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Economie du Développement

Références africaines.
Professeur Moustapha Kassé

Tome1

1
ACRONYMES ET ABREVIATIONS
ACDI : Agence Canadienne de Développement International
ACP : Afrique, Caraïbes et Pacifique
ACR : Accords de Coopération Régionale
AFL : Acte final de Lagos
AGOA : African Growth and Opportunity Act.
AID : Association Internationale de Développement
AIE : Agence Internationale de lřÉnergie
ALENA : Accord de Libre Échange Nord-Américain
AOC : Afrique de l'Ouest et du Centre
APD : Aide Publique au Développement
APE : Accords de Partenariat Économique
ASEAN : Association des Pays du Sud-Est Asiatique
ATTAC : Association pour la Taxation des Transactions financières et pour lřAide
aux Citoyens
BAD : Banque Africaine de Développement
BCE : Banque Centrale Européenne
BCEAO : Banque Centrale des États de lřAfrique de lřOuest
BEI : Banque Européenne dřInvestissement
BIRD : Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement
BM : Banque Mondiale
BRI : Banque des Règlements Internationaux
BRVM : Bourse des Valeurs Mobilières dřAfrique de lřOuest
BVA : Bourse des Valeurs dřAbidjan
CAD : Comité dřAide au Développement
CADTM : Comité pour lřAnnulation de la Dette du Tiers-monde
CAPC : Centre Africain de Politique Commerciale, Projet de la CEA
CARPAS : Cadre de Référence pour les Politiques dřAjustement Structurel
CCCI : Conseil Consultatif International sur le Coton
CEA : Communauté Économique pour lřAfrique de lřEst
CEDEAO : Communauté Économique des Etats de lřAfrique de lřOuest
CEEAC : Communauté Économique des Etats de lřAfrique Centrale
CEPAL : Commission Économique pour lřAmérique Latine et les Caraïbes
CEMAC : Communauté Économique et Monétaire de lřAfrique Centrale
CEPGL : Communauté Économique des Pays des Grands Lacs
CER : Communautés Économiques Régionales
CN : Comptabilité Nationale
CNUCED : Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement
CODESRIA : Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences sociales
en Afrique
COMESA : Marché Commun des Etats de lřAfrique de lřEst et de lřAfrique Australe
CPCM : Comité Consultatif Permanent du Maghreb
DIT : Division Internationale du Travail
DRT : Division Régionale du Travail
DSRP : Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté
DTS : Droits de Tirage Spéciaux
EBE : Excédent Brut dřExploitation
ECOMOG: Economic Community of West African States Cease-Fire Monitoring
FAO : Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture
FASR : Facilité dřAjustement Structurel Renforcé

2
FBCF : Formation Brute de Capital Fixe
FCFA : Initialement Franc des Colonies Françaises d'Afrique actuellement
Franc de la Communauté Franco-Africaine.
FED : Fonds Européen de Développement
FMI : Fonds Monétaire International
FTN: Firmes Transnationales
GATT: General Agreement on Tariffs and Trade
GEAO : Groupe Économique dřAsie Orientale
IADM : Initiative dřAllègement de la Dette Multilatérale
IDE : Investissement Direct Étranger
IDEP : Institut Africain de Développement Économique et de Planification
IDH : Indice du Développement Humain
IES : Infrastructures Économiques et Sociales
IFAN : Institut Fondamental dřAfrique Noire
IFI : Institutions Financières Internationales
IPE : Industrialisation par Promotion des Exportations
ISI : Industrialisation par Substitution aux Importations
MAP: Millennium Partnership for the African Recovery Programme
MAEP : Mécanisme Africain dřEvaluation par les Pairs
MCA : Millennium Challenge Account
MERCOSUR : Marché Commun Sud-américain
NEP : Nouvelle Politique Économique
NEPAD : Nouveau Partenariat pour le Développement de lřAfrique
NPI : Nouveaux Pays Industrialisés
NOEI : Nouvel Ordre Économique International
OCDE : Organisation de Coopération pour le Développement Économique
OIT : Organisation Internationale du Travail
OMC : Organisation Mondiale pour le Commerce
OMD : Objectifs du Millénaire pour le Développement
OGM : Organismes Génétiques Modifiés
ONG : Organisation Non Gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies
ONUDI : Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel
OPEP : Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole
OUA : Organisation de l'Unité Africaine
PAB : Plan d'Action de Beijing
PAC : Politique Agricole Commune
PANPP : Pays Africains Non Producteurs de Pétrole
PAL : Plan dřAction de Lagos
PAS : Politiques dřAjustements Structurels
PAZF : Pays Africains de la Zone Franc
PDB : Produit Domestique Brut
PDN : Produit Domestique Net
PED : Pays en Développement
PIB : Produit Intérieur Brut
PIN : Produit Intérieur Net
PL : Plus Value
PLOM : Plan Omega
PMA : Pays les Moins Avancés
PME : Petites et Moyennes Entreprises
PMI : Petites et Moyennes Industries

3
PNB : Produit National Brut
PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement
PPA : Parité de Pouvoir d'achat
PPTE : Pays Pauvres Très Endettés
PSD : Pays Sous-développés
PST : Politique Scientifique et Technique
PVD : Pays en Voie de Développement
RN : Revenu National
SACU : Union douanière d'Afrique Australe
SADC : Communauté pour le Développement de lřAfrique Australe
SEBC : Système Européen de Banques Centrales
SFD : Systèmes Financiers Décentralisés
SME : Système Monétaire Européen
SMI : Système Monétaire International
SMR : Système Monétaire Régional
SGP : Système Généralisé de Préférences
TCEN : Taux de Change Effectif Nominal
TCER : Taux de Change Effectif Réel
TEE : Tableau Économique dřEnsemble
TEP : Tonne Équivalent Pétrole
TIC : Technologies de lřInformation et de la Communication
TPE : Taux de Protection Effective
TSA : Tous Sauf les Armes
UA : Union Africaine
UDAA : Union Douanière de lřAfrique
UE : Union Européenne
UEM : Union Économique et Monétaire
UEMOA : Union Économique et Monétaire Ouest-Africain
UFM : Union du Fleuve Mano
UMA : Union du Maghreb Arabe
UNFPA : Fonds des Nations Unis pour la Population
USAID : United States Aid
VAB : Valeur Ajoutée Brute
VAN : Valeur Actualisée Nette
ZEP : Zone dřÉchanges Préférentiels
ZMO : Zone Monétaire Optimale

4
A mes petits fils, Cheikh Moustapha FALL, Jean Pi FALL, Moustapha KASSE et
Astou Khoudja KASSE. Je vous adore et souhaite que le Continent dans lequel vous
allez vivre soit vivable pour toute votre génération.

5
Avant propos
« L’offre des économistes a du mal à répondre à cette amplification de
la demande sociale d’où des interrogations de la communauté
scientifique sur sa propre aptitude à tenir honorablement son rôle :
Incontestablement, la crise est intellectuelle. Après son âge d’or, la
Science économique a connu des années noires : après trente années de
certitude, l’heure des incertitudes s’est ouverte1 : « On ne sait plus
prévoir, on ne sait plus agir, on ne sait plus interpréter. Crise de la
prévision, tout d’abord face aux fluctuations spectaculaires et
erratiques des marchés et des monnaies… Crise de la politique
économique, ensuite, face au chômage et aux désordres monétaires…
Crise de la pensée économique, enfin : s’il y a crise de la politique
économique, c’est que l’on ne sait plus très bien analyser ce qui se
passe, si l’on ne sait plus quoi faire, c’est que l’on ne sait plus lire ».
A.GELEDAN2

Jřai enseigné lřÉconomie du Développement à plusieurs générations


dřétudiants depuis une trentaine dřannées. Lřévolution de cette discipline de la
science économique nřa pas été un fleuve tranquille de sa phase ascendante, à son
rejet brutal et, aujourdřhui à sa réhabilitation. Le référentiel théorique, les
méthodologies dřapproche des questions, les stratégies et politiques économiques et
mêmes les instruments et techniques dřévaluation ont souvent varié et je les ai
toujours diversement appréciés au gré de mes propres convictions et certitudes
dřéconomiste engagé. Jřai plusieurs fois envisagé de systématiser les polycopies et
notes de cours de mes étudiants en un ouvrage. Deux événements mřont alors
dissuadé : dřabord, lřavènement à la fin des années 70 des Programmes dřAjustement
Structurel à lřélaboration desquels mon ami Eliot BERG3 avait généreusement voulu
mřassocier et ensuite, la chute, au début des années 90, du socialisme réel en Europe
de lřEst au moment où jřavais initié une évaluation critique et une rupture avec
certaines visions de lřorthodoxie marxiste.4
Durant ces deux périodes historiques, lřÉconomie du Développement est
quasiment vouée aux gémonies par la domination écrasante de la pensée néo-
classique5 et la prééminence de sa vision, de ses méthodes et de ses politiques.
Lřexpérience nous apprend que lorsquř une théorie est dans cette phase ascendante,
elle ne supporte ni contestation, ni réfutation, ni falsifiabilité. Cřétait le cas de cette
analyse dominante portée par la Banque mondiale qui est devenue un « maître à
penser » de type nouveau puisque gardienne dřune épure décrétée « infaillible » et
vigoureusement défendue par une armada de 6500 fonctionnaires qui sřappuient sur
les services dřuniversitaires certainement parmi les plus prestigieux,

1 A.GELEDAN : Histoire des pensées économiques, Édit. Sirey, 1988


2 C. STOFFAES : Fins de monde, Odile Jacob, 1987
3 Il était en charge dřélaborer pour la Banque mondiale les contre-propositions au Plan de Lagos. Il a

alors produit le Rapport qui deviendra le justificatif des Programmes dřAjustement Structurel : « Le
développement accéléré en Afrique au Sud du Sahara- Programme indicatif dřaction ».
4 Dans un série de réflexions, j’avais partagé les critiques de beaucoup dřintellectuels du système socialiste

comme les académiciens NEMCHINOV, TRAPEZNIKOV, et des économistes comme LIBERMANN,


TINBERGEN et bien dřautres comme Ota SICK, RICHTA etc.
5 Il est vrai que lřon confond sans nuance et à tort l'économie néoclassique à la pensée libérale ou

ultralibérale. Des précisions seront apportées ultérieurement lorsque lřon étudiera les articulations de
lřanalyse économique néo-classique.

6
puisquřappartenant à lřenvironnement des fameux prix Nobel. Alors, il sřest installé
un manichéisme rarement vu dans lřhistoire de la pensée sociale : dřun côté ceux qui
croient au dogme dominant et de lřautre ceux qui nřy croient pas qui se voient
refuser, au nom de la pertinence et de lřefficacité, toute distanciation critique. On a
complètement oublié que lřéconomie pouvait se lire et sřécrire sur plusieurs modes
puisquřelle est la servante des sociétés.
Le paradigme dominant finit par réduire la Science économique à 10 énoncés
irréfutables justifiés par les gardiens du dogme : 1) la mondialisation est la voie
inéluctable du bien-être, 2) lřintervention publique est moins efficace que celle du
privé, 3) la primauté de lřéconomie sur le politique, 4) lřimpératif de lřouverture
extérieure pour un commerce sans entrave, 5) la baisse des taux dřintérêt facilite la
croissance, 6) lřéradication de lřinflation est un impératif, 7) le combat acharné contre
les nuisibles déficits publics 8) la baisse de lřimpôt des sociétés guide lřorientation
massive des IDE, 9), la suppression de la législation protectrice du travail et du
salaire minimum, est une condition de rentabilité de lřentreprise, 10) lřapologie de
lřAsie qui est la dernière frontière du monde. Ce poncif est celui des dirigeants de la
mondialisation. La Science économique est transformée en une sorte de scholastique
savamment couverte de brillantine par des modèles quantitatifs qui ont réponse à
tout. Des moyens énormes sont mobilisés par les parrains de tous bords pour
propager, dans tous les milieux cette pensée devenue unique.
Dans pareil contexte, les « Nouveaux Maîtres » sřoffrent des certitudes
inébranlables et des vérités éternelles et disposent de puissants moyens pour les
imposer : stratégie médiatique et communication, forte emprise sur la recherche et
les chercheurs particulièrement ceux des PSD. Ils ne souffrent ni controverses ni
compétition des méthodes et des réponses. Ils semblent nous dire « Intellectuels et
Chercheurs africains, surtout ceux au Sud du Sahara, dormez tranquille, la Banque
mondiale pense pour vous et placera vos pays sur le chemin dřune croissance
vertueuse ».6 Avec cette exclusion implicite, la politique économique, comme le
proclame la théorie de lřagence, va se jouer à deux : les Institutions Financières
Internationales dřun côté et les Gouvernements africains de lřautre. Les premiers sont
tantôt professeurs, médecins et gendarmes et les seconds sont les sujets, il leur est
demandé dřappliquer les recettes tout en étant seuls comptables des résultats. Les
universitaires et chercheurs ne sont intégrés dans le jeu quřau niveau des schémas
dřapprentissage : ils doivent y exercer les fonctions de renforcement des capacités et
de recyclage des fonctionnaires et auxiliaires des Ministères techniques de lřéconomie
et des finances aux modèles et nouveaux instruments dřanalyse, de diagnostic et de
comptabilité des bailleurs de fonds. En somme, ils sont appelés à disséminer les
nouvelles options dans leur espace par le biais de leurs enseignements, des
séminaires de formation, des forums, et ateliers…. (la logique de la réunionite
sřinstalle). Toute lřélite africaine sera enfermée dans ce nouveau champ
dřapprentissage : elle est rémunérée, par des canaux divers (per diem, contrats de
consultation, animation de rencontres) , à ne jamais développer des controverses ou
la moindre pensée alternative. On a vite fait dřoublier que la science économique a
historiquement progressé par de vives controverses qui sont source
dřenrichissements et de progrès importants. À lřévidence, une science sans débats
internes cessera de vivre.

6 Lřefficacité des PAS ont fait lřobjet de sévères critiques au sein même de la littérature orthodoxe.
Lřargument essentiel formulé par des auteurs comme KILLIL, DORNBUSCH, TAYLOR et FISHLOW,
est que les PAS ont souvent pour effet dřaggraver les problèmes quřils sont supposés résoudre, ou de
créer de sérieux effets secondaires indésirables. Les économistes les moins orthodoxes ont été les plus
virulents dans leurs critiques.

7
Au bout de vingt ans dřapplication des Programmes dřAjustement, mon ami
Eliot BERG est revenu mřinviter à la restitution dřune recherche initiée par lřUS-AID
et intitulée « lřAjustement ajourné »7. Quel énorme aveu dřéchec : comme le note le
proverbe Wolof « le fétu de paille restera un siècle dans le marigot, quřil ne deviendra
jamais un caïman». À lřépreuve, ces politiques dřajustement ont échoué dans ce qui
était leur objectif principal : lřinstauration dřun processus vertueux et irréversible de
croissance économique. Les faibles performances de ces politiques dites du
Consensus de Washington résultent, selon lřobservation de J. E. STIGLITZ8, de la
confusion des moyens avec les fins : la libéralisation, la recherche des grands
équilibres, les privatisations sont prises comme des fins plutôt que comme des
moyens dřune croissance durable, équitable et démocratique. Ensuite, elles se sont
beaucoup trop focalisées sur la stabilité des prix plutôt que la croissance et la stabilité
de la production. En outre, elles nřont pas su reconnaître que le renforcement des
institutions financières est aussi important pour la stabilité économique que la
maîtrise des déficits budgétaires et de la masse monétaire. Enfin, elles se sont
concentrées sur les privatisations, mais nřont guère attaché la moindre importance à
lřinfrastructure institutionnelle nécessaire au bon fonctionnement des marchés, et
particulièrement à la compétitivité.
Face à cette situation les PAS ont été abandonnés en catimini sans autre forme
de procès remplacés par les DSRP qui tentent désespérément dřen conserver la
substance. Conséquemment, les querelles doctrinales vont progressivement
sřestomper cela dřautant plus que les couches intellectuelles protectrices désertent
lřédifice ou ne le défendent plus avec lřacharnement du début. Certains courants de
pensée économique parmi les plus conservateurs perçoivent la nécessité de
réhabiliter lřÉconomie du développement. «La fille aux mauvaises fréquentations »
devient estimable et fréquentable. La trajectoire de justification passe par la
réconciliation entre la croissance économique et le développement social auquel le
Programme des Nations Unies pour le Développement a donné ses lettres de noblesse
en créant le concept du Développement Humain Durable (DHD). Plus quřune simple
notion, le Développement Humain Durable (DHD) fait référence à un système
complet de modèles : modèles de production, modèles de reproduction sociale,
modèles de répartition, modèles de participation, modèles dřinstitutionnalisation,
modèles de socialisation. Cřest aussi le PNUD qui prend lřinitiative de rouvrir le débat
sur les questions essentielles du développement économique après les propositions
du Rapport Willy BRANDT, de la COMMISSION SUD ou du FORUM DU TIERS-
MONDE.
Le projet fut confié à lřéconomiste pakistanais MAHBUB UL HAQ qui a
longtemps séjourné à la Banque mondiale. Pour la première fois un Rapport
international va se référer aux auteurs classiques et bâtir son argumentaire sur
KANT, QUESNAY, A. SMITH, RICARDO, MARX, J.S. MILL et reconnaître que les
individus ne sauraient être réduits aux seules dimensions de « l’homo économicus »
et des principes de choix rationnels et maximisateurs. Progressivement, le PNUD
marque sa rupture dřavec la vision de la Banque mondiale. Alors, il va sřen suivre un
bouillonnement et un regain dřintérêt pour les théories du développement. Le
développement est désormais compris comme la transformation de la société, le

7Eliot BERG : lřAjustement ajourné, Conférence patronnée par lřUS-AID Sénégal 1998
8 Dans ses deux ouvrages qui ont suivi sa sortie de la Banque mondiale en 2000 (La grande désillusion
en 2002 et Un autre monde : contre le fanatisme du marché 2006), il a mis à la disposition de la
communauté des économistes des analyses pénétrantes sur lřarchitecture de lřéconomie mondiale et la
faillite de la gouvernance économique mondiale que devraient réaliser les institutions financières
internationales.

8
passage de relations traditionnelles, de modes de pensée traditionnels, de façons
traditionnelles de traiter la santé et lřéducation, de méthodes traditionnelles de
production, vers des approches plus «modernes».
Cette nouvelle Économie du développement regroupe l'ensemble des pratiques
théoriques qui s'éloignent du modèle walrassien en reconnaissant les imperfections
du marché et l'incapacité des politiques de stabilisation et d'ajustement orthodoxes
(inspirées de ce modèle de base) à opérer les transformations nécessaires à une
reprise durable de la croissance dans les pays africains.
Manifestement, il est devenu, aujourdřhui, plus enthousiasmant de publier un
ouvrage dřéconomie du développement notamment avec des références à lřAfrique
dont tout le monde souhaite quřelle « Retrouve sa place dans le 21ème siècle ». En
effet, depuis la fin des années 90, le dédain vis-à-vis de lřÉconomie du
Développement nřest plus de mise du fait que le développement se trouve « au cœur
de vives controverses et plus encore des avancées conceptuelles marquantes au sein
de la Science économique.9 Cřest cela qui explique, sans doute, le foisonnement des
Manuels dřÉconomie du Développement : « les Dévelops » nřoccupent plus une
position inférieure dans lřéchelle des valeurs de la tribu des Économistes (Prenab
BARDHAN, 2001)10. Enfin, « mille écoles peuvent maintenant rivaliser » sans
complexe ni culpabilisation.
Cet ouvrage vient sřajouter à toutes ces réflexions avec un triple
questionnement sur :
Les paradigmes du développement et du sous-développement en référence
à lřAfrique.
La pertinence et la robustesse des théories répertoriées par lřhistoire de la
pensée économique face aux réalités africaines.
Les stratégies et politiques qui découlent de cette pensée économique qui
permettent de sortir de lřétat du sous-développement.
Ces trois problématiques sont au cœur de lřobjet même de lřÉconomie du
Développement qui est en fait la boîte à outils de la science économique quřil faut
solliciter pour trouver les réponses les plus idoines en matière de développement
économique et social.
Cet ouvrage se propose de mettre à la disposition des chercheurs et étudiants,
des experts, des intellectuels et des décideurs le maximum de références et
dřinformations statistiques pour prendre en charge et faire avancer la réflexion sur
les complexes et difficiles problèmes du développement africain.

9 R.BOYER : Lřannée de la Régulation : « Quřon en juge : la théorie de lřinformation imparfaite et des


contrats (principal/agence, STIGLITZ, 1987), alimente la réflexion sur des caractéristiques
essentielles dřune économie rurale (BARDHAN, 1989). Les externalités associées aux problèmes de
coordination suscitent des formalisations traitant aussi bien de la croissance endogène (LUCAS,
1993) que de la multiplicité des équilibres lorsque les préférences et les stratégies sont
interdépendantes (HOLF et STIGLITZ, 2001) ».
10 Pendant longtemps, lřÉconomie du Développement revêtait une importance secondaire comme

lřillustre ce propos de Axel LEIJONHUFVUD (1973) «La caste des prêtres, les Maths-Écons,
appartient à une sphère supérieure à la fois aux Micro ou Macro, tandis que les Dévelops occupent
clairement une position encore inférieure. Cela tient au fait quřils nřont pas strictement respecté les
tabous interdisant lřassociation avec les Polscis, Sociogs et autres tribus. Les autres Écons les
regardent avec suspicion car ils mettent en danger la fibre morale de la tribu et ils soupçonnent même
les Dévelops de renoncer à la modélisation.

9
Introduction générale
« La crise du développement est aussi une crise de la théorie du développement. La
seule croissance économique, même rapide, n’apporte pas de solution aux problèmes
sociaux, n’élimine pas la misère et le chômage. Pour amorcer un processus de
développement de longue haleine, il faut beaucoup plus qu’une modernisation
parcellaire de l’appareil de production et le mirage d’une urbanisation effrénée ».
I. Sachs11

Le concept du développement a suivi depuis son apparition chez les


économistes classiques, jusquřà nos jours, une évolution désordonnée : accepté au
siècle dernier comme lřobjectif de toutes les nations, ses théories seront rejetées par
la suite avec mépris par lřorthodoxie néo-classique dominante. Actuellement
réhabilité, il intègre parfaitement le discours à la fois des économistes, des politistes
et des sociologues.
Dans la maïeutique de la science économique, doit-on considérer lřéconomie
du développement comme un savoir autonome au même titre que la macroéconomie,
la microéconomie, lřéconomie internationale, les finances publiques ou alors est-elle
simplement un chapitre des théories macroéconomiques ? Quel est exactement son
statut dans la Science économique ?

I /Naissance de l'Économie du Développement

Si le développement économique a dominé la Science économique dès son


origine au 18ème siècle avec les travaux d'Adam SMITH (1776), le débat sur l'économie
du développement comme problématique et questionnements spécifiques sur les
pays sous-développés commence seulement au lendemain de la Seconde Guerre
Mondiale et en pleine guerre froide. Confirmation, le Président des États-Unis Harry
TRUMAN, à lřoccasion de son discours sur l'état de l'Union, le 20 janvier 1949, utilise
pour la première fois le terme de développement pour justifier l'aide aux PSD dans le
cadre de la lutte contre le communisme en pleine expansion. Il y déclara clairement
que le devoir des pays du Nord capitalistes, qualifiés de pays développés, est de
diffuser leurs technologies et de distribuer leur assistance aux pays qualifiés de
« sous-développés », afin qu'ils se rapprochent du modèle occidental de société. C'est
dire que l'économie du développement a été forgée, en tant que discipline, il y a une
cinquantaine d'années. Au même moment se mettaient en place le système de
Bretton Woods et les principales institutions internationales comme la Banque
mondiale et le FMI. Branche très importante de la science économique, on peut la
définir comme l'analyse économique appliquée au processus de développement et à
l'étude des pays en développement. Elle trace donc une frontière entre la science
économique, la géographie et la sociologie ce qui soulève des problèmes
fondamentaux sur sa définition et ses objectifs.
Aujourd'hui, les études d'économie du développement sont essentielles au moins
pour trois raisons :
La première est que la Science économique ne saurait se limiter à l'explication
des problèmes du développement à partir des hypothèses exclusives de l'homo-
economicus et de l'individualisme méthodologique, si tant est quřelle a vocation à être la
servante des sociétés, de toutes les sociétés. Dřailleurs, comme nous le verrons plus loin,
lřune des critiques de lřanalyse néo-classique concerne lřextrême fragilité des hypothèses
11 Ignacy SACHS : Pour une économie politique du développement, Edition Flammarion, 1977 p.9

10
de lřhomo-economicus et de la rationalité. Le holisme est systématiquement ignoré
même sřil est une caractéristique dominante dans certaines sociétés. Dans le schéma
néo-classique, la société se réfère à des individus « émancipés » conscients de leur
existence et des rapports sociaux quřils alimentent. Or, il nřen va pas ainsi dans la
plupart des pays en développement où la collectivité, le groupe priment sur lřindividu.
La rationalité dřun individu ne dépend pas toujours et uniquement de sa satisfaction
personnelle, de son utilité (NDIAYE, 1999 ; SEN, 1983).
La seconde raison provient du fait que les études du développement dans des
aires par essence précapitalistes et non occidentales sont utiles et importantes. Elles
nécessitent la recherche d'instruments analytiques appropriés pour obtenir des
résultats pertinents. Comme l'observe A. HIRSCHMAN (1984), on ne saurait aborder
l'étude des économies sous-développées sans modifier profondément, sous un certain
nombre de rapports importants, les instruments et données de l'analyse économique
traditionnelle, axée sur les pays industrialisés.
La troisième raison est que l'Economie du développement conduit, par la
diversité des champs disciplinaires concernés, à constater la difficulté à dissocier
analyse scientifique et vision idéologique.

II/ La difficulté de trouver un statut à l’économie du développement dans


la Science économique qui est devenue une entreprise gigantesque.

La place de lřéconomie du développement dans le corpus théorique de la


Science Économique est fortement controversée. Toutes les réflexions sur le
développement soulèvent des controverses et des clivages théoriques relatifs à la
caractérisation du sous-développement et aux stratégies à mettre en œuvre pour en
sortir. Ces réflexions théoriques peuvent se ramener à deux courants qui
correspondent à des visions différentes : le premier comprend les analyses qui tentent
de replacer lřéconomie du développement dans le champ de lřéconomie néo-classique
standard qui ignore notamment la dimension historique du sous-développement et le
deuxième courant regroupe toutes les analyses alternatives qui postulent lřexistence
de spécificités communes à un ensemble de pays condamnés à réaliser des
transformations qui les rendent aptes à déclencher un processus auto-entretenu de
croissance. Cřest lřensemble de ces théories qui fondent lřéconomie du
développement.

1°) Le premier courant considère l’économie du développement


comme un simple prolongement de l’analyse macroéconomique.

Pour ces auteurs, il nřexiste quřune science économique et les théories du


développement doivent conforter ce mono-économisme et ne peuvent se constituer
comme une branche spécifique
Dans cette optique, la macroéconomie qui a connu un important
développement ces dernières années sřest formalisée comme une théorie de
lřéquilibre global se fondant sur les grandeurs caractéristiques de lřactivité (circuit
économique, agrégats, fonction de production, de consommation et dřinvestissement,
propension, multiplicateur, accélérateur) et des démarches qui articulent ces divers
outils pour constituer des théories (théorie de lřéquilibre macroéconomique, théorie
des fluctuations et de la croissance, modélisation ou tentative de représentation
abstraite de la totalité dřun système productif) qui peuvent rendre compte des
questions de développement.

11
Dès lors, certains auteurs se fondant sur ces acquis de lřanalyse
macroéconomique estiment que lřÉconomie du Développement ne doit pas être une
discipline autonome car sa problématique sřinsère parfaitement dans celle de la
Macroéconomie. En effet, les modèles normatifs agrégés comportant trois facteurs
(travail, capital, technologie) rendent bien compte des préoccupations de
développement, cřest-à-dire dřaccroissement soutenu dřune grandeur de dimension
nationale comme le produit national ou le revenu national.
Ainsi, en considérant que le Produit Global (Y) est constitué de la Demande
globale qui se compose de la Demande de Consommation (C) et de la Demande
dřInvestissement (I), on peut écrire que :

(1) Y = C+I I = Investissement


(2) C = Co + cY avec C = Consommation
(3) I = Io - iY Co = Niveau incompressible de la consommation
i = taux dřintérêt
Y= Produit global

En introduisant lřéquation (1) et (2) dans la troisième, on obtient :


1
Y  (Co  I o )
1 c  i

Certains auteurs ne sont pas loin de considérer que cet équilibre est applicable
à toute économie quelle quřelle soit. La seule précaution à prendre au plan analytique
est une bonne estimation des variations que sont la consommation, lřinvestissement,
le taux dřintérêt. La comptabilité nationale doit être en mesure dřoffrir des
évaluations exhaustives par le biais des prix et des marchés.
Par ailleurs, pour passer de la statique à la dynamique, il suffit de procéder à
une dérivation du système global, ce qui permet le déplacement du niveau dřéquilibre
de Y.
En écrivant que Y  C o  I o 
1
1 c  i
On peut constater que les variations de Y peuvent être induites par une
variation dřun des paramètres Co, Io, c, i. Ce qui nous donne :
Y 1

Co 1  c  i
Y 1

I o 1  c  i
Y 1
 (Co  I o )
i (1  c  i)2
En considérant les phénomènes monétaires, les analyses macroéconomiques
retiennent certaines équations caractéristiques pour le marché de la monnaie, à
savoir : les équations de la demande de monnaie, du fait que la demande de monnaie
découle de trois (03) motifs : de transaction, de spéculation et de précaution. Les
deux premiers sont les plus déterminants. En effet, la monnaie est principalement un
instrument de transaction. La demande dřencaisses de transactions découle de la non
synchronisation des flux de recettes et de dépenses. Comme au niveau
macroéconomique, les dépenses de certains agents sont les revenus pour dřautres, on
dira que la Demande dřencaisses de transaction sera une fonction du revenu global,
cela permet dřécrire que :

12
(1) M1 = M1(Y) ou encore M1 = k.P.Y.
Pour la demande pour des motifs de spéculation, elle est liée au fait que la
monnaie peut permettre des plus values sur le Capital. Le spéculateur est celui qui
achète des actifs financiers quand les taux dřintérêt sont faibles et qui les revend
quand ceux-ci augmentent. Cela permet dřécrire que :
(2) M2 = M2(i)
La demande totale de monnaie sera :
(3) Md = M1 + M2.
Quant à lřoffre, elle est une donnée exogène au système Mo = Mo.
À lřéquilibre, on a :
Mo = Md ou en encore Mo = M1(Y) + M2(i).
Là encore, des instruments de lřanalyse monétaire sont universalisables car les
motifs de la monnaie se présentent de la même manière dans tous les pays. Dès lors,
les équations de comportement sont les mêmes partout. Cřest seulement le niveau des
grandeurs qui peut être différent dřun pays à lřautre.
Au total, sur le marché du produit comme sur celui de la monnaie, lřanalyse
macroéconomique peut rendre compte des préoccupations de lřéconomie du
développement. On peut aboutir au même résultat en prenant dřautres exemples
comme la comptabilité nationale ou même la modélisation normative
macroéconomique. Dans ce dernier cas, si on considère une fonction agrégée de
production (k, l), une concurrence parfaite sur les marchés des produits et des
facteurs, un prix des facteurs égal à la production marginale, il existe deux variantes
de modèle normatif : celui à coefficient fixe de HARROD-DOMAR et celui à
coefficient flexible de lřanalyse néo-classique.
On pourrait bien établir que les questions de développement et de croissance
avec les concepts et outils qui ressortent des théories explicatives relèvent des deux
types de modèle.
Ainsi, la théorie du développement se pose deux questions :
La première question est la suivante : étant donné certains taux
dřaccroissement des inputs travail et capital, comment sřeffectue une expansion
régulière et soutenue de la production ?
Dans un modèle de type harrodien, il suffit dřécrire que
(1) G.C = S avec G : taux de croissance, C : coefficient de capital,
S : épargne.
Ce modèle contient deux grandeurs macroéconomiques : lřInvestissement et
lřÉpargne qui déterminent à la fois le processus de croissance et celui de lřéquilibre.
En effet, en posant :
Y S I
(2) G  ; S et C 
Y Y Y

(3) On peut remplacer dans (1)


Y I S I S
  ou 
Y Y Y Y Y
La politique de développement pourrait être comprise comme une
perturbation (macrodynamique) de lřéquilibre soit à partir de lřinvestissement (pour
financer une politique agraire, industrielle, technologique, etc.) ou de lřépargne
(compression de consommation, importation de ressources financières, endettement,
etc.).

13
Quant à la seconde question, elle se formule comme suit : lřéconomie
considérée nřest pas au départ engagée dans un processus dřexpansion, va-t-elle sřen
rapprocher ou sřen écarter ?
Cela soulève la problématique de la stabilité de lřéquilibre.
En somme, pour beaucoup dřauteurs, ce processus de théorisation
macroéconomique prend bel et bien en charge lřéconomie du développement. Donc
celle-ci ne doit pas se constituer comme discipline autonome, elle nřest que le
prolongement de la macroéconomie.
Lřéconomie du développement se démarque de cette dérive de la théorie
économique standard en renouant avec les traditions de lřéconomie politique
classique, en se servant des possibilités ouvertes par lřéconomie keynésienne sur le
rôle actif de lřÉtat afin de limiter le chômage et dřaugmenter la croissance.

2°) La deuxième attitude théorique considère l’économie du


développement comme un chapitre récent de la science
économique.
« Le développement est en panne, sa théorie en crise et son
idéologie fait l’objet de doute. L’offensive généralisée en faveur de la
libération des forces du marché, accompagnée de la réhabilitation des
thèmes idéologiques de la supériorité absolue de la propriété privée, de
la légitimation de l’inégalité sociale, l’anti étatisme tous azimuts. Tout
cela produit une intense confusion ».
Samir AMIN12

Cette position est soutenue par Samir AMIN. Le point de départ de lřauteur est
quřil faut abandonner toute prétention dřélaboration dřune théorie économique pure
dont lřoutillage conceptuel se situerait à un niveau dřabstraction opérationnelle pour
lřanalyse du fonctionnement des mécanismes dřune société.
La seule science possible est celle de la société car le fait social est unique et
comporte à la fois une dimension économique, sociale, politique. Il nřexiste aucune
raison pour privilégier lřaspect économique. Par ailleurs, lřart du développement veut
précéder la science qui seule peut expliquer le développement et le sous-
développement comme des faits historiques. Lřéconomie du développement serait
alors pour Samir AMIN un chapitre très récent de la science économique puisque,
jusquřà la première Guerre Mondiale, la théorie économique ne nourrissait aucune
préoccupation dřanalyse des systèmes et des structures. Celle-ci était totalement hors
du champ de la Science Économique. LřÉconomie du Développement sřest donc
constituée sous la pression des faits et des besoins urgents. Elle sřest voulue dès
lřorigine au service des gouvernements engagés dans lřaction pratique du
développement économique et social. Samir AMIN conclut en observant «ainsi,
comme la Science Économique générale, lřÉconomie du Développement comportera
nécessairement deux (02) chapitres distincts : lřun dřanalyse fondamentale qui, en
partant de lřobservation, sřassigne comme objectif lřélaboration dřune théorie du
sous-développement et du développement et lřautre dřapplication orientée vers
lřaction et la transformation des structures, un art de gestion économique dérivé de la
théorie du développement».
Dans ce contexte, un problème méthodologique va se poser et consistera à
soumettre toutes les catégories de la science économique à une sorte de test
dřuniversalité pour mesurer leur domaine de pertinence : problématique de la

12 S.AMIN : La faillite du développement

14
vérification de lřutilité de la trousse à outils. Cřest cela qui a obligé Samir AMIN à une
remise en question généralisée de toutes les théories économiques. Cette démarche
laisse ouverte certaines questions comme : quelles sont les frontières correctes de la
recherche économique et quelle est la nature de la collaboration avec les autres
Sciences Sociales ? Quřentend-on par pertinence de tel ou tel jeu de concepts
théoriques ? Quelle relation unit en économie, la Science positive et la politique ?
Peut-il exister une Science Économique valable pour lřensemble du monde ?
Les difficultés méthodologiques qui ressortent de ces interrogations expliquent
la troisième thèse qui est celle des économistes qui récusent la théorie mono-
économiste dominante dans la pensée surtout universitaire.

3°) La troisième thèse considère que l’économie du développement


doit se constituer en discipline autonome en s’assignant un double
objectif : offrir une représentation théorique cohérente du sous-
développement et indiquer les voies et moyens pour en sortir.

Cette autonomie est une volonté de donner à la théorie du développement, un


statut scientifique par les questions quřelle soulève et les méthodes qui permettent dřy
répondre. De ce fait, on pourra débloquer lřanalyse en brisant les moules étroits des
concepts systématiques et en remettant les idées en mouvement. Les économistes
ont, dans les pays développés, tendance à échafauder des théories compliquées et
complètement détachées du réel. Il en va ainsi car la science économique dans ces
pays fait partie du système de croyances conçu moins pour révéler la vérité que pour
rassurer les citoyens sur lřorganisation sociale. Ce luxe serait trop coûteux pour des
pays sous-développés vers lesquels, observe Jean ROBINSON, «on exporte les
doctrines afin de les empêcher de trouver une issue à leur situation».
Pour aboutir à lřélaboration dřune économie du développement, il faut partir
de la double incapacité de la théorie économique de donner une représentation totale
ou expressive du sous-développement et indiquer des directions de transformation.
En effet, si lřon considère la théorie économique comme une théorie de la
coordination dřun système décentralisé, donc une théorie des rapports décentralisés,
donc une théorie des rapports marchands comme lřautorise le texte de WALRAS, on
sřaperçoit aisément que les catégories utilisées sont impertinentes dans les
formations sociales sous-développées qui sont à dominante non capitaliste. La
plupart des échanges y sont non marchands, lřespace économique est hétérogénéisé
par des cloisons et barrières rendant le marché totalement imparfait, la croissance ne
peut être auto-entretenue par suite de lřexistence de multiples déséquilibres et enfin
les régimes autoritaires qui y prévalent ne connaissent pas de débat démocratique,
donc un processus de génération des choix collectifs par interaction des choix
individuels.
Si, en revanche, on confère à la théorie économique une acception
systématique pour en faire une théorie de lřéquilibre stable dřun système complexe,
les catégories économiques usuelles nřont plus la même signification, ni la même
portée analytique.
À titre dřillustration, lřéquilibre ne signifie plus que lřaptitude de lřorganisation
sociale ne peut pas être bloquée, lřoptimum parétien signifie que toute organisation
ne fonctionne quřen tant que jeu à somme non nulle, la croissance équilibrée
signifierait que toutes les variables dřétat augmentent au même taux. Lřéconomie du
développement sřavère alors tout à fait indispensable pour interpréter et transformer
le sous-développement. En fait, les conclusions théoriques dépendent avant tout, non
pas des méthodes employées, mais des questions que la théorie pose. Lřanalyse

15
macroéconomique qui transfère la réflexion théorique sur les mathématiques et la
statistique (considérées comme des fins et non comme des moyens) est incapable de
gérer les théories et problèmes du développement économique et social qui ne
peuvent relever que de lřéconomie politique du développement.

III/ Que recouvre l’Économie du Développement ?

La diversité des approches en économie du développement se traduit par


lřexistence de plusieurs définitions du phénomène du développement qui en est
lřobjet principal.

1°) A première approximation qu’est que le développement ?

Selon KUZNETS, la notion de développement économique qui se distingue de


la croissance économique (élévation du revenu par tête et du produit intérieur brut)
combine trois éléments : une croissance économique auto-entretenue, des
changements structurels de la production et le progrès technologique. Les historiens
du développement, les théoriciens du développement de la nouvelle école
institutionnelle et les économistes néoclassiques du développement ajoutent à ces
éléments la modernisation institutionnelle qui permet aux marchés dřorienter
rationnellement les décisions économiques des individus. Les théoriciens de la
modernisation ajoutent le développement politique et social à la liste tandis que
lřécole de lřesprit dřentreprise insiste sur lřévolution socioculturelle. Enfin, les
défaillances du processus de croissance quřont connu les pays en développement ont
amené certains à ajouter lřaugmentation du bien-être au bénéfice du plus grand
nombre à la liste des caractéristiques du développement économique.
Maurice BYE rappelle que toute science est avant tout une question de
vocabulaire, cřest-à-dire un ensemble de concepts clairement définis et toute
définition devra servir lřanalyse qui en usera. Dans ce sens, la définition la plus
consensuelle et la plus usitée est celle proposée par F. PERROUX pour qui « le
développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux dřune
population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et durablement, son
produit réel global ». Des auteurs comme P. Hugon apporteront des enrichissements
en ajoutant que le développement est aussi « un processus de changements
structurels accompagnant lřaccroissement de la productivité du travail sur une longue
période. Il est processus cumulatif caractérisé par la transformation des relations
sociales et des modes dřorganisation liés à lřaffectation du surplus à des fins
dřaccumulation productive et conduisant à un accroissement de la productivité et sa
diffusion dans un espace donné » Il en va de même pour A.O. HIRSCHMAN (1964)
lorsquř il observe que « dans la typologie lřappellation économie du développement
est réservée à lřun des courants théoriques qui analysent les problèmes de
développement et de sous-développement. Lřéconomie du développement se
caractérise par le refus du mono-économisme (conception unique de lřéconomie) et
lřaffirmation dřune communauté dřintérêt entre pays riches et les pays pauvres ».
Dans la même veine J. R. HICKS ajoute (en 1965) que « lřéconomie du sous-
développement est un sujet extrêmement important, mais ce nřest pas un sujet formel
ou théorique. Cřest un sujet pratique qui implique le recours à toute branche de la
théorie qui le concerne… Sřil y a une branche de la théorie économique, qui le
concerne spécialement, cřest la théorie du commerce international ». Toutefois, « Si

16
lřon veut plus de développement, il faut dřabord plus dřéconomie » (Stephen ENKE,
1963).

2°) Le développement peut aussi se définir à partir de facteurs plus


quantitatifs que qualitatifs : le développement comme croissance du revenu
par habitant, le développement comme changement structurel et le
développement comme processus de dépendance.

a) Le développement assimilé à la croissance du revenu.


Plusieurs auteurs assimilent développement et croissance, notamment celle du
revenu national. Sans entrer dans le débat, on observe quřune variété de statistiques
similaires exprime le revenu dřune nation : Produit Intérieur Brut (PIB), Produit
Intérieur Net (PIN), Produit Domestique Brut (PDB), Produit Domestique Net
(PDN), etc. même si les différences entre ces statistiques sont mineures : ces agrégats
sont tous des mesures de la valeur monétaire globale de tous les biens (récoltes,
tissus, etc.) et tous les services (transports, tailleurs, etc.) produits dans une année.
Donc, la mesure du développement pourrait indifféremment être le RN per capita, le
PIB par habitant, ou le PIN par habitant, etc.
Cette définition est la plus couramment utilisée bien que comportant des
limites quřil importe de souligner avant dřaller plus loin. Celles-ci sont de quatre
ordres :
Dřabord, le manque de précision dans les statistiques, surtout pour les pays
sous-développés. À grands traits les raisons tiennent à divers facteurs : mauvaise
quantification du nombre dřhabitants, une partie importante du PIB nřest pas
commercialisée et prend la forme dřauto-consommation.
Ensuite, le revenu moyen peut être loin du revenu reçu par un citoyen typique.
Souvent, il est obtenu en divisant le PIB total par le nombre dřhabitants. Toutefois, la
meilleure mesure serait le revenu médian calculé en mettant en ordre tous les
habitants, en allant du plus pauvre au plus riche. Pour faire ce calcul, il faut connaître
le revenu de chaque individu, ce que les statistiques actuelles ne permettent pas. Le
degré de surestimation dépend du degré dřinégalité dans la répartition des revenus.
Selon les observations de lřéconomiste Simon KUZNETS, au cours du développement
économique dřun pays, la répartition des revenus commence par devenir plus
inégalitaire, mais ensuite devient moins inégalitaire au-delà dřun certain niveau du
développement. Lřimplication est que lřécart entre le PIB par habitant (le revenu
moyen) et le revenu dřun citoyen typique (le revenu médian) varie avec le niveau du
développement du pays.
En outre, les difficultés de comparaison du PIB/habitant entre différents pays.
La comparaison internationale suppose que lřon rapporte les différentes devises
nationales à une devise commune qui sert dřétalon de valeur (généralement, cřest le
dollar). Seulement les fluctuations des taux de change rendent difficiles les
comparaisons.
Enfin, le revenu nřest ni le niveau de vie ni le bonheur national. Il est très
compliqué de mesurer statistiquement le niveau de vie, à fortiori celui du bonheur
dans un pays. Les comparaisons internationales sont tout aussi difficiles.
En définitive, pour éviter tous ces problèmes découlant de la mesure du PIB,
quelques économistes utilisent dřautres indices de développement comme la
production dřélectricité par habitant, lřespérance de vie, le nombre de lits dřhôpital
par habitant, les kilomètres de voierie par kilomètre carré du territoire, etc. Mais
comment peut-on ajouter des kilowatts dřélectricité à des années dřespérance de vie ?
LřIndice du Développement Humain (IDH) lancé par le PNUD est maintenant

17
souvent évoqué. Cřest un indice composite calculé à partir dřune moyenne pondérée
des indices. Le «poids» de chaque mesure entrant dans la moyenne pondérée est
calculé en utilisant une technique statistique appelée lřanalyse factorielle.

b) Le développement comme changement structurel


La mesure du développement par la croissance du revenu par habitant est une
mesure purement économique et quantitative et elle écarte tout autre paramètre non
économique. Mais le développement dřun pays entraîne toute une série de
changements, sur le plan social, politique, psychologique, etc. autant que sur le plan
économique. Beaucoup dřauteurs font une distinction entre «croissance» (quřils
définissent comme un changement du niveau du revenu sans changement des aspects
non économiques de la société) et «développement» (quřils définissent comme un
changement simultané des aspects sociaux, politiques, économiques de la structure
de la société).
Le problème consiste à déterminer les changements spécifiques de la structure
de la société qui constitueraient un «développement».

c) Le développement comme processus de dépendance


Les pays sous-développés sont définis par une double dépendance vis-à-vis de
lřextérieur (exportations, importations, cours des matières premières, aides
extérieures, flux financiers) et de facteurs internes (climat, conditions de production
etc.). Tous ces facteurs ne sont pas sous contrôle et créent des instabilités et des
risques sur le fonctionnement des économies. En prenant par exemple les
exportations, on sřaperçoit quřelles sont souvent dominées par un ou deux produits
agricoles ou miniers, et les prix de ces produits subissent souvent des fluctuations
violentes (pour des raisons que nous verrons plus tard). En lřespace dřun ou de deux
ans, le prix peut être multiplié (ou divisé) par 3 ou même par 5 (ex. phosphates,
sucre, cuivre, café, pétrole).
Bien évidemment, il est très difficile de mesurer le niveau dřindépendance dřun
pays ou de comparer le degré dřindépendance de différents pays. Les indicateurs
utilisés comme le taux dřinsertion à lřéconomie mondiale calculés à partir des
éléments de la balance commerciale peuvent sřavérer insuffisants.
La notion de développement a fait lřobjet de diverses critiques. Dřabord, elle
fait de lřaccumulation technico-économique le préalable à tout changement social, ce
qui revient à nier le caractère indissociablement culturel des processus économiques
et la dimension multidimensionnelle du changement social. Ensuite, elle traduirait la
volonté des Occidentaux dřimposer leur modèle culturel. Pour les tenants de cette
thèse, le développement est un paradigme occidental qui recouvre une expérience
historique faussement exemplaire, celle de lřEurope de lřOuest et un ensemble de
croyances (croyance en un temps cumulatif et linéaire, croyance en lřattribution à
lřhomme de la mission de dominer totalement la nature, croyance en la raison
calculatrice). Enfin, certains soulignent lřorigine politique du concept. Ainsi, la notion
de pays sous-développés date-t Ŕelle du discours du Président américain H.
TRUMAN de 1949. À lřépoque, il sřagissait de convaincre le contribuable américain
dřaider les pays sous-développés pour des raisons géopolitiques : il fallait limiter
lřexpansion du communisme. Pour les américains, le système colonial et surtout la
misère contribuaient à lřessor des mouvements révolutionnaires.

18
Encadré 1 : Quelques Critiques de la notion de développement.
Selon KUZNETS, la notion de développement économique qui se distingue de la
croissance économique (élévation du revenu par tête et du produit intérieur brut)
combine trois éléments : une croissance économique auto-entretenue, des
changements structurels de la production et le progrès technologique. Les historiens du
développement, les théoriciens du développement de la nouvelle école institutionnelle
et les économistes néoclassiques du développement ajoutent à ces éléments la
modernisation institutionnelle qui permet aux marchés dřorienter rationnellement les
décisions économiques des individus. Les théoriciens de la modernisation ajoutent le
développement politique et social à la liste, tandis que lřécole de lřesprit dřentreprise
insiste sur lřévolution socioculturelle. Enfin, les défaillances du processus de croissance
quřont connu les pays en développement ont amené certains à ajouter lřaugmentation
du bien-être au bénéfice du plus grand nombre à la liste des caractéristiques du
développement économique.
La notion de développement a fait lřobjet de diverses critiques. Dřabord, elle fait
de lřaccumulation technico-économique le préalable à tout changement social ce qui
revient à nier le caractère indissociablement culturel des processus économiques et la
dimension multidimensionnelle du changement social. Ensuite, elle traduirait la
volonté des Occidentaux dřimposer leur modèle culturel. Pour les tenants de cette
thèse, le développement est un paradigme occidental qui recouvre une expérience
historique faussement exemplaire, celle de lřEurope de lřOuest et un ensemble de
croyances (croyance en un temps cumulatif et linéaire, croyance en lřattribution à
lřhomme de la mission de dominer totalement la nature, croyance en la raison
calculatrice). Enfin, certains soulignent lřorigine politique du concept. Ainsi, la notion
de pays sous-développés date-t-elle du discours du Président américain H. TRUMAN
de 1949. A lřépoque, il sřagissait de convaincre le contribuable américain dřaider les
pays sous-développés non seulement pour des raisons géopolitiques (il fallait limiter
lřexpansion du communisme.) Pour les américains, le système colonial et surtout la
misère contribuaient à lřessor des mouvements révolutionnaires.

IV/ De la crise du développement à l’avènement du développement durable

Aujourdřhui, beaucoup dřauteurs critiquent avec sévérité, le développement,


lřÉconomie du développement ou les théories du développement. Cřest le cas de Samir
AMIN lorsquřil observe que « Le développement est en panne, sa théorie en crise et
son idéologie fait lřobjet de doute ».
Cette contestation intervient dans une période particulière de lřévolution
caractérisée par des ruptures graves des équilibres naturels et environnementaux du
fait des activités productives qui gaspillent ou détruisent les ressources naturelles
(surtout celles qui sont non renouvelables), la biodiversité, la forêt, lřeau, les matières
premières, la pollution atmosphérique. Cette situation a conduit beaucoup dřauteurs à
se convertir au développement durable issu de la commission BRUNDLAND (1987)
qui est défini comme « le développement qui est apte à satisfaire les besoins des
générations actuelles sans pour autant porter atteinte à ceux des générations futures.
Plus précisément, il sřagit, selon cette définition, dřune tentative planétaire de
synthèse entre, dřune part, la nécessité de continuer le processus de développement
avec la variante la plus importante et la plus prioritaire, la lutte contre la pauvreté et,
dřautre part, la nécessité de sauvegarder lřenvironnement.
Le développement durable ainsi compris est multidimensionnel puisquřil
articule théoriquement trois dimensions économique, sociale et écologique mais

19
également il est un facteur de croissance économique basée sur l'économie sociale et
solidaire, l'éco-conception, le biodégradable, le bio, la dématérialisation, le réemploi-
réparation-recyclage, les énergies renouvelables, le commerce équitable, la
relocalisation etc. Ce nouveau mode de développement qui veut assurer
l'épanouissement de tout le genre humain, présent et à venir, partout et tout le temps
soulève de nombreuses interrogations même sřil entraîne des adhésions massives.
Sřagit-il comme lřobserve Jean MARC « dřune auberge espagnole, où chacun met très
exactement ce qui l'arrange, un vœu pieux, ou un parfait exemple de schizophrénie,
ou...un dialogue de sourds » ?

V/ Les courants de pensée en économie du développement

Dans le domaine du développement, les recherches, réflexions et pratiques sont


extrêmement évolutives avec des différences fondamentales de nature idéologique,
théorique et méthodologique, entre les écoles et courants de pensée. Il en résulte des
controverses et des débats riches alimentés par l'éventail des théories économiques,
leurs instruments et modèles. Donc, la discipline devrait tirer un grand profit de ces
approches. Cependant, les théories du développement se sont affirmées comme un
corpus distinct dans la science économique dès lors qu'elles postulent l'existence de
spécificités communes à un ensemble de pays en même temps qu'elles adoptent l'idée
que le développement ne se réduit pas à la croissance. Ainsi, depuis un demi-siècle,
l'évolution de cette discipline reflète une tension entre, d'une part, le corset d'un
appareil analytique (l'analyse économique «standard») qui a ses règles
méthodologiques et son ambition universaliste, d'autre part, les particularités
auxquelles il s'agit de l'adapter. Globalement, on peut distinguer, actuellement, quatre
grands courants de pensée en économie du développement :
Un premier courant qui réactive, à la lumière des travaux récents sur la
croissance endogène (GUELLEC et RALLE, 1996 ; KRUGMAN, 1993 ; LUCAS, 1988 ;
ROMER, 1986 ; etc.), les théories des précurseurs du concept de croissance : croissance
déséquilibrée de HIRSCHMAN et le « Big push » de Rosenstein RODAN ;
Un deuxième courant qui privilégie, dans ses approches du développement, les
aspects liés à l'imperfection des marchés, la place et le rôle des institutions dans la
coordination des activités des agents économiques. Ce courant, dénommé le courant de
la régulation, remet en cause la capacité du commissaire-priseur à assurer la
convergence des intérêts contradictoires des agents et accorde une grande importance
aux différentes institutions jouant un rôle dans la régulation et le fonctionnement des
économies ;
Un troisième courant qui renouvelle les analyses structuralistes (Néo-
institutionnaliste) à partir d'une critique des approches orthodoxes de la stabilisation ;
Un quatrième courant néo-marxiste qui remet en question la pensée dominante
tendant à sřuniformiser et qui préconise le néolibéralisme et l'occidentalisation des
sociétés en développement comme perspectives exclusives. C'est cela le fondement du
« Consensus de Washington » qui consacre les politiques d'ajustements structurels. Or,
pour ce courant, les pays en voie de développement ne peuvent espérer se développer à
cause de l'impérialisme (rapports inégaux) c'est-à-dire leur intégration historique dans
l'économie mondiale et le détournement du surplus vers des accumulations
improductives par les classes dominantes (P. BARAN, 1957 ; S. AMIN, 1970 ; A. G.
FRANCK, 1978).

20
VI/ Périodisation de l’évolution de la pensée du développement selon
P.HUGON.
Dans une analyse fouillée et très rigoureuse P. HUGON (1991) distingue trois
moments, introduisant chacun un paradigme de lřéconomie du développement :

1°) Le premier moment est celui de la décolonisation et du début de


construction des systèmes économiques nationaux : deux concepts
prédominent « État et Développement »

À cette période lřobjectif majeur était de forger un corpus scientifique qui rompt
avec la représentation coloniale, de sociétés sans histoire et de peuples aux mentalités
archaïques, traditionnelles. Il fallait alors se tourner vers des problématiques
alternatives fondatrices de lřéconomie du développement, dans lesquelles, lřEtat est un
pilier du développement (MEIER & SEERS, 1987). Cette posture était justifiée par
lřinexistence dřune bourgeoisie nationale ou dřun secteur privé national capable
dřexploiter toutes les opportunités dřinvestissement pour élever les forces productives.
Le schéma de cette école de développement est fortement influencé par le
contexte international issu de la seconde guerre mondiale. Même Keynes a été minorisé
lors des débats fondateurs des institutions de Bretton Woods, lřinterventionnisme est
dans lřair du temps. En effet, le Plan MARSHALL sert de modèle dřaide et de
financement des investissements nationaux de base et de construction dřespaces
régionaux. Ainsi, on comprend aisément que lřEtat soit au centre des interrogations de
la quasi-totalité des sciences sociales. Les économistes le situent au cœur du processus
de développement économique : les juristes et politologues en font le noyau de
référence, comme les géographes, aménageurs du territoire, ou les historiens
privilégiant le cadre national. Les anthropologues ou ethnologues, les géographes
ruralistes soulignent, par contre, la spécificité des structures africaines et le jeu des
pratiques sociales. Ils se situent davantage au niveau des petites échelles et des
microsociétés. Cette première période dans lřhistoire de lřéconomie du développement a
été influencée dans le Tiers-Monde par les grandes thèses nationalistes et celles du
mouvement des non-alignés cherchant, à travers un développement endogène à
satisfaire les besoins sociaux de base des populations (éducation, santé, infrastructures
sociales). Cette politique volontariste a cherché à sřadosser sur les potentialités internes.
Les pays du Tiers-Monde cherchaient alors une troisième voie de développement.
Selon le continent, les problèmes du développement se posent de manière
différente. En Amérique Latine, on tente dřinstaurer une économie de marché tout en
favorisant un protectionnisme éducateur pouvant faire émerger une jeune industrie
dřimport substitution. Alors quřen Asie, les débats sont controversés sur le choix des
techniques et leur rôle au sein dřune économie de marché ou planifiée. Dřautres
questions non moins importantes sont également posées et portent sur les réformes
agraires. En Afrique, au-delà de ces préoccupations, des questions spécifiques tournent
autour de lřouverture des pré-carrés coloniaux et de lřabolition des monopoles.

2°) Le deuxième moment est celui des années 70 : le moment de la


radicalisation avec les succès politiques et économiques de la
tricontinentale qui revendique un Nouvel Ordre Economique mondial.

À la fin de la décennie soixante, la pensée dominante sur le développement se


radicalise. Elle réclame la prise en compte des intérêts des pays du Tiers - Monde sur la
scène internationale. Les tenants de ce courant sont qualifiés de tiers-mondistes et
élaborent les nouvelles théories de lřimpérialisme, de lřéchange inégal, de lřexploitation

21
des masses de la périphérie par les bourgeoisies du centre, des luttes sociales à lřéchelle
tricontinentale (Asie, Afrique et Amérique Latine). Cette période sera marquée par la
constitution dřun vaste mouvement de solidarité des pays du Tiers-monde autour de
leurs combats politiques et économiques, la formation du mouvement des Non-alignés,
la constitution de puissants cartels (OPEP) et de groupes de pression (Groupe des 77,
Groupe des 15, etc.) et lřavènement de la Tricontinentale. Les succès des guerres de
libération nationale et la révolution chinoise vont jouer un rôle important dans les
nouvelles perspectives du Tiers-Monde. Le contexte dřun monde bipolaire avec des
affrontements idéologiques conduit à un éclatement des écoles : MAO TSE TOUNG
dans la nouvelle Démocratie Populaire préconise que « mille écoles rivalisent et que
mille fleurs fleurissent ».
Durant cette période apparaissent les premières remises en question du Système
Monétaire International (SMI)13 issu de Bretton Woods : abandon de la parité fixe du
dollar par rapport à lřor et lřinstauration des systèmes de changes flexibles (décision de
NIXON 1971). Cette transition du SMI est renforcée par la première crise pétrolière
(1973) qui est la première victoire des pays en développement membres de
lřOrganisation des Pays Exportateurs de Pétrole au devant de la scène internationale
augurant la première inversion des flux de capitaux (pétrodollars) des pays développés
vers les pays sous-développés exportateurs de pétrole. Cette victoire va permettre de
poser le débat sur lřimpératif dřun Nouvel Ordre Économique International (NOEI) et
lřinstauration de rapports économiques et financiers plus équilibrés.
Également, cřest dans ce contexte que lřon tente de définir une troisième voie à
équidistance entre les blocs capitaliste à économie de marché et socialiste à économie
planifiée. Les projets de développement endogène font leur apparition.
3°) Le troisième moment est celui de la crise des années 80 et
l’avènement de la libéralisation et de la gestion capitaliste.
Lřéclatement de la crise économique et financière mondiale des années 70, en
déréglant le système économico-financier international, viendra extérioriser toutes les
faiblesses structurelles des économies du Tiers-Monde : la non émergence dřune
agriculture performante et diversifiée capable de satisfaire une demande alimentaire
fortement croissante, la persistance dřune industrie monopolaire peu compétitive et
extrêmement protégée, un sous-emploi des jeunes de plus en plus massif, la pauvreté de
masse, le double déficit des finances publiques et de la balance des paiements. Pour
juguler les nouveaux déséquilibres, il est envisagé lřinstauration dřune politique longue
et certainement pénible dřajustement structurel.
Les institutions de Bretton-Woods, Banque mondiale et FMI, vont exercer un
leadership doctrinal. Lřautonomisation de la sphère financière et la gestion de la dette
conduisent à privilégier les équilibres macro-financiers et les ajustements de court
terme (stabilisation). On constate lřéchec Ŕ ou lřutopie Ŕ du NOEI.
Enfin, les mouvements populaires et la montée des processus démocratiques, de
même que lřatténuation de lřapartheid en Afrique du Sud, mettent en question des
pouvoirs sans légitimité et mettent en œuvre de nouveaux modes de gestion politique
pouvant favoriser la sécurité et lřémergence dřacteurs innovants.
Pour P.HUGON, « les années quatre-vingt sont caractérisées par le
dépérissement des théories globalisantes, le déplacement très net de la recherche du
rural vers lřurbain, et le poids croissant donné aux acteurs et aux politiques. Au sein de
lřéconomie domine une pensée standard ou orthodoxe. La question de la transition vers

13Le SMI est un ensemble de pratiques qui régissent les mouvements de biens et des capitaux, les
comportements de Banques centrales dans la gestion des réserves officielles, le rôle de chef dřorchestre
dévolu au FMI.

22
le socialisme fait place à celle de la transition vers le marché. Les concepts de modes de
production, dřimpérialisme, dřéchange inégal, de développement des rapports
capitalistes, de classes sociales sont considérés comme obsolètes, et ceux qui les
emploient encore, comme des anciens combattants… Au niveau politique, la
construction des États-nations et des partis uniques débouche aujourdřhui sur
lřinformalisation de lřÉtat et les tentatives de pluripartisme. Sur le plan économique, la
phase de lřEtat-développeur a fait place à des programmes dřéquilibrages financiers et
de transition à lřéconomie de marché. Ces nouvelles orientations sont une réponse à la
crise africaine qui est à la fois économique, sociale et politique ».

Encadré 2 : Petite histoire de la pensée du développement.


Dans leur contribution, lors de la seconde conférence européenne sur le
développement organisée par la Banque mondiale et le Conseil dřAnalyse Economique à
Paris du 26 au 28 juin 2000 intitulée : « fifty years of development » Paul COLLIER,
David DOLLAR et Nicolas STEN résument sommairement comme ils le soulignent les
principaux changements dans lřhistoire de la pensée du développement. Ces
changements sont dus dřune part aux expériences dans les différents pays et dřautre part,
aux évolutions de la science économique.
Dans les années cinquante et soixante. De nombreux économistes
considéraient que le fonctionnement ne pouvait pas répondre de manière satisfaisante
aux problèmes particuliers des pays en développement. LřÉtat devait jouer un rôle
majeur dans lřallocation des ressources et, notamment, en matière dřinvestissement. La
grande dépression des années trente et la réussite à lřépoque des expériences de
planification, que cela soit en URSS ou bien au Royaume-Uni au cours de la Seconde
Guerre expliquent une telle position. Même sřil existait des différences sur la nature de la
croissance équilibrée ou déséquilibrée, lřÉtat était amené à jouer un rôle essentiel. Seuls
des économistes comme Peter HAYEK, Gottfried HABERLER et Friedrich von HAYEK
sřopposaient à ce consensus. Un deuxième paradigme de la pensée du développement à
lřépoque met en exergue son pessimisme vis à vis des stratégies de développement
fondées sur les exportations et, au contraire, lřencouragement donné aux stratégies de
substitution dřimportation.
Dans les années soixante et soixante-dix. Plusieurs études de nature
microéconomiques mirent en évidence les distorsions de prix et les inefficacités qui
résultaient des stratégies de substitution à lřimportation. Parallèlement, la théorie
économique a été amenée de plus en plus à sřintéresser aux problèmes dřinformation et
dřincitation et à la manière dont les arrangements contractuels développés pouvaient soit
résoudre, soit au contraire, aggraver ces problèmes. Cřest au cours des années soixante et
soixante dix que se sont également développées les études concernant la mesure de la
pauvreté et des inégalités et les analyses de la relation entre concentration de revenus et
la croissance, initiée par la courbe en « U » reversée de Kuznets.
Les années quatre-vingt ont marqué un tournant. Dřune part, la disponibilité
des données ainsi que les progrès en matière de traitement informatique des données ont
permis une analyse empirique dřun certain nombre de mécanismes du développement.
Dřautre part, les maigres résultats obtenus par les stratégies de développement mises en
avant dans les années cinquante ont conduit à la fois à une faible croissance et à des
problèmes dřajustement et de dette.
Au cours des années quatre-vingt-dix. Lřaccent a été mis sur le rôle des
institutions dans le développement et notamment lřimportance des systèmes juridiques
et financiers. Des travaux ont été menés dans les domaines de lřéconomie politique de la
réforme et de la construction institutionnelle. Le capital social (degré de cohésion sociale,
normes, associations, réseaux dřinfluence) est maintenant analysé comme un facteur
important dans la mise en œuvre des politiques économiques des réformes, ainsi que le

23
fonctionnement des institutions. Parallèlement, un ensemble de travaux a été consacré à
lřefficacité du rôle de lřaide au développement. Ils ont mis en évidence le rôle des
institutions et des politiques dans les résultats de cette aide.

VII/ Quelle est la structure de cet ouvrage ?

Cet ouvrage est une réflexion adossée sur lřÉconomie du Développement avec
des références à lřAfrique. Sa problématique est fort simple dans le contexte de
mondialisation irréversible et à la lumière des enseignements de lřÉconomie du
développement, quelles sont les grandes questions qui se posent aux PSD en général
et africains en particulier ? Quelles sont les réponses en termes de stratégie et de
politiques de développement ?
Dřun point de vue méthodologique, nous avons divisé cet ouvrage en cinq
parties logiquement articulées : Le contexte de mondialisation (Partie introductive),
Les Théories Économiques et le développement (1), Le concept et la morphologie du
sous-développement, les options, les stratégies et les instruments de gestion du
développement (2), Les politiques sectorielles de développement (3), Le financement
du développement (4) et Lřintégration et lřinsertion dans la mondialisation (5). Pour
alléger le volume de lřouvrage, il a été scindé en deux tomes : le premier comprend les
deux premières parties qui forment les théories et analyses du développement et du
sous-développement et le second tome est composé des trois dernières parties qui
traitent des stratégies et politiques de sortie du sous-développement.
La partie introductive analyse le contexte de mondialisation qui conditionne
tous les processus productifs, financiers, technologiques, sociaux et culturels qui
permettent de mieux comprendre les enjeux actuels du sous-développement et du
développement. Quelle compréhension avons nous de ce mot « fétiche » et
polysémique ainsi que de ses configurations? Est-elle un handicap ou opportunité
surtout quand elle est présentée comme une réalité incontournable qui condamne
tous les pays à sřajuster à cet ordre (ou désordre) mondial caractérisé par la
formation et la complexification de puissants pôles de compétition qui entreprennent
un travail gigantesque de disqualification à la fois des territoires et des États.
La première partie traite des Théories Économiques face au développement et
sous-développement. Cřest une revue sommaire de la boîte des références sur laquelle
sřappuient les économistes, les chercheurs et les techniciens pour comprendre,
expliquer, justifier et agir ?
La Science économique est devenue aujourdřhui, une entreprise extrêmement
impressionnante par la quantité des recherches, ouvrages et articles disponible pour
lřanalyse et lřaction. Au-delà des diversités dřapproches et des méthodes, des
controverses et des désaccords multiples, cinq grandes familles de pensée
économique se sont particulièrement passionnées à la problématique du
développement : les classiques de A. SMITH à D. RICARDO, les Keynésiens de J. M.
KEYNES à ses condisciples HARROD, DOMAR, J. ROBINSON, les marxistes de
MARX à P. BARAN, de P. SWEEZY à lřÉcole de la régulation, la Synthèse néo-
classique contemporaine de JEVONS, MENGER, L. WALRAS à LUCAS et les
structuralistes et institutionnalistes qui forment un ensemble disparate dřauteurs
allant des « hétérodoxes » aux divers institutionnalistes et socio-économistes. Cette
catégorisation nřa quřune valeur didactique au regard de lřentrecroisement des
analyses et des idées : en fait il nřexiste pas entre les grandes familles de pensée des
barrières infranchissables tellement les méthodes, les références et parfois les
formulations sont voisinent. Cřest la conséquence, que les théories économiques ne

24
sont pas toutes nées à la même époque et nřont pas eu à affronter les mêmes
problèmes.14
La deuxième partie présente une analyse des caractéristiques constitutives du
sous-développement et une introduction générale aux objectifs, stratégies et
instruments de gestion pour sortir du sous-développement. En effet, quand les
économistes analysent ce phénomène, généralement, ils exhument un certain
nombre de faits, une batterie dřindicateurs, de structures de tous ordres qui suscitent
de vives controverses comme si ces éléments en eux-mêmes étaient suffisants pour
définir et caractériser le phénomène de sous-développement. Ces diverses
représentations du sous-développement selon le mot de G. D. DEBERNIS 15 se
présentent souvent comme une combinaison subtile de théories, de faits, dřintérêts,
de pouvoirs, de mythes. La science commence toujours par une bonne observation
des faits à partir de concepts et vocabulaires clairement définis. Dès lors quels sont
les faits caractéristiques du sous-développement ? Peut-on les réduire aux traits de
structure et de fonctionnement qui font apparaître la conséquence majeure des PSD
à savoir leur incapacité à briser «le cercle vicieux de la pauvreté». 16 Quelles sont les
stratégies et options de développement économique et social qui découlent de la
morphologie du sous-développement ? La finalité des stratégies et politiques de
développement étant lřélévation du niveau de bien-être des populations, sa réalisation
passe par la définition dřoptions claires, dřinstitutions dřencadrement de la
croissance, de lřorganisation de lřéconomie, de lřutilisation de techniques de décision
comme la planification, des analyses prospectives et enfin des acteurs. Deux
problèmes déterminants sont traités à ce niveau : la stratégie de lřémergence à partir
de la croissance économique et la planification comme instrument de cohérence et
dřexploration de lřavenir. Lorsque lřon passe de lřéconomie du certain à celle de
lřincertitude, lřoutil de planification devient indispensable pour lřEtat dans lřexercice
de ses fonctions dřimpulsion et de régulation des économies.
La Troisième partie est relative aux stratégies et politiques sectorielles. Le
débat agriculture-industrie est maintenant très largement tranché. Le décollage et la
croissance des PSD peuvent-ils encore se réaliser avec lřagriculture comme secteur
moteur ? Lřindustrialisation est-elle encore possible ? Quelle articulation entre
politique agricole et politique industrielle ? Cette partie apprécie les politiques à
entreprendre au niveau : Premièrement de l’agriculture considérée comme un
secteur prioritaire devant accomplir des fonctions motrices dans toute stratégie de
développement avec une analyse qui sřarticule autour : des limites de lřagriculture
paysanne : pourquoi les résistances à la libéralisation du secteur ; des axes dřune
autre politique agricole et de la fameuse question des subventions agricoles à lřéchelle
mondiale. Deuxièmement de l’industrialisation qui a joué dans lřhistoire un rôle
essentiel et contribué dřune part à lřaccumulation productive et à la formation et à
lřaccroissement du capital physique par la production des biens dřéquipement et
dřautre part, à lřaugmentation de la productivité du travail. Dans cette optique, trois
(03) questions sont à résoudre : les distorsions historiques en faveur des branches et
techniques légères et lřindustrialisation de substitution aux importations; le dilemme
industrie lourde Ŕ industrie légère et lřarticulation de lřindustrie à lřagriculture qui
permette une transformation rapide des systèmes agraires. Troisièmement de la
problématique technologique et des innovations : nous partons de lřidée quřil nřexiste

14 . GALBRAITH : Lřéconomie en perspective. Une histoire critique, Édit. du Seuil, 1989


15 Gérard Destanne DEBERNIS : Le sous-développement, analyses ou représentation, Revue Tiers-
Monde, tome XV n° 57, Janvier 1974
16 Gunder FRANK préfère le terme de « développement du sous-développement » qui est lřintitulé de

son ouvrage publié aux Édit. François Maspero

25
pas de détermination technologique. Le vaste processus dřintellectualisation
croissante du travail social condamne les formations sous-développées à trouver des
raccourcis. Dès lors que la science devient la base théorique non seulement de
maîtrise des forces de la nature mais aussi de la direction méthodique orientée des
processus sociaux de développement de la société, la technologie revêt une
importance capitale. Lřanalyse sřorganise autour de : lřévaluation du pool
technologique disponible et que lřon peut mettre ensemble dans un processus de
production ; lřappréciation des enjeux technologiques qui obligent le Tiers-monde à
progresser rapidement dans la promotion de la révolution scientifique et technique et
lřélaboration dřune nouvelle politique technologique.
Lřautre question analysée concerne la politique commerciale qui a joué,
contrairement aux expériences de la plupart des pays africains, un rôle dynamique
dans le processus de développement et dřamélioration de la compétitivité des
économies. Or, la question qui se pose aujourdřhui est de savoir si les pays en
développement peuvent continuer à jouir des mêmes libertés quřils ont pu avoir par
le passé, pour mettre à contribution la politique commerciale dans la construction de
leurs stratégies de développement. Cette question est dřautant plus importante que
les réformes entreprises depuis lřUruguay Round réduisent lřusage des outils de la
politique commerciale et par conséquent laissent une marge limité aux PSD. Certains
se demandent dřailleurs si lřavènement de lřOMC ne signifie pas finalement la fin des
politiques commerciales nationales.
La quatrième partie étudie le financement du développement. En effet,
pendant longtemps, il a été considéré que le développement est entravé par la
pénurie ou lřinsuffisance de capitaux dřoù les besoins financiers énormes pour faire
face dřune part aux investissements productifs qui animent la croissance économique
et dřautre part aux dépenses publiques qui dépassent trop largement les ressources.
Pareille situation entraîne de lourds déficits financiers qui ne peuvent se résoudre
que par trois sources essentielles : le recours à lřendettement, aux Investissements
Directs Etrangers et à lřAide Publique au Développement. Toutes ces sources sont
externes et appellent en conséquence lřinstauration de politiques adéquates de leur
mobilisation en vue du financement du développement.
La cinquième partie est relative aux problèmes dřintégration comme mode
dřinsertion dans le système mondial. La mondialisation est entrain de déplacer
systématiquement les frontières de la production et des échanges commerciaux,
financiers et technologiques en créant de vastes blocs de compétition qui affaiblissent
voire même gomment les Etats Nations. Face à cette configuration multipolaire de la
globalisation, si les faibles Etats africains veulent survivre et prospérer, ils nřont
aucune autre alternative que lřintégration économique, régionale ou sous-régionale.
Ce sera leur marchepied vers la mondialisation. Ils pourront alors disposer dřun plus
grand pouvoir de négociation et mieux exploiter les différentes offres de partenariat
émanant des différents blocs en compétition afin de les faire évoluer vers la formation
dřun véritable contrat mondial de développement.
Ainsi structuré, cet ouvrage, à proprement parler, nřest pas un manuel
classique dřÉconomie et de théories du développement, son ambition est beaucoup
plus modeste bien quřil sřadresse à un public large et varié. Il sřorganise autour de
deux objectifs majeurs :
Mon premier objectif est une interpellation de toutes les élites intellectuelles
toutes disciplines confondues, des techniciens du développement, des chercheurs et
étudiants du Troisième Cycle pour une réappropriation des questions du
développement de lřAfrique. Ce faisant, nous voulons convier toute lřintelligentsia
africaine à une réflexion dřensemble sur nos propres problèmes en vue de leur

26
trouver nos propres solutions. Voilà pourquoi nous avons évité les formulations
sophistiquées qui sont souvent inaptes à lřexplication et à lřaction. Les thèmes
abordés offrent lřopportunité dřun élargissement du débat. En effet, de la pertinence
du diagnostic établi à partir de lřexamen minutieux des questions du sous-
développement, dépendront la qualité et lřefficacité des stratégies du développement.
De plus, la science économique a toujours progressé à partir de vives controverses, ce
qui en fait une doctrine antidogmatique.
Pourquoi cette référence à lřAfrique ? Simplement parce que le continent est
traversé par une triple crise économique, politique et sociale et quřil peine toujours à
sortir par le haut de lřétat de sous-développement. Cette référence est donc une
invitation pour une plus grande implication dans la formulation des problématiques
de développement et dans la recherche de solutions. Depuis le milieu des années 70,
lřAfrique est confrontée à lřapprofondissement de ses déficits macroéconomiques et
macro financiers, à la stagnation voire au recul de sa production agricole comme
industrielle, à lřélargissement de la pauvreté de masse et au creusement de son retard
dans les domaines cruciaux des technologies de lřinformation, de la communication,
de lřinnovation en somme de la nouvelle économie du savoir. Incontestablement, il
sřagit dřune crise profonde de développement qui se manifeste à plusieurs niveaux
dont trois sont déterminants, à savoir :
lřexistence et la perpétuation dřune crise agro-alimentaire persistante
faisant du continent une zone dřinsécurité alimentaire endémique alors
que dřautres régions connaissent des surproductions parfois détruites pour
équilibrer les marchés;
la double explosion démographique et urbaine qui accentue les
déséquilibres macroéconomiques tout en délitant complètement tous les
rapports sociaux et les relations villes/campagnes ;
lřendettement asphyxiant qui nřa pourtant que très peu contribué à la mise
en place dřun réseau fonctionnel dřinfrastructures économiques et sociales,
à lřamorce dřune industrialisation fondée sur la valorisation des immenses
ressources naturelles, au financement de lřagriculture ainsi que des
transferts techniques.
Sřagit-il dřune crise des modèles de développement, des institutions de
régulation des systèmes économiques et sociaux ou alors plus gravement, ne sřagit-il
pas dřune crise de la pensée du développement ? Toutes les études prévisionnelles ou
prospectives sur lřévolution du monde au-delà de lřan 2025 sont formelles : lřAfrique
restera à cette échéance au bas de lřéchelon des nations, cřest-à-dire, dans la catégorie
des nations encore sous-développées. À lřévidence, les prévisions sont loin dřêtre des
prophéties, mais elles imposent des interrogations rigoureuses sur ce quřil faut faire
pour modifier ou conjurer les trajectoires négatives. Quels modèles de
développement et quelles stratégies faut-il adopter pour sortir le Continent africain
des scénarios tendanciels de marginalisation, dřexclusions ou plus sévèrement de
clochardisation dans un monde globalisé avec un rétrécissement des espaces et des
distances du fait de la révolution des technologies de lřinformation et des
télécommunications.
Mon deuxième objectif est dřoffrir surtout aux jeunes chercheurs et aux
étudiants une première grande synthèse qui leur ouvre le maximum de références
théoriques, dřinstruments dřanalyse et de matériaux statistiques afin quřils aillent
bien au-delà des sentiers archi battus et des formulations de haute voltige du
développement qui nřont que dřassez faibles liens avec les réalités africaines. La
presse foisonne de questions gênantes pour le monde des économistes africains
comme : Pourquoi des économistes universitaires et à quoi servent leurs

27
théories toujours divergentes? Expertise et ambiguïté de la science économique ?
Rhétorique et idéologie marquée par un formalisme complètement désincarné avec
au départ lřirréalisme des hypothèses ? Pourquoi une pensée économique quand les
économistes, selon le mot de Daniel COHEN, arrivent bien souvent après la bataille ?
Regardons le monde sans complaisance pour mieux mesurer notre poids,
lřécart qui se creuse et surtout le largage de notre continent malgré lřimmensité de ses
ressources. Certainement les solutions ne sont pas dans lřalchimie des formulations
creuses qui peuplent nos manuels et nos enseignements.

28
29
« Le terme de mondialisation désigne l’ensemble des phénomènes à travers
lesquels la vie de chaque habitant de la planète est liée, au moins en partie, à
des décisions prises en dehors de son propre pays ».
B. GUILLOCHON 17

Considérée comme une chance pour les uns, une menace pour les autres, le
phénomène de la mondialisation semble déterminer désormais lřavenir de la planète
et suscite des débats passionnés, des controverses savantes et des proclamations
politiques aussi simplistes que péremptoires. Le phénomène sřest élargi au point
dřaffecter aujourdřhui le politique, le social et le culturel. Cela soulève beaucoup
dřinterrogations que résume parfaitement S.CORDELLIER18 à savoir :
Que recouvre le concept ?
La mondialisation de la production et des échanges, phénomène ancien, a-
t-elle véritablement changé de contenu ? Quels liens avec la nouvelle
Révolution Scientifique et Technique ?
Quelles sont les conséquences directes et indirectes de la globalisation
financière ?
Les multinationales sont-elles devenues globales ? Quelles seront les
conséquences à moyen et long terme de la concurrence des pays à bas
salaires pour les vieux pays industrialisés ?
Quřen est-il réellement des Etats-Nations ? Sont-ils inéluctablement
condamnés au déclin ?
Faut-il se résigner à abandonner toute ambition en matière de politique
économique et se contenter de constater les contraintes ? Que peuvent les
politiques économiques ?
Que doivent faire les Pays qui sont marginalisés et obligés dřévoluer en
marge du système mondial ?
Mais dřabord, de quoi sřagit-il lorsquřon parle de mondialisation ? En réalité, elle
recouvre quatre significations :
lřextension de lřéconomie de marché à lřensemble de la planète 19 : cřest une
définition classique qui met lřaccent sur la synchronisation des marchés.
lřensemble du processus productif qui prendrait une dimension
mondialisée dans ses sphères réelles, monétaires et dřéchange.
lřinternationalisation par les Firmes multinationales qui imposent les règles
du jeu international au détriment de toutes les autres institutions;
lřéconomie globalisée, avec une régulation à lřéchelle mondiale.
Bien que les termes de « mondialisation », « globalisation », « internationalisation »
soient à la fois flous et empreints dřambiguïté, chacun pense que leurs conséquences
(sans pouvoir les discerner avec précision) sont importantes. Pour certains
économistes, lřentrée dans la mondialisation se mesure par un pourcentage
significatif du PIB de la nation réalisé avec l'extérieur alors que pour d'autres, ce
pourcentage est moins significatif que la «dépendance » ou «lřindépendance» de la
nation vis-à-vis de décisions prises par des acteurs de l'étranger : firmes ou États
compte tenu du caractère de "price taker" ou de "price maker" que détiennent ces
acteurs sur le marché mondial. Pour d'autres enfin, la mondialisation sřexprime à
travers lřensemble des « mécanismes dřaccumulation à lřéchelle mondiale » qui

17 B. GUILLOCHON : La mondialisation une seule planète, des projets divergents, Petite Encyclopédie
Larousse.
18 Dossier de lřEtat du monde, Edition coordonnée par Serge CORDELLIER, La Découverte 1997
19 Alternatives Économiques, Hors Série n°44, Page 52

30
enrichit les partenaires les plus riches et appauvrit les autres par lřéchange inégal
caractéristique des distorsions dans le processus de formation des marchés
internationaux et de distribution des revenus.
À lřorigine, la mondialisation était essentiellement perçue par les auteurs
comme un fait économique et financier qui indiquait la suppression progressive de
barrières douanières et réglementaires pour les entreprises industrielles,
commerciales et financières, ce qui permettait leur déploiement sans entrave et la
délocalisation de leurs activités dans lřespace mondial. Les firmes multinationales se
trouveraient ainsi au cœur dřun processus productif de dimension mondiale
commandé par la recherche dřun profit maximal axé sur lřexploitation des dotations
factorielles naturelles des pays. Le phénomène sřest par la suite élargi au point
dřaffecter aujourdřhui le politique, le social et le culturel. Cela soulève beaucoup de
problèmes pour un concept aussi abusivement utilisé.
Manifestement, le sujet est vaste, complexe, largement débattu, mais souvent
sans analyses robustes avec des statistiques crédibles. Selon la remarque de R.
BOYER, «quand des ouvriers dřun abattoir de poulets se mettent en grève pour
contester un aménagement de leurs horaires de travail, on décrète quřils se battent
contre la mondialisation qui impose sa rationalité aux entreprises de ce secteur
étroitement dépendant de ses performances à lřexportation. Lorsquřun gouvernement
choisit de renoncer à exercer ses prérogatives pour sřaligner sur les positions des
lobbies favorables au tout-déréglementation, il se justifie en se fondant sur les
nouvelles exigences de la mondialisation20 ».
Malgré sa forte présence dans plusieurs secteurs et dans plusieurs régions du
globe, la mondialisation nřest pas encore universelle. Au contraire, une de ses
particularités marquantes est quřelle est paradoxalement non homogène et fortement
asymétrique, dans la mesure où toutes les activités économiques, financières comme
culturelles ne se mondialisent ni au même rythme ni de la même manière. Certaines,
telles que la finance et les entreprises sont mondialisées depuis des siècles, alors que
dřautres sont encore solidement chevillées dans des frontières géographiques
nationales dont elles portent les marques. Cřest bel et bien une mondialisation à
plusieurs vitesses entraînant des chocs asymétriques.
Dans cette optique, la mondialisation considérée comme un phénomène
multiforme soulève beaucoup de questions quant à ses liens avec les PSD qui
évoluent encore à sa périphérie :
Offre-t-elle les mêmes chances et les mêmes avantages à tous les
partenaires ou participants?
Quelles sont objectivement ses conséquences directes et indirectes sur les
différents partenaires, singulièrement les plus faibles dřentre eux?21
Pourra-t-elle contribuer positivement à la croissance économique des pays
dřAfrique sub-saharienne, au développement de lřemploi, à lřéradication de
la pauvreté et à la réduction des inégalités ?
Quel sort réserve-t-elle aux acteurs nationaux les plus fragiles et les plus
déficients ?
Va-t-elle harmoniser les structures institutionnelles et les normes et valeurs
propres aux sociétés ?
Est-elle inéluctable ou contournable ?

R. BOYER et al : Mondialisation au-delà des mythes, Édit. La Découverte, 1997, 174p.


20

Moustapha KASSÉ (2003) : De lřUEMOA au NEPAD : le nouveau régionalisme africain, Éditions


21

Nouvelles du Sud, 256 p

31
Ces questions sont déterminantes pour les PSD, particulièrement ceux au Sud
du Sahara qui sont engagés dans un vaste chantier dřune éradication de la pauvreté à
lřhorizon temporel 2015 qui correspond à la réalisation des Objectifs du Millénaire
pour le Développement (OMD) du PNUD. Cela commande la mise en place de
stratégies claires de développement avec des investissements massifs dont la part la
plus importante ne devront provenir que de lřextérieur.

32
CHAPITRE 1
CONFIGURATION MULTIPOLAIRE DE LA
MONDIALISATION.
La mondialisation présente un caractère de contrastes et de paradoxes. Les
statistiques qui ressortent des Rapports mondiaux des Organisations Internationales
(Banque mondiale, PNUD, CNUCED, CEA, BAD) montrent que depuis deux siècles
le monde nřa jamais produit autant de richesses, disposé dřautant de techniques et
pourtant, jamais il nřa été produit autant dřinégalités et de pauvreté révélant ainsi la
marque dřune humanité socialement clivée.
Le Produit mondial a connu au cours du siècle une croissance exceptionnelle :
en dollars de 1975, il est passé de 580 milliards en 1900 à 25000 milliards au milieu
des années 90, ce qui représente en moyenne 4500 dollars per capita. Seulement, ce
tableau idyllique est altéré par la succession de crises graves qui sont autant de périls
économiques, financiers et sociaux dont les dernières en date ont été la déroute de
certains Nouveaux Pays Industrialisés dřAsie et dřAmérique Latine souvent proposés
comme modèles de référence pour sortir du sous-développement en une génération.
Ces crises répétées et de plus en plus profondes montrent lřampleur des risques,
des incertitudes et des dysfonctionnements que les Institutions Financières
Internationales nřont pu gérer, faute dřinstruments adéquats de régulation et de
ressources suffisantes. Cřest ce qui est apparu dans le cas de la crise financière en Asie
et auparavant au Mexique, au Brésil et en Uruguay.

Tableau 1 : PIB nominal dans le monde (en milliards de dollars)


Produit Intérieur brut
Économies 1990 2004 2005
Asie de l’Est et 665 783 2 650 867 3 039 976
Pacifique
Europe et Asie 1 107 862 1 769 739 2 201 159
Centrale
Amérique Latine et 1 101 298 2 021 995 2 460 991
Caraïbes
Afrique de l’Est et __ 547 496 625 311
du Nord
Asie du Sud 401 923 880 212 1 016 267
Afrique 298 442 523 310 621 879
Subsaharienne
Sources: World Bank Indicators CD Rom 2006, World Bank Indicators 2007.

À défaut dřun consensus sur la définition, les pratiques et les tendances de


lřéconomie mondiale, dans sa double sphère réelle et financière, laissent apparaître
une interdépendance que lřon pourrait qualifier de mondialisation. Essayons de
cerner de plus près ces interdépendances pour bien en mesurer toutes les
conséquences à la fois sur les économies nationales et sur les différents acteurs:
Lřinterdépendance par la production se caractérise par la décomposition
internationale des processus productifs qui sřappuie sur un réseau de

33
filiales ou de sous-traitants et le nomadisme de segments entiers des
appareils de production selon la logique des avantages comparatifs ;
Lřinterdépendance par les marchés qui se traduit par la disparition des
frontières géographiques, lřabaissement des barrières tarifaires et non
tarifaires qui accélère alors les échanges commerciaux ;
Lřinterdépendance financière qui procède dřune interconnexion des places
financières mondiales fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre
grâce à la conjugaison de trois éléments que sont la déréglementation, le
décloisonnement des marchés et la désintermédiation ;
Lřinterdépendance par les Technologies de lřInformation et de la
Communication (TIC) qui, avec les transports, intensifient la mobilité et la
flexibilité des capitaux, des biens, des services et des personnes.
Ce sont ces interdépendances qui déterminent les relations entre les différents
acteurs du jeu économique, financier, politique et social à lřéchelle mondiale. Les
États doivent avoir une claire perception de cette configuration mondiale pour en
évaluer les coûts et les opportunités par des politiques économiques et financières
appropriées.

Section 1 : L’interdépendance des systèmes productifs dominés


par les firmes multinationales.
Elle se caractérise par une division internationale du travail qui unifie les
processus productifs nationaux et sřappuie, en conséquence, sur un réseau de filiales
ou de sous-traitant qui opèrent la délocalisation de segments entiers des appareils de
production selon la logique des avantages comparatifs. Cette structuration est le fait
des firmes multinationales qui façonnent lřespace mondial en réseaux de production.
Elles sont de plus en plus nombreuses, puissantes et originaires de diverses zones.
Cette stratégie dřimplantation leur permet de maximiser leurs profits à partir dřune
optimisation de la localisation de leur production.
Ce sont aujourdřhui, quelques 37 000 firmes multinationales de tailles très
inégales qui réalisent et contrôlent lřessentiel de la production mondiale de biens et
services, les 500 dřentre elles les plus puissantes contrôlent presque 30 à 40 % du PIB
mondial soit 25 000 milliards de dollars. Celles-ci effectuent les 2/3 du commerce
international sous forme dřéchanges internes avec leurs 27 000 filiales
soigneusement réparties dans lřespace mondial. De même, le négoce international des
produits de base est largement sous le contrôle des firmes multinationales.
Le processus de délocalisation des activités industrielles réalisé par les firmes
multinationales sépare les lieux de production ou de transformation de certaines
marchandises de leurs lieux de consommation. Il va sřamplifier sous lřinfluence de la
Nouvelle Révolution des Technologies de lřInformation et de la Communication, de la
dématérialisation de capitaux et de lřextension des aires géographiques du
libéralisme. Il a surtout fortement contribué au décollage industriel de la plupart des
pays industrialisés dřAsie. En effet, les transferts d'activités industrielles et de services
du Nord vers le Sud, appelés « délocalisations », sont l'une des causes les plus
spectaculaires de lřindustrialisation rapide des pays asiatiques même si par ailleurs,
elle dévitalise les économies du Nord et y opère une destruction des emplois. Sřagit-il
alors dřun « partage des richesses ou dřun partage de la misère? » Sans nul doute ; la
mondialisation libérale complètement soumise aux lois du marché et du profit à court
terme n'apportera pas de réponse à cette question.
Les Nouveaux Pays Industrialisés dřAsie et dřAmérique Latine ont tiré profit de
cette délocalisation en attirant des segments de production industrielle, en valorisant

34
leur dotation factorielle liée à lřespace géographique, à la qualité des ressources
humaines ou à lřoffre illimitée de main dřœuvre. Ils ont réussi à mettre en place un
tissu industriel dans les domaines des hautes technologies.
Certains États africains ont fait les mêmes tentatives avec la création des
Zones franches industrielles considérées comme des moyens dřattirer les
investissements étrangers, créer des emplois, développer l'industrie nationale et les
infrastructures, favoriser les transferts de technologies et se procurer des devises. À
lřexception de lřÎle Maurice, les Zones Franches africaines ont produit des résultats
médiocres. Ce modèle de réussite procède des capitaux asiatiques qui ont fait de
Maurice leur base de pénétration du marché européen et d'accès aux pays du Proche-
Orient. Créée en 1970, la zone franche couvre tout le pays, emploie 100 000
travailleurs et rapporte plus dřun millier de milliard de dollars. En vingt ans, le taux
de chômage est tombé de 20 % à 3 %. Elle a permis à lřIle en quasi-pénurie de main-
d'œuvre de privilégier désormais les investissements à forte valeur ajoutée avec des
emplois qualifiés.
Les principales transformations en cours concernent la multiplication des
alliances et des fusions entre multinationales dans les secteurs stratégiques comme
les industries aéronautiques et les télécommunications. La concentration
transnationale augmente, de même que lřinvestissement international.
Quelles que soient les modalités, la globalisation financière a favorisé
lřinternationalisation de la production. Les entreprises se sont largement
financiarisées pour se couvrir contre les risques internationaux, en diversifiant leurs
produits. Les investissements directs à lřétranger sont passés de moins de 40
milliards US $ en 1980 à 200 milliards en 1995. Ils conduisent souvent à une
délocalisation, transfert à lřétranger dřune activité de production (segment ou
ensemble de la fabrication) localisée antérieurement sur le territoire national. Il sřagit
en fait dřune véritable décomposition internationale du processus productif
(LASSUDRIE-DUCHENE). Chacun des segments est localisé dans des espaces
différents, pour des raisons liées aux coûts de production, aux dimensions du marché,
à des risques ou à des réglementations.

Section2 : L’interdépendance des échanges commerciaux.


Le volume total des transactions quotidiennes sur les marchés des changes est
passé dřenviron 10 à 20 milliards de dollars dans les années soixante dix à 1500
milliards de dollars en 1998. De 1983 à 1993, les achats et les ventes transfrontaliers
de bons du trésor américain sont passés de 30 à 500 milliards de dollars par an. Les
prêts bancaires internationaux ont progressé de 265 à 4200 milliards de dollars entre
1975 et 1994. Le poids des échanges internationaux dans l'économie ne s'est pas accru
de manière considérable, contrairement au discours fondamentaliste sur la
mondialisation. Si l'on prend les chiffres du commerce international, il est (en fait) à
peine supérieur au niveau de 1914 qui représente 20% du PIB mondial.
Les services se sont enflés rapidement, particulièrement les services supérieurs
directement liés aux activités productives : tourisme, fret et transit, communication et
télécommunication. Le tourisme a plus que doublé entre 1980 et 1996 pour devenir
une composante financière importante. La demande touristique accuse des taux de
croissance élevés avec un nombre de voyageurs qui passe de 260 à 590 millions par
an. Malgré les restrictions sévères, les migrations internationales se poursuivent, de
même que les envois de fonds des émigrants. Ces envois ont atteint 58 milliards de
dollars en 1996. Le volume des appels téléphoniques internationaux sřest envolé entre

35
1990 et 1996, passant de 33 à 70 milliards de minutes. Les voyages internes et les
médias stimulent la croissance exponentielle des échanges dřidées et dřinformations.
LřOMC entend désormais régenter toutes les règles de la concurrence, l'accès
aux marchés publics et les lois sur les investissements. Elle impose aux Etats
membres la prééminence des quatre principes du libre-échange à savoir :
le principe de la non discrimination ;
le principe de lřabaissement généralisé des droits de douane ;
lřinterdiction des restrictions quantitatives ;
lřinterdiction du dumping.
Ceux-ci doivent prévaloir sur toute autre considération qu'elle soit culturelle, sociale
ou écologique dans la régulation du commerce international.
Cette intégration mondiale est tirée par des changements de politiques visant à
promouvoir lřefficience économique via la libéralisation et la déréglementation des
marchés nationaux et le désengagement de lřÉtat de nombreuses activités
économiques, ainsi que la restructuration de lřÉtat providence. Mais ce sont surtout
les innovations récentes dans la technologie de lřinformation et des communications
qui favorisent lřintégration. Cependant celle-ci reste très partielle au niveau mondial.
Ainsi, les mouvements de main dřœuvre sont encore restreints, les frontières étant
fermées aux individus sans qualification.

Tableau 2: Montant des exportations par zone et en milliards de dollars


Montant exporté (en milliards Croissance (%)
de dollars)
Par niveau de 1990 2001 1990-2001
développement.
Pays à faible revenu 48 115 +139,6%
Dont Inde 11 37 +236,4%
Pays à revenu moyen 254 805 +216,9%
Dont Chine 45 237 +426,7%
Pays à revenu élevé 2212 3784 +71,1%
Dont France 167 264 +58,1%
Union européenne 996 1570 +57,6%
États-Unis 291 599 +105,8%

Total 2549 4802 +88,4%


Par zone géographique
Asie du Sud-est 92 425 +362,0%
Amérique Latine 49 169 +244,9%
Asie du Sud 20 51 155,0%
Afrique Subsaharienne 14 30 114,3%

Source : Calculs réalisés par l’auteur à partir du Rapport de la CNUCED

Section 3 : Interdépendance et globalisation des marchés


financiers.
Cette troisième interdépendance est rendue possible par lřarticulation de trois
éléments qui permettent une internationalisation sans entrave des marchés
financiers :

36
la désintermédiation, elle permet aux entreprises, à lřÉtat de recourir
directement aux marchés financiers sans passer par les intermédiaires
financiers et bancaires pour effectuer des opérations de placement et
dřemprunt. Ils peuvent accéder directement aux marchés financiers pour
satisfaire leur besoin de financement ;
le décloisonnement qui se traduit par la suppression de certains
compartiments des marchés ;
la déréglementation : celle-ci indique lřabolition des réglementations des
marchés des changes pour faciliter la circulation du capital.
Au début du 20ème siècle, les mouvements internationaux de capitaux
participent au processus de mondialisation de lřéconomie. Mais le développement de
la finance mondiale atteste dřune déconnexion croissante entre les flux de capitaux et
les besoins de financement de lřéconomie réelle.
La globalisation financière se caractérise par lřinterconnexion des marchés
financiers, par un essor de nouveaux produits financiers et de nouveaux marchés
émergents. On observe également une organisation mondiale de la production dans
certains secteurs stratégiques. Les marchandises circulent de plus en plus librement
avec des coûts de transport décroissants, du fait de la déréglementation et des
progrès de télécommunication permettant des baisses de tarifs. Lřinstantanéité des
informations abolit temps et espace. La circulation des informations peut remplacer
celle des hommes (télé achat, télé travail). Les opérations financières génèrent à
lřinfini ou presque des produits dérivés. Les produits négociés, bien que de plus en
plus sophistiqués, sont standardisés. Les transactions papier prennent, ainsi, une
grande ampleur par rapport aux opérations physiques.
On observe une déconnexion entre les opérations réelles (commerce et
investissement) et la sphère finance-change. Lřintégration financière résulte de la
mobilité des capitaux et la substituabilité des actifs (BOURGUINAT). Le
développement des eurodollars (les dollars circulant hors des États-Unis) à partir de
1957 a marqué le début de la circulation internationale des capitaux hors de tout
contrôle étatique. Après le passage aux changes flottants, lřaccélération du processus
de libéralisation de la finance internationale date principalement de la fin des années
70. Les États à la recherche de sources de financement pour leurs déficits, ont aboli
les principales règles qui contraignaient les mouvements de capitaux.
Les mutations et innovations financières sont simplement démentielles et
dřune rare ampleur avec le surdéveloppement de la titrisation et des bourses ainsi que
lřopacité des marchés de gré à gré qui sont de nouveaux facteurs aggravants. Ces
éléments installent lřinstabilité au cœur même du système financier avec le triomphe
des capitaux spéculatifs. La tourmente des marchés financiers mondiaux provoquée
par les crises financières asiatiques et celle des subprimes des crédits immobiliers à
risque aux Etats-Unis en apportent les preuves les plus récentes.
Ainsi, les mutual funds aux États-Unis ont mobilisé quelques 2600 milliards
de dollars en 1995 et les fonds de pension sřélèvent à 3600 milliards de dollars soit
plus que lřencours des réserves de change de toutes les banques centrales de la
planète. Les transactions opérées sur les marchés de change représentent environ
1500 milliards de dollars par jour, soit plus de 50 fois les flux réels de marchandise.
La valeur des titres côtés en bourse dans 80 pays a été multipliée par 10 en 20 ans.
Elle est passée de 1800 milliards en 1980 à 18 000 milliards en 1998. En clair, la
sphère financière est complètement déconnectée de la sphère réelle car chaque jour
1500 milliards de dollars changent de mains sans contre partie en termes de biens et
services. Ces chiffres montrent que les marchés financiers ont acquis des pouvoirs
très étendus qui leur permettent de contrôler lřessentiel des circuits de financement à

37
lřéchelle mondiale et peuvent, en conséquence, déterminer les rythmes de croissance
des économies. Le problème est comment mobiliser ces fonds dřinvestissements qui
hésitent à prendre la direction de lřAfrique ?
La globalisation des marchés financiers laisse apparaître dřabord un
surdimensionnement des marchés qui rend les activités des établissements financiers
complètement incontrôlables et permet aux acteurs financiers de promener librement
leurs capitaux dans l'espace mondial à la recherche de meilleures rémunérations.
Cette situation est largement expressive de la montée en puissance de la finance
internationale avec la création dřun marché unique de lřargent au niveau planétaire.
Cela va entrainer des dysfonctionnements quasi permanents du SMI et la
multiplication des crises financières. Ensuite, on note une réelle incapacité de
mesurer le niveau optimal des moyens de paiement pour lřéconomie mondiale. Enfin
les finances illicites montent en puissance avec un produit mondial estimé à environ
1000 milliards de dollars.
Désormais les actifs financiers peuvent se balader librement à la recherche de
meilleures rémunérations. Ces capitaux alimentent les Investissements Directs
étrangers (IDE) qui sřorientent vers les pays présentant de bonnes politiques dans un
environnement institutionnel favorable et qui respectent les principes de bonne
gouvernance économique. Dans les années 80, les investissements internationaux
directs augmentent trois fois plus vite que le commerce mondial. À partir des années
90, après avoir surtout concerné les pays du Nord, ils se tournent de plus en plus vers
les pays en développement.
À la fin des années 1980, ces pays accueillaient environ 15 % seulement des
flux d'investissements directs, aujourdřhui ils en ingèrent plus de 42 %. Les NPI
d'Asie se taillent la part la plus importante puisqu'ils intègrent 25 % des
investissements étrangers directs mondiaux, la Chine en accueillant à elle seule 15 %,
soit 33 milliards de dollars sur 214,3 milliards, en 1994. Grâce à ces nouveaux flux
financiers et des taux de croissance deux fois supérieurs à la moyenne mondiale sur
une trentaine d'années, l'Asie apparaît de plus en plus comme lřune des locomotives
dřune économie mondiale en proie au chômage et à la morosité, au niveau des
grandes puissances industrielles.
Les principales conséquences qui méritent de retenir lřattention sont de trois
ordres :
- La finance est de plus en plus déconnectée de la production:
surdéveloppement de la titrisation et des bourses ;
- Lřopacité des marchés de gré à gré facteur aggravant ;
- Lřinstabilité sřinstalle au cœur du système financier avec le triomphe des
capitaux spéculatifs ;
- Le risque crédit devient de plus en plus un produit financier.

Section 4 : L’interdépendance par les Technologies de


l’Information et de la Communication.
Ce qui change véritablement dans la mondialisation dřaujourdřhui, c'est
lřampleur et la profondeur de la Révolution des Technologies de l'Information qui
modifie qualitativement et quantitativement les systèmes productifs avec la création
de nouveaux produits, permet les échanges en temps réel du fait de la baisse
drastique du coût des microprocesseurs et des télécommunications et ouvre de
nouveaux canaux de communication et de distribution. La vraie révolution est dans
l'innovation accélérée qui permet lřamélioration de la productivité, donc la
compétitivité.

38
Les technologies de lřinformation et de la communication sont en train de
modifier les systèmes productifs et les perspectives de la croissance et de lřemploi.
Elles déclenchent une explosion des activités économiques, recomposent les
territoires industriels et interconnectent tous les marchés de la planète. Ce sont elles
qui font précisément du monde un village planétaire. Des millions de kilomètres de
fibres optiques se croisent en permanence et relient des continents dans le temps et
lřespace. Des contrats, des transactions et des informations de tous ordres traversent
les fuseaux horaires, les frontières et les cultures. Les nouvelles routes commerciales
sont des éclats de laser et des rayons de satellites. Les marchandises transportées
sont le savoir et la technologie.
Les évolutions et les mutations technologiques accusent des rythmes à la fois
rapides et bouleversants. Les innovations qui en résultent non seulement
transforment structurellement les systèmes productifs, mais permettent dřaccélérer la
croissance. Cela entraîne selon P.CHAPIGNAC22 trois ruptures qui ont une tendance
assez nette à structurer les activités économiques autour du traitement de
lřinformation :
la production de richesse déplace son centre de gravité de lřactivité
productrice (la dialectique entre la machine et lřhomme) à la création (la
conception et le pilotage intellectuel). Il va en résulter le déplacement de la
source des richesses vers lřactivité de conception ;
les transactions de toutes natures ont tendance à sřimposer comme
principaux générateurs de la valeur ajoutée, ce qui déjà se constate dans la
structure des entreprises où les fonctions commerciales, marketing et
autres prennent une importance grandissante ;
le renversement des hiérarchies des actifs avec un caractère dominant des
actifs immatériels.
Il se crée alors à lřéchelle mondiale un immense réservoir technologique dont
peuvent bénéficier tous les pays pour innover et exploiter leur potentiel compétitif
dans les secteurs industriel, agricole et des services par acquisition de gains de
productivité. Certains pays en ont largement profité sous des formes comme la
« révolution verte » ou le développement dřindustries lourdes ou légères.
Ces éléments indiquent à souhait que la mondialisation est en train de
concevoir un nouveau modèle de société que lřon appelle communément la société
innovante dont les valeurs clés sont la productivité, la compétitivité, lřefficacité, la
rentabilité, lřoptimisation, la flexibilité, le contrôle, lřadaptabilité, la mesurabilité et la
gestion. Cette société sous-tend un projet axé sur lřapologie du meilleur et de
lřexcellence. Elle privilégie les outils plutôt que les personnes, elle accorde la priorité
aux phénomènes et se soucie très peu des finalités. Elle devrait entraîner de nouvelles
réflexions car si on nřy prend garde, sous couvert de progrès techniques, elle peut
déboucher sur une logique de compétition, de violence et dřexclusion. Par ailleurs,
elle ramène en surface le débat sur les technologies et la recomposition de lřemploi :
la machine tue-t-elle lřemploi ou lřoblige-t-il à se déplacer et à se recomposer?23
Cependant, le Continent africain sřinsère difficilement dans le concert des
nations : en marge de lřexpansion industrielle mondiale, il risque dřêtre exclu de la
révolution mondiale des technologies de lřinformation et des télécommunications
(Rapports de 1999 et 2001)24. Lřaccélération des innovations technologiques risque
de produire plusieurs conséquences négatives sur le développement des pays,

22P.CHAPIGNAC, Communication au Congrès IDT-Marchés et industries, Paris, 1995


23J.B. Foucauld : Une nouvelle donne pour lřemploi, Revue Échanges et projets, janvier 1994
24PNUD, RMDH de 2000 et 2001

39
notamment le creusement de lřécart entre les capacités dřaccès et dřutilisation des
techniques au Nord et au Sud25, les économies de consommation des matières
premières limitant les perspectives dřexportation des PVD et lřapprofondissement des
inégalités des revenus. Comme lřobservait Carlo De Benedetti alors PDG
dřOlivetti, « le développement technologique actuel rendra les riches encore plus
riches et les pauvres encore plus pauvres ».

Section 5 : Mondialisation multipolaire : la formation de


puissants pôles de compétition.
Jusquřà la fin des années 80 tout le système de la mondialisation était géré
dans un cadre bipolaire. Mais avec lřeffondrement du Bloc Soviétique et
lřexacerbation de certaines crises, les contours dřune mondialisation encore plus
multipolaire se dessinent.
À lřobservation, malgré cette forme multipolaire dřorganisation et de gestion de
la mondialisation, le monde reste fragile, instable et imprévisible. Jamais la précarité
nřa été aussi grande sur la planète dans ses sphères économique, financière, politique
et sociale et même culturelle. La rupture de la croissance fordienne à la fin des années
60, consolidée et aggravée par le désordre monétaire international a engendré des
ruptures dřéquilibre dans lřéconomie mondiale, et face auxquelles tous les moyens
exceptionnels de régulation vont se révéler totalement inopérants.
Lřinflation croît en même temps que le chômage (stagflation). Lřendettement
fragilise les bases du système financier international marqué par lřampleur des bulles
spéculatives et les fluctuations anarchiques des devises. Le protectionnisme se
réinstalle avec des techniques plus sophistiquées échappant souvent à la surveillance
de lřOMC (la récente Conférence de Cancun vient dřen administrer la preuve). Face à
cette situation et au darwinisme économique, la plupart des grandes nations
industrielles organisent des espaces de commerce privilégié (multiplication des
organisations régionales) et gèrent leurs complémentarités avec les nations voisines
(prolifération des Accords de Libre Échange).
Cřest dans ce cadre que fonctionne le monde multipolaire qui consacre 4 pôles
de puissance qui tournent autour de lřabolition des frontières par la libre circulation
des marchandises, des capitaux, des services, lřouverture des marchés publics et
lřélaboration des politiques de coopération pour mieux affronter la concurrence :
lřUnion Européenne (UE), lřAccord de Libre Échange Nord-américain (ALENA), le
Groupe Économique dřAsie Orientale(GEAO) qui se compose des 6 pays de lřASEAN
plus le Japon, la Corée du Sud, Hong Kong et Taiwan, et le MERCOSUR. Ces blocs
économiques régionaux sont les meilleurs instruments de compétitivité. En effet, la
concurrence exige des pays et des entreprises un subtil dosage de protectionnisme et
de libre-échange, dřétatisme et de libéralisme. Dans le monde des affaires, on se
soucie bien peu des extrêmes : libre échange sans entrave ou protectionnisme dur ou
atténué). Le modelage de lřespace mondial invite à des combinaisons complexes qui
seules sont à même dřatteindre la plus grande efficacité.
Jadis réservée aux PSD, la régionalisation devient la forme dřorganisation de
lřéconomie mondiale, si bien que les relations économiques et financières
sřorganisent en grande zone géographique. Dans ce contexte, les accords régionaux
sont des accords préférentiels et accordent à certains pays des facilités dřaccès aux
marchés intérieurs qui ne sont pas concédées aux autres. La part du commerce

25La possibilité pour les PVD de trouver des raccourcis techniques et de choisir le dernier et le meilleur
équipement est assez restreinte.

40
mondial qui nřimplique pas un des trois grands accords que sont lřUE, lřALENA et le
GEAO ne représente que 15,6%. Désormais, les relations commerciales sont fondées
sur le principe fort de la clause de la nation la plus favorisée. Tout pays exportateur
bénéficiaire de cette clause se voit automatiquement appliquer le tarif douanier le
plus favorable. Cette règle est incluse dans les accords de lřOMC qui, cependant,
tolère beaucoup dřexceptions et de dérogations.
En conséquence, du point de vue strictement économique, la mondialisation
favorise la tendance au renforcement de la régionalisation qui diminue lřefficacité des
mesures nationales isolées à la concurrence internationale et encourage les réponses.
Dřautres éléments existent à côté de ces aspects purement économiques,
financiers et technologiques, préfigurant de ce fait les changements spectaculaires
comme par exemple le retour du politique et du culturel qui nřont plus le statut de
variables muettes dřune mondialisation qui repose sur lřexigence des « harmonies
universelles ».

Section 6 : Des conséquences non économiques de la


mondialisation.
En accentuant les échanges des biens, des capitaux, des technologies mais
aussi des hommes, la mondialisation met en contact des systèmes sociaux différents.
Elle les déstructure et impose ses modèles et ses valeurs propres selon les principes
des « harmonies universelles » indispensables au fonctionnement des marchés :
unification des valeurs culturelles, sociales et politiques et leur soumission à la
logique marchande. Deux phénomènes importants en apportent la preuve.

I/) Mondialisation et déstructuration des identités et valeurs culturelles


par l’échange inégal des cultures.

À la fin des années 60, H. MARCUSE prédisait dans son célèbre ouvrage
« l’homme unidimensionnel » la réduction de lřindividu à une seule facette : un
conformisme asservi par la technologie plutôt que par la terreur. Il déplorait la
diffusion de la culture de masse qui réduit le citoyen au rang de simple
consommateur. Une quinzaine dřannées plus tard, Vance PACKARD dans « La
persuasion clandestine » dénonçait la stratégie des industriels publicitaires visant à
contrôler les mentalités des consommateurs et uniformiser leur comportement.
Aujourdřhui avec la mondialisation, ces phénomènes prennent une dimension
insoupçonnée26 et remettent à lřordre du jour les craintes de MARCUSE. Selon
Théodore LEVITT il semble que « le temps des différences régionales et nationales
dues à la culture, aux normes et aux structures sont des vestiges du passé »27.
Des intellectuels anglo-saxons avancent lřidée que la culture de masse est
vouée à sřétendre à partir du centre, en lřoccurrence les États-Unis, vers la périphérie
qui est en fait le reste du monde28. Cela fait craindre lřinstauration de lřhégémonie
dřune seule puissance du fait de « lřéchange inégal entre les cultures ». On a
beaucoup parlé du « Mc Monde » ou encore de la « Mc Donaldisation » à quoi les
français tentent dřopposer « lřexception culturelle ». Ce débat est entré dans la

26 Cité par le Recteur Sélim ABOU lors du Colloque de Beyrouth sur la mondialisation, 28 avril 1998
27 Théodor LEVITT : The marketing Imagination, cité par le Recteur Sélim Abou
28 D.ROTHKOPF écrit dans ce sens que « Les américains ne devraient pas lier le fait que de toutes les

nations du monde, la leur est la plus juste, la plus tolérante et constitue le meilleur modèle pour
lřavenir, in Foreign Policy

41
conscience commune. Et pour beaucoup dřauteurs, la constitution dřun marché global
entraîne la formation dřune culture globale qui gomme toutes les identités nationales.
Lřidée classique Ŕ et désormais banale Ŕ de lřunification humaine par la technique de
production, de transport, de communication, dřinformation, revient en surface pour
rendre compte de cette question de plus en plus prégnante qui concerne lřavenir de la
culture à lřâge du « tout planétaire ».
Que vont devenir les valeurs culturelles nationales ? Vont-elles se modifier
pour épouser les logiques de compétition ou alors seront-elles étouffées ou gommées
par la culture standardisée découlant de la mondialisation ?
Ces questions sont au cœur de la crise qui secoue les sociétés africaines. En
effet, la mondialisation, par les moyens de communication de masse, diffuse un
modèle culturel global, bouscule toutes les valeurs et comportements autochtones et
les pousse à des formes multiples et complexes de refus et de résistance. Cheikh Anta
DIOP, dans un ouvrage consacré aux problèmes de la renaissance des cultures
africaines met lřaccent sur lřexemple révélateur de Thèbes sous la 18 ème dynastie.
« Ekhanon fut un pharaon acquis à lřinfluence orientale. Par ses réformes, il faillit
diluer lřÉgypte de son époque et lřaliéner progressivement au profit des peuples
dřOrient qui nřétaient ni techniquement ni scientifiquement plus avancés. Le clergé
de Thèbes se dresse derrière Toutankhamon pour recouvrer sa liberté et lřautonomie
de la nation égyptienne, en ramenant la pensée de lřépoque des dieux, aux croyances
et aux cultures de tradition purement thébaines. Les Prêtres savaient tout
simplement que lřOrient de lřépoque ne leur apportait rien de substantiel, même en
matière religieuse. Ils savaient également quřen renonçant à leurs dieux et à leur
vision du monde sous-jacents à leurs institutions religieuses, ils sřabandonnaient
dangereusement à une aliénation culturelle qui préparait progressivement
lřextraversion de lřÉgypte et la perte dřidentité du peuple pharaonique, la conquête de
leur pays par des modèles, des symboles et des instruments quřils nřavaient pas
élaborés et dont ils ne pourraient décider lřévolution. Mais les Prêtres savaient aussi
que lřimpérialisme culturel est toujours contemporain de lřimpérialisme politique et
économique »29.
Le drame évité à Thèbes est le drame vécu par le Continent africain qui doit se
convaincre que « lřidentité culturelle procède de lřexpression volontaire dřune
authenticité qui prend racine dans le génie de chaque peuple et dans les valeurs
fondamentales qui la sous-tendent. Cette recherche de lřauthenticité passe par un
ressourcement qui ne traduit pas un simple retour aux sources, mais intègre les
réalités et les impératifs du monde moderne. Elle implique une prise de conscience
lucide qui permette lřactualisation et le renouvellement des valeurs, interdisant ainsi
la création de ghettos culturels. Il sřagit de découvrir de nouvelles dimensions de la
culture africaine. Cřest dire que le monde africain doit élaborer une stratégie
culturelle suffisamment efficace pour atténuer les impacts négatifs des modèles
culturels étrangers. Cela suppose un système de communication fondé sur
lřutilisation des langues nationales pour atteindre les masses africaines, une
coopération culturelle internationale et la création dřinstruments culturels destinés à
favoriser les échanges, à financer les industries cultuelles, à encourager les activités
intellectuelles.

29 C.A. DIOP : Nations nègres et culture, Édit. Présence Africaine, 1956

42
II/ Mondialisation libérale : système économique libéral doit rimer avec
société démocratique.

Au plan politique, la mondialisation se traduit par un regain dřintérêt pour les


problèmes de démocratie, de paix, de sécurité et de bonne gouvernance. Il est
indiscutable que ces éléments sont des préalables du développement économique et
social.
Le débat est clos assez vite par lřimposition dřun ajustement des PVD aux
règles et normes démocratiques formelles et de bonne gestion de tous les centres de
pouvoir. Cřest le socle minimal de la nouvelle civilisation universelle de la démocratie
et des droits de lřhomme. Il repose sur lřidée implicite de lřexistence de valeurs
universelles dans lesquelles devait se reconnaître lřensemble des « citoyens du
monde ». En effet, il apparaît clairement que « la démocratie portative » dont parlait
PARETO doit essentiellement réglementer la circulation des élites. Elle repose sur les
règles de la démocratie représentative que lřOccident a mis des siècles à édifier autour
du concept de Parti politique30. A-t-on le bon modèle ? Et dispose-t-on des
instruments et des moyens pour le réaliser ? Et enfin comment résoudre lřéquation
très délicate des sanctions à appliquer en cas de défaillance?
Alors que certains auteurs soutiennent que la mondialisation annonce la fin
des conflits ou « la fin de l’Histoire et le dernier homme »31(FUKUYAMA), dřautres
martèlent les préceptes de la « pensée unique » qui font de la mondialisation la voie
royale du bonheur : plus le monde sera ouvert, plus la croissance sera élevée, plus le
bien-être se généralisera. Toutes les institutions et tous les acteurs ont lřoccasion dřy
assister, sinon dřy participer, en direct ou «en temps réel». Cette vision idyllique ne
correspond-t-elle pas à la globalisation fortement asymétrique effectivement
observée. Quřapporte-elle globalement au continent et au Sénégal ?

