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Proudhon, Pelloutier, Ravachol...

Le fond de l'air est libertaire


Jacques Julliard

Lorsque Jacques Julliard fait de l'histoire, c'est intéressant... Cet article est paru dans
le Nouvel observateur, n° 2250, 20 décembre 2007. En ligne ici.

Depuis le XIXe siècle, le prolétaire français est libertaire. D'où vient cette
idéologie qui traverse l'histoire du mouvement ouvrier?
Le mot individualisme date de 1824. Socialisme, de 1831. Anarchisme,
de 1834. La coïncidence n'est pas fortuite. Tous trois ont été forgés dans la
mouvance saint-simonienne. Ce n'est pas non plus un hasard. Car enfin, pour
la plupart de ses partisans ultérieurs, l'anarchisme est la synthèse du
socialisme et de l'individualisme. La doctrine de Saint-Simon, à laquelle
Christophe Prochasson consacre un article (voir p. 88), porte la trace de cette
double ascendance. L'auteur du «Nouveau Christianisme» est en effet un
véritable individualiste qui a horreur de l'autorité, qu'elle soit religieuse, politique
ou juridique. A cette autorité, qui est un principe métaphysique, il veut substituer
l'organisation, qui est un principe positif, et même positiviste. L'homme qui a eu
Auguste Comte pour secrétaire, et qui entend, selon la formule célèbre,
«substituer au gouvernement des hommes l'administration des choses»,
pourrait, sans abus de termes, être tenu pour le grand-père de la pensée
libertaire, ses deux pères étant, un peu plus tard, Proudhon et Bakounine. Une
pensée libertaire qui serait passée par l'ENA...
Libertaire plutôt qu'anarchiste, car anarchiste est un mot ambigu. Il
désigne l'absence d'ordre, mais s'agit-il de l'ordre au sens d'organisation ou de
l'ordre au sens de commandement ? En latin, est-ce ordo ou est-ce jussum ?
Au premier sens du terme, l'anarchie est une chose stupide et néfaste. Au
second, c'est l'inspiration humaniste et démocratique poussée jusqu'à ses
dernières conséquences. C'est pourquoi Péguy proposait de distinguer entre
l'anarchie, refus de toute organisation, désordre pur, et l'acratie, refus de toute
vision autoritaire de la société. La plupart de ceux que nous appelons
anarchistes sont en vérité des «acratiques». Ils refusent l'autoritarisme,
notamment de l'Etat, mais consentent à certains principes d'organisation de la
société, mis en oeuvre de façon contractuelle.
La pensée libertaire n'est pas seulement la rencontre de
l'individualisme et du socialisme. C'est aussi la rencontre de cette synthèse
philosophique avec le mouvement ouvrier. C'est que celui-ci, à l'état naissant,
n'est pas en France le fait, comme en Angleterre ou en Allemagne, des ouvriers
d'usine, massifiés, sérialisés, embrigadés. Compte tenu de la lenteur du
processus d'industrialisation et de concentration, les ouvriers professionnels et
même les artisans y jouent le premier rôle. La Commune de Paris n'a pas été
menée par des ouvriers d'usine - peu présents dans la capitale -, mais par des
petits patrons, des compagnons, des ouvriers hautement qualifiés du faubourg
Saint-Antoine. Lorsque Proudhon, à la veille de sa mort, proclame (1864) la
«capacité politique des classes ouvrières», il célèbre l'individualisme sans
doute, mais surtout le fédéralisme, c'est-à-dire l'aptitude des ouvriers à
organiser librement la production sur la base d'associations volontaires. A une
condition : qu'ils restent entre eux, à l'abri de l'influence des politiciens
bourgeois. L'autonomisme ouvrier, ou si l'on préfère l'ouvriérisme, à l'écart des
influences politiciennes, est le fil rouge qui court de Saint-Simon à Proudhon
jusqu'au syndicalisme révolutionnaire d'Action directe, et qui se retrouvera
encore intact en 1968 dans l'idée d'autogestion.
Plus que dans l'anarchisme proprement dit, qui est le fait d'une petite
minorité d'intellectuels déclassés, d'ouvriers marginaux, et qui se traduit par une
vague d'attentats - la fameuse «propagande par le fait» - au cours des années
1890, à travers la figure symbolique de Ravachol, c'est dans le mouvement
ouvrier que l'esprit libertaire s'épanouit le plus. Deux de ses figures les plus
marquantes, Fernand Pelloutier, fondateur des Bourses du Travail, et Pierre
Monatte, directeur de la Vie ouvrière, sont d'origine anarchiste mais ont troqué
leur idéal individualiste pour l'action syndicale. La charte d'Amiens (1906) est un
manifeste d'indépendance à l'égard du Parti socialiste qui vient de s'unifier
autour de Jaurès (1905), mais aussi des «sectes» anarchistes qui poursuivent
une précaire existence groupusculaire. Beaucoup des traits du syndicalisme
français qui le distinguent de ses frères étrangers sont hérités de cet «anarcho-
syndicalisme», notamment la double organisation sur une base locale et
professionnelle, la méfiance à l'égard des partis, le primat de l'action
économique sur l'action politique. Mais c'est surtout dans son action
intellectuelle et morale, dans son ethos que le syndicalisme français est
l'héritier de l'inspiration libertaire, pour tenter de constituer, à l'écart du
mercantilisme bourgeois et de l'embrigadement marxiste, ce que Pelloutier
appelait «une société d'hommes fiers et libres». Le rêve passe, mais il resurgit
quand on l'attend le moins.

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