très étendu sur toute l’Europe occidentale.
Parallèlement, à la fin de la période de conquête ottomane, la paix s’installe en Asie centrale.
Des marchands européens occidentaux pénètrent économiquement les marchés levantins,
concurrençant la place privilégiée tenue jusque-là par Venise. Dubrovnik ouvre également de
nombreux consulats. Les premières ouvertures en Afrique du Nord ont lieu au début du XVIe siècle.
En 1515, Dubrovnik nomme un consul à Alexandrie. Ce port devient rapidement l’un des centres
commerciaux et maritimes les plus importants pour la République en Méditerranée orientale794.
Au XVIe siècle, Dubrovnik atteint son apogée : elle compte quarante-quatre consulats
implantés dans les pays occidentaux, plus six dans la partie orientale de la Méditerranée, et près de
4.000 personnes sont engagées dans le commerce maritime à partir des terres balkaniques et
700.000 ducats sont investis dans la flotte marchande795. La ville perçoit 5 à 6% de la valeur des
marchandises du Levant transportées vers l’Occident, de sorte qu’au milieu du XVIe siècle, les

790
A Villefranche en 1591 et à Nice en 1597; ibid., (41).
791
En 1507, les privilèges dont disposent les Ragusains à Napoli et en Sicile sont étendus par Ferdinand II à l’ensemble
des terres constituant son Empire; ibid., (35).
792
Ibid., (36).
793
Pour plus de détails sur l’intervention d’hommes d’affaires catalans dans le commerce ragusain en Italie, voir
l’article précité de B. Hrabak, « Katalonci ».
794
I. Mitić, « Dubrovački », (40-41).
795
On relève entre autres des consulats à Cadix, à Valencia, en Corse, à Vlorë, sur les îles de Chios, de Rhodes, de
Crète et à Zante, Corfou et Carthage; ibid., (35, 38-40).

615
taxes douanières avec la Turquie rapportent 150.000 ducats annuels et les taxes sur le trafic
occidental entre 400 et 500.000 ducats796.
Les relations économiques et politiques entre Dubrovnik et le reste de la Dalmatie existent
de longue date. Cependant, lorsque Venise reconquiert les ports dalmates en 1409 et 1420, elle
entreprend d’interdire les échanges économiques avec ce centre. Dans la pratique, on l’a vu, des
Splitois et des Zadarois interviennent dans les affaires de crédit entreprises par les Ragusains pour
financer le trafic des minerais de Bosnie. Certains parviennent même à conclure des accords de
sociétés directement avec les Bosniaques durant le XVe siècle.
Les Ragusains, et leurs partenaires commerciaux implantés dans la République, peuvent
également jouer leur rôle d’intermédiaires entre les ports italiens et dalmates. Quelques indices
existent. En 1499, le commerçant catalan Peroto Torilje, installé à Dubrovnik, convient avec un
patron de l’île de Korčula, d’importer 161 setiers de froment de Manfredonia vers Split797. Dans ce
cas de figure toutefois, les Splitois n’ont aucune initiative. Aussi, les transports de marchandises
entre les ports zadarois, splitois et ragusains sont rarement une entreprise émanant des Dalmates
eux-mêmes. Ainsi, au XVIe siècle, sur le marché maritime de Split, Dubrovnik ne représente qu’une
très faible part (entre 1 et 3%). Quelques transits seulement ont lieu, avec des quantités de
marchandises négligeables (par exemple le transport de ferraille de Senj à destination de Dubrovnik
en passant par Split en 1503, et des sacs de lin en provenance de Venise vers Dubrovnik après une
escale à Split, en 1511).
Trois faits simples expliquent la faiblesse des échanges maritimes. D’une part, Venise
bloque ce trafic potentiel, voire séquestre ou vole les marchandises des navires au pavillon ragusain.
D’autre part, Dubrovnik, en étendant son réseau commercial sur tout le bassin méditerranéen, peut
se fournir en articles commerciaux à meilleur marché (notamment en Albanie798). Un dernier fait,
enfin, l’existence d’échanges par voie terrestre, qui ont été jusque-là peu étudiés.

6°) Les colonies vénitiennes en Adriatique et en Egée


En plus de sa Terra ferma et d’une partie de la côte dalmate, Venise étend plus à l’est son
Stato de Mare, en vue, toujours, de s’assurer le libre accès maritime vers les comptoirs orientaux.
C’est ainsi que des commerçants dalmates entreprennent un voyage en 1529, pour exporter 482
fromages, vingt bottes de vin et deux barils de marasques vers d’altre terre della Signoria799.
Quelles sont ces altre terre ? En fait, Venise est présente dans les Bouches de Kotor, à Shkodër,

796
Ibid., note 48 (53).
797
B. Hrabak, « Katalonci », (151).
798
Sur l’exploitation économique de l’Albanie par les Ragusains, voir Alain Ducellier, « Les mutations de l’Albanie au
XVe siècle (du monopole ragusain à la découverte des fonctions de transit) », L’Albanie entre Byzance et Venise Xe-XVe
siècles, Variorum Reprints, Londres 1987, 55-79.
799
DAZd, Sp. Ar., boîte 67, B. 74, F. 7/IV, f° 562’, le 3.IX.1529.

616
Durrës et sur les îles de Corfou, Modon et Coron jusqu’au sud du Péloponnèse, à Nauplie, Argos,
Négrepont et en Crète. Cependant, avec la guerre de 1470-1479 contre les Ottomans, la Sérénissime
signe un traité de paix défavorable : elle perd l’Eubée, Shkodër et Argos, et doit payer un tribut de
100.000 ducats d’or en échange du droit de libre commerce à l’intérieur de l’Empire, et de la
présence d’un bailli à Istanbul. Le successeur du Conquérant, Bajazet II, renonce au paiement du
tribut en 1482. Mais après le nouveau conflit de 1499-1502, Venise perd Modon, Navarin et Coron.
En revanche, elle conserve ses ports en Morée et en Albanie800, tandis que la partie continentale de
la région albanaise est conquise par les Ottomans à la mort du chef des insurgés albanais, Georges
Kastriote, dit Skanderbeg, en 1468801.
Il existe donc une discontinuité géopolitique à l’intérieur des territoires maritimes vénitiens
orientaux. Or notre intérêt porte au premier chef sur les ressources économiques respectives de ces
zones d’échanges avec la Dalmatie, alors que les changements de pouvoir nous concernent moins,
dans la mesure où ils influencent peu le potentiel commercial propre de ces régions (pex. l’Albanie
conserve son bois et ses produits d’élevage, la Grèce possède toujours ses produits agricoles). C’est
pourquoi, en vue d’éviter les répétitions pouvant survenir à cause d’un partage géopolitique
(l’Albanie et la Grèce sous Venise, puis les mêmes sous les Ottomans), les régions anciennement ou
durablement intégrées aux possessions vénitienne sont présentées dans ce chapitre.

a) L’Albanie vénitienne
Sous l’appellation d’Albanie vénitienne sont sous-entendus les ports médiévaux de la
Dalmatie du Sud, désormais des villes monténégrines (Bar/Antivari, Kotor/Catharo, Budva,
Ulcinj/Dulcigno), ainsi que ceux de l’Albanie proprement dite (Vlorë/Valona, Durrës/Durazzo,
Shkodër/Scutari, Lezhë/Alessio), ces deux entités ayant été colonisées par la République de Saint-
Marc depuis le Moyen Age. L’implantation des Turcs à l’intérieur de l’arrière-pays albanais date
des années 1430802.
- L’Albanie proprement dite
Pour des raisons de proximité physique entre la côte dalmate et la côte albanaise, leurs
relations économiques remontent au haut Moyen Age803. Les ressources naturelles de la région sont
multiples. Le pays est fertile, riche en produits d’élevage (viande, peaux, cuir), en produits laitiers
(lait, fromage), en matières premières brutes (essentiellement le bois) et en sel. Leur exploitation
évolue au cours des siècles, suivant les ports et suivant les principaux entrepreneurs commerciaux.

800
G. Castellan, History of the Balkans, 85, 88.
801
J. Matuz, Osmansko carstvo, 45.
802
A. Ducellier, « Les mutations », (56).
803
Au XIIIe siècle, des commerçants zadarois sont actifs à Kotor, Vlorë et Durrës pour le transport notamment de grains
vers Dubrovnik, Zadar, la Pouille et Venise; A. Ducellier, La façade maritime, 249, 282-283, 549, 571.

617
• Les forêts du Nord sont l’objet d’une exploitation intensive du bois. Le chêne, le châtaignier
et l’orme sont implantés dans l’estuaire situé au nord de Durrës. Ce port est également un centre de
production du cuir, ainsi que du sel (noir et brun). La production très importante du XIVe siècle
décline cependant au profit des exploitations du sud804. A la fin du XVIe siècle, en tant que
possession ottomane, la cité de Durrës apparaît plutôt comme un refuge de corsaires805.
• Le sud de l’Albanie est le principal grenier à blé de la région. De plus, Vlorë est une
productrice de sel, dont la production croît à partir du XVe siècle. Comme à Spinarizza, la ville
cultive la vigne, l’olivier et les mûriers pour la production de la soie qui est ensuite exportée806. Sous
la domination ottomane, tout en ayant une population cosmopolite composée de sujets musulmans,
juifs et de Grecs, où les céréales le vin et la viande sont bon marché, Vlorë devient surtout un repère
de corsaires, avec un chantier naval consacré à la construction de fustes qui menacent les vaisseaux
marchands circulant en mer. En 1579, des hommes du navire sur lequel voyage Jean Pinon de
Carlier sont faits prisonniers par des pirates des villages environnants de Vlorë. Le chef des pirates
est saisi et condamné à payer un aspre (à raison de 60 aspres le ducat et de 50 aspres l’écu), et les
hommes du voilier de plaisance sont relâchés contre le paiement de 40 ducats. Venise suit
notamment de près les manœuvres de ces fustes valonaises avant de décider du parcours à prendre
par ses navires marchands807. Quant à Shkodër, dont Venise est maîtresse de 1406 à 1479808, elle
représente un nœud commercial pour les métaux des Balkans809, puis après la conquête turque, elle
devient l’escale la plus active des Ragusains810.
• Près de Shkodër se trouve l’échelle de Saint-Serge, à l’estuaire de la Boyana, rivière riche en
poissons. Une grande quantité de poissons en saumure est ainsi exportée vers la Pouille en
provenance des montagnes voisines. De la cire, de la laine, des tapis, des feutres, des camelots et
des épices originaires de l’Anatolie, de la Romanie, de l’Arménie et des régions plus orientales sont
également acheminés vers la Pouille par voie de terre811.
Toutefois, dans cette région albanaise proprement dite, ces richesses naturelles sont presque
entièrement exploitées et transportées par les étrangers. Le pays vit suivant une économie

804
Ibid., 278, 359, 590.
805
En août 1589, le bayle de Venise stationné à Corfou reçoit une caisse avec des marchandises récupérées d’un gallion
qui s’était fait prendre par des corsaires ottomans au large de Durrës. L’émin de la ville a pris en charge la restitution de
ces biens et du navire; Archives Nationales de Grèce. Département de Corfou (ANG, D.C.), Altavilla Andrea, azzi
(1574-1597), f° 40’-41.
806
A. Ducellier, La façade maritime, 364-366.
807
Jean Carlier de Pinon, Mon voyage en Levant, faict l’an 1579 : Voyage en Orient, publié avec des notes historiques
et géographiques, éd. E. Blochet, Paris 1920, 36-46. Ruthy Gertwagen, « The Venetian Colonies in the Ionian and the
Aegan Seas in Venitian Defense Policy in the Fiftheenth Century », Journal of Mediterranean Studies, vol. 12-2, Malta
(2002), 351-384, (357).
808
A. Ducellier, « Les mutations », (59).
809
A. Ducellier, « La place des Toscans ».
810
A. Ducellier, « Les mutations », (58).
811
« Itinerario di Giovanni Baptista Giustiniano », 229.

618
marchande de type colonial depuis le XIVe siècle812. Cette économie de traite sous-entend que les
étrangers exploitent les produits de l’arrière-pays proche ou lointain, sans l’implication dans ce
commerce – quoique des indices de participation existent813 – de la population autochtone814. Deux
acteurs principaux interviennent : les Ragusains achètent et transportent les grains, le sel, le bois et
les métaux, véhiculés de l’intérieur du pays et de la Serbie. Les Vénitiens exploitent les produits
moins pondéreux et plus chers, c'est-à-dire la cire (surtout durant la première moitié du XIVe
siècle), le kermès (de même), la soie et les peaux. En échange, les deux communautés marchandes
exportent, en faible quantité, le marché étant peu rentable, des tissus (communs et de luxe) à Vlorë
(les Vénitiens), ainsi que des draps et des futaines à Shkodër et à Bar (les Ragusains), du vin italien,
voire des armes durant les périodes de tensions815. En dehors de ces deux grandes communautés,
sont présents d’autres Italiens, notamment des Florentins, qui participent au trafic de cabotage entre
Dubrovnik et l’Albanie, au moins au début du XVe siècle. Ils convoient, entre autres, du vin apulien
vers Shkodër, important en échange de la graisse de Vlorë vers Dubrovnik816.
Cette situation se maintient encore au XVe siècle : Venise tente de coloniser l’agriculture du
bassin de Shkodër et soumet les ports sous sa domination à une fiscalité et à un régime douanier
protectionniste. Le résultat en est l’appauvrissement général du pays, dont tire parti Dubrovnik. La
République de Saint-Blaise exploite pour son approvisionnement propre le blé de Vlorë et le bois

812
A. Ducellier, La façade maritime, 411.
813
A défaut de consulter des sources albanaises, les quelques registres douaniers splitois et anconitains dépouillés
révèlent la présence d’entrepreneurs albanais en Adriatique dans le rôle aussi bien de transporteurs que de
commanditaires. A Split, les Albanais n’apparaissent qu’au tout début du siècle et à l’extrême fin : Nicolas de Shkodër
transporte sur son grip des sardines et 120 cordouans turcs en octobre 1503 pour le compte d’Ivan de Radoslav
Bilešević vers la Pouille, puis en janvier de l’année suivante des figues et des toiles pour son compte à Venise [DAZd,
Sp. Ar., boîte 36, B. 48, F. 5, f° 66’, 75’]. En 1596 et 1597, à l’inverse, un certain Hieronimo Albanese commandite
trois exportations sur des frégates, les cargaisons contenant des peaux de génisse et de la rasse, toutes pour Venise
[Ibid., boîte 141, B. 137, F. 23, f° 997, 1.000’, 1001]. Les Albanais paraissent davantage impliqués dans le trafic reliant
les territoires ottomans avec les Marches. En juin 1551, en effet, Bardi Ducadini et Jean Gionome de Lezhë possèdent
une esquirace sur laquelle ils ont chargés les marchandises de nombreux juifs (David Sidi, Moïse Attias, Abraham Oef,
Simon Abermenachem, Moïse Lubello, Salomon Maimon et d’autres) pour les déclarer à Ancona. Leur voilier rengorge
de cordouans, de peaux, de feutres, avec des macramés, de la cire, un peu de soie et des schiavines, tandis qu’ils ont à
bord un autre compatriote, Bar Ducadini, avec des balles de laine, du blé, des boldroni et de la cire, marchandise
estimée à 8 florins 8 sous. La valeur totale de cette cargaison dépasse les 190 florins [ASAN, Cartolario, f° 18-21]. A
l’inverse, un juillet, le Grec Constantin transporte sur son esquirace des toiles (29.387 livres de valonea valant 4 ducats
le mier) pour le compte de Bartolomé de Durrës et des cuirs (moccaiarri e cimabelloti, à raison de 42 bolonini la pièce),
pour le compte de Dimitri de Vlorë. De même que Domeneco Fole transporte pour le compte d’Andrea de Shkodër des
sacs de laine et de cire. Dimo de Vlorë transporte à son compte sur son grip 5.343 livres de bitume et Marin Recci de
Lezhë transporte sur son grip 74 sacs de laine et de la cire. L’esquirace est encore le voilier employé par le transporteur
Alexandre Alessandro de Vlorë pour le circuit de Vlorë à Ancona, avec une cargaison de blé, de tapis, de cordouans, de
schiavines, de soie, d’épices (clous de girofle) et de macramés, pour le compte de juifs et de Grecs [Ibid., f° 40’, 50,
65’, 87’-88’]. Pour les années 1532-1563, toutefois, les données sont plus rares : Luca de Lezhë importe des biscottes
d’Ancona en 1562 [ASAN, Quarto 1562, f° 12’] et l’année suivante, Georges Albanese et Ghiezzi Albanese importent
des draps, tandis que Jecci de Lezhë transporte de la laine d’Albanie à destination d’Ancona en juillet [Ibid., Quarto
1563, f° 36’, 61’, 62’].
814
A. Ducellier, La façade maritime, 182, 184.
815
Ibid., 597-602.
816
A. Ducellier, « La place des Toscans ».

619
produit dans l’estuaire du Drin. Elle détient en plus le monopole du sel de Vlorë destiné au marché
dalmate – jusqu’à l’épuisement des salines après 1450817.
- La Dalmatie du sud
Dans l’ensemble de l’ « Albanie vénitienne », seule Kotor, et dans son sillage les ports
anciennement dalmates, détiennent un statut privilégié. Les ressortissants de Kotor, Ulcinj, Bar et
Perast sont actifs durant toute la seconde moitié du XVIe siècle, aussi bien à Split qu’à Ancona. Ils
exportent des biscottes et du carisé d’Ancona pour y importer en échange des peaux, des schiavines,
de la rasse, du bitume, des cordouans, des planches de bois et de la laine. En outre, ils y jouent un
rôle important de transporteurs pour le compte de marchands juifs, turcs et ragusains, embarquant à
bord leurs camelots, cordouans et d’autres cuirs818.
• Kotor dispose d’une flotte importante. Les marchands locaux participent aux transactions
commerciales au même titre que les Vénitiens et les Ragusains – à Ancona, sur l’ensemble des
ressortissants dalmates méridionnaux, ils représentent 43,5% des entrepreneurs, suivis de ceux de
Perast (41%)819. Le port sert de relais vénitien vers l’Albanie proprement dite. Dans ce comptoir, on
négocie le grain d’Ulcinj, de Bar, de Lezhë et de Durrës, en échange de draps vénitiens820. En 1525,
les revenus de la Chambre sont les suivants : les entrées représentent 1.266 ducats, pour des sorties
déficitaires de 3.000 ducats. Toutefois, la différence est compensée par la vente du sel de Corfou
(4.000 muids, vendus à raison de treize aspres la pelle – spudo a metta)821.
• Ulcinj perd la plus grande partie de son territoire agricole en 1405 avec la pénétration
ottomane. En 1528, elle produit du blé pour la moitié de l’année et importe 150.000 setiers de blé
par an à partir de l’estuaire du Drin. Sa production de vin est abondante : 1.000 bottes par an. Un
cercle étroit de familles négocie avec des échelles turques, tandis que le reste de la population vit
dans la pauvreté. Ses principaux articles d’exportation sont le vin, l’huile et les chevaux. De sorte
que la taxe sur le commerce rapporte 600 ducats par an, et la taxe sur le trafic des chevaux, qui relie
la Turquie à Venise, entre 40 et 50 ducats. La taxe sur le vin au détail représente un revenu annuel
de 120 ducats pour la République822. Dans les années 1550, Ulcinj sert de port de transit pour les
produits alimentaires (le blé en premier lieu – jusqu’à 150.000 setiers par an) à partir de l’Albanie à
destination de la Dalmatie et de Venise. La ville attire ainsi des entrepreneurs de Shkodër (les
Pamaltoti, les Bruni), de Lezhë et de Durrës (les Bruti). Lorsque les Ottomans prennent la ville en
1571, son rôle change. Un chantier naval est mis en branle pour la construction de fustes légères, de

817
A. Ducellier, « L’économie albanaise », (3-4).
818
Sabine Florence Fabijanec, « Prijevoznici i pomorski trgovci s područja crnogorskog primorja u XVI. stoljeću »,
Hrvatsko-Crnogorski dodiri : Identitet povijesne i kulturne baštine crnogorskog primorja, Zagreb 2009, 225-247 (230-
231, 234-235 et suite).
819
Ibid., (230).
820
A. Ducellier, « L’économie albanaise », (2)
821
« Relatio ... Leonardi Venerio et Hieronymi Contareno», Comissiones, vol. 8, 16.
822
« Itinerario di Giovanni Baptista Giustiniano », 226-227, 231.

620
tartans et autres voiliers légers adaptés surtout à l’activité de la course, la piraterie devenant alors
l’une des principales activités de cette commune823.
Dans ce contexte général, la part des exportations dalmates vers cette région est très faible.
Nous relevons trois voyages durant les années 1515-1517 : une petite barque et 400 bassines en bois
(lavor de terra a refuso tagieri de legno) sont exportées vers Ulcinj, ainsi que 595 fromages et de la
rasse vers l’Albanie. En 1528-1529 ont lieu également trois voyages : des peaux, vingt faisceaux de
fer doux, des draps (dont des scarlatine et du carisé), des sardines, des chandelles et de la rasse sont
transportés vers Vlorë et l’Albanie. Enfin, un seul voyage est réalisé en 1560, en direction de Bar.
En revanche, la participation des sujets dalmates de l’Albanie vénitienne est beaucoup plus
importante. A Zadar, un cas témoigne de leur présence en ville. François Tetuco fils de feu Tetuci,
et son frère, réclament cinquante ducats à Franjo Bukia, fils de feu Marin, patricien de Kotor, pour
un cheval qu’ils lui ont vendu en 1520824. A Split, les exemples sont plus abondants. De 1528 à
1583, dix-sept entrepreneurs sont impliqués dans le trafic splitois; les Kotorains constituent une très
large majorité à 88%. Parmi ces derniers, Matej de Kotor participe le plus activement au commerce
de transit. Ce patron d’un grip effectue quinze voyages entre 1557 et 1559, pour le compte de douze
commerçants, parmi lesquels les Splitois font le plus de voyages825. Il se rend à neuf reprises à
Venise, une fois à Makarska, quatre fois dans la Pouille, une fois dans l’estuaire de la Neretva et
deux fois à Lanciano. Il y exporte de la cire, du vin (du terroir et autres), du cuir, des schiavine, de
la laine, des cordouans, des peaux de mouton et de bœuf, du fromage, des équidés, de l’huile, de
l’ail, des chandelles, des sardines et quelques sacs d’or826. Lors d’un voyage en 1558, en compagnie
de Juraj Kosmačić, il transporte trente balles de cuir, dix balles de schiavine, 600 livres de cire et
cinquante barils de sardines originaires du port de Makarska. L’activité de Matej couvre donc
l’ensemble du bassin adriatique, des régions appartenant à l’Empire ottoman (la Neretva et
Makarska) jusqu’aux ports du littoral oriental italien. Il effectue également un seul voyage à son
compte en novembre 1558, pour exporter une jument et de la rasse vers la Pouille.
Trois autres patrons de Kotor se distinguent encore : Rado de Kotor (over da Castel Nuovo),
Nikola de Kotor et Vincent de Kotor. Le premier effectue quatre voyages pour le compte des
commerçants Meo de Senigalia827, Nicolo de Verona828, Antonio Argilio829 et Petar Mikša830. De

823
Maksut Dž. Hadžibrahimović, « Pomorstvo i trgovina srednjovjekovnog Ulcinja », Hrvatsko-Crnogorski dodiri,
249-269 (253, 266-267).
824
DAZd, ContePietro Marcello, B. II, Atti de possesso, f° 203.
825
Juraj de Split, Dominik de Split, Forenzo de Split, Jakov de Krk, Petar Cipico, Matheo de Creseno, Petar Benedeti,
Dujmo Mansalić et Hannibal de Cavaliris.
826
Les cargaisons les plus volumineuses comportent vingt-trois tonneaux de miel vers Venise, pour le compte du
Bosniaque Matej de Kreševo, cent miers d’ail vers la Neretva, au nom d’Ivan Benedeti, et enfin 500 cuirs, quatorze
balles de schiavine, trois colis de cire, une balle de peaux de moutons et une autre de sacheti, six balles de laine et du
fromage vers Lanciano, pour le compte de Juraj Kosmačić. Avec ce dernier, il se rend également vers la Pouille, la
même année 1559, avec une cargaison de 24 chevaux, 80 fromages et de la rasse.
827
En 1557, il exporte cent chapons vers sottovento.

621
plus, il réalise deux exportations pour son compte : trois cent livres de fromage vers Zadar en 1558,
et seize chevaux vers Venise un an plus tard. Le second transporte douze génisses au nom de Nicolo
de Verona en 1558, du fromage pour Bastian Korvino, en 1559, dans les deux cas vers Venise et un
miaro de planches en bois (tavole d’albeo) pour le compte d’Angelo de Milazo vers Korčula. Il
exporte à son compte cent chapeaux et de la rasse vers Corfou en 1529. Les autres commerçants ou
transporteurs ne réalisent qu’un seul voyage831, voire deux832 ou trois833.
Petar de Bar, au contraire, utilise les services de plusieurs patrons (Italiens et Dalmates)834
pour transporter ses marchandises. De 1581 à 1583, il réalise onze voyages, tous en direction de
sottovento. Il y exporte au total 110 équidés (chevaux, poulains, juments, mulets).
Au regard des sources splitoises il est donc possible de relever deux faits principaux. Le
marché albanais au sens large n’intéresse qu’une faible proportion de la population marchande
dalmate et italienne, d’autant plus que les commerçants vénitiens et ragusains monopolisent son
trafic. En revanche, les entrepreneurs de la côte sud-orientale de l’Adriatique – l’Albanie vénitienne
– se révèlent très actifs dans la mise en relation commerciale entre l’est balkanique et l’Italie. Ils
transportent en grande quantité des chevaux, qui proviennent vraisemblablement de cette région
gravitant autour d’Ulcinj et de l’arrière-pays ottoman dans les Balkans. Ce négoce, dans lequel les
Kotorains jouent essentiellement le rôle de patrons de navire, concerne une population marchande
variée comprenant des Italiens et des Dalmates. Les Kotorains sont présents aussi bien à Senj pour
l’importation de produits à base de bois à l’est, qu’à la foire de Lanciano835, en y exportant les
produits d’élevage (les peaux, le cuir, le miel, la cire), les articles artisanaux (rasse, schiavine) et les
produits de la mer (sardines fraîches et salées). En somme, ils utilisent Split comme port de transit
pour relier les marchés de l’Empire ottoman à ceux de l’Italie.

828
Il transporte la même année treize chevaux vers sottovento.
829
En 1558, ils vont vers Venise avec six chevaux, vingt balles de cuir, trois sacs de lima et de la rasse.
830
En 1558 toujours, il transporte vingt-deux chevaux vers sottovento.
831
En 1529, Nikola Andrejev de Kotor transporte des draps vers la Dalmatie; en 1557, Antun de Kotor exporte dix
fromages vers Venise; Tristan de Kotor conduit six chevaux vers sottovento en 1560 en compagnie de Luka de Perasto;
Juraj Fornera de Kotor transporte pour le compte de Zulunio de Macerata un cheval en 1581. En 1582, Juraj, fils de feu
Ivan Homer de Kotor, exporte 550 sechi de vin et 284 peaux de bœuf vers une destination non précisée; la même année,
Marko Gruiza de Kotor se rend à sa ville natale avec une cargaison de 300 peaux de bœuf, et enfin, Malte de Kotor va
dans cette ville en 1583 avec 47 peaux de génisse.
832
En 1530, le marchand Petar de Kotor utilise les services du patron Petar de Terzi pour exporter 800 fromages et 100
peaux d’agneau vers Venise, puis en 1557, ceux de Šime de Hvar pour le transport de quatorze génisses vers cette île.
En 1530, Nikola Radojev de Kotor importe à deux reprises des peaux de mouton et de bœuf, ainsi que 100 autres peaux
de mouton, et enfin Petar d’Ulcinj commandite auprès de Nikola Koščičić 90 boldroni vers sottovento et exporte de son
propre chef un cheval un an plus tard vers la même direction.
833
Ivan de Kotor sert de transporteur à trois commerçants dans les années 1558-1559 : il exporte huit chevaux vers
sottovento pour le compte d’Antonio le Sicilien, puis deux chevaux vers la même direction en compagnie de Troylle
Chardella, et du fromage vers Zadar et l’Istrie pour le marchand Recho Rikernić.
834
Les patrons sont Hannibal de Fermo, Iseppo de Chioggia, Vincent Domijanović, Manoli Greco de Manfredonia,
Kume de Komiža de l’île de Vis, Grgur de Rinaldo, Iseppo Spolverato, Vuk de Trogir, Matej Beletto de Vis, Mencho de
Trogir et Giovanni de Chioggia en association avec Matej de Hvar.
835
En 1603 encore, un certain Vincent de Rado de Kotor bénéficie d’une lettre de change d’une valeur de 92 ducats 70
sous traitée à Lanciano; C. Marciani, « Le relazioni », (24).

622
b) Les terres helléniques dans les mers Ionienne et Egée
Cette appellation générale englobe le territoire appelé anciennement la Romanie. Elle
comprend aussi bien les possessions vénitiennes que les principautés et les entités incluses sous la
domination franque (carte XXI). Ici, l’accent est mis principalement sur les partenaires
économiques des villes dalmates, qui appartiennent, le plus souvent, au domaine colonial de la
République de Venise. Bien qu’à la fin du XVIe siècle une grande partie de cet ensemble
géopolitique soit conquise par la puissance ottomane, nous allons traiter du commerce entre les
deux entités, grecque et dalmate, dans le cadre des relations entre deux colonies maritimes de
Venise836.
L’influence de Venise sur le territoire grec se manifeste à la fois sur le plan économique et
politique jusqu’à la fin du XVIe siècle. Poussés par un intérêt économique similaire à celui de
l’occupation de la Dalmatie, les Vénitiens ont colonisé plusieurs centres commerciaux en mers
Ionienne et Egée. Tout comme dans les ports dalmates, la domination politique de la Sérénissime
sur les centres urbains se fait sentir plus fortement lorsque les enjeux économiques sont importants.
Dans le monde hellénique, l’intervention vénitienne s’exprime différemment sur le continent et
dans les régions insulaires. Venise entretient trois types de rapports avec les villes grecques. Avec
les centres qui étaient développés économiquement avant son intervention, la République recherche
le partenariat commercial (Mistra, Janina, Arta). D’autres villes, telles que Larissa, Naupacte et
Patras connaissent leur essor économique parallèlement à la pénétration vénitienne. En ce cas,
Venise contribue à maintenir leur stabilité économique. En revanche, dans les sites tels que Coron,
Modon et Négrepont, qui sont dépourvus à l’origine d’une production artisanale débordant le cadre
local, ils subissent entièrement la domination politique et/ou purement commerciale de Venise837.
Sur le continent, les communes dalmates mènent des transactions avec un seul centre de
l’Egée : Nauplie (Ναύπλιο – Nauplia), occupée par les Vénitiens durant les années 1388-1389. Ce
site est connu pour sa production de soie et son exportation des blés, du miel, de la cire et de la
résine838. Un Naupliote est présent à Zadar. En janvier 1556, Petar Caraminamer de Zadar et
Andronic Cuvugli de Nauplie dressent le bilan d’une société commerciale conclue en novembre
1555. Petar reçoit 7% des bénéfices, selon la nouvelle forme de rémunération des accords, soit un
montant de 200 ducats. L’acte étant signé dans la pharmacie de Petar, il est à croire que les deux
partenaires ont investi dans les épices. Andronic a dû séjourner de manière durable à Zadar pour

836
Sur les répercussions démographiques de la conquête en Grèce et les mouvements de migrations qu’elle a engendrée,
voir entre autres Les chemins de l’exil et Freddy Thirriet, « Sur les communautés grecque et albanaise à Venise »,
Venezia, centro di, 217-229.
837
Veră Hrochovà, « Le commerce vénitien et les changements dans l’importance des centres de commerce en Grèce du
13e au 15e siècle », Studi Venitiani, vol. IX, Florence (1967), 3-34 (32-33).
838
V. M. Godinho, « Venise : les dimensions », (125).

623
pouvoir mener à bien cette société dont il est, semble-t-il, le coursier839. Les contrelettres splitoises
révèlent surtout l’existence d’importations de poissons de Split vers Nauplie.
Les îles de la mer Egée et de la mer Ionienne constituent les principaux partenaires
économiques des villes dalmates au Levant. Leur atout majeur est de servir de lieu de transit
commode pour pénétrer les routes commerciales de l’Orient. Lorsque les Vénitiens dominent le
commerce du Levant au XVe et au début du XVIe siècle, ils établissent de nombreux comptoirs
commerciaux dans les ports méditerranéens orientaux, notamment à Chios et à Chypre. La politique
pragmatique de Venise au XVIe siècle envers le monde grec permet à la population hellénique de
s’affirmer et de propager sa culture en Occident840. A l’instar des îles de la Dalmatie, les îles
grecques constituent des escales de relais pour le commerce vénitien, l’ensemble servant ainsi de
« flotte immobile ». Au départ de Venise, les navires sortant de la mer Adriatique se dirigent vers la
Crète et poursuivent leur route jusqu’à Chypre, puis en Syrie (ad partes Surie)841. Le réseau
commercial passe par Corfou, le Péloponnèse, Modon (Mεθώνη) et Coron (Κορώνη), Négrepont
jusqu’à Constantinople, ou encore par la Crète vers Alexandrie. Toutefois, les parcours des convois
mercantiles ou des galères de pèlerins varient, ainsi que les temps de parcours. Les voiliers mettent
en moyenne plus de deux semaines pour rejoindre Corfou à partir de Venise, trois semaines pour se
rendre à Modon et six semaines environ pour arriver en Crète. Les voies de circulation décrétées par
le Sénat de Venise s’adaptent en fonction de la conjoncture en mer, notamment la menace de flottes
ottomanes dans les eaux helléniques, comme lorsqu’en mars 1444 les convois marchands doivent
passer par Corfou pour se rendre à Beyrouth (Baruti) et éviter Rhodes, menacées par les Turcs.
Lorsqu’en 1479 les îles de Levcas (Λευκάδα – Santa Maura), Céphalonie et Zante (Ζάκυνθος)
tombent sous le contrôle de la Porte, Corfou devient progressivement le lieu de halte obligé des
flottes marchandes en direction d’Alexandrie. Modon, elle, demeure une étape incontournable tout
au long du XVe siècle : quel que soit le trajet choisi pour se rendre ou revenir d’Alexandrie et de
Beyrouth, les galères marchandes chargées des précieuses marchandises orientales (les « havere
subtile ») se retrouvent à Modon pour ensuite décider de la trajectoire à suivre. De là, les voiliers
peuvent notamment poursuivre une autre route maritime en passant par Candie.

839
DAZd, Conte Johannes de Morea, B. I, F. I/4, f° 86.
840
B. Arbel, « Résistance ou collaboration ? », (132).
841
F. Braudel, La Méditerranée, vol. I, 135.