Section7 : La société civile mondiale en gestation et la


revendication d’une mondialisation maîtrisée et équitable.
La mondialisation qui sřaccompagne dřune double dualité richesse/pauvreté et
chômage/travail a entraîné beaucoup de critiques à lřencontre du système
économique mondial incarné par les institutions internationales que sont, la BM, le
FMI et l’OMC. Ces critiques émanent de plusieurs secteurs de lřopinion internationale
et sont traduites sous diverses plateformes à travers des organisations autonomes
qui, en conséquence, échappent plus ou moins au contrôle des politiques. La
multiplication de manifestations à lřoccasion des diverses rencontres des IFI et la
convocation régulière du Forum Social Mondial sont des preuves de la formation
lente dřune société civile internationale autour de lřexigence dřun monde plus juste et
plus équitable et dřun retour à un meilleur équilibre dans les relations
internationales.
Pour toutes les organisations du Forum Mondial, si lřhumanité nřa jamais
produit autant de richesses, jamais les inégalités et la pauvreté nřont été aussi fortes
traduisant ainsi un environnement international fortement dual. Ce dualisme entre
pays du Nord et du Sud peut sřidentifier à travers la faillite du système éducatif, la
30 M. ROCARD dans son ouvrage Pour une autre Afrique, Éd. Flammarion 2001, note que « les
institutions africaines fondées sur des prises de décisions collégiales et consensuelles et en ce sens ne
sont pas inférieures. La méthode en est lřarbre à palabre et lřinstrument lřassemblée de village. Tout se
passe comme si lřOccident a remplacé la démocratie consensuelle africaine par son produit la
démocratie conflictuelle. »
31 F. FUKUYAMA : La fin de lřhistoire, Édit. Flammarion, Paris 1992

43
montée de la pauvreté de masse, la dégradation de la situation sociale. La croissance
et le développement sont bloqués, ce qui se manifeste à travers la détérioration des
indicateurs du cadre macroéconomique suite à lřapprofondissement du fardeau de la
dette, lřeffondrement des termes de lřéchange et la diminution de lřaide publique.
Face à cette situation dramatique, depuis plus dřune décennie, plusieurs conférences
internationales ont été convoquées mais les résultats restent encore assez faibles:
Initiative PPTE, Objectifs du millénaire pour le Développement, Résolution 2626 de
lřAssemblée Générale des Nations Unies relative à lřenveloppe dřaide publique au
développement (0,7% du PNB des pays riches).
La succession de « décennies perdues du développement » et la
marginalisation progressive des pays du Sud ont conféré aux ONG de plus en plus
nombreuses des rôles accrus. Selon les statistiques du Comité dřAide au
Développement (CAD) de lřOCDE, les dons des organisations privées bénévoles
sřélevaient à 6 milliards de dollars en 1995, auxquels il faut ajouter 1,2 milliards de
lřAide Publique au Développement (APD) qui transitent par ces organisations. En
définitive, sur lřensemble des ressources financières vers les PSD, la contribution des
ONG représente 3,6%. Ces chiffres montrent lřampleur des moyens dont disposent les
ONG pour mener leurs actions directes au niveau des populations.
Le foisonnement, la diversité des interventions, la multiplicité et la complexité
de leurs relations, le poids économique, financier et social quřelles représentent,
mettent en relief la place et le rôle des ONG dans le processus dřaide au
développement. Ces ONG représentent une fraction de la société civile et se donnent
pour principale mission dřaider les populations défavorisées sans distinction de
nations, dřÉtats ou de cultures.
Cette importance que prennent les ONG en Afrique et particulièrement au
Sénégal appelle trois interrogations :
Quel serait leur véritable rôle dans la réalisation des objectifs du
développement ?
Leur mode dřorganisation et dřintervention leur permettent-ils de
contribuer efficacement à la réalisation des objectifs de réduction de la
pauvreté et de développement ?
Leurs formes actuelles sont-elles en phase avec les transformations socio-
politiques dans leur sphère dřévolution? En dřautres termes, peuvent-elles
passer dřune phase de contestation à celles dřacteurs à part entière dans le
processus de mondialisation ?
L'autorité morale exercée par ces organismes privés (qui vont des
Organisations Non Gouvernementales (ONG) aux Mouvements Sociaux
Internationaux) ont trois sources : aptitudes à proposer une liste des thèmes à
négocier dans les institutions internationales (pouvoir de fait plus que de droit),
capacité de fournir des avis d'expert en vue dřun travail d'influence (lobbying) et
positionnement dans les domaines sociaux, visant à l'émancipation des acteurs non
étatiques (autorité morale).
Les décideurs et tous les acteurs du jeu économique et social des Pays en
Développement devraient exploiter positivement toutes ces opportunités quřoffrent
les ONG et leurs mouvements sociaux. Au niveau interne, cela leur permettrait de
disposer dřune information technique essentielle aux décideurs politiques pour
légitimer certains choix et contribuer à la préparation de certaines décisions et au
niveau mondial, de peser sur la recherche dřune égalité sociale dans le monde et de
donner écho aux revendications dřannulation de la dette, dřinstauration dřun
commerce équitable etc. En effet, ces mouvements sociaux de la société civile

44
internationale sont profondément réformistes et ont souvent pour objectif majeur
d'aider la mondialisation à prendre en charge ses membres les plus faibles.
Cette question est au cœur des débats de la Société Civile Internationale
regroupée autour du Forum Social Mondial et des idéaux « altermondialistes ». Elle
récuse le néo-libéralisme et ses conséquences, et cherche un modèle alternatif. Cette
idéologie est rendue responsable des exclusions avec le démembrement des sociétés
traditionnelles. En outre, elle est vivement critiquée pour son opposition à lřÉtat
providence, au Sud comme au Nord et pour lřexigence, au nom de lřimpératif de
concurrence, de lřabandon des protections et du soutien étatique à lřemploi, du
démantèlement des services publics et de la suppression des filets de sécurité sociale.

Section 8 : La question sécuritaire et la gestion des risques


réels ou supposés.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 les questions de la sécurité sont


projetées au centre des préoccupations de tous les États, des peuples et des
entreprises de tous les domaines. Les chercheurs en sciences économiques et
politiques comme les stratèges accordent désormais une importance de premier
ordre aux questions sécuritaires et de gestion des risques. Les attentats du 11
Septembre soulèvent beaucoup dřinterrogations qui, sans aucun doute, concernent
dřabord la gouvernance mondiale mais aussi les relations Nord-Sud :
Comment la politique étrangère menée par les États-Unis depuis la guerre
du Golfe a-t-elle créé un potentiel de haine expliquant les attentats du 11
septembre ?
Quel est le pouvoir de conviction des intégristes partisans du Jihad ?
Les terroristes ont-ils un projet ?
Quels sont ses liens avec l'argent : celui des affaires, celui de la drogue et du
crime, celui des hydrocarbures ?
Quel contenu économique potentiel peut prendre la nouvelle configuration
des alliances entre superpuissances après la fin du monde bipolaire?
Derrière ces questions conjoncturelles se pose lřinterrogation majeure à
savoir si le triomphe du marché marque la fin de l'histoire comme le pense
F. FUKUYAMA ou bien se dirige-t-on vers le choc des civilisations ?
Les réponses à ces questions ont des répercussions directes sur l'économie,
selon au moins trois axes : dřabord le mode de fonctionnement global de l'économie
mondiale, ensuite la transformation de certains secteurs aujourd'hui clés et enfin la
prise en compte des risques et des incertitudes. Depuis les années 90, avec la chute
du mur de Berlin marquant la disparition dřune mondialisation bipolaire, lřhumanité
semblait sřengager dans un processus inéluctable de globalisation marqué par la
domination des marchés, le développement des échanges et le recul du pouvoir de
régulation des États. Toutefois, cette tendance lourde est en train de s'inverser avec
un retour frénétique du politique sur lřéconomique. En effet, les attentats ont ouvert
la voie à une demande accrue d'État, de protection et de régulation.
Tous les secteurs sont affectés directement ou indirectement, certains plus
que d'autres : énergie, transports, tourisme, nouvelles technologies, banques, etc.
Certains de ces secteurs sont particulièrement structurants pour toute l'activité
économique. Cřest le cas notamment du pétrole dont les prix sont déterminants pour
la compétitivité, les échanges commerciaux et la circulation des personnes et des
services. Le traitement du risque, des incertitudes et de la sécurité est devenu une

45
question majeure, qui peut déboucher sur une demande de plus d'État et conduire les
entreprises à redéfinir leurs orientations stratégiques.
Face à ces problèmes aujourd'hui décisifs, des économistes ont tenté de
clarifier l'évolution de l'économie mondiale après le 11 septembre 2001. Pour
certains, beaucoup dřindicateurs caractéristiques montrent déjà de lourdes
tendances récessives avec le freinage de la croissance au niveau des économies du
centre, la baisse des activités productives, la détérioration des indicateurs monétaires
et financiers etc. Alors que pour dřautres, il ne sřagit que de menaces passagères sur
une économie mondialisée solide qui, après quelques turbulences dues au choc
américain, devraient retrouver ses marques. Dans lřoptique que voilà, les acteurs de
lřéconomie perdent confiance, ce qui crée une morosité au niveau de certains
secteurs dřactivités : krach boursier passager, ralentissement de la consommation,
renchérissement des prix du pétrole, perturbation des marchés du transport aérien et
du tourisme.
Le scénario catastrophe ne se dessine pas encore pour deux raisons majeures :
la solidité de lřarchitecture bancaire centrale de lřensemble des pays développés et
leur solidarité par les rapides et indispensables régulations de la finance pour
empêcher que la situation ne dégénère vers une crise financière qui provoquerait
alors une chute de lřactivité productive et de service. Cependant, quel que soit lřangle
dřanalyse, on observe déjà deux phénomènes : dřabord le retour de lřÉtat comme
facteur de régulation, et ensuite la réapparition de la question Nord-Sud cřest-à-dire
la distance grandissante entre ces deux pôles avec lřélargissement de la dualité riches-
pauvres, le développement des inégalités, la détérioration de la situation sociale et
lřexclusion. Dès lors, toute stratégie de lutte contre la violence en général et la
violence terroriste en particulier doit reposer sur un combat sans merci contre le
cercle vicieux de la pauvreté et du désespoir. Cřest la lutte pour le développement qui
est largement détournée par la vision qui domine le monde depuis une vingtaine
dřannées et que lřon désigne par la mondialisation néolibérale.
Comprendre et agir pour une paix juste rappelle que la sécurité viendra
dřabord et avant tout par lřappui constant à un développement durable, lřinstauration
progressive dřune paix juste, le respect intégral des droits humains et une généreuse
ouverture aux populations migrantes et réfugiées.

46
CHAPITRE 2
L’AFRIQUE PARIA DE LA MONDIALISATION ENTRE
MARGINALISATION, PAUVRETÉ ET PRÉCARITÉ.
La distribution des revenus à lřéchelle mondiale laisse apparaître deux types
dřinégalités : celles qui existent dřabord entre les pays et celles observées au sein
même des pays, quřils soient du Nord ou du Sud. Aujourdřhui, on observe une très
forte croissance des inégalités à ces deux niveaux dont les causes sont assez
controversées. Généralement plusieurs facteurs sont évoqués pour expliquer ces
inégalités dont deux semblent faire consensus : la concurrence accrue des pays à bas
salaires particulièrement en Asie et qui justifie assez largement la délocalisation
industrielle, le progrès technique « biaisé » au sens où ce dernier supprime de façon
massive des postes de travail non qualifié tout en augmentant la demande de travail
qualifié. Cřest la raison pour laquelle HOANG NGOC LIEN estime que la
mondialisation nřa pas encore atteint les hommes car « loin de sřêtre atténuées, les
inégalités se sont creusées. Le fossé sřest agrandi entre les revenus des salaires et ceux
du patrimoine, entre la part des salaires et celle du profit dans la valeur ajoutée. Pire,
la reproduction sociale continue de jouer à plein : la mobilité intergénérationnelle
entre les classes sociales ne sřest pas améliorée ».32

Section1 : Les inégalités et leur portée : la difficulté de réduire


la fracture sociale.
Sur le premier type, les statistiques montrent que le monde est en phase de
polarisation, avec un fossé de plus en plus large entre les pays pauvres et les pays
riches. Concrètement, lřécart du revenu par habitant entre les pays industrialisés et
les pays en développement a ainsi triplé, passant de 5 700 dollars en 1960 à 15 400
dollars en 1993. De plus sur les 23.000 milliards de dollars que représentait le PIB
mondial en 1993, 18.000 milliards provenaient des pays industrialisés, contre
seulement 5.000 milliards pour les pays en développement. Encore plus
significativement, le cinquième le plus riche de la population mondiale dispose de
plus de 80% des ressources et le cinquième le plus pauvre de 1%. Quelques 2,7
milliards dřindividus (sur 6 milliards) vivent avec moins de 2 euros par jour et ils
seront environ 4 milliards en 2015.
Au cours des trente dernières années, la part des 20% de personnes les plus
pauvres dans le revenu mondial est tombée de 2,3% à 1,4%. Dans le même temps, la
part des 20% les plus riches passait de 70% à 85%. Lřécart de revenu entre les 20%
plus riches et les 20% les plus pauvres a ainsi doublé, passant de 30/1 à 6/1. La
fortune des 358 milliardaires en dollars que compte la planète est supérieure au
revenu annuel cumulé des 45% dřhabitants les plus pauvres de la planète. Au cours
des trois dernières décennies, la proportion dřindividus habitant des pays ayant
connu une croissance annuelle de leur revenu supérieure à 5% a plus que doublé
(passant de 12 à 27%), mais la proportion de la population mondiale connaissant une
croissance négative de ce revenu a plus que triplé, passant de 5% à 18%.
Le second type dřinégalité est celle qui existe au sein même des pays. En
prenant lřexemple de la France, le revenu mensuel moyen des ménages résidant dans
ce pays était de 14 190 F en 1994. Mais 10% des ménages disposaient alors de moins
de 4 530 F alors que 10% des ménages gagnaient plus de 25 890 F, soit un écart

32 HOANG Ngoc Lien : La fracture sociale : sommes-nous condamnés au Libéralisme Édt. Arlea, p192

47
P9/P1 de 5,7 plus important que lřécart des seuls salaires qui sřétablissait à 3,2. Dans
les pays de lřOCDE, les inégalités salariales sont mesurées par le ratio P9/P1 qui
sřélevait, en 1990, à 2 en Norvège, 2,5 en Allemagne, 3,4 au Royaume-Uni et 4,5 aux
États-Unis.
Ces inégalités font aujourdřhui lřobjet dřintenses controverses au niveau de
lřanalyse du développement. En effet, certains économistes soutiennent avec force
arguments que les inégalités sont favorables à la croissance économique. Ils prennent
appui sur les prédictions de S. Kuznets et avancent que si la croissance accroît les
inégalités dans un premier temps, elle les réduit ensuite.

Encadré 3 : Inégale répartition du revenu


Kuznet (prix Nobel 1971) montre que le rapport entre le PNB individuel et les
inégalités dans la répartition des revenus prend la forme dřune courbe en « U »
renversée. Lorsque les revenus individuels augmentent, les inégalités sřaggravent un
maximum pour un niveau intermédiaire de revenus, puis déclinent pour des niveaux
de revenus élevés. Cette question importante de la répartition des revenus est sous-
analysée dans la pensée économique.
Dans ce sens, depuis quelques années, les systèmes statistiques africains, de
même que les chercheurs, déploient, avec le financement des bailleurs de fonds
internationaux (BM, FMI, ACDI, CRDI…), des efforts pour mesurer le seuil de
pauvreté, identifier les pauvres, saisir leurs profils, leurs liens de résidence. Sans nul
doute, ces efforts sont louables, motivés sans doute par la volonté de mettre à la
disposition des décideurs économiques et politiques des instruments nécessaires à
un ciblage pertinent de la politique de lutte contre la pauvreté. Mais il est curieux
dřobserver que les statisticiens et les économistes ne manifestent que très peu
dřintérêt pour les riches et les mécanismes dřenrichissement ainsi que la répartition
des revenus.

À y regarder de près, cette assertion peut-être économiquement fondée mais


ne convient pas dans la perspective de lutte contre la pauvreté. Pour P.
ENGELHARD33, il faut sřinterroger pour savoir à partir de quel seuil dřinégalité la
croissance de la richesse des uns ne compense plus la perte de richesse des autres ?
Rawls fournit une piste intéressante dans le second principe de sa Théorie de la
justice sociale34 : lorsquřil y a des riches, les pauvres sont souvent moins pauvres que
si tout le monde était pauvre. Mais alors sommes-nous encore dans un univers où
lřaccroissement de la richesse des riches garantit que la pauvreté des pauvres va
diminuer ? Et P. ENGELHARD observe avec pertinence que deux ou trois cents
personnes parmi les plus riches de la planète ont un revenu qui équivaut à celui de
deux ou trois milliards de pauvres. Quřune inégalité permette à ces pauvres de vivre
un peu mieux quřils ne le feraient si la richesse était un peu moins mal répartie nřest
pas très vraisemblable.
Globalement, les inégalités se sont creusées entre les pays et au sein de la
plupart dřentre eux. Ainsi, dans les pays opulents dřEurope occidentale, le nombre de
pauvres nřa cessé dřaugmenter depuis vingt ans. Toutefois, ces inégalités et ces
pauvretés excessives deviennent inacceptables et dangereuses, car elles constituent le
terreau sur lequel se recrutent les terroristes qui menacent toutes les démocraties du
monde. Manifestement, les réseaux terroristes tirent leur origine de la désespérance

33 P.ENGELHARD : LřAfrique miroir du monde ? Plaidoyer pour une nouvelle économie. Edit. Arléa,
Paris, 1998, p.222
34 J. Rawls : La théorie de la justice sociale

48
et des souffrances de la pauvreté que vivent certains peuples souvent dans
lřindifférence totale de la communauté internationale. Les attentats de Septembre
sont intervenus dans une conjoncture de profonde détérioration des rapports Nord-
Sud : dégradation des termes de lřéchange, approfondissement des déficits,
massification de la pauvreté, endettement qui hypothèque le financement du
développement, baisse de la croissance. Dans les diverses négociations
internationales à Seattle (OMC), à KYOTO sur le réchauffement de la terre négocié
par 160 nations, à Gènes (G8) et à Durban (ONU) dernièrement sur lřesclavage, les
pays du Sud ont fait beaucoup de concessions mais nřont presque rien obtenu en
retour. Ces éléments entretiennent des sentiments dřexclusion, de frustrations, de
désespoir, tout cela sur fond de pauvreté ambiante.35

Section 2 : L’Afrique paria de la mondialisation. Entre


pauvreté, précarité et exclusion, elle n’a pas encore de place
dans le 21ème siècle36.

La participation de lřAfrique à lřéconomie mondiale a fortement diminué au


cours des cinq dernières décennies aussi bien du point de vue de son PIB, de ses
exportations que des IDE reçus. Selon lřOCDE, la part de lřAfrique dans le PIB
mondial mesurée en parité de pouvoir dřachat entre 1950-2000 a baissé dřun tiers
alors que sa part dans les exportations a été divisée par 3. Il en va de même pour les
investissements directs étrangers, comme cela a été établi plus haut.
Dřun autre côté, lřéconomie mondiale a une assez faible incidence sur la
croissance des économies africaines. Cela sřexplique dřabord par la base de son
système productif composée essentiellement de produits primaires et ensuite par son
insertion faible dans des réseaux diversifiés de commercialisation
On peut donc dire que les paramètres posés par la mondialisation ignorent
lřAfrique. Les investissements croisés, les échanges internationaux sur la base de la
croissance de la production mondiale, la globalisation financière aussi bien que les
réseaux transnationaux et les firmes globales ne sřintéressent pas au continent. À ces
facteurs sřajoutent dřautres qui sont endogènes et contribuent à la marginalisation de
lřAfrique. Au titre de ces facteurs on peut citer :
lřabsence dřinfrastructures adéquates de communication ;
lřétroitesse des marchés ;
les incertitudes et risques nés des conflits ;
la mauvaise qualité des administrations publiques.
Les Programmes dřAjustement Structurel ont tenté dřintroduire des réformes
qui avaient pour objectif lřassainissement des économies en vue de la restauration de
leur compétitivité extérieure par la réduction des déficits budgétaires, une pression
sur les salaires, la suppression des subventions, la privatisation et le dégraissage de la
fonction publique. Une fois assainies, les économies devraient amorcer une
croissance durable tirée par les IDE et les exportations. En définitive, on sřaperçoit
quřen fait lřassainissement ne finit jamais, les IDE se font attendre, la croissance nřest
pas durable et la pauvreté est encore loin dřêtre éradiquée. Cela a nécessité
lřélaboration par la Communauté internationale « des Objectifs du Millénaire pour le
Développement, un pacte entre les pays pour vaincre la pauvreté »37

35 Moustapha KASSE : Récession mondiale et terrorisme, Journal Info7 du 02 fév. 2002


36 Banque mondiale : L’Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le 21ème siècle ?,
37 PNUD : RMDH 2003 : Les OMD

49
I/ Pauvreté de masse aggravée par la défaillance des systèmes
traditionnels et modernes de protection sociale.

Le Continent africain est la région du monde la plus pauvre, sa production


moyenne par habitant à la fin des années 90 est inférieure à ce quřelle était en 1960,
sa part dans le commerce mondial a reculé. Au niveau social, la situation est
simplement catastrophique avec 250 millions de personnes qui nřont pas accès aux
services de santé, 140 millions dřanalphabètes et 2 millions dřenfants qui meurent
chaque année avant leur premier anniversaire.
Le bilan de 10 années de recherche et de lutte contre la pauvreté est fortement
contrasté. Les actions de lutte contre la misère et la famine ont donné quelques
résultats positifs indéniables avec lřaugmentation de la production alimentaire du
système périphérique et le recul de la faim. Toutefois, depuis les années 70, le
nombre de pauvres augmente au même rythme que la population (KANKWENDA,
1999) sans que lřon soit en mesure de répondre aux questions fondamentales à
savoir : i) Comment mesurer la pauvreté ? ii) Quels sont les groupes les plus
vulnérables ? iii) Quelles sont les conditions de vie des pauvres et des très pauvres ?
iv) Quelle politique efficace faut-il mettre en œuvre ?
À lřanalyse tous les pays africains sont handicapés par une crise sociale dřune
très grande ampleur qui se manifeste dans lřaccroissement du couple pauvreté et
chômage. Cela entraîne une forte dégradation des conditions de vie : pénurie et
insécurité alimentaires, diverses épidémies, non-accès aux services de base. Ce
processus de paupérisation de masse sřaccompagne paradoxalement dřun
affaiblissement des formes modernes comme traditionnelles de protection sociale.
Le Continent africain administrait la force dřune indiscutable « solidarité »,
découlant principalement dřun ensemble dřobligations et de droits complexes
destinés à préserver la cohésion du groupe et à réduire lřincertitude économique. La
logique du « don et du contre-don », sans doute latente dans ce tissu dřobligations
réciproques, avait fini par instaurer un contrat-social implicite qui est en train de se
déliter dangereusement. Dès lors, la protection sociale cesse de sřappuyer sur les
réseaux de la famille élargie qui nřest plus en mesure de répondre aux sollicitations de
ses membres les plus faibles et les plus démunis dans un contexte de crise
économique. Au niveau des structures formelles, les choses ne vont pas mieux, suite
à la crise profonde du système public de sécurité sociale, symbole de « lřEtat-
providence ». Il accuse une triple crise :
une crise dřefficacité : effets pervers de prélèvements excessifs ;
une crise de légitimité : côté recettes : une redistribution à rebours ; côté
dépenses : la solidarité déviée avec des difficultés dřévaluation ;
et une crise dřadaptation.
Pris en tenaille entre lřaccroissement soutenu des dépenses et le tarissement
des sources de financement, suite à lřassainissement économique et financier, le
fonctionnement du système de redistribution et de protection sociale est de plus en
plus bloqué. La crise économique et financière va finir par liquider tous les filets de
protection et de redistribution. La conséquence est alors lřinstauration de la pauvreté,
de la précarité et de lřexclusion. Les analyses sur la pauvreté sont marquées par trois
visions qui peuvent coexister ou alterner dans un même pays : une vision
technocratique, une vision fondée sur lřassistance et une vision caritative.
La vision technocratique est celle des organisations internationales. Elle est
selon Bruno LAUTIER «exprimée sur le mode de la pathologie et emploie souvent un
langage mi-médical, mi-guerrier : la pauvreté est une maladie à éradiquer et pour cela
il faut mettre en place des stratégies pour les pauvres». Il sřagit dřune maladie du

50
corps social et en conséquence, le réalisme imposant de limiter ses ambitions, il faut
scinder la pauvreté en deux ou trois, pour éliminer «une pauvreté absolue» quřil est
nécessaire de supprimer en premier. Il est donc normal que cette vision mette
lřaccent sur les éléments de quantification en vue de déterminer la proportion de
pauvreté absolue quřune société peut supporter sans risque de faire imploser son
ordre social.
Cette vison implicite nřest pas appuyée par une bonne connaissance des
mécanismes et des facteurs de la pauvreté : les causes macroéconomiques et
structurelles (économie mondiale, politiques internes introduites par les PAS,
lřendettement) et les causes sociales (double explosion démographique et urbaine,
exclusion économique et sociale, absence de protection sociale et rupture des
solidarités traditionnelles). Pour en sortir, il est recommandé aux pays africains de
poursuivre et dřapprofondir lřajustement structurel qui est seul à même de relancer la
croissance économique pour éradiquer la pauvreté. Ce schéma appuyé par les IFI
postule que la croissance doit être tirée par les exportations. Ce principe appliqué à
lřAfrique a quelque chose de surréaliste avec les exportations africaines qui ont
régressé de 14%.

Figure 2 : Population vivant avec moins de deux dollars

51
II/ Etranglement et hypothèque du développement par l’endettement.

A la fin de lřannée 2000, les allègements promis sřélevaient à 34 milliards de


dollars, ce qui ne représente que 1,6% de la dette totale du tiers monde, et 15% de la
dette des pays pauvres très endettés (PPTE)38. On est très loin des pourcentages
annoncés régulièrement à grand renfort médiatique. À cela sřajoute le fait que les
quelques allègements fort partiels qui sont décidés sont étalés sur plusieurs dizaines
dřannées et liés à certaines conditionnalités politiques et économiques difficilement
accessibles.
Si la Banque Mondiale et le FMI ont lancé cette initiative, cřest parce que la
situation devenait trop dramatique et était intenable. Il fallait rendre la dette
soutenable pour garantir la poursuite des remboursements. Dřailleurs, le Rapport
Statistique de la dette extérieure de lřOCDE, paru en 2001, note que «la mise en
œuvre intégrale de lřInitiative ne se traduira pas par une diminution de la valeur (…)
de la dette, car les allègements prendront pour lřessentiel la forme de remises
dřintérêts et de dons destinés à financier le service de la dette, et non de réductions
directes de lřencours de cette dette».
Le problème demeure donc entier. Lřinitiative PPTE, cřest un coup de canif
dans un baobab. Plus généralement, en 1980, le stock de la dette des Pays En
Développement (PED) sřélevait à 586 milliards de dollars ; en 2000, il est passé à
2527 milliards de dollars, il a donc été multiplié par plus de quatre. Dans le même
temps, les PED ont remboursé 4 096 milliards de dollars, soit sept fois leur dette de
1980.
Tableau 3 : La dette extérieure africaine de 1982 à 2003 en millions de
dollars

350000
300000
250000
Montant de la dette
200000
150000 1982 1992 1998 2002
2003
100000
50000
0 82 92 98 2 002 2003

Selon le rapport Global Développement Finance 2001 de la Banque Mondiale,


les pays du Sud ont remboursé au Nord, en 1999, 137 milliards de dollars de plus que
ce quřils ont reçu sous forme de nouveaux prêts. En 2000, cřest 101 milliards de
dollars ! Le mécanisme de la dette représente un transfert de richesses des peuples du
Sud aux détenteurs de capitaux du Nord. Alors que demander de plus ? Au Comité
pour lřannulation de la dette du Tiers-Monde (CADTM), ainsi quřà ATTAC, il faut

38Moustapha KASSE : Lřendettement de lřAfrique : quelles voies de sortie après PPTE, Marchés
Tropicaux n°3000, 9 mai 2003

52
dire que lřannulation totale de la dette extérieure publique du tiers monde est, sans
conteste, le premier pas indispensable vers la construction dřun monde où le but nřest
pas le remboursement de la dette, mais la satisfaction des besoins humains
fondamentaux. La dette écrasante et la trop grande pauvreté rendent impossible le
financement des investissements collectifs sans lesquels le développement ne peut
commencer.

Figure 3 : Allégement de la dette

III/ Synoptique des défaillances et des risques de l’Afrique dans la


mondialisation

En résumé, les risques probables de la mondialisation et de la libéralisation


sont à la fois économiques, politiques et sociales et se présentent comme suit :
Au niveau économique
faible capacité dřoffre,
insécurité alimentaire grandissante avec les deux boulets que sont
lřexpansion démographique et lřurbanisation accélérée et chaotique,
secteur privé pas suffisamment développé avec de faibles possibilités
financières,
techniques de production rudimentaires avec comme issue fatale la faible
productivité qui va plomber la compétitivité des économies évoluant dans
le contexte mondial de haute concurrence et de compétitivité,
concurrence dans les débouchés extérieurs et sur le marché domestique
avec des conséquences dommageables aux entreprises nationales,
suppression des préférences tarifaires et commerciales,
orientations défavorables des IDE qui ne trouvent pas encore un
environnement des affaires propice et sécurisé.

Au niveau technologique
faible capacité technique et technologique et tendance au creusement de la
fracture technologique et numérique. Mise à lřécart de la société du savoir
et des innovations ;

53
insuffisance quantitative et qualitative du capital humain et des institutions
de rechercheŔdéveloppement ;
déficience des systèmes de formation et de renforcement des capacités du
capital humain : éducation et santé ;
transferts technologiques et innovations financièrement et culturellement
coûteux.

Au niveau social
processus contradictoire dřappauvrissement et dřaffaiblissement des formes
modernes comme traditionnelles de protection sociale ;
lřoffre de biens et services est calquée sur celle de lřEurope, dont le revenu
par tête est quarante fois plus élevé (18000 dollars contre 450) ;
absence de filet de protection pour atténuer la sévérité des conséquences
sociales des premières générations de PAS.

Au niveau politique
échec des modèles démocratiques et de gouvernance mimétiques et
imposés. La démocratie nřassure pas la circulation des élites et la bonne
gouvernance nřassure pas la participation des peuples à la gestion des
pouvoirs ;
incapacité de lřÉtat bienveillant de régulation des appareils économiques,
politiques et sociaux et de contribuer à lřinsertion des acteurs dans la
mondialisation. Forte imbrication de certains intérêts et développement de
la corruption qui gangrènent le fonctionnement de lřEtat ;
confiance au marché comme régulateur de la vie économique alors quřil est
traversé par de multiples distorsions qui le rendent aveugle aux conditions
des pauvres et des inorganisés.

IV/ Face au déclin de l’Aide Publique au Développement (APD) à la fois


insuffisante et mal orientée, la recherche de systèmes et de politiques
monétaires flexibles.

Plusieurs études réalisées sur le Système Monétaire International (SMI) et le


Système Monétaire Européen (SME) montrent que lřune des tendances marquantes
au sein de lřéconomie mondiale, depuis 1945, consiste en un mouvement
dřintégration croissante entre les différentes économies nationales. Pour les pays
africains, cette solution bien que peu retenue ne sera certainement pas évitable dans
lřavenir.
À long terme, la stabilité de la monnaie dřun pays dépend de la convergence de
son économie et de la coordination de sa politique avec celles de ses partenaires. De
ce point de vue, le Zone Franc comme accord de change peut découler de lřintégration
croissante des marchés financiers dans le cadre de la mondialisation de lřéconomie
avec la règle des 3 D (désintermédiation, déréglementation, décloisonnement).
Aujourdřhui, les enjeux de la globalisation financière posent la question du
gouvernement du monde par les marchés financiers. Ainsi, les citoyens de la planète
ont commencé à suivre, en temps réel, la fiche de santé de lřéconomie mondiale au
travers des indices financiers des grandes bourses (CAC 40, Indice Nikkei, Dow
Jones,…). Dans ce contexte, les mécanismes de transmission de la politique
monétaire confèrent un rôle plus accru à la politique de change et, lřabsence de celle-
ci sera un sérieux handicap pour tout pays ou groupe de pays.

54
Lřouverture internationale dřun pays est pertinente lorsque ses produits sont
compétitifs. Pour mesurer la compétitivité dřun pays et ses variations, on utilise
généralement le Taux de Change Effectif Réel (TCER), qui apprécie la variation du
taux de change effectif nominal par rapport au taux dřéquilibre (PPA). Le TCER
donne une bonne estimation des conséquences sur la balance extérieure des
variations du TCEN, liée aux modifications de prix résultant des changements
dřefficacité du système productif. Il procure une bonne appréciation de lřévaluation
des coûts de production domestique des biens internationaux, ceux qui font lřobjet
dřune demande mondiale et qui doivent guider la spécialisation. Pour que lřindice de
compétitivité reste stable, il faudrait que les coûts nationaux de production des biens
échangeables restent proches de ceux des autres pays concurrents, et donc que
lřinflation interne reste voisine de celle des pays partenaires. Ce qui signifie, faut-il le
rappeler sous une forme, que toute hausse des prix internes qui serait supérieure à la
hausse des prix internationaux, pondérés par le taux nominal, entraînera une baisse
du TCER, cřest-à-dire une surévaluation du taux réel, et donc une perte de
compétitivité. Au contraire, pour améliorer la compétitivité nationale, il convient de :
Diminuer le taux nominal, cřest-à-dire dévaluer la monnaie nationale ou
diminuer le prix domestiques
ou encore, augmenter les prix internationaux, par exemple grâce à la
production aux frontières.
On remarque que lřanalyse ne conduit pas aux mêmes décisions de politique
économique selon que le pays se trouve en régime de changes fixes ou variables.
La stabilité dřune monnaie peut être défendue par sa Banque Centrale, mais
pas indéfiniment. À long terme, la stabilité de la monnaie dřun pays dépend de la
convergence de son économie et de la coordination de sa politique avec celles de ses
partenaires. Dans les pays en voie de développement, la difficulté sřaccroît avec la
nécessité de donner à cette politique des objectifs à plus long terme. Il ne sřagit plus
seulement de rétablir lřéquilibre extérieur par la politique macroéconomique
traditionnelle, mais dřassurer une croissance durable de lřéconomie et dřinitier une
véritable politique de développement.
Sous ce rapport, lřintégration régionale devrait être favorisée par la mise en
place dřun Système monétaire et de crédit en vue de faciliter les échanges entre pays
de la Zone. Ceci exigerait la création dřune sorte de division régionale du travail
(DRT) accompagnée de la création dřun Système Monétaire Régional (SMR)
établissant
des règles de parité,
des règles de stabilité,
des règles de gestion monétaire.39
Les soubresauts monétaires sont accompagnés par une baisse importante de
lřAide Publique au Développement qui subit une réduction depuis 1995, aussi bien en
valeur absolue quřen valeur relative. La désaffection relative de lřAfrique profitait
essentiellement aux pays de lřEst européen. Dans les années 80, les pays donateurs
sřétaient fixés un objectif : porter le montant de lřAPD à 0,7% du PNB, le double des
montants alloués à lřépoque. Dans les faits, les budgets de lřAPD ont plutôt diminué
presque de moitié. Globalement, ils sont passés de 0,43% du PNB, en 1988, à 0,29%,
en 2001. Parallèlement à cette diminution, lřAPD a évolué comme instrument de mise
en œuvre des Programmes dřAjustements Structurels (PAS). « Les pays donateurs
sont devenus des inconditionnels de la conditionnalité ».

Moustapha KASSE : Le développement par lřintégration, chapitre4 intitulé : La création dřun ordre
39

monétaire régional en Afrique de lřOuest, Édit. NEAS, 1992

55
Les multiples défis que lřAfrique doit relever dans le cadre dřun développement
durable qui réduise la pauvreté de masse, ne peuvent être levés par le simple
recours aux marchés financiers. Les récentes crises financières de la mondialisation
ont largement montré que les IDE ne peuvent être un substitut à lřAide Publique au
Développement qui doit en être le complément indispensable. Il faut alors améliorer
quantitativement et qualitativement lřAPD. Il y a alors un triple défi à relever
augmenter substantiellement les budgets de coopération internationale en
remettant concrètement à lřordre du jour lřobjectif de 0,7% du PNB;
réorienter ces budgets vers les objectifs de lutte contre la pauvreté, de
justice sociale et de développement humain. Rappel : 70% des 4, 5 milliards
de personnes qui vivent avec moins de 2$ US par jour sont des femmes et
des enfants;
réserver des montants suffisants pour les initiatives non
gouvernementales, en particulier pour les programmes de sensibilisation et
dřéducation du public et pour la concertation organisée des organismes de
coopération et de solidarité internationale.
En définitive, cette analyse de la mondialisation montre que notre époque est
celle des « démocraties concurrentielles » cřest-à-dire des démocraties qui
promeuvent lřinteraction permanente de la politique et de lřéconomie, la prééminence
du marché mondial et lřobéissance des économies nationales.
Dans ce nouveau contexte, la politique économique sera une politique
internationale tournée vers le marché, où les méthodes dřintervention nřauront plus
rien à voir avec les politiques nationales traditionnelles. Dès lors, une fois comprise
et considérée comme une nouvelle configuration de lřéconomie mondiale, la
mondialisation implique la question de lřinsertion positive de lřéconomie sénégalaise
à sa logique.
À première vue, toutes les interdépendances analysées révèlent à la fois les
potentialités mais aussi les risques de la globalisation pour lřAfrique. Dřabord tous les
paramètres quřelle pose ignorent pour une bonne part le continent. Et lorsquřelle les
intègre, cřest pour lřintroduire comme un support aux multinationales (européennes,
américaines, asiatiques) en termes dřapprovisionnement régulier et stable en
matières premières et de débouchés solvables (ou solvabilisables). Autrement dit, ni
les investissements croisés, ni les échanges internationaux sur la base de la croissance
de la production mondiale, ni la globalisation financière, ni les réseaux
transnationaux, ni les firmes globales, nulle part dans ce jargon de grands et de
riches, on trouvera une place de premier plan pour lřAfrique.
Les théories et les pratiques de la mondialisation ont une faible perception de
lřÉtat surtout, africain. Elle le confine au simple rôle de gestionnaire des collectivités
sous lřœil vigilant de multiples observatoires que sont les institutions de gouvernance
de lřéconomie mondiale dont lřefficacité est fortement contestée. Ces observations
nřentament en rien le caractère inéluctable de la mondialisation.

Section 3 : Les perspectives africaines d’insertion dans la


mondialisation.
Dans son rapport de 1996, le FMI montre quřil serait illusoire de rejeter la
mondialisation car elle doit permettre aux pays, quel que soit leur niveau de
développement, de saisir des opportunités. Dans son sillage, certaines économistes
considèrent que la globalisation nřest pas un jeu à somme nulle et que les pays en
développement et les pays industrialisés en tirent des effets dřentraînement
réciproques, conformément aux théories de lřéchange international (RICARDO et

56
H.O.S.). Celles-ci soulignent par ailleurs que le commerce sans entrave est favorable à
tous les partenaires quelle que soit leur taille, pourvu simplement quřils se
spécialisent dans les productions où ils ont les meilleures dotations factorielles
naturelles. Il nřexiste dès lors aucun obstacle insurmontable Ŕ si ce nřest lřÉtat Ŕ au
développement des échanges. Cřest cette logique qui préside à la création de lřOMC. À
lřappui, lřOMC montre que la valeur du commerce mondial de marchandises sřest
accrue en 1995 de 19%. Ainsi la valeur des exportations mondiales passe de 164
milliards de dollars en 1960 à 4900 milliards en 1990. Le commerce mondial a été
multiplié par 39. Il nřen va pas de même pour lřAfrique dont la progression est
inférieure à la moyenne mondiale (5,4%).

I/ Exigence de construction d’économies compétitives.

Quel que soit lřindicateur considéré, on sřaperçoit que lřAfrique est


marginalisée tout aussi bien dans le processus de production, dřéchanges que dans la
distribution des investissements directs étrangers. À cela viennent sřajouter des
termes de lřéchange complètement défavorables contribuant à la détérioration du
pouvoir dřachat des africains.
Cřest dans ce contexte quřil est demandé aux pays africains de redresser leurs
économies (ajustement structurel) et de les ouvrir sans entrave avec la levée de
toutes les restrictions tarifaires et non tarifaires, lřannulation de toutes les
subventions et lřinstauration de libres marchés.
Beaucoup de chercheurs récusent cette vision idéologique qui finit par placer
lřAfrique parmi les grands bénéficiaires de la globalisation. Lřargumentaire sřappuie
sur deux éléments : lřun théorique, fondé sur la compréhension de la théorie des
avantages comparatifs et lřautre plus pratique portant sur les subventions agricoles.
Prenons cette dernière question. Les politiques agricoles restées jusquřen 1986 à
lřécart des négociations menées dans le cadre du GATT sont depuis lřobjet dřune âpre
bataille entre les deux puissances agricoles mondiales : les États-Unis et lřEurope de
la PAC. Or les deux puissances nřont en rien respecté lřaccord de MARRAKECH qui
postulait entre autres dřune part de faciliter les importations de produits agricoles en
abaissant les droits de douane, et dřautre part dřaméliorer les conditions de la
concurrence entre pays exportateurs en réduisant les subventions et les aides
publiques aux producteurs. Bien que la forme soit différente, lřagriculture américaine
reçoit désormais une aide supérieure à son collègue européen. Ces subventions sont
impérativement interdites aux africains.

57
Figure 3 :L’Afrique se marginalise dans le commerce mondial.

II/ Exigence d’une régionalisation de gré ou de force.


Quel que soit lřangle dřanalyse, les mutations introduites par la mondialisation
ne se présentent pas comme un mauvais moment à passer à tel enseigne que, tel le
roseau de la fable, il faille plier lřéchine et attendre que le beau temps revienne. Le
monde est dans un nouveau système dřéconomie sociale de marché, de compétition
économique et de démocratie concurrentielle dans lequel pour survivre, il faut avoir
des stratégies clairvoyantes, pertinentes et complètes, une bonne maîtrise des savoirs
et un très grand professionnalisme40.
Les analyses réalisées montrent que lřAfrique est à la périphérie du système
mondial, handicapée par dřinnombrables difficultés économiques et sociales. Celles-ci
sont subséquentes dřune part à la chute brutale des cours des matières premières
provoquée par la crise financière et économique mondiale, et dřautre part par les
conditions climatiques défavorables à lřagriculture et les problèmes engendrés par
lřinstabilité et les conflits qui ont affecté une bonne partie du continent. Malgré
quelques embellies dans des pays limités (Tunisie, Maurice, Botswana, Burkina Faso,
Ouganda, Afrique du Sud) et dans certains secteurs, le bilan du développement se lit
en termes de contre-performances qui ont conduit progressivement le continent à la
marge des affaires du monde.
Cette situation se manifeste par la détérioration généralisée des fondamentaux
des économies nationales : faible taux de croissance économique, inflation souvent

40 Moustapha KASSE : Partenariat et nouveau régionalisme en Afrique, Édit Nouvelles Du Sud, 2003

58
galopante, endettement massif, stagnation des économies, approfondissement du
double déficit chronique de la balance des paiements et des finances publiques. Les
économies africaines ont assez mal réagi aux chocs externes comme la morosité de
lřéconomie mondiale, la baisse des cours des matières premières dont le pétrole, et la
crise asiatique. Ces chocs externes ont entraîné des effets désastreux sur le déficit
budgétaire, le taux dřinflation, la croissance du PIB, lřendettement et le taux de
change. À la fin des années 90, lřAfrique représente 12% de la population mondiale
mais fournit moins de 1% du PIB mondial. Les résultats du développement industriel
et agricole sont aussi modestes. Il avait été mis en place une stratégie
dřindustrialisation par substitution aux importations qui avait de faibles relations en
aval comme en amont avec le secteur agricole : les performances se sont révélées
décevantes. Au niveau des relations avec lřextérieur, la part de lřAfrique dans les
exportations est modeste. LřAfrique est complètement absente du commerce mondial
dans les branches les plus dynamiques des produits manufacturés et des services. Au
plan social, la dégradation du bien-être sřélargit avec la montée de la pauvreté dont le
rythme de croissance est plus rapide que celui des revenus.
Ainsi, la dimension d'un vaste marché regroupant un maximum d'entités
économiques n'est-elle pas moins importante que les conditions stables appropriées
permettant aux forces de ce marché de jouer pleinement dans le sens d'une relance
des activités économiques et du développement? Cette question est d'autant plus
fondée qu'aujourd'hui, nul ne doute que tout processus d'unification économique et
monétaire nécessite un certain nombre d'étapes successives qu'il serait dangereux
d'inverser, au risque de conduire l'intégration à l'inefficience ou à l'échec. Et cela, que
l'on passe par des intégrations sous-régionales (Afrique de l'Ouest, Afrique de l'Est,
Afrique centrale, Afrique du Nord et Afrique Australe, par exemple) ou régionales.
Lřespace économique du continent est subdivisé en cinq régions qui
développent chacune en son sein une ou plusieurs initiatives dřintégration :
en Afrique Centrale avec la Communauté Économique et Monétaire de
lřAfrique Centrale (CEMAC), la Communauté Économique des États de
lřAfrique Centrale (CEEAC), la Communauté Économique des Pays des
Grands Lacs (CEPGL),
en Afrique de lřEst avec la Communauté Économique de lřAfrique de lřEst
(CEA),
en Afrique du Nord avec lřUnion du Maghreb Arabe (UMA),
en Afrique Australe avec lřUnion Douanière de lřAfrique Australe (UDAA),
la Communauté pour le Développement de lřAfrique Australe (SADC), la
Zone dřÉchanges Préférentiels (ZEP), le Marché Commun des États de
lřAfrique de lřEst et de lřAfrique Australe (COMESA)
et en Afrique de lřOuest avec la Communauté Économique des États de
lřAfrique de lřOuest (CEDEAO), lřUnion Économique et Monétaire Ouest
Africaine (UEMOA), lřUnion du Fleuve Mano (UFM).
Ces blocs fonctionnent de façon assez inégale et réalisent, par moments, des
résultats appréciables dans les domaines respectifs du commerce intra régional, de la
coordination des politiques économiques et monétaires, de la mobilité des facteurs
comme la main dřœuvre et les capitaux. En définitive, il est attendu de tous ces
schémas dřintégration quřils contribuent non seulement au développement de la taille
des marchés, à la réduction des coûts de transaction mais aussi à lřamélioration de la
concurrence entre producteurs.

59
CHAPITRE 3
MAÎTRISE DU PÉTROLE ET DE L’ÉNERGIE DANS LA
GÉOSTRATÉGIE DE RÉGULATION DE LA MONDIALISATION.
La situation énergétique mondiale est devenue une grande préoccupation à la
fois des décideurs politiques, de tous les acteurs de la vie économique, de lřAgence
Internationale de lřÉnergie et des scientifiques. Aujourdřhui, les systèmes productifs,
les activités industrielles et humaines reposent sur un modèle énergétique à base de
ressources non renouvelables, qu'elles soient fossiles (pétrole, charbon et gaz) ou
minérales (uranium). Plus précisément, le pétrole sřest imposé comme principale
source énergétique, et ses sous-produits sont déterminants pour les économies
modernes, ce qui entraîne une hausse constante de la demande mondiale alors même
que lřoffre semble avoir du mal à suivre cette demande.

Section1 : Le pétrole, une variable clé dans la géostratégie et la


compétitivité de l’économie mondiale avec des accroissements
des prix sans fin.
Dans ces conditions la flambée des prix du pétrole qui ont franchi la barre
fatidique des 100 dollars a suscité de vives inquiétudes et des débats passionnés sur
les véritables enjeux géostratégiques planétaires du pétrole. Au début des années 70,
le prix du baril était de 2 dollars pour évoluer par la suite à 35 dollars en 1980, 80 en
2000 et maintenant 100 dollars et plus.

Figure 4 : Fluctuation des prix du pétrole.

60
La configuration de la planète en fonction des dotations pétrolières laisse
apparaître 4 groupes qui ont des perceptions différentes de lřenjeu du pétrole dans les
relations internationales :
les pays riches, riches en pétrole comme les États-Unis et la Russie.
les pays riches et pauvres en pétrole comme lřEurope et le Japon.
les pays riches en pétrole et non encore industrialisés comme les pays du
Moyen-Orient et du Golfe, et de quelques producteurs africains.
les pays pauvres et pauvres en pétrole comme la plupart des pays africains.
Cette configuration établit que le pétrole est une variable stratégique en tant
quřinstrument dřallocation des ressources financières à lřéchelle mondiale
(superprofits des majors du pétrole par exemple pour Exxon/Mobil 490 milliards de
francs, BP/Amoco/ Arco plus de 167 milliards de francs), Total/Petrofina/Elf 80
milliards de francs et accroissement des réserves des pays producteurs comme
lřindique le tableau qui suit et comme facteur de régulation de la compétition
mondiale (par le biais des surcharges des coûts de production) dans les échanges
internationaux. Pour les pays pauvres, le pétrole est lřun des facteurs des
déséquilibres macroéconomiques graves qui ont conduit à lřendettement massif.
Toutes ces raisons expliquent que cette matière première extrêmement sensible n'a
jamais été laissée uniquement aux forces du marché. Au contraire, les États
interviennent directement ou indirectement pour exiger ou imposer une gestion
concertée des stocks restants. Voilà pourquoi beaucoup dřauteurs le considèrent
comme un bien public international.
En définitive le pétrole est à lřorigine des trois crises qui secouent
actuellement le système mondialisé: la première crise est le réchauffement climatique
qui est à la base des perturbations comme la sécheresse, les inondations et dřautres
catastrophes naturelles dues aux émissions des gaz à effet de serre, la deuxième crise
est celle liée à la recomposition de lřespace du Moyen-Orient, source principale
dřapprovisionnement pétrolier des pays industrialisés et la troisième crise est celle de
la dette des pays en développement victimes de l'augmentation des prix du pétrole.
Ces pays sont condamnés à continuer dřemprunter au Fonds Monétaire International
(FMI) et à la Banque Mondiale pour faire face à leurs déséquilibres externes.
À cela sřajoute les fortes inégalités dans lřaccès aux ressources pétrolières qui
se traduisent dans le fait que les ¾ de la production mondiale sont consommés par
les ¼ de la population, soit o,8 Tonne Équivalent Pétrole par habitant pour les PVD
et 4,7 TEP pour les pays industrialisés. Malgré ces faiblesses relatives des
consommations énergétiques, les factures pétrolières deviennent insoutenables pour
les PVD particulièrement les non producteurs.
La situation énergétique mondiale est aujourdřhui préoccupante. La question
se pose de savoir comment satisfaire des besoins fortement croissants sous la
contrainte de ressources limitées et la nécessité du respect de lřenvironnement ? Pour
y répondre, il importe dřopérer une analyse exacte de la carte de consommation mais
aussi de la production. Cřest dire quřil faut dépasser les explications simplistes
tendant à justifier les difficultés du jeu pétrolier mondial par les pays producteurs qui
agiraient indûment sur lřoffre pour accroître leur rente de situation ou par
lřapparition de nouveaux demandeurs comme la Chine qui consommerait trop.
Sans nul doute, la demande en pétrole a fortement augmenté sous l'effet
conjugué de plusieurs facteurs comme l'accélération de la consommation aux
États-Unis, en Europe et dans la plupart des pays d'Asie provenant du retour de la
croissance dans les principaux pays industrialisés, du regain d'activité dans certains
secteurs comme le bâtiment, les travaux publics et surtout les transports. Mais elle
sřexplique aussi par des calculs géostratégiques plus complexes liés notamment à la

61
gestion des risques par la recherche dřun approvisionnement stable et sécurisé, à la
recherche dřéconomie de rente qui apparaît de plus en plus dans lřidée dřun
réajustement équilibré pour garantir les transferts intergénérationnels, à la volonté
de puissance et de domination. Au demeurant, pour rattraper leur retard
d'industrialisation, les pays émergents dřAsie pèsent de plus en plus dans la
consommation mondiale et continueront à exercer une forte pression sur la demande
dans les années à venir.

Figure 5: Réserves d’énergie par zone géographique

Dans quel sens ces facteurs vont-ils évoluer ? Le dilemme est-il dřaccroître
lřoffre ou de modifier le modèle de consommation énergétique ? Quels sont les choix
énergétiques à moyen et long terme ? De quelles marges peuvent disposer les pays
non producteurs particulièrement les plus pauvres dřentre eux?

Section2 : Les choix énergétiques à moyen et long terme.


L'énergie consommée dans le monde provient, pour environ 60%, des
ressources en hydrocarbures qui sont par nature non renouvelables. Tous les Instituts
de recherches dans le domaine établissent que le pétrole qui sort des puits mondiaux
passera dans les prochaines années par un «pic» qui empêchera lřoffre des pays
producteurs de suivre la demande mondiale. En dřautres termes, les capacités
mondiales de production vont atteindre leur maximum avant de décroître
inéluctablement. Dans cette optique, l'AIE a construit un scénario de " référence " qui
montre que le stock exploitable dřhydrocarbure liquide est de 45 ans, celui du gaz
naturel de 60 et celui du charbon de 250 ans, et qui en même temps évalue le
« pic » : si les tendances actuelles se maintiennent, la consommation actuelle de 9

62
milliards de TPE devrait doubler aux environs de 2050 ; le « pic » interviendrait à
lřhorizon de 2030 et les prix du pétrole seront forcément liés à la proximité du pic de
production. Le tableau qui suit synthétise parfaitement les consommations des
différentes sources d'énergie, leurs réserves, leurs conséquences sur le climat et les
tendances actuelles relatives à l'évolution des prix.

Tableau 3: Evolution des énergies dans le monde

Source : Économie et Politique 620-621 Mars Avril 2000

Tout le défi énergétique du 21ème siècle se situe à ce niveau. En effet, le scénario


de l'AIE indique clairement que les mécanismes de marché (tels qu'ils ont été
modélisés par cette institution peu suspecte de défiance à leur égard) ne fourniront
pas d'incitations suffisamment fortes pour éviter lřimpasse énergétique planétaire. En
effet, dans ce cas de figure, les prix pourraient atteindre, selon les prévisions, les
300 $ le baril. Manifestement, il faut définir des choix de politique énergétique, au
plus vite, car 2030 est déjà là. Cette question interpelle les décideurs politiques
malgré leur vision bornée par leur renouvellement à court terme, les scientifiques et
les chercheurs de toutes les disciplines qui ensemble devront repenser lřintégralité du
modèle énergétique depuis la production, la conversion et l'utilisation de l'énergie
dans les modes de vie.
Les réflexions en cours menées par les Instituts de Recherche et divers
scientifiques gravitent autour de trois axes fondamentaux à partir desquels, il est
souhaité que les pouvoirs publics élaborent des politiques volontaristes. Il sřagit
du retour de la filière nucléaire comme axe central des politiques
énergétiques avec la fabrication de nouvelles générations de réacteurs à
haut rendement mais suffisamment sûres pour être à lřabri du risque
d'accidents grave, de type Tchernobyl. En effet, l'énergie nucléaire semble

63
être la solution la plus robuste pour fournir de l'électricité aux populations
urbaines, sans accroître les désordres climatiques. Il demeure que le
développement du nucléaire relève davantage de la politique industrielle;
du développement des énergies renouvelables qui ne couvrent actuellement
que 10% des besoins mondiaux malgré les avancées technologiques assez
significatives, particulièrement dans lřhydroélectricité ;
de la promotion des biocarburants qui font des percées remarquables dans
certains pays comme le Brésil.
Il reste que, comme toutes les sources alternatives aux énergies fossiles, le
nucléaire et les énergies renouvelables comportent des contraintes. Les Pays
industrialisés notamment les États-Unis, lřEurope et le Japon ont engagé des
investissements lourds dans des programmes de recherche pour maîtriser les
nouvelles technologiques caractéristiques des énergies du futur. Certains pays
émergents comme la Chine, lřInde et le Brésil mènent des politiques similaires de
recherche de sources substitutives. LřAfrique risque, une fois encore, dřêtre laissée en
rade alors quřelle pourrait selon le mot du Président Abdoulaye Wade « aspirer à être
demain le fournisseur dřénergie propre du monde »

Section 3 : Les États africains et le pétrole : handicap majeur


au développement à la fois pour les producteurs et les
déficitaires.
Au regard de la flambée des prix du pétrole, il nřest guère superflu de
sřinterroger sur les perdants et les gagnants du marché. Les producteurs africains
sont au nombre de 12 dont les plus importants sont : le Nigéria avec 3,5% de la
production mondiale et des revenus annuels moyens de 52 milliards de dollars, la
Lybie avec 2,1% et 34 milliards, lřAlgérie avec 2,2% et 46 milliards, lřAngola avec
1,6% et 25 milliards, le Gabon et le Congo Brazza 0,3% et respectivement 4,70
milliards et 5,8. LřAfrique pétrolière ne perçoit pas moins de 200 milliards de
dollars de recettes annuelles moyennes. Sans nul doute pour les pays déficitaires, il
est connu quřils doivent faire face à un accroissement insoutenable de la facture
pétrolière qui risque de compromettre leur processus de croissance et les pousse à
rentrer dans un cycle infernal d'endettement international. Mais, parallèlement, les
pays producteurs à leur tour connaissent bien souvent un certain nombre d'effets
pervers connus sous l'expression de « syndrôme hollandais ».

I/ Les pays africains pauvres et pauvres en pétrole étranglés par la


flambée des prix pétroliers.

En regardant la distribution de la consommation énergétique on observe des


inégalités criantes dřaccès à cette ressource devenue indispensable à la vie
économique et sociale. En moyenne, un Africain consomme 13 fois moins d'énergie
qu'un Américain. Toutefois, dans ce domaine comme dans bien dřautres, on observe
un énorme paradoxe africain : la production de pétrole du continent excède une
centaine de fois les besoins de consommation. La traduction financière de ce
paradoxe est dřun côté une accumulation importante de réserves financières pour les
producteurs et de lřautre une asphyxie financière pour les non producteurs suite à un
alourdissement de leur facture pétrolière. En lřabsence des plus gros producteurs
africains (la Libye, lřAlgérie, le Nigéria, lřAngola, …) les producteurs moyens peuvent

64
individuellement ou collectivement satisfaire largement la demande sans grand
préjudice pour leurs recettes dřexportation.
En conséquence, il importe dřœuvrer au plus vite, à la résorption de cette
fracture énergétique pour reprendre un concept cher au Président Wade. Ce
réajustement énergétique est dřautant plus urgent que sur le Continent, trois
phénomènes conjugués (lřurbanisation accélérée, lřindustrialisation et les réformes
agraires) vont accroître de façon substantielle la demande énergétique. Ces facteurs
vont peser lourdement sur lřaggravation de la facture pétrolière qui risque de
compromettre sérieusement toutes les prévisions de développement et de croissance,
particulièrement pour les Pays Africains Non Producteurs de Pétrole (PANPP) selon
la dénomination du Président Abdoulaye Wade. Lřenvol des prix du baril de pétrole a
complètement laminé leurs ressources financières qui devraient servir à financer le
développement, et augmenter la taille de lřendettement. De fait, les annulations de la
dette suite à la Conférence du G8 de Greeneagles nřauront plus que de faibles effets
sur le développement social. Une nouvelle fois, les Objectifs du Millénaire pour le
Développement seront encore compromis.
Selon le Président A. WADE la facture pétrolière est absolument insoutenable
pour les pays africains non producteurs41. À titre dřexemple souligne-t-il, «la facture
pétrolière du Sénégal a plus que doublé entre 2002 et 2005 passant de 200 milliards
de F CFA à 426 milliards de F CFA soit une surcharge cumulée de 320 milliards de
FCFA. Dans le même temps, les subventions pétrolières qui se chiffraient à 23
milliards de FCFA en 2002 pourraient sřétablir à 117 milliards de F CFA en 2006.»
Cette situation est le lot de la quasi-totalité des pays non producteurs comme le
Burkina Faso, le Bénin, le Niger, La Guinée, le Mali, le Maroc et Madagascar.

II/ Le pétrole une malédiction pour les pays producteurs africains: le


« syndrome hollandais »42

Les pays bénéficiaires dřune rente économique dřorigine minière sont souvent
victimes dřun phénomène connu sous le nom de « syndrome hollandais qui traduit
les dysfonctionnements de lřéconomie qui la rendent incapables de bénéficier de cette
rente. Les ressources financières provenant de la rente peuvent être à la base de cinq
effets déséquilbrants sur lřensemble de lřéconomie : un effet sectoriel, un effet sur le
taux de change, un effet demande, un effet sur le budget, et effet social.
Le premier effet de la rente est le développement hypertrophié du secteur
exportateur qui exerce un effet de polarisation sur les facteurs de production à cause
des opportunités de profit et de salaires, sur son espace de localisation qui va se
développer au détriment des autres territoires. Le second effet est relatif à la
surévaluation de la monnaie nationale soit par la hausse des prix intérieurs si le taux
de change est fixe, soit par la progression du taux de change nominal si le taux de
change est flexible. Le troisième effet provient de lřaccroissement des revenus
distribués de manière licite ou illicite, dans les deux cas, ces revenus entraineront des
pressions inflationnistes et une augmentation des importations dont lřincidence sera
immédiate sur la balance commerciale. Tout va se passer comme si lřextérieur donne
dřune main des revenus additionnels pour les récupérer de lřautre. Le quatrième effet
concerne le gonflement des recettes budgétaires qui vont désormais dépendre des

41Discours prononcé lors de lřouverture de la Conférence ministérielle pour la création de lřAssociation


des Pays Non Producteurs de Pétrole (Dakar, 27 juillet 2006).
42 Le « syndrome hollandais » encore appelé Dutch disease est apparu avec les découvertes de gaz

naturel de la région de Groningue dans les années 1970, elles s'étaient traduites par des déséquilibres
macroéconomiques et une surévaluation dommageable de la monnaie nationale le florin.

65
fluctuations de la rente. Enfin le dernier effet est relatif au creusement des inégalités
internes et surtout au développement de la corruption au niveau des acteurs liés
directement ou indirectement à la valorisation de la rente.
Ces effets conjugués créent des disfonctionnements macroéconomiques qui
font, en définitive, de la rente un handicap à la croissance et au développement :
tensions inflationnistes, appréciation du taux de change, modifications de la structure
des prix relatifs en faveur du secteur abrité, creusement des déficits et
paradoxalement détérioration du pouvoir dřachat avec éventuellement une
persistance de la pauvreté.
Manifestement ce « syndrome hollandais est bel et bien observable à lřéchelon
des pays producteurs de pétrole. On y observe que la rente pétrolière quelque soit
son niveau a desservi le développement économique en installant des mécanismes
dřamplification des déficits des finances publiques et de corruption qui finissent par
gangrener tous les équilibres macroéconomiques. En prenant le cas des Pays du Golf,
ils sont devenus par lřampleur des revenus pétroliers de grandes puissances
financières qui restent encore structurellement sous-développées. En 2003, ces
revenus ont atteint 82 milliards de dollars en Arabie Saoudite, 27 en Iran, 25 aux
Emirats, 22 au Nigeria, 19 au Venezuela et au Koweït, 13 en Libye (pays de 2 millions
d'habitants). Il convient dřy ajouter les ressources financières tirées des exportations
de gaz. Pourtant, aucun de ces pays nřa réussi un quelconque décollage économique.
Le Nigeria est la meilleure illustration du faible impact de la manne pétrolière
estimée sur 25 ans à plus de 300 milliards de dollars versés aux gouvernements
successifs. Ils représentent le 1/3 du PIB et les 2/3 des recettes publiques, alors que
le revenu par tête moyen est de 1 dollar par jour (contre 3 dollars en 1980) et nřont
quřune incidence bien limitée sur le développement et la croissance. La situation nřest
pas différente pour un pays comme l'Arabie saoudite avec une rente qui atteint une
moyenne annuelle dřenviron 80 milliards de dollars soit 4 000 dollars per capita.
En définitive, avec l'alternance rapide de phases de flambée des prix et de
phases récessives, les « Etats pétroliers » sont parmi ceux qui ont connu le plus grand
nombre de turbulences financières et de surendettement.

Section4 : Résorption de la fracture énergétique et valorisation


des potentialités par la coopération et l’intégration.
Le monde est contraint de sortir de la période dřénergie abondante et bon
marché ; dans ce contexte, la définition de politique énergétique vigoureuse devient
une priorité particulièrement pour les PNPP qui doivent éviter que la facture
pétrolière ne devienne insupportable au point de compromettre les faibles capacités
de financement du développement ansi que les perspectives dřindustrialisation. Ces
pays ont des avantages relatifs pour les énergies propres à savoir les énergies
renouvelables, lřénergie hydroélectrique et les biocarburants.
Dřabord, il est établi que les énergies renouvelables peuvent être dřun grand
apport et doivent en conséquence être mises à forte contribution. Ce type dřénergie
offre de bonnes performances à lřagriculture dans les pays où elle est fortement
implantée (espace dřimplantation rural, centres urbains secondaires). Toutefois, pour
certains secteurs comme lřindustrie ou les grandes mégalopoles, lřénergie solaire ne
peut point répondre adéquatement à la demande du fait que sa production de masse
appelle de grandes surfaces. La consommation de ce type dřénergie est encore
marginale sauf pour lřAfrique du Sud et le Maroc qui tirent de cette source environ
4% de leur consommation. Les autres pays en sont à moins de 2%.

66
Ensuite, le potentiel de développement hydroélectrique est simplement
abyssal. Le barrage dřInga peut développer une puissance permettant de couvrir la
totalité des besoins énergétiques de lřensemble du continent africain comme lřavait
déjà clairement démontré Cheikh Anta DIOP43. A cela viendrait sřajouter le potentiel
inépuisable de la Guinée Conakry considérée comme le Château dřeau de lřAfrique de
lřOuest, les capacités sous-exploitées du Barrage de CABORA BASSA, de
MANANTALI dans le cadre de lřOMVS et dřAKOSSOMBO au Ghana. Dřailleurs,
lřAfrique nřexploite que moins de 8% de son potentiel hydroélectrique nonobstant les
crises latentes de la fourniture dřélectricité. La Banque mondiale porte dřénormes
responsabilités dans la non réalisation de ces projets : elle sřest permanemment
opposée aux projets de mise en valeur du potentiel hydroélectrique avec des
arguments technicistes non seulement fallacieux mais qui manquaient de vision
comme le désapprouvait déjà Kwamé NKRUMAH.
Enfin, en matière de biocarburant les potentialités africaines sont énormes. En
effet, la production de carburant à base de végétaux comme cela se fait par exemple
au Brésil ou en Allemagne où de lřhuile pure de colza et dřautres oléagineux est très
envisageable. Ce biocarburant est aujourdřhui utilisé dans le transport qui est grand
consommateur dřénergie (de nombreux véhicules, voitures, camions, tracteurs
agricoles...). Techniquement, lřutilisation du biocarburant ne nécessite que de légères
modifications des moteurs et présente lřavantage dřêtre plus écologique et bien moins
onéreux.
En définitive, la question énergétique doit être replacée au cœur des dispositifs
de coopération et dřintégration. Ce cadre devrait permettre une exploitation efficiente
de toutes les potentialités pour répondre aux besoins des Etats quelle que soit leur
dotation factorielle. Les expériences en cours doivent être approfondies et
élargies comme par exemple le Pool Energétique dřAfrique Australe (SAPP) même si
elle traverse quelques difficultés et celle dřAfrique de lřOuest (la West African Power
Pool) de la CEDEAO. Lřindépendance énergétique du Continent passera par de tels
mécanismes de coproduction et de solidarité.
Les pouvoirs publics doivent déterminer les objectifs, le calendrier, les moyens
octroyés pour atteindre les résultats escomptés et agir dans trois directions :
lřencouragement de la recherche et de la formation des scientifiques, des
ingénieurs et des techniciens
la promotion des productions par des investissements, par des incitations
financières intéressantes (suppression des droits de douane pour le
matériel importé, facilités pour les entreprises, les administrations)
la motivation des particuliers candidats à la consommation des énergies
renouvelables.
Cette politique énergétique nécessite des moyens financiers énormes qui
peuvent provenir dřun Fonds dřInvestissement du Secteur de lřÉnergie. Elles peuvent
aussi résulter de plusieurs autres sources comme par exemple 44:
le prélèvement sur la rente des PAPP au profit des pays non producteurs
(PANPP) ;
financement par la Communauté internationale à partir des ressources
rendues disponibles par les annulations de dettes au titre des Initiatives en
faveur des Pays Pauvres et Très Endettés (PPTE) et dřAllègement de la
Dette Multilatérale (IADM).

43 C. Anta DIOP : Les fondements culturels dřun Etat Fédéral Africain


44 Cette opinion est à la base du Wade formula qui propose un partage des excédents provenant des
fluctuations des prix du pétrole.

67
Section 5 : Quelle solution pour les questions énergétiques?

Les débats intenses sur le pétrole qui agitent aujourdřhui les milieux des
décideurs politiques, les spécialistes du jeu pétrolier, les scientifiques, les chercheurs,
les journalistes et les simples citoyens indiquent lřampleur et la gravité des problèmes
que suscite la flambée actuelle des prix du pétrole. Tout le monde semble prendre
conscience que les besoins énergétiques vont croître dans des proportions
exponentielles, suite à l'expansion démographique, lřurbanisation accélérée et lřaccès
au développement des pays du sud, alors même que lřoffre est déclinante.
Il faut s'orienter dès maintenant sur une triple voie. Il faut tout d'abord
engager une dynamique très forte d'économies d'énergie afin d'obtenir une meilleure
efficacité énergétique des hydrocarbures. Ensuite, à très court terme, il faut
développer l'emploi du gaz naturel pour suppléer le pétrole Ŕ mais pendant à peine
vingt ans Ŕ et, surtout, s'engager dans la voie de subventions massives pour la
recherche et le développement dans le domaine des énergies renouvelables et pour la
construction des infrastructures nécessaires à un régime énergétique fondé sur
l'hydrogène. Il ne faut surtout pas attendre la fin des énergies fossiles parce que la
création de ces infrastructures prendra entre vingt cinq et cinquante ans.
Nous pouvons espérer dans les prochaines décennies, une augmentation de la
demande énergétique mondiale induite par la marche vers le développement des pays
les moins avancés. Il serait inacceptable quřune pénurie dřénergie freine
lřindispensable mouvement de résorption des inégalités de niveau de vie entre les
peuples.
Une alternative souvent proposée serait la réorientation profonde des
Institutions Monétaires et Financières Internationales avec la création dřun Fonds
Monétaire Mondial pour le développement de lřaccès à une énergie respectueuse de
lřatmosphère. Ce Fonds viserait une création monétaire, sous la forme par exemple de
droits de tirage spéciaux (DTS), en vue de la distribution de crédits à taux faibles,
avec des critères dřallocation soutenant un développement prenant en compte les
défis environnementaux. Les projets ne seraient plus jugés à lřaune de leur rentabilité
financière mais en fonction de leur efficacité sociale et environnementale.
Les Gouvernements africains ont souvent manqué de vision à court, moyen et
long termes, le renchérissement du cours du pétrole était prévisible en raison de la
demande de plus en plus forte, de lřinstabilité régnant dans certaines régions
productrices et de catastrophes naturelles de plus en plus dévastatrices.
Pour éviter le risque de voir leur économie ébranlée par lřascension inexorable des
prix du pétrole, ils devraient sérieusement songer à réduire les importations et la
dépendance quasi-totale vis-à-vis de cette source dřénergie en cherchant et en
développant les énergies substitutives.

68
Propos d’étape sur la partie introductive
La mondialisation est devenue une réalité ultime, un phénomène
incontournable qui retient lřattention des chercheurs, du public et des décideurs
comme sřil sřagissait dřun phénomène nouveau. A la fois vaste, complexe, largement
débattue, elle est souvent diabolisée au détriment dřanalyses robustes avec des
statistiques crédibles. Incontestablement, notre époque connait un niveau
historiquement élevé dřinterdépendance de la production, des échanges, des systèmes
financiers et dřune révolution technologique sans précédent avec une extension
géographique jamais égalée de l'économie de marché. Les firmes multinationales
productrices et financières organisent à lřéchelle de la planète la première véritable
division internationale du travail par relocalisation et délocalisation de leurs activités
en fonction des dotations factorielles des pays.
Cette mondialisation productive se double d'une globalisation financière
totalement déconnectée dřune part de toutes les règles qui encadrent toute activité
économique ou financière et dřautre part de la sphère productive. Organisé sur les
mêmes principes de la mondialisation productive, le système financier caractérisé
par les 3D, collecte et place les capitaux dans le monde entier, opère la circulation de
lřépargne et des excédents financiers de tous ordres, spécule sur les titres, les taux de
change et les taux dřintérêt et fait courir les pires risques à lřensemble de lřéconomie
mondiale.
La révolution des technologies de lřinformation et de la communication
déclenche une explosion des activités réorganisées autour de lřintelligence et de la
matière grise. Sur un très large éventail de secteurs, elle bouleverse les savoirs et les
savoirs faire et déplace le centre de gravité de lřactivité productrice : économie de
lřinnovation, du savoir et de lřintelligence artificielle.
Toutes ces mutations conjuguées font exploser les échanges commerciaux qui
tendent à faire de la planète un vaste marché unique où circulent librement les biens
et services, les capitaux et les technologies.
Cette nouvelle donne mondiale nřest pas en soi une calamité mais constitue,
plutôt, sur bien des points des avancées progressistes qui ont une valeur positive.
Lřinternationale est devenue « le genre humain » ce nřest plus une simple espérance
mais une réalité. Bien sûr, les modèles économique, politique, social et culturel ainsi
que les environnements institutionnels seront conséquemment modifiés. Quoi de
plus normal puisque lřon connaît depuis longtemps que la base matérielle commande
et détermine toutes les superstructures.
Selon la théorie économique orthodoxe, tout le monde gagne au libre-échange
issu de la mondialisation. Toutefois, bon nombre de pays et d'acteurs sociaux sont
persuadés du contraire: sřil est vrai que jamais lřhumanité nřa produit autant de
richesses et nřa disposé dřautant de techniques, également jamais elle nřa produit
autant dřinégalités et de pauvreté traduisant ainsi un monde assez fortement
asymétrique. Cela va creuser et consolider les dualités externes et internes aux
sociétés, les irrégularités et les inégalités et approfondir les exclusions des acteurs les
plus démunis et les fragiles : en lřoccurrence les PSD. La dissolution des filets
traditionnels de protection sociale, les ruptures des solidarités familiales ainsi que la
restructuration des rapports sociaux (Mathieu, 1990 ; Vidal, 1992), inscrivent en
toute urgence à lřordre du jour, la question sociale dans la mondialisation.
Comment ces PSD peuvent-ils sřorganiser pour tirer le meilleur parti de ces
avancées de lřhumanité tout en étant très vigilants sur les risques potentiels comme la
crise pétrolière et financière qui constitue des menaces graves pour le système
mondial ? En effet, que deviendra le monde si le pétrole manque avec un prix du baril

69
aux environs de 200 ou 300 dollars ? Quřen sera-t-il si cette situation est doublée
dřune inflation galopante ?
Face aux différentes contraintes inhérentes au processus, quelles
transformations socio-économiques doit opérer lřAfrique pour profiter du
phénomène ? Ne doit-elle pas se démocratiser davantage, former ses acteurs,
transformer ses structures et adopter sa culture ? La mondialisation impose de
nouvelles tâches à lřEtat africain qui au lieu de sřaffaiblir devrait plutôt se renforcer
pour être à même dřinsérer ses acteurs dans ce système. Préparer les acteurs et
lřenvironnement à la compétition mondiale pour une insertion gagnante dans ce
système suppose des stratégies claires et planifiées autour de quatre
options /actions :
 Le choix de son terrain
 La connaissance de ses aptitudes
 Le choix de ses acteurs
 Savoir les préparer.
Quelles sont les réponses de la science économique qui est devenue une
entreprise gigantesque par lřampleur de ses recherches et de ses publications ?

70
71
« Ce qu’on peut dire, c’est que la théorie est nécesssaire mais qu’en soi
elle n’est pas suffisante. C’est comme une bonne voiture, elle peut vous
conduire très rapidement au but que vous désirez si vous savez vous en
servir, mais elle peut vous conduire au fossé si vous l’utilisez mal ».
Maurice ALLAIS

Lřobjet de cette partie est principalement dřétudier ce que nous enseigne la


Pensée Économique en vue dřen tirer toutes les leçons en direction de lřélaboration
dřune analyse rigoureuse du sous-développement et de la maîtrise des politiques et
autres outils qui permettent de sortir de cet état. Que disent nos théories et que font
les professionnels de lřéconomie face au développement et au sous-développement ?
Les connaissances économiques nous rendentŔelles plus aptes à la compréhension et
à lřaction dont la complémentarité est une nécessité absolue ? Au moment où
lřÉconomie a complètement soumis les sociétés humaines, on décèle de graves
impuissances pour les nations et les pays condamnés aux manques, à la pauvreté et à
lřexclusion. Dans ce contexte, il semble normal, dřinterroger les différents courants
de la Pensée Économique pour cerner les différentes propositions de théories
économiques pouvant contribuer à lřexplication et à lřaction. La multiplicité des
théories et les différentes controverses peuvent-elles permettre de mieux
appréhender les différentes facettes du sous-développement et les moyens dřen
sortir : accumulation productive, équilibre, options sectorielles, fonctions de la
monnaie, place des relations économiques internationales ?
En abordant ces questions, les chercheurs et les analystes du champ doivent
prendre beaucoup de précautions, car dans les pays industrialisés dřEurope, le
développement a précédé la Science Économique. En conséquence, celle-ci ne sřétait
guère préoccupée de problèmes comme ceux qui, aujourdřhui se posent aux pays
sous-développés. Mais elle sřest plutôt intéressée par exemple aux questions
dřéquilibre, cřest-à-dire à la recherche dřune utilisation cohérente et optimale des
ressources. Cette constatation explique le flottement sémantique que lřon retrouve
dans la littérature économique de lřépoque ; des mots comme « Expansion »,
« Croissance », « Développement », « Progrès » (en anglais Expansion, Growth,
Développement, Progress) ont des significations diverses. Le concept le plus universel
est celui de la croissance qui est devenue une exigence, toujours réitérée, des
professionnels, des politiques et des populations. Maintenant la croissance est
accouplée au mot «développement» et ils deviennent des exigences.
Comment la pensée économique a-t-elle abordé ces questions dans les diverses
formulations des auteurs ? Quelles leçons peut-on tirer des très anciens débats des
économistes ? Quels choix dřaction découlent des controverses doctrinales, des
grandes polémiques des différentes Écoles de pensée passées et contemporaines ?
Cette partie comprendra six chapitres dont les cinq sont relatifs chacun à un
courant de pensée pour en rappeler les acquis analytiques : lřanalyse classique,
lřanalyse marxiste, les formulations keynésiennes et post Ŕ keynésiennes, lřapproche
néo-classique et les analyses contemporaines, comme les théories des institutions et
de la régulation qui marquent une délimitation entre les économistes
institutionnalistes et les gardiens de lřorthodoxie néo-classique. Le sixième chapitre
traite des »heurs et lueurs de la croissance économique.

Au début des années 80, on divisait les économistes en quatre grandes


familles : les classiques, les keynésiens, les marxistes et les néoclassiques :

72
les classiques du XIXème siècle sont les tenants du libre-échange et voient
dans le marché à la fois le meilleur moyen de répartir les produits. Ces
idées forces font toute lřactualité de cette École ;
Marx et les néo-marxistes ont introduit une critique beaucoup plus radicale
du capitalisme et montré que les crises, les inégalités, la paupérisation, le
chômage caractérisent ce système et révèlent sa nature profonde.
Pour J.M.Keynes et les siens, le marché nřest pas ce modèle dřéquilibre
spontané et harmonieux que décrivent les classiques. Les keynésiens
pensent en termes macroéconomiques et admettent que le marché livré à
lui-même peut générer des situations de chômage chronique ou des crises.
Enfin, ils pensent que lřÉtat doit intervenir dans la régulation du circuit
économique. Cependant, face aux failles théoriques mises à jour et à
lřépuisement des politiques keynésiennes, ils ont dû se renouveler. Les néo-
keynésiens ont intégré de nombreux aspects de lřanalyse néo-classique
(importance de lřoffre, des anticipations rationnelles). Ils accordent à lřÉtat
un rôle nouveau : sa fonction nřest plus dřintervenir pour stimuler lřactivité
mais plutôt pour créer un environnement favorable à la croissance (par la
création dřinfrastructures, dřaides à la formation, à lřinnovation).
Les néo-classiques vont inventer une nouvelle façon dřapprocher
lřéconomie à partir du modèle dřéquilibre général du marché de L.
WALRAS. Les soubassements théoriques ne changent point : les agents
économiques sont rationnels, ils cherchent à optimiser leurs gains. En
revanche, le cadre dřapplication de la théorie sřest beaucoup étendu. Les
néoclassiques ne raisonnent plus vraiment à partir du seul cadre du marché
« pur et parfait » supposé équilibré. Ils ont construit une infinité de
modèles possibles : situations de monopole, concurrence imparfaite, coûts
de transaction. Ils reconnaissent également que les divers agents
économiques (consommateurs ou producteurs) ne sont pas toujours bien
informés (économie de lřinformation) quřils agissent dans un
environnement incertain (théorie des jeux), que différents comportements
de la firme dépendent de son organisation
À ces courants traditionnels vient sřajouter lřÉcole « structuraliste et
institutionnaliste » parfois appelée École « développementaliste » à partir
de lřaffirmation de la spécificité du sous-développement caractérisé par la
dépendance, la dégradation des termes de lřéchange et le dualisme.
Aujourdřhui, la pensée économique sřest enrichie et élargie, de nouveaux
courants sont apparus. Lřabondante littérature permet de répertorier cinq grandes
écoles de pensée : la théorie standard étendue, les détracteurs de la pensée unique
(avec ses multiples subdivisions), les nouveaux théoriciens de lřéconomie solidaire,
les héritiers de KEYNES et les diverses variantes du libéralisme. Dřautres
classifications plus simplistes distinguent les orthodoxes et les hétérodoxes.
Les théories économiques du développement se rattachent à une ou plusieurs
de ces familles qui fournissent lřessentiel des idées fondamentales qui servent à
interpréter et à reconstruire les complexes réalités du sous-développement.
Egalement, ces Écoles offrent les éléments dřexplication et produisent les différents
instruments dřaction et de gestion des politiques économiques des États et des
grandes officines internationales du développement.

73
Encadré 4 : L’Objet de l’Économie
La pensée économique a toujours distingué deux questions : la création de
richesse Ŕ son origine, sa nature, les causes de son accroissement Ŕ et la
répartition de cette richesse entre les hommes. Chaque école de pensée les a
traitées et articulées différemment. Adam SMITH ne traite vraiment que de la
première, dans son Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations,
le texte fondateur de l'économie politique. David RICARDO présente ainsi son
programme de recherche dans une lettre de 1820 à MALTHUS : « L'économie
politique est selon vous une enquête sur la nature et les causes de la richesse.
J'estime au contraire qu'elle doit être définie comme une enquête au sujet de la
répartition du produit de l'industrie (1), entre les classes qui concourent à sa
formation. On ne peut rapporter à aucune loi la quantité de richesses produites
mais on peut en imaginer une assez satisfaisante à leur répartition. De jour en
jour, je suis plus convaincu que la première étude est vaine et décevante et que la
seconde constitue l'objet propre de la science ».
Karl MARX Fait dériver à la fois la croissance de la richesse et sa
répartition de « lois tendancielles » du mode de production capitaliste.
Quant aux NEOCLASSIQUES, ils considèrent que la seule question scientifique est
celle de l'efficacité de l'allocation de ressources rares, donc de la croissance. Dans
leurs modèles de base, la question de la répartition est en partie subordonnée aux
lois de l'efficacité et, pour le reste, exogène. La rémunération de chaque facteur de
production, travail, capital, terre, est rigoureusement déterminée par les lois de
l'efficacité, mais les droits de propriété sur ces facteurs, qui déterminent la part
qui revient finalement à chacun, sont des données exogènes à l'analyse.
Pierre-Noël GIRAUD : Pourquoi privilégier la question de l'inégalité,
Problèmes politiques et sociaux n° 834, 11 février 2000 pp. 9-12

74
CHAPITRE 4
L’ÈCOLE CLASSIQUE : PRÉCURSEURS DU MODÈLE
LIBÉRAL ET THÉORICIENS DE LA RICHESSE DES NATIONS,
DES MARCHÉS LIBRES ET DE LA SPÉCIALISATION
INTERNATIONALE.

Il est impossible, avertit Jacques FREYSSINET, de collecter tout ce qui, dans la


littérature classique a trait aux pays sous-développés ; il serait peu honnête
dřattribuer à leurs auteurs des idées trop précises à partir de textes qui ne sont
souvent que des incidentes dans leurs développements généraux.
Pour comprendre lřapport des classiques à la formation de la Science
Économique, il faut se situer au double point de vue des faits économiques et de la
pensée sociale en général. Pour les faits économiques, lřépoque des auteurs classiques
se caractérise par le développement du capitalisme industriel avec des fortes
incidences sur lřagriculture. Selon Mouhamed DOWIDAR, «au cours de cette phase,
lřexpansion industrielle atteint un point qualitatif qui se reflète dans la révolution
industrielle grâce à laquelle sřindustrialise lřéconomie nationale. La base industrielle
qui se présente dans les industries des biens de production sřédifie comme base non
seulement pour lřactivité agricole mais pour lřensemble de lřéconomie nationale».
Au point de vue de la pensée sociale, les traits caractéristiques se situent
dřabord, dans le triomphe de la vision scientifique des choses qui remplace, sous
lřinfluence des changements économiques, la vision théologique, ensuite dans la
formation des sciences sociales et surtout de la théorie politique et économique et
enfin, dans la destruction de la base intellectuelle et morale de lřimage de la société
ancienne.
Dans ce contexte, les auteurs classiques vont mettre de lřordre surtout dans la
science économique. Lřobjet de cette science se rapporte aux phénomènes de la
production, de lřéchange, de la répartition du produit social. Au niveau de la
production, il faut chercher la richesse des nations pour mettre en place les
conditions de son expansion ; dřoù lřétude du rôle du travail, de la division du travail
et de son effet sur la productivité, du rôle du capital et de la propriété foncière. De la
valeur, on étudie les phénomènes de prix et la répartition du produit social. Dans la
ligne de lřétude viennent les phénomènes monétaires et les échanges avec lřextérieur.
Telle est la vision quřont les classiques des phénomènes économiques quant à
leur nature et leur délimitation. Le cadre analytique retenu pour lřétude des questions
économiques se fonde sur une société composée de trois classes sociales définies
selon leur place dans le procès de production (la classe capitaliste, les propriétaires
fonciers et la classe ouvrière) où lřactivité économique est orientée vers le marché et
effectuée par des individus du type «homo economicus» et où domine la concurrence
interne entre agents économiques.
Les classiques étaient donc au plan des faits économiques comme à celui
méthodologique, mal placés et mal préparés pour élaborer une analyse spécifique du
sous-développement.
Cřest dans quelques évaluations ponctuelles que certains auteurs envisagent
des situations de sous-développement, cřest-à-dire des situations qui échappent à
lřordre naturel. Dans la Richesse des Nations, A. SMITH indique que certaines
régions sont placées en dehors du mouvement historique, du progrès économique. Il
explique cela par le fait que ces régions sont éloignées des mers. Lřétroitesse de leur
marché ne leur permet pas de bénéficier des avantages de la division interne et

75
externe du travail. Après SMITH, Stuart MILL a analysé les différences des situations
économiques des nations. Il note dans ce sens que «la situation économique de la
plupart des pays dřAsie reste ce quřelle a été depuis les origines de lřhistoire connue,
et reste telle toutes les fois quřelle nřest pas perturbée par des influences étrangères».
Cependant, lřauteur ne tente pas une explication économique de cette stagnation
séculaire. Pour lui, cela sřexplique par des raisons socio-politiques comme lřabsence
dřune structure administrative.
Nřayant pas une approche claire du sous-développement, les classiques
peuvent-ils présenter des théories cohérentes de développement ?

Section 1 : Les analyses du développement et de la croissance


chez les classiques
Les classiques conçoivent le développement comme un phénomène naturel et
spontané dans une économie libre. En effet, les théories élaborées par A. SMITH,
RICARDO, S. MILL se réfèrent à un ordre naturel dřoù est censé partir le progrès
économique. Cet ordre naturel est à la fois immanent, spontané et bienfaisant. Sa
réalisation nécessite trois conditions : la liberté politique (pour assurer la sécurité de
la propriété), la liberté économique (non intervention systématique de lřÉtat) et la
concurrence. Il faut alors analyser les axes de la théorie du développement et lřétat
stationnaire conçu comme lřétape ultime du progrès économique.

I/ Problématique du développement ramenée à l’accumulation


productive.

La formulation de départ est celle de SMITH pour qui la spécialisation et la


division du travail sont les éléments essentiels de la Richesse des Nations. Ils opèrent
dans un cadre institutionnel où domine la propriété privée des instruments de
production. Dans ce cadre, le développement économique et social doit aboutir à une
augmentation quantitative et qualitative des facteurs de production, à une offre
adéquate de la main dřœuvre, des ressources nationales disponibles et à un volume
appréciable de capital. Cřest ce dernier élément qui est décisif, car comme lřaffirme S.
MILL, «cřest lui qui peut limiter le développement industriel et agricole dřun pays».
Or, son expansion obéit à la loi de lřaccumulation. Tous les classiques sřaccordent sur
la problématique centrale selon laquelle le volume du capital est fonction des
perspectives de profit et du comportement de lřintérêt qui module à la fois la
demande dřinvestissement et lřoffre dřépargne qui est une renonciation à une dépense
de consommation improductive. La croissance sera une fonction de lřaccroissement
du capital, lui-même est fonction de lřaccroissement de lřépargne.
David RICARDO est encore plus systématique que SMITH dans lřanalyse du
processus de développement à long terme. Il a voulu comprendre la nature de la
richesse des nations et les lois qui gouvernent la distribution des marchandises. Il
établit que la détermination dřune théorie cohérente de la répartition est un préalable
majeur à la compréhension de tout mécanisme de développement dřun système
économique. Cřest à partir des lois qui gouvernent les parts distribuées quřil construit
son modèle macroéconomique de développement.
Le moteur de la croissance est le profit. Cependant, observe-t-il, la masse et le
taux du profit dépendent eux-mêmes de la confrontation avec la masse et le taux de
salaire avec lesquels ils entrent en concurrence pour le partage du revenu national.
Le mouvement du salaire nominal est commandé pour lřessentiel par les prix
des aliments, lesquels dépendent de la rente foncière. La hausse du salaire nominal

76
(par la loi de la population) bloquera la croissance du profit donc celle de
lřinvestissement et de lřéconomie toute entière.
On retiendra que chez D. RICARDO, le postulat des rendements décroissants
dans lřagriculture est à la base de la théorie de la baisse du taux de profit et de la
relation particulière salaire-profit. Le caractère fixe de lřoffre de terre et par
conséquent les difficultés rencontrées pour satisfaire la demande de subsistance des
travailleurs additionnels dont le capital accru exige lřutilisation. Cette thèse sera
présente dans beaucoup de formulations actuelles dřéconomie et de politique de
développement. Autrement dit, les surplus qui se forment sont utilisés à lřachat de
produits vivriers par suite de lřinefficience des politiques agraires.
Au total, D. RICARDO établit, contrairement à S. MILL, que si lřaccumulation
du capital sřaccompagne dřun degré dřintensité capitalistique croissante, le salaire réel
stagne autour du niveau de subsistance, et le sentier de croissance de lřéconomie sera
perturbé par des déviations occasionnelles dues au plein-emploi.
En définitive, lřaccumulation est la base du développement économique. Il
importe, dans une politique, de chercher à élever le fonds dřaccumulation au
détriment de la consommation improductive. Cette conclusion est très actuelle et se
retrouve dans les théories contemporaines du développement. Cřest la fameuse
option «affamer pour développer». Cependant pour les classiques, lřexpansion nřest
pas éternelle, sa limite est lřétat stationnaire.

II/ La question de l’état stationnaire : les risques de crise et de


stagnation.

LřÉtat stationnaire a occupé une place importante dans la conception des


auteurs classiques. Il procède dřune élévation du salaire nominal et de la rente
résultant dřune augmentation de la production. Cette élévation bloque la croissance
du profit donc de lřinvestissement et de lřéconomie toute entière. On parvient ainsi à
lřétat stationnaire à lřissue duquel aucun progrès important ne sera plus possible.
Cette hantise de lřÉtat stationnaire a dominé la théorie économique pendant une
bonne partie du XIXe siècle. Il faut dire que cette phase ne correspond pas à une
anticipation correcte de lřévolution du capitalisme. Même si ces dernières années il y
a eu de nouvelles théories de lřÉtat stationnaire. Celui-ci est intégré dans un modèle
théorique dřabsence de croissance (Alvin HANSEN, Club de ROME).
Ces deux aspects établissent toute lřactualité de lřanalyse du développement
chez les classiques qui, bien que nřayant pas eu une présentation du sous-
développement, ont fourni des éléments (accumulation du capital, profit et salaire,
évolution démographique) qui peuvent constituer un point de départ pour les
théories du développement.

Section 2 : A. SMITH fondateur de l’Économie politique et père


spirituel du libéralisme contemporain.
Le modèle dřAdam SMITH remonte à 1776 et porte sur la richesse des
Nations. Pourquoi commencer si tôt ?
Les anciennes idées, les premiers modèles, sont plus simples, plus faciles à
comprendre, que ceux qui les ont suivis.

77
I/ Sur quoi repose la richesse d’une nation ?
Un facteur causal : le degré de la division du travail
Un facteur permissif : le sol, le climat, les ressources naturelles
Un autre facteur : les lois, les coutumes et traditions les attitudes et
habitudes

1°) les Avantages de la division du travail

La division dřun travail en un grand nombre de tâches plus simples, et


lřaffectation dřune tâche simple, au lieu du travail complet, à un ouvrier, augmente la
productivité. Ceci est bien illustré par le fameux passage dřAdam Smith concernant
une fabrique dřépingles. On se fera plus aisément une idée des effets de la division du
travail sur lřindustrie générale de la société, si lřon observe comment ces effets
opèrent dans quelques manufactures particulières.

Prenons un exemple dans une manufacture de la plus petite importance, mais


où la division du travail sřest fait souvent remarquer : une manufacture dřépingles.

2°) Le processus d’auto-renforcement de la croissance économique

Dans lřanalyse dřA. SMITH, la croissance de la Nation peut être renforcée par
quatre facteurs agissant seuls ou ensemble qui sont :
Une spécialisation approfondie rendue possible par un élargissement du
marché provenant
Un accroissement de la densité de la population, qui sřagglomère en des
villes. Smith cite le cas dřun menuisier de campagne, qui est obligé, pour
gagner sa vie, de faire tout ce qui se rapporte de loin ou de près au travail
de bois, et qui perd par ailleurs une grande partie de son temps à des
déplacements entre les domiciles de ses clients. Un menuisier de la ville
peut au contraire se spécialiser, il ne fabriquera que des meubles (par
exemple), puisquřil a suffisamment de clients.
Une réduction des coûts de transport à lřintérieure du pays, provenant par
exemple de la construction de canaux de navigation ou (après la mort de
Smith) de la construction de chemins de fer. Cela rend possible les ventes à
un plus grand nombre de clients sans payer de frais de transports
prohibitifs.
Un accroissement du commerce international. Cet accroissement peut être
dû à : de nouvelles découvertes géographiques, la signature dřun traité de
paix entre deux nations qui étaient en guerre et à la réduction de coûts des
moyens de transports (notamment lřinvention du bateau à vapeur après la
mort de Smith).
Lřaccroissement de la division du travail qui suit lřélargissement du marché
augmente la productivité des travailleurs et partant, diminue les coûts de production.
Par ailleurs, la réduction de coûts de production implique une augmentation des
profits, qui sont réinvestis dans de plus grandes fabriques avec plus de machines
spécialisées, permettant une division encore accrue, etc.
À long terme, lřaccroissement de lřemploi dans ces fabriques agrandies
augmente la masse des salaires, qui permet une augmentation de la population, qui
cause un accroissement de la densité de la population, qui élargit le marché, etc.

78
Encadré 5 : De la nature et des causes de la richesse des nations (1776)
«Ainsi, en écartant entièrement tous ces systèmes ou de préférence ou
d'entraves, le système simple et facile de la liberté naturelle vient se présenter de lui-
même et se trouve tout établi. Tout homme, tant qu'il n'enfreint pas les lois de la
justice, demeure en pleine liberté de suivre la route que lui montre son intérêt, et de
porter où il lui plaît son industrie et son capital, concurremment avec ceux de tout
autre homme ou de toute autre classe d'hommes. Le souverain se trouve entièrement
débarrassé d'une charge qu'il ne pourrait essayer de remplir sans s'exposer
infailliblement à se voir sans cesse trompé de mille manières, et pour
l'accomplissement convenable de laquelle il n'y a aucune sagesse humaine ni
connaissances qui puissent suffire la charge d'être le surintendant de l'industrie des
particuliers et de la diriger vers les emplois les mieux assortis à l'intérêt général de la
société. Dans le système de la liberté naturelle, le souverain n'a que trois devoirs à
remplir; trois devoirs, à la vérité, d'une haute importance, mais clairs, simples et à la
portée d'une intelligence ordinaire.
Le premier, c'est le devoir de défendre la société de tout acte de violence ou
d'invasion de la part des autres sociétés indépendantes. Le second, c'est le devoir de
protéger, autant qu'il est possible, chaque membre de la société contre l'injustice ou
l'oppression de tout autre membre, ou bien le devoir d'établir une administration
exacte de la justice. Et le troisième, c'est le devoir d'ériger et d'entretenir certains
ouvrages publics et certaines institutions que l'intérêt privé d'un particulier ou de
quelques particuliers ne pourrait jamais les porter à ériger ou à entretenir, parce que
jamais le profit n'en rembourserait la dépense à un particulier ou à quelques
particuliers, quoiqu'a l'égard d'une grande société ce profit fasse beaucoup plus que
rembourser les dépenses.»
Adam SMITH : Recherche sur la nature et les causes de la richesse des
nations, livre IV, éd. 1843, traduction de 1843 du comte Garnier, reprise par
Osnabruck, Zeller, 1966

II/ Le rôle primordial du marché libre

Il y a un libre mouvement des produits, des travailleurs, du capital, de la


propriété des terres. Spécifiquement, les prix des produits ne sont pas contrôlés par le
gouvernement, les gens peuvent changer de métier sans restriction, on peut investir
des fonds dans nřimporte quel secteur économique sans avoir besoin dřobtenir des
permissions spéciales ou des licences (en contraste, par exemple, au système
médiéval de corporations), le terrain peut sřacheter et se vendre.

1°) Un premier avantage du marché libre : à court terme, l’offre


d’un produit par ses fournisseurs est mise en égalité avec la
demande pour le produit par les clients, à cause du jeu des prix.

Soit une plage avec un marché de poissons, supposons que les pêcheurs
reviennent un jour avec une maigre récolte. Le prix du poisson augmentera,
diminuant la quantité de poisson que veulent acheter les ménagères. À un certain
prix, il y aura juste suffisamment de clients pour faire écouler les poissons.
Supposons que le lendemain, les pêcheurs débarquent avec une grande quantité de
poissons. Ils sont obligés de vendre le poisson avant quřil ne pourrisse. Ils feront
diminuer le prix ; les ménagères achèteront plus de ce poisson si bon marché. À un

79
certain prix, il y aura suffisamment dřachats pour vendre tous les poissons. Ce
phénomène, répété dans tous les secteurs de lřéconomie, assure que toute la
production commercialisée est vendue, et que le peuple est fourni de tout ce quřil
veut, dans la limite de ses moyens financiers. Cet avantage du marché libre dépend de
lřabsence de restrictions sur les prix, autrement dit la liberté des prix.

2°) Un deuxième avantage du marché libre : à long terme,


le prix est égal au coût de production.

Comme on vient de le voir, au court terme, de jour en jour, le prix du poisson


subit des fluctuations. Mais supposons quřà long terme, en moyenne, les pêcheurs
gagnent beaucoup. De plus en plus de jeunes gens deviendront des pêcheurs.
Lřaugmentation du nombre de pêcheurs augmentera le produit total de la pêche, ce
qui entraînera plus de concurrence et une diminution des prix. Par contre, supposons
quřen moyenne, après soustraction de ses frais pour lřessence, etc., un pêcheur gagne
moins quřil ne pourrait avoir dans un autre métier. Dans ces conditions, les pêcheurs
abandonneraient leurs bateaux pour dřautres métiers, réduisant le produit total de la
pêche et augmentant les prix. Le nombre de pêcheurs se stabilisera quand le prix
moyen de poisson leur permettra de retirer un revenu (après dépenses) égal au
revenu quřils auraient gagné en suivant un autre métier. Ce revenu minimal pour que
les pêcheurs nřabandonnent pas leur métier peut être considéré comme un «pseudo-
salaire» que le maître pêcheur se paye lui-même.
En conclusion, en faisant abstraction des fluctuations éphémères, le prix
moyen à long terme sera égal au coût de production, si on considère le «pseudo-
salaire» comme une partie des coûts. Ce deuxième avantage du marché libre dépend
de la liberté de lřemploi.

3°) Le cas spécial de l’offre du travail.

Lřoffre du travail dépend finalement du nombre dřouvriers. Mais quel est le


«coût de production» dřun ouvrier ? Supposons que le salaire est à peine suffisant
pour nourrir lřouvrier et sa famille. De temps en temps, il y a des famines et des
épidémies. La population ne sřaccroît pas sous ces conditions. Par contre, supposons
quřà cause dřune insuffisance dřouvriers, les employeurs rivalisent pour obtenir la
main-dřœuvre ; pour attirer du personnel, ils payent un salaire supérieur au
minimum de subsistance. Alors, les enfants des ouvriers, bien nourris, survivent en
plus grand nombre, provoquant une augmentation de la population ouvrière.

4°) Les limites du marché libre

Les avantages du marché libre (à court terme, le peuple est fourni en toute
chose tout ce quřil veut et peut payer, et que, à long terme, le prix moyen nřest pas au-
dessus du coût de production) impliquent que la meilleure politique est une politique
de «laisser-faire». En effet, la Richesse des nations est une polémique contre le
dirigisme de lřÉtat. Cela dit, Smith reconnaît certaines limites au marché libre, au
«laisser-faire».

L’État doit lutter contre le monopole


Il est tout naturel, dit Smith, que les marchands dřune place essayent de se
mettre dřaccord pour augmenter les prix, quitte à réduire la quantité vendue. Le
gouvernement doit prendre des mesures contre de telles actions.

80
L’État doit réaliser les dépenses sociales : voirie, défense, éducation, qui sont
génératrices d’externalités positives
Une autre limitation du marché libre, que Smith ne mentionne quřen passant,
mais qui est vraiment dřune importance cruciale : lřaction du marché libre peut laisser
inchangé, ou même aggraver lřinégalité de la répartition des revenus. En effet, ceux
qui ne peuvent pas payer ne déterminent pas ce qui sera produit. Par exemple, si des
gens sans argent veulent du pain, et des gens riches veulent des carrosses, ce sont ces
derniers qui seront produits.

5°) Les perspectives à long terme

Pendant une très longue période qui pourrait sřétaler sur des siècles, le taux de
croissance de la productivité peut excéder le taux de croissance de la population,
impliquant un accroissement à long terme du revenu par habitant. Finalement, une
très forte densité de la population (SMITH cite le cas de la Chine) peut mettre fin à la
croissance, en raison de la pénurie de terre cultivable par tête.

Section 3 : D.RICARDO : « la grosse tête » de l’École Classique,


la référence de la théorie de la rente et du commerce
international.

MARX dira de D. RICARDO quřil est le plus rigoureux et le plus complet de


lřÉcole Classique anglaise. Sommité de lřEconomie politique, il publie en 1817 la
première édition des principes de lřéconomie politique et des impôts. RICARDO
écrivait en un temps où la Grande Bretagne avait subi une augmentation vertigineuse
du prix des grains, provoquée par de mauvaises conditions météorologiques et par
une série de guerres (1790-1815). La situation était aggravée par des taxes très fortes
sur les céréales importées (les infâmes «Corn Laws», dont lřun des articles stipulait
que les taxes douanières devaient être dřautant plus lourdes que le prix des céréales
importées était peu élevé). Ces lois avaient été votées par un Parlement élu selon un
système de franchise médiéval, où les grands propriétaires fonciers disposaient de la
majorité des voix. Ceux-ci, évidemment, tiraient des gros bénéfices du gonflement des
prix de leurs récoltes.
Deux des formulations théoriques peuvent être retenues car elles constituent
encore des références : la théorie de la rente et celle de la spécialisation dans le cadre
des relations économiques internationales.

I/ La Théorie de la rente

Selon Ricardo, la rente est le revenu dû au fait que les coûts de production sont
divers pour le même produit. Chaque producteur reçoit une différence entre le prix de
vente qui est le même pour tous et son coût de production qui nřest pas identique aux
autres.
Dans son analyse de la rente différentielle, D. Ricardo distingue plusieurs
catégories de terre :
la première : bonne, où les coûts de production sont faibles pour une
certaine quantité ;
la deuxième : moins bonne, avec des coûts de production plus élevés pour
une certaine quantité ;

81
la troisième : encore moins bonne, avec des coûts de production encore
plus élevés.

Rente Rente du
du 1er 2è prop.
prop

Avec beaucoup de catégories de terre (p.ex. 2000), la ligne brisée du coût de


production devient une courbe régulière.
Si le propriétaire ne gagne pas un certain minimum, il abandonnera ses
champs pour travailler comme « ouvrier » (main-dřœuvre) sur la terre des autres. Ce
minimum pour que le propriétaire nřabandonne pas la culture de sa terre est inclus
dans les coûts de production (il sřagit dřun «pseudo-salaire» comme celui des
pêcheurs discuté plus haut). Si maintenant le prix est fixé à 42 Fcfa/kg par une
demande de 35 kg sur le marché libre (premier graphique), ou par un décret du
gouvernement, alors le troisième producteur reçoit juste assez de revenu pour ne pas
abandonner ses terres. Mais le premier producteur a des coûts de 12 FCFA/kg, y
compris le minimum de revenu pour quřil continue à cultiver, reçoit également 42
FCFA/kg. Le surplus de (42-12) = 30 Fcfa/kg est appelé rente. La rente se calcule
individuellement. Dans notre exemple, la rente du premier propriétaire est égale à
(42-12) Fcfa/kg x 10 kg = 300 Fcfa : la rente du deuxième propriétaire est égale à (42-
24) Fcfa/kg x 15 kg = 270 Fcfa ; la rente du troisième propriétaire est égale à 0. Il faut
toutefois, noter que le concept de la rente utilisé par un économiste est indépendant
de lřacte de louer la terre, et nřa rien à voir avec la «rente viagère».
Le même raisonnement peut sřappliquer en dehors du secteur agricole. Par
exemple, si lřindustrie sidérurgique dřun pays comprend plusieurs entreprises
produisant lřacier avec divers coûts de production, les entreprises les plus efficaces
reçoivent une rente. Dřailleurs les recherches économiques ont réactualisé la théorie
de la rente dans lřétude de phénomène comme la corruption. Selon les théoriciens de
lřEcole du Public Choice (BUCHANAN, TULLOCK, TOLLISON), la demande de
corruption est le fait des chasseurs de rente.

82
II/ Les perspectives à long terme.

Le niveau du salaire réel perçu par ouvrier reste constant à cause du


mécanisme démographique décrit ci-dessus. Lřouvrier est payé à peine plus quřil faut
pour survivre et reproduire sa famille. Le «salaire réel» est le pouvoir dřachat du
salaire nominal (le salaire en argent). Quand le prix de la nourriture augmente, les
entrepreneurs sont obligés dřaugmenter le salaire nominal pour que leurs ouvriers ne
meurent pas de faim. Le pouvoir dřachat du salaire demeure constant.
Les profits gagnés par les entrepreneurs commencent par sřaccroître mais
ensuite sont graduellement réduits à zéro. Les entrepreneurs réinvestissent leurs
profits dans des fabriques plus importantes. La multiplication du nombre de
fabriques, et lřaccroissement de la productivité dans chaque fabrique qui fait suite à
une division du travail plus poussée, augmentent dans un premier temps la masse
totale de profits qui reviennent aux entrepreneurs. Mais lřaccroissement de la
population rendu possible par lřaccroissement de lřemploi dans les nouvelles
fabriques implique une demande accrue pour les produits alimentaires. Puisque le
nombre dřentrepreneurs plus le nombre de propriétaires fonciers est négligeable par
rapport au nombre dřouvriers, la population et son taux dřaccroissement, sont
essentiellement égaux au nombre dřouvriers et leur taux dřaccroissement. La
production dřune plus grande masse dřaliments ne se fait quřà un prix de vente plus
élevé. Les entrepreneurs sont forcés de payer un salaire nominal plus grand à leurs
ouvriers pour que ceux-ci puissent continuer à acheter leurs moyens de subsistance,
réduisant ainsi ce qui reste aux entrepreneurs comme profit. Finalement, la hausse
du prix des salaires étrangle les profits, mettant fin à lřinvestissement,
lřaccroissement de lřindustrie, lřaccroissement du nombre de positions salariées,
lřaccroissement de la population, lřaccroissement du prix des produits alimentaires,
lřaccroissement des rentes.

Encadré 6 : Réactualisation de la théorie de la recherche de rente.


Les systèmes administratifs de nombreux pays en développement se
caractérisent par diverses formes de clientélisme, de népotisme ou de corruption.
Lřintervention de lřÉtat offre, de par les emplois et les législations, des possibilités de
rente. Les individus et les groupes de pression seront incités à investir des ressources
pour rechercher des rentes et obtenir des privilèges au lieu de rechercher à accroître
la production. Les responsables politiques offriront des rentes en échange de
rémunérations monétaires et/ou de soutien politique. Cette recherche de rente
entraîne un gaspillage de ressources et un facteur de violence politique pour
sřapproprier des rentes.

III/ RICARDO découvre le commerce international et formule la loi de


l’avantage comparatif.

Avec la «loi de lřavantage comparatif», RICARDO veut prouver que deux pays
peuvent chacun tirer avantage du commerce entre eux, même si un des pays peut
fabriquer avec plus dřeffectivité tous les produits qui sont traités entre les deux. Cette
loi est à la fois très importante et fondée sur une analyse subtile. De ce fait, la théorie
ricardienne mérite et exige une longue explication. Pour faciliter la démarche (quitte
à la prolonger), nous allons commencer par lřanalyse dřun cas plus évident que celui
envisagé par Ricardo : les conditions «dřavantage absolu».

83
1°) Le commerce sous des conditions d’avantage absolu

Considérons deux pays, que lřon peut appeler «Sénégal» et «France» ; dans
chaque pays il nřy a que deux produits, que lřon peut appeler «lait» et «arachides».
Supposons quřau Sénégal, chaque personne, si elle consacre lřintégralité de son
temps à lřélevage ou à cultiver son champ dřarachide, puisse produire respectivement
1 litre de lait ou 3 kg dřarachides (par jour, en moyenne pendant lřannée). Ainsi si la
moitié de la population est composée dřéleveurs à plein temps et si lřautre moitié est
constituée dřagriculteurs à plein temps, alors la production moyenne par personne
par jour sera 0,5 litre de lait plus 1,5 kg dřarachides.
Sur le graphique 1, la quantité de lait est mesurée sur lřaxe vertical et la
quantité dřarachides est mesurée sur
lřaxe horizontal. Le point (a)
représente la production moyenne si
tout le monde ne produit que du lait ;
le point (c) représente la production
moyenne si tout le temps est affecté à
la production dřarachides, et le point
(b), avec les coordonnées (0,5 lait, 1,5
arachides) représente la production
moyenne si le temps de travail de la
population est réparti également entre
lřélevage et lřagriculture.
Toutes les combinaisons de
production possible par habitant pour
la population sénégalaise tombent sur la ligne «Possibilité de production» du
graphique (2). En lřabsence du commerce
international, les possibilités de
consommation ouvertes aux sénégalais
sont égales aux possibilités de production
puisque tout ce qui est consommé au pays
doit avoir été produit au pays.
Toujours en lřabsence du commerce
international, on peut prouver quřau
Sénégal, le prix dřun litre de lait sera égal
au prix de trois kilogrammes dřarachides.
Supposons maintenant quřen France, où les
conditions climatiques sont différentes au
Sénégal, chaque personne puisse produire
2 litres de lait ou 1 kg dřarachides. Les possibilités de production de la France sont
montrées dans le graphique (3). En lřabsence du commerce international, le prix en
France de 2 litres de lait est égal au prix dřun kg dřarachides. On remarque que le
premier fermier français peut produire plus de lait par jour que son confrère
sénégalais (2 litres au lieu de 1) et que le fermier sénégalais peut produire plus
dřarachides que son confrère français (3 contre 1). On dit que la France bénéficie dřun
avantage absolu dans la production de lait et que le Sénégal bénéficie dřun avantage
absolu dans la production dřarachides.

84
Dans ces conditions, les bénéfices du
commerce international sont clairs. Pour les
rendre aussi clairs que possible, on suppose
que le coût du transport est négligeable
comparé aux coûts des produits.
Le prix du commerce international
doit se situer entre :
1 lait = 0,5 arachide et 1 lait = 3 arachides.
Si le commerce international se fait au prix
de : 1 litre de lait = 2 kilogrammes
dřarachides, les français sont satisfaits (de
même que les sénégalais) car dřune part ils
peuvent obtenir autant de lait quřavant, en
le produisant eux-mêmes et dřautre part ils peuvent obtenir plus dřarachides quřavant
lřouverture du commerce international, en produisant du lait pour lřéchanger contre
des arachides sénégalaises.
Cřest dire en définitive que les deux pays tirent des bénéfices du commerce
international entre eux. Ricardo veut prouver que les deux pays tireront des bénéfices
du commerce international, même si un des pays peut fabriquer plus efficacement
chacun des produits échangés.
Changeons maintenant les hypothèses posées au paragraphe précédent et
envisageons le cas suivant :

Chaque citoyen peut produire par jour

Français 2 litres de lait ou 4 kg dřarachides


Sénégalais 1 litre de lait ou 3 kg dřarachides

Il faut noter que sous les nouvelles hypothèses, les Français peuvent produire
plus de lait et plus dřarachides que les Sénégalais. Les Sénégalais ne bénéficient
dřavantage absolu dans la fabrication
dřaucun produit.
Le graphique ci-dessous montre
les possibilités de production dans les
deux pays suivant ces hypothèses.

Possibilités (choix) de
consommation = production avant le
commerce international

Possibilités (choix) de
consommation  production avant le
commerce international, avec 1 lait
sřéchangeant contre 2,5 arachides.
En lřabsence du commerce
international, les possibilités de
consommation sont égales aux
possibilités de production. Au Sénégal, 1 litre de lait sřéchange contre 3 kg
dřarachides. En France, 2 litres de lait sřéchangent contre 4 kg dřarachides, soit 1 litre
de lait contre 2 kg dřarachides.

85
Peut-il y avoir du commerce international dans ces conditions ? (on suppose,
comme avant, que le coût du transport est négligeable).
La France serait prête à exporter du lait contre des arachides importées du
Sénégal, pourvu que 1 litre de lait sřéchange contre plus de 2 kg dřarachides. Le
Sénégal voudrait bien exporter des arachides contre du lait importé de la France,
pourvu que 1 litre de lait sřéchange contre au moins 3 kg dřarachides. Donc il y aura
commerce international pour un prix dřéchange entre :
1 lait = 2 arachides et 1 lait = 3 arachides
Si le prix dřéchange international est :
1 lait = 2,5 arachides
Au Sénégal, il est plus rentable de produire des arachides et de les exporter
contre du lait, que de produire du lait soi-même. Donc tout le monde au Sénégal
produira des arachides, soit pour les manger, soit pour les échanger contre du lait
français. Si les Sénégalais échangent toutes leurs arachides contre du lait, ils pourront
consommer :
1,0lait
3 arachides x = 1,2 lait par personne par jour, et zéro arachides
2,5arachides
(puisque toutes les arachides sont exportées). Si les Sénégalais mangent toute leur
récolte, ils auront une quantité nulle de lait et 3 arachides. Si les Sénégalais exportent
la moitié de leurs arachides, ils consomment 0,6 litres de lait et 1,5 kg dřarachides.
Une ligne brisée sur le graphique montre toutes les possibilités de consommation
offertes aux Sénégalais après lřétablissement du commerce internationale à un taux
de 1 lait = 2,5 arachides. Les Français ne produiront que du lait. Sřils consomment
toute leur production, ils auront une quantité de lait égale à 2 et une quantité
dřarachides égale à zéro : sřils exportent toute leur production, leur consommation de
lait sera nulle et leur consommation dřarachides sera égale à 5. Une ligne brisée sur le
graphique montre toutes les possibilités de consommation offertes aux Français après
lřétablissement du commerce international.
Comme pour les conditions du paragraphe précédent, les conclusions sont
quasi identiques car les deux pays sont satisfaits. Il faut noter seulement que la
France retient un avantage absolu et dans la production du lait et dans la production
dřarachides. Mais au Sénégal, la productivité dřarachides est 3 fois celle du lait et en
France, la productivité dřarachides est 2 fois celle du lait. On dit que le Sénégal a un
avantage comparatif dans la production dřarachides, cřest-à-dire quřil a une plus
grande (productivité dřarachides comparée à sa productivité de lait) au Sénégal que la
productivité dřarachides comparée à sa productivité de lait en France. De manière
similaire, au Sénégal, la productivité de lait est 0,33 fois celle dřarachides et en
France, la productivité de lait est 0,50 fois celle dřarachides et la France a un avantage
comparatif dans la production de lait.

2°) Définition de la loi de l’avantage comparatif

Si dans deux pays les productivités relatives de deux produits sont différents,
cřest-à-dire si le rapport :
Productivité dans la fabrication du premier produit
Productivité dans la fabrication du deuxième produit
nřest pas le même dans ces deux pays, alors le commerce international leur permettra
de consommer dřavantage quřils nřauraient pu le faire en lřabsence de commerce
international, et ils auront intérêt à pratiquer celui-ci. Chaque pays exportera le

86
produit pour lequel il bénéficie dřun avantage comparatif. Cette loi est valable même
si lřun des pays bénéficie dřun avantage absolu dans la fabrication des deux produits.
On nřa pas encore discuté la détermination du niveau exact du prix dřéchange
international. Supposons que le Sénégal soit énorme et que la France soit petite. Les
Sénégalais voudront importer beaucoup de lait de la France, peut-être plus que la
production totale de la France, tandis que les quelques Français ne voudront quřune
quantité relativement petite de la récolte sénégalaise. Dans ces conditions, les
Sénégalais payeront cher pour obtenir le lait, et les termes de lřéchange seront près de
la limite de 1 litre de lait = 3 kg dřarachides, peut-être à 1 lait = 2,9998 arachides. Les
Sénégalais ne retireront quřun très petit bénéfice du commerce international ; les
Français gagneront près de lřavantage maximal possible. Maintenant, supposons que
la France soit grande et le Sénégal soit petit. Les millions de Français voudront
beaucoup dřarachides, les quelques sénégalais voudront peu de lait ; et le prix
dřéchange sřétablira près de la limite : 1 lait = 2 arachides, peut-être à 1 lait = 2,0001
arachides. Les Français ne retireront quřun très petit bénéfice du commerce ; les
Sénégalais en retireront presque lřavantage maximal. Cřest une situation où il est
avantageux dřêtre un petit pays.
En conclusion, le prix dřéchange est déterminé par la grandeur relative de la
demande de chaque pays pour le produit de lřautre. Le pays voulant acheter plus
payera plus cher, mais en tout cas, le prix dřéchange ne dépassera pas les limites
établies par les prix qui auraient prévalu dans chaque pays en lřabsence du commerce
international.
Finalement, on peut considérer les frais de transport (qui jusquřici ont été
supposés négligeables). La conclusion à retenir est que le commerce international
sera bénéficiaire aux deux pays, pourvu que les prix de transport ne soient pas trop
élevés. Supposons, par exemple, que les coûts pour transporter 2,75 kg dřarachide du
Sénégal en France et 1,0 litre de lait de la France au Sénégal soient égaux à 0,5
arachides. Il peut y avoir du commerce entre les deux pays : les Sénégalais exportent
2,75 kg dřarachides, le transporteur soustrait 0,5 kg comme commission et livre 2,25
kg aux Français en échange dřun litre de lait, quřil retourne aux Sénégalais.
Du point de vue du Sénégal, 1 lait sřéchange contre 2,75 arachides.
Du point de vue de la France, 1 lait sřéchange contre 2,25 arachides
Les autres 0,50 kg dřarachides servent à payer le transport (si le
transporteur veut boire, il est libre dřéchanger ses arachides contre du lait).

