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Berbérie et Ibérie médiévales : un problème de rupture

Author(s): Charles-Emmanuel Dufourcq


Source: Revue Historique, T. 240, Fasc. 2 (1968), pp. 293-324
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40951199 .
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Berbérieet ïbérie médiévales:
un problèmede rupture

Pourquoi la Berbérie,plus ou moins romaniséeet christianisée


pendantdes sièclesdans certainesde ses régionsau moins,s'est-elle
intégréedéfinitivement au mondemusulman?Et pourquoila pénin-
sule ibérique,terred'Islam durantd'autressiècles,s'est-elleintégrée
définitivement à la chrétienté?
Non seulementces deux questions- qui n'en font peut-être
qu'une - ontleurintérêtpropre,passionnant,mais aussi les réponses
qu'on peut tenterd'y apporterme paraissentsusceptiblesd'aider à
mieuxdécouvrirdes clés de l'évolutionde l'humanité; je me risquerai
à prétendrequ'il n'est pas impossibled'éclairerainsi quelque peu ce
qu'il est convenud'appelerla philosophiede l'histoire: il s'agit de
pays qui ont été trèslonguement ballottésentrel'Occidentet l'Orient
à peu près de la mêmemanière,et qui pour finirsont partis,chacun
de son côté, dans une directiondifférente. Pourquoi?
Il y a quelques mois, PierreChaunu a abordé incidemmentce
problème, en en discernantbienl'importance: s'inspirantd'Emmanuel
Le Roy Ladurie,il a suggéréque l'histoiredes grandesfluctuations
climatiquespeut aider à comprendrela rupturedes destinsde la
Berbérieet de l' ïbérie1. Voici, en effet,un élémentpossiblede ré-
ponse,un élémentessentiel: en évoluant,le climatauraitrapproché
la Berbériede l'Orientet l'auraitéloignéede l'Occident.Bien entendu,
à la questiondu climatse rattachentcelle du chameau et celle du
nomadisme.Depuis StéphaneGsell,plusieurstentativesont été faites
pour cernerle rôle des dromadaires;Emile-FélixGautier a tenté
de démontrerque l'introduction du chameau en Berbériea été un
fait géohistorique d'extrêmeimportance: il aurait ouvertau noma-

1. Pierre Chaunu, A partir du Languedoc, Reçue historique,t. CGXXXVII (1967),


p. 364.

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REY. H ISTO H. CCXL. 2. 19

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disme les steppes et les hauts plateaux1; aujourd'hui,on tend à
croireplus qu'à une brusque apparitiondes chameaux en Afrique
mineure,à la progressiveaugmentationde leur nombre,entraînant
une aggressivitàaccrue des nomades2.Ces faits coïncident-ils chro-
nologiquement avec le déclinde l'Empireromainou sont-ilsliés à la
phase xérothermique des vne-ixe siècles qu'évoque PierreChaunu?
Sont-ilsdes donnéescaractéristiques de la Berbérieà la veille de la
conquête arabe ou durant cette conquête? Il est sans doute bien
difficilede répondred'une manièrepréciseà ces interrogations. De
plus,l'aspectibériquedu problèmen'estguèreéclairépar ces facteurs:
une grandepartie de l'Andalousie,par exemple,a été totalement
imprégnéed'arabismependantprèsde huitsiècles,puisestredevenue
occidentale,sans que ces alternancespuissents'expliquer,me paraît-il,
par des donnéesclimatiquesni mêmepar le rôlede structures sociales.
Et, de toute façon, il faut aussi regarder attentivement du côté des
hommes, de leursinitiatives collectivesou individuelles. a
Quelle été
la portée de leurs actions? N'est-ce point leur fait si se réalisa la
reconquistade l'Espagne et que ne se fitpas celle de la Berbérie?
Était-ilfatal que cette reconquêteeût lieu en Europe et impossible
qu'elle se fît en Afrique?
Quand les jeux furent-ils faits en faveurde l'Orientd'un côté,
en faveurde l'Occidentde l'autre? En essayantde répondreà cette
dernièredouble question,nous pourronspeut-êtremieux répondre
aussi à la question« comment?», c'est-à-diremieuxcomprendre quels
facteursfurentdéterminantsdans les deux évolutions.Efforçons-
nous doncde débrouillerfilà fill'écheveaude cettehistoirecomparée
de l'Afriquemineureet de la péninsuleibérique.

***
Premierpoint: à la veillede la conquêtearabe,la Berbérieétait-
elle déjà orientéedifféremment de l'Ibérie? C'est ce qu'ont admis
des historiensnon dépourvusde perspicacité,tels Emile-FélixGau-
tier et ChristianCourtois: la conquête des pays nord-africains et
ses résultatsdurablesauraientété conformes à la naturedes choses.
Personnen'avance pareille propositionpour la péninsuleibérique.