624
Carte XXI : L’archipel grec sous les Francs; tiré d’A. E. Vacalopoulos, The Greek Nation

625
Sur le trajet entre la Syrie et Venise, les communes dalmates servent d’étapes : en 1455, deux naves
et trois galères vont de Syrie à partir de la Dalmatie et en passant par Corfou; en 1423, au retour de
l’Orient, la flotte navale escorte trois convois de Modon à Zadar. Toutefois, lorsque Modon est
occupée par les Ottoman en juillet 1500, les caravelles et voiliers de 200 bottes de capacité de
charge changent de parcours. Les patrons de ces navires doivent informer les gouverneurs de
Corfou ou de Zante de leur trajet vers Candie (Ηράκλειο – Candia) et le Levant, sous peine d’une
amende de 500 ducats et d’un exil de cinq ans de Venise – aux gouverneurs des colonies
vénitiennes en Romanie incombe alors une grande responsabilité quant à l’organisation de la
défense vénitienne de sa flotte marchande842.
Ainsi, dans les eaux des archipels grecs circulent une multitude de navires étrangers :
vénitiens, anconitains, génois, napolitains et ragusains. Les navigateurs grecs sont également très
actifs malgré la compétition étrangère. Ils doivent concourir notamment avec les marchands
arméniens et juifs843, tout en s’associant aux entrepreneurs anglais à partir du dernier quart du XVIe
siècle844.
- Céphalonie (Κεφαλονιά – Cephalonia)
Cette île, qui compte 20.000 habitants en 1576845, est un centre majeur de cultures de vignes
(introduites au XVIe siècle), de raisins secs, d’oliviers et de coton. La production de vin atteint des
proportions énormes dès la fin du XVIe siècle : 4.000 hl en 1576 et 15.000 hl en 1593846. Venise
contraignant l’île à n’exporter les surplus agricoles que vers son marché, la classe marchande de
Céphalonie, de même qu’à Zante et en Crète, transforme son mécontentement en nouant des liens
commerciaux avec les Anglais et les Flamands qui commencent à pénétrer la Méditerranée à la fin
du XVIe siècle847.
- Chios (Χίος, Chios)
L’île de Chio représente l’un des nœuds de transit les plus importants des possessions
génoises au Levant jusqu’à la seconde moitié du XVIe siècle. Les commerçants de Chios sont
particulièrement actifs sur le marché de Constantinople et entrent en relations commerciales avec
les Vénitiens, les Ragusains et les Florentins. Ils exportent de la laine, de la cire, du coton et de la
soie. Lorsque l’île est conquise en 1566 par les Turcs, les familles franques sont expulsées. Bien
que cette conquête interrompe certaines relations commerciales directes (notamment avec Smyrne –
Izmır), les Ottomans accordent de nombreux privilèges aux habitants de Chios, ce qui contribue à

842
R. Gertwagen, « The Venetian Colonies », (352, 357, 359-361, 364-367).
843
Apostolos E. Vacalopoulos, The Greek Nation, 1453-1669, New Jersey, 284.
844
Voir plus avant; Maria Fusaro, « Les Anglais et les Grecs. Un réseau de coopération comemrciale en Méditerranée
vénitienne », Annales. Histoire, Sciences sociales, n° 3, 58e année, Paris (2003), 605-625.
845
F. Braudel, La Méditerranée, vol. II, 173.
846
A. E. Vacalopoulos, The Greek, 271-272.
847
M. Fusaro, « Les Anglais et les Grecs », (609-610).

626
l’expansion économique de l’île848. La fabrication de la soie et de produits manufacturés à base de
coton représente l’une des branches économiques principales de l’île. Ses gants, ses chaussettes, ses
châles, ses bourses et ses toiles en soie, ses damas, ses taffetas et son satin sont les plus réputés de
l’Orient. Grâce à cette production, l’île entretient un commerce florissant jusqu’à Alexandrie. Cette
croissance économique se répercute également sur l’évolution démographique et en 1621, Chios
compte 58.000 habitants849.
- Chypre (Kýpros/Kıbrıs, Cipro)
L’île de Chypre est représentative du mode d’intervention vénitien dans les îles grecques.
Venise acquiert l’île en 1473850, trois ans après la perte de Négrepont. La population insulaire y est
multiethnique depuis la colonisation génoise. Elle comprend les « Chypriotes », c'est-à-dire les
Grecs et les Latins, qui se sont graduellement homogénéisés dans leurs rapports sociaux, et les
« Francs », les Génois et les Vénitiens, considérés comme étrangers. Arrivée en tant que dernière
colonisatrice, Venise n’applique pas une politique visant à séparer les Latins des Grecs. De fait, ces
derniers comprennent des membres influents insérés dans la société chypriote, aussi bien sur le plan
économique que religieux. Cette élite hellénique est fidèle à la République. De même, dans le but
d’améliorer l’économie rurale et les recettes fiscales, Venise abolit les juridictions seigneuriales.
Néanmoins, la paysannerie chypriote, composée de parèques (serfs), de francomates et de libres
tenanciers, continue de vivre dans de mauvaises conditions économiques, en raison, notamment, de
la poussée démographique et des problèmes qu’elle engendre851. Une partie de cette paysannerie,
insatisfaite de son sort, apporte alors son appui aux conquérants ottomans, lors de l’expédition de
1570-1571852. Ainsi, un siècle après sa conquête, Venise perd l’île et la cède au pouvoir ottoman.
Son retrait des comptoirs levantins contribue à affaiblir son rôle de puissance méditerranéenne853.
Outre sa fonction de point de transit, Chypre possède d’autres ressources économiques. Elle
produit et exporte du sucre, de la soie, du coton, du sel ainsi que du vin et de l’huile d’olive854. L’île
joue également un rôle notable de marché d’approvisionnement en blés de Venise, tout au long du
XVIe siècle. Des nefs chargées de plusieurs milliers de setiers de froment, d’orge et de biscuit
s’acheminent vers la République durant la saison hivernale. Au XVIe siècle, près de cinq naves

848
Un nombre substantiel d’habitants de Chio s’installent en réalité dans le port de Smyrne et entrent en compétition
avec les Arméniens, ces derniers ayant développé un important négoce notamment en Orient, dans le port d’Alep.
849
A. E. Vacalopoulos, The Greek, 274-275.
850
Sur la période de colonisation génoise voir : Michel Balard, La Romanie génoise (XIIe-début du XIIIes.), Rome,
1978, 2 vol.; Jacques Heers, « Origines et structure des compagnies coloniales génoises (XIIIe-XVe siècles) », Etat et
colonisation, 17-33; Catherine Otten, « Les institutions génoises et les affaires de Chypre », ibid., 167-178, et la
littérature indiquée.
851
B. Arbel, « Résistance », (132-134, 137-138, 140).
852
Costas P. Kyris, « Modes de survivance, de transformation et d’adaptation du régime colonial latin de Chypre après
la conquête ottomane », Etat et colonisation, 153-165 (153).
853
B. Arbel, « Résistance », (141).
854
A. E. Vacalopoulos, The Greek, 273.

627
transportent annuellement entre 16.500 et 20.000 hectolitres de blé855. Après la conquête ottomane,
des comptoirs anglais, français et hollandais s’implantent sur l’île et exportent cette production856.
- Corfou (Κέρκυρα – Corfù)
Corfou est située à la frontière de l’étroit canal d’Otrante, de 72 km de long, en mer
Ionienne. L’île représente ainsi, selon l’expression de Braudel, « le cœur de l’Etat vénitien », car la
posséder signifie dominer l’ensemble du Golfe, du nord au sud. Aussi, Venise l’acquiert en 1386857.
En 1576, elle compte 17.517 habitants858. Son principal atout économique est la production oléicole.
Une modeste partie est destinée à l’approvisionnement de la République. Ainsi, à la fin du XVIe
siècle, l’huile corfiote, de moindre qualité que celle de la Pouille, ne participe qu’à 3-4% des
importations vénitiennes859, soit 2.639 hl par an860. Comme les autres îles ioniennes, elle manque
fréquemment de blé et en importe de son voisinage, ainsi que du vin de Crète. Dans les années
1580-1590 au moins, des banquiers juifs y sont présents pour financer les transactions
commerciales de leurs compatriotes vers Alexandrie, Candie, Arta ou en Italie861.
- La Crète (Κρήτη, Candia)
La Crète appartient à la République de Venise depuis 1204 et, à l’instar des ports dalmates,
elle représente avant tout un avantage stratégique et commercial862. En 1577, suite à l’afflux de
réfugiés orientaux, l’île compte 190.000 habitants863. Elle bénéficie de plusieurs atouts. Les Crétois
sont renommés pour être de très bons marins : lorsque les Anglais pénètrent les courants maritimes
commerciaux de la Méditerranée orientale au début du XVIe siècle, ils utilisent notamment les
navires crétois pour leur transport. En contrepartie, ils vendent du savon, des brocards de Flandre et
des métaux. Le vin de malvoisie, très réputé, est exporté à l’ouest – jusqu’en Flandre864 et en

855
Sur les quantités et la fréquence, voir V. M. Godinho, « Venise : les dimensions », (138-139).
856
A. E. Vacalopoulos, The Greek, 273.
857
F. Braudel, La Méditerranée, vol. I, 115-117.
858
Ibid., vol. II, 173.
859
S. Ciriacono, « Economia e commerci », (33, 37-38).
860
Si Venise importe 10.457 miers à la fin du siècle [ibid., (37)], soit 65.984 hl, 4% de ce marché représente une
production annuelle supérieure à 2.639 hl.
861
Installé depuis cinq ans à Corfou en 1588, Sabastà de Menaensi reçoit de retour d’Alexandrie 66 sequins d’or
d’Abraham Cohen d’Arta pour des marchandises de Candie, récupérées par le rabbin Eliezer (Ali Zer ?) Maurogona. En
juin 1590, Aron Mazza est expressément désigné comme banquier juif et il nomme son frère Sabata pour récupérer une
lettre de change rédigée par Scoder da Xelia résident à Cremona. Les rabbins Elia et David Mazza sont les procurateurs
du rabbin Sabatha d’Arta en mars 1591. Ils nomment un autre procurateur, le rabbin Salvator de Calio, pour qu’il se
rende à Venise afin de récupérer un colis de blé; ANG, D.C., Altavilla Andrea, azzi, f° 38-38’, 49’-50, 57-57’.
862
Sur les conditions d’acquisition et l’organisation politique et administrative de l’île par les Vénitiens, voir Jean
Tulard, Histoire de la Crète, Paris PUF 1962, 96-109.
863
A. E. Vacalopoulos, The Greek, 100.
864
Des convois de galères sont organisés jusqu’en Flandre, au moins au milieu du XVe siècle. Venise tente de
monopoliser ce trafic en interdisant de transporter sans droits des vins de Crète sur des navires étrangers, mais sans
succès, de sorte qu’elle met en application une taxe de deux ducats par tonneau sur les navires se rendant en Flandre et
en Occident en général. En plus du vin, Candie sert d’escale pour les épices indiennes qui y sont chargées sur des
galères de Flandre; Charles Verlinden, « Rapports économiques entre la Flandre et la Crète à la fin du Moyen Âge »,
Revue belge de philologie et d’histoire, vol. 14/2, 1935, 448-456 (454-455).

628
Angleterre865. Dans ce commerce, les Vénitiens sont très impliqués866, mais comme à partir du
milieu du XVe siècle des navires anglais commencent à charger du vin de Malvoisie à leur compte,
la République interdit en 1488 l’exportation des vins crétois aux vaisseaux étrangers – provoquant
alors une brève guerre des tarifs entre Venise et l’Angleterre867. Du vin crétois est également exporté
à Zadar. En novembre 1514, Pietro de Giovanni de Bergamo et Andrea dal Gallo de Venise,
habitants de la Crète, vendent au commerçant zadarois, Lazar de Pontremolo et à son fils Petar, six
tonneaux de vin de Malvoisie (Monemvasie – Malvasia), ou encore du moscatelle (du muscat ?), au
prix de douze ducats par tonneau868. Des agents vénitiens sont installés sur l’île pour transporter de
grandes quantités de vin et de fromages et s’approvisionnent en blés à partir de Thessalonique et de
Constantinople869. L’activité de la famille marchande des Bembo illustre le mieux l’exploitation
économique de l’île à la fin du XVe siècle. Outre leur négoce des étoffes, du blé, des raisins secs, de
la soie et des épices vers Venise et vers l’Occident, les Bembo transportent du vin crétois en
quantités considérables vers la Flandre et l’Angleterre, ainsi que du fromage870.
Les vergers de l’île produisent également en quantité abondante des fruits (figues, oranges,
citrons, pommes et olives). Aussi ces productions sont-elles exportées, sous forme de jus de fruit,
sur les marchés turcs, à Constantinople et ailleurs. Les huiles crétoises constituent également un
article avantageux d’exportation871. En revanche, le développement des monocultures de vigne, de
canne et de coton se réalise au détriment de la culture des blés, de sorte que l’île est tributaire des
ravitaillements extérieurs en céréales. De plus, les Crétois ne disposent pas d’une grande liberté de
manœuvre commerciale. Le commerce est monopolisé par la République qui se sert de l’île comme
d’un entrepôt pour les articles importés de l’Orient (Syrie)872. Néanmoins, au milieu du XVIe siècle,
pour amortir les velléités fréquentes de révolte, le brasier devenant d’autant plus menaçant que la
présence ottomane se fait pesante, Venise assouplit sa politique économique à l’égard notamment
des entrepreneurs crétois. Ceux-ci s’impliquent dès lors dans un réseau commercial international
qui relie Venise et Londres avec la Grèce (Zante, Céphalonie et la Crète), une partie d’entre eux
résidant en Angleterre à partir de la fin des années 1570873. Des marchands de Candie sont impliqués
aussi dans l’approvisionnement de la Pologne en vin, en passant notamment par la Mer Noire874.

865
V. M. Godinho, « Venise : les dimensions », (130).
866
A. E. Vacalopoulos, The Greek, 286, 273.
867
M. Fusaro, « Les Anglais et les Grecs », (610).
868
DAZd, Simon Corenichius, B. I, F. I/6, f°7.
869
A. E. Vacalopoulos, The Greek, 284.
870
Freddy Thirriet, « Les lettres commerciales des Bembo et le commerce vénitien dans l’Empire ottoman à la fin du
XVe siècle », Etudes sur la Romanie greco-vénitienne (Xe-XVe siècles), Londres 1977, 911-933 (923-924, 931).
871
A. E. Vacalopoulos, The Greek, 273, 286.
872
J. Tulard, Histoire, 100-101.
873
M. Fusaro, « Les Anglais et les Grecs », (613-614).
874
Cependant, lorsque les Ottomans bloquent le trafic de leurs gallions en Mer Noire, ces marchands de Candie
réclamment à Venise en 1592 un droit d’accès par le Frioul pour continuer à se rendre avec leur vin en Pologne; Traian

629
- Négrepont (Χαλκίδα / Εύβοια)
Ce port de l’Eubée sert d’appui principal au commerce vénitien en Grèce centrale. Outre ses
ressources propres, comme le blé et les draps, il sert de transit pour les produits comme la cire,
l’alun, le coton et la soie. Ce site représente une escale clé pour la pénétration du commerce
vénitien dans les autres villes byzantines, ainsi qu’une voie d’accès à la Crète. Aussi cette ville est-
elle totalement tributaire de la politique commerciale vénitienne875, mais dès 1470, les Ottomans la
conquièrent876.
- Rhodes (Ρόδος)
Rhodes est gouvernée par les chevaliers de Saint-Jean, puis elle est conquise par la Porte en
1522877. Cette île est réputée pour sa construction navale. Grâce à ses navires, les habitants de l’île
exportent sur l’ensemble des îles voisines leur vin de qualité, ainsi que des éponges marines qu’ils
transportent jusqu’à Venise. Ils contribuent au commerce de transit avec l’Orient, en important du
coton et du miel d’Egypte et de Karamania pour les réexporter en Italie. Les commerçants d’Icaria
échangent du vin contre du blé et du bois de l’île de Chio. Ils transportent encore des moutons, des
chèvres, du miel, de la cire sur les navires issus de leurs chantiers navals878.
Les sept îles mentionnées disposent de richesses naturelles importantes, parmi lesquelles le
vin, puis le raisin sec, dominent le marché d’exportation. Certaines ressources sont exploitées plus
directement par Venise (le sel de Chypre). Les commerçants grecs s’avèrent toutefois très actifs
dans la participation aux courants généraux du commerce international.
Aussi, l’importance de ce domaine colonial pour Venise est cruciale. Lorsqu’après la guerre
vénéto-ottomane de 1570-1573 la République est dépossédée de ses territoires levantins, elle perd
dans le même temps sa prédominance sur le commerce méditerranéen oriental, au profit des
puissances occidentales comme l’Angleterre, la France et les Pays-Bas879.
Indépendamment de la conjoncture politique, des échanges commerciaux existent entre les
territoires grecs et les villes dalmates, au moins dès le XVe siècle880.
A Zadar, ces échanges peuvent se manifester sous deux formes : la présence d’hommes
d’affaires grecs dans le port et le transport de marchandises dans les deux sens. Parmi les
mercenaires stationnés à Zadar, il existe des Levantins. Ainsi, en août 1442, un certain Michel de

Stoianovich, « The Conquering Balkan Orthodox Merchant », The Journal of Economic History, vol. 20/2, (1960), 234-
313 (240).
875
V. Hrochovà, « Le commerce vénitien », (19-20, 33).
876
M. Godinho, « Venise : les dimensions », (126). Les quelques rapports ayant été trouvés entre les Dalmates et les
Grecs de cette ville concernent l’année 1442, ainsi que le XVIe siècle. Pour des raisons de simplification, j’ai regroupé
sous la catégorie « colonie vénitienne » les données qui touchent à leur commerce.
877
Ibid., (131-132).
878
A. E. Vacalopoulos, The Greek, 273-274.
879
Halil Inalcik, « Ottoman-Venetian relations », Venezia, centro, 83-90 (90).
880
Dans les années 1440-1450, des Grecs sont engagés dans le trafic qui relie Split à la Bosnie. C’est le cas de l’épicier
Lappus Zanobi, du marchand Gulelme de Janina au Kosovo et du commerçant Coluccion de Sandreo de Rhodes, qui
concluent une société de transport de blé à Split à partir de la Pouille en 1448; I. Pederin, « Livanjski kraj », (130-131).

630
Négrepont finance une société de cordonnerie avec les cordonniers zadarois Petar Jasinić et Jakov
Otresani881. En décembre 1502, le Grec Jean Salomono de Modon doit verser à Marco Nazaro,
Vénitien habitant à Zadar, les bénéfices tirés d’un magasin situé dans le quartier de Sainte-
Catherine. Il lui paiera les 33 ducats de profits et encore 200 ducats pour le prix d’une location de
maison dans le même quartier en mai 1504882. En 1506, une petite société est conclue à Zadar entre
les marchands Jaketa de Gondola de Dubrovnik, Gaspar Charaso de Corfou et le patron génois
Paulo Giustiniani pour le transport de bois originaire du Littoral croate. Ils doivent se rendre à Senj,
y rester quarante jours pour charger du bois et l’exporter en Sicile (à Augusta, Syracusa et Girgenti)
en vingt jours. Les dépenses de chargement s’élèvent à 120 ducats (trois ducats par jour passé à
Senj)883. En 1518, un certain Stremo Vretachuci de Coron, achète un cheval (pili baii) d’Ivan de
Venturin pour le prix de seize ducats. En 1519, le patricien Jeronim de Gallelis de Zadar et ses
associés concluent une société avec l’épicier Dominik, propriétaire d’une caraque, pour le transport
de trois cents setiers de froment par le patron Petar Posarin. Au prix de 90 ducats le nolis, Petar doit
se rendre à Corfou, charger la caraque et conduire le froment en partie à Zadar, puis à Venise, où il
sera payé884. En 1530, une société est conclue entre les marchands Antonin Grando, Antoine Bolca
de Corfou et Dimitri Charinci, patron d’une esquirace, pour le transit de 37 tonnes de haricots de
Zadar à Corfou en passant par Hvar et Dubrovnik885. En 1545, le capitaine d’infanterie Pietro Clada
est le procurateur de la femme de Zoyce, fils de feu Nicolas Paléologue. Il achète à Giaccomo
Puttato de Pione Sacci des schiavine et du cordouan en provenance de Céphalonie pour 23 ducats886.
Enfin, onze ans plus tard se conclue la société comerciales déjà citée entre un Zadarois et un homme
de Nauplie.
Les Grecs sont aussi présents à Trogir durant les trente dernières années du XVIe siècle,
qu’ils soient transporteurs ou entrepreneurs autonomes. Lorsque les Grecs Iseppo, Jean, Georges, ou
encore Pavanello de Chios et Jean de Milo servent d’intermédiaires dans les années 1575-1577 pour
le compte de compatriotes ou de marchands italiens (Bernardin dalla Varea de Ravenna, Geronimo
Molenari, Giovani Paulo Vaselleno, Zuan Anzo Paladin, ou autres), les principales marchandises
exportées de Trogir sont les équidés et les poissons. Sur les 118 chevaux de race, chevaux de
montagne et poulain, 82% sont les roncini, à destination soit de sottovento – à l’ouest, soit des terre
aliene – vraisemblablement à l’est. Sur les 343 tonneaux de poissons exportés, 37% concernent les
sardines, 35% les saumures, 20% les chinchards et 8% les maquereaux, toujours pour sottovento
(43%) et les terre aliene (55%). Les autres marchandises sont plus marginales : 1.692 meules de

881
DAZd, Johannes de Calzina, B. I, F. II/2, f° 66’.
882
S. Gunjača, « Repertorium », (332).
883
DAZd, Antonius de Zandonatis, B. I, F. VI, f° 2.
884
DAZd, Conte Pietro Marcello, B. II, Instrumenti de vendite, donatione, f° 41’; Cittazione e sentencie, f° 309’.
885
DAZd, Simon Corenichius, B. I, F. XIII, f° 43-45.
886
DAZd, Conte Johannes de Morea, B. I, F. I/1, f° 11’.

631
fromages et 47 tonneaux pour les stati alieni (88%) et Chioggia (12%), ainsi que 1.209 tonnelets et
300 tonneaux de figues pour Venise et Chioggia. Les ports du Levant sont également importateurs,
presque exclusivement de poissons : en 1568, 590.800 pièces et 140 tonneaux de sardines sont
exportés vers Corfou, Chypre, Zante et Candie, ainsi que 10.000 chinchards. En 1575-1578, 1.028
tonneaux de poissons (94% de sardines) et 8.050 poissons (70% de maquereaux) sont exportés à
Zante (56%), ainsi qu’à Corfou, Céphalonie et le Levant en général. On relève en marge
l’importation d’un tonneau de clous et de 150 chapeaux pour Corfou. Là encore, des entrepreneurs
grecs sont impliqués : Dimo Cupa de Céphalonie importe en juin 1576 dans sa villes six tonneaux
de sardines dans une barque louée, Nicolas Scrina de Corfou y importe en juillet de la même année
24 tonneaux de poissons, Georges le Grec transporte 118 barils de sardines et 5.650 maquereaux
pour Corfou ou pour Zante pour le compte d’un certain Zuan Anzo Paladin (peut-être un
représentant de la famille noble de Corfou des Palada ?). En juin 1575, Theodorin de Zante voyage
avec « sa compagnie » pour exporter 140 miers de scussi pastrize à Hvar sur le navire de Petar de
Korčula et d’Ivan de Lastovo. Parmi les ressortissants de Candie figurent Irnucio de Clara et
Francesco Clara, puis Dimo de Candie, qui eux aussi exportent des poissons à partir de Trogir, le
plus souvent pour les terre aliene887. Il est à noter que des Trogirois peuvent être en poste dans le
Levant : en 1574, Jeronim Rosagia de Trogir est scribe sur la galère de Céphalonie du sopracomites
Slamati. Dans la Chancellerie de Corfou, Nicolas Magnati le nomme son procurateur pour réclamer
d’un membre de l’équipage un dû redevable à la Chambre fiscale de Céphalonie888.
Dans les contrelettres de Split du XVIe siècle, le trafic maritime vers les territoires grecs est
très faible (six voyages en 1504-1507889, deux voyages en 1511890, seize voyages en 1515-1517891,
six en 1529892, un en 1558893 et aucun durant les périodes postérieures). Les rapports entre les deux
entités géopolitiques apparaissent encore à travers les acteurs du commerce. De 1504 à 1511,
Michel de Jacques de Corfou apparaît à trois reprises. En novembre 1504, il transporte des figues,
de la rasse et des noix pour le compte du corfiote Athanase, de Split à Corfou. Trois ans plus tard,
les deux associés exportent à nouveau des draps, des chapeaux et de la rasse vers la même
destination. En 1511, enfin, Michel intervient en tant que commanditaire d’un transport de
cordouans vers le port de Senj, sur le navire du Splitois Matej Radinić. Un certain Christophe Greco
transporte à deux reprises des chevaux de Split vers la Pouille et sottovento, en décembre 1558 pour

887
DAZd, O. T., Bulletae primus, f° 1036’, 1038, 1042; Bulletarum primus, f° 1191, 1194’-1195, 1197’-1198, 1199’,
1206, 1208-1209, 1210-1211, 1215’, 1216’, 1217’-1218, 1219-1220.
888
ANG, D.C., Altavilla Andrea, azzi (1574-1597), f° 4’-5.
889
Vers Corfou et le Levant; DAZd, Sp. Ar., boîte 36, B. 48, F .1-V.
890
Vers Zante et le Levant (via Hvar); ibid., boîte 41, B. 52, F.4, f° 168’, 170.
891
Vers Céphalonie, Chypre (dont Nicosie), Corfou, la Crète (dont Candie, via Hvar et jusqu’à Constantinople), le
Levant, Malvoisie, Nauplie (via Hvar), Zante, et Rhodes (via Hvar); ibid., boîte 49, B. 60, F. 6-II, f° 459’, 463, 464’,
466-466’, 470’, 476’, 478’-479’, 484, 496.
892
Vers Corfou, Zante et le Levant en général; boîte 67, B. 74, F. 7-IV, f° 555’, 561, 562, 563’, 567.
893
Une cargaison de laine provenant de Makarska vers Famagouste; ibid., boîte 96, F. 103, F. 17, f° 887.

632
le compte de Giacccomo della Cecha, et en mai 1559 pour le commanditaire Zucho de Zuosa. En
1581, Persian Greco de Chio transporte également des chevaux et des ânes vers sottovento pour les
commanditaires Collin Pelegrini Spina et Vissendro de Nardo dal Vasto (le 1er juin), puis, en
octobre, pour le compte de Florian dal Vasto. Un certain Doria Dorio de Chios exporte des chevaux
de Split vers sottovento le 30 juin 1581, sur une commande de don Pierre Peroci de Rhodes et de
Pier’Antoine de Rhodes. Ce dernier effectue encore un voyage, à son compte, avec une cargaison de
chevaux vers la même destination le 5 juillet de la même année.
En dehors de ces quelques « clients fidélisés » du port de Split, apparaissent encore un
transporteur, Ange de Rhodes, associé au commerçant Jacques de Rhodes pour l’acheminement de
rasse vers la Pouille, et deux commerçants grecs, Androme de Nauplie et Jacques de Rhodes en
1504-1507, qui exportent des sardines salées vers le Levant. En 1511, le transporteur Ilia de Corfou
s’associe à Rado Moscha de Manfredonia pour exporter une jument vers la Pouille, et la même
année, le commerçant Jean Sanopoli de Zante entreprend un voyage vers son île avec une cargaison
de draps, de cuivre et de fiasques. Dans les années 1515-1517, huit commerçants sont déclarés dans
les contrelettres splitoises, dont Dimitri de Nauplie894, Jean de Candie895, le commerçant Dominique
de Georges de Candie896. Paul Frogninus de Corfou se rend à Venise pour y exporter du fer, des
cordages en chanvre (canipatio) et un soc (vomer). André Carnevacha de Nauplie transporte
également du fer, ainsi que des sardines et des chapeaux vers Malvoisie. Philippe de Nicosie se rend
à Nicosie (Λευκωσία / Lefkoşa) et à Candie en 1516897. Deux associés, le transporteur Pierre Cheli
de Corfou et le commanditaire Bezegao de Corfou, exportent de Split du fer, des verges et des draps
de carisé vers cette île en août 1516. Jean de Rhodes sert de transporteur au marchand italien
Jacques Capati de la Perone en mars 1517, pour un chargement de peaux, de rasse, de draps, de
schiavine, de cordouans et de chevaux vers la Pouille. François de Nardi de Rhodes se sert des
services de transport de Pietro Battinella pour acheminer un cheval vers la Pouille. Enfin, en
novembre 1517, le patron du navire Grégoire de Rhodes se charge de transporter des juments, des
peaux et de la rasse de Split vers l’île pour le compte de Jacques de Rhodes.
L’année 1529, trois entrepreneurs grecs apparaissent. Alvise Zuaro de Candie898, Alvise
Cerno de Lépante899 et Jean de Chypre900. Durant les années 1558-1559, Marc de Candie over Greco
s’associe à Christophe Masarachi pour exporter des chevaux vers la Pouille. Un certain Dimitri
Greco, peut-être le même que celui de 1516, transporte pour le compte de Bastiano de Peschiara du

894
En juillet 1516, il transporte des sardines vers sa ville, en passant par l’île de Hvar.
895
Le même jour, il transporte des sardines et un vase à vin (tinos – tinozza) vers son île, en passant aussi par Hvar.
896
Il entreprend le voyage vers Venise avec des draps, en partant de Split.
897
Il y exporte du fer doux et des sardines.
898
Il exporte du vin vers Barletta et Venise.
899
Il transporte des sardines, du fer, des draps vers Vlorë, Corfou et Zante.
900
Il transporte des sardines vers Corfou.

633
cuir, des schiavine, de la cire, des chandelles et du fromage en direction de la Pouille. En juillet
1559, Jacques Greco et Michel de Ulianović de Modena, exportent des chevaux vers Ancona. Dans
les années 1581-1582, tandis qu’aucun voyage en direction du Levant n’est signalé, les
commerçants grecs sont néanmoins présents sur la scène économique splitoise. En mars 1581, le
Grec Manolo transporte pour le compte de l’Italien Louis Giavino de Manfredonia des chevaux vers
sottovento. Ange Antoine de Rhodes transporte pour son compte des chevaux de Split vers
sottovento. Le commerçant André de Nicolas de Candie transporte en mai 1582 des chevaux,
toujours en direction de l’Italie. Enfin, le Grec Georges exporte du fromage vers une destination
non précisée, per transito per conto di scala sur un navire loué en Turquie, en août 1582.
Les Dalmates s’impliquent tout autant dans le circuit maritime menant au Levant, ou sont
associés à des Grecs. En 1505, Zaneto de Trogir et Bernardin de Nadal de Split prévoient d’exporter
des sardines, de la rasse vers la Dalmatie, vers la Pouille, vers l’Albanie et vers le Levant. Le
Splitois Matej Radinić est associé au Corfiote Michel, en 1511, pour le transport de cordouans vers
Senj. La même année, le Zadarois Ivan entreprend un voyage vers le Levant en passant par Hvar,
pour y vendre de la rasse et des chapeaux. Le Splitois Bernardin de Nadal réapparaît en 1515,
prenant à son service le patron Jacques Stoia de Split pour transporter du cuivre et de la rasse vers
Corfou et Nauplie. Quatre ans plus tard, Andrej de Armenio de Split exporte des figues, de la cire,
de la rasse, du cuivre, du fer et du bois vers la Crète.
Une dernière manifestation de la réalité des échanges entre les deux territoires, dalmates et
grecs, est la présence d’un produit typiquement grec dans le circuit maritime splitois. Tout au long
du XVIe siècle, on relève le transport de quantités modestes de raisins secs appelés uva passa en
Italie901. Cette espèce de raisin à petits grains noirs est produite et exportée à partir de Zante, et
appartient à la variété de Corinthe902 – c’est l’un des produits phares notamment des riches familles
Sumacchi et Seguro de Zante dans les années 1580903. Les commerçants impliqués dans ce trafic
sont aussi bien dalmates qu’italiens. Le plus souvent, leur cargaison contient ce raisin en association
avec des figues (et plus généralement des fruits) et/ou du vin.

901
En 1503, Forando de Boroni de Poligniano et Zanet de Split financent, chacun pour son compte, le transport de cet
article vers la Pouille. Zanet entreprend un second voyage la même année vers Venise. En hiver 1503, Antun de Šibenik
exporte des figues et ce raisin vers la Pouille, tout comme Tomaso de Nicolo. En 1511, Petar de Split commandite le
transport de figues, de marasques, de ce raisin et du miel vers Venise. En 1515, Jeronim Trombeti de Split navigue vers
Senj avec une cargaison de figues, pommes et raisin corinthien pour la foire d’octobre. En 1516, le Vénitien Santino de
Giovanni importe de Split vers Venise des figues, du raisin et du vin. La même année, le patron Toma de Ston et son
commanditaire Šime Markov de Ston, transportent du raisin et de la laine vers la Dalmatie et Rijeka.
902
A. E. Vacapoulos, The Greek, 271-272.
903
Ces deux familles ont des agents installés à Londres pour assurer l’approvisionnement de la capitale anglaise en
raisins secs et en huile avec leurs propres navires pilotés par des Anglais. Les Seguro servent aussi d’intermédiaires aux
Anglais faisant escale à Zante pour se rendre ensuite en Orient. Giorgio Sumacchi et son fils Michele mènent un négoce
entre Venise et les îles ionniennes et exportent du vin de muscat vers l’Angleterre; M. Fusaro, « Les Anglais et les
Grecs », (614-615).

634
Plusieurs indices permettent donc de définir la nature des échanges entre Split, Zadar et le
territoire hellénique. Malgré le faible nombre de voyages déclarés, les contacts entre les deux
régions sont indéniables. Les ports dalmates exportent essentiellement de la rasse et des sardines,
voire des chevaux, vers le Levant. Split sert également de port de transit. Ainsi, les entrepreneurs
levantins s’impliquent dans le négoce des métaux (cuivre et fer) et de bois en provenance de Senj,
puis, vers la fin du XVIe siècle, de chevaux vers l’Italie. Les Dalmates et les Italiens importent des
cordouans et du raisin grec vers leurs villes respectives. Bien que les quantités en jeu soient
minimes, le commerce entre Split, Zadar et les îles des mers Ionienne et Egée est dynamique, aussi
bien dans le cadre d’un réseau d’échange direct, que dans celui du transit vers d’autres destinations.
Les relations économiques entre les deux territoires s’expriment encore sous la forme des sociétés
commerciales conclues à Zadar entre des hommes d’affaires grecs et dalmates, même si elles
peuvent être le fruit, parfois, de la présence des mercenaires grecs à la solde vénitienne. De plus, on
peut suivre la continuité de ces circuits commerciaux avant et après la domination vénitienne au
Levant. L’absence des voyages à partir de Split vers la Grèce à la fin du XVIe siècle peut se traduire
par la fin des avantages ayant pu exister au temps de la présence franque, à savoir l’appartenance
commune à une même entité politique – mais cette hypothèse est démentie par l’exemple de Trogir,
qui continue à exporter des poissons au Levant. Par ailleurs, cette absence est compensée par
l’intervention croissante des commerçants grecs dans le circuit maritime de l’Adriatique en général.
Cette pénétration hellénique dans les eaux du « Golfe de Venise » – confirmée encore par les
sources anconitaines (au moins par les Quarti de 1562-1563 et les accords d’Ancona avec la Porte –
représente un symptôme supplémentaire de l’affaiblissement de la présence vénitienne dans
l’espace méditerranéen, auquel il a été déjà fait référence.