3°) Les hypothèses sous-jacentes à la loi de l’avantage comparatif

La loi de lřavantage comparatif implique que chaque pays devrait sřouvrir au


commerce international, en se spécialisant dans la production des biens pour lesquels
il retient un avantage comparatif, et qui seront exportés en échange des importations.
Néanmoins, presque aucun pays ne suit entièrement une politique de libre échange.
Puisque la logique du modèle de Ricardo est correcte, la plupart des justifications des
politiques limitant la spécialisation et le commerce international commencent par
nier une des hypothèses sous-jacentes à la loi.
Lřanalyse de D.RICARDO suppose que : les produits sřéchangent entre
nations, mais pas la main dřœuvre, ni le capital ; à lřintérieur de chaque pays, il y a un
libre mouvement des facteurs de production (travailleurs, capital, terres) entre les
différents secteurs de lřéconomie.
Une prétendue absence de libre mouvement des travailleurs est souvent
avancée comme justification pour une politique de protectionnisme contre les
importations des produits concurrents des vieilles industries nationales. Par exemple,

87
on dit aux États-Unis : «Les pays en voie de développement ont un avantage
comparatif pour les textiles, les EU pour les produits agricoles et pour la construction
des avions. Selon RICARDO, nous devrons importer les textiles, et exporter plus de
blé et dřavions. Mais nous savons que si nous admettons des importations illimitées
de textiles, nos fabriques en ce domaine feraient faillite et leurs ouvriers, au lieu
dřaller en campagne comme agriculteurs ou en Californie pour construire des avions,
resteraient pour la plupart en chômage.»
Ricardo suppose que lřouverture du pays au commerce international ne
causera pas de problèmes de répartition du revenu, ou que les problèmes éventuels
de répartition du revenu sont sans intérêt, ou que ces problèmes peuvent être résolus
sans difficultés. Mais on peut démontrer (la preuve est compliquée et dépasse le
cadre de cet ouvrage) que les importations par les pays riches des produits de pays
pauvres tendent à égaliser le niveau du salaire entre pays riche et pays pauvre ; ce qui
est un problème plein dřintérêt, et une raison citée par les syndicats des pays riches
pour limiter les importations en provenance des pays pauvres. Parallèlement à la
réduction des salaires, il y aura des ouvriers mis en chômage dans les entreprises qui
font faillite à cause de la compétitivité des importations.
Lřanalyse est «statique», pour un temps.
La loi de lřavantage comparatif peut impliquer, par exemple, quřà un moment
donné, le Sénégal devrait se spécialiser dans la production dřarachides pour
lřexportation. Mais la loi ne prétend pas que le Sénégal devrait éternellement exporter
des arachides : les conditions économiques changent et peuvent être modifiées par la
politique économique. Il demeure quřun pays habitué à une économie spécialisée
dans les exportations dřun ou deux produits risque de se spécialiser encore plus dans
ces secteurs avec des dépenses publiques pour des routes et des chemins de fer pour
évacuer les produits dřexportation, des instituts agronomes spécialisés dans les
cultures dominantes, etc. ; quand le pays aurait peut-être mieux fait à long terme en
investissant dans la diversification vers dřautres cultures ou dans lřétablissement de
nouvelles industries, pour changer sa spécialisation.
Cřest dans ce cadre quřintervient lřargument de «lřindustrie naissante». Selon
cet argument, pour établir une nouvelle branche dřindustrie dans un pays, il faut
limiter les importations (par exemple, en imposant de forts droits de douane)
pendant un premier temps, durant lequel les entrepreneurs du pays apprennent à
bien mener leur industrie. Dans un deuxième temps, après que les entrepreneurs
nationaux auront appris leur métier, le pays pourra exporter le produit quřil importait
auparavant. Ceci est un argument qui dépend du passage du temps (pour un
argument «dynamique») ; tandis que la loi de RICARDO sřapplique pour un moment
donné (cřest une analyse «statique»).

88
CHAPITRE 5
ANALYSE MARXISTE : ACCUMULATION PRODUCTIVE,
BAISSE TENDANCIELLE DU TAUX DE PROFIT
ET SURVIE DU CAPITALISME.
Les conditions en Angleterre représentent l’avenir d’autres pays. «Il ….
s’agit … ici ….[des ] lois naturelles de la production capitaliste, …. des
tendances qui se manifestent et se réalisent avec une nécessité de fer.
Le pays le plus développé industriellement ne fait que montrer à ceux
qui le suivent sur l’échelle industrielle l’image de leur propre avenir ».
K. MARX 45
« Le marxisme demeure d’actualité et il reste un instrument
indispensable bien que sur beaucoup de détails, ses analyses se soient
révélées critiquables ».
R. HEILBRONER46

Quel est lřintérêt dřétudier lřanalyse marxiste du développement au moment


où le système du socialisme réel sřest effondré, perdant sa compétition avec le
capitalisme qui, aujourdřhui, sřimpose comme système mondial ? Faut-il dire
« Adieu » à MARX ou alors « À bientôt KARL » comme lřécrit avec force de
conviction J. ZIGLER ? Le marxisme est-il encore pertinent aujourd'hui ?
Ces questions sont assez récurrentes, toutefois, elles nřont pas grande
signification dans la mesure où le marxisme est et demeure avant tout une théorie
économique, politique et sociale qui permet dřapprocher la réalité fût-elle celle du
sous-développement. Dans ce sens, il a établi que «le pays industriellement le plus
développé montre au pays moins développé l'image de son propre développement à
venir». Quant au caractère pertinent ou dépassé du marxisme, un seul exemple, les
classiques continuent dřinspirer des visions et des approches économiques depuis le
19ème siècle et pourtant, leurs analyses font partie du référentiel de la pensée du
développement : richesse des nations, division du travail, théories des marchés libres,
avantages comparatifs etc.
Globalement et depuis lřÉcole marginaliste (1870), jusquřà la synthèse néo-
classique, les économistes de la pensée dominante ont apporté peu dřintérêt à Marx et
se refusent à lřadmettre dans les rangs des « grands théoriciens » de la pensée
économique. Ils se sont toujours invariablement refusé à dialoguer avec les marxistes
en arguant leur faiblesse dřidéologisation excessive de leur analyse et non réalisation
des prédictions sur le capitalisme. Certes le capitalisme évolue et se transforme
radicalement pour surmonter ses contradictions. Il est totalement naïf de croire que
cette évolution pose des problèmes théoriques dont toutes les réponses se trouvent
dans « Le Capital ». Scientifiquement, elles ne peuvent sřy trouver. La validité actuelle
de certaines thèses fondamentales du marxisme compréhension et confrontation des
analyses avec la réalité.
Dřabord, Marx présente une approche de la révolution industrielle dans une
optique tout à fait différente de celle des classiques pour qui le développement
économique sřinterprète en termes de variations de la production, du capital, du
salaire, des profits et la de rente. MARX prend le contre-pied de toutes ces
conceptions et développe une analyse implacable du capitalisme et de ses

45
K.MARX : Introduction à la première édition allemande du Capital.
46 Robert HEILBRONER : Marxisme pour ou contre

89
contradictions. Ensuite, les disciples de Marx continuent dřapporter de nombreuses
contributions pour une meilleure compréhension des trajectoires du capitalisme
contemporain, ses diverses contradictions et ses issues. Enfin, le marxisme, de ce fait,
se présente comme la critique la plus imparable et la plus complète du capitalisme
contemporain et de son orientation néolibérale. Sous ce rapport, il continue, malgré
sa baisse dřinfluence politique, dřêtre un courant de pensée, une référence dont se
réclament des chercheurs et des politiques à la recherche dřune alternative à
lřunilatéralisme capitaliste mondial. Toutes ces raisons font quřil est capital de
réaliser une analyse exhaustive du marxisme pour mieux cerner ses divers apports à
la pensée sociale.

Section 1 : Bref rappel des principales thèses de l’analyse


approfondie du stade capitaliste47
La préoccupation nřest pas de présenter une analyse exhaustive de la Théorie
marxiste du mode de production capitaliste mais de procéder à quelques rappels de
lřétape capitaliste en Angleterre qui présente un triple intérêt pour lřéconomie du
développement. En premier lieu, lřAngleterre préfigure lřavenir du capitalisme
mondial. Dès lřIntroduction à la première édition allemande du Capital, Marx
observe quř«Il …. sřagit … ici ….[des ] lois naturelles de la production capitaliste, ….
des tendances qui se manifestent et se réalisent avec une nécessité de fer. Le pays le
plus développé industriellement ne fait que montrer à ceux qui le suivent sur lřéchelle
industrielle lřimage de leur propre avenir ». En second lieu, certains aspects de la
théorie marxiste concernant les pays capitalistes sont le point de départ des théories
sur lřimpérialisme, sur le colonialisme même si les formalisations sont surtout dues
aux disciples (notamment LENINE, MAO). MARX et ENGELS ont écrit peu sur
lřimpérialisme (par exemple, le chapitre du Capital intitulé «La théorie moderne de la
colonisation» nřa absolument rien à voir avec les conditions dřun pays comme le
Sénégal.

I/ Les quatre conditions de base pour atteindre l’étape capitaliste : l’


«aliénation » des moyens de production.

En résumé, MARX dégage quatre conditions qui sous-tendent la formation


dřun mode de production capitaliste à savoir :
1) Les moyens de production sont « aliénés » dans le sens quřils nřappartiennent
plus aux ouvriers qui les emploient.
2) Les produits sont des «marchandises», cřest-à-dire quřils sont fabriqués pour
être vendus, et non pour satisfaire les besoins directs de leurs producteurs.
3) Le travail est une marchandise, qui peut être vendue et achetée comme
nřimporte quelle autre marchandise.
4) Le capital est mobile entre les secteurs économiques
Sur la première condition, les moyens de production sont « aliénés » dans le
sens quřils nřappartiennent plus aux ouvriers qui les emploient. Dans le secteur

47 Cette section est basée sur Le Capital de Karl Marx. Lřouvrage est en trois livres dans la traduction
française disponible aux Editions sociales. Ces trois livres comprennent huit tomes. Sauf avis
contraire, les références ici sont à cette édition. Dans le premier livre sont réunis les chapitres 4,5 de la
dernière (quatrième) édition allemande du Capital : donc il y a un décalage dans la numérotation des
chapitres entre les versions originales et sa traduction française. Ces précisions sont données pour un
repérage de nos références : Marx tout le monde en parle mais de rares auteurs lřont lu (excepté
J.SCHUMPETER)

90
agricole, les paysans sont expropriés de leurs terres. La plupart des champs sont
convertis en pâturage ou même en réserves de chasse ; le reste est organisé en
grandes fermes cultivées avec la main-dřœuvre embauchée. Les grands propriétaires
remplacent les petits paysans cultivant leurs propres champs. Les paysans expropriés
deviennent les premiers prolétaires (ouvriers nřayant aucune autre ressource que leur
force de travail). Pour cette raison, lřexpropriation des paysans marque le
commencement du stade capitaliste. Dans le secteur industriel, les machines
deviennent trop chères pour les ouvriers individuels. Même quand les usines
nřétaient pas motorisées et lorsque les machines étaient simples, lřorganisation dřune
entreprise comme la fabrique dřépingles décrites par Adam Smith dépassait le budget
des ouvriers. Et par la suite, ce type de fabrique a été remplacé par des usines avec
des machines beaucoup plus productives et plus chères. (MARX remarque quřau
temps de SMITH, dix hommes travaillant ensemble pouvaient fabriquer 48 000
épingles par jour, et une seule femme pouvait surveiller quatre de ces machines).
Donc lřartisan possédant ses propres outils est remplacé par un ouvrier travaillant
avec les machines dřun patron capitaliste.
La seconde condition postule que dans un Mode de production capitaliste, les
produits sont des «marchandises», cřest-à-dire quřils sont faits pour être vendus, et
non pour remplir les besoins directs de leur producteur. Par exemple, le patron de
lřusine Bata ne fabrique pas des milliers de souliers par jour avec lřintention de les
porter lui-même, par contre, une récolte faite par un paysan surtout pour nourrir sa
famille nřest pas une marchandise.
La troisième conditio est que le travail est une marchandise, qui peut être
vendue et achetée. Un ouvrier vend sa force travail à celui qui paye son salaire. Dans
lřépoque féodale, à cause des restrictions des compagnies et des lois attachant un serf
à son seigneur, une personne nřavait pas cette possibilité de vendre sa force de travail
où il voulait.
La quatrième condition est relative au fait que le capital est mobile entre les
secteurs économiques : on est libre dřinvestir son argent comme on veut.
Les conditions (2), (3) et (4) forment ensemble lřhypothèse du marché libre ;
mais il faut noter la nuance entre la définition du même concept chez SMITH et chez
MARX.

II/ La réévaluation critique de la théorie de la valeur.

Une théorie de la valeur répond à la question, «quelle est la valeur dřun produit
(ou dřun service) ?». La valeur de quelque chose nřest pas nécessairement égale à son
prix Ŕaprès tout, on peut dire que quelque chose se vend pour « plus que cela vaut »
ou pour « moins que cela vaut ».
De nos jours, la question de la théorie de la valeur est peu étudiée par les
économistes non-marxistes, qui dřailleurs donnent une réponse différente de celle de
MARX. Mais le concept de la valeur était un problème important pour les
économistes dit «classiques» (notamment SMITH et RICARDO). Et la théorie de la
valeur est au centre de lřanalyse faite par MARX dans le Capital : on ne peut pas
comprendre le reste de cet ouvrage si on nřa pas compris sa théorie de la valeur.

91
1°) La «théorie de la valeur travail» de MARX.

MARX commence par se poser la question, comment des biens et des services,
des marchandises Ŕ de nature tout à fait différente Ŕ lřor, le fer, les services dřun
tailleur, etc. peuvent-ils sřéchanger à travers les mécanismes dřachat et de vente ? On
peut échanger quelques grammes dřor (qui coûtent mille francs) contre beaucoup de
kilogrammes de fer (qui coûtent mille francs) et on peut échanger les deux contre une
certaine quantité, qui ne peut pas être pesée, des services dřun tailleur (qui coûtent
également mille francs). Ces trois marchandises (or, fer, couture) doivent avoir
quelque chose en commun qui permet lřéchange au même prix. La «chose en
commun» ne peut pas être la valeur subjective (que Marx appelle «valeur dřusage»)
attachée à la marchandise par le client ; car lřappréciation dřun produit varie avec la
personne. Par exemple, un individu trouve la glace au café délicieuse, mais la glace à
la pistache dégoûtante ; son frère adore la glace à la pistache mais pense que la glace
au café est nauséabonde ; néanmoins, une glace à café se vend au même prix quřune
glace à la pistache. Lřair, qui a une grande valeur pour tous ceux qui désirent respirer,
est gratuit. Donc la «chose en commun» ne peut pas être lřappréciation subjective, la
valeur dřusage.
Pour MARX, la «chose en commun» aux marchandises qui permet lřéchange
de diverses marchandises et qui détermine quelle quantité de lřune sřéchangera
contre celle de lřautre, est que toutes sont produites avec le travail humain. Dans ce
sens, on définira la «valeur dřéchange» dřun produit ou dřun service comme la
quantité de travail nécessaire pour fabriquer ce produit ou ce service.
Il faut apporter quelques nuances à cette définition. En effet, le même produit
peut être fabriqué avec des différentes quantités de travail dans des pays différents ou
à des époques différentes, dépendant du progrès technique, etc. Dans le même pays
au même temps, le même produit peut être fabriqué avec des quantités de travail
diverses : par exemple, un forgeron peut être plus ou moins habile que la moyenne
des forgerons. Dans la définition ci-dessus, par «travail nécessaire», il faut
comprendre la moyenne du travail nécessaire à une époque déterminée dans un pays
déterminé ; Marx appelle ce concept le «travail socialement nécessaire».
Ensuite, il y a des travailleurs non-qualifiés et des travailleurs qualifiés
(ingénieurs, docteurs, mécaniciens, etc.). Les travailleurs qualifiés sont plus
productifs que les travailleurs sans qualification ; par conséquent ils sont mieux
payés. Puisque la qualification dřun travailleur est elle-même le produit du travail (le
travail des professeurs, le travail incorporé dans les bâtiments de lřécole, etc.), Marx
appelle le travail qualifié par un entraînement le «travail complexe» ; et il appelle le
travail non-qualifié le «travail simple». Si un ingénieur est trois fois plus productif
quřun ouvrier non-qualifié, on peut convertir ses heures de travail complexe en leur
équivalent dřheures de travail simple en multipliant par trois. Dans la définition ci-
dessus, par « quantité de travail, il faut comprendre le nombre total dřheures de
travail simple, après que les heures de travail complexe aient été converties en leur
équivalent dřheures de travail simple (non-qualifié).
Enfin, si le produit est fabriqué non seulement avec du travail direct, mais
aussi avec des matières premières, la valeur du produit final comprend le travail
incorporé dans la production des matières premières. Par exemple, la valeur dřun fer
à cheval comprend non seulement le travail du forgeron, mais aussi le travail qui a
produit le fer brut. Le travail incorporé dans les outils et les machines est traité dřune
façon similaire. Dans la définition ci-dessus, par «travail», il faut comprendre le
travail indirect (des ouvriers) plus le travail indirect (incorporé dans les matières
premières et dans les outils et les machines).

92
Finalement, la définition de la valeur dřéchange dřune marchandise est le
nombre dřheures de travail simple (ou leur équivalent) direct et indirect, socialement
nécessaire, en moyenne, pour fabriquer la marchandise. En bref, la valeur d’échange
d’une marchandise est le nombre d’heures de travail de sa fabrication. Quand Marx
utilise le terme «valeur» sans autre spécification, il se réfère à la valeur dřéchange et
non à la valeur dřusage.
Lřessence même de la définition est très simple et facile à comprendre, mais il
faut lřappliquer de façon rigoureuse. La valeur nřest pas la même chose que la
quantité produite. Par exemple, si à cause dřun développement de la productivité au
cours de trente ans, le PIB dřun pays double sans augmentation du nombre dřheures
de travail de sa population, la valeur du PIB nřa pas augmenté. Si la quantité des
produits et services fabriqués dans un pays double avec une réduction du nombre
dřheures de travail, la valeur du PIB a diminué, en dépit de lřaugmentation de sa
masse.

2°) La première version de la détermination des prix.

Marx donne deux explications différentes de la détermination des prix. Celle-ci


est utilisée dans tout le premier livre du Capital dans tout le deuxième livre et dans la
première section du troisième livre, soit les premières 1.600 pages. (La deuxième
explication des prix est discutée dans ces notes à partir du §.1.3.2.12).
Les marchandises s’échangent en proportion de leurs prix.
Si un gramme dřor coûte 1000 francs et un kilogramme de fer coûte 50 francs,
alors un gramme dřor sřéchangera contre 20 kg de fer. Les proportions des prix
déterminent les proportions des marchandises qui sřéchangent.

Théorème sur la première version de la détermination des prix : les marchandises


sřéchangent en proportion de leur valeur, cřest-à-dire que le prix est proportionnel au
nombre dřheures de travail incorporées dans la marchandise.

Si un kg dřun produit A incorpore deux fois autant de travail quřun kg dřun


produit B, le prix de A (par kg) sera deux fois le prix de B (par kg).
Il faut noter quřil existe une différence entre une définition et un théorème.
Une définition ne dépend que de son auteur. Un théorème est une déclaration que
lřon peut vérifier ou rejeter. Par exemple, je peux définir la «salinité» dřune substance
comme le pourcentage du nombre de ses molécules qui ont la formule chimique
NaCl. Un autre peut définir la «salinité» dřune substance comme le pourcentage de
son poids composé de molécules NaCl. Lřautre a le droit à sa définition et moi jřai le
droit à la mienne. Mais si je prétends que les prix des substances sont proportionnels
à la salinité, jřavance un théorème que lřon peut vérifier ou rejeter en observant les
faits. Marx donne une définition de la valeur et avance le théorème qui affirme que les
prix sont proportionnels aux valeurs ainsi définies
On a vu que le prix est (ou serait) proportionnel à la quantité de travail
nécessaire pour fabriquer la marchandise. Cela implique quřun produit incorporant
deux fois autant de travail quřun autre aurait un prix deux fois plus grand ; mais cela
ne dit pas ce que sera ce prix en termes de la devise nationale (livres sterling par
exemple). Au temps où écrivait Marx, les devises étaient basées sur lřétalon dřor : on
pouvait librement échanger des devises pour de lřor. Supposons quřune livre sterling
sřéchangeait pour 30 grammes dřor. Lřor est une marchandise, dont la production

93
exige du travail pour lřextraire du sol et la transporter en Angleterre. Supposons
quřune heure de travail produit en moyenne 10 g dřor. Alors une livre sterling serait
lřéquivalent de 3 heures de travail ; un produit incorporant deux heures de travail
sřéchangerait contre 20 g dřor = 2/3 livre sterling, etc.
De nos jours, les devises nationales ne sont plus basées sur lřor. LřÉtat imprime
des morceaux de papier qui sřéchangent contre … dřautres morceaux de papier. Pour
simplifier un processus macroéconomique réellement compliqué, on peut dire que les
prix sont déterminés par la quantité de monnaie en circulation. Si dans une économie
il y a en circulation des morceaux de papier ayant un total de 800 millions de «pesos»
imprimés sur eux, sřéchangeant contre le produit de 2 millions dřheures de travail,
alors chaque heure de travail serait lřéquivalent de 400 pesos.

L’origine des profits et la décomposition de la valeur d’un


produit48
Pourquoi y a-t-il une augmentation du PIB/habitant dans un pays ? A cause
dřune augmentation de machines, de bâtiments dřusine, de matières premières, … en
bref, une augmentation des moyens de production. Lřaccumulation des moyens de
production implique quřil y ait un investissement pour les acheter. Dřoù proviennent
les fonds pour cet investissement ? Des profits, répond Marx. Dřoù proviennent les
profits ?
Le profit au niveau global de la société ne peut être généré que par lřachat à
bon marché et la revente à prix cher, dit Marx, parce que pour chaque veinard qui
achète une marchandise à bas prix, il y a un malchanceux qui lui a vendu la
marchandise à bas prix, et pour chaque personne bienheureuse qui réussit à vendre
chère, il y a un client malheureux qui a dû acheter cher, de sorte que les gains des uns
sont compensés par les pertes des autres. En moyenne, les marchandises doivent se
vendre à leur valeur.
Pour découvrir lřorigine des profits, il faut analyser plus profondément la
détermination de la valeur dřun produit. Lřindustrie-type (selon les termes de Marx)
était une filature de coton ; prenons donc une filature comme exemple concret. La
valeur de son produit (fil de coton) est égale aux heures de travail incorporées dans la
production du fil : valeur du produit = travail total.
La valeur attribuée aux machines dépend de leur usure. Supposons quřune
machine à filer produit 100 kilomètres de fil avant dřêtre complètement usée, et que
la fabrication de la machine prend 200 heures. Dans ces conditions, on attribue
0,002 heures de travail (= 200 heures/ 100.000 mètres) par mètre de fil, au compte
dřusure de la machine à filer. Les matières pour le fil comprennent non seulement le
coton, mais aussi le charbon pour alimenter le moteur à vapeur qui fait tourner la
machine à filer, etc.
Puisque par hypothèse le prix de toute marchandise est égal à sa valeur, le coût
du capital investi en machines et matières premières est égal à la valeur incorporé
dans ces choses : cette valeur est transmise intégralement au produit fabriqué.
Puisque le capital investi en travail indirect ne crée pas de nouvelle valeur, mais
seulement une transformation de la forme dřune quantité constante de valeur, Marx
appelle en conséquence «capital constant» lřargent que le patron dřune fabrique
investit en machines et en matières premières. La valeur ajoutée provient du travail
direct.
Donc on a :

48 F.R. MAHIEU, J.CARTELIER, C.BENETTI, S de BRUNOFF : Marx et lřEconomie politique : Essais


sur les « Théories sur la plus-value », Presses Universitaires de Grenoble, F. Maspéro 1977

94
Valeur du produit = valeur du capital constant + travail direct.
Quelle est la valeur du travail des ouvriers de la fabrique, le «travail direct» ?
Posée de cette manière, dit Marx, la question est absurde : par définition, la valeur
dřune heure de travail est une heure de travail (cřest comme demander le prix dřun
franc : par définition le prix dřun franc est un franc). Mais on peut demander : quelle
est la valeur du salaire payé aux ouvriers ? Les ouvriers dépensent leur salaire pour
acheter de la nourriture, des vêtements, etc. et la valeur de la nourriture, du
vêtement, etc. peut être mesurée par le nombre dřheures de travail nécessaire pour
produire ces biens. Suivant un raisonnement que nous verrons plus tard, la théorie
marxiste aboutit à la conclusion que le salaire plane au niveau minimal de
subsistance pour lřouvrier et sa famille. Dans la mesure où le salaire est juste suffisant
pour payer la «production» démographique des salariés, lřouvrier est payé à sa
valeur. En considérant que la valeur des produits que lřon peut acheter avec le salaire
journalier est égale à cinq heures, rien ne dit que les ouvriers vont travailler 5 heures
par jour pour recevoir ce salaire. La journée de travail à lřusine peut durer, par
exemple 11 heures. Les ouvriers nřont pas le choix : ne possédant eux-mêmes pas de
moyen de production, ils doivent travailler aux conditions imposées par les
capitalistes pour ne pas mourir de faim. Donc (suivant notre exemple), un capitaliste
qui investit lřéquivalent monétaire de cinq heures de travail pour payer des salaires,
reçoit 11 heures de travail dřun ouvrier. Le capital investi en salaires, en travail direct,
produit plus de valeur quřil ne coûte. Pour cette raison, Marx appelle «capital
variable» le capital investi en salaires. La différence entre la valeur du salaire et le
nombre dřheures de travail acheté avec ce salaire est appelée «plus-value». Dans
notre exemple, la plus-value est égale à (11 heures- 5 heures) = 6 heures de travail.
Donc on a finalement : valeur du produit = capital constant + capital variable
+ plus-value.
Marx distingue entre la «valeur du travail», qui est une tautologie (une heure
de travail vaut une heure de travail) et la «valeur de la force de travail», qui est ce que
nous avons appelé la valeur de salaire. On notera que dans le schéma aléatoire ici
présenté, toutes les marchandises, y compris la force de travail des ouvriers, se
vendent à leur valeur ; néanmoins la plus-value génère un profit.
Nous sommes en mesure de donner quelques définitions.
Il y a une «exploitation» de la classe ouvrière parce quřune partie de son
produit (la plus-value) est reçue par les membres dřune autre classe, la bourgeoisie,
qui, elle, ne travaille pas.
Le «taux dřexploitation», aussi appelé «le taux de plus-value», est le suivant,
dans notre exemple : 6 heures/5 heures = 120%).
Les heures correspondant au salaire, au capital variable, peuvent aussi être
appelées le «travail payé» ; et les heures correspondant au reste de la journée de
travail, à la plus-value, peuvent être appelées «le travail non-payé». Un capitaliste
voulant faire un profit doit nécessairement garder ses ouvriers dans la fabrique au
moins aussi longtemps que la valeur de leur salaire ; au-delà de ces heures, il gagne
un surplus : donc «heure de travail nécessaire» est un synonyme pour «travail payé»
et «heures de surtravail»est un synonyme pur «travail non-payé». Ne pas confondre
«travail nécessaire» (V) avec «travail socialement nécessaire (C + V + P1 en moyenne
pour toute lřindustrie).

95
En bref : taux d’exploitation = taux de plus-value=

P1 plus-value travail non-payé surtravail


= = = =
V capital variable travail payé travail nécessaire

Il faut bien noter que le taux de plus-value nřest pas le même que le taux de
profit. Le taux de profit sera défini rigoureusement dans les développements
antérieurs.
Les économistes classiques, y compris SMITH et RICARDO, avaient élaboré la
théorie de la valeur travail avant Marx. Eux aussi pensaient que la valeur dřun produit
est, en dernière instance, le travail humain direct et indirect qui lřa créé. La
contribution originale de Marx, là où il approfondit lřanalyse de ses prédécesseurs, est
le concept de la plus-value.

3°) La répartition de la plus-value

Au moment où un produit est fabriqué, le capitaliste industriel a la mainmise


sur un produit ayant une certaine valeur (20 heures, par exemple), qui lui coûté une
certaine somme pour usure des machines, matières premières et salaires (16 heures,
par exemple). Si le capitaliste industriel vend son produit directement au grand
public pour sa valeur, et sřil ne paie pas dřimpôts, il garde tous les profits (qui seront
lřéquivalent dřune plus-value de 4 heures selon notre exemple). Mais normalement,
un capitaliste industriel nřa pas lřorganisation pour faire écouler toute sa production
au public. Donc il vend le produit pour moins que lřéquivalent monétaire de 20
heures à un grossiste. La perte de lřindustriel dans ce cas peut être comparée à la
situation où il vend directement au public pour lřéquivalent de 20 heures. Cette perte
est exactement compensée par le gain du grossiste qui achète pour moins que 20
heures. Le commerçant en gros vend (pour moins que 20) au commerçant de détail,
qui vend au public pour 20. Ainsi, les quatre heures de plus-value ont été partagées
entre le capitaliste industriel, le commerçant en gros, et le commerçant en détail. Si
lřÉtat prélève des impôts, il prend aussi une partie des 4 heures de plus-value. En
bref, une fois le produit fabriqué, sa valeur ne change pas par suite de changements
de possesseurs : les vendeurs, les revendeurs et les re-revendeurs ne font que
partager entre eux la plus-value provenant de la fabrication. Chaque capitaliste
réinvestit une partie de son revenu net après paiement des impôts et il dépense le
reste pour la consommation de services et des biens de luxe.

4°) Analyse des effets d’un accroissement de la productivité du


travail.

En considérant que dans lřindustrie de dentelle, on fabrique 30 mètres de


dentelle en utilisant une journée de travail de 10 heures (payée avec un salaire qui
sřéchange contre des biens de consommation ayant une valeur de 5 heures), plus des
matières premières valant 10 heures, plus des machines dont lřusure par jour est
lřéquivalent de 10 heures de travail ; en conséquence la valeur de la dentelle sera (10
+ 10 + 10) = 30 heures, soit 1 heure par mètre. Si 90 francs sont lřéquivalent
monétaire de chaque heure de travail incorporée dans la production dřune
marchandise, alors les 30 mètres de dentelle se vendront pour (30 mètres) x
(1heure/mètre) x (90 francs/heure) = 2700 F. Les coûts de production seront 10 x 90

96
F (pour lřusure des machines) plus 10 x 90 F (pour les matières premières) plus 5 x
90 F (pour les salaires), soit 900 + 900 + 450 = 2250 F. les profits seront : 2700
(ventes) moins 2250 (dépenses), soit 2700 Ŕ 2250 = 450 F. Les 450 F des profits sont
lřéquivalent de 450/90 = 5 heures de plus-value. En présumant quřun entrepreneur
découvre une nouvelle méthode de fabrication, avec le même nombre dřouvriers
quřavant, il augmente la production de 20% qui passe de 30 à 36 mètres. Il faut
augmenter la quantité de matières premières de 20% (la valeur de matières
premières passe de 10 à 12 heures), mais la nouvelle machine ne coûte pas plus que
lřancienne. Dans un premier temps, quand toutes les autres usines utilisent encore
lřancienne méthode, lřentrepreneur peut vendre sa dentelle à lřancien prix de 90 F le
mètre. En effet, puisque la valeur dřun produit est le nombre dřheures de travail en
moyenne socialement nécessaires pour sa production, et puisque lřindustrie de
dentelle continue pour le moment dřutiliser lřancienne méthode de production en
moyenne, 1 mètre de dentelle vaut encore 1 heure de travail (et 36 mètres valent 36
heures). Ne voyant pas pourquoi il devrait faire des cadeaux aux clients,
lřentrepreneur qui innove vend ses 36 mètres pour 36 x 90 F = 3240 F. Ses dépenses
sont (10 + 12 + 5 hures) x 90 F/heure = 27 x 90 F = 2450 F. il retire donc un profit de
3240 Ŕ 2430 = 810 F. il faut noter que puisque le salaire vaut toujours 5 heures
(comme dans toute autre usine) et la longueur de la journée de travail reste fixée à 10
heures (comme dans toute autre usine), en conséquence le montant de la plus-value
reste inchangée à 10- 5 = 5 heures. Il est évident que cette situation ne peut pas
continuer. Tous les autres patrons de lřindustrie de dentelle, voyant que leur collègue
innovateur gagne 810 F où ils gagnent 450 F, vont se procurer la nouvelle machine.
Ils vont essayer dřécouler autant de dentelle que possible, en vue de gros profits ; la
concurrence entre eux va mener à une réduction du prix. Le prix ne cessera de
diminuer que quand la dentelle se vendra à sa nouvelle valeur. Quelle est cette
valeur ? Sous les nouvelles conditions de production, 36 mètres de produit valent 32
heures de travail, donc chaque mètre vaut 32/36 dřheures. Le prix équivalent est
(32/36) x 90 F = 80 F ; les coûts sont (27 heures) x (90F/heures) = 2 430 F ; les
profits retombent à 2880 Ŕ 2430 = 450 F.
En conclusion, une augmentation de la productivité donne des surprofits
temporaires aux premières firmes qui adoptent la nouvelle méthode. Mais après que
toutes les firmes dans lřindustrie auront adopté la nouvelle méthode, la concurrence
parmi elles réduira le prix du produit jusquřà lřéquivalent monétaire de la nouvelle
valeur du produit. (La valeur par unité du produit est réduite parce que
lřaugmentation de la productivité a réduit le montant de travail incorporé dans
chaque unité de produit). Une fois que la marchandise se vend à sa valeur, la valeur
des profits est exactement égale à la valeur de la plus-value ; et en supposant que la
valeur du salaire et la longueur de la journée de travail restent inchangées, la quantité
de la plus-value est constante. Donc une augmentation de la productivité, ceteris
paribus, nřaugmente pas le montant des profits (abstraction faite des surprofits
temporaires)

Section 2 : Le marxisme comme première pensée critique de


l’économie politique de l’Ecole Classique.
La deuxième moitié du 19ème siècle était un âge dřor de la science, avec des
découvertes fondamentales dans la physique, dans les sciences naturelles, etc. Cřest
sans doute ce qui explique que Marx se proposait dřécrire une théorie scientifique de
lřévolution des sociétés humaines avec des analogies assez évidentes avec les travaux
de Charles Darwin sur lřévolution des espèces animales et de lřespèce humaine

97
(publiés en 1859). En effet à cette époque trois hypothèses caractérisaient la
philosophie de la science : dřabord lřexistence de lois logiques qui peuvent être
découvertes, ensuite, ces lois sřappliquent en tout temps et en tout lieu et enfin leur
application permet la prévision des événements futurs. Toutes ces caractéristiques se
retrouvent dans lřœuvre de Marx.
Le point de départ de Marx est lřévaluation critique de la pensée économique
de lřÉcole Classique anglaise. A.SMITH et D.RICARDO ont élaboré la théorie de la
valeur travail selon laquelle la valeur des marchandises vient du travail humain
socialement mis pour leur fabrication. Cřest cette théorie que reprend et précise
MARX et de laquelle il tracte notamment la théorie de la plus-value qui fut la
première explication scientifique de lřexploitation des travailleurs. Pour A. Smith et
D. Ricardo comme pour Marx, la théorie de la valeur (couplée avec la théorie de la
plus-value) constitue lřapproche à partir de laquelle il était possible de comprendre à
la fois la répartition du revenu national et la croissance du capitalisme.
MARX commence par observer que RICARDO a découvert lřune des lois
essentielles du développement de la société capitaliste : la loi tendancielle de la baisse
du taux de profit, mais il lřexplique par lřaugmentation de la valeur des produits
agricoles découlant de la prétendue loi de la population de MALTHUS : les produits
tendent naturellement à baisser parce que, dans le procès de production, le surcroît
de subsistances nécessaires exige un travail toujours croissant. MARX observe à ce
propos «les économistes, qui, comme RICARDO, considèrent la production
capitaliste comme une forme définitive, constatent quřelle se crée elle-même ses
limites et attribuent cette conséquence, non pas à la production mais à la nature, dans
la théorie de la rente». Il démontre alors que la baisse tendancielle du taux de profit
ne découle pas de circonstances accidentelles étrangères au régime capitaliste mais
au contraire, elle est lřessence même de ce régime qui implique lřaccroissement du
capital constant et la diminution relative du capital variable. Cřest cette découverte
qui établit clairement que le capitalisme contient en lui-même la loi qui lřachemine
vers sa destruction. Dans cette direction, MARX écrit que «ce qui inquiète RICARDO,
cřest que le taux du profit, stimulant de la production et de lřaccumulation capitaliste,
soit menacé par le développement même de la production». Dès lors, le capitalisme
apparaît comme une forme, non pas absolue et définitive, mais relative et transitoire.
Enfin, la dernière erreur de RICARDO est selon MARX quřil nřa pas pu rendre
compte du phénomène des crises capitalistes. Celles-ci ont pourtant jalonné la
marche du système à cette époque. Ces crises ont eu lieu, en Grande Bretagne
pendant les années 1815, 1825, 1840 (profonde), 1863, 1873 (crise de très longue
durée), 1890, 1913, 1920 et 1933 (extrêmement ample et profonde). Chaque crise a
duré plusieurs années. Elles revêtent, de plus en plus, une sévérité croissante. Elles
ne procèdent plus, désormais, des mauvaises conditions climatiques mais
proviennent exclusivement des actions humaines qui créent une situation où il y a à
la fois le chômage des hommes et des machines (inutilisées) ainsi que la mévente de
la production (crise de surproduction dont J .B. SAY disait quřelle était impossible).
En somme, pour Marx lřerreur de RICARDO est de nřavoir jamais pu rendre compte
du phénomène des crises capitalistes. En effet, RICARDO admet à la fois que le profit
apparaît Řsimultanément comme condition et comme impulsion pour lřaccumulation
et que la production capitaliste vise à satisfaire les besoins. Dès lors, se pose la
question de savoir si la production capitaliste a pour moteur le profit ou les besoins ?
RICARDO utilise les deux explications pour défendre le développement illimité de la
production capitaliste. Les contradictions profondes du régime vont complètement
lui échapper. En conséquence, lřéconomie politique classique va sřavérer impuissante
à rendre compte des crises inhérentes au système capitaliste.

98
Ces limites de lřanalyse ricardienne, vont amener MARX à procéder à un
renversement qui permettra de mieux comprendre le fonctionnement du mode de
production capitaliste et de saisir toutes ses contradictions internes. Ce renversement
comporte trois moments théoriques essentiels : dřabord, lřapplication du
matérialisme historique à la solution des problèmes de lřÉconomie politique qui va
permettre de découvrir le caractère transitoire et relatif de MPC ; ensuite, lřanalyse de
lřaliénation du travail et du fétichisme de la marchandise, ce qui permet de découvrir,
au-delà de lřapparence de la circulation des choses, la réalité des rapports sociaux de
production et enfin, la découverte du caractère contradictoire de ces rapports.
Le modèle de développement marxiste devient transparent à travers lřanalyse
du processus de réalisation des présupposés du capital. Prenons lřexemple du salaire
réel de la main-dřœuvre industrielle, notamment leur ravalement au niveau de
subsistance. Sur la question, on observe un glissement entre les idées de Smith,
Ricardo et Marx. A. Smith, optimiste, estimait que le taux dřaccroissement de la
productivité pouvait être maintenu au-delà du taux dřaccroissement de la population
pendant une longue période (peut-être des siècles), en fournissant un niveau de vie
croissant aux ouvriers. Alors que Ricardo, en pessimiste, pensait que dans quelques
décennies, lřaccroissement de la population plus rapide que lřaccroissement de la
production alimentaire mettrait fin à toute croissance du salaire réel. Marx aboutit à
la même conclusion que le salaire réel nřaugmenterait pas, mais pour une raison
différente : le chômage chronique causé par la mécanisation du travail, plutôt que le
manque dřaliments, empêcherait la hausse des salaires réels.

Section 3 : Les modèles marxistes de développement.


Le concept de départ pour une analyse des modèles de développement est
lřaccumulation primitive que MARX étudie pour dégager les conditions de
lřapparition du capitalisme comme rapport de production.

I/ Le concept d’accumulation primitive fondement de la transition vers le


capitalisme.

Dans la huitième section du livre du capital, MARX présente simultanément le


concept « dřaccumulation primitive » qui recouvre tout processus historique de
réalisation des présupposés du capital et une forme historique déterminée de
réalisation de ces présupposés du capital.

1°) L’analyse des présupposés du capital

Le capital est un rapport de production, et comme tel, il est le produit dřun


procès de production capitaliste. Donc, les présupposés du capital sont les
présupposés du procès de production qui suppose : lřachat de la force de travail, la
prise de possession des moyens de production, une circulation étendue des
marchandises pour que le travailleur vende sa force de travail ; il faut quřil puisse en
disposer à son gré, il doit être un travailleur libre. Mais il doit aussi être obligé de
vendre sa force de travail pour subsister. Au total, il doit être séparé de ses moyens de
production. Il doit être libre de tout rapport social lui permettant de subsister.
Pour que naisse le rapport de production capitaliste, il faut aussi que le
travailleur trouve un marché, un acheteur pour sa marchandise. Le capital ne peut
exploiter le travailleur sřil ne dispose pas des moyens de production à mettre à sa
disposition.

99
Enfin, le dernier présupposé du capital postule lřunité du procès de production
et de circulation. Pour que le travailleur puisse utiliser son salaire à acheter les
marchandises nécessaires à sa subsistance, il faut que la circulation se soit emparée
dřune certaine quantité de produits.

2°) L’accumulation primitive comme concept d’une transition vers


le capitalisme.

La question se pose de savoir comment on doit analyser un processus


dřaccumulation primitive, cřest-à-dire réaliser des présupposés du capital. Nous
posons que lřaccumulation primitive est le concept dřune transition vers le
capitalisme. Elle est le concept des processus historiques et sociaux qui assurent le
passage dřune forme non capitaliste vers le capitalisme. Schématiquement, ces
processus peuvent être représentatifs dřun développement capitaliste qui sřeffectue
comme suit :

Forme non capitaliste Dissolution


(Sous-développement)

Forme capitaliste Combinaison

Pour la dissolution, on peut observer que comprendre la genèse du capital,


cřest comprendre le processus de dissolution des formes antérieures. Cette
compréhension nécessite lřanalyse des contradictions de ces formes. Ce sont les
contradictions dřune forme économique qui déterminent sa dissolution et la
possibilité dřémergence du capital.
Pour ce qui est de la combinaison, cřest un processus de mise en relation des
éléments issus de la dissolution et il constitue le commencement de fonctionnement
du mode capitaliste de production.
La phase de destruction des formes économiques antérieures débute depuis le
XVIIe siècle. En Europe, et seulement pour les pays non européens intégrés au
système mondial, lřextension des échanges internationaux sřest traduite par une
décomposition de leurs formes économiques sans que cette décomposition soit suivie
dřune extension importante du capitalisme. Ce phénomène historique constitue le
facteur initial de la formation de structures sous-développées.
Par ce biais, on explique la formation du sous-développement. Ainsi, le
dualisme rural constitue un effet de surface dřune accumulation primitive avortée.
Les politiques dřinstauration des présupposés du capital émanent de
lřavènement dřun capitalisme réel, cřest-à-dire un mode de production où le capital
investit le procès de production et le procès de travail.

II/ Alternative socialiste ou voie non capitaliste du développement

La richesse de lřanalyse marxiste réside dans le fait quřelle autorise lřapproche


dřun modèle alternatif au capitalisme.
Á ce niveau de lřanalyse, la démarche est de réunir les éléments épars en vue de
dégager les lignes directives dřune théorie de la transition vers le socialisme dans des
formations caractérisées par un faible niveau des forces productives et une situation
de domination extérieure.
Observons que MARX et ENGELS se sont toujours défendus dřêtre les tenants
dřun dogme figé et sans vie, ni de schémas rigides et définitifs qui auraient le pouvoir

100
magique dřexpliquer toute la réalité objective dans toute sa complexité. Cřest une
méprise que dřavoir une telle opinion de leurs travaux. Hommes de sciences, ils
étaient plus soucieux de pénétrer le réel pour en extraire les éléments qui peuvent
fonder une praxis sociale49. Dans la problématique de la transition, la doctrine ne
pouvait être achevée car cela signifierait que MARX et ENGELS pourraient devancer
«le rythme historique réel des masses»50. EN conséquence, ils nřont fait que ce qui
était possible de faire ; poser* les pierres angulaires et le cadre méthodologique pour
appréhender assez correctement le projet socialiste et les diverses voies qui
pourraient y mener.
De fait, les directions analytiques sont ainsi nettement spécifiées. Il sřagit en
premier lieu de sřinterroger sur la signification exacte du socialisme. Cette
interrogation en évitant de piétiner sur les mots doit avancer dans les idées vers la
découverte des principes fondamentaux totalement dépouillés des mythes et de
lřobscurantisme introduits par la propagande et le dogmatisme. Ce nřest que par cette
approche que lřon peut mettre en lumière les lois universelles du socialisme les plus
diverses. Il sřagit en second lieu, de formuler les voies de passage entendues comme
les préalables à réunir pour créer tel ou tel état socialiste. Ces préalables relèvent
aussi bien de la conjoncture interne que de la situation externe. Postulée en ces
termes non occultes, la transition ne laisse transparaître aucune voie royale vers le
socialisme.

a) Les fondements du socialisme

Les idées socialistes remontent très loin dans lřhistoire de lřhumanité, depuis la
République de Platon jusquřaux ébauches de sociétés communistes de Thomas
MORE et Giovanni CAMPANELA.
En effet, à partir dřune critique de lřordre social, ces auteurs vont sřattacher à
imaginer de nouvelles formes dřorganisation sociale plus justes et plus harmonieuses
pour une suppression radicale de toutes les formes dřinégalités. MORE et
CAMPANELA font un effort de développement systématique de ces nouvelles cités
humaines. Le premier imagine une île qui porte lřidéal communiste où le travail de
chacun contribue à lřépanouissement de lřensemble de la collectivité. Le
gouvernement, dans cet ordre social, aura à assurer une double tâche : diriger la
production économique et organiser une répartition égalitaire du produit social. Dans
le même ordre dřidées, Giovanni CAMPANELA développe la nécessité de construire
une société fondée sur lřamour et qui devra vaincre toutes les formes de division et
dřopposition pour arriver à une harmonie universelle excluant toute inégalité
sociale51.
Ces idées de socialisation de la vie ont pour finalité la création de rapports
sociaux plus harmonieux lesquels excluent toute propriété privée. Elles joueront,
comme le note Henri DENIS, un rôle décisif à partir du XVIIIe siècle dans la
formation des grandes doctrines socialistes.
49 MARX rappelle dans «Lřidéologie allemande» (Édit. Sociales, 1965) quřà lřencontre de la philosophie
allemande qui descend du ciel sur la terre, cřest de la terre au ciel que lřon monte ici ou par des
hommes dans leur activité réelle, et cřest à partir de leur processus de vie réel que lřon représente aussi
le développement des reflets et des échos idéologiques de processus vital.
50 Perry ANDERSON : Sur le marxisme occidental, Petite Collect. F. MASPÉRO, p. 13, LENINE

(œuvres complètes, t. IV) affirme plus nettement encore que nous ne tenons nullement la doctrine de
MARX pour quelque chose dřachevé … nous sommes persuadés quřelle a seulement posé les pierres
angulaires de la science que les socialistes doivent faire progresser dans toutes les directions sřils ne
veulent pas retarder sur la vie.
51 H. DENIS : Histoire de la pensée économique. Collection «Théruis», pp. 79-120.

101
Cřest surtout au XIXe siècle, avec la généralisation et lřapprofondissement des
rapports de production capitalistes que les systèmes socialistes des « grands
utopistes » apparaissent. La France et lřAngleterre seront les pays dřélaboration de
ces systèmes de pensée. LřAngleterre était un champ de réflexion car dans le pays se
forme la première grande industrie qui selon F. ENGELS «développe dřune part les
conflits qui font dřun bouleversement du mode de production une nécessite
inéluctable et dřautre part, elle seule développe dans ces gigantesques forces
productives elles-mêmes, les moyens de résoudre aussi ces conflits»52. La France
présentera dřautres traits permettant lřapparition dřidées socialistes. Dès la fin du
XVIIIe siècle jusquřau milieu du XIXe siècle, elle connaît, selon Georges GOGNIOT,
une vie orageuse, saturée de mouvements politiques et sociaux, dřévènements et
dřidées53. Elle propagera, comme lřobserve LENINE, par toute lřEurope les idées du
socialisme.
Ce courant du socialisme prémarxiste de Saint-Simon (1770-1825) à R. OWEN
(1771-1858) en passant par C. FOURIER (1772-1837) remet en question toutes les
formes dřexploitation et propose un nouvel ordre économique et social ayant pour but
dřaffranchir les travailleurs de la tutelle du capital. Ces changements radicaux seront
le fait des savants et des techniciens. Dans cette ligne de pensée, Saint-Simon pense
quřil revient aux philosophes et aux techniciens de concevoir un système
dřorganisation sociale meilleur et dřinciter les gouvernements à le mettre en
application. Cette organisation sociale doit être absolument débarrassée de tous les
maux comme lřignorance, le parasitisme et la misère. En plus, la direction des
hommes doit y faire place à lřadministration des choses ; ce qui annonce le
dépérissement de lřÉtat que MARX reprendra. Quant à lřindustrie, elle doit
sřorganiser en dehors des interventions maladroites des pouvoirs publics. Sur ce
point, Saint-Simon sera vivement critiqué par MARX qui défendra plutôt la
socialisation des moyens de production. Cette idée est fortement présente dans les
analyses de FOURNIER pour qui lřharmonie universelle ne peut être atteinte que si la
société arrive à exclure lřappropriation privée, à supprimer toute exploitation de
lřhomme par lřhomme, donc à réaliser profondément une totale socialisation de la vie
économique et sociale. Au total, ce courant prémarxiste avait perçu, parfois avec
beaucoup de clairvoyance, les tares du système socioéconomique et lřopportunité
dřopérer la création de nouvelles sociétés qui corrigent toutes les inégalités et les
injustices. Selon tous ces auteurs, les transformations décisives des édifices sociaux
doivent être conçues par les intellectuels et les techniciens et réalisées par les masses
populaires.
Ces analyses ont été sévèrement critiquées par MARX et ENGELS. Ces
critiques se situent à trois (03) niveaux :
En premier lieu, il est reproché aux socialistes prémarxistes de nřavoir pas
saisi le rôle politique de prolétariat dans la lutte pour la liquidation du
capital. Pourtant, ces auteurs ne pouvaient pas sérieusement appréhender
ce rôle fondamental du prolétariat car les conflits issus de lřordre capitaliste
nřétaient quřen devenir. Dans ces conditions, comme le reconnaît F.
ENGELS, le prolétariat était absolument incapable dřavoir une action
politique indépendante.
En second lieu, le nouveau système social proposé est sorti de la raison
pensante et non des contradictions caractéristiques du mode de production
52 F. ENGELS : Socialisme utopique et socialisme scientifique, p. 126. in K. MARX et F. ENGELS,
Œuvres choisies. Édit. du Progrès.
53 G. COGNIOT : le socialisme utopique de Saint-Simon et FOURIER, le socialisme petit bourgeois de

Proudhon, les cahiers du CERM, n° 3, 1963.

102
capitaliste. Or écrit ENGELS «ce nřest pas dans la tête des hommes, dans
leur compréhension croissante de la vérité et de la justice éternelle, mais
dans les modifications du mode de production et dřéchanges quřil faut
chercher les causes dernières de toutes les modifications sociales et de tous
les bouleversements politiques : il faut les chercher non dans la philosophie
mais dans lřéconomie de lřépoque considérée»54.
En troisième lieu, la vision du monde, si généreuse quřelle soit, reste
utopique. Cřest le propos dřun décalage entre une vision abstraite de lřesprit
et lřarchitecture complexe de la réalité objective. Dřailleurs, ces projets une
fois élaborés, sont octroyés de lřextérieur ; ce qui traduit une absence
dřinvestigation sur les moyens effectifs de leur matérialisation.
Comme pour excuser ces lacunes, ENGELS sřefforce de montrer pourquoi ces
courants socialistes ne pouvaient aboutir à lřélaboration de théories correctes du
socialisme. Dans cette optique, il note quř«à lřimmaturité de la production capitaliste,
à lřimmaturité des classes, répondit lřimmaturité des théories. La solution des
problèmes sociaux qui restait cachée dans les rapports économiques embryonnaires,
devait être tirée du cerveau» 55.
De fait, les théories ainsi élaborées par les élites en dehors des structures
productives et sociales effectives ne sont pas en mesure dřindiquer les causes
profondes qui légitiment lřarrivée dřune nouvelle formation économique et sociale, et
de désigner les moyens précis quřil importe de mettre en œuvre pour accéder à cette
formation sociale socialiste.
MARX et ENGELS se porteront comme les successeurs légitimes des
conceptions les plus avancées des socialistes utopiques. Cřest cela qui explique la
boutade dřENGELS qui rattache le socialisme au fond des idées existantes. Pour
ramener ces conceptions sur le plan scientifique, il fallait les placer sur le terrain du
réel. Dès lors, il ne sřagit plus simplement dřinventer par la pensée de nouveaux
modèles de société et des moyens dřéliminer les anomalies de la société capitaliste.
Ces modèles et ces moyens sont à découvrir dans les faits matériels de la production.
Donc le socialisme scientifique découlera des contradictions du mode de production
capitaliste. Ces contradictions soulignées, trouvent leur solution sur le plan
économique et politique. Quels sont alors les fondements du socialisme ?
Selon P. JALEE56, le socialisme scientifique de MARX repose sur deux (02)
piliers : la socialisation de lřéconomie et lřavènement dřun pouvoir politique dřessence
populaire et démocratique capable dřassumer une gestion adéquate des instruments
de production socialisés.
La socialisation de lřéconomie passe par un impératif qui est lřabolition de la
propriété privée des moyens de production, dřéchange, de crédit et de transport.
Selon ENGELS, cette prise de possession des moyens de production par la société,
élimine la production marchande et par suite, la domination du produit sur le
producteur. Lřanarchie à lřintérieur de la production sociale est remplacée par
lřorganisation planifiée consciente57. Cette socialisation nřest profondément quřun
moyen au service dřune fin ultime : la socialisation de la vie de lřhomme58. En effet, F.
ENGELS observe que la propriété dřÉtat sur les forces productives nřest pas la
solution du conflit, mais elle renferme en elle le moyen formel, la façon dřapprocher

54 F. ENGELS, op. cit., p. 143.


55 F. ENGELS, op. city. p. 143.
56 Pierre JALEE: Le projet socialiste : approche marxiste. Petite Collection, F. MASPÉRO, Paris, 1976.
57 F. ENGELS, op. city. p. 161.
58 Qui de ce fait pourra faire lui-même sa propre histoire en pleine conscience. En somme, ce sera le

fond du régime de la nécessité à celui de la liberté.

103
la solution59. On peut donc déjà remarquer que la socialisation intervient dans une
société capitaliste où «les forces productives sont devenues trop grandes pour toute
autre direction que la sienne».
Pour ce qui concerne le pouvoir public, il revêt une nature et des formes
différentes et doit également avoir des fonctions exorbitantes par rapport à lřancien
appareil dřÉtat. Celui-ci était considéré comme un instrument au service du capital
ayant de puissantes fonctions répressives. Désormais, il doit subir de profondes
transformations pour pouvoir accomplir pleinement la socialisation de la vie
économique, politique et sociale. Il doit également assurer une démocratie réelle et
non formelle, cřest-à-dire une démocratie qui garantisse une participation effective
des travailleurs à la gestion aussi bien de lřéconomie que de lřÉtat. Une telle
démocratie exclut toute fonction répressive. En plus, une fois toutes tâches
accomplies, lřappareil dřÉtat doit dépérir. On retrouve là une idée des socialistes
prémarxistes que MARX et ENGELS reformulent. En effet, lorsque lřÉtat représente
réellement la société globale, il devient superflu ; alors le gouvernement des
personnes fera place à lřadministration des choses et à la direction des opérations de
production. ENGELS précise que lřÉtat en réalité nřest pas aboli, mais il sřéteint60.
À ces deux (02) piliers, on pourrait en ajouter un troisième qui aurait trait à
lřidéologie et à la culture. Selon R. GARAUDY, il se traduirait par «une révolution
socialiste dans lřidéologie et la culture présentant le double caractère de détruire les
aliénations engendrées dans lřesprit des hommes61 … et de créer les conditions
permettant lřaccès de tous aux acquisitions millénaires de la science et de la
culture»62.
Cette rapide analyse des éléments de base du socialisme scientifique de MARX
et ENGELS appelle deux (02) observations essentielles pour nos développements
futurs.
La première est que le socialisme ainsi envisagé prend la suite dřune formation
sociale capitaliste très développée, donc arrivée à la pleine utilisation de ses capacités
de production. La contradiction entre la socialisation excessive de la production et la
forme privée dřappropriation des résultats en est la preuve la plus évidente. En
conséquence, dans des formations qui ne connaissent pas le même niveau de
développement des forces productives, les problèmes peuvent se poser tout
autrement. Cela introduit précisément une nouvelle conceptualisation du projet
socialiste63.

59 F. ENGELS, op. city. p. 156.


60 F. ENGELS, op. city. p. 159.
61 De ce point de vue, le Pr. Henri BARTOLI souligne les effets aliénants de lřargent. Il observe que « la

monnaie devenue pouvoir et fin … corrompt les rapports du travail, la vie politique, la justice, la
presse, le sport, la vie privée, lřart, la charité même. Le temps où les choses mêmes qui jusquřalors
étaient communiquées, jamais échangées ; données, jamais vendues, requises jamais achetées Ŕvertu,
amour, opinion, science, conscience, etc. tout enfin passe dans le commerce atteint de capitalisme de
ce temps tout autant que le capitalisme du siècle passé » Ŕ in H. BARTOLI : Hypothèses marxistes
(travail et condition humaine, Édit. Fayard, Paris, 1963, p.72).
62 Roger GARAUDY: Pour un modèle français du socialisme. Collection idées actuelles, NRF,

Gallimard, Paris, 1970.


63 On peut dire que toute imitation mécanique où tentative de construire un modèle socialiste sur ces

bases dans les formations sous-développées mépriseraient carrément les réalités objectives. En
conséquence, le décalage entre la théorie et le réel ouvre une voie sûre à lřéchec. LENINE administre
de ce point de vue une magistrale leçon de recherche non dogmatique dřune transition vers le
socialisme, assise sur le niveau effectif de développement des forces productives. Tous les problèmes
théoriques ouverts à la discussion des intellectuels du parti ont été brutalement résolus dans le sang
par STALINE qui a physiquement liquidé tous les protagonistes. Le combat cessa faute de
combattants.

104
Cette première observation en appelle une seconde qui lui est directement liée.
Une vision globale des analyses de MARX et dřENGELS permet dřétablir une étroite
dépendance du socialisme à lřégard de la structure économique et sociale. À y
réfléchir, cette liaison postule lřexistence dřune pluralité de modèles socialistes. En
effet, le projet socialiste sera différent selon que la transition sřamorce à partir dřune
base capitaliste avancée ou de structures socio-économiques de faible niveau. Or,
comme nous lřavons établi, la transition a toujours un caractère organique propre qui
détermine les formes que prend le socialisme.
Deux (02) faits viennent appuyer cette thèse. Le premier de nature théorique
nous est fourni par LENINE qui observe que ni la régularité, ni la proportionnalité, ni
lřharmonie nřont jamais existé dans le monde capitaliste et en conséquence, les pays
qui construisent le socialisme peuvent présenter un régime politique et une structure
dřÉtat différents. De ce fait, il était convaincu que chaque nouvelle révolution devait
dépasser les modèles socialistes existants et offrir de nouvelles formes. Le deuxième
fait découle de lřexpérience historique des pays socialistes dřEurope de lřEst, dřAsie et
dřAfrique. Cette expérience laisse apparaître des variétés structurelles traduisant des
projets socialistes différents. On est alors tout fondé à établir, comme le fait G.
AIMARD, une véritable typologie politico-économique du socialisme64 pour saisir la
pluralité des modèles et les implications profondes notamment pour des formations
sous-développées caractérisées par une immaturité des structures sociales et des
rapports de production. Cette pluralité est encore plus nette lorsque lřon envisage les
voies dřaccès.

b) Les voies d’accès au socialisme

Cette réflexion est propre aux disciples dont le plus prestigieux est sous
ce rapport V. LENINE. Les voies dřaccès au socialisme ont fait lřobjet de deux (02)
conceptions diamétralement opposées concernant les moyens à mettre en œuvre.
Pour la première, la transition nřintervient quřaprès une rupture révolutionnaire
violente. Les classes au pouvoir ne sont pas de nature à capituler et abandonner
pacifiquement le pouvoir politique. Cet abandon ne peut provenir que de lřissue dřune
lutte violente que la classe ouvrière assume par ses organisations lřavant-garde. La
thèse pose le problème de la violence dans lřhistoire65. La seconde thèse défend le
passage pacifique au socialisme comme une voie possible. Dans le fond, il importe
cependant dřobserver que lřhistoire offre une pluralité de voies de passage au
socialisme. Il en est précisément ainsi parce que lřaccès au socialisme dépend aussi
bien de facteurs internes que de la conjoncture extérieure. Dans ce sens, Roger
GARAUDY rappelle avec beaucoup dřà-propos, que la révolution ne se définit
aucunement par une stricte violence mais par un changement profond dans les
rapports de production. Il observe que «les deux (02) possibilités, violente et
pacifique, sont toujours ouvertes et leur actualisation dépend de la conjoncture» 66.
En clair, la question ne peut se résoudre dans lřabsolu et les expériences concrètes
montrent des processus dřaccès multiformes dont aucun nřest pur67. Donc il nřy a là

64 G. AIMARD : Typologie politico-économique du socialisme. Revue algérienne des Sciences


Juridiques, vol. VII, n°1, mars 1970.
65 Ce problème des conditions de la révolution a fait lřobjet de vives polémiques dans les mouvements

de libération. F. FANON figure en bonne place (les damnés de la terre, Édit. F. MASPERO) parmi les
défenseurs de la lutte violente mais à côté de CHE GUEVARA (la guerre de guérilla).
66 Roger GARAUDY, op. cit. p. 305.
67 F. ENGELS, sur la question est très pragmatique. Il écrit «pour moi, en tant que révolutionnaire,

tout moyen conduisant au but est valable, le plus violent comme celui qui semble le plus pacifique». De

105
aucune mécanique, les voies de passage dépendent à la fois des traditions de lutte, de
lřétat des classes sociales et de leur degré dřorganisation et des rapports des forces
sociales à lřéchelle mondiale.
Lřintérêt de cette idée de pluralité des voies de passage est dřintroduire par une
autre fenêtre la pluralité des modèles car les structures que des forces radicales
conséquemment préparées mettent en place peuvent être qualitativement différentes
et celles quřinstallent dřautres forces négociant prudemment le passage.
En définitive, on peut retenir de lřexamen de la théorie du socialisme
scientifique que celui-ci se définit par des critères précis qui sont en réalité des
objectifs. Les critères sont, dřabord lřavènement dřun pouvoir prolétarien capable de
diriger la vie économique, politique et sociale et dřaméliorer de façon soutenue les
conditions matérielles68 dřexistence des masses laborieuses et ensuite, lřextension de
la propriété sociale qui apporte une mutation radicale dans les rapports sociaux de
production de manière à garantir une réelle participation des producteurs à la
direction et à la gestion des unités de production. Ces principes sont altérés par les
structures économiques et sociales au départ de la transition de sorte quřà lřarrivée, la
formation socialiste révèlera des particularités qui la différencient du schéma idéal.
À la lumière de ces analyses, il devient possible de formuler avec plus de
précision les éléments de base dřune théorie de la transition entendue comme une
phase organiquement complexe, structurée et préparatoire au socialisme.
Dans ce cas, la formation sociale en transition se caractérise par un ensemble
de composantes structurales dont une est dominante. Chaque composante est un
mode de production que les stratégies mises en place sur le plan politique,
économique et social bousculent ou renforcent.
Ainsi, dans la transition, le problème de lřÉtat Ŕ qui est un appareil et non
lřexpression de la société Ŕ doit être réglé. Par son contenu social et son organisation,
il doit être à mesure de diriger et de conduire les changements fondamentaux. Il est
en permanence menacé par le phénomène bureaucratique qui peut le transformer en
un gigantesque appareil hautement répressif et inefficace. Cřest dans ce sens que
LENINE recommandait dřutiliser les «orientations ouvrières pour défendre les
ouvriers contre leur État» 69.
Sur le plan économique également, les tâches de transition sont complexes. Le
problème central est de savoir comment arriver au renforcement du secteur socialiste
pour quřil soit suffisamment large et efficace pour introduire les changements dans
les rapports de production et améliorer les conditions sociales dřexistence. En fait, la
socialisation des instruments de production est un moyen au service dřune élévation
continue du niveau des forces productives sans laquelle la transition ne produit autre
chose quřune socialisation de la misère et de la pauvreté. Il faut alors que le nouvel
appareil de lřÉtat soit capable dřassumer ses fonctions de gestionnaire. À lřévidence,

même, MARX observe que «nous agirons contre les gouvernements bourgeois pacifiquement là où cela
est possible, par les armes quand cela est nécessaire». LENINE ne dit pas autre chose dans la
polémique avec les gauchistes qui ignorent lřopportunité du compromis.
68 Denis CLERC dans article marxisme et nouveaux problèmes» (Économie et humanisme, mai-juin,

1977) souligne cet aspect productiviste du marxisme car dans la doctrine, la mission du prolétariat est
de se servir de sa suprématie politique pour accroître au plus vite la masse des forces productives.
Lřauteur, à tort me semble-t-il, condamne cette problématique productiviste sans laquelle toute
amélioration des conditions dřexistence serait illusoire. Personne ne peut raisonnablement soutenir un
socialisme de la pauvreté ou une socialisation de la misère.
69 N. BOUKHARINE était parfaitement conscient de la gravité du phénomène bureaucratique ; ce qui

lřamenait à observer que «dans les pores de notre gigantesque appareil sont nichés des éléments de
dégénérescence bureaucratique absolument indifférents aux intérêts des masses, à leur vie, à leurs
intérêts matériels et culturel».

106
lřexercice de fonctions économiques exorbitantes aboutit à une inefficacité, donc au
gaspillage des ressources et à la stagnation.
Tout compte fait, une juste solution de ces problèmes de la transition nécessite
une correcte appréciation de la structure centrale de la formation en transition et des
rapports sociaux impliqués. Cřest à partir de leur connaissance quřil est possible
dřétablir une périodisation du processus de transition qui, selon P. JACQUEMOT,
«désigne les changements effectivement opérés dans lřétat des rapports sociaux
fondamentaux et principalement quant au rôle des producteurs immédiats dans
lřarticulation des procès de production et de répartition du produit social» 70. En
somme, cette périodisation permettra de saisir les divers facteurs perturbateurs et les
obstacles qui retardent les progrès du socialisme et dřenvisager les moyens à mettre
en œuvre pour les lever.
Tous ces éléments indiquent que pour les formations sous-développées qui
partent avec de sérieux handicaps économiques et sociaux, il est impérieux de définir
avec clarté le projet socialiste de société qui ne soit ni une copie mécanique, ni une
utopie, ni une aventure. Ces travers ne peuvent être évités que si le projet est rivé aux
réalités objectives, donc au réel.

Section 4 : Deux limites du marxisme originel : la baisse


tendancielle et la chute inéluctable du capitalisme.
Ricardo avait lui aussi prédit la fin du système capitaliste, en se basant sur une
analyse de classes économiques. Comme on lřa fait pour Ricardo, il sřagit maintenant
de mette en exergue les aspects du modèle de Marx qui sont toujours applicables et
ceux qui ne le sont pas aux conditions dřaujourdřhui ; et pour les parties
inapplicables, dřanalyser si cřest à cause dřun changement au niveau des conditions de
la société sur lesquelles le modèle était fondé, ou à cause de problèmes dans la
logique en lui-même.

I/ Les implications de la deuxième version de la détermination des prix


sur la loi de la baisse tendancielle du taux de profit.

Lřassertion de MARX Selon laquelle le taux de profit moyen est égal à PL/
(Cř+V) est fondée sur lřargument que le montant global des profits est égal au
montant global de la plus-value, PL.
Mais rien ne prouve que les prix sřajusteront de telle façon que le montant
global de profits soit égal au montant global de plus-value. MARX essaye de le
prouver, mais si on examine ses arguments attentivement (par exemple, le passage au
chapitre 10 du troisième livre du Capital apparaissant sur les pages 176-177 des
Éditions sociales, tome VI), on sřaperçoit quřil avance des arguments circulaires, cřest-
à-dire quřil proclame que les profits sont égaux à la plus-value parce que les profits
sont égaux à la plus-value.
En fait, un entrepreneur nřa aucune raison dřaugmenter la composition
organique de sa fabrique si cela réduit son taux de profit. Comme exemple concret, on
peut reprendre lřusine de dentelle analysée plus haut. Pour simplifier
considérablement, on utilise la formule «sans nuance» pour calculer le taux de profit.
On vous rappelle que dans un premier temps (voir ligne 1 du tableau suivant),
on fabriquait 30 mètres de dentelle en utilisant un capital constant ayant une valeur
de 20 heures mis en œuvre par des ouvriers qui recevaient un salaire dřune valeur de

70 Pierre JACQUEMOT, op. Cit. p. 598.

107
5 heures pour une journée qui durait 10 heures. Suivant la première version de la
détermination des prix, la dentelle se vendait pour sa valeur, soit 90 f le mètre. Les
revenus provenant des ventes seraient (30 mètres) x (90 f/mètre) = 2700 F ; les
dépenses seraient (20 heures + 5 heures) x (90f/heure) = 2250 F ; les profits seraient
2700 Ŕ 2250 = 450 F et le taux de profit serait 450/2250 = 0,2 = 20%. Si en plus, on
suppose que le capital constant et le capital variable se vendent à leur valeur (ce sera
le cas si lřindustrie qui produit le capital a une composition organique égale à la
composition organique moyenne de toutes les industries du pays, et si on suppose par
ailleurs que le taux de profit moyen du pays est de 20%, alors la deuxième version de
la détermination des prix implique aussi un prix de 90 F par mètre de dentelle,
puisque ce prix donne un rendement de 20% à lřindustrie dentelle.
Maintenant, nous supposons que dans un deuxième temps (ligne 2A du
tableau), un patron dřune usine découvre une nouvelle méthode fabriquer la dentelle.
Avec méthode, du capital constant valant 22 heures plus 10 heures de travail
produisent 36 mètres de dentelle. Pour le moment, puisque toutes les autres
fabriques produisent la dentelle avec lřancienne méthode pour la vendre à 90 f/mètre,
lui aussi peut vendre au prix des autres. Cela lui permet de récupérer un profit de 810
francs sur la vente de 36 mètres pour un taux de profit de 33,3%.
Mais les autres chefs dřusine, en voyant les surprofits gagnés par celui qui
innove, adopteront bientôt la nouvelle méthode. Selon la première version de la
détermination des prix, à cause de compétition entre fabricants, le prix de la dentelle
sera baissé jusquřà sa nouvelle valeur (compte tenu de la nouvelle méthode de
production), cřest-à-dire 8/9 dřheure de travail, direct et indirect, par mètre de
dentelle, soit 80 f/mètre. Comme lřindique la ligne 2B du tableau, ceci impliquerait
un taux de profit de 450/2430 = 18,5%.
Selon la deuxième version de la détermination des prix, la concurrence entre
fabricants cessera de réduire le prix une fois que le taux de profit dans lřindustrie de
dentelle est égal au taux de profit moyen pour lřensemble du pays, cřest-à-dire 20%
(si le taux de profit était vraiment réduit à 18,5%, des capitalistes abandonneraient
lřindustrie de dentelle pour dřautres secteurs ayant un taux de 20% réduisant ainsi la
production et créant une pénurie de dentelle qui augmenterait son prix). Avec la
nouvelle méthode de production, les dépenses pour capital constant (22 x 90 F) et
pour capital variable (5 x 90 F) sont au total, 2430. Un taux de profit de 20% sur
2430 F de dépenses donne des profits au montant de (0,2 x 2430) = 480 F. Ajoutant
ces profits aux dépenses, on sait que le revenu provenant de ventes est 2430 + 486 =
2916 F. Si 36 mètres de dentelle se vendent pour 2916 F, alors un mètre de dentelle se
vend pour 2916/36 = 81 francs (voir la ligne 2 C du tableau).
La quantité de plus-value nřa rien à voir avec la nature ou la quantité du
produit fabriqué : la plus-value est définie simplement comme la longueur de la
journée de travail moins la valeur du salaire. Comme on peut le constater, en
comparant la ligne 1 avec la ligne 2 C, les profits ne restent pas en proportion
constante avec la plus-value (en ligne 1, la proportion est de 90 francs de profits par
heure de plus-value, en ligne 2 C, la proportion est de 97,2 francs par heure de plus-
value). Rien nřempêche que toutes les industries du pays subissent les mêmes
changements que lřindustrie de dentelle : un accroissement de la composition
organique et de la productivité, accompagné dřune réduction du prix, sans réduction
du taux de profit, ni augmentation du taux de la plus-value.
En conclusion, la «loi de la baisse tendancielle du taux de profit» est
contestable parce quřelle repose sur un faux raisonnement comme quoi le profit
global dans un pays serait égal à la plus-value globale. On peut avancer toutes sortes
dřarguments qui auraient comme implication une baisse tendancielle du taux de

108
profit (voir par exemple, le modèle de Ricardo). Il se passe que le raisonnement
avancé par Marx est un sophisme.

II/ Pourquoi les sociétés capitalistes ne se sont elles pas effondrées ?


Pourquoi « le capitalisme moribond se porte-t-il toujours bien ? »

À cause des profits de lřimpérialisme (discuté sous «LENINE ») et de lřéchange


inégal avec le tiers-monde.
À cause de l’augmentation du niveau de salaires dans les pays capitalistes
avancées et de changements politiques.
Une multiplication du niveau de salaires, depuis le temps de Marx dans les
pays capitalistes industrialisés a enlevé la misère de la classe ouvrière et dans même
temps a fourni un débouché pour la production élargie de ces pays.
En effet, la proportion du PIB attribuée aux salaires en divers pays riches a été
si stable que certains considèrent la stabilité de la production (salaire)/(PIB total)
comme une «loi» économique (la soi-disant « loi de Bowley»). Aux Etats-Unis, par
exemple, la proportion de salaires dans le PIB a à peine varié de 67% au cours des
dernières cinquante années (lřautre tiers du PIB prend la forme de profits et de
rentes).
En conclusion, l’évidence empirique démentit ce que Marx appelle la «loi
absolue, générale, de l’accumulation capitaliste» au cadre des pays capitalistes
avancés.
Lřamélioration des conditions de la classe ouvrière était due non seulement à
des causes économiques (lřaugmentation de la productivité), mais aussi à des causes
politiques. Il est instructif à cet égard de réviser brièvement lřhistoire du parlement
anglais. Des réformes électorales augmentant le pourcentage dřadulte mâles qui
avaient le droit de voter ont eu lieu en 1832, 1867, 1885 et 1918 (les femmes âgées
dřau moins 30 ans ont acquis le droit de vote en 1918 ; les femmes âgées de 21 à 30
ans, en 1928).
Avant la réforme de 1832, le parlement était élu, surtout par la grande et la
petite noblesse, en suivant un mélange chaotique de lois médiévales. Après la réforme
de 1832, les représentants des industrialistes avaient une légère majorité sur les
représentants de la noblesse. Sous ce régime, les infâmes «Corn Laws» furent
annulées en 1846, permettant lřimportation du blé sans paiement de tarif douanier ;
et une série de lois de réforme des conditions de travail furent passées, commençant
en 1833. Après la majorité des électeurs étaient la petite noblesse et la classe
moyenne en campagne, la classe moyenne et les cadres en ville. Les parlementaires
ainsi élus ont renforcé les lois portant sur les conditions de travail et ont légalisé
lřaction syndicale. Après la réforme électorale de 1885, la majorité de la population
pouvait voter, y compris la majorité des ouvriers industriels et agricoles. Sřil était
raisonnable de penser, en 1848 que «le gouvernement moderne nřétait quřun comité
qui gère les affaires commune de la classe bourgeoise toute entière» (Marx et Engels,
Manifeste communiste), cette thèse devient très difficile à défendre une fois que toute
la population choisit les membres du parlement.

Dans des pays autres que lřAngleterre, notamment lřAllemagne, des lois
socialistes furent passées même avant que la majorité de la population ait eu le droit
au vote, justement avec lřobjectif dřéviter une situation qui engendrerait une
révolution prolétarienne.

109
1°) À cause de l’adoption des mesures keynésiennes

Les crises économiques, causées largement par des imbalances entre lřoffre de
fonds pour lřinvestissement (lřépargne) et la demande pour les investissements au
niveau global de lřéconomie, sont devenues de plus en plus graves jusquřà la crise qui
débuta en 1929 et toucha son fond en 1933. Depuis lors, lřadoption de mesures
keynésiennes a évité des crises majeures («dépressions») dans les pays capitalistes
avancés toutefois, la mise au point exacte de lřéconomie nřa pas été perfectionnée, de
manière quřil se passe encore des crises mineures («récessions»). Essentiellement, le
gouvernement compense lřépargne excessive avec des dépenses au-delà des recettes
budgétaires. Ainsi, pour rétablir la balance entre lřoffre et la demande au niveau
global, lřÉtat peut imprimer de lřargent pour acheter la production de lřéconomie que
le secteur privé ne veut acheter soi-même.

2°) La monopolisation reste comme un problème


fondamentalement irrésolu dans les pays capitalistes.

Dans les pays capitalistes avancés, de plus en plus dřindustries deviennent


concentrées dans les mains de quelques firmes géantes, et les firmes géantes
deviennent toujours plus gigantesques. Plusieurs facteurs contrecarrent, sans
éliminer, ce problème de monopolisation :
la compétition internationale (par exemple, le géant Fiat contre le géant
Volkswagen),
lřémergence de nouvelles industries qui ne sont pas encore concentrées
dans les mains de quelques producteurs (par exemple, la fabrication de
transistors),
la compétition entre diverses industries (par exemple, on peut remplacer le
cuivre par lřaluminium si le cuivre devient trop cher),
la législation contre le monopole,
un esprit de «vivre et laisser vivre» dans les industries dominées par
quelques compagnies (par exemple, la compagnie Renault nřa pas comme
objectif la destruction des compagnies Peugeot et Citroën),
et finalement, lřabsence de profondes crises économiques qui élimineraient
périodiquement un grand nombre de firmes faibles.

3°) Que reste-t-il de la théorie de la valeur travail ?

Nous avons vu que dans le système capitaliste, les prix de marchandises ne


sont pas proportionnels aux valeurs des marchandises, et que le montant global des
profits nřest pas égal au montant global de la plus-value. Quoique superficiellement
attrayante, la théorie de la valeur travail élaborée par Marx ne permet pas le calcul
des prix, et elle ne permet pas le calcul du taux de croissance de lřéconomie à travers
lřaccumulation de moyens de production, puisquřelle ne permet pas le calcul du
montant de profits qui financerait cette accumulation.
Ayant fait cette critique de la théorie de la valeur marxiste, il faut ajouter
quřaucune autre théorie de la valeur nřest entièrement satisfaisante, non plus.
Un objectif central de la théorie de la valeur marxiste est dřéviter lřattribution
de la création dřune valeur à des entités abstraites telles que «le capital » et «la terre»
(selon Marx, seul le travail crée la valeur). Il est vrai que le capital, conçu comme un
fonds dřargent, ne crée aucun produit en soi-même. Mais quand on considère le
capital conçu comme un stock de machines et dřautres moyens de production, on voit

110
que les machines créent des produits, et on voit que la valeur de la production dřune
machine peut être plus grande que le montant du travail nécessaire pour construire la
machine elle-même. Prenons un exemple concret. Nous supposons que les 10
hommes travaillant un an peuvent fabriquer 100 tonnes de briques (la matière
première, lřargile est gratuite) ; ou bien que 5 hommes puissent passer un an à
construire une machine, et la machine, qui dure une année, peut être utilisée par 5
ouvriers pour fabriquer 108 tonnes de briques. Puisque le travail total est le même
dans les deux cas, dix hommes-années de travail, où peut on attribuer les 8 tonnes de
plus fabriquées, sinon au capital investi en la machine ?
Pour affecter efficacement des fonds dřinvestissement limités, même un État
communiste devrait agir comme sřil essayait de maximiser les profits sur ses
investissements. (En effet, le gouvernement soviétique exige le paiement dřun taux
dřintérêt sur les investissements faits dans ses industries, mais pour ne pas insulter la
mémoire de Marx, on appelle cela : «la facturation dřun loyer pour le capital» au lieu
que «lřextraction dřun taux de profit»).

Section 5 : La contribution positive du marxisme à la pensée


du développement.
Après la chute du socialisme en Europe de lřEst et la défaite des Partis
Communistes dans les pays du socialisme réel, la question se pose de savoir ce qui
reste de Marx ? En dřautre terme, le marxisme inspireŔt-il encore la pensée
économique et sociale ? Ces réflexions sont menées partout dans le monde mais avec
des contributions de réactualisation plus massives et plus remarquables
particulièrement dans les Universités américaines avec entre autres P. BARAN, P.
SWEEZY, Samuel BOWLES (Univesité du Massachusets), R.HEILBRONER (School
for Social Research), A. MELTZER.

I/ Le premier aspect positif de la théorie marxiste est la concentration


sur le «surplus» économique : les analyses de P. BARAN et P. SWEEZY

P. BARAN et P. SWEEZY observent à partir de lřanalyse marxiste que toute les


sociétés fussent-elle dřune extrême pauvreté produisent plus que le minimum
absolument nécessaire pour la subsistance de leur population, laissant un surplus.
Ainsi, en prenant le Sénégal où le revenu par habitant est très faible, il est commun de
constater, même dans lřagriculture, la formation dřun surplus qui peut être assez
substantiel. On peut analyser la nature dřune société, dit MARX, à partir de lřétude
des modalités de la formation et de la dépense de ce surplus économique. Les
utilisations possibles du surplus selon les classes sociales : construction de grandes
mosquées, dřédifices communautaires, les dépenses de consommation de luxe,
lřinvestissement, le loisir.
Cette question revêt aujourdřhui une importance capitale car les PSD sont
caractérisés par des déficits importants dřépargne ce qui fait quřils comptent sur les
transferts de capitaux pour financer les investissements productifs. Pourtant une
épargne existe même si elle est assez faible. Il importe de la mobiliser comme le font
maintenant les systèmes financiers décentralisés et les tontines en vue de leur
utilisation à des fins productives. Dans la société socialiste, le surplus serait réparti
entre lřinvestissement, dřune part et lřaccroissement du loisir (réduction des heures
de travail) et de la consommation de la population entière de lřautre.

111
II/ Un deuxième aspect positif de l’approche marxiste est sa
concentration sur les liens entre politique et économique

Sous plusieurs angles, lřanalyse marxiste est une méthode globale expliquant la
très forte imbrication dialectique des variables économiques et non économiques, de
lřinfrastructure matérielle et de la superstructure. Toutefois, la sphère économique
est la plus déterminante en dernière instance. Toutefois, même si par moments, les
événements politiques ne sont pas sans influence sur lřéconomie, surtout à court
terme, les facteurs économiques seraient fondamentaux, dès que lřon raisonne à long
terme. Sur un autre plan, MARX établit que les méthodes de production, les «moyens
de production» déterminent les «relations de production», cřest-à-dire les relations
entre les hommes et les choses (matières premières, outils, produits) et les relations
entre les hommes et les hommes. ENGELS ajoutera dans « Socialisme utopique et
socialisme scientifique » que « nos idées juridiques, philosophiques et religieuses
sont les produits plus ou moins directs de conditions économiques régnant dans une
société donnée ». Toutefois, on peut critiquer cette approche marxiste qui présume
une causalité unilatérale de lřéconomie vers la politique cela doit être nuancé car il
nřexiste pas de corrélation intangible entre les facteurs économiques qui causent les
événements politiques et les facteurs politiques ou sociaux.
En considérant la question de la répartition du revenu national, elle constitue
le talon dřAchille des économistes non marxistes qui ignorent le problème et
soutiennent que la croissance du PIB est un bon objectif mais ils ne cherchent pas à
savoir qui sont les bénéficiaires de la croissance. Il est vrai que les marginalistes à
partir de la théorie de la valeur utilité, ont tenté de reconstruire toute la théorie de la
répartition du revenu national. Pour eux, sur un marché de concurrence pure et
parfaite, les facteurs de production sont rémunérés en fonction de leur utilité
marginale. La productivité du dernier travailleur employé détermine le salaire de
lřensemble des travailleurs. La rente foncière et lřintérêt du capital se déterminent de
la même façon .Quant au profit, le marginalisme fait éclater le concept : il se
décompose en intérêt du capital dřune part, en rémunération du travail de direction
dřautre part. Le profit pur nřexiste quřen tant que rente de monopole qui disparaît en
régime de concurrence pure et parfaite.

III/ Un troisième aspect positif de la théorie marxiste est la constatation


que les «lois» économiques changent avec la société.

En effet, le comportement économique des hommes en période capitaliste est


différent de ce quřil était à lřépoque féodale. Notez le contraste entre ce point de vue et
celui de Smith. Marx dira clairement que chaque société crée non seulement les
conditions pour la reproduction de la même société pour la prochaine génération de
ses habitants, mais crée aussi, graduellement, les conditions qui mèneront à la
destruction de lřorganisation présente du pays, et le passage à un nouveau niveau de
société plus évoluée.
La nature de la société change à travers lřhistoire, dans ses aspects sociaux,
économiques, politiques, religieux, psychologiques, etc. Par exemple, les lois du jeu
économique dřune société féodale sont tout à fait différentes des lois du jeu
économique dřune société capitaliste. Les «règles internes» de la société changent
mais les lois scientifiques qui déterminent les règles internes dřune société ne
changent pas. On peut faire le rapprochement avec une société privée qui peut
modifier ses règles internes dřune année à lřautre, mais toujours sous le contrôle des
lois du pays.

112
IV/ La théorie économique marxiste répond à différentes questions que
les théories économiques non marxistes n’envisagent pas.

Ce phénomène cause fréquemment des malentendus. On peut illustrer ce point


avec le chapitre du Capital intitulé «la différence dans les taux de salaires nationaux»
(le chapitre 22 du premier livre). La première chose à remarquer est la brièveté du
chapitre (seulement 5 pages dans un ouvrage de 2300 pages). En effet, Marx
sřintéresse beaucoup plus à lřévolution du niveau de salaire dans un pays et à la
répartition des revenus à lřintérieur dřun pays, quřaux comparaisons internationales.
Pour Marx les différences dans les facteurs suivants sont en dernière analyse les
causes de différence entre salaires nationaux. Il sřagit notamment de :
la répartition de lřeffectif de la main dřœuvre entre hommes, femmes et
enfants ;
la longueur de la journée de travail ;
le prix des produits alimentaires (le même salaire réel coûte plus dans un
pays où la nourriture est plus chère) ;
la longueur de la journée de travail ;
le prix des produits alimentaires (le même salaire réel coûte plus dans un
pays où la nourriture est plus chère) ;
le niveau moyen de qualification et dřentraînement des ouvriers ;
le standard de vie (ce qui est considéré comme le minimum de subsistance
varie dřun pays à un autre) ;
lřintensité du travail ;
et la productivité du travail.
Marx observa que souvent le salaire par jour était plus élevé en Angleterre que
dans les pays les moins développés du continent européen, tandis que le salaire par
unité de produit était plus bas en Angleterre. Ceci serait le cas, par exemple, si le
salaire anglais par jour était 1,5 fois le salaire français, tandis que chaque ouvrier
anglais fabriquait 2 fois autant de produit par jour quřun ouvrier français. Mais après
avoir fait cette observation, MARX rejette lřidée que le niveau moyen du salaire dans
un pays est proportionnel au niveau moyen de productivité dans le pays : dans ce
sens, il note que « Monsieur H. Carey cherche à démontrer que les différents
salaires nationaux sont entre eux comme les degrés de productivité de travail
national. La conclusion qu’il veut tirer de ce rapport international, c’est qu’en
général la rétribution du travailleur suit la même proportion que la productivité de
son travail. Notre analyse de la plus-value prouverait la fausseté de cette
conclusion » (Marx, Capital, Livre premier, chapitre 22).
Dans la plupart de ses réflexions, Marx considère comme donné le niveau réel
du salaire et procède à une analyse de la répartition des revenus dans un pays
capitaliste, en relation avec la lutte des classes. Par exemple, il observe que « La
valeur de la force de travail (c’est-à-dire le niveau des salaires) est déterminée par
la valeur des nécessités de vie habituellement requises par un travailleur moyen.
Tandis que la forme de ces nécessités peut varier à travers l’histoire, leur quantité
est connue pour une société déterminée, et peut ainsi être traitée comme une
magnitude constante. (Marx, Capital, quatrième édition allemande, livre premier,
chapitre 15).
Ainsi, quand on regarde les facteurs que Marx mentionne en passant comme
déterminant le niveau national du salaire, un niveau quřil traite comme une quantité
déterminée pour son analyse, on voit que ce quřil prend comme «une magnitude
constante» est le sujet de la théorie non marxiste de lřéconomie du développement.
En effet, cette dernière essaie dřexpliquer des changements dans le niveau de vie (les

113
«nécessités de vie habituellement requises par le travailleur moyen») en termes de
changements de productivité du travail et de différences internationales dans la
propension à travailler («la productivité et lřintensité du travail») ; les différences de
productivité sont en partie expliquées par la théorie du capital humain («le niveau
moyen dřentraînement des ouvriers», etc.).
De la même manière, les économistes non marxistes considèrent comme des
données, les conditions que lřanalyse marxiste essaie dřexpliquer sur le
comportement économique des hommes (par exemple lřeffort de maximiser leurs
revenus), les lois de base de la société (par exemple la propriété privée), la répartition
des revenus, la répartition du pouvoir politique, etc.
En conclusion, une difficulté pour la comparaison entre la théorie économique
marxiste et la théorie économique non marxiste est que ces deux théories répondent à
des questions différentes.

114
CHAPITRE 6
LA RÉVOLUTION KEYNÉSIENNE ET NÉO-
KEYNESIENNE DE L’ANALYSE DE LA CROISSANCE
ÉCONOMIQUE ET DU DÉVELOPPEMENT.

Lřimportance de lřanalyse keynésienne dans le domaine du développement


économique et de la croissance tient moins à lřélaboration par KEYNES dřun modèle
complet du développement que par son approche des problèmes et les instruments
utilisés. J.M. KEYNES nřest pas à proprement parler un théoricien du développement
et de la croissance seulement ; toutefois, il a joué en la matière un rôle fondamental.
Dřabord, ses théories ont inspiré sur une trentaine dřannées les politiques
économiques de sortie de crise et de relance de la croissance. En effet, aucune crise
économique sérieuse nřa secoué le système capitaliste mondial depuis 1940 jusquřau
début des années 70. Keynes a indiqué avec simplicité les politiques économiques de
reprise et de régulation de la croissance que les gouvernements ont mise en place
avec succès, ce qui sřest traduit par lřavènement des « Trente Glorieuses années de
croissance (1945-75) » dans le monde capitaliste. Ces résultats ont fait dire à des
analystes que si le « capitalisme moribond » décrit par Marx, se porte bien, cřest
grâce à la thérapie keynésienne. Ensuite, les principaux théoriciens de la croissance
sont des disciples, ou alors très fortement influencés par Keynes. Ce sont notamment
HICKS, HANSEN, HARROD, DOMAR et SCHUMPETER, qui ont continué ou
approfondi toute lřanalyse économique du maître sur la question centrale de la
croissance. Enfin, les premiers outils analytiques et conceptuels des théories de la
croissance et du développement sont keynésiens. Ce sont la consommation, le revenu,
lřépargne, lřinvestissement. Cřest le multiplicateur que KEYNES a emprunté à KAHN
et qui permet de passer dřun investissement donné à lřaccroissement du revenu :
En écrivant Y  C (Y )  I , en dérivant, on obtient :
dY  c'dY  dI
dY (1  c' )  dI
 1 
dY  dI  
1  c' 
Le multiplicateur est accouplé à lřaccélérateur que KEYNES a emprunté à
AFTALION et qui traduit quel est lřeffet inverse dřun accroissement du revenu sur le
montant de lřinvestissement. Cřest surtout HARROD qui introduit lřaccélérateur dans
la théorie de la croissance et cherche à la combiner avec le multiplicateur pour
prendre une vue dřensemble de la dialectique des liens entre le revenu et
lřinvestissement.
Que reste-t-il de lřanalyse keynésienne, après les multiples remises en cause de
sa pensée ? Les recettes de politique économique peuvent-elles encore servir ?

Section 1 : L’analyse keynésienne


Examinons le système des idées de lřorthodoxie keynésienne dans leur suite
logique et leur enchaînement. Le point de départ de J.M. KEYNES est quřil faut
chercher la solution des problèmes économiques de la société non pas du côté de
lřoffre de ressources (leur rareté, leur valeur, leur combinaison optimale, la
rémunération des facteurs de production) mais du côté de la demande qui garantit la
réalisation de ces ressources. Cette conception amène Keynes à la critique puis au

115
rejet brutal, bien après MARX, de la loi de J.B SAY selon laquelle la surproduction est
impossible car lřoffre engendre automatiquement sa demande. Elle est possible, dit
KEYNES et de façon durable. Keynes avance le problème de la demande effective et
de ses deux composantes : la consommation et lřépargne. À lřanalyse, chaque homme
a deux utilisations possibles de son revenu : le consommer ou lřépargner. La fameuse
loi psychologique humaine veut que plus le revenu sřélève plus la fraction épargnée
sřélève aussi. Si bien que dans les sociétés en expansion, de même que dans les
sociétés riches, la propension à consommer diminue, la propension à épargner
augmente.
Tout va bien tant que lřépargne accumulée est toute entière investie. Mais
lřégalité entre lřépargne et lřinvestissement est un hasard parce que lřun et lřautre ne
sont pas commandés par les mêmes forces. Lřépargne dépend de la propension à
épargner pour un revenu donné, alors que lřinvestissement dépend dřune autre force
psychologique, lřincitation à investir elle-même commandée par la différence entre le
taux dřintérêt et lřefficacité marginale du capital.

Le système keynésien s’enchaîne comme suit :

Figure 6 : Enchaînement du système keynésien

Fonction Demande de monnaie Offre Revenu

Efficacité marginale du capital Taux d’intérêt Fonction de consommation

Multiplicateur
Épargne Consommation
Fonction d’investissement

Demande d’investissement + demande de consommation Demande effective

Production

Cette analyse permet dřétablir lřarticulation entre les différentes variables du


circuit économique et de comprendre lřenchaînement des variables des politiques
économiques préconisées par KEYNES. Celles-ci sont de trois ordres :
La politique monétaire qui stimule lřinvestissement productif privé et
public ;
La politique de finances publiques par une fiscalité redistributive.
La politique dřinvestissement.

116
Ces trois politiques doivent être expliquées par suite de lřintérêt que leur
portent encore beaucoup de techniciens du développement. Toutefois, la
préoccupation nřest pas une analyse de théorie économique mais une représentation
du schéma keynésien et les analyses les plus pénétrantes pour le développement.

I/ La politique d’investissement

Alain BARRERE observe que «KEYNES était trop attaché au système


économique dominant pour préconiser son abandon immédiat et pour le rejeter sans
en avoir tiré ce quřil était susceptible de donner. Cřest la raison pour laquelle il
recommande la stimulation de lřinvestissement privé comme meilleur moyen de
développer le volume de lřemploi. De plus, il cherche ce développement par une
politique bancaire compatible avec le jeu normal du système».
Lřidée centrale de lřanalyse keynésienne est la demande effective, somme des
dépenses de consommation et des investissements supposés. En définitive cřest elle
qui détermine le niveau de lřemploi et celui du revenu. P. Samuelson dira à ce propos
que « Les grandes lignes fondamentales sont acceptées par tous les économistes de
toutes les Écoles, par beaucoup dřauteurs y compris ceux qui ne partagent pas les
mesures spécifiques de politique économique ».
La dynamique du développement réside dans le jeu des variables que sont la
consommation et lřinvestissement. Réglons la question de la consommation qui est
une fonction du revenu. La dépendance fonctionnelle amène Keynes à conclure que
lorsque les revenus augmentent la consommation augmente, mais pas dans les
mêmes proportions. Cela est relié à la loi psychologique fondamentale caractéristique
des sociétés riches. Dès lors, pour maintenir une croissance constante du revenu
national, il faut augmenter les investissements appelés à absorber lřexcédent
dřépargne.
Le rôle de lřinvestissement dans le dispositif keynésien est central. Il note dans
ce sens que « Pour une valeur donnée de ce que nous appelons la propension de la
communauté à consommer, cřest le montant de lřinvestissement courant qui
détermine le niveau dřéquilibre de lřemploi, le niveau où rien nřincite plus les
entrepreneurs pris dans leur ensemble à développer ni à contracter lřemploi »
(Théorie générale pp52-52).
Dans la « Théorie générale», le montant de lřinvestissement dépend de deux
facteurs : lřefficacité marginale du capital qui augure des avantages attendus à long
terme des investissements actuels, et le taux dřintérêt. Lřefficacité marginale du
capital dépend avant tout de lřévaluation des profits futurs, des perspectives
favorables de lřéconomie, des révolutions techniques, des risques encourus, des
incertitudes, etc. Le taux dřintérêt est lřautre composante de lřinvestissement. Mais il
est un paramètre monétaire

II/ La politique monétaire de stimulation de l’investissement

La politique monétaire de KEYNES est fort simple : puisque lřinvestissement


se développe tant que lřefficacité marginale du capital est supérieure au taux de
lřintérêt, il faut sřefforcer dřélever la première et dřabaisser le second. Seulement, il est
difficile dřobtenir une élévation de lřefficacité marginale dès lors que la politique
monétaire se résout à une politique de maniement du taux de lřintérêt. Cřest sur cette
base que lřon écrit la fonction dřinvestissement de la manière suivante :
I  I o  ji
où (j) est un paramètre monétaire et (i) le taux dřintérêt.

117
On établit ainsi que le volume de lřinvestissement varie pour un certain niveau
donne (Io) en sens inverse par rapport au taux de lřintérêt. Pour accroître
lřinvestissement, il faut baisser le taux dřintérêt à long terme. Or, dans sa théorie de
lřintérêt, son niveau est déterminé par lřaction combinée de lřoffre et de la demande
sur les encaisses monétaires. Cřest dire que lřintérêt est un phénomène purement
monétaire exprimant les automatismes du marché de la monnaie : la demande et
lřoffre. La première que Keynes appelle aussi la préférence pour la liquidité dépend de
trois motifs : le motif de transaction découlant des besoins engendrés par la
circulation de la monnaie et des marchandises ; le motif de précaution étroitement
lié au premier et le motif de spéculation, cause directe des variations imprévues de la
préférence pour la liquidité, qui influe sur la dynamique du taux de lřintérêt
Lřaction régulatrice de la monnaie et du crédit, la modification du volume de
lřoffre de monnaie sřopèrent à partir de deux actions qui portent respectivement sur
une expansion de la masse monétaire et sur les créances à long terme.
Le premier point part de lřidée que plus la monnaie est abondante, plus il est
bon marché, donc il faut accroître la masse monétaire. Bien entendu, il pourrait en
résulter une élévation des prix donc un approfondissement de lřinflation mais celle-ci
ne serait pas ruineuse si elle arrive à provoquer une hausse de lřefficacité marginale
du capital. Il y a là une politique de financement de lřinvestissement que nous
préconisons dans les développements ultérieurs. Car lřinflation peut jouer un rôle
dans le processus dřaccumulation si elle est utilisée à bon escient.
Pour ce qui est du second moyen, il consiste en une action indirecte sur le
marché des capitaux par lřintermédiaire des créances à long terme, cřest-à-dire que
pour obtenir une baisse des taux dřintérêts, les Autorités monétaires achètent des
titres et font ainsi monter les cours des valeurs ce qui fait apparaître un taux dřintérêt
plus bas.
On voit alors que les actions sur les déterminants monétaires et de crédit
nřexercent une influence sur le développement quřen agissant sur le processus
dřinvestissement. Toutefois, si lřaugmentation de lřoffre de monnaie nřentraîne pas
une diminution du taux de lřintérêt (trappe de la liquidité), la régulation monétaire et
du crédit apparaît comme impuissante.
Au total, toutes les politiques tournent autour de la stimulation de
lřinvestissement. Sous ce rapport, KEYNES observe que le Secteur Privé est à lui seul
incapable dřassurer le niveau optimum dřinvestissement nécessaire pour une
expansion soutenue de lřéconomie. LřÉtat devra alors intervenir non pas seulement
pour fixer un cadre général, mais pour participer, en permanence et de lřintérieur, à la
direction de lřÉconomie.
Quelles formes, quelle ampleur doit revêtir cette intervention de lřÉtat ? J.M.
KEYNES est peu explicite sur ces points ; il sřintéresse à la théorie de lřintervention
non pas à sa pratique. Seulement lřÉtat nřest autorisé à intervenir que là, et quand il
ne gène pas le secteur privé et peut, au contraire, lui apporter une aide. Il sřagit de
compléter lřinvestissement privé, non de le concurrencer.
Au total, le contrôle de lřinvestissement global apparaît à KEYNES, comme la
meilleure manière dřassurer le développement, le plein emploi. La baisse du taux de
lřintérêt ne peut être poursuivie indéfiniment, et lřélévation de lřefficacité du capital
nřest pas facile à réaliser. LřÉtat devra intervenir pour maintenir lřinvestissement à un
niveau capable dřassurer la poursuite de lřexpansion. Donc lřÉtat doit combler la
marge que laisse apparaître la défaillance de lřinvestissement privé. Il peut le faire à
travers sa politique budgétaire

118
III/ La politique budgétaire

Cřest le troisième volet des politiques keynésiennes. La politique de


développement et de réalisation de plein emploi peut utiliser le canal des Finances
Publiques. Selon A. BARRERE, les principes se ramènent à deux points essentiels :
lřautorité publique doit combattre par la fiscalité lřinsuffisance de la propension à
consommer ; les dépenses publiques doivent exercer une action compensatrice
susceptible de maintenir la dépense globale au niveau requis par lřexpansion ou le
plein emploi.
Sur le premier point, lřobjectif visé est principalement, par une autre
redistribution des revenus, à accroître les capacités de consommation sans lesquelles
la menace de surproduction ne sera pas levée. Il sřagit donc dřune fiscalité
redistributive qui consiste à prélever sur les revenus élevés des classes épargnantes au
profit des classes où les besoins non satisfaits sont importants. Les revenus moyens
ou faibles alimentent alors une plus grande dépense.
Le second point concerne lřaction compensatrice des finances publiques.
KEYNES note que cřest du côté de la dépense dřinvestissement que doit porter lřeffort
à cause des effets multiplicatifs. Ceci conduit alors à deux (02) conclusions :
dřabord, lřAutorité Publique doit effectuer des décaissements tels que le
volume de la dépense globale soit maintenu à un niveau suffisant pour
absorber la totalité de la production : Capacités de consommation =
capacités de production ;
ensuite le financement de ces décaissements peut sřopérer soit par
emprunt, soit par création de monnaie.
Ces différentes actions peuvent et doivent être agencées dans le cadre dřune
politique financière cohérente, connue sous le vocable de déficit systématique. Il
sřagit théoriquement dřopposer au déséquilibre économique (désiré, voulu) un
déséquilibre financier de sens contraire. Cřest dire que le déficit autrefois condamné
est systématiquement recherché pour provoquer un effet compensateur.
En conclusion, toutes les politiques de développement actuellement
revendiquées pour les Pays sous-développés, se réclament de ce corps de théories
keynésiennes. En clair, J.M. KEYNES inspire les politiques monétaires de
financement des investissements productifs et les politiques de déficits budgétaires
pour soutenir le niveau des activités. Des réflexions intéressantes sur ce deuxième
point sont réalisées par Paul BARAN qui voit dans le déficit budgétaire des pays
capitalistes un facteur essentiel de régulation et de lutte contre la crise de
surproduction.

Section 2 : L’approche post-keynésienne du développement et


de la croissance.
À la fin des années 30, beaucoup de disciples de Keynes vont tenter dřadapter
le modèle du maître à lřanalyse du développement et de la croissance à long terme.
Cette analyse post-keynésienne concerne principalement trois (03) auteurs qui
présentent de ce point de vue un intérêt incontestable. Ce sont :
HARROD et DOMAR qui ont découvert le premier modèle formalisé de
croissance.
KALECKI qui a plutôt exposé une variante du keynésianisme classique en
matière de développement.
Joan ROBINSON et Nicolas KALDOR qui ont soutenu une analyse de
lřaccumulation du Capital en vue du développement.

119
En 1939, R.F HARROD, étudie dans un article célèbre « les principes
fondamentaux de lřéconomie dynamique. Au même moment HANSEN développe sa
théorie de la stagnation. Ce sera surtout dans lřaprès-guerre quřune pléiade
dřéconomistes se réclamant de J.M. Keynes écrivent plusieurs ouvrages sur la théorie
keynésienne de la croissance. Ce mouvement se poursuivra jusquřà N.KALDOR et
SOLOW. Ces auteurs posent trois groupes de problèmes : dřabord les déterminants de
la croissance potentielle du revenu national, conditions assurant une croissance
économique dite auto-entretenue (self sustained growth) ; lřéquilibre dynamique, y
compris les facteurs qui le détruisent et ceux qui le restaurent. En ce qui concerne les
facteurs de la croissance à long terme, les recherches sont principalement empiriques
alors que la croissance auto-entretenue et de lřéquilibre dynamique ont permis
lřélaboration de modèles théoriques dont certains restent encore très consistants.
Cela amènera SOLOW à affirmer que « La théorie moderne de la croissance
économique est consacrée essentiellement à analyser les conditions de lřétat
dřéquilibre et à déterminer si une économie qui, initialement nřest pas en état
dřéquilibre, pourra le devenir en respectant certaines règles du jeu dans son
développement ». Cřest surtout N. KALDOR qui va formuler, dès 1958, un groupe de
faits « faits stylisés » (stylised facts) caractérisant la croissance auto-entretenue ; il
sřagit de :
La stabilité du taux de croissance de la productivité du travail et du revenu
national (avec une croissance démographique constante) ;
La stabilité du taux de croissance du capital ainsi que du rapport travail/
capital, cřest-à-dire de la masse du capital par unité de travail ;
La tendance à la constance du rapport capital-produit, cřest-à-dire de la
masse de capital par unité de production ;
La stabilité du taux de profit ainsi que de la part du profit dans le revenu
national.
La théorie doit alors établir comment se réunissent les conditions de la
croissance auto-entretenue et de déterminer si lřéconomie est capable de compenser
automatiquement les écarts par rapport à cette ligne de développement. La théorie
keynésienne de la croissance tente de résoudre ces problèmes à partir des équations
du modèle de HARROD-DOMAR.

I/ Le modèle HARROD-DOMAR

On peut dire que lřapproche post-keynésienne a pour point de départ les


tentatives de dynamisation du système keynésien originel. En 1948, HARROD
publiait son ouvrage «Vers une théorie de la dynamique économique». Dans la même
période, E. DOMAR publie à son tour, quelques articles présentant les mêmes
orientations et les mêmes préoccupations que R. HARROD. Tous ces travaux
tournent autour des conditions de la reproduction, de la croissance et dans une
optique keynésienne. Dans cette direction dřailleurs, HARROD observe que « la seule
remarque critique que je me hasarderais à faire, cřest que le système de KEYNES est
encore statique. Dřailleurs poursuit-il, la théorie macroéconomique statique est un
fondement indispensable à lřélaboration de toute théorie dynamique ».
Le problème théorique que soulève la dynamisation du système keynésien,
réside dans le fait que KEYNES a toujours traité lřinvestissement comme un simple
instrument de création du revenu (effet multiplicateur) en ignorant les effets sur les
capacités productives.

120
Or, il nřexiste pas dřinvestissements courants sans accumulation de capital,
cřest-à-dire un accroissement de la capacité productive. Il sřagit de considérer le
double aspect de lřinvestissement dřabord en tant que facteur générateur de revenu et
ensuite en tant que facteur créateur de capacité productive. Lřéquilibre dynamique
qui sřétablit sera caractérisé par lřaccroissement simultané des revenus et des
capacités de production. Les post-keynésiens sřattèleront à lřétude des conditions
dřavènement dřun équilibre dynamique. Ces travaux vont permettre lřélaboration
dřinstruments conceptuels nécessaires pour lřanalyse du processus du développement
économique et social.
Étudions de plus près le modèle de croissance de HARROD.

1°) La relation du modèle

La croissance est définie en termes de revenu ou de produit. Le taux


Y
dřaccroissement sřécrit : G 
Y
La production dřun niveau accru de produit requiert un investissement
nouveau net (1). Or, lřinvestissement dans lřéquipement en capital nécessaire à
I
lřaccroissement du produit dřune unité sřécrit : C 
Y
Où C est le capital output ratio ou encore le coefficient du capital.
Étant donné la propension moyenne de la communauté à épargner, un niveau
S
donné de produit sera associé à un volume donné dřépargne : s 
Y
Il est alors possible de définir la relation : G  C  s que HARROD qualifie de
S
fondamentale et qui reflète G  , le mariage du principe de lřaccélérateur et du
C
multiplicateur.

2°) Les variables du modèle

Le Capital recouvre non seulement les biens capitaux mais aussi les biens de
toute sorte produits par le système. Pour le taux de croissance (G) ne différencie pas
les différents secteurs de production. Enfin, lřépargne est la fraction non consommée
du revenu.
Dans son analyse, HARROD distingue trois (03) taux de croissance :
Ga = le taux réel observé de croissance réalisé par lřéconomie,
Gn = le taux naturel de croissance qui constitue le taux le plus élevé
dřaccroissement soutenu du produit. Il est limité par lřaccroissement de
lřoffre de main-dřœuvre et le progrès technique,
Gw = le taux garanti de croissance. Cřest le taux dřaccroissement qui
satisfait les opérateurs économiques.
Des différences fondamentales existent entre ces trois (03) taux et cřest à partir
de ces différences que HARROD appréhende les mouvements possibles dřun système
dynamique. Ainsi,
Ga dépend du comportement réel de lřinvestissement et du produit,
Gn est le taux dřéquilibre compatible avec lřoffre de main-dřœuvre et le
progrès technique,
Gw est le taux compatible avec lřépargne de la communauté.

121
Ainsi, on peut réécrire lřéquation fondamentale comme suit :
S
Ga 
C
S
Gw 
C
Gw  Ga  s
Cependant, ces trois (03) formes de lřéquation fondamentale nřont pas à
sřégaliser à un moment donné, si deux (02) dřentre elles peuvent être égales, elles ne
le seront pas à la troisième.

3°) Le fonctionnement du modèle

De son modèle, HARROD déduit quřil existe deux (02) sources potentielles de
déséquilibre ou dřincompatibilité : lřinégalité entre les taux réels et garanti de
croissance ; lřinégalité entre les taux naturels et garanti de croissance.
Ainsi, lorsque le taux garanti assurant la satisfaction des entrepreneurs est
plus petit que le taux naturel Gw  Gn assurant la satisfaction de tous les
producteurs, lřéconomie traverse une phase dřessor et celui-ci est dřautant plus
accentué que lřécart est plus grand. À lřinverse, lřéconomie traversera une dépression.
Au total, dans le modèle, lřépargne joue apparemment un rôle primordial. Ce qui
explique que des évaluations rapides mais fausses ont voulu rattacher HARROD aux
néo-classiques. En effet, on constate que pour HARROD, une valeur élevée de (s) joue
le rôle exactement contraire à celui quřelle joue dans le modèle néo-classique.
Pour lui, loin de permettre un taux élevé de croissance, elle constitue un
obstacle à cette dernière. Par ailleurs, HARROD a toujours refusé de lier le taux
dřintérêt au capital output ratio, comme le voulaient les néo-classiques. Pour lui, le
taux dřintérêt nřest quřun phénomène monétaire et nulle part, il nřessaie dřintroduire
le concept de fonction de production, où même dřégaliser taux dřintérêt et taux de
profit.
Tel est lřessentiel de lřarticulation de lřanalyse dřHARROD qui cherche à
donner une base objective à une politique de croissance correspondant aux forces
réelles dřune économie.

II/ Les autres modèles de croissance des autres néo-keynésiens

La problématique de la croissance et du développement se retrouve chez


dřautres néo-keynésiens comme KALECKI, HICKS, Mrs Joan RONINSON et Nicolas
KALDOR. Ces deux derniers auteurs ont marqué les théories actuelles et méritent
que lřon sřy arrête.

1°) Les analyses de Joan ROBINSON

Le défi dynamique de HARROD devant être relevé par J ROBINSON,


préoccupé par la croissance à long terme et dont le point de départ est constitué par
une rigoureuse analyse critique de la pensée néo-classique. Le système de J.
ROBINSON présente une analyse de lřaccumulation de longue période. Les aspects
essentiels du système peuvent être ramenés :
aux flux des revenus,
à la détermination du taux de profit,
aux conditions dřune croissance régulière,

122
au rôle du progrès technique,
à lřeffet de la consommation des réntiers sur lřaccumulation,
au produit marginal du capital et au produit marginal de lřinvestissement.
Sur cette base, lřauteur étudie quelle est la relation entre le taux de croissance
de la production et la croissance du stock du capital dans le temps ? Dans tout
système économique en expansion, le taux dřaccumulation maximum possible est
limité par le taux dřaccroissement de la force du travail et le taux auquel le progrès
technique accroît la productivité par homme. Pour J. ROBINSON, une économie qui
se développe à ce taux maximum possible avec un taux de profit constant est à lřâge
dřor. J. ROBINSON rejette lřoptique néo-classique car cette dernière nřa jamais pu
définir un taux de profit en dehors du produit marginal du capital. Pour elle, la
quantité de capital nřa aucun sens si le taux de profit nřest pas préalablement
déterminé, dřoù le rejet de toute théorie qui tenterait de déduire le taux de profit de la
quantité de capital.
Au total, dans lřanalyse de J. ROBINSON, le caractère "dual" de la relation
entre le taux de profit et le taux de croissance est particulièrement mis en évidence.
Cependant, elle montre quřil existe une relation double entre le taux de profit et le
taux dřinvestissement, de sorte que ce dernier est le déterminant majeur du premier
mais le taux de profit affecte aussi lřinvestissement à travers les anticipations.

2°) Les approches de Nicolas KALDOR

N. KALDOR se propose dřélaborer une théorie dynamique de la production


(1959) avec une méthode keynésienne et dans la lignée de RICARDO et MARX.
Il débute son analyse avec un modèle de type HARROD exprimé en termes
1
dřaccroissement du capital physique : G K  (S = épargne ; V = ratio du stock de
V
capital). Seulement, KALDOR diverge avec HARROD car il suppose que toutes les
épargnes sont égales aux profits globaux.
Ce qui suppose que les salariés nřépargnent pas et que les titulaires de profits
ne consomment pas. KALDOR obtient les résultats suivants :
P
S
Y
P I
  GK
Y Y
P K
 GK
Y Y
P P Y
 
K Y K
P
 GK
K
La dernière équation indique que le taux explicite de profit du capital, P est
K
égal au taux de croissance du capital.
Lřobjectif de KALDOR est dřélaborer un modèle permettant de promouvoir un
équilibre de croissance régulier qui peut être défini comme un modèle où "le taux
dřaccroissement du produit par tête est égal au taux dřaccroissement de la
productivité de lřéquipement, les deux étant en outre égaux au taux dřaccroissement
de lřinvestissement (fixe) par travailleur et au taux de croissance des salaires".

123
Comme le note lřauteur, le modèle est keynésien dans son mode de
fonctionnement, cřest-à-dire que les décisions de dépense des entrepreneurs sont
lřélément premier, les revenus sont secondaires. Il nřest absolument pas néo-classique
car les facteurs technologiques (productivités marginales ou ratio marginal de
substitution) ne jouent aucun rôle dans la détermination des salaires et des profits.
Une fonction de production au sens dřune relation de valeur entre le capital et le
travail nřexiste pas.
En conclusion, si nous avons insisté sur les analyses keynésiennes et néo-
keynésiennes, cřest parce quřelles inspirent les politiques de développement, de même
que les politiques de croissance. Elles ont particulièrement tenté dřabord, de donner
une traduction simple mais totale de la dynamique de croissance et ensuite, de
dégager les bases dřune politique effective de croissance optimale.
Elles ont insisté sur lřinvestissement autonome considéré comme variable
stratégique de la croissance. Elles ont initié une série de recherches sur le coefficient
du capital, forme transformé du multiplicateur. Enfin, lřensemble des concepts
keynésiens converge vers la confection de modèles dont certains, sous une forme
mathématique très élaborée. Ces modèles finissent par devenir des sortes de
représentation schématiques des principales variables qui président au dynamisme
de la croissance.

III/ Mise à mort et réhabilitation de la pensée keynésienne.

Le keynésianisme a été mis en berne durant toute la période ascendante des


approches libérales néo-classiques. Critiqué et presque marginalisé par la pensée
orthodoxe, il a été pendant une période fortement remis en cause. La synthèse néo-
classique, comme nous lřanalyserons, était construite autour de convictions fortes :
les marchés des biens et du travail sont concurrentiels, il nřéxiste pas dřexternalités,
lřinformation est parfaite, lřEtat doit sřabstenir dřintervenir dans le circuit
économique. Parallèlement, les politiques économques construites à partir de la
vulgate keynésienne simple sont vigoureusement rejetées dans les années 70 car
jugées incapables de résoudre la nouvelle crise économique et financière : inflation,
chômage, déficits internes et externes, faible croissance économique Aujourdřhui, on
observe un retour du keynésianisme avec une nouvelle génération de théoriciens qui
reconstruisent dřune architecture inspirée du Maître: G. MANKIV, G.AKERLOFF,
J.STIGLITZ, S. FISHER D.ROMER, E. PHELPS… Ces auteurs ont souvent été
appelés « les poissons de mer »71 par opposition « aux poissons dřeau douce » Ils
conservent les principes de base du keynésianisme comme lřimperfection des
marchés et lřintervention de lřEtat. Les cycles économiques réels, observe G.MANKIV,
représentent des imperfections de marché. Comme par ailleurs, lřEtat est le pilote de
la machine économique et doit intervenir pour réamorcer la pompe de la
consommation ou de la production. » (G. MANKIV).

71La dénomination fait référence à la localisation géographique de leurs Universités dřattache, Boston
et Colombia situées en bordure de mer alors que lřautre courant tenant de lřorthodoxie sont dans des
Universités des Grands Lacs comme Chicago.