1. Emile-Félix Gautier, Le passé de VAfriquedu Nord. Paris, 1937, p. 256.


2. Cf. Emilienne Demougbot, Le chameau et l'Afrique du Nord romaine, Annales
(1960), p. 209-247.

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Sur ce point,tenons-nous-en donc au problèmeque pose la Berbérie.
Invoquant entre autres argumentsaussi bien la personnalitéet
la politiquedes Sévères que des textes de saint Augustin,Gautier
s'est efforcéde démontrer, non sans talent,que la marque cartha-
ginoisesur l'Afriquedu Nord était restée indélébileet que le pays
était ainsi voué à Porientalisation au moins depuis les temps pu-
A
niques1. quoi l'on peut objecterqu'en Espagne aussi il y avait
eu présenceet influencespuniques2 et que la péninsulen'en futpas
pour autantgagnéeà l'Orient.D'ailleurs,bien des historiens, comme
Henri Terrasseet ChristianCourtoislui-même,ne croientguère à
la tenace survie de l'élémentpunique dans la Berbérieromaine8.
Et c'est des limitesde la réussiteromaineen Afriqueque Courtois,
de son côté,dégagedes motifsqui rendirent possible,non miraculeux,
dit-il,le triomphede l'Islam dans l'ex-Africaet dans ses prolonge-
ments : Numidieet Maurétanies 4. Mais les limitesde la réussite
romainen'existaient-elles pas aussi dans les Espagnes?
A vrai dire,la thèse de Courtoisest aussi contestableque celle
de Gautier: ce que noussavonssurla Berbérieentrela findu ve siècle
et la findu vne n'est pas si obscurni si peu occidentalqu'on se com-
plaît à le répéter.Certes,notre science est pauvre, mais ses rudi-
mentss'ordonnentnon sans cohérence.Une ligneécriteau xie siècle
par le géographehispano-arabeal-Bakri,dans une page où il parle
de l'actuelleTunisie,est vraisemblablement plus exacte qu'on n'est
porté à l'admettre : « A l'époque byzantine, Berbèresprofessaient
les
»
le christianisme5.II est incontestableque cette affirmation globale
est à nuancer,mais tous les faits peu à peu découvertsincitentà
reconnaîtreson exactituded'ensemble. Ils s'enchaînent,en effet,
assez bien et permettentde tracer un tableau généralde deux à
troissiècles d'histoirede la Berbérie.Ënuméronsses élémentssuc-
cessifs.
Dans la secondemoitiédu ve siècle, un monde berbéro-romain
gravitaitautour de Pénigmatiquedux puis imperator Masties,des

1. É.-F. Gautier, Le passé de VAfriquedu Nord. Paris, 1937, p. 130-137.


2. Les historiensespagnols discutentde la forceet de la durée de Pmfluencepunique,
mais le fait même de la présencecarthaginoisedans diverseszones de la péninsuleest hors
du débat.
3. Cf. par exempleTerrasse, Hist, du Maroc, t. I, Casablanca, 1949, p. 45 ; Courtois,
Les Vandaleset VAfrique.Paris, 1955, p. 112, n. 6 ; ou encoreG. Hardy, Hist, de VAfrique.
Paris, 1937, p. 19 ; Aymard (et J. Auboyer), Rome et son Empire (Hist, générale des civi-
lisations), p. 48.
4. courtois, Les Vandales et VAfrique.Pans, 1955, p. 6.
5. Al-Bakri, trad.Slane : Descriptionde VAfriqueseptentrionale,
2e éd., Alger,1913,p. 74.

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alentoursde l'Aurès à l'embouchuredu Chélifpeut-être,et peut-
êtremêmeplus à l'ouest encorex. Au début du vie siècleexistaitun
État berbéro-romain, celui du roi Masuna, rex gentiumMaurorum
et Romanorum, autourd'Aitava, de Pomariaet d'Albulse,c'est-à-dire
dans la régionorano-tlemcénienne 2, où subsistaientvraisemblable-
mentles évêchésqui y étaientinstallésau Ve siècle : une dizaine au
moins8; ce « royaumed'Aitava » fait penser mutatismutandisau
fameuxÉtat gallo-romainde Syagrius.Vers le milieudu vie siècle,
un royaumeapparemmentberbéro-romain aussi, constituépar Mas-
tinas, alias Mastigas,s'épanouissaitdes environsde Tiaret et des
4; dans l'aire de cet État, des
Djeddar à ceux de Gésarée-Cherchel
populationsmontagnardes,restéesrebelles à Rome et au christia-
nismedans les siècles antérieurs,se convertirent alors à la religion
romaine,au tempsdu roi Garmul,en qui l'on entrevoitle successeur
ou l'un des successeursde Mastinas6.A en jugerpar le peu que nous
en entrevoyons, ces royaumes,tant celui de Masuna que celui de
Mastinas, étaientdes sortesde confédérations complexes,rassemblant
ou pouvantrassemblerà l'occasion des économiescomplémentaires,
des groupessociauxdivers: sédentaires, transhumants, semi-nomades
et nomades. D'ailleurs, au viie siècle au plus tard, une espèce de
confédération généraledes principautésberbères- nouvelleforme
en sommede « Empire» de Masties- groupait,au moinsen cas
Y
de danger,toutes les populationsde la Berbériepréislamique,aussi
bien les « Berbèresproprement dits6 », c'est-à-direles Masmoudaet
autresBranès- les vieux « Maures» - que ceux qui étaient,semble-
t-il, de moins anciens autochtones,les Botr, dont on pense qu'ils
n'étaientpas encoretrès nombreuxen Berbérieet qu'ils se trou-
vaient seulementou à peu près seulementdans ses zones sud-orien-