7°) L’Empire ottoman


En deux siècles, le territoire sous le pouvoir de la dynastie des Osmanides s’est
considérablement agrandi, pour devenir au XVIe siècle le plus grand Etat du monde musulman. Du
temps de Mehmet I (1413-1421), la superficie de l’Empire est de 340.000 km²904. Après la conquête
de l’Anatolie orientale, de la Syrie et de l’Egypte, en 1520, elle dépasse les 1.500.000 km²905. La
puissance économique de la Porte s’impose également au monde méditerranéen. De la fin du XVe
siècle au début du XVIe siècle, l’Empire ottoman dispose d’un revenu de deux à trois millions de
ducats906, avec un budget excédentaire907. Puis, sous le règne de Selim Ier, ce budget triple908. En

904
J. Matuz, Osmansko, 27.
905
V. M. Godinho, « Venise : les dimensions », (128-129).
906
Ibid.
907
L’année 1475, les revenus annuels se chiffrent à 1,8 millions de florins or contre 1,137 millions de dépenses, soit un
excédent de 663.000 florins or; Nicoară Beldiceanu, « L’organisation de l’Empire ottoman (XVe-XVIe siècles) », dir.
Robert Mantran, L’Histoire de l’Empire ottoman, Fayard 1989, 121.

635
1553, les recettes de l’Etat sont de 7.166.000 ducats, dont 45% proviennent des tributs payés par les
non musulmans et par les pays conquis, 21% des revenus des mines et des salines909, et 17% des
douanes et des impôts sur le commerce910. Enfin, à la fin du siècle, les revenus de l’Etat atteignent
les huit à dix millions de ducats, soit, une somme quatre fois supérieure à celle des revenus de
Venise911. Parallèlement à cette croissance générale, entre 1520 et 1580, la population augmente de
41%, répartie dans des agglomérations peu peuplées de moins de 2.000 maisons912. Cette population
se trouve être dix fois plus nombreuse que celle de l’Etat vénitien913.

a) La politique économique de l’Empire


Complétant la phase de conquête territoriale, le gouvernement ottoman mène une politique
commerciale stimulante dans l’ensemble des pays conquis. Ainsi, l’abolition de la féodalité locale,
la simplification du système d’imposition (les raıyyet rüsumu payés par les Chrétiens en espèces,
l’avâryz-ı et le dıvânıye en tant que contributions ponctuelles, et la dîme) et la protection des non
musulmans par des droits de douane très bas914, figurent parmi les mesures prises pour faciliter
l’intégration à l’Empire et pour développer la croissance économique et monétaire de la Porte915. Le
pouvoir donne à ferme certaines entreprises économiques (les mines, la frappe de la monnaie, les
douanes, les rizières, les salines, les savonneries, et certains impôts), ainsi que des villages de
serfs916. De plus, les sultans accélèrent l’essor économique de deux grands pôles : Istanbul, capitale
politique et religieuse de l’Empire (avec 400.000 habitants en 1520917), et Bursa, ancienne capitale,
principal centre producteur de la soie et nœud commercial dominant du Levant, communiquant
directement avec l’Occident918.
Quant aux échanges extérieurs, la Porte pratique une politique à la fois libérale et
protectionniste. D’un côté, les rapports commerciaux avec les Etats occidentaux sont régulés par
l’octroi de capitulations, c'est-à-dire des concessions de libre commerce dans l’ensemble de

908
En 1527-1528, les revenus de l’Etat représentent 538 millions d’aspres; Halil Inalcik, « L’Empire ottoman », Studies
in Ottoman Social and Economic History, Londres 1985, 75-103 (88, 90-91) – soit 4 à 6 millions de ducats; V. M.
Godinho, « Venise : les dimensions », (128-129).
909
Il s’agit de mines d’or, d’argent, de cuivre, de plomb, de fer et d’alun; Marie F. Viallon, Venise et la Porte ottomane
(1459-1566), Paris 1995, 107.
910
Afet Inan, Aperçu général sur l’histoire économique de l’Empire turc-ottoman, Ankara 1976, 28.
911
V. M. Godinho, « Venise : les dimensions », (128-129).
912
G. Veinstein, « L’Empire et sa grandeur », 210.
913
V. M. Godinho, « Venise : les dimensions », (128-129).
914
Les sultans ottomans suppriment les exemptions de droits de douane des Vénitiens et des Génois, puis élèvent ces
droits, à partir de 1463, à 5%. En revanche, ils favorisent les négociants musulmans et les ressortissants des pays payant
un tribut à l’Empire, en leur accordant un tarif de 4%. De sorte que les sujets de la Porte deviennent les principaux
bénéficiaires de la politique ottomane; H. Inalcik, « L’Empire », (87).
915
Ibid., (80-84).
916
N. Beldiceanu, « L’organisation », (122).
917
Sur les 80.000 foyers de la ville, 58% de la population est musulmane, et 42% des Chrétiens et des Juifs; G.
Castellan, History, 133.
918
Sur le rôle de Bursa, voir plus particulièrement l’article d’Halil Inalcik, « Bursa and the commerce », The ottoman
Empire : Conquest, Organization and Economy, Variorum reprints, Londres 1978, 131-147.

636
l’Empire. Les motifs d’attribution de la capitulation peuvent être d’ordre économique, pour
s’assurer l’approvisionnement d’articles de luxe et accroître les revenus douaniers, ainsi que d’ordre
politique, en vue d’obtenir des soutiens d’une puissance contre une autre919. Ainsi, jusqu’à la fin du
XVe siècle, les Turcs privilégient les relations diplomatiques avec les Vénitiens et les Génois (ces
derniers, étant moins en conflit avec la Porte que Venise, ont l’avantage), tandis que les Ragusains
jouissent d’un statut particulier maintes fois souligné. Puis, à partir de la première moitié du XVIe
siècle, les Ottomans s’ouvrent également vers les puissances nord occidentales, comme la France
(en 1535), l’Angleterre (fin du XVIe siècle) et les Pays-Bas (fin du XVIe siècle également)920. D’un
autre côté, en revanche, six articles sont interdits d’exportation : le coton, le fer, le plomb, les
céréales, les peaux et la cire, afin de s’assurer l’approvisionnement en matières premières pour la
consommation propre de l’Empire921. A cela s’ajoutent les « marchandises stratégiques »922 dont le
transport hors du territoire n’est permis qu’après l’octroi d’une licence d’exportation en période
d’excédent uniquement. Ainsi, pour des raisons militaires et de protection de la consommation
intérieure, le pouvoir contrôle les sorties des armes, des chevaux, de la poudre, des minerais (or,
argent, cuivre, plomb, fer, soufre), de certains produits d’élevage (peaux et cuir, cire et laine), et
agricoles (céréales, légumes et coton)923. En plus de ces restrictions, les Ottomans mettent en place
un système procédurier de contrôle des opérations commerciales avec les étrangers924. Néanmoins, à
partir des années 1520-1530, les autorités ottomanes commencent à encourager les représentants
chrétiens de classe moyenne de l’Empire à s’impliquer dans le commerce. Pour mieux contribuer à
centraliser le marché des épices, de la soie et du sucre originaires d’Afrique, de Syrie et des Indes
vers Constantinople, les marchands des Balkans et ceux du Levant sont autorisés à sillonner les
routes de l’Orient à l’Italie et l’Europe centrale à travers l’Adriatique, puis en passant par le
Danube. Des Grecs, des Turcs et des Persans sont alors présents aux foires de Lanciano et de
Recanati. Au nord, des Grecs de Galatie obtiennent du duc de Brabant en 1582 le droit d’importer
des marchandises turques à Anvers, puis de s’approvisionner en biens pour les exporter dans
l’Empire. Les marchands grecs, arméniens, ragusains et juifs deviennent les principaux collecteurs
d’impôts, banquiers et hommes d’affaires de la Porte à la fin du XVIe siècle925.

919
H. Inalcik, « L’Empire ottoman », (91-92).
920
A. Inan, Aperçu général, 36-37.
921
H. Inalcik, « L’Empire ottoman », (92).
922
Expression reprise de G. Veinstein, « L’Empire et sa grandeur », 222.
923
Ibid.
924
Pour toute exportation par voie maritime, le patron du navire doit obtenir un brevet d’autorisation spéciale. Les
employés du patron, les agents des marchands présents en Turquie et tout autre tiers intervenant, doivent disposer d’un
brevet prouvant leur prise en service; de même, s’ils sont congédiés, le gouvernement doit en être informé; A. Inan,
Aperçu général, 89.
925
T. Stoianovich, « The Conquering », (237-238, 240).

637
b) Les ressources économiques de la Porte
Faiblement urbanisé, l’Empire ottoman tire l’essentiel de ses ressources de l’agriculture et
de l’élevage. En outre, l’Etat est propriétaire de 87% des terres arables (en 1528)926. L’Empire
cultive des céréales (Bulgarie, Egypte), des fruits et légumes (Damas, Sinope, Bursa, Egypte), du
vin (Albanie, Hongrie, les régions basses danubiennes, Chypre, Malvoisie), des olives (îles et côtes
méditerranéennes). Il produit également des plantes textiles (lin d’Egypte, chanvre d’Anatolie, de
Thrace et de Chypre, coton du Moyen-Orient, d’Asie mineure et de Chypre), ainsi que des articles
semi manufacturés, comme le miel et la cire (Valachie, Moldavie), en vue de la fabrication de
bougies. Les mers et les rivières fournissent des poissons, qui sont salés par la suite pour le
transport. Le sous-sol est riche en minerais (argent, or, plomb et cuivre de Macédoine orientale, de
Bosnie et de Serbie). Les parties chrétiennes des Balkans comportent également des élevages de
moutons et de porcs (Bulgarie, Macédoine, Thrace orientale), cette activité économique étant
surtout développée dans les zones de montagne et dans les steppes orientales (Anatolie, Roumélie,
nord de la mer Noire). Les centres orientaux (Egypte, Syrie, Anatolie) cultivent des rizières, sous le
contrôle de l’Etat927.
A l’intérieur de ce vaste ensemble géopolitique, la Bosnie et l’arrière-pays croate du littoral
dalmate représentent les partenaires économiques de proximité les plus importants des cités
dalmates. A partir du milieu du XVe siècle, ces entités sont intégrées à l’Empire ottoman – tout
comme la Dalmatie est incorporée à la République de Venise. En 1499, soit vingt-six ans après la
conquête, la Bosnie compte 29.500 foyers928. Dans cette partie des Balkans, les deux partenaires
commerciaux, Dalmatie et Bosnie, sont tributaires de la politique économique de leur
administration centrale respective.

c) La Bosnie
L’intégration de la Bosnie à l’Empire contribue, nous l’avons vu, à l’unification territoriale
de l’ensemble des anciens états féodaux bosniaques et à la centralisation du pouvoir sur l’ensemble
des Balkans. Ces événements facilitent la circulation et le contrôle des hommes et des biens.
En dehors de Ragusains, qui dominent l’activité commerciale dans les Balkans929, les autres
entrepreneurs dalmates sont présents sur les marchés ottomans. L’activité du port de Split au XVIe
siècle révèle un segment de l’orientation du négoce vers la Porte. Le fleuve de la Neretva, principal

926
G. Veinstein, « L’Empire et sa grandeur », 211.
927
N. Beldiceanu, « L’organisation », 123-124, et G. Veinstein, « L’Empire et sa grandeur », 213-215.
928
Dont 25.000 chrétiens et 4.500 musulmans; H. Inalcik, « L’Empire ottoman », (89).
929
Voir entre autres l’ouvrage de synthèse de B. Krekić, Dubrovnik, Italy, plus particulièrement « Dubrovnik, the
Balkans and the Levant »; et И. Божић, Дубровник и Турска.

638
marché de ravitaillement de la Bosnie depuis l’Adriatique930, représente aussi une voie primordiale
de pénétration des commerçants dalmates depuis le Moyen Age.
Lorsque les ports dalmates sont intégrés au royaume angevin au milieu du XIVe siècle, ils
développent leurs relations économiques avec leur arrière-pays. Les marchands zadarois, qui étaient
jusque-là essentiellement orientés vers l’Occident, pénètrent plus activement le territoire bosniaque.
Ils exportent du sel dans la vallée de la Neretva, à travers Drijeva et Brštanik, et en importent de
l’argent et du plomb931. Lorsque Venise monopolise la production et le commerce du sel de Pag, les
marchands zadarois, et surtout les nobles de la ville, perdent leur article principal de vente.
Quelques accords de transport se maintiennent toutefois au début du XVe siècle, dans lesquels
interviennent également des étrangers. Ainsi, en 1408, le propriétaire d’un navire, Luka de Lodrino,
habitant à Venise, conclut à Senj le transport de sel pour le compte de Nicolo, fils de feu Pietro
d'Urbino, avec pour patron son cousin, Pietro de Lodrino, habitant à Venise. Ils doivent partir de
Senj, se rendre à Pag, y charger le sel (la quantité n’est pas précisée), et se rendre à la Neretva pour
l’y décharger. Ils ont alors cinq jours pour charger les marchandises de Nicolo et se rendre à
Ancona. Trois jours après leur arrivée dans ce port, Nicolo doit payer quarante-six ducats, pour prix
des trois voyages932. Par la suite, l’engagement direct des entrepreneurs zadarois avec les ports et les
centres bosniaques éloignés s’affaiblit encore davantage. Grgur Mrganić reste l’un des rares
hommes d’affaires à poursuivre une activité lucrative de vente du sel jusqu’à sa mort en 1460. Dans
les années 1440, il réalise cinq voyages à Drijeva avec des cargaisons de sel933. Aussi, dans
l’ensemble, les commerçants zadarois se limitent aux échanges de proximité avec l’arrière-pays,
prennent contact avec leurs partenaires économiques sur les bords du territoire ottoman (Obrovac,
Vrana), laissant l’essentiel du commerce des matières premières aux mains des habitants de
l’arrière-pays934. Le volume financier de ces échanges n’en est pas moins lucratif encore au XVIe
siècle. Ainsi, en 1553, les Valaques importent en ville du froment, de la laine, des schiavine, des
cordouans, du miel, de la cire rose et du fromage, tandis que les Zadarois leur vendent des draps, du
carisé, du sucre, de l’huile, du vin, de la cire blanche et des épices. La valeur de ces échanges
représente un revenu de 13 à 14.000 ducats annuels935.
A l’inverse, les Splitois, suivant l’exemple des Ragusains, demeurent actifs dans le
commerce avec les Balkans, en ayant créé de petites colonies commerciales dans les centres
bosniaques936. Depuis 1302, les marchands splitois ont obtenu le privilège de libre commerce du ban

930
A. Ducellier, La façade, 592.
931
T. Raukar, Hrvatsko, 165-166.
932
A. Krekich, « La Curia consulum », doc. 8 (164-165).
933
S. F. Fabijanec, « Profesionalna djelatnost », (57).
934
T. Raular, Zadar u XV. st., 276.
935
« Itinerario di Giovanni », 198.
936
T. Raukar, Zadar u XV. st., 276.

639
de Bosnie, Mladen Ier. Jusqu’en 1463, ils continuent d’entretenir des réseaux commerciaux routiers
en passant par Klis pour rejoindre Vesela Straža et Jajce937. Les commerçants bosniaques viennent
régulièrement à Split à la Saint-Georges, au printemps, pour prendre à crédit des marchandises. Ils
reviennent ensuite en automne, à la Saint-Michel, pour les payer. Ils s’approvisionnent
essentiellement en textile et en rasse, vendant en échange des chevaux et de la guède. Le trafic est
développé au point que les Splitois et des Italiens installent une petite colonie dans la ville de
Jajce938. Après la chute de la Bosnie, ces liens se desserrent sensiblement. Mais, les rapports
traditionnels avec les Valaques de l’arrière-pays demeurent vitaux pour cette région. En 1553, les
revenus des transactions avec les sujets turcs de l’intérieur s’avèrent supérieurs à ceux de Zadar. Ils
représentent un volume financier de 24 à 25.000 ducats annuels (dont 800 ducats de revenus
prélevés sur la taxe du trentième). Les Valaques exportent à Split les produits d’élevage habituels
(du miel, de la cire, du fromage, de la laine, de la viande), ainsi que du froment. En échange, les
Splitois leur vendent de la cire blanche, des draps, du riz, du savon, de l’huile, du lin, du sucre, et
des draps de soie939. Une partie des marchandises valaques est consommée à l’intérieur du marché
urbain, tandis que les Dalmates réexportent les excédents vers les ports croates du Saint-Empire et
vers l’Italie. Des commerçants italiens interviennent également dans cette redistribution des articles
de l’intérieur ottoman. Les schiavine, la laine et le fromage viennent en tête des produits qualifiés
de « morlaques »940.
Quant à la supériorité des revenus splitois sur ceux de Zadar dans le commerce avec la
frontière ottomane, elle peut s’expliquer par deux faits. D’une part, Zadar disposant du plus grand
territoire agricole de la Dalmatie peut presque vivre en autosuffisance. D’autre part, les Splitois sont
davantage engagés, et de longue date, dans les échanges avec la population de l’outremont. Que les
Valaques soient devenus des sujets ottomans ne change rien à la logique économique
d’interdépendance entre les deux régions. On retrouve cette vivacité du commerce splitois avec les
marchés balkaniques et ottomans dans les relations maritimes à travers les contrelettres.

937
T. Raukar, Hrvatsko, 166.
938
I. Pederin, « Livanjski kraj », (130).
939
« Itinerario di Giovanni », 215-216.
940
En 1511, Giovanni de Bari exporte huit schiavine morlaques et de la rasse blanche et verte vers Hvar et la Pouille. Le
Zadarois Jakov Masarić transporte la même année de la rasse, des clous et quatre schiavine morlaques vers Šibenik, et
plus largement vers la Dalmatie. En 1515, le Splitois Juraj Grigol exporte du fromage, de la cire et de la laine morlaque
en vrac vers les îles de Rab, de Krk, et vers les ports de Bakar et Bakarac. Grgur Glavić charge sur le navire de Mišo
Ciplit de Split du fromage, des cordouans colorés, des peaux, des schiavine, de la rasse et près de 200 kg de laine
morlaque (400 livres), ainsi que six paires de chausses turques (scuialli) vers les mêmes destinations, en juillet 1515.
Deux ans plus tard, en hiver, Antonio de la Croce Cabarol, habitant de Venise, emploie les services de Grgur Kokošić,
pour transporter de la viande salée, des chandelles de suif et 928 fromages morlaques vers Venise. Durant la même
saison, Thomaso de Barletta exporte près de 350 kg de laine (700 livres) vers Zadar et Pag per transito. En juin 1517, le
Splitois Antun de Cavogrosso part en compagnie du patron Andrej de Celovina vers Senj durant sa période de foire,
pour y exporter des cordouans, de la rasse, des camelots et deux balles de schiavine morlaque. Cinq mois plus tard, il
prend le bateau avec le Splitois Petar Janko pour exporter des marasques, des chandelles de suif et trois balles de
schiavine morlaque vers Venise. Enfin, dans la même période, son parent, Stjepan de Cavogrosso, fait appel à Antun
Ukaranović de Hvar pour le transport de rasse et de cinq balles de schiavine morlaque vers la Pouille.

640
La continuité des rapports commerciaux entre Split, les ports croates de la Porte, la Bosnie,
et, au sens plus large, avec l’Empire ottoman, peut s’observer à trois niveaux : les courants
d’importation, les courants d’exportation et les acteurs des échanges économiques. Les importations
splitoises nous sont révélées par l’emploi des expressions générales tratto di Turchia et turcheschi à
propos d’un article, ou de l’expression plus précise de Makarska. Le fromage, les schiavine et la
laine sont les produits originaires de ce port croate de l’Empire les plus fréquemment mentionnés.
Ils sont ensuite redistribués à partir de Split vers Venise, la Pouille, sottovento et une fois à
Famagouste941. Les articles «turcs» les plus fréquemment spécifiés sont la laine, la cire, les ceintures
et le cordouan942. En 1581, parmi les commerçants divers impliqués dans ces échanges, figure le
futur fondateur de l’escale de Split, Daniel Rodriguez, qui exporte à Venise sur le navire de Juraj
Deanković per conto della scala 125 toisons de mouton (boldroni) traitées en Turquie943. Ces
quelques voyages maritimes complètent l’approvisionnement constant par voie de terre de
l’intérieur des Balkans944. Ils mettent également l’accent sur le rôle transitaire de Split.
- La vallée de la Neretva
La ville poursuit également ses relations maritimes avec la vallée de la Neretva. Dès le mois
de mai 1511, le commerçant Jakov Sifgonti de Šibenik importe 244 fromages et huit schiavine en
laine de la Neretva pour les exporter vers sa ville, sur le navire du Splitois Grgur Rusin.
En 1581, un autre voyageur importe 75 boldroni et plus de 56 kg (113 livres) de cire de l’estuaire945.

941
En mai 1558, Baldiser Roso exporte du fromage en vrac vers Venise. A la même période, Cesene Camisano nolise le
navire de Jeronim Drago pour une cargaison de fromages, de laine, de chevaux, de rasse, de chapons et d’un sac de
schiavines de Makarska destinées à la côte italienne (sottovento). Un mois plus tard, Toma de Hvar exporte de la laine
en vrac vers Famagouste. Dans le même temps, Cesene Barisano emploi les services du patron Michel Degal pour le
transport de vingt-six setiers de froment turc et de fromage en vrac de Makarska vers Venise. Enfin, en novembre 1558,
Juraj Kosmačić, en compagnie du transporteur kotorain Matej déjà mentionné, exporte du cuir, des schiavine, de la cire,
des chandelles de suif et des sardines, tous originaires de Makarska, vers la Pouille.
942
En 1503, l’Albanais Nicolas de Scutari transporte sur le navire d’Ivan Radoslavljev Bilošević de Split, cent vingt
cordouans vers la Pouille. En 1515, Šime Filip et le patron Jakov Krizanović exportent de la cire, des schiavine, de la
rasse et deux selles turques vers Bakar. Nikola de Ora de Brač et son compatriote Jakov, transportent une cargaison
importante comprenant des draps, des peaux et des toisons, des fourrures, de la cire, des besaces, des marasques, des
schiavines, des cordouans, de la rasse et six ceintures turques pour la foire de Senj en 1516. A la même période et pour
une destination identique, Nikola Nusić de Šibenik emploie les services de nolisement de Jeronim Ivanov de Hvar pour
l’exportation de peaux, de rasse, de schiavine, de vin et de quatre balles de « marchandises turques diverses ». La même
année 1516, Petar Stjepanov de Split et le patron Nikola Cepernić exportent des figues, des fromages, des peaux de
mouton, de la rasse et trente-neuf cordouans turcs en direction de Rab, Krk, Bakar, Bakarac et Senj. En 1557, Augustin
de Split importe huit caratelli de miel turc. Durant l’année 1558, trois voyages sont réalisés de Split à Venise avec des
cargaisons de cire (cinq ligazi) traitée en Turquie. Les boldroni sont également des articles « turcs ». En janvier 1581,
cent boldroni turcs sont exportés vers la côte italienne.
943
DAZd, Sp. Ar., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 441’.
944
Dans son itinéraire, Giovanni Baptista déclare à propos de Trogir : « I trafichi che si fanno in questa città sono pochi
e di pocha importanza, et se i Murlachi non venissero alle volte con le caravanne e con le loro merci, stariano male
com’e il resto di Dalmazia, di modo che i Murlachi sono la vita loro, il comodo et il beneficio di quella provincia; ne
saria possibile, che le città di Dalmazia potessero stare senza la praticha dei Murlachi, la qual è necessaria si per i
traffichi come perchè lavorano i territorii di Dalmatini »; « Itinerario », 208-209.
945
DAZd, Sp. Ar., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 457, le 10.IX.1581.

641
Carte XXII : Les centres économiques de la Neretva; tiré de P. Anñelić, « Srednjovjekovni »

Le centre le plus actif de la Neretva est situé sur le delta même du fleuve (carte XXII). Dès
les années 80 du XIVe siècle et jusqu’à la première moitié du XVe siècle, le bourg de Konjic
constitue un point de passage obligé des Ragusains se rendant vers les mines de la Bosnie centrale
(Olovo, Visoko, Kreševo). En sens inverse, des marchandises, comme le sel, en provenance de
Drijeva et Nekranja, traversaient la ville. De sorte que Konjic a servi de poste de douane important.
Après la conquête ottomane (autour de 1477), le territoire de la Neretva est partagé en deux entités
administratives : le nahi de la Neretva (à l’ouest du fleuve, à l’intérieur de l’Herzégovine), et le
sandjak de la Bosnie (la rive droite du fleuve)946. A en juger par les sources splitoises, les Dalmates
et leurs associés italiens continuent d’exporter les articles occidentaux vers cette destination à
l’époque du pouvoir ottoman.
Les premières mentions de ces échanges datent de l’année 1516 et se poursuivent jusqu’à la
fin du siècle (trois voyages en 1516, huit en 1558-1559 et trois en 1581). Split y exporte
essentiellement des draps de qualité moyenne (panni alti et mezi) et des toiles de carisea (35 pièces
et une balle) provenant d’Italie, plus de 91 hl d’huile (sept bottes et 90 miers), des figues, du cuivre,
venant sans doute des ports croates, 96 sacs de riz de Venise, quatorze caisses de savon, des
chapeaux, de l’ail (250 miers), du miel, ainsi que du vin (deux bottes et quatre tonneaux). Les ports
turcs de Makarska, de Solin et d’Omiš, situés sur le littoral dalmate, constituent également des

946
Pavao Anñelić, « Srednjovjekovni gradovi u Neretvi », Glasnik zemaljskog muzeja u Sarajevo, nouvelle série vol. 3,
Sarajevo 1958, 179-231 (182, 184-185).

642
débouchés pour des génisses (Cervio de Buran exporte 240 bêtes en 1558), des chandelles, des
cerises aigres, du vin et des sardines.

d) L’Orient
En dehors de ces rapports de proximité, nous avons le témoignage d’une pénétration plus
avancée dans le territoire ottoman. A la fin du XVIe siècle, trois voyages, réalisés par voie de terre,
sont prévus vers les terre aliene. En mai 1581, Vincent Stratiotti transporte une cargaison
comprenant douze peaux de génisse, cinq cents peaux d’agneau, 237 livres de fromage, trois
schiavine et un schiaronoto947. Trois mois plus tard, Georges Urbanić de Lovumna compte vendre
dix-sept cuirs de génisse non traités. Enfin, en janvier 1582, Vuk Sulić se rend vers ces contrées
étrangères, sans description de ses marchandises. Deux voyages maritimes vers des destinations
lointaines ont encore lieu au début du XVIe siècle. Le 3 décembre 1516, Šime de Petar de Kotor se
rend à Constantinople avec plusieurs pièces de draps, en passant par Hvar et par Candie948. En mars
1511, 3,6 kg de rasse de couleurs et de qualités diverses sont exportés al faro Oriente949.
L’imprécision de la direction est fâcheuse, mais elle n’est pas sans rappeler les liens ayant existé
encore au XVe siècle entre Zadar et Alexandrie. En 1400, un marchand zadarois commandite le
transport de marchandises de Senj vers ce port, sur un navire génois, en compagnie de Ragusains.
De même, en 1452, le patron anconitain Pietro Matarozi importe des épices d’Alexandrie à Zadar950.
D’autres indices témoignent de l’existence de liens avec cet Orient lointain. A la fin du XIVe et
durant la première moitié du XVe siècle, du miel provenant apparamment de Dalmatie (il est
qualifié « del Golfo ») est exporté à Alexandrie951. A l’inverse des épices sont présentes à Split. Dès
1503, du safran, condiment cultivé également en Occident, est redistribué vers l’ouest de
l’Adriatique, vers Hvar et Venise952. En 1530, trois sacs de cumin953, vingt petits sacs de gingembre
et vingt-six mesures de safran sont exportés à partir de Split vers Venise en trois voyages, ainsi que
1,5 kg de safran vers Hvar954. Leur origine peut être orientale.

947
Ce terme ne figure dans aucun dictionnaire, ni sous forme dérivée comme « scia..., stia... ». La couleur « schiaro »
étant un gris cendré d’une nuance clair, il possible qu’il s’agisse d’une pièce de toile de cette couleur.
948
DAZd, Sp. Ar., boîte 49, B. 60, F. 6-II, f° 484.
949
Ibid., boîte 41, B. 52, F. 4, f° 167.
950
E. Ashtor, « Il commercio levantino », (224-225, 229).
951
Eliahu Asthor, « Le Proche-Orient au Bas Moyen Age », Technology, Industry, 375-433 (391).
952
En novembre, Andreo de Laqua et Thomaso de Forgo de Venise exportent trois colis de safran avec des colandra
cevelli et des semences de lin en vrac vers Venise. Le même mois, Bernardo, fils de feu Lorenzo, et Giaccomo di
Giovani de Barri transportent de l’huile et quatre livres de safran vers Hvar.
953
En janvier de cette année, Cesaro de Barisano et Ivan Slatina transportent des figues, du fromage, du miel, des peaux
de la cire, des amandes, de la rasse, de la laine et les trois sacs de cumin vers Venise.
954
La même année, Juraj Grgurev de Split emploie le patron Ivan Andrej Rosić de Split pour faire un voyage vers Hvar
avec une cargaison de cire, de cuivre, de cuir, de figues, de chandelles, de miel, de farine, de froment, de chevaux et de
trois livres de safran.

643
Aussi, tandis que Venise tente de limiter les possibilités d’échange des commerçants
dalmates avec les territoires extra adriatiques, en menant une politique restrictive (à travers
l’interdiction d’acquérir des navires étrangers d’une capacité supérieure à milles bottes au début du
XVIe siècle)955, les commerçants dalmates, nous nous en rendons compte, parviennent tout de même
à rejoindre des marchés beaucoup plus distants, même si ces voyages demeurent très rares.

e) Les « Turcs » engagés dans le commerce dalmate


Légèrement plus nombreux sont les commerçants originaires de l’Empire. L’année 1511,
trois marchands du port d’Omiš font appel aux services de nolisement de patrons dalmates pour se
rendre vers l’ouest. En octobre, Bernardin Odolić exporte six cavi cerchiadi de vin de son cru sur le
navire de Nikola de Brač vers Zadar, Bakar et Senj. La date concorde avec le déroulement des
foires sur le Littoral croate, ce qui indiquerait la participation de ce commerçant à cet événement.
Luka d’Omiš se rend à Venise sur le navire du Trogirois Martin avec trois cents tonneaux de figues,
un tonneau de cerises aigres, du vin de son cru (trois tonneaux et deux cavi cerchiadi) et de la rasse.
Enfin, Petar de Juraj voyage en compagnie du patron Ivica de Bar pour exporter neuf outres et un
sac de figues de ses possessions et un cavo cerchiado de vin de sa production vers Venise. Un
commerçant de l’arrière-pays proche, Petar de Klis, emploie les services du patron Jeronim
Vadiočić pour se rendre vers la Pouille avec une cargaison de rasse (huit kilos) et deux schiavine
l’année 1529, soit huit ans avant la chute de sa ville aux mains des Turcs en 1537. Durant les années
1557-1559, cinq marchands transitent par Split. Certains viennent d’horizons plus lointains. Le 20
juillet 1557, Homir Turcho commandite deux voyages vers sottovento. Il charge deux chevaux sur
le navire de Dario Damiović et deux autres sur celui de LukaPagović. Le 30 août 1557 intervient le
commerçant Mehmet Spahia, qui exporte six génisses vers Hvar sur le navire d’Ivan Ilić. Ivan
Antun de Solin se préoccupe d’approvisionner sa ville en sardines. Il en importe 155 miers de Split
à l’aide du patron Juraj de Hvar, habitant de Peschiera, en novembre 1558. Un Bulgare, Alban de
Varna, exporte à son compte, sur un navire loué, deux miers de fromage vers Venise, en mai 1559.
En juillet 1582, enfin, le commerçant Moïse Melanus Hebreo exporte, per transito della scala, de la
cire traitée en Turquie vers Venise, sur le navire de Vincent Domianović.
Le trafic des chevaux intéresse une partie des commerçants orientaux. Le Turc Iussuf
commandite le transport de dix chevaux vers sottovento à bord du navire de Juraj Deanović.

955
En 1531, le comte de Split, Leonardo Bollani, rappelle qu’il est interdit aux sujets vénitiens d’acheter des navires
étrangers de milles bottes de capacité sous peine de mille ducats d’amende, le navire étant vendu ensuite aux enchères
par les recteurs, les consuls, les baillis et autres officiers; « Commissio Leonardi Bollani », Comissiones, vol. 8, 92. Le
montant énorme de l’amende révèle l’importance accordée par la République au maintien de ces sujets à l’intérieur d’un
espace restreint de réseaux commerciaux. Cette mesure empêche ainsi l’acquisition d’un navire susceptible de voyager
loin avec beaucoup de marchandises. Elle n’interdit pas néanmoins l’emploi des services d’un transporteur étranger
pour se rendre hors du golfe adriatique.

644
L’intérieur de l’Albanie étant un centre important de transit des chevaux, il n’est pas impossible que
les bêtes exportées par les Turcs proviennent de cette région. L’arrière-pays proche contient
également des élevages de chevaux. Toutefois, seuls les chevaux légers, les juments et les poulains
peuvent être librement vendus. Quant aux chevaux lourds, servant à la cavalerie militaire, leur trafic
est exclusivement destiné aux besoins de l’armée956. Zadar est également intégré à ce marché des
équidés. En 1580, l’émin Mustafa doit payer trente-cinq thalers pour le prix d’un petit cheval, ainsi
que quarante-quatre thalers pour un tapis de laine au cavalier Georges Renessi à Zadar957.
Le passage de dix sujets ottomans sur près d’un siècle (durant des périodes de paix relative)
dans le port de Split représente une fréquence plutôt faible. De fait, les commerçants de l’Empire
s’adressent préférentiellement à d’autres marchés à l’intérieur du territoire de la Porte. Les échelles
danubiennes de Valachie et de Bulgarie offrent des produits sensiblement identiques à ceux des
ports dalmates. La cire, le miel, le lard, le suif, le fromage, les céréales, le vin, l’hydromel, les
animaux d’élevage de Valachie, ainsi que des produits artisanaux (couteaux de Styrie, armes de
Transylvanie, chaussures, faux, couvertures paysannes) et des minerais (acier, fer, cuivre de
Transylvanie) font partie des produits danubiens importés par l’Empire ottoman vers Istanbul958. De
plus, d’un point de vue général, les marchands ottomans sont peu nombreux à se rendre en pays
chrétiens, que ce soit vers l’ouest (Venise), le nord (la Pologne) ou vers l’est (la Moscovie).
Certains d’entre eux sont des commerçants officiels du sultan, alors exempts du paiement des taxes
et des douanes959. Il n’est donc pas surprenant que ces sujets ottomans soient supplantés par les
Dalmates, les Ragusains et les Italiens dans les échanges avec l’Empire dans la région de la
Dalmatie même960.