124
CHAPITRE 7 :
L’ANALYSE NÉO-CLASSIQUE : LES NOUVEAUX
FONDAMENTAUX DU LIBÉRALISME
ET DU LIBRE ÉCHANGE.

Lřanalyse néo-classique est celle sur laquelle on commet les plus graves erreurs
dřinterprétation, de délimitation, de caractérisation et de composition72. Globalement
cette Ecole de pensée regroupe les économistes, inspirés à la fois par lřÉcole Classique
et lřanalyse keynésienne, conçoivent la société comme un ensemble dřindividus libres
et égaux, raisonnent au niveau micro-économique à partir dřhypothèses sur le
comportement des agents à la fois rationnels et calculateurs cherchant à maximiser
leur utilité (consommateur) ou leur profit (producteur) sous la contrainte de leurs
ressources. Ces agents comme producteurs ou consommateurs évoluent sur des
marchés de concurrence pure et parfaite.
Beaucoup dřanalystes sřautorisent à parler de lřÉcole néo-classique souvent
assimilée au libéralisme, sans jamais prendre la précaution de préciser les contenus
des idées et les figures de proue qui forment ce courant de pensée présenté comme
dominant dans la science économique73. Elle est diversement appelée théorie
standard, orthodoxie ou maître-pilier du libéralisme. Toutefois, des défauts de
précision sont à la base soit dřune trop grande réduction qui ne se référent quřaux
pionniers A. MARSHALL, PIGOU, CARL MENGER, STANLEY JEVONS, WALRAS
ou dřune trop grande extension en incluant tous les auteurs qui ont constitué la
synthèse contemporaine, de MILTON FRIEDMAN, HAYEK, jusquřaux théoriciens de
la croissance endogène LUCAS et ROMER en passant par Solow et la figure de proue
du « néolibéralisme » Milton Friedman qui poursuivra les travaux de l'École néo-
classique, en inversant les objectifs de l'interventionnisme monétaire.
Le credo fondateur du courant dřanalyse néoclassique est parti de trois auteurs
STANLEY JEVONS, Carl MENGER ET LEON WALRAS successivement bâtisseurs de
lřÉcole de Cambridge, de Vienne et de Lausanne. Ils avaient déclenché entre 1871 et
1874 sans jamais sřêtre rencontrés, ni échangé aucun élément de leurs recherches
respectives la révolution marginaliste dřoù émergera l'économie néoclassique qui
s'impose aujourdřhui comme théorie économique dominante. Ce trio se proposait
surtout de faire table rase du passé afin de reconstruire la science économique sur des
bases nouvelles. Toutefois, l'histoire révèle que dans leurs analyses, les éléments de
continuité lřemportent sur ceux de la rupture. C'est pourquoi d'ailleurs, Veblen
fondateur de l'institutionnalisme, a forgé l'expression néoclassique pour dire que la
rupture avec les classiques nřest pas aussi nette quřon le laisse croire.
Pourquoi cette pensée a-t-elle eu un tel rayonnement et joue-elle, aujourdřhui
un rôle aussi déterminant ? Est-ce par la robustesse de ses analyses ou la pertinence
de ses propositions de politique économique ? Ou alors cela procède-t-il de sa force
de persuasion, de légitimation des politiques économiques libérales? En fait, leur
principal ajout à lřanalyse classique procède dřune part de leur approche plus
formalisée (avec lřutilisation des techniques quantitatives) et systématique en termes
de marché et d'équilibre et dřautre part de la généralisation du raisonnement
marginaliste. À lřorigine, les auteurs néo-classiques avaient repris les principales
idées de lřÉcole Classique notamment leur approche formalisée et systématique en

72 B. Guerrien : Lřéconomie néo-classique, Col. Repères, La Découverte, 1991, Du même auteur : La


théorie néo-classique. Bilan et perspective du modèle dřéquilibre général. Économica, 1989
73 Cette École est qualifiée de gardienne de lřorthodoxie en sciences économiques, de constructeur du

modèle standard de lřanalyse économique et dřinspiratrice de la pensée unique

125
termes dřéconomie de marché, d'équilibre global, dřintervention minimale de l'État,
de neutralité de la monnaie et de libre concurrence. « Ainsi, on trouve dans la théorie
néo-classique la conviction du caractère universel des lois économiques. Jevons,
Menger ainsi que leurs successeurs actuels affirment plus nettement la similitude
entre l'économie et les sciences naturelles, ce qui se traduit par l'utilisation de plus en
plus intensive - et parfois exclusive - du langage mathématique. Walras estime même
que l'économie politique pure doit devenir une branche des mathématiques.
Cette conviction n'est toutefois pas partagée par Menger qui, en dépit de son
libéralisme radical, se positionne comme hétérodoxe sur l'échiquier de la pensée
économique moderne »74.
Ce positionnement théorique les avaient amené à rejeter en bloc les théories
marxistes et à opérer un examen critique de lřanalyse keynésienne dont ils proposent
une modernisation de lřappareillage théorique dans le but de lui permettre de mieux
cerner les nouveaux problèmes macroéconomiques et surtout de corriger les
insuffisances qui sont à lřorigine des mauvais résultats des politiques économiques.
La pensée néo-classique est loin dřêtre homogène. Ces tenants de la nouvelle
orthodoxie constituent une galaxie dřauteurs et de courants qui se présentent comme
suit :
1) Les précurseurs :
Étienne de Condillac(17151780) Antoine Augustin Cournot (1801-1877)
Hermann Heinrich Gossen (1811-
Arsène Dupuit (1804-1866)
1858)
2) Les fondateurs : la révolution marginaliste :

L'école de Lausanne L'école anglaise L'école autrichienne


(Équilibre général) (Cambridge) (Vienne)
Léon Walras (1834 1910) S. Jevons (1835-1882) Carl Menger (1840-1921)
Vilfredo Pareto (1848- A.Marshall (1842-1924) F.V. Wieser (1851-1926)
1923) A. C.Pigou (1877-1959) E. Böhm Bawerk (1850-
1914)

3) Les courants néo-classiques contemporains :


Le courant de l'équilibre La synthèse keynéso- La nouvelle école
général classique classique
Robert Lucas (né en
John Hicks (1904-1989) Paul Samuelson (né 1915)
1937)
Kenneth Arrow (né 1921) Robert.M.Solow (né 1924)
Gérard Debreu (né 1921)
Maurice Allais (né 1911)

Cette diversité des auteurs et des analyses rend lřexposé plus difficile du fait de
lřabsence de points de vue consensuels sur les grandes questions de théorie
économique. Lřobjectif de ce chapitre est de présenter sommairement, au moins, les
principaux points dřaccord : les principales hypothèses du modèle dřanalyse et les approches
proposées pour le développement et la croissance, deux cibles majeures pour les pays sous-développés.

74Gilles DOSTALER : « Orthodoxie et hétérodoxie : une vieille histoire », Alternatives Économiques,


Hors-série 57, 2003

126
Section 1 : Les fondements théoriques de l’analyse néo-
classique.
Les néoclassiques sont les héritiers critiques des classiques. Ils se focalisent
surtout sur lřanalyse marginaliste et cherchent à fonder lřanalyse économique sur de
nouvelles hypothèses : la rationalité économique, lřindividualisme méthodologique
et la supériorité du modèle du marché qu'il soit pur et parfait, ou imparfait et dont les
mécanismes jouent un rôle régulateur conduisant à un équilibre optimal de
lřensemble du système économique.
Le soubassement théorique, à la différence des classiques et de Marx, se fonde
sur une analyse des comportements individuels à partir des présupposés de
lřindividualisme méthodologique. Lřindividu est identifié par une fonction dont les
paramètres sont ses préférences, ses dotations en compétences et en capital et
moyennant quoi, il maximise sa satisfaction. Avec de nouveaux instruments
mathématiques, les théoriciens néoclassiques formalisent le processus d'interaction
sur les marchés des agents économiques qui cherchent toujours à optimiser leurs
gains, quřils soient producteurs ou consommateurs.
Dans une optique marginaliste, la théorie de la productivité marginale devient
lřun des principaux fondements théoriques de la pensée néo-classique75. Cette
démarche explique que dans une situation donnée la rémunération des facteurs de
production sřeffectue à partir du principe unique de leur productivité marginale.
Cependant, la fonction de production est elle-même lřélément le plus simple
mais aussi le plus essentiel de la théorie de productivité marginale. Pour un état
donné des techniques de production, la fonction de production peut être comprise
comme dérivant des diverses combinaisons productives. En effet, en supposant quřil
existe une certaine relation quantitative entre le volume du revenu national (ou du
produit) et le volume des ressources en travail et en capital utilisées, il est possible
dřestimer, sous certaines conditions raisonnables, cette relation sous la forme dřune
fonction de production et de recourir à un appareil mathématique approprié
dřanalyse fonctionnelle pour quantifier certaines interrelations de la production.
Ainsi, on peut écrire que :  f ( K , L, N ) (où Y = produit, K = le capital, L = le
travail, N = terre). On suppose que chacun des facteurs de production (K, L, N) est
capable de se diviser infiniment. En différenciant, on obtient :
Y Y Y
dY  dK  dL  dN
K L N
où dY = accroissement de la production
dK = accroissement du capital
dL = accroissement du travail
Y
= produit marginal du capital
K
Y
= produit marginal du travail
L
OY
= produit marginal de la terre
L
Ainsi, la valeur de la production est déterminée comme la somme des produits
de la grandeur de chacun des facteurs de production et de son produit marginal.
Quant à la part de chacun des facteurs, elle est déterminée fonctionnellement une fois

75 Carlo BENETTI : Valeur et Répartition, François Maspero

127
lřéquilibre réalisé et qui coïncide avec le plein emploi. On peut faire alors les
déductions suivantes : si lřoffre globale de capital sřaccroît plus rapidement que lřoffre
de la main-dřœuvre, le prix dřoffre du capital tendra à baisser, la densité du capital
augmentera ; ce qui correspond à une baisse de la productivité marginale du capital.
Un raisonnement inverse peut être établi pour le travail, donc quelle que soit la
situation de lřoffre de main dřœuvre, toutes les personnes désirant travailler peuvent
trouver un emploi, pour peu quřelles acceptent le salaire prévalant sur le marché. Ces
analyses sont extrêmement éloignées de celles de KEYNES et des néo-keynésiens.
Par ailleurs, la densité du capital dépendant des prix relatifs du travail et du
capital, le prix du capital résulte de lřéquilibre qui sřétablit entre lřoffre dřépargne et la
demande de capital. Cela correspond en fait au taux dřintérêt. Seulement, hormis
lřintérêt, représentant la rémunération du capital, il nřexiste pas dans une économie
dřéquilibre au sens de WALRAS, de profit. Ce dernier dans la pensée néoclassique se
trouve exclu du système dřéquilibre général et ramène à la théorie du taux de lřintérêt.
On peut le montrer en prenant :
(1) Y  f ( K , L)
et considérant Py, Pk, Pl, les prix du produit et des facteurs, nous pouvons
écrire lřéquation comptable suivante : Prix de vente = Coût de production, cřest-à-dire
(2) Py Y  Pk K  Pl L
Le minimum du coût de production est obtenu par différenciation de ces deux
équations, soit :
Y Pk Y PL
(3)  et 
K Py L Py
En remplaçant les prix dans lřéquation (2), on obtient :
Y Y
(4) Y  K L
K L
Au bout du compte, lřutilisation des fonctions de production a stimulé tout un
ensemble de recherches consacrées à lřestimation quantitative du rôle exercé par les
divers facteurs de production pour garantir le niveau potentiellement possible du
revenu national, ou du produit, ainsi que de leur taux de croissance. Cřest pourquoi,
lorsque lřon évalue les fondements théoriques de la fonction de production néo-
classique, il faut en même temps comprendre les interrelations technico-
économiques réelles et les processus de la croissance qui peuvent être analysés à
lřaide des fonctions de productions dites dřingénierie.
Dans les années 50 et 60 on va observer un processus qui a pris le nom de
« renaissance néo-classique » et au cours duquel les théoriciens de lřécole ont proposé
une modernisation notable de leur appareil théorique et analytique dans le but
dřétudier de nouveaux problèmes macro-économiques, en particulier là où le
keynésianisme avait commis de notables erreurs théoriques qui sont à lřorigine de
mauvais résultats de politique économique. Dans leur synthèse, les auteurs de la
renaissance néo-classique montrent que, malgré leurs divergences de points de vue,
ils vont tenter dřélaborer une théorie économique pure dans la tradition walrasienne,
cřest-à-dire un "corpus" théorique constitué de concepts explicatifs des aspects les
plus caractéristiques du fonctionnement de l'économie capitaliste.
Sous ce rapport, la pensée dite néo-classique est tout à la fois une idéologie,
une vision du monde, un ensemble de politiques et une collection de théories qui ne
sont pas nécessairement cohérentes les unes avec les autresŗ (DOSTALER, 2001, p.
107) mais qui sont unies autour de lřéconomique définie par un champ sémantique où
sřarticulent la rareté, le besoin, les fins, les moyens. Dans ce contexte, la Science

128
Économique aurait pour objet principal la détermination des lois de lřallocation
optimale des moyens rares à usage alternatif. Lřéquilibre du producteur comme celui
du consommateur se constitue sur le postulat de base dřune psychologie hédonistique
à partir duquel on passe à une théorie générale des prix de marché qui englobe
finalement lřinvestissement (allocation optimale des capitaux) et le salaire (allocation
optimale du facteur travail).
Quřest ce qui fonde la prééminence de la pensée néo-classique dans la science
économique contemporaine ? Est-ce sa cohérence théorique, la robustesse de ses
formulations, sa capacité dřillustrer et de défendre lřéconomie de marché, de justifier
lřéconomie libérale? Toutes ces questions renvoient à la confrontation entre les
tenants de lřorthodoxie et ceux de lřhétérodoxie, aux forces et faiblesses des deux
courants qui dominent la pensée économique contemporaine bien quřaucun de ces
deux courants ne présente véritablement une parfaite homogénéité des formulations
théoriques, doctrinale et méthodologiques.
Quelle analyse du développement soutiennent et défendent les auteurs de la
pensée néo-classique ?

Section 2 : Synthèse néo-classique et développement :


pourquoi et comment faire une croissance durable.
La plupart des discours se réclamant de la théorie néo-classique mettent au
centre de leur préoccupation en matière de développement la question de la
croissance économique. Autant les classiques se demandaient comment faire pour
amorcer la croissance, la problématique des néo-classique est de savoir « comment
faire pour que la croissance dure ? ». Cette problématique ressemble fort à celle que
pose J.M. KEYNES. Au-delà de lřinterprétation de la théorie keynésienne comme une
« théorie de lřéquilibre de sous-emploi », comme un cas particulier de lřéquilibre
général du système économique, les problèmes soulevés par la théorie néo-classique
de la croissance, sont identiques à ceux que KEYNES a tenté de résoudre à savoir la
croissance potentielle du revenu national à long terme, les conditions de lřéquilibre
dynamique et la question de lřadaptation de lřéconomie. Les néo-classiques, vont
finalement inclure le keynésianisme en le modifiant, en lřélargissant et en le
modernisant.
Cette identité des problèmes montre à souhait que lřapparition de la théorie
néo-classique de la croissance a été dans une certaine mesure fortement influencée
par le keynésianisme, plus précisément encore, elle sřest développée à partir de la
critique, en particulier des aspects technico-économiques du processus de la
croissance conçu par J.M.KEYNES. Le point de départ des auteurs néo-classiques,
est formé par la trame des idées développées par les auteurs classiques : supériorité
de l'économie de marché, bienfaits de la libre concurrence (sous certaines
conditions), non intervention de l'État, libre circulation des marchandises (pas de
protectionnisme), concurrence pure et parfaite.
Cette double filiation (entre Classiques et Keynes) fait que les auteurs néo-
classiques retiennent (de leurs devanciers), en matière de développement
économique, trois volets essentiels à partir desquels, ils échafaudent leurs
modèles dřanalyse et dřaction:
lřaccumulation du capital fondement des modèles de croissance
économique les plus réputés de lřÉcole (celui de SOLOW, de SWAN, et
MEADE.)

129
Le modèle des échanges internationaux basé sur la théorie ricardienne des
coûts comparatifs prolongée et approfondie par J.VINER, HABERLER,
HECKSHER-OHLIN
La promotion de lřéconomie du marché et la non intervention de lřÉtat.
La politique monétaire
Le premier volet de la théorie néo-classique du développement se formule en
termes de croissance économique qui est fonction de lřarticulation des deux facteurs
déterminants que sont le travail et le capital. Or, lřaccroissement de la productivité
du travail qui se traduit par une hausse du salaire réel résulte du processus
dřaccumulation du capital dont le rythme dépend à son tour du prix du capital ou prix
dřoffre de lřépargne.
Lřaccumulation du capital, en induisant une élévation des salaires réels
renforce la participation des salariés au produit, et partant, réduit le taux moyen de
rentabilité du capital. Donc les idées du profit dřaccumulation, de développement
sont étrangères au modèle néo-classique. Elles nřapparaissent dans le modèle que
lorsque lřon sřécarte de lřéquilibre. En ce point, la rémunération du capital doit être
égale dans toutes ses applications ; ce qui correspond au taux dřintérêt. Si des profits
apparaissent, cřest que la rémunération du capital dans le secteur est supérieure à la
rémunération moyenne dřéquilibre. Le modèle apparaît ainsi à la fois comme une
théorie de la production et de la répartition de la valeur ce qui le différencie de la
théorie marxiste de lřexploitation car, ici, chacun des facteurs de production est un
participant autonome à la création de la valeur et, de ce fait un partenaire égal dans
son partage.
Les principales conclusions de cette analyse sont que la croissance sřexplique
faiblement par la croissance des facteurs. Le facteur explicatif essentiel serait le
progrès technique mais ce nřest là quřun mot que lřon sřest efforcé de préciser en le
décomposant en progrès technique autonome (les innovations), en progrès technique
incorporé dans le facteur capital (perfectionnement des nouvelles machines), en
progrès technique incorporé dans le facteur travail (capital humain et accroissement
de la formation et de lřéducation : learning by doing).
Il serait intéressant de voir cette analyse néo-classique à travers trois (03)
modèles : de SOLOW, DE T.W.SWAN et J. MEADE ; Il est vrai quřil existe bien
dřautres modèles mais ceux-ci sont les plus caractéristiques et inspirent plus les
politiques de croissance.
Pour ce qui concerne R. SOLOW76 et W. SWAN, leur modèle se fonde sur les
hypothèses de base de la fonction production néo-classique en tant que modèle de
croissance économique. Les thèses fondamentales en sont les suivantes :
Il est retenu deux facteurs de production-le travail et le capital- de même
caractère fabriquant un produit de même nature. En somme, le bien
composite unique est produit par du travail et du capital. De plus, le travail
augmente à des rythmes constants.
Avec la libre concurrence, la rémunération des facteurs de production
correspond à leurs produits marginaux, cřest-à-dire que le salaire est égal
au produit marginal du travail, le profit (intérêt) est égal au produit
marginal du capital. Cřest pourquoi, la répartition du revenu exprime en
même temps lřapport productif de chacun des facteurs dans le coût de
production.

76 Théorie du capital et taux de rendement.

130
La libre concurrence, la libre substituabilité du travail et du capital, ainsi
que la libre variation de la rémunération des facteurs de production
conformément à la dynamique du travail et du capital, garantissent le plein
Ŕemploi de toutes les ressources.
Toute la partie non consommée du produit, cřest-à-dire lřépargne est
investie cřest-à-dire que le problème de la demande nřexiste pas
Lřélargissement de la production nřinflue pas sur lřaugmentation de
lřefficacité ; la productivité des facteurs décroît, les conditions de
production restant les mêmes
Le progrès technique a un caractère neutre, autonome, il sřélève dans une
égale mesure lřefficacité de tous les facteurs de production.
Le modèle est une parfaite illustration du thème commun à A. SMITH, S.
MILL et A. LEWIS, à savoir la connexion entre lřaccumulation du capital et la
croissance de la force de travail productif.
Concernant le modèle de J. MEADE, il porte sur la recherche de lřéquilibre
dynamique et, lřaspect néo-classique de son modèle réside dans le fait quřil utilise les
hypothèses de concurrence pure et parfaite dans une analyse de productivité
marginale dřéquilibre général, afin de déterminer les prix relatifs des facteurs de
production. Dans cette optique les conditions de stabilité du taux de croissance sont
les suivantes : lřélasticité de substitution doit être égale à 1 ; le progrès technique est
neutre par rapport à tous les facteurs ; la part des épargnes prélevées sur le revenu
des trois facteurs est une grandeur constante. Dans ces conditions en supposant
constant les taux de croissance démographique et de progrès technique, le taux de
croissance de la production globale tendra toujours vers un niveau constant donné
représentant la croissance économique équilibrée.
Ces modèles expliquent le niveau éventuel de la production mais ils ne disent
rien sur les conditions de sa réalisation. Cřest pourquoi ils sont sévèrement critiqués
particulièrement par les marxistes, les néo-ricardiens et les tenants de lřanalyse
hétérodoxe77.
En définitive, la conception de la régulation de lřéconomie sřest forgée dans le
creuset de la discussion relative aux facteurs qui déterminent en dernière analyse les
rythmes du développement économique dans une situation concrète donnée : les
conditions de la réalisation, cřest-à-dire la demande, ou bien les conditions de la
production, donc lřoffre de ressources économiques. La discussion qui a été soulevée
à ce sujet opposait keynésiens et néo-classiques. Les premiers voient les causes de la
rupture de lřéquilibre dynamique, tant à court terme quřà long terme, du côté de la
demande, dans son excès ou son insuffisance alors que les seconds accordent une
importance primordiale aux facteurs qui se rattachaient à la production et à lřoffre de
ressources, au rapport coût-prix, à la combinaison optimale des ressources, à
lřefficacité de la production, c'est-à-dire à tout ce qui détermine le potentiel
économique
Le deuxième volet de lřanalyse néo-classique concerne le modèle des échanges
internationaux selon lequel le libre-échange est la clef pour une organisation efficace
de la production mondiale. Lřanalyse ricardienne avait établi, depuis 1817, que
lřexistence des écarts de coûts relatifs de production entre pays, doit pousser à la
spécialisation et à lřouverture lřéchange international. En effet, chaque pays dispose
dřun avantage relatif (ou comparatif) même les plus pauvres qui ont de faibles
77 Voir sur ce point, lřexcellente réflexion de R. E. ROWTHORN : Neo-Classical Economics and its
critics a marxisview et de Carlo BENETTI : Valeur et Répartition .Presses Universitaires de Grenoble
1974

131
productivités globales de leurs facteurs de production. Ils ont intérêt à se spécialiser
dans les secteurs où ils sont relativement les moins désavantagés) et à sřouvrir au
commerce international. Le fondement de cette analyse du modèle néo-classique de
lřéchange international est lřapproche élaborée par HECKSCHER-OHLIN-
SAMUELSON selon laquelle chaque pays doit se spécialiser dans la production des
biens pour lesquels il dispose de meilleures dotations factorielles. (facteurs abondants
et donc peu coûteux).
Enfin le troisième volet est relatif au mode de régulation du système
économique. Globalement les néo-classiques accordent une confiance absolue aux
mécanismes du marché qui ont une force régulatrice supérieure à condition de
garantir la libre concurrence. LřÉtat, compte tenu de ses dépenses grandissantes, est
un facteur de déstabilisation. Toutes leurs constructions théoriques néo-classiques
visent à démontrer que la stabilité de la croissance peut être garantie non pas, comme
lřestimait Keynes et ses successeurs, par une activité compensatoire de lřÉtat avec ses
dépenses inflationnistes, mais par la politique monétaire et de crédit de la Banque
centrale. En effet, en opposition aux formulations keynésiennes, le courant
monétariste conduit particulièrement par M.FRIEDMAN78 dans les années 50. se
base sur les capacités autorégulatrices des marchés. La manipulation de la demande
effective par lřÉtat ne peut quřentraîner lřinflation. Dès lors, la politique économique
doit limiter les dépenses publiques et contrôler lřexpansion de la masse monétaire
génératrice dřune inflation toujours ruineuse pour lřactivité économique.
La théorie néoclassique ne permet pas encore lřélaboration dřune politique
économique cohérente et complète qui ne suscite de vives controverses entre les
divers courants qui la composent. En ne prenant en compte que les relations
techniques, elle a totalement oublié des aspects déterminants de la politique
économique qui est en définitive une interaction de nombreux facteurs.

78 Friedman : “A theorical framework for monetary analysis”, Journal of Political Economy n°2, 1970

132
CHAPITRE 8
THÉORIES STRUCTURALISTES ET INSTITUTIONNALISTES
DU SOUS-DÉVELOPPEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT :
APPROCHES TIERS-MONDISTES ET NÉO- MARXISTES.
« Le progrès que représente pour l’analyse du sous-
développement la démarche historique par rapport à la présentation
fonctionnelle est évident. Si le développement est un scandale
historique, un phénomène exceptionnel étroitement limité, le sous-
développement doit lui aussi, être analysé dans l’histoire. L’erreur
serait de ne pas pousser plus loin la réflexion et de faire du sous-
développement l’état commun de toutes les économies qui n’ont pas
connu la mutation révolutionnaire que constituent le décollage ou
l’industrialisation ».
J. FREYSSINET79

Dans un article introductif aux Cahiers de lřISEA consacrés spécialement au


sous-développement, F. PERROUX propose trois outils dřanalyse du sous-
développement: la domination, la désarticulation et la non-couverture des coûts de
lřhomme. Ces outils prennent racine dans une approche selon laquelle le sous-
développement nřest ni une étape naturelle ou une manifestation originale et
spécifique, ni un phénomène conjoncturel, ni un retard de développement encore
moins une étape dans une ligne dřévolution historique. Il est le produit de lřhistoire
de pays insérés dans la division internationale capitaliste du travail qui a façonné
toutes leurs structures économiques, politiques, institutionnelles et sociales.
Lřun des premiers apports de cette approche est alors une perception plus
lucide du rôle de lřhistoire économique dans la compréhension et surtout de
lřimportance des facteurs « non-économiques » dans le fonctionnement et la
transformation des systèmes économiques, comme celle du degré dřinformation des
agents responsables des décisions économiques. Une meilleure connaissance des
structures permet dřétablir toute lřimportance du non-économique dans les chaînes
de décision qui entraînent la transformation des ensembles économiques complexes
comme le sous-développement. Ce dernier se caractérisant alors par la particularité
des structures de pays dominés dont la croissance pour cette raison est vouée au
blocage. Il devient dès lors lřalternative radicale à la théorie de la croissance
transmise et soulève des questions relativement à son origine et son essence
profonde.
Dans les années 50, la plupart des économistes notamment ceux dřAmérique
Latine regroupés au sien du CEPAL ont tenté de répondre à ces questions dans le
cadre de leur recherche dřun projet national de développement. Des auteurs comme
R. PREBISCH, H.SINGER, SUNKEL, C. FURTADO et André GUNDER FRANK, Ruy
Mauro MARINI, Fernando H. CARDOSO, Vania BAMBIRRA, Osvaldo SUNKEL, et
T.DOS SANTOS, les plus éminents chercheurs de cette époque avaient émis le point
de vue que le sous-développement était un processus historique spécifique,
demandant un effort de théorisation autonome. Ces réflexions sur ce cadre historique
seront à la base de la « théorie du sous-développement ». En effet, selon
FURTADO « le sous-développement n'est pas une étape par laquelle sont
nécessairement passées les économies les plus avancées. C'est une situation

79 J. FREYSSINET : Le concept de sous-développement p173

133
particulière, conséquence de l'expansion de ces économies les plus riches, qui
cherchent à utiliser les ressources naturelles et la main-d'œuvre des zones d'économie
pré-capitaliste ».80 Ainsi, C. FURTADO met en évidence que la théorisation de la
croissance doit tenir compte des facteurs psychologiques ou sociaux qui influent sur
le développement dřune communauté. La simple quantification des variables sřavère
insuffisante pour expliquer la praxis des agents productifs car la "prévision
économique doit se contenter par obligation dřétablir un champ de possibilités" et le
profit que lřhomme peut tirer dřun horizon dřaction plus ample, seule lřhistoire sociale
peut lřexpliquer.
Lorsque C. FURTADO sřattache à délimiter lřobjet théorique du structuralisme,
il cite expressément F. PERROUX pour souligner ce que lřon doit comprendre par
« structure » : «proportions et relations qui caractérisent un ensemble économique
localisé dans le temps et lřespace». En effet, F. PERROUX avance « Les trois outils
dřanalyse du sous-développement » qui sont, en fait, des réponses articulées à ces
questions : le sous-développement est le produit de la domination (influence
asymétrique et irréversible) exercée par des puissances extérieures sur les pays
périphériques. Cette domination qui fut une agression économique véritable a
entrainé la destruction de lřéquilibre ancien des économies et sřest traduite par une
déstructuration, une désarticulation des structures qui se manifeste concrètement
non pas dans les termes ambigus dřun chiffre unique, fut-il le PNB par tête, mais dans
un phénomène à la fois beaucoup plus profond et beaucoup plus complexe : la « non-
couverture des coûts de lřhomme ». Ces trois concepts foyers (la domination, la
désarticulation et la non-couverture des coûts de lřhomme se retrouvent dans toutes
les réflexions des auteurs qui se réclament du structuralisme avec par moment des
formulations, des méthodes dřapproche, des référentiels théoriques différents.
Toutefois, C. FURTADO va plus loin que PERROUX dans ses analyses
théoriques. Dřabord, il démonte avec rigueur les modèles économiques comme Ŗa-
historiquesŗ, Ŗstatiquesŗ et Ŗabstraitsŗ. Certains auteurs ont tenté de construire des
modèles pour leur insuffler une Ŗdynamiqueŗ ou dřintroduire, dřune manière ou
dřune autre, le temps (axe diachronique) dans leurs postulats théoriques mais sans
grands résultats. Ensuite, C. FURTADO se démarque clairement en observant que le
« structuralisme économique » latino-américain nřa rien à voir avec Ŗlřécole
structuraliste françaiseŗ. Car ce que lřon entend par pensée « structuraliste » en
économie nřa pas de lien direct avec lřécole structuraliste française dont lřidée
générale a été de souligner lřimportance de lřaxe des synchronies dans lřanalyse
sociale et dřétablir une syntaxe des disparités entre les organisations sociales.
Le structuralisme économique, École de pensée qui surgit dans la première
moitié des années 60 parmi les économistes latino-américains, a pour objet principal
de mettre en valeur lřimportance des paramètres non-économiques des modèles
macro-économiques. Comme le Ŗcomportement des variables économiques dépend
en grande mesure de ces paramètresŗ, ceux-ci doivent faire lřobjet dřune étude
méticuleuse. Cette observation est particulièrement pertinente en ce qui concerne les
systèmes économiques hétérogènes, socialement et techniquement, comme cřest le
cas des économies sous-développées.

80
Celso FURTADO : Le nouveau Brésil : Publié dans la Revue Carta Capital de décembre 2002.
Traduction : Sandrine Lartoux pour Autres Brésils

134
Malgré tout, les structuralistes de tous bords partagent trois lignes de pensée
qui sont: lřanalyse historique, les incidences des modes dřinsertion à lřéconomie
mondiale des pays sous-développés et les politiques et stratégies de développement.
Ces thèmes constituent souvent le point de départ des réflexions et recherches des
structuralistes. Bien que plurielles, les auteurs convergent vers le rejet des analyses à
prétention technicistes centrées essentiellement sur des variables strictement
économiques. Le sous-développement dans ces conceptions ne peut se comprendre
sans prendre en considération le processus historique de la formation des structures
économiques et sociales et leurs interactions dans le processus de développement ou
de sous-développement.
Ces idées fondatrices du structuralisme révèlent deux interprétations, deux
lignes dřapproche différentes : lřapproche libérale qui considère lřétat de sous-
développement comme un retard dans le développement, elle prend sa source dans
lřanalyse de lřÉcole Classique et la deuxième qui considère le sous-développement
comme le produit du développement du capitalisme mondial, cette analyse se réfère
souvent au marxisme. On trouve aussi des auteurs qui échappent à cette classification
et qui développent des réflexions synthétiques indépendantes. Cřest pourquoi, la
variété des auteurs et la diversité de leurs méthodologies dépassent de loin cette
présentation certainement trop réductrice de la richesse et de la profondeur des
recherches des structuralistes.

Tableau 4 : Résumé des deux méthodologies d’approche


Champ Théorie Terrain Action
Méthode hypothético- induction (normatif)
déductive 81[11] (particularisme)
(universalisme)
Systémique Approche globale Anthropologie Développement
(holisme) du développement économique du intégral et intégré.
(systémisme, néo- développement Nouvel ordre
marxisme, Historicisme économique.
dépendantisme, Institutionnalisme Réforme des
structuralisme) structures
Analytique Modélisation du Théorico-empirique Choix de projets
(individualisme développement ex : travaux micro-réalisations
méthodologique) (néoclassique, économétriques systèmes incitatifs
anthropologie sectoriels. Tests prix et marché
formaliste, école empiriques et
standard élargie) dřefficience
Source: Ph. HUGON, art, cit. p. 174.

135
Section 1 : La première École de pensée économique du Tiers-
monde : la formation de l’approche structurale du
développement à la CEPAL.
La création de la Commission Économique pour lřAmérique Latine et les
Caraïbes (CEPAL) en 1945 marque la naissance du structuralisme. En effet
lřélaboration de la thèse structuraliste est essentiellement associée aux écrits de cette
Agence des Nations Unies et, plus particulièrement, aux travaux de son premier
Directeur, R.PREBISCH, considéré comme le père du structuralisme.
Les économistes latino-américains, dans leurs efforts pour expliquer pourquoi
la croissance économique nřavançait pas plus rapidement en Amérique Latine dans
les années 1950, en vinrent à penser que certains aspects des structures économiques
de leurs pays en étaient la cause. Pour cela, pour être bref nous nous intéresserons
aux analyses faites par ces économistes à partir des années 50 basées
particulièrement sur la détérioration des termes de lřéchange et sur la théorie de la
substitution aux importations avant dřétudier un renouvellement de la théorie
structuraliste du développement.
Les idées développées par les anciens structuralistes (J.NOYOLA-VASQUEZ,
A.PINTO, L.PRETRSCH, H. SINGER, O.SUNKEL, M.TAVARES) en vogue dans les
années 50 et 60 ont été fortement influencées par les théories keynésienne et
postkeynésiennes qui existaient sur le rôle positif et nécessaire de lřÉtat face à
lřinefficacité des mécanismes de marche, sur la nécessite de créer et dřétudier la
« demande effective » interne afin de stimuler lřactivité économique et proposer une
explication du phénomène inflationniste a partir des facteurs sociaux ou réels et par
le courant néo-structuraliste qui traite des liens entre répartition du revenu et
formation des prix et du taux de profit.
Également les structuralistes remettent en cause lřanalyse ricardienne et la
théorie néoclassique (version HOS) du commerce international selon laquelle les
différences de dotations relatives en facteurs de production entraînent la
spécialisation internationale et une tendance à lřégalisation (relative ou absolue) de
la rémunération des facteurs de production entre les coéchangistes. Cette tendance
devrait permettre de rapprocher les niveaux de développement : le commerce se
porterait alors comme un instrument de réduction des inégalités entre les nations. La
liberté du commerce conduirait à réduire lřécart de revenu entre les pays riches et les
pays pauvres. Contrairement à cette analyse, les structuralistes découvrent dans
lřouverture extérieure lřexplication de la condition permanente du sous-
développement en Amérique Latine car les forces du marché ne poussent pas vers
lřégalité de la rémunération des facteurs de production et des revenus.
La principale conclusion à tirer de la théorie dřHECKSCHER-OHLIN, que lřon
retrouve dans une multitude dřouvrages et dřarticles dřauteurs consacrés aux rapports
économiques internationaux est que chaque pays a tendance à se spécialiser dans la
fabrication et lřexportation de marchandises exigeant de nombreux facteurs de
production qui y sont relativement abondants et, de ce fait, relativement bon marché.
Ohlin souligne que la division internationale du travail est également influencée par
les conditions de la demande à lřintérieur de chaque pays, mais selon la plupart des
auteurs néo-classiques contemporains, ce facteur ne revêt habituellement pas une
importance décisive et ne porte pas atteinte au principe susmentionné. De ce fait,
affirment-ils, le commerce international est avantageux pour tous ceux qui y
participent, car les ressources productives de tous les pays sont utilisées de la
manière la plus efficace et, grâce à la division du travail et du commerce, chaque pays
reçoit avec un minimum de frais plus de marchandises quřil nřen aurait pu fabriquer

136
lui-même. Selon cette théorie, le marché capitaliste mondial serait une sphère
dřéchanges « réciproquement avantageux » et les intérêts de tous les pays sont réglés
par lřharmonie naturelle.
Les traits distinctifs suivants caractérisent, selon PREBISCH, les États
industriels (« centre ») et les pays producteurs de denrées agricoles et de matières
premières (« périphérie ») :
détérioration des termes de lřéchange pour la périphérie et leur
amélioration pour les principaux centres de lřéconomie mondiale ;
économie intégrée au centre ; à la périphérie, économie productrice de
denrées alimentaires et de matières premières, de préférence monoculture,
reposant sur des méthodes de production précapitalistes ;
impulsions de la conjoncture au centre ; intenses transpositions de ces
impulsions des centres à la périphérie ;
accumulation rapide du capital et intense progrès technique avec
accroissement de la productivité et des revenus au centre ; faible
accumulation du capital, progrès technique insignifiant, faible productivité
et faibles revenus réels à la périphérie ;
à la périphérie, part considérable du commerce extérieur dans le revenu
national exerçant une influence décisive sur la conjoncture ; faible part au
centre où les investissements intérieurs et non le commerce extérieur
exercent une influence décisive sur la conjoncture ;
tendance chronique à la dépression au centre ; à lřinflation chronique à la
périphérie ;
chômage au centre ; sous-emploi et faibles productivités du travail à la
périphérie.
Ainsi, pour les structuralistes, lřunique voie pour rompre cette insertion
régressive qui contraint la périphérie à rester sous développée et conduit donc à une
« spécialisation appauvrissant » réside dans lřimpulsion dřun développement
industriel. La mise en œuvre du processus dřindustrialisation doit permettre
dřaméliorer a la fois la répartition internationale des fruits du progrès technique
(lřindustrialisation considérée comme véhicule premier du progrès technologique
devait contribuer à réduire lřécart technologique qui est à la base de lřaccentuation
des différences structurelles entre le centre et la périphérie) et la répartition interne
du revenu national (via lřabsorption dřun montant croissant de main dřœuvre)
Lřaccent mis par la CEPAL sur les vertus magiques de lřindustrialisation doit
permettre dřélever le niveau de vie des masses populaires sans même mettre en place
une politique de Ŗredistribution des revenusŗ, ou même une réforme agraire.
Somme toute, ces politiques structuralistes de développement ont été suivies
avec succès par certains pays comme le Brésil, lřArgentine et le Mexique, notamment
en matière de décollage de lřindustrialisation, même si ces résultats ont tendance à
être oubliés à un moment à cause des nombreux soubresauts politiques puis de la
crise de la dette des années 80 quřa connu la région latino-américaine. Si bien que le
structuralisme fondateur a pu sembler définitivement dépassé, pour certains, ou bien
à renouveler et cřest ce projet théorique de renouvellement (de régénération) que
constitue le néo-structuralisme.

Section 2 : La riposte libérale de l’analyse du sous-


développement : les thèses de C. CLARK à W.W. ROSTOW.
Renouant avec la tradition historique du siècle dernier, la période
contemporaine a vu certaines analyses visant à déterminer les étapes du

137
développement et de la croissance. Pour ces auteurs, il existerait un sentier sinon
optimal, du moins obligé, de la croissance ; un certain nombre dřétapes par lesquelles
il est nécessaire que les différents pays passent. Cette analyse se retrouve souvent
dans la littérature économique libérale. Elle est particulièrement soulignée par
HIGGINS lorsquřil observe que « Ce qui sřest produit dans les pays européens au
XVIII et XIXème siècles, cřest ce que nous désirons voir se produire maintenant en
Asie, en Afrique et en Amérique Latine » Donc lřidée est bien claire, : les mutations
qui se sont passées à une époque historique , dans certains pays qui sont maintenant
industrialisés et les PSD sont en retard par rapport à cette évolution, lřapplication des
mêmes techniques et des mêmes modèles de développement leur permettront de
sortir de lřétat de sous-développement.
Une série dřauteurs ont défendu ces idées parmi eux Colin CLARK mais
surtout ROSTOW dont les approches continuent encore dřinspirer les approches
libérales du sous-développement.
La première approche est de Colin CLARK. Il considère quřil existe une
corrélation entre la répartition de la population et le niveau du revenu par tête. La
proportion de la population occupée dans les activités primaires cřest-à-dire
lřagriculture, la pêche, lřélevage est fonction inverse du revenu par tête. Au contraire,
lřemploi de la main-dřœuvre dans le secteur secondaire augmente avec le niveau du
produit par tête. Le secteur tertiaire va lui aussi croître lorsquřon aura atteint la phase
supérieure du développement. De sorte quřil y a un développement successif des
secteurs les uns après les autres. Le secteur primaire va se dégonfler au profit du
secondaire, puis les deux premiers au profit du secteur tertiaire. Les PSD sont des
pays qui ont encore une forte proportion de leur population dans le primaire.
Cette analyse qui a eu ses heures de gloire, est largement démentie par
lřévolution des faits. En effet, on observe aujourdřhui dans la quasi totalité des PSD
une hypertrophie des activités tertiaires qui sont plus signe de sous-développement
que de développement. Dřailleurs, S. AMIN fait de cette distorsion en faveur des
activités tertiaires une caractéristique du sous-développement.
La deuxième approche est celle de Rostow
La « philosophie » de lřhistoire de ROSTOW se résume dans le fait que, selon
lui, toute société lancée sur la voie de lřindustrialisation indépendamment de sa force
sociale, parcourt cinq stades : la société traditionnelle, les conditions préalables de ce
démarrage, les progrès vers la maturité, lřère de la consommation de masse. Le
déterminisme très primaire de ce découpage a provoqué de multiples contestations.
Si ce livre a fait tant de bruit cřest essentiellement pour deux raisons ( hormis
lřheureuse image du « take- off ») : cřest dřune part parce que avec la doctrine des
conditions préalables lřéconomie politique dominante a cru un moment tenir le
modèle capable à la fois dřêtre offert aux pays sous-développés comme lřimage de leur
futur développement, et exporter ces mêmes pays sous-développés à la patience.
Rostow sřattache en effet à démontrer lřidentité de ces conditions préalables avec les
conditions historiques de naissance du capitalisme, et lřinévitable longueur du
mûrissement de ces préalables.

138
Tableau 5 : Analyse libérale du sous-développement.
L’analyse libérale : le sous-développement un retard de
développement. La théorie du développement linéaire de
ROSTOW (1960)
Les étapes Les caractéristiques des étapes de la Situation
croissance contemporaine

La société Société agricole, stationnaire, la terre est la Les P.M.A.


traditionnelle seule source de richesse. Perspectives de
changement faibles. Société hiérarchisée
Les conditions Apparition du profit, développement de Pays en
préalables au l’agriculture, idées nouvelles, Apparition d’un développement
décollage Etat centralisé, l’épargne et l’investissement intermédiaires
augmentent
Le décollage ou Emergence de branches motrices, La Les N.P.I.
« take off » croissance devient habituelle et crée un
processus cumulatif, inégalités sociales
La marche vers Apparition d’industries nouvelles, Corée du Sud ?
la maturité augmentation de la productivité agricole P.E.C.O. ?
(exode rural), idée de progrès
L’ère de la Besoins essentiels satisfaits, organisation Pays occidentaux
consommation efficace mais contraignante, développement développés
de masse de la protection sociale, développement du
secteur tertiaire

De même que J. SCHUMPETER a fait rentrer le socialisme dans la théorie de


même ROSTOW y a-t-il fait pénétrer les pays sous développés, Dřautre part, avec sa
cinquième étape, lřère de la consommation de masse, ROSTOW pose sous la forme
moderne, le problème de maturité .Cette ère de la consommation de masse se définit,
Selon Rostow, par le fait que le moteur de la croissance , dans les sociétés mures , se
situe dans le secteur des biens de consommation , le secteur de biens dř équipement
abandonnant le rôle entraînant quřil avait jusque là . ROSTOW développe une idée
quřon a vu exister en germe chez KEYNES et chez dřautres. Ou, pour sřexprimer plus
justement, Rostow insiste sur cette idée mais ne la développe pas. Il nřexiste en effet
chez lui, ni analyses des raisons pour lesquelles, à un moment déterminé les besoins
dřinvestissement devraient abandonner leur rôle moteur au régime capitaliste, ni
analyse des raisons pour lesquelles les besoins de la consommation devraient tôt ou
tard approcher de la saturation, ni esquisse dřune solution possible à cette situation
préoccupante. En effet la seule consolation réelle quřoffre ROSTOW au régime cřest
quřa lřen croire, toutes les sociétés futures (socialistes) auront un jour à affronter les
mêmes problèmes.

Section 3: Les néo-marxistes et les formulations d’une


approche du développement à la lumière de l’œuvre de Marx.
Dans la théorie marxiste lřévolution de la société obéit à des lois scientifiques,
qui devraient impliquer que toute société devrait suivre les mêmes étapes dřévolution.
Dés lors, l'histoire est une succession des modes de production qui, à partir du
communisme primitif, sont passés par des stades plus ou moins enchevêtrés, qui
peuvent se classer pour simplifier, au moins en Europe: en société esclavagiste,
société féodale, en société capitaliste et en société socialiste. Cette succession des
modes de production est la base matérielle de l'histoire humaine. Elle s'accompagne
d'un accroissement de la productivité sociale du travail, ou si l'on veut, des valeurs
d'usage produites par unité de temps et par producteur. Avec le capitalisme, la

139
productivité augmente de façon exponentielle, ne trouvant d'autre limite que dans les
rapports de production capitalistes eux-mêmes (limites qui s'expriment dans les
crises, les guerres... ou dans les révolutions prolétariennes). Cřest dire, en définitive,
que lřévolution de la société obéit à des lois scientifiques, qui devraient impliquer que
toute société devrait suivre les mêmes étapes dřévolution.82. Toutefois comme
lřobserve R. GARAUDY, «le matérialisme historique de MARX nřest donc ni une
méthode de déduction, ni une méthode de réduction : lřon ne peut ni déduire les
superstructures de la base, ni réduire les superstructures à la base. Lřon peut dire
seulement que la superstructure et la base sont des moments dřune même totalité
organique dans laquelle les rapports de la société (considérée comme un système ou
une totalité vivante), avec le milieu naturel qui lřentoure, jouent un rôle majeur »
Cette supposition semblerait confirmée par une position de Marx montrant que «Le
pays le plus développé industriellement ne fait que montrer à ceux qui suivent sur
l’échelle industriel l’image de leur propre avenir»83. Pourtant, dans sa fameuse lettre
écrite en 1881 à une Russe nommée Vera Zassoulitch, Marx observe clairement que
les développements analysés dans son livre Le Capital ne seraient inévitables que
pour les pays qui sřétaient déjà engagés sur la voie capitaliste, notamment, avec
lřexpropriation de petits paysans de leurs terres. Une société (dans ce cas, la Russie)
qui garderait la propriété communale de terres pourrait passer directement du
féodalisme au socialisme, en sautant lřétape capitaliste.
Ce débat fut repris dans le cadre du Mode de Production Asiatique qui
introduisait les découvertes de formes particulières de transition vers une Formation
Sociale socialiste84 qui fasse lřéconomie de la phase proprement capitaliste. Et les
expériences concrètes des pays comme la Chine, la Mongolie et le Viêt-Nam
semblaient montrer quřun pays peut devenir socialiste sans passer préalablement par
une étape capitaliste, quelle que soit lřidée que se faisait K. Marx sur ce sujet.
Au temps où il écrivait « Le Capital », Marx était convaincu que la première
révolution prolétarienne aurait lieu dans le pays capitaliste le plus développé,
lřAngleterre. Vers la fin de sa vie, il pensa que la première révolution pourrait bien se
dérouler en un pays sous-développé (la Russie), mais à condition quřune révolution
russe soit lřétincelle dřune révolution dans le reste de lřEurope, sinon les pays
capitalistes écraseraient le nouveau régime de Russie : «Il s’agit, dès lors, de savoir si
la communauté paysanne russe, cette forme déjà composée de l’antique propriété
commune du sol, passera directement à la forme communiste supérieure de la
propriété foncière ou bien si elle doit survivre d’abord au même processus de
dissolution qu’elle a subi au cours du développement historique de l’Occident. La
seule réponse qu’on puisse faire aujourd’hui à cette question est la suivante : si la
révolution russe donne le signal d’une révolution ouvrière en Occident, et que toutes
deux se complètent, la propriété commune actuelle de la Russie pourra servir de
point de départ à une évolution communiste.»85

82 Certains interprètent MARX et ENGELS en disant quřil faut nécessairement passer par toutes les
étapes, et dřautres interprètent Marx et Engels en disant quřun pays peut sauter des étapes. Le lecteur
intéressé au «problème du socialisme en un seul pays» peut se référer a deux passages écrits en 1845 et
1847 (mais publiés MARX et ENGELS, lřIdéologie allemande (éditions sociales, pages 63-64), et
Engels, Principes du communiste, question XIX (éditions sociales, annexe au manifeste communiste,
page 87).
83 K. MARX : Préface à la première édition allemande. Certains interprètent Marx et Engels en disant

quřil faut nécessairement passer par toutes les étapes, et dřautres interprètent Marx et Engels en disant
quřun pays peut sauter des étapes.
84 Moustapha KASSE : Du sous-développement au Socialisme : réflexion sur la transition, Édit Silex
85 MARX et ENGELS : Introduction à lřédition russe (1882) du Manifeste

140
Il faut rappeler que dans nos développements antérieurs, nous avions montré
que le capitalisme porte en lui une contradiction fatale, la baisse tendancielle du taux
de profit. Or, les recherches des structuralistes marxistes comme S. AMIN,
EMMANUEL, G. FRANK, G.DHOQUOIS, C. PALLOIX entre autres, vont établir,
après une analyse du fonctionnement du capitalisme au Centre et à la Périphérie, que
le système central est sauvé dřune chute inéluctable.

I/ Le capitalisme à la périphérie ou la définition du sous-développement


comme une structure plutôt que comme un niveau du revenu par
habitant.

Cřest au chapitre II que se développe la partie centrale de lřouvrage de Samir


AMIN, non plus cette fois ci en termes de modèle de fonctionnement, mais en termes
de modes de production et de formations sociales. Cette partie qui est la plus
importante renouvelle de façon magistrale lřanalyse du « sous-développement »
concept qui, comme le dit S. AMIN, en occulte la réalité, celle dřune formation
sociale capitaliste dominée, exploitée et façonnée par lřimpérialisme.
La problématique amorcée constitue lřélément dominant de lřanalyse. Le
moment premier est de partir de ce qui est la base, les fondements internes des dites
Formations sociales à savoir des modes de production antérieurs à la pénétration
capitaliste, soit la connaissance des modes de production précapitalistes, tel que le
mode de production asiatique pour lequel il se propose lřexpression de mode de
production tributaire pour sa variante africaine. Il sřoppose à deux variantes
antagoniques de lřanalyse du sous-développement, lřune qui est celle de lřidéologie
bourgeoise consistant à faire du sous-développement un retard ou un blocage
correspondant au maintien des sociétés traditionnelles (thèse du dualisme), lřautre
(marxiste) qui tend à vouloir expliquer le sous-développement uniquement à travers
des causes externes (lřimpérialisme).
La transition au capitalisme périphérique86 à savoir la construction dřune
formation sociale capitaliste spécifique à la périphérie à partir de la colonisation et de
lřexportation de capital sur la base des modes de production précapitalistes. La
théorie de la transition au capitalisme périphérique livre deux séries de résultats :
dřune part, en ce qui concerne les conditions nécessaires pour que sřétablisse le mode
de production capitaliste à la périphérie « celles-ci sont au nombre de deux
essentiellement : la prolétarisation et lřaccumulation du capital argent (p165) ce qui
insiste sur la dissolution des anciens rapports pour libérer la force de travail
nécessaire à lřétablissement de rapports de production capitalistes, libération obtenue
le plus souvent par la violence ; Et dřautre part en ce qui concerne la dynamique de
lřaccumulation : « Le mode de production, capitaliste tend à devenir exclusif cřest-à-
dire à détruire les autres modes de production. Sur ce point Samir AMIN développe la
spécificité du mode de production capitaliste dans les formations sociales capitalistes
de la périphérie qui me parait résider dans la carence des rapports de production à
dominer le développement des forces productives, ce qui conduit dřun côté à la non
industrialisation, et de lřautre à la consolidation des rapports
Le développement du capitalisme périphérique ou le développement du sous-
développement (pp197-338) qui selon S.AMIN se manifeste par trois distorsions
une distorsion décisive en faveur des activités exportatrices qui
absorberont la fraction motrice des capitaux en provenance du centre ;

86 S.AMIN : pp 163-193,

141
une distorsion en faveur des activités tertiaires qui traduit les
contradictions particulières au capitalisme périphérique et les structures
originales des formations périphériques
une distorsion dans les choix des branches de lřindustrie en faveur des
branches et techniques légères, accessoirement en faveur des techniques
légères (p198)
Les formations sociales capitalistes périphériques87 avec plus spécialement une
caractérisation des formations sociales africaines de la périphérie partagent trois
caractéristiques communes :
la prédominance du capitalisme agraire et commercial dans le secteur
national,
la constitution dřune bourgeoisie locale dans le sillage du capital étranger
dominant,
la tendance au développement bureaucratique original, propre à la
périphérie contemporaine (p360). Cette troisième caractéristique engagerait les
formations sociales vers un « capitalisme dřÉtat » parfaitement compatible avec les
exigences du centre et la reproduction des rapports capitalistes internes aux Pays
sous-développés88. La question des relations (spécialisation et échange inégal) entre
Centre et Périphérie. Ces deux points sont étroitement imbriqués : spécialisation
internationale inégale
Tout cela établit avec clarté que les pays pauvres d'aujourd'hui n'ont pas la
même structure que les pays riches du siècle passé. Donc ils n'auront pas la même
histoire qu'ont eue les pays riches. Nous retrouvons les caractéristiques structurelles
distinctives des pays pauvres (ou « périphériques ») et que soulignent presque tous
les auteurs structuralistes de F. PERROUX aux autres :
Dualisme. Il y a de très fortes différences de productivité entre un secteur
moderne (mines, industries, plantations commerciales, …) et les autres secteurs de
l'économie (agriculture traditionnelle, .etc.). Ce thème a fait lřobjet dřune abondante
littérature depuis son introduction comme préoccupation de recherche par BOEKE
(1953). Cřest surtout C. FURTADO qui construira autour de cette situation
structurelle toute sa construction du sous-développement. « Le cas le plus simple est
celui de la coexistence dřentreprises étrangères productrices dřune marchandise
dřexportation, avec un large secteur dřéconomie de subsistance, coexistence qui peut
durer pendant de longues périodes. Le cas le plus complexe est celui où une économie
présente trois secteurs : le premier essentiellement de subsistance, le second tourné
surtout vers lřexportation, le troisième étant un noyau industriel lié au marché
interne, suffisamment diversifié pour produire une partie des biens de capital dont
lřéconomie a besoin pour se développer »89. Dans un cas comme dans lřautre
FURTADO90 montre que lřéconomie sera bloquée, analyse partagée par S. AMIN

87 Ibid : pp 339-376
88 Ibid :p.372
89 Celso FURTADO dans ses deux ouvrages publiés aux Presses Universitaires de France :

Développement et sous-développement (1966, p.149) et Théorie du développement économique (1970)


90 Les caractéristiques du structuralisme qui apparaissent dans Théorie du développement

économique, dans son « Annexe méthodologique » ou dans ses chapitres 14, 16, 18 et 20, évoquent une
interprétation du Ŗstructuralismeŗ proche de celles dřauteurs comme A. HIRSCHMAN, W. LEWIS, R.
NURKSE et ROSENSTEIN RODAN et de ce que lřon entend alors par le terme « dépendance ». Il sřagit
dřun ouvrage qui déchiffre les phénomènes économiques à partir dřune « matrice structurale »
caractérisée par la manière dont les variables exogènes et endogènes entrent en relation et se
déterminent réciproquement C. Furtado souligne dès le départ que les modèles économiques
contiennent un « nombre indéterminé de structures »

142
Désarticulation. Il y a peu d'échange intersectoriel ou entre industries.
Dans un pays développé, les produits finis d'une industrie sont souvent les
matières premières d'une autre industrie du pays (par exemple, l'acier
provenant d'une sidérurgie est une matière première pour une fabrique de
camions, et les camions sont des pièces d'équipement utilisées par la
sidérurgie) ; dans un pays sous-développé, les matières premières du
secteur industriel sont importées, et les produits finis sont exportés ou
consommés par les ménagères - ils sont rarement utilisés par les autres
industries du pays.
Domination extérieure. Le pays pauvre a peu dřautonomie ; une large
partie de son économie est sous le contrôle effectif des étrangers.

II/ L’accumulation à l’échelle mondiale91 permet d’éviter la chute du


capitalisme au Centre.

Il est théoriquement possible pour le système capitaliste de continuer


indéfiniment en fait de régler théoriquement et pratiquement la contradiction de la
baisse du taux de profit. Il serait alors assez naïf de baser sa politique sur une
disparition imminente du capitalisme au niveau des pays riches. En effet, Samir
AMIN opère une certaine réduction instantanément au plan du concept dřéconomie
mondiale quřil identifie à lřéconomie mondiale capitaliste et à lřaccumulation
mondiale du capital dřoù le titre de lřouvrage. En clair, au lieu de se tenir sur le terrain
des rapports de production et du développement des forces productives, il se situe à
un niveau écran qui est celui de lřaccumulation du capital. Cela apparaît très
nettement lorsquřil écrit que «Lřaccumulation, la reproduction élargie, est une loi
interne essentielle du mode de production capitaliste, et sans doute du mode de
production socialiste ; mais elle nřest pas une loi interne du fonctionnement des
modes de production précapitalistes ». Dès lors, quřil admet ce qui est juste
quř « aucune formation socio- économique concrète contemporaine ne peut être
saisie en dehors de ce système », le système mondial se définit par lřaccumulation à
lřéchelle mondiale et les mécanismes de cette accumulation, ce qui le conduit à
traiter lřaccumulation au niveau de lřéconomie mondiale comme un transfert de plus-
value de la périphérie vers le centre.

91 Samir AMIN/ L’accumulation à l’échelle mondiale

143
Figure 7 : Analyse structuraliste : Accumulation et enrichissement au centre
Accumulation échelle mondiale

Accumulation et Développent au Centre


Accumulation échelle mondiale

Domination/ Sous développement à la périphérie


Prebisch, Furtado, Singer, Emmanuel, Amin
Sunkel, G. Frank et Maurini

Désarticulation Non couverture


Distorsions structurelles coût de l’Homme
et faible productivité Appauvrissement

Cřest le thème fondamental de lřéchange inégal dřArghiri EMMANUEL qui


observe que « les relations entre les formations du monde développé (le centre) et
celles du monde « sous développé » (la périphérie) se soldent par des flux de
transferts de valeur, qui constitue lřessence du problème de lřaccumulation à lřéchelle
mondiale. Chaque fois que le mode de production capitaliste entre en rapport avec
des modes de production quřil se soumet, apparaissent des transferts de valeur des
derniers vers le premier qui révèlent des mécanismes de lřaccumulation primitive.
Ces mécanismes ne se situent pas seulement dans la préhistoire du capitalisme : ils
sont aussi contemporains. Ce sont des formes renouvelées, mais persistantes de
lřaccumulation primitive au bénéfice du centre qui constituent le domaine de la
théorie de lřaccumulation à lřéchelle mondiale ».
Cette analyse qui nous situe au plan de lřéconomie mondiale marque un
progrès certain. En effet, ce qui est au centre du capital de Karl Marx, cřest lřaction
des rapports de productions capitalistes Ŕ interne en mode de production
essentiellement national Ŕsur le développement des forces productives, à travers les
mécanismes de lřéconomie du capital, quřils soient du type de la reproduction élargie
du capital social ou de lřaccumulation primitive du capital, pour reproduire les
rapports de production. Le passage du cadre national au cadre mondial exige que
nous nous placions sur la base des rapports de production définissant le rôle de
lřaccumulation du capital à lřéchelle mondial vis-à-vis de la production de ces mêmes
rapports. Le mérite de lřanalyse, et cela est dřune première importance, est de nous
engager sur cette voie.
« La théorie des relations économiques internationales pose mal son
problème, plus exactement elle pose un faux problème. Elle procède en effet de
lřhypothèse que les partenaires dans les relations internationales sont des
économistes capitalistes « pures ». Le cadre de raisonnement nřest pas différent pour
lřanalyse de lřéchange international ainsi appréhendé de celui conçu pour lřanalyse de
lřaccumulation interne : on se place dans le cadre dune production capitaliste. Cette
hypothèse conserve un sens pour lřanalyse de lřéchange international entre « pays

144
développés », toutefois, elle nřa pas de sens pour ce qui concerne lřéchange entre
« pays développés » et « pays sous développés ». À ce niveau, on doit se placer dans
le cadre dřun raisonnement complètement différent : celui des relations dřéchange
entre les formations socio économiques différentes. Quelles sont ces formations en
présence ? Là est le vrai problème ». En effet, le capitalisme au Centre diffère de celui
de la périphérie.

1°) Le fonctionnement du capitalisme au Centre

En ce qui concerne lřanalyse des formations socio économiques capitalistes


dominantes, un des apports essentiel de Samir AMIN tient au refus de connecter « le
modèle de fonctionnement » du capitalisme au Centre de son insertion dans
lřéconomie mondiale, à le séparer de lřespace impérialiste mondial dans lequel il
fonctionne concrètement.
En ce qui concerne le modèle de fonctionnement, si Samir AMIN ne se croit
pas tenu de développer largement son analyse Ŕ on aurait espérer un renouvellement
Ŕ cřest quřil se réfère très étroitement dřune part à une vision marxiste classique
quant aux stades de développement historique du capitalisme et dřautre part à la
formulation du modèle de fonctionnement du capitalisme américain de notre temps,
tels que développé par BARAN ET SWEEZY.92 Vis-à-vis des stades de développement
du capitalisme au centre, Samir AMIN distingue trois étapes très classiques :
la période de constitution du capitalisme …que lřon peut définir par le
caractère mercantile dominant du capitalisme ;
la période dřépanouissement du mode de production capitaliste au centre,
caractérisé par la révolution industrielle, la dominance essentielle du
capital industriel nouveau et la forme concurrentielle du marché
capitaliste…. ;
la période impérialiste des monopoles Ŕ au sens leniniste de lřexpression Ŕ
qui débute à la fin du XIXème siècle.
Tout modèle de fonctionnement capitaliste au centre est réductible au modèle
Américain. De plus le modèle DE BARAN ET SWEEZY sřapplique semble- tř-il à la
totalité de la phase retenue, si bien que lřauteur ne dit pas un mot sur la thèse du
capitaliste monopoliste dřÉtat. Par ailleurs Samir Amin nřexplore pas les
transformations du capitalisme monopoliste contemporain qui évolue manifestement
vers une phase de « concurrence internationale des monopoles » (G.DE BERNIS).
En bref, il recouvre dřune même identité des périodes évolutives au sein de la phase
du capitalisme monopoliste : capitalisme monopoliste industriel et financier,
capitalisme monopoliste dřÉtat, capitalisme de concurrence internationale des
monopoles. Lřauteur se place sur le terrain du modèle de fonctionnement
uniquement, et cela en des termes très voisins à ceux de BARAN ET SWEEZY, que ce
soit le capitalisme concurrentiel ou pour le capitalisme monopoliste , c'est-à-dire à
travers le mode de création et dřabsorption du surplus Ŕ en liaison avec le problème
de la baisse tendancielle du taux de profit Ŕ dřoù se dégage la fonction des relations
extérieures du centre avec la périphérie : « Les relations internationales (commerce
et exportations de capitaux) conservent les mêmes fonctions pour le capital central,
c'est-à-dire combattre la baisse tendancielle du taux de profit : en élargissant les
marchés et en exploitant des zones nouvelles ou le taux de la plus value est plus élevé
quřau centre et en réduisant le coût de la force de travail et du capital constant .Que
lřon en déduise pas que capitalisme concurrentiel et capitalisme monopoliste sont

92 Du groupe rattaché à la «MONTHLY REWIEW»

145
réductibles lřun à lřautre sur le plan de la fonction des relations extérieures, car le
capitaliste monopoliste se caractérise par une exportation de capital qui induit une
nouvelle division internationale du travail entre le centre et la périphérie.
Quoi quřil en soit, sur le point de lřanalyse du capitalisme monopoliste Samir
AMIN tente une synthèse des thèses de Baran et Sweezy dřun coté et du collectif R
RICHTA de lřautre sur la révolution scientifique et technique, comme aggravation des
contradictions au centre, accentuant lřexportation du capital du centre vers la
périphérie.
Au fond des choses, Samir Amin ne débouche pas vraiment sur une analyse de
la formation sociale capitaliste au centre, se cantonnant en réalité sur un modèle de
fonctionnement capitaliste « ouvert » sur la périphérie.

2°) La périphérie au cœur des mécanismes de sauvetage du


système capitaliste au Centre.

Les contre tendances à la baisse du taux de profit au centre tiennent à une


série de raisons qui justifient le maintien et même le renforcement du système
capitaliste. Elles sont pour Samir AMIN au nombre de 4 dont la dernière mérite une
évaluation particulière au regard du rôle que joue la périphérie dans le sauvetage
global du système capitaliste au niveau central.
Première raison : Une augmentation des salaires. Parmi les conséquences
de l'augmentation des salaires qui vise un double objectif dřune part la réduction des
tensions sociales et dřautre part la provision d'un marché pour les manufactures, que
les ouvriers ont les moyens d'acheter.
Deuxième raison : Lřadoption de mesures « Keynésiennes » pour balancer
le niveau global de l'offre et de la demande dans l'économie en jouant avec le surplus
ou le déficit budgétaire, et avec la quantité de monnaie mise en circulation. Cřest le
double effet de la conjugaison des politiques budgétaires et monétaires qui stimule la
demande globale et déclenche le cercle vertueux de hausse par lřeffet combiné du
multiplicateur (KAHN) et de lřaccélérateur (AFTALION). La conception de
l'indemnité de chômage comme une politique économique est souhaitable : elle nřest
pas un pis-aller chez Keynes.
Troisième raison : Lřabsorption dřun «surplus économique» par le
gouvernement en forme de grandes dépenses publiques pour l'armement, la « race
de l'espace », etc. Le rôle de ce genre de dépense dans le maintien du système
capitaliste a été souligné par les économistes BARAN et SWEEZY.
Quatrième raison : L'exploitation des colonies et par la suite des pays
indépendants du Tiers-Monde. Le mécanisme passe par les relations économiques
internationales qui contribuent à la ruine de la périphérie par les divers transferts
visibles et invisibles à travers les termes de lřéchange et lřéchange inégal. La
détérioration des termes de l'échange des pays pauvres permet, du point de vue des
pays riches, d'importer à prix bas et d'exporter à prix élevé. L'investissement direct
aux colonies et ensuite au Tiers-monde est caractérisé par un taux de profit élevé
(exemple: pétrole, cuivre, banane,...)

146
III/ La question des relations (spécialisation et échange inégal) entre le
centre et la périphérie93

Ces deux points (spécialisation et échange inégal) sont étroitement imbriqués


à la spécialisation internationale inégale. Ils ont été développés par tous les
structuralistes dřinspiration marxiste : R. PREBISCH, C. FURTADO, A. EMMANUEL,
S. AMIN, G. FRANK, C. PALLOIX, T. SVENTES, M. MAURINI, Vis-à-vis de la
spécialisation, ou de la division internationale du travail entre le centre et la
périphérie, Samir AMIN souligne lřapparition dřune nouvelle division du travail, issue
de la nécessité pour le centre de surmonter ses contradictions dans deux voies la
première étant celle de « lřintégration de lřEurope de lřEst dans les échanges internes
du centre » la seconde étant énoncée comme suit : « La seconde direction possible
cřest la spécialisation du Tiers-monde, dans la production industrielle classique (y
compris celle de biens dřéquipement), le centre se réservant les activités ultra
modernes (automation, électronique, conquête de lřespace, atome). Notre époque est
en effet celle de la révolution scientifique et technique extraordinaire. Celle ci rend
caducs les modes classiques de lřaccumulation, marqués par lřévolution de la
composition organique du capital…Les pays sous-développés se spécialiseraient alors
dans des productions classiques qui nřexigent que du travail simple, y compris les
productions industrielles lourdes classiques (sidérurgie, chimie, etc.) »
Tout dřabord il nřest pas certain que cette nouvelle spécialisation dans les
productions classiques, à forte composition organique du capital et à faible
composition organique du travail (travail simple), se généralise car elle est en
contradiction avec la dépendance technologique et politique de la périphérie. En
effet, ces pôles industriels classiques engendrent lřapparition dřun prolétariat urbain
qui induit forcément une activation de la lutte des classes ; aussi certains pays sous-
développés (Maroc par exemple) refusent ostensiblement les bases de
lřindustrialisation (sidérurgie, chimie). Par ailleurs, pour des raisons de sécurité du
capital, le centre préfère importer de la main dřœuvre dans son espace que réallouer
ses activités de production chaque fois que cela est possible. Dřautre part,
lřimplantation de bases industrielles classiques peut être le support Ŕ à condition que
les formations sociales de la périphérie le veuillent Ŕ dřun procès autonome
dřengineering, conduisant à briser la dépendance technologique. Il faut saisir les
contradictions dans leur dynamique et agir sur elles.

Section 4 : Structuralisme et Institutionnalisme : les nouvelles


recherches des économistes.

À lřorigine, les fondateurs de lřéconomie du développement, en lřoccurrence les


structuralistes et les marxistes, manifestaient déjà le plus grand scepticisme quant à
lřaptitude du marché à promouvoir une accumulation régulière du capital dans les
économies développées, et plus encore leur rattrapage par les autres pays (MEIR
[1995].) Ils soutiennent ainsi que lřÉtat devrait remplacer le marché, responsable
des crises et disfonctionnements répétés des économies. Cette réflexion est
aujourdřhui prolongée par celle des institutionnalistes comme D. NORTH.
Après une longue période de vive contestation de la part des néo-classiques
(pour qui la pauvreté des paysans des pays du « Tiers-Monde »94 était loin dřêtre un

93 A.EMMANUEL : LřÉchange inégal


Samir AMIN : Le Développement inégal mais aussi et surtout LřAfrique de lřOuest bloquée, Paris Édit.
de Minuit, 1971

147
obstacle au développement dřune rationalité dřhomo-economicus et donc dřune
réponse aux signaux des prix que véhiculent le marché [SHULTZ]), les économistes
du développement contemporains semblent aller vers une certaine convergence : le
renouveau du structuralisme et la prise en compte des institutions. Lřéchec des
politiques antérieures prônant uniquement le marché ou lřÉtat semble être le moteur
de cette nouvelle configuration.

I/ Vers un renouveau de l’approche structuraliste et institutionnaliste du


développement.

Pour favoriser le développement, faut-il plus ou moins dřÉtat ? (SEN, 1988).


Dřun coté le consensus de Washington, qui donnait 10 prescriptions libérales aux
pays en difficulté, semble aujourdřhui être remis en cause, depuis les années 1990. Si
à lřobservation, il était admis que lřomniprésence du pouvoir public, comme en Union
Soviétique, suggère que le « tout État » est voué à lřéchec, aujourdřhui dřautres faits
dévoilent les imperfections des marchés qui inclinent au retour de lřEtat dans le
système économique et social :
Dřabord la crise asiatique. En effet ce consensus formulait des principes
généraux valables pour tous les pays : discipline budgétaire, réformes
fiscales clarifiant les incitations économiques, élimination des barrières à
lřéchange internationale et à la concurrence etc. John WILLIAMSON,
auteur de ce consensus, reconnait même que ces mesures auraient dues
être accompagnées par « la construction dřinstitutions clés telles quřune
Banque centrale indépendante, une administration budgétaire forte, des
juges indépendants et incorruptibles et des agences en vu de développer les
missions de productivité. »
Ensuite, les nombreuses recherches (nouvelle microéconomie, nouvelle
macroéconomie) montrent les limites du marché, mettant en exergue le
rôle des coordinations hors marché dans lřapparition de sentiers de
croissance ou dřéquilibres plus favorables que ceux qui résulteraient du
marché uniquement. Cela fait dire à HOFF ET STIGLITZ que
« maintenant, la théorie formalisée sřétend à de nombreux domaines de
lřinformation imparfaite et des contrats incomplets » et que « dans de
nombreuses configurations, des interactions hors marché donnent lieu à
des complémentarités qui peuvent être associées à des équilibres
multiples. »
Enfin les recherches économiques actuelles de certains auteurs notamment
les travaux de D. NORTH découvrent le rôle primordial des institutions
dans le développement et la croissance. Elles établissent empiriquement
que les écarts constatés au niveau des revenus et des productivités ainsi que
les différences dans les performances proviennent principalement de la
qualité des institutions.

94 Terme anciennement utilisé pour désigner les pays en voie de développement.

148
Figure 9 : Vers une approche systémique et institutionnaliste du
développement : le tournant des années 1990.

Le domaine
Le La conception du développement des
domaine en 2001 : stratégies
des 1. Etat et marché sont plus complémentaires
théories que substituts
2. Trappes à la pauvreté, multiplicité des L’application du
facteurs qui font obstacle au développement consensus de
L’achèvement du 3. l’ensemble des institutions, normes, Washington
programme de modes de gouvernement conditionnent le n’empêche pas
recherche de la TEG développement des crises
montre la généralité
majeures
des failles du marché

Les recherches
contemporaines formalisent
certaines intuitions à
l’origine des analyses du
développement (externalités, La diversité des
coordination, rendement expériences nationales
croissant, croissance et l’expérience de la
Réconcilier théorie/ transition des
endogène.
observation/ pratique économies soviétiques
appellent un
renouvellement
théorique
Source : R. Boyer : LřAnnée de la régulation 2001, Économie,
Institutions, Pouvoirs Presse de Sciences-Po.

Dans son Rapport Mondial sur le Développement 2007, la Banque Mondiale,


qui était pourtant lřun des principaux défenseurs du « consensus de Washington »,
reconnait la responsabilité de lřÉtat dans les économies en développement,
notamment par lřinvestissement dans la jeunesse et son rôle de lřassister de lřentrée à
lřécole à lřinsertion économique et sociale. De plus, lřexploitation des ressources
naturelles engendre des externalités. Le marché à lui seul ne peut réguler ces
externalités car les agents en produisent excessivement sřelles sont négatives et peu
sřils sont positives. Il appartient à lřÉtat de canaliser les premières et dřinciter les
secondes (éducation, santé…). Cřest aussi à lui de gérer les questions comme la
préservation de ces ressources naturelles et donc de lřenvironnement. Depuis les
années 70, les pays en développement prennent de plus en plus conscience du rôle de
celui-ci car leurs économies en dépendent considérablement. En outre, par les
politiques de redistribution (de revenus et dřactifs), lřÉtat peut veiller à atténuer les
distorsions sociales et réduire la pauvreté. Ainsi, il ne sřagit plus de choisir entre lřÉtat
et le marché, mais plutôt dřune juste association de ces deux institutions. Le rôle de
chacune dřentre elles nřest plus à contester, tout comme leur insuffisance à nier. Il
sřagit maintenant pour les pays en développement de pouvoir pallier aux dérives du
marché par des interventions efficientes du pouvoir public.

II/ Le rôle des institutions dans le développement.

Beaucoup de recherches théoriques et empiriques établissent aujourdřhui,


toute lřimportance que jouent les institutions dans le développement et la croissance.

149
En effet, lřévolution institutionnelle dřune économie est déterminée par lřinteraction
entre les institutions et les organisations : les premières représentant les règles du jeu
et les secondes les joueurs constitués de groupes dřindividus mus par des objectifs
communs. Selon D. NORTH, les institutions sont alors une combinaison de
contraintes mises en place par les individus et qui sont de deux ordres : les
contraintes formelles (règles, loi, constitutions) et les contraintes informelles
(normes de comportement, conventions, codes de conduite auto imposés). Dřautres
définitions mettent lřaccent sur les organismes, les procédures, les réglementations,
les coûts de transaction, les droits de propriété, les normes en somme tout élément
permettant surtout de réduire les coûts de transaction, dřéconomiser de lřinformation
et de représenter la rationalité des agents au regard du problème de coordination.
Ainsi, au sens le plus large, les institutions peuvent être comprises comme des règles
sociales reconnues et suivies par une même communauté qui contraignent les actions
des agents.
Les institutions qui sont requises pour le développement sont de deux types :
dřabord celles qui encouragent le développement des activités de marché en
développant la confiance et en diminuant les coûts de transaction (droit des contrats,
normes de comportement facilitant la confiance etc.) et ensuite celles qui canalisent
le pouvoir de lřEtat vers la protection de la propriété et non pas lřexploitation
(séparation des pouvoirs, fédéralisme, normes anti-corruption etc.). En effet, les
institutions représentent une condition nécessaire pour un fonctionnement
harmonieux des marchés. : le temps et lřincertitude qui caractérisent, tout processus
de marché incitent les agents à suivre des règles communes qui conduisent à
lřémergence et au développement des institutions qui permettent, à leur tour, en
fournissant des modèles stables dřinteraction, de réduire lřincertitude qui prévaut sur
le marché.
Dès lors, la clé du développement découle de la complémentarité entre lřÉtat et
le marché. Aussi, les arrangements institutionnels intermédiaires peuvent être des
catalyseurs. Les institutions sont des règles sociales reconnues et suivies par une
même communauté qui contraignent les actions des agents. Définies d'une façon
aussi large, elles comprennent des règles non imposées mais volontairement suivies
comme la solidarité sociale ainsi que des règles imposées de façon externe comme
les systèmes juridiques. Les règles externes sont des règles formelles et constituent le
système juridique. Lřétablissement de règles de droit est un préalable essentiel au
développement car les acteurs économiques doivent connaître les règles du jeu pour
élaborer des stratégies économiques. Toutefois, certaines normes sociales sont suivies
spontanément par les individus sans qu'ils y soient contraints par la loi (normes
sociales internalisées). Il s'agit de règles de morale, de solidarité ou de politesse qui
établissent la confiance et réduisent les coûts de transaction entre les agents. Quand
ces règles permettent d'accroître la production elles sont quelquefois appelées
« capital social » sous ce rapport, elles ont fait l'objet d'une attention récente des
chercheurs pour comprendre trois aspects de la micro-économie du développement :
la réussite de petits groupes ethniques ou religieux (un phénomène beaucoup observé
au Sénégal), la gestion de l'environnement naturel et la microfinance.
Les institutions comprennent également les organisations qui sont des
combinaisons de facteurs de production ordonnées suivant des règles hiérarchiques
pour atteindre certains objectifs. Aussi, toute organisation repose sur des institutions
et toute institution demande des organisations pour être mise en œuvre.
A ce niveau, la théorie économique des institutions soulève trois problèmes
auxquels elle tente dřapporter des réponses souvent en divorce avec les analyses de la
théorie standard :

150
Pourquoi les pays qui ont été capables de créer et de développer des
institutions propices au développement et à la croissance sont-ils si peu
nombreux ?
Quelles sont les institutions qui portent le développement ?
Que doivent faire les PSD pour mettre en œuvre de bonnes institutions ?
Les réponses à ce questionnement se ramènent à une évaluation des
institutions qui portent le développement et ensuite à lřétude de leur fonctionnement
en vue de leur mise en œuvre au niveau des PSD. Ces institutions sont de trois
ordres :
Les variables significatives: la protection des droits de propriété, le droit
des contrats, les libertés civiles, les droits politiques et la démocratie,
lřinstabilité politique, les institutions qui supportent la coopération.
Mais toutes ces variables ne sont pas des institutions: les droits de
propriété, lřinstabilité sont des résultats, la fragmentation ethnique une
condition, les barrières commerciales, la prime au marché noir reflètent
des options de politiques économiques.
Lřémergence dřun environnement favorable aux acteurs de lřéconomie et à
un fonctionnement concurrentiel des marchés.
Les évolutions actuelles de lřéconomie du développement proposent au moins
deux autres formes de coordination, outre le marché et lřÉtat :
Dřabord la firme qui assure une fonction dřallocation des ressources.
WILLIAMSON (1985) montre quřen présence de coûts de transaction
importants liés au recours du marché, ou encore à la difficulté de la collecte
et du traitement de lřinformation, lřorganisation peut développer des
routines dřallocation des ressources et de circulation des informations plus
efficaces, et par conséquent constitue un lieu dřaccumulation de
compétences et de savoirs spécifiques ;
Ensuite la société civile qui est un système où sřétablissent des conventions,
des règles, des habitudes qui permettent et facilitent par la suite les
transactions proprement économiques à travers la formation de réseaux
(Granovetter), la création et le maintien de la confiance, la coopération.
Elle entretient aussi des relations avec les organisations car elle lui impose
des règles qui ne sont pas forcément reconnues par le marché ni par lřEtat.
Il apparait ainsi que le duo État/Marché était trop simpliste car lřéconomie
étant en réalité un concours de facteurs plus nombreux et plus complexes. Cela fait
que lřéconomie du développement est devenue systémique et institutionnaliste et
impose une vision dynamique et non plus statique ou dogmatique. La place de lřEtat
sřen trouve renouvelée au même titre que lřimportance du marché, mais aussi des
institutions.

III/ L’évolution des thèses structuralistes vers le néo- structuralisme.

Indubitablement, le courant néo-structuraliste sřinspire du structuralisme


traditionnel. Beaucoup des contributions de la pensée structuraliste sont encore
pertinentes et sont reprises et enrichies par les « nouveaux structuralistes » parmi
lesquels on peut citer F.FAJNZYLBER, R. F. FRENCH DAVIS, A FISHLOW,
A.FOXLEY, N.LUSTIG, P. MELLER, J, ROS, M. TAVARES, L.TAYLOR etc.
Ces auteurs reconnaissent que lřapport principal du courant structuraliste est
dřavoir mis en évidence lřimportance des aspects structurels dans lřanalyse des

151
économistes du tiers monde à travers lřidée selon laquelle, lřinsertion internationale
défavorable des pays sous développés est le reflet des différences de structure entre
les pays du centre et ceux de la périphérie.
Lřapproche néo-structuraliste attribut un rôle primordial aux différentes
dimensions de lřhétérogénéité structurelle : lřhétérogénéité des marchés extérieurs, la
diversité des réponses à des incitations suivant les régions et les segments du marché
(les petites et grandes) entreprises, les entreprises rurales et urbaines, les firmes
naissantes ou déjà bien implantées ), les degrés de mobilité des ressources et de
flexibilité des prix qui dépendent de lřintensité de la réponse des différents secteurs et
marchés et des perceptions et des anticipations des agents économiques (cf.
F.FRENCH-DAVIS L-(1993).
Les néo-structuralistes acceptent également lřidée des structuralistes selon la
quelle lřunique voie des pays sous développés, de sortir du système Centre /
Périphérie qui entrave leur développement est dřimpulser un développement
industriel.
Dans cette dynamique, comme les structuralistes anciens, ils sont favorables à
lřintervention de lřÉtat afin dřencourager le processus dřindustrialisation.
Contrairement à lřanalyse libérale, qui conçoit le développement comme un simple
produit du fonctionnement spontané du marché (où lřajustement par les prix serait le
principal mécanisme menant au développement), lřapproche structuraliste et néo-
structuraliste envisage le processus de développement comme étant plutôt le produit
dřun effort délibéré des pouvoirs publics dans les économies périphériques
caractérisées par une profonde hétérogénéité structurelle. Dřailleurs, le jeu spontané
des forces du marché sřest traduit dans la région latino-américaine par une tendance
structurelle vers le déséquilibre externe, le chômage structurel et les déséquilibres
intersectoriels.
Pour des micro marchés caractérisés par leur étroitesse et la nécessité
dřutiliser des technologies exigeant de grandes échelles de production pour des
raisons de rentabilité , cette intégration régionale est considérée comme pouvant
offrir aux économies de la région une opportunité de spécialisation industrielle, qui
leur permettrait aussi de réduire la sous utilisation du capital et lřinefficacité des
processus de production, cependant, en même temps quřil reconnaît les apports
estimables de la pensée structurelle. Le néo-structuralisme prend acte des
insuffisances des politiques de développement dřinspiration structuraliste (la
stratégie de substitution aux importations) expérimentées dans le continent latino-
américain. Durant trois décennies, les néo-structuralistes ont observé des visions
contradictoires: un pessimisme exagéré par rapport aux possibilités dřexportations,
une confiance excessive dans les vertus de lřintervention de lřÉtat dans lřéconomie, la
négligence des aspects monétaires et financiers et la sous-estimation de la nécessité
dřun ajustement à court terme de lřéconomie, ajustement devant suivre des voies bien
entendu différentes de celles prônées par les néolibéraux.
Dans ce contexte, ils réaffirment certes la nécessite du rôle de lřÉtat dans la
promotion du développement économique (le marché doit être assisté par les
politiques gouvernementales) mais son rôle doit être circonscrit clairement de sorte à
éviter les erreurs liées à une confiance excessive dans les vertus de lřintervention de
lřÉtat dans lřéconomie. La formule ne consiste donc pas à revenir à une régulation
extensive et non sélective de lřÉtat, comme cela a été le cas en Amérique Latine lors
de la mise en œuvre de la stratégie de substitution aux importations, ou à préconiser
la libéralisation générale des marchés, comme dans le schéma néolibéral, mais à
rechercher la complémentarité (mis en avant par lřapproche structuraliste) entre
lřÉtat et le secteur privé.

152
En dřautres termes, il faut dépasser le « faux dilemme » entre lřÉtat et le
marché par une participation active et complémentaire public/privé dans
lřélaboration de la stratégie de développement (BERTHOMIEU, C. EHRHART 2000).
Les néo-structuralistes soutiennent que « des contrepoids institutionnels sont
nécessaires pour compenser les pressions asymétriques en faveur de plus
dřintervention » (J.RAMOS et O. SUNKEL 1993).
Les néo-structuralistes considèrent lřindustrialisation fondée sur la
substitution comme une étape initiale nécessaire du processus de développement.
Néanmoins, ces derniers pensent que ce processus a été maintenu trop longtemps et
quřil est temps maintenant de tirer profit de la capacité industrielle créée au moyen
de la stratégie de substitution en passant à la seconde étape, celle de lřexportation de
produits non traditionnels et spécialement les biens manufacturés. Enfin, les néo
structuralistes critiquent de ce fait le pessimisme exagéré quant aux possibilités
dřexportation des pays latino-américains qui a résulté de la mise en pratique de
lřindustrialisation de substitution aux importations.
Au terme de cette analyse, on peut retenir que la position des économistes du
courant structuraliste et particulièrement les économistes de la CEPAL a évolué: dans
les années 50, en raison du caractère asymétrique de la relation entre le centre et la
périphérie, lřapproche structuraliste sřétait focalisée sur lřindustrialisation par
substitution aux importations; dans les années 90, la réponse proposée par le courant
néo- structuraliste au phénomène de globalisation économique est la recherche et
lřatteinte dřune compétitivité internationale accrue.

153
CHAPITRE 9
ENTREMÊLEMENT DES THÉORIES ET MODÈLES DE LA
CROISSANCE.

« Le vif regain d’intérêt que connaît actuellement la théorie de la


croissance, qui a pris naisssance dans les articles de ROMER (1986) et
de LUCAS (1988 à partir de ses Leçons sur Marshal de 1985) ne
montre encore aucun signe d’épuisement. L’heure n’est pas au bilan
mais l’attention portée à la théorie de la croissance s’est partagée en
trois phases successives durant le dernier demi-siècle. La première
correspondait aux travaux de HARROD (1948) et de DOMAR (1947).
La seconde vague a été celle du développement du modèle néo-
classique. La troisième vague, née d’une réaction aux oublis et aux
déficiences du modèle néo-classique ».
Robert SOLOW95

La croissance économique est généralement définie comme l'augmentation


soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues de la dimension et de la structure
d'une économie. Cette dimension, à l'échelle de la nation, est mesurée par deux
indicateurs : le Produit Intérieur Brut (PIB) et le Produit National Brut (PNB). Pour
qu'il y ait croissance, il faut non seulement qu'il y ait augmentation de la production,
mais aussi que ce mouvement ascendant soit durable et non aléatoire (on parle parfois
de croissance pour traduire le mouvement d'augmentation de la production à court
terme, le terme approprié dans ce cas est expansion). La croissance s'accompagne de
changement de structure, des modifications des conditions de la production:
investissement en hausse, modification des qualifications de la main-dřœuvre,
incorporation du progrès technique par les machines nouvelles, nouvelles habitudes de
consommation, modification des anticipations des entrepreneurs ; elle s'accompagne
également de mutations sectorielles.
Toutefois, dans le cas des PSD, la production dřune matière première dřorigine
agricole ou minière peut augmenter brusquement du fait de meilleures conditions
climatiques ou d'une hausse des cours mondiaux accroissant ainsi la production. Mais
cet accroissement de la production, qu'un hasard climatique ou une chute des cours
peuvent effacer le lendemain, n'est pas synonyme de croissance. On parlera de
croissance si l'augmentation de la production est le fait de nouvelles techniques, de
l'amélioration des qualifications du travail, d'investissements supplémentaires, etc.
Différentes réflexions sur la situation actuelle du continent se ramènent parfois a
trois interrogations majeures : Pourquoi la massification de la pauvreté en Afrique ?
Pourquoi des pays comme la Corée du Sud, la Chine de Taiwan et certains NPI ont
maintenant un revenu réel par tête vingt fois supérieur à celui de lřécrasante majorité
des pays subsahariens qui pourtant étaient au même niveau de développement en
1960 ? Certains pays comme la Côte dřIvoire, le Ghana et le Sénégal avaient même un
niveau de revenu per capita plus élevé. Quelle est la politique économique capable
dřélever le rythme de croissance des économies afin de sortir de la trappe de la
pauvreté et amorcer le rattrapage de ces pays qui ont résolu les problèmes essentiels
du sous-développement en lřintervalle dřune génération ?
Les théories enseignent que la croissance forte et durable dans lřéquité est la
solution aux difficultés économiques de lřAfrique. La réduction de la pauvreté est

95 R.SOLOW : Perspectives on Growth Theory, The Journal of Economic Perspectives,1994

154
directement corrélée au niveau de la croissance. Depuis les Classiques jusquřaux
théoriciens de la croissance endogène la croissance et le développement résultent
fondamentalement de lřaccumulation du capital qui permet simultanément dřélargir
les capacités de production et la productivité des facteurs.
Manifestement ces pays accusent une faible base autonome comme l'établit la
quantité impressionnante de matériaux statistiques rassemblés. Dès lors, s'ils veulent
s'en sortir et lever tous les obstacles qui s'opposent à l'expansion, ils doivent faire de la
croissance l'objectif économique et politique majeur. C'est pourquoi la croissance pour
ces pays doit atteindre des performances. Elle doit y être rapide avec les taux les plus
élevés possibles compte tenu bien sûr des ressources naturelles, financières et
humaines qu'ils peuvent mobiliser. En outre, la croissance doit être régulière et
débarrassée de toute fluctuation trop forte, en baisse comme en hausse. Enfin, elle doit
être équilibrée, c'est-à-dire que les capacités de production et de consommation
doivent correspondre et s'ajuster en permanence.
En d'autres termes, la croissance doit être au premier rang de toutes les
priorités, c'est-à-dire qu'il doit y avoir une organisation, une articulation des facteurs
de la croissance telle qu'entre deux périodes un agrégat significatif de l'activité
économique soit le plus élevé possible. Que faire pour y aboutir ? Deux problèmes sont
à régler :
- les actions de type macro-économique dans le cadre de la politique générale,
- les actions ponctuelles pour élever le taux de croissance.
Les actions globales soulèvent la question des orientations de nature stratégique
pour savoir comment mener la politique d'ensemble de la croissance. A ce propos, deux
tendances s'opposent entre croissance balancée (développement équilibré) et
croissance non balancée (développement déséquilibré).

Figure 9 : Processus de la croissance

- Stabilité macroéconomique
- Investissement en capital humain
- Système financier adapté et sûr
- Bonne politique de développement
- Environnement institutionnel
stable

Accumulation du Capital Emploi Progrès technique


- Accroissement du capital Utilisation efficace -Amélioration de la
humain du capital humain productivité
- Investissement sur le marché du - Evolution technologique
travail

Un bref rappel des théories est indispensable pour bien comprendre les
schémas de croissance et leurs déterminants.

155
Section 1 : Rappel des théories de la croissance et des schémas
d’accumulation productive.
Le monde des théories de la croissance est à la fois varié, complexe et fortement
nuancé dans les formulations.
Dans leur ouvrage sur « Les nouvelles Théories de la croissance», Dominique
GUELLEC et Pierre RALLE sřinterrogent pour savoir : Pourquoi, la richesse produite
dans les pays les plus développés a-t-elle été multipliée par 14 depuis 1820 ? Pourquoi,
depuis la Seconde Guerre Mondiale, le Japon a-t-il une croissance beaucoup plus
rapide que les pays occidentaux ? Pourquoi les pays africains veulent-ils une croissance
rapide et au taux le plus élevé ? 96Différentes théories de la croissance, depuis le 17ème
siècle jusquřà nos jours, cherchent toujours les réponses à ces questions. Le tableau
suivant offre un panorama historique des théories et des auteurs depuis la naissance de
lřÉcole Classique jusquřà nos jours.

Tableau 6 : Synopsis de principales théories de la croissance

Théories de la Origine de la Traits caractéristiques


croissance croissance

A. Smith (1776) Division du travail Croissance illimitée


D. Ricardo (1817) Réinvestissement Croissance limitée en raison du
productif du surplus rendement décroissant des terres
R. Malthus (1799) Réinvestissement Croissance limitée en raison de la
productif du surplus) loi de population
K. Marx (1867) Accumulation du capital Croissance limitée dans le monde
de production capitaliste en
raison de la baisse tendancielle
du taux de profit
J. A Schumpeter Grappes dřinnovations Instabilité de la croissance,
(1911, 1939) théorie explicative du cycle long
type Kondratiev
Modèle Le taux de croissance est Instabilité de la croissance
postkeynésien fonction du rapport entre
R. Harrod (1939), le taux dřépargne et le taux
E. Domar (1946) dřinvestissement
Modèle Population et progrès Caractère transitoire de la
néoclassique technique « exogène » croissance en lřabsence de
R. Solow (1956) progrès technique
Modèle du club de Ressources naturelles Croissance finie en raison de
Rome lřexplosion démographique, de la
Meadows (1972) pollution et de la consommation
énergétique
Théorie de la Articulation entre régime Diversité dans le temps et dans
régulation de productivité et régime lřespace des types de croissance
M. Aglietta (1976) de demande
R. Boyer (1986)
Théories de la Capital physique ; Caractère « endogène » de la

96 . GUELLEC et P.RALLE : Les nouvelles théories de la croissance, Collect. Repères, Édit. La Découverte 2003

156
croissance technologie ; capital croissance ; réhabilitation de
endogène humain ; capital public ; lřÉtat ; prise en compte de
P. Romer (1986), R. intermédiaires financiers lřhistoire.
Barro (1990), R.
Lucas (1988)
Source : Angus Maddison, l’Économie mondiale 1820-1992, OCDE, 1995.

Toutefois, les théoriciens, quelles que soient leurs sensibilités particulières,


partagent :
une analyse du sous-développement menée en termes quantitatifs et
d'économiste,
une approche méthodologique de modélisation du processus de croissance
économique ;
une politique économique de croissance non pas optimum, mais celle qui
pourrait être la plus souhaitable parmi celles qui sont possibles.
L'étude de ces trois éléments permet d'évaluer les contours des théories qui
portent à la fois les instruments et les politiques économiques. L'approche
quantitative se veut une analyse du sous-développement qui se fonde exclusivement
sur des critères quantifiables. Pour beaucoup d'auteurs, cette méthode présente au
moins deux avantages. D'une part, face à l'extrême enchevêtrement des faits, la
théorie doit privilégier ceux qui sont les plus édifiants, les plus décisifs, finalement
ceux qui peuvent être quantifiables. Cette caractéristique finit par leur conférer une
valeur intrinsèque incontestable. D'autre part, la démarche mettant en avant des faits
mesurables répond à un souci d'objectivité et d'impartialité doctrinale car en
définitive, elle se borne à rassembler des faits, à faire un bilan des certitudes. Elle
pourrait alors, pense-t-on, fournir une base commune à tous les économistes, quelle
que soit leur orientation idéologique. Cet empirisme a fait qu'en fin de compte, cette
forme d'analyse a permis de rassembler un matériau statistique extrêmement
appréciable sur les pays en voie de développement.
Le point de départ de toutes les théories est la reconnaissance du rôle
fondamental de lřaccumulation du capital dans tout processus de croissance et de
développement. Cette découverte majeure provient des économistes classiques qui
ont formulé au 18ème et le 19ème siècle les premières interrogations sur la croissance.
Leurs analyses sont marquées dřune part par lřoptimisme dřAdam SMITH et dřautre
part par le pessimisme de RICARDO et de MALTHUS. Lřapproche ricardienne admet
que la croissance économique est tributaire du profit qui est perçu par les industriels ;
cependant, avec la rente différentielle au fur et à mesure que la population sřaccroît,
la demande des biens de subsistance augmente ainsi que le prix des biens et la rente
des propriétaires fonciers. Donc à long terme le profit tend vers zéro, les capitalistes
ne vont plus investir, le stock de capital se stabilise vers un bas niveau. Cřest alors
lřarrêt de lřaccumulation du capital qui va conduire le système vers un état
stationnaire qui peut être évitée grâce au concours du progrès technique et à la libre
importation des produits étrangers.
K. MARX a pris le contre-pied de lřécole classique libérale et développé une
analyse qui remet en cause la possibilité dřune croissance durable dans une économie
capitalistique. En effet, le mode de production capitaliste est caractérisé par lřabsence
de coordination des producteurs individuels ; lřanarchie des activités entraîne des
risques de surproduction car la régulation par le marché nřintervient quřà posteriori.
La concurrence conduit les entrepreneurs capitalistes à augmenter sans cesse leur
effort dřinvestissement, il en résulte une augmentation de la composition organique

157
du capital et une tendance à la baisse du profit qui va alors bloquer le processus
dřaccumulation entraînant lřéconomie capitaliste dans une crise irrémédiable. À la
différence des classiques, lřétat stationnaire provient chez K.MARX du progrès
technique et du changement des méthodes de production et non de la rareté.
Lřapproche de la croissance par J.SCHUMPETER met lřaccent sur des facteurs
importants comme lřintroduction de nouveaux producteurs, lřintroduction dřune
nouvelle forme de production, lřouverture de nouveaux marchés, la découverte et la
conquête de nouvelles sources de matières premières et la mise en œuvre dřune
nouvelle méthode dřorganisation du travail. Lřinnovation est mise en œuvre par
lřentrepreneur qui tire un profit grâce au monopole temporaire que lui confère
lřinnovation
Cřest surtout Keynes et ses disciples qui vont élaborer les modèles de
croissance qui mettent en évidence lřimportance de lřinvestissement dans les
fluctuations de lřactivité économique. Nous avons suffisamment insisté sur les
travaux de R. HARROD pour qui lřinvestissement exerce un double effet dans
lřéconomie : un effet de revenu qui détermine le revenu et la demande globale (avec
amplification par le biais du multiplicateur qui exprime lřaspect demande) et un
effet de capacité par lequel, il accroît également la capacité de production : cřest
lřaspect offre.
La confrontation des deux aspects offre et demande fait apparaître une
dissymétrie que souligne DOMAR : du coté de lřoffre, cřest le montant de
lřinvestissement (I) qui détermine la croissance alors que du côté de la demande, cřest
plutôt la croissance de lřinvestissement (delta I).
Tous les modèles de croissance qui s'appuient sur les théories keynésienne et
néo-classique accordent à l'investissement une fonction motrice. Lřenchaînement est
simple : le taux de croissance étant une fonction du taux d'accumulation du capital ou
encore du taux d'investissement. Comme on l'a souligné plus haut pour réaliser un taux
de croissance élevé, il faut investir en capital physique ou social le plus élevée possible
du revenu national. On affame pour équiper car des ressources sont extraites ainsi de la
consommation. Évidemment, la théorie ne dit strictement rien sur le pourcentage du
revenu national quřil faut consacrer chaque année à lřinvestissement. W. ROSTOW
avance un pourcentage compris entre 15 et 20% du RN. Seulement ses chiffres restent
très arbitraires. Pourquoi pas plus et pourquoi pas moins ? Pour lever cette
indétermination relative au niveau requis de l'épargne, des recherches ont été
entreprises par MAHALANOBIS dans le cas des PSD (Inde) et par N. NEWMANN, J.
TOBIN, M. ALLAIS, O. LANGE et TINBERGEN pour les pays industrialisés. Les
résultats obtenus à partir d'évaluations économétriques se réduisent principalement à
l'idée qu'une politique de croissance doit chercher un juste équilibre entre les intérêts
des générations présentes et ceux des générations à venir. L'investissement doit être
distribué avec cette considération de ne léser personne. Les hommes d'aujourd'hui se
doivent d'être raisonnables et évaluer avec hauteur toutes les conséquences de leurs
actes de consommation. Il faut qu'ils résistent à toutes les tentations même celles qui
suscitent dans les coins et recoins de leur existence la plus envahissante et active
publicité. En somme, on est à la lisière des questions non économiques.
Les travaux de Von NEWMANN vont alors tenter d'opérer un lien entre taux
d'intérêt et taux de croissance pour évaluer avec plus de rigueur la répartition optimale
du revenu entre investissement et consommation. Seulement le modèle élaboré s'est
vite révélé comme totalement inapproprié car trop simple et bâti sur une trame
d'hypothèses fragiles comme l'abondance des facteurs, l'égalité entre épargne et
investissement, l'absence de progrès techniques, d'économies d'échelle. Toutes ces
hypothèses n'ont rien de commun avec la réalité des PSD.

158
La croissance équilibrée sera particulièrement défendue par R. NURSKE et
approfondie par R. ROSENSTEIN-RODAN. Le processus de croissance devrait
concerner tous les secteurs de l'économie qui se développeront alors dans une
proportion mutuelle correcte ou ne se développeront pas du tout. Concrètement, il
s'agit d'organiser une intervention généralisée dans tous les secteurs. Ainsi,
l'accroissement de l'offre induisant celui de la demande, les fameux cercles vicieux de la
pauvreté seront levés par suite de l'élargissement des dimensions du marché
subséquent aux revenus distribués. En plus, un autre avantage de cette politique réside
dans les économies externes qu'elle autorise et qui pourront être optimalisées par une
démultiplication des secteurs d'intervention.
Cette analyse a été très vivement controversée. Ainsi, F. MACHLUP rejette tout
aussi bien le concept que les formulations analytiques. Il observera d'abord que le
concept "est un mot qui a tant de significations que l'on ne sait jamais de quoi parlent
ceux qui l'emploient : il faut donc l'effacer du vocabulaire des savants". Quant aux
analyses, elles sont si globales qu'elles ne peuvent être expressives des changements
réels à opérer. A.O. HIRSCHMAN ajoute que cette théorie de la croissance balancée est
une application mécanique des résultats de l'analyse du processus de croissance des
pays industriels avancés. Elle est donc inadaptée aux pays sous-développés car son
application exige une énorme somme de ces aptitudes qui sont rares dans ces pays. En
d'autres termes, ajoute A.O. HIRSCHMAN si un pays est en mesure d'appliquer la
théorie de la croissance équilibrée, il ne serait pas sous-développé au départ.
Cette insatisfaction théorique a fortement contribué à l'élaboration par
HIRSCHMAN de la théorie de la croissance déséquilibrée. L'approche se fonde sur des
séquences de déséquilibres successifs qui portent sur les investissements
d'infrastructures et les investissements directement productifs. Chaque progrès dans la
séquence est induit par un déséquilibre antérieur et provoque à son tour un nouveau
déséquilibre qui appelle une nouvelle avancée. C'est donc une série infinie d'effets
d'entraînement qui affecte de proche en proche l'économie dans son ensemble. Il faut
donc amorcer la croissance par des pôles des secteurs décisifs pouvant exercer des
effets entraînants sur d'autres secteurs. La polarisation est la politique de croissance la
plus opportune.
En déterminant ainsi les domaines d'intervention, les analystes soulèvent la
question de moyens. Que la croissance soit équilibrée ou déséquilibrée, son niveau est
fonction de celui de l'investissement. Une politique de croissance se ramène à investir
chaque année une part, la plus importante possible, du revenu national. De plus, pour
qu'elle soit équilibrée, il faut que l'investissement soit égal à l'épargne. En somme, le
problème de la croissance devient avant tout un problème d'épargne. On redécouvre
alors l'ordonnance de ROSTOW selon laquelle les pays sous-développés n'atteindront
des taux de croissance élevés que s'ils épargnent et réalisent des investissements élevés.
Les expériences des NPI d'Asie semblent confirmer cette constatation comme l'atteste
l'évolution suivante du taux d'épargne (épargne brut sur PIB) :

159
Tableau 7 : Évolution du taux d’épargne

1953 1965 1992 Variation 1965-92

Japon 8 31 34 +23
Corée 5 8 35 +27
Taïwan 6 20 39 +19
Hong-Kong - 31 31 -
Singapour - 30 40 +10
Philippines - 21 16,5 -4,5
Thaïlande - 19 34,6 +15,5
Malaisie - 24 38 +14
Indonésie - 8 33 +25
Chine - 25 38 +13
Source : Banque Mondiale : World Tables, 1994

Cependant, Éric BOUTEILLER et Michel FOUGUIN nuancent le rôle de


l'épargne dans la croissance des pays asiatiques en soulignant que «le niveau d'épargne
n'est pas une condition préalable du "décollage" économique de ces pays. L'épargne de
la Corée du Sud, par exemple, était nulle dans les années 50». Les auteurs soutiennent
même l'idée que l'épargne élevée est une conséquence de la croissance rapide. En effet,
observent-ils, les agents économiques considèrent, dans un premier temps, que les
surplus de revenus, qu'ils obtiennent sont provisoires et qu'il vaut mieux les mettre de
côté pour les temps difficiles. La croissance rapide de l'épargne seule rend la croissance
rapide sur le long terme. Ce n'est pas l'équilibre qui permet au cycliste d'aller vite, mais
la vitesse qui lui permet d'être en équilibre.
Cette forme de détermination du taux de croissance aboutit à une impasse
théorique car les proportions du revenu consacrées à l'investissement et à la
consommation ne sont précisées ni théoriquement ni pratiquement. La politique de
fixation des taux de croissance devra se fonder exclusivement que sur un jeu de
scénarios.
Une autre orientation, dans la détermination des taux de croissance part de
la formule améliorée de HARROD selon laquelle
G = S- C où le taux de croissance est fonction d'une seule variable : le taux
d'accumulation du capital. Cette formule peut s'écrire aussi g.c. = s où g est le taux de
croissance ; c le coefficient du capital et s le taux épargné.
Cette formule se verra affecter un tel pouvoir magique qu'on n'hésitera pas à en
déduire une série de conclusions ponctuelles. Cette équation permet formellement
d'envisager deux actions possibles pour fixer le niveau du taux de croissance g : une qui
part de c (taux d'investissement) et une autre qui s'appuie sur s (taux d'épargne).
La structure de la formule montre que si s est donnée, le taux de croissance g
varie en sens inverse de celui de c. Autrement dit, (g) sera d'autant plus grand que c est
petit. La politique économique à laquelle on est renvoyé se fonde sur la recherche
systématique d'équipements de très faible intensité capitalistique. En clair, le modèle
d'industrialisation devra développer les branches et techniques légères. La seconde
action se fonde sur l'épargne. Si c est donné, le taux de croissance dépendra du taux
d'épargne. On revient à l'idée que la croissance est fondamentalement un problème
d'épargne. Cette variable est cependant résiduelle car elle se définit comme la partie
non consommée des revenus. L'impasse théorique soulignée plus haut se représente à
nouveau.
Par ailleurs, on peut ramener cette équation à une identité si l'on admet que :

160
ÄY S I
g = -- , s = -- et C = --
Y Y ÄY

alors nous pouvons écrire :

ÄY I S I S
------ = - ou bien encore - = -
Y ÄY Y Y Y

comme I = S, l'équation indiquée devient identité.

I/ Les théories de la croissance après KEYNES

La théorie keynésienne comportait trois ruptures fondamentales :


l'introduction du temps, le lien entre phénomènes réels et monétaires, et
l'impossibilité de concevoir l'équilibre comme état naturel de l'économie. C'est sur ces
bases que, dans les années quarante, l'économie politique posera les problèmes de la
croissance. Sur le « fil du rasoir » (Harrod) n'est rien d'autre que la traduction, sur le
long terme, de l'impossibilité d'assurer ex ante l'égalité entre épargne et
investissement.
En renouant avec la théorie classique de la croissance et de la répartition, KALDOR,
ROBINSON et PASINETTI ont démontré qu'une croissance équilibrée est possible
grâce à une modification de la répartition du revenu. Plus fondamentalement, ils
démontrent que le taux de croissance d'une économie ne dépend que du taux
d'accumulation, variable dont seuls les capitalistes disposent du contrôle. Toutefois,
les néo cambridgiens, dans une perspective keynésienne et kaleckienne qui se voulait
critique de la pensée néoclassique et marginaliste, construisent une théorie de la
croissance et de l'accumulation sans le capital. En ce sens, le capital y est réduit, in
fine, à une masse d'argent, à un ensemble de moyens de production. La croissance
reste ainsi, de fait, confiée à un progrès technique exogène considéré comme neutre,
autrement dit, il ne modifie pas la répartition de la richesse, donc la nature du
processus d'accumulation. In fine, le problème de la croissance, tel qu'il est posé
jusqu'aux années 1980, n'est qu'un problème de croissance à l'équilibre. On maintient
une vision matérielle de la richesse, dont les sources restent non expliquées par les
modèles.
Ainsi, les différences avec le modèle néoclassique et post-keynésien de Solow
ne sont que marginales, bien qu'on ne puisse pas nier leur importance. Chez Solow,
c'est la parfaite substituabilité des facteurs de production et la flexibilité parfaite des
prix qui assure l'équilibre de la croissance, croissance qui s'avère n'être rien d'autre
que la reproduction, à l'infini dans le temps, de l'état présent des choses, une sorte de
faux mouvement. Dans le modèle de Solow, la croissance n'est qu'un phénomène
temporaire. Sous l'hypothèse des rendements décroissants - hypothèse nécessaire au
maintien d'une théorie de l'efficience du marché et de l'équité de la répartition du
revenu - la théorie économique ne peut tout simplement concevoir l'accroissement de
la richesse autrement qu'en assumant une sphère non économique - celle de la
science - qui produirait les sources des gains de productivité.
Avec SOLOW, l'économie a néanmoins découvert que le capital et le travail ne
peuvent pas expliquer à eux seuls la croissance. Un résidu apparaît : ce résidu peut
atteindre 80 % de la croissance. Autrement dit, le capital et le travail ne pourraient
expliquer que 20 % de la croissance. Que retenir de tout cela ? L'économie politique

161
renonce à expliquer comment on produit la richesse. Au reste, comment la théorie
économique de la croissance aurait-elle pu concevoir la croissance en restant dans un
monde maudit de rareté des ressources et des rendements décroissants ?

II/ Le renouvellement de l’analyse : la croissance endogène

Ce sont justement les rendements factoriels « non décroissants » (la


productivité marginale des facteurs capital et travail ne diminue pas en fonction de
leur emploi croissant dans la production dès lors que leur qualité peut s'accroître et
évoluer) et la non rareté des ressources (en particulier, c'est le travail qui, en tant que
capital humain, devient une ressource reproductible et accumulable) qui sont au
cœur des tentatives d'une nouvelle formulation des problèmes de la croissance dans
les années 1980. En effet, les théoriciens de la croissance endogène procèdent à une
critique sévère des modèles néo-classiques sous deux angles. Dřabord, ils remettent
en cause le cadre théorique néo-classique et notamment celui de la fonction de
production dont découlent toutes les propriétés de la dynamique économique. Le
principal reproche théorique fait à ces modèles de croissance est lřabsence
dřexplication de la croissance à long terme : le taux de croissance des variables par
tête à lřétat régulier est égal au taux de croissance du progrès technique exogène donc
inexpliqué. La seconde critique est dřordre empirique dans la mesure où les modèles
néo-classiques nřexpliquent pas la persistance des inégalités de revenus entre pays.
Comment ont été construits les modèles de croissance endogène ? La
construction des modèles de croissance endogène procède de la remise en cause de la
décroissance de la productivité marginale. Le retour à Adam Smith semblait la seule
voie possible, en incorporant les apports de SCHUMPETER, d'ARROW, de KALDOR
et de MARSHALL. Quatre idées fondamentales sont alors intégrées dans le modèle de
croissance équilibrée de Solow de 1956 : la division du travail est une source
endogène de la prospérité (SMITH), l'innovation est le moteur de la croissance
(SCHUMPETER), l'innovation naît d'un processus d'apprentissage de learning by
doing (Arrow), le progrès technique est une fonction de l'accumulation (KALDOR) et
des externalités (MARSHALL) générées dans le temps par l'investissement. Ces
théories ont alors été intégrées dans le modèle de SOLOW, tout en maintenant
l'hypothèse de la capacité autorégulatrice du marché… bien que l'intervention de
l'État soit affirmée comme souhaitable pour garantir les infrastructures nécessaires à
la production, pour garantir la protection de la propriété intellectuelle, pour garantir
également un développement adéquat du capital humain, mais aussi, d'une partie de
la R & D.
Développés à partir du premier modèle présenté par ROMER en 1986, les
modèles de croissance endogène intègrent ainsi les concepts d'externalité,
d'apprentissage et de capital humain, pour concevoir la possibilité d'un progrès
technique endogène. Autrement dit, les sources du progrès technique permettant la
croissance de la richesse doivent être recherchées à l'intérieur de la production - mais
au-delà du capital et du travail - et en dehors du marché. En résolvant très
habilement la contrainte des rendements décroissants qu'impose l'hypothèse de la
concurrence pure et parfaite et la théorie de la répartition fondée sur la productivité
marginale des facteurs, ces modèles laissent apparaître un processus de production
de capital humain par du capital humain.
Mais quels sont les fondements théoriques du capital humain ? Doit-on les
chercher du côté du concept de travail vivant ? En réalité, le concept de capital
humain, suivant la définition du mainstream (orthodoxie), désigne lřensemble des
capacités intellectuelles et physiques incorporées aux individus (ou groupe

162
dřindividus) et pouvant leur permettre de participer de manière efficiente et efficace
à lřactivité de production. Il englobe divers éléments tels que lřétat de santé, la force
physique, les connaissances, les qualifications, la nutrition. Pour G. BECKER, le
capital humain correspond à la valeur actualisée des revenus futurs que lřindividu
attend de son travail, compte tenu de ses aptitudes, de ses capacités, de sa
qualification, de son expérience. Que le capital humain soit considéré comme un
facteur de croissance nřest pas une idée nouvelle. Déjà au 16 ème siècle, Jean BODIN
observait quř« il nřya de richesse que dřhommes ». Le capital humain comme facteur
de production est introduit dans lřanalyse économique depuis une trentaine dřannées
Le concept de capital humain est fréquemment utilisé en économie depuis au moins
une trentaine dřannées (SCHULTZ, 1961, BECKER, 1964, GBECKER et LUCAS 1988).
Il est maintenant acquis que le niveau de développement dřun pays est
étroitement lié à son niveau dřinstruction au point même dřen dépendre. Lřéducation
dans ce cadre devient un facteur dřefficacité qui élève la productivité des travailleurs
et contribue de cette manière à augmenter la production. Lřéducation est ainsi
associée aux autres facteurs traditionnels (capital et travail) pour expliquer les
performances et les contre-performances. Diverses études ont essayé de tester et de
quantifier lřimpact de lřéducation sur la croissance économique. Pour cela il y a deux
(2) points :
-lřimpact global de lřéducation sur la croissance. Par deux méthodes différentes
dřévaluation, DENISON (1961) et SCHULTZ (1962) ont abouti à des résultats
similaires. Ainsi DENISON calcule que 23% de la croissance des États-Unis entre
1930-1960 était imputable à lřaccroissement de lřéducation. SCHULTZ par sa
méthode du taux de rendement, est arrivé lui aussi à la même conclusion que
lřéducation contribue pour une bonne part à la croissance américaine.
- les effets indirects de lřéducation sur la croissance économique qui sřarticulent
autour de deux points essentiels, dřune part les externalités positives que lřéducation
engendre et dřautre part la liaison entre lřéducation et les autres types de ressources
humaine comme la santé, la nutrition, la pauvreté, la fécondité etc.…

Section 2 : Déterminants et mesure de la croissance.

Après avoir défini la croissance, on peut se poser la question suivante: quels sont
donc les facteurs qui font qu'à un moment donné l'économie connaît une forte
croissance, une stagnation ou une croissance négative ? La croissance provient de
l'augmentation quantitative et/ou qualitative de deux principaux facteurs de
production : le travail et le capital. Elle dépend aussi du progrès technique, des
ressources naturelles que nous possédons et subit l'influence des politiques
économiques, des facteurs institutionnels, voire sociaux et culturels.

I/ Les déterminants de la croissance

Les facteurs de la croissance sont de quatre ordres le travail, le capital, la


technologie et les institutions.

1°) Le travail

Il dépend avant tout des individus qui composent une population, plus
précisément la population active, c'est-à-dire la population en âge de travailler exerçant
ou recherchant un emploi. La population active constitue le premier déterminant de la

163
quantité du facteur travail. Elle dépend à son tour de plusieurs facteurs: croissance
démographique, mobilité sectorielle et géographique, migration des populations. Le
second déterminant de la quantité du facteur travail est la durée du travail. La qualité
du facteur travail dépend quant à lui de l'âge moyen des travailleurs, du capital humain
(connaissances et qualifications) ou de l'instruction et de l'intensité du travail. Dans les
conditions actuelles de production, il est établi que le capital humain joue un rôle
important. Les théories économiques modernes formulées par W. SCHULTZ et G.
BECKER97établissent un lien entre croissance et investissement dans l'éducation : il
n'est de richesse que d'hommes. Les pays qui ont les investissements dans l'éducation
les plus élevés sont ceux qui ont les taux de croissance les plus élevés.

2°) Le capital

Le capital représente l'ensemble des biens matériels permettant de créer


d'autres biens. La quantité de capital utilisé résulte des investissements nouveaux, de
l'amortissement du capital existant et du taux d'utilisation de ce capital. Sa qualité est
fonction de son âge et de la technologie. Il est admis qu'un taux d'investissement élevé
(rapport entre l'investissement et le PIB) permet d'accroître l'accumulation du capital,
d'augmenter les capacités de production de l'économie et de stimuler sa croissance
économique. Cela dépend de la nature des investissements qui composent le stock de
capital selon qu'il s'agit soit d'investissements nets ou d'investissements de
remplacement, soit d'investissements productifs, de la construction de logements,
d'équipements collectifs.

3°) Le progrès technique

Celui-ci concerne aussi bien la technologie (mise au point de produits nouveaux,


utilisation de nouveaux procédés de fabrication) que les progrès dans l'organisation du
système productif dans son ensemble (orientation, spécialisation) et de l'entreprise
(gestion, organisation du travail). La principale source du progrès technique réside
dans les progrès scientifiques réalisés par les centres de recherches aussi bien publics
que privés, les entreprises et surtout l'université, à travers la recherche appliquée, la
recherche développement et la recherche fondamentale. S'il existe un bon relais entre
les fruits de la recherche et les entreprises, il est indéniable qu'une économie qui
investit dans la recherche réalisera une croissance plus élevée que celle qui ne le fait
pas. Le progrès technique s'accompagne généralement d'une amélioration de la
productivité du facteur travail. C'est pourquoi le progrès technologique est aujourd'hui
la clef de la compétitivité.
Ces trois principaux facteurs peuvent être résumés dans une équation de la
manière suivante : Y  F ( K , L, T ) . La production Y est fonction du capital K et du
travail L utilisés ainsi que de la technologie T qui détermine la manière dont les deux
premiers facteurs sont combinés. Le progrès technique permet à facteurs de
production donnés dřobtenir au cours dřune période une augmentation de la
production. Toutefois il existe 3 façons dont le progrès technique peut influer sur les
facteurs de production.
On dira que le progrès technique est neutre au sens de HARROD sřil porte sur le
travail et permet une croissance du produit au cours de laquelle le rapport capital-
produit reste inchangé à coût réel du capital inchangé. Cřest dire quřil y a neutralité au

164
sens de HARROD lorsque le progrès technique permet dřaugmenter lřefficacité du
travail.
On dira que le progrès technique est neutre au sens de Solow sřil porte sur le
capital et permet une croissance du produit au cours de laquelle le produit par tête
reste inchangé pour un taux de salaire réel inchangé. Donc il y a neutralité du progrès
technique au sens de Solow lorsque le progrès technique permet dřaugmenter
lřefficacité du capital.
On dira que le progrès technique est neutre au sens de Hicks sřil porte sur le
produit. A proportion des facteurs inchangée la répartition reste inchangée. Ainsi il y a
neutralité au sens de Hicks lorsque le progrès technique permet dřaugmenter
lřefficacité des facteurs capital et travail.
Dans la fonction de COBB-DOUGLAS les trois formes de neutralité sont
équivalentes. Cřest pourquoi les économistes lřutilisent généralement. En notant le
capital K et le travail L la fonction de COBB-DOUGLAS s'écrit :

Y  AK a ' Lâ
dans laquelle A , a ' , â sont les paramètres, A est le coefficient de proportionnalité ou le
progrès technique, a ' et â des indices qui caractérisent l'influence de chacun des
facteurs sur le volume de la production, c'est-à-dire, les coefficients d'élasticité de la
production par rapport au capital et au travail. a ' et â sont calculés par la méthode des
moindres carrés.
Si l'on dérive la fonction Y  AK L par K et L , on obtient les indices
a' â

correspondants des produits marginaux du capital et du travail.

Y Y Y Y
 a' et â
K K L L
La production augmente avec K et L , ce qui signifie que ces facteurs de
production ont une productivité marginale positive.

Par conséquent, les coefficients a ' et â caractérisent le rapport entre la


productivité marginale et la productivité moyenne des facteurs.
La transformation logarithmique de cette fonction de production permet de
déterminer la part respective de chacun des deux facteurs dans l'explication de la
production. On a alors sous forme logarithmique :

log Y  log A  a 'log K  â log L


Le tableau suivant donne les résultats qui ont été trouvés dans le cas de
lřéconomie américaine.

165
Tableau 8 : Part des facteurs travail et capital dans la fonction de
production aux Etats-Unis entre 1899-1922

Y= A L  K 
  + A
a) Séries chronologiques
Série I 0,81 0,23 1,04 0,84
Série II 0,78 0,15 0,93 1,38
Série III 0,73 0,25 0,98 1,21
Série IV 0,63 0,30 0,93 1,35
b) Analyses en coupes
Instantanées
1889 0,51 0,43 0,94 58,34
1899 0,62 0,33 0,95 106,43
1904 0,65 0,31 0,96 107,40
1909 0,63 0,34 0,97 90,99
1914 0,61 0,37 0,98 81,66
1919 0,76 0,25 1,01 24
Moyenne 0,63 0,34 0,97 4,21

La spécification de ce modèle a conduit de nombreux auteurs à procéder à des


vérifications empiriques et statistiques du modèle de Solow. Les études empiriques ont
montré aussi que la spécification de la fonction de production du modèle néo-classique
semble incapable d'expliquer l'ampleur de la croissance. Dans son article publié en
1957,98 Robert SOLOW a effectué une analyse empirique du taux de croissance en
essayant dřimputer comptablement celui-ci aux croissances respectives du capital, du
travail, et du progrès technique. En effet, en prenant la dérivée logarithmique de la
fonction de production on aboutit à la formule :

. . . .
Y K L A
 a'  â 
Y K L A
Cette équation montre que la croissance de la production est une moyenne
pondérée de la croissance du capital, du travail et du terme A . Le terme A A est appelé
.

croissance de la productivité totale des facteurs ou croissance de la productivité


multifactorielle. Beaucoup dřéconomistes comme SOLOW, EDWARD, DENISON et
Dale JORGENSON ont cherché à expliquer les sources de la croissance au moyen de
cette équation. La plus part de ces travaux aboutissent à la même conclusion : les
facteurs capital et travail expliquent une faible part de la croissance de la production.
Pour Solow et Denison le terme A A expliquerait 80% de la croissance américaine.
.

Lřune des interprétations de la croissance de la productivité totale des facteurs consiste


à lřattribuer au progrès technique. Pour ces économistes, le progrès technique est une
variable qui est très difficile à cerner et à mesurer. Mais du fait de lřexistence d'un écart
de taux de croissance inexpliqué on va assister vers la fin des années 80 au rejet du
modèle de croissance néo-classique. Ce rejet va alors considérablement renouveler

98 R.SOLOW : « Technological change and the Aggregate Production Function »

166
l'analyse des théories de croissance et sera à l'origine de ce qu'il est aujourd'hui
convenu d'appeler les théories de la croissance endogène.

J. TINBERGEN a introduit le facteur temps e rt dans une fonction homogène


pour refléter les mouvements de la fonction de production statique sous l'influence de
tout un ensemble de changements qualitatifs réunis sous le terme général de progrès
technique.
Dans ce cas, la fonction s'écrit :

Y  AK a ' L1a 'ert


Dans l'hypothèse où á + â = 1 (puisque la fonction est homogène et linéaire) la
différenciation logarithmique de cette fonction donne :
y  a ' k  1  a ' l  r
où y = taux de croissance de la production ou du revenu
k = taux de croissance du capital
l = taux de croissance de la main-dřœuvre
r = taux de croissance de la production par suite de la hausse de l'efficacité
générale ou du progrès technique
Après les travaux de J. TINBERGEN, d'autres économistes notamment R.
SOLOW, KENDRICK et E. DENISON ont approfondi l'analyse des facteurs de
croissance sur la base de la fonction dynamisée de COBB-D

4°) Les facteurs institutionnels

Ces aspects sont dřune importance déterminante. En effet, le gouvernement


qui prône la croissance doit s'atteler à fournir un cadre macroéconomique et
institutionnel incitatif, motivant, et en même temps favorable à l'entreprise et à
l'investissement productif : dans l'infrastructure, l'éducation et la formation ; dans les
industries naissantes (non pas indéfiniment et aveuglément mais temporairement) et
les PMI et dans les activités exportatrices.

II/ Comment mesurer la croissance

Pour mesurer le taux de croissance de la production d'un pays, il faut comparer


l'évolution du PIB entre deux périodes. Mais, il faut signaler que l'augmentation du PIB
en valeur peut être la résultante d'un effet quantitatif (augmentation en volume: par
exemple des tonnes de riz produits) ou d'un effet prix (accroissement du niveau général
des prix), qui dans ce dernier cas masque une stagnation. C'est pourquoi, l'on retient le
PIB en volume ou PIB réel pour mesurer la croissance (PIB en valeur corrigé de
l'évolution des prix).
Le taux de croissance se définit alors comme la variation relative du PIB en
volume d'une année à une autre. D'ailleurs une fois connu, on peut projeter la
production future selon la formule :
Yt = Yo (1 + r)t
où Yt = production à l'année terminale
Yo = production à l'année de base
r = taux de croissance.

167
Un taux de croissance positif signifie que la production du pays a augmenté
entre les deux périodes. Mais, le PIB étant une grandeur globale, son augmentation
signifie t-elle pour autant que l'économie toute entière se porte bien ? Cela n'est
effectivement pas le cas, car en dépit de l'augmentation globale de la production
intérieure qu'il traduit, la croissance économique s'accompagne d'une modification des
structures économiques. L'exemple du Sénégal est édifiant à ce sujet. En tant que pays
agricole, la croissance économique du Sénégal peut être générée par une augmentation
de la production agricole, tandis qu'au même moment la production industrielle et les
services (tourisme par exemple) peuvent connaître un déclin.
De même, au niveau du secteur agricole, l'augmentation de la production peut
provenir du Bassin Arachidier tandis que la Zone du Fleuve connaît peut être une
stagnation. Cela revient à dire que la croissance économique d'un pays repose sur la
production de certains secteurs, régions et produits qui connaissent une augmentation
soutenue. En d'autres termes, nous voulons montrer que la croissance économique ne
signifie pas que tous les secteurs (agriculture, industrie, pêche, tourisme, etc.)
connaissent une augmentation de leur production. C'est cela qui justifie la distribution
établie par la théorie économique entre croissance équilibrée (investissement
proportionnels dans tous les secteurs) et croissance déséquilibrée qui part des pôles
moteurs (pétrole, mine).
Une analyse de l'origine de la croissance permet éventuellement d'identifier les
secteurs, les régions et les produits qui en sont la cause. Il suffit pour ce faire de
calculer et de comparer les parts respectives de chaque produit, de chaque secteur et de
chaque région dans le PIB global pour s'en apercevoir. En conséquence, il faut garder à
l'esprit qu'un taux de croissance élevé du PIB en volume peut aussi s'accompagner de la
baisse de certaines productions et du déclin économique de certaines régions. C'est
pourquoi on souligne que la notion de développement est plus riche que la notion de
croissance.

Section 3 : Le débat des années 70 sur la croissance des PSD:


croissance déséquilibrée et croissance équilibrée
I/ La thèse de NURSKSE et ROSENSTEIN-RODAN

Pour ces deux auteurs, le développement doit se faire de façon équilibrée,


cřest-à-dire en lançant la quasi-totalité des activités industrielles et agricoles
modernes simultanément. Cřest la thèse de la «croissance proportionnée» (NURSKE)
qui est censée créer des complémentarités entre les firmes et entre les branches. Ainsi
se créeront des économies externes pour les firmes. Par ailleurs, il est prévu que
lřoffre simultanée dans une multitude de branches, en distribuant des revenus,
constitue une demande nouvelle pour chaque production et permet le décollage du
marché intérieur. Il faut enfin ne pas négliger les infrastructures économiques et
sociales (IES) qui, seules, permettent les communications, les transports, lřéducation
et la santé de la main-dřœuvre. Concrètement, il sřagit de créer un big push
(ROSENSTEIN-RODAN) dont le financement ne peut être trouvé que dans lřaide
extérieure, voire lřendettement.
Au regard des principes de lřécole libérale, cette approche apparaît paradoxale
pour trois raisons :
- elle néglige dřabord le principe de la spécialisation en fonction des
avantages comparatifs, quřil sřinspire de RICARDO ou de HECKESCHER-OHLIN-
SAMUELSON ;

168
- elle renforce le dualisme des économies sous-développées dans la
mesure où lřagriculture traditionnelle nřest pas directement concernée par le « big
push » ;
- elle dilue la capacité dřinvestissement, par définition limitée, sur une
masse de petits projets dont la viabilité nřest que rarement assurée (problèmes
dřéconomies dřéchelle).

II/ La thèse d’HIRSCHMAN et PERROUX

Pour HIRSCHMAN, les difficultés du développement sont dřabord dues à


lřindécision engendrée par des situations complexes et des comportements
contradictoires. Si le planificateur pense le développement en fonction du groupe, la
crainte dřun renforcement des inégalités inhibera bien des investissements.
Inversement, si lřon favorise lřentrepreneur individuel, celui-ci sera rarement
coopératif et cherchera plus quřailleurs son bénéfice personnel en spéculant sans
contribuer au développement. Il faut donc «examiner dans quelles conditions les
décisions peuvent être provoquées par des dispositifs dřentraînement ou des
mécanismes dřinduction». Maximiser la part des décisions induites ou routinières
devient alors lřobjectif du développement.
Les effets dřentraînement induisent les décisions dřinvestissement. Ainsi, la
création volontariste dřune industrie A diminuera les coûts de production pour une
industrie B utilisant les produits de A comme consommations intermédiaires (effet
dřentraînement en aval). Inversement, lřindustrie A constituera un débouché pour
une industrie C approvisionnant A en consommations intermédiaires (effet
dřentraînement en amont). Dans les deux cas, lřinvestissement sera considérablement
facilité par la présence de lřindustrie A.

III /Des critiques de la croissance aux interrogations sur le


développement.

Cependant, dès les premiers temps, des voix sřélevèrent aussi bien au nord
quřau Sud, pour rappeler que les êtres humains devaient être lřobjet du
développement et non pas seulement son agent. On retrouve dřailleurs ces idées dans
les écrits des plus grands philosophes. ARISTOTE déclare ainsi que «de toute
évidence, la richesse nřest pas la chose que nous cherchons, car elle est seulement
utile et sert à une fin autre». Quřest ce quřune «bonne» croissance économique ?
Cřest une croissance qui favorise toutes les dimensions du développement
humain. Cřest une croissance qui :
- génère le plein emploi et la sécurité des moyens de subsistance ;
- encourage la liberté et le contrôle de lřindividu sur sa destinée ;
- distribue les avantages équitablement ;
- favorise la cohésion et la coopération sociales ;
- préserve lřavenir du développement humain.
Ce ne sont que des objectifs, et les pays peuvent réussir à en promouvoir
certains et pas dřautres. Ce qui compte, cřest de les considérer comme des
instruments permettant dřévaluer les progrès réalisés. Un pays qui réussit est capable
de convertir lřaccroissement de sa richesse en progrès sur le plan du développement
humain.

169
Section 4 : Une nouvelle approche de l’économie politique du
développement : les théories et modèles de la croissance
endogène.
Depuis le début des années 80, on assiste à une percée dřune nouvelle
approche théorique de la croissance, notamment à travers les théories de la
croissance endogène, suite aux travaux DE ROMER, BARRO ET LUCAS et autres.
Ces théories accordent le primat à lřaccumulation du capital et une place
prépondérante à la politique économique dont le champ est situé au niveau de
lřaccumulation des connaissances, du capital humain, des dépenses dřinfrastructures
publiques et de recherche pour créer et maintenir les conditions dřune croissance
durable. La croissance économique doit être reliée aux caractéristiques internes de
lřéconomie. Les auteurs sont en rupture avec la théorie néoclassique sur au moins
trois points : dřabord, le taux de croissance dépend des comportements des agents et
des caractéristiques du système économique, ensuite le taux ne sřannule pas à long
terme malgré lřaccumulation de facteurs de production et enfin dans les modèles le
progrès technique est rémunéré et lřinnovation technologique sřeffectue grâce à
lřaccroissement du temps de formation ou des ressources consacrées à la recherche-
développement.
Les théories de la croissance endogène identifient quatre déterminants de la
croissance : le capital physique, le capital humain, le capital public et lřinnovation
technologique. Cependant, lřaccumulation de tels facteurs ne suffit pas à engendrer
une croissance auto-entretenue, encore faut-il la présence dřun mécanisme qui
empêche ou compense la diminution des productivités marginales des facteurs de
production au fur et à mesure de leur accumulation. Cřest en introduisant les
externalités dans lřanalyse que les modèles parviennent à résoudre ce problème .Il y a
externalité lorsque les décisions de consommation ou de production dřun agent
affectent la situation autrement que par les relations de marché.

170
Figure 10 : Modèle de la croissance endogène
Système d’accumulation : Investissements

Institutions
Capital physique Capital humain Innovations technologiques
et capital social

Externalités positives Efficacité


des acteurs : productivité et
compétitivité

Croissance économique endogène Accès aux marchés

Accroissement du PIB

Développement humain par accès aux


Accroissement des
services sociaux de base
emplois et des revenus

Les théories de la croissance endogène ont élaboré trois modèles qui ont
fortement contribué à éclairer les articulations des facteurs de la croissance comme
les ressources humaines et les institutions qui génèrent les innovations
technologiques servant de locomotive à la croissance économique. On peut rappeler
quřil sřagit du modèle du prix Nobel, ROMER (1986 ET 1990), DE LUCAS (1988) et
de BARRO (1990). Ces modèles ont une caractéristique commune qui est que
lřexternalité positive peut provenir soit du capital physique (même si les biens en
question sont publics), soit du capital humain «learning by doing», soit des
innovations technologiques.
Cela signifie que lřinvestissement dans lřéducation et la santé améliore
directement le bien-être des populations mais contribue également au renforcement

171
des différentes formes du capital humain. Dans une économie mondiale où les
capitaux, les biens et les technologies circulent librement, ce sont les ressources
humaines qui vont différencier les performances. Dans ces conditions, les politiques
éducatives comme celles relatives à la santé deviennent des composantes
Les recherches économiques corroborent largement le retour dřun vieux débat
entre croissance et développement. Ces nouvelles théories de la croissance plus
adaptées au contexte de lřAfrique sont, par ailleurs, largement confortées par les
expériences historiques de développement observées dans le monde, notamment aux
États-Unis entre les années 50 et 70, en Europe dans la période dite des «Trente
glorieuses» années de croissance (1945-1975) et dans les économies émergentes
dřAsie. Ces expériences ont pour dénominateur commun lřutilisation pleine et entière
des principales sources de la croissance, à savoir :
le capital physique comprenant les infrastructures de base, cřest-à-dire les
routes, les chemins de fer, les infrastructures portuaires et aéroportuaires,
les ouvrages hydro-agricoles, les télécommunications et lřénergie ;
et le capital humain dont les composantes sont lřéducation, la santé et la
nutrition.
Le concept de capital humain désigne la population valorisée par lřéducation et
la santé. Il faut expliciter un peu plus les raisons qui fondent lřinvestissement dans le
capital humain. Il est maintenant établi que dans un marché où les produits, les
capitaux et les technologies circulent et sřéchangent librement, ce sont les ressources
humaines qui différencient les performances des divers pays. En conséquence,
lřinvestissement dans lřéducation se présente comme une composante essentielle de
la politique économique. Il est bien établi que pour un niveau donné de PIB par tête,
les pays à fort taux de scolarisation ont enregistré un taux de croissance plus élevé
que celui des pays à faible taux de scolarisation.

I/ Le facteur le plus déterminant de la croissance est le capital physique


qui se compose des l’infrastructures de base

De façon générale, ces infrastructures comprennent :


les réseaux routiers (routes internationales reliant le pays à certains de ses
voisins, routes nationales et départementales, routes urbaines et pistes de
désenclavement) et le réseau dřassainissement ;
les infrastructures portuaires et les projets dřextension des ports
secondaires ;
les infrastructures ferroviaires ;
les infrastructures de télécommunication ;
le réseau de fourniture dřeau et dřélectricité ;
les infrastructures aéroportuaires;
Dans la quasi-totalité des pays africains, la caractéristique marquante de ces
infrastructures est leur insuffisance quantitative et leur état de délabrement très
avancé : moins de 30% des routes revêtues sont en bon état, la plupart des ports
secondaires ne sont plus fonctionnels, la fréquence des délestages sur la fourniture de
lřénergie électrique en dit long sur la vétusté du matériel de production. 99
Lřétat actuel de ces infrastructures interdit de parler de marché et de libre
circulation des biens, des personnes et des services. Elles constituent alors des
contraintes sur la production et les exportations des entreprises installées et ajoutent

99 Banque mondiale : RDM de 1994 : Une infrastructure pour le développement, 1994

172
à la morosité du climat des affaires dans nos pays, en détournant ainsi les flux
dřinvestissements directs étrangers.
Cřest pourquoi le développement des infrastructures de base relance les enjeux
de lřintégration. Plusieurs gains peuvent être associés à cette intégration qui découle
entre autres facteurs, de lřélargissement des marchés, de lřaccroissement du stock de
capital humain et de la meilleure répartition des ressources productives. En effet, le
problème crucial que rencontrent les firmes implantées en Afrique demeure la
faiblesse des débouchés pour leur production. Cela résulte dřune part de la faiblesse
de la demande intérieure solvable, et dřautre part de lřétroitesse des marchés des
facteurs de production, des biens et des services. En permettant lřextension et le
décloisonnement de ces marchés dans une optique de croissance endogène,
lřintégration serait très bénéfique.
LřÉtat est le principal producteur des biens publics dřinfrastructures. En effet,
ces biens publics ne peuvent pas être produits par le marché sauf dans les cas
exceptionnels des biens publics mixtes comme les radios privées et les routes à péage.
Les agents privés ne sont pas incités à les produire du fait quřils sont difficiles à
rentabiliser. Par ailleurs, les consommateurs peuvent en bénéficier sans couvrir les
frais dřaccès. De plus, en présence de bien public, il nřy a pas dřefficience parétienne,
lřenvironnement économique devenant non décomposable. Globalement, les
infrastructures, comme la sécurité nationale, la défense nationale, lřéclairage public,
sont des biens publics que le marché nřest pas incité à produire. Ces biens publics
produisent des externalités positives, cřest à dire que lřagent privé qui les produirait
aurait un avantage marginal à le produire comparé à ce que la collectivité dans son
ensemble tirerait comme avantage de cette production. Dřoù la nécessité pour lřÉtat
de les offrir, dřautant plus que leur impact positif sur le processus de croissance et de
développement est avéré.

II/ Le capital humain variable principale de la croissance: Les modèles de


ROMER, LUCAS et BARRO.

Lřune des grandes découvertes de lřanalyse économique contemporaine est


relative à la théorie du capital humain à partir des recherches de trois auteurs :
SCHULTZ en 1983, G. BECKER, ROMER en 1986 et en particulier LUCAS en 1988
Lřinvestissement dans le capital humain est au cœur des stratégies mises en
œuvre par de nombreux pays pour promouvoir la prospérité économique, lřemploi et
la cohésion sociale. Les individus, les organisations et les nations sont de plus en plus
conscients quřun haut niveau de connaissances et de compétences est essentiel pour
leur sécurité et leur réussite. Lřaccord sur ces principes a suscité sur le plan politique
aussi bien que social de nouvelles attentes concernant la réalisation dřobjectifs
économiques et sociaux ambitieux, grâce à un investissement accru dans le capital
humain. Cependant les investissements ne seront productifs que sřils sont bien
adaptés à leurs objectifs.
Manifestement, les insuffisances quantitatives et qualitatives des
infrastructures physiques de base, les faiblesses des systèmes éducatifs et de santé
comme la dégradation des sols sont les facteurs qui bloquent lřélévation de la
productivité et de la compétitivité des économies africaines. Elles expliquent alors les
faibles performances du continent. Considérons lřexemple des maladies tropicales
endémiques. Non seulement celles-ci détériorent la qualité du capital humain mais
elles entraînent des coûts élevés. Ainsi, lřAfrique enregistre annuellement 300 à 500
millions de cas de paludisme qui occasionnent environ un million de décès et coûtent
2 milliards de dollars. Il en va de même pour le fléau que constitue le SIDA. De plus,

173
vivant sous les Tropiques, environ 60% des africains souffrent dřendémies graves et
paralysantes qui ont été éradiquées dans dřautres régions du monde. Les 45% de la
population africaine sont âgés de 15 ans et vont alors exercer de fortes pressions sur
les structures éducatives et de santé.
Le concept de capital humain désigne la population valorisée par
lřéducation et la santé. Par ailleurs, certains travaux sur le capital humain
ont montré quřentre les années 50 et 70, la contribution de lřéducation à la
croissance économique se serait élevée à 12% au Royaume-Uni, 14% en
Belgique, 16% aux États-Unis. Plus récemment, une étude de la Banque
Mondiale datant de 1993 et portant sur 113 pays révèle que lřéducation
primaire est le facteur qui a contribué le plus à la croissance des économies,
en particulier celle des pays dřAsie de lřEst. La corrélation est bien
confirmée que pour un niveau donné de PIB par tête, les pays à fort taux de
scolarisation ont enregistré un taux de croissance plus élevé que celui des
pays à faible taux de scolarisation. Dès lors, dans un marché où les
produits, les capitaux et les technologies circulent et sřéchangent librement,
ce sont les ressources humaines qui différencient les performances des
divers pays. Ce qui fait dire à L. STOLERU que lřinvestissement dans
lřéducation se présente comme une composante essentielle de la politique
économique.
En somme, le développement du capital humain constitue un outil aussi bien
pour assurer une croissance économique que pour lutter contre la pauvreté. De
surcroît, dans un monde dominé par les Nouvelles Technologies de lřInformation et
de la Communication (NTIC), le savoir est un facteur majeur de la productivité des
individus et des nations. Les effets externes du type «learning by doing» qui
découlent de lřactivité du capital humain permettent alors dřaccroître la productivité
des agents qui en bénéficient. Ainsi, à lřéchelle globale, plus lřapprovisionnement en
capital humain est élevé, plus la production par tête est importante. Les recherches
théoriques comme empiriques (SCHULTZ, ROMER100 ET LUCAS) établissent une
corrélation positive entre éducation et croissance économique. En effet, lřéducation
crée des facteurs et des comportements favorables à la croissance économique,
contribue à lřamélioration de la productivité du travailleur, confère aux individus des
capacités à saisir toutes les opportunités de production, dřimagination et de création,
développe lřesprit dřentreprise, de compétition et de recherche du progrès et enfin
permet à lřéconomie de disposer dřune main dřœuvre qualifiée.
Dans une période caractérisée par les TIC et lřintelligence artificielle marquée,
lřéducation devient un facteur déterminant de la performance et de la capacité
compétitive des économies. Ces techniques ne peuvent être mises en œuvre que par
des travailleurs ayant les compétences et les niveaux de qualification requis. Puisque
lřéducation est un moyen privilégié dřaccumulation du capital humain, les dépenses
publiques consacrées à ce secteur apportent alors une contribution essentielle au
processus de croissance. Dřailleurs, ce rôle prépondérant de lřéducation est

100 Paul ROMER note que « Les idées devraient constituer notre principale préoccupation car elles
sont des biens économiques dřune importance extrême, bien plus grande que celle des éléments sur
lesquels la plupart des modèles économiques mettent lřaccent. Dans un monde physiquement limité,
cřest la découverte de grandes idées, conjointement avec la découverte de millions de petites idées qui
rend possible une croissance économique durable. Les idées sont les instructions qui nous
permettent d’organiser des ressources physiques limitées selon des combinaisons
toujours plus performantes » (ROMER, 1996)

174
parfaitement confirmé au plan empirique par les recherches de SCHULTZ (1998) qui
ont montré que les périodes de croissance soutenue de la production vont souvent de
pair avec des améliorations en matière dřinstruction, de santé, de nutrition et de
morbidité.
Après le capital physique, le capital humain et le capital de la connaissance,
certains économistes ajoutent maintenant aux déterminants de la croissance un
capital social. Selon COLLIER (1998), la notion de capital social englobe la cohérence
sociale et culturelle interne de la société, les normes et les valeurs qui gouvernent les
interactions entre les individus et les institutions dans le cadre desquelles ces normes
et valeurs entrent en jeu.

Encadré 7 : Le modèle de ROMER


Le modèle de ROMER fait ressortir le rôle déterminant du capital humain,
source dřaccélération de la croissance économique. Lřargument peut être résumé de
la manière suivante :
Lřéconomie produit trois biens :
le premier est un bien de consommation produit à lřaide de main-dřœuvre,
de capital humain et de biens durables ou dřéquipement. La production de
ce bien se caractérise, en outre, par des rendements dřéchelle constants ;
le deuxième bien, qui est le bien dřéquipement est produit de la même
manière que le premier de telle sorte que les quantités de ressources que
sa production nécessite soient proportionnelles à celles engagées dans la
production dřune unité de bien consommable.
La gamme de biens dřéquipement utilisable dépend toutefois du nombre
ou de la quantité dřinventions ou de Ŗdesignsŗ disponibles. Cette quantité
qui correspond au troisième bien, ne résulte pas dřefforts de recherche
désintéressés, mais obéît plutôt aux mêmes activités de production des
deux premiers types de biens. Lřintensité de lřactivité de recherche dépend
évidemment de lřimportance du capital humain qui lui est affecté ou qui
est attiré, mais elle dépend aussi de lřexpérience collective déjà acquise
dans ce domaine. Alors quřil est vrai que toute invention donne lieu à un
brevet dřinvention qui permet à son auteur de contrôler son utilisation, il
reste néanmoins que, exploitable à travers lřinformation technique
transmise par le nouveau bien dřéquipement, elle devient alors fonction à
la fois du capital humain qui lui est alloué et du stock de technologie déjà
disponible.
À la différence du modèle traditionnel de SOLOW où le revenu et la
consommation par habitant augmentent le long du sentier de croissance régulière au
rythme dřun progrès technique exogène, lřintroduction de lřactivité de recherche
dans le cadre dřanalyse permet une endogénéisation de la croissance et offre une
explication de la diversité des rythmes observés entre pays. En effet, on peut définir
la croissance régulière par lřégalité entre le taux de croissance du stock du capital
matériel, de la production et du stock dřinvention (en supposant que la taille de la
population active est constante). De ce fait, ce taux de croissance commun devient
alors une fonction croissante du capital humain attiré dans lřactivité de recherche.
Dès lors et de manière indirecte, compte tenu dřune répartition dřéquilibre du capital
humain entre activité de production de biens et activité de recherche, il devient
également une fonction croissante du stock de capital humain total.

175
De cette analyse se sont dégagées des conclusions de politique économique
assez importantes :
La première est que bien quřelle soit un objectif généralement
commercial, toute invention génère des effets externes positifs pour
lřactivité de recherche et de développement de manière générale. Il en
découle que sans intervention de lřÉtat, le marché nřest pas capable de
fournir la quantité optimale dřinventions ; indirectement il nřest pas
capable dřattirer suffisamment de capital humain vers la recherche et le
développement.
Lřobjectif dřefficience dicterait alors soit une subvention à cette
dernière activité, soit une subvention à la formation du capital humain qui
sřorienterait de lui-même vers une activité qui produit des effets externes.
Plusieurs pays en développement auraient alors des taux de croissance
économique faibles parce quřils ont des dotations faibles en capital humain.
L'intégration dans lřéconomie mondiale par lřouverture sur les échanges
avec lřextérieur et la libéralisation leur permettraient, selon cette approche,
de bénéficier de lřensemble du stock technologique disponible à lřéchelle
internationale ainsi que des externalités qui en découlent.
Le modèle de LUCAS met lřaccent sur lřinvestissement en capital humain,
comme source de progrès technique et comporte deux secteurs : le secteur de la
production et le secteur de la formation du capital humain. Les travailleurs
consacrent une part de leur temps à lřactivité de production et lřautre part à la
formation. Le niveau total de la production dépend ainsi du stock de capital physique
disponible et du niveau de capital humain proportionné au temps consacré à la
production par les salariés. Sřinspirant des travaux dřUZAWA (1965) LUCAS formule
lřhypothèse de linéarité de lřaccumulation du capital humain. En effet, la formation de
capital humain dépend des décisions des agents microéconomiques.
Dans le modèle de LUCAS (1988) le progrès technique est endogène car
dépend des comportements individuels. Toutefois il existe un effet externe de
lřéducation car les individus en sous-estiment le rendement. En conséquence : la
croissance trouve son origine dans les décisions individuelles même si à long terme
les taux de croissance dépendent uniquement de paramètres exogènes. LřEtat qui
gère les externalités, doit mettre en œuvre les politiques propres à aiguiller
lřéconomie de lřéquilibre concurrentiel qui résulte des décisions individuelles vers
lřoptimum social où la croissance est plus forte. Donc il faut des politiques publiques
dřéducation agissant sur la croissance.
Le modèle de BARRO (1990) illustre le rôle de lřEtat non plus comme
gérant des économies externes et réconciliant équilibre concurrentiel et optimum
social, mais comme le fournisseur de biens particuliers. Conception très ancienne qui
remonte à A. SMITH pour qui lřEtat doit défendre le droit de propriété, assurer la
défense nationale et entretenir les édifices publics. BARRO considère lřEtat comme le
fournisseur de biens et services collectifs caractérisés par un manque dřincitation des
privés à les produire. Lřhypothèse de BARRO est que les dépenses publiques
permettent de financer des biens collectifs dont chaque agent consomme la même
quantité. BARRO fait aussi lřhypothèse que les dépenses publiques sont financées par
impôt proportionnel prélevé sur lřensemble des revenus.
Ainsi, les dépenses publiques concourent à la productivité des facteurs
(infrastructures, dépenses de recherche,…). Quand un individu investit, il accroît les
recettes de lřEtat et donc permet de fournir plus de biens collectifs qui améliorent la
productivité marginale du capital. Lřéquilibre concurrentiel est sous-optimal car les
agents privés ne tiennent pas compte de cet effet qui est analogue à un effet externe et

176
nřinvestissent pas suffisamment par rapport à lřoptimum en raison de la différence
positive entre la productivité marginale sociale et privée du capital. LřEtat peut
provoquer lřégalité des deux grâce à lřimposition dřune taxe proportionnelle sur la
production.
Lřanalyse de BARRO suggère dřétudier lřimpact de la fourniture de biens
publics comme de bonnes institutions sur la productivité des facteurs et donc sur la
croissance. En effet, si lřEtat définit un cadre institutionnel tel que le respect de lřEtat
de droit soit assuré, les coûts de transaction seront réduits, les échanges accrus et la
croissance stimulée. Cette analyse rejoint, de ce point de vue, les idées développées
par les « néo-institutionnalistes ».

Section 5 : Les issues de la croissance


Les recherches récentes tendent à créer un lien entre taux de croissance et
réduction de la pauvreté et établissent quřune croissance longue viendra à bout de la
pauvreté. Les études DE DEMERY ET WALTON (1998) montrent que si lřAfrique
veut réduire de moitié la pauvreté, elle doit réaliser des taux de croissance réguliers
dřau moins 7% sur une période de 25 ans. Lřinvestissement devrait alors passer de
lřordre de 35 à 40% du PIB de chaque pays ce qui représente environ 65 milliards de
dollars. Même en mobilisant le volume global de lřépargne intérieure, les excédents
en devises, lřaide extérieure et les capacités dřendettement, le challenge est quasiment
impossible. Il faut alors recourir à lřépargne extérieure et aux IDE pour atteindre cet
objectif de croissance économique. Il suffit alors dřenclencher une telle croissance par
des investissements lourds.

Tableau 9 : Taux de croissance et d’investissement nécessaires afin de


diminuer la pauvreté en Afrique de 50% d’ici à 2015

Il sřy ajoute que contrairement à dřautres régions notamment lřAsie et


lřAmérique Latine, la production moyenne de lřAfrique, par habitant et en prix
constants, à la fin des années 1990 était inférieure à ce quřelle était il y a trente ans et
que sa production industrielle comme sa part dans le commerce mondial ont reculé.
Plus grave encore, le Continent est en passe dřêtre laissé à la marge de la révolution
mondiale des technologies de lřinformation et de la communication.
À lřanalyse, il est peu probable quřune croissance, même rapide, résorbe la
pauvreté dans des délais acceptables. Il est encore invraisemblable que cette

177
croissance puisse être tirée par les seules exportations, comme la Banque mondiale lřa
longtemps cru au mépris de lřhistoire économique- y compris celle des pays
asiatiques. Ce qui est selon P. ENGELHARD un grand aveuglement intellectuel101.
Lřauteur passe en revue les quatre postulats implicites ou explicites qui sous-tendent
lřajustement :
La croissance économique viendra à bout de la pauvreté. En admettant
cette articulation, il convient de savoir ce quřil faut faire si la croissance ne
suffit pas à réduire la pauvreté. La critique prend du relief quand on sait
quřil faut un taux de croissance minimal oscillant entre 7 et 10%, or celui-ci
est bien en-dessous de ce chiffre
La croissance des « riches » a nécessairement un effet dřentraînement sur
le revenu des pauvres. Ce postulat est fragile car la structure de la
distribution des revenus est mal connue dans tous les pays et au même
moment. Ensuite, il nřexiste presque nulle part un État capable de
redistribuer les richesses. Enfin mais pour ce quřon en sait, les inégalités
sont telles quřelles exercent plutôt des effets négatifs102.
Il nřy a de croissance que dans une économie non déficitaire. Engelhard a
parfaitement raison de souligner le caractère fétichiste de ce postulat et qui
nřest, de surcroît ; jamais vérifié historiquement103.
La croissance saine est celle qui est tirée par les exportations et les IDE.
Théoriquement comme pratiquement, cette assertion est fortement
discutable
Lřéchec des PAS et lřimpuissance des théories et praxis de la croissance ont
relancé les recherches et réflexions sur de nouvelles visions et lřélaboration de
programmes alternatifs pour lřavenir fondé sur le développement. Pour être complet,
celui-ci ne peut avoir pour centre que lřhomme et sa volonté de transformation de la
société dans laquelle il vit. En effet, durant les années 70 -80, la crise de la dette avait
polarisé lřattention vers la recherche de solutions aux problèmes des déséquilibres
externes et internes à court terme. Les réflexions sur le développement et la stratégie
de développement à long terme sont totalement reléguées à lřarrière-plan.
Conséquemment, lřanalyse économique du développement, comme le développement
lui-même, sont passés aux oubliettes. Cřétait lřépoque où, selon PRENAB BARDHAN,
lřéconomie du développement a été une jeune fille aux mauvaises fréquentations
(lřanthropologie, la psychologie, la science politique, etc.) dans sa quête pour
comprendre le changement structurel104. Les principaux sujets de préoccupation
dřétudes et de recherches portaient sur les conditions de la croissance, la stabilisation,
lřendettement, lřaide extérieure pour sřachever sur lřAjustement Structurel.

101 P.Engelhard : LřAfrique miroir du monde ? Édit. Arlea 1998, 222p


102 Mc Namara alors président de la Banque mondiale écrivait que « les politiques qui ont pour effet
dřenrichir les riches nřenrichissent pas la nation. Au contraire, elles entraînent inévitablement le
déséquilibre économique et lřinstabilité sociale.
103 Le postulat ne tient que si l’endettement est insoutenable au point de compromettre les équilibres à moyen et long

terme.
104 Cité par Elsa Assidon

178
Propos d’étape sur la Première partie
Toutes les théories passées en revue des classiques à la synthèse néo-classique
servent de cadre de référence à la fois aux analyses du sous-développement et aux
politiques et stratégies du développement. Elles partent toutes de lřidée quřà
lřintérieur dřune société, le développement se fonde sur la combinaison de la force de
travail et des moyens de production dont une partie sert à reconstituer les moyens de
production (amortissement du capital), à recomposer la force de travail (nourriture,
logement, formation). Sur cette base le développement et la croissance sont régulés
par des processus amples et profonds de génération et dřabsorption du surplus
compris comme la différence entre la production quřune société veut ou peut réaliser
et la part de cette production nécessaire pour recomposer les forces productives ayant
permis cette production. En effet, ce surplus peut avoir trois (03) usages partiels :
accroître les moyens de production,
améliorer la force de travail,
financer les dépenses improductives.
Toutes les théories du développement et de la croissance avec des outils, des
méthodes et des démarches différents sřefforcent dřapporter des réponses à la
formation et à lřutilisation des surplus (encore appelés profits, plus-value, fonds
accumulés selon les auteurs, les écoles, épargne).
Dans cette optique, les théories de la croissance qui sřappuient sur
lřaugmentation soutenue dřune grandeur de dimension nationale ont fini par
sřimposer. Cřest dřailleurs la crise de 1929 qui a amené les économistes à
« réinventer » la problématique de la croissance et à retrouver la trace des Grands
Ancêtres A. SMITH, et D. RICARDO et mieux quelquefois, à sřapercevoir de
lřexistence de MARX. Cela correspond à la première vague dont parlait R.SOLOW
avec les modèles des néo-keynésiens HARROD -DOMAR.
Toutefois, il convient dřobserver aujourdřhui que les théories de la croissance,
si elles ont amené une quantité impressionnante dřétudes empiriques rigoureuses sur
la dynamique des sociétés (surtout capitalistes), si elles fournissent de formulations
astucieuses et sophistiquées, elles ont quelque peu échoué devant ce qui étaient leurs
deux (02) objectifs essentiels :
donner une traduction simple mais totale de la dynamique de la croissance,
et dégager les bases dřune politique effective de croissance optimale.
Les modèles élaborés en direction particulièrement des PSD souffrent dřun
excès de globalisme et de mécanismes qui les rend parfois impropres à lřexplication et
à lřaction. Aucun dřeux nřa entièrement réussi à appréhender la complexité du
phénomène de la croissance car ces modèles reposent pour la plupart sur un petit
nombre dřhypothèses schématiques. Cřest la raison pour laquelle, aucun de ces
modèles nřa pu véritablement mener à des découvertes théoriques de grande
importance qui nřaient été faites sous dřautres formes avec dřautres méthodes.
Ce sont ces insatisfactions qui expliquent la multiplication des recherches
théoriques actuelles, cela dřautant plus que pour les pays sous-développés, la question
centrale nřest pas : « Que faire pour assurer une croissance rapide et harmonieuse ? »
mais « Que faire pour commencer à croître ? » Dans cette optique, la théorie doit
changer de terrain et sřorienter vers des processus plus amples qui impliquent la prise
en charge de la réalité des structures, des systèmes productifs et celles des acteurs de
terrain. En effet, maintenant il est bien connu que la croissance est le produit de la
combinaison de plusieurs facteurs dont le moteur est variable dřun pays à un autre.

179
Egalement des changements doivent sřopérer au niveau des méthodes. Les
processus de modélisation doivent être améliorés par des réflexions sur les
hypothèses implicites dřhomoeconomicus et de rationalité.
Ce sont là quelques corrections de trajectoire, de nouveaux axes de réflexion
que tentent dřouvrir plusieurs auteurs regroupés sous le vocable de «structuralistes»,
qui partagent une vision historico-séquentielle du développement et qui incorporent
dans lřanalyse aussi bien les structures que les institutions comme lřEtat dont ils font,
désormais, une lecture économique et notamment sa double action dřabord sur la
macroéconomie et ensuite sur lui-même.
Lřétude de la morphologie du sous-développement devrait permettre de mieux
appréhender les réalités de ces pays qui font lřobjet de multiples controverses au sein
de la pensée économique du développement.

180
181
Cette partie de lřouvrage est certainement la plus importante car elle traite de
la morphologie du sous-développement et présente une introduction générale aux
objectifs, stratégies et instruments de gestion de ce phénomène. Depuis le temps que
les économistes débattent des questions du sous-développement, ils sont encore dans
lřincapacité de formuler une définition consensuelle du phénomène. Il est tantôt
compris négativement comme tout ce qui est en dessous du développement ou alors
plus positivement, il est analysé comme lřétat dřune économie qui ne peut surmonter
le cercle vicieux de la pauvreté et enclencher un processus cumulatif de production de
richesses pour satisfaire les besoins de base. Cette conception normative est souvent
sévèrement critiquée et remplacée par un état de retard économique identifié par un
certain nombre de critères quantitatifs et mesurables comme le PIB, le Revenu par
habitant, etc. Cette méthodologie introduite par les Institutions financières
internationales (Banque mondiale, FMI et autres) permet alors une classification des
PSD en pays à faible revenu, pays à revenu moyen, pays moins avancé, pays pauvre
très endetté, etc.
Le sous-développement exprimant une réalité complexe et variée qui suscite
autant de controverses, la meilleure démarche méthodologique est dřen établir une
morphologie qui permet dřen cerner toutes les caractéristiques les plus essentielles.
Cette connaissance factuelle du phénomène permettra alors de mieux comprendre
« ce qui est et ce quřil faut faire ». Dans ce cadre on circonscrit plus clairement les
objectifs que les pays se fixent, les stratégies et les politiques quřils mettent en place et
les instruments de gestion du développement quřils utilisent. Les stratégies et
politiques de développement vont apparaître comme des tests de validité des théories
et des instruments de lřanalyse économique. Ces politiques et stratégies montreront
leurs capacités à
élever le niveau des forces productives matérielles et humaines ;
construire des systèmes productifs performants et capables dřune insertion
gagnante dans la mondialisation devenue inéluctable ;
relever le niveau de vie des populations.
Cřest en réalisant de tels objectifs, que ces politiques et stratégies sřavéreront
pertinentes pour sortir les pays du sous-développement.
Dans cette optique, cette deuxième partie comprendra cinq chapitres :
Ce premier chapitre analyse précisément les traits typiques du sous-
développement quřil importe de prendre en compte dans lřélaboration des
politiques économiques. Cette morphologie est présentée sous deux
catégories de caractéristiques économiques et non économiques du sous-
développement.
Le second chapitre traite des questions démographiques et dřurbanisation
qui sont deux éléments que les analystes présentent souvent comme un
handicap majeur au développement. Bien que le Continent soit
relativement sous-peuplé, sa croissance démographique est explosive et,
pendant un temps, supérieure à celle de la production. Cette expansion
démographique est accompagnée par une urbanisation accélérée, deux
phénomènes conjugués qui risquent de générer des problèmes socio-
économiques et environnementaux graves en somme des ruptures
dřéquilibre comme lřamplification de la crise alimentaire. Alors où en est le
débat théorique autrement dit, la démographie est-elle un frein ou une
opportunité pour le développement et social lřAfrique ? Le vieux débat
introduit par Malthus ne réapparait-il pas aujourdřhui à savoir : « les
hommes peuvent se reproduire plus rapidement que les ressources
naturelles dont ils ont besoin pour survivre. En conséquence, la population

182
humaine en arriverait finalement à dépasser les capacités de son
environnement, ce qui pourrait conduire à sa propre disparition ? ».
Le troisième chapitre est une introduction générale aux objectifs, stratégies
et instruments de gestion du développement. Les objectifs du
développement économique élément premier et déterminant de la stratégie
dépendent dřune part des finalités de la société et, dřautre part de la
structure socio-économique de celle-ci ainsi que des instruments dřaction
et de gestion. Pour des PSD caractérisés par le faible niveau des forces
productives matérielles et humaines, la croissance est lřobjectif auquel tout
le système économique et social doit être subordonné. Le choix dřune
stratégie est dřune importance capitale et devrait permettre de coordonner
les objectifs, les moyens et les acteurs dans une société marquée par la
coexistence de plusieurs structures obéissant à une pluralité de centres de
décision et lřexistence de beaucoup de contraintes de nature diverse. Bien
évidemment, la stratégie de développement et de croissance doit se
traduire concrètement dřune part dans le choix de leviers qui la feront
passer dans les faits et dřautre part, dans le choix des instruments adéquats
de la politique économique et financière. La planification sřoffre alors
comme un instrument de pilotage dřune gestion économique à moyen et
long terme.
Le quatrième chapitre est relatif aux institutions dřencadrement et de
gouvernance et au retour de lřÉtat dans le jeu économique. Depuis
longtemps la corrélation entre institutions et développement à été bien
établie. Lřavènement du « tout marché » avait plus ou moins distendu ce
lien que la recherche a maintenant parfaitement rétabli suite aux nombreux
programmes de recherche sur les institutions. La stratégie du
développement nřest plus uniquement dřordre économique ; elle est aussi
dřordre humain et institutionnel, cřest ce que montrent les développements
dans ce chapitre. LřEtat est ainsi réhabilité et réinséré dans le jeu
économique et social.
Le cinquième chapitre analyse le modèle proposé de libéralisation des
économies africaines à savoir les Programmes dřAjustement Structurel
issus du Consensus de Washington.
Lřimportance et la diversité des questions soulevées dans cette partie rendent
indispensable de repréciser les concepts de stratégie et de politique de
développement pour éviter toute confusion sur ces idées clefs. Dřabord, le
développement doit être strictement distingué du concept de croissance. La
croissance économique est comprise comme «lřaugmentation soutenue pendant une
ou plusieurs périodes longues … dřun indicateur de dimension ; pour la Nation, le
produit national brut ou net en termes réels»105. En fait, dans une optique de
croissance, ce qui croit, cřest directement le produit mais elle nřéclaire ni sur les
facteurs causatifs qui auraient pu la rendre plus forte, ni sur le jeu des structures
favorables ou non ; ni sur la répartition des fruits. Cřest pourquoi on peut bien
concevoir, comme nous le verrons plus loin « une croissance appauvrissante » qui se
produit lorsqu'un pays améliore ses performances sans que certains acteurs ou
secteurs économiques en bénéficient. Au contraire, le développement est un
phénomène moins répétitif et moins quantitatif.
Selon François PERROUX, le développement débouche sur des structures
sociales, des institutions, des habitudes dřesprit qui ne sont pas justiciables de formes

105 François PERROUX : lřÉconomie du XXe siècle, pp. 558-559. Édit. PUF.

183
courantes des équilibres micro et macroéconomiques. En somme, le développement
englobe et soutient la croissance. Cřest sur cette base que, F. PERROUX définit alors
le développement comme «la combinaison de changements mentaux et sociaux dřune
population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement, son
produit réel global». En dřautres termes, si la notion de croissance est partielle et
strictement quantitative, celle de développement est plutôt synthétique, à la fois
quantitative et qualitative. Cřest pourquoi le concept de développement est beaucoup
plus riche que celui de croissance ; il peut sřobserver dans les expériences historiques
des pays une croissance sans développement.
Le concept de politique économique est, à son tour, assez controversé et fait
lřobjet de plusieurs compréhensions. Ainsi, MEYNAUD la définit comme «lřensemble
des décisions gouvernementales en matière économique, gouvernement étant pris au
sens large comme couvrant les diverses autorités publiques dřun pays donné» 106.
Alors que pour O. FANTINI, la politique économique est «lřensemble des règles et
dřactes par lesquels lřÉtat intervient au nom de lřintérêt général dans la vie publique
et privée». Dans lřEncyclopédie de lřéconomie et de la gestion « la politique
économique est une action délibérée de la puissance publique se traduisant par la
mobilisation dřun certain nombre de moyens pour atteindre des objectifs définis en
fonction dřune certaine philosophie ou idéologie »107. La définition proposée par le
« Dictionnaire dřéconomie » est plus large encore « La politique économique vise à la
réalisation dřun certain nombre dřobjectifs économiques et sociaux parmi lesquels
figurent notamment la croissance du niveau de vie et du produit national brut, le
pleinŔemploi des ressources en hommes et en équipements, la stabilité des prix,
lřéquilibre des échanges et des paiements extérieurs. Une hiérarchie de ces divers
objectifs est fréquemment établie en fonction dřune part des contraintes et de
lřenvironnement économique et social du moment, dřautre part des conceptions
politiques des dirigeants ».108 Le Professeur TINBERGEN avance une parfaite
synthèse en considérant, quřen définitive, «la politique économique consiste dans la
manipulation délibérée dřun certain nombre de moyens mis en œuvre pour atteindre
certaines fins».
De cette claire définition, il peut ressortir que les politiques de développement
pourraient être comprises comme les diverses options sectorielles initiées par les
pouvoirs publics pour atteindre des objectifs préalablement définis. Cela suppose
lřutilisation de moyens matériels et financiers appropriés mais aussi le recours à des
techniques et structures institutionnelles de gestion du développement ainsi que des
mutations des structures dřencadrement culturelles et mentales qui accompagnent
ces politiques.

106 MEYNAUD : Politique Économique comparée


107 Encyclopédie de lřéconomie et de la gestion, Édit. Hachette, 1994, p.349
108 Dictionnaire dřéconomie et des faits économiques et sociaux, Édit. Foucher, 1999, p 464

184
CHAPITRE 10
LES CARACTÉRISTIQUES ÉCONOMIQUES ET NON
ECONOMIQUES DU SOUS-DÉVELOPPEMENT

Il est après tout assez facile de définir à priori une politique de


développement et de se livrer à un volontarisme économique pour lřappliquer. Il
nřest pas sûr quřune telle méthode puisse donner des résultats probants, réalistes et
efficaces. Sans aucun doute, la meilleure démarche consiste à analyser au préalable
les structures et le fonctionnement dřune économie sous-développée avant de définir
les politiques de développement quřil importe de mener. Au départ, il sied de mettre
en lumière les structures économiques et sociales auxquelles sřapplique la politique
de développement dont il faut préalablement dégager les principes généraux qui
guident son élaboration.

Section 1 : Les Caractéristiques d’une économie sous-


développée.

Lřanalyse du sous-développement et de ses diverses représentations constitue,


depuis un quart de siècle, selon G.D. DE BERNIS, le microcosme de lřévolution de la
théorie économique. En effet, lorsque lřon traite dřune économie sous-développée, on
a lřhabitude dřénumérer un certain nombre de caractéristiques communes soit
quantitatives (critères) ou/et qualitatives (typologie structurelle historique) ;
toutefois, une énumération même exhaustive ne suffit pas à produire une définition
cohérente. Or cřest dřune définition dont la théorie a besoin comme outil dřanalyse.
René GENDARME a réuni 21 définitions du sous-développement, ce qui est une
bonne indication de la complexité du phénomène mais également de sa diversité.
Il est impossible de lister toutes ces définitions, mais au moins trois semblent
assez caractéristiques. La première est celle des Nations-Unies qui comprennent le
sous-développement comme « la non exploitation optimale de toutes les ressources
économiques et humaines disponibles sur un territoire ». La limite saute aux yeux car
lřoptimum de mise en valeur se retrouve sur tous les espaces territoriaux si tant est
que ce concept ait un sens scientifique. La deuxième compréhension, la plus usuelle,
assimile le sous-développement à un retard en comparaison avec des pays qui ont
atteint un niveau avancé de production, de consommation et dřéchange. Cette vision
est à la fois simpliste et artificielle, ce que nous avons souligné dans le découpage
grossier des étapes de la croissance de W.ROSTOW. Une troisième tentative de
définition provient des structuralistes, F. PERROUX, C.FURTADO qui voient dans le
sous-développement un processus historique autonome et non pas une étape par
laquelle serait passées les économies ayant déjà atteint un certain stade supérieur de
développement. Il est un phénomène contemporain du développement, conséquence
de la façon dont la révolution industrielle sřest déroulée jusquřà nos jours ». Cette
définition nřest pas très éloignée de celle des marxistes qui considèrent le sous-
développement comme le produit du développement capitaliste, une déstructuration
sectorielle issue de la domination impérialiste. Dans cette ligne de pensée, Samir
AMIN estime que lřanalyse du sous-développement occulte la réalité qui est celle
dřune formation sociale capitaliste dominée, exploitée et façonnée par lřimpérialisme.
« La transition au capitalisme périphérique est alors la construction dřune formation

185
sociale capitaliste spécifique à la périphérie à partir de la colonisation et de
lřexportation de capital sur la base des modes de production précapitalistes »109
Ces quelques trois définitions montrent lřimpossibilité dřun consensus sur
lřappréciation du phénomène. 110
Maurice BYE avertit clairement que « La science est dřabord vocabulaire,
ensemble de concepts clairement définis. Toute définition doit servir lřanalyse qui en
usera. Il faut donc savoir, pour donner un sens au terme « sous-développement, à
quel service ce mot se trouve destiné. » 111 Lřambiguïté et lřimprécision du concept
explique, sans nul doute, que la littérature économique le concernant relève dřabord
dřun domaine de controverses, dřévolution rapide des faits et de confusion de
lřanalyse et de la norme.112 Pourtant, il faudrait pouvoir en rendre compte comme
dřune pensée vivante, même lorsquřelle sřaccompagne inévitablement de branches
mortes113. Beaucoup dřauteurs, face à la diversité des approches, finissent par traiter
dřune économie sous-développée par une énumération de critères et dřindicateurs du
sous-développement (voire la douzaine de critères répertoriés par Yves LACOSTE et
qui constituent le fondement même de lřanalyse critériologique). Il reste quřune
énumération, même exhaustive, ne suffit pas à offrir une définition cohérente. Or
cřest dřune telle définition que nous avons besoin comme outil dřanalyse.
Dans ce cadre, lřanalyse du sous-développement se présente comme une
combinaison subtile de faits, dřintérêts, de théories, de pouvoirs et de mythes au sein
de laquelle cependant, les enchaînements sřexpliquent fort bien. Pour dépasser cette
diversité apparente et rechercher les éléments qui permettent une caractérisation
acceptable de lřétat de sous-développement, on va considérer une économie sous-
développée dřabord par sa structure productive primaire et dualiste, ensuite par son
fonctionnement instable et dépendant, et enfin par son incapacité à rompre le
« cercle vicieux de la pauvreté ». Cette interprétation sřefforce de regrouper des traits
de structures et de fonctionnement en vue de faire apparaître la conséquence
majeure : le cercle vicieux de la pauvreté.

I/ La première caractéristique est la structure primaire et dualiste

1°) L’économie sous-développée est une économie dominée par des


activités productives primaires d’origine agricole et minière

Toutes les statistiques établissent quřune économie sous-développée se


caractérise par la prédominance des activités économiques primaires dřorigine
agricole et minière correspondant à la valorisation des ressources du sol et du sous-
sol. Ces activités occupent la plus grande partie de la population active et fournissent
lřessentiel de la production intérieure et des exportations.
En ce qui concerne la population active, plus de 60%, sont concentrés dans le
secteur agricole et les exploitations minières. Le secteur des industries de
transformation nřemploie quřune très faible partie de cette force de travail, tandis
109 Samir AMIN : Lřaccumulation à lřéchelle mondiale, IFAN-Dakar, Édit. Anthropos, 1971 pp163-193.
110 Yves LACOSTE soulignera que « le sous-développement est un phénomène à la fois global et
éminemment complexe qui se manifeste dans chaque territoire par une imbrication de symptômes
économiques, sociologiques et démographiques et il procède dřune combinaison de facteurs imbriqués
les uns aux autres. Cette combinaison nřest pas statique, elle évolue sous lřeffet dřun jeu de forces
complexes »
111 Maurice BYE : Préface à lřouvrage de J.FREYSSINET, Le concept de sous-développement
112 G.Destanne DEBERNIS : op. cit. p 103
113 G. Destanne DEBERNIS : Sous-développement, analyses ou représentations, Revue Tiers-Monde,

tome XV, n°37 Janvier-Mars 1974

186
que lřon enregistre dans beaucoup de pays à une hypertrophie du secteur tertiaire
composé essentiellement de lřéconomie informelle qui a connu une expansion
extraordinaire dans la quasi-totalité des PSD. Ce qui sřexplique par le développement
dřactivités commerciales et dřexportation dans les régions côtières, les ports, les
grandes agglomérations urbaines ; la prolifération dřintermédiaires de tous ordres, de
courtiers, de changeurs, de prêteurs ou dřusuriers, de trafiquants divers et le
développement des services personnels (domestiques) en raison du faible coût de la
main-dřœuvre faisant suite à lřexode rural massif.

Tableau 10 : Pourcentage de la main d’œuvre utilisée dans l’agriculture,


l’industrie et les services en Afrique.
Année 1980 1985 1990 1996
Agriculture 70 67 65 62
(en%)
Industrie 11 12 13 15
(en%)
Services (en%) 19 21 22 23
Source : BAD, Rapport sur le développement en Afrique, année 2005

La conséquence de cette répartition de la population active est une utilisation


improductive de la force de travail et, plus particulièrement, le chômage déguisé dans
lřagriculture qui se traduit par une productivité marginale du travail nulle et une
baisse du rendement par actif rural. Il est devenu important pour les politiques
agricoles dřévaluer avec exactitude le chômage déguisé. Cela peut se faire en calculant
le nombre dřhommes quřil faut dans lřagriculture pour obtenir une certaine
production, compte tenu des cultures, des techniques et de lřéquipement.
La situation de sous-développement est aussi révélée par la structure primaire
de la Production Intérieure du pays. Celle-ci se compose principalement de produits
agricoles et miniers à savoir:
les produits agricoles servant à la subsistance de la population ;
les matières premières agricoles affectées à lřexportation;
les matières premières minières destinées à lřexportation.
Quant à la production industrielle, sa part dans le PIB est faible. Cette donne
sectorielle sera approfondie dans lřanalyse des politiques économiques dans les deux
secteurs que sont lřagriculture et lřindustrie
Enfin les exportations sont révélatrices de la situation de sous-développement.
Celles-ci se concentrent sur un ou deux grands produits de base (d'origine agricole ou
minière).
Lřétude de la structure de la production intérieure et des exportations fait
apparaître le caractère paradoxal de la spécialisation dans les pays sous-développés :
la spécialisation est très forte par rapport au commerce extérieur, mais elle est très
faible par rapport au marché intérieur, de sorte que ces pays doivent importer de
lřétranger certains produits de consommation quřils ne réussissent pas à produire
eux-mêmes.

187
2°) Le sous-développement est marqué par un dualisme sectoriel de
l’économie

Lřéconomie sous-développée est dualiste en ce sens quřelle comprend deux


secteurs économiques juxtaposés ayant de très faibles relations interindustrielles : un
secteur précapitaliste et un secteur moderne dřessence capitaliste qui se subdivise en
un sous-secteur constitué dřun capitalisme étranger et un sous-secteur capitaliste
autochtone très faiblement industriel, mais surtout commercial et immobilier.
Lřéconomie dualiste est une économie « désarticulée » selon lřexpression de M.
François Perroux, cřest-à-dire quřil nřexiste entre les deux secteurs que de très faibles
relations. Le premier secteur développé est articulé au système mondial dont il est le
prolongement alors que le secteur autochtone stagne et ne reçoit pas de lřextérieur les
impulsions nécessaires.
Lřétude du caractère dualiste et désarticulé des économies sous-développées
apparaît mieux encore quand on discute du rôle joué par les firmes étrangères dans le
pays sous-développé : pour apprécier ce rôle, on peut se placer à divers points de vue
de lřorientation des activités, de la distribution des revenus, des investissements et au
point de vue social.

II/ La deuxième caractéristique est relative au fonctionnement d’une


économie sous-développée.

1°) le fonctionnement de l’économie sous-développée est instable

Cřest le premier trait caractéristique du fonctionnement dřune économie sous-


développée. Il se manifeste à un triple niveau celui de la production, des exportations
et des termes de lřéchange.
Dřabord concernant la production, son instabilité provient de la forte
corrélation de la production agricole aux aléas de la nature : de bonnes récoltes
peuvent alterner avec de mauvaises. Pour ce qui est de la production minière, son
volume est fonction du volume des exportations, qui elle-même dépend de la
demande extérieure des acheteurs étrangers et des firmes étrangères qui dressent des
plans de production pour lřensemble de leur espace mondial dřimplantation, sans
tenir compte des intérêts particuliers des pays producteurs où elles exercent une
partie de leurs activités.
Ensuite pour ce qui est des exportations : les débouchés sont soumis à de
fortes fluctuations liées à plusieurs facteurs qui échappent complètement aux pays
producteurs : fluctuations du volume des exportations ainsi que celles des prix. Les
conséquences de cette instabilité dans les exportations sont graves pour lřéconomie
sous-développée : évolution erratique des recettes dřexportation qui provoquent
dřune part des fluctuations décalées dans les importations et aggravent dřautre part
la situation générale de lřéconomie sous-développée en ce sens que les phases
dřexpansion favorisent le développement de productions marginales ou
additionnelles qui provoquent en fin de compte une surproduction. De plus,
lřinstabilité des prix des produits exportés incite les acheteurs étrangers à développer
les produits de substitution (produits synthétiques) qui ont des prix prévisibles et
facilitent ainsi le calcul des coûts de production.
Enfin, dans le domaine des termes de lřéchange sur lesquels nous reviendrons
plus en détail, dans le cas des PSD, les prix à lřexportation sont, en première analyse,
les prix des produits primaires ; les prix à lřimportation sont les prix des produits
manufacturés importés. Dans ce contexte, lřinstabilité des prix à lřexportation des

188
produits primaires explique lřinstabilité des termes de lřéchange de ces PSD. Le
phénomène le plus important en ce qui concerne les termes de lřéchange est leur
évolution de longue période qui peut être caractérisée par deux mouvements
opposés : la détérioration et lřamélioration.
Dans ses travaux M. Raul PREBISCH constate que les changements observés
dans les termes de lřéchange indiquent que les PSD ont permis la croissance du
niveau de vie dans les pays industrialisés sans recevoir, dans le prix de leurs propres
produits, une contribution équivalente à leur propre niveau de vie. « Tandis que les
centres gardèrent lřentier bénéfice du développement technique de leurs industries,
les contrées périphériques transférèrent une part des fruits de leur propre progrès
technique ». On notera que les théoriciens de lřéchange inégal sřinscrivent dans les
mêmes lignes de conclusion. Cependant, pour C. P. KINDLEBERGER, le problème
central des pays sous-développés nřest pas tant celui des termes de lřéchange que
celui de la très faible mobilité des ressources. Cette immobilité relative est aggravée
par la technologie utilisée dans les productions primaires, qui permet souvent une
entrée facile dans une activité économique, mais une sortie difficile en raison des
faibles possibilités dřadaptation de lřéconomie sous-développée : « le développement
économique est accéléré davantage par la recherche dřune qualification pour la force
de travail à tous les niveaux, par le flux de capitaux nouveaux, par la flexibilité et
lřaction de lřentrepreneur, que par des efforts en vue de manipuler les termes de
lřéchange ».

2°) le fonctionnement dépendant de l’économie.

Lřéconomie des PSD est triplement dépendante de lřextérieur. Globalement ce


sont des économies qui fonctionnent par et pour lřéconomie mondiale.
La première dépendance se manifeste vis-à-vis des grandes firmes
multinationales qui exploitent les matières premières agricoles et minières et qui en
assurent les exportations. Cette dépendance est la conséquence de la spécialisation.
La seconde dépendance concerne les importations de biens manufacturés et de
services. En analysant les importations des PSD, on constate trois postes importants :
les biens dřéquipement et de consommation intermédiaire destinés aux
industries locales ;
les importations de produits alimentaires destinées à couvrir le déficit
alimentaire ;
les biens de consommation finale de luxe de la minorité privilégiée par la
fortune.
Cette dernière catégorie de biens de consommation a fait lřobjet de plusieurs
réflexions à cause de son incidence négative sur lřéquilibre extérieur. À lřheure de la
mondialisation, beaucoup de moyens permettent le jeu de lřeffet de démonstration
et un mimétisme de consommation se traduit dans les pays sous développés par une
aspiration à des niveaux de vie de type américain ou européen. Cet effet entraîne un
accroissement des importations de biens de consommation, souvent non essentiels,
ce qui provoque des déséquilibres de la balance des paiements et une utilisation
improductive des devises obtenues par les exportations ou par lřaide extérieure.

189
Tableau 11: Composition des exportations régionales : part des matières
premières en %.

RÉGION 2000 2002


Amérique du Nord 10 10,7
Europe Occidentale 9,4 9,4
Asie 6,5 6,6
Amérique Latine 18,4 19,3
Afrique 12,9 15,8
Source : BAD, Rapport sur le Développement en Afrique, 2005

La troisième dépendance est relative aux importations de capital en


provenance de lřétranger. Le déficit dřépargne contraint les PSD à recourir aux
Investissements Directs Étrangers pour financer les investissements, à lřAide
Publique au Développement et aux divers prêts des Institutions Financières
Internationales. Cette mobilisation de ressources externes demeure indispensable
malgré les observations pertinentes et opportunes de A. LEWIS, qui écrit : « Aucune
nation nřest assez pauvre pour ne pas pouvoir épargner 12% de son revenu national,
si elle le désire ; la pauvreté nřa jamais empêché les nations de se lancer dans les
guerres, ou de gaspiller leurs substances dřautres façons. Moins que les autres, ces
nations ne peuvent plaider la pauvreté, dans lesquelles 40% environ du Revenu
National sont détenus par les 10% supérieurs des titulaires de revenu, vivant
luxueusement de leurs rentes. Dans de tels pays, lřinvestissement productif est faible,
non pas parce quřil nřy pas de surplus, mais parce que le surplus est utilisé … à
construire des pyramides, des temples et dřautres biens durables de consommation,
au lieu de créer du capital productif. Si ce surplus allait sous forme de produits aux
capitalistes ou, sous forme dřimpôts, à des gouvernements ayant une inclination pour
la productivité, des niveaux beaucoup plus élevés dřinvestissement seraient possibles
sans inflation » (p. 236). 114

Tableau 12 : Les IDE en Afrique et dans le monde de 1980 à 2005 en


milliards de dollars EU aux prix courants.

Années 1980 1990 2000 2001 2002 2003 2004 2005

Monde 55,3 201,6 1409,5 832,2 617, 7 557,8 710,5 916,3

Économies en
développement 7,7 35,9 254,6 210,5 162,1 172,8 260,2 320,7

Afrique 0,4 2,8 9,6 19,9 13 18,5 17,2 30,7

Éonomies en
développement 0,66 22,6 148 112 96,1 110,1 156,6 199,6
d’Asie

114 A. LEWIS: The Theory of Economic Growth (1956),

190
Source : CNUCED, Manuel de Statistiques 2006.
III/ La troisième caractéristique : le sous-développement comme
incapacité à briser le « Cercle Vicieux de la Pauvreté »

Le cercle vicieux de la pauvreté se définit comme une sorte de causation


circulaire selon laquelle la pauvreté engendre la pauvreté à travers des revenus très
faibles et en conséquence une épargne faible pour permettre un investissement
substantiel générateur de croissance, donc dřaccroissement des revenus. Tout se
passe comme sřil existait des mécanismes qui empêcheraient le pays sous-développé
de connaître un accroissement dřactivité. Cette notion peut revêtir deux aspects : un
aspect stationnaire qui induit ce que R. NURKSE appelle un équilibre de sous-
développement et un aspect dynamique à partir de processus cumulatif renforçant la
constellation circulaire de forces maintenant lřéconomie sous développée en état de
pauvreté. Cet aspect a été mis en relief par G. MYRDAL qui a étudié ces processus
cumulatifs de croissance ou de régression, qui augmentent les inégalités entre régions
à lřintérieur des nations ou entre nations à lřintérieur de la communauté
internationale.

Figure 11 : Cercle vicieux de la pauvreté

Faiblesse des Faible capacité Investissement


DU COTE DE revenus d’épargne réduit
L’OFFRE
GLOBALE

Faible Manque de
productivité capital

Faible Faiblesse des Demande


productivité revenus insuffisante
DU COTE DE
LA DEMANDE
GLOBALE

Incitation à investir
réduite

1°) L’aspect stationnaire

Lřéquilibre de sous-développement peut sřexpliquer dřabord par la formation


du capital nouveau, limitée par lřinsuffisance de lřépargne résultant du faible niveau
du revenu réel, lřoffre de capital est alors déficiente. Également, la demande de
capital est déficiente parce que les occasions dřinvestissement sont insuffisantes et
lřincitation à investir inexistante. On constate au niveau des PSD trois situations :
une demande de consommation intérieure faible, par suite des faibles
niveaux de revenus, ce qui déprime la demande dřinvestissement dans
toutes ces branches,
une absence de main dřœuvre qualifiée nécessaire à lřapplication des
techniques modernes de production,
une insuffisance des infrastructures économiques sans lesquelles une
entreprise de type moderne ne peut sřétablir et se développer. Lesdites
infrastructures sont les ports, les voies de communication, le système
bancaire, les centres de production et de distribution de lřénergie.

191
Pareille situation produit deux conséquences particulières : dřabord,
lřinvestissement international privé se concentre dans les activités dřexportation et
non dans la production pour le marché intérieur. En effet, les capitaux privés tendent
toujours à se déplacer vers les pays où existe un marché massif et prospère, non vers
les pays où le capital est peu abondant et où sa productivité marginale serait pour
cette raison plus élevée. Ensuite, si une épargne se forme dans un pays sous-
développé, chez les titulaires de revenus élevés (et on sait combien la répartition du
revenu est inégale dans un tel pays), elle nřest pas affectée à lřinvestissement
productif, mais à des emplois souvent improductifs et peu favorables à la croissance
de lřéconomie (placements dans les pays étrangers développés, thésaurisation sous
des formes diverses, constructions résidentielles de luxe, encaisses spéculatives.)
Dans les PSD, les titulaires de hauts revenus ont parfois des excédents substantiels
dřépargne mais le principal problème est de savoir comment détourner cette épargne
vers des emplois plus productifs.

2°) L’aspect dynamique du cercle vicieux

Il sřagit dřun élargissement du cercle conformément à lřanalyse de G. MYRDAL


qui considère quřautant le développement appelle le développement, la pauvreté
appelle une plus grande pauvreté. G. MYRDAL a mis en relief ces processus
cumulatifs de croissance ou de régression, qui augmentent les inégalités entre régions
à lřintérieur des nations ou entre nations à lřintérieur de la communauté
internationale. En effet, le jeu des forces du marché a pour conséquence que tout
centre dřexpansion industriel ou commercial exerce une attraction dřhommes, de
marchandises et de services, de capitaux, de vie intellectuelle et sociale et diffuse
deux séries dřeffets :
dřappauvrissement des régions moins favorisées (backwash effects), qui se
manifestent sous des formes diverses : émigration des éléments jeunes et
actifs de la population, émigration des capitaux, le système bancaire
captant les épargnes des régions pauvres pour les orienter vers les régions
en plein essor, disparition des industries concurrencées par celles des
régions développées qui disposent de marchés plus vastes et travaillent
dans la zone des rendements croissants, régressions de lřagriculture qui
demeure lřactivité prédominante mais dont le niveau de productivité est en
baisse, insuffisance des services publics (routes, voies ferrées, services
sociaux, etc.)
dřentraînement (spread effects) sur les régions environnantes, qui
balancent les effets dřappauvrissement. Mais ces effets sont dřautant plus
faibles que le pays est plus pauvre ; leur intensité est fonction du niveau de
développement.
En appliquant ce schéma à lřéconomie internationale, on en déduit que les
relations internationales, les échanges dřhommes, de produits et de capitaux, se font
en faveur des centres développés tandis quřils vont dans le sens dřun
appauvrissement progressif des régions sous-développées : élimination de lřartisanat
local, développement des productions primaires en vue de lřexportation vers les
régions développées, exportation de capitaux par les capitalistes des pays sous-
développées, qui justifie la formule selon laquelle on ne prête quřaux riches.
Comme les effets dřentraînement sont faibles ou nuls dans les pays sous-
développés, les effets dřappauvrissement sřexercent sans y être de quelque façon
contrebalancés.

192
Lřétude du « cercle vicieux de la pauvreté » dans ses aspects statistique et
dynamique nous conduit à deux conclusions : dřabord, elle met en relief les nécessités
nationales dřune politique de développement et indique les voies dřaction qui doivent
être suivies, et ensuite elle montre que la croissance des économies sous-développées
impose une prise de vue mondiale des problèmes à résoudre et appelle des solutions à
lřéchelle mondiale.
De même que les phénomènes de sous-développement traduisent lřabsence
dřune communauté internationale structurée et organisée, le succès de tout effort de
développement dépendra de lřinstauration dans les consciences, dans les institutions
et dans les politiques, du désir de réaliser une telle communauté.

3°) Une vision de la Banque mondiale des cercles de causalité.

Cette approche très proche de lřanalyse « des cercles vicieux » consiste à


proposer la configuration de notions à fortes interactions cumulatives des cercles de
causalité qui peuvent être dits soit vertueux, soit vicieux. « La réussite dans un volet
d'un des cercles facilitera l'amélioration dans d'autres, mais on peine à concevoir que
l'Afrique prenne sa juste place au 21ème siècle à moins qu'il n'y ait progrès dans la
résolution des problèmes dans tous les cercles. Le programme en chantier peut être
réparti dans quatre de ces cercles : amélioration de la gouvernance et résolution des
conflits; investissement dans la population; augmentation de la compétitivité et
diversification de l'économie; enfin, réduction de la dépendance envers l'aide et
renforcement des partenariats »115.

Figure 12 : Cercles de causalité selon la Banque mondiale

115 Banque mondiale : L’Afrique peut-elle revendiquer sa place au 21ème siècle p 47 et suivantes

193
IV/ L’Approche marxiste du sous-développement à travers l’analyse de S.
AMIN
Les formations sociales périphériques constituent la partie centrale de
lřouvrage de Samir AMIN qui mène son analyse non plus en termes de mode de
fonctionnement, mais en termes de mode de production et de formations sociales. La
construction dřune formation sociale capitaliste spécifique à la périphérie sřeffectue à
partir de la colonisation et de lřexportation de capital sur la base des modes de
production précapitalistes.
La théorie de la transition au capitalisme périphérique livre deux séries de
résultats: dřune part, en ce qui concerne les conditions nécessaires pour que
sřétablisse le mode de production capitaliste à la périphérie « celles-ci sont au nombre
de deux essentiellement : la prolétarisation et lřaccumulation du capital argent 116 ce
qui insiste sur la dissolution des anciens rapports pour libérer la force de travail
nécessaire à lřétablissement de rapports de production capitalistes, libération obtenue
le plus souvent par la violence, et dřautre part en ce qui concerne la dynamique de
lřaccumulation : « Le mode de production capitaliste tend à devenir exclusif cřest-à-
dire à détruire les autres modes de production. Sur ce dernier point Samir AMIN
développe la spécificité du mode de production capitaliste dans les formations
sociales capitalistes de la périphérie qui réside dans la carence des rapports de
production à dominer le développement des forces productives, ce qui conduit dřun
côté à la non industrialisation, et de lřautre à la consolidation des rapports de
production capitalistes.
Le développement du capitalisme périphérique ou le développement du sous-
développement se manifeste selon S. AMIN par trois distorsions :117
une distorsion décisive en faveur des activités exportatrices qui
absorberont la fraction motrice des capitaux en provenance du centre ;
une distorsion en faveur des activités tertiaires qui traduit les
contradictions particulières au capitalisme périphérique et les structures
originales des formations périphériques ;
une distorsion dans les choix des branches de lřindustrie en faveur des
branches légères, accessoirement en faveur des techniques légères.
Plus spécifiquement, les formations sociales capitalistes périphériques
africaines partagent trois caractéristiques communes :
la prédominance du capitalisme agraire et commercial dans le secteur
national,
la constitution dřune bourgeoisie locale dans le sillage du capital étranger
dominant,
la tendance du développement bureaucratique original, propre à la
périphérie contemporaine.
Cette troisième caractéristique engagerait les formations sociales vers
un « capitalisme dřÉtat » parfaitement compatible avec les exigences du centre et la
reproduction des rapports capitalistes internes aux pays sous-développés.118

116 S.AMIN : idem p 165


117 S.AMIN : idem pp. 197-338
118 Moustapha KASSE : La transition du sous-développement au socialisme, Édit. Silex

194
Section 2 : Les caractéristiques extra-économiques du
développement
Le Japon est le seul pays de peuplement non blanc et de culture non
occidentale à avoir réussi à faire fonctionner efficacement un système politique
démocratique et une économie libérale performante en ne se fondant que sur ses
valeurs propres de civilisation. Lřune de ces valeurs est lřinvestissement sur lřhomme
considéré comme le capital le plus précieux. Dans ces conditions, un PSD ne peut
entreprendre et réussir un développement durable que si les structures
dřencadrement sont compatibles avec les stratégies et politiques de développement.
On peut se demander au premier abord si lřéconomiste a quelque compétence
pour étudier les rapports entre civisme et développement. Dans la pensée
économique néo-classique dominante, le développement se réduit à des conceptions
strictement économiques et ne met en jeu que des variables de même genre,
techniques et quantifiables, découlant des postulats de rationalité de lřhomo-
economicus qui est une créature se présentant de façon isolée sur le marché,
dépourvu de passé historique, dřopinions politiques et de relations sociales en dehors
des simples échanges marchands.
Dans cette optique, les relations hors marché et les institutions nřentrant pas
dans le cadre du marché sont supposées nřavoir aucune répercussion significative sur
les activités de développement économique et social. En conséquence, les économies
ont une nature statique et dépourvue de passé, le changement et les évolutions
marquantes ne résultent que des seules variables économiques et technologiques.
Ainsi débarrassées des relations sociales et de leur dynamisme historique, les
économies sont réduites à de simples appareils techniques servant à lřallocation des
ressources rares. Cela permet aux théoriciens de sřinstaller dans un monde
dřhypothèses universelles et de modèles formels.
Toutefois, il est généralement admis que les performances économiques
dérisoires des politiques de développement appliquées depuis plus de deux décennies
prennent leur source pour lřessentiel dans le caractère réducteur de ces analyses
étroites et simplistes qui ignorent la complexité des réalités socio-économiques des
PSD.
Cette vision technocratique du développement est fondamentalement erronée.
Il est aujourdřhui globalement admis que la viabilité de toute stratégie de
développement dépend dřune multitude de paramètres extra-économiques. En effet,
il est impossible dřétudier les problèmes du développement sans prendre en
considération le contexte social de lřactivité, les relations que les hommes nouent
entre eux et les choses. En conséquence, tout développement économique doit, à mon
sens, sřinsérer dans une synergie sociale. Deux attitudes sont alors possibles : celle de
lřingénieur qui sřen remet à la mécanique et à la technique et celle du biologiste qui
tient compte de tous les éléments de lřenvironnement.
Cette deuxième vision est plus féconde et exige alors de compléter lřanalyse en
intégrant des variables non économiques. Cette opinion peut être appuyée par le
référentiel dřéconomistes classiques comme contemporains qui, dans leurs esquisses
dřune théorie valable de la croissance et du développement, font une très grande
place aux variables extra-économiques. Déjà, J. S. MILL, dans ses Principes
dřÉconomie Politique (1848), observait quřau titre des moyens de réaliser
lřaccumulation du capital dans les autres pays, il faut ajouter « 1°) un meilleur
gouvernement ; 2°) lřamélioration de lřinformation du public, le déclin des usages ou
des superstitions qui empêchent lřefficacité de lřindustrie ; la croissance de lřactivité
mentale qui éveille les esprits à de nouveaux objets de désir ; 3°) lřintroduction des

195
arts étrangers et lřimportation du capital étranger ». Dans la même lignée de réflexion
A. MARSCHALL note que « la longue période est celle où il faut faire intervenir non
seulement la possibilité de variation du capital fixe, mais encore de nombreux autres
facteurs variables tels que lřétat des connaissances, les goûts des sujets économiques,
etc.… ».
Cřest surtout J. SCHUMPETER qui va insister sur ces variables non
économiques déterminantes : « Abandonnons le domaine des considérations
purement économiques, tournons-nous maintenant vers le complément culturel de
lřéconomie capitaliste, si nous voulons parler de langage de Marx, et vers la mentalité
qui caractérise la société capitaliste, en particulier la classe bourgeoise ». Cřest après
avoir étudié la « Civilisation du Capitalisme » que Schumpeter répond à la question
de savoir si le capitalisme peut survivre. Ce système dit-il nřest pas menacé sur le plan
proprement économique, « il est en péril parce que les murs qui le soutiennent sont
croulants : les structures sociales protectrices, les idéologies et les représentations
mentales liées au capitalisme sont menacées de destruction ou en voie de
transformation ».
Le professeur YOSHIMORI sřest posé la question de savoir « Pourquoi les
japonais se sont mis à se développer, à sřindustrialiser et pourquoi les japonais ont-ils
réussi sur le plan économique ? Cřest paradoxalement la réponse japonaise donnée au
défi occidental. Avant la moitié du siècle dernier, les japonais vivaient tranquillement,
en paix, isolés du reste du monde, dans de petites îles où le système féodal avait réglé
la vie pendant près de trois siècles. Un jour, vers le milieu du siècle dernier, un bateau
noir était venu. Il sřagissait dřun bateau des américains qui avait forcé la porte du
Japon en raison du ravitaillement pour les Américains qui naviguaient entre les
États-Unis et la Chine. Les japonais voyaient de plus en plus les pays asiatiques
colonisés par les puissances occidentales (la Chine, dřautres pays), et ceci était
ressenti par les japonais comme une réelle menace à lřintégrité nationale du Japon.
La seule solution pour les japonais face à ce défi technologique tout à fait énorme est
de concurrencer les Occidentaux sur leur propre terrain, cřest-à-dire en empruntant,
en assimilant systématiquement les technologies occidentales. Les japonais étaient, et
sont aussi fiers, fiers de la tradition, et ce nřétait pas facile pour les japonais, à cette
époque-là, de faire quelque chose, dřadopter les produits de la civilisation occidentale.
Donc, on a inventé une formule : même si on assimile au Japon les technologies
occidentales. Cřest par le biais de lřâme japonaise que les japonais le feront. Cřest ainsi
que lřâme japonaise et la technologie occidentale étaient devenues une espèce de
slogan pour les japonais. Et le but de cette assimilation de la technologie occidentale
était de préserver au Japon son intégrité territoriale et également son identité
politique et culturelle dues. Ce sont ces deux éléments, lřun géographique et lřautre
historique, qui sont à la base de la modernisation et de lřindustrialisation du Japon. »
Dans le même sens, le Professeur LISSOUBA observe que « certaines réalités
culturelles peuvent constituer de graves entraves aux efforts de développement. Il
nous faut pour cela admettre dřemblée deux postulats : Tout dřabord, le
développement nřest pas seulement croissance ni synonyme dřextension de marchés.
Il appelle toutes les dimensions de lřhomme, comme lřont rappelé les précédents
orateurs, une analyse simultanée des politiques au sens strict, des politiques
économique, des idéologies, ce mot étant pris dans son acception qui privilégie le
culturel, ou dialogue avec le réel ».

196
Encadré 8: Culture, créativité et marchés
Dans son Rapport mondial sur la culture, A.SEN montre que la réussite qui était au
départ l'apanage du Japon, s'est progressivement généralisée à toute la région et quřelle a
donné naissance à de nouvelles théories sur le rôle de la culture asiatique dans la réussite
économique aussi bien que dans l'affirmation politique. La question est donc d'évaluer le
potentiel économique des valeurs culturelles de l'Asie. Sa démarche s'appuie sur les
constatations suivantes :
Les valeurs culturelles de l'Europe ont paru tout d'abord les plus fécondes pour
expliquer sa suprématie;
Ensuite, l'héritage des règles des traditions, et des valeurs propres aux Samouraï
ont été invoqués pour expliquer l'industrialisation rapide du Japon;
Récemment d'autres régions asiatiques ont connu la même réussite. L'attention
s'est alors portée sur les vertus spécifiques du confucianisme, un lien culturelle
qui unit le Japon, La Chine et la majeure partie de l'Asie orientale;
Les valeurs du Bouddhisme radicalement différentes de celles du confucianisme,
sont aujourd'hui sollicitées pour expliquer la réussite récente de la Thaïlande et
de ses voisins on y ajoute le potentiel économique de l'Islam pour rendre compte
de l'essor de l'Indonésie;
Plus récemment encore, l'Inde connait une croissance économique supérieure à
celle de l'Europe et de l'Amérique. Les interprétations passés qui présentaient
l'apathie et le fatalisme comme les causes de la stagnation sont prises de court
pour expliquer le dynamisme actuel.
Amartya SEN en tire deux conclusions: la culture européenne n'est pas la seule voie
vers une modernisation réussie et le développement de l'Asie orientale présente certaines
particularités, notamment un rôle plus marqué de l'éducation et de la formation, ainsi que
l'établissement des relations plus harmonieuses et plus coopératives entre le marché et
l'État. Mais ceux ne sont pas là des aspects propres aux " valeurs asiatiques " en tant que
telles, ni des exemples que d'autres pays ne peuvent suivre. À chacun ses valeurs, à chacun
son idéal de progrès, à chacun sa route pour s'en approcher.
Source : Amartya SEN (Prix Nobel 1998)

Dès lors, il faut identifier lřensemble des conceptions, des valeurs éthiques, des
croyances, des idéologies et des représentations des « faiseurs de développement »
qui ont longtemps été masquées par des modèles de développement qui semblaient
fonctionner sans elles. Ces variables sociologiques, morales, politiques et sociales ont
la forte capacité de commander ou dřorienter lřactivité économique comme lřont
clairement établi les travaux de Max WEBER sur lřinfluence de lřéthique protestante
dans le décollage économique des pays capitalistes ou ceux de SOMBART sur la
contribution de la mentalité juive dans la réalisation de la révolution industrielle en
Europe.
Pour ce deuxième auteur, trois attitudes paraissent essentielles pour le
développement économique et social, du fait des valeurs quřelles véhiculent et qui
influencent très fortement la croissance économique et le développement mais aux
quelles il faut ajouter deux autres:
lřattitude à lřégard du travail social considéré comme le principal créateur
des biens matériels et des services ;
lřattitude à lřégard du progrès perçu au double niveau dřune quête
permanente des innovations créatrices et de lřaccumulation de ressources à
des fins dřinvestissements productifs ;
lřattitude à lřégard du temps, autrement dit le temps est-il un bien rare qui
a un prix ou alors est-il lřattribut dřune divinité ?
lřattitude face à la corruption

197
lřattitude à lřégard du service public.

Attitude à l’égard Attitude à l’égard du Attitude à l’égard Attitude face à la Attitude à l’égard de l’Etat
du travail progrès matériel du temps corruption et du service public

Volonté de transformer son Acceptation de son état :


état : acceptation du refus du changement
développement

Attitude active à l’égard Attitude à l’égard du


du développement travail

Développement ou Immobilisme
processus cumulatif de Stagnation régression
transformation

Ces cinq attitudes forment les structures mentales ou lřoutillage mental


compris comme lřensemble des concepts, des croyances et des représentations qui ont
cours dans une société et que lřon peut infléchir dans un sens favorable au
développement. Elles expliquent pour une très large part la conception que lřhomme
se fait de ses relations avec les principaux facteurs de croissance, conception active ou
conception passive, acceptation de son état ou volonté de le transformer et de
lřaméliorer. Cřest pour cette raison quřil est souvent souligné que le développement
est une question de mentalité. On comprend dans cette optique le rôle éminemment
positif que peut jouer le civisme accepté comme un ensemble de valeurs et de
comportements qui agissent sur la conscience de lřêtre humain, pour lui inculquer
une attitude positive, se traduisant par le respect de soi-même, le respect dřautrui, le
respect des institutions que les populations se sont données librement. Les règles de
civisme invoquées ou imposées par un donneur dřordre peuvent alors entraîner des
attitudes favorables au développement économique.
La crise persistante des économies africaines malgré lřapplication par les pays
africains depuis plus de deux décennies, des programmes dřajustement structurel
ravivent le débat sur les modèles de développement et leur pertinence. Ceux-ci
reposaient sur trois postulats majeurs à savoir :
une conception mécaniste et linéaire de lřhistoire et du développement
selon laquelle toutes les sociétés humaines passeront par les mêmes stades
avant de décoller ;
une approche technocratique de la gestion et du développement
institutionnels, qui part de lřidée que la modernisation passe
obligatoirement par un mimétisme à lřégard de la civilisation occidentale ;
et une conception ethnocentrique de la culture fondée sur lřidée que toutes
les sociétés doivent tendre à épouser les mêmes valeurs que celles des pays
développés, notamment lřesprit dřentreprise, la recherche du profit
maximum, la sécurité matérielle et lřintérêt personnel.
La conclusion toute logique de cet ensemble de postulats est que le
développement du continent africain devra être impulsé de lřextérieur. Il suffit
simplement dřorganiser la mobilité des capitaux, de transférer les technologies et les
cultures qui les accompagnent. Pour rompre avec cette philosophie, il importe

198
dřanalyser les valeurs socio-culturelles ainsi que les attitudes et comportements des
acteurs face à ces valeurs.

I/ Les attitudes à l’égard du travail

Le travail est à la fois le fondement de la valeur des biens et services et la


principale source de la richesse des nations. Ce propos peut être illustré par certains
exemples bien édifiants :
un exemple religieux : « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front »,
recommandation du Tout-Puissant à Moïse sur le Mont Sinaï ;
un exemple de théorie économique : la valeur dřun bien est déterminé par
le temps de travail socialement utilisé pour sa fabrication ;
des exemples de politique économique : les différentes révolutions
industrielles en Europe et dans le Monde se sont déroulées dans des
conditions de travail surexploité. Plus édifiant encore sont les « ateliers de
sueur » qui ont permis aux pays asiatiques de vaincre le sous-
développement dans lřintervalle dřune génération et dřêtre le pôle émergent
qui fournira plus de la moitié du surcroît de la production mondiale.
La question qui découle de ces exemples est celle de savoir quelle est lřattitude
des acteurs sociaux à lřégard du travail ? Trois faits massifs méritent dřêtre soulignés
et sérieusement analysés. Le premier concerne les cérémonies familiales et les
nombreuses activités de loisirs qui démobilisent tout le corps social et
particulièrement sa composante la plus valide : la jeunesse. Le second est relatif à la
multiplicité des fêtes officielles qui sont des charges exorbitantes pour les entreprises
et partant diminuent, leur compétitivité structurale. Le troisième fait est la faible
productivité du facteur travail dans tous les secteurs dřactivité. En prenant le cas de
lřagriculture on sřaperçoit que les hommes consacrent au travail 103 jours, soit 600
heures par an et les femmes 155 jours, soit 1.100 heures. Dans les mêmes climats et
sur les mêmes sols, le rendement moyen par actif rural et par hectare cultivé est
presque 10 fois plus élevé en Asie.
Que faut-il alors faire pour promouvoir une société de travail, cřest-à-dire une
société qui se construit autour des valeurs qui agissent sur la conscience des citoyens
pour leur inculquer en permanence des attitudes favorables au travail productif et
créatif. Il faut certainement aller bien au-delà de simples appels à la conscience
professionnelle.

II/ L’attitude à l’égard du progrès matériel

Si nous réduisons le progrès matériel à deux variables fondamentales,


lřacceptation des innovations technologiques et lřaccumulation productive, il devient
intéressant de savoir si la recherche de ce progrès est tenue pour une finalité de
lřactivité des citoyens sénégalais.
Pour ce qui est des innovations, la réceptivité des sénégalais est presque
parfaite : vivacité dřesprit, intelligence ouverte à toutes mutations, très forte
propension à lřinitiation, système éducatif et de formation de bon niveau. Toutes ces
raisons font que la dotation de notre pays en ressources humaines est une des
meilleures en Afrique francophone. Cette situation est renforcée par la présence
dřune Université qui est aujourdřhui un des pôles de compétence et dřexcellence de la
sous-région.

199
Concernant lřautre volet du progrès (à savoir lřaccumulation), elle soulève les
questions suivantes : la richesse est-elle source de consommation, moyen de prestige
ou instrument de progrès économique par accumulation et investissement ?
Commençons par élucider le lien entre accumulation et développement. Notre pays a
besoin dřune croissance rapide, accélérée, harmonieuse et aux taux le plus élevé
possible compte tenu des ressources disponibles. Or, le taux de croissance est une
fonction directe du taux dřaccumulation, donc de lřépargne. En conséquence, il ne
peut exister de développement sans une conciliation entre les capacités de génération
et dřabsorption des surplus. Historiquement, les richesses qui se formaient étaient
systématiquement détruites par des mécanismes divers (cérémonies, legs, dons, …) ;
cela pour maintenir la cohésion et empêcher toute différenciation sociale
remarquable. Cette tradition sřest renforcée aujourdřhui entraînant une véritable
dilapidation des ressources à lřoccasion de cérémonies de tous ordres. Lřinterférence
de deux valeurs lřune traditionnelle et lřautre moderne le « pouvoir dřachat » entraîne
une surenchère dans les dépenses somptuaires qui finissent par liquider ou
amoindrir les capacités dřépargne des individus. Les ressources publiques comme
celles provenant de la corruption seront détournées par les individus au profit de la
famille élargie ou des groupes ethniques. La conséquence est que lřépargne sera faible
ainsi que les possibilités de financer les investissements personnels.
Il nous faut réfléchir sur les expériences des pays asiatiques dont le mode
dřorganisation sociale nřest pas trop éloigné du notre. Lřindividu y acquiert son
identité par son appartenance à la famille. La société est un tout où lřindividu, quel
quřil soit, est enfermé dans un réseau de relations préétablies. Toutefois, les relations
interpersonnelles sont très fortement hiérarchisées si bien que chacun cherchera à
établir des liens sociaux verticaux (de supérieur à inférieur), plutôt quřhorizontaux
(entre égaux). Selon la formule de CONFUCIUS « Que le prince soit prince, que le
sujet soit sujet, que le père soit père et que le fils soit fils ». Dans ces sociétés
asiatiques, les taux dřépargne sont très élevés car les agents économiques
considèrent, dans un premier temps, que les surplus de revenus quřils obtiennent
sont provisoires et quřil vaut mieux les mettre de côté pour les temps difficiles.
Différemment, le système africain, par ses réseaux de solidarité, offre un filet
permanent de sécurité sociale.
Comment ajuster les comportements dřépargne des individus pour quřils
soient dřune part plus favorables à lřinvestissement et dřautre part mieux corrélés aux
risques et à lřincertitude ? Comment imposer un civisme dans la gestion des
ressources individuelles ? Faut-il agir sur le modèle de consommation, sur
lřenvironnement social ou sur les incitations ?

III/ L’attitude à l’égard du temps

La question est importante. Il sřagit de savoir si le temps est un élément sur


lequel lřhomme nřa aucune prise ou alors si le temps est un bien rare qui doit être
aménagé et qui a un prix. Dans la société sénégalaise dřaujourdřhui, cřest la première
perception qui prévaut, ce qui se traduit par un attentisme dans lřélaboration comme
dans lřexécution des décisions.

IV/ L’attitude à l’égard de la corruption

Cette question est décisive dans les économies de marché où la transparence


devrait permettre un fonctionnement efficace des relations marchandes et des règles

200
de compétition. Les Institutions Financières Internationales sřintéressent bien après
les théoriciens, à lřéconomie politique de la corruption.
Analysant ce phénomène, un auteur comme le Prix Nobel G. BECKER estime
quřil sřagit de la confrontation dřune offre et dřune demande selon les principes de
lřéconomie du crime qui permet à des individus de disposer dřavantages indus sans
payer ou dřune rente de situation. Les contractants comparent les gains probables et
les risques potentiels.
En revanche, pour la société comme pour les citoyens la corruption impose des
coûts moraux, politiques, sociaux et économiques. Ces coûts économiques se
traduisent par le gaspillage des fonds publics, lřoctroi de rentes de situation
parasitaires, la concurrence déloyale pour les entreprises, des pertes de revenus
budgétaires et de crédibilité pour lřensemble du système social. Par ailleurs, elle
remet en question lřégalité de traitement des citoyens et lřégalité des chances des
entreprises en régime de concurrence. En conséquence, si on laisse la corruption
sřincruster et se développer, il va se former des échanges sociaux complexes avec des
réseaux qui vont viser à sécuriser les transactions délictueuses hors marché au
détriment de lřéconomie nationale.
Que convient-il de faire ? Souvent les sociétés démocratiques organisent des
mobilisations anti-corruption en appelant au civisme et aux valeurs républicaines.
Est ce suffisant ?

V/ L’attitude à l’égard de l’État et du service public

Les économistes ont beaucoup discuté ces dernières années sur les fonctions
de lřÉtat avec la critique de lřinterventionnisme par les institutions financières
internationales. À la limite, lřÉtat doit se cantonner à un rôle de veilleur de nuit sur
lřéconomie nationale. Il devrait se recentrer sur deux fonctions principales : lřune de
production des externalités positives, à savoir la sécurité, lřéducation, la santé,
lřenvironnement, et lřautre de corrections des dysfonctionnements des marchés.
Cependant cette analyse est très partielle car lřÉtat est un instrument irremplaçable
dans le développement économique et social. En Asie, il a joué un rôle massif et
efficace dans lřorganisation de lřéconomie et dans lřallocation des ressources vers des
projets porteurs. Les problèmes qui sont soulevés concernent plutôt lřÉtat africain qui
accuse en vérité une faillite instrumentale par suite dřune marginalisation par le haut
de la part du système mondial et dřune précarisation par le bas par le secteur
informel. La faillite est aussi financière et se manifeste dans le déficit budgétaire
chronique, le déficit du secteur public, lřendettement interne et externe. À la racine
du mal on découvre le caractère patrimonial et prédateur du système étatique, du fait
des comportements anti-civiques vis-à-vis des biens collectifs.
À plusieurs occasions les hommes politiques dénoncent cette situation sans
réussir à éliminer les malversations financières, la gestion non transparente et
gabégique du secteur public, la démultiplication des passe-droits, la promotion et la
protection de lřincompétence, la violation des règles dřune compétition stimulante,
etc. Pour sûr, de tels comportements conduisent le pays à la ruine.
La formule consacrée est aujourdřhui la bonne gouvernance qui est un moyen
et un objectif de développement garantissant la participation populaire, la stabilité
politique, le développement institutionnel et le respect des droits de lřhomme. Les
réformes et lřamélioration de lřéconomie sont donc indissociables des réformes de
lřEtat et de son système de gouvernance. Sous ce rapport, les questions essentielles
qui se posent au niveau de la gouvernance ont trait à :

201
une organisation plus efficiente du secteur public, plus responsable, plus
transparente et plus axée sur la satisfaction des besoins des populations ;
une organisation et une gestion plus efficiente des ressources humaines ;
un renforcement des capacités de formulation des politiques
gouvernementales et de suivi de leur application ;
un renforcement des systèmes de contre-pouvoirs (pouvoir législatif,
judiciaire, société civile, groupe de pression) afin de leur donner la capacité
de suivre et dřévaluer les politiques élaborées et appliquées ;
un renforcement de lřétat de droit et des libertés fondamentales.
La bonne gouvernance ainsi analysée appelle un ensemble de comportements
civiques des citoyens concernés par la chose publique.
Il reste beaucoup dřautres attitudes importantes qui devraient être analysées
comme par exemple celles concernant la confiance qui facilite les transactions entre
agents économiques et celles relatives à lřacceptation des décisions dans un système
démocratique ou également « le patriotisme économique ».

202
Figure 13

FACTEURS HUMAINS FACTEURS MATÉRIELS

Contraintes Environnement très


socioculturelles contraignant
Entraves fondamentales
au développement

Croissance très
rapide de la Manque de technologies

Long terme
population appropriées et
d’innovat.
socioculturelles

Manque de
capital humain

Manque
d’infrastructure
Contraintes de base
Politiques

Importance relative
Classiques

Déficit Epargne
Domaine d’étude des économistes

et capital
Keynésiens, structururalistes

financier

Mauvais
Néo-classiques

fonctionnement des
Politiques de prix Institutions :
inadéquates
Etat- Marché
Court terme

Evolution des
Marxistes

marchés mondiaux

FACTEURS ECONOMIQUES

203
Section 3 : Techniques de quantification du sous-
développement
Un phénomène aussi complexe que le sous-développement est-il mesurable ?
Beaucoup dřauteurs se sont essayés à trouver des indicateurs de mesure qui soient
précis et quantifiables.

I/ La critériologie

Les premières tentatives sont réalisées par Yves LACOSTE119 sous le nom de
critériologie. Cette méthode selon J. FREYSSINET est née « dřune volonté
dřobjectivité et dřempirisme, elle veut se débarrasser de tout préjugé scientifique, de
tout postulat de valeur implicite pour se consacrer à lřobservation des faits. Cette
méthode présente un double intérêt. En premier lieu, face à lřenchevêtrement
souvent souligné des facteurs, la critériologie réalise une sélection et une mise en
œuvre des facteurs communs à tous les pays sous-développés et, parmi ces facteurs,
sélection de ceux qui sont jugés essentiels. En second lieu, la critériologie répond à un
souci dřobjectivité, sřopposant à la partialité des analyses doctrinales.» La
critériologie devrait fournir une base commune à tous les économistes quelle que soit
leur orientation idéologique »120.
Ces critères sont au nombre dřune quinzaine pouvant se classer en 6
catégories :
les critères liés à la production et concernent la prééminence des activités
agricoles et minières, lřhypertrophie des activités tertiaires, la faible
industrialisation, la faible productivité, les techniques de production
arriérées, etc.
critères dřordre démographique ; taux élevé de natalité, de fécondité et de
mortalité, explosion démographique, jeunesse de la population, etc.
les critères relatifs à la consommation : faible consommation dřénergie,
faible niveau de consommation alimentaire, etc.
critères sociaux : structures sociales déséquilibrées avec faiblesse des
classes moyennes, structures sociales désarticulées avec absence de
mobilité sociale verticale, faibles niveaux de revenus, des infrastructures
sanitaires, pauvreté de masse, chômage endémique affectant surtout les
jeunes, précarité de la condition féminine, etc.
critères politiques : détérioration de lřespace politique, faible
démocratisation, régimes autoritaires, administration inefficiente et
corruption, etc.
critères dřordre spatial : territoires désarticulés.

119 Yves LACOSTE:Les pays sous-développés


120 J. FREYSSINET : op.cit. p15

204
Encadré 9 : Les indicateurs du développement
L’Arithmétique Politique fondée par William PETTY , établissait en "nombres, poids,
mesures" la richesse relative des nations… sous le contrôle attentif des princes. Avec la
naissance des comptabilités nationales, le développement comparé des nations s'évalue à coup
d'agrégats macroéconomiques (Produit national, Disponibilité alimentaire globale...) et détermine
les rapports macro- géographiques: Nord/ Sud, Tiers-Monde, Pays Moins Avancés, etc. En
apparence, ce type d'évaluation a peu de sens sur le plan micro-économique: comment savoir
que vous êtes plus sous- développé que moi ?
Néanmoins, compte tenu de nouvelles exigences éthiques, les indicateurs du
développement désignent autant la réussite économique d'une nation que l'amélioration du bien-
être d'une ou plusieurs personnes. Sur cette base macro et microéconomique, ces indices sont
produits exclusivement par les grandes institutions du développement qui les inscrivent à la fois
dans le passé par leurs constats, dans le présent par les modes de l'expertise dans le futur comme
impératif suprême.
Faut-il se contenter des indicateurs des institutions de développement ? Ces indicateurs
sont dérivés de leurs conceptions théoriques, par exemple en matière de compétitivité
internationale ou de développement humain. Depuis 1990, il existe une intense compétition sur
le "marché des indicateurs" entre la Banque Mondiale et le Programme des Nations Unies pour
le Développement (PNUD). Ainsi le rapport du PNUD de 1992 est un modèle de contestation à
la fois du FMI et de la Banque Mondiale. La première institution n'a pas exercé son autorité vis à
vis des pays riches mais a abusé de la conditionnalité vis à vis des pays pauvres. La Banque n'a
pas su être l'intermédiaire financier capable de recycler les excédents des pays riches en faveur du
développement des pays pauvres. Réciproquement la Banque accuse le PNUD de normer son
Indice du Développement Humain (IDH ) sur le niveau des pays les plus riches.
Mais le développement ne passe pas forcément par les institutions. En considérant la
pauvreté comme un des symptômes majeurs du sous développement, les agents économiques
concernés n'attendent pas passivement les projets des experts et réagissent stratégiquement aux
contraintes de leur milieu. Existe t-il des indicateurs du développement révélés ou décentralisés ?
On peut ainsi distinguer le catalogue des indicateurs de développement autour du PNB, la
recherche d'une vision synthétique du développement humain, et s'interroger enfin sur
l'opposition entre les conceptions normatives du développement "décrété" et les paradoxes du
développement "révélé".
François Régis Mahieu

II/ Les critères de la comptabilité nationale

Parmi les indicateurs utilisés pour mesurer le sous-développement, on repère


deux indices de la comptabilité nationale qui, principalement, a pour objet de
représenter de façon simplifiée lřensemble des opérations qui se déroulent dans le
cadre de lřactivité économique dřun pays. Ces deux indicateurs sont le Produit
Intérieur Brut et le Revenu National. Ces deux indicateurs se retrouvent dans tous les
Rapports des Institutions Financières internationales comme la Banque mondiale, le
FMI et le PNUD et sont qualifiés dřinstruments fiables de mesure permettant une
comparaison internationale du niveau dřactivités économiques et sociales des pays.
Le sous-développement est alors repéré par un niveau faible du PIB ou du RN par
tête dřhabitant. Ainsi tous les pays ayant un revenu national inférieur à 500 dollars
rentrent dans la catégorie des PSD. Toutefois, le PNUD se démarque de plus en plus
de cette appréciation et privilégie lřIndice de Développement Humain Durable qui est

205
annuellement calculé pour tous les pays membres de lřONU et qui sont classés en
conséquence par le niveau que prend cet indicateur.
À partir de cette méthode, la Banque mondiale établit un classement des pays
en quatre groupes :
- le groupe de pays à faible revenu ayant moins de 785 dollars,
- le groupe de pays à revenu intermédiaire compris entre 786 et 3125 dollars,
- le groupe de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure entre 3126
et 9655 dollars,
- le groupe de pays à revenu élevé au-delà de 9656 dollars.
Quelle est lřorigine de ces indicateurs et surtout, ont-ils le degré de fiabilité et
de pertinence qui leur est accordé ?

1°) le Produit Intérieur Brut (PIB), l’étalon international de mesure


du niveau des activités économiques et sociales.

Lřagrégat Produit National concerne plus précisément la production finale qui


se rapporte à la valeur de lřensemble des biens et services produis et non utilisés à des
fins de consommation intermédiaire productive. Autrement dit, il sřagit de lřensemble
des richesses créées et affectées aux différentes utilisations finales (Consommation
Finales, FBCF, variation des stocks, exportations)121. Ainsi peut-on écrire la relation
suivante :
Production Finale= CF+Investissements +Exportations nettes avec
CF = Consommation Finale
Investissements=FBCF+Variation des stocks
Exportations nettes=Solde positif ou négatif de lřExcédent des
Exportations sur les Importations.
Le deuxième membre de cette égalité constitue la Demande finale qui recouvre
tous les emplois en biens et services sauf la consommation intermédiaire. Dřun autre
point de vue, cette production finale (qui exclut les utilisations intermédiaires
productives) peut se concevoir comme représentant la sommation de la contribution
productive nette de tous les secteurs institutionnels à la formation du produit global ;
or cette contribution productive étant constituée par la valeur ajoutée du secteur, cela
permet la deuxième relation suivante :
Production Finale=Somme des Valeurs ajoutées Brutes marchandes et non
marchandes
Cette optique permet alors de calculer le Produit Intérieur Brut

PIB =VAB (marchande et non marchande)


+ TVA grevant les produits
+Droits de douane et taxes assimilées
-Ajustement pour services bancaires imputés
Dès lors, dans la sphère réelle on dispose de trois méthodes dřévaluation du
Produit Intérieur Brut122 :
D’abord la Valeur ajoutée
Valeur ajoutée=Valeur de la production- Dépenses intermédiaires afférentes à
cette production

121Moustapha KASSÉ : « Éléments de Comptabilité Nationale », Polycopie de 1ère Année de Sciences


Économiques, FASEG, Dakar, 1994
122 André MARTENS-B. DECALUWE : Le cadre comptable macroéconomique et les pays en

développement HMH, Canada 1996, p. 35

206
Le Produit Intérieur Brut
PIB= somme des valeurs ajoutées des activités
PIB= somme des revenus distribués dans lřéconomie
Le Produit Intérieur Brut
PIB=somme des dépenses finales

Encadré 10: Les problèmes liés à la mesure par le PIB


Le PNB est toujours le principal indicateur malgré les critiques habituelles ayant trait à la
distribution, la sous-estimation des services, la non prise en compte des activités non
marchandes, la dégradation du capital écologique ou humain. Des critiques plus récentes
montrent que l'augmentation du PNB peut diminuer le bien-être, soit à court terme (en
aggravant le sort des plus pauvres) ou à long terme en dégradant la qualité de l'environnement et
plus généralement de la vie.
La relation PNB/ population doit être appréciée en fonction des deux éléments de la
relation. À une richesse relativement faible du point de vue du PNB devrait être associée la
richesse de la population (il n'est de richesse que d'hommes). Comment dès lors laisser des pays
comme la Chine et l'Inde au milieu des pays les plus pauvres de la planète ?
À un PNB très faible, peut correspondre un optimum, soit un état d'équilibre réalisable,
préféré à tous les autres. Un développement décrété peut très bien se traduire par des situations
sub-optimales par rapport à la situation précédente. En d'autres termes, les compensations du
développement (l’augmentation du revenu national) ne rétablissent pas la mise en cause des
préférences individuelles.
D'autre part, il faut estimer ce PNB dans une unité de compte internationale, à savoir le $
US au risque de nombreuses distorsions. La correction la plus fréquente consiste à utiliser la
Parité de Pouvoir d'achat (PPA).
Le principal problème dans une économie ouverte tient à la prise en compte des prix
(l’économie est fatalement price-taker). Comment calculer un PNB en dollars à partir des
données en monnaie locale ? On propose alors, au moyen de la parité des pouvoirs d'achat
(PPA) de corriger le PNB évalué au taux de change nominal par les prix et plus généralement par
des facteurs de conversion.
La Parité des Pouvoirs d'Achat équivaut au nombre d’unités d'une monnaie étrangère
requises pour acheter les mêmes montants de marchandises et services sur un marché d'un pays
donné qu'un dollar achèterait aux USA. Encore faut-il parier sur une valeur d'échange
incontestable entre les deux marchandises, ce que contestait déjà RICARDO (1817).
La PPA permet un premier reclassement qui favorise les USA (par définition), les NPI et
un certain nombre de "petits" pays (Suisse, Belgique, Autriche, Luxembourg). Mais le calcul est
déjà fluctuant et le calcul en PPA apporte quelquefois des surprises médiatiques, pouvant très
bien faire apparaître la Chine ou la Russie dans les cinq premières "puissances" économiques
mondiales ( Cf. la base des données du CEPII in fine.)
Source : François Régis Mahieu

2°) le revenu national.

En reprenant le tableau général des comptes intégrés des secteurs


institutionnels, on observe quřà partir de la VAB et des subventions dřexploitation
éventuellement reçues, sont assurés le règlement des salaires (y compris les charges
sociales) ainsi que le paiement des impôts liés à la production. Ensuite lřEBE
(excédent brut dřexploitation) ainsi obtenu, avec lřapport éventuel de certains revenus
complémentaires, servira à payer les dividendes, les intérêts, les loyers, les impôts sur
le revenu et sur le patrimoine, les primes dřassurance, etc. Ainsi le compte
dřexploitation et le compte de revenu des sociétés et quasi-sociétés non financières

207
montrent comment la valeur ajoutée, cřest-à-dire la contribution des entreprises au
produit intérieur, est répartie entre divers groupes dřagents économiques. Cette
valeur ajoutée constitue donc la source des revenus des agents économiques. Ce qui
permet dřécrire :
Somme des Valeurs ajoutées= Somme des Revenus créés par la production
Or, on avait démontré précédemment que
Somme des Valeurs ajoutées=Production Finale. Alors dans lřoptique du
revenu de la comptabilité nationale, on peut écrire :
Production Finale=Somme des revenus créés par la production
Au niveau du TEE, le calcul sřeffectue de la manière suivante :

PIB =Rémunération des salariés


+Impôts liés à la production et à lřimportation
+EBE
-Subventions dřexploitation
De cette échelle de revenus, le circuit devrait se refermer par lřanalyse de la
dépense, bien que cet indicateur ne bénéficie dřaucune importance. Étant donné que
les utilisations finales faites de la production finale (somme des valeurs ajoutées) sont
en valeur, elles constituent alors les dépenses des agents économiques. Cřest du reste
ce qui justifie lřexpression optique de la dépense qui permet de décrire les relations
suivantes :
Production finale = somme des Dépenses à caractère finale
De ce point de vue, on procède au niveau du TEE (Tableau économique
dřensemble) pour la détermination du PIB de la manière suivante :
PIB= Consommation finale
+FBCF
+Variations de stocks
+Exportations de biens et services
-Importations de biens et services
En somme, le PIB ainsi calculé étant identique dans les trois méthodes
dřévaluation, on remarquera que les trois optiques de la comptabilité nationale
représentent en fait trois points de vue différents sur une même réalité. En effet, cřest
au cours du processus productif que se forment les revenus et les emplois faits des
biens et services ainsi créés, exprimés en valeur et qui forment les dépenses des
agents économiques.123

3°) Ces instruments de mesure ont-ils le caractère infaillible et


pertinent qui leur est prêté ?

Ce nřest pas lřobjet de notre propos mais il faut souligner que la Comptabilité
nationale nřest pas un instrument neutre et présente dřinnombrables limites
techniques et même idéologiques surtout quant elle est appliquée aux PSD dont les
économies sont désarticulées, déséquilibrées et les marchés touchés de part en part
de multiples distorsions qui leur donnent toujours un fonctionnement imparfait.
Selon J. MARZEWESKI, la comptabilité nationale est à la fois utile à la théorie
économique et indispensable à la politique économique des États. Lřinterdépendance
de plus en plus étroite qui sřétablit entre ses agents fait quřune économie moderne ne
peut fonctionner quřà condition de disposer dřun mécanisme de coordination. Or, le
jeu du marché est souvent faussé, obligeant lřÉtat à prendre à sa charge la tâche

123 Moustapha KASSÉ : op.cit. Pp54 et suivantes

208
ingrate mais indispensable dřarbitre général.124La comptabilité nationale est le
produit de lřanalyse néo-classique qui situe dans le marché (au sens large) le point de
départ et le point dřarrivée de lřactivité économique et donne de ce fait une définition
particulière des sujets et des rapports de production.
Dans cette optique, observe une critique de la CN, « comme lřactivité
économique y est censée avoir pour objet, la satisfaction de ses besoins ou de ceux des
autres (production pour la consommation), le personnage essentiel en est le
consommateur, défini par un revenu, un pouvoir dřachat (contrainte budgétaire). Les
rapports qui sřétablissent entre les hommes pris comme une collection dřindividus,
sont des rapports de comparaison des besoins et des possibilités de les satisfaire en
fonction de la plus ou moins grande rareté des biens et services disponibles révélés
par les quatre grands marchés des biens et services, du travail, de la monnaie et de
change. La société ainsi décrite est une société sans classes, sans groupes dřaucune
sorte, où les individus exercent tour à tour des fonctions de production, de
consommation, dřépargne, dřinvestissement, etc.»125
Il existe des remarques plus techniques encore, relatives au cadre comptable, à
la définition des agents économiques, aux comptes et à leur articulation, au secteur
financier et à lřallocation par les marchés. À ces limites viennent sřajouter dřautres
propres aux structures des PSD : caractère désarticulé de lřéconomie, les trop fortes
inégalités de revenu, lřimportance des relations hors marchés (autoconsommation),
les multiples distorsions des marchés et la montée dřune nébuleuse : le secteur
informel. Lřinsuffisance de lřappareil statistique de collecte et de traitement des
données vient couronner cette kyrielle dřinsuffisances qui appelle une utilisation
prudente des indicateurs de la CN.

III/ Les critères du développement humain

À partir de son Rapport de 1994, le PNUD va jouer un rôle déterminant dans la


réflexion théorique, la conception et la définition de la problématique du
développement. Ce Rapport en dissociant le cycle de la croissance de celui du
développement, marque un tournant significatif dans la rupture avec lřéconomisme
dominant. Il est observé que «le nouveau paradigme du développement devra être
axé sur les gens, considérer la croissance comme un moyen et non comme une fin,
préserver les perspectives offertes aux générations actuelles comme aux générations
futures, et respecter les écosystèmes dont dépend lřexistence de tous les êtres
humains. Ce paradigme du développement doit permettre à tous les individus de
développer pleinement leurs capacités pour les utiliser au mieux dans tous les
domaines : économique, social, culturel et politique». (PNUD, 1994).
Lřhomme est ainsi replacé au cœur de la logique du développement.
Désormais, la qualité de la vie dřune population ne se réduit plus à lřimportance de
son PIB. Le contenu de ce dernier, la façon dont il est réparti avec plus ou moins
dřinégalités, la capacité de chacun à pouvoir accéder aux services de base que sont
lřécole, la santé, le logement ou lřeau courante et la qualité des services en question,
tous ces éléments jouent autant, sinon davantage que le simple niveau du PIB.

124 J MARZEWSKI : La Comptabilité nationale, Édit. Cujas


125 J.C. DELAUNAY : Essai marxiste sur la Comptabilité nationale, Édit. Sociales.

209
1°) Définition et structure de l’IDH

Le développement humain étant défini comme étant le processus


d'élargissement des possibilités s'offrant aux individus de la collectivité (une longue vie,
une bonne santé, une accession à la connaissance, aux biens matériels, à l'emploi et au
revenu) pour un niveau de vie décent. Toute mesure du niveau du développement
humain atteint par cette collectivité doit tenir compte nécessairement de ces différents
éléments. Lřindicateur du développement humain (IDH) sera alors un indice
composite qui apprécie la situation moyenne dřun pays à partir de trois dimensions
représentées à travers :
le niveau de longévité exprimé par lřespérance de vie à la naissance
le niveau dřéducation mesuré aux 2/3 par le taux dřalphabétisation et au
1/3 par le taux de scolarisation toutes catégories confondues ;
et le niveau décent évalué par le revenu par habitant exprimé en francs
constants, cřest-à-dire corrigé des différences de pouvoir dřachat (PPA).
Pour calculer l'indice du développement humain (IDH) pour une population ou
une catégorie de population donnée, on doit disposer de ces trois variables:
soit X1 la mesure de la longévité et de la bonne santé de cette population:
l'espérance de vie à la naissance étant la variable la plus appropriée au stade
actuel de la recherche pour refléter cet aspect du développement humain;
X2 l'acquisition des connaissances: le taux de scolarisation et celui
d'alphabétisation;
et X3 la richesse de la population: le revenu.
Pour le calcul de l'IDH, on définit pour chacune des ces variables un seuil (ici on
a retenu le maximum et le minimum) jugé acceptable au sein de la population à
étudier. Puis on calcule pour chaque individu j de la population la valeur des écarts ou
le manque (en pourcentage) pour chaque variable i par rapport au seuil défini (indice
Iij). Pour chaque individu j on fait la moyenne arithmétique simple (Ij). Alors l'IDH;
l'indicateur recherché pour l'individu j est égal à la différence par rapport à l'unité de
cette moyenne Ij :

La 1ère étape

On calcule pour chaque catégorie de la population un indicateur de manque (Iij)


par rapport à chaque variable. Cet indicateur est défini comme suit:

( max X ij - X ij )
I ij =
( max X ij - min X ij )

La 2ème étape

Pour chaque tranche j de la population, on calcule la moyenne arithmétique


simple des indicateurs Iij de manque sur les trois variables X1, X2 et X3; soit Ij

210
La 3ème étape
Alors l'indice du développement humain (IDH) pour la catégorie j de la
population est égal à:

(IDH)j = 1 - Ij

Modalités de calcul de l’IDH

Des valeurs minimales et maximales ont été fixées pour chacun des indicateurs
cités plus haut:
Espérance de vie à la naissance: 25 ~ 85 ans;
Alphabétisation des adultes: 0% ~ 100% ;
Taux de scolarisation: 0% ~ 100% ;
PIB réel par habitant: 100$ ~ 40.000$
Les indicateurs qui entrent dans la composition de l'IDH se calculent selon la
formule générale:

IDH = (val. réelle xi - val. minimale xi)/(val. maximale xi - val. minimale xi)

Par exemple, si l'espérance de vie à la naissance est de 47,7 ans au Sénégal, la


valeur de l'indicateur d'espérance de vie du Sénégal sera alors : (47,7 - 25)/(85 - 25) =
0,378
La composition de l'indicateur de revenu est un peu plus complexe. La valeur du
seul (y*) est fixée au revenu mondial moyen de 1992, soit 5120 dollars en PPA (parité
pouvoir d'achat), et tout revenu supérieur à ce seuil est ajusté en appliquant la formule
de l'utilité marginale décroissante du revenu :

W(y) = y* pour 0<y<y*


= y* + 2[(y-y*)1/2] pour y*£y£2y*
= y* + 2(y*1/2) + 3[(y-2y*1/3] pour 2y*£y£3y*
La valeur corrigée du revenu maximum de 40.000$ PPA se calcule comme suit:

W(y) = y* + 2(y*1/2) + 3(y*1/3) + 4(y*1/4) + 5(y*1/5) + 6(y*1/6) + 7[(40.000 - 6y*)1/7]

Selon cette formule, la valeur corrigée du revenu maximum de 40.000$ PPA


s'établit à 6311 PPA.
Le principal problème est quřelle opère une très forte correction du revenu au
delà de la valeur de seuil, ce qui pénalise de fait les pays dans lesquels le revenu est
supérieur à cette valeur. Cřest pour cette raison que des perfectionnements ont été
apportés pour le traitement de la variable revenu afin de remédier à ce problème. Cřest
ainsi que lřindicateur du revenu est calculé selon la formule suivante :

W(y) = (LOG(y) – LOG(ymin)) / (LOG(ymax) – LOG(ymin))

Cette façon de procéder comporte plusieurs avantages. Tout dřabord, la


correction du revenu est moins sévère que la formule utilisée précédemment. Ensuite,

211
elle sřapplique à tous les niveaux de revenus et non à ceux qui dépassent un certain
seuil. Enfin, elle évite de pénaliser les pays à revenu intermédiaire.