Les communes de Split et de Zadar peuvent donc se targuer d’avoir un grand nombre de
partenaires commerciaux directs. Certains interviennent avec leur production agricole et d’autres

956
En 1531, le capitaine de Split Leonardo Bollani rappelle un décret de 1506, selon lequel toute personne voulant
transporter des chevaux lourds doit soumettre sa cargaison au contrôle des recteurs et fournir une garantie suffisante
qu’elle ne vendra ces chevaux qu’à Venise, aux sujets vénitiens et uniquement à ceux qui travaillent pour la
République; « Commissio Leonardi », 98.
957
DAZd, Conte Bartholomeo Paruta, B. unica, Atti diversi, f° 89.
958
Nicoară Beldiceanu, « Actes du règne de Selim I concernant quelques échelles danubiennes de Valachie, de Bulgarie
et de Dobrudja », Le monde ottoman des Balkans (1402-1566). Institutions, société, économie, Londres 1976, 91-115
(93-94).
959
G. Veinstein, « L’Empire et sa grandeur », 222.
960
Ivan Augustinov de Split réalise deux voyages vers la Neretva en 1516. Toma de Hvar sert de transporteur à
Giovanni de Barletta en 1559. Juraj Kosmačić s’associe à Juraj de Split en 1558 pour se rendre sur ce delta. En 1560,
Jakov de Split commandite au patron Matej de Hvar un voyage vers la même destination. Juraj Kosinadić et Mišo
Roksić importent du cuivre et du riz vers la Neretva en 1557. En 1581, le Ragusain Mišo de Sorgo importe également
du riz per transito vers la Neretva, sur le navire de Juraj Illić. Ce transporteur est aussi sollicité par le Sicilien Giovanni
en mai 1581, également pour une cargaison de riz (21 sacs) vers le delta. Le Sicilien avait déjà effectué auparavant une
traversée en février de cette même année, sur le navire d’un Français (?) avec trente sacs de riz. Luca de Manfredonia
est un autre Italien qui se rend vers le fleuve en 1516 avec une cargaison de juments, de rasse et de gelée. Deux Italiens,
semble-t-il, se rendent en Turquie : Venturino Varischo (sur le navire de Luka de Split) et Vincento de Barisano, avec
de la cire, des marasques et du miel, pour le premier, et de l’huile, pour le second.

645
complètent l’offre du marché avec leurs articles protoindustriels, tandis que les deux communes
offrent les marchandises du continent balkanique, des matières premières de leurs propres territoires
et des produits retravaillés par leurs artisanats locaux. Par la participation des commerçants
dalmates aux foires italiennes et croates, les villes sont intégrées à un réseau commercial encore
plus large. Les ports du Littoral croate leur servent de relais pour le circuit animé à l’intérieur de
l’Europe Centrale jusqu’à Buda, puis Split et Zadar disposent de ramifications indirectes vers la
Méditerranée, voire vers l’Occident, en puisant à chaque escale des biens de consommation et des
informations et en louant des moyens de transport pour naviguer plus loin (carte XXIII961). En ce
sens, l’implication des hommes d’affaires italiens contribue pour une grande part à cette extension
du rayonnement économique de Split et de Zadar. Port de transit adriatique, Split tisse des liens
avec les autres plaques tournantes du Golfe, ce qui lui permet d’être ouverte à d’autres nombreux
marchés. Tandis que Venise est une « cliente obligée », les commerçants dalmates et leurs partisans
s’adressent également à leurs partenaires traditionnels, cherchant des prix plus avantageux, des
denrées plus accessibles, ravivant leur savoir des techniques commerciales modernes. L’intérieur
balkanique demeure l’un des soutiens primordiaux de ces échanges. Dans la mesure où les
commerçants italiens ne tiennent pas à s’aventurer dans les terres bosniaques, les marchands
dalmates contribuent à redistribuer les matières premières importées par les Valaques, ce qui leur
confère un rôle décisif. De plus, l’engagement des hommes d’affaires splitois et zadarois dans des
sociétés commerciales avec des étrangers, aussi bien italiens que levantins, ainsi que leur rôle de
transporteurs et de commanditaires, suivant l’étendue de leur entreprise, témoigne que les deux
centres sont des intermédiaires commerciaux actifs, perpétuant la tradition antérieure. La réduction
de la capacité de leurs navires et l’interdit d’exploitation de certains articles, comme le sel, sont
alors deux facteurs qui, outre les dangers de piraterie et de brigandage, réduisent le volume des
cargaisons et la valeur économique du trafic établi.
Aussi est-il nécessaire de connaître la portée économique de ces échanges et la part que les
communes de Zadar et de Split en retiennent dans leurs budgets.

961
La carte représente à la fois les centres économiques avec lesquels les deux communes sont reliées, soit par des
échanges directs, soit par l’intermédiaire de leurs hommes d’affaires, ainsi que les fondements économiques de ces
zones.

646
Senj :
Politique contrôlée Bakar : Zadar : Split : Korčula :
Politique contrôlée Politique et économie contrôlées Hvar : Politique contrôlée Politique contrôlée
Matières brutes
Matières brutes Matière brute monopolisée Politique contrôlée Matières brutes
Construction navale et artisanat Chantier naval annexe Production naturelle
Transit Production naturelle Chantier naval
Transit Agriculture, pêche, viticulture Transit
Piraterie Transit Transit
Piraterie Transit

Dubrovnik :
Politique indépendante
Capital
Manufacture
Colonies économiques
Chantier naval
Transit
Représentation consulaire

Venise :
Politique indépendante
Capital
Manufacture
Colonies politiques et économiques
Chantier naval
Transit
Représentation consulaire

647
Ancona :
Politique contrôlée
Capital
Manufacture
Transit
Représentation consulaire

Levant :
Politique contrôlée
Matières brutes
Production naturelle
Produits de luxe
Manufacture
Transit

Bosnie :

Carte XXIII : Split et Zadar, leurs partenaires commerciaux et leurs débouchés économiques
Politique et économie contrôlées
Matières brute monopolisée
Production naturelle
Transit
II. Le bilan commercial

Les échanges entretenus par les ports zadarois et splitois avec l’ensemble de l’espace
adriatique, par voies maritimes et routières, révèlent l’existence d’un flux constant de marchandises.
Reste à connaître le poids financier qu’il génère. En termes économiques modernes, la balance
commerciale prend en compte « les importations de marchandises destinées au pays et les
exportations de marchandises effectuées par le pays, à l’exclusion des marchandises en transit et des
réexportations. Elle est traditionnellement établie à partir des statistiques douanières »962.
Une première difficulté se pose donc. Les deux cités dalmates jouent préférentiellement un rôle
de relais commercial entre l’intérieur des Balkans et les ports adriatiques. Aussi, ne pas tenir compte des
« marchandises en transit et des réexportations », conduirait à ne retenir qu’une très faible part des
revenus commerciaux. Exclure ces paramètres ne semble pas approprié. La République même de Venise
vit essentiellement grâce à son rôle de plaque tournante du commerce entre l’Orient et l’Occident.
Pareillement, la coutume des foires montre bien cette tendance économique générale à privilégier le
transfert constant des biens entre les pays, ou plus précisément, entre des aires géographiques
déterminées. Devant l’impossibilité de s’en tenir aux fondements stricts de la définition précise de la
balance commerciale, il devient préférable de prendre en compte l’ensemble des articles commerciaux.

1°) Entrées et sorties des Chambres communales de Zadar et de Split


Les recettes des deux villes sont issues à la fois des taxes communales données à ferme
(trentième, dîmes, vente au détail – ad spinam), des baux de locations de terrains agricoles et
d’élevage (propriétés privées, concessions d’exploitations, îles et terres), ainsi que du paiement des
amendes.
Les dépenses urbaines comprennent l’entretien des enceintes murales, le paiement des
fonctionnaires, la maintenance des garnisons militaires en poste, les multiples « cadeaux » aux
fonctionnaires ottomans du voisinage et la réparation des dégâts de guerre. Le budget de la ville
exclut la part prélevée par l’Etat sur la production de certaines matières premières et sur certains
impôts. Il est géré par le Conseil de chaque ville, tandis qu’il est expressément interdit aux comtes
d’intervenir dans les affaires de la ville. La remontrance du doge Augusto Barbadigo à l’égard des
abus de pouvoir du comte de Split, Marino Mauro, en août 1499, montre que ce dernier avait
tendance à outrepasser ses droits. Le doge lui rappelle qu’il lui est interdit d’intervenir dans les
fonds administrés par le chancelier urbain, que la ville doit être libre de disposer de son argent, et
qu’au contraire, lorsqu’il reçoit des subventions en provenance de l’Etat, il doit les remettre aux
fonctionnaires de la ville. Qui plus est, il envoie un représentant vénitien, Pietro Trevisano, pour

962
M. Branciard, Dictionnaire économique, 50.

648
vérifier la conformité de ses agissements avec les sommes qui lui ont été confiées à titre
d’intermédiaire. Le comte Mauro est en effet accusé d’avoir conservé pour son propre chef l’argent
issu de la taxe du trentième et du quarantième963.
Chaque commune dispose donc de deux caisses. L’une est tenue par la Chambre de la ville
et l’autre par la Chambre fiscale de l’Etat. Malheureusement, la répartition des entrées et des sorties
entre les Chambres n’est pas toujours nette. Au gré de la conjoncture économique, l’Etat
s’approprie certains impôts urbains, en crée de nouveaux, bouleversant ainsi les calculs. A défaut de
toujours pouvoir déterminer ce qui appartient à la ville en propre et ce qui est versé à l’Etat vénitien,
observons le cours des revenus de Zadar et de Split. Nous saurons alors si les deux communes sont
déficitaires ou excédentaires. De là, nous tenterons de déterminer la part du commerce dans le
budget communal, et enfin, le rang économique des deux villes dans l’ensemble de la Dalmatie.

a) A Zadar
Du début à la fin du XVIe siècle (graphique XXXIX), les recettes de la ville doublent presque
(allant de 6.877 ducats en 1503 à 12.364 en 1575).

0,9

0,8

0,7

0,6 st
ca
0,5 u #REF! #REF!
d
0,4
0,3

0,2

0,1

0
0

Graphique XXXIX : Le budget de Zadar964

963
Libro d’oro, 364.
964
Sources du graphique : M. Šunjić, Dalmacija, 230; T. Raukar, Zadar pod mletačkom, 247; « Relatio viri nobilis ser
Johannis Mauroi qui fuit capitaneus Jadre », 173; « Relatio … Leonardi Venerio et Hieronymi Contareno », 12;
« Relatio viri nobilis ser Zacharie Vallaresso, qui fuit capitaneus Jadere. 10.IX1527 », Comissiones vol. 6, 195,
« Relatio … Antonio Diedo », 27; « Itinerario di Giovanni Baptista», 196-198; « Relatio … Antonio Cioran », 56;
« Relatio … Antonio Michiel », 101; « Relatio … Michiel Bon et Gasparo Erizzo », 129; « Relatio … Andrea Vincenzo
Querini », 165; Documenti storici, 112.

649
En contrepartie, le cours des dépenses varie moins, tandis que leur nature se diversifie. Au début du
XVIe siècle, les sorties sont étroitement liées aux événements militaires. Après la guerre de 1499-1502,
par exemple, plus de cent ducats mensuels sont encore déboursés en 1523 pour les prisonniers de guerre
turcs. A la suite de la guerre de 1539-47, la commune consacre 89% des dépenses annuelles pour
l’entretien de la garnison. En temps de paix, la situation n’est guère meilleure puisqu’en 1559 13% des
dépenses sont destinées aux cadeaux pour les fonctionnaires turcs, le reste servant aux frais de garnison.
La dernière guerre du siècle, en 1571, entraîne moins de dépenses. La ville de Zadar consacre une partie
de l’argent en premier lieu à la reconstruction, marquant ainsi une période d’assainissement de la
gestion urbaine.
Les conflits entre la République et la Porte influencent de manière notable la santé
économique de Zadar. Néanmoins, les reprises sont rapides, comme en témoigne le budget de 1575
quatre ans après la guerre de Chypre. Dans le cas de Zadar, le monopole vénitien sur le sel de Pag
constitue la plus grande perte des revenus urbains. Auparavant, les recettes sur le sel assuraient, de
loin, les meilleures entrées communales de toute la Dalmatie. En comparaison, la vente de l’huile
rapporte 25.000 ducats par an à Šibenik, avant la coupe des oliviers en 1553965, contre les 80.000
ducats annuels extraits des salines pagoises. Le budget communal devient positif à partir de la
seconde moitié du siècle, quoique, dans de nombreux cas, les surplus soient rapidement dépensés.
Ainsi, l’excédent de 2.221 livres 14 sous, en 1527, compte être employé pour les dépenses
extraordinaires. Etablissons alors la provenance des fonds communaux.
La première observation porte sur la part respective des différentes zones territoriales
(graphique IL). L’influence de l’état de siège latent se lit également dans ces courbes.

140

120
Commune
100
Iles
80 Continent
Ville
60

40

20

0
1486 1505 1510 1520 1526 1530 1553

Graphique XL : Index des revenus communaux de Zadar (1500 = 100)


tiré de J. Vrandečić, Dvije Dalmacije, graphique 48.

965
« Itinerario di Giovanni Baptista », 206.

650
Les montants des baux de terrains dans la zone agricole intérieure de Zadar sont les moins
rentables. La location à ferme par des particuliers des terres de la commune, sur le continent et sur
les îles, est mise en place en 1430, lorsque la menace ottomane est encore loin. Or, une dizaine
d’années plus tard, on relève déjà des cas de faillite de fermiers. Ces derniers réclament des reports
de paiement, ainsi que la diminution des obligations financières966. La situation ne va qu’en
s’aggravant en temps de conflits ouverts entre les deux puissances.
En revanche, les recettes sur les prises à ferme des terres insulaires s’avèrent parmi les plus
importantes. La valeur fiscale des îles prend son essor dès les années 1470. Lorsque les revenus du
continent chutent, le montant des impôts perçus dans les îles croît. En 1465, il représente 12,9% des
recettes totales, puis 19,14% en 1486, 24,12% en 1505, 23,83% en 1510, 29,73% en 1520 et
28,89% en 1530967. Les entrées fiscales de la ville même oscillent davantage. Au début du XVe
siècle, elles représentent la principale source de revenus, soit 43,83% en 1436. Elles tombent
légèrement vers la fin du XVe et le début du XVIe siècle (39,98% en 1486 puis 37,31% en 1505),
pour revenir par la suite au niveau antérieur, représentant plus de 40% des revenus communaux
(42,77% en 1520 et 46,27% en 1530)968. A la fin du XVIe siècle encore, le comte Alviso Dolfin
(1578), ainsi que les capitaines Lorenzo Cocco (1581) et Giovanni Maria Boldù (1587), confirment
la primauté des baux insulaires dans les revenus urbains, ainsi que de certains impôts969.
Faute de données abondantes, il est plus difficile de déterminer la part du commerce
proprement dit dans cet ensemble financier. Tout au plus est-il possible de donner des tendances.
Deux facteurs sont à prendre en compte : le commerce maritime, dont les revenus sont établis à
partir de la taxe du trentième, et le commerce terrestre avec l’intérieur dont on a une estimation
grâce à la taxe sur le trafic du bétail et de la viande. A la fin du XVe siècle et durant la première
moitié du XVIe siècle, le trafic maritime vit une période de récession. En 1486, la taxe du trentième
représente 6,3%, 5,8% en 1503, sa part chute à 4 % en 1511. A partir des années 1520, la situation
s’améliore. Le marché prend son essor et, parallèlement, la part de la taxe du trentième croît. En
1526, elle constitue à nouveau 6,2% des revenus totaux, puis 7,95% dans les années 1530, taux qui
se maintient dans les années 1550 (7,6% en 1553 et 7,8% en 1559)970.
Le commerce avec l’intérieur est plus significatif. Il connaît bien sûr les mêmes fluctuations
que le cours des convois maritimes, subissant également les conséquences des conflits armés. Ainsi,
durant la guerre de 1499-1502, le montant de l’impôt chute de moitié par rapport aux revenus du

966
I. Pederin, Mletačka uprava 192.
967
Zadar pod mletačkom upravom, 243.
968
Ibid.
969
« Relatione del nobel huomo ser Aluise Doflin, ritornato conte di Zara », Comissiones, vol. 4, Zagreb 1964, 223;
« Relatione del nobel homo signor Lorenzo Cocco ritornato di capitanio di Zara », ibid., 298; « Relatione 1587 di
Giovanni Maria Boldù, fù capitano a Zara », ibid., 411.
970
Les premières données sont obtenues à partir des calculs fondés sur le graphique VIII p. 249 dans T. Raukar, Zadar u
XV. st., Zadar pod mletačkom upravom, p. 257 et les comptes rendus des fonctionnaires vénitiens.

651
XVe siècle (629 ducats en 1499 et 652 en 1500). Il se stabilise autour de 850 ducats entre 1511 et
1530, avant la seconde guerre ouverte de Venise avec la Porte. Dès 1541, l’impôt reprend et
augmente, pour atteindre une valeur de 1.245 ducats en 1561971. Traduit en termes de pourcentage,
le volume du commerce avec les sujets ottomans semble deux fois plus important que celui du trafic
maritime. En 1503, les revenus du marché avec l’intérieur représentent 14%. Ils se maintiennent
ainsi les années suivantes (13,45% en 1511, 12,9% en 1530, 13,3% en 1553 et 13,2% en 1555). Le
taux le plus élevé est atteint en 1561, en pleine période de rétablissement, soit 15,6% des entrées
communales totales972.
Ces données doivent être prises avec précaution. En effet, le système d’imposition du bétail
et de la viande, articles les plus fréquemment importés de l’intérieur, change au gré des besoins de
l’Etat973. Si l’on considère que la valeur du commerce zadarois avec l’intérieur des terres revient à
13-14.000 ducats par an en 1553974, et que l’Etat prélève 3% de ce volume financier, on obtient un
montant de 433 à 467 ducats. Or, en 1555, lorsque les matières premières viennent à manquer, le
comte de Zadar libère temporairement les commerçants du paiement de la douane pour
l’importation de bétail bosniaque. De même, la viande importée pour les besoins des galères
militaires est également exemptée de paiement. En 1564, les nouveaux montants de douane
s’élèvent à un ducat six livres par veau et à un sou par mouton sortant de Dalmatie et exporté hors
de l’Etat vénitien975. De plus, les malversations ne sont pas exclues. L’affranchissement de la
douane pour la viande destinée aux galériens favorise l’éclosion du marché noir, et des fermiers
sont pris en faute pour avoir fraudé. En 1576, par exemple, le preneur de bail Mišo Cerinić de Brač
aurait trompé l’Etat de 70.000 ducats à l’occasion de la déclaration des revenus de la douane976. Son
cas n’est certainement pas isolé.
Aussi, les chiffres précédemment évoqués ne donnent-ils que des revenus officiellement
admis. Ils ne tiennent pas toujours compte de la réalité. Cette dernière peut être masquée, d’une
part, par les intérêts des particuliers, les fermiers étant les premiers concernés. D’autre part, les
fonctionnaires vénitiens peuvent être désireux de présenter la situation fiscale sous un jour
favorable à l’obtention de subventions supplémentaires provenant de la République. Plus le compte-
rendu « noircit » le budget, plus le comte et son administration peuvent-ils justifier des demandes de
numéraire auprès des caisses de l’Etat. En outre, les fonctionnaires dalmates en poste usurpent leur

971
Zadar pod mletačkom upravom, 258.
972
Les pourcentages sont obtenus à partir des données fournies par T. Raukar, Zadar pod mletačkom upravom, 258 et
les comptes rendus des fonctionnaires vénitiens.
973
Ainsi, en 1428, les Valaques doivent payer un droit d’herbage pour leur bétail et leur douane. Dès 1444, cette
imposition est retirée, car elle freine le trafic et ne rapporte que 800 livres annuelles. De même, dans le but de stimuler
le commerce, en 1426, le comte exempte de douane l’exportation des produits à base de cire; I. Pederin, Mletačka
uprava, 194.
974
« Itinerario di Giovanni Baptista », 198.
975
I. Pederin, Mletačka uprava, 194.
976
Ibid.

652
droit de regard sur les caisses communales. Certains membres de la noblesse s’approprient ainsi une
partie de l’argent. En 1573, par exemple, le comte de Split, Andrea Michiel, rapporte : [il reste
3.000 livres d’excédents par an] gli quali sono stati usurpatti da quelli della communità, et
conuertiti in loro uso proprio977. En 1578, le capitaine de Zadar, Thomaso Morosini, explique que
les fonctionnaires sont les premiers touchés par le déficit du budget communal. Ils reçoivent leurs
salaires irrégulièrement978. Il n’est donc pas surprenant que le syndic Andrea Giustiniani déplore le
désordre des registres fiscaux de la Chambre de la ville voisine de Split, trois ans après le rapport
d’Andrea Michiel : certains impôts sont encaissés deux fois, les salariés sont payés avec retard. Il
impute la principale responsabilité aux chanceliers, qu’il estime sous-payés, et à certains comtes. Il
ordonne donc que tous les bulletins, depuis 1570, soient révisés et souhaite que le salaire des
chanceliers soit haussé979.
En ayant à l’esprit ces incertitudes et le flou général, cet ensemble d’informations révèle
plusieurs faits. En premier lieu, la totalité du trafic commercial zadarois rapporte en moyenne près
d’un cinquième des recettes communales. La fin du XVe siècle et la première moitié du siècle
suivant demeurent sous le signe de la crise. La reprise qui suit est fonction de la normalisation des
rapports entre la République et la Porte. Néanmoins, cette croissance s’avère beaucoup moins
importante que celle de la Zadar prospère de l’époque de son indépendance politique au XIVe
siècle. La perte du territoire agricole dans l’arrière-pays, l’insécurité politique et le statut de ville
colonisée sont les principaux responsables de cette situation.
Deuxièmement, l’approvisionnement du marché zadarois pour les besoins de la
consommation locale constitue l’un des soucis principaux de la ville. Ainsi, en 1553, la taxe sur la
vente du vin au détail représente 13,3% des ressources communales et l’affermage de la taxe du
pain 6,6%980. De même, le rayonnement commercial de l’artisanat de Zadar déborde de peu le
territoire régional. La proximité de la frontière ottomane à la fin du XVIe siècle nécessite d’être
constamment sur le « qui vive ». En 1581, le capitaine zadarois Lorenzo Cocco explique que les
artisans sont sans cesse sollicités pour remplir le rang des galériens, en conséquence de quoi
l’artisanat n’est plus très développé981. S’ajoute à ces calculs la consommation en blé, en viande –
dont une partie du flux de l’intérieur demeure sur place – et en produits de luxe importés (articles
manufacturés, épices, minéraux pour l’orfèvrerie et autres supports artistiques et culturels).

977
« Relatione del n. h. Andrea Michiel ritornato conte di Spalato presentata nell’eccmo collegio 28.V.1573 »,
Comissiones, vol. 4, 134.
978
Ibid., « Relatione del nobil homo signor Thomaso Moresini tornato di capitanio di Zara », 255.
979
Ibid., « Relatione di Dalmatia, e Leuante fatta del clarissimo signor Andrea Giustiniano l’anno 1576 », 171.
980
Il existe une différence notable entre les chiffres mentionnés dans le rapport de G. B. Giustiniano [op. cit., 196-198],
selon lequel la taxe du trentième rapporte 250 ducats sur un total de 8.000 ducats d’entrées, et les calculs de T. Raukar,
selon lequel le bail a une valeur de 613 ducats cette même année. Dans le premier cas, la taxe représente 3,3% des
recettes totales, tandis que dans le second, 7,6%. Je me suis fondée sur l’ensemble des informations rapportées par
Giustiniano pour le dernier calcul.
981
« Relatione ... Lorenzo Cocco », 297.

653
Rappelons enfin le rôle de centre logistique militaire joué par Zadar, au moins au XVe siècle. La
ville sert de dépôt notamment pour les saisies d’armes982, ainsi que d’arsenal militaire pour la
réparation des navires de guerre. Cela occasionne l’importation d’une quantité importante d’articles
en fer, de cire et de toile en provenance des ports croates983. L’approvisionnement des troupes
militaires vénitiennes implique aussi les innombrables biscuits envoyés annuellement pour satisfaire
la ration des mercenaires en poste, aux frais des caisses étatiques984.
Par la force des choses, le poids de la tradition et la localisation géographique, le port de
Zadar sert de plaque de transmission commerciale entre l’intérieur des Balkans et les courants
maritimes adriatiques, voire méditerranéens. Néanmoins, la ville perd son rôle premier de grand
centre commercial dont elle a joui avant sa vente par Louis d’Anjou de Naples en 1409.

b) A Split
Pour une ville dont la population est près de quatre fois moindre que celle de Zadar, les
revenus s’avèrent six à dix fois inférieurs à ceux de la capitale dalmate (graphique XLI). Le détail
des recettes et des pertes n’est pas spécifié, si ce n’est en 1553, lorsque 2.113 ducats sont dépensés
pour les besoins d’une garnison à Solin985.

2500

2000

1500
Entrée
ducats

Sortie
1000

500

0
1525 1553 1557 1559 1569 1575 1583 1586

Graphique XLI : Budget de Split au XVIe siècle986

982
Lorsqu’en 1499, le capitaine général vole l’entrepôt d’armes de la ville d’Ascoli, il dépose le butin à Zadar; I.
Pederin, Mletačka uprava, 125.
983
Ibid.
984
Les comptes rendus des fonctionnaires vénitiens soulignent régulièrement la fréquence et la quantité de biscuits
envoyés en ration vers les bases militaires; les registres douaniers d’Ancona en fournissent une illustration probante.
985
« Relatio …Antonio Diedo », 25.
986
Sources du graphique : « Relatio … Leonardi Venerio et Hieronymi Contareno », Comissiones, 16; « Relatio

654
La nature des recettes est similaire à celle de Zadar. En revanche, il est difficile d’estimer la
proportion des différentes sources de revenus. En 1557, le comte Aloys Ferro déclare que les
entrées proviennent uniquement de la location en bail de la taxe du trentième. Il considère que la
commune en tire 600 à 700 ducats par an, contre 1.000 ducats de dépenses987. Selon son rapport,
nous en déduisons que le commerce maritime de Split représente 100% des revenus urbains.
Toutefois, cette conclusion sous-estime sans doute nettement le capital urbain, car la ville possède,
tout comme Zadar, son territoire continental et surtout insulaire, qui lui permettent d’acquérir
d’autres sources de profits. Ne serait-ce qu’en 1553, le commerce avec l’intérieur rapporte 833
ducats, soit près de 79% des revenus urbains totaux. Cette somme devrait être ajoutée aux revenus
du trafic maritime.
Le capitaine de Split Nicolo Correr fournit le rapport le plus détaillé sur le budget des deux
Chambres splitoises. En 1583, la taxe du commerce représente 11,4%, celle appliquée à la
boucherie 31% et celle sur la teinturerie 0,5% du budget communal. Pour ce qui est de la Chambre
fiscale, la taxe du trentième rapporte 42%, celle de Brač 5%, la taxe des petites
bêtes de bétail 0,5%, celle sur les chevaux 25% et celles sur les poissons salés de Split et d’Omiš
12%988.

7000

6000

5000
4248
4000 4143
Etat
ducats

2621 Commune
3000 2771

2000

1000 2000 2190


1474 1771

0
Entrées 1583 Sorties 1583 Entrées 1586 Sorties 1586

Graphique XLII : Budgets des deux Chambres de Split989

Antonio Diedo », 25-26; « Relatio ... Aloys Ferro », 106; « Relatio … Michiel Bon et Gasparo Erizzo », 35; I. Pederin,
Mletačka uprava, 194; « Relatione … Andrea Michiel », Comissiones, vol. 4, 134.
987
« Relatio …Aloys Ferro », 106.
988
« Relatione ... Nicolo Correr », 333-334.
989
Sources du graphique : « Relatione ... Nicolo Correr », 333-334; « Relatione ... Marco Barbarigo », 383.

655
Dans le budget des deux Chambres, le trafic commercial et ses activités affiliées s’avèrent
effectivement être les principales sources d’encaissement. Néanmoins, le rapport entre les deux
Chambres est visiblement disproportionné (graphique XLII).
En dehors de ce rapport ponctuel, quelques autres sources officielles nous éclairent sur le
cours du volume monétaire du commerce maritime splitois. En calculant dans un premier temps le
volume pécuniaire global, il suffirait ensuite d’en déduire la part de la taxe du trentième. Pour ce
faire, nous devrions disposer des prix pour chaque denrée. Cela n’est pas réalisable. En revanche,
nous connaissons le tarif de certains articles (tableau XCVI). Partant de cette base de données, nous
pouvons reprendre le volume total pour chaque marchandise exportée990 et le convertir en un
montant financier. Nous déduisons, à la suite des valeurs obtenues, la part du trentième revenant à
la commune. Ce principe comporte bien sûr de nombreuses lacunes, puisque nous ne disposons pas
de l’ensemble des prix. En revanche, il peut nous fournir au moins une tendance du cours général
des recettes issues du commerce.

Produit Prix à l’unité ou à la mesure


Animaux et produits d’élevage
Petit bétail 20 sous la bête
Bovin 15 livres la bête
Equidé 20 sous de taxe (1541)
1 ducat de taxe par bête (1555)
Agneline 5,6 sous par peau
Montonine 20 sous par peau
Laine 1 livre 4 sous la livre
Cire 10 ducats la livre
Fromage 8 livres la pièce
Poisson
Petits poissons; thon 5 sous la livre; 7,5 sous la livre
Produits agricoles
Huile 2,6 deniers le litre
Vin 2 livres par muid
Produits manufacturés
Carisea 10 ducats 3 livres 2 sous la pièce
Chandelle 19 sous la livre
Cordouan 25 sous la pièce
Rasse 10 sous la coudée
Schiavine 5 livres 2 sous la pièce
Chapeaux 20 sous la pièce
Clous 14 sous les 100
Tableau XCVI : Prix de quelques articles d’exportation991

990
Les calculs du volume se fondent sur les équivalences fournies par les sources. Sont pris en compte, pour la rasse : 1
collo = 2 rottoli, 1 ligazo = 6 rottoli, 2 cavezi = 1 rottolo et 1 rottolo = 79 coudées de rassa sotila et 105 coudées de
rassa grossa; pour le fromage : 1 mier = 11 livres = 2,65 barili, 1 barilo = 29 livres, une pièce = 8 livres, 1 ligazo =
3,67 pièces = 29,36 livres; pour les agneline : 1 balla = 363 peaux; pour les chandelles : 1 barillo = 100 livres; pour
l’huile : 1 botte = 20 barili = 1.299,97 litres; pour la cire : 1 collo = 3 livres, 1 pièce = 19 livres, et pour le cordouan : 1
sac = 50 peaux.
991
Les prix exposés ont été recensés dans les actes notariés zadarois du XVIe siècle, période identique à celle des
contrelettres splitoises.

656
Sur l’ensemble, seules sept années des contrelettres s’étalent sur douze mois et cinq autres
années proviennent de registres de comte, soit au total douze années comparatives (tableau XCVII
– les années complètes sont indiquées en caractère gras). En outre, en 1581 et 1582, nous disposons
à la fois des valeurs officielles et des calculs issus des contrelettres.

Année Taxe Durée


(en ducats) (en mois)
1503 170 7 (fin juin-décembre)
1504 57 4 (janvier-avril)
1511 718
1515 1.131 10 (fin mars-décembre)
1516 1.050
1517 744,5 11 (janvier-novembre)
1528 95 4 (septembre-décembre)
1529 732
1530 1.084,6 8 (janvier-août)
1539 533*
1540 535**
1557 600-700***
1558 523
1559 474,45
1569 1.900****
1571 780*****
1581 2.749
1581 1.726******
1582 2.086
1582 1.536*******
Tableau XCVII : Montants annuels de la taxe du trentième à Split

Plusieurs constats s’imposent. D’une part, malgré l’absence de certains articles (les figues en
premier lieu), les données des textes officiels concordent en majorité avec nos calculs. Les périodes
d’après-guerre sont marquées par une récession, suivies d’une reprise rapide. Il existe néanmoins un
écart de 1.023 ducats en 1581 et de 550 ducats en 1582. Dans ses calculs concernant les revenus de
Zadar, Tomislav Raukar trouve également des différences; il compte 363 ducats supplémentaires
par rapport aux sources officielles. Comme la valeur des fermages est calculée en début de l’année
fiscale, alors que nous fournissons les résultats de fin d’année, il est possible que les baillis des
années 1581 et 1582 aient réalisé d’importants profits. La falsification des comptes reste également
une hypothèse valable pour expliquer cet écart.
D’autre part, la moyenne générale de la taxe représente entre 976 et 1.061 ducats (selon les
chiffres retenus), avec une chute sensible des recettes durant la guerre de 1539-42. Cette moyenne

*
« Ordinationnes et proclamationes comitum Jadrae, Spalati et Sibenici », éd. J. Barbarić, J. Ivanović, J. Kolanović
Fontes 3, Zagreb 1997, 19-98 (71).
**
Ibid.
***
« Relatio … Aloys Ferro », 106.
****
Ibid., « Relatione ...Andrea Michiel », 134.
*****
Ibid.
******
« Relatione ... Nicolo Correr », 334.
*******
Ibid.