L'IDH est alors la moyenne arithmétique de la somme des indicateurs de


durée de vie, du niveau d'éducation et du PIB réel corrigé par habitant

2°) Le classement des pays selon l’IDH. Quels enseignements peut-


on tirer de l’IDH annuellement calculé par les RMDH.

Pendant une bonne décennie, les Rapports Mondiaux sur le Développement


Humain (RMDH)126 se sont attelés à la conception et à la construction dřindicateurs
de mesure et de comparaison des niveaux de pauvreté et de développement humain
dans le monde qui dépassent le cadre restrictif du PNB. Lřélaboration de ces
indicateurs a permis de mesurer lřénorme retard des pays dřAfrique subsaharienne en
matière de développement humain et conséquemment, lřétat de leur pauvreté.

Tableau 13 : Indicateurs économiques et sociaux dans le monde


PIB/hbt en 1998 Espérance de Taux IDH
(en francs vie dřalphabétisation
français de 1999) (en années) des plus de 15 ans
(en %)
Pays de lřOCDE 134 000 76,4 97,4 0,89
Europe de lřEst et 40 900 68,9 98,6 0,78
CEI
Amérique Latine 43 000 69,7 87,7 0,76
Asie de lřEst 23 500 70,2 83,4 0,72
(Chine incluse)
Pays arabes 27 300 66 59,7 0,63
Asie du Sud (Inde 13 900 63 54,3 0,56
incluse)
Afrique 10 600 48,9 58,5 0,46
subsaharienne
Ensemble du 43 000 66,9 78,8 0,71
monde
Source : Rapport mondial sur le développement humain, 2000

Le RMDH de 2000 révèle ainsi que lřIDH de lřAfrique subsaharienne atteint en


moyenne 0,46 ; ce qui traduit un gap de 0,536 en matière de développement humain.
Depuis 1990, environ 35 des 50 pays classés derniers en fonction de lřIDH sont
africains. Compte tenu de lřaggravation de la pauvreté et des inégalités dans le
monde, et particulièrement dans les PVD, il apparaît aujourdřhui nécessaire dřaller
au-delà de lřaspect statistique des analyses menées pour adopter une démarche
dynamique qui fasse le lien entre ces indicateurs de qualité de vie et le profil de la
croissance économique. Cela renvoie aux différents acteurs pouvant améliorer le
niveau des indicateurs. En effet, on peut difficilement nier quřil est plus facile dřêtre
en bonne santé dans un pays riche que dans un pays de lřOCDE : lřensemble des pays

Moustapha KASSÉ : Consultation pour le PNUD sur « Le Rapport Mondial sur le Développement
126

Humain : quelques éléments de réflexion sur sa pertinence pour lřAfrique subsaharienne »

212
de cet espace affiche un niveau dřIDH plus élevé (0,9 soit 10 % en dessous du meilleur
niveau). En revanche, pour la quarantaine de pays les moins avancés du point de vue
du revenu par tête, lřIDH moyen est à 0,44. De plus, on constate que les vingt pays où
lřIDH a reculé depuis 1990 sont tous des pays où le revenu par tête a également
diminué, à lřexception du Botswana. On ne peut arguer quřil existe forcément un lien
de cause à effet. Seulement, la pandémie du sida qui frappe massivement lřAfrique
subsaharienne provoque à la fois une chute de lřespérance de vie et une baisse de la
capacité productive des pays concernés. Alors quřà lřinverse, les pays où lřIDH a le
plus augmenté sont aussi ceux où la croissance du revenu par tête a été
particulièrement forte, telle la Corée du Sud.

2°) Quelles sont les limites de l’IDH ?

Dřabord, lřétat actuel des statistiques montre que les bases de données sociales
sont inexistantes ou alors totalement dérisoires. Les deux premiers indicateurs
peuvent être évoqués pour illustrer les problèmes liés à la qualité des données, et le
dernier à sa significativité quand on sait que non seulement les revenus et leur
répartition sont inconnus mais que les activités du secteur informel pouvant aller
jusquřà 60% du PNB sont non prises en compte dans lřévaluation de lřindice. Le
PNUD nřutilise que les données disponibles. Toutefois pour avoir lřespérance de vie à
la naissance, il faut disposer dřune table de mortalité récente qui se calcule lors de
lřanalyse des données de recensement. Cependant la plupart des pays Africains nřont
pas respecté la périodicité décennale des recensements, par exemple le dernier
recensement du Togo date de 1984, celui de la République démocratique du Congo
date de 1984, celui du Cameroun date de 1987, celui du Sénégal date de 1988 pour ne
citer que ceux-là. On a besoin des effectifs de la population récente pour avoir le
dénominateur de la plupart des indicateurs qui rentrent dans le calcul de lřIDH. Les
effectifs sont obsolètes, ce qui augmente lřimprécision de la qualité des résultats.
Ensuite, à lřéchelle globale, lřIDH présente un grand intérêt en ce quřil permet
de classer les pays, mais au plan strictement intérieur, il demande des corrections
multisectorielles. Si par exemple un pays est dernier du point de vue de lřIDH, sur
quelle variable devra-t-il sřappuyer pour redresser sa situation ? Il existe dřautres
indicateurs spécifiques du développement humain : pour mieux faire ressortir les
disparités entre sexes ou inégalités de genre, les indicateurs de base (espérance de vie
à la naissance, alphabétisation et taux de scolarisation, revenus) ont été ajustés en
tenant compte des écarts entre hommes et femmes.
Enfin, une limite de lřIDH est lřimportance secondaire accordée aux revenus
dans le calcul de lřindice. En prenant lřexemple de la France et de lřArgentine, le
premier pays a un revenu de 18430 dollars par habitant (corrigé PPA) avec une note
de 0,948 et le second pays a un PIB de 5120 dollars avec une note IDH de 0,948. La
différence de 13310 entre ces deux pays se réduit à 225 dollars une fois lřajustement
réalisé. En fait, la déflation des revenus rend lřindice très peu expressif.
En définitive, il apparaît nettement que lřIDH est un instrument de
comparaison internationale. Toutefois, il ne permet pas de savoir quelle est sa
composante qui sera la cible du programme pour améliorer le niveau ou le
classement du pays dans la hiérarchie internationale établie. Si lřindicateur est
performant pour faire des comparaisons entre pays, il lřest moins au niveau
opérationnel dans le pays. On sait que dans tel pays, ou tel district sanitaire, la qualité
des soins est mauvaise, mais on ne sait pas sur quelle variable jouer pour améliorer la
qualité des soins (7).

213
Encadré 11 : Un indice synthétique de bien-être économique soutenable ?
La notion de "développement soutenable" a été introduite en 1987 par la commission
mondiale sur l'environnement et le développement dans son rapport sur " Our common
future". Après que la Banque Mondiale lui ait consacré son rapport sur le développement de
1992, l'écologie sera sans doute l'une des principales entrées de l'IDH. Le rapport sur le
développement humain tente de donner quelques indices sur l'environnement et la pollution
mais ceux-ci restent épars dans les premières versions. Les problèmes du " développement
soutenable" sont analysés dans le rapport annuel du World Resources Institute des Nations
Unies sans pour autant fournir un indice synthétique. À ce titre, l'indice du développement
économique soutenable ( Index of Sustainable Economic Welfare, ISEW) de Herman Daly et
John Cobb tente de mesurer le bien-être économique à long terme en corrigeant l'indicateur de
la consommation des ménages par des facteurs environnementaux et sociaux. Cet indice
renforce le constat pessimiste sur la divergence entre la croissance économique et le bien-être.
Il permet de pénaliser les pays les plus destructeurs du cadre de vie. Par exemple, le
Royaume-Uni n’a pas augmenté son ISEW depuis 1950 malgré une augmentation du PNB de
200 %.
François R. MAHIEU

214
CHAPITRE 11 :
DÉMOGRAPHIE ET URBANISATION ACCÉLÉRÉE : FREIN
OU CHANCE DU DÉVELOPPEMENT
« Avec 5 milliards et demi répartis pour un quart dans les pays
riches et trois quarts dans les pays pauvres, nous avons déjà d’énormes
problèmes. Qu’en sera-t-il demain avec à peu près la même population
dans les pays riches mais 4 à 5 milliards de plus dans les pays
pauvres ? Ce rapport sera de 1 à 9. Et aux tensions géopolitiques
s’ajouteront avec acuité des problèmes écologiques…Face à ce
problème certains cherchent une solution démographique. Or, c’est elle
qui conduit à 10 milliards en 2050 et à 12 milliards en 2050. Car si rien
ne changeait on pourrait être à 70 milliards. »
Jacques VALIN127
« Un nénuphar sur un étang double sa surface tous les jours.
Sachant qu’il lui faut trente jours pour couvrir tout l’étang, étouffant
alors toute vie aquatique, quand en aura-t-il couvert la moitié,
dernière limite pour agir ?»… Les riches s’enrichissent et les pauvres
ont des enfants….Existe-t-il des limites physiques à la poursuite de
l’expansion démographique ? Combien d’êtres humains peuvent être
accueillis par notre planète avec quelles conditions d’existence et
pendant combien de temps ?».
Club de Rome : Halte à la croissance128

La démographie a de tout le temps préoccupé tous les chercheurs en sciences


sociales : économistes, philosophes, sociologues et politiques. Cela sřest traduit dans
lřextrême variété des doctrines et théories démographiques malheureusement
réduites souvent à lřapproche de MALTHUS129 qui su paniquer des générations de
personnes sur les effets de lřexplosion des « bouches à nourrir » sur notre propre
bien-être. Cette vision contraste avec celle dřA. SMITH qui lie la loi du peuplement
avec celle de lřoffre et de la demande. « Cřest ainsi que la demande dřhommes règle
nécessairement la production des hommes, comme fait la demande à lřégard de toute
autre marchandise : elle hâte la production quand celle-ci marche trop lentement et
lřarrête quand elle va trop vite. Cřest cette demande qui règle et qui détermine lřétat
où est la propagation des hommes dans tous les pays du monde dans lřAmérique
septentrionale, en Europe et en Chine».130
Cřest pourquoi, « Il n'est de richesses que dřhommes » cette idée émise par
Jean BODIN (1530-1596) dans un contexte de mercantilisme, révèle toute
lřimportance attachée à la question démographique dans la stratégie de création de
richesses. Elle sera reprise par différents auteurs à des moments historiques
déterminés. LřHomme joue un double rôle : dřun coté il est le bénéficiaire ultime et
de lřautre il constitue lřintrant essentiel du mouvement de croissance et de
transformation de la production. Lřhomme est ainsi placé au cœur du processus de

127 J.VALIN : Pratiques de fécondité, Revue Histoire de Développement, n° d’octobre 1993.


128 Club de Rome : Ce mot ouvre la préface du Rapport MEADOWS, cette formule de pure logique
appelle la limitation des naissances avant quřil ne soit trop tard.
129 LřEssai sur la Population de Malthus, a souvent été interprété en dehors de son contexte de la «

Révolution démographique en Europe » au XIXème siècle et sa pression sur lřéconomie.


130 A. SMITH : La richesse des Nations

215
développement économique car les deux entretiennent des rapports très étroits. Pour
que le développement économique soit effectif il convient dřorienter la variable
démographique par un ensemble de mesures qualitatives et quantitatives à savoir la
formation, lřéducation, les politiques natalistes et antinatalistes. Ce qui mène vers les
conceptions du capital humain comme composante essentielle des théories de la
croissance.
Presque tous les économistes, depuis lřÉcole classique jusquřaux
contemporains, se sont intéréssés aux problèmes démographiques pour découvrir les
logiques dřévolution des populations. Dans sa réflexion sur l'unité et la diversité du
Tiers-Monde, Yves LACOSTE en est venu, vers la fin des années 1970, à considérer
qu'un critère commun et presque unique unissait ses constituants : l'ampleur de la
croissance démographique. Dans les PSDS, ce phénomène n'a jamais eu d'équivalent,
la croissance démographique toujours supérieure à 2% par an, elle reste sensiblement
inférieure à ce seuil dans le reste du monde. Elle n'a jamais dépassé 1% l'an dans
l'Europe du XIXe siècle. À cette époque, la croissance démographique résultait dřune
évolution endogène de la société dans sa production, ses techniques médicales et sa
pratique de l'hygiène.
Pour la plupart des PSD marqués par une explosion démographique, ce
phénomène est analysé à la fois comme signe et cause de sous-développement.
Dřabord, elle est signe de sous-développement en ce quřelle traduit des attitudes à
l'égard de la vie quotidienne, des relations personnelles et sociales (plus de mise dans
des sociétés marquées par l'allongement de l'espérance de vie), de l'investissement
dans l'éducation ou encore de la sécurité sociale (où l'enfant est coûteux plus
qu'utile). Ensuite, elle est cause dans la mesure où elle provoque des tensions
supplémentaires dans des économies peu productives où la proportion d'inactifs s'est
brutalement accrue, tant par l'accroissement du nombre des personnes âgées que par
le fourmillement des enfants : deux conséquences des progrès «importés» de la
médecine de masse.
Dans les années 70, le Club de Rome sřappuyant sur lřanalyse néo-classique de
lřoptimum économique (versus optimum de population) alerte lřopinion mondiale,
dans un style extrêmement malthusien, que lřhumanité court à la catastrophe si on ne
limite pas les naissances. Les enjeux démographiques sont de nouveau posés en
relation avec la croissance et le développement économique et social.
La démographie mondiale a connu au fil des temps de nombreuses mutations
quřil faut comprendre et intégrer dans les processus de développement. Ces
mutations dues à de nombreux et complexes facteurs comme les guerres, les
maladies, les calamités naturelles, les progrès de la médecine constituent-elles un
avantage ou un handicap pour le développement et la croissance ?
Les individus comme les pays nřayant pas le même niveau dřavancement, lřinégalité
ainsi observée entraîne des mouvements de populations des pays moins développés
vers ceux qui sont plus développés. Cette migration qui prend de plus en plus de
lřampleur au cours de ces dernières années se fait entre continents, entre pays, au
sein du même pays. Elle est alors un des facteurs de la croissance des grandes
métropoles africaines, qui a, par moment atteint 10 % par an et serait difficilement
supportable avec les normes convenables d'équipement et dřinfrastructures sociales
de l'Europe d'avant-guerre ; elle est, bien évidemment, inconcevable selon les
références de l'Europe d'aujourd'hui.
De là découlent plusieurs interrogations : Quels sont les facteurs de la
croissance démographique ? Quřest ce qui explique les migrations à lřéchelle
nationale et internationale ? Quelles en sont les conséquences ? Les tendances

216
démographiques globales et urbaines en Afrique sont-elles un handicap ou une
chance ?

Section 1 : Les théories et pratique démographiques.


Les relations entre la croissance démographique, les changements
technologiques et le niveau de vie ont donné lieu à de multiples analyses. La plus
célèbre, celle de MALTHUS soutient que le niveau de la population sřauto-équilibrera
et surtout stagnera. Si elle a pu être pertinente pour une grande partie de notre
histoire, les changements observés depuis 1750 la remettront en cause. Nous y
considérons plusieurs modèles couvrant la transition entre les trois régimes distincts
ayant caractérisé le processus de développement économique : les régimes «
malthusien », « post-malthusien », et « croissance moderne».

Tableau 14 : quelques éléments théoriques

le courant Le courant L’optimum de Le courant


malthusien populationniste population marxiste
► L’ouvrage de ► Ce sont les ► L’idée ► Pour Marx, la
Malthus : Essai sur mercantilistes qui initient d’optimum de surpopulation n’est
le principe de ce courant. Ils reprennent population pas liée à une
population (1798), la formule de J. Bodin cherche à démographie trop
dont la première selon laquelle « il n’est de réconcilier les dynamique des
édition était richesse que d’hommes ». deux courants classes les plus
anonyme est d’abord précédents. pauvres de la
un pamphlet contre ► La croissance de la société. Elle résulte
les partisans de la loi population a une influence ► Du point de du mode
sur les pauvres. positive par plusieurs vue économique, d’organisation des
canaux : le critère de économies et de la
► Pour Malthus, la l’optimum de répartition des
population croît - l’augmentation de la peuplement est la richesses.
selon une demande qui en résulte réalisation du
progression incite à accroître la produit (ou du ► La surpopulation
géométrique (double production ; revenu) maximal est le produit du
tous les vingt-cinq par habitant. mode de production
ans) tandis que les - elle pousse à une capitaliste parce
subsistances organisation plus efficace ► Certains qu’elle est utile à
croissent selon une de la production d’où des éléments l’accumulation de
progression gains de productivité ; définissent le richesse.
arithmétique. niveau optimal de
- une population plus la population : ► Les capitalistes
► Dès lors, soit la grande permet d’étaler les état des ont, en effet, intérêt
population accepte frais généraux d’une techniques, à avoir des hommes
volontairement de société. volume des en trop qui
limiter sa croissance ressources constitueront
(soit la morale ► Par opposition aux utilisables, l’armée de réserve
restreinte ou malthusiens, A. Sauvy équipement industrielle. Cette
abstention du souligne qu’à « chaque fois technique, dernière permet un
mariage), soit la que se produit une possibilités du maintien d’un taux
population sera différence, un écart entre commerce de chômage élevé et
détruite par la deux grandeurs, deux extérieur). bloque le niveau de
guerre, la famine, la choses qui devraient être salaire. Ce dernier
peste. Aider les au même niveau, il y a ►D’autres reste ainsi au

217
pauvres revient à deux façons de rétablir éléments minimum vital et
encourager la l’équilibre, aligner vers le définissent la permet
croissance haut ou vers le bas. En structure optimale l’augmentation de
démographique et à annonçant qu’il y a excès de la population : la plus-value.
terme sa destruction. de quelque chose, l’optique structure par âge,
malthusienne suggère rapport entre la ► La pauvreté est
► La théorie instinctivement de niveler population active une logique du
malthusienne de la par le bas ». et non active, mode de production
population est un entre capitaliste et non
des piliers de la consommateurs et d’un excès de
théorie de l’Etat producteurs, population.
stationnaire de structure L’accroissement
Ricardo. Schumpeter professionnelle de démographique
dans son ouvrage : la population, peut être absorbé à
Histoire de l’analyse répartition condition que le
économique, géographique de système de
souligne combien la population. répartition des
Malthus doit à revenus se trouve
Botero et à Quesnay ► Enfin, des modifié. Toute
pour la construction éléments politique
de sa théorie. définissent démographique
l’optimum dans le serait ainsi inutile.
temps : rythme de
croissance de la
population,
rythme du progrès
technique, taux de
croissance du
revenu national.
Source : Problèmes économiques, (Mars 2000), « Six milliards d’hommes… et
après ? », n° 2656-2657 p. 30-31

I/ Les approches Malthusiennes et néo malthusiennes

Thomas MALTHUS (1766-1834)131 était un prêtre britannique, mais également


un économiste libéral. Sa thèse est bien connue de tout le monde : la population croît
selon les termes dřune suite géométrique (1, 2, 4, 8, 16…), alors que les subsistances
(la production agricole) croient selon les termes dřune suite arithmétique (1, 2, 3, 4,
5…). Dřoù le fait est quřil y aura nécessairement pénurie ! MALTHUS ici se sert de la
« loi des rendements décroissants » de la production agricole pour expliquer ce
décalage entre les ressources et la population. On notera cependant que MALTHUS
écrivait à une période où la transition démographique était à son paroxysme en
Angleterre, cřest-à-dire avec un accroissement naturel considérable. Il est alors
important de prendre en compte ce contexte pour mieux comprendre le caractère
alarmant de la thèse de MALTHUS. Pour lui, la seule solution (radicale) reste la
contrainte morale, cřest-à-dire lřabstinence et la chasteté, puisquřil faut à tout prix
limiter la croissance démographique, pour éviter quřelle ne dépasse les potentialités
de la production.
Ces idées de MALTHUS ont été poursuivies et approfondies par les néo-
malthusiens qui avancent un certain nombre dřarguments qui plaident en faveur

131 Problèmes économiques, (Mars 2000), « Six milliards dřhommes… et après ? », n° 2656-2657 p 30-
31

218
dřune croissance démographique faible (mais ces arguments concernent plus
directement le développement que la croissance économique en tant que telle). Ainsi
à lřéchelle microéconomique, le premier argument consiste à dire que réduire le
nombre dřenfants par femmes permet dřaugmenter le niveau de vie. Au niveau
macroéconomique, les ressources naturelles étant limitées, le fait de ne pas maîtriser
la croissance démographique, implique que lřon surexploite le sort des générations
futures. Finalement le malthusianisme préconise une faible croissance
démographique pour assurer une meilleure croissance économique (ou en tous les
cas ne pas l'entraver). Mais les arguments du courant « récent » restent des
arguments essentiellement qualitatifs, cřest-à-dire qui concernent le développement
plutôt que lřaugmentation des richesses (quantitatifs).
Mais aujourdřhui, si ce discours néo-malthusien est particulièrement alimenté
par la forte croissance démographique des pays du Tiers-monde, il est pourtant
théoriquement critiqué par un ensemble dřauteurs qui sřappuient sur des arguments
développés dřabord par les contemporains de MALTHUS et approfondis par les
théoriciens de la croissance endogène qui voient en lřhomme « le capital le plus
précieux ».

1°) Les critiques de l’approche malthusienne et le populationnisme

Jean BODIN (1530-1596)132 développait, bien avant MALTHUS, lřidée quř« Il


nřest de richesses que dřhommes ». Cette thèse populationniste est lřopposé de la
thèse de MALTHUS. Des auteurs comme VAUBAN, F. QUESNAY et J. BODIN
voyaient dans lřhomme la seule richesse dřun royaume. Leurs théories étaient que si
les hommes sont la force dřune nation et que leur nombre augmente, la production
suivra et le pays nřen sera que plus puissant. Ce qui revient à dire que la croissance
démographique est un facteur permissif de la croissance économique.
Cřest surtout Karl MARX (1818-1883)133 qui fut un des premiers à rejeter les
thèses de MALTHUS et surtout lřidée de « loi naturelle » indépendante des
conditions de production. Pour lui, la surpopulation nřest que relative et la
conséquence de lřétat des techniques à un moment donné. Pour lui, les limites de la
planète évoluent avec le progrès technique et le niveau de développement : « La
surpopulation relative nřa pas la moindre relation avec les moyens de subsistances
comme tels mais avec la manière de les produire »134 Le courant néo populationnisme
est souvent illustré par la thèse dřEsther BOSERUP (milieu des années soixante),
encore appelée la thèse de la pression créatrice : la croissance de la population fait
pression sur lřamélioration des techniques de production (hausse du progrès
technique et de lřinnovation favorisée). En fait, pour cet auteur, ce nřest pas la
richesse qui détermine la population, mais la population qui détermine la richesse,
grâce notamment à cette pression créatrice quřelle génère.
En définitive, pour les néo populationnistes, la croissance démographique ne
constitue en rien un frein mais plutôt un stimulant pour la croissance économique.

2°) La thèse d’A. Sauvy ou la thèse de l’optimum de population

Selon les études de cet auteur, il nřy a pas de corrélation directe entre
croissance démographique et croissance économique, puisque tous les cas existent.

132 Voir Problèmes économiques (op. cit.)


133 Voir Problèmes économiques (op. cit.)
134 K. MARX, Œuvres, tome 2, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1977).

219
En effet, on peut avoir le cas dřune faible croissance démographique avec en parallèle
une faible croissance économique (exemple de la France entre les deux guerres) ou
bien encore la situation dřune forte croissance de la population avec une faible
croissance économique (exemple du Tiers-Monde) ou enfin le cas dřune faible
croissance démographique et dřune forte croissance économique (exemple du Japon
dans les années soixante-dix, quatre-vingt). Pour A. SAUVY135, il est nécessaire de
faire une étude cas par cas, puisquřil nřexiste pas de cas général où la corrélation entre
croissance démographique et croissance économique serait directe. Tout dépend du
pays et de sa situation (pyramide des âges, choix sociaux et politiques, etc.).

II/ Les thèses natalistes

Les politiques natalistes ou antinatalistes peuvent aussi influencer la fécondité


et la natalité. Il est possible ainsi, que le fait de verser des allocations familiales à des
familles en difficultés matérielles, permette de soutenir la fécondité. Rares sont
pourtant les pays qui consacrent des sommes très importantes à soutenir
massivement la fécondité. En France, une politique nataliste timide a été mise en
place pendant la seconde guerre mondiale, sous le gouvernement PETAIN 136, et
semble avoir joué un rôle dans la reprise de la natalité. Elle n'explique cependant pas
le baby boom, car celui-ci a été observé dans d'autres pays où aucune politique
nataliste n'avait été mise en place.
À l'inverse, il semble bien clair que les politiques anti-natalistes, comme celles
mises en oeuvre par le gouvernement Chinois, puissent exercer des effets très nets sur
la fécondité et la natalité, avec des conséquences sévères sur la pyramide des âges,
comme l'illustre cette pyramide des âges de la Chine.

Figure 14 : Pyramide des âges de la Chine en 2005

Quelques statistiques commencent à être recueillies sur des indicateurs qui


peuvent renseigner sur les comportements en matière de reproduction. Mais

135 Voir Problèmes économiques (op. cit.)


136 Gouvernement installé en France après lřoccupation allemande en 1940

220
l'interprétation de ces indicateurs reste limitée par l'absence de données
systématiques et par la difficulté même de comprendre les décisions liées à la
fécondité. Ces indicateurs sont les suivants :
Pourcentage de femmes d'une population qui vivent en union consensuelle
(terme utilisé pour désigner la vie en couple par consentement mutuel), ce
qui inclut non seulement les femmes mariées, mais aussi toutes les autres
formes de vie en couple durable.
Pourcentage de femmes d'une population qui ont entre 15 et 49 ans (l'âge
de la fécondité). C'est le seul indicateur clair, plus il y a de femmes d'âge
fécond dans une population, plus il y a de naissances dans cette population,
en raison de l'effet de taille. Le tableau 1 nous donne ici lřévolution de la
proportion de femmes fécondes au niveau mondial.

Tableau 15 : Pourcentage de femmes fécondes (15-49 ans) au


niveau mondial

Année Milliers Pourcentage


1950 623 947 49,4
1960 706 966 46,8
1970 855 325 46,4
1980 1 058 712 47,9
1990 1 315 357 50,2
2000 1 559 721 51,6
2010 1 763 267 51,8
2020 1 878 362 49,7
2030 1 984 651 48,5
2040 2 037 965 46,8
2050 2 063 159 45,3

Source: World population Prospects: the 2004 revision population database

Les chiffres après 2005 sont des prévisions basées sur une hypothèse moyenne
d'évolution de la fécondité. On comprend mieux en regardant ces chiffres pourquoi la
population mondiale va augmenter jusqu'en 2050, alors que pourtant les taux de
reproduction ou les indices de fécondité sont en dessous du seuil de reproduction
dans déjà la moitié de l'humanité.
Pourcentage de femmes qui utilisent des moyens contraceptifs : il existe
des chiffres dans les pays occidentaux, basés sur des enquêtes ou sur des
chiffres recueillis par les services de santé, mais les données restent
fragmentaires, pas nécessairement fiables et de toute façon difficiles à
interpréter. On profitera ici de l'occasion pour faire la distinction entre la
fertilité et la fécondité, deux mots qui sont parfois considérés comme
synonymes mais qui pourtant ont un sens différent en démographie. La
fertilité, désigne normalement la possibilité biologique d'avoir des enfants.
C'est donc le contraire de la stérilité. La fécondité, c'est le fait d'avoir
effectivement des enfants. Une femme fertile peut donc rester inféconde.
Par contre, une femme féconde est forcément fertile. Pour comprendre la
différence, il suffit de songer au cas des femmes fertiles (qui peuvent avoir
des enfants parce que non stériles) mais qui restent infécondes parce

221
qu'elles ne veulent pas avoir d'enfants et qu'elles utilisent par exemple des
moyens contraceptifs.
Nombre d'avortements : le nombre d'avortements déclarés, dans les pays
où l'avortement est légal, comme en France (où il reste néanmoins encadré
sévèrement par la loi et souvent mal accepté par les populations dans les
faits), reste assez peu élevé. Il est difficile de penser que c'est la possibilité
légale d'avorter qui est à l'origine de la baisse de la fécondité.

Section 2 : La démographie au niveau mondiale


À partir des années 1950, les pays industrialisés sont rentrés dans une
transition démographique. Avant dřaborder ce sujet, il convient de faire lřhistorique
de la population mondiale.

I/ Historique de la population humaine.

La population humaine a connu une augmentation plus ou moins permanente


depuis l'apparition de la vie sur la terre, mais la croissance s'est accélérée depuis deux
cents ans et jusqu'à une période très récente. On peut distinguer quatre phases dans
l'histoire démographique de l'humanité:
L'ère préagricole : elle a duré certainement cinq cent mille ans et se
caractérise par une densité démographique assez faible: le taux de natalité
était probablement élevé, mais le taux de mortalité l'était également
presque, le rythme d'accroissement naturel était très faible. A la fin de cette
phase la population du globe atteignait peut être un maximum de cent
millions d'habitants.
La phase de l'agriculture sédentaire à la Révolution industrielle est
marquée par l'introduction de l'agriculture sédentaire. La Révolution
industrielle, survenue à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème
siècle voit lřaccroissement de la production alimentaire ce qui va entrainer
une baisse du taux de mortalité, une élévation de l'espérance de vie et
lřaccélération progressive de la croissance démographique. En 1800, la
population mondiale s'élève à environ 1.7 milliards d'habitants.
La troisième phase va de la Révolution industrielle à la Seconde Guerre
Mondiale avec le démarrage de la croissance économique moderne et le
renforcement du potentiel démographique de la terre. Aux innovations
industrielles correspondent des innovations agricoles, qui permettent le
transfert d'actifs vers l'industrie, tout en élevant suffisamment vite la
productivité des travailleurs agricoles restant pour assurer l'alimentation
d'une population urbaine en expansion. Les importants progrès dans
beaucoup de domaines vont améliorer la croissance démographique : la
médecine, l'hygiène et l'industrie pharmaceutique, facteurs qui réduisent le
taux de mortalité. La croissance démographique s'accélère pour atteindre
1% par an environ au moment de la Seconde Guerre Mondiale. Quand cette
troisième ère démographique prend fin, en 1945, la population mondiale
est légèrement inférieure à 2.5 milliards d'habitants.
La dernière phase est celle l'après-guerre marquée par de nouveaux
développements révolutionnaires dans la production alimentaire et la lutte
contre les maladies. Les techniques introduites au cours de l'ère précédente
dans les pays développés connaissent une extension mondiale. La chute
brutale des taux de mortalité dans de nombreuses régions porte le taux

222
d'accroissement naturel à 2%, voire 3% ce qui instaure désormais lřère du
doublement de la population mondiale qui va atteindre 5 milliards
d'habitants en 1987 pour dépasser dans ce troisième millénaire 6 milliards
d'habitants.
À l'évidence, cette quatrième ère sera marquée par un ralentissement de
lřaccroissement démographique. De nombreux pays en développement suivent les
pays industriels sur la voie d'une transition démographique.

II/ La transition démographique depuis 1950

Le demi-siècle qui vient de sřécouler est marqué par la généralisation et


lřaccélération de la démographie dans lřensemble du monde. Dans le même temps, la
croissance de la population mondiale sřest sensiblement ralentie. En moins de
cinquante ans elle aura tout de même doublé passant de 3 milliards en 1960 à 6
milliards en 1999. Si le chiffre des 7 milliards dřhabitants devrait être atteint entre
2010 et 2015, la croissance devrait, au-delà, nettement ralentir sauf en Afrique.
Deux «révolutions» ont provoqué ces rapides bouleversements
démographiques : la révolution sanitaire et la révolution contraceptive. Dřabord
lřamélioration des conditions sanitaires (accès à lřeau potable, construction dřégouts,
ou encore couverture vaccinale) a été déterminante dans lřallongement de lřespérance
de vie. Les pays en développement ont ainsi gagné en moyenne près de vingt deux
années. Il reste aujourdřhui peu de pays dans lesquels lřespérance de vie demeure
inférieure à 45 ans. Ensuite un mouvement de baisse de fécondité a lieu en lřespace de
quelques décennies sur lřensemble de la planète, quelle que soit, la culture ou la
géographie des pays.
La transition démographique cause une augmentation dramatique des
disparités démographiques dřun pays à lřautre avec des pays surpeuplés et des pays
sous peuplés comme lřindique le tableau qui suit :

Tableau 16 : répartition de la population mondiale.


Les régions à taux de fécondité élevé comme l’Afrique et l’Amérique Latine ont un produit
national brut (PNB) par habitant plus bas et une croissance démographique annuelle plus élevée
que les régions plus développées.
Principales régions du Population courante Accroissement naturel
monde 1998 (en millions) annuel de la population
Monde 5926 1,4
Pays développés 1178 0,1
Pays moins développés 4748 1,7
Afrique 763 2,5
Amérique du Nord 301 0,6
Amérique Latine et Caraïbes 500 1,8
Océanie 30 1,1
Asie 3604 1,5
Europe 728 -0,1
Source: Population Reference Bureau (1998), World Population Data Sheet.

Section 3 : Les tendances démographiques globales en Afrique.


Le continent Africain, à lřopposé du Nord est caractérisé par une croissance
relativement importante de sa population. Déjà en 1995, la population de lřAfrique
était estimée par les Nations Unies à 728 millions dřhabitants. À la même date la

223
population du monde était de 5,72 milliards de personnes. LřAfrique représentait
ainsi 12,7% de la population mondiale. En 1998, dřaprès lřhebdomadaire « Problèmes
économiques », elle est estimée à 763 millions soit une croissance moyenne annuel de
1,18%. Ainsi, les taux de croissance les plus élevés se situent dans les pays les plus
pauvres, donc en majorité en Afrique, qui sont les moins préparés à offrir les services
de base et les emplois nécessaires aux effectifs croissants des jeunes. Dans 62 pays
dřAfrique principalement, dřAsie et dřAmérique latine, plus de 40% de la population
sont âgés de moins de 15 ans. LřAfrique, région du monde où la croissance
démographique est la plus rapide, est aussi la plus jeune : lřâge moyen y est
seulement de 18 ans.
On peut exprimer le potentiel de croissance dřune population en calculant son
temps de doublement. Pour une population au rythme dřaugmentation constant,
celui-ci sřélève à 70 environ, divisé par le taux de croissance. Ainsi, la population qui
sřaccroît de 1% par an double en 70 ans, tandis que celle qui augmente constamment
de 2% par an doublera exactement en 35 ans.
La formule de lřaccroissement exponentiel est :
Pt = P0 ert où P0 représente la population de lřannée de référence, Pt la
population au bout de t années, e la base du logarithme et r le taux dřaccroissement
annuel. Si Pt =2P0, alors : 2P0 = P0 ert 2 = ert
Il sřensuit que 2 = e7 (approximativement). Cela signifie que rt, égal à la
multiplication du taux dřaccroissement et du nombre dřannées, doit être égal à 0,7.
Par exemple, avec un taux dřaccroissement annuel de 2%, 0,02 X 35 = 0,7.

I/ Le recul de la mortalité et l’amélioration de l’espérance de vie

Tous les pays africains ont entamé leur transition dans la mesure où la baisse
de la mortalité est un constat général partagé par tous. Mais les situations sont très
diverses : si dans certains pays la mortalité a beaucoup baissé, dřautres payent encore
un lourd tribut.

Tableau 17 : Évolution des indicateurs de mortalité


Taux brut de mortalité Espérance de vie
Période (en %0) Afrique Monde
Afrique Monde
1950 - 1955 26,8 19,8 37,8 46,4

1960 Ŕ 1965 22,9 15,6 42,0 52,3

1970 Ŕ 1975 19,2 11,7 46,0 57,9

1980 Ŕ 1985 16,5 10,3 49,4 61,3

1990 Ŕ 1995 13,7 9,3 53,0 64,4

Source : Francis GENDREAU, Démographies africaines, Éditions ESTM.

224
II/ La transition démographique, conséquence du processus de
modernisation économique et sociale.

Le taux brut de natalité du continent est encore élevé (42%0) même si son
évolution récente marque une tendance à la baisse : il aurait diminué de près de 15%
depuis les années cinquante. Les différents pays africains connaissent ainsi une
fécondité encore forte. En 1999, dans onze dřentre eux, tous situés dans lřAfrique
continentale noire, les femmes ont en moyenne au moins 7 enfants. À lřopposé, six
pays ont un indice synthétique de fécondité inférieur à 4.
Les théoriciens de la transition démographique font de la démo-économie et
tentent alors dřétablir le lien entre évolution générale de la population et celle de
lřéconomie. Les auteurs accordent aux facteurs économiques et sociaux un rôle
prépondérant (NOTESTEIN, DAVIS, THOMPSON, A. LANDRY). Pour ces auteurs,
les changements démographiques apparaissent comme la conséquence de la « vie
industrielle-urbaine » (NORSTEIN, 1945), de lř « industrialisation »(THOMPSON),
de la « modernisation ou du développement socio-économique ». Selon Annie
VIDAL « paradigme central de la science démographique, la transition sřentend
comme le passage dřun régime traditionnel dřéquilibre démographique à mortalité et
fécondité fortes, à un régime moderne dřéquilibre, à mortalité et fécondité basses »137
Mais a-t-on affaire à une théorie, à un schéma, à un modèle ? Sřil y a accord sur la
signification du concept, la question de son statut demeure controversée. Pour J. C.
CHESNAIS, trois paradigmes peuvent être envisagés : dřabord, le principe
dřantériorité de la baisse de la mortalité, ensuite le modèle de la transition
reproductive en deux phases (limitation des mariages, puis limitation des naissances)
et enfin lřinfluence de lřentrée dans la croissance économique moderne… sur le
déclenchement de la baisse séculaire de la fécondité. Cela apparaît dans les trois
phases qui montrent que la corrélation entre développement économique nřest pas
figée et passe par trois phases. La première est celle que MALTHUS a bien analysé et
elle se traduit par des taux de natalité et de mortalité élevés. La croissance
démographique est alors rythmée par les phénomènes naturels comme les famines et
les épidémies. Dřoù la fameuse boutade de MALTHUS : « Au banquet de la nature, il
nřy a point de couverts pour eux ; la nature leur commande de partir et elle ne
manquera pas de mettre ce commandement en exécution ». Dans la deuxième phase
interviennent deux phénomènes : dřune part les progrès de la médecine abaissent le
taux de mortalité et dřautre part les ménages prennent conscience des charges des
enfants et de lřamélioration du statut social de la femme pour adopter des
comportements qui vont faire baisser la natalité. La troisième phase est celle dřun
équilibre de bas niveau démographique.

137 Annie VIADAL : La pensée démographique, Édit. PUG, Collection Lřéconomie en plus, 1994

225
Figure 15 : La transition démographique

LřAfrique est au début de la seconde phase avec cependant un écart entre taux
de natalité et de mortalité pas encore assez écrasé particulièrement au niveau des
couches populaires où lřon observe encore des rigidités des comportements
démographiques. Différentes statistiques démographiques concordent pour établir
que lřexplosion démographique africaine va se poursuivre pour les années avenir
comme en témoigne le tableau qui suit établissant les évolutions marquantes dřici
2025 :

Tableau 18 : Population rurale et urbaine de l’Afrique par grande région


en 1990 et 2025 (en milliers d’habitants).

Rurale Urbaine Totale


1990 2025 1990 2025 1990 2025

Est 154 013 288 398 42 860 254 138 196 873 542 536
Centre 43 596 70 014 26 458 122 328 70 054 192 342
Sud 17 761 21 010 22 465 59 123 40 086 80 133
Ouest 130 740 213 290 62 962 294 165 193 072 507 455
Sud du Sahara 345 970 592 712 154 745 729 754 500 715 1322 466

Source : Nations-Unies, World Urbanisation Prospects.

La population de lřAfrique Sud Saharienne devrait passer de 500 millions


dřhabitants en 1990 à 1,300 milliard en 2025 ce qui équivaut à une multiplication par
5 dans la période. Selon E.V. de WALLE, lřAfrique détient le record mondial de la
fécondité avec 6 à 8 enfants par femme en moyenne… Du côté de la mortalité, les
projections supposent que lřespérance de vie continuera à augmenter de deux ans
tous les 5 ans. Les progrès de la médecine, de lřhygiène, de lřagriculture ont contribué
à lřaugmentation de la population. Cette dernière est inégalement repartie dans
lřespace dřun pays, dřune région ou dřun continent.
Dans la plupart des cas la ville reste le principal bénéficiaire. Cřest autant dire
que lřun des corollaires de la croissance démographique est sans conteste
lřurbanisation. Cette dernière correspond à lřarrivée des populations rurales dans les
principales villes provoquant ainsi une explosion démographique. La question qui se

226
pose alors est celle de savoir : la ville est-elle un facteur ou un frein au
développement ?quels sont les problèmes posés et les solutions préconisées ?
Pour répondre à ces questions nous allons analyser comment la ville pourrait
être un facteur de croissance ou un frein au développement.

Section 4 : Urbanisation et développement : la ville est-elle


encore un facteur de croissance et de développement ?
Au niveau des pays industrialisés, la ville a joué un rôle primordial. Le
phénomène dřurbanisation semble être déclenché en Angleterre pendant la seconde
moitié du 18ème siècle par la naissance de lřindustrie à laquelle elle a fortement
contribué.
Tirant les leçons de cette expérience, la pensée économique, toutes tendances
confondues, a considéré la ville comme un important facteur de développement et
dřémancipation économique et sociale du fait précisément des inégalités favorables
des revenus, des effets dřattraction et de polarisation des activités industrielles et des
infrastructures de base, de la meilleure connexion avec les marchés internes et
externes etc. Egalement, dans les villes sřétablit un nouveau type de division du
travail. À une répartition des tâches fondées sur lřâge, le sexe, lřethnie, succède une
organisation liée aux aptitudes des individus. La ville connaît par voie de
conséquence une structuration en classes sociales qui nřexistait pas toujours dans la
société rurale. Les migrations réalisées vers la ville provoquent un brassage ethnique
qui favorise lřévolution des structures sociales. La ville constitue également un centre
de décision économique, politique et administrative. La concentration des élites qui
sřy réalise est un facteur de dynamisme. La ville diffuse son influence sur le milieu
rural ambiant et contribue à lřévolution de celui-ci. On note en particulier que les
structures foncières, les techniques de production se transforment plus rapidement à
proximité de la ville et que la mobilité de ces structures se réduit au fur et à mesure
que lřon sřéloigne.
Partout dans le monde les tendances à lřurbanisation sont devenues lourdes :
actuellement plus de 45% de la population vivent dans des zones urbaines et ce
chiffre pourrait passer à 60% vers 2030. Dans les faits, la dynamique urbaine est
particulièrement portée par les PSD dřAsie, dřAfrique et dřAmérique Latine.
Toutefois, contrairement au rôle quřa joué la ville dans le développement des pays
industrialisés, dans les pays du tiers monde, la ville apparaît comme un poids, un
cancer, un frein au développement. En effet, dans ces pays le phénomène urbain
commence à poser de sérieux problèmes relatifs à lřemploi, au logement, aux
transports, à lřassainissement, à la santé, à lřéducation. Cela présage que les villes
sont des volcans en ébullition.

I/ Urbanisation accélérée et chaotique en Afrique.

Sřil est vrai que lřexistence des villes est un phénomène ancien en Afrique, cřest
néanmoins la colonisation qui lui a imprimé le caractère quřelle connaît de nos jours.
Les grandes villes actuelles ont été choisies en fonction des considérations liées aux
besoins de la colonisation. Les ports maritimes ont été généralement favorisés :
Lagos, Dakar, Abidjan, Luanda… et la localisation des grands centres urbains reste
marquée par cette extraversion. Dès cette époque, les investissements ont été
concentrés dans des capitales où résidait lřessentiel des cadres dirigeants de
lřadministration coloniale. En dehors des vieilles villes marchandes sahélo-
soudanaises et de la civilisation Yoruba, les villes de l'Afrique noire sont nées avec la

227
colonisation comme ville-capitale administrative ou ville-portuaire. Elles ont pour
site des points privilégiés de la ligne d'interface océan-continent, les intersections de
lignes de transport intérieur et les points de rupture de fret : escales sur les fleuves
(Kinshasa 1881), intersection ferroviaire, contact fleuve/chemin de fer et lac
(Kisangani).
Depuis les indépendances, la croissance urbaine a été explosive et chaotique
avec un taux de croissance dřenviron 10% par an jusque dans les années 1990. En
1950, on dénombrait pour l'ensemble de l'Afrique, 3 villes millionnaires, 25 en 1990,
30 en 1995 et 42 en l'an 2000. Elles concernent maintenant plus de 40 % de la
population totale. De 1950 à 1990, la population urbaine a été multipliée par 10 en
Afrique sub-saharienne, tandis que la population totale triplait. Cette dynamique
urbaine procède de la conjugaison de plusieurs facteurs : forte concentration des
activités économiques et sociales et des infrastructures, faillites des politiques
agricoles etc. Les initiatives peuvent aussi provenir de décision politique pour
décongestionner la grande agglomération ou alors se démarquer de l'empreinte
coloniale : la capitale de la Côte d' Ivoire transférée à Yamoussoukro (1983) et celle
du Nigeria à Abuja (1974), Ouagadougou 2000. Aujourdřhui, les plus grandes villes
dřAfrique se hissent dans le groupe des 10 villes les plus peuplées du monde
dépassant les 10 millions dřhabitants parmi elles, le Caire et Lagos. Cette dernière
agglomération au rythme actuel de sa croissance comptera 25 millions en 2025. A ces
mégalopoles sřajoutent Kinshasa (4 million dřhabitants), Alexandrie et Alger (3,5
million dřhabitants), puis viennent Casablanca, Tripoli, Abidjan et le Cap.
En définitive, si lřurbanisation africaine a été tardive, elle est en train de
sřaccélérer avec rapidité. Cette évolution apparaît clairement dans le tableau qui
suit :

Tableau 19 : Proportion de la population urbaine de 1960 à 2006 (en %).

Sous-régions 1960 1975 1985 2000 2004 2005 2006

Afrique Occidentale 13,4 20,0 26,0 36,6 - - -


Afrique Orientale 7,3 12,8 18,9 29,4 - - -
Afrique du Nord 30,0 40,5 47,7 58,1 - - -
Afrique Centrale 18,2 29,6 39,3 52,2 - - -
Afrique Australe 42,2 46,5 52,1 61,1 - - -
Total Afrique 18,4 25,6 32,1 - 39,1 39,6 40,1
Monde 33,6 8,3 1,6 8,2 - - -
Régions développées 60,3 68,7 72,4 77,8 - - -
Régions en développement 21,4 7,1 31,7 40,4 - - -

Sources : Afrique contemporaine du 1er trimestre 1988, BAD statistics pocketbook 2007.

Ce tableau révèle que lřAfrique connait un rythme élevé dřurbanisation depuis


les indépendances. En effet, la population urbaine est passée logiquement de 18,4%
en 1960 à 40,1% de nos jours. Le Maghreb reste la région la plus urbanisée avec
58,1% de citadins en 2000. %. Malgré cette accélération urbaine, le continent compte
parmi les moins urbanisés. En effet, le monde affichait en 2000 un taux
dřurbanisation de 48,2% pour les PSD et une moyenne de 77,8% pour les pays
développés.

228
Certains économistes et urbanistes tentent de démontrer que la ville est un
moteur indispensable du développement, de la modernité et de la socialisation et la
campagne en est le pourvoyeur de sa main-d'œuvre, éventuellement de ses
approvisionnements surtout alimentaires. Pourtant, pour le Bureau International du
Travail (BIT), au delà dřun million dřhabitants, la ville pose de nombreux problèmes
de gestion avec des charges de plus en plus lourdes pour les différents équipements
urbains, les réseaux dřeau, dřassainissement, dřélectricité, de voies publiques, de
transports. De façon globale, toutes les villes africaines posent à des degrés divers des
problèmes liés :
aux infrastructures de base : routes, électricité, écoles, structures de santé
au foncier et à la crise du logement l'étalement spatial et la fragmentation
du tissu urbain manifestent lřimpossibilité des autorités à canaliser
lřavancée anarchique du front dřurbanisation ou la surdensification des
centres. On rappellera que 40 à 70 % des citadins vivent dans des
constructions illégales.
aux transports la question est posée en termes dřinégalité spatiale pour les
classes populaires rejetées en périphérie qui doivent effectuer de longs
déplacements journaliers vers le centre pour y exercer leurs activités
marchandes.
A l'environnement : accès à l'eau potable, évacuation ou traitement des
déchets.
A lřinsécurité donnée importante de la vie urbaine : lřinsécurité sanitaire
plane sur les quartiers dřhabitat spontané et se double de lřinsécurité
foncière menaçant les familles récemment installées
A la pauvreté et au chômage
Tous ces problèmes montrent que le phénomène urbain constitue une
préoccupation majeure, même dans le cas des centres urbains moins peuplés car le
rythme de leur croissance démographique est sans rapport avec des capacités de
productions économiques. Cřest surtout sous la pression des émeutes des banlieues
que le monde a pris conscience de lřampleur du phénomène urbain avec les
implosions des bidonville, taudis, gourbi, ghetto, slum, township, favela,
mocambo…Des vocables qui évoquent les espaces quřon pourrait qualifier dřinfra-
urbains qui exprime lřextrême précarité.138
Une urbanisation accélérée a des effets négatifs sur le développement :
importance du chômage, impossibilité dřassurer une croissance urbaine cohérente,
développement des bidonvilles dans lesquels vit un prolétariat misérable, coût
considérable des infrastructures urbaines, prélèvements en moyens financiers et en
personnel qui aboutissent à un sous équipement du reste du pays. Lřhypertrophie
urbaine peut ainsi devenir une cause nouvelle de mauvais développement en
entretenant et en amplifiant les inégalités.
Dřautre part le développement ne peut résulter de la simple croissance dřune
ville tentaculaire. Il implique un aménagement de la hiérarchie urbaine de manière à
ce quřil se crée une spécialisation fonctionnelle des villes et une complémentarité
dans leurs activités et dans leurs zones dřinfluences. Or cette condition est rarement
satisfaite dans les pays en voie de développement : de nombreuses régions ne sont
soumises à lřattraction dřaucun centre urbain important. Les zones dřattraction
urbaine sont souvent isolées et non intégrées ni hiérarchisées, la grande ville tend à

138
Mike DAVIS: Le Pire des mondes possibles. De lřexplosion urbaine au bidonville global, traduit de
lřanglais par Jacques MAILHOS Editions La Découverte, 252 pages.

229
exercer son emprise sur lřensemble du pays (voir indice de primatie tableau 4) et
empêche ainsi lřindustrialisation des centres secondaires en lřabsence de politiques
volontaristes.
Il apparaît donc en conclusion sur ce point que la politique dřaménagement
urbain devrait être lřune des principales préoccupations des responsables du
développement, mais lřobservation nous montre que dans la réalité lřurbanisation est
souvent le domaine de lřanarchie.

II/ Corrélation entre défis démographiques et crise économique.

Quel est le rapport existant entre la démographie et lřéconomie ? La


démographie est-elle une variable favorable ou défavorable à la croissance
économique ? Quřen est-il aujourdřhui des analyses malthusiennes ? Yřa-t-il une
corrélation entre démographie et économie (démo économie) ? Plus précisément
encore, la croissance économique africaine est-elle capable dřabsorber le croît
démographique ? La question nřest pas nouvelle bien quřelle ne trouve pas encore une
réponse adéquate cřest-à-dire la population optimale en relation avec les ressources
disponibles. A. SAUVY a tenté de trouver lřoptimum de population en relation avec
les disponibilités en ressources dans un espace donné. Les résultats des recherches
dans le domaine sont assez minces. On sait seulement que pour résorber le croît
démographique, un pays doit maximiser sa croissance économique et minimiser la
variable démographique. La Chine, le Japon et même lřInde jadis surpeuplés sřen
sortent, aujourdřhui, en réalisant des processus soutenus de croissance souvent
supérieur à deux chiffres et en tentant de limiter de manière drastique leur
accroissement démographique. Un Nigéria de 400 millions dřhabitants, un Mali, un
Sénégal et Burkina de 40 à 50 millions, un Kenya avec 100 millions peuvent-ils sřen
sortir au regard de leur situation de crise économique, du caractère très peu diversifié
de leurs systèmes productifs, de lřextrême faiblesse de leur rythme de croissance et
de leur taux élevé croît démographique ? Comme le note E.V. de WALLE
« aujourdřhui, confrontés à une masse croissante de main-dřœuvre sous-employée, il
faut raisonner en termes de capital humain, de productivité, de qualification et de
niveau dřinstruction. Lřaccumulation de paysans illettrés sur des terres fragiles nřoffre
guère de potentiel de croissance économique pas plus que le trop-plein qui sřécoule
vers des villes sans infrastructures et sans industries».139
Il semble que la jeunesse de la population africaine est un atout de taille. Quřen
est-il exactement ?

III/ La jeunesse de la population africaine est-ce vraiment un atout ?

À l'heure actuelle, on compte 1,3 milliard de jeunes âgés entre 12 et 24 ans


dans l'ensemble des pays en développement.
La question de la jeunesse est relativement nouvelle dans le domaine de
lřéconomie du développement. Cependant, elle nřest autre quřune nouvelle facette des
théories sur le capital humain de la nouvelle école de Chicago. La théorie du capital
humain « aide à rendre compte des phénomènes comme les différences de salaires
selon les personnes et selon les lieux, la forme des profits des salaires selon lřâge, la
relation entre âge et salaires, et lřeffet de la spécialisation sur la compétence.
Dans les pays en développement, particulièrement en Afrique ou les jeunes
constituent une large part de la population, la question de la jeunesse commence à

139 Etienne van de WALLE : La démographie de l’Afrique au Sud du Sahara, Revue Etude, octobre 1993.

230
être une préoccupation majeure. Mieux, on commence à prendre conscience du poids
quřelle pourrait jouer dans le processus de développement à long terme, bien que,
selon la Banque mondiale, près de la moitié de cette population est actuellement sans
travail. En plus, un nombre considérable de jeunes ne sait ni lire ni écrire. Cřest dire
que la scolarité secondaire et l'acquisition des compétences correspondantes ne
peuvent avoir de sens que si la scolarité primaire a pleinement porté ses fruits. Dřoù
lřimpérieuse nécessité de porter les efforts dřéducation à ce niveau.

Figure 16 : Représentation du chômage dans le monde

Source : Banque Mondiale, RMD 2007. Note : La barre pleine dénote le taux de chômage des
jeunes dans un seul pays; la portion claire indique le taux de chômage des adultes dans le même pays.

Dans son Rapport de 2007 portant sur « Le développement et la prochaine


génération », la Banque mondiale souligne que la prédominance de la jeunesse
comporte des risques mais ouvre aussi des opportunités immenses. En effet, comme
le souligne Paul WOLFOWITZ, Président de la Banque mondiale, « Le fait qu'un
nombre aussi important de jeunes vivent dans les pays en développement présente de
grandes opportunités, mais aussi des risques. Cela présente de grandes opportunités
dans la mesure où de nombreux pays auront une main-d'œuvre plus nombreuse et
plus qualifiée, et moins de personnes à charge. Mais il faut que ces jeunes soient bien
préparés de manière à créer et trouver de bons emplois»140
Le premier aspect soulève le volume important dřinvestissements à consentir
sur la jeunesse et qui ne sont pas toujours à la portée des Etats. En prenant
simplement le cas de lřéducation, les investissements requis pour le primaire et le
secondaire se chiffrent à environ 70 milliards de dollars pour les PED : cela
représente 3% de leur PIB. Il convient dřy ajouter dřautres charges comme la
préservation contre les grandes pandémies et la création dřemplois.
Aussi, la situation de la jeunesse actuelle en Afrique offre une opportunité
unique pour accélérer la croissance et réduire la pauvreté que moyennant trois
actions déterminantes :

140François Bourguignon, économiste en chef et premier vice-président de la Banque mondiale pour


l'économie du développement.

231
Investir massivement dans lřéducation avec une amélioration permanente
de la qualité des systèmes éducatifs en évitant les effets dřéviction
Répondre à la demande de compétences
Faciliter lřaccès au marché du travail
Toutes ces mesures rentrent dans la politique de formation dřun capital
humain plus productif capable de porter les innovations. Il sřagira principalement
dřinvestissements dans lřéducation, mais aussi dans la santé, garantir lřaccès au
marché par une meilleure planification de lřemploi, auxquels la Banque mondiale
ajoutera lřexercice du civisme.
Encadré 12 : L’investissement dans les jeunes est très rentable :
Estimation des effets à long terme et interactifs de l’investissement dans
le capital humain
Des chercheurs ont adapté un modèle à générations imbriquées qui a servi à estimer
lřimpact macroéconomique du sida pour lřappliquer récemment à une gamme plus élargie
dřinvestissements dans le capital humain en Afrique : « En tuant essentiellement les jeunes
adultes, le sida ne fait pas que détruire le capital humain quřils incarnent, il prive leurs
enfants des choses mêmes dont ils ont besoin pour devenir des adultes économiquement
productifs ŕ les soins des parents, leurs connaissances et leur capacité à financer
lřéducation ». Dans une étude récente qui modélise explicitement les effets de
lřenseignement secondaire, les auteurs estiment que lřépidémie du sida, qui a frappé le
Kenya en 1990, a réduit le capital humain et le revenu par habitant à tel point que lřon ne
retrouvera pas les niveaux de 1990 avant 2030. Un investissement dans lřéducation ŕ sous
la forme dřun programme de 30 ans pour subventionner lřenseignement secondaire, dřun
coût de lřordre de 0,9 % du PIB, à compter de 2000 et passant à 1,8 % du PIB en 2020 ŕ se
traduira par un revenu par habitant supérieur de 7 % au niveau qui aurait été atteint sans
cette intervention, les avantages continuant de se produire bien au-delà de 2040. La valeur
actuelle nette des avantages, à des taux dřactualisation réalistes, serait 2 à 3,5 fois
supérieure à celle des coûts ŕ un investissement fort rentable. En raison de la synergie qui
a toujours existé entre lřenseignement post-primaire et la santé des jeunes adultes, il serait
encore plus avantageux dřassocier à cette subvention des mesures directes pour lutter
contre lřépidémie du sida et traiter ses victimes. Un programme associant une subvention
moins importante et des mesures pour lutter contre la pandémie et traiter ses victimes
permettrait dřobtenir, avec le même montant dřargent, des avantages encore plus
spectaculaires. Ces avantages sont imputables non pas seulement au fait que lřon sauve des
vies humaines, mais aussi au fait que lřon est encouragé à investir davantage dans
lřéducation suite à la réduction de la mortalité.

Source: Banque mondiale, Rapport mondial sur le développement 2007

Section 5 : La problématique de la migration internationale


« Pour l’émigration, on peut se poser la question de savoir si elle
est gérée collectivement ou si elle est uniquement la réponse d’individus
face à des problèmes économiques ou sociaux. Que peut-on dire par
exemple de la grande migration européenne vers l’Amérique du
Nord ? Etait-ce la gestion collective d’un excédent démographique ou
un exutoire pour des problèmes individuels ? Ce mouvement a, en fin
de compte, été bénéfique, et pour l’Europe et pour les nouvelles
populations d’Amérique du Nord…. Si l’on imagine comme l’ont dit
certains sans aucun fondement que 50 millions d’africains débarquent
en Europe, qu’est ce que cela va changer ? En soit le chiffre paraît
important mais que représente-t-il par rapport à 500 millions

232
d’européens ? Un dixième. Si nous ne sommes pas capables de gérer
cela, nous sommes vraiment minables. Cela ne modifiera pas nos
problèmes…Les mouvements migratoires sont indispensables pour
renouveler une société ».
Jacques VALIN.

I/ Le phénomène migratoire

Les facteurs explicatifs des migrations sont à la fois nombreux et très


complexes. Certains sont dus à des situations dřordre économique, des troubles, des
guerres, aux famines, aux effets dřimitation, bref, à la recherche de meilleures
conditions de travail et de bien être.
Lřune des causes principale de la migration des personnes est lřamélioration
des conditions de vie des migrants. En effet, ces populations vivant dans la misère,
sans travail ne trouvent dřautres solutions que de quitter leur région, leur pays, voire
leur continent. En agissant ainsi, les migrants espèrent trouver ailleurs, mieux que ce
quřil y a chez eux. Les personnes quittent aussi leur lieu dřorigine pour une meilleure
gestion du risque.
Le modèle HARRIS-TODARO montre le passage du secteur rural au secteur
urbain et soulève le passage du domaine du certain au domaine risqué. Selon
BAUDASSE141 (2003), il est clair en effet que si lřespérance de revenu dans le secteur
urbain est suffisamment grande, celle-ci peut compenser le risque encouru : il faudra
pour que les individus acceptent de migrer que lřéquivalent certain (espérance de gain
diminuée de la prime de risque) de la loterie constituée par lřactivité urbaine soit
supérieure au revenu rural (supposé certain), il faut et il suffit donc que lřespérance
de gain en ville soit supérieure à la somme du revenu rural et de la prime de risque.

Encadré 13 : Modèle Harris-Todaro


Dans leur article pionnier de 1970, Harris et Todaro présentent un modèle
d’équilibre général à deux secteurs : rural et urbain, ce dernier se caractérisant
par la persistance du chômage à l’équilibre. Les stocks de capital par secteur sont
fixes, de même que l’offre totale de travail.
Le problème central à analyser est celui de l’allocation de la main-d’œuvre
entre les secteurs.
Leur conclusion est que le mouvement de la main d’œuvre du milieu rural
vers le milieu urbain se poursuit jusqu’à ce que le salaire agricole (WA) égalise le
salaire espéré en milieu urbain (WEU). Ce dernier est égal au salaire urbain (WU)
que multiplie le taux d’emploi en milieu urbain, qui mesure la probabilité perçue
par un chercheur d’emploi d’être embauché dans le secteur manufacturier.
LU
WA = WEU = WU (LU + CU)

LU , CU: respectivement l’emploi et le chômage en milieu urbain.

Source : MAROUANI M. A., (1999), « Libéralisation commerciale et


emploi en Tunisie : un modèle d’équilibre général avec salaire d’efficience ».
http//www.dial.prd.fr

BAUDASSE T., « Les théories économiques des migrations », laboratoire dřéconomie dřOrléans,
141

document n° 2003-01

233
Les individus migrent également afin dřaméliorer leur revenu relatif dans
un groupe de référence. Ce groupe de référence est selon certains auteurs, le secteur
dřémigration, par exemple le village de provenance des migrants potentiels. La
migration est vue comme une manière dřaccroître la place de la famille ou du ménage
dans le village. Ceci se fait alors en envoyant certains membres de cette famille en
ville pour travailler.
Notons que la migration se fait le plus souvent des pays en développement
vers les pays développés. Les migrants sont en majorité des jeunes, et de plus en
plus de femmes.
Encadré 14 : La migration comme gestion du risque
Si on reprend les observations faites par Fiels (1975), le revenu urbain
serait plus de deux (2) fois supérieur au revenu rural, tandis que le taux d’emploi
serait rarement inférieur à 80 %. Supposons un individu risquophobe dont la
fonction d’utilité dans l’incertain serait U(x) = x , supposons que l’activité urbaine
fournisse un revenu de 200 avec la probabilité de 0.8 et 0 avec une probabilité de
0.2, et l’activité agricole un revenu de 100 avec certitude :
- l’espérance d’utilité de l’activité agricole est de 100 = 10
- l’espérance d’utilité de l’activité urbaine est 0.8* 200 + 0.2* 0 = 11.31
La migration est donc avantageuse dans un tel cas, malgré l’aversion pour le
risque.
Source : Thierry Baudasse (2003), « Les théories économiques des
migrations », Laboratoire d’économie d’Orléans, document N° 2003-01, pages 14 et
15

La migration volontaire a débuté il y a 200 ans. On distingue différentes


typologies de migrations : La migration de travail qui est difficile à évaluer en
raison du manque de chiffres dû à lřexistence du secteur informel. Ces flux
migratoires concernent 100 millions dřindividus. Selon des évaluations récentes, les
principaux foyers dřaccueil des migrants de travail se trouvaient en Inde et au
Canada. De nombreux pays tels que lřEspagne, lřItalie, La France, les États-Unis
emploient une main dřœuvre abondante saisonnière étrangère au moment de la
culture ou de la récolte manuelle de certains fruits et légumes. Ces travailleurs sont le
plus souvent mal logés, mal payés et avec une couverture sociale imparfaite ou
inexistante, tout en étant exposés aux pesticides et à diverses infections. La
migration des réfugiés est justifiée par des mouvements de contrainte telles les
persécutions ethniques, religieuses, régimes politiques injustes, les guerres civiles.
50% de ces déplacements concernent lřAfrique subsaharienne.

II/ Les mutations et tendances de la migration internationale.

La migration mondiale a connu quatre grandes mutations au cours des 50


années qui ont suivi la seconde Guerre Mondiale.
La première concerne la chute de lřémigration des citoyens européens, en
raison dřimportants mouvements au sein de lřEurope (y compris la Turquie). En
2000, les étrangers dřorigine européenne constituent 10.3 % contre 1.3 % en 1950.
LřEurope de lřOuest et du Sud ont accueilli des migrants provenant de lřAsie, du
Moyen-Orient et de lřAfrique. Aussi, depuis lřeffondrement de lřUnion Soviétique,
lřEurope de lřOuest a reçu les migrants de lřEurope de lřEst. Lřeffectif des migrants de

234
lřEurope est donc monté en flèche dépassant celui des États-Unis, et ceci sans
compter lřeffectif des clandestins.
La seconde mutation est celle de lřimmigration de lřEurope de lřEst vers
lřOuest, avec lřouverture des économies Polonaises et Roumaines, et la chute du mur
de Berlin. Les flux provenant de ces économies ont quadruplé entre 1985 et 1989,
plus dřun million de personnes par an jusquřen 1993.
La troisième mutation est celle qui concerne lřAmérique Latine dřantan, grand
pôle dřimmigration, est devenue un important foyer dřémigration. En 1960, elle
comporte 1.8 million dřimmigrés.Cette situation est causée par la présence de son
voisin au Nord plus prospère.
La quatrième mutation a lieu après la seconde Guerre Mondiale. Une
importante vague de migrants en provenance dřAsie, dřAfrique et du Moyen Orient a
été observée. La première phase du processus dřindustrialisation et de transition
démographique a fait le piège de la pauvreté et déclenché une importante poussée
dřémigration.
En 2005, le nombre de migrants dans le monde est évalué entre 185 et 192
millions, soit environ 2.9 % de la population mondiale totale. 63 % des migrants
vivent dans les pays développés contre 34 % dans les pays en développement.
LřAmérique de Nord et lřOcéanie comptent plus de 10 % de migrants, lřAfrique,
lřAmérique Latine et lřAsie moins de 2% de la population de chaque région. En 2050,
les démographes prévoient 230 millions de migrants pour une population totale de 9
milliards. Le tableau 14 retrace lřeffectif et le pourcentage des migrants dans le
monde.

Tableau 19 : Effectif des migrants dans le monde


Pop. totale Migrants Réfugiés
Régions (milliers) (milliers) % (milliers)
Pays 1 193 872 104 119 59,57 5 008
développés
Pays en 4 876 709 70 662 40,43 13 631
développement
(dont pays les (667 757) (10 458) (5,98) (6 551)
moins
avancés)
Afrique 795 671 16 277 9,31 6 060
Asie 3 679 737 49 781 28,48 8 450
Europe 727 986 56 100 32,09 5 649
Amérique 520 229 5 944 3,40 576
Latine et
Caraïbes
Amérique du 315 915 40 844 23,37 1 051
Nord
Océanie 31 043 5 835 3,34 85
Monde 6 070 581 174 781 100 21 871
Source : Migration humaine.

235
Une des nouvelles tendances de la migration internationale est le nombre
croissant des femmes migrantes. Selon le Fonds des Nations Unis pour la
Population, (UNFPA)142, les femmes représentent aujourdřhui près de la moitié des
migrants internationaux dans le monde entier, elles sont 95 millions. Pour certaines
femmes, la migration ouvre les portes dřun monde nouveau, leur apportant plus
dřégalité, un soulagement à lřoppression et à la discrimination qui limitent leur liberté
et réduit leur potentiel. Chaque année, ces femmes envoient dans leur pays dřorigine
des centaines de millions de dollars. Cet argent permettra de nourrir des personnes,
de les habiller mieux, dřinstruire des enfants, bref à lutter contre la pauvreté. Plus
dřun (1) million de dollars en rapatriement de salaire ont été envoyés au Sri Lanka en
1999, 62 % ont été versés par les femmes. Aux Philippines, six (6) milliards sont
envoyés par an, dont le tiers par les femmes. Ces dernières envoient un montant
moindre que les hommes, mais elles le font régulièrement.

III/ Les effets des mouvements migratoires

Les migrants échappent aux impôts dans leur pays dřorigine, mais sont
imposés dans les pays dřaccueil. De même, ils renoncent à certains services pour en
bénéficier dans les pays dřimmigration. Ces services peuvent être la défense
nationale, la protection policière, lřenvironnement naturel, les écoles publiques.
Cependant, les migrants ne peuvent pas déterminer à leur niveau le gain ou la perte
due à lřémigration.

1°) Effets dans le pays d’origine

Lřémigration suppose quřun ou plusieurs individus renoncent à certains


services dans leur pays dřorigine. Le poids de cette renonciation ne se sent pas dans la
mesure où la protection policière par exemple, ne va pas croître.
Par contre, le fait dřéchapper aux impôts peut avoir des conséquences pour les
finances du pays. En effet, les individus ont tendance à migrer au début de lřâge
adulte ; ce qui signifie quřils nřauront pas à payer lřimpôt sur le revenu, alors quřils
ont bénéficié de lřenseignement public aux frais du contribuable.

2°) Effets dans les pays d’accueil

En général, lřon pense que les émigrés utilisent plus de services quřils ne
payent dřimpôts dans les pays dřaccueil ; ce qui nřest pas le cas.
Aux États Unis, au Canada et même dans lřUnion Européenne, jusquřà la fin
des années 80, les immigrés payaient plus dřimpôts par rapport aux services dont ils
bénéficiaient. Mais la situation sřest inversée au cours de ces dernières années. Les
immigrants utilisent plus de ressources par rapport aux impôts quřils versent. Les
immigrés illégaux payent plus dřimpôts que les légaux.
Le continent Africain est lřun des continents dont le flux migratoire est de plus
en plus croissant. Depuis 1990, on observe une expansion des migrations
clandestines dans toute lřAfrique.

142UNFPA, (2006), « État de la population en 2006, les femmes et la migration internationale ».


http// www.unfpa.org

236
IV/ Les flux migratoires africains
Les pays africains sont confrontés à de nombreuses difficultés. En effet, ces
pays enregistrent le taux de croissance démographique le plus rapide (3%) pour un
taux mondial de 1.7 %. Lřeffectif de la population qui était de 221 millions en 1950
sera de 1.3 milliards en 2025 et 1.76 milliards en 2050. La pauvreté est quasi présente
dans presque tous ces pays. Aussi, le taux de croissance du PIB qui était de 6% par an
entre 1965 et 1970 est passé à près de 0% à la fin des années 1980 et au début des
années 1990. Comme nous lřavons déjà vu, globalement, la proportion des
populations vivant dans lřextrême pauvreté avec moins dřun dollar par jour, est
passée de 56 % entre 1965 et 1969, à 65 % entre 1995 et 1999. Lřendettement
extérieur de ces pays est en forte croissance ; Il a multiplié de 3,3 fois en 20 ans,
passant de 60.6 milliards de dollars en 1980, à 206.1 milliards de dollars en 2000.
Devant les difficultés auxquelles ils font face dans leur pays, les jeunes africains, filles
et garçons, espèrent trouver en Europe et aux Etats-Unis de meilleures conditions de
vie et de travail. Les principaux continents de migration sont alors lřEurope et les
États-Unis. Il existe une pluralité de voies de passage particulièrement pour
lřimmigration clandestine. Les chiffres tirés de différentes sources montrent que le
nombre de migrants sud sahariens accédant au Maghreb par ses frontières
sahariennes est entre 65000 et 80000 annuellement au cours des dernières années.
80% des migrants se dirigent vers la Libye et 20 % vers lřAlgérie.
En ce qui concerne les Etats-Unis, les immigrants africains sont en majorité
des professionnels, des cadres et des techniciens. Le nombre des immigrants entre
1980 et 1990 a doublé, passant de 2 900 à 5 800 annuellement (figure 2).143 Selon
lřorganisation Internationale du Travail (OIT) en 2005, 160 à 250 milliards de dollars
sont envoyés par les émigrés dans leur pays dřorigine.

143
Après avoir échappés « aux passeurs escrocs », à la noyade, aux barbelés, les candidats
arrivent enfin à destination. Une fois en Europe ou aux États-Unis, certains déchantent. En effet, pour
la plupart sans formation, ni diplôme, certains ont du mal à trouver un travail, dřautres plus chanceux
arrivent à travailler mais dans la clandestinité en effectuant des travaux agricoles, de gardiennage. Ils
arrivent par conséquent à faire des transferts dans leur pays. Cependant, les moins chanceux seront
rapatriés faute de papiers. Lors de leur rapatriement, les migrants sont abandonnés à leur sort.
Lřexemple le plus récent est celui du rapatriement des immigrés africains par le canal du désert. Ceux-
ci sont balancés dřun pays à un autre, abandonnés aux frontières maghrébines, dont les autorités
sřempressent de sřen débarrasser.

237
Figure 17 : Immigrants africains admis aux États-Unis 1988-
1998

Source : ARUN P.L., (2006), « Le visas de diversité des États-Unis provoque une
fuite des cerveaux en Afrique ». http//www.prb.org

Les migrations internationales des africains, c'est-à-dire les migrations


ordinaires de travail sans compter les guerres civiles se font surtout sur le continent
lui-même. LřAfrique de lřOuest en est un exemple.

V/ La migration interne : le cas de l’Afrique de l’Ouest

La carte migratoire en Afrique de lřOuest se présente comme suit :


Encadré 15: Les principaux mouvements migratoires en Afrique
de l’Ouest en 1990

Source: GENTLINI C., « Etude de cas : A la découverte du Sénégal »,


Académie de Rouen.

La mobilité a joué un rôle important dans lřadaptation des populations Ouest-


africaines aux mutations de leur environnement. En effet, les indépendances et
lřentrée dans lřéconomie de marché ont entraîné des changements dans le paysage
économique. Les exportations se développent très rapidement, entraînant une

238
croissance rapide dans les zones de culture de rente. Selon le Club du sahel (1998), on
a surtout assisté à une taxation de cette richesse par les jeunes États, et à sa
redistribution pour la création de relais administratifs dans le territoire et pour le
développement dans les capitales.
Cette mutation a entraîné la migration de la population Ouest-africaine, qui a
suivi trois (3) grandes directions :
un mouvement du Nord vers le Sud du pays,
un mouvement général de lřintérieur de la région vers les zones côtières,
un mouvement rapide des campagnes vers les villes.
On observe sur lřencadré 7 un déplacement des populations des pays enclavés
tels que le Niger, le Mali, le Burkina Faso, mais aussi côtiers, tels la Mauritanie, la
Guinée (en raison de la répression), le Ghana (en raison du déclin) vers les pays
côtiers notamment la Côte dřIvoire, le Cameroun, le Nigeria. Cette attractivité était
due au développement des cultures de rente pour le cas de la Côte dřIvoire, de
lřexploitation du pétrole pour le Nigeria. Ces pays ont connu la plus forte croissance
de ces dernières années avec un taux dřimmigration de 0.4 % par an. En 1990,
lřeffectif de la population étrangère en Côte dřIvoire est de 4.512.515 pour une
population résidante totale de 12.568.011. Cinq ans plutôt, les étrangers étaient de
3.175.585 pour une population résidante de 10.092.735 comme nous le montre le
tableau 4. On peut observer que les migrants sřétablissent aussi bien dans le milieu
rural que dans le milieu urbain. En 1990, on compte 2.485.124 étrangers résidants
dans le milieu rural contre 1.496.687 dans le milieu urbain.

Tableau 20 : Perspectives d’évolution de la population résidente


totale et de la population étrangère (par milliers) en Côte d’Ivoire de 1965
à 1990.

Population Population Population Population


résidente étrangère totale étrangère en étrangère en milieu
milieu rural urbain
Effectif Effectif % Effectif % Effectif %
1965 4 210 000 980 000 23.3 - - - -
1975 6 709 600 1 506 020 12.4 764 128 16.7 741 892 34.6
1980 8 189 544 2 218 651 27.1 1 152 591 23.0 1 066060 34.31
1985 10 092 735 3 175 585 31.5 1 678 898 28.8 1 496 687 35.2
1990 12 568 011 4 512 515 35.39 2 485 124 36 2 027 392 35.8
Source : CODESRIA, (1987) « Population et développement en Afrique », édité par Hedi JEMA,
page 149
Les flux migratoires nécessitent donc une meilleure gestion de la part des
différentes parties concernées.

VI/ Gestion efficace de la migration

Plusieurs études scientifiques, conférences et initiatives ont été mises en œuvre


afin de trouver des solutions, qui permettront de mieux gérer la migration.

239
1°) Les études scientifiques de gestion de la migration

HARRIS ET TODARO144 ont essayé de trouver des solutions à travers diverses


études. Ils préconisent une Policy mix145. Ceci permettra dřune part de limiter
physiquement les migrations et dřautre part à la distribution dřune subvention aux
salaires urbains. En procédant à une limitation de la migration, on sřassure quřaucune
ressource ne sera gaspillée du fait de la non utilisation de facteur de production
(chômage) et en subventionnant de manière adéquate lřemploi urbain, on sřassure
que la production manufacturière sřétablira au niveau désiré par la société, malgré
lřexistence du salaire minimum urbain. BHAGWATI ET SRINIVASAN (1974)146
proposent une politique qui consiste à distribuer un subside au salaire aussi bien
dans le secteur urbain que le secteur rural. Cette politique permettra dřaugmenter
lřemploi et la production dans le secteur urbain, cette augmentation dřemploi ne va
pas attirer dřavantage de ruraux qui sont à la quête dřun emploi en ville, du fait de
lřexistence dřun subside aux salaires ruraux.

2°) L’initiative de Berne et la conférence Euro- Africaine de Rabat

LřInitiative de BERNE lancée les 14 et 15 Juin 2001 lors du symposium


international sur la migration a pour objectif dřinstituer un processus de consultation
propre aux États, afin de stimuler lřéchange de vues et de promouvoir la
compréhension des diverses réalités et des divers intérêts dans ce domaine. Le
symposium international a conclu quřil pourrait être utile de mettre sur pied un cadre
international informel de principes directeurs afin de faciliter la gestion de la
migration. Ces principes seraient une compréhension des pratiques réelles dont les
gouvernements pourraient sřinspirer pour gérer plus efficacement la migration aux
niveaux national et international. À la conférence ministérielle Europe-Afrique tenue
à RABAT en Juillet 2006, sur la migration et le développement, les Ministres se sont
engagés à : « créer et à développer un partenariat étroit entre nos pays respectifs
pour travailler de façon conjointe, suivant une approche globale, équilibrée,
pragmatique et opérationnelle dans le respect des droits fondamentaux et de la
dignité des migrants et des réfugiés, sur le phénomène des routes migratoires qui
touchent nos peuples ».

Encadré 16 : La communauté internationale face à l’immigration


A l'aube du XXIème siècle, la communauté mondiale comprend désormais beaucoup
mieux comment gérer de telles tensions - et c'est par la collaboration internationale
et par le respect et la promotion des droits humains. L'une des plus grandes
conquêtes du XXème siècle a été l'élaboration d'un système international des droits
humains qui défend la dignité humaine et la satisfaction des besoins fondamentaux
à laquelle tout être humain a le droit de prétendre - quelles que soient ses origines
nationales. Ce legs tire son origine de la fondation même de l'Organisation des
Nations Unies, qui comprend aujourd'hui une communauté de 191 nations chargées

144Voir encadré 13
145Traditionnellement, le concept de policy mix est entendu au sens large à savoir l’ensemble des
combinaisons possibles entre politique budgétaire et politique monétaire. Ici, il renvoie à une stratégie
croisée, une combinaison deux politiques pour gerer la migration.
Thierry Baudasse (2003), « Les théories économiques des migrations », Laboratoire d’économie
146

d’Orléans, document N° 2003-01

240
de trouver des solutions humainement acceptables aux difficultés que comporte le
fait de vivre dans un univers mondialisé.
Une gestion efficace de la migration internationale suppose une coopération
mondiale, régionale et bilatérale. Ces dernières années, le dialogue
intergouvernemental s'est intensifié. Grâce à l'élan communiqué par les récents
engagements de haut niveau, l'année 2006 est importante pour la migration
internationale et la définition de politiques mondiales, qui atteindra son point fort
avec le dialogue de haut niveau sur la migration internationale et le développement.
C'est là où réside le défi. Les gouvernements, les parlementaires, les employeurs et la
société civile tiendront-ils la promesse des droits humains faite à près de 200
millions de migrants internationaux ? Le monde aura les yeux fixés sur eux.

Source : UNFPA, (2006), « État de la population en 2006, les femmes et la


migration internationale, chapitre 5 ». http//www.unfpa.org

Ces mouvements migratoires ont pris de lřimportance pendant ces dernières


années à cause de nombreux facteurs dont la mondialisation qui a accentué la
pauvreté des uns et la richesse des autres. Au niveau international, les efforts doivent
être orientés vers lřinsertion des pays dřorigine des migrants dans le commerce
international. Mais cela soulève une autre question, celle de savoir si les
investissements réalisés dans les pays dřorigine des migrants sont capables de réduire
ou dřarrêter les flux migratoires entre les villes et entre les pays.

241
CHAPITRE 12 :
INTRODUCTION GÉNÉRALE AUX OBJECTIFS, STRATÉGIES
ET INSTRUMENTS DE GESTION
DU DÉVELOPPEMENT.

Jamais dans lřhistoire, la planète nřa accumulé autant de richesses matérielles,


financières et techniques. Jamais les hommes et les femmes nřont été aussi conscients
des perspectives réelles pour la satisfaction de leurs besoins, non seulement au sens
strictement économique mais encore au sens social et humain plus large. Et pourtant,
jamais les disparités nřont été aussi fortes entre le Nord et le Sud. Jamais la pauvreté
nřa été aussi massive. La mondialisation caractéristique dans la production, les
finances et les échanges apparaît ainsi comme un phénomène fortement asymétrique
et clivé. Les stratégies suivies par les pays riches comme pauvres semblent toutes
conduire lřhumanité à des impasses, du point de vue des perspectives nationales
comme de celui de lřordre mondial.147
Les stratégies de développement telles quřelles se sont déployées durant le
dernier quart de siècle ont multiplié les problèmes des nations et des individus qui les
peuplent. Paradoxalement, lřabondance nřa pas apporté de manière substantielle
lřamélioration du niveau ou de la qualité de vie aux populations. Elle a plutôt pollué
lřenvironnement, gaspillé de gigantesques ressources, engendré la peur et le doute
relativement aux relations intergénérationnelles.
Lřincapacité à maîtriser les turbulences des systèmes économiques et
financiers, à gérer les risques et les incertitudes et à gouverner lřordre mondial sont
quelques manifestations évidentes du fait que des changements fondamentaux sont,
aujourdřhui, indispensables et urgents, dans toutes les sphères des sociétés.
Concernant les PSD, non seulement la pauvreté est grandissante, mais les
populations sont de plus en plus insatisfaites et impatientes et les jeunesses frustrées
de leur pénurie quant aux nécessités les plus élémentaires de la vie : éducation,
emploi, nourriture, soins médicaux, logement, eau potable. Or, il est bien connu
quřun monde qui désespère est un monde qui va exploser.
Que faire ? À quoi servent toutes les théories et les modèles ? Sont-ils capables
de transformer pareille situation par la force des idées ?
La question de la scientificité de lřéconomie est à nouveau posée. En vérité ce
nřest pas une question désincarnée : lřéconomie nřest une science que si elle aide à
comprendre le monde (théorie positive) et à dégager des instruments pour le
transformer (théorie normative). En conséquence, la communauté des économistes,
surtout africains, devrait partager un système de référence et des informations
suffisantes, relatives au cadre conceptuel qui a influencé le processus du
développement et qui a abouti à lřélaboration du Consensus de Washington,
fondement doctrinal des Programmes dřAjustement Structurel. Toutefois, les
résultats mitigés et les multiples contestations de cette épure imposent aujourdřhui,
un nouveau questionnement sur les stratégies du développement qui, tenant compte
des enseignements du « grand miracle » des pays dřAsie, devraient déboucher sur de
nouvelles formulations du développement africain.

Moustapha KASSÉ : Consultation du BIT sur « La mondialisation et ses conséquences sociales », Dakar, et
147

Arusha, 2004

242
Section 1 : Les objectifs en matière de développement
Ces objectifs sont ceux que les techniciens du développement posent à
lřappréciation des décideurs et autres acteurs chargés de conduire les politiques
économiques et de choisir, en dernière instance, les instruments et moyens de leur
mise en œuvre. Ces objectifs sont reliés aux facteurs ou structures de nature
économique, politique ou sociale qui facilitent ou au contraire brident les politiques
économiques. Ils peuvent être classés en deux catégories ceux qui sont relatifs à
lřéconomie interne et ceux concernant les relations avec lřextérieur dans une
économie ouverte.

I/ Les objectifs internes

Lřanalyse des caractéristiques économiques et même extra-économique des


PSD a montré à souhait que les structures économiques, politiques et sociales des
PSD sont traversées par des distorsions structurelles et des dysfonctionnements qui
constituent autant de handicaps ou de freins pour le succès des politiques
économique et sociale. Ces éléments sont bien connus et fonctionnent comme des
contraintes quřil faut préalablement lever. Il sřagit de la croissance, de l'intégration
de l'économie et sa diversification, de la mise en place dřinstitutions démocratiques et
de la formation des ressources humaines.

1°) La croissance comme la priorité des priorités.

Quelle que soit la société dans laquelle les citoyens désirent vivre, seule la
croissance permet de sortir des manques issus du sous-développement et de donner
des marges de manœuvres aux politiques. Aujourdřhui et dans le cadre des PSD, elle
nřest plus le résultat dřun système économique (libéral, socialiste ou tout autre) mais
un objectif que vise tout pays lancé sur les sentiers du développement pour accroître
le niveau des forces productives matérielles et humaines et le bien-être des
populations. Étant le produit de la combinaison de plusieurs facteurs, il revient aux
économistes et aux techniciens du développement dřélaborer les politiques possibles
de croissance, de fixer le taux que durablement le pays peut soutenir, compte tenu
des ressources dont il peut disposer. Il leur revient également de sélectionner les
moyens cohérents pour atteindre les objectifs retenus. Tous ces schémas et leur
réalisation sont alors soumis à lřarbitrage des décideurs qui les transforment en
volonté politique.

2°) Le deuxième objectif interne est l'Intégration et la


diversification de l'Économie

La plupart des pays africains présente un ensemble de désarticulation


structurelle de lřespace quřil faut corriger pour créer une plus grande cohérence
permettant une libre circulation des hommes et des biens préalable au
fonctionnement dřun marché. On observe une véritable fracture territoriale qui
procède à une distribution très inégale de la population par suite dřune urbanisation
rapide et chaotique avec plus de 50% se concentrant sur un espace bien réduit du
territoire. Cet effet de polarisation sera aggravé par le gigantisme des mégalopoles
africaines : de grosses têtes sur de petits corps. Ce mouvement sřaccompagne avec son
corollaire : le déclin continu des régions. De plus, la mégalopole exerce des effets
dřattraction sur les hommes, les capitaux, les marchandises, les services, la vie

243
intellectuelle et sociale. Alors, il sřopère un double jeu : dřun côté des effets
dřattraction (spread effects) et de lřautre des effets dřappauvrissement (backwash
effects) pour les régions de lřintérieur. Ces derniers effets se manifestent sous des
formes diverses : émigration des éléments les plus jeunes et les plus actifs vers la
mégalopole, émigration des capitaux, faibles opportunités dřinvestissements et
dřindustrialisation, régression de lřagriculture et insuffisance des services publics.
Pour corriger ces déséquilibres, il faut alors développer conséquemment les
infrastructures de base, les moyens de communication et de transport qui brisent les
petites économies fermées et autarciques et les rattachent au réseau des échanges
internes, promouvoir la décentralisation des infrastructures et institutions de
modernisation de la vie économique et sociale : école, santé, réseau d'institutions de
crédit spécialisées et adaptées aux conditions existantes. Ce point est important pour
la formation dřune économie monétaire et dřune bonne propagation des flux
monétaires.
Un sous-objectif décisif est la recherche de la diversification de l'économie.
La forte spécialisation des économies sous-développées est régressive et renforce la
dépendance et lřinstabilité de la croissance économique. Il importe alors d'y remédier
par lřorganisation dřune économie diversifiée, avec le développement d'activités
économiques qui se soutiennent mutuellement et suscitent une demande suffisante.
Cela appelle un développement équilibré et articulé des divers secteurs économiques :
agriculture, industrie et tertiaire. Comme lřobserve J.K. Galbraith, «un pays
purement agricole a toutes les chances d'être non progressif, même dans son
agriculture»148

3°) Le troisième objectif est la construction d’un cadre


démocratique

Il y eut une époque, où dans la pensée économique la conviction la plus forte


était que la gestion de l'économie ne relevait pas d'un processus de négociation
politique, mais au contraire, cřétait l'immixtion des questions politiques dans la
sphère économique qui perturbait cette dernière. Il était alors exclu d'évoquer toute
question qui n'était pas strictement économique, et notamment les questions
politiques et sociales. Progressivement pourtant, il est apparu qu'il était extrêmement
difficile de mener des réformes économiques sans considération de leur
environnement normatif et institutionnel, ni de leur légitimité politique et sociale. 149
Beaucoup de pays africains ont parcouru un long chemin sur la voie de l'achèvement
d'une démocratie ouverte, libérale, pluraliste, favorable au développement de
l'initiative privée et à la bonne marche des affaires. Dans la bonne moyenne des pays
africains, la construction d'un État de Droit appuyé sur des institutions
administratives et judiciaires indépendantes est une condition sine qua non du
développement. Dans ce cadre comme le note Eric Weil, «l'administration doit être
l'organe de la rationalité technique dans la société particulière»150
Le pluralisme politique, le contrôle de la légalité, ainsi que, désormais, la
décentralisation, ont fini par former un cadre juridique au sein duquel les
"prérogatives exorbitantes du droit commun", le "fait du prince" et autres privilèges
dont la puissance publique pouvait se prévaloir, ont été progressivement limités. Il
doit être loisible aux citoyens dřaller et venir, de participer à la gestion des affaires
148 J.K. GALBRAITH: Conditions for Economic Change in Under- developed countries. Journal of Fam
Economies, p. 690, nov. 1951
149 Pr. Moustapha KASSÉ: Démocratie et développement, Collection « Le Point Sur » NEA, 1991
150 1) Philosophie politique, (Éd. Vrin).

244
publiques comme dřentreprendre, sans que ces libertés puissent être obstruées ni
remises en cause par la puissance publique. Cette dernière tentera au contraire
dřaccompagner leurs efforts en les gênant le moins possible. La meilleure preuve en
est la souplesse avec laquelle lřadministration contrôle le développement des activités
économiques, que ces dernières relèvent ou non du secteur formel. Au lieu dřadresser
des commandements tatillons, et suivant en cela des choix politiques, elle tente plutôt
dřaccompagner les initiatives privées dans la voie de leur croissance et de leur
modernisation. Également, le transfert à lřéchelon local de compétences auparavant
détenues par le pouvoir central témoigne de la volonté de gérer les affaires publiques
au plus près des besoins des populations, dans le respect de lřintérêt général.
Le fonctionnement régulier dřun cadre démocratique doit se généraliser en
Afrique et se mesurer à l'aune de lois et règlements qui assurent et facilitent :
Dřabord, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ;
Ensuite, lřexistence et le fonctionnement de contrepouvoirs comme une
société civile forte et active, un organe anti-corruption indépendant, une
commission indépendante des droits de lřhomme et des structures
dřharmonisation et dřexécution des activités liées aux femmes ;
En outre, la mise en place dřun système électoral transparent capable
dřorganiser des élections libres et disputées pour que la sanction
démocratique puisse effectivement s'exercer ;
Enfin, le fonctionnement sans entrave dřune administration publique à la
fois compétente, efficace, souple et transparente. Bien souvent, si les
politiques tardent à produire des résultats, ce serait essentiellement à cause
d'une administration inefficiente dont il faut limiter l'inclinaison à la
corruption.

4°) Le troisième objectif est la formation des ressources humaines


de qualité pour le développement économique et social

Dans un monde où les produits, les capitaux et les technologies circulent et


sřéchangent librement, ce sont les ressources humaines qui font la différence. Comme
lřobserve Samuel PISAR cřest la ressource humaine qui différenciera les performances
des divers pays. Dans ces conditions, il devient nécessaire dřopérer des
investissements massifs dans la formation des hommes.

II/ Les objectifs externes

Ils se réduisent à la recherche de voies et moyens pour tirer grand profit de la


mondialisation. Il est complètement douteux que les PSD puissent se déconnecter du
système mondial d'échanges et de paiements : ils le sont déjà de fait. Le problème est
plutôt de sřouvrir par des exportations en vue de trouver les recettes nécessaires au
financement des importations dřéquipement. Également, ils doivent aménager leur
environnement pour le rendre plus incitatif pour attirer les IDE surtout dans le
contexte actuel de baisse drastique de lřaide publique au développement.
Dans le cas de lřAfrique il faudra développer le commerce intra africain par des
processus dřintégration dont lřanalyse sera approfondie ultérieurement.

245
Section 2 : Les stratégies de développement économique : le
débat entre anciens et nouveaux économistes, entre
orthodoxes et hétérodoxes.
I/ Les anciennes approches des stratégies de développement.

Le cadre intellectuel qui a influencé les différentes approches des processus de


développement économique du dernier quart de siècle gravitait autour de la
croissance économique considérée comme voie unique de sortie du sous-
développement. Les pays qui sřengageaient dans ce processus devaient réaliser une
croissance accélérée, au taux le plus élevé possible compte tenu des ressources
disponibles. De plus, il était souhaité que cette croissance fût harmonieuse, équilibrée
et débarrassée de toute fluctuation trop forte en baisse comme en hausse.
Lřadaptation du modèle aux pays en développement allait inclure dřautres
facteurs comme la quantité et la qualité «réelles» de lřaide étrangère et des transferts
de technologie destinés à compléter le capital local insuffisant. Les faibles efforts de
mobilisation internes des ressources, rendaient les estimations concernant les
possibilités de croissance rapide sans grande valeur pratique dans le modèle.
Les études de la Banque Mondiale (BM) et du Programme des Nations-Unies
pour le Développement (PNUD) ont largement montré que les aides et les transferts
de technologie ont principalement servi à créer des sociétés «molles» et à augmenter
lřendettement extérieur qui devient aujourdřhui insoutenable. Cřest pourquoi, le
Président Abdoulaye WADE, dans «Le Plan Oméga pour lřAfrique» montre justement
que le binôme aideŔendettement était entré dans une impasse totale, ce qui impose
de nouvelles formules pour le financement du développement.
En ce qui concerne la fameuse question du transfert de technologie, les firmes
multinationales qui furent les principaux vecteurs de cette politique ont tiré de leur
«know-how» et de leurs équipements un prix excessif. En conséquence, la
technologie «empruntée» pour la substitution aux importations et qui est à haute
intensité de capital, nřavait que de très faibles liens avec la valorisation des ressources
naturelles et la main-dřœuvre, ou avec le reste de lřéquipement technologique existant
dans les pays récepteurs.
Cřest pour enquêter sur la réalité et les résultats des efforts dřaide et de
développement international des années 50 à 60 et pour les ajuster aux besoins de
modernisation des pays pauvres que la COMMISSION PEARSON fut créée en 1968
par la Banque Mondiale. Le Rapport Pearson jugea que lřécart grandissant entre pays
développés et pays en développement était devenu lřun des principaux problèmes de
notre temps. Comme solution, il recommandait pour ces derniers pays un taux de
croissance de 6% par an, une réduction des barrières douanières des pays développés,
lřaugmentation de lřaide étrangère privée et un transfert de 1% du PNB des pays
développés aux pays en développement.
Il fut dès le départ évident que la Commission avait sous-estimé lřimportance
de la crise mondiale menaçante et minimisé les extraordinaires privilèges des pays
riches dans une tentative de restaurer lřancien mythe dř«un monde unique». Ses vues
sur le développement se situaient dans le vieux cadre intellectuel décrit ci-dessus et
ne cherchaient nullement à aller au-delà.

246
II/ Le Consensus de Washington : l’instauration d’un modèle d’économie
de marché.

La crise économique des années 70 et 80 réactive le débat de fond sur «le


sous-développement et ses solutions», en particulier entre groupes de spécialistes des
sciences sociales désireux dřune part, dřaller au-delà du Rapport Pearson et de son
référentiel normatif dřanalyse économique et dřautre part, dřexaminer toutes les
réalités économiques, mais aussi sociales et historiques dissimulées par lřancien
schéma analytique du développement. Tandis que le débat se développait, deux
Ecoles pouvaient clairement être identifiées.

1°) L’École orthodoxe et les réformes pour une économie de


marché.

La première École, celle des tenants de lřorthodoxie de lřéconomie libérale,


estime quřil faut redéfinir la philosophie et les objectifs du développement qui se
réduisent pour lřessentiel à la croissance économique. Dans les années 80, suite à la
crise de la dette, lřintervention des Institutions de Bretton Woods dans le débat sur le
développement va s'accompagner de profondes transformations, tant dans la
pratique que dans la réflexion. Une nouvelle ère en matière de développement est
ouverte, que les spécialistes vont assimiler au "Consensus de Washington" qui
remettait en cause la théorie du développement et la spécificité des sociétés sous-
développées. Il constitue en somme une sorte de revanche de la théorie néo-classique
qui, sur la base de l'échec des stratégies de développement et des théories qui les
portent, va étendre le champ d'application de son cadre d'analyse aux sociétés sous-
développées.

Encadré 17: Le Consensus de Washington.


Lřexpression consensus de Washington est née sous la plume de John WILLIAMSON
(1990). Elle constitue le couronnement de la doctrine néo-libérale « recommandée » par la
communauté financière internationale aux pays en voie de développement pour les amener
à sřouvrir au processus de mondialisation. Elle est fondée sur une série de principes dont le
plus importants sont
la discipline fiscale cřest-à-dire des équilibres budgétaires et la baisse des
prélèvements fiscaux ;
la libéralisation financière avec la fixation des taux dřintérêt administrés en
faveur des investissements prioritaires ;
la libéralisation commerciale avec la suppression des protections douanières ;
lřouverture totale des économies aux mouvements des capitaux et, en particulier à
lřinvestissement direct ;
la privatisation de lřensemble des entreprises ;
la déréglementation cřest-à-dire lřélimination de tous les obstacles à la
concurrence ;
la protection légale des droits de propriété intellectuelle des multinationales.
Le consensus de Washington a constitué le fondement des politiques menées par la
Banque mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) basé sur le triptyque
stabilisation, libéralisation, privatisation. Mais cette doctrine a fait lřobjet de vives critiques
par suite des dégâts quřelle a causés. Au début des années 2000, à la suite de leurs échecs, la
Banque mondiale et le FMI ont infléchi leur doctrine reconnaissant quřil faut également
sřinquiéter de la démocratie, des inégalités et du fonctionnement de lřEtat.
Dominique PLIHON : Le nouveau capitalisme, Collection Repères, La
Découverte, Paris 2003. p 24

247
Du point de vue théorique, le Consensus de Washington remet en cause toute
forme d'interventionnisme étatique et proclame la suprématie du marché dans
l'allocation des ressources. Ce discours se rattache à la doctrine de l'équilibre général
qui conçoit la possibilité d'une économie décentralisée suite, à l'émergence des prix
d'équilibre résultant de la confrontation sur le marché de l'offre et de la demande des
agents économiques. D'autre part, le consensus de Washington remet à l'ordre du
jour les théories de l'avantage comparatif pour critiquer les choix d'import-
substitution ou d'industrialisation liée au marché interne, et pour justifier une
insertion internationale basée sur les dotations en facteurs des pays sous-développés.
Ainsi, désengagement de l'État, régulation marchande et avantages comparatifs
seront les maîtres-mots des années 80, mais aussi les piliers de lřajustement
structurel.
Confrontés aux déséquilibres financiers, à la montée de lřendettement et à la
stagnation de la production pendant la décennie des années 80, les pays dřAfrique ont
été contraints de privilégier les politiques dřajustement et de stabilisation par rapport
aux politiques de développement et aux plans à moyen et long terme. Lřapproche en
termes dřajustement structurel est largement justifiée par le gaspillage des
ressources, lřinefficacité de lřéconomie administrée et le poids des distorsions
introduites dans le système de formation des prix et des revenus sur les marchés des
biens et services, du travail, des capitaux et des changes.
Les PAS cherchaient à mettre en place un volet stabilisation afin de réduire les
déficits et de promouvoir une série de réformes structurelles pour assurer une plus
grande régulation privée de l'économie et accroître l'insertion des économies
nationales dans une mondialisation jugée incontournable et irréversible. Pour cette
École orthodoxe les PAS constituent une solution appropriée à la crise économique
africaine des années 80 et de celle provenant en grande partie des politiques
économiques erronées des années 60 et 70. Après plus dřune décennie de réforme
introduite par les PAS dans les pays subsahariens, la Banque Mondiale (World Bank,
1994) conclut, en se basant sur les éléments dřappréciation recueillis dans 29 pays
engagés dans la voie de lřajustement, que les réformes ont été payantes et que les pays
qui ont fait un effort particulier ont bénéficié dřun retournement tant au plan de la
croissance que de la situation socio-économique, bien que ce retournement soit
encore fragile.
Les contre-performances (ou lřabsence de développement) observées dans les
années 90 seraient alors en grande partie attribuées au fait que les politiques
«rationnelles» que comportaient les PAS nřont pas été correctement appliquées. Les
facteurs qui paraissent avoir empêché le bon déroulement des réformes sont
nombreux. Diverses études de la Banque Mondiale notent des contraintes telles que :
les difficultés à faire passer des réformes institutionnelles politiquement
délicates (en raison de la puissance des groupes de pression) ;
le fait que les gouvernements concernés nřont pas assumé la paternité des
réformes ;
lřinsuffisance des financements extérieurs ou de crédits pour la mise en
œuvre des programmes ;
pour les pays subsahariens, la faiblesse des moyens administratifs et
institutionnels disponibles pour la mise en œuvre des réformes ;
et, dans certains cas, le manque de réalisme des concepteurs des divers
programmes quant à la rapidité et la chronologie des réformes à mettre en
œuvre.

248
Au demeurant, si les PAS ont permis à certaines économies d'améliorer et de
rétablir leurs déséquilibres macroéconomiques, ils n'ont pas réussi à initier de
nouvelles dynamiques de croissance durable, suite à l'essoufflement des stratégies
d'import-substitution. Par ailleurs, ces réformes se sont traduites par une
détérioration des conditions de vie des populations et par un accroissement de la
pauvreté. Également, les programmes n'ont pas favorisé la construction de nouvelles
normes économiques et sociales pour succéder aux normes en crise. Au contraire, ils
ont accéléré la décomposition des normes en crise et approfondi ainsi la régression
économique et sociale. Cette crise économique et sociale a eu des conséquences
politiques importantes à travers la contestation de la légitimité de l'État. Par ailleurs, le
désengagement de l'État et la libéralisation économique se sont traduits par
l'émergence, dans la plupart des pays, de nouveaux acteurs politico-financiers qui ont
cherché à contrôler l'économie. L'affaiblissement de l'Etat et son extinction
programmée dans certaines régions ont conduit parfois au développement de la
corruption et à la constitution de fortunes sur la base de situation de rente.

2°) L’École hétérodoxe et la réhabilitation de l’État

Ces médiocres résultats ont été à l'origine de la remise en cause des


fondements théoriques et des choix de développement du consensus de Washington
par lřÉcole dite hétérodoxe. En effet, une ère nouvelle est ouverte dans le champ de
l'économie du développement depuis le milieu des années 90 qu'on qualifiera de
période de post-ajustement qui est caractérisée par des interrogations sur la
pertinence et les performances des PAS et la recherche dynamique et plurielle de
nouvelles stratégies de développement. À ce niveau, les derniers Rapports de la
Banque Mondiale sur le Développement offrent une illustration de cette évolution.
Désormais, lřÉtat et les institutions sont réintégrés dans le champ de lřanalyse et de la
praxis.
Un Rapport dřun groupe dřexperts de lřUniversité des Nations-Unies sur le
Développement Humain et Social avait contesté cette approche des
fondamentalistes en déclarant catégoriquement que «le développement nřa
fondamentalement rien à voir avec les chiffres de revenu national et sa croissance; il
nřa rien à voir avec seulement les taux dřépargne et les coefficients de capital; il a à
voir avec les êtres humains, par eux et pour eux. Le développement doit, par
conséquent, commencer par lřidentification des besoins humains. Son but est de
relever le niveau de vie des masses et de donner à tous les hommes une chance de
développer leurs potentialités. Cela implique que lřon réponde à des besoins comme
ceux dřun travail permanent, de salaires réguliers et convenables, dřécoles plus
nombreuses et de meilleure qualité, dřun meilleur service médical, de transports bon
marché, dřun niveau général de revenu plus élevé. Cela implique aussi que lřon
satisfasse les besoins et désirs non matériels : auto-détermination, autonomie, liberté
politique et sécurité, participation à la prise des décisions affectant travailleurs et
citoyens, identité nationale et culturelle, et désir de sentir que la vie et le travail ont
un sens».
LřÉcole hétérodoxe composée pour lřessentiel des différents courants
marxistes et néo-marxistes ainsi que des institutionnalistes et des «tiers-mondistes»,
reprend à son compte certaines de ces critiques de lřUniversité des Nations-Unies
mais avec des formulations techniques nettement améliorées. Malgré son caractère
idéologiquement hétérogène, les auteurs s'éloignent du modèle walrassien en
reconnaissant les imperfections du marché et l'incapacité des politiques de

249
stabilisation et d'ajustement orthodoxe à opérer les transformations nécessaires à une
reprise durable de la croissance dans le Tiers-Monde.
Dans ce sens, J. STIGLITZ, ancien économiste principal de la Banque
mondiale estime que «si les politiques économiques issues du consensus de
Washington se sont avérées aussi peu performantes dans ce qui était leur objectif
principal à savoir lřinstauration dřun processus vertueux de croissance économique
harmonieuse ; cřest parce quřelles ont confondu les moyens avec les fins». En effet,
même «un taux de croissance élevé nřa constitué et ne constitue pas une garantie
contre une aggravation de la pauvreté» (MAHBUB UL HACQ : Banque mondiale). La
libéralisation, la recherche des grands équilibres, les privatisations sont prises
comme des fins plutôt que comme des moyens dřune croissance durable et équitable.
De plus, ces politiques se sont beaucoup trop focalisées sur la stabilité des prix plutôt
que sur celle de la croissance et de la production. Elles nřont pas su reconnaître que le
renforcement des institutions financières est aussi important pour la stabilité
économique que la maîtrise des déficits budgétaires et de la masse monétaire. Elles se
sont concentrées sur les privatisations, mais elles nřont guère attaché assez
dřimportance à lřinfrastructure institutionnelle nécessaire au bon fonctionnement des
marchés, et particulièrement à la concurrence et à la compétitivité.
Depuis les années 90, la médiocrité persistante des performances
économiques et financières a continué de se manifester à travers la détérioration
généralisée des indicateurs macroéconomiques, la désintégration des structures de
production et des infrastructures et la détérioration rapide du bien-être social
notamment lřéducation, la santé publique et le logement, a appelé le nécessaire
ajustement de lřajustement. En effet, pour beaucoup dřéconomistes partisans de cette
approche hétérodoxe, lřéchec du développement dans les pays subsahariens est avant
tout le produit : de lřéchec des politiques économiques adoptées après
lřindépendance, dans les années 60 et 70 ; de lřéchec des PAS mis en œuvre dans les
années 80 pour remédier aux faiblesses structurelles des économies et des
institutions des pays subsahariens.
Ces faiblesses tiennent pour lřessentiel à la distorsion de la structure des
échanges (à cause de la place excessive des produits primaires), au manque de
modernisation de lřagriculture, à lřétroitesse et à la faiblesse de la base industrielle, et
avant tout au niveau extrêmement faible de développement des ressources humaines
ainsi quřà lřinsuffisance du réseau des transports et des équipements dřinfrastructure
dans les régions rurales (CORNIA, 1991). Pour ces économistes, lřanalyse de la
stratégie de développement à long terme montre quřil est vital de trouver des
solutions pour remédier à lřinsuffisance des ressources humaines et des
infrastructures.
Dřailleurs, si les analystes ne semblent pas imputer totalement la stagnation
économique des pays subsahariens aux seuls programmes dřajustement en tant que
tels, ils soulignent cependant quřen accordant une prépondérance quasi absolue aux
mesures de stabilisation à court terme, au lieu de sřattaquer aux problèmes
structurels fondamentaux, ces programmes ont en fait amené les économies
africaines à sřécarter de la voie dřune croissance durable (CORNIA, 1991 ; STEWART,
1992). Certains estiment même avec force arguments tirés de lřanalyse économique
quřun cadre de développement modifié peut encore fonctionner «efficacement» :
si la justice sociale ou distributive est intégrée dans les modèles ;
sřil existe des institutions fiables, démocratiques et transparentes de
coordination des transactions des acteurs, et qui soient capables de faire
fonctionner un système de planification techniquement rénové
essentiellement du haut vers le bas («top down») ;

250
si la participation populaire dans la gestion du développement est assurée ;
et si les Institutions Financières Internationales et le système économique
des Nations Unies assurent un processus continu de transfert pour une part
raisonnable des ressources des pays riches aux pays pauvres.
En définitive le continent africain est à la recherche dřune nouvelle vision, dřun
paradigme et dřun programme alternatif de développement considéré comme une
transformation de la société. La question centrale est alors : comment mettre en place
un système économique et financier performant et jeter les bases de fonctionnement
dřune société démocratique ? Dans ce contexte, il faut tirer, pour le continent africain,
toutes les leçons du miracle asiatique. La croissance rapide des pays dřAsie de lřEst a
montré que le développement était possible et quřil pouvait sřaccompagner dřune
réduction de la pauvreté, dřune amélioration largement partagée du niveau de vie et
même dřun processus de démocratisation.
Évidemment, dans la phase ascendante des PAS les expériences du miracle
Est-asiatique étaient considérablement dérangeantes pour les défenseurs des
solutions orthodoxes, car ces pays ne se sont pas conformés aux prescriptions
habituelles des Institutions Financières Internationales. Dans la plupart des cas,
lřÉtat a joué un rôle efficace de création et dřorientation des ressources vers des
projets à long terme. Cet État a été qualifié dřÉtat «pro» cřest-à-dire promoteur,
producteur, prospecteur et programmeur. Les gouvernements ont suivi certaines des
prescriptions techniques habituelles, comme la politique macroéconomique stable,
mais ils ont ignoré les autres. Par exemple, au lieu de privatiser, ils ont crée des
entreprises hautement productives et plus généralement ils ont mené une politique
industrielle pour développer certains secteurs. Les pouvoirs publics intervenaient
dans le commerce, même si cřétait plus pour favoriser les exportations que pour
limiter les importations. Également, ils se sont engagés dans un timide encadrement
du secteur financier, en abaissant les taux dřintérêt et en augmentant la rentabilité
des banques et des entreprises.

III/ La nouvelle stratégie de l’émergence dans le contexte africain.

Théoriciens et praticiens sont de plus en plus dřaccord sur le fait quřun


nouveau cadre de concepts tels que celui évoqué ci-dessus est nécessaire pour la
remise en cause des phénomènes critiques (et interdépendants) qui affectent partout
le développement et pour nous aider à comprendre la nature des nouvelles forces qui
apparaissent partout dans le monde et qui poussent au changement.
Cette remise en cause ne doit pas seulement refléter une réforme de lřancien
cadre du développement économique, rendu un peu plus efficace par lřincorporation
dřun peu plus de justice sociale et distributive. Elle doit également redéfinir les
orientations (approche positive) et les politiques à mettre en œuvre (approche
normative).
Cette redéfinition doit être tentée en étudiant lřexpérience historique des pays
développés ou en développement, et non plus à partir de théories a priori totalement
détachées des réalités. Des sous-modèles spécifiques à un pays pourraient être
élaborés pour chercher à opérationnaliser le nouveau cadre. Un cadre de concepts
différents, constitué par un nouvel ensemble dřobjectifs et par un nouveau processus,
reste cependant une condition préliminaire et nécessaire pour que les sous-modèles
puissent être applicables et politiquement valables. Un cadre international de soutien
devrait également être élaboré. Mais avant que ce nouveau cadre international puisse
apparaître, il faudra peut-être le détacher dřabord des relations globales existantes
pour le faire rentrer, à de nouvelles conditions, dans de nouvelles institutions.

251
La tâche des économistes, toutes options idéologiques confondues, est
dřappréhender la situation dřensemble des pays africains, dřidentifier les éléments sur
lesquels il y a accord afin de définir le nouveau cadre général de concepts en phase
parfaite avec lřaxiomatique de la rationalité économique.
Les éléments à inclure dans ce cadre de concepts peuvent être jugés en
fonction des critères ci-après :
la définition dřobjectifs strictement économiques qui permettent de
sřengager dans la voie dřun développement durable et dřéchapper au piège
de la pauvreté;
la restructuration des institutions de gouvernance et la reconstruction de
lřÉtat en vue de la création dřun environnement institutionnel plus incitatif
pour les politiques de développement ;
la mise en œuvre de politiques sectorielles pertinentes dans le cadre dřune
estimation réaliste de la dotation en ressources naturelles, et qui accordent
à lřagriculture et aux technologies un rôle moteur dans la réalisation de la
croissance ;
lřélaboration de politiques publiques efficaces dřallocation optimale des
ressources en faveur des activités productives;
le choix dřune politique de redistribution des revenus qui maximise les
potentialités endogènes de développement ;
la mobilisation de la communauté internationale dans le cadre dřun
nouveau ;
partenariat qui accroisse les ressources financières à long terme et les
investissements privés directs étrangers.

1°) Approche positive de l’émergence économique

Dans la littérature, il nřexiste pas de définition universelle du concept


dřéconomie émergente. Les conceptions diffèrent dřun auteur à un autre et surtout
dřune institution à une autre. Lřémergence nřest pas seulement un concept
dynamique, elle est un concept plus global qui ne se polarise pas seulement sur un
marché, une bourse, une place financière, elle concerne le pays tout entier.
Dès lors, un pays peut être considéré comme émergent pour deux raisons bien
distinctes. Dřune part, il connaît un taux de croissance relativement élevé sur une
période longue, parce quřil a réussi à développer son commerce extérieur et à
accroître sensiblement ses exportations ; notamment de produits manufacturés dans
lesquels il sřest spécialisé : il sřest alors intégré au marché mondial. Dřautre part, il a
institué ou réactivé un marché financier sur lequel les transactions peuvent se
développer parce quřil a incité les entreprises à se financer de cette façon à partir de
lřépargne aussi bien nationale quřétrangère; il a probablement rendu sa monnaie
convertible et libéré les flux de capitaux : il sřest intégré à la finance internationale.
Le maintien de ce double mouvement devrait déclencher un processus de
rattrapage économique des pays développés. Vu sous cet angle, quatorze pays sont
retenus comme pays émergents ; Hong Kong, Singapour, Malaisie, Taïwan,
Thaïlande, Indonésie, Philippines, Corée du Sud, Colombie, Chili, Mexique, Brésil,
Argentine et Venezuela (Banque Mondiale dans sa revue «Working Paper»). Pour
couper court à toute confusion entre pays émergents et nouveaux pays industrialisés,
la Banque Mondiale retient seulement les pays émergents dřAsie de lřEst comme les
nouveaux pays industrialisés. La célèbre revue«The Economist» dans sa section
«Emerging Market Indicator» publie des informations statistiques sur un ensemble
de pays comprenant en plus des pays retenus par la Banque Mondiale, la Grèce,

252
Israël, le Portugal, la Pologne, la Turquie, la Hongrie, la Russie, la République
Tchèque et lřAfrique du Sud.
Dřautres auteurs, tout en acceptant le point de vue de la Banque Mondiale, se
demandent si la Tunisie, le Botswana, et lřÎle Maurice ne peuvent pas être considérés
comme des pays émergents du Contient africain. Au regard des deux critères avancés,
ils ne le sont pas, ce qui permet alors dřintroduire le concept médian de pays sub-
émergents cřest-à-dire des pays qui mettent toutes les conditions en place pour
devenir des pays émergents.

2°) Approche normative et pré-requis de l’émergence.

Lorsquřon analyse la performance supérieure de lřAsie, pendant ces 30


dernières années, elle est attribuable selon LINDAUER ET ROMER (1993) à trois
éléments interdépendants comme le mode de gouvernance et la qualité des
institutions de lřéconomie, lřutilisation optimale des facteurs de production
disponibles et le contenu de la stratégie de développement. La conjugaison de ces
éléments a généré lřouverture sur les marchés extérieurs, le dynamisme du secteur
privé, lřefficience de lřadministration, des systèmes financiers, de la main dřœuvre,
les infrastructures et les institutions dřencadrement. Il faut chercher à quantifier tous
ces éléments pour mieux comprendre le processus de génération de cette croissance
durable en Asie.
Dans leur essence, les réformes entreprises qui ont doté ces économies des
caractéristiques suivantes :

a) L’ouverture sur le marché international

La théorie économique depuis ses pères fondateurs Adams Smith et David


Ricardo a toujours mis lřaccent sur le commerce international ; les
avantages rattachés à une ouverture se résument à :
une plus forte spécialisation basée sur la théorie ricardienne des avantages
comparatifs ;
un plus grand accès aux innovations technologiques ;
une pression plus forte pour lřamélioration de la compétitivité des
entreprises locales ;
une réduction des activités improductives.

b) Le développement du système financier

À travers la théorie du multiplicateur, lřanalyse keynésienne a montré que


lřinvestissement est un élément clé de la croissance, or lřinvestissement nřest optimal
que si le système bancaire accorde des crédits. Pour le développement du système
financier, les pays dřAmérique Latine ont procédé dans une première étape à une
libéralisation tous azimuts avant de mettre en œuvre des mesures dřaccompagnement
à la libéralisation initiale.
Le dynamisme du secteur financier sera mesuré par le ratio de crédits alloués
au privé sur le PIB.

c) La libéralisation du marché du travail

Le cadre de concurrence accru liée à la mondialisation rend indispensable que


les entreprises aient le moins de contraintes possibles. Ces contraintes allant de la

253
rigidité des salaires à cause de puissantes organisations syndicales et de normes
institutionnelles (salaire minimum) à des conditions dřembauche et de licenciement
très onéreuses. En fait, lřobjectif de plein emploi nřest réalisable quřavec un marché
du travail flexible qui permet lřajustement entre lřoffre et la demande de travail. Les
réformes qui ont eu lieu dans ce domaine visaient à lever lřensemble des distorsions, y
compris celles relatives aux effectifs pléthoriques de lřadministration. Pour tenir
compte de cet aspect, on retiendra comme indicateur le ratio constitué de lřemploi
dans le secteur public sur lřemploi total dans le secteur non agricole.

d) La réduction de la taille du secteur public

Lřobjectif visé est dřune part, le remplacement du grand nombre dřentreprises


publiques extrêmement protégées et inefficientes par des entreprises privées plus
compétitives et, dřautre part, la suppression des monopoles pour que la fonction
allocative du marché puisse être optimale.
Au début des années 80, les pays émergents ont réduit significativement leurs
emprunts publics, ce qui a attiré un tiers (1/3) des fonds privés destinés aux
infrastructures en Amérique Latine et la moitié (1/2) en Asie de lřEst.

e) L’utilisation efficiente et optimale des ressources publiques

La littérature économique atteste quřune bureaucratie lourde ne rime pas avec


des performances économiques car en fait, une large part des ressources devant
servir à lřinvestissement est utilisée pour entretenir cette bureaucratie à des fins de
consommation somptuaire.
En vue de mesurer les progrès obtenus dans ce domaine par les pays
émergents, le ratio des salaires de lřadministration sur les dépenses primaires est
utilisé.
f) La répartition équitable des fruits de la croissance

Pour ce faire, les gouvernements ont dû convaincre les élites économiques de


la nécessité de partager les fruits de la croissance avec les couches pauvres. Cřest ainsi
que le pourcentage des populations vivant au dessous du seuil de pauvreté nřa cessé
en effet de baisser dans ces pays : il est passé de 59% en 1962 à 26% en 1986 en
Thaïlande et de 58% en 1972 à 17% 10 ans plus tard en Indonésie.
Dans tous ces pays, la stratégie économique a été lřœuvre de technocrates
compétents, propres et à lřabri des ingérences publiques. En plus, les gouvernements
ont mis en place des cadres juridiques et réglementaires favorables à lřinitiative
privée. Ils ont également favorisé un dialogue permanent entre les milieux dřaffaires
et le pouvoir public, ce qui a permis de rendre les règles du jeu claires et
transparentes et de susciter la confiance du privé.

254
Encadré 18 : Les "Six E" de la réussite de l'Asie orientale : Une originalité
usurpée
Malgré la crise financière d'août 1997 et les retombées récentes, les performances de
l'Asie Orientale restent remarquables ces dernières décennies. Les origines de la forte
croissance ont été répertoriées et résumées par les " six E " de la réussite qui sont les
suivantes :
1- État interventionniste et autoritaire dans le domaine social
2- Épargne prioritaire et frugalité des consommateurs
3- Éducation efficace largement financée par les ménages
4- Entrepreneurs choyés par le régime
5- Exportations évolutives et flexibles à la demande mondiale
6- Exploitation de la main d'œuvre.
En fait, ces conditions ont été déjà réunies ailleurs dans le passé. Par exemple:
L'État guidait les entrepreneurs japonais au début de l'ère Meiji. Il crée lui même des
entreprises puis les cède aux Zaibatsu enrichies dans le négoce.
Il reste fortement présent par la suite. Partout l'État contrôle de près le mouvement
ouvrier.
L'épargne est la vertu cardinale de la bourgeoisie entrepreneuriale dans l'Europe du
XIXème siècle
L'éducation est considérée comme une composante du progrès dès la fin du XVIIIe
siècle. Danton affirmait quř « Après le pain c'est de l'instruction qu'à besoin le peuple ».
Lřentrepreneur est dans tout lřOccident le héros schumpétérien de lřindustrialisation.
Les exportations sont devenues le moteur de la croissance industrielle en Allemagne
et au Japon dès la fin du XIXe siècle.
Enfin aucun pays capitaliste dans le passé, n'a réalisé sa première industrialisation
sans favoriser l'épargne des entreprises au détriment des salaires et de la consommation.
Dřoù le slogan « affamer pour développer ».
Paul KRUGMAN, Professeur au Massachusetts Institut of Technology (MIT)
présentait dans une entrevue avec la presse en juillet 1998 la réussite du modèle asiatique,
plutôt comme le fruit de la transpiration que de l'inspiration et concluait certes, l'Asie finira
par représenter la majeure partie du produit mondiale mais pour la seule raison qu'elle
regroupe la plupart des hommes de la planète (CINCEE international, n° 465, juillet1998).

Section 3 : Les préalables d’une politique de développement.


Il peut paraître assez facile de définir de manière volontariste une politique de
développement et de chercher les moyens de la réaliser ; pareille démarche nřest ni
réaliste ni efficace.
Le développement requiert des préalables économiques, financiers,
technologique et institutionnels qui doivent être sérieusement analysés à la lumière
des options idéologiques que les décideurs politiques se sont librement données. La
démarche la plus rigoureuse consiste à réaliser un diagnostic complet et sans
complaisance :
des options idéologiques adoptées par les décideurs politiques : libéralisme,
socialisme, voie intermédiaire en relation avec les autorités politiques et
les agents du développement dont la collaboration est indispensable car,
comme lřindique F.PERROUX, une politique de croissance économique est
impérativement une œuvre collective.
des structures et du fonctionnement de lřéconomie pour connaître avec
exactitude ses potentialités réelles, les institutions qui les gouvernent

255
des options sectorielles consistant à la définition de la politique agricole,
industrielle, à lřélaboration des politiques économiques de services, de
technologie, de financement interne et externe
des cadres chargés de lřélaboration des politiques économiques
dřadministration et de gestion
de la définition des instruments et techniques de gestion du développement
Ce diagnostic constitue le point de départ obligé de toute politique de
développement, surtout pour les PSD nouvellement indépendants. Cřest cette
importance qui explique quřelles ont suscité de vives polémiques dans la pensée
économique marxiste et universitaire.
Ces réflexions théoriques de quelque côté idéologique que lřon se situe,
tournent autour dřune triple problématique :
les voies de lřindustrialisation,
la stratégie de développement agricole et ses relations avec lřindustrie,
la place des relations économiques internationales dans le processus
interne de transformation.
Chaque problématique implique diverses options qui nřont pas les mêmes
conséquences : les dilemmes qui en résultent ne peuvent rester ouverts en
permanence et sont autant de questions auxquelles il faut apporter des réponses très
précises. Il nous faut en conséquence les analyser pour déceler les solutions
adéquates sur lesquelles peuvent se fonder des politiques économiques claires.

I/ Quel modèle d’industrialisation ?

La politique dřindustrialisation est une composante essentielle de toute


stratégie de développement économique et social. Elle consiste à mettre en place des
capacités physiques de production susceptibles non seulement de valoriser les
matières premières afin dřen tirer le maximum de plus-value mais aussi de garantir
lřautonomie économique nationale en biens industriels. Lřobjectif primordial est de
créer une capacité dřoffre de substitution aux importations et de valorisation à
lřexportation, après transformations industrielles des productions agricoles et
minières.
Conformément aux théories économiques dominantes dans les années 50,
lřindustrie avait pour fonction dřassurer la transformation de la production agricole et
minière, et de fournir aux agriculteurs les intrants et le matériel dont ils avaient
besoin pour élever la productivité. En retour, le surplus dégagé par le secteur
primaire devait servir à financer lřindustrie naissante, laquelle devait être en mesure
dřemployer une main-dřœuvre excédentaire libérée par lřaccroissement de la
productivité dans le monde rural. Lřexportation des produits agricoles et miniers
devait de leur côté servir à lřachat de biens dřéquipement importés nécessaires à
lřindustrie tandis que celle-ci devait générer elle-même les devises indispensables.
Dans ce contexte, le modèle dřindustrialisation par substitution aux
importations et celui des industries industrialisantes (développement de filières)
appliqué depuis les années 30 en Amérique Latine avaient séduit de nombreux pays
en développement. Dans ce modèle, les industries de produits finis ont été
vigoureusement protégées au moyen de barrières douanières (tarifaires ou non)
accompagnées de taux de change multiples et surévalués (pénalisant pour les
exportations), de subventions et de monopoles. Incontestablement, cette politique a
permis à certains grands pays dřAmérique Latine (Brésil, Mexique, Venezuela) de se
doter dřun tissu industriel diversifié (sidérurgie, automobile, chimie, agro-
alimentaire, etc.) sans prendre en compte leurs avantages comparatifs.

256
Aujourdřhui, il apparaît nettement que cette stratégie dřindustrialisation sřest
essoufflée en produisant un ensemble de conséquences négatives dans les économies
notamment :
des déséquilibres internes et externes avec déficit budgétaire,
hyperinflation et surendettement;
dépendance accrue vis-à-vis de lřextérieur (biens dřéquipements et biens
intermédiaires) ;
faible compétitivité et fragile positionnement commercial dans le système
international.
La crise de la dette, lřapprofondissement des déséquilibres internes et surtout,
lřisolante expansion de lřAsie du Sud-est à partir dřune stratégie dřindustrialisation
par promotion des exportations (IPE) amènent à sřinterroger sur les possibilités
réelles de lřISI, notamment pour des PVD.
Plus gravement on peut se demander si aujourdřhui lřindustrialisation est
possible, particulièrement pour les PSD africains ? Théoriquement le modèle
dřindustrialisation dans la pensée économique est une conséquence issue des
schémas de la reproduction élargie développés par K. MARX. Sans reprendre le
fonctionnement des schémas, on peut apporter quelques précisions pour comprendre
les formes industrielles quřils impliquent. En effet, dans la reproduction élargie, la
totalité de la plus-value qui se forme nřest pas improductivement consommée, une
part est utilisée pour lřachat dřéléments additionnels du capital productif ; ce qui
suppose que le montant du capital variable et de la plus-value de la section qui
produit les biens de production doit être supérieur au capital constant de la section
productrice des biens de consommation. Cřest là la condition de base de la
reproduction élargie. La réalisation de cette condition exige que le capital variable et
la plus-value de la première section augmentent plus rapidement que les mêmes
éléments de la section deuxième.
En clair, un modèle dřindustrialisation est précisément rapide parce que la
production des moyens de production est plus rapide que celle des biens de
consommation, ce qui sřexprime dans lřélévation permanente de la composition
organique du capital. Cet aspect de la question a été développé dans le «Capital » de
Marx»qui raisonnait à partir dřune composition organique invariable. Dans le
système capitaliste, ce qui croît avec le plus de rapidité, cřest la production des
moyens de consommation et le plus lentement, la production des moyens de
production»
À partir de ces considérations, la loi de la priorité de lřaccroissement de la
production des moyens de production a été mise en œuvre Ŕ G. DESTANNE DE
BERNIS lřappelle « les industries industrialisantes » ? En faisant un peu dřhistoire,
on constate que ce schéma a permis lřindustrialisation accélérée des pays du
socialisme réel. Les théoriciens post-Marxistes ont surtout développé cette idée selon
laquelle le socialisme ne peut être édifié que sur la base de la grosse industrie
mécanisée qui est seule capable de réorganiser lřagriculture151. Cela se comprenait
parfaitement car lřexpérience socialiste se déroulait dans des pays agraires donc
industriellement arriérés. Cřest surtout STALINE qui a élevé cette conception au
rang dřune option rigide selon laquelle une prépondérance absolue doit être accordée
« à lřaccroissement de la production des moyens de production » car cette production
a le devoir dřassurer lřéquipement de ses propres entreprises et des entreprises de

151 Idem. : Thèse développée lors du lřIIIe Congrès de lřInternationale Communiste.

257
toutes les autres branches économiques ; mais aussi parce que sans elle, il est
absolument impossible de réaliser la reproduction élargie152.
Désormais, le centre de lřindustrialisation aura sa base dans le développement
de lřindustrie lourde153. Lřavènement de ce dogme sřest fait sur la liquidation
successive de deux conceptions qui se dessinaient depuis la NEP : celle de N.
BOUKHARINE et celle de lřopposition de la gauche représentée par L. TROTSKY et
E. PREOBRAJENSKY. Le premier soutenait que la priorité dans le développement
devait être accordée à lřagriculture qui peut créer un surplus disponible pour
lřexportation et lřexpansion du secteur industriel. Ce développement de lřagriculture
permettrait une nourriture correcte des villes et de plus, fournirait les matières
premières nécessaires pour lřindustrie. Cette dernière disposerait de débouchés pour
ses produits. Ces positions théoriques ont été vivement prises à partie par
lřopposition de gauche qui défendait lřidée quřil fallait développer lřindustrie par une
mobilisation des ressources disponibles. Celles-ci doivent nourrir de nouveaux
investissements productifs. Elles proviendraient dřune restriction des consommations
au niveau dřune agriculture intégralement socialisée. Une synthèse de ces deux
positions théoriques est réalisée avec l »imposition dřune collectivisation forcée de
lřagriculture permettant une mobilisation obligatoire des surplus pour le financement
de lřindustrialisation.
Cřest donc sur cette base que se développe la croissance prioritaire de
lřindustrie lourde qui doit permettre de rattraper et de dépasser le pays capitaliste le
plus avancé : les États-Unis. Les théoriciens soviétiques de lřépoque remarquaient
que lřUnion Soviétique était en retard dřune cinquantaine dřannées sur les pays
avancés et quřelle devait parcourir cette distance en dix ans. Sur cette base va se
consolider la thèse selon laquelle lřindustrialisation véritable a pour fondement la loi
de la croissance prioritaire du secteur I que Marie LAVIGNE formule de la manière
suivante «dans les conditions de la grande production moderne, la croissance plus
rapide de la production du secteur I par rapport à celle du secteur II est une
nécessité»154.

II/ Les relations entre l’industrie et l’agriculture

Ces relations sont apparentes à partir de lřélucidation du rôle de lřagriculture


dans la stratégie de développement économique et social. En fait, dans les PSD, les
activités agricoles occupent une place décisive et accomplissent les fonctions
économiques et sociales exorbitantes.
Lřagriculture est lřactivité dominante de la majorité de la population active.
Elle fournit lřessentiel des recettes dřexportation qui assurent les finances publiques.
Pourtant, le rang de lřagriculture dans la hiérarchie sociale est bien en-deçà de cette
place dans le procès de production. Toutes les statistiques établissent que dans les
formations sous-développées, le niveau de vie des paysans est extrêmement faible par
suite dřune distribution trop inégalitaire des revenus et des diverses ponctions
opérées par lřÉtat et les autres couches sociales intervenant dans le secteur agricole.
Plus grave, le capitalisme périphérique accentue cette situation au lieu de lřaméliorer.
Il en résulte que la participation effective des masses rurales au développement est
faible car lřagriculture ne remplit pas sa triple fonction de centralisation des surplus
pour le secteur. Lřaccomplissement normal de ces fonctions permet lřamorce dřun

152 J. STALINE : Les problèmes économiques du Socialisme.


153 Idem. : La situation économique de lřUnion Soviétique et la Politique du parti.
154 Marie LAVIGNE : Les économies socialistes soviétiques et européennes, p. 190.

258
développement autocentré et dřautres avantages, dont lřamélioration des conditions
dřexistence et de travail du monde rural. Dès lors, la transition appelle une stratégie
impliquant une politique économique claire dans le secteur agricole.
Cette stratégie passe par une remise en question des structures, de
lřorientation de la production et des conditions de travail. En effet, on a déjà vu que la
distorsion en faveur des activités exportatrices était à la base de la spécialisation dans
la dépendance. La production sřeffectue dans des conditions de très faible
productivité préjudiciable aux producteurs immédiats et à lřéconomie nationale.
Lřextension de telles activités se fait au détriment des cultures vivrières et il en résulte
une accentuation du déficit alimentaire. Lřagriculture est placée dans une situation de
crise. On lřa réellement condamné à ne plus accomplir les autres fonctions vitales,
notamment les investissements productifs pour lřélargissement de la production. Il
est dřailleurs arrivé à un seuil limite de pression où les agriculteurs se sont révoltés en
refusant systématiquement dřassurer lřapprovisionnement des villes. Cřest dire toute
la délicatesse du problème qui est un élément fondamental de la répartition des
revenus dans la transition. LřÉtat doit veiller au respect dřun certain équilibre qui
assure une reproduction normale dans tous les secteurs économiques.
LřÉtat a pour autre tâche de trouver une place aux relations économiques
internationales pour que celles-ci ne reproduisent les mécanismes de lřéchange inégal
qui entraînerait un transfert de ressources des formations sous-développées vers le
système capitaliste mondial. Il importe alors dřavoir une orientation précise en
matière de relations commerciales avec lřextérieur.

III/ Les relations économiques internationales dans la stratégie de


développement

Ce problème analysé sous plusieurs angles montre chaque fois, que les
relations extérieures dans les PSD occupent une place centrale en matière
dřexportations des matières premières, dřimportations des biens dřéquipement et de
consommation mais aussi de recherche de transferts financiers et technologiques. La
politique des échanges extérieurs a pour objectifs principaux de corriger les
conséquences d'une spécialisation fâcheuse- et de préparer l'adaptation de l'économie
au commerce international en facilitant sa diversification et la formation du capital.
Cřest ainsi que J. VINER affirme que la théorie de la division internationale du travail
et du commerce international de Smith et de Ricardo avait mieux résisté à lřépreuve
du temps que les autres aspects de leur doctrine. G. HABERLER, autre auteur
contemporain, faisant autorité en la matière, considère lui aussi quřen comparaison
des autres éléments de la doctrine classique. Cette théorie « a conservé sa valeur
dřune manière étonnante. Elle a survécu à la révolution marginaliste et keynésienne
sans grand dommage pour ses thèses essentielles ». Selon G. MEIER, « la théorie
classique du commerce international a fait preuve quřelle était capable dřassimiler les
modifications apportées par le progrès de la théorie économique générale ».
La principale conclusion à tirer de la théorie dřHECKSCHER-OHLIN, est que
chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la fabrication et lřexportation de
marchandises exigeant des facteurs de production qui y sont relativement abondants
et, de ce fait, relativement bon marché. Ces deux auteurs ont déduit leur analyse de
lřexpérience de la Suède qui était parmi les pays les plus « commerçants » du monde.
Le contingent dřexportation de lřindustrie suédoise était très élevé, environ 55 à 60%
de la production du pays sont vendus à lřétranger. Cette dépendance du pays à lřégard
du marché extérieur explique le grand intérêt que les économistes suédois avaient
porté aux problèmes du commerce extérieur.

259
Les théories néo-classiques estiment que les relations extérieures doivent
compenser les infériorités relatives dans les dotations comparées en facteurs à partir
dřun commerce sans entraves. Cependant, il reste et, ce sera démontré plus loin, que
les chances de développement sont inégales et se répartissent en fonction de la taille
des nations. Les relations commerciales ont-elles permis de réduire les écarts
technologiques et de développement, le déficit extérieur et lřendettement des
formations sous-développées ?
Les théories de lřéchange inégal, affirment que les relations économiques
internationales opèrent diverses formes de transferts de ressources des PSD vers les
pays développés. La détérioration des termes de lřéchange est présentée comme une
manifestation de tels transferts. Pourtant, elle ne représente que la partie visible de
lřiceberg, il y a bien dřautres formes cachées et parfois occultes de transferts. Cřest
dire que lřéconomie mondiale ne régule pas harmonieusement et égalitairement les
ressources financières comme lřaffirme la théorie de la croissance transmise.
Dans ces conditions, les PSD doivent trouver une stratégie du commerce avec
lřextérieur qui nřannule point les effets positifs de la politique économique interne par
le transfert de ressources rares au système mondial. Les éléments dřune telle
stratégie sont dřune conceptualisation facile et consistent en une double action
dialectiquement liée à lřaccroissement de lřoffre des biens dřexportation et dřautre
part, à une diminution des importations. Si en lřapparence, les actions sont simples,
elles suscitent dans leur concrétisation dřénormes difficultés que seule une
planification adéquate peut résoudre.
Pour que cette planification ne soit point une coquille creuse, elle doit être
portée par des politiques claires dřexportation et dřimportation. Au niveau des
exportations, le problème est dřabord de connaître les biens exportables qui
fournissent pour un pays des avantages comparatifs importants. Sur cette base, on
pourra développer une industrie et des activités agricoles travaillant exclusivement
pour lřextérieur. Une fois le choix opéré sur les biens, le plan pourra fixer un seuil
dřefficience des exportations. Ensuite, il sřagira de dégager les allocations
dřinvestissements destinées au secteur exportateur.
Pour les importations, le problème nřest point de les minimiser dans lřabsolu,
mais plutôt dřopérer une sélection sur les biens importés en fonction de deux (02)
critères de nécessité dans le processus dřexpansion et dřopportunité alternative. Le
premier pose que certains biens indispensables dans la structure nationale doivent
être nécessairement importés. Cřest donc un choix impératif car lřexpansion dans ce
cas ne peut se poursuivre que par un accroissement des importations, il nřexiste pas
dřautre choix. Le second suppose que lřimportation soit réalisée lorsquřelle présente
des avantages plus grands que si les biens concernés étaient localement produits.
Dans un cas comme dans un autre, le planificateur procède à des arbitrages tenant
compte des avantages économiques réels que lřéconomie nationale peut tirer les
importations. Globalement dřailleurs, les formations sous-développées qui sont pour
la plupart de petits pays « ne peuvent développer la production de toute la gamme de
machines nécessaires à une économie moderne et fabriquer tous les produits
intermédiaires, étant donné le coût du capital requis et les déséconomies dřéchelle».
Le planificateur doit avoir en matière de commerce extérieur des objectifs
précis à réaliser. Bien que ceux-ci soient multiples et multiformes, un au moins nous
semble essentiel : la couverture des importations ou la diminution de leur niveau réel.
En effet, dans des formations sociales où existe un déficit systématique et chronique
de la balance commerciale, une politique de couverture des importations est une
impérieuse nécessité, mais elle passe par un développement des activités
exportatrices. Dans cette optique, la problématique des relations avec lřextérieur pose

260
lřallocation des ressources aux secteurs dřexportation. Lřobjectif visé peut être
également une diminution des importations obtenue par des mesures
administratives, protectionnistes ou monétaires. Dans un cas comme dans lřautre,
une planification efficiente exige un contrôle, une maîtrise des opérateurs
économiques établissant le joint avec lřextérieur. En plus, la planification appelle une
rigoureuse politique monétaire dřaccompagnement, laquelle doit être assise sur lřétat
effectif des réserves disponibles au moment où le pays amorce la transition. À titre
illustratif, Serge KOLM estime que différentes actions sont possibles selon les
réserves héritées de la société antérieure.
Dans une situation, par exemple, de liquidités excessives, on peut envisager
une politique dřachat de biens utiles ; ce qui aurait pour conséquence immédiate un
alourdissement du déficit de la balance commerciale, mais qui nřentraîne pas en
réalité une baisse de la valeur internationale de la monnaie. La dévaluation peut
également se présenter comme une autre formule dřutilisation des excédents de
liquidités surtout lorsque la situation de sous-emploi est caractéristique. Elle
contribue alors à augmenter les prix extérieurs et partant à décourager les
importations. Ces considérations, sans doute très vagues, ne peuvent refléter toutes
les situations particulières des formations sociales en transition et les diverses
attitudes que prend lřenvironnement international. Disons simplement que toute
planification efficiente du commerce extérieur sřaccompagne nécessairement dřune
politique monétaire, car comme lřobserve S.C. KOLM, «ce problème monétaire
extérieur peut être anodin ou mortel selon quřon en tient compte à temps ou trop
tard»155.
Nous avons passé en revue les divers domaines où des options très claires
doivent être prises. Ces options éclairent et conditionnent les actions conjoncturelles
à court terme que les autorités (qui ont en charge la politique économique) doivent
comprendre. Ces diverses actions sont réalisées avec des instruments techniques au
premier rang desquels on a la planification et ceux liées au marché.

Section 4 : Fonctions et techniques de la planification, de la


prévision et de la prospective au niveau des PSD.
Il est difficile de trouver une définition consensuelle de la planification bien
quřelle occupe dans plusieurs pays une place centrale et joue un rôle déterminant
pour les pouvoirs publics qui, parfois, en font un instrument technique dřéclairage de
leur processus décisionnel, de la cohérence et de la pertinence de leurs choix
économiques et sociaux. Approximativement, la planification est un
interventionnisme de lřÉtat visant à organiser lřéconomie nationale en sřassurant de
lřatteinte des objectifs poursuivis dans une période de temps. Dans un système
socialiste caractérisé par une appropriation collective des moyens de production, elle
doit rendre possible ce que le marché ne permet pas, à savoir la définition dřune
vision à long terme et la recherche de lřintérêt général. À cette planification
impérative sřoppose une planification indicative qui a eu ses lettres de noblesse avec
Pierre MASSE et tente de concilier Plan et marché cřest-à-dire que le Plan est
impératif pour lřÉtat mais indicatif pour tous les autres acteurs de lřéconomie
nationale. Ses objectifs sont de trois ordres : réduire les incertitudes, servir de cadre à
moyen terme à la politique économique et servir à lřÉtat de budget pluriannuel.

Serge Christophe KOLM : La transition socialiste, la politique économique de gauche, p. 137. Édit.
155

Cerf, Paris, 1977.

261
Socialistes comme libéraux en ont une compréhension et une utilisation au
service de la réalisation de leurs objectifs : planification centralisée et rigoureuse au
service dřune économie largement appropriée par lřÉtat et planification indicative,
directive et incitative en complémentarité avec les mécanismes du marché dans la
pure tradition libérale. La mixture des deux conceptions est utile aux pays qui ne
sont ni dans lřune, ni dans lřautre des deux situations idéologiques et qui rejettent le
manichéisme et tentent une synthèse utilisable.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la planification connut une
diffusion et une application de plus en plus importantes, sous des formes diverses, à
travers le monde et plus particulièrement dans les pays sous-développés dont
certains venaient dřaccéder à lřindépendance nationale. Cette évolution tient
essentiellement à lřinfluence conjuguée de trois principaux facteurs :
dřabord, la planification soviétique commencée depuis 1928 et dont les
résultats spectaculaires vont influencer largement la théorie du
développement naissante ;
ensuite, la planification européenne dřaprès-guerre mise en place pour
lřaccélération de la reconstruction notamment en France et Hollande ;
enfin, la théorie keynésienne et néo-keynésienne dont les mécanismes
cumulatifs dřinvestissement, de création de richesse et de distribution de
revenus permettent de relancer et de dynamiser à fond les économies.
Cřest ainsi que de 1950 à nos jours, il a été recensé quelques 300 plans
nationaux de développement à travers lřensemble des PVD. En 1983, 80 pays du
Tiers-Monde avaient un plan. Le Mali (de 1960 à 1967) et lřAlgérie représentent en
Afrique les plus grandes expériences en matière de planification.
Globalement, les objectifs visés par les plans, bien que très divers, peuvent être
regroupés en quatre catégories :
La promotion de lřaccumulation primitive interne en vue de lřinvestissement :
pour cela, les plans devaient sřemployer à mobiliser toutes les ressources nationales
en vue du financement du développement. De la sorte, on espérait accélérer
lřélévation des forces productives sur des bases endogènes.
La valorisation maximale des effets dřentraînement des investissements sur
lřéconomie nationale : à ce titre, cette priorité devait être accordée aux projets ayant
dřimportants effets multiplicateurs et suffisamment intégrés en vue du renforcement
des relations inter-sectorielles. Elle devait également lřêtre à lřutilisation de
technologies appropriées qui évite de désarticuler lřéconomie à travers des effets
pervers indésirables.
Lřédification dřune économie nationale mieux articulée, à forte capacité de
résistance vis-à-vis des chocs exogènes et à redistribution plus équitable des richesses
produites : pour ce faire, lřinvestissement se devait dřêtre prioritairement orienté vers
des productions (de biens et services) destinées à satisfaire les besoins de base des
populations (alimentation, habitat social, éducation, santé entre autres…). De même,
il revenait au plan dřexplorer et dřexpliquer utilement lřensemble des voies et moyens
susceptibles de réduire le plus possible la dépendance extérieure du pays.
La mise en place de dispositifs complémentaires dřordre administratif pour
lutter contre les tendances à lřinégalité économique et sociale dans le cadre de la
croissance économique.

I/ Considérations générales sur le processus de planification

La généralisation de lřutilisation du concept et de la pratique de la planification


dans les pays sous-développés est un trait dominant de la vie sociale. Au double point

262
de vue pratique et théorique, la planification est dřorigine soviétique, même si les
idées quřelle recouvre peuvent remonter très loin dans lřhistoire. La pratique démarre
avec le premier plan de 1928 qui était établi selon une prévision des rythmes et des
proportions de développement économique. Dans la nouvelle République des Soviets
en pleines mutations structurelles et totalement coupées de la division internationale
capitaliste du travail, il fallait trouver une technique de mise en œuvre consciente et
rationnelle des ressources nationales en vue de leur utilisation optimale au service
des objectifs socio-économiques nettement spécifiés.
La planification se perfectionnera pour devenir en dernière instance
lřinstrument qui définit les tâches et objectifs du développement ainsi que les
méthodes et moyens de les réaliser. Enfin, il fixe les ressources à mobiliser et
détermine les délais de réalisation. Le plan est alors un instrument de régulation et de
direction de la vie économique et sociale.
Pourtant, les fondements théoriques de départ de la planification étaient
extrêmement réduits. Cřest une discipline dans laquelle la pratique a devancé la
théorie.
On ne trouve pas dans les travaux scientifiques des économistes une solide,
complète et cohérente formulation du processus planifié dřune économie nationale.
Tout au plus, dans tel ou tel ouvrage théorique, on peut découvrir quelques allusions,
quelques approximations totalement incapables de fonder une praxis consistante.
Autant la position implicite de MARX au sujet du principe de la planification est
claire, autant il est difficile de trouver dans ses ouvrages des références explicites,
mêmes indirectes, tandis que fait défaut toute prise de position directe et générale.
En clair, les planificateurs sont partis uniquement armés des instruments
quřils se sont forgés eux-mêmes156. Ce sont toutes ces raisons qui ont naguère fait
apparaître la planification comme un attribut des économies socialistes.
Après leur accession à lřindépendance, les PSD ayant opté pour des politiques
de croissance accélérée en vue de combler leur retard économique, moderniser leur
système productif dans tous ses secteurs et résoudre les problèmes dřemploi de la
main-dřœuvre, ont eu recours à la planification mais à la suite de vives polémiques et
controverses.
Lřadhésion à lřidée de planification nřest pas tombée sous le sens et a été
accueillie au départ avec méfiance. Deux tendances aux visions très différenciées se
sont vivement opposées sur lřopportunité et la nécessité dřamorcer un processus
planifié des économies157 .
La première tendance était parfaitement hostile, estimant que la planification
est une technique impossible à appliquer dans les formations sahéliennes
caractérisées par le sous-développement économique et social. Une série dřarguments
est avancée pour appuyer cette thèse.
Dřabord, la planification est un instrument de réduction des incertitudes et
sřappuie sur un appareil statistique et des modèles scientifiques de prévisions. Or, ces
éléments déterminants sont encore très loin dřêtre réunis. Ensuite, elle est une
technique de maîtrise du développement. Là encore, la dépendance qui est un trait
dominant au niveau des économies subsahariennes fait que celles-ci fonctionnent
par et pour lřéconomie mondiale qui est le centre de décision ultime. Enfin, la lecture
des expériences de planification centralisée établit que la planification est souvent

156 BOBROWSKY souligne avec pertinence que ni la théorie soviétique, ni à plus forte raison la théorie
bourgeoise ne leur ont fourni des instruments valables et utilisables. Ils ont donc été leurs propres
maîtres.
157 Voir le point réalisé par Michel GAUD : Les premières expériences de la planification en Afrique

Noire.

263
synonyme de lourdes bureaucraties inefficientes et coûteuses. Également, elle
apparaît comme liée à la démultiplication de procédures stérilisantes qui annihilent
toute initiative. À tout cela sřajoutent aussi les déficiences quantitatives et qualitatives
des cadres susceptibles dřactionner le plan. Pour toutes ces raisons, les tenants de
cette conception recommandent lřobservation dřune démarche prudente et la prise en
considération de préalables sans lesquels le processus de planification est
irrémédiablement voué à lřéchec, à savoir : la disposition dřune base statistique large
et de cadres compétents, le contrôle de lřéconomie et lřexistence dřune structure
institutionnelle, fonctionnelle.
La seconde tendance développe des arguments inverses. Elle part de lřidée que
lřaction de lřhomme dans un environnement instable et hostile ne saurait être
abandonnée à la turbulence des forces de la nature et du marché. La technique de la
planification doit permettre lřorganisation de cette nécessaire maîtrise du
développement dans cet environnement incertain et à risque. En plus, elle est la seule
alternative à lřanarchie héritée des mécanismes et rouages de lřéconomie coloniale de
traite. Elle seule permet dřindiquer les voies et moyens pour discipliner les efforts
collectifs et atteindre les objectifs de croissance économique et sociale préalablement
fixés. En conséquence, non seulement le plan indique les actions à entreprendre,
mais également désigne explicitement ou implicitement «une éthique des valeurs
sociales et une philosophie de la condition humaine».
Comme on le voit, ces controverses théoriques passionnées sont empreintes
dřarrière-pensées et préjugés idéologiques et politiques. Cependant, elles seront
déterminantes quant à la fixation des cadres mêmes de la planification et des
conditions de mise en œuvre dřun processus planifié des économies sous-
développées. Le débat établira, en dernière analyse, que si la planification est une
nécessité pour une accélération et un contrôle du développement, pour une
utilisation optimale et efficiente des ressources et la promotion au niveau global du
principe de non gaspillage. Son instauration dans les PSD appelle lřadaptation de ses
méthodes et techniques aux réalités socio-économiques quřelle doit servir, et la
progressivité quant à lřinstauration des mécanismes et structures institutionnelles
caractéristiques du processus planifié.
Sur le premier point, tout le monde sřaccorde pour reconnaître quřil nřexiste
pas de planification en soi, autrement dit, il ne saurait exister un modèle universel de
planification car cette technique est « appliquée pour résoudre des problèmes socio-
économiques bien déterminés»… Ainsi, le pessimisme relatif à lřutilisation éventuelle,
par les pays dřAfrique, de la planification occidentale ne signifie en aucune manière le
recours à lřautre lřextrémité : copier aveuglément la planification socialiste. En effet, il
semble que la transplantation automatique dans les pays dřAfrique des formes et des
méthodes de la planification contemporaine socialiste relève de lřaventurisme
économique158.
Les méthodes et techniques de la planification doivent, en toute conséquence,
sřadapter aux particularités historiques, sociales et économiques du pays. Même en
sřinspirant des expériences entreprises dřailleurs qui peuvent conduire au succès, le
planificateur africain est condamné à trouver la juste mesure entre les traits
universels de sa science et les traits particuliers.
La seconde condition concerne la progressivité du processus planifié des
économies. Elle prend appui sur les déficiences des statistiques, permettant dřéclairer
les décisions, la méconnaissance des mécanismes économiques et lřinsuffisance de
cadres techniques compétents et de structures institutionnelles effectivement

158 Youri POPOV : Aspects méthodologiques de la planification. Revue algérienne, n° 1, mars 1967.

264
appropriées. Ces éléments constituent des obstacles, des goulots dřétranglements qui
imposent lřobservation dřun étatisme dans lřinstallation des mécanismes et
techniques de la planification.
Les débats théoriques qui ont induit certaines conditions pour lřaccession à la
planification ont, en définitive, imposé partout dans les PSD, des systèmes hybrides
tenant à la fois de la planification souple appliquée dans les pays à économie de
marché et de la planification centralisée des pays socialistes.
La méthodologie dans un tel cadre est forcément à mi-chemin entre le
pragmatisme et lřéconométrie.

Le pragmatisme découle du fait que :


le marché est libre et détermine le système des prix qui restent ainsi des
indicateurs de rareté,
les moyens de production et les unités économiques ne relèvent pas de la
propriété sociale même sřil existe un secteur public,
les économies sont articulées à la division internationale du travail, ce qui
leur interdit dřavoir une conjoncture autonome.
Les moyens dřaction dont disposent les planificateurs sont extrêmement
réduits. Le plan se présente alors comme un conglomérat de projets publics et privés
et ne lie que très peu les divers agents économiques. Il mémorise les actions à
entreprendre. Quant à lřaspect économétrique, il réside dans lřutilisation de modèles
simples établissant les liens entre les variables décisives de lřéconomie et le recours à
la prévision normative.
Ainsi, si lřon retient un taux de croissance estimé suffisamment performant, le
planificateur procède à des déductions lui permettant de fixer le volume désiré
dřinvestissement, dřépargne, le besoin de financement complémentaire, le volume de
lřemploi, etc.
Lřéconométrie permet dřétablir le niveau de toutes les grandeurs macro-
économiques. Si toutes les choses restent comme voulues par les hypothèses retenues
de croissance économique, ce niveau ainsi calculé des grandeurs indique les actions à
entreprendre en matière de politique fiscale et budgétaire, de relations économiques
internationales.
En définitive, tout aussi bien en matière de fixation des objectifs et des indices
à atteindre, de prévision macroéconomique quřen matière dřélaboration et
dřapplication de mesures destinées à atteindre les objectifs, la planification
sahélienne reste très empirique. Cřest cela qui explique que les plans de cette région
sont considérés, par certains auteurs, comme des coquilles creuses, élaborées par les
techniciens du développement, sans aucune participation populaire. Ces dernières
années, il y a eu de sérieuses amélioration portant sur :
les méthodes dřélaboration, dřexécution et de contrôle,
les cadres institutionnels et organes de gestion de la planification.
Au niveau des méthodes, les planificateurs de la "deuxième génération"
appréhendent avec plus de clarté les problèmes quřils doivent résoudre à savoir :

II/ Synopsis des étapes d’élaboration d’un Plan

Lřélaboration du Plan de lřéconomie nationale pourrait suivre les 6 étapes qui


suivent :
1. Évaluation du cadre socio-économique du pays, évaluation des
ressources, analyse de lřétat de lřéconomie au début du plan et des tendances du
développement économique qui se sont faits jour dans la période précédente ;

265
2. Prévision des options fondamentales du développement, du niveau des
besoins sociaux et des ressources pour lřavenir, prévision du progrès scientifique et
technique ;
3. Définition des objectifs et des tâches du développement économique
pour la période du plan, coordination de ceux-ci avec les objectifs du développement
à long terme, définition des options fondamentales du développement de lřéconomie
nationale et des méthodes de la politique économique.
4. Définition des taux et des coefficients de proportionnalité du
développement, projection des grands agrégats retenus de lřéconomie sur la période
considérée ;
5. Rédaction détaillée du plan de lřéconomie nationale et ses
démembrements au niveau local, régional ;
6. Définition des tâches des organes de suivi et dřévaluation des tâches du
plan à tous les échelons de concrétisation.
Si des efforts remarquables ont été réalisés au niveau méthodologique en
Afrique, ils le sont beaucoup moins dans la définition de cadres institutionnels de
gestion du processus planifié. Au plan politique, on peut observer la création du
Ministère du Plan dans tous les pays. Cela constitue incontestablement un important
pas en avant par rapport à la situation antérieure où la planification était confiée
souvent à une simple direction rattachée au Ministère de lřÉconomie et des Finances.
Le plus important dans cette nouvelle gestion devrait être le renforcement des
tendances nettes à la décentralisation du plan. Ce sera peut être la conception la plus
positive des plans de la deuxième génération. Les objectifs proclamés se résument à :
la répartition spatiale plus rationnelle des activités productives,
la promotion de lřinitiative locale en matière dřélaboration, dřexécution et
de contrôle du plan ; cela permet alors une meilleure prise en considération
des conditions et potentialités économiques des régions,
une meilleure répartition des secteurs et de lřinfrastructure.
Dans cette optique, la planification peut désormais aider à la promotion
économique de chaque collectivité locale, de chaque région en exploitant toutes les
potentialités, ce qui permettrait de résoudre progressivement le dualisme structurel
et les distorsions de lřéconomie sous-développée. En effet, lřhéritage économique et
structurel se caractérisait par les traits suivants : grands écarts de revenus entre les
différentes régions159, répartition inégale des infrastructures économiques et sociales,
répartition inégale des activités productives, faibles liens économiques entre les
diverses régions. Ces déséquilibres sont à la base de lřexode rural, de lřinégalité des
niveaux de vie et de revenu, des tendances et velléités sécessionnistes, etc. Une
décentralisation bien menée devrait permettre à terme dřapporter quelques
corrections160 aux multiples distorsions et lourdes conséquences socio-politiques.
Cela exige au moins trois tâches importantes :
Lřétude et dřanalyse : la réalisation des recherches et des études sur les
structures sociales du Sahel, les systèmes de production, les modes de
consommation et les visions philosophiques du monde ;
Lřélaboration de programmes économiques à long terme. Ces Programmes
donnent aux planificateurs non seulement une marge de certitude, mais
facilitent la recherche de la cohérence intertemporelle du Plan ;

159 On se souvient de la boutade célèbre du Professeur René DUMONT : Dakar, une grosse tête sur un
petit corps, entendez les sept autres régions du Sénégal.
160 La régionalisation a tout logiquement entraîné une collaboration de plusieurs services : forme

pratique dřune organisation interdisciplinaire.

266
Lřétablissement dřinstruments expressifs de quantification, comme les
paramètres de la production de la consommation, de la répartition du
revenu, les taux dřaccroissement des divers secteurs et le taux de croissance
de lřéconomie, les indices et paramètres dřévaluation du commerce
extérieur et la fixation des indicateurs sociaux et de mesure du bien-être et
de la qualité de la vie ;
La définition des domaines, normes et formes dřintervention de lřÉtat.
Ces tâches ne se posent pas de façon identique dans tous les pays. Elles
ressortent au titre des préoccupations spécifiques, des questions auxquelles les
planificateurs doivent trouver réponse sřils veulent avancer. Cřest pour cette raison
que tous les plans en Afrique comportent des volets de financement de recherches
sociales, de perfectionnement des appareils de collecte et de traitement de la
statistique, dřévaluation des indicateurs socio-économiques.
Les études prospectives ont eu un regain dřintérêt dans tous les PSD. Les
décideurs et planificateurs comprennent que la complexité des problèmes que
soulève la dynamique de développement économique et social nécessite une analyse
prospective ; cela dřautant plus que lřenvironnement est très instable. Elles
permettent en effet dřenvisager tous les scénarios possibles de développement et en
conséquence éclaire les choix, les domaines dřaction, les mesures qualitatives et
quantitatives et les moyens à mobiliser. Elle est alors un auxiliaire indispensable et
irremplaçable de la planification161.
Il y a là un travail extrêmement difficile qui exige dřabord une assez solide
organisation, et ensuite la définition des liens entre plan nationale et plan régional ;
cela pour éviter toute velléité dřautonomie préjudiciable à lřéconomie dans son
ensemble. Dřautres nécessités sřimposent : des méthodes et formes de répartition de
moyens de développement, des facteurs de production, des infrastructures, des
critères de rationalité et dřefficacité du développement régional, des rapports entre
les gestionnaires nationaux et régionaux de la planification.
Ce sont des éléments de structuration du plan régional qui entraînent des
modifications profondes. La planification telle quřelle est conçue et organisée dans les
pays africains peut-elle assumer de tels changements ? Pour y répondre, il sřavère
nécessaire dřen dégager les limites.

III/ Les limites du processus planifié des économies sous-développées

Il sřagit de sřinterroger sur les obstacles véritables au processus planifié avant


dřapprécier plus loin les résultats obtenus par vingt (20) années de planification des
économies. À réfléchir sur la planification, trois (03) éléments méritent de retenir
lřattention :
dřabord, la construction théorique qui fixe les bases profondes de la praxis,
ensuite, les méthodologies et instruments employés,
enfin, les cadres institutionnels et administratifs de gestion de la
planification.

Moustapha KASSÉ : Les stratégies alternatives au Sahel. Institut du Sahel, Bamako.


161

Il est indiqué dans ce projet les problèmes auxquels la prospective doit sřattaquer dans le Sahel
à savoir :
1°) Les zones géographiques et leurs potentialités agricoles, pastorales et hydrauliques.
2°) Lřévolution démo-économique et démo-alimentaire.
3°) Les stratégies des équilibres globaux.
Les réflexions sont faites en direction de la réalisation de lřautosuffisance alimentaire.

267
1°) Les faibles constructions théoriques en matière de planification

La planification au Sahel et dans la plupart des pays sous-développés est au


service des politiques de croissance que lřon veut régulière, équilibrée, harmonieuse
et rapide.
Ces politiques elles-mêmes sont portées par des modèles dřinspiration néo-
classique et keynésienne162, cřest-à-dire qui reposent sur les hypothèses conjuguées :
de complémentarité et de la substitualité des facteurs dans la fonction de
production ;
de la concurrence pure et parfaite ;
de la rationalité des entreprises fondées sur la recherche du profit
maximal ;
du comportement de consommation motivé par la recherche de la
satisfaction optimale ;
de la répartition optimale du revenu national ;
du libre jeu absolu de tous les mécanismes et rouages économiques ;
de la non intervention systématique de lřÉtat.
Dans une telle approche, lřÉtat est présenté comme une espèce dřinterprète de
lřintérêt général et comme un agent de synthétisation des références individuelles, et
la planification devient le substitut de main invisible. En effet, si toutes les conditions
dřune économie concurrencée sont réunies, les prix du marché se présentent comme
les instruments dřallocation des ressources « les signaux en fonction desquels sont
prises et coordonnées les décisions individuelles des agents économiques ».
En définitive, «le système des prix par des ajustements incessants assure la
coordination des décisions individuelles»163. Lřunivers hypothétique nřétant pas
effectif, notamment dans les pays sous-développés du Sahel, les fonctions de
coordination des marchés seront assumées par le plan. On voit que ce qui limite
particulièrement la planification, cřest son soubassement théorique qui fait du plan
une cellule plus ou moins complexe dřenregistrement des projets décidés en toute
autonomie par des agents privés ou lřÉtat. Cela va sřen dire que les critères échappent
totalement au planificateur dont le rôle se réduit à vérifier si le projet contribue ou
pas à la réalisation des grands équilibres.
Le système de planification ne pouvait alors quřêtre indicatif donc absolument
pas à mesure de réaliser et de gérer les transformations structurelles indispensables
pour lřamorce dřun processus irréversible et soutenu de développement économique
et social. La planification ne possède ni les orientations, ni les techniques, ni les
structures pour opérer de telles transformations.
Il sřavère donc nécessaire dřinfléchir les orientations et options de politique
économique et les théories qui les portent. La planification suivra automatiquement
car quelles que soient ses qualités intrinsèques, elle ne saurait être le substitut dřune

162 Il existe une tendance extrêmement malheureuse à réduire et à assimiler toutes les théories non
marxistes à la théorie néo-classique. Cela procède dřune lecture et dřune réflexion peu profonde sur les
divers courants de la pensée économique contemporaine où tous les grands courants se diluent en
nuances et variantes. Cřest également être complaisant de la récupération théorique opérée
notamment par P. SAMUELSON. Dans tous les cas, les paradigmes néo-classiques son trop éloignés.
Le fait que les formulations théoriques de la croissance soient néo-classiques et les politiques
économiques dřinspiration keynésienne, ne doit nullement mener à des dissimulations abusives et
théoriquement fausses. KEYNES est plus près de MARX que celui-ci est éloigné des conceptions néo-
classiques. Il faudra voir sur ce point les critiques faites par les keynésiens (J. ROBINSON, L.
PASSIREETH) de lřédifice théorique néo-classique mais aussi des points établis entre KEYNES et
MARX par P. BARAN et Maurice DOBB.
163 J.C. BERTHOLON : Méthode ONUDI et théorie économique, in Méthodologie de la Planification.

268
politique économique adéquate, cohérente et intégrale, cřest-à-dire qui prend en ligne
de compte toutes les dimensions de la vie socio-économique trace des objectifs et
spécifie les moyens matériels et financiers de leur réalisation. Elle nřest quřun moyen,
certes puissant, mais nřest pas la fin qui est le développement.
Si on abandonne alors dans les PSD dřAfrique les théories et les pratiques
limitées menées en termes de croissance économique, la seule alternative dřune
stratégie du développement sřarticulerait autour :
du développement prioritaire de lřagriculture pour la rendre apte à
satisfaire les besoins fondamentaux des populations ;
dřun modèle dřindustrialisation fondé principalement sur des filières de
valorisation des produits agricoles et de mise à la disposition de
lřagriculture des facteurs modernes de production ;
dřune ouverture maîtrisée sur lřéconomie mondiale.
La réalisation dřune telle stratégie sera incorporée dans un profond processus
de planification. Bien sûr, même sřil faut sřinspirer des expériences des pays
socialistes164, il faut bien admettre que les pays africains caractérisés par une
pluralité structurale ne possèdent ni les moyens, ni lřhomogénéité structurelle
nécessaire pour lřapplication dřune planification centralisée. Lřexistence nécessaire
dřun secteur privé comme centre autonome dřinitiative de production et de
consommation impose la prise en compte dans la planification du caractère mixte de
lřéconomie. LřÉtat, à partir du plan, déterminera les orientations générales du
développement économique en sřappuyant sur un secteur public important. On ne
soulignera jamais assez que plus le domaine dřaction directe de lřÉtat est restreint,
plus il est difficile de mettre sur pied et de réussir une politique économique
cohérente et intégrale. La planification devra organiser la coexistence de lřensemble
de ces structures et secteurs diversement impliqués dans le développement.
Théoriquement se trouve ainsi formulée la nécessité dřune option qui pourrait
concilier lřorientation et la détermination des objectifs généraux par lřÉtat et le
secteur privé. Cette voie moyenne de partenariat public/ privé comme toute formule
hybride, est forcément complexe et difficile à mettre en œuvre. Toutefois, cřest
lřalternative la plus crédible pour longtemps dans les pays africains. Les objectifs
économiques et sociaux à atteindre se réduisent à lřaccroissement soutenu des forces
productives, matérielles et humaines, la mise en valeur des ressources pour une
satisfaction des besoins de base des populations. Pour les atteindre, de profondes
transformations structurelles sont indispensables.
Cela va se traduire par la fixation dřobjectifs quantitatifs sectoriels et
dřobjectifs qualitatifs structurels. De fait, la planification devra embrasser les indices
essentiels de la production agricole et industrielle des transports et des services, des
sources dřaccumulation et leur utilisation dans les différentes branches économiques,
des équilibres, des relations avec lřextérieur, des besoins en main dřœuvre et en
cadres, de la santé, de lřenseignement et du pouvoir dřachat. Elle devra également
insister sur les mesures, les réformes et les moyens à mettre en œuvre pour atteindre
les objectifs fixés.
Encore une fois, tout cela est la conséquence rémanente de lřabandon des
hypothèses de raisonnement fondées sur la croissance économique165.

164Dans ce sens, BOROWSKY a certainement raison de considérer que «les pays, hier sous-développés,
aujourdřhui socialistes dont lřéconomie se caractérise par une croissance rapide et une transformation
profonde des structures peuvent servir de référence».
165 Il faut réaffirmer que ce qui est en cause dans les théories de la croissance, cřest dřune part cette

glorification des objectifs quantitatifs, cette volonté de rattraper les pays capitalistes en imitant leurs
propres formes de développement et surtout dřune industrialisation qui sacrifie systématiquement les

269
2°) Les limites méthodologiques et instrumentales de la
planification

Dans la quasi-totalité des pays africains, la planification est indicative et


sřinspire du modèle français de planification indicative selon lequel les organes de
planification indiquent une série dřobjectifs estimés désirables au double plan micro
et macroéconomique. À partir de cette base, les planificateurs tentent, par divers
moyens et instruments mis à leur disposition, de diriger lřensemble des forces
économiques et sociales vers ces objectifs. Sřil y a des efforts certains dřadaptation de
la méthodologie, des instruments et des formes dřintervention aux conditions
spécifiques des pays africains, les limites dřun tel type de planification sont lourdes.
Les systèmes planifiés nřatteignent jamais leurs objectifs et finissent par être un
catalogue de vœux pieux destinés plus à convaincre les bailleurs de fonds quřà servir
le développement. Par ailleurs P. JACQUEMOT résume les critiques les plus
fréquemment adressées à la planification du développement :
Les plans sont trop formalistes et prétendent vainement embrasser
lřensemble des activités ;
Les plans sont un catalogue de projets mal évalués au niveau des coûts et
des charges récurrentes non hiérarchisés ;
Absence de mécanismes institutionnels qui leur permettraient de
coordonner les activités liées à la gestion financière à court terme avec
lřanalyse des politiques dřinvestissement à long terme ;
Le plan mobilise très peu dřacteurs sociaux ;
Liens non définis avec le Budget de lřÉtat ;
Ces critiques renvoient à la trop grande faiblesse de la base méthodologique et
instrumentale de la planification indicative et cela, particulièrement pour trois (03)
séries de raisons :
dřabord, cette planification nřa pas rompu avec la logique et les structures
de lřéconomie de marché ;
ensuite, la méthode de détermination des variables et indices essentiels se
fonde principalement sur lřitération ;
enfin, les instruments dřaction sont inefficients.
Il nous faut considérer de plus près ces raisons qui sont révélatrices des
limites, des techniques mais aussi de lřinefficacité de la planification qui nřa su ni pu
endiguer les catastrophes socio-économiques du Sahel. Pourtant, si on mobilise tant
de ressources humaines, matérielles et financières dans la planification, cřest bien
pour mieux lutter contre les aléas et incertitudes et infléchir dans la bonne direction
les évènements économiques par une action volontaire à moyen ou long terme 166.
Nous devons donc savoir situer les raisons de cette inefficience au plan
méthodologique et instrumental.

intérêts de larges souches sociales. Si les théories de la croissance sont rejetées, cřest dřabord à cause de
leurs fragiles bases méthodologiques et cřest ensuite parce que les préoccupations quřelles soulignent
ne sont pas celles des pays sous-développés et enfin parce quřelles se trompent de domaine et
dřinstruments dřaction.
166 Michel DUMAS : dans «Où en est la planification en Afrique Noire». (Présence Africaine n° spécial

1971) a raison de ne point sous-estimer les difficultés auxquelles on se heurte mais les meilleurs
gouvernements et plans doivent pouvoir faire quelque chose contre lřeffondrement brutal des cours
mondiaux. Sřil nřen était pas ainsi, la planification du commerce extérieur nřaurait absolument aucun
sens. Si les contraintes extérieures sont considérables, il faut en tenir compte.

270
a) La première série de raisons tient au fait que la planification
indicative en cours nřa rompu ni avec la logique, ni avec les structures de lřéconomie
de marché. Dans les formations sous-développées du Sahel, le marché est en pleine
formation et en conséquence, il se trouve dans lřincapacité de remplir normalement
toutes ses fonctions. Dès lors, on a fini par penser que le plan pouvait parfaitement
combler ces lacunes et fixer les bases sur lesquelles les mécanismes du marché
pourront fonctionner. Cette importance accordée au marché est sans rapport avec son
effectivité et ses possibilités. On finit par ne plus savoir qui du marché ou du plan doit
réduire les incertitudes et rationaliser les anticipations. Le marché a été incidemment
retenu, il a fourni des réponses à la fois mauvaises et assez partielles.
Même si lřon sřaccorde, comme le fait Ota SIK à reconnaître quřil existe une
corrélation dialectique entre le plan et le marché, il faut affirmer la primauté du plan
comme instrument de cohérence éclairant la rationalité collective et préparant les
grandes décisions pour contrer les aléas et les incertitudes167. Ce problème devra être
clairement résolu dans les plans de la troisième génération qui doivent alors opérer
cette espèce de répartition des tâches décisives pour la prise de certaines décisions.

b) La deuxième série de raisons de l’échec des plans africains


provient de la fragilité de leur base méthodologique.
Sur ce point, trois observations peuvent être faites :
dřabord, le plan est confectionné à partir de techniques itératives ;
ensuite, le choix des investissements nřest pas déterminé par les organes
centraux de la planification ;
enfin, la prévision du développement économique et social nřest pas
envisagée objectivement.
Sur le premier point, on peut dire que tous les plans des pays du Sahel,
notamment ceux de la première génération ont été élaborés sur la base dřune
méthode itérative procédant donc par approximations successives pour aboutir à la
version finale. Cřest ainsi que lřon a déterminé les variables essentielles comme le
taux de croissance globale de lřéconomie et de la démographie. Une fois les indices
retenus, on procède à des tests macroéconomiques dřacceptabilité et de faisabilité des
taux. Donc, on recherche les cohérences :
des équilibres fondamentaux des agrégats caractéristiques ;
des équilibres entre ressources et emplois ;
des implications pour les divers sous-systèmes de production ;
des procédures.
En définitive, les choix fondamentaux et les objectifs déterminants ne sont pas
établis sur la base dřétudes exhaustives des économies nationales et de leurs
potentialités, mais déduits de simples hypothèses. Le plan confectionné sur cette base
est une série de vœux pieux, «un art de cultiver des illusions dans le jardin des
hypothèses»168. Il est alors un document à usage externe et non un instrument

167 Si nous partons de la nécessité de lřorganisation dřune économie mixte, la planification ne peut
fonctionner sans un fonctionnement du marché, cřest-à-dire quřil sera difficile dřaboutir à lřéquilibre
économique sans une mise en jeu, le mécanisme du marché qui est la meilleure régulation dans
certains domaines. Bien entendu, il ne faut pas attendre que le marché résolve des problèmes qui le
dépassent comme la réalisation de la nationalité collective, la prise de décision pour réduire les aléas et
lřincertitude, etc. Il faut donc que marché et plan procèdent ensemble et parallèlement.
168 Dans cette direction, le groupe AMIRA observe que le doute sřaccentue si la planification utilise non

plus seulement des techniques dřoptimisation car, il apparaît illusoire de rechercher à maximiser une
fonction objective à un niveau très agrégé comme le niveau national. Une solution optimale est
presque toujours sensible aux contraintes et aux aléas de lřenvironnement.

271
désignant les changements de structures et de comportements et les prenant en
charge.
Le second point concerne la détermination du volume et de la répartition des
investissements. Cette variable-clé dans les politiques de croissance nřest pas
contrôlée par le planificateur qui ne dispose que des moyens dřaction indirecte
souvent totalement inefficaces pour la susciter ou lřorienter. Dès lors, les choix
dřinvestissement, donc des techniques de production échappent au plan. Dans dřassez
rares cas, le planificateur peut proposer des critères de choix cadrant avec les
objectifs et contraintes du développement. Dřune manière générale, les organes de
planification ne disposent que de très faibles bases de manœuvres pour stimuler,
dissuader, répartir les investissements. La conséquence sera que le plan ne pourra
point opérer une intraversion véritable des activités économiques, notamment celles
des firmes étrangères. Celles-ci décident en toute autonomie de leur domaine
dřaction, de leur forme dřintervention et de la répartition de leurs surplus. Les
mesures de rétorsion nřexistent pas. En effet, les instruments sont principalement
dřaction indirecte.
Le troisième point de la faiblesse méthodologique est lřabsence de leviers dont
pourrait disposer le Plan pour réaliser les objectifs impartis. La planification
indicative, se proposant de préserver un fonctionnement sans entrave des
mécanismes du marché, se dote de trois moyens à savoir :
les finances publiques,
les interventions monétaires,
le contrôle sur les prix et le commerce extérieur.
Lřutilisation de la fiscalité sřest faite principalement dans le sens positif
dřencouragement à lřinvestissement. Au niveau mondial, le mouvement de flux et de
reflux des capitaux obéit à des lois très complexes, des conditions qui ne relèvent pas
toujours dřune logique économique pure. Pour promouvoir les investissements privés
directs étrangers (IDE), les décideurs prennent des mesures juridiques dérogatoires
au droit des sociétés, accordant de larges concessions fiscales qui sřaccompagnent de
clauses de garantie contre toute forme de nationalisation. Le code des
investissements se présente ainsi comme une sorte dřappel dřoffres, un contrat de
désarmement fiscal qui va avoir pour conséquence une perte de recettes. En effet,
pour apprécier si le désarmement fiscal et douanier était justifié, il aurait fallu savoir
au préalable si lřinvestissement nřaurait pas eu lieu même en lřabsence de code, et si
par ailleurs dřautres moyens de stimulation nřétaient pas disponibles. Quoi quřil en
soit, les codes des investissements nřont pas produit les effets attendus169.
Quant aux interventions monétaires, elles ne peuvent se faire que dans les
limites extrêmement étroites des engagements souscrits dans le cadre des Zones
Monétaires auxquelles les monnaies africaines sont rattachées. Cependant, il nřest
pas évident, quřen lřabsence des accords, les responsables des politiques économiques
auraient des initiatives hardies, tellement ils sont obnubilés par lřorthodoxie
monétaire selon laquelle la stabilité monétaire est une fin en soi. La preuve est
apportée par le fait que les faibles possibilités dřaction monétaire qui leur sont
offertes ne sont nullement exploitées. Par contre, les plans mentionnent la nécessité
dřune lutte contre lřinflation, comme si elle était forcément la priorité des priorités
dans le domaine monétaire et financier (stérilisante et perturbatrice).
Au total, dans les politiques économiques, la monnaie est considérée comme
un élément passif. Les axes de la politique monétaire et financière se réduisent à

169Moustapha KASSÉ : Tourisme international : évaluation de lřimpact sur le développement. Tome 2,


pp. 220-237.

272
encourager lřaccroissement de lřépargne et à définir une politique de crédit qui ne
pérennise pas les fondements de lřéconomie de traite car ne sřexerce véritablement
que pour les grands produits agricoles et les facteurs de productions nécessaires à ce
secteur. Dans un cas, lřobjectif visé est dřassurer une stabilité des revenus des
producteurs directs et dans lřautre, de diminuer les prix par des subventions pour
généraliser lřutilisation des facteurs. La méthode administrative de contrôle des prix
ne fonctionne que partiellement. Pourtant, la structure des prix dans les pays du
Sahel est très loin de refléter les conditions de production et dřéchange. Par ce
contrôle, il devrait être possible de maintenir une certaine correspondance entre cette
structure des prix et les conditions économiques dřensemble.
Il en va de même pour le commerce extérieur, qui bien quřil occupe une place
importante, nřest nullement lřobjet dřune planification rigoureuse qui nřexiste
dřailleurs que pour les grands produits agricoles et les facteurs de production
agricole.
En repassant en revue ces instruments utilisés, on se rend compte quřils sont
liés, peu efficaces pour opérer les mutations et modifications structurelles. Ils ne
permettent même pas de bien orienter toutes les décisions des agents économiques
vers la réalisation des objectifs.
Manifestement, ni la méthodologie, ni les instruments ne confèrent à la
planification une utilité et une efficacité. Dès lors, on comprend les réajustements
incessants dont les plans sont constamment lřobjet et qui sont autant de
réadaptations par suite de défaillances des partenaires privés ou de lřÉtat.

c) La troisième série de raisons qui limitent la base


méthodologique et instrumentale tient aussi à l’absence
d’une prévision scientifique du développement
économique et social.

Tout effort sérieux de planification est une exploration qualitative du futur pour
projeter lřimage globale de la société à édifier. Cette vision à long terme permet,
comme lřaffirme Mouhamed DOWIDAR, de donner au planificateur une marge de
certitude et, en même temps, de lui faciliter le travail de la cohérence
intertemporelle170. Cette nécessité de la prévision nřest pas reconnue particulièrement
par les défenseurs de la planification indicative. Ils estiment que dans les pays comme
ceux qui composent le Sahel, qui se caractérisent par lřexistence de plusieurs
structures, des rapports de production transitoires et plusieurs centres de décisions
autonomes, la prévision est totalement impossible même si on établit sa nécessité
objective. Il sřagit là dřune grave erreur qui constitue une entrave grave au processus
planifie des économies. Dans cette optique comme lřobserve S. KOUZMINE «tout
phénomène de quelque importance dans lřévolution de la Société a son germe ou son
prototype dans les réalités et lřexpérience du passé et du présent. Par conséquent, la
connaissance des lois du développement actuel définit déjà en soi les limites plus ou
moins nettes des changements possibles, établissant ainsi des "repères" ou des
"points dřappui" pour ces jugements, arguments sur lřavenir»171. Cřest donc la
recherche de ces points dřappui qui constitue la prévision et qui doit indiquer les
actions à entreprendre. Bien entendu, la qualité de la prévision "dépendra des
travaux ou de lřanalyse structurale du système socioéconomique, du degré de
170 Mouhamed DOWIDAR : Les schémas de reproduction et la méthodologie de la planification
socialiste, Éd. Tiers-monde, Alger.
171 Stanislas KOUZMINE : La méthodologie de la prévision du développement du Tiers-Monde. Revue

Sciences Sociales, n° 1, 1975, de lřAcadémie des Sciences de lřURSS.

273
précision et de profondeur de la détermination des liens de cause à effet, du
dégagement des paramètres fondamentaux qui agissent sur le sens et la rapidité des
transformations qualitatives de ce système". Dès lors, pour atteindre ces buts, il faut
opérer :
lřétude des structures socioéconomiques, des systèmes productifs, des
formes et structures économiques qui coexistent,
la détermination des principaux indices macroéconomiques et leur
dynamique,
lřanalyse des facteurs externes du développement, cřest-à-dire du rôle et de
la place des rapports réels et monétaires avec lřextérieur,
lřétude des aspects territoriaux du développement, cřest-à-dire la
répartition des forces productives, de lřinfrastructure de base,
lřurbanisation et ses tendances, les marchés effectifs et potentiels.
De telles études permettront une parfaite connaissance des sociétés
sahéliennes, des structures et systèmes de production, des habitudes et modes de
consommation, elles permettront non seulement de savoir les décisions à prendre
dans lřespace et dans le temps, mais aussi les obstacles à lever et les contraintes.
Cřest seulement maintenant, cřest-à-dire après les catastrophes que lřon
sřaperçoit que le Sahel est sous étudié, sous analysé et que lřon ne sait que très peu de
choses sur les écosystèmes, le milieu agro-climatique, le bilan hydrique. Cette
méconnaissance ne permettrait pas une effective planification du développement
rural, cřest-à-dire de lřactivité qui concerne plus de 80% de la population et fournit
plus de la moitié des ressources.
Voilà une faiblesse caractéristique du processus planifié des économies
sahéliennes quřil faut redresser.
Il importe après ces considérations, dřanalyser la dernière limite liée au cadre
administratif et institutionnel.

IV/ Les limites liées au cadre administratif de gestion du processus


planifié

On a souvent assimilé le système planifié à la création dřune lourde machine


bureaucratique qui écrase toute initiative individuelle et à la multiplication des
normes nécessitant des appareils coûteux de transmission et de contrôle. Un tel
système dřadministration, pensait-on, serait inefficient et risquerait dřabsorber les
surplus déjà maigres et dřimmobiliser les rares compétences techniques. Un tel excès
se manifeste dans le système centralisé. Pour le Sahel, cřest le phénomène contraire
qui prédomine.
Ils ont hérité de lřancien régime colonial un appareil dřÉtat peu maniable dont
les vocations étaient principalement une gestion administrative et politique. Les
nouveaux dirigeants ont pensé que la tâche essentielle était de réaménager lřappareil
et dřinstaller les nouveaux cadres aux anciennes fonctions.
On était donc convaincu quřainsi sřamorcerait un nouveau style de
modernisation et dřafricanisation de lřadministration qui la rendrait apte à gérer la
nouvelle situation politique et économique. Il a fallu, cependant très vite
désenchanter car les processus de transformations et les nouvelles tâches
économiques exorbitantes ne pouvaient nullement être assumées par le vieil appareil
dřÉtat colonial. Le problème des structures administratives adaptées était ouvert et
lřest encore dans une très grande mesure.
La planification devrait nécessiter des changements assez profonds dans le
sens de la création :

274
dřorganismes administratifs spécialisés chargés de préparer le plan, de
tracer les domaines et les directions des modifications des conditions de
fonctionnement et de développement de lřéconomie ;
dřorganismes locaux, maillons décisifs du plan ayant vocation de
promouvoir lřéconomie régionale ;
de cadres institutionnels rendant possible une concertation de tous les
services et techniques du développement ;
dřorganismes de participation et de mobilisation des populations car la
planification doit susciter et discipliner les efforts productifs de toutes les
couches de la nation.
En clair, il sřimposait de créer un tout autre appareil administratif capable de
garantir de meilleures conditions de fonctionnement et de gestion de la planification
de lřéconomie nationale. Cette tâche nřa jamais été clairement perçue par les
responsables des politiques économiques. Ils se sont réduits à créer des bureaux
centraux de planification qui étaient des excroissances des ministères chargés de
lřéconomie et des services de la statistique. Ces bureaux avaient des responsabilités
extrêmement limitées dans la conduite de lřéconomie et se présentaient plutôt comme
des cellules dřenregistrement des projets privés et publics.
Lřabsence dřun appareil dřadministration économique avec lřexistence
dřorganes compétents pour exécuter des tâches et opérer une gestion des ressources
est une limite essentielle des plans de la première génération. Des corrections
sřamorcent mais peuvent-elles être efficaces tant que la forme indicative de la
planification est maintenue ? En effet, cette forme ne sřaccommode pas de lřexistence
de leviers économiques et administratifs fonctionnels et impératifs.
En conclusion, cette analyse nous aura particulièrement révélé les faibles bases
méthodologiques et techniques de la planification dans le Sahel qui font quřelle sřest
totalement avérée incapable dřindiquer et dřamener les transformations structurelles.
Comme elle a été incapable de prévoir les calamités, de gérer lřimprévisible ou dřen
déduire les effets. Seulement, il ne pouvait en être autrement car depuis vingt (20)
ans, la planification est au service de stratégies de développement fondamentalement
erronées.

Section 4 : L’indispensable réhabilitation de la planification et


des études de prospective stratégique.
« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va »
SENEQUE
« L’Avenir appartient à ceux qui ont la mémoire la plus longue »
NIETCHZE
« Préparer l’avenir ce n’est pas y rêver. C’est choisir, dans le présent,
ce qui est capable d’avenir ». G. BERGER

I/ La planification, instrument de management des crises et des risques

La mondialisation que vivent les économies en développement est marquée du


sceau des incertitudes et de la montée des risques dřune rare gravité. Lřéconomie
mondiale est marquée de turbulences quotidiennes au triple niveau économique,
financier et technologique. Les éléments de fragilité du système mondial sont à la
fois multiples et complexes et ont le pouvoir de déstabiliser tous les pays et
particulièrement les plus faibles dřentre eux. Ils conduisent inexorablement au crash,

275
à la catastrophe économique et financière aux conséquences sociales incalculables.
Observons quřen 40 ans lřéconomie mondiale a connu 4 crises majeures :
La crise des années 1970-1975 qui fait suite aux « Trente glorieuses années
». Elle est celle du premier choc pétrolier et désordre monétaire
La crise des années 80 qui correspond au second choc pétrolier, au
resserrement de la politique monétaire américaine (1979) et au
déclenchement de la crise de la dette.
La crise du début des Années 90 subséquente à la politique monétaire
indûment expansionniste et aux excès dřinvestissements, avec la
multiplication des créances douteuses
La crise issue dřun dysfonctionnement du Système financier international
Cette situation dřinstabilité avait conduit Robert FOGEL (prix Nobel
dřéconomie) à se demander sřil y avait un pilote dans lřavion mondial.
Paradoxalement, les marchés financiers sont à la base de dysfonctionnements aux
conséquences incalculables (crise financière mexicaine et asiatique). Elle appelle dans
le fond trois interrogations majeures :
Les Institutions Internationales de Régulation (FMI, BM, OMC, BRI,
OCDE, Groupe des 7) peuvent-elles et ont-elles les moyens de gérer les
risques et toutes incertitudes nées de la libéralisation internationale ?
Peuvent-elles encore veiller sur la santé de lřéconomie mondiale ?
Quel modèle de gouvernance de lřordre économique et financier
international faudra-t-il instaurer ?
Comment prendre en charge les préoccupations de lřAfrique prise dans le
tourbillon de la mondialisation, de lřinstabilité monétaire, des crises
financières à répétition, des fluctuations incessantes des cours des
matières ?
Dès lors, la crise de la gouvernance mondiale (que devraient exercer les
institutions internationales) nřassure point la protection des plus faibles par des
mécanismes non marchands et nřapporte guère de correction aux déséquilibres qui
naissent des rapports de force inégaux.
Les PSD doivent gérer toutes ces incertitudes et risques. Cela requiert une
planification plus rigoureuse appuyée sur des études de prospective pour prévenir les
crises et tirer le plus grand profit des opportunités quřoffre le système mondial pour
la solution de problèmes comme le transfert de ressources et de technologie,
lřendettement etc. Dans ce cadre, la planification se présente comme un instrument
essentiel de réduction des incertitudes et de maîtrise du Futur. Elle aide à explorer
des avenirs économiques possibles, à construire un nombre limité dřimages du futur
et de cheminements possibles et à élaborer des scénarios contrastés qui reposent sur
une hiérarchisation des variables significatives traitées comme pouvant être
certaines, ou incertaines, probables ou aléatoires, possibles ou plausibles.
Lřampleur du travail de planification impose une reconstruction technique des
schémas adossés sur des études prospectives complètes et bien menées.

II/ Impérative nécessité d’opérer des études prospectives au niveau


national, régional et continental

Les études prospectives sur le futur doivent retrouver un nouvel élan


grandissant en Afrique. Dans le passé, plusieurs travaux de prospective ont été
effectivement entrepris depuis la fin des années 70 : Études présentées au Colloque

276
de Monrovia en 1979172, le Plan dřaction de Lagos de 1980173, le Rapport Berg174 et
lřétude ILTA175., lřÉtude du Club de Rome176 . Aujourdřhui, plus que jamais, avec la
montée des instabilités et des incertitudes, la multiplication des crises et des risques,
(ainsi que leur relatif rapprochement), les changements multiples dans les règles du
jeu économique et financier mondial, lřélargissement de la sphère de la spéculation
dans les domaines réels et monétaires de lřéconomie mondiale et la progression
fulgurante des Technologies de lřInformation et de la Communication, tous ces
facteurs rendent lřexercice de prospective indispensable.177 Le PNUD a parfaitement
compris les enjeux de la Prospective avec le financement du Projet dřétude du Futur
Africain178. Il sřagira principalement de penser différents cheminements évitant "la
myopie du marché et la dictature de lřinstant".

172 OUA, 1979. Quelle Afrique pour l’an 2000 ? Rapport final sur les perspectives du
Développement de l’Afrique à l’horizon 2000. Monrovia 12-16 février 1979 - Genève, Institut
International d’études sociales
173 OUA, 1981. Lagos Plan of Action for the Economic Development of Africa 1980-2000. OUA
174 Banque mondiale, 1981. Le développement accéléré de lřAfrique au Sud du Sahara. World
Bank, Washington D.C.
175 SCET International, SCET Agri, SEDES, 1984. Une image à long terme de lřAfrique au Sud du

Sahara. Commission des Communautés européennes, Caisse des Dépôts et Consignation, Paris.
176 Club de Rome:lřAfrique face à ses priorités, Éditions Économica, 1987
177 Giri J. (1989), Le Sahel au XXIème siècle. Un essai de réflexion prospective sur les sociétés

sahéliennes. Paris, Karthala.


Godet, Michel, 1997. Manuel de prospective stratégique. 2 tomes. Dunod, Paris.

178 Il est très important, sous les angles théorique et pratique de définir les grandes tendances de
lřévolution dřun système économique, quand on veut donner une valeur scientifique à la stratégie du
développement économiques.

277
CHAPITRE 13
LE RETOUR DE L’ETAT ET DES QUESTIONS
DE GOUVERNANCE POUR LA BONNE
GESTION DU DEVELOPPEMENT

« Aujourd’hui, ce sont les fanatiques du marché qui dominent le


FMI. Ils sont persuadés que le marché, très généralement, ça marche et
que l’État, très généralement, ça ne marche pas… Dans les cinquante
dernières années, la science économique a expliqué quand et pourquoi
les marchés fonctionnent bien, et quand ils ne le font pas. Elle a montré
pour quelles raisons ils peuvent aboutir à sous-produire certains
facteurs Ŕ comme la recherche fondamentale Ŕ et à en surproduire
d’autres Ŕ comme la pollution. Leurs échecs les plus dramatiques sont
les crises périodiques, les récessions et les dépressions qui ternissent le
blason du capitalisme depuis deux cents ans : elles laissent un grand
nombre de travailleurs sans emploi et une grosse partie du stock de
capital sous-utilisé… L’État peut jouer un rôle essentiel - et il l’a fait-,
non seulement pour tempérer ces échecs du marché, mais pour assurer
la justice sociale… Dans les pays qui ont le mieux réussi Ŕ les États-
Unis, l’Asie Orientale Ŕ l’Etat a pris en charge ces tâches et, dans
l’ensemble, s’en est relativement bien acquitté. Il a assuré à tous une
éducation de qualité, et a mis en place une grande partie des
infrastructures Adam Smith était bien plus conscient des limites du
marché Ŕ notamment des menaces de la concurrence imparfaite Ŕ que
ceux qui s’en disent aujourd’hui les disciples. Il était aussi beaucoup
plus conscient du contexte social et politique dans lequel toute
économie doit opérer. Pour qu’une économie fonctionne, la cohésion
sociale compte. »
Joseph STIGLITZ179

Que recouvre exactement ce terme « institutions » ? De quelle manière peut-


on créer de bonnes institutions favorables à la croissance et au développement?
Depuis les économistes classiques du 17ème siècle, les facteurs et les structures
institutionnels sont considérés comme déterminants dans le processus de la
croissance économique. Ainsi, A. SMITH, dès 1776, estimait que lřÉtat était
indispensable car il doit protéger la société de la violence et de lřinvasion dřautres
sociétés, protéger chaque membre de la société de lřinjustice et de lřoppresseur et
enfin entretenir certaines constructions et institutions publiques. Plus explicitement
encore, Stuart MILL (1848) dans ses « Principes dřEconomie Politique » observe que
les moyens de réaliser lřaccumulation du capital sont : un bon gouvernement,
lřamélioration de lřinformation du public, le déclin des usages ou des superstitions qui
empêchent lřefficacité de lřindustrie, la croissance de lřactivité mentale qui éveille les
esprits à de nouveaux objets de désir et lřintroduction des arts étrangers et
lřimportation du capital étranger.
LřÉtat est le lieu de fortes controverses autour de ses sens, de sa nature et de
ses fonctions. La première controverse oppose la conception marxiste de lřÉtat
comme lřinstrument de domination de classe et les autres conceptions, lřÉtat mou,

179 J. STIGLITZ179 : La Grande Désillusion, 2002

278
lřÉtat surchargé, lřEtat patrimonial et lřEtat prédateur. Il est intéressant de mettre en
évidence, dřune part les théories de lřÉtat développées par les grands courants de
pensée qui ont traversé ou qui traversent encore les études économiques et dřautre
part, lřintérêt des réflexions en termes de propriété. La théorie néoclassique analyse
lřÉtat comme la somme des individus agissant collectivement. (Lřintérêt collectif
étant considéré comme un intérêt individuel commun à plusieurs personnes). En
principe, le marché détermine un équilibre unique et stable et dans ce cas, lřÉtat
nřintervient que pour réduire les obstacles techniques qui empêchent la réalisation de
lřallocation optimale des ressources (monopoles, effets externes, biens collectifs
purs). Lřaction de lřÉtat dans la politique économique est donc subsidiaire en tout cas
déterminée par les contraintes du marché et la prééminence des actions
décentralisées. La théorie keynésienne accorde à lřÉtat un rôle essentiel dans lřactivité
économique. La théorie marxiste souligne le comportement déséquilibré et
conflictuel du fonctionnement du capitalisme qui conduit à lřaccroissement des
dépenses de lřÉtat qui nřest en fait que lřémanation de la classe dirigeante. En ce qui
concerne J.M.KEYNES, il théorise lřinterventionnisme de lřÉtat en dégageant une
politique économique menée par lřÉtat avec ses deux instruments traditionnels : la
monnaie et le budget. Il propose tout à la fois une méthode : la macroanalyse, un but :
le plein emploi et un moyen : lřinvestissement. Cette conception procède dřune
volonté « dřéconomie concertée et « dřéconomie contractuelle » car pour KEYNES.
« lřÉtat devra faire ce que les entreprises ne peuvent pas faire » en leur créant, par
exemple, des externalités positives qui les rendent plus compétitives et en favorisant
leurs fusions et concentrations.

Figure 18 : L’État dans la pensée économique

Etat neutre
Au service de l’intérêt général

Régulation Économie
Économique néoclassique
Keynes Économie du bien être : Pigou, Arrow, Debreu
École de Cambridge : Robinson Économie publique : Musgrave, Samuelson
développement : Rostow, Chenery
Economie Libéralisme : Friedman, Hayek

Supériorité de l’État Supériorité marché


Marx Nouvelle Économie Politique
École française de la Régulation :
Boyer Recherche de rente : Krueger, Bhagwati
Théorie de groupes : Olson
Choix publics : Buchanan, Tullock
Théorie de la bureaucratie
État « politisé »
Au service de groupes particuliers

Source : SophieThoyer, Courier de la planète n°41, juillet-Aout1997.

279
Au plan strictement technique et schématiquement, toute croissance
économique est le produit des politiques publiques qui doivent réaliser une
combinaison optimale des déterminants que sont le travail, le capital, la technologie
et les ressources naturelles. De lřÉcole classique anglaise (A. Smith, Ricardo)
jusquřaux théoriciens contemporains de la croissance endogène (ROMER, LUCAS,
BARRO) en passant par les keynésiens (KEYNES, HARROD-DOMAR, KALECKI,
HICKS) et les néo-classiques (SOLOW, VON MISES ET HAYEK), les différentes
formulations théoriques enseignent que croissance et développement dépendent
fondamentalement de lřaccumulation de capital physique, humain, technique et
social. Si les déterminants quantitatifs sont bien connus puisque assez bien analysés,
il nřen va pas de même pour le capital social compris comme un ensemble de valeurs,
normes comportementales, dřobligations et de canaux dřinformations visant à
instaurer la confiance, à garantir lřapplication des contrats, à instituer des
mécanismes dřassurance et à favoriser lřapprentissage social (PUTNAM, 1993) et les
institutions. Si ces variables quantitatives et mêmes qualitatives sont bien connues, ce
qui lřest moins, cřest la compréhension de leurs enchaînements, de leur mise en
œuvre dans les politiques économiques appropriées.
La combinaison de ces déterminants qui fixent le niveau de la croissance
économique et social dépend de la qualité des institutions publiques qui devient en
conséquence le facteur essentiel du développement. Suite au triomphe mondial du
néo-libéralisme, le débat des années 1980 tournait autour du démantèlement de
lřÉtat et de ses institutions au profit dřune libéralisation de tous les secteurs par
privatisation. Les nouvelles exigences du modèle mondialo-libéral se résument à
imposer le marché comme instrument exclusif de régulation.
Cette vision est fortement contestée par le Président brésilien Fernando H.
CARDOSSO qui estime tout au contraire que la mondialisation impose de nouvelles
tâches à lřÉtat qui « au lieu de sřaffaiblir devrait plutôt se renforcer pour être à même
de promouvoir le développement. En réalité, le rôle de lřÉtat est bien complexe.
Outre les fonctions de sécurité, de santé, dřéducation, il doit accueillir dans un cadre
démocratique les demandes croissantes pour plus dřéquité, pour plus de justice,
pour un environnement sain, pour le respect des droits de lřhomme. Une citoyenneté
plus exigeante doit correspondre aussi un raffinement plus grand des actions de
lřÉtat. Un État uni et organisé donc fort, aura de meilleures conditions de faire face
aux besoins de la mondialisation »
Dans le cas de lřAfrique, au moment des indépendances des années 60, la
stratégie de développement appliquée par la plupart des pays visait notamment à
transformer profondément le système productif et lřappareil administratif. Les
politiques publiques avaient alors réalisé de lourds investissements dans
lřéquipement et lřinfrastructure sociale mais également dans les secteurs dřactivités
économiques. Ces investissements se sont révélés, par la suite, massifs, peu réalistes,
coûteux et dřune faible efficacité. Dans le même temps, la grave rupture survenue
entre les structures de production Ŕ alimentaires en lřoccurrence Ŕ et les structures
de consommation, a fondamentalement contribué à opérer une double extraversion :
celle de la production et celle de la consommation. Il en est résulté un
approfondissement du déséquilibre entre la production intérieure et la demande
globale au sein de laquelle prédominait une consommation finale excessive,
entraînant un accroissement du déficit en ressources. Celui-ci sera artificiellement
entretenu et financé par lřendettement extérieur et lřaide publique. Le boom pétrolier
avait favorisé des emprunts publics à des taux relativement faibles. À la faveur de
l'augmentation de la dette publique dans les années 70/80, les marchés financiers

280
sont arrivés aux commandes. Cela s'est traduit par une augmentation des taux
d'intérêt dont le niveau avait dépassé non seulement l'inflation, mais la croissance.
Les États qui avaient un fort niveau d'endettement sans être producteurs de
pétrole ont alors eu de plus en plus de mal à clore leurs exercices budgétaires. Il a
fallu emprunter pour rembourser les emprunts passés, à des taux qui promettaient
d'engendrer de nouvelles difficultés. Faute de remèdes radicaux, cette situation
vouait irrémédiablement les pays africains à la faillite. Sřy ajoutait dans la plupart des
cas, une énorme distorsion entre lřaffectation théorique et lřutilisation effective de la
dette extérieure, qui nřa pas favorisé la création de conditions adéquates dřextorsion
de surplus nécessaires à lřamortissement régulier du service de la dette (principal et
intérêts échus). Cette situation risquait de constituer assurément le fondement dřune
crise de paiements dont la perpétuation, si rien nřétait entrepris, pouvait déboucher
sur une crise sérieuse de solvabilité. La cessation de paiements se traduirait alors par
un retrait des financements extérieurs et un effondrement des importations qui
aurait des incidences sur la production par le biais des nombreux secteurs qui
recourent à des biens d'équipement importés. Ces difficultés ont été le propre de la
majorité des États qui avaient financé leur croissance sur l'endettement. Elles ont
naturellement été plus aiguës au Sud, mais les problèmes n'ont pas épargné le Nord,
où l'Etat Providence a subi de nombreuses attaques, tandis que les politiques d'offre
se sont partout substituées à la régulation par la demande.
Cette montée des déséquilibres, de lřendettement et la stagnation de la
production ont rendu inéluctable les politiques de stabilisation et l'ajustement
structurel. Aussi a-t-elle fait durement ressentir ses conséquences, du fait de la
compression drastique des dépenses en vue dřune réduction des créances futures. Le
choix, à l'époque, n'était pas entre le refus d'une telle politique et son acceptation
passive, mais entre la possibilité d'entrevoir, au prix de sacrifices, un avenir meilleur,
et la certitude de s'enfoncer dans la voie du déclin. La conjugaison de toutes ces
situations avait conduit progressivement tous les États africains à adopter des
programmes de stabilisation et dřajustement et les mécanismes de gestion qui les
accompagnent, avec lřappui de la Banque mondiale et du FMI au détriment des
stratégies planifiées de développement. À une politique volontariste orientée vers la
modernisation des bases du développement a ainsi succédé un ensemble de
programmes de gestion des déséquilibres macroéconomiques qui ont conduit à la
remise en cause de la capacité de régulation macroéconomique, de lřefficacité des
politiques redistributives et du niveau de dépenses publiques et parfois même de la
capacité réglementaire des États.
La régulation macroéconomique menée par les États passait jadis par la
maîtrise de leur politique budgétaire et du taux d'intérêt ; or la globalisation
financière semble exiger lřabandon de cette intervention. En ce qui concerne la
redistribution, la remise en cause procède de la mondialisation de haute compétition
qui impose aux entreprises une exigence de rentabilité au niveau de l'embauche, ce
qui entraîne les exclusions permanentes du marché du travail. Enfin pour les
dépenses publiques, elles doivent être maintenues tant quřelles concernent les
infrastructures publiques, les services publics et l'administration efficaces, le niveau
d'éducation et de santé des ressources humaines qui sont des facteurs-clés de
compétitivité.
Cette vision qui a dominé pendant les années 80 et 90 a été ébranlé par lřéchec
des PAS appuyée par les IFI et lřavènement des nouvelles théories de la croissance
endogène qui remettent fortement en question les politiques inspirées de lřanalyse
néo-classique dominante inscrite dans un monde virtuel où la concurrence est pure et
parfaite, lřenvironnement stable, le chômage uniquement volontaire et où lřindividu

281
responsable et organisé peut se mettre à lřabri de lřincertitude. Les nouvelles
recherches ont alors rétabli le rôle de lřÉtat et des institutions dans la croissance
économique. Les institutions sont ces ensembles complexes de normes, de règles, et de
comportements conçus pour une fin collective et qui permettent de réduire les coûts
des transactions. Elles sont de trois ordres : la mise en place dřarrangements
institutionnels compatibles avec les objectifs fixés ; les investissements importants
dans le capital humain (éducation et santé) et un bon État géré par un bon
gouvernement.

Tableau 21: Fonctions de l’Etat

Pour remédier au disfonctionnement Pour assurer


Fonctions des marchés l’équité sociale
minimales Fournir des biens publics purs : Protéger les
Défense pauvres :
Protection de la propreté Programme de
Stabilité macroéconomique lutte contre la
Santé publique pauvreté
Secours aux
sinistrés

Se soucier des Réglementer les Combler les lacunes Fournir une


externalités : monopoles : de l’information : assurance
Fonctions Assurance sociale :
intermédia Éducation de Réglementation des (santé, vie, retraites) Retraites par
ires base services d’intérêt Règlementations redistribution
Protection de public financières Allocation
l’environnement Politique antitrust Protection du familiale
consommateur Assurance
chômage
Coordonner les activités du secteur privé : Assurer une
Fonction redistribution :
de type Promotion du marché Redistribution
interventio Renforcement des filières des actifs
nniste
Source : Banque mondiale, Rapport sur le développement dans un monde, 1997 : L’État dans un
monde en mutation.
Ces institutions sont accompagnées par des règles et comportements éthiques
compatibles avec les objectifs de développement. Elles doivent être socialement
acceptés et appliqués par les principaux acteurs de la vie économique et sociale. Les
règles appliquées dans la pratique sont au nombre de quatre : sřappuyer sur ses
propres forces, concentrer ses ressources là où on a un avantage concurrentiel,
choisir le domaine le plus étroit possible et avoir la détermination. Quant aux acteurs,
ils se subdivisent en trois catégories : les entrepreneurs qui sont des hommes de
talents exceptionnels caractérisés par leur souplesse et leur agilité ; les élites
intellectuelles et techniques issues des politiques de valorisation des ressources
humaines permettant dřélever le niveau de qualification de la main-dřœuvre et lřÉtat
qui est le principal architecte du développement et des transformations
Du point de vue du rôle de lřÉtat dans le développement, trois questions
méritent examen (SADOULET, 1991, J.P. LAFFONT 1998). :

282
Comment faire participer les acteurs au développement ? Beaucoup de
travaux récents Ŕen particulier à la suite de recherches dřhistoire comparative
menées par EVANS, RUESCHMEYER et SKOCPOL (1985) et WADE (1990)-
ont porté sur les mesures que peut prendre un État pour favoriser le
développement, notamment lřaffectation de fonctionnaires et de responsables
élus ayant pour objectifs la croissance et la satisfaction des besoins
fondamentaux. Ce sont les États asiatiques qui ont surtout retenu lřattention.
Comment préserver la primauté de lřÉtat sur les groupes de pression ? Sřil est
vrai que lřaction des groupes de pression a un coût en termes de gaspillage
des ressources, elle est inévitable en ce sens que les incitations de ces groupes
et de lřÉtat sont compatibles entre elles (cřest-à-dire cohérentes avec un
optimum individuel contraint).
Comment assurer lřefficacité de la politique ? Pour un État, le pouvoir est la
capacité de mener à bien ses décisions : il doit pour cela maintenir sa
primauté face aux demandes des groupes de pression et mener une politique
qui assoit sa crédibilité. La non-crédibilité peut avoir son origine dans une
information imparfaite du secteur privé sur lřengagement réel de lřÉtat, ou
dans la facilité avec laquelle lřÉtat change dřorientation, ce qui condamne la
continuité dans le temps.
La mondialisation dont aucun pays ne peut s'exclure sans se priver des
bénéfices des progrès technologiques et des échanges, impose aux acteurs engagés
dans le processus à produire de façon compétitive, à attirer les investissements
directs et les capitaux. Cela appelle la présence dřun État qui devient l'élément crucial
des réussites économiques.

Section 1 : Les aspects institutionnels de la croissance et le


retour de l’État dans le jeu économique.

« Le développement est le fait de changement dans les


institutions. Les décisions qui déterminent les grandes lignes
directrices du développement concernent aussi les cadres qui régissent
les activités de l’homme. Il faudrait insister sur la nécessité d’adapter
ces cadres et de ne point se limiter à une copie servile des pays
industrialisés. Se contenter de transplanter des appareils de
production, sans tenir compte des comportements, des attitudes et des
valeurs traditionnelles, c’est probablement susciter des entraves
supplémentaires préjudiciables au développement ».
F. PERROUX

Quand on tente de formuler une politique de développement on se heurte à


une série de problèmes auxquels les autorités responsables nřont pas toujours
accordé lřattention nécessaire. Préoccupés par les aspects économiques du
développement, les dirigeants orientent leurs efforts sur les options à prendre en
matière dřindustrialisation ou de modernisation de lřagriculture, de pratique dřune
économie ouverte ou repliée sur elle-même. Ils se penchent aussi sur les questions
monétaires et fiscales, sur les problèmes stratégiques de financement. Toutefois écrit
E. GANANGE, les éléments dřune telle politique économique restent de faible
efficacité, sřils ne sřaccompagnent pas de transformations dans les structures de base.

283
Le développement ne se limite pas à lřéconomie ; il plonge ses racines aussi dans les
institutions.180
Les recherches contemporaines sont revenues sur les questions
institutionnelles avec D. NORTH ET WILLIAMSONS si bien que nous avons
maintenant une meilleure connaissance des structures institutionnelles et
organisationnelles qui permettent dřobtenir le rythme et les caractéristiques voulues
du changement économique. Ainsi, D. NORTH (1994, 1997) souligne que les
institutions représentent « les règles du jeu dans la société ou les contraintes
humainement disponibles pour former les interactions humaines. Il ne sřagit pas
seulement des règles formelles (constitution, lois et règlements) mais aussi des
contraintes informelles (normes de comportement, conventions, codes de conduite
auto-imposés). Cřest de lřensemble de ces règles, normes et conditions de mise en
pratique que dépend la performance économique ». À partir dřun objectif dřéconomie
de coûts de transaction, les entreprises et les marchés mettent en place des
institutions pour la gestion des contrats, de lřinvestissement et des affaires privées (O.
WILLIAMSON, 1995). Plusieurs modes dřorganisation sont possibles : organisation
de marché, organisation mixte, organisation hiérarchique, action publique. Chacun
de ces modes déterminent des incitations et des contrôles différents qui entraînent
différents degrés de coopération ou de concurrence, différentes conditions crédibles
dřinvestissement et de contrats. Ces institutions améliorent lřefficacité de lřallocation
des ressources
Les années 80 vont voir le triomphe théorique de lřanalyse néo-classique et
conséquemment lřacceptation du marché comme mode quasi exclusif de régulation
de la vie économique. Au-delà de sa fonction allocative analysée par N. KALDOR, il
est souligné que le marché sřadapte plus facilement aux changements quřun système
dřautorité et de plus il favorise les innovations, le progrès technique, la mobilité.
Dans cette fonction créative, il contribue à la croissance en déplaçant vers le haut la
courbe des possibilités de production. Enfin, lřéconomie de marché entraîne
lřhabitude de la décentralisation et de lřindividualisme liés à terme à la montée des
institutions pluralistes et démocratiques. Dans ce contexte, le marché se présente
alors comme un instrument dřefficacité et dřallocation optimale. Cependant, il va
révéler des imperfections, des défaillances et des insuffisances qui vont justifier le
retour de lřÉtat à une période ou les économistes institutionnalistes commencent à
souligner que lřéconomie de marché a besoin dřinstitutions et dřun pouvoir pour les
faire respecter. Les imperfections du marché communément soulignées sont de trois
ordres:
- Les imperfections liées aux marchés financiers et dřassurance qui
peuvent empêcher de réaliser certains projets socialement rentables mais trop risqués
par rapport aux possibilités de couverture privée,
- Les imperfections tenant à la présence dřexternalités positives, cřest-à-
dire de situation où lřaction de lřentreprise a un impact positif sur le reste de
lřéconomie, sans que lřentreprise soit capable de récupérer la totalité des bénéfices,
- Les imperfections issues de lřexistence des rendements croissants et
dřéconomies dřéchelle.
Dans ce cadre, les théoriciens de la croissance endogène et ceux des
institutionnalistes vont alors réhabiliter lřintervention publique pour favoriser
certaines formes dřaccumulation du capital, des infrastructures, de la recherche et de
la formation. La pratique des politiques économiques a fait le reste en conférant dans
des pays à fortes performances économiques (Asie) un rôle prépondérant à lřÉtat. La

180 E.GANNAGE : Institutions et développement, Revue du Tiers-Monde, 1966

284
question de lřÉtat dans le développement de lřAsie est, selon E.BOUTEILLER et M.
FOUQUIN, lřoccasion dřune grande confusion. En bien comme en mal, lřEtat a joué et
joue toujours un rôle essentiel dans le développement. Il demeure le grand
ordonnateur sans lequel les différents éléments du puzzle ne se mettraient pas en
place spontanément. Rien nřest plus étranger aux conceptions libérales que
lřexpérience japonaise ou celle de la Corée du Sud, de Taiwan ou même de Singapour
avec son système dřépargne forcée et sa planification omniprésente. LřÉtat en Asie est
un Etat développeur … Lřindustrie lourde, lřindustrie de haute technologie, les
infrastructures ne sauraient apparaître spontanément. Dans ces domaines, lřÉtat est
moteur, les entreprises publiques omniprésentes…LřÉtat décide, le marché
sanctionne, lřun ne va pas sans lřautre. Toutefois pour lřAfrique, le problème réside
plutôt dans la mauvaise qualité de lřÉtat précarisé en amont par la mondialisation et
informalisé à lřintérieur par le volume de ses déficits et un secteur informel qui lui
échappe totalement, alors même quřil est écrasé par lřampleur des surcharges
sociales. Dans ce contexte, sa réforme est indispensable.
Il reste que lřÉtat doit agir avec le marché et non contre lui. Par rapport aux
autres agents selon le mot de J. M. KEYNES : « lřimportant pour lřÉtat nřest pas de
faire ce que les individus font déjà et de le faire un peu mieux ou un peu moins mal,
mais de faire ce que personne dřautre ne fait pour le moment ». LřÉtat en tant
quřinstitution doit être organisé officiellement pour protéger les contrats entre privés
et instaurer ainsi une bonne efficacité contractuelle, condition sine qua non pour
retrouver la confiance des investisseurs tant étrangers que nationaux. Il sřagit ici dřun
ensemble de règles permettant dřinstaurer un climat sain, susceptible dřattirer et de
stimuler les investissements, qui à leur tour déterminent la croissance.
Ces mesures sont maintenant connues sous le vocable de « bonne
gouvernance » qui signifie selon la Banque Mondiale Ŗlřusage de lřautorité politique,
la pratique du contrôle sur une société et la gestion de ses ressources pour le
développement économique et socialŗ. LřÉtat doit aussi sřatteler à faciliter et à
contribuer à la mise en place dřun système financier nécessaire à la collecte et à
lřaffectation de lřépargne à des investissements privés. Le système financier,
particulièrement le système bancaire, est très déterminant dans le financement des
investissements et des entreprises privées qui sont au centre du processus de
production ; par conséquent, ils constituent les moteurs de la croissance. Toutefois, il
faut éviter que le système financier ne subisse les pesanteurs de lřÉtat car cela
aboutirait à des effets dřéviction sur lřinvestissement productif. La crise bancaire des
années 80 en apporte la meilleure preuve. Enfin, la mondialisation selon Président
Henrico CARDOSO impose de meilleures tâches à lřÉtat. Outre les fonctions
classiques, il doit accueillir dans un cadre démocratique des dépendances sociales
pour plus dřéquité.
Au demeurant, lřintervention de lřÉtat soulève toujours plusieurs
interrogations. LřÉtat devra alors être rénové, maîtriser ses coûts dřintervention et se
montrer convaincant par la qualité de ses politiques.

Section 2 : L’État dans le développement


Selon le professeur J. LAFFONT, un bon État est un Gouvernement
bienveillant et informé. Ce Gouvernement se compose alors des hommes politiques
qui contrôlent lřappareil dřEtat, utilisent les fonctionnaires des administrations
centrales et des collectivités locales, ainsi que les agents des entreprises publiques
pour mener à bien leurs politiques. Celles-ci devraient tourner, pour lřessentiel,
autour de la mise en oeuvre des moyens pour réaliser les promesses dřamélioration

285
du bien-être faites lors des campagnes électorales. . Quoi quřil en soit, dans une
démocratie, la bienveillance doit être avérée sinon, les hommes politiques risquent de
perdre leur emploi. Il faut alors savoir quelles politiques mettre en place pour
maximiser le bien-être social compte tenu des moyens disponibles et de la nécessaire
préservation des équilibres fondamentaux de lřéconomie. Les questions sont bien
connues en ce qui concerne lřéconomie : Comment réaliser les arbitrages entre le
souhaitable et le possible ? Comment ordonner et planifier les priorités retenues?
Comment allouer les ressources entre préférences individuelles et biens collectifs?
Comment organiser le processus décisionnel pour arbitrer entre les erreurs du
premier type (prendre une mauvaise décision) et les erreurs du second type (rejeter
une bonne décision).
Paradoxalement, les réformes institutionnelles sont beaucoup plus
compliquées à définir et à résoudre que les problèmes économiques. Quel est le
modèle institutionnel qui apporte aux populations une autre organisation sociale et
un niveau de bien-être supérieur à lřancien ?
L'émergence des marchés libres, en l'absence de toute évolution institutionnelle,
n'a pas résolu les problèmes économiques et sociaux auxquels les pays d'Afrique se
trouvent confrontés. Paradoxalement, l'approfondissement de la crise économique et
sociale ainsi que la mondialisation ont relancé le débat sur le rôle de l'État. En effet, le
modèle libéral induit par l'ajustement structurel en Afrique, montre quř «Instituer la
libre concurrence, la propriété privée et le contrat ne suffit ni pour imposer une
modification spontanée des comportements, ni surtout, pour réussir une évolution
naturelle vers un régime de croissance stable et de concurrence raisonnablement
équitable. La transition n'est donc pas portée par une loi naturelle ou par un attracteur,
mais demande au contraire l'intervention d'un agent ou d'un sujet historique, qui est
assez aisément identifiable : ce n'est ni un horloger universel ni une force sociale
mobilisée mais l'État pour autant que ses institutions soient restées ou redevenues
suffisamment fortes ou légitimes».
Les Institutions Financières Internationales semblent préconiser désormais un
rôle plus accru à l'État, ce qui apparaît clairement dans les recommandations sur la
bonne gouvernance. Quelles sont les raisons profondes qui ont motivé ces changements
d'orientation et quelles sont les nouvelles fonctions attendues de l'État ? Il semble que
les déficiences des marchés ainsi que les nouvelles théories de la croissance endogène
ont réintroduit l'État au cœur des mécanismes économiques.

I/ Les imperfections du marché et l'affaiblissement du fondamentalisme de


marché

Sur le plan théorique comme sur le plan empirique, les recherches révèlent de
graves défaillances des marchés qui se traduisent selon Lall (1994) dans les faits qu'ils
ne donnent pas les signaux corrects dans l'allocation des ressources entre activités
simples et complexes et entre l'investissement physique, la technologie achetée et les
efforts technologiques internes.
Le marché, a priori reconnu efficace, est considéré aujourd'hui comme pouvant
se révéler myope laissant apparaître des déficiences trop évidentes. Ces défaillances ont
été analysées depuis longtemps PAR N. KALDOR qui soulignait son double échec dans
sa fonction allocative et dans sa fonction créative. En effet, soulignait-il, en ce qui
concerne la fonction allocative, «premièrement, les prix peuvent donner de mauvais
signaux car ils subissent des distorsions de la part de monopoles ou d'autres influences.
Ensuite, le travail et d'autres facteurs de production peuvent répondre, de façon
inadéquate ou même perverse aux incitations du marché. Enfin, bien que pouvant

286
répondre de manière appropriée aux signaux de prix corrects, les facteurs de production
peuvent être immobiles, incapables de se déplacer ou se déplacent trop lentement». Il
importe alors, comme l'observe A. TOURRAINE, de cesser de voir dans le triomphe de
l'économie de marché le fondement d'un nouveau type de société car "l'économie de
marché n'entraîne pas elle-même la formation d'entrepreneurs et d'un large marché
national ; de la même manière, politiquement, elle peut se combiner avec un régime
autoritaire comme avec une démocratie limitée à des élections formellement pluralistes
ou, au contraire, avec une démocratie modifiant en profondeur la répartition des droits,
des revenus et du pouvoir".
Toutes ces défaillances et imperfections conduisent à des interventions justifiées
des pouvoirs publics qui vont devenir des agents capables de transformer à leur
avantage les règles du jeu et les conditions de leurs interventions. À cela s'ajoute que les
marchés, par essence, ignorent les besoins non solvables et négligent gravement toute
vision à long terme. Ensuite des lacunes apparaissent souvent lorsque les conditions de
la concurrence sont imparfaites (et donc accompagnées d'une asymétrie d'informations)
et génèrent des externalités négatives. Dans le cas de l'Afrique, les dualités structurelles
et divers facteurs, obstacles naturels ou sociologiques empêchent la formation et le
fonctionnement de marchés libres. Ce sont ces défaillances qui réhabilitent aujourd'hui
l'État comme un outil parfaitement indispensable.
Toutes ces imperfections soulignées peuvent être groupées en cinq catégories :
- les imperfections des marchés internationaux en termes d'offre comme de
demande qui conduisent les pouvoirs publics à contrôler par divers biais (barrières
douanières, normalisation, etc.) la concurrence ;
- les imperfections des marchés financiers et d'assurances qui empêchent la
réalisation de certains projets socialement rentables mais trop risqués ou trop peu
rentables pour le secteur privé ;
- la restructuration industrielle qui fait appel au concept dř "avantage
construit" : l'absence d'une concurrence internationale, suite à l'existence d'oligopoles
mondiaux créateurs de rente, amène l'État à subventionner ses entreprises pour les
aider à entrer ou à rester dans l'oligopole mondial afin de pouvoir capter pour la
collectivité nationale une partie des profits de la rente ;
- les externalités positives qui contribuent à l'amélioration de la
productivité et de la compétitivité de l'entreprise sans que celle-ci ne puisse en
supporter les coûts car n'étant pas assurée d'en récupérer la totalité des bénéfices avec le
seul jeu du marché, de telles externalités se rencontrent dans l'éducation et la
formation, dans la recherche pour le développement, dans la diffusion de l'information
et dans la mise en place d'un environnement stable et incitatif ;
- l'existence de rendements croissants et d'économies d'échelle pouvant
conduire à une situation de monopole qui prive l'économie des bienfaits d'une saine
croissance.
Les théories de la croissance endogène qui s'appuient sur ces externalités ont
remis en piste l'intervention de l'État. Les recherches de P. ROMER ont
particulièrement exploré les zones où peuvent exister ces externalités : dans le capital
privé lui-même, par la technologie et l'information qu'il incorpore, dans le capital public
de type infrastructurel qui vient compléter le capital privé, dans la recherche du
développement où la production de chaque agent bénéficie de l'ensemble de la
connaissance, dans la santé et dans le capital humain (théorie de G. BECKER). La
théorie de la croissance endogène réhabilite donc l'intervention publique pour favoriser
certaines formes d'accumulation du capital en général, des infrastructures, de la
recherche, de la formation.

287
D'autres facteurs motivent encore davantage l'intervention de l'État,
particulièrement quand il s'agit des économies en voie de développement. À ce niveau,
trois situations supplémentaires peuvent être soulignées où l'État est le seul instrument
de régulation : d'abord, la réalisation de la stabilité monétaire dans un cadre macro-
économique et macro-financier assaini ; la lutte contre toute les formes d'exclusion et la
production de services sociaux et de biens collectifs que les utilisateurs ne peuvent pas
payer, et l'insertion dans le système mondial de très haute compétition. Sur ce dernier
point, le Président H. CARDOSO note que «la mondialisation impose de nouvelles
tâches à l'État qui, au lieu de s'affaiblir, doit plutôt se renforcer pour être à même de
promouvoir le développement. En réalité, le rôle de l'État est bien plus complexe. Outre
les fonctions classiques comme la sécurité, la santé et l'éducation, il doit accueillir dans
un cadre démocratique, les demandes sociales croissantes pour plus d'équité, plus de
justice, pour un environnement sain, pour le respect des droits de l'homme. À une
citoyenneté plus exigeante, doit correspondre aussi un raffinement plus grand des
actions de l'État. Un État uni et organisé, donc fort, aura de meilleures conditions de
faire face aux besoins de la mondialisation».
A l'appui de cette idée on avance généralement deux arguments, d'une part, la
constitution d'oligopoles mondiaux créateurs de rentes pour ses membres et d'autre
part, le nouveau rôle de l'avantage comparatif qui est un élément d'un enjeu plus
général : l'avantage compétitif. Les théoriciens de l'avantage construit (BRANDER et
SPENCER, 1986) ont montré qu'en l'absence d'une concurrence parfaite sur le marché
mondial, avec l'apparition d'oligopoles, l'État est parfaitement fondé "à subventionner
ses entreprises pour les aider à entrer (ou à rester) dans l'oligopole mondial afin qu'elles
puissent capter à leur profit (et à celui de la collectivité) une partie de la rente prélevée
sur les consommateurs étrangers, c'est-à-dire que, si l'avantage compétitif est construit,
l'État sera désormais placé au cœur d'une vaste stratégie de promotion et d'insertion de
ses entreprises et autres acteurs économiques dans le système mondialisé. Il lui revient
la mission d'aider à la mise en place des conditions d'une compétitivité structurelle
permettant, au-delà des prix, de positionner les entreprises nationales sur les marchés
porteurs. Le temps de l'État est loin d'être fini. Non seulement le nombre des
institutions étatiques augmente passant de 50 en 1945 à 225 en 1996 mais les de ses
structures se renforcent. En somme, si les "économies nationales se sont transformées,
elles n'ont pas disparu même si leur marge d'autonomie s'est réduite et si leurs
instruments d'intervention ne sont plus nécessairement adaptées aux impératifs de la
période.
L'ensemble de ces raisons explique le retour de l'État comme gestionnaire de
l'économie ou créateur de règles. La Banque Mondiale, à travers son approche de la
gouvernance, adhère de plus en plus aux théories institutionnelles car elle considère que
l'État peut fournir des biens et services qui remplissent des fonctions économiques
centrales. De même, la gouvernance désigne les aspects institutionnels et politiques qui
permettent à un gouvernement de créer un cadre d'ordre et de stabilité, de formuler et
d'exécuter une stratégie. Sous ce rapport, l'État et ses structures organisationnelles,
ainsi que les modes de gestion des ressources publiques sont concernés au premier chef.
Appliquée à l'ajustement, la bonne gouvernance retrouve toute son importance
en sens que dans la nouvelle mouvance, l'efficacité économique et sociale ne peut être
atteinte que si on réforme tous les lieux de concentration des pouvoirs : pouvoirs
économiques, pouvoirs politiques, pouvoirs judiciaires, etc. Dès lors qu'il est admis une
nécessaire redéfinition des rôles et des missions publiques, il faut s'interroger sur
l'ampleur des réformes de l'État qu'il importe d'introduire.

288
II/ La réhabilitation et la redéfinition du rôle de l'État

«Il est impossible de mener une action durable de modernisation de l'appareil de


production, de procéder à de larges réformes sociales, de modifier la culture des
entreprises et d'accomplir un véritable effort pour accroître la compétitivité du pays à
l'échelle internationale, sans l'aide et le soutien de l'État - mais d'un État complètement
rénové»

1°) Les réformes indispensables de l’État

Il est connu aujourd'hui que la réforme de l'État ne saurait se limiter au


paradigme simple du mieux d'État qui prendrait sa signification dans la déflation des
effectifs de la fonction publique, à la privatisation des entreprises publiques déficitaires
ou mal gérées. Bien que de telles mesures soient importantes, la réforme devrait aller
bien au-delà de ces quelques actions ponctuelles et s'insérer dans une vision globale
d'édification d'une organisation sociale de type nouveau.
En partant de l'idée que le développement économique requiert plusieurs
conditions préalables :
- l'existence d'un projet national cohérent qui puisse mobiliser les acteurs
autour de politiques économiques et financières pertinentes et gérer l'insertion au
système mondial en exploitant toutes les opportunités que celui-ci offre en termes de
capitaux, de technologie et de marché ;
- la mise en place d'un système politique décentralisé et la création d'un
appareil judiciaire fonctionnel et efficace ;
- l'existence d'une politique sociale qui garantisse l'égalité des chances, la
justice sociale et la solidarité vis-à-vis des plus faibles.
L'État s'avère comme un instrument indispensable de mise en cohérence de ces
préalables. Cependant, au-delà de cette nécessité bien évidente, des questions se posent
et que P. JACQUEMOT énumère comme suit :
Quelle est la taille optimale de lřÉtat ?
Quelles taches doivent lui être confiées et lesquelles est-il préférable de les
laisser au secteur privé ?
Doit-il produire lui-même les prestations qu'il fournit ou peut-il en confier la
production à des entreprises privées ?
Dans quelles conditions faut-il étatiser des entreprises privées ou au contraire
privatiser des entreprises publiques ?
Faut-il accroître ou réduire la réglementation régissant la plupart des activités
privées ?
- Faut-il vendre les prestations publiques ?
Par quels moyens doit-il être mis au service des équilibres
macroéconomiques ?
- Quelles sont les limites de l'endettement public ?
À cette série de questions, on peut ajouter celles-ci : s'il faut réformer l'État,
pourquoi le faire ? Avec qui ? Pour qui ? Et Comment ? Encore une fois comme le
souligne JUDET (1994) la recherche de « l'État minimum » préconisé par la Banque
Mondiale est moins à l'ordre du jour que celle de « l'État optimum », allégé sans doute,
mais toujours efficace.
La crise des économies africaines des années 80 ainsi que les expériences
d'ajustement structurel montrent que les stratégies de développement durable et de
croissance dépendent à la fois de la transformation des appareils de production par des
politiques sectorielles pertinentes et par l'utilisation des acquis de la révolution

289
technologique, de la libéralisation des échanges par des avantages construits à partir des
dotations factorielles et du renforcement de la compétitivité, de l'organisation d'une
nouvelle approche de la productivité des secteurs public et privé, de la création d'un
environnement institutionnel incitatif, de l'élaboration et de la gestion d'une politique
sociale. Ces problèmes économiques et sociaux d'une telle ampleur et d'une telle
complexité ne peuvent être résolus par la simple émergence des marchés libres. LřÉtat
africain doit impérativement s'engager, mais sur de nouvelles bases et après avoir réglé
sa double crise financière et fonctionnelle qui l'empêche de disposer de capacités
d'analyse et des systèmes d'information permettant l'élaboration de stratégies de
modernisation à long terme.
En conséquence, l'État devrait se réformer et réadapter ses orientations et
structures aux nouveaux processus de développement. Le consensus dégagé par la
Banque Mondiale visant à imposer des limites à l'intervention de l'État, à alléger les
administrations pléthoriques, à atténuer l'ouverture économique et à accorder une
priorité accrue aux ressources humaines est notoirement insuffisant.

2°) L’État «PRO » en Asie exemple désigné par la Banque mondiale

La Banque Mondiale offre quelques signes bien évidents de changement de


vision allant dans le sens d'une réhabilitation de l'État. Dans son Rapport "The Asian
Miracle" (1993), elle montre que le succès des économies asiatiques de haut rendement
sont dus avant tout à la fixation correcte des fondamentaux macroéconomiques
(épargne et investissements élevés, exportations croissantes, stabilité
macroéconomique, régime concurrentiel, fortes dépenses d'éducation) et à une
intervention de l'État en harmonie avec le marché (market friendly).
Toutefois, il faut aller bien au-delà de ce qu'il est convenu d'appeler le
gouvernement du marché par l'État rendu nécessaire pour garantir les conditions de
fonctionnement du marché en imposant des normes, des règles. C'est vers un État
mobilisateur qu'il faut s'orienter : un État qui soit capable d'assumer des missions de
transformation de l'économie, de régulation, de mobilisation des acteurs et de gestion
de la cohésion sociale. Ce type d'État devrait réussir l'intégration de la vie politique, de
la vie économique et celle des acteurs sociaux.
Au regard des expériences asiatiques, cette conception n'est pas loin de celle de
l'État « PRO » (promoteur, producteur, prospecteur, programmateur) qui a joué un
rôle central dans le développement économique et social.
La question fondamentale est alors de savoir quelles sont les réformes à
introduire pour opérer une transition d'un État faiblement interventionniste ou en voie
de désengagement à un État ayant pour missions essentielles de créer les conditions
favorables au développement et à la croissance et qui soit capable de corriger
positivement toutes les imperfections des marchés. Dans cette période d'ajustement
structurel, ces réformes doivent conduire à doter l'État d'une capacité endogène de
formulation et de gestion des politiques macroéconomiques d'une part, et de régulation
sociale d'autre part. Toute politique économique dépourvue de contenu social va
manquer de légitimité, de durabilité et d'efficacité. Partant de l'expérience de l'Afrique
V. K. JAYCOX (1992) note qu'elle n'a pas bénéficié du même traitement que les autres
régions. En Afrique, on s'est borné à "gérer la crise" et à quelques exceptions près, les
bailleurs de fonds n'ont fait que "répondre à la crise" par des projets d'assistance
technique ponctuels et à court terme. Peut-on vraiment se féliciter que l'assistance
technique à l'Afrique ait augmenté de 50% depuis le milieu des années 80 et qu'elle
atteigne aujourd'hui 4 milliards de dollars par an ? Peut-on accepter la présence de
100.000 conseillers techniques expatriés dans la région, c'est-à-dire plus qu'à

290
l'indépendance" En effet, la capacité d'analyse de la politique économique et la gestion
du développement sont les lacunes les plus criantes de l'État. Or, ces capacités sont
essentielles au processus d'ajustement. Elles sont au coeur de la dynamique du
développement puisqu'elles identifient les changements, les analysent, y réagissent et
les gèrent. Dotés de telles capacités, les pays assumeraient mieux leurs politiques de
développement et seraient beaucoup plus motivés pour les faire aboutir.
À partir de ces missions diverses et des fonctions managériales de l'État, les
réformes à entreprendre peuvent se résumer pour l'essentiel à :
la mise en place d'un véritable programme de réforme de l'État pour en faire
un instrument efficace capable de gérer un système économique performant
et un régime démocratique de liberté ;
l'instauration d'une administration de développement à même de créer un
environnement favorable au développement et à la croissance ;
l'élaboration d'une politique sociale suffisamment expressive de l'idée que
toute réforme économique et démocratique qui n'induit pas de changement
social ne sera pas viable ; en d'autres termes, l'État doit inclure la gestion du
social dans sa stratégie de réforme et mettre en place des mécanismes de
solidarité ;
la décentralisation ou le transfert du pouvoir réel à la base qui permet la
mobilisation de cette myriade d'acteurs et d'organisations de la société civile
pour un développement participatif. La décentralisation va alors devenir
l'école du citoyen réellement actif.

III/ De quelques formes d’État acteur principale de la politique


économique.

Jadis, lřÉtat avait fortement enflé à la fois au niveau économique (constitution


dřun secteur public hypertrophié) et au niveau social (en tentant de protéger tous les
citoyens contre tous les dangers). Ce dernier aspect a entraîné une surcharge des
finances publiques de manière parfaitement inefficaces : on ponctionne les citoyens
par de multiples prélèvements obligatoires sans pouvoir améliorer ni la pauvreté, ni
le chômage, ni les infrastructures sociales. Il sřagit de choix national qui a conduit à
deux types dřÉtat : lřÉtat justicier et protecteur et lřÉtat partenaire, chaque type idéal
pouvant comporter différentes variantes

1°) L’État justicier et protecteur

Lřinterventionnisme social a pour soubassement théorique le réformisme qui


a pris aujourdřhui plusieurs significations selon les écoles philosophiques, politiques
et religieuses qui lřinspirent. Cřest la justice sociale surtout lřéquité au niveau de la
redistribution des richesses qui est le justificatif, le ciment de toutes les Écoles de
pensée.
La première forme de lřinterventionnisme a concerné la protection des
travailleurs contre les graves abus de la révolution industrielle du capitalisme
naissant en matière de droits des travailleurs, de volume de travail, de niveau de
salaire et de la protection du travail. Cette protection passait dřune part par
lřélaboration dřun droit du travail protecteur du travailleur et de son outil de travail et
dřautre part par le recours à des allocations correctrices de toutes les distorsions qui
naissent de lřorganisation économique et sociale.