657
est nettement supérieure à celle de Zadar, alors que les revenus totaux de Split sont inférieurs. Ce
constat est corroboré par le volume du trafic splitois avec l’intérieur, également plus élevé que celui
de Zadar. La ville de Split s’avère donc davantage tributaire de son commerce que la capitale
dalmate. Cette dépendance s’accroît. La fin du XVIe siècle est marquée par la reprise progressive,
atteignant des recettes supérieures à celles de la première décennie du siècle.
Enfin, entre deux années consécutives, les montants peuvent varier beaucoup (29% entre
1529 et 1530, 35% entre 1581 et 1582). Le montant des baux de la taxe du trentième étant calculé à
l’avance pour l’année suivante, d’après une estimation de la commune, ce genre d’écart entre le
paiement à la ville et la recette réelle ne semble pas inhabituel. L’exportation de 2.471 fromages et
de 310 kg de cire supplémentaires en 1530 occasionne un bénéfice important pour le fermier. En
revanche, en 1582, le bailli subit un manque à gagner en raison des moindres quantités de cires, de
fromage, de laine, de chandelles, de schiavine et de bovins exportées.
Tandis que les recettes de la commune s’accroissent, l’Etat encaisse parallèlement des
recettes de plus en plus importantes vers la fin du XVIe siècle. En effet, à partir de 1555 l’Etat
prélève directement un ducat par cheval, âne, mulet et tout autre équidé exporté à partir de Split. Ce
budget, rappelons-le, est destiné aux réparations du port et à la paie du médecin de la ville. Or, la
proportion de cette taxe constitue plus de la moitié des recettes totales, toutes caisses confondues.
En 1558, sa part est de 72% du budget total, 69% en 1559, 51% en 1581 et 58% en 1582992. Les
montants calculés d’après les contrelettres concordent avec le rapport du comte de Split, Alviso
Loredan. Selon ce dernier, la taxe sur les chevaux de montagne augmente. Elle rapporte 400 ducats
en 1577, 710 ducats en 1578 et 1.230 ducats en 1579993. Pour ma part, j’ai calculé 1.390 ducats en
1581 (contre 1.169 ducats dans le rapport de Nicolo Correr) et 1.205 en 1582 (contre 1.044 ducats
chez le même) : soit le trafic dépasse les estimations en début d’année, soit certains commerçants
sont exemptés de douane, soit, une fois de plus, les comptes ont été faussés.
Dans les budgets en dents de scie de Zadar et de Split, le trafic commercial joue un rôle
essentiel. Cependant, la Chambre fiscale de Venise accapare les principales sources de revenus des
communes dalmates (le sel de Zadar, les chevaux de Split) à leurs dépens. L’impact de cette
ponction demande à être située dans un contexte plus large. Il convient de préciser les conséquences
de cette exploitation sur la santé économique générale des deux villes. Selon la redistribution des
ressources monétaires, nous pouvons évaluer leur rang économique, au moins à l’intérieur de
l’espace dalmate.

992
Les montants de la taxe trouvés sont : 1.324 ducats en 1558, 1.066 ducats en 1559; 1.390 ducats en 1581 et 1.205
ducats en 1582. Les textes officiels en revanche fournissent une seule information. En 1564, la taxe sur les bêtes est
donnée à ferme contre 500 ducats, pour une période de huit mois; Libro d’oro, 478.
993
« Relatione … Aluise Loredan »; Comissiones, vol. 4, 230.

658
2°) Le poids économique de Zadar et de Split
Zadar et Split n’étant pas les seuls ports du Golfe à servir de zone de transit entre l’intérieur
balkanique et la mer Adriatique, quelle place économique occupent-elles au sein de la Dalmatie
vénitienne ?

a) Les recettes des communes dalmates


D’après les rapports officiels (graphique XLIII), Zadar domine le marché économique de la
Dalmatie et d’une partie de l’Albanie vénitienne. Split est, en revanche, fortement concurrencée par
ses voisins proches, Trogir et Šibenik.

14000

12000

10000

8000 1525
ducats

1553
6000 1576

4000

2000

0
Šibenik

Bar
Zadar

Split

Korčula

Krk

Hvar
Trogir

Kotor

Graphique XLIII : Recettes comparées entre quelques ports dalmates994

La supériorité économique de Šibenik sur Split est déjà une réalité au XVe siècle, lorsque les
excédents de la caisse de la ville sont envoyés dans les autres cités dalmates (Zadar, Split et Trogir)
et de l’Albanie vénitienne, jusque dans les années 1460. La production et le négoce du sel de
Šibenik représentent les atouts économiques de la ville (dont 69,4 à 89% sont destinés à
l’approvisionnement de Venise en 1561-62)995. La production de chaux dans des ateliers artisanaux
spécialisés constitue le second atout de cette ville996. Split en produit également, mais en quantités
semble-t-il moins importantes. Au XVe siècle, son exportation ne peut s’adresser qu’au marché
vénitien997. En revanche, la position des autres productions artisanales de Šibenik est similaire à

994
Sources du graphique : « Relatio … Leonardi Venerio et Hieronymi Contareno », 10, 12, 14-16, 18; « Itinerario di
Giovanni Baptista », 192, 196-198, 206; « Relatio … Antonio Diedo », 25-26.
995
J. Kolanović, Šibenik u kasnome, 72-73, 209.
996
Ibid., voir l’ensemble du chapitre sur la production de la chaux, 241-247.
997
Sa production est localisée sur l’île de Šolta; Libro d’oro, 362, 411. En août 1441, le doge autorise l’exportation de

659
celles de Zadar et de Split : leur rayonnement commercial reste limité à leur territoire propre et
seule une faible partie est exportée998. Le transit des chevaux est le principal atout de Trogir. Alors
que Split perçoit 400 ducats en 1577, Trogir encaisse plus du double des entrées (836 ducats) sur la
taxe des chevaux, en 1576999.
L’île de Hvar, quant à elle, concurrence de près Zadar. De fait, Hvar n’est pas directement
atteinte par les conflits armés et elle sert de point d’ancrage obligé pour tout navire sortant et entrant
dans le Golfe. Son fondement économique repose uniquement sur ce rôle d’intermédiaire maritime.
Le rapport du syndic Andrea Giustiniano le confirme : perchè essendo situato in mezo esso Golfo,
tutte le naui, che uengono di Leuante, et di Puglia per questa Città [Venise]: et tutti quelli, ce si
partono da Venetia per andare in Leuante, tutti dan capo principalmente a Lesena. En outre, en
1576, la caisse communale enregistre des recettes supérieures à celles de la Chambre fiscale :
12.000 ducats contre 4.800 ducats. Ceci revient à dire que l’Etat ne prélève que 28,5% des recettes
totales de l’île. De plus, cette même année Hvar connaît un excédent budgétaire de 9.500 ducats1000.
L’exemple de Hvar prouve une fois de plus que la stabilité politique est l’un des principaux facteurs
de développement économique.

b) Le poids des prélèvements de l’Etat


Sur l’ensemble des biens produits par les communes dalmates, Hvar exceptée, le taux des
prélèvements de l’Etat sur les biens économiques des villes dalmates est important (graphique XLIV).
Le rapport entre les caisses de la commune et celles de la République, en tant qu’entité colonisatrice, est
proportionné aux intérêts de la République dans chaque commune. Zadar, en raison de sa production de
sel, a le sort le moins enviable, tandis que Hvar et Šibenik jouissent de la plus grande autonomie
économique.
Pour pouvoir accroître leurs recettes, les villes du continent dépendent de l’amélioration des
contacts économiques avec les territoires balkaniques de l’intérieur, amélioration qui a lieu après
1570. Mais, en perdant ses colonies du Levant, Venise doit rééquilibrer son budget par de nouvelles
mesures fiscales.

toutes les matières premières, excepté celle de la chaux. Elle ne doit être destinée qu’au marché vénitien –
vraisemblablement pour satisfaire à la consommation de son arsenal; ibid., 167.
998
J. Kolanović, Šibenik u kasnome, 249.
999
« Relatione ... Andrea Giustiniano », 172.
1000
Ibid., 167.

660
Re c e t t e s e n 1553
90000
91%
80000
69%
70000

60000

50000 Commune
ducats

40000 Venise

30000 Taxe du trentieme


en 1558 Recettes
20000 en 1582
42,5% 67,5%
10000
47% 47%
0
Dalmatie Zadar Split Šibenik Split Split

Graphique XLIV : Part des prélèvements de l’Etat sur les recettes urbaines1001

L’exploitation du sel dalmate est le nouvel élément de la dernière phase de domination


vénitienne à partir de 1409-1420. En effet, lorsqu’en 1204 la République assaille traîtreusement les
remparts de Zadar avec l’aide des croisés, puis à nouveau de 1311 à 1358, ses ambitions
conquérantes se limitent à l’obtention d’escales protégées pour sa route maritime vers le Levant. En
revanche, lorsque ses prétentions sont freinées par l’expansion des autres puissances occidentales, à
partir du milieu du XVe siècle, l’exploitation plus engagée des territoires conquis s’avère le meilleur
palliatif de la restriction, relative, de son budget. Ceci explique les tergiversations concernant les
interdits d’exporter certains articles vers l’autre rive italienne et les prohibitions d’importations du
Littoral croate, vite établies et vite retirées, dans les années 1450.

1001
Tableau réalisé à partir de « Itinerario di Giovanni Baptista », 35, 196-198; « Relatio … Antonio Diedo », 25-26;
« Relatione … Nicolo Correr », 332-334; I. Pederin, Mletačka uprava, 194; J. Kolanović, Šibenik u kasnome, 73, et les
calculs issus des contrelettres.

661
80000
70000
60000

Ducats 50000 Zadar


40000 Split

30000 chambres

20000 gabelle

10000
0
1525 1553 1559 1575 1591

GraphiqueXLV : Revenus de Zadar et de Split en comparaison avec les revenus de la Chambre


et du sel de la Dalmatie vénitienne; tiré de J. Vrandečić, Dvije Dalmacije....

Le seul élément pour lequel la République reste inflexible concerne précisément l’annexion
de l’usufruit de la production saline. Plus souple envers l’exploitation du sel de Šibenik1002 et Split,
parce que la production est moins importante, la République concentre son attention sur le sel de
Pag, ce calcul étant plus lucratif (graphique XLV).
L’exploitation fiscale de Venise est compensée par les reversements d’une partie de ces
fonds dans le financement des travaux de restauration et d’entretien des remparts, du port, dans le
paiement de certains fonctionnaires et pour compenser le manque de céréales durant les coups durs.
En hiver 1571, par exemple, alors que le pays est en état de guerre, le Conseil des sages accorde 200
setiers de céréales et 50 setiers de fève pour les faire distribuer aux pauvres de Split. Il subventionne
également la fourniture de matériaux de construction (1.000 planches de Candie, 100 clous à bois et
un tonneau de clous de jonction) pour la réparation des maisons dévastées par les mercenaires1003.
Exceptionnellement, le doge accorde un droit d’intervention de la commune sur les caisses de
l’Etat. En 1438, le comte de Split Andrea Gritti doit prendre de l’argent sur le budget communal
pour pouvoir payer les mercenaires vénitiens. Pour dédommager la ville de cette dépense imprévue,
le doge Bernardo Diedo autorise le Conseil de la ville à prélever pour son compte un quart des
recettes sur le sel, jusqu’à la compensation totale du montant utilisé. De même, en juin 1515, le
doge Leonardo Lauredan accorde 1.200 setiers de sel à la commune, afin qu’elle puisse réparer les
remparts urbains sur le produit de la vente1004.
Le principe des deux caisses, l’une de l’Etat et l’autre de la commune, n’est donc pas
toujours strict, ou du moins, il comporte un système de « vases communicants », dans lequel les
caisses de l’Etat peuvent être mises à contribution pour régler des dépenses locales.

1002
Voir le paragraphe « Solarstvo », consacré entièrement à l’exploitation du sel de cette ville, dans J. Kolanović,
Šibenik u kasnome, 190-227.
1003
Libro d’oro, 528.
1004
Ibid., 154, 372.

662
40
35 1534
30 1564
25
1525
ducats

20
1559
15
1575
10
1591
5
0
Venise

Turquie

Split
Zadar
Hvar
Dalmatie

Graphique XLVI : Revenu par habitant, tiré de J. Vrandečić

Le poids réel de la ponction fiscale vénitienne et ses conséquences s’observent le mieux en


comparant les revenus moyens par habitant de différentes localités. L’historien Josip Vrandečić
apporte une première interprétation dans son histoire des deux Dalmaties (graphique XLVI). Celle-
ci a toutefois le défaut de contenir des indications appartenant à une chronologie différente, or nous
avons pu remarquer combien le cours des recettes varie avec les années.

c) Les revenus communaux par habitant


Le montant élevé du revenu par habitant de Hvar est confirmé par les rapports des
fonctionnaires vénitiens. Selon ces derniers, les membres des familles nobiliaires les plus riches de
Zadar ne posséderaient que 200 ducats de revenus contre les 1.000 ducats des familles de l’île.
Comme les revenus de l’île sont sensiblement identiques à ceux de Zadar, mais qu’elle compte
moins d’habitants, cette information paraît crédible. Split, en revanche, disposerait d’une population
sensiblement plus aisée que celle de Zadar. Ce constat va à l’encontre de notre réflexion précédente
quant à la modestie des revenus splitois par rapport à ceux de Zadar dans les années 1550 et 1570.
En réalité, l’année 1591 précède d’un an la fondation de l’escale par Daniel Rodriguez. L’essor de
Split apparaît donc déjà conditionné par les premiers afflux de marchandises destinées au transit
international.
Pour mieux comprendre les rapports économiques entre les différentes entités politiques, le
graphique XLVII tient compte d’une même période, le milieu du XVIe siècle.
Ne disposant pas du revenu national brut de chaque entité politique, il n’est pas possible de
déterminer le revenu national par habitant. En revanche, nous disposons des recettes des villes

663
étudiées et de celles de quelques régions voisines. Aussi, à défaut de fournir les moyennes exactes,
nous allons nous attacher à déterminer les rapports économiques existants entre ces unités
géopolitiques.

Graphique XLVII : Indice des revenus moyens par habitant entre quelques entités politiques1005

10,00

1,00

Empire ottoman
Split
Sibenik
0,10

Zadar
Venise
Etat vénitien

Etat vénitien
Zadar

Sibenik

Venise
Split

Empire ottoman

Au milieu du XVIe siècle, Venise dispose d’un budget dix fois plus important que celui de
l’Etat ottoman. Zadar (indice 1) possède un capital par habitant légèrement supérieur aux autres
villes. Elle est supplantée seulement par Hvar (indice 4), dont le revenu moyen est même supérieur
à celui de l’Etat vénitien dans son ensemble (indice 2). Le revenu élevé de l’Etat vénitien, incluant
les recettes de la Terra ferma, de la Dalmatie et du Levant, s’explique, le plus vraisemblablement,
par l’apport financier des communes italiennes de la Terra ferma, plus fortement industrialisées que
les villes dalmates. De même, les territoires du Levant (indice 1,7) disposent d’un revenu national
par habitant supérieur à celui de la Dalmatie (indice 0,6), bien que cette dernière verse davantage
d’argent à la Chambre fiscale vénitienne : en 1576, la Dalmatie rapporte 32.613 ducats et le Levant
30.500 ducats1006. La République grève donc davantage la région du bord de mer adriatique que ses
possessions orientales (elle extrait à son compte 23.000 setiers de sel de Zante et 22.000 setiers de
Corfou contre 15.000 setiers de Šibenik et 40.000 setiers de Pag1007). Pour sa part, le territoire

1005
Le calcul de ces indices de capital brut par habitant a été réalisé sur la base des données suivantes : V. M. Godhino,
« Venise : les dimensions », (26, 28-29); Zadar pod mletačkom upravom, 132, 243; J. Kolanović, Šibenik kasnome, 29,
71 et « Itinerario di Giovanni Baptista », 192-206.
1006
« Relatione ... Andrea Giustiniano », 183.
1007
Ibid., 184.

664
ottoman est la zone la moins développée industriellement, représentant surtout un vaste ensemble
agricole.
L’importance du revenu par habitant est donc conditionnée par la nature du secteur
économique privilégié dans chaque pays. L’essor de Venise repose sur ses secteurs secondaire et
tertiaire, tandis que l’économie de l’Empire ottoman demeure essentiellement liée au secteur
primaire. Les communes dalmates se situent dans une position plutôt intermédiaire. La part de leur
activité primaire est fragilisée par la situation politique sur le continent. Elle est compensée
partiellement par la production agricole et d’élevage des zones insulaires.
Leur entreprise manufacturière est presque inexistante en dehors de l’activité artisanale – et
de l’arsenal zadarois –, certes bien représentée, mais limitée aux besoins de consommation locaux.
Aussi, l’économie des villes dalmates, Zadar et Split parmi d’autres, repose sur l’évolution du
secteur tertiaire, plus précisément sur leur trafic commercial. En revanche, la population dalmate,
avec un indice de 0,6 possède un revenu inférieur à ceux de Zadar (indice 1) et de Split (indice 0,8).
La Dalmatie perd le bénéfice de la taxe sur le sel dalmate (qui représente près de 44% du revenu
moyen), puisque cette ressource est attribuée à Venise. Si tel n’avait pas été le cas, son indice aurait
été haussé à 1,35. Pour ce qui est de la vie quotidienne, les textes officiels fournissent certains
salaires de fonctionnaires, à des périodes différentes (tableau XCVIII).

Fonction Paye mensuelle


comte (1420, 1440, 1484) 310 livres1008
médecin de la ville (1564) 77 livres 10 sous1009
traducteur officiel (1472) 8 livres 6 sous1010
trésorier plébéien (1528) 3 livres 6 sous1011

Statut Revenus mensuels


e
noblesse de Hvar (XVI ) 517 livres
e
noblesse de Zadar (XVI ) 103 livres
Tableau XCVIII : Salaires de fonctionnaires splitois et revenus des noblesses dalmates aux XVe-XVIe siècles

Ces payes représentent un pouvoir d’achat relatif. En effet, en 1448, le comte doit verser
40% des 600 ducats à l’Etat, dont une partie sert à réparer les murs et les tours de la ville. Le
traducteur officiel de la ville est exempté de toute imposition urbaine. Quant au médecin, il recevait
parfois une paye annuelle de trente ducats, soit sept livres de plus par mois. De sorte qu’en dehors
du principal magistrat vénitien et du physicus de la ville, les autres fonctionnaires sont obligés, dans
la pratique, d’exercer d’autres activités. L’honnêteté des sources de revenus supplémentaires peut
porter à caution, comme nous l’avons vu. Cela explique, de plus, les conflits récurrents entre les
1008
Chiffre calculé d’après les salaires annuels trouvés dans : Libro d’oro, 82, 214, 318.
1009
Ibid., 478.
1010
Ibid., 274.
1011
Ibid., 400.

665
classes sociales. Les roturiers, exclus du pouvoir décisionnel de la ville, se révoltent fréquemment
contre les privilèges de la noblesse. C’est l’île de Hvar qui connaît, précisément, la plus grande
révolte en 1510-15141012.
En tant que patriciens, les fonctionnaires vénitiens s’attardent sur la description de leurs
collègues dalmates. Avec la perte des revenus sur le sel, la noblesse communale se retranche
derrière ses privilèges politiques et tire ses principales ressources de l’affermage des terrains
agricoles et d’élevage. En 1528, le comte de Zadar Victor Barbadigo décrit la misère de ces
patriciens qui, pour ne pas perdre de leur noblesse, ne degnarse de far industria alcuna et dont les
terrains à ferme sont ruinés par les timars turcs1013.

d) Les hommes d’affaires dalmates : des vainqueurs économiques


En réalité, les commerçants et autres agents économiques sont les grands gagnants de la
population dalmate. Les accords de société – déjà observés – confirment cette affirmation. Les
sommes investies dépassent le revenu supposé de la noblesse. Certains accords d’achat, même à
crédit, supposent la possession d’un capital amplement supérieur. Entre autres exemples, le comte
de Split Marco Barbarigo confirme en 1586 que les commerçants roturiers, parmi lesquels surtout
les frères Cavogrosso déjà rencontrés (150.000 ducats de fortune répartis entre les trois frères), sont
plus riches que les nobles, grâce à leur industrie et à leur négoce. Détenteurs de la puissance
économique, ils sont frustrés par le manque de pouvoir politique1014.
Cette richesse des entrepreneurs dalmates s’explique par leur engagement beaucoup plus
important dans les affaires que celui des ressortissants albanais et levantins. Grâce aux périodes
d’autonomie antérieures, ces hommes d’affaires ont accumulé un savoir-faire et créé un réseau
économique important, que la domination politique et économique de Venise n’a pas réussi à
amoindrir. A l’inverse, les territoires albanais et levantins ont subi très tôt la domination de la
République; ils ont vécu un régime colonial de traite, aussi bien des Ragusains que des Vénitiens, et
n’ont pas pu alors développer une classe marchande forte. Même si la situation économique des
villes dalmates est loin d’être brillante, dans le domaine qui nous intéresse, c'est-à-dire le
commerce, les entrepreneurs dalmates jouent un grand rôle dans la vie économique de leurs villes et
contribuent fortement à ce que le trafic commercial occupe une place maîtresse dans le budget
communal. Ce phénomène est d’ailleurs identique à Dubrovnik1015.

1012
Tous les rapports des fonctionnaires vénitiens font état des désordres sociaux animant la Dalmatie. Dans le cas de
Hvar, voir le bulletin consacré entièrement à cette révolte, Radovi instituta za Hrvastku povijest, vol. 10, Zagreb (1977).
1013
« Relatio … Victoris Barbadico», Comissiones, vol. 8, 45.
1014
« Relatione .... Marco Barbarigo », ibid., 383.
1015
Dans cette République, la société est également divisée entre les patriciens et les plébéiens. Dès la seconde moitié
du XIVe siècle, un groupe issu des plébéiens s’est détaché, formant une classe de citoyens riches. Ces « bourgeois »

666
La population splitoise s’est en grande partie révoltée contre l’entreprise de l’escale de 1592,
aussi son étude permet de mieux comprendre en quoi elle a pu bouleverser les habitudes
économiques de la ville.

III. L'escale de Split : les amorces de croissance ?

Dans le contexte local, le commerce dalmate prend un nouvel élan à la fin du XVIe siècle.
La période de stabilisation politique permet de renouer plus solidement les liens avec l’intérieur des
Balkans et d’augmenter le volume du transit. Cependant, à l’échelle internationale, Venise subit les
pressions politiques des puissances occidentales, qui mettent en question son monopole sur le
Golfe. Au nord, la maison d’Autriche encourage l’activité des corsaires uscoques sous le prétexte de
libérer la navigation en Adriatique. Au sud, les Espagnols activent de nouvelles routes
commerciales vers l’Albanie et l’Istrie à partir de leurs ports italiens. A l’ouest, enfin, l’Etat
pontifical stimule l’essor d’Ancona en tant qu’escale privilégiée vers les Balkans, par
l’intermédiaire de Dubrovnik. La République de Saint-Marc doit s’adapter, une fois de plus, face à
la concurrence occidentale en Adriatique, concurrence d’autant plus gênante lorsque Venise perd
ses possessions au Levant.
Pour sa part, l’Empire ottoman a fini sa période d’expansion. Le pays, à fondement agricole,
est touché par la désorganisation de son système féodal. Pour pouvoir satisfaire aux besoins
alimentaires de son énorme population et à son ravitaillement en matières premières, il tombe de
plus en plus sous la dépendance de l’Occident1016.
Les intérêts économiques des deux puissances poussent à leur rapprochement mutuel. Cette
alliance se concrétise à travers l’encouragement décidé et orchestré du trafic commercial.
S’appuyant sur le réseau de transit traditionnel existant naturellement à travers leur frontière, dans
les Balkans et en Dalmatie, les deux pouvoirs politiques prennent en charge ce réseau pour le
mondialiser. En conséquence, la ville de Split, voie naturelle d’accès vers l’intérieur, menant à
Livno, Sarajevo, Novi Pazar jusqu’à Istanbul, dont les rapports avec les commerçants bosniaques
sont depuis longtemps établis, devient le port clé de ces enjeux politico-économiques.
Le projet d’escale ne s’est pas accompli sans mal : sabotages, intérêts particuliers contre
raison d’Etat, antisémitisme, conflits armés illustrent les embûches jalonnant la mise en place de
l’échelle commerciale de Split. De sorte que plus de vingt ans séparent le projet de sa
concrétisation.

engagent leurs capitaux dans le commerce, dans la marine, dans les manufactures et toutes autres activités lucratives; J.
Tadić, « Le port de Raguse », (discussion, 24).
1016
R. Paci, « La scala di Spalato », (16).

667
1°) De l’idée à la réalisation
En 1566, un certain Daniel Rodriguez, juif espagnol ayant fui vers l’Empire ottoman dès la
Reconquista, commerçant installé dans l’estuaire de la Neretva, menant son négoce en Dalmatie, à
Ancona1017 et à Venise, soumet une esquisse de projet à la République de Venise. Il suggère de créer
une escale à Split dans le but de renforcer l’entente politique et la collaboration commerciale entre
la Sérénissime et la Porte. Il est accueilli par une fin de non recevoir1018.
Dix ans plus tard, les Occidentaux interceptent le trafic en Méditerranée. En 1576,
l’Angleterre mène une politique d’entente avec la Porte, installe la « Turkey company » au Levant
au détriment de la « Venice company » et concurrence la République dans le commerce des étoffes.
En 1564, les Portugais menacent le commerce italien des épices grâce à la nouvelle route des Indes.
En 1590, les Hollandais pourvoient la Méditerranée en blé pour combler les disettes1019. Toutes ces
interventions déstabilisent les assises politiques et économiques de Venise. La Sérénissime doit
adopter une nouvelle attitude pour faire face.
Dans le même temps, les communautés juives (d’origines allemande, levantine et les
« Marrani »), deviennent un élément majeur de la réactivation commerciale. Implantées,
notamment, en bordure de la Dalmatie en vue de pénétrer le réseau balkanique (de Sarajevo à
Istanbul), ces communautés correspondent entre elles et jouent le rôle de tête de pont à l’intérieur de
l’Empire, au point que leur présence alimente les rivalités entre Venise et Dubrovnik. Venise veut
se servir de leur présence à Split1020 pour faciliter son rôle de transit, tandis que Dubrovnik favorise
leurs activités avec Ancona pour renforcer la fonction que celle-ci occupe de débouché commercial
des articles ottomans1021.
Ainsi, les juifs de Split entretiennent une correspondance intense avec leurs coreligionnaires
de Sarajevo et de Skopje entre autres, en vue d’étendre le réseau vénitien dans la péninsule
balkanique1022. La première esquisse de Daniel Rodriguez revient alors au goût du jour, mais le
projet est suspendu par la guerre de Chypre. Les relations diplomatiques entre Venise et la Porte à
propos de l’escale étant interrompues, Rodriguez s’adresse en 1570 à la République de Dubrovnik,
sans succès. Il maintient alors son négoce sur la Neretva, à partir de laquelle il achemine vers
Venise des marchandises pour son compte et celui de tiers et livre en retour les articles vénitiens
aux commerçants turcs1023. La cessation du conflit va permettre la reprise des pourparlers. En 1573,
Rodriguez est nommé consul des juifs de la Neretva par la Porte, cet estuaire reliant les routes de

1017
De mars à juin 1562, Daniel Rodriguez réalise six voyages vers Ancona. Il y débarque 27 balles de cordouan et
embarque en échange six balles de panni et une caisse de drappi; ACAN, Quarto 1562, f° 4’, 13’, 69’, 79’, 84, 87.
1018
V. Morpurgo, « Daniel Rodriguez », (187).
1019
R. Paci, « La scala di Spalato », (21-23).
1020
La présence des juifs à Split a déjà été évoquée dans le paragraphe sur « les créanciers et les banques en Dalmatie ».
1021
R. Paci, « La scala di Spalato », (37, 40).
1022
Ibid., (43).
1023
V. Morpurgo, « Daniel Rodriguez », (201).

668
Dubrovnik et de Makarska vers Mostar puis Sarajevo1024. Bénéficiant de la confiance des Vénitiens
et des Ottomans, il reprend ses démarches diplomatiques.

a) Les premiers projets


En 1577, le Sénat vénitien reconsidère le projet d’introdur una scala a Spalato, dove potran
transitar le mercantie che vanno et vengo dalli paesi Turchi1025. Il est décidé de créer un fonticho
pour le dépôt des marchandises, sur le modèle de ceux de Zante et de Corfou, datant de 1542. Une
modeste taxe de libre transit devra être payée durant cinq ans, dont la moitié des revenus reviendra à
Rodriguez1026. Cette somme devra lui permettre de financer son projet. Cependant, des
empêchements multiples (comme le décès du maître d’œuvre délégué par Rodriguez et le
dépassement des frais réels par rapport à ceux prévus au départ1027) immobilisent les travaux.
De sorte que trois ans plus tard, le Sénat décrète à nouveau la mise en route du projet,
prévoyant l’entrée en fonction d’une galère marchande légère pour le transport des marchandises
vers Split et d’une autre galère pour la protection navale contre les Uscoques jusqu’à l’estuaire de la
Neretva. Mais ni les délibérations de 1577, ni celles de 1580, ne sont exécutées pour cause d’
« accidents divers »1028.
- Les obstacles
De fait, les différents comtes de Split, dont Nicolo Correr et Alviso Loredan, ainsi que
divers délégués vénitiens, soulignent fréquemment les difficultés rencontrées par ce projet.
D’une part, au niveau diplomatique, l’accord des Turcs est loin d’être acquis (en particulier
celui du sandjakbeg de la Neretva). Dans les années 1575-1576, ils bénéficient de leurs propres
sorties vers la mer : le port de Makarska et l’estuaire de la Neretva. Pour redresser leur économie,
les Ottomans ont besoin essentiellement de sel, de produits manufacturés, de tissus, de verre, etc. Ils
tentent donc d’aménager des centres de dépôt à Makarska et d’améliorer les conditions de travail
sur la Neretva1029. De plus, leur tarif pour le transport terrestre est beaucoup plus compétitif à partir
de la Neretva (40 aspres turques) qu’à partir de Split (100 aspres)1030. Dans le même temps,
Dubrovnik est une autre concurrence, même si son port ne suffit pas à approvisionner les centres
plus septentrionaux1031.
D’autre part, bien que de nombreux Splitois soient enthousiastes à l’idée de ce projet, car il
pourrait redresser leur économie, les propriétaires des baraquements à proximité du port, destinés à

1024
R. Paci, « La scala di Spalato », (50).
1025
Ibid, (51).
1026
Ibid.
1027
V. Morpurgo, « Daniel Rodriguez », (226-227).
1028
R. Paci, « La scala di Spalato », (52, 55).
1029
V. Morpurgo, « Daniel Rodriguez », (204).
1030
R. Paci, « La scala di Spalato », (51-52).
1031
V. Morpurgo, « Daniel Rodriguez », (204).

669
la réception des marchandises, s’opposent à cette idée par peur de la concurrence juive1032. De plus,
les représentants d’autres ports font valoir la supériorité de leur site sur celui de Split. Le délégué
Francesco Paruta, notamment, soutient la construction d’une escale à Omiš, située sur le bord de la
Cetina1033.
Enfin, l’insécurité des voies de communications demeure également un problème
d’importance. En 1580 les Uscoques représentent toujours une menace pour les navires marchands
reliant Split aux ports ottomans (dont Cetina)1034. Côté continental, les voies terrestres en Bosnie ne
sont pas plus sûres. De plus, le flux supposé des marchands d’horizons divers (sujets ottomans, juifs
et turcs) accroît le risque d’infections pestilentielles1035.
Daniel Rodriguez, opiniâtre, parvient néanmoins à trouver des partisans et réalise de
nombreuses démarches diplomatiques auprès des représentants des pouvoirs vénitien et ottoman.
Les pourparlers sont nombreux et lents.
- Discussions diplomatiques et résultats1036
Selon les analyses des historiens, une pause de huit ans sépare les premières décisions
gouvernementales des nouvelles mesures. Ce temps aurait servi aux négociations avec les
fonctionnaires turcs et les Vénitiens récalcitrants. Pourtant, dans les contrelettres de 1581-83, des
indices montrent que le projet est appliqué en partie dans le port même de Split.
Entre le 12 janvier 1581 et le 22 août 1582, l’escale y est mentionnée à dix reprises en vingt
mois. La formule consacrée est : per transito per conto di (questa) scala. Sur les dix départs, six
sont orientés vers l’ouest : quatre à Venise, un vers la Pouille et un vers sottovento. En revanche,
deux transports sont prévus vers la Neretva et un de Venise vers Dubrovnik, via Split (une des
déclarations ne précise pas la destination). Huit patrons se chargent de voyager pour le compte de
six commanditaires et deux entrepreneurs, Toma Deanković et Georges Greco partent seuls. Parmi
les marchands impliqués Daniel Rodriguez part deux fois, le 18 janvier et le 2 mars 1581 vers
Venise. Le Sicilien Giovanni est le second entrepreneur à réaliser deux voyages. En février 1581, il
s’embarque à bord du navire d’un Français (pas de nom), pour se rendre à l’estuaire de la Neretva et
la seconde fois vers la Pouille, en juillet de la même année, sur le navire de Cola Anzolo de Molla.
Le Ragusain Mišo de Sorgo précise, en décembre 1581, qu’il a payé la taxe (imposition) afin de se
rendre vers la Neretva. Luigi Calo a également payé son transit, huit mois à l’avance, pour un

1032
R. Paci, « La scala di Spalato », (51-52).
1033
L’article contient les revendications retranscrites et traduites de Francesco Paruta; V. Morpurgo, « Daniel
Rodriguez », (211-214).
1034
Voir le rapport traduit du baile de Constantinople; ibid., (218-219).
1035
R. Paci, « La scala di Spalato », (54-55, 56-57).
1036
La transcription et la traduction des lettres et ordonnances des fonctionnaires ottomans et vénitiens se trouvent en
grande partie publiés dans l’article de V. Morpurgo, « Daniel Rodriguez ».

670
voyage reliant Venise à Dubrovnik, en août 15821037. Cette dizaine de traversées réalisées dès les
années 1580, contribuent vraisemblablement au financement du projet, puisque Rodriguez perçoit la
moitié des revenus des taxes sur ce trafic. Le nombre est faible pour subvenir à tous les besoins
financiers, mais il témoigne néanmoins de la continuité des démarches, pas seulement dans le
domaine diplomatique mais également sur le terrain.
Plusieurs tâches attendent les concepteurs : garantir la sécurité des voies maritimes, offrir
des prix de denrées et du transport concurrentiels à ceux de la Neretva et s’assurer l’appui des
fonctionnaires ottomans locaux.
En 1588, le Sénat et le Conseil des Cinq au Commerce déterminent la mise en circulation de
galères marchandes entre Split et l’estuaire de la Neretva pour assurer la sécurité en mer. De même,
le comte de Split est chargé de faire réparer les routes terrestres sur la partie vénitienne et de
convaincre les marchands de passer par Split; tandis que les recteurs de Zadar ont pour mission
d’obtenir du nouveau pacha de Bosnie la mise en chantier de la rénovation des routes reliant Split à
Sarajevo. Puisque le principe du paiement d’un tribut spécifique sur le transit ne semble pas
apporter les bénéfices escomptés, désormais une somme de 3.000 ducats est accordée pour
l’édification du poste de douane. Le tribut particulier, décidé onze ans auparavant, est supprimé.
Daniel Rodriguez s’installe à Split durablement pour suivre les pourparlers. De ce fait, en septembre
1589, au lieu de rester en butte à l’hostilité du fonctionnaire de la Neretva, Rodriguez va traiter
directement avec le beg du sandjak de Livno, afin d’inciter les Turcs à escorter les caravanes
marchandes jusqu’à Solin. Parmi les engagements du traité figure la vente du sel, du riz et du savon
à meilleur marché que ceux de la Neretva, vendus par les Ragusains. Alviso Loredan entend
convaincre les Ottomans de fermer leur escale de la Neretva, de réparer les ponts et les routes pour
les rendre plus praticables sur le tracé reliant Split à Sarajevo et, enfin, d’accroître le nombre de
bêtes de somme1038.
L’accord est conclu en la présence de Rodriguez, de retour de Bosnie, après force cadeaux.
Les Vénitiens s’engagent de plus à assurer une garde armée sur l’île de Kaštel Sučurac pour
protéger le trafic des Uscoques1039. Suivant cet accord, les Turcs renoncent donc à la construction de
leur propre escale à Žrnovnica ou au développement du débarcadère sur la Neretva. La Porte prend
à sa charge la réparation des routes qui mènent à Split. Pour les marchands turcs, les voies de terres
sont d’ailleurs plus sûres que les routes maritimes, à cause des pirates1040. Dès l’année suivante, une

1037
DAZd, Sp. Ar., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 448, 471’, 441’, 444, 443’, 454’, 461’, 472.
1038
R. Paci, « La scala di Spalato », (54, 55-57).
1039
Ibid.
1040
Čiro Čičin-Šain, « Pisma Marka Karavanjina splitskog trgovca iz prve polovine XVIII. stoljeća », Starine 49,
Zagreb (1959), 105-226, (106).

671
galère marchande est mise en service, protégée par deux galères militaires, durant les cinq à six
jours nécessaires pour rejoindre l’estuaire de la Neretva1041.
Le 20 juin 1590, en accord avec le pacha de Bosnie, il est décidé de donner vie à l’escale de
Split à partir du 1er juillet 1590. Les marchands sont exemptés de la taxe d’importation pour toutes
les grosses marchandises destinées à Venise en provenance de la « Romanie haute et basse »; ils ne
payeront que la moitié de cette taxe sur les marchandises légères, de même ils n’acquitteront plus la
taxe d’entrée pour le riz et le savon, partant de Venise et allant à Split, pour se rendre vers les pays
turcs. Dès 1591, les galères font le lien entre les deux rives. Le comte de Split est chargé d’agrandir
les infrastructures du port de manière à pouvoir recevoir les navires plus imposants, de compléter
les travaux du lazaret, de prendre un prêt de 400 ducats pour trouver les nombreux chevaux
nécessaires au trafic caravanier. Le responsable de la galère marchande, Oscar dell’Oglio, est invité
à séjourner un an à Split afin d’obtenir l’encouragement des sandjakbegs pour ce trafic. Quatre
barques armées avec cent hommes d’équipage et une galère militaire doivent défendre le littoral
splitois des Uscoques. Le comte dispose de la moitié des revenus taxant les frais de nolis sur les
navires allant du Rialto à Dubrovnik, à Lezhë et sur la Neretva. La galère marchande à l’avenir ne
doit faire escale qu’à Split. Reconnaissante envers Daniel Rodriguez pour ce projet, la Sérénissime
lui accorde de nombreux privilèges ainsi qu’à la communauté juive. En 1590, avec son frère Pierre
et son cousin Isaac de Castris, il est confirmé dans sa fonction de consul des marchands des deux
communautés. Il est nommé « inventeur » de l’escale et une pension de 200 ducats lui est assignée.
De plus, une condotta est délivrée aux juifs du Ponant et du Levant leur permettant de venir habiter
à Venise sans limitation et de pouvoir naviguer librement dans le domaine vénitien. Ceux de Split
peuvent ouvrir des boutiques dans la ville et exercer leurs activités lucratives (dont l’ouverture
d’une banque de crédit)1042.

b) Le fonctionnement de l’escale au sein de la ville


L’escale contient un poste de douane et un lazaret situé le long de la côte, près de l’aile
orientale de la crypte du palais de Dioclétien. Le lazaret comprend six cours ceintes de maisons à un
étage. Il est renforcé de tours par lesquelles entrent les caravanes du côté terrestre. De l’autre côté,
maritime, sont attachées et amarrées les galères et les frégates. Entre Split et Venise, la marchandise
est généralement conduite par deux galères commerciales vénitiennes d’Etat équipées en armes
(galia di Mercanzia), une pour chaque voyage, plus une escorte armée. Lorsque cette galère est en
retard, alors que la marchandise attend, l’Etat vénitien permet alors aux armateurs splitois, organisés
en la fraternité de Saint-Nicolas, de transporter cette marchandise sur leurs voiliers, surtout des

1041
R. Paci, « La scala di Spalato », (58).
1042
Ibid., (58-60).

672
frégates et des marcilianes avec, si besoin est, un accompagnement armé. Certains commerçants ont
des maisons à Split, tandis que les autres logent sur le navire ou dans le lazaret, dans lequel est
appliquée la quarantaine. Les marchands de peaux bosniaques se distinguent particulièrement. En
plus des autres Bosniaques, y séjourne en permanence l’émin turc, avec son détachement. Là, il
prélève la taxe d’importation. Ses locaux d’affaires sont dans le lazaret, près du poste de douane,
derrière les portes principales. Après aménagement, la maison de l’émin se situe dans la banlieue
nord, sur la route de Solin. Ainsi, les caravanes bosniaques passent devant sa maison et paient la
taxe avant de poursuivre vers le lazaret1043.

2°) Les premiers fruits

a) L’exotisme aux portes de Split


En 1593 déjà, les marchandises sont si nombreuses qu’une seule galère ne suffit plus, une
seconde est mise en route. Le comte de Split est chargé de faire accompagner par des embarcations
armées, à partir de l’Istrie, les navires n’ayant pu rejoindre la galère marchande ou les marchands
n’ayant pas voulu attendre le départ au port des galères marchandes. Pour assurer
l’approvisionnement en sel, celui de Pag est exporté vers Makarska et vers la Neretva, places
contrôlées par les Ragusains et les juifs et dont les marchandises sont dirigées vers Ancona1044.
En 1594, le comte de Split Danielo da Molino trace le premier bilan positif de l’escale. Les
caravanes partent de Sarajevo (sept jours) et de Banja Luka (dix jours) pour se rendre à Duvno. Les
marchandises y sont déposées en attendant le second départ, et un vice-consul serait le bienvenu
pour accélérer l’attente. De Duvno, les caravanes repartent pour rejoindre en quatre jours la ville de
Split. L’escale présente plusieurs avantages sur les ports contrôlés par Dubrovnik. La route
débouchant sur Split est meilleure que celle qui relie Istanbul à la République de Saint-Blaise,
l’accès à la mer est plus court, les frais de transports sont moindres car les nolis sont deux fois
moins chers, le trajet en mer est presque deux fois plus rapide, et surtout, le transport vers Venise
est beaucoup plus sûr1045.
Les articles qui étaient jusque là véhiculés par mer sont acheminés vers Split par voie de
terre, les marchands étant regroupés en « caravanes ». Les marchandises arrivant en Bosnie sont
originaires de Syrie, de la Perse et des Indes : de la soie, des aromates, des tapis et des toiles de
coton1046. On dénombre encore des peaux de toutes sortes, des semelles de boeuf et de buffle, des
couvertures frustes en laine (ćebad) de Skoplje, des camelots, de la fourrure (de renard surtout, mais

1043
Č. Čičin-Šain, « Pisma Marka », (105, 106, 108).
1044
R. Paci, « La scala di Spalato », (61).
1045
Ibid., (62-64).
1046
F. Braudel, La Méditerranée. 263.

673
aussi de chat, de loup), de la laine, voire dans une moindre mesure, du cuivre, de l’or, des prunes,
du maïs, etc.1047.
Venise exporte vers Split des draps d’or et d’argent1048. D’autres marchandises parviennent
encore à Sarajevo, et plus loin : des soies diverses (seta, romanetta) et des robes de soie et de
damas, du brocart, du velours et du lin (pour les matelas), du savon, du papier, du poivre, du sucre,
du verre, du tabac, du riz, du plomb, etc.
La Dalmatie, Split en premier lieu, dessert aussi bien Sarajevo que Venise en fromages, en
figues, en poissons salés, en étoffes grossières, en bétail et autres1049. De sorte que de 1592 à 1645,
le volume de ce trafic atteint une moyenne de 5.396 colis par an1050.

b) Les contrelettres de 1594-1597


Grâce à l’existence de contrelettres peu de temps après la mise en route de l’échelle
splitoise1051, nous pouvons connaître les changements qu’elle génère. Résumons dans ses grandes
lignes le volume des marchandises exportées, les destinations et la provenance des commerçants.
- Les articles d’exportation
Tableau XCIX : Exportations de Split après la fondation de l’escale
Article 1594 1595 1596 1597
Têtes de bétail
bœuf -- 6 -- --
génisse, vache 3 431 124 9
chapon -- 1.431 - --
porc 130 25 70 77
âne, mule, mulet 29 158 51 150
jument, poulain 57 55 124 4
cheval 674 28 160 11
roncin 1.199 2.067 1.805 275
Produits d’élevage
peau de bœuf (bovine) 1.527 898 4.444 1.475
peau di buffalo -- 5,1 sacs -- --
peau de génisse 106 611 1.554 539
peau d’agneau 378 -- 632 --
peau de mouton 58 414 -- --
peau de veau -- -- -- 8
peau de bouc châtré -- -- 194 124,2 rouleaux
(castrado) 3 caisses
peau couleur rouge
kermès (cremesine) -- 15 -- --
peau da lazolo -- 10 -- --
peau pour la brosse (?) -- -- 6 balles, 2 rouleaux --
(da scovello) 2 caisses
toison -- -- 233, 9 sacs --
cuir de bœuf et génisse 696 1.258 1.479 149

1047
Č. Čičin-Šain, « Pisma Marka », (113).
1048
F. Braudel, La Méditerranée, 263.
1049
Č. Čičin-Šain, « Pisma Marka », (113).
1050
De 1592 à 1596 : 16.460 colis; en 1607 : 12.000 colis, de 1614 à 1616 : 14.700 colis et de 1634 à 1645 : 15.300
colis; F. Braudel, La Méditerranée, 264.
1051
DAZd, Sp. Ar., boîte 141, B. 137, F. 23.

674
gelée -- 3 rouleaux -- --
laine -- 515 kg 272 kg + 48 kg
fromage 3.975 9.646 1.699 4
cordouan -- 783 649 427
Produits agricoles
figue 10.368,5 tonneaux 9.706,5 tonneaux 12.570,5 tonneaux 200 tonneaux
marasque 9 tonneaux 746 tonneaux 20 tonneaux --
caroube -- 1.955 kg -- --
vin 12 cavezi -- 1 cavo cerchiado --
4 bottes
Poissons
poisson salé -- -- 6.494 poissons
(32,5 tonneaux)
sardine 366,5 tonneaux 50 tonneaux 206 tonneaux --
2 miers 1.536 poissons
247 miers
maquereau 11 tonneaux -- 120 tonneaux --
367 poissons 700 poissons
chinchard - - - 5 tonneaux
Matière première brute
cuivre -- -- 29 kg --
5 pièces
Produits manufacturés
boldroni 640 1.320 3.677 161
chapeaux de laine 40 -- -- --
rasse 6 rouleaux 202 rouleaux 120 rouleaux 2 rouleaux
31 pièces 545 pièces 226 pièces 374 pièces
7 coudées 3 balles 248 balles 281 coudées
3 coupons 2 fagots 43 coupons 3 caisses
4 miers 248 balles
60 livres
450 coudées
schiavine 2 balles 397 pièces 756 pièces 90 pièces
3 coupons
toile -- -- 3 pièces --
Produits de luxe
carisé -- -- 16 pièces --
piment, pimezi -- -- 120 caisses --
riz 2 miers -- -- --
samit -- -- 19 pièces --
Articles non identifiés
pisano -- 1.810 kg -- --
629 pièces
renazze de ganberti
di marzone la volpe -- -- 80 balles --
scercios -- 45 pièces -- --
suncario -- 6 pièces -- --
tanze -- 3 pièces -- --

La structure des exportations ne change guère par rapport aux années antérieures. Le volume
de la plupart des articles demeure le plus souvent identique. Il reflète la continuité du réseau
traditionnel avec l’intérieur des terres, les produits d’élevage étant acheminés par les Valaques. Le
transit des chevaux de montagne, et des autres équidés, se confirme définitivement, tandis que les
porcs font à nouveau leur apparition, avec un volume sensiblement supérieur à celui des années
1550, lorsqu’ils sont exportés pour la première fois. En revanche, contrairement à ce que l’on aurait

675
pu imaginer, le transit des minerais est presque totalement absent : pas de fer, plus de bitume, et
seulement très peu de cuivre. Alors que les échanges avec les ports du Littoral croate se sont
presque totalement éteints, Split n’importe pas d’autres minerais en provenance des Balkans, alors
que les liens commerciaux avec la Porte sont renforcés. Néanmoins, Split pourvoit ses partenaires
de tous les types de marchandises (tableau XCIX).
Dans le domaine agricole, la production des figues a repris et plusieurs milliers de tonneaux
sont exportés chaque année (seules les années 1595-1596 étant complètes). En revanche,
l’exportation du vin, pourtant abondamment produit (du moins d’après les rapports des
fonctionnaires vénitiens) est négligeable. Parmi les produits d’élevage, les fourrures ont disparu du
circuit commercial, mais elles sont compensées par une importante exportation de peaux diverses.
La pisciculture demeure stable et la spécialité de poissons salés conserve un marché intéressant.
L’artisanat semble également vigoureux, puisque d’importantes quantités de schiavine, de rasse et
de chapeaux sont destinées à la vente à l’étranger. Cependant, les articles spécifiquement turcs, tels
certains types de couteaux, les équipements pour les chevaux et autres, sont absents. Seuls les
boldroni sont exportés en masse. Notons encore l’absence flagrante des draps (excepté les seize
pièces de carisé), qu’ils soient de luxe ou non. De même d’autres articles luxueux manquent, tel que
le sucre, le poivre et le verre. Seule une petite quantité de piments constitue une nouveauté, même si
le volume est très peu important.
Dans le récapitulatif des produits exportés à partir de Split, seuls les articles en majorité
d’origine locale, ou proche, dominent. Aucune trace d’un trafic réellement exotique, comme on aurait
pu s’y attendre. Cette première « surprise » doit être complétée par les destinataires de ces échanges.
- Le sens des exportations
Au même titre que la nature des marchandises n’a guère varié, les destinataires du
commerce splitois demeurent les mêmes (graphique XLVIII – les 0% représentent deux départs
pour chaque destination concernée, sans compter les départs uniques en direction de Dubrovnik,
Kotor et un pour la France). Le rôle de la côte italienne orientale est renforcé, et Venise n’importe
pas plus que dans les années 1580. En revanche, le trafic avec le Littoral croate reprend. C’est
probablement l’effet du renforcement de la sécurité maritime, qui a réduit les risques de piraterie,
celle-ci ayant interrompu un temps les routes navales entre la Dalmatie et le siège des Uscoques.
Cette fois encore, les contrelettres déjouent notre attente en nous présentant l’image
classique du commerce splitois, déjà observée pour les périodes antérieures. Reste alors à connaître
les acteurs de ce transit.

676
Graphique XLVIII : Destinations du transit splitois en 1594-97
La Porte 0%
Levant 0%
Terre aliene 0%
Indéterminé
6% Littoral croate 1%
Istrie
5%

Dalmatie
7% Italie 1%
Veneto 1%

Sottovento 57%

Venise
22%

- L’origine des marchands à la fin du XVIe siècle


Une fois de plus, très peu de nouveautés sont à relever. Néanmoins, la part des Italiens a
augmenté (graphique XLIX). Parmi eux, quelques Florentins reprennent leurs activités dans le port
splitois après près d’un siècle d’absence. Les commerçants de Vasto, de Barletta et de Bari
dominent dans l’ensemble ce trafic, tandis que les Vénitiens apparaissent rarement. A l’intérieur du
domaine colonial vénitien à l’est, douze commerçants proviennent de ce qu’il reste de l'Albanie
vénitienne. Les Kotorains, dominent à nouveau dans ce groupe; seuls deux hommes sont de Bar.

Littoral croate Occidentaux


7% 1%
Sujets ottomans
8%

Dalmates
42%

Italiens
42%

Graphique XLIX : Hommes d’affaires impliqués dans le trafic splitois en 1594-1597

677
L’apparition d’hommes d’affaires de Rijeka et de Labin, zones à risques jusqu’alors,
témoigne, en conformité avec nos constats précédents, d’une reprise des rapports avec les ports
croates et istriens. En revanche, les sujets ottomans, même s’ils sont peu nombreux, viennent de
régions très diverses. Huit commerçants sont originaires de l’ancienne Romanie, parmi lesquels les
gens de Rhodes s’imposent. Un ressortissant est qualifié d’Armeno1052; il se pourrait qu’il soit
Arménien. Un seul juif apparaît dans ce négoce. Parmi les six commerçants provenant des Balkans,
avec une prédominance des gens du port de Cetina, en Adriatique, nous relevons un Bosniaque de
Banja Luka. En octobre 1595, Ali Ibraïm exporte 89 cuirs de génisse et cinq balles de cire à Venise,
sur le navire de Petar Filiksić de Brač1053. C’est le seul commerçant musulman sur un total de 336
hommes d’affaires, en plus de trois ans. Autre curiosité, la présence de deux Occidentaux. Les 10 et
11 octobre 1595, le Marseillais Claude de Dieu commandite le transport de trois chevaux, sur la
nave de Guillaume de Selenci, en compagnie de Claude Giunco, en direction de sottovento1054. De
même, en septembre 1595, l’Allemand Mathias todesco exporte 37 peaux de boeufs et huit
sercios1055 vers une destination non identifiée (Magnavala)1056. Dans les déclarations des années
1580, quelques expressions font allusion à l’escale du type per conto della scala. Dans ces registres
plus tardifs, aucune mention n’en est faite. Seul indice, la présence d’un gouverneur d’une galea
della mercantia en décembre 1595 : magister Fernando a nome de Zan Antonio governa a la galea
della mercantia. Il n’exporte rien de spécifique, cinq balles de boldroni vers Venise, sur une
galère1057.

En somme, la nature et la structure du trafic splitois, en se fondant sur les sources officielles
du comte, ne changent absolument pas, ni en volume, ni en intervenants, ni en destinataires. Tout au
plus ce trafic suit-il une évolution conforme à la situation : la pacification des relations avec la Porte
et le contrôle plus sévère des eaux adriatiques avec les galères armées commanditées par Venise. La
seule solution valable à cette distinction très nette entre les résultats des recherches concernant le
trafic de l’escale de Split et le registre officiel du fonctionnaire vénitien est qu’il existe désormais
deux niveaux complètement différents de commerce.
Le niveau commercial de l’escale atteint un rang international de grande envergure. Il est
mené uniquement pour le compte des deux puissances et par des hommes étrangers à la ville de
Split même. C’est l’illustration rare, sinon unique, d’un projet politique, aux retombées

1052
En octobre 1595, Francesco Armeno exporte quatre chevaux sur le navire de Guillaume Salenci, DAZd, Sp. Ar.,
boîte 141, B. 137, F. 23, f° 958’.
1053
DAZd, Sp. Ar., boîte 141, B. 137, F. 23, f° 997’.
1054
Ibid., f° 985-985’.
1055
Ce terme est peut-être une déformation de sericeus, sericius venant de sericum, désigant un tissu en soie.
1056
Ibid., f° 983.
1057
Ibid., f° 589.

678
économiques importantes, imposé par deux Etats, dont les historiens, de Braudel à Paci, ont fait
abondamment état. Les commerçants qui viennent y faire affaire sont stimulés par leur
gouvernement, grâce aux avantages qui sont garantis (sécurité des routes, réduction des frais de
transport et des marchandises, stabilité politique assurée).
Le second niveau est celui, « local », de Split. Il concerne les partenaires traditionnels de la
commune, implique la présence d’hommes d’affaires déjà engagés dans son trafic antérieur et sans
rapport, ou presque, avec le projet de l’échelle. Il bénéficie tout au plus du changement de la
conjoncture générale. L’historiographie n’a pas, semble-t-il, perçu la dualité du commerce splitois.
En effet, le trafic commercial splitois, à l’échelle adriatique et même plus large, se maintient et sert
à remplir les caisses communales. C’est le cas également du port de Zadar, qui maintient ses
contacts économiques avec les ports italiens et les ramifie jusqu’en Orient. De son côté, le transit
occasionné par l’entreprise de Daniel Rodriguez répond uniquement aux intérêts économiques de la
Sérénissime et de la Porte, tout en ayant des dimensions encore plus internationales.
La double vie économique du port de Split rappelle les deux niveaux du circuit commercial
d’Ancona. Cette dernière dispose de ressources naturelles abondantes et le commerce mené par ses
entrepreneurs se fonde essentiellement sur des échanges de produits agricoles avec les ports
régionaux. L’implication, au cours du XVIe siècle, des hommes d’affaires florentins et ragusains,
représentants de deux Etats puissants, élargit le rayonnement économique de son circuit commercial
à l’échelle internationale, sans l’intervention directe des Anconitains eux-mêmes. Ces derniers se
servent tout au plus des embarcations ragusaines pour exporter leurs marchandises vers des zones
plus lointaines. Les villes d’Ancona (au milieu du XVIe siècle) et de Split (à la fin du XVIe siècle)
sont donc ravalées au rang de centre passif, même si leur rayonnement atteint de réelles dimensions
internationales. En outre, dans le cas d’Ancona, son rôle d’entrepôt et de marché du textile n’a pas
du tout stimulé l’industrialisation de la ville, ni apporté de changements dans le domaine
agricole1058. A Split, les contrelettres de l’extrême fin du XVIe siècle semblent indiquer également
qu’aucun changement notable ne soit survenu dans les habitudes économiques de la ville. Les
nouveaux investisseurs étrangers tirent des bénéfices sur l’emplacement privilégié du port, mais ils
ne font que transiter, à la différence des entrepreneurs traditionnels, dalmates, italiens, voire
levantins, dont une partie s’installe en ville et fonde des associations commerciales. S’il y a
d’ailleurs rivalité entre Ancona et Split à la fin du XVIe siècle, c’est par Etats et puissances
interposés et les gouvernements communaux locaux n’y contribuent que pour une très faible part,
voire pas du tout.

1058
P. Earle, « The Commercial », (31).

679
Le commerce de Split se développe donc d’une manière artificielle. Seules les observations
antérieures à l’escale de 1592 donnent une image des capacités d’échanges propres à la ville. En ce
sens, Zadar et Split disposent d’un rayonnement économique étendu : leurs partenaires
commerciaux (que ce soit en tant que commerçants étrangers ou en sous la forme de centres
d’échanges) débordent du seul cadre de la mer Adriatique. Les villes remplissent les fonctions
d’intermédiaires entre la zone des Balkans et les ports italiens suivant deux axes : nord-sud (Bosnie
par voie de terre et Italie par voie de mer) et est-ouest (Levant par routes terrestres ou voies
maritimes, Littoral croate- Istrie et Italie par voies maritimes, voire terrestres, avec la réduction des
coûts de transport).

680
CONCLUSION

La période charnière entre le XVe et le XVIe siècle connaît plusieurs bouleversements sur la
scène politique et économique mondiale. L’évolution qui s’ensuit génère des changements dans les
échanges économiques. Toutefois, le commerce n’est pas seulement le fruit de la conjoncture du
moment (pouvoir et situation politiques et contexte économique international), mais il est aussi
tributaire d’un héritage (tradition politique, localisation et ressources économiques). Les communes
de Split et de Zadar sont situées sur la rive orientale de l’Adriatique, à l’intersection entre deux
mondes : l’espace balkanique sur le continent, et la Méditerranée occidentale. Cette implantation
joue un rôle déterminant dans la longue durée. Les deux cités en ont hérité un riche passé politique
et économique.
Jusqu’en 1409, elles appartiennent à un ensemble homogène, la couronne de Hongrie-
Croatie, relié aux territoires de l’Europe centrale. Avec l’affirmation de la domination vénitienne
sur les côtes adriatiques, à l’ouest, et la conquête ottomane des régions frontalières, à l’est, Split et
Zadar, et plus généralement la Dalmatie, sont prises en étau entre deux civilisations. Leur position
en devient d’autant plus originale qu’elles sont isolées de leur zone d’influence naturelle et qu’elles
deviennent un « no man’s land », une interface dans laquelle s’affrontent deux puissances. Il s’agit
alors de suivre leur mode d’adaptation économique face à ces perturbations. Comprendre leur
développement commercial suppose d’observer le jeu d’imbrication entre les constantes du milieu
et de l’expérience antérieure avec les modifications survenues au cours des deux siècles.

Le cadre permanent
Zadar et Split ont des caractéristiques typiquement méditerranéennes par leur climat et leurs
ressources agricoles (céréales, viticulture, oliveraie, pêche). Au début du XVe siècle, Zadar dispose
du plus grand territoire de la Dalmatie, tandis que Split possède l’une des superficies les plus
petites, mais parmi les plus fertiles. Leurs populations denses les placent parmi les villes de
grandeur moyenne en Europe. Même si elles sont fréquemment menacées par les épidémies et les
conflits, les courants migratoires venant de l’intérieur compensent les déficits démographiques.
Sur le plan politique, les deux villes détiennent une longue tradition d’autonomie (mélange
de nobiles et de cives, publication dès la fin du XIIIe siècle de leurs Statuts, gouvernement de la
Couronne de Hongrie-Croatie). Elles sont ainsi économiquement, culturellement et socialement
beaucoup plus dynamiques que les villes de l’intérieur.
Leur emplacement rend propice l’exercice d’une vive activité commerciale. Implantées à
l’intersection des voies maritimes de communication, les deux cités peuvent relier le Ponant au
Levant et permettent la jonction entre l’arrière-pays balkanique et la zone adriatique par les voies

681
terrestres. En plus de leur potentiel agricole, elles connaissent un fort développement de l’artisanat,
alimenté par l’arrivée continue et vitale des matières premières de l’arrière-pays valaque; s’y
ajoutent des activités spécifiques aux zones maritimes (salines et construction navale). De plus, le
littoral échancré de la côte adriatique orientale, constitué de nombreux archipels, favorise la
navigation à voile, la meilleure période étant comprise entre avril et octobre. Cette facilité de
circulation maritime justifie en grande partie la colonisation de cette côte par Venise pour assurer
son trafic jusqu'en Orient.
Le commerce des deux cités est animé par un corps de professionnels. Leurs modes
d’apprentissage, issus du droit coutumier médiéval, persistent durant la Renaissance. Les principes
sont identiques en Dalmatie, en Italie et dans l’Empire ottoman. Sur l’ensemble du corps artisanal,
la profession marchande offre, notamment, l’opportunité d’une ascension sociale rapide. Toutefois,
en dehors des négociants professionnels, la menée des affaires commerciales intéresse, encore au
XVe siècle, un large public, selon la conscience communautaire des intérêts publics, propre aux
communes « libres » médiévales. Ces hommes d’affaires ont à disposition des établissements
bancaires, détenus par la communauté juive. Les monnaies les plus usuelles circulent dans les
trafics zadarois et splitois, le ducat étant en tête. Elles permettent les manipulations financières les
plus variées (prêts à intérêts, lettre de change, conversion des monnaies et prise d’intérêts).
L’héritage des deux villes est important. La croissance économique du XIVe siècle est
fondée sur l’exploitation de sols fertiles, de ressources naturelles – notamment le sel à Zadar.
L’artisanat est développé et leur commerce s’appuie sur de nombreux accords économiques avec
des centres italiens et bosniaques (privilèges royaux ou intercommunaux des rabais douaniers, prêts
à intérêts aux Bosniaques à Split), tandis que les marchands, surtout zadarois, sont actifs de
l’Angleterre à la Roumanie. Au XVe siècle, tout bascule. L’indépendance politique est perdue au
profit de la République de Venise, les forces ottomanes désertifient le territoire dalmate et menacent
l’équilibre économique de la région. La conjoncture politique bouleverse ainsi l’ascention
économique et commerciale de Split et de Zadar. Les deux villes, précédemment intégrées au bloc
politique de l’Europe centrale, deviennent une sorte de zone tampon en Méditerranée.

Les contraintes
De 1409 à 1422, la République de Venise incorpore des villes et des territoires de Dalmatie
à son Stato da mar, assurant ainsi sa suprématie sur l'Adriatique, favorable au convoiement
maritime de son commerce. Leurs institutions administratives sont vidées de leur pouvoir exécutif
(nomination de fonctionnaires vénitiens à tous les échelons du gouvernement, réduction des
structures administratives). Les deux cités sont complètement intégrées au système politique et
économique de la République, avec une autonomie apparente dans la gestion des petites affaires

682
commerciales. Ces changements se font sentir par une série d'avis et de mesures concernant le
commerce au milieu du XVe siècle. Venise instaure des taxes et formule des normes de taille, de
poids de production de certains artisanats (boucherie, boulangerie et teinturerie). De plus, son
contrôle s’exerce différemment selon les types de production : elle monopolise la production et la
vente du sel et impose des normes restrictives de la construction navale après la crise de son propre
chantier naval.
Le premier équilibre atteint est rapidement perturbé par l'arrivée sur la scène géopolitique
des envahisseurs ottomans sur le territoire balkanique. Aux premières incursions turques dès 1415,
font suite trois grands conflits, durant lesquels la République perd un grand nombre de ses positions
stratégiques pour son économie. La frontière ne laisse aux possessions vénitiennes qu'une fine
bande de fortifications sur le bord de la côte et les îles dalmates. Malgré les traités de paix, cette
proximité directe de la présence turque maintient les villes dalmates dans une angoisse continue,
dans une atmosphère de conflits incessants, entretenus par les actions conquérantes des chefs turcs
locaux. Au risque de rompre l’équilibre économique des territoires épargnés par la guerre, les
populations des zones insulaires sont appelées à contribution pour remplir les rangs des galériens.
Dans ce contexte perturbé, Venise resserre sa politique économique sur ses possessions, en
concentrant la majorité de leurs productions vers son marché. La région dalmate doit le pourvoir en
matières premières, en métaux provenant de l'intérieur, en bois utilisé comme combustible ou
matériel de construction. Ces marchandises compensent l'inexistence d’entreprises manufacturières.
Avec la pacification relative des frontières, au XVIe siècle, l’étau se desserre. Venise, tout
en voulant concentrer sous sa direction le trafic de son domaine, stimule les échanges avec le
continent, en ne taxant pas le commerce terrestre. De sorte qu’elle ne bride guère le trafic des
produits agricoles, de l’élevage et de la pêche. En dehors du paiement des taxes et de la déclaration
des marchandises pour les bulletins d'autorisation d'exporter, ces matières premières ne sont pas
soumises à des restrictions particulières. Il en est de même pour les produits artisanaux. En
revanche, le contrôle des courants du trafic est plus pesant, selon l’identité des destinataires
(interdictions temporaires de négocier avec les ennemis de l’Etat, comme les ports de Croatie sous
l'autorité des Habsbourg).
En dehors des événements politiques, les conditions naturelles représentent les dernières
contraintes au trafic commercial (navigation irrégulière en hiver et possibilités de naufrage,
montagnes escarpées et enneigées, résurgences d’épidémies de peste). Par ailleurs, ni les caravanes,
ni les voiliers ne sont épargnés par les violences armées (apparition notable des Uscoques à partir
du XVIe siècle avec les courants de migrations bosniaques, brigandage).
Les contraintes se manifestent donc sur plusieurs plans : politique, économique et naturel.