291
Aujourdřhui, une bonne partie des risques sociaux sont couverts par la
Sécurité sociale qui partant brasse des Fonds substantiels qui en font un acteur
financier de premier ordre dans le système financier international.
La seconde forme concerne la fiscalité qui est devenue au fil du temps
lřinstrument privilégié de lřÉtat : la justice par lřimpôt. Il sřagit de réduire les
inégalités sociales par une taxation spéciale des grandes fortunes. La social-
démocratie suédoise est basée sur cette philosophie. Il faut écrivait Olaf PALM « un
Etat plus doux pour les pauvres et plus exigeant pour les riches ». Dřautres États ont
élaboré des politiques de redistribution du revenu car selon le mot de Jacques
DELORS « Le gâteau social ne sort pas bien découpé du four de la production. Or,
mieux découpé plus il sera grand ».
La troisième forme est celle de lřÉtat protecteur de lřéconomie nationale au
niveau interne par les nationalisations des secteurs clefs et à même exercé un
monopole sur certains dřentre eux comme lřeau, lřélectricité et le transport et à
lřéchelle externe par lřapplication de politiques protectionnistes vis-à-vis de
lřextérieur : protection des industries naissantes et des avantages relatifs.
Dans la mondialisation, le protectionnisme est loin dřêtre éteint, il a changé de
forme et se déroule entre les blocs de haute compétition qui configure la
mondialisation multipolaire : ALENA, UE, ASEAN, MERCOSSUR.
J. M. KEYNES théorise lřinterventionnisme de lřÉtat en dégageant une
politique économique menée par lřÉtat avec ses deux instruments traditionnels : la
monnaie et le budget. Lřauteur offre tout à la fois une méthode : la macroanalyse, un
but : le plein emploi et un moyen lřinvestissement à un niveau de vie.
Lřinterventionnisme va alors devenir monétaire et financier et sřexprime par les
actions exercées par les organismes publics sur le marché financier ou le crédit à
moyen terme. Les émissions dřemprunts publics ou semi publics permettent de
mobiliser une bonne partie de lřépargne en vue de financer lřinvestissement.
Progressivement lřEtat a cherché de protéger tout le monde contre tous les
risques qui pourtant ne cessent de sřélargir. Ce sera le début de sa dégénérescence :
les citoyens de plus en plus nombreux demandent de plus en plus de prestations
sociales et veulent payer de moins en moins dřimpôts. Ces deux aspirations sont
contradictoires.

2°) L’État partenaire : vers un partage de rôle entre l’État et le Privé

Cette nouvelle forme dřintervention sřest manifestée dřabord par une volonté
« dřéconomie concertée et « dřéconomie contractuelle ». La planification française en
a été lřoccasion. Il sřagit profondément dřune sorte de partage de rôle entre Secteur
public et Secteur privé. Keynes dira que « lřÉtat devra faire ce que les entreprises ne
peuvent pas faire ». Le secteur public de la recherche-du développement et de la
Défense nationale crée des externalités positives. En plus pour rendre les entreprises
plus compétitives, lřÉtat favorise les fusions et les concentrations de celles-ci
Lřinterventionnisme va profondément changer de nature et de fonction. LřÉtat
nřimpose plus mais propose et régule pour le bon fonctionnement de lřéconomie.
Au niveau des structures formelles les choses ne vont pas mieux suite à la crise
profonde du système public de sécurité sociale, symbole de «l’État-providence»
qui accuse une triple crise dřefficacité (effets pervers de prélèvements excessifs) ; une
crise de légitimité avec côté recettes une redistribution à rebours et côté dépenses la
solidarité déviée avec des difficultés dřévaluation et une crise dřadaptation. Pris en
tenaille entre lřaccroissement soutenu des dépenses et le tarissement des sources de

292
financement du fait de lřassainissement économique et financier, le fonctionnement
du système de redistribution et de protection sociale est de plus en plus bloqué.

Section 3 : La décentralisation ou la connexion avec le local


I/ La décentralisation

La décentralisation apparaît comme une réponse à la crise de gouvernabilité


observée au niveau de lřÉtat central. La décentralisation est en effet considérée
comme une des modalités les plus sûres de modernisation des États, et une des voies
possibles pour accélérer le développement, notamment en Afrique. La
décentralisation correspond à la reconnaissance aux collectivités territoriales locales
d'un certain niveau de responsabilité sur la gestion de leurs affaires. Cette
responsabilité peut prendre la forme d'un transfert de certaines compétences
exercées auparavant par l'État central, ou se traduire par la reconnaissance à la
collectivité territoriale d'une compétence générale, à l'exclusion d'un nombre limité
de domaines gérés exclusivement par lřÉtat central (affaires étrangères, sécurité
publique, gestion macro-économique ...). Cette vision de la décentralisation est en fait
avant tout un système de partage de pouvoirs entre l'Etat et ses démembrements. Elle
est donc essentiellement reliée à la sphère institutionnelle publique. Mais il existe une
autre conception de la décentralisation.
Dans la littérature anglo-saxonne, la décentralisation est décrite comme un
processus graduel de transfert de pouvoirs aux populations, qui va de la
déconcentration à la privatisation, en passant par la délégation et la dévolution des
pouvoirs. Vue de cette manière la décentralisation n'est donc plus réservée à la sphère
publique, elle concerne de fait tous les acteurs, y compris les organisations et
associations de base, les ONG, les intervenants du secteur privé... Dans un cas comme
dans lřautre, la décentralisation inscrit le niveau local au cœur de toute stratégie de
développement durable. Cřest en effet à ce niveau que le développement est
expérimenté au quotidien, dřoù lřengouement actuel pour les questions de
développement économique local. Pratiquement tous les pays de la région ont adopté
et mettent en œuvre des politiques de décentralisation par lesquelles les collectivités
locales deviennent des acteurs importants du développement. Tous attendent des
collectivités locales un second souffle dans la mobilisation des populations pour la
bataille du développement, en même temps quřune meilleure redistribution des fruits
de la croissance. Cřest la raison pour laquelle la plupart des lois de décentralisation
demandent aux collectivités de définir un plan de développement local qui fixe le
cadre et la stratégie de lřorganisation territoriale du développement local.
Le besoin dřune mobilisation politique des acteurs à tous les niveaux autour de
la problématique territoriale de la Nation implique un effort important de production
dřune information de base localisant les principaux enjeux du développement et les
espaces de projets, dans lřobjectif dřidentifier les collectifs dřacteurs capables de
porter les différents projets. Ces espaces-projets sont différents des espaces
administratifs et doivent inclure des dimensions supra et intra territoriales. On remet
de la sorte les thèmes de lřaménagement du territoire au cœur du débat
démocratique.

II/ L'aménagement du territoire, un impératif du développement africain

293
Un territoire, au sens économique, est le siège géographique des activités
humaines. La population qui occupe cet espace procède spontanément à son
organisation, en fonction de données naturelles, culturelles, militaires et
économiques. Aujourd'hui, l'état de développement, les progrès technologiques de
même que la nécessité de la décentralisation ont rendu nécessaires un aménagement
programmé et créatif du territoire, pour au moins trois sortes de raisons: des raisons
économiques, des raisons sociales et des raisons politiques.
D'abord le modèle d'aménagement obéit à une nécessité économique dans des
pays en voie de développement comme les nôtres. Les activités économiques et
financières tendent spontanément à la concentration géographique. C'est cela qui
explique la bipolarité Dakar Ŕ reste du Sénégal. Il en est de même pour les autres
capitales. Les producteurs comme les commerçants ont intérêt à se rapprocher de
l'espace polarisant. L'industrie appelant l'industrie de même que les services et
l'administration, tout finit par se concentrer spontanément dans les grandes villes; ce
qui soulève beaucoup de problèmes.
Ensuite, le schéma d'aménagement du territoire est une nécessité sociale. En
effet, la concentration des activités crée une inégalité géographique devant l'accès à
l'emploi. Elle entraîne des migrations qui vident certaines régions et conduisent au
surpeuplement d'autres régions. Pour trouver un emploi ou pour en changer, les
travailleurs doivent de plus en plus quitter leur lieu de naissance, cela devient une
mobilité forcée avec tout ce que cela comporte comme conséquences sociales.
Enfin, l'aménagement du territoire procède d'une nécessité politique. Sur ce
plan, il faut redéfinir le rôle que l'État doit jouer dans le fonctionnement de
lřéconomie. En effet, l'État moderne est à la fois l'élément stabilisateur, l'instrument
de création des externalités positives et le garant de la cohésion sociale et de l'unité
nationale. C'est pour ces raisons que lřÉtat doit intervenir dans la localisation des
activités en cherchant à les orienter par des incitations et par le financement
d'infrastructures de base ou bien en cherchant à les planifier par des moyens
« autoritaires »
Dans ce cadre, pour éviter les disparités régionales trop fortes et le
développement des inégalités, il ne suffit pas de protéger des régions pauvres en leur
distribuant par des moyens artificiels des ressources financières ou autres. Il faut
plutôt concevoir autrement l'aménagement du territoire pour non seulement changer
d'échelle mais également mettre en réseau acteurs et territoire.
Une politique de redistribution des revenus en faveur des populations rurales
opérée par les autorités ne semble pas indiquée pour une économie aux ressources
limitées, du moins elle nřest pas une solution de long terme.
Il revient à lřÉtat de définir une stratégie novatrice pour amener les ruraux à
participer à la croissance de manière en en recueillir les fruits. J.LAFFONT ne dit-il
pas « quřun bon État est un Gouvernement bienveillant et informé, se composant
dřhommes politiques qui contrôlent lřappareil dřÉtat, utilisent les fonctionnaires des
administrations centrales et des collectivités locales ainsi que les agents des
entreprises publiques pour mener à bien leurs politiques ». Celles-ci devraient
tourner, pour lřessentiel autour de la mise en œuvre des moyens pour réaliser les
promesses dřamélioration du bien-être faites lors des campagnes électorales.

294
Section 4 : L instauration de la bonne Gouvernance politique,
économique et sociale
Dans la vision keynésienne, lřÉtat est un agent économique très spécifique,
dont lřintervention est légitimée par lřexercice de trois fonctions majeures (selon la
typologie de MUSGRAVE) : la production (ou allocation) de biens et services, la
redistribution des revenus, la stabilisation ou régulation de lřactivité économique. Il
doit définir et mettre en œuvre les programmes dřaction que sont les politiques
publiques indispensables pour assurer les ajustements de structures et les cohérences
entre secteurs dřactivité. De plus, il doit développer, outre lřinfrastructure publique,
les règles qui assurent la libre concurrence, la démocratie et une répartition plus
égalitaire des actifs dans le secteur privé, témoignant ainsi la confiance reconnue au
jeu du marché et à ses fonctions régulatrices. En tant quřinstitution, il doit protéger
les contrats entre privés et instaurer ainsi une bonne efficacité contractuelle,
condition sine qua non pour retrouver la confiance des investisseurs tant étrangers
que nationaux. Il établit un ensemble de règles permettant dřinstaurer un climat sain,
susceptible dřattirer et de stimuler les investissements qui, à leur tour, déterminent la
croissance.
Ces mesures sont maintenant connues sous le vocable de « bonne
gouvernance ». Celle-ci doit particulièrement veiller à légitimer lřaction de lřÉtat par
une stricte observance des règles dřéquité et lřinstauration dřinstitutions judiciaires
indépendantes intervenant après échec des médiations préalables et des organes de
prévention des conflits. Le volet économique consiste à construire des systèmes, des
procédures et des organisations socialement acceptables et capables de réguler dans
la transparence et lřéquité, la production et la redistribution des richesses
économiques, ainsi que les ressources nécessaires au développement de lřensemble de
la société à long terme. Dès lors, la gouvernance économique se décline en quatre
grands domaines, reliés entre eux mais distincts dans leurs champs respectifs, leurs
méthodes et leurs principes généraux de fonctionnement :
Le premier domaine est relatif à la gestion macroéconomique, la bonne
gouvernance est souvent mesurée à lřune des simples indicateurs de performance
économique, à savoir :
la gestion des déficits publics internes et externes,
la politique de maîtrise de lřinflation,
la politique monétaire et politique de change,
les politiques sectorielles incitatives aux activités productives,
Le second domaine concerne la création et le développement dřun
environnement favorable aux producteurs. Dans ce sens, les aspects les plus
couramment évoqués par les opérateurs concernent :
le système financier et de crédit,
le régime fiscal applicable aux entreprises,
la législation du travail,
Le troisième domaine intéresse la régulation économique pour laquelle
trois éléments semblent devoir être privilégiés pour améliorer la gouvernance
économique globale :
le système financier,
la concurrence,
les moyens comptables et dřaudit.
Le quatrième domaine se rapporte à lřédification et au développement
dřune société civile forte, dynamique et capable de demander des comptes aux
gouvernements. Elle doit être encouragée par la mise en place dřun cadre

295
institutionnel ouvert sur le pluralisme, la promotion de la dimension genre,
lřindépendance de la magistrature et dřautres entités telles que les commissions
électorales, les organes chargés des droits de lřhomme et les dispositifs anti-
corruption.
Au demeurant, lřintervention de lřÉtat soulève toujours la question de son
efficacité ce qui fait penser aux coûts directs de fonctionnement de lřadministration,
aux coûts imposés au secteur privé, aux distorsions causées dans lřéconomie. À ce
niveau, on peut transposer la formule de la subsidiarité dans la définition des
missions de lřÉtat africain : lorsque les ménages et les entreprises ont plus de capacité
à exercer une activité, lřÉtat doit sřabstenir dřintervenir. Cette position était déjà
défendue par J. M. KEYNES lorsquřil observait que « lřimportant pour lřÉtat nřest pas
de faire ce que les individus font déjà et de le faire un peu mieux ou un peu moins
mal, mais de faire ce que personne dřautre ne fait pour le moment ». À cela, M.
Chatelus ajoute que pour être efficace, lřÉtat doit, intégrer les enseignements de la
théorie des organisations, les concepts de système et de stratégie. Il lui faut
moderniser sa gestion (approche management public), en partant dřune définition
claire des objectifs et non des moyens. Cela suppose la réhabilitation des travaux de
planification et de prospective.

I/ La notion de bonne gouvernance

Cela fait une bonne dizaine dřannées que le concept de « Bonne gouvernance »
a fait irruption dans le domaine du développement. La notion est apparue en 1989,
dans une étude de la Banque mondiale. Elle nřa cessé, depuis, dřêtre évoquée dans les
publications des chercheurs, les injonctions des bailleurs de fonds ou les discours des
gouvernements. Comment expliquer pareil succès aussi rapide ? Pour quřun concept
soit aussi rapidement popularisé par des milieux aussi divers, il faut quřil réponde
précisément à des préoccupations centrales du système dont il est issu. On serait
donc tenté de croire que lřapparition de la gouvernance correspond à un changement
de paradigme dans la problématique du développement. Il sřagissait à lřépoque, pour
les promoteurs des programmes dřajustement structurel (PAS), de corriger lřapproche
« économiciste » de ces programmes et de mettre davantage lřaccent sur lřimportance
de leur environnement normatif et institutionnel.
Dans les années 90, la dislocation de certains États Ŕ tant en Afrique quřen
Europe de lřEst Ŕ ainsi que les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des PAS,
ont conduit la Banque mondiale è redécouvrir la dimension institutionnelle du
marché, déjà très présente chez Adam SMITH On sřest alors enthousiasmé pour les
questions touchant au bon fonctionnement des institutions. Lřenjeu consistait à
trouver les moyens de faire fonctionner efficacement les mécanismes de marché,
donc dřéliminer les dernières rigidités qui auraient pu gêner lřajustement de lřoffre et
de la demande par les prix. Cřest dans un tel contexte, caractérisé par le regain de
vigueur de la théorie institutionnelle du marché et la défiance persistante vis-à-vis
dřune gestion gouvernementale jugée responsable de la crise, que la Banque mondiale
a recouru pour la première fois au concept de bonne gouvernance. Les distorsions qui
caractérisent le fonctionnement des marchés ne pouvaient avoir quřune origine, à
savoir : les décisions arbitraires et imprévisibles des États. Responsabilité,
transparence, décentralisation et participation, autant de concepts dont lřapplication
nřa concerné quřun seul acteur : lřÉtat.
Le concept a été par la suite affiné par de nombreuses institutions
internationales et partenaires au développement (PNUD, Banque Mondiale, OCDE,)
comme cela apparaît dans lřencadré qui suit :

296
Encadré 19 : Différentes définitions du concept de gouvernance
Agence Canadienne de Développement International (ACDI) : l’ACDI
utilise les termes «bon gouvernement» ou «saine gestion des affaires publiques» pour
désigner la façon dont un gouvernement gère les ressources sociales et économiques d’un
pays. Le bon gouvernement (ou la saine gestion des affaires publiques) désigne un exercice
du pouvoir, à divers échelons du gouvernement, qui soit efficace, intègre, équitable,
transparent et comptable de l’action menée.
Banque Asiatique de Développement : Pour la Banque Asiatique de
Développement, la gouvernance se réfère à l’environnement institutionnel dans lequel les
citoyens interagissent entre eux et avec les agences gouvernementales. Même si les aspects
reliés aux politiques sont importants pour le développement, le concept de bonne
gouvernance tel que définie par la Banque aborde essentiellement les ingrédients reliés à
une gestion efficace. La Banque perçoit la gouvernance comme un synonyme de gestion du
développement efficace.
Banque Inter-américaine de Développement : La Banque Inter-américaine de
développement est concernée par les aspects économiques de la gouvernance et la capacité
de mise en œuvre de l’appareil gouvernemental. Ceci implique la modernisation du
gouvernement et le renforcement de la société civile, la transparence, l’équité sociale, la
participation et l’égalité des sexes.
Banque Mondiale : La Banque Mondiale définit la gouvernance comme la
manière dont le pouvoir est exercé dans la gestion des ressources économiques et sociales
d’un pays, et dans un but de développement. Cette définition fait ressortir les trois axes de la
gouvernance à savoir : la forme du régime politique, la manière dont l’autorité est exercée
dans la gestion d’un pays, et la capacité du gouvernement à déterminer et appliquer les
politiques.
Comité d’aide au développement de l’Organisation de Coopération et de
Développement Economiques (OCDE – CAD). Le CAD utilise une définition de la
gouvernance qui rejoint celle de la Banque mondiale, et qui désigne «l’exercice du pouvoir
politique, ainsi que d’un contrôle dans le cadre de l’administration des ressources de la
société aux fins du développement économique et social».
Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD). Pour le
PNUD, il faut entendre par gouvernance, l’exercice d’une autorité politique (la formulation
de politiques), économique (la prise de décisions à caractère économique) et administrative
(la mise en œuvre de politiques) aux fins de gérer les affaires d’un pays. Suivant cette
définition, la gouvernance repose sur des mécanismes, des processus et des institutions qui
permettent aux citoyens et aux groupes d’exprimer des intérêts de régler des litiges et
d’avoir des droits et obligations. Le PNUD a de plus cerné les trois paliers de gouvernance,
à savoir l’Etat qui créée un environnement politique et légal propice ; le secteur privé qui
crée emplois et revenus, et la société civile qui facilite l’interaction politique et sociale.

Il apparaît alors que la gouvernance renvoie pour certains à une amélioration


de la gestion du secteur public ; une responsabilité économique ; la prédictibilité et
lřautorité de la loi et la transparence dans la gestion des affaires publiques. Pour
dřautres, elle signifie «bon gouvernement» caractérisé par les vertus de
responsabilité, de légitimité et de compétence (Banque Mondiale, 1989 ; ODA, 1993).
Également, la gouvernance rattachée de façon explicite à la démocratie (USAID,
1991). Cependant, une autre tentative visant à synthétiser la définition renvoie à la
gouvernance en tant quřexercice de lřautorité politique, économique et administrative
dans la gestion des affaires nationales à tous les niveaux (PNUD, 1997). Appuyée sur
trois concepts clefs : la responsabilité, la décentralisation et la transparence, la bonne
gouvernance a donc consisté en une sorte de « juridicisation » de lřaction publique.
Depuis son apparition, la notion de bonne gouvernance est étroitement liée à
la recherche de solutions à la crise de lřÉtat avec, cependant, des variantes selon les

297
priorités des organisations intervenant dans lřoctroi et la gestion de lřaide
internationale. Or, aujourdřhui, deux principales conceptions de lřÉtat émergent : la
vision jacobine, inspirée de ROUSSEAU, qui repose sur une conception utopique du
pouvoir politique et de la vie démocratique, autrement dit sur un postulat général de
bienveillance des hommes politiques et de lřadministration. Cette conception est
caractérisée par lřabsence dřincitations monétaires et de sanction ; la conception
inspirée de MONTESQUIEU, qui consacre lřabsence de bienveillance des
gouvernements et prend compte, à cet effet, de lřinfluence des groupes dřintérêt.
Lřorganisation de lřÉtat est repensée en termes de contre pouvoirs.
La plus ou moins bonne gouvernance étant indéniablement liée à la forme
dřorganisation de lřÉtat, force est de reconnaître que le modèle jacobin, utile à une
certaine époque, est devenu inadapté voire inefficace à cause essentiellement de la
complexité de la société et de lřéconomie. Or, les pays africains semblent prisonniers
de la vision jacobine quřils ont héritée de colonisation française et qui devient un
véritable vecteur de corruption
Les institutions internationales sont elles aussi prisonnières de cette vision
jacobine. Les politiques dřajustement dont elles préconisent lřapplication prônent une
réduction des salaires réels Ŕ déjà très bas Ŕ dans la fonction publique, mettent en
place des incitations au départ volontaire des fonctionnaires, incitations dont
profitent les employés de lřÉtat les plus dynamiques qui peuvent saisir les
opportunités des conditions de travail plus favorables qui leur sont offertes hors de la
fonction publique (le secteur privé).
La théorie du choix public, outre la nouvelle économie publique dont elle
fournit une marque, postule que les décideurs politiques ne sont guidés que par la
poursuite de lřintérêt général. En lieu et place de cette vision platonique, la théorie du
choix public insiste sur le fait que ces décideurs, comme on le suppose dans la théorie
économique standard, se comportent comme «lřhomo-économicus» : ils maximisent
leur bien-être économique personnel.
Sans doute, il serait excessif dřaller jusquřau bout de la logique de la nouvelle
économie politique qui déboucherait sur ce que JAGDISH BHAGWATI 1989 a appelé
«le paradoxe du déterminisme » (paradox determinacy). Si les politiciens et les
bureaucrates déterminent leurs actions dans le but de maximiser leur bien être
personnel, alors lřanalyse normative nřa aucune chance dřinfluencer la politique.
Il faut sřinterroger sur les conditions préalables à la mise en place des
politiques de bonne gouvernance qui sont dans une large mesure liées à lřapplication
des politiques économiques profondes dont lřAfrique a besoin. En effet, le schéma de
la bonne gouvernance est appliqué aux pays en développement en général et à
lřAfrique en particulier sous lřinstigation des partenaires au développement et des
institutions internationales. Des efforts louables sont entrepris en Afrique pour
mettre en œuvre la bonne gouvernance ; ils sont orientés vers plus de participation,
de responsabilité, de décentralisation et de transparence. De nombreux programmes
visant à étendre le champ de la responsabilité publique (politique ou administrative)
ont été mis en œuvre ces dernières années. Les donateurs ont voulu tout à la fois
rapprocher les décisions du lieu de leur mise en œuvre et accroître la soumission au
droit des autorités publiques et ce, tant au niveau local que national, à travers la
décentralisation et le contrôle de légalité qui lřaccompagne, comme par le truchement
de mesures tendant à renforcer lřindépendance de la justice. Ils ont cherché à obtenir
une plus grande transparence, via lřappui aux médias indépendants, la publication
des procédures de passation des marchés publics, ou lřappui à la création de
structures dřobservation des élections. Lřensemble de ces stratégies a contribué à
promouvoir et à renforcer lřÉtat de droit, support essentiel de la bonne gouvernance.

298
II/ Les différents volets de la gouvernance

1°) Le volet institutionnel

Il constitue aujourdřhui un enjeu important de la recherche et un volet


déterminant de la bonne gouvernance. Comprises comme des ensembles complexes
de normes, de règles et de comportements, les institutions sont conçues pour des fins
collectives. Cřest pourquoi, elles sont souvent assimilées à des organisations cřest-à-
dire des unités de coordination ayant des frontières identifiables et fonctionnant de
façon relativement continue en vue dřatteindre des objectifs partagés par les divers
acteurs de la vie économique, politique et sociale. LřÉtat et son administration, les
marchés et les ONG sont au cœur même du dispositif institutionnel. Quelles sont leur
composition et leurs principales missions, particulièrement dans les réformes
économiques et politiques ? Le volet institutionnel comprend les éléments suivants :
la création dřune commission électorale indépendante ; lřexistence dřun médiateur ;
lřauditeur général ; la direction des crimes économiques et de la corruption ; la
commission des droits humains ; une autorité indépendante pour les médias ;
lřexistence dřune société civile active, etc. Cependant, le simple fait de créer ces
institutions ne suffit pas. Leur fonctionnement réel est essentiel. La raison en est
quřen dépit de la diversité qui caractérise leurs passés et leurs expériences, les pays
africains dans leur ensemble commencent à accepter lřidée quřil y a urgence à créer et
à renforcer un cadre institutionnel pour une bonne gouvernance. Les progrès déjà
réalisés sous le multipartisme doivent maintenant être sauvegardés par un tel cadre
institutionnel. Au nombre des éléments clés de ce cadre figurent :
- un système électoral transparent ;
- un pouvoir judiciaire indépendant ;
- un organe anti-corruption indépendant ;
- une commission indépendante des droits de lřhomme ;
- des structures dřharmonisation et dřexécution des activités liées aux femmes ;
- une société civile forte et active.

2°) Le volet économique,

La prise en charge des problèmes de gouvernance économique requiert, de


lřÉtat et de tous les acteurs politiques, économiques et sociaux, de la volonté, de
lřénergie, du temps et une stabilité institutionnelle minimale. Ces conditions sont
nécessaires pour créer progressivement un environnement de gestion économique et
sociale cohérente, adapté, diversifié et prévisible. Cela implique le développement
rapide de capacités dřélaboration de politiques et de stratégies cohérentes à court,
moyen et long termes, combinant lřaction de lřÉtat au marché et visant à mobiliser
sans conflits sociaux majeurs toutes les ressources internes et externes en vue du
développement.
Par-delà les carences en tous genres dont souffre structurellement le continent
africain, sur lesquelles il nřest pas nécessaire de revenir, lřun des déficits les plus
graves réside dans les capacités dřorganisation de la société en général et de lřactivité
économique en particulier. Il appartient aux États, chacun pour ce qui le concerne et
en considération de ses conditions spécifiques, dřévoluer, de combler ce déficit et de
créer pour ce faire, les conditions internes et externes dřémergence de capacités
propres dřingénieries économique, sociale et institutionnelle à mettre au service des
objectifs de lřÉtat, des Entreprises et de la société civile. Cette tâche est certes
complexe et de longue haleine, mais elle constitue un objectif incontournable à

299
moyen terme pour introduire et pérenniser les processus de développement de la
gouvernance économique.
Sur le fond, celle-ci consiste à construire des systèmes, des procédures et des
organisations socialement acceptables et capables de régulariser dans la transparence
et lřéquité, la production et la redistribution des richesses économiques, ainsi que les
ressources nécessaires au développement de lřensemble de la société à long terme. La
gouvernance économique peut notamment se décliner autour de quatre grands
domaines, reliés entre eux mais distincts dans leurs champs respectifs, leurs
méthodes et leurs principes généraux de fonctionnement :
La gestion macro-économique.
La création et le développement dřun environnement favorable aux
producteurs.
La régulation économique.
Lřédification et le développement de la société civile

a) La gestion macro-économique

Pour lřÉtat, en matière de gestion macro-économique, au moins quatre


domaines requièrent une attention particulière pour une bonne gouvernance. Il sřagit
respectivement de la gestion des dépenses publiques, de la collecte des ressources
publiques notamment les ressources fiscales et assimilées, des régimes de taux de
change et des arrangements monétaires.
Dans le domaine des dépenses publiques une bonne gouvernance peut
sřorganiser autour de règles, de dispositions législatives et réglementaires, de
mécanismes de contrôle qui puissent assurer :
Des processus transparents, démocratiques et largement décentralisés
dřexpression des besoins dans les différents secteurs et régions de la
société ;
Des processus administratifs et politiques dřarbitrage entre les priorités,
qui soient clairement affichés et respectés pour leur conférer toute la
légitimité souhaitable ;
Des processus décisionnels permettant le contrôle de leur effectivité par les
différents échelons centraux et décentralisés de lřÉtat, en volume de
dépenses et en destination, en conformité avec les arbitrages arrêtés ;
Lřéquilibre global des dépenses publiques au niveau, si possible, des
ressources budgétaires collectées ou sinon, à de faibles niveaux de déficits
compatibles avec des objectifs clairement visés de croissance économique
ultérieure génératrice de futurs rééquilibrages ;
Lřéquité en faveur des régions et des populations les plus démunies ;
Lřorientation préférentielle des dépenses publiques vers la création et/ou la
consolidation dřexternalités profitables aux producteurs et aux entreprises,
avec lřappui des représentants de la société civile ;
La réduction ou lřélimination des dépenses clairement improductives, et
notamment des subventions dřactivités notoirement
contre-productives et assurées de déficits chroniques ;
Lřamélioration de la cohésion sociale par la promotion de la solidarité, de la
prévention, de la santé, de lřéducation et de la communication ;
La rentabilisation et/ou la création dřinfrastructures de base et des moyens
humains et logistiques nécessaires au développement local ou national ;
Lřamélioration de la sécurité publique.

300
Lřensemble de ces objectifs appelle la mise en place dřorganisations adéquates
de concertation politique et sociale, dřautant plus efficaces quřelles sont ancrées dans
des expressions de la légitimité populaire et des règles de droit. Faute de cela, les
processus budgétaires et les réalisations peuvent être frappés de contestations et de
soupçons dřarbitraire nuisibles à la bonne gouvernance et à lřatteinte des objectifs
fixés.
Il reste cependant que lřinsertion inéluctable des pays africains dans les
processus de globalisation économique (et notamment financière) doit inciter à la
mise en place de mécanismes et structures assurant, à terme, la libre circulation des
capitaux, des garanties suffisantes et attractives pour les investissements directs
étrangers, et une autonomie affichée des autorités monétaires, même fondée sur des
mécanismes de surveillance en usage à lřéchelle internationale.

b) La création et le développement d’un environnement favorable


aux producteurs

La création dřun environnement favorable aux entreprises est un élément


essentiel dřune bonne gouvernance économique et, dans ce cadre, les domaines les
plus couramment évoqués par les opérateurs sont ceux du système de crédit, du
régime fiscal applicable aux entreprises et la législation du Travail.

Structure et politique des crédits


La plupart des pays africains disposent de systèmes de crédit insuffisamment
développés et insuffisamment incitatifs au regard des objectifs traditionnels de
mobilisation de lřépargne intérieure, de financement dynamique et adapté de
lřinvestissement et de monétarisation des économies. À ces objectifs sřajoutent
aujourdřhui des exigences de stabilité, de fiabilité, de transparence et dřobservation
de règles prudentielles généralement admises.
Et à lřheure de la globalisation financière, une bonne gouvernance dans ce
domaine nécessite dřabord lřexistence de cadres juridiques et de normes de gestions
bancaires connues des opérateurs économiques, ainsi que de systèmes de supervision
bancaire sur les transactions nationales et internationales. Cette instrumentation est
nécessaire pour pallier les risques systématiques devenus aujourdřhui plus graves et
pour accroître la compétitivité ou lřattractivité des économies africaines.

Le régime fiscal
Lřenvironnement fiscal de lřentreprise est déterminant pour une bonne
gouvernance économique dans les pays en développement en général et lřAfrique en
particulier. Cette sensibilité particulière est liée à la faiblesse et lřextrême fragilité des
ressources financières des entreprises sur lesquelles des prélèvements inconsidérés
agissent négativement. Cřest pourquoi lřensemble des pays africains ont mis en place
des dispositifs fiscaux particulièrement incitatifs, exonérant les nouvelles entreprises
du paiement de lřimpôt sur des périodes plus ou moins longues. Cela constitue déjà
un cadre de gouvernance positive, qui doit cependant sřélargir dans des conditions
compatibles avec les équilibres budgétaires souhaitables.
Une bonne gouvernance dans le domaine du régime fiscal applicable aux
producteurs, quřils soient personnes physiques ou morales, doit notamment veiller à
ce que :
- Les dispositions fiscales arrêtées dans un domaine à des fins incitatives ne
soient pas annihilées par dřautres dispositions dans des domaines connexes. Une
nécessaire cohérence globale dans les objectifs, les moyens et les dispositifs

301
opérationnels de prélèvement doit être constamment recherchée et mise en œuvre.
Une attention particulière doit être prêtée à ce titre aux interfaces entre régimes fiscal
et régime douanier, notamment pour ce qui concerne les inputs importés ;
- Les activités productives effectives bénéficient dřavantages fiscaux
significativement plus marqués que les activités purement commerciales et/ou
spéculatives ;
Une écoute permanente soit accordée aux doléances des organisations et
corporations de producteurs, à lřeffet dřidentifier notamment les effets
éventuellement pervers de dispositions fiscales incitatives ;
Les marges dřinterprétation des services fiscaux soient aussi minces que
possible, à lřeffet dřéviter des iniquités, des incompréhensions et des
arbitraires administratifs toujours préjudiciables au développement des
initiatives. À ce titre, une bonne gouvernance doit veiller à organiser des
processus dřaudits, de contrôle et dřévaluation permanents et
professionnels pour corriger les effets pervers des dispositions prises ;
La plus grande simplicité possible des textes et de lřarchitecture des
prélèvements fiscaux soit visée. Lřadhésion des opérateurs est incompatible
avec lřopacité et/ou la trop grande complexité des règles de droit fiscal ;
Les voies claires de recours soient juridiquement établies et mises en œuvre
selon des conditions de célérité et dřéquité devant lřadministration, qui
puissent conforter lřentrepreneuriat tout en sauvegardant les attributions
régaliennes de lřÉtat. En particulier, lřinstauration et/ou la dynamisation de
tribunaux administratifs ou encore dřorganes ouverts de conciliation et de
médiation peuvent constituer des axes de travail sur une bonne
gouvernance dans le domaine du régime fiscal ;
Créer des structures de conseil, dřaide professionnelle et dřexpertise fiscale
en faveur des opérations économiques dans le domaine fiscal. Ces
structures dřappui sont dřautant plus nécessaires que la culture économique
moderne est carante dans de nombreux pays africains, et que
lřanalphabétisme est encore trop répandu ;
Vulgariser (par les moyens adéquats à chaque pays et chaque culture) les
dispositions essentielles des lois fiscales encadrant les actes
dřinvestissement, de production et de commercialisation. En particulier, il
doit être veillé à la contribution des médias lourds à cette vulgarisation, en
sus des mobilisations de vulgarisateurs professionnels.

La législation du travail
Une bonne gouvernance dans le domaine des relations professionnelles doit
dřabord veiller à la création et la préservation de lřéquilibre des droits entre
employeurs et salariés. Cet équilibre est variable selon les conditions historiques et
sociales de chaque pays, mais des règles universelles minimales ont été édictées à
lřéchelle internationale et ratifiées par la plupart des pays africains. Ces règles
couvrent des domaines très larges et diversifiés, allant de la reconnaissance des
syndicats et du droit de grève à lřinstauration de minimum salarial, en passant par les
droits à la protection sociale en matière de vieillesse, de maladie et dřaccidents du
travail.
Une bonne gouvernance dans ces différents domaines consiste dřabord en
lřorganisation de cadres de concertation et de dialogue entre partenaires sociaux, où
lřÉtat arbitre en dernier ressort sur la base de règles de droit clairement affichées et
dřinstitutions de médiations préalables. La gouvernance économique doit
particulièrement veiller à légitimer lřaction de lřEtat par une stricte observation des

302
règles dřéquité et lřinstauration dřinstitutions judiciaires indépendantes intervenant
après lřéchec des médiations préalables et des organes de prévention des conflits.

La régulation économique
Au niveau de la régulation économique, trois domaines semblent devoir être
privilégiés pour améliorer la gouvernance économique globale : le système financier,
la concurrence et les normes comptables et dřaudit.
Sřagissant du système financier qui a déjà été évoqué partiellement à propos
des institutions de crédit, un premier axe de bonne gouvernance consiste à
institutionnaliser de façon irréversible lřautonomie des instituts dřémission à lřégard
des gouvernements, et affecter à ces instances financières la plénitude des
attributions de régulation des contrôles des établissements financiers, de contrôle de
la masse monétaire en circulation, de gestion des réserves de change et de fixation
des règles prudentielles. Il appartient aux instituts dřémission de veiller, en
coordination avec les exécutions, à la stabilité des prix et à la mise en place des
dispositifs de régulation et la minimisation des déficits budgétaires. Ces attributions
tendent à sřuniversaliser avec les contraintes de globalisation financière et les
exigences légitimes des organisations financières multilatérales.
Le captage de ressources longues dans un cadre réglementaire robuste et
transparent peut sřeffectuer à travers des mesures visant à faire émerger un marché
des capitaux telles que la démonopolisation des systèmes de pension et de retraite, la
recapitalisation Ŕ restructuration des banques de développement de manière à attirer
les prises de participation privées et les soustraire à lřingérence politique, la création
de fonds de garanties pour amortir les risques bancaires, la mise en place des
stimulations pour le retour des capitaux fugitifs.

Normes comptables et audit


Le renforcement systématique de la transparence financière et des pratiques
comptables des secteurs public et privé est un atout important de gouvernance des
pays africains et une condition pour lřinstauration de relations saines et rapides avec
les institutions financières internationales.

Concurrence et compétitivité
Il est aujourdřhui universellement admis que lřinstauration dřéconomies de
marché saines et dynamiques est indissociable du développement de règles de
concurrence loyale entre opérateurs économiques. Ces règles visent, notamment, à
rendre transparentes et équitables les conditions dřentrée et de fonctionnement de
tous les acteurs dans les marchés nationaux, et à éliminer les obstacles générateurs
de rentes indues et dřabus de position dominante. Mais de nombreuses contraintes
pèsent sur les économies et sociétés africaines pour lřinstauration et la mise en œuvre
effective de règles de concurrence économique, aux niveaux interne et externe.
Au niveau interne, les économies africaines sont marquées par lřexistence de
secteurs informels extrêmement importants, la persistance dřactivités de subsistance
pure, de très faibles niveaux de productivité des facteurs, la prédominance de micro-
entreprises et dřactivités modernes naissantes et peu compétitives, une faible
monétarisation des échanges et enfin la persistance ou le développement de la
corruption. Ces handicaps sont autant de défis pour une bonne gouvernance
économique.
La gouvernance de la concurrence dans les pays africains nécessite, par
conséquent, des efforts considérables dřinsertion des économies informelles dans les
circuits légaux, lřidentification et lřélimination progressive des situation de rentes et

303
de prélèvements indus, le développement de lřinformation économique et des
dispositions particulières permettant dřasseoir lřattractivité des capitaux
internationaux tout en préservant, par les voies appropriées, le développement des
capitaux locaux de production de biens et de services. Le libre jeu de la concurrence
doit donc être analysé au cas par cas et adapté aux objectifs de croissance et de
développement.

3°) Le volet social.

Ce volet intègre le développement de la santé, de lřéducation et de lřhabitat ; en


somme trois facteurs constituent les éléments pertinents dřappréciation du
développement humain et surtout de la nouvelle dimension de la pauvreté.
Tous ces développements ont permis de mesurer toute la complexité de la
gouvernance qui devrait permettre de mobiliser toutes les ressources matérielles et
humaines de façon efficiente et appropriée afin de libérer toutes les énergies et les
forces vives, les compétences, les talents, lřentreprise et lřesprit dřentreprise des
populations. Ainsi la bonne gouvernance devient alors lřutilisation efficiente et
démocratique de lřÉtat pour la gestion de la société dans ses différents aspects
politiques, économiques et sociaux. Quel est lřétat de la bonne gouvernance et du
développement humain au Sénégal qui vient de connaître une alternance politique
remarquable à lřissue dřélections démocratiques?

4°) L’encouragement et le soutien à l’établissement d’une société


civile

Une société civile forte et active appelle un cadre institutionnel ouvert sur le
pluralisme, la promotion de la dimension Genre, lřindépendance du pouvoir
judiciaire et dřautres entités telles que les commissions électorales, les organes
chargés des Droits de lřHomme et les dispositions anti-corruption.
Parmi les indicateurs qui peuvent mesurer la performance de la gestion et de la
participation figurent le contenu et lřimpact des politiques ainsi que les programmes
de valorisation des nationaux. La promotion dřorganisations professionnelles et de
syndicats est à même de sceller une étroite corrélation entre la croissance
économique et la bonne gouvernance qui la sous-tend.
Cet enjeu recèle une dimension et un enjeu où lřÉtat lui-même se trouve
interpellé dans ses responsabilités historiques. Dans les pays africains, lřÉtat post-
colonial est en effet mis au défi de continuer à assurer plus efficacement que par le
passé la mission essentielle dřagent de développement et de réaliser cette entreprise
en favorisant un rôle croissant du secteur privé comme vecteur de croissance.
Cette présentation permet de se prononcer sur lřefficacité des réformes
économiques entreprises ainsi que leur impact social. En résumé, on tente de
mesurer, à travers ces développements, lřincidence des institutions, surtout
publiques, sur le développement.

304
CHAPITRE 14
LIBÉRALISATION DES ECONOMIES AFRICAINES PAR
LES PROGRAMMES D’AJUSTEMENT STRUCTUREL
La crise des économies africaines dont la manifestation la plus intangible
réside dans la montée et la persistance de multiples déséquilibres internes et
externes, trouve son origine dans les bouleversements des structures économiques
intervenus durant la période coloniale et qui ont imposé partout des modes
spécifiques de valorisation conforme à la logique de la division internationale du
travail. Cette situation, du fait dřun ensemble dřincertitudes optionnelles, sera
entretenue et même amplifiée au lendemain des indépendances en 1960. Ainsi, dans
la période 1960/1980, es les économies primaires devenues fortement aléatoires et
stagnantes avec une chute de la production, une détérioration en termes réels des
prix entraînant un appauvrissement des producteurs.
La baisse de la rente agricole qui a résulté de cette situation nřa pas été relayée
par de nouveaux secteurs productifs, dynamiques et générateurs de surplus et
dřemplois. En dehors du secteur pétrolier, les secteurs miniers nřont produit quřune
rente épisodique (1973) et les secteurs industriel et tertiaire sont restés encore
marginaux. Le secteur industriel nřa pas atteint non plus de grandes performances, ni
un dynamisme lui permettant dřaller à la conquête des marchés extérieurs et de
contribuer positivement à lřamélioration de la balance commerciale181.
Ces différentes évolutions avaient abouti à un ralentissement de la croissance
du PIB et une accentuation des déficits chroniques et cumulatifs des Finances
Publiques et de la Balance des Paiements. Avec un croît démographique proche de
3 % par an de 1960 à 1980, la croissance du PIB par tête devint négative dans la
période de 1970-85. Lřexcès de demande sur les ressources produites fut accentué par
un accroissement continu de la part des dépenses de consommation dans le PIB. La
part de l'épargne intérieure dans le PIB est restée partout assez faible. Le déficit du
compte courant sřest fortement élevé pendant que celui des finances publiques
continue de sřapprofondir dans la même période. La perte de compétitivité de
lřéconomie a tendu à faire des capitaux extérieurs une source indispensable de
financement des déficits commerciaux. Le service de la dette a pris des proportions
considérables alors que la dette extérieure devenait insoutenable.
Ce constat laisse apparaître que lřéclatement de la crise économique mondiale
des années 70, en déréglant le système économico-financier international, viendra
extérioriser toutes les faiblesses structurelles des économies africaines quasi
déliquescentes et parfaitement incapables de sřajuster à la conjoncture.
Ainsi, au moment dřaborder le début des années 80, les pays vont connaître
une grave et insoutenable crise de paiement. Lřajustement économique et financier
devenait presque un impératif indiscutable. Cřest dans ce contexte quřen 1979, les
gouvernements démarrent partout des processus ininterrompus dřajustement
devant permettre la stabilisation des déficits par assainissement des structures
dřintervention coûteuses et peu productives, et poser les bases dřun développement
censé être soutenu à long terme. Lřenjeu est décisif et sa contrainte est de minimiser
les risques sociaux liés au rétablissement des grands équilibres.
Les déséquilibres à caractère macroéconomique ont des causes plurielles et
profondes qui, à y regarder de près, se rapportent principalement à lřinefficience des
investissements réalisés pour la plupart sur concours extérieurs publics et privés, aux

181 Moustapha KASSÉ : Sénégal de la crise à l’ajustement structurel, Édit. Nouvelles du Sud, Paris 1991

305
distorsions entre structures de production et structures de consommation ainsi
quřaux dérapages de la demande de consommation publique et privée.

Des investissements impertinents et non rentables : le temps des


éléphants blancs
La rationalité économique et financière voudrait que toute décision
dřinvestissement Ŕ surtout lorsque celle-ci est fondée sur un emprunt extérieur Ŕ soit
subordonnée à un nécessaire calcul coûts/avantages. Plus précisément la viabilité Ŕ
surtout financière Ŕ dřun projet implique que le taux de rentabilité de
lřinvestissement dépasse le coût de lřemprunt. Or, dans le cas des pays africains, ce
principe de base semble avoir été peu ou très mal appliqué et cela en pleine période
de flambée des taux dřintérêt internationaux, de dégradation et dřinstabilité
chronique de lřenvironnement extérieur, toutes choses qui rendent aléatoires la
rentabilisation des projets économiques internes.
La multiplication des chocs exogènes, en renchérissant notamment les coûts
internes de production, a contribué à amoindrir, voire annuler la rentabilité des
investissements. Cřest la période des « éléphants blancs » cřest-dire des
investissements massifs sur des projets de rentabilité douteuse. En fait cette baisse
de rendement des investissements reste essentiellement due, à partir de 1974, à
lřextension du secteur public et à la création dřun vaste secteur parapublic, dont le
mode de gestion nřétait pas des plus orthodoxes. Ce secteur public et parapublic
absorbait annuellement la plupart des crédits bancaires internes et des emprunts
extérieurs.
En outre, il convient de noter que lřaccroissement, dans la production interne,
des biens non commercialisables internationalement (comme la construction
dřédifices publics sur emprunts extérieurs) a également été déterminant dans la chute
de rendement des investissements. En effet, la diminution des produits nationaux
échangeables (comme corollaire de ce qui précède) implique une baisse conséquente
des recettes dřexportation et donc des difficultés à honorer les échéances du service
de la dette, le renouvellement des investissements sur fonds propres et la poursuite
de la croissance.

Les distorsions entre structures productives et structures de


consommation
Liée principalement à des contingences historiques, à des traditions
productives technologiquement attardées, ainsi quřà des comportements de
consommation largement conditionnés par lřextérieur, la liaison sphère de
production/structure de consommation présente partout en Afrique une double
distorsion. Celle-ci demeure liée dřune part à la nature des produits et dřautre part au
coût de production des biens considérés. Cřest ainsi que dans le domaine agricole, la
perpétuation après 1960 des agricultures de rente au détriment de lřagriculture
vivrière a inexorablement conduit les pays à une crise agro-alimentaire. Cette rupture
a engendré une explosion des importations de produits alimentaires.
Dans le secteur des activités industrielles, la distorsion sřexprime en termes de
coûts pour les produits de lřindustrie légère de transformation et en termes de nature
du produit pour les biens manufacturés livrés par lřindustrie lourde des pays
développés. En effet, la politique de promotion dřindustries légères substitutives
dřimportations a généré dans la plupart des cas des coûts de production non
compétitifs ; cela a engendré des importations massives de biens manufacturés
pourtant localement fabriqués. Par ailleurs, lřinexistence dřindustries lourdes
intégrées implique la nécessaire importation des biens de consommation de luxe

306
comme les voitures etc. En somme, la distorsion industrielle se traduit dřune part par
la production locale de biens manufacturés « légers » difficilement écoulables tant à
lřintérieur quřà lřextérieur parce que non compétitifs, et dřautre part par lřimportation
massive de biens industriels Ŗlourdsŗ que le tissu industriel national ne produit pas.
Cette double distorsion à pour inévitable corollaire lřaccentuation du déficit
commercial du pays et du solde de la balance des paiements lorsque les mouvements
compensatoires de flux de capitaux demeurent insuffisants.

L’Expansion non maîtrisée de la demande publique et privée


Le déficit en ressources, lorsquřil y en avait, se maintenait en deçà de 5% du
PIB. Toutefois, après lřéclatement de la crise en 1973 et plus particulièrement à partir
de 1975, une série de déséquilibres vont sřenclencher, entraînant la rupture brutale de
lřéquilibre économico-financier. Il sřagit notamment de :
lřeffondrement brutal de la croissance lié aux fluctuations spectaculaires de
la production agricole et au ralentissement survenu dans lřindustrie ;
Ŗlřenvoléeŗ du tertiaire (notamment le gonflement des effectifs de
lřadministration publique par essence fortement improductive) qui
enregistre un taux de croissance plus rapide quřavant 1975 ;
le maintien des niveaux de consommation individuels et lřexploitation de la
consommation publique alors même que la production par tête était en très
net recul.
La conséquence ne se fit pas attendre : lřépargne intérieure devint négative
impliquant un recours massif à lřendettement extérieur pour financer les
investissements et une part importante des dépenses de consommation publique et
privée. Par ailleurs, outre lřaugmentation rapide de la masse salariale de la fonction
publique, on assiste à une extension des subventions dřexploitation accordées aux
entreprises publiques. Ces subventions ont eu pour effet de réduire le coût unitaire
réel du produit ou service fourni aux consommateurs privés. Cřest dire que lřÉtat, en
accroissant son déficit budgétaire sur la base dřemprunts extérieurs, a favorisé
lřexpansion du secteur public et le maintien du niveau de la demande privée de
consommation.
En réalité, lřaide et les emprunts extérieurs vont de fait jouer le rôle de fonction
dřinvestissement avec, en conséquence, un impact extrêmement limité faute de
pouvoir se greffer sur des projets productifs rentables et capables dřengendrer des
effets dřentraînement sur les activités économiques tournées vers le marché intérieur
et lřemploi.
Cette politique dřemprunt et dřaide ne peut se poursuivre que moyennant des
réformes dont le pacquage constitue le Programme dřajustement structurel. Cřest
dire alors que la crise de la dette est à lřorigine de la vague dřajustement structurel
qui, à partir des années 1980, a submergé dans tous les PSD en général, et à lřAfrique
en particulier. Ces Pays en voie de développement (PVD) et les Institutions
financières multilatérales (IFM) vont implicitement passer le contrat suivant :
maintien des financements et réduction du montant des échéances contre politiques
de stabilisation macro-économique (privatisations, dérégulation, réduction des
dépenses publiques etc.).

Lřobjectif ultime restait principalement le rétablissement de lřéquilibre des


comptes extérieurs alors que les objectifs intermédiaires se ramenaient à la réduction
du déficit budgétaire et au renforcement de la compétitivité externe du pays.

307
Section 1 : Les fondements théoriques des politiques
d’ajustement structurel : la recette libérale.

Lřintervention des institutions de BRETTON WOODS dans le débat sur le


développement va sřaccompagner de profondes transformations, tant dans la
réflexion que dans la pratique. Une nouvelle ère en matière de développement par le
fameux « consensus de Washington » qui est de fait une remise en cause de la
théorie du développement et la spécificité des sociétés sous-développées. II constitue
en somme une sorte de revanche de la théorie néo- classique qui va étendre le champ
dřapplication de son cadre dřanalyse aux sociétés sous- développées.

I/ Le référentiel théorique et les recommandations du consensus de


Washington : une épure séduisante182.

Les programmes d'ajustement s'inspirent de la théorie néo-classique et de la


doctrine libérale: théorie quantitative de la monnaie, théorie des parités de pouvoir
d'achat et théorie des coûts comparatifs183.

1°) La théorie quantitative de la monnaie

Elle est invoquée pour expliquer et justifier que tout processus d'inflation est
ruineux et entraîne de multiples distorsions qui auront une incidence négative à la
fois sur la balance des paiements et sur l'allocation des ressources pour la croissance.
Or, la demande excessive de monnaie est la source principale de l'inflation et des
difficultés de paiements. Dès lors, les experts du Fonds s'efforcent d'évaluer un
agrégat monétaire déterminant dont le niveau dépend à la fois du volume du crédit
intérieur, de la dette extérieure et du déficit budgétaire. Ces trois éléments vont alors
constituer des variables macro-économiques sur lesquelles il faut agir pour enrayer
ou amoindrir l'inflation. Ainsi la limitation du crédit devra avoir une incidence sur les
décisions du secteur privé et public. Elle pourra contraindre le secteur public à
réduire de ce fait ses déséquilibres. Quant à la restriction de l'endettement, elle doit
se traduire par une compression de crédit et un contrôle de ses effets sur
l'accumulation interne car en fait, il faut veiller à ce qu'une dette excessive ne vienne
compromettre la réalisation des investissements productifs. Le déficit budgétaire
constitue le dernier élément de la demande excessive de monnaie. Ce déséquilibre,
pour le Fonds, procède de l'entretien d'une fonction publique pléthorique et surtout,
de subventions au secteur public et parapublic.
Ces trois variables macro-économiques seront surveillées strictement et
maintenues à des niveaux relativement bas pour empêcher une élévation de la masse
monétaire qui serait génératrice d'inflation.

2°) La théorie de la parité des pouvoirs d'achat.

Elle montre que l'évolution du change doit refléter le différentiel d'inflation


existant entre deux pays. Alors, la PPA permet dřanalyser comment le niveau des prix
agit sur les taux de change. Elle constitue la référence dans l'élaboration des
politiques des taux de change et de l'intérêt. Les taux d'intérêt selon le FMI sont

182 Confère annexe 1 pour un exposé détaillé du référentiel théorique. Voir également Hakim Ben Hammouda :
L’économie politique du post-ajustement, Éditions Karthalla, 1999.
183 Moustapha KASSÉ : L’Afrique endettée, Édit. NEAS-CREA, 1992, chapitre1 de la Partie 2 pp72-73

308
souvent maintenus dans les pays en voie de développement à des niveaux bas. Il en
résulte alors une érosion et une mauvaise affectation de l'épargne intérieure. La PPA
permet dřexpliquer le taux de change de long terme. Il sřagit du taux de change réel
qui est défini comme étant le taux auquel on peut échanger un bien ou un panier de
biens dřun pays contre le même bien ou le même panier de biens dans un autre pays.
Par exemple si 1 kg dřarachides coûte 5 euros en France et 3000 FCFA au Sénégal,
alors le taux de change réel doit être égal à 600 FCFA/euros pour que le pouvoir
dřachat des monnaies soit la même dans les deux pays.
La PPA est utilisée dans lřétude de la surévaluation ou de la sous-évaluation
dřune monnaie dans une économie en développement. Dans ce cadre, BALASSA et
SAMUELSON ont analysé les mécanismes dřappréciation du taux de change réel dans
le cas dřune économie protégée si bien que lřeffet BALASSA-SAMUELSON désigne la
distorsion dans la PPA due aux différences internationales de productivité relatives
entre les secteurs des biens échangeables et des biens non échangeables. Elle montre
que l'évolution du change doit refléter le différentiel d'inflation existant entre deux
pays.
Lřinconvénient majeur des taux de PPA est quřils sont plus difficiles à mesurer
que les taux de marché. Les taux PPA font lřobjet dřestimation avec le risque
dřincertitude que cela comporte. Dřailleurs la qualité des biens peut changer dřun pays
à lřautre. De plus les structures de consommation ne sont pas les mêmes pour tous les
pays. Ainsi, il semble difficile de définir un panier de biens standard.

3°) La théorie des coûts comparatifs

Elle est évoquée pour justifier la nécessité d'un commerce sans entrave sur la
base d'une spécialisation des pays dans les productions où elles ont les meilleures
dotations factorielles naturelles, car le commerce extérieur élève la rémunération des
facteurs. Il est alors avantageux pour tous les partenaires à l'échange. En
conséquence, les pays doivent sřouvrir aux relations économiques internationales car
l'ouverture des frontières confère les mêmes chances de développement aux
partenaires. Les techniciens du Fonds évoquent la théorie des coûts comparatifs pour
recommander la promotion des échanges internationaux qui sont un moyen pour
réaliser le bien-être mondial.
Cřest sur ce fond doctrinal d'apparence très cohérente, que le FMI élabore une
politique générale d'ajustement qui a la prétention d'être valable pour tous les pays
confrontés à des déséquilibres macroéconomiques. Le caractère universel de ces
solutions procède du fait que pour le FMI, le diagnostic permet d'établir pour tous les
pays du Tiers-Monde un mal identique: les difficultés de balance des paiements.
Ainsi, les économies sont considérées comme des « boîtes noires » qui réagissent de
façon uniforme aux mêmes stimulants : prix, taux dřintérêt, taux de change. À partir
de tels diagnostics les PAS doivent permettre de parvenir dans un délai raisonnable à
une situation de paiements extérieurs équilibrés.
Dés lors, le rétablissement de lřéquilibre passe par des modifications
structurelles renforçant le rôle du marché dans la régulation de lřéconomie. Le
consensus de Washington va remettre alors en cause toute forme dřinterventionnisme
étatique et proclamer la suprématie du marché dans lřallocation des ressources.

309
4°) Les trois approches des Institutions Financières Internationales

L’approche monétaire de la balance des paiements


Dans cette approche, les déséquilibres de la balance des paiements sont mis en
relation avec lřexcès de création monétaire : le modèle, au demeurant très simple,
permet de calculer le montant de crédit compatible avec un objectif fixé a priori de
niveau des réserves extérieures. Il repose sur deux hypothèses : la constance de la
demande de monnaie par rapport au revenu et le caractère exogène de lřoffre de
monnaie résultant dřune décision autonome des autorités monétaires qui fixent le
niveau de la composante interne de la base monétaire.
Un déséquilibre extérieur ne serait donc que le symptôme dřun mal plus profond,
dřorigine monétaire. Le rétablissement de lřéquilibre de la balance des paiements passe
donc, soit par la réduction du crédit intérieur (crédit à lřÉtat et crédit à lřÉconomie), soit
par lřajustement du taux de change. Dans un premier temps, il sera donc préconisé de
réduire le financement monétaire de lřÉtat (ce qui élimine aussi un éventuel effet
dřéviction du secteur privé de lřaccès aux financements) et, si cela sřavère insuffisant, de
réduire aussi le crédit à lřéconomie. Ce dernier objectif peut sřatteindre de diverses
manières, soit par un plafonnement de la progression des crédits, soit par le jeu du taux
dřintérêt : le FMI préconise ainsi fréquemment le rétablissement de taux dřintérêt
positifs, dans le double but de réduire le crédit et de stimuler lřépargne, supposée
sensible au taux dřintérêt.

L’approche en termes d’absorption


Cette deuxième approche, dřorigine keynésienne, correspond à la situation dřune
économie en situation de plein-emploi où le déséquilibre résulte dřun excès de revenus
distribués. En simplifiant à lřextrême, on peut écrire que le solde de la balance courante
(assimilée à la balance des biens et services) est égal à la différence entre le PIB et
lřabsorption A, définie comme la somme de lřinvestissement et de la consommation. Soit
Y+M = A+X
B = X-M = Y-A
Avec Y : PIB ; M : importations ; X : exportations et B : solde de la balance des
biens et services.
La première équation présente le déficit extérieur comme le simple reflet du
déséquilibre intérieur, caractérisé par un excès dřabsorption par rapport à la
production : la fixation dřun niveau trop élevé de consommation privée ou publique ou
de lřinvestissement (du fait, par exemple, de taux dřintérêt réels trop bas) conduira à un
niveau de PIB élevé, et donc (en admettant une proportionnalité au moins
approximative entre Y et M) à un niveau dřimportations trop élevé par rapport aux
exportations, considérées comme exogènes et fixes à court terme. Les racines du
déséquilibre devront donc être recherchées au niveau de la demande interne
«effective», et renvoient à des niveaux de revenu trop élevés (nécessité dřune réduction
des salaires réels) ou de lřépargne trop faible (nécessité de relever les taux dřintérêt).
Bien que dřorigine différente, les deux analyses précédentes se rejoignent pour
désigner comme cause principale du déséquilibre externe le financement monétaire du
déficit budgétaire.
L’approche centrée sur l’offre et les prix relatifs
Lřapproche de lřoffre est la référence des programmes de la Banque Mondiale.
Elle distingue deux types de biens produits par lřéconomie considérée : les biens

310
échangeables (bien dřexportation, dřimportations et dřimport-substitution) et les biens
non directement échangeables Ŕou domestiques-, cřest-à-dire les biens nřentrant pas
dans le commerce international : autoconsommation, petite production marchande,
logement, certains commerces, …
Deux conclusions fondamentales peuvent être tirées de ce modèle simple :
1. Par rapport aux modèles monétaristes, cette approche accorde une très grande
importance aux conditions micro-économiques de lřactivité et sřintéresse aux
mouvements de substitution, tant au niveau de la production que la consommation.
2. Dans cette optique, le non-respect du système des prix intérieurs tel quřil
résulterait des mécanismes de marché est la source des déséquilibres constatés. Cřest le
système administratif de formation des prix qui, en Afrique, génère les
disfonctionnements dans lřévolution respective des secteurs et entrave la croissance de
lřoffre sur des bases saines. Trop dřadministration des prix et des échanges
(subventions, protections aux frontières, contrôle de la commercialisation), instaurée
pour protéger les producteurs ou les consommateurs, introduit des biais dans le
fonctionnement des marchés, conforte les secteurs protégés dans une structure de coûts
non concurrentielle, et enfin entrave lřexpansion des secteurs ouverts vers lřextérieur
trop mal rémunérés. En vertu de cette approche, la libéralisation des prix et des
échanges est donc une condition absolue pour le retour à la croissance équilibrée.

II/ Les axes de l'ajustement structurel : les enchaînements de l’épure


libérale

Les PAS sont formulés en trois étapes par les experts des Institutions Financières
Internationales :
- la première consiste pour les experts à établir un bilan diagnostic de
l'économie et à identifier toutes les causes de la montée des déséquilibres ;
- la deuxième concerne l'élaboration des objectifs économiques et
financiers ainsi que la fixation de la durée de réalisation des programmes arrêtés ;
- la troisième est celle de la formulation des ajustements nécessaires des
politiques économiques.
Les PAS s'articulent souvent en cinq mesures qui agissent et se renforcent
mutuellement pour permettre de restaurer les grands équilibres internes et externes et
surtout d'améliorer la solvabilité extérieure de l'État :
La première mesure porte sur la croissance économique : le taux doit
être le plus élevé possible, elle doit être régulière et harmonieuse. Elle est une fonction
du taux d'accumulation du capital donc du volume d'investissement qui lui- même
dépend de l'épargne. Il faut réallouer les ressources au profit des projets productifs au
détriment des projets sociaux ;
La deuxième mesure concerne la monnaie et le crédit : ils doivent être
manipulés pour aboutir d'une part au maintien de la demande intérieure à un niveau
compatible avec l'équilibre et d'autre part à la réduction des pressions inflationnistes.
Cela nécessite alors le contrôle du crédit de la Banque Centrale au Trésor, la réduction
du volume du crédit bancaire aux secteurs de l'économie et l'élévation des taux d'intérêt
souvent artificiellement maintenus à de bas niveaux ;
La troisième mesure est relative aux distorsions des marchés et la
vérité des prix. Il faut sur tous les marchés des mécanismes de libre détermination
des prix afin qu'ils reflètent les raretés relatives qui s'y expriment ;
La quatrième mesure concerne la politique budgétaire qui devrait
s'organiser autour d'une régénération des recettes par amélioration de l'administration

311
fiscale, de la réalisation d'économies budgétaires par compression des dépenses et de la
masse salariale
La cinquième mesure est relative à l'ajustement monétaire et la
dévaluation, moyen privilégié, face à la surévaluation des monnaies, pour relancer la
croissance par les exportations.
Ces cinq volets forment le Programme dřAjustement proposé comme une taille
unique aux pays qui recourent aux services du FMI. Mais, à y regarder de prés, ils
constituent un ensemble de mesures qui affectent de façon irréversible les
orientations et les structures dřun pays. Il sřagit en fait de la mise en place, parfois
jusque dans les moindres détails, de politiques économiques dřun modèle de
développement qui repose sur lřidéologie et les principes du libéralisme dont le
fonctionnement est lié à la Division Internationale du Travail. Cřest la référence à
cette philosophie économique et à ses présupposés théoriques qui explique la
cohérence apparente des PAS. Les causalités privilégiées ont abouti à ces certitudes
combinant les enseignements de la Théorie Quantitative de la Monnaie et ceux de la
Parité du Pouvoir dřAchat. Elles peuvent être schématisées comme suit184 :
Figure 19 : Tableau des enchaînements du référentiel théorique

Politiques
de crédit Endettement
laxiste

Déficit de
Déficit Création Hausse la balance
des et/ou
budgétaire monétaire des
paiements
prix

Dévaluation
Hausse de la de la
masse monnaie
salariale nationale

Source : Moustapha Kassé : L’Afrique endettée p.77

À partir de cette épure, on saisit mieux les divers enchaînements des réformes
préconisées par le FMI pour le rétablissement des grands équilibres185.
Cřest alors à la Banque mondiale que revient la responsabilité de la création
préalable dřun cadre institutionnel incitatif et la réforme de tous les centres de
pouvoir pour accompagner la mise en œuvre des politiques sectorielles et de la bonne
gouvernance. Cette dernière est considérée comme la capacité institutionnelle de
gestion des affaires de lřÉtat fondée sur une logique entrepreneuriale et reposant
essentiellement sur des principes de transparence, de participation, de responsabilité,
dřéquité et de probité. Elle est alors une sorte de catalyseur qui doit réconcilier
184 Moustapha Kassé : LřAfrique endettée Édit. NEAS-CREA p77
185 Il existe entre les deux institutions une division des tâches et une collaboration fixées par une
directive de 1986. Les attributions ne se chevauchent pas : le FMI a pour responsabilité première
lřexamen de la politique macroéconomique, alors que la Banque mondiale intervient dans le domaine
des réformes structurelles et institutionnelles et dans lřappui aux secteurs privés et publics (voir
R.SEROUSSI, Les nouveaux gendarmes du monde, Édit. Dunod, 1994)

312
lřefficacité économique et lřéquité, lřÉtat et les citoyens et ériger la démocratie comme
noyau dur de la participation des individus à la vie de la cité.
Globalement, différentes mesures ont ainsi été décidées, visant à rendre
opératoire cette stratégie de conquête des marchés mondiaux :
lřélimination des distorsions dans le libre jeu de tous les marchés ;
la promotion du secteur privé dans toutes les activités productives ;
lřouverture de lřéconomie sur le système des relations économiques et
financières internationales ;
la réduction du rôle de lřÉtat dans les choix de production et dřallocation
des ressources ce qui implique la réduction du secteur public, le
démantèlement des monopoles publics naturels et la privatisation.
On a donc opté en faveur dřun scénario de croissance externe, où
lřaugmentation du volume des exportations était censée stimuler la demande de
travail et de biens dřéquipement de la part des entreprises tournées vers le marché
mondial. En principe, le processus de déversement industriel aurait dû agir comme
courroie de transmission, et diffuser lřimpulsion initiale vers lřensemble de
lřéconomie.
Pratiquement, lřensemble de ce qui caractérisait le Ŗ compromis keynésien ŗ,
processus de négociation politique qui déterminait la gestion de lřéconomie dans le
giron de lřÉtat-Providence, a brutalement été remis en cause comme dans les pays
développés, mais dans une plus grande mesure.

Section 2 : Synoptique des politiques sectorielles

Figure 20

Objectifs
VOLETS DE POLITIQUE ECONOMIQUE
généraux
Vérité des prix : aller vers la vérité des prix

Court terme Politique


Rétablir les des prix
grands équilibres Fluctuation des prix : permettre une
certaine fluctuation des prix
de la balance des
paiements et des
finances Libéralisation de l’économie : vers moins
publiques Politique d’Etat
institutionnelle

Efficience de l’Etat : vers un meilleur Etat


Stabilisation et
assainissemen

Rétablissement Rétablissement des finances publiques :


Long terme : finances baisse des dépenses
Augmentation des recettes
efficacité et publiques et
croissance balance des
paiements
Rétablissement de la balance des paiements :
Balance commerciale :
Diminution des importations
Augmentation des exportations
Balance des capitaux :
Augmentation de l’entrée de capitaux
Diminution de la fuite de capitaux

313
I/ Dette et ajustement

Trois aspects importants du lien dette et ajustement seront analysés :


- analyse des facteurs de massification de la dette et qui ont rendu
l'ajustement inévitable dans de nombreux pays. L'apparition des crises d'endettement
(insolvabilité et non pas illiquidité) va conduire à l'ajustement ;
- les objectifs des PAS en relation avec l'endettement. Les politiques et
programmes d'ajustement abordent le problème des crises d'endettement selon trois
(03) axes complémentaires :
Dřabord la réduction des déséquilibres macroéconomiques majeurs
Ensuite, la réorientation des structures économiques dans un sens plus favorable
à la croissance et aux exportations ;
* contrôle de l'évolution de l'encours, de la structure et des conditions;
* définition des conditions de rééchelonnements,
* les stratégies en matière de dette. L'évolution de la crise de l'endettement
depuis 1982 a conduit les acteurs économiques internationaux à adopter différentes
stratégies au fur et à mesure qu'évoluaient la crise de la dette et la perception qu'en
avaient les principaux acteurs.

II/ La politique commerciale

Le premier axe de la politique commerciale consiste à faire le bilan des


politiques de protection qui ont été menées jusque dans les années 80. Les traits
caractéristiques sont de trois (03) ordres :
Son niveau est élevé et elle incite à la production d'un bien alors que le pays
peut souffrir d'un désavantage absolu pour cette production ;
La politique commerciale multiplie les exonérations qui finissent par
constituer un régime dérogatoire au régime de droit commun ;
Elle recourt de manière abusive aux restrictions quantitatives destinées à
compenser les désavantages relatifs.
Le deuxième axe est relatif aux réformes recommandées pour une libéralisation
intégrale du secteur commercial. Ces réformes sont de trois ordres :
Réformer tous les dispositifs afin dřavoir un système de protection
uniquement tarifaire ;
La réforme du tarif lui-même, en vue dřune suppression progressive de tous
les régimes dérogatoires ainsi que les restrictions quantitatives ;
La réforme de la réglementation du commerce extérieur.
Ces changements essentiels en faveur de la mise en œuvre dřune libéralisation
intégrale appellent des mesures d'accompagnement particulièrement en faveur des
acteurs du secteur. Cřest tout un dispositif transitoire qui doit se mettre en place pour un
apprentissage de la nouvelle réglementation surtout par les entreprises qui bénéficiaient
de la protection et qui, désormais, doivent faire face à la compétition extérieure. Cela
soulève de fait deux questions majeures : en combien de temps et comment les faire
appliquer ?

III/ Les problèmes budgétaires

Le budget est, et a toujours été, un souci permanent des pouvoirs publics. À


cause de sa complexité, il soulève de nombreux problèmes ainsi bien en pays
développés quřen pays sous développés, même si au niveau de ces derniers les

314
problèmes se posent de façon quelque peu différente suivant les niveaux de
développement économique, financier, social, juridique. Lřanalyse doit être menée
avec une extrême prudence et de nombreuses précautions pour au moins une série de
trois raisons : la fragilité des concepts utilisés, les ambiguïtés des indicateurs
disponibles et les incertitudes propres aux sources dřinformation, Tout cela confère
aux finances publiques africaines une évidente spécificité renforcée par deux
éléments additifs : dřune part le déficit budgétaire constant ne peut être résorbé que
par recours à lřemprunt et /ou réaménagement de la dette ou par financement
extérieur (banques et /ou institutions non bancaires) et dřautre part la soutenabilité
de ce déficit (solvabilité, inflation) est entachée par des investissements publics très
peu productifs, et la mobilisation des ressources, notamment lřépargne en faveur du
secteur privé.
En analysant les grandes masses budgétaires les recettes comme les dépenses,
on sřaperçoit de lřimpérative nécessité dřentreprendre des réformes budgétaires.
Jugée excessive et nocive, la part des impôts directs doit selon les réformateurs des
années 80 baisser. La compensation de lřallègement des impôts directs (sur les
revenus) est recherchée à travers lřaccroissement de la charge fiscale indirecte. Ainsi
avec lřintroduction de la TVA, les impôts et taxes de la consommation (impôts
directs) ont été alourdis. Une étude réalisée par le FMI portant sur 94 programmes
financés par le FMI entre 1980 et 1984 révèle que 79 programmes (soit 84 %) ont
comporté des mesures concernant la fiscalité. Parmi celles-ci les plus nombreuses
sont de loin celles qui génèrent des recettes supplémentaires de manière rapide et
commode tout en contribuant à limiter la consommation privée ce qui concorde
parfaitement avec les objectifs immédiats poursuivis alors (contraction de la
demande, réduction du déficit budgétaire).
Cřest le cas des droits et taxes à la consommation qui ont augmenté dans la
quasi-totalité des programmes évoqués (77 sur 79). Les taux des taxes spécifiques
(tabac, alcool, bière ...), des taxes pétroliers, des taxes générales sur les ventes et des
droits de douane à lřimportation ont été relevés dans respectivement 61% ,43% ,46%
et 51% des programmes comportant des mesures fiscales (26). Encore plus dřautres
mesures sans toucher au taux, vont dans le même sens telles celles relatives à
lřadministration de lřimpôt qui ont consacré 52 programmes (soit les deux tiers) et
œuvrent à améliorer les conditions de son recouvrement, renforcer les moyens
dřidentifications et de contrôle des contribuables, rénover des procédures légales de
traitement des litiges (27).
On constate donc que le levier fiscal a tout de même été actionné de manière
appréciable et conséquente dans le cadre de la phase de stabilisation. Il reste que la
reforme fiscale a surtout un caractère stratégique. Elle sřinscrit dans la perspective du
projet à long terme de restructuration des économies et des finances des PVD. Un
modèle de reforme fiscale a été élaboré à cette fin. Ces pays ont été acculés à mettre
en œuvre des politiques dřajustement car confrontés à une crise de leurs finances
publiques.
Les reformes fiscales recommandées aux PVD dans le cadre des Programmes
dřAjustement Structurels ne puisent pas seulement leur inspiration des théories
élaborés dans les PD, mais en pratique aussi se déploient selon un modèle conçu par
ces derniers puis exportés sans une véritable réflexion préalable quand à sa
pertinence dans les pays dřaccueil .De prime abord, il nous faut citer Alan A. TAIT,
Directeur adjoint au FMI qui situe parfaitement le problème par cet aveu édifiant :
« traditionnellement, fonds a semblé admettre tacitement que tout système
dřimposition nationale se développe à partir de taxes commerciales primitives et finit
par comporter des impôts sophistiqués sur lřensemble des revenus . Plus récemment

315
les services du Fonds, reflétant les préoccupations expérimentées en Amérique du
Nord et en Europe, ont manifesté dřavantage dřintérêt sur les questions axées sur
lřoffre. Les résultats de lřévaluation empirique des effets positifs sur lřoffre dřune
baisse des impôts ont été peu concluants ; le fond a néanmoins conseillé de réduire
les taux des personnes physiques, de supprimer les exonérations spéciales et de
cesser de recourir au régime fiscal pour atteindre un trop grand nombre dřobjectifs ».
La reforme fiscale qui leur est proposée, soulève au préalable un problème
ardu : comment réduire la pression fiscale sans courir le risque dřaggraver le crédit
budgétaire ? Peut être en transférant une partie des charges du contribuable sur
lřusager, on espère dans ce cas outre lřextension de la logique du marché, desserrer les
contraintes qui pèsent sur lřajustement des finances publiques, notamment en
conciliant entre la réduction du déficit budgétaire et celle de la pression fiscale. Ceci
étant, la sphère de la fiscalité demeure soumise à son tour à des impératifs
contradictoires qui nřen rendent la reforme que plus difficile. Comment atteindre les
objectifs que sont : le rendement financier, efficacité économique et équité sociale.
Que vise toute reforme fiscale ?

1°) le Rendement fiscal

Elle peut lřillustrer par la courbe de LAFFER : lřobjectif « de rendement


financier peut être atteint en accroissant les recettes fiscales sans alourdir la pression
fiscale. Lřobjectif à cet égard des PAS est de dégager un surplus fiscal permettant de
rembourser la dette extérieure principalement publique. Cependant le problème est
que force est de constater à quelques exceptions près, la Pression Fiscale a déjà
atteint ou dépassé ses limites. De sorte quřon affirme quřune nouvelle évaluation des
taux peut rapporter un montant inférieur de recettes fiscales, si le niveaux
dřimposition et les taux marginaux sont élevés ». Cřest dire que la référence de
« lřimpôt qui tue » est omniprésente. Par ailleurs, on affirme que le coût de lřimpôt
augmente dans une plus forte proportion que le taux dřimposition débouchant sur le
risque de voir lřépargne intérieure diminuer, lřardeur au travail baisser, la croissance
ralentir ....

2°) L’efficacité

Aménager les conditions de lřefficacité en choisissant des bases dřimposition


qui augmentent parallèlement aux dépenses et non au PIB semble être une bonne
stratégie .Les dépenses pouvant augmenter les recettes devraient alors provenir dřun
petit nombre dřinstruments assis sur une large base « il suffira alors de modifier
quelques taux dřimposition pour ramener le total des recherches au niveau voulu ».
Toujours du point de vue de lřefficacité il est préférable de recruter une structure
fiscale relativement neutre c'est-à-dire qui procure des recettes nécessaires tout en
influençant le moins possible lřaffectation des ressources. À cet effet Vito TANZI
énonce 5 conditions qui assurent lřefficacité dřun système fiscal.
1ère condition : Présenter un indice de concentration élevé (collecter une
grande part des recettes à partir dřun petit nombre dřimpôt) ;
2ème condition : Présenter des indices dřérosion faible, de sorte que
lřassiette ponctionnée approche le plus possible son niveau potentiel ;
3ème condition : De brefs retards dans le recouvrement de lřimpôt ;
4ème condition : Prévoir des pénalités sérieuses pour les fraudeurs ;
5ème condition : Éviter des prélèvements spécifiques.

316
3°) L’équité

Les experts de la BM et du FMI mettent lřaccent sur le financement des


dépenses distributives car estiment que la justice peut être davantage une question de
réduction des différences entre dépenses des ménages, quřentre des revenus
personnels et ils précisent dans la pratique que les impôts ne semblent guère être un
moyen de modifier la répartition générale des revenus , leur rôle important du point
de vue dřéquité et quřils fournissent les recettes nécessaires pour payer les dépenses
distributives en particulier , en vue dřaméliorer les conditions des pauvres. En
dřautres termes il revient à la politique dřajustement structurel de faire évoluer les
systèmes fiscaux pour les moderniser les rendre plus simples, plus cohérentes et
surtout les permettre de favoriser lřextraversion des économies dřune part et la
promotion dřun capital privé dřautre part. Cependant, la réalité est tout autre les
ajustements réalisés se sont révélés souvent inadéquats ou inefficaces, et presque
toujours régressifs.
Mais la reforme réalisée durant les années 80 nřa pas que des défauts, elle est à
lřorigine de progrès notables dont le plus important est le fait quřelle ait enfanté de
nouveaux outils qui bien que sensiblement amandés, pourraient constituer de bons
instruments.
En somme tous les États africains avaient une caractéristique commune : des
déficits budgétaires qui ont tendance à sřamplifier ce qui précarise totalement les
finances publiques. Par ailleurs, les Finances publiques partagent toutes dřune part une
grande spécificité des finances publiques avec des recettes budgétaires différentes en
Afrique relativement aux autres PVD ? Les dépenses budgétaires également sont
spécifiques avec la particularité de la soutenabilité du déficit et les modes particuliers de
la réalisation de lřéquilibre.
L'État est le principal facteur de déséquilibre. Dans les périodes d'instabilité, le
comportement de l'État aboutit souvent à une baisse des recettes budgétaires et à une
hausse des dépenses ce qui contribue au creusement du fait et le recours à
lřendettement extérieur avec par moment des conditions de prêts défavorables.
Cřest dire que les finances publiques souvent stabilisées mais rarement ajustées:
conséquences économiques et sociales ce qui va entrainer deux conséquences: la
première se situe au niveau des dépenses courantes qui imposent la réduction de la
masse salariale et lřarbitrage sévère des dépenses de matériel et d'entretien ce qui va
entraîner la baisse d'efficacité de l'administration et le gâchis de certains
investissements, contrôle des dépenses sociales. La seconde conséquence se situe au
niveau des investissements qui ont besoin dřune allocation prioritaire.

IV/ La politique de change

Elle comporte au préalable la restructuration des services publics et des


services financiers avec la mise en place de mesures d'assainissement et de
diversification des systèmes financiers.
La politique de change, instrument de politique économique, comporte deux (02)
volets: la définition du régime du taux de change et les réglementations des opérations
de change.

- Les objectifs de la politique du taux de change :


- le taux de change d'équilibre à long terme
- la stabilité du taux de change
- Les options en matière de régime de change

317
- change fixe et change flottant
- rattachement des monnaies
- Les choix et leurs conséquences
- l'intégration économique et la coordination des politiques économiques

Figure 21 : Ajustement structurel du volet de la politique institutionnelle

Désengagement de l’Etat des secteurs économiques :


Libéralisation Production agricole
de l’économie Institutions de support
Commercialisation et
transformation agricole

Désengagement de l’Etat dans le reste de l’économie :


Vers le Infrastructures et biens publics (routes, ports, éducation,
moins d’Etat santé) ;
Réduction des effectifs de la fonction publique

Amélioration du contrôle financier


Efficience de
l’Etat
Amélioration du recouvrement des recettes fiscales
Vers un
«meilleur» Etat Vers le
Amélioration de la gestion financière, du personnel, du
moins
matériel et des équipements d’Etat

Vers le
moins d’Etat

Section 3 : Les coûts sociaux de l’ajustement.


En fait, les programmes dřajustement structurel, partout où ils sont appliqués,
et quel que soit le résultat a induit des conséquences négatives sur les dépenses
sociales. Aussi bien en matière de revenus, dřemploi, de logement, de santé et
dřéducation, les coûts unitaires ont été fortement augmentés. Selon les analystes du
développement, les pays en développement qui ont le mieux réussi à réduire la
pauvreté, notamment les pays de lřAsie, ont dû engager très tôt leur transition
démographique mais surtout sont parvenus à fournir des services essentiels de santé
et dřéducation à la majorité de la population aussi bien en milieu urbain quřen milieu
rural et ont lourdement investi dans les services sociaux.
Or, dans les années 80, les politiques de stabilisation appliquées en Afrique se
sont avérées très coûteuses du point de vue social et elles se sont conjuguées aux
facteurs d'environnement défavorables pour réduire la qualité de vie des populations
des PSD. La pauvreté est devenue la réalité dominante du monde contemporain.
Toujours présentes dans l'histoire économique et sociale du monde, les inégalités entre
le Nord et le Sud, entre les pays, les villes et les campagnes, entre les individus ont pris
des dimensions extrêmement graves.

318
Une question qui vient immédiatement à l'esprit quand on parle de pauvreté est
celle de savoir comment identifier les pauvres. Pour répondre à cette interrogation,
différentes études sur la pauvreté ont été proposées et elles permettent de répondre à
cette question et à certaines autres comme:
- Qui sont les pauvres ?
- Combien y a t-il de pauvres et quelle proportion représentent-ils dans la
population ?
- Quel est leur degré de pauvreté ?
- Où vivent-ils ?
- Quels groupes socio-économiques sont les plus pauvres ?
- Quels groupes sont exposés à la pauvreté ?
- La pauvreté augmente-t-elle ou diminue- t-elle dans le temps ?
Répondre à la première question à savoir qui sont les pauvres, revient
généralement à déterminer le seuil de pauvreté. Le seuil de pauvreté peut être
déterminé à partir des revenus ou de dépenses de consommation alimentaire ou totale.
La première méthode consiste à classer les ménages par fractile de revenu
(quintile, décile, ...) et à déterminer pour chaque fractile le niveau de revenu en deçà
duquel le ménage ou l'individu est considéré comme pauvre, c'est-à-dire incapable
d'assurer le minimum vital.
La deuxième méthode basée sur les dépenses de consommation consiste à
déterminer le niveau de dépenses minimum qui permet à l'individu d'assurer le
minimum vital, c'est-à-dire les 2.400 calories par équivalent adulte.
Il est important de souligner que chaque méthode de détermination du seuil de
pauvreté comporte des avantages et des limites. La méthode de détermination du seuil
de pauvreté basée sur les revenus n'est pas adaptée aux pays africains.
D'abord, les pays africains ont une importante population agricole. Les revenus
des ruraux sont fortement dépendants des aléas climatiques et des cours du marché
international. L'autoconsommation est un élément important qui contribue à la survie
des populations, notamment à travers les systèmes de solidarité familiale, de culture
vivrière d'autosubsistance, etc.
Le niveau du revenu monétaire n'est pas suffisamment accoutumé pour savoir si
un ménage est dans une situation de pauvreté ou non. La détermination du seuil de
pauvreté à partir des dépenses de consommation des ménages présente l'avantage de
refléter mieux le niveau de vie des populations. Cette méthode permet d'évaluer les
dépenses effectives des ménages qu'il s'agisse de dépenses alimentaires ou non
alimentaires, quelque soit la source de financement de ces dépenses.
Il ne faudrait pas perdre de vue que même les indicateurs calculés à partir de la
consommation sont des mesures moyennes qui portent généralement sur des données
annuelles. Ainsi, n'appréhendent-ils pas le caractère saisonnier de la pauvreté ?
Certains ont été donc amenés à distinguer entre la pauvreté chronique et la
pauvreté transitoire. La première renvoie au caractère structurel de la pauvreté alors
que la seconde en saisit le caractère saisonnier. Le phénomène de la disette, bien connu
dans les pays du Sahel, relève de la pauvreté transitoire.
Les sources de données utilisées dans ce genre d'exercice sont les enquêtes
budget-consommation qui commencent à être disponibles dans beaucoup de pays en
développement. Ces enquêtes ont l'avantage de fournir beaucoup d'informations sur les
dépenses et revenus des ménages, l'accès aux infrastructures de base (santé, éducation).
Mais ils ne présentent pas tous la même robustesse.
Mais on a pendant longtemps pensé qu'une forte croissance économique était
suffisante pour l'éliminer. L'après deuxième guerre mondiale a montré la coexistence de
la montée des inégalités, de la pauvreté et de l'augmentation continue du produit par

319
tête. Le regain d'intérêt de la littérature économique pour la problématique de la
pauvreté est un reflet de la préoccupation grandissante des opinions publiques,
nationales et internationales, à l'égard de la montée de ce phénomène.

Section 4 : Limites des politiques d'ajustement et l’amorce du


post-ajustement

Lřajustement structurel a généralement été assez bien admis puisque tous les
États africains se sont dotés de PAS largement inspirés des thèses néo-libérales en
vogue dans les années 80. Ces PAS, aux résultats très médiocres, ont fait lřobjet de
critiques sévères concernant leur mise en œuvre concrète : réformes imposées de
lřextérieur sans mobilisation des acteurs et des ressources internes, prescriptions
standards ignorant lřhistoire et les réalités socio-économiques locales, ignorance ou
impasse complète des structures institutionnelles indispensables à la mise en œuvre des
PAS. Mais au-delà de ces critiques empiriques, émerge dans les années 90, une remise
en cause plus fondamentale du néo-libéralisme monétariste et de lřensemble de
lřanalyse néo-classique. Les critiques formulées peuvent être présentées sous les 04 axes
qui suivent :

1°) L’aggravation de la pauvreté et l’absence d’un modèle de


répartition des revenus

La mise en œuvre des politiques dřajustement structurel a conduit les


Institutions Financières Internationales à oublier la lutte contre la pauvreté qui
constituait pourtant lřobjectif essentiel revendiqué dans les années 1970. En pratique,
ces politiques, du fait de leur priorité macro-économique, nřont comporté aucun filet de
sécurité, aucune mesure spécifique de correction, visant à endiguer lřaggravation de la
pauvreté et la dégradation des conditions de vie des couches les plus démunies,
directement et fortement touchées par les économies budgétaires (voir A.H. SARRIS).
Le constat de la montée de la pauvreté, comme constaté au chapitre précédent,
débouche sur une question théorique nouvelle : lřobjet de lřéconomie peut-il se résumer
à la recherche de lřefficience maximale dans lřallocation des facteurs de production par
le marché, indépendamment de toute préoccupation quant à la répartition des richesses
ainsi créées ? Ce postulat ne sous-entend-il pas que la distribution sociale sřopère selon
des critères socio-politiques, exogène donc à la rationalité économique ? Ne faut-il pas
partir du postulat opposé et considérer au contraire que la répartition des richesses est
un facteur économique endogène déterminant, qui contribue à définir lřefficience des
facteurs de production ? Comment ignorer, par exemple, que lřaccès à lřéducation ou à la
santé, largement façonné par les politiques de répartition, modèle de manière
fondamentale la productivité du travail et des ressources humaines ? Comment ignorer
également lřimpact quřà la répartition des richesses sur lřorientation sectorielle des
investissements et de la production, du fait de la diversité des comportements dřépargne
et consommation des différentes couches sociales ? Ces questions font apparaître que le
paradigme sur lequel se sont fondées les politiques dřajustement ignore des pans
essentiels du champ de lřanalyse économique.

2°) Le marché possède un pouvoir d’incitation limité

La foi exclusive dans les vertus du marché a souvent conduit à surestimer les
capacités de réponse des agents économiques, et notamment des agriculteurs, aux

320
incitations par les prix. Force est de constater que, dans bien des cas, lřoffre agricole
nřaugmente pas toujours de manière aussi importante ou aussi rapide que prévu. Non
parce que les agriculteurs seraient insensibles aux prix mais parce que lřincitation par
les prix, si elle est une condition nécessaire, nřest pas toujours une condition suffisante
au développement de la production. Interviennent dřabord les comportements anti-
risque de producteurs, avant tout soucieux de se protéger contre lřinstabilité des prix
inhérente aux marchés des produits agricoles (voir notamment les travaux de
BOUSSARD). Interviennent aussi les contraintes structurelles extérieurs au marché
final (accès aux intrants, à la technologie, au financement surtout) qui limitent la
capacité dřaugmentation de la production de chaque agriculteur. Le coût du crédit, et
surtout la couverture du risque (garantie exigée par les organismes prêteurs), sont ici
des freins puissants à lřaccumulation des moyens de production par les producteurs les
plus démunis, les moins à même précisément de fournir les garanties de crédit exigées.
Peut-on espérer que le seul jeu du marché du crédit, qui tend à renchérir le coût des
prêts lorsque les risques augmentent, puisse répondre à ce besoin essentiel de
couverture du risque des producteurs les moins nantis (souvent la grande masse de la
paysannerie) en dehors de toute institution publique ou coopérative dřassurance et de
péréquation des risques ?

3°) L’impératif de la mondialisation : discours libéral et pratiques


protectionnistes

Lřouverture à la concurrence internationale par la réduction des taxes à


lřexportation et des subventions à lřimportation constitue un levier essentiel des
politiques dřajustement structurel. En effet, la recherche de lřefficience maximum dans
la valorisation des facteurs dont chaque pays est doté suppose une spécialisation
internationale dans les productions pour lesquelles le pays est comparativement le
mieux placé. Cette doctrine, théorisée par Ricardo, il y a plus dřun siècle, est
essentiellement statique. Elle suppose une immobilité internationale complète du
capital et du travail et une rémunération homogène des facteurs dans les différents pays
échangeurs (qui est loin dřêtre réalisées aujourdřhui). Elle implique encore une
réciprocité complète et une symétrie parfaite dans la manière de traiter les échanges
internationaux dans les différents pays partenaires.
Or, en matière dřéchanges agricoles en tout cas, les pays développés, conduits par
les États-Unis et lřUnion européenne, continuent de protéger activement leurs marchés.
De ce point de vue, le nouvel accord de lřOMC, bien quřinduisant les changements
importants dans la distribution des soutiens agricoles, ne modifie pas de manière
déterminante lřavantage considérable que confère aux agriculteurs des pays industriels
le maintien dřimportants transferts publics à leur profit (voir K. ANDERSON).
Comment dans ces conditions, avec une productivité du travail initiale bien
inférieure, les pays soumis à lřajustement structurel peuvent-il espérer être compétitifs
sinon par une sous-rémunération accrue de leur main- dřœuvre, qui ne pourra que
renforcer la paupérisation et la crise dřaccumulation dans leur agriculture et, au plan
macro-économique, la récession par la demande que la pression sur le revenu agricole
induit ? Cette libéralisation inégale, par delà la question de morale politique quřelle
pose, soulève des questions de théorie économique. À partir du moment où les marchés
ne sont plus des marchés de libre concurrence mais des marchés oligopolistiques, la
théorie ricardienne perd sa validité. Comme le montrent certaines formulations
théoriques nouvelles (théorie du protectionnisme stratégique développée par P.
KRUGMAN), dans ce cas lřoptimisation de lřemploi des facteurs de production passe par
une certaine dose de protectionnisme ou, en tout cas, par une intervention active des

321
pouvoirs publics et économiques pour créer les structures favorables à lřavantage
concurrentiel (les travaux de PORTER).
Ces quelques considérations appellent, par-delà le doute sur le bien-fondé dřune
ouverture systématique sur les marchés internationaux, à revoir le lien indissoluble
quřétablissent les politiques dřajustement structurel entre le rétablissement des
équilibres macroéconomiques internes et lřouverture externe. Cet aggiornamento
théorique ne ferait dřailleurs que retrouver la pratique : de lřaveu même des bailleurs de
fonds internationaux, la libéralisation se réduit le plus souvent à une réduction des
protections à un niveau «raisonnable».

4°) L’économie politique oubliée

La plupart des experts et des chercheurs reconnaissent aujourdřhui que


lřéconomisme étroit des analyses, justifiant les politiques dřajustement structurel, bute
sur une réalité économique, sociale et politique beaucoup plus complexe que ne le
laissent entrevoir les schémas mécanistes de lřajustement macro-économique. Conçu au
départ pour favoriser les couches sociales productives les plus nombreuses, à
commencer par la paysannerie, lřajustement structurel se heurte à des rapports sociaux
bien vivaces. Dans bien des cas, les couches sociales dominantes, bien représentées dans
lřappareil dřÉtat, détournent les mesures dřajustement susceptibles de les pénaliser et
reportent sur les couches les moins organisées et souvent les plus démunies (dont la
paysannerie), le poids de la contrainte dřajustement.
De ce fait, lřanalyse économique ne peut continuer à ignorer lřéconomie politique
(voir J. BEGHIN et M. FAFCHAMPS). Dès lors, on peut manquer de noter le contraste
entre lřambition des ajustements économiques proposés et la modestie, voire
lřinexistence, des recommandations concernant les ajustements politiques nécessaires.
Peut-on alors concevoir une libéralisation économique sans une libéralisation
politique parallèle, qui rende aux citoyens, aux collectivités territoriales et aux groupes
socio-professionnels la capacité de sřorganiser librement pour avancer dans la
construction dřune économie de marché régulée de manière socialement plus équitable
et politiquement plus conforme au schéma pluraliste ? Certes, la dimension politique,
pour essentielle quřelle soit, échappe au domaine dřintervention des organismes
financiers internationaux. Ce sont ces critiques qui ont poussé à la recherche de
nouvelles voies alternatives à la politique dřajustement structurel ; ce que BEN
HAMMOUDA appelle le post-ajustement dont il faut analyser les quelques idées
fondatrices.

322
Propos d’étape de la Deuxième Partie
Lřanalyse du sous-développement reste toujours dřune grande importance du
simple fait que ce phénomène est divers dans le temps comme dans lřespace. Relevant
dřun domaine dřévolution extrêmement rapide des faits, son appréciation
(évaluation) exige de disposer dřoutils dřinvestigation pertinents pour en connaître
lřétat à la fois économique et social. La variété des définitions, en lřabsence dřun type
idéal au sens de M.WEBER, nous a conduit à qualifier le sous-développement dřabord
par sa structure économique qui est primaire et dualiste, ensuite par son
fonctionnement instable et dépendant de paramètres surtout externes et enfin son
incapacité à rompre le « cercle vicieux de la pauvreté ». Cette démarche a permis
dřétablir la morphologie du sous-développement et de dégager ses caractéristiques à
la fois économiques et sociales. Et surtout dřétudier la question démographique
souvent considérée comme un handicap au développement. Cette analyse dřensemble
permet alors de mieux cerner ce quřil faut faire pour sortir de cette situation. Quels
sont les objectifs, les stratégies et les instruments ?
La théorie économique comme les expériences pratiques semblent indiquer
que la croissance est un des objectifs cruciaux puisquřelle donne les moyens dřélever
le niveau des forces productives matérielles et humaines, de valoriser les dotations en
facteurs et dřaméliorer le bien-être. Toutefois, pour les PSD, la question centrale nřest
pas souvent que faire pour assurer une croissance rapide et harmonieuse; mais que
faire pour commencer à croître ? Cet objectif peut être évalué de façon optimiste ou
de façon pessimiste selon le critère que lřon a choisi. Par exemple, on pourrait
constater une accélération du taux de croissance des PSD par rapport à leur passé, et
être optimiste, ou constater que le taux est inférieur à celui des pays développés, et
donc que lřécart entre pays pauvres et pays riches sřélargit et être pessimiste.
Théoriquement et pratiquement la croissance se distingue du développement
pour lequel, la théorie économique présente trois définitions : dřabord il est souvent
assimilé à la croissance soutenue du revenu (ou de la production) par habitant,
ensuite, il est considéré comme lřensemble des changements structurels qui rendent
la croissance économique pérenne et enfin, il est décrit par la recherche de
lřindépendance pour des pays pauvres qui ont souvent peu dřautorité sur des aspects
importants de leur économie soumise à des facteurs externes qui ne sont pas sous
leur contrôle. Chacune de ces définitions représentent un aspect du développement
qui pourrait signifier lřensemble des transformations économiques, technologiques,
politiques et sociales qui rendent la croissance durable.
Que faire alors pour lancer le processus ou lřauto entretenir ? Cela renvoie à
la définition de stratégies et de politiques claires, pertinentes et planifiées.
Ce qui suppose la définition des orientations générales précises et la
mobilisation dřinstruments adéquats de gestion comme la planification
quřil importe de réhabiliter. Il reste alors à soulever les bonnes questions
sur les choix à faire pour amorcer le développement à savoir:
Le développement doit-il être orienté vers la croissance accélérée du PIB ?
Peut-il sřaccommoder de la satisfaction des besoins sociaux ?
Doit-il reposer sur lřindustrie, sur lřagriculture, sur les services ou sur le
commerce extérieur?
Quelle est la place de la technologie de pointe et des savoirs traditionnels et
locaux ?
Peut-on se dispenser de la constitution dřun Etat fort pour amorcer le
développement ou lřaccompagner et dřinstitutions robustes et efficaces ?
Quelle est la place faite à lřinitiative privée à lřinitiative publique ?

323
En lřabsence, de « modèle prêt-à-porter », ne faut-il pas tenir compte
dřautres expériences pouvant constituer des points de référence riches
dřenseignement tant sur les actions à entreprendre que sur les écueils à
éviter ?
Les réponses à chacune font apparaître des clivages fondamentaux que ce soit
dans les stratégies globales de développement mises en œuvre ou dans les types de
réponse apportés à certains problèmes cruciaux pour les PSD. A la recherche de
nouvelles stratégies et politiques de développement, il est apparu nécessaire
dřanalyser celles des économies émergentes dřAsie et dřAmérique Latine qui
paraissent exemplaires à plus dřun titre : ils constituent aujourdřhui des références
pour nombre de PSD.
Dans ce contexte, il faut tirer, pour le continent africain, toutes les leçons du
miracle asiatique. En effet, la croissance rapide des pays dřAsie de lřEst a montré que
le développement était possible et quřil pouvait sřaccompagner dřune réduction de la
pauvreté, dřune amélioration largement partagée du niveau de vie et même dřun
processus de démocratisation. Evidemment, dans la phase ascendante des PAS les
expériences du miracle est-asiatique étaient considérablement dérangeantes pour les
défenseurs des solutions orthodoxes, car ces pays ne se sont pas conformés aux
prescriptions habituelles des Institutions Financières Internationales. Dans la plupart
des cas, lřEtat et ses institutions ont joué un rôle efficace de création et dřorientation
des ressources vers des projets à long terme.
Cet Etat a été qualifié dřEtat «pro» cřest-à-dire promoteur, producteur,
prospecteur et programmeur. Les gouvernements ont suivi certaines des
prescriptions techniques habituelles, comme par la politique macroéconomique
stable, mais ils ont ignoré les autres. Par exemple, au lieu de privatiser, ils ont crée
des entreprises hautement productives et plus généralement ils ont mené une
politique industrielle pour développer certains secteurs. Les pouvoirs publics
intervenaient dans le commerce, même si cřétait plus pour favoriser les exportations
que pour limiter les importations. Egalement, ils se sont engagés dans un
encadrement du secteur financier, en abaissant les taux dřintérêt et en augmentant la
rentabilité des banques et des entreprises.
En définitive le continent africain est à la recherche dřune nouvelle vision, dřun
paradigme et dřun programme alternatif de développement considéré comme une
transformation de la société. La question centrale est alors comment mettre en place
un système économique et financier performant et jeter les bases de fonctionnement
dřune société démocratique. La tâche des économistes, toutes options idéologiques
confondues, est dřappréhender la situation dřensemble des pays africains, dřidentifier
les éléments permettant de définir le nouveau cadre général de concepts en phase
parfaite avec lřaxiomatique de la rationalité économique. Les éléments à inclure dans
ce cadre de concepts peuvent être jugés en fonction des critères ci-après :
La définition dřobjectifs strictement économiques qui permettent de
sřengager dans la voie dřun développement durable et dřéchapper au piège
de la pauvreté;
La restructuration des institutions de gouvernance et la reconstruction de
lřEtat en vue de la création dřun environnement institutionnel plus incitatif
pour les politiques de développement ;
La mise en œuvre de politiques sectorielles pertinentes dans le cadre dřune
estimation réaliste de la dotation en ressources naturelles et qui accordent
à lřagriculture et aux technologies un rôle moteur dans la réalisation de la
croissance ;

324
Lřélaboration de politiques publiques efficaces dřallocation optimale des
ressources en faveur des activités productives;
Le choix dřune politique de redistribution des revenus qui maximise les
potentialités endogènes de développement ;
La mobilisation de la communauté internationale dans le cadre dřun
véritable partenariat qui accroisse les ressources financières à long terme et
les investissements privés directs étrangers.

325
TABLES DES MATIERES

ACRONYMES ET ABREVIATIONS .............................................................................. 2


Avant Propos........................................................................................................................ 6

INTRODUCTION GENERALE ...................................................................................... 10

I. Naissance de l'Economie du Développement .................................................................... 10

II. La difficulté de trouver un statut à lřéconomie du développement dans la science


économique qui est devenue une entreprise gigantesque. .............................................. 11
1. Le premier courant considère lřéconomie du développement comme un
simple prolongement de lřanalyse macroéconomique .................................................. 12
2. La deuxième attitude théorique considère lřéconomie du développement
comme un chapitre récent de la science économique ................................................... 14
3. La troisième thèse considère que lřéconomie du développement doit se
constituer en discipline autonome en sřassignant un double objectif : offrir
une représentation théorique cohérente du sous-développement et indiquer
les voies et moyens pour en sortir .................................................................................. 15

III. Que recouvre lřEconomie du Développement ? ............................................................. 16


1. A première approximation quřest que le développement ?......................................... 16
2. Le développement peut aussi se définir à partir de facteurs plus quantitatifs
que qualitatifs ............................................................................................................. 17

IV. De la crise du développement à lřavènement du développement durable ........................ 19

V. Les courants de pensée en économie du développement .................................................. 20

VI. P.HUGON a tenté dřétablir une périodisation de lřévolution de la pensée du


développement depuis les indépendances africaines (1960) à la crise des années 80 ....... 21
1. Les années 70 : le moment de la radicalisation avec les succès politiques et
économiques de la tricontinentale qui revendique un Nouvel Ordre Economique
mondial. ......................................................................................................................... 21
2. Le moment de la crise des années 80 et lřavènement de la libéralisation et
de la gestion capitaliste ................................................................................................. 22

VII. Quelle est la structure de cet ouvrage ? ...................................................................24

PARTIE INTRODUCTIVE.
AFRIQUE, CONTEXTE DE MONDIALISATION ET DE SOUS-
DEVELOPPEMENT ……………………………………..29
CHAPITRE 1. CONFIGURATION MULTIPOLAIRE DE LA MONDIALISATION .............. 33

Section 1. Lřinterdépendance relative à la production dans un système productif


dominé par les firmes multinationales ............................................................... 34

Section 2. Lřinterdépendance des échanges ....................................................................... 35


Section 3. Interdépendance et globalisation des marchés financiers ................................ 36

326
Section 4. Lřinterdépendance relative au facteur déterminant des
Technologies de lřInformation et de la Communication................................................. 38

Section 5. Mondialisation multipolaire par formation de vastes blocs régionaux


véritables pôles de compétition ........................................................................ 40

Section 6. Des conséquences non économiques de la mondialisation ………………………..41


I. Mondialisation et déstructuration des identités et valeurs culturelles
par lřéchange inégal des cultures .................................................................................. 41
II. Mondialisation libérale : système économique libéral doit rimer avec
société démocratique ............................................................................................ 43

Section7. La société civile mondiale en gestation et la revendication


dřune mondialisation maîtrisée et équitable ....................................................... 43

Section 8 : La question sécuritaire suite aux évènements du 11 Septembre :


La gestion des nouveaux risques ....................................................................... 45
CHAPITRE 2. L’AFRIQUE PARIA DE LA MONDIALISATION ENTRE
MARGINALISATION, PAUVRETE ET PRECRITE .................................. 47

Section1. Les inégalités et leur portée : la difficulté de réduire la fracture sociale ............ 47

Section2. LřAfrique paria de la mondialisation ................................................................... 49


I. Pauvreté de masse aggravée par la défaillance des systèmes traditionnels
et modernes de protection sociale ................................................................................ 50
II. Etranglement et hypothèque du développement par lřendettement .......................... 52
III. Synoptique des défaillances et des risques de lřAfrique dans la mondialisation ........ 53
IV. Face au déclin de lřAide Publique au Développement (APD)
à la fois insuffisante et mal orientée, la recherche de systèmes
et de politiques monétaires flexibles .......................................................................... 54

Section 3. Les perspectives africaines dřinsertion dans la mondialisation ........................ 56


I. Exigence de construction dřéconomies libérales et compétitives .................................57
II. Exigence dřune régionalisation de gré ou de force ...................................................... 58
CHAPITRE 3. MAÎTRISE DU PÉTROLE ET DE L’ÉNERGIE DANS LA
GÉOSTRATÉGIE DE RÉGULATION DE LA MONDIALISATION .................. 60

Section1 : Le pétrole, une variable Ŕ clé dans la géostratégie et la et la compétitivité de


lřéconomie mondiale avec des accroissements des prix sans fin...................... 60

Section2 : Les choix énergétiques à moyen et long terme .................................................. 62

Section3 : Les États africains et le pétrole : handicap majeur au développement


à la fois pour les producteurs et les déficitaires.................................................. 64

Section 4 : Résorption de la fracture énergétique et valorisation des


potentialités par la coopération et lřintégration ................................................ 66

Section 5 : Quelle solution pour les questions énergétiques?......................................... 68

Propos d’étape sur la partie introductive………………………………………................69

327
PREMIERE PARTIE
THEORIES ECONOMIQUES DU DEVELOPPEMENT ET DU SOUS-
DEVELOPPEMENT : LES GRILLES D’ANALYSE. ....................... 71
CHAPITRE 4. L’ÉCOLE CLASSIQUE : PRÉCURSEURS DU MODÈLE
LIBÉRAL ET THÉORICIENS DE LA RICHESSE DES NATIONS, DES MARCHÉS
LIBRES ET DE LA SPÉCIALISATION INTERNATIONALE ...................................75

Section 1 : Les analyses du développement et de la croissance chez les classiques ........... 76


I. Problématique théorique du développement ramenée à lřaccumulation
productive ..................................................................................................................... 76
II. La question de l’état stationnaire : les risques de crise et de stagnation………………….77

Section 2 : A. Smith fondateur de lřEconomie politique et père spirituel du libéralisme


contemporain ................................................................................................... 77
I. Sur quoi repose la richesse dřune nation ?..................................................................... 78
II. Le rôle primordial du marché libre .............................................................................. 79

Section3 : D.RICARDO : la « grosse tête » de lřEcole Classique, la référence de


la théorie de la rente et du commerce international ...........................................81
I. La Théorie de la rente ...................................................................................................81
II. Les perspectives à long terme ................................................................................... 83
III. RICARDO découvre le commerce international et formule la loi de
lřavantage comparatif ................................................................................................ 83

CHAPITRE 5. ANALYSE MARXISTE : ACCUMULATION PRODUCTIVE,


BAISSE TENDANCIELLE DU TAUX DE PROFIT ET SURVIE DU CAPITALISME ....................... 89

Section 1 : Bref rappel des principales thèses de lřanalyse approfondie


du stade capitaliste ........................................................................................... 90
I. Les quatre conditions de base pour atteindre lřétape capitaliste : lř «aliénation »
des moyens de production .......................................................................................... 90
II. La réévaluation critique de la théorie de la valeur ................................................. 91

Section 2 : Le marxisme comme première pensée critique de lřéconomie


politique de lřEcole Classique ........................................................................ 97

Section 3 : Les modèles marxistes de développement ....................................................... 99


I. Le concept dřaccumulation primitive : transition vers le capitalisme ........................ 99
II. Lřalternative socialisme ou voie non capitaliste du développement ....................... 100

Section 4. Deux limites du marxisme originel : la baisse tendancielle et la


chute inéluctable du capitalisme ..................................................................... 107
I. Les implications de la deuxième version de la détermination des prix
sur la loi de la baisse tendancielle du taux de profit ................................................ 107
II. Pourquoi les sociétés capitalistes ne se sont elles pas effondrées ?
Pourquoi « le capitalisme moribond se porte-t-il toujours bien ? » ............................ 109

Section 5. La contribution positive du marxisme à la pensée du développement .…………111


I. Le premier aspect positif de la théorie marxiste est la concentration
sur le «surplus» économique : les analyses de P. BARAN et P. SWEEZY ..................111
II. Un deuxième aspect positif de lřapproche marxiste est sa concentration
sur les liens entre politique et économique ............................................................... 112
III. Un troisième aspect positif de la théorie marxiste est la constatation
que les «lois» économiques changent avec la société ............................................. 112
IV. La théorie économique marxiste répond à différentes questions

328
que les théories économiques non marxistes nřenvisagent pas .............................. 113

CHAPITRE 6. LA REVOLUTION KEYNESIENNE ET NEO- KEYNESIENNE DE LA


CROISSANCE ET DU DEVELOPPEMENT ........................................................................... 115

Section 1 : Lřanalyse keynésienne ...................................................................................... 115


I. La politique dřinvestissement ....................................................................................... 117
II. La politique monétaire de stimulation de lřinvestissement ....................................... 117
III. La politique budgétaire de stimulation de lřinvestissement ...................................... 119

Section 2 : Lřapproche post-keynésienne du développement et de la croissance .............. 119


I. Le modèle HARROD-DOMAR ....................................................................................... 12
II. Les autres modèles de croissance des autres néo-keynésiens .................................... 122
III. Mise à mort et réhabilitation de la pensée keynésienne ............................................ 124

CHAPITRE 7 : L’ANALYSE NEO-CLASSIQUE : LES NOUVEAUX FONDEMENTS


THEORIQUES DU LIBERALISME ET DU LIBRE ECHANGE ................ 125

Section 1 : Les fondements théoriques de lřanalyse néo-classique..................................... 127

Section 2 : Synthèse néo-classique et développement :


pourquoi et comment faire une croissance durable ......................................... 129
CHAPITRE 8. THÉORIES STRUCTURALISTES ET INSTITUTIONNALISTES
DU SOUS-DÉVELOPPEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT :
APPROCHES TIERS-MONDISTES ET NÉO- MARXISTES ......................... 133

Section 1 : La première véritable Ecole de pensée économique latino-américaine


autour de lřapproche structurale : lřorgane des Nations-Unies, la CEPAL .......... 136

Section 2 : La riposte libérale de lřanalyse du sous-développement : les thèses de C.


CLARK à W.W. ROSTOW ....................................................................................................... 137

Section 3: Les néo-marxistes et les formulations dřune approche du


développement à la lumière de lřœuvre de Marx............................................... 139
I. Le capitalisme à la périphérie ou la définition du sous-développement
comme une structure plutôt que comme un niveau du revenu par habitant .................... 141
II. Lřaccumulation à lřéchelle mondiale permet dřéviter la chute du
capitalisme au Centre .................................................................................................... 143
III/ La question des relations (spécialisation et échange inégal) entre le
centre et la périphérie .................................................................................................. 147

Section 4 : Structuralisme et Institutionnalisme ............................................................... 147


I. Vers un renouveau de lřapproche structuraliste et institutionnaliste
du développement ...................................................................................................... 148
II. Le rôle des institutions ...............................................................................................149
III. Lřévolution des thèses structuralistes: le néo- structuralisme .................................. 151
CHAPITRE 9. ENTREMÊLEMENT DES THÉORIES ET MODÈLES DE LA
CROISSANCE .............................................................. 154

Section 1 : Rappel des théories de la croissance et des schémas dřaccumulation


productive .......................................................................................................................... 156
I. Les théories de la croissance après KEYNES ............................................................... 161
II. Les modèles de croissance endogène ......................................................................... 162

Section 2 : Les facteurs déterminants et mesure de la croissance ....................................... 163

329
I. Les déterminants de la croissance ................................................................................ 163

II. Comment mesurer la croissance .................................................................................. 167

Section 3. Le débat sur la croissance au niveau des PSD: croissance déséquilibrée et


croissance équilibrée ...................................................................................................... 168
I. La thèse de NURSKSE et ROSENSTEIN-RODAN ..................................................... 168
II. La thèse dřHIRSCHMAN et PERROUX ......................................................................169
III. Des critiques de la croissance aux interrogations sur le développement ..................169

Section 4. Une nouvelle approche de lřéconomie politique du développement :


les théories et modèles de la croissance endogène ........................................... 170
I. Le facteur le plus déterminant de la croissance est le capital physique qui
se compose de lřinfrastructure de base ........................................................................ 172
II. Le capital humain variable principale de la croissance:
Les modèles de ROMER, LUCAS et BARRO ............................................................... 173

Section 5. Les issues de la croissance ................................................................................. 177


Propos d’étape sur la première partie..................................................................... 178

DEUXIEME PARTIE
MORPHOLOGIE DU SOUS-DEVELOPPEMENT ET INTRODUCTION AUX OBJECTIFS,
STRATEGIES ET INSTRUMENTS DE GESTION………………………………………………………………..181

CHAPITRE 10. LES CARACTERISTIQUES ECONOMIQUES ET NON


ECONOMIQUESDU SOUS-DEVELOPPEMENT ............................................... 185

Section 1 : Les Caractéristiques dřune économie sous-développée ................................... 185


I. La première caractéristique est la structure primaire et dualiste .............................. 186
II. La deuxième caractéristique est relative au fonctionnement dřune
économie sous-développée ......................................................................................... 188
III. La troisième caractéristique : le sous-développement comme
incapacité à briser le « Cercle Vicieux de la Pauvreté » ……………………………………….191
IV. LřApproche marxiste du sous-développement à travers
lřanalyse de S. AMIN………………………………………………………………………………………..194

Section 2. Les caractéristiques extra-économiques du développement............................. 195


I. Les attitudes à lřégard du travail ...................................................................................199
II. Lřattitude à lřégard du progrès matériel ......................................................................199
III. Lřattitude à lřégard du temps .................................................................................... 200
IV. Lřattitude à lřégard de la corruption ......................................................................... 200
V. Lřattitude à lřégard de lřEtat et du service public ........................................................ 201
Section 3. Techniques de quantification du sous-développement .................................... 204
I. La critériologie ............................................................................................................. 204
II. Les critères de la comptabilité nationale……………………………………………………………205
III. Les critères du développement humain .................................................................... 209
CHAPITRE 11. DEMOGRAPHIE ET URBANISATION ACCELEREE :
FREIN OU CHANCE DU DEVELOPPEMENT ............................................................................ 215

Section 1. Les théories et la pratique démographiques ...................................................... 217


I. Les analyses théoriques ................................................................................................218
II. Les analyses natalistes................................................................................................ 220

Section2. La démographie au niveau mondiale ................................................................. 222

330
I. Historique de la population humaine…………………………………………………………………222
II. La transition démographique depuis 1950 ................................................................ 223
Section 3. Les tendances démographiques globales en Afrique ........................................ 223
I. Le recul de la mortalité et lřamélioration de lřespérance de vie.................................. 224
II. La transition démographique, conséquence du processus de modernisation
économique et sociale……………………………………………………………………………………..225

Section 4. Urbanisation et développement : la ville est-elle


encore un facteur de croissance et de développement ?................................... 227
I. Urbanisation accélérée et chaotique en Afrique ......................................................... 227
II. Corrélation entre défis démographiques et crise économique................................... 230
III. La jeunesse de la population africaine est-ce vraiment un atout ? .......................... 230

Section 5. La problématique de la migration internationale ............................................ 232


I. Le phénomène migratoire............................................................................................ 233
II. Les mutations et tendances de la migration internationale ....................................... 234
III. Les effets des mouvements migratoires ................................................................... 236
IV. Les flux migratoires africains .................................................................................... 237
V. La migration interne : cas de lřAfrique de lřOuest ...................................................... 238
VI. Gestion efficace de la migration ................................................................................ 239

CHAPITRE 12. INTRODUCTION GENERALE AUX OBJECTIFS, STRATEGIES


ET INSTRUMENTS DE GESTION DU DEVELOPPEMENT ............................................... 242

Section 1. Les objectifs en matière de développement ...................................................... 243


I. Les objectifs internes .................................................................................................. 243
II. Les objectifs externes ................................................................................................. 245

Section 2. Les stratégies de développement économique : le débat entre


anciens et nouveaux économistes, entre orthodoxes et hétérodoxes ............................ 246
I. Les anciennes approches des stratégies de développement ...................................... 246
II. Le Consensus de Washington : lřinstauration dřun modèle dřéconomie de marché 247
III. La nouvelle stratégie de lřémergence dans le contexte africain............................... 251

Section 3. Les préalables dřune politique de développement ............................................ 255


I. Quel modèle dřindustrialisation ? .............................................................................. 256
II. Les relations entre lřindustrie et lřagriculture ........................................................... 258
III. Les relations économiques internationales dans la stratégie de développement..... 259

Section 4. Fonctions et techniques de la planification, de la prévision et


de la prospective au niveau des PSD ................................................................... 261
I. Considérations générales sur le processus de planification ........................................ 262
II. Synopsis des étapes dřélaboration dřun Plan.............................................................. 265
III. Les limites du processus planifié des économies sous-développées ........................ 267
IV. Les limites liées au cadre administratif de gestion du processus planifié ................ 274

Section 5. Lřindispensable réhabilitation de la planification et des études


de prospective stratégique ................................................................................. 275
I. La planification, instrument de management des crises et des risques ..................... 275
II. Impérative nécessité dřopérer des études prospectives au niveau national,
régional et continental ................................................................................................ 276
CHAPITRE 13. LE RETOUR DE L’ETAT ET DES QUESTIONS DE GOUVERNANCE
POUR LA BONNE GESTION DU DEVELOPPEMENT .................................... 278

331
Section 1. Les aspects institutionnels de la croissance et le retour de lřEtat
dans le jeu économique............................................................. 283

Section 2. LřEtat dans le développement........................................................................... 285


I. Les imperfections du marché et l'affaiblissement du fondamentalisme
de marché ..................................................................................................................... 286
II. La réhabilitation et la redéfinition du rôle de l'Etat...................................................... 289
III. De quelques formes dřEtat acteur principale de la politique
économique ................................................................................................................ 291

Section 3. La décentralisation ou la connexion avec le local ............................................ 293


I. La décentralisation ...................................................................................................... 293
II. L'aménagement du territoire, un impératif du développement africain ................... 294

Section 4. L instauration de la Bonne Gouvernance politique, économique et sociale .... 295


I. La notion de bonne gouvernance................................................................................. 296
II. Les différents volets de la gouvernance...................................................................... 299
CHAPITRE 14. LIBERALISATION DES ECONOMIES AFRICAINES PAR
LES PROGRAMMES D’AJUSTEMENT STRUCTUREL .............................................................. 305

Section 1 : Les fondements théoriques des politiques dřajustement


structurel : la recette libérale ............................................................................ 308
I. Le référentiel théorique et les recommandations du consensus de
Washington : une épure séduisante ................................................................................ 308
II. Les axes de l'ajustement structurel : les enchainements de lřépure libérale ................ 311

Section 2 : Synoptique des politiques sectorielles .............................................................. 313


I. Dette et ajustement ........................................................................................................ 314
II. La politique commerciale ............................................................................................. 314
III. Les problèmes budgétaires…………………………………………………………………………………314
IV. La politique de change ................................................................................................. 317

Section 3. Les couts sociaux de lřajustement ...................................................................318

Section 4. Limites des politiques d'ajustement et lřamorce du post-ajustement .................. 320

Propos d’étape de la Deuxième Partie………………………………………………………323

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