683
Deux maillons intermédiaires du circuit commercial mondial
Sur le territoire même de Zadar et de Split, le potentiel agricole est réduit, suite aux
dévastations ottomanes. Néanmoins, les cultures traditionnelles perdurent et font toujours partie de
leur offre de marché. Dans les réseaux d’échanges circulent aussi bien des marchandises originaires
de l’intérieur des terres, les productions agricoles, d’élevage et de la pêche propres aux deux cités,
que des articles plus luxueux originaires d’Occident, voire d’Orient. L’analyse comparée de certains
articles exportés aux XVe et XVIe siècles montre clairement, cependant, le déclin du trafic splitois
durant les périodes de conflit. A partir de la fin du XVIe siècle seulement, les villes connaissent une
nouvelle croissance, beaucoup plus modeste toutefois que durant la période d’autonomie politique
et de paix. C’est que sur le plan géopolitique, les intérêts vénitiens et ottomans obligent les deux
Etats ennemis à des compromis. A partir du milieu du XVIe siècle, l’ingérence occidentale dans le
circuit méditerranéen contribue à ce que les deux puissances stabilisent leurs rapports politiques.
L’accalmie se répercute directement sur la situation en Dalmatie. Zadar et Split révisent leur
stratégie économique sur la reprise de la production agricole et du trafic terrestre. Ainsi, le port de
Split enregistre des départs en mer constamment tout au long de l'année (près de quinze à vingt
départs mensuels de 1504 à 1583, y compris en hiver).
Le commerce et les investissements en sociétés sont animés au premier chef par la
population locale. Toutefois, à l’intérieur des catégories socioprofessionnelles impliquées dans les
affaires, les acteurs changent. Au XVe siècle, les associations commerciales sont tenues en majorité
par les patriciens de la ville, les citoyens aisés et les artisans. Au XVIe siècle, la bourgeoisie évince
les artisans et les nobles des activités commerciales à l’échelle internationale. L’artisanat répond
désormais aux besoins de consommation locale et le patriciat se retire dans les investissements
immobiliers. Les gens du métier, les véritables mercatores, se distinguent incontestablement. Ils ont
suivi une formation, tiennent boutique et entretiennent un réseau ramifié, à l’aide de courtiers et de
points de décharge. L’implication affirmée des commerçants dalmates témoigne que Venise
n’exerce pas une économie de traite sur la région, tout comme dans ses possessions italiennes, et au
contraire du sort fait à l’Albanie vénitienne. Les hommes d’affaires sont regroupés en associations
comportant dans la majorité des cas deux membres (le socius et le stans). Elles durent le plus
souvent entre un à deux, trois ans, selon le but qu'elles se sont assignées. Pour les associations de
vente-achat de marchandises à l'étranger, nécessitant un déplacement, elles ne durent que le temps
du transport et du transit des denrées, soit moins d'un an a priori. Le fonctionnement de ces
societates, fondé sur les textes statutaires, suit l’évolution des pratiques en vigueur en Italie.
L’activité animée des marchands locaux n’exclut pas la participation d’autres ressortissants.
Les relations commerciales sont également soutenues par la circulation d’une multitude d’étrangers,
venus, à plus ou moins long terme, négocier en ville. La proportion des étrangers dans le commerce

684
zadarois s’avère plus faible qu’au XIVe siècle, suite au retrait, notamment, des Florentins,
concurrents naturels de Venise. Zadar accueille néanmoins des Italiens du Patrimoine de Saint-
Pierre, du Royaume de Naples, des Allemands, des Grecs et des Vénitiens. A Split accostent les
ressortissants de vingt-sept communes, de quinze ports dalmates, de quatre villes de l'Istrie et de
quatre centres de l'intérieur des terres, sans compter des Siciliens, des Catalans, des juifs et quelques
Turcs, en période de paix. A Split, contrairement à Zadar, la proportion entre les Splitois/Dalmates
et les Italiens évolue progressivement en faveur de ces derniers. Les commanditaires de voyage
originaires de la côte ouest l'emportent dès la seconde moitié du XVIe siècle.
Cette variété de nationalités témoigne de l'attrait des deux ports et donc d'une vie
économique relativement intense. La présence majoritaire des acteurs dalmates dans le commerce
atteste que les particuliers jouissent d’une autonomie relative pour s’engager dans les réseaux
économiques internationaux. Les étrangers, eux, contribuent à transmettre en ville les dernières
nouvelles commerciales, à élargir les possibilités d’échanges et à augmenter le volume du capital en
circulation. Ils interviennent également dans les enceintes mêmes des villes.
Face au fléchissement de la vie économique, les juifs sont notamment sollicités pour
l’ouverture de banques dès la fin du XVe siècle, renouvelant leur présence, attestée un siècle plus
tôt. La banque répond à la fois aux besoins des particuliers démunis et joue le rôle de moteur dans le
renouvellement du commerce, tout comme dans les centres italiens (à Venise et à Ancona
notamment). Des hommes d’affaires fortunés s’engagent aussi dans le rôle de financiers. Ils
emploient les techniques financières en vigueur en Occident et au XVIe siècle le circuit des lettres
de change se poursuit dans le cadre du crédit commercial. De 1390 à 1500, la concentration du
capital entre les mains d’un cercle étroit de familles marchandes les plus puissantes
économiquement devient l’une des caractéristiques de ce mouvement des investissements.
Cependant, le montant des capitaux investis chute, proportionnellement à l’inflation de la livre.
Ainsi, par rapport au début du XVe siècle, le capital total des investissements se réduit de plus de la
moitié en 1450-1500. En même temps que s’affirme la profession des commerçants, les modes de
répartition évoluent. Jusqu’à la seconde moitié du XVIe siècle, la grande majorité des sociétés
partage les bénéfices en parts égales entre les associés. Mais progressivement la distribution des
gains valorise le capital aux dépens du travail. Accentuant cette tendance, un nouveau système de
rémunération de l'investisseur se met en place, dans lequel le bénéfice du créancier (entre 6 et 8%
du capital engagé) ne dépend plus de la réussite de l'affaire. Le capital de ces sociétés est investi
dans six types d'activités, parmi lesquelles dominent celles qui sont consacrées au négoce (du vin,
de la laine et du bois en premier lieu) et à l’artisanat. Le commerce extérieur se partage entre le
trafic terrestre et le transit maritime.

685
Le trafic terrestre est animé par les arrivages constants des caravanes bosniaques et par
l’approvisionnement saisonnier des Valaques. En deux siècles, les Dalmates pénètrent de moins en
moins le territoire balkanique. Avec l’unification de la péninsule sous la puissance ottomane, ils
sont supplantés par les marchands ottomans, au départ de leurs bazars, tels des relais disséminés sur
l’ensemble de l’Empire. Les échanges avec l’arrière-pays valaque (produits d’élevage en premier
lieu) sont quotidiens, tandis le commerce au long cours pourvoie les ports de Zadar et de Split en
blés et en produits artisanaux turcs. Ce trafic charrie un volume important de marchandises et son
intérêt économique est essentiel à la vie de toute la région dalmate. Les surplus sont ensuite
redistribués par voie de mer.
Le commerce maritime représente l’orientation économique la plus lucrative.
Indépendamment des restrictions vénitiennes de construction navale, les hommes d’affaires
emploient aussi bien des navires locaux (jusqu'à 300 tonnes au début du XVIe siècle), qu’ils
chargent leurs marchandises sur des navires étrangers. Ainsi au XVIe siècle, une vingtaine de
modèles différents sont en partance à partir de Split. Hormis les barche – terme générique pour tout
type de voilier, les chargements fréquents sur des navires de taille modeste alimentent la circulation
en mer fermée et le trafic le plus usité de cabotage. Les grands voiliers sont rares. Les grips et
esquiraces circulent le long de la côte adriatique jusqu’aux îles ioniennes et égéennes, les brigantins
transportent des chevaux vers sottovento. A l'extrême fin du XVIe siècle, la frégate, navire armé,
apparaît dans les eaux adriatiques, signe des temps incertains, en réponse aux corsaires chrétiens
(les Uscoques) et turcs.
Au cours du XVIe siècle, les destinataires des exportations splitoises et zadaroises se
diversifient, marque du dynamisme des deux villes. Parmi les partenaires commerciaux, certains
sont significatifs pour leur production agricole et d’autres complètent l’offre du marché avec leurs
articles manufacturés. Split distribue ses marchandises vers une huitaine de marchés commerciaux
répartis sur l’ensemble de la mer Adriatique; des départs débordent de ce cadre vers les mers
ionienne, égéenne et méditerranéenne jusqu’en Sicile et en Orient. De la fin du XVe siècle à la fin
du XVIe siècle, l’importance des centres importateurs change. Durant la fin du XVe siècle et le
début du siècle suivant, Venise draine vers elle plus de la moitié de la production splitoise, selon sa
politique de contrôle du marché de ses colonies, pour approvisionner en priorité sa population. Puis,
durant la première moitié du XVIe siècle, alors que le volume des exportations augmente avec la
stabilisation politique, Venise n’importe plus qu’un petit tiers des marchandises splitoises. Les
autres places commerciales italiennes sont les bénéficiaires de ce renversement de tendance et
prennent une importance croissante. A la fin du siècle, toute la côte italienne orientale (sous
l’appellation de sottovento) reçoit entre 56 et 60% de l’ensemble des exportations de Split.

686
Ces changements reflètent les modifications survenues dans le grand commerce
international. Vers la fin du XVIe siècle, la Méditerranée n’est plus le centre commercial le plus
actif. La part de Venise par rapport au commerce global décline. La navigation au long cours dans
les eaux atlantiques et du Pacifique supplante le réseau méditerranéen. La République peine à
contrôler sa chasse gardée, le « Golfe ». Les autres puissances frontalières, l’Autriche, Etat papal et
l’Espagne contestent sa prédominance et instaurent des ports francs en Adriatique pour stimuler
d’autres circuits commerciaux.
L’Italie demeure le marché le plus représentatif du circuit maritime. Les ports de Split et de
Zadar communiquent directement avec vingt-quatre centres italiens. La participation des
commerçants dalmates aux foires italiennes leur permet de ramifier leurs échanges économiques sur
l’ensemble du territoire italien, voire au-delà vers le nord de l’Europe. Grâce à la connaissance des
techniques financières en vigueur, les entrepreneurs dalmates pénètrent les marchés les plus divers,
déjouant dans le même temps les interdits vénitiens et tirent parti du « transito per sottovento ». Ils
y exportent des matières premières (bitume), des produits agricoles (figues, céréales selon la saison,
vin, huile), d’élevage (fromage, cire, peaux et fourrures, puis les chevaux) et de pisciculture
(sardines et maquereaux), des produits artisanaux (la rasse retravaillée, les schiavine et les
chandelles). En retour, les draps de luxe et autres marchandises de prix affluent. Face au peu
d’intérêt des Italiens envers le trafic des Balkans, a fortiori en temps de conflits armés, les Splitois
et les Zadarois échangent les marchandises « turques » de l’intérieur contre des produits de luxe et
des céréales. De sorte que le réseau dalmate, de transit en transit, se ramifie au-delà de la péninsule
italienne.
La pénétration des autres zones économiques (Istrie, Empire ottoman, Levant) est plus
faible. Seul le Littoral croate représente un intérêt économique plus important (localisation
privilégiée, à l’intersection de plusieurs Etats, arrière-pays riche en matières premières, foires
saisonnières). Zadar et Split y exportent les produits en provenance de leur arrière-pays montagneux
et des localités ottomanes, et en importent des matières brutes (fer et produits ferreux, bois de
construction). Les échanges sont les plus actifs en périodes de foires, permettant ainsi aux
commerçants dalmates d’acquérir les productions de l’Europe centrale acheminées par voie de terre.
Mais, en raison de l’aggravation de la situation politique dans cette zone de l’Adriatique et suite à la
Ier
réorientation du réseau réseau commercial stimulé par Ferdinand , le volume de ce trafic
s’affaiblit. De sorte que les conflits politiques et d’intérêts économiques qui opposent la couronne
d’Autriche à Venise s’avèrent beaucoup plus efficaces que les interdits vénitiens du XVe siècle. La
péninsule balkanique (les ports bosniaques, les « pazars » et surtout l’estuaire de la Neretva)
demeure l’un des soutiens primordiaux de ces échanges. Les marchands dalmates contribuent à
redistribuer les matières premières importées par les Valaques. Avec la pacification du territoire à la

687
fin du XVIe siècle, les marchands de l’Empire s’impliquent davantage dans le réseau méditerranéen
occidental par le biais des communes dalmates. Les îles ioniennes et égéennes sont surtout
demandeuses de poissons (sardines), en échange de vin de Malvoisie ou de raisins secs. L’Orient
apparaît en filigrane pour un approvisionnement en épices.
Les retombées fiscales des échanges de transit sont déterminantes. La totalité du trafic
commercial zadarois rapporte en moyenne près d’un cinquième des recettes communales. Du début
à la fin du XVIe siècle, ces dernières doublent presque, tandis que les dépenses sont tributaires des
conflits armés. Aux chutes de revenus enregistrées après les guerres succèdent des reprises rapides.
Néanmoins, la croissance économique de Zadar à la fin du XVIe siècle ne fait aucunement pendant
à la prospérité que la ville a connue à l’époque de son indépendance politique, au XIVe siècle. En
effet, via sa Chambre fiscale, Venise accapare les principales sources de revenus (le sel de Zadar,
les chevaux de Split) au détriment des centres dalmates. Aussi, pour accroître leurs recettes, les
villes dépendent de l’amélioration des contacts économiques avec les territoires balkaniques de
l’intérieur, amélioration qui a lieu après la guerre de Chypre. L’économie grise, ou encore la
contrebande, est l’autre réponse aux contraintes imposées par la République : elle fleurit et implique
aussi bien les entrepreneurs locaux que des hommes de mains italiens et des corsaires qui disposent
de la sympathie d’une population frustrée par les conflits. Même si le volume financier total de cette
forme de commerce ne peut être estimé, son impact n’est pas négligeable et touche tous les
domaines (contrebande de produits agricoles, d’élevage et artisanaux, voire d’armes prohibées).
Cette contrebande ne connaît pas de frontière et « complète » les réseaux traditionnels d’échanges.
Prise dans son ensemble, la ponction économique et fiscale vénitienne n’est pas tragique. En
effet, les revenus dalmates par habitant se situent entre ceux des villes italiennes de la Terra ferma (où
l’on trouve des entreprises manufacturières) et ceux de l’Empire ottoman voisin (où l’activité agricole
domine). Au milieu du XVIe siècle, Zadar, capitale politique de la Dalmatie, possède un revenu par
habitant légèrement supérieur aux autres villes, supplantée seulement par Hvar. Le niveau de ces
revenus résulte à la fois de l’héritage économico-politique de Zadar et de Split et du contexte
défavorable à l’épanouissement économique. La situation politique sur le continent a fragilisé la part de
leurs activités dans le secteur primaire. Mais cette part est partiellement compensée par la production
agricole et d’élevage des zones insulaires. Leur industrie manufacturière est presque inexistante
(artisanat local et arsenaux), en raison du manque d’intérêt vénitien pour investir dans cette branche
(financement en premier lieu des fortifications de guerre et absence de nécessité économique pour
Venise). De sorte que l’économie de Zadar et de Split repose sur l’évolution du secteur tertiaire, plus
précisément sur leur trafic commercial, c’est-à-dire sur son héritage antérieur des réseaux d’échanges
établis de longue date. Ce commerce s’adapte à l’évolution de la situation. Après une période de
récession (baisse du volume des marchandises échangées et des revenus communaux) fait suite la
pacification des relations avec la Porte. Les marchés se diversifient alors, les acteurs étrangers

688
s’engagent en plus grand nombre, le volume des échanges croît. De même, le contrôle plus sévère des
eaux adriatiques avec les galères armées commanditées par Venise sécurise le trafic maritime et
encourage les entreprises commerciales.

Ports de transit en mer Adriatique, en contact avec les autres plaques tournantes du
« Golfe », Zadar et Split disposent d’une ouverture inouïe sur de nombreux marchés maritimes et du
continent. Dans la longue durée, héritières des réseaux établis dès le haut Moyen Age, elles servent
ainsi de maillon intermédiaire essentiel dans le grand commerce méditerranéen. La conjoncture
politique défavorable des XVe-XVIe siècles contribue seulement à réduire fortement le volume des
marchandises, mais la logique des mouvements commerciaux demeure la même. Si Venise en soi
représente un marché énorme, les commerçants dalmates et leurs « sympathisants » étrangers
continuent de s’adresser à leurs partenaires économiques connus de longue date, déjouant les
interdits vénitiens pour échanger leurs denrées complémentaires, tout en ravivant leur savoir-faire
technique des affaires. Cette économie aux potentiels importants mais de modeste envergure est
donc exclusivement le fruit des efforts locaux, adaptés aux contraintes de l’époque. Bien que les
villes de Zadar et de Split doivent faire face à la domination vénitienne, à l’ouest, et à la montée en
puissance de l’Etat ottoman, à l’est, leur économie se nourrit en continu du rôle d’intermédiaire
indispensable qu’elles jouent dans les échanges entre l’Occident et le Levant. Le « no man’s land »
est une fiction politique mais non une réalité économique.
C’est pourquoi, ce rôle d’intermédiaire est précisément sollicité dans le projet d’escale de
Split (cette ville étant la plus engagée dans les relations avec la Bosnie continentale). Toutefois, le
niveau des engagements diffère : dans le cadre local, Split est un port actif qui investit ses propres
ressources économiques et ses hommes; sur le plan international, Split est un centre de transit
passif, tributaire du capital extérieur et le réceptacle d’un circuit commandité par des puissances
politiques étrangères, au même titre que le port de Zadar pour le trafic du sel, tenu essentiellement
en mains par le gouvernement vénitien. En ce sens le projet d’Etat, l’escale, atteint un rang
international de grande envergure. Il alimente les intérêts des deux puissances et interfère
partiellement dans la vie économique propre de la commune. Le commerce spécifiquement splitois
et zadarois, se déroule au niveau « local », avec des ramifications qui débordent le cadre adriatique.
Il engage les partenaires traditionnels des deux communes et bénéficie tout au plus du changement
de la conjoncture générale. Ces échanges commerciaux se poursuivent et permettent de remplir les
caisses communales. Lorsque décline, au XVIIe siècle, le rayonnement économique international de
Venise, elle-même victime du déplacement des échanges commerciaux vers l’ouest, tout laisse à
penser que le commerce de Zadar et de Split poursuit son rôle d’intermédiaire dans les eaux
adriatique et méditerranéenne.

689
690
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

691
SOURCES INEDITES
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Državni Arhiv u Zadru (Archives Nationales de Zadar - DAZd)


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d’embauche d’apprenti, procurations, accords de prêts.
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– Joannes Morea (1545-1570), B. I, F. I/1-4.
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– Nicolaus Drasmileus (1530-1539), B. I, F. I-II.
– Nicolaus Ho de Cremona (1433-1436), B. I.
– Petrus Perençanus (1365-1392), B. I, F. II.
– Petrus de Serçana (1375-1410), B. II, F. I-XIII
– Presbyter Matheus Salassich (1400-1405), B. I, F. II.
– Simon Corenichius (1509-1536), B. I, F. XI-XIII.
Registres des Comtes : procès civils et communaux (accusations de traîtrise, de brigandage,
déclarations de naufrage, lutte contre les contrebandiers et les Uscoques).
– Atti del conte di Zara Bartholomeo Paruta (1579-1580), B. unica.
– Atti del conto di Zara, Marc Antonio Contarini (1528-1531), B. I, F. II.
– Atti del conte di Zara Pietro Marcello (1518-1521), B. I-II, F. II-III.
– Atti del conte di Zadar, Antonio Civran (1551-1553), B. unica, libri n° 311.
Divers :
– Curia Consulum et Maris, notarius Theodoro de Prandino, B. II, F. 7, 9 : accords de société pour
des voyages maritimes, procès à propos de convoiement maritime de marchandises, du non
paiement des nolis, ventes de navire.
– Ljubićeva ostavština (Leg de Ljubić Šime), boîte 6 : textes privés narratifs de la situation politique
ou économique en Dalmatie au XVIe siècle.
– Regesta pergamenta arhiva porodice Fanfogna (Gargagnin) (Registre des parchemins des
archives de la famille Fanfogna), arrangement J. Stipišić : descriptions privées ou officielles
de la vie politique et économique en Dalmatie aux XVe et XVIe siècles.
– Spisi obitelji Matafar (Actes de la famille Matafar), boîte I, B. I.

Splitski arhiv u Zadru (Archives de Split à Zadar – Sp. Ar.)


– Atti che rigardano la confisca dei beni pronunziata in uno al bando perpetuo dei sotto nominati
con sentenza 15.II.1583 (....), boîte 119, B. 124, F. I.
– Cesar Massari de Baro contra Palmantoniam Vaneti de Baro., boîte 119, B. 124, F. XV : litige
autour d’une vente de chevaux.
– Incantus datii XXXmi cum deliberatione del comte et capitaneo Hieronymo Bernardo, boîte 36,
B. 48, livre I, F. 4 : locations du bail de la taxe du trentième contenant les tarifs, les délais et
les nouveaux baillis.
– Libro del datii, Nicolo Correr conte e capitaneo Spalati (1581-1583), boîte 116, B. 122, F. VIII :
locations des baux des taxes urbaines avec les tarifs, les délais et les nouveaux baillis.
– Proclamationum liber unicus di Nicolo Correr dal 21.XII.1580 al 23.V.1583, boîte. 166, B. 122,
F. II : nouveaux décrets complémentaires au Statut de Split et repport de certaines ducales.
– Notarius Johannis de Ancona, vol. Ia, F. 40 : actes privés de ventes, d’accords de sociétés.

692
– Proclamationes comitis Hieronymo Bernardo comitis et capitaneus Spalati, boîte 36, B. 43, lib. I,
F. II : nouveaux décrets complémentaires au Statut de Split et repport de certaines ducales.
– Textes examinates ad futuram memoriam ad instantiam Vincentium Trivisani (…), boîte 103, B.
110, F. XIV : description la plus complète d’un naufrage.
– Contraliterre (ou encore Bulette) : déclarations pour la douane maritime de Split, contient, le plus
souvent, la date de départ, le nom du réclamant, le nom du transporteur, les articles
transportés, leurs quantités, leurs destinations, voire, leur provenance et au nom de quel(s)
autre(s) commanditaire(s) le voyage compte être fait.
- Boîte 36, B. 48, F. I (1503-1504).
- Boîte 41, B. 52, F. 4 (1511).
- Boîte 49, B. 60, F. 6/II (1515-1517).
- Boîte 59, B. 66, F. 7/IV (1523-1526).
- Boîte 67, B. 74, F. 7/IV (1528-1530).
- Boîte 96, B. 103, F. 17 (1557-1560).
- Boîte 116, B. 122, F. 6 (1580-1583).
- Boîte 141, B. 137, F. 23 (1594-1597).

Opčina Trogir (Commune de Trogir - OT)


Grañanski spisi trogirskih knezova (Actes civils des comtes de Trogir) :
– Conte Nicolo Priolo, Bulletarum primus, B. VIII, F. III.
– Conte Matheus Pizzaman, Bulletae primus, B. IX, F. XII.

Državni Arhiv u Dubrovniku (Archives Nationales de Dubrovnik - DADb)


Descriptif des prises de contrebande de vin avec leur provenance.
– Contrabanti de vinii 1512-1520, B. XVII/1.
– Constituum contrabandi vini, B. XVII/3 (sondage jusqu’au f° 65 sur 128).
– Libro offitiali contrabando del vino 1550-1554, B. XVII/5 (sondage jusqu’au f° 260 sur 273).

Archivio di Stato di Ancona (ASAN)


Atti notarile
– Marchetti Tommaso (1425-1458), ACAN n° 114, B. II, F. V-VI, B. III, F. VII-VIII.
– Antonius Johannis magister Jacobus de Ancona (1444-1497), ACAN n° 72, B. I, F. I-XII.
– Ludovico di Girolamo Morini (1560-1572), ACAN n° 915, B. unica, F. I-II.
Doana
– Cartolario de doana tenuto per Iulio Lioni della essi finito antimo adoto. Da di 21 Maggio 1551
sino à ultimo Agosto, ACAN n° 126.
– Il Quarto 1562 da primo marzo 1562 sino al ultimo agosto, ACAN n° 1573.
– Il Quarto da primo marzo 1563 anno a ultimo agosto, ACAN n° 1574.
Divers
– Sopra la fiera di maggio de Ser Angilo cancelario 1493 insino 1503, Capitoli della Franchigia
per la Fiera di maggio, f° 1-47’, ACAN n° 2772.
– ACAN, Pergamen n° 20 et 22 (14.X.1519, 09.X.1520).
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706
ANNEXE

707
TOPONYMIE

I. Toponymie italienne-croate/française Lussin grande/piccolo (Kvarner) : Lošinj


veliki/mali
Albona (Istrie) : Labin
Melada (Zadar - Dalmatie) : Molat
Antivari (Monténégro) : Bar
Melada (Dubrovnik – Dalmatie) : Mljet
Arbe (Dalmatie) : Rab
Molonta (Dubrovnik -Dalmatie) : Molunat
Arsa (Istrie) : Raša
Narenta (Herzégovine) : Neretva
Articono (Zadar - Dalmatie) : Tkon
Neume (Herzégovine) : Neum
Barulo (Italie) : Bari
Nona (Zadar - Dalmatie) : Nin
Berserzio (Istrie) : Brseć
Orsera (Istrie) : Vrsar
Bianca (Boka Kotorska - Monténégro) :
Ossero (Kvaner) : Osor
Bjela
Pacoschian (Zadar - Dalmatie) : Pakoštan
Biesti (Italie) : Viesti
Pago (Dalmatie) : Pag
Bocche di Cattaro (Monténégro): Boka
Parenzo (Istrie) : Poreć
Kotorska
Pedena/Perimano (Istrie) : Pomer
Bos(s)ina : Bosnie
Perzagno (Boka kotorska - Monténégro) :
Budua (Monténégro) : Budva
Prčanj
Brazza (Dalmatie) : Brač
Pisino (Istrie) : Pazin
Bucari (Littoral croate): Bakar
Pola (Istrie) : Pula
Bucarizza (Littoral croate) : Bakarac
Polissane (Zadar - Dalmatie) : Poličnik
Capocesto (Šibenik - Dalmatie) :
Provicechio (Šibenik - Dalmatie) : Prvić
Primošten
Quarnero/golfo di Fiume : Kvarner
Capod(h)istria/Iustinopolis (Istrie) :
Ragusa (Dalmatie) : Dubrovnik
Koper
Sabionecello (Dalmatie) : Pelješac
Castel Nuovo (Dalmatie) : Kaštel Novi
Salona (Split - Dalmatie) : Solin
Castelnuovo (Herzégovine) : Herceg Novi
San Giorgio (Hvar - Dalmatie) : Sućuraj
Cattaro (Monténégro) : Kotor
Sasso (Zagora dalmate) : Kamen
Chebo (monte)/Cherso (Kvarner) : Cres
Sauro (Zadar - Dalmatie) : Savar
Chersano (Istrie) : Kršan
Scardona/Scrissa (Dalmatie) : Skradin
Choynica/Qoenica (Bosnie) : Fojnica
Scordo (Zadar - Dalmatie) : Škarda
C(h)oz/ca (Bosnie) : Foča
Sebenico (Dalmatie) : Šibenik
Chrovaza : Croatie
Segna/Signe (Littoral croate) : Senj
Cliuno (Bosnie) : Livno
Seraglio (Bosnie) : Sarajevo
Cittanova (Hvar - Dalmatie) : Novigrad
Selve (Dalmatie) : Silva
Cittanova (Istrie) : Novigrad
Sottovento (Italie) : côte orientale de
Cittavecchia (Hvar - Dalmatie) : Starigrad
l’Italie hors du territoire de Venise
Clissa (Zagora dalmate) : Klis
Spalato (Dalmatie) : Split
Corasda (Bosnie) : Goražde
Stagno (Dubrovnik - Dalmatie) : Ston
Corcyre/Corphu (Grèce) : Corfou
Teodo (Boka Kotorska - Monténégro) :
Co/urzola/Corzolla (Dalmatie) : Korčula
Tivat
Dolcigno (Monténégro) : Ulcinj
Tersa (village zadarois) : Trčci
Este (Zadar - Dalmatie) : Ist
Tinino (Zagora dalmate) : Knin
Eso (Zadar - Dalmatie) : Iž
Trau (Dalmatie) : Trogir
Fianona (Istrie) : Plomin
Ulbo (Zadar – Dalmatie) : Olib
Fiume (Kvarner) : Rijeka
Unie (Zadar - Dalmatie) : Unije
Galignano (Istrie) : Grožnjan
Valdinoie (Littoral croate) : Valdinose
Guasto (Italie) : Vasto
Valforno (Rijeka - Kvaner) : Pećine
(H)Istria : Istrie
Veglia (Kvarner) : Krk
Lagosta (Dalmatie) : Lastovo
Zan Pontello (Zadar - Dalmatie) :
Leme (Istrie) : Lim
Zapuntel
Lesina (Dalmatie) : Hvar

708
Zara/Jadra (Dalmatie) : Zadar Zuri (Šibenik - Dalmatie) : Žirje
Zaravecchia (Dalmatie) : Biograd na more

II. Toponymie italienne/albanaise


Alessio : Lezhë
Arzena : Erzen
Boiana : Büne
Caolachi/Cavlachi (Durrës) : Kao Lagit
Cavalla : Kavajë
Cimara : Himarë
Croia : Krujë
Durazzo : Durrës
Itsmo : Ishm
San Giovanni di Medua : Shën Gjin
Santi Quaranta : Serandë
Scutari : Shkodër
Saseno : Sazan
Valona : Vlorë
Voiussa : Vijosë

709
GLOSSAIRE

I. LEXIQUE MARITIME*

anthena (antenna) : vergue maderi per barcha : madier, grosse


arbor : mât planche
arpigono (harpagono) : gaffe mar : poutre qui repose sur les contreforts
batello : canot de sauvetage du navire pour soutenir le pont supérieur
brissoli (brasicum ?) : bois pourpre ? et qui est à la limite d’immersion.
caldarius : chaudron mezani : voile mise à la poupe du navire
campus : surface marine orcia (orca) : cordage pour la voile latine
cano (canus) : baguette, vergue paiolis (pagliulo, pagliolo) (mar.) : bois de
cartelli barche : fût plancher
cathena : chaîne palmeta (palmentum ?) : étage
celege : bâches de navire proda : proue
centa (centum) : ceinture, bande rampogono : ancre
chaiba : panier sur le mât du navire renes (renus pro remus) : rame
coperto : ponté resto (restis) : cordage
cordelli : cordelle sarrie (sario ?) : sarcler, sarclage
corellus (ital. coretto ?) : partie de scalarum (scala) : échelles
l'armature ? sinnorum (sinus) : pot, cruche
çargaulo (argola) : barre de gouvernail stuppa calcatum : étoupe
falca : falque talcarum (talearum) : contrefiche
feris (fersis ?) : partie de voile/(ferrata ?) : timonio : gouvernail
grille en fer tinarius : tonneaux
ferro : arme vaxellorum : flammes
fora dela barche :- fuoribanda (mar.) : il vergue : vergue de navire
lato esterno della nave zelega (celega) : bâche de navire
- forca (mar.) : fourche de carène
frustris (frustum) : partie
fucas : hune du mât
fulcinitis : munitions
fundus : type de charge pour la navigation
funis : cordage, amarre
furchas : sustème (mar.); tolet mobile
fusta : navire à deux rames, rapide
gomena : corde d'ancre, fort câble
lançana (lancana) : gros câble
libano : amarre

*
Le terme de gauche est celui qui est trouvé dans le
texte. Le mot entre parenthèse est la forme
nominative du latin ou de l’italien. Le terme suivi
d’un point d’interrogation est la racine supposée du
mot initial, lorsque la traduction directe n’a pas été
trouvée. Certains ustensiles faisant partie de
l’équipement à bord sont également inscrits dans
cette rubrique. Mar. : abréviation de maritime,
lorsque le terme a plusieurs sens dans des domaines
différents.

710
II. Marchandises*
a refuso : terme désignant une quantité indéfinie, « en vrac », généralement employé pour le
compte d’articles abîmés, de moindre valeur, avec des tares. Parfois des équivalences en
unité de masse sont données, mais elles varient beaucoup.
crude : non traité
conze : apprêté
salade : salé, en saumure
secho : non en saumure
1) Les animaux, le bétail
animali grossi : gros bétail
animali minuti : petit bétail
bovine : boeufs
bui/boi (bo) : boeuf
capre : chèvres
castradi : châpons
castrani : béliers châtrés
cavalli, giumenti - paripi (turc), polendro – puledro : chevaux, juments, poulains
chunicula/um (cuniculus) : lapin
galina : poule
mandrie : bétail
manzi et vedelli (vitello) : génisses et veaux
mulla : mulle
porco, sues : porc
roncino : petit cheval de montagne
somaro : ânesse
vachetta : petite vache

*
Les termes de type fu/oine donnent les deux ou trois orthographes trouvées dans les sources (fuine, foine). Ital.
= italien, vén. = dialecte vénitien, cro. = croate - et plus généralement slave, dalm. = dalmate, tosc. = toscan,
hong. = hongrois. Pour les termes problématiques figurent les quantités avec lesquels les marchandises sont
déclarées. Ainsi, pour un mot dont le sens ne devrait pas poser de problème, l’unité de compte employée
complique l’interprétation; ou à l’inverse, la quantité simplifie la compréhension du sens d’un terme peu connu.
2) Les produits d'élevage
manzi : peaux de génisse
agneline : peaux d'agneau Lorsque cet article est transporté dans des
bechine : peaux de caprin balles, il désigne la peau et nom l’animal
beti/ane (beta ?) : peaux de laine d'agneau mazi de montonine : intestins de moutons
vulgairement appellée beta mel : miel
boldroni : toisons complètes de jeune montonine : peaux de mouton
mouton pelle di manzo, bechine, bovine, capreto,
bovine : peaux de bovidé etc. ... : peau
carne - salade : viande - salée persuiti (dalm. persuto) : jambon fumé
cascavali : fromage sec de Macédoine rixi (cro. ris) : fourrures de lynx rouge, dit
caseus : fromage loup cervier
cera : cire salume : charcuterie, ou encore « en
chori(um) : cuir saumure »
conine : peaux de conin ou conil (lapin) schenali (ital. schiena) : peau réalisée à
cordo(v)ani (cordoano) : cordouan, tissu partir de la peau dorsale du bœuf
oriental ou espèce de cuir de chèvre schenal : schienale (la middola spinale del bue
originaire de Cordoue ou de Perse macellato); spalliera [E. Rosamani, Vocabolario
curii (curio) : fourrures d’écureil Giuliano, 967], schena, schina (ital. schienale) :
corium ex dorsuali bovis pelle confectum [M.
b/v/folpe : fourrure de renard Kostrenčić, Lexicon latinitatis, vol. II, 1050]
formaggio/zo : fromage sevo : suif
fu/oine : fourrure de martre sonza di porco : graisse de porc
gati : fourrure de chat sauvage tergora bovine : dos de boeuf
ircinas : cuir de bouc terzarole : ris (de veaux)
lana : laine tosone : toison
lo/ludre : peaux de loup

3) Les produits de la mer


agui (belone acus) : aiguille, orphies
cevole (cevule) : type de poisson marin, (ital. cefalo) : muge, mullet
girize salade : picarels en saumure
menole : picarel
palmide salade : (palamite) : palangres en saumure
pesci saladi : poisson salé
rete : filet de pêche à suspension
salpa : saupe
sardelle : sardines
sc/gombri, scussi : maquereaux
scoranza (vén.) : poisson d’eau douce, la bogiana, similaire mais plus grand que la sardine
suri : chinchard
tonina : thon
tracta : filet de pêche à traction
zgirol : picarel commun

4) Les produits agricoles


blade : blé
abatis (per li masteli) : avoine
braza otruento : houblon
aceto/asedo : vinaigre
carobbe : caroube
agio : oignon
cera : cire
agresta : - aigret, raisin aigre; verjus
civoli/ciuoli (vén. civola) : oignon
cytroni : citron olive : olive
faber, fave : fève oreze, ordei, orzo : orge, céréale
farina : farine rizo, risi : riz
figi/hi : figue pomi granadi : pomme grenade
formento : froment pirias (pirarus, pirus) : poire
lano : lin salata : salade
mandole : amande segala : seigle
maraska : marasque, petite cerise aigre semenza de lino : semence de lin
megio : espèce de blé tritello : son
mellis (mellissa) : mélisse veno : avoine
naranza (cro.) : orange vino : vin
nose : noix vun passa (uva) : raisin sec originaire de
ogio/lio : huile Corinthe

5) Les produits artisanaux


a) L'habillement
barete : sorte de coiffe majata a la grossa : - maia (vén.): maillot
baxete : sorte de sandale à manche courte; chemise, tissu
biretus : béret confectionné de fil de fer
calegne bombice : chausses en coton maneghe (manigae pro manicae) : gants
capelli : chapeau opanchi (cro.) : sabot
cenge : ceinture passize : ceinture d’origine turque
centure turchesche : ceinture pilei : bonnet de feutre ou de laine
cizme (turc) : botte puste (dalm. pus’cia) : pannolino in cui si
correli (corellus) : ornement avvolge il neonato dalla testa alle braccia
écclésiastique; veste (militaire); tunique (ital. busto) : partie de vêtement féminin,
duliman (dolman) : Una veste con le corset
maniche strette, conbusto stretto et con le rassa (rasea) : type de chemise frustre
falde lungue insino ai piedi et folderata di saggio : vêtement en damas noir
tela con cinture d’alto a basso imbottita, la scarpe/starepe : chausses
quel veste chiuggon davanti con sei scui(v)alli/strualli/stivalli turcheschi :
bottoni; plus généralement le terme (ital. stivalle) botte, demi botte – turque
«duliman» est attribué à toutes sortes de serabullas : mocassin
casaques [U. Tucci, Lettres d’un marchand, 352] straciarie : chiffons
fazoli longhi : ruban long, mouchoir stringe (stringulum) : agrafe, fermoir,
galbanichi (gabanus) : manteau, pèlerine broche
gonela : robe so(t)tolares (subtalares) : soulier
guaro de pano basso : guarnazo ? long zobanus : veste fourrée réversible en
manteau, pélerine futaine

b) Le textile
bambaso (bombax) : coton; toile entre laine et lin
bisinelle (bisso) : type de toile fine
canavazi (tella canabina) : canevas
cimadure de pano (cimatura) : taglio livellato del pelo di uno tessuto, il pelo tagliato
covertori da cavalli : couverture pour cheval
feltri (da cavallo) : feutre (couverture pour cheval)
filadi de bambaso : fil de coton
fustagno : futaine
gramaza meza conza (gramaglia) : drap de deuil

713
panno : drap
rassa : toile frustre de l'arrière-pays dalmate
sarza/sargha biancha : (vén.) laine tissée, serge
scarlatane: toile proupre
schiavine : couverture, toile épaisse
tella (velum) : toile
zambelotti : camelot, étoffe à longs poils de chèvre ou de chameau

c) Les ustensiles fiaschi (fiasca) : gourde (bombone


(r)aguzzi/di : clous régimal)
- piccoli, da mager, gondolini, latte candelle : chandelier en fer blanc ?
cinquantini, de sexina mastelette istriani : (ital. mastello) :
bisace : besace baquet
botiro : bouchon ? metalo canipaze : récipient métalisé
briglia da cavallo : bride pasinati (passin) : passoire
candelles : chandelle pignatti (vén.) : marmittes
canipatio : cordage en chanvre ramines : marmittes, casseroles
ceriole (cereolus) : cierge pour église sachi/e : sacs
chaldiera da pegola : four à chaux sachetti : sachets
chiodi : clé sporti : corbeille, sac
clavi : clous tassi : tasse
cisane (cisalia, cisellus) : cisailles tinaci (tina) : récipient en bois, tonneau,
coltre (coltrone) : couverture (piquée), cuve
housse, édredon tinos (tinozza) : vase à vin
concha de rame : vase de cuivre vasseline (vasselame) : groupe de vases
concha de legno : bassin, cuve en bois pour l’usage de la table à manger
corcha : cruche vuol : tamis ?
cortelli : couteau zare de rame : jare de cuivre

d) mobilier carta reme : plaque de cuivre ?


doge d'albeo : douve, pièce longue du cartello : feuille de papier
tonneau ceperum (ceppum) : bûche
fondi : fond de tonneau corde : corde
macelli : tables de boucherie (art de la cupelli (cupa) : tuiles
boucherie) cusini : coussin
massaritie : mobilier formelle pichole de cera : petit moûle,
mazarole (mazarol) : petit tonneau caisson de cire
piastre large : plaque frena ab equo : frein (mors ?)
remi : rame guado : guède
seli : (sella) selle guasto – in coveri (guazzo) : gouache
scove (vén.) : balai ligadi : bois, cordage ?
tavole : planche mastello : abreuvoir
traves parvos : poutre, solive morga de oio (morchia) : fond, dépôt
travocelli : poutre d’huile
vomer : soc, bêche; petorali da cavalli : protection ventrale
e) divers pour les chevaux
arma : armes pignate (pignetta) : pot; brique creuse
azali fazi : moules d’acier piuma : plume
rescias (liscias) : instrument pour lisser le
celadia : gelée cuir

714
senelato (vén. senela) : sorte de filet de vistus (vista) : urne
pêche zoe : joug pour le boeuf
scimitara : cimeterre

6) Les matières premières brutes


argentum : argent
auro : or
ferro : fer
guado : guède
lignum/legnam(in)ne : bois, matériel en bois ouvragé
marmaris : marbre
morello : bois pour la construction navale aux dimensions qualibrées
oripimento : oripiment
pegola : bitume naturel
piombo : plomb
rame : cuivre
salnitre : nitrate de potassium

7) Les produits manufacturés, de luxe


samito : samit, étoffe blanche verte ou
canielle : canelle
rouge de soie épaisse, cousue d'or et
carisea : carisé, étoffe d’origine anglaise
d'argent, portée uniquement par la
(kersey), faite de déchets ou de reste de
noblesse et ornée de broderies
soie
seta : soie
cassia : branche de cassier
tur (tus, turis) : encens
ci/omin : cumin
veri : verre
margareta : perles
zaffran : saffran
mino : rouge, vermillon ?
zuchari : sucre
III. Corps de métier, professions

Apotecarius : apothicaire, pharmacien ars apotecaria/statio apotheca : pharmacie


Arcivesovo : archevêque
Aromatorius : épicier aromateria : épicerie
Aurifex : orfèvre ars aurificum : orfèvrerie
Bazarioti : détaillant de la ville
Bombarderius : fabricant de bombardes
Caligarius : cordonnier
Çapator : ouvrier agricole
Capitaneus : capitaine
Douanerio : douanier
Faber : forgeron ars fabrorum : forge
Famulus : apprenti; coursier; serviteur
Marangonus : charpentier
Medicinarius : apothicaire, médecin
Mercator : commerçant ars mercantie : commerce de gros
Draparius : marchand de drap, drapier
Fruatioli : marchand de quatre saisons

715
Specchieri : marchand de miroirs et de produits en verre
Strazzaroli : marchand de vêtements usagers
Zavatori : marchand de chaussures usagées
Molinarius : meunier
Mulier : muletier
Peliparius : tanneur, fourrier ars peliparie : peausserie
Plaçarius (plazzarius) : préleveur d’impôts
Pictor : peintre
Piscator : pêcheur ars piscarie : pêcherie
Pistor (= fornaio) : boulanger
Sartor : tailleur ars sartorie : couture
Stipendarius : mercenaire
Tinctor : teinturier ars tinctorie : teinturerie
Vicarius : vicaire
ars çuparie : confection de blouses de travail en peaux
ars armigie : armurerie
ars butarie/butamines : tonnelerie
ars caldarie : art de la chaudronnerie
ars lapidarie : taille de la pierre
ars remorum : art de la fabrication des rames

IV. Les unités de compte


Balla : balle, fagot
Moggio : muid; boisseau
Baril, barileto, barilo grando, barileto
Pani, paneni, paneti : pains (de sucre, de
grande, barileto picolo : tonneau et
cire …)
ses subdivisions
Pezza : pièce
Badre : ? unité de compte utilisée en 1503
Plaustra : ? unité de compte pour le blé
pour des figues et du raisin sec
Rotolo : rouleau
Brazza : coudée
Sacho, sacheto : sac, sachet
Botta : botte, tonneau
Salme : somme
Caratello : caratel
Stara : setier
Cavezo : coupon
Tumino : ?, unité de compte pour le blé
Cesta : corbeille
Udro : outre
Manzo : fagot
Vegeta : tonnelet
Mastello : cuve
Vesicula : vésicule
Mazzi : faisceaux
Vesta : panier
Miaro : mier
Milliaro : millier

716
ANNEXE METROLOGIQUE
I. Mesures de longueur
Venise et Split Zadar (XVe) Šibenik
Passus 1,7336 m 1,73868 m 2,426- 2,431 m
2,08642 m
2,43116 m
Cavezo 2.080,32 mm 2.086,27 -2.144,30 mm 2.086,27 -2.144,30 mm
Brazzo 679,3 mm long : 679,3 mm 606 mm
court : 639,34 mm

II. Mesures de poids


Venise et Split Zadar Šibenik
Libbra grossa 477,03 g (1471) 572,4 g (XVe) 572,398 g (XVe)
474,37 g (1567) 574,644 g (XVIe) 574,644 g (XVIe)
Libbra sottile 301,51 g (1471) 362,6 g (XVe) 361,475 g (XVe)
302,09 g (1567) 364,12-366,923 g (XVIe) 364,12-366,923 g (XVIe)

Venise et Split Zadar (XVe) Šibenik


Decalatro 4,77 g 4,77-5,72 kg ~ 3 kg
pour le fromage : 47,7 kg
Centenario 47,7 kg = 100 libre = 100 libre
Milliario 477 kg = 1.000 libre = 1.000 libre
Udro pour le bitume : 23,85 kg (XVIe)
pour le fromage : 62 kg (Split XVIe)

III. Mesures creuses


Venise et Split Zadar Šibenik
Moggio 333,2688 l pour le blé : 104,1629-105,766 l pour le blé : 333,26 l
pour le vin : ≈ 80 l pour les liquides : 42,92-53,65 l
Staio 83,3172 l 83,31 l pour le blé : 83,31 l
62,964 kg pour l’huile : 2,68-3,3 l
Mezzeno 41,6586 l
Quarta 20,8293 l 26,040625 l (XVe) 35,323 l
15,741 kg 124,965 l (1565)

- pour le vin
botta 450-1.000 l
amphora 600-751 l
cavo cerchiado 200 l
caratello = barilo 50-64 l
quarta 35,5 l
seccho 9l

- pour le blé
carro = 20 hl = 1,6 tonnes, à Dubrovnik
plaustra grossa = 48 tumini
plaustra subtila = 36 tumini
1 plaustra = 1.900 litres -> 1 tumino = 30 kg < x < 40 kg

717
- pour le sel
Venise Zadar (Pag) Šibenik
Moggio 333,6 l ≈ 81 kg 98,76-103 kg
Staio 83,31 l ”
Mezzeno 41,65 l ”
Quarta 20,83 l ”
Quartarelo 5,20 l ”
Mozzeto 41,25 l 104,14 l

IV. Equivalences fournies par les contraliterre

1) Les produits d’élevage

a) Les peaux
1511 : 4 balles = 1.452 peaux -> 1 balle = 363 peaux
Cette masse importante est le signe d’une qualité médiocre. L’équivalence obtenue est
relative, car il est fort probable que le nombre de peaux varie dans ces emballages. A
Dubrovnik, au début du XVe siècle, une balle contient environ 200 peaux d'agneaux1059. Ces
données concernent cependant un autre lieu et une autre période, de sorte qu’on ne peut
appliquer directement cette équivalence dans le cas de Split. En revanche, il existe un principe
général au système de compte qu’il est possible de mettre en pratique. Les peaux sont
transportées de préférence par centaines. Le nombre de 300 peaux par balle est l’équivalence
la plus proche des 363 peaux relevées auparavant. C’est le choix que je fais par commodité de
calcul. En effet, le nombre de balles transportées variant de 4 à 48, le fait d'utiliser le nombre
300 de façon systématique permet de témoigner avant tout des hausses et des baisses du cours
des exportations.
- Les agneline
1511 : 1 balle = 363 peaux
- Les boldroni
1581 : 1 balle = 50 peaux
- Les cordovani
1511 : 2 balles = 314 peaux conze1060 -> 1 balle = 157 peaux
1515 : 2 balles = 230 peaux 1061
-> 1 balle = 115 peaux
1582 : 1 balle = 10 peaux1062
Dans les années 1510, une balle contient en moyenne 136 peaux. Comme en 1582 la
différence de valeur est flagrante, reste à penser qu'il s'agit d'un autre animal. Ainsi dans les
premières années, on a le plus vraisemblablement affaire aux cuirs de mouton; quant à la
dernière équivalence, elle s’applique à l'emballage de peaux de génisse ou autre bovidé plus
volumineux et lourd.
1515 : 1 sac = 50 peaux1063
1582 : 1 balle = 15 mazzi1064 -> 1 mazo = 7,6<x<10,5 peaux1065,
-> 1 mazo = 9 pièces, en moyenne
- Les manzi
1582 : 1 balle = 100 peaux
1059
R. Delort, Le commerce des fourrures, 237.
1060
DAZd, Sp. Ar., boîte 41, B. 52, F. 4, f° 167’.
1061
DAZd, Sp. Ar., boîte 49, B. 60, F. 6/II, f° 466.
1062
DAZd, Sp. Ar., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 463’.
1063
DAZd, Sp. Ar., boîte 49, B. 60, F. 6/II, f° 467.
1064
DAZd, Sp. Ar., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 444.
1065
On calcul suivant l'équivalence de la balle en 1515, soit 115 : 15 et suivant 1511, soit 157 : 15.

718
Bien que le système de compte (emploi des balles et des centaines) soit caractéristique pour
les fourrures, l’appellation manzi concerne le cuir. La nuance apportée par le mode de
comptage se référerait alors à l’exportation de peaux pré traitées, et non brutes, par les artisans
locaux avant la mise en vente sur le marché étranger.
- Les montonine
Certaines mesures sont inconnues. En 1503, un ligazo de toisons est exporté en
direction du Littoral croate (Bakar, Rijeka et Senj) et un autre, avec des peaux déjà teintées,
en provenance du territoire turc, en direction de l’Abruzze et des Marches. En 1530 encore,
un ligazo est exporté vers Venise. Dans aucune de ces mentions, le nombre de peaux n’est
spécifié.
1581 : 1 balle = 15 peaux

b) La cire
1515 : 1 pièce = 19 livres -> 1 pièce = 9 kg

c) Le fromage
1529 : 1 mier = 170 pièces a
1530 : 1 ligazo = 3,67 pièces b
1559 : 1 mier = 88,78 pièces c
1581 : 1 outre = 130 livres d
(V1066) 1 pièce = 15,23 livres e
(V) 1 pièce = 10,15 livres f
(VI) 1 pièce = 8,33 livres g
(VII) 1 pièce = 9,12 livres h
(VIII) 1 pièce = 13,81 livres i
(X) 1 pièce = 11,35 livres j
(XII) 1 pièce = 8,5 livres k
1583 : 1 mier = 97 pièces l

Il est donc difficile de définir avec précision le poids d'une pièce ou la quantité de
fromage comprise dans un contenant. Toutes sortes d'hypothèses peuvent être avancées : ces
fromages sont confectionnés de manière artisanale et donc leur poids et leur forme varient; il
peut s’agir aussi de fromages d'origines diverses (issue du lait de vache, de chèvre, de brebis
etc.) et donc de grosseur variable. D’après quatre données relevées dans les manuscrits, un
mier représente environ un volume de 120 pièces1067. Sachant qu'1 mier = 1.000 livres soit 1

a
DAZd, Sp. Ar. boîte 67, B. 74, F. 7/IV, f° 561’, le 11.VIII.1529 : formazo che pesa uno miaro vel circa 170
peze.
b
Ibid., f° 573’, 10.VI.1530 : 14 pezze piu formazi in 3 ligazi per tramesso.
c
Ibid., b.96, v.103, fasc.17, f° 899, le 17.V.1559 : formazo 2.486 peze in 28 miara.
d
Ibid., v.122, fasc.6, f° 445, 17.VIII.1581 : uno udro de 130 lire.
1066
Les chiffres romains indiquent les mois de l'année 1581.
e
Ibid., f° 449, le 5.V.1581 : 139 pezze in doi milia cento e 17 cio 2.117 lire.
f
Ibid., 3554 lire sono 350 pezze.
g
Ibid., f° 451’, le 16.VI.1581 : 12 pezze de 100 lire.
h
Ibid., f° 453, le 4.VII.1581 : 169 pezze de 1.541 lire.
i
Ibid., f° 456’, le 25.VIII.1581 : 2.135 pezze de 29.500 lire.
j
Ibid, f° 460, le 22.XI.1581 : 2.420 peze de 27.486 lire.
k
Ibid., f° 462, le 12.XII.1581 : 1.052 pezze de 8.942 lire.
l
Ibid., 194 pezze che sono 2 miara.
1067
Plus exactement 118,59 arrondis à 120 pour faciliter les calculs - d'autant plus que les systèmes
d'équivalence utilisés à l'époque ont surtout pour base des multiples de 4.

719
mier = 477 kg1068, on obtiendrait des pièces de fromage d'un poids moyen de 1 pièce = 8,3
livres soit 1 pièce = 4 kg (plus exactement 3,97 kg). D'un autre côté on trouve une fourchette
de données concernant l'année 1581 suivant laquelle le poids de la pièce tourne entre 7,26 kg
pour la plus grande et 4 kg pour la plus petite1069. J’en conclus pour mes calculs qu’1 pièce = 5
kg. Pour ce qui est de l'udro, sur la base de la seule équivalence fournie, on en conclut qu'1
udro = 62 kg, soit encore par extension, qu'un udro contient à peu près entre huit et quinze
pièces de fromage (1 udro = 8,5 <x<15,5 pièces). Quant au ligazo, enfin, je n'ai trouvé qu'une
seule correspondance, à savoir 1 ligazo = 3,7 pièces, ce qui amènerait à dire qu' 1 ligazo =
15<x<27 kg.

2) Les produits agricoles


a) Le vin
1516 : 3 cavi cerchiadi de tenuta in tuto de una amphora1070
-> 1 cavo cerchiado = 200 litres (198,84 litres)
1580 : 1 botte = 12 quarte1071 -> 1 botte = 250 litres

Cette dernière donnée entre en contradiction avec les informations précédentes,


puisque dans ce cas – en calculant que la quarta représente 37, 2 litres - on obtient une
équivalence de la botte suivant laquelle 1 botte = 447 litres. Au contraire, si l’on prend en
compte que la botte est bien équivalente à près de 1.000 litres, on obtient pour résultat qu’une
amphore = 1.311 litres. Une des possibilités reste que l’équivalence fournie dans la source est
exceptionnelle et de fait, le déclarant a voulu préciser son mode de calcul. L’autre équivalence
recueillie est plus simple. A ces confusions s’ajoutent comme autres unités de compte les
mezaroli et les ligazi pour lesquels aucune équivalence n’a été trouvée.

b) L’huile
1559 : 1 botte de julio = 40 stara stafur (?) (vers Brindisi)1072

3) Les produits manufacturés

a) Les draps
1530 : 1 balle = 12 cavezi1073 -> 1 balle = 24.963,84 mm
1580 : 30 draps = 850 livres1074 -> 1 drap = 28,33 livres = 13,5 kg
Ces données ont été réparties en deux groupes dans le texte analytique, l'un concernant
les longueurs, l'autre le nombre de pièces.

b) La laine
1581 : 1 sac = 371 livres soit environ 177 kg1075
1 peso = 700,8 livres -> 1 peso = 334 kg
1 sac = 876 livres -> 1 sac ≈ 418 kg1076

1068
Les informations suivant lesquelles le saco est une unité de compte, et l'équivalence du mier à raison d'1
mier = 1.000 livres m'ont été aimablement rappelées par J. Cl. Hocquet.
1069
Sachant que la livre splitoise est identique à la livre vénitienne suivant les écrits du marchand B. Pasi (op.
cit), et que : 1 livre = 476,999 g.
1070
DAZd, Sp. Ar., boîte 49, B. 60, F. 6-II, f° 470’, le 29.X.1515.
1071
Ibid., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 440, le 22.XII.1580.
1072
Oglio in 2 botti de rason de julio/80/stari tafur?; ibid., boîte 96, B.103, F.17, f° 900.
1073
Ibid., boîte 67, B. 74, F. 7/IV, f° 575, le 16.VII.1530 : panni bassi in cavezi 12 in 1 balla.
1074
DAZd, Sp. Ar., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 440, le 26.XII.1580 : 30 panni pesano 850 lire.
1075
Ibid., f° 450, le 31.V.1581 : lana 5 sachi sono 1.856 lire.
1076
Ibid., f° 453’, le 3.VII.1581 : lana sussida in sacchi quatro (...) peso netto lire 3.504.

720
1 sac = 440 livres -> 1 sac ≈ 210 kg1077
Les données sont très disparates, même si l'on pourrait fournir une moyenne
approximative suivant laquelle un sac serait équivalent à 562 livres, ou encore à 268 kg. Or le
sac n’étant pas une unité de poids mais un contenant, on ne peut se fonder sur une donnée
statistique fiable. Aussi, on en est réduit à représenter une courbe avec tous les contenants et
les quelques poids recensés pour se faire une idée des volumes exportés.

c) La rasse
1503 : la toile grossa d' 1 rotolo = 105 coudées1078 -> 1 rotolo = 71,3265 m
la toile sotile d' 1 rotolo = 90 coudées1079 -> 1 rotolo = 61,137 m
1 rotolo = 2 sacs1080
la toile beretina d'1 rotolo = 79 coudées1081 -> 1 rotolo = 53,6647 m
1504 : 1 rotolo = 2 cavezi1082
1511 : 65 coudées = 3 cavezi1083 -> 1 cavezo = 21,6 coudées = 14,7 m
1 colis = 2 rotoli1084
1515 : 1 ligazo = 6 rotoli1085
1 rotolo = 2 cavezi1086
1516 : 1 rotolo = 2 cavezi1087
1 rotolo = 1 ligazo1088
1 rotolo = 1 balle1089
1517 : 1 sac = 9 cavezi1090
1529 : 1 pièce = 100 coudées1091 -> 1 pièce = 67,930 m
1530 : la toile noire d'1 rotolo = 40 coudées1092, soit 1 rotolo = 27,172 m

La valeur du rouleau (rotolo) varie, ce qui peut s’expliquer. Il est possible qu'il existe
des rapports bien définis entre les diverses unités déclarées, auquel cas, lorsqu'un marchand
exporte une pièce de rasse qui ne répond pas aux critères habituels, il précise les fondements
de son calcul. Si tel est le cas, on se trouve face à une majorité d'exceptions. D'autre part, pour
ce qui est de la valeur quantitative du rotolo en brazza, les quatre équivalences varient sans
doute en fonction de la qualité de la toile. En effet, on distingue bien la toile fine (subtile) et la
toile plus grossière. Dans les deux autres cas de figure, l'élément descriptif prend en compte
les couleurs, la verte et la noire. De sorte que les toiles colorées sont plus précieuses que les
toiles écrues, et en conséquence, plus la toile est travaillée, ou de qualité, plus la pièce elle-
même à la vente est petite. Il semblerait que la draperie de couleur noire, en tant que dérivée

1077
Ibid., f° 455, le 31.VII.1581 : lana a refuso 3 sachi sono 1.321 lire netto.
1078
DAZd, Sp. Ar., boîte 36, B. 48, L. I, f° 63’, le 26.VIII.1503 : rassa grossa uno rodulu de 105 braza.
1079
Ibid., rassa subtile uno rodulo de 90 braza.
1080
Ibid., f° 62, le 20.VII.1503 : rassa sotile 2 sachi in uno rotolo.
1081
Ibid., f° 63, le 21.VIII.1503 : rassa alle e beretine 3 rodulli questa rassa esse brachia 238.
1082
Ibid., f° 76’, le 25.III.1504 : rassa per tenzer et per ritorno, uno rotulo in cavezi 2.
1083
Ibid., boîte 41, B. 52, F. 4, f° 167, le 20.III.1511 : rassa grossa, biancha, beretina et negra 65 braza in
cavezi 3.
1084
Ibid., f° 171’, 31.VIII.1511 : rassa grossa, sotile, biancha et beretina 1 colo de 2 rotoli.
1085
Ibid., boîte 49, B. 60, F. 6/II, f° 465’, le 9.VII.1515 : rassa grossa 6 rodoli in uno legazo.
1086
Ibid., f° 459, le 26.III.1515 : 1 rotulum in 2 capitis.
1087
Ibid., f° 473, le 11.I.1516 : rassa per ritorno in dui cavezi uno rotolo.
1088
Ibid., f° 476’, 28.IV.1516 : rassa grossa, biancha, beretina in piu cavezi uno rotolo vel ligazo (pour le
Levant).
1089
Ibid., f° 478’, le 8.II.1516, rasse 2 balle vel rotolo.
1090
Ibid., f° 491, le 5.VII.1517 : rasse grosse 9 cavezi in uno sacho.
1091
Ibid., boîte 67, B. 74, F. 7/IV, f° 561’, le 26.VII.1529 : rassa de brazza cento una peza.
1092
Ibid., f° 571, le 13.IV.1530 : rassa negra de braza 40 (?) uno rotolo.

721
des teintes rouges et bleu pastel devient de plus en plus en vogue en Europe occidentale à
partir du début du XVIe siècle1093, succédant aux couleurs écarlates du siècle précédent. On
expliquerait alors mieux ces différences de longueur de toile du rotolo. En calculant, la
moyenne des équivalences en coudée trouvées, on obtient que 1 rouleau = 78,5 coudées, soit
53,325 m – c'est-à-dire la valeur correspondant à une toile colorée non noire.
Pour ce qui est du rapport fourni en 1511 entre le coupon (cavezo) et la coudée, à
savoir que 1 coupon = 21,6 coudées, il entre en totale contradiction avec les calculs trouvés en
métrologie historique qui indique que 1 coupon = 3 coudées1094. Il s’agit sans doute
précisément d’une de ces exceptions. Cependant, la mention fréquente qu'un rouleau est
réparti in piu cavezi, voire parfois dans deux cavezi nous confond, ou alors ce sont vingt
cavezi mal lus ou mal écrits, auquel cas, 1 rouleau = 41,6 m. Ce résultat est légèrement
inférieur à la moyenne trouvée ci-dessus et de ce fait on ne peut obtenir de solution définitive.
La dernière remarque concerne la diversité des origines géographiques de cette toile et des
destinations, qui expliquerait la référence à des coudées différentes, que ce soit veneziani ou
spalatense ou encore d'autres (bien qu'en principe les coudées splitoises et vénitiennes sont
identiques).

d) La schiavine
1515 : 1 ligazo = 13 pièces

4) Les produits de la pêche

a) Le maquereau
1581 : - 16 miers = 9 barilli = 700 poissons1095
-> 1 tonneau = 1,77 mier = 77,77 poissons
-> 1 mier = 43,75 poissons
- 2 barils = 2 miers = 300 poissons1096 (vers sottovento)
-> 1 tonneau = 1 mier = 150 poissons
- 4 barils = 3 miers1097 -> 1 mier = 1,33 tonneau
- 1 tonneau = 1.200 poissons1098 (sottovento)
- 1 tonneau = 2 miers = 500 poissons1099 (sottovento)
1583 : 9 tonneaux = 12.500 poissons1100 -> 1 tonneau = 1.389 poissons.

5) Les matières premières brutes

a) Le fer
1515 : 1 sac = 3 spinol

b) Le suif
1582 : 1 baril = 92,25 litres

1093
J.F. Belhoste, « L'industrie du drap », (462).
1094
Puisque chez M. Zaninović- Rumora 1 cavezo = 2,1 m et le brazzo = 0,679 m.
1095
DAZd, Sp. Ar., boîte 116, B. 122, F. 6, f° 459’, le 19.X.1581.
1096
Ibid.
1097
Ibid., f° 445, le 17.III.1581.
1098
Ibid., f° 460’, le 4.IX.1581.
1099
Ibid., f° 461’, le 3.XII.1581.
1100
Ibid., f° 479, le 29.I.1583.

722
TABLE DES MATIERES

Partie IV : LE FLUX DES ECHANGES


I. Les importations ………………………………………………………... 364
1°) Le marché du blé ………………………………………………………………………. 364
a) Split et Zadar dans le contexte global du marché céréalier en Adriatique ……… 365
b) Les importations de céréales à Split …………………………………………….. 368
c) Les acteurs du commerce du blé et les conditions de vente …………………….. 372
2°) Le bois …………………………………………………………………………………. 380
a) Le Littoral croate : principal fournisseur de bois en Dalmatie ………………….. 380
b) La valeur commerciale du bois importé ………………………………………… 382
3°) Le fer brut et ouvragé et autres métaux ………………………………………………... 385
4°) Les tratti di Turchia …………………………………………………………………… 387
a) Les produits d’élevage ………………………………………………………….. 388
b) Les produits artisanaux …………………………………………………………. 389
5°) Les importations d’Ancona…………………………………………………………….. 390
6°) Récapitulatif des principaux marchés de l’importation maritime splitoise en vue du transit
……………………………………………………………………………………………… 390
a) La première moitié du XVIe siècle ……………………………………………… 391
b) La seconde moitié du XVIe siècle ………………………………………………. 392
c) Continuité et similitudes du courant des importations, le cas de Zadar ………… 393

II. Les produits d’exportation …………………………………………… 395


1°) Les animaux, le bétail …………………………………………………………………. 402
a) Le petit bétail…………………………………………………………………...... 402
b) Le gros bétail ……………………………………………………………………. 402
2°) Les produits d’élevage ………………………………………………………………… 412
a) Les peaux à cuir, à laine et à fourrure …………………………………………... 412
b) Le fromage …………………………………………………………………….... 439
c) Le miel ………………………………………………………………………….. 447
d) La cire …………………………………………………………………………... 450
e) La laine ………………………………………………………………………….. 453
f) La viande ………………………………………………………………………... 461
g) Les autres produits d’élevage …………………………………………………… 462

723
3°) Les produits de la mer …………………………………………………………………. 462
a) Organisation et techniques de pêche ……………………………………………. 462
b) Production et commerce de poissons à Zadar …………………………………... 468
c) Le trafic des poissons à partir de Split (maquereaux, sardines, picarels, etc.) ….. 469
4°) Les produits agricoles …………………………………………………………………. 473
a) Les fruits et légumes (amande, marasques, figues, oignons) …………………… 474
b) Les céréales et les féculents (farine, froment, orge, fève, riz) ………………….. 480
c) Le lin ……………………………………………………………………………. 481
d) L’huile …………………………………………………………………………... 482
e) Le vin …………………………………………………………………………… 486
5°) Les produits artisanaux ………………………………………………………………... 496
a) L’habillement (chapeau, ceinture, chausses) …………………………………… 497
b) Le textile ………………………………………………………………………... 499
c) Les ustensiles (clous, chandelles) ………………………………………………. 520
d) Le mobilier et les pièces de construction ……………………………………….. 523
e) Divers …………………………………………………………………………… 528
6°) Les matières premières brutes …………………………………………………………. 529
a) Le fer ……………………………………………………………………………. 529
b) Le (matériel en) bois ……………………………………………………………. 531
c) Le bitume naturel ……………………………………………………………….. 532
d) Le plomb ………………………………………………………………………... 533
e) Le cuivre ………………………………………………………………………… 533
f) Le suif …………………………………………………………………………… 534
g) L’or et l’argent ………………………………………………………………….. 535
7°) Les produits manufacturés de luxe …………………………………………………….. 537
a) Les épices ……………………………………………………………………….. 537
b) Les tissus de luxe (carisé, samit) ……………………………………………….. 538
c) Le verre …………………………………………………………………………. 539

Partie V : LE RAYONNEMENT ECONOMIQUE ………………... 543


I. Les partenaires commerciaux de Zadar et de Split ………………….. 545
1°) Animation et orientation du marché d’exportation de Split …………………………… 545
2°) La péninsule italienne …………………………………………………………………. 553
a) Venise et la Vénétie …………………………………………………………….. 555

724
b) Le patrimoine de Saint-Pierre (Ancona, Bologna, Fermo, Ravenna, Rimini) ...... 561
c) Le Royaume de Naples (Lanciano, Bari, Barletta, Brindisi, Manfredonia, Monopoli,
Ortona, Otranto, Sicile, Termoli, Trani, Vasto) …………………………............ 574
2°) L’Istrie …………………………………………………………………………………. 590
3°) Le Littoral croate ……………………….……………………………………………… 595
a) Senj ……………………………………………………………………………… 596
b) Rijeka …………………………………………………………………………… 599
c) Autres centres du Kvarner (Rab, Cres et Krk) ………………………………….. 602
d) Les centres de la Côte croate (Bakar et Bakarac, Karlobag) …………………… 603
4°) La Dalmatie …………………………………………………………………………..... 607
a) Les zones insulaires (Hvar, Vis, Korčula) ............................................................ 609
b) Trogir .................................................................................................................... 610
c) Šibenik ………………………………………………………………………….. 611
d) Dubrovnik ………………………………………………………………………. 612
5°) Les colonies vénitiennes en Adriatique et en Egée ……………………………………. 616
a) L’Albanie vénitienne (Albanie, Dalmatie du sud) ……………………………… 617
b) Les terres helléniques dans les mers Ionnienne et Egée (Céphalonie, Chios, Chypre,
Corfou, Crète, Négrepont, Rhodes) ……………………………………………….. 623
6°) L’Empire ottoman ……………………………………………………………………... 635
a) La politique économique de l’Empire ………………………………………...… 636
b) Les ressources économiques de la Porte ………………………………………... 638
c) La Bosnie (vallée de la Neretva) ………………………………………………... 638
d) L’Orient …………………………………………………………………………. 643
e) Les « Turcs » engagés dans le commerce dalmate ……………………………... 644

II. Le bilan commercial ………………………………………………..… 648


1°) Entrées et sorties des Chambres communales de Zadar et de Split………………….… 648
a) A Zadar ……………………………………………………………………….… 649
b) A Split …………………………………………………………………………... 654
2°) Le poids économique de Zadar et de Split …………………………………………….. 659
a) Les recettes des communes dalmates …………………………………………… 659
b) Le poids des prélèvements de l’Etat ……………………………………………. 660
c) Les revenus communaux par habitant ………………………………………….. 663
d) Les hommes d’affaires : des vainqueurs économiques …………………………. 666

725
III. L'escale de Split : les amorces de croissance ? ……………………... 667
1°) De l’idée à la réalisation ……………………………………………………………….. 668
a) Les premiers projets …………………………………………………………….. 669
b) Le fonctionnement de l’escale au sein de la ville ………………………………. 672
2°) Les premiers fruits …………………………………………………………………….. 673
a) L’exotisme aux portes de la ville …………………..…………………………… 673
b) Les contraliterrae de 1594-1597 ……………………………………………….. 674

CONCLUSION
Le cadre permanent, 681. – Les contraintes, 682. – Deux maillons intermédiaires du circuit
commercial mondial, 684.

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
Sources inédites ………………………………………………………................................. 692
Sources publiées …………………………………………………………………………… 694
Bibliographie ………………………………………………………………………………. 695
Dictionnaires ………………………………………………………………………………. 706

ANNEXE
I. Toponymie ………………………………………………………………………… 708
II. Glossaire ………………………………………………………………...………… 710
III. Annexe métrologique …………………………………………………..….………. 717

TABLE DES CARTES

Carte XVII : Les centres importateurs et exportateurs de blé ……………………………... 366


Carte XVIII : Résumé du trafic commercial des communes de l’Adriatique orientale …… 541
Carte XIX : Les communes italiennes de l’Adriatique avec le découpage politique de l’Italie
……………………………………………………………………………………………… 554
Carte XX : La côte adriatique orientale aux XVe-XVIe siècles …………………………… 594
Carte XXI : L’archipel grec sous les Francs ………………………………………………. 625
Carte XXII : Les centres économiques de la Neretva ……………………………………... 642
Carte XXIII : Split et Zadar, leurs partenaires commerciaux et leurs débouchés économiques
……………………………………………………………………………………………… 647

726

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