1. Carcopino, Masties, l'empereurmaure inconnu,Reçue africaine,t. C (Alger,1956),


p. 339-348; cf. Id., Le Maroc antique.Paris, 1943, p. 294. On tend à admettreaujourd'hui
qu'à la findu ni0 siècle Dioclétien n'avait pas évacué l'ouest de la Maurétaniecésarienne.
2. Courtois, Les Vandales et VAfrique.Pans, 1955, p. 334.
3. Cf. Ibid., p. 92, n. 6 : évôchés d'Ala Miliaria (Benian), Albulae (Aïn Temouchent),
Aitava (Lamoricière),Aquae Sirenses (Bou Hanifla), Castra Nova (Pérégaux), Mina (Reli-
zane), Pomaria (Tlemcen), Regiae (Arbal), Tassacora (Saint-Denis-du-Sig).
4. Diehl, V Afriquebyzantine.Paris, 1896, p. 260 ; Courtois, Les Vandaleset l'Afrique.
Paris, 1955, p. 335-336; Camps, Monumentset ritesfunérairesprotohistoriques. Paris, 1961,
p. 205. Cf. Gautier, Le passé de l'Afriquedu Nord. Paris, 1937, p. 268-269 et 332.
5. Vers 570, les Maccuritae(qui étaient,croit-on,les montagnardsde ruuarsenisr) se
convertirentau christianisme: JohannesBi claren sis, éd. Mommsen,MonumentaGerm.
Hist. : Script. Ant., XI, 1, an 569; cf. Diehl, L'Afrique byzantine,p. 327, 328 et 460. Le
roi Garmul,ennemi des Byzantins,mourutvers 579 (Ibid.).
6. Gautier, Le passé de VAfriquedu Mord.Fans, 1937, p. 217 ; ci. ölane, îniroaucuon
à Ibn Khaldoun, Hist, des Berbères,t. I, p. xvi.

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taies, de la Tripolitaineà l'Aurès1.A la tête de la confédération ou
alliance générale,se relayaientapparemmentles diverses princi-
pautés berbèresou, pour parlercommeles chroniqueursarabes, les
diversestribus2; il semble que pendantpresque tout le vne siècle
- commeauparavantsans doute - ce commandement rotatifne
revenirqu'à un Branès 8 ; au seul moment historiqueque nous
pouvait
saisissions,vers 670-690,parmi les Branès c'était aux Aouréba que
un
revenaitle tour de l'exercer4; peu plus tard, commandement
le
passa, peut-êtresous la pressiondes circonstances, à un peupleBotr,
les Jeraoua: vers 690-7005. En outre,on sait d'une manièreprécise
commenton vivait au milieudulvne siècle dans l'une des « princi-
pautés » berbères,au Maroc,autour de Volubilis: les habitantsde
cette ville, écrit JérômeCarcopinoen commentantune inscription
datée de 655, étaient« irréductibles dans leur fidélitéenversle chris-
tianisme» et n'avaient « perdu aucun des usages... empruntésà
l'Empire : langue latine,état civil romain,nom de famille,surnom
individuel6»; encore peut-on ajouter que cette région marocaine
était en rapportsétroits- peut-êtregrâce à l'organisationconfédé-
rale entrevue- avec la zone orano-tlemcénienne 7. Il paraît établi
d'autre part que vers ce temps ou peu après - avant 680 au plus

1. Selon Ibn Khaldoun {Ibid., p. xiv-xvn et 167 sq.), les Berbèress'articulaienten


deux grandsgroupes: 1° les Branès (parmilesquels prenaientplace notammentd'une part
les Masmouda, d'autre part Aouréba, Ketama et S anhaja) ; 2° les Botr (parmi lesquels
comptèrentnotammentles Zénètes qui se subdividaient en plusieurs groupes, dont les
Jeraoua).
Je préciseque, selon Al-Bakri, trad. Slane, Descriptionde l'Afrique,2e éd., p. 206, une
fractiondes Masmouda formaitles Kotama, qu'il faut bien distinguerdes Ketama. Mais
certainsauteurs françaisadoptent aussi la transcription« kotama » pour parler des « Ke-
tama ».
En fait,les Masmouda constituaientsans doute le plus vieil élémentde la population
berbèrepréislamique: les premiersMaures,les plus vieux des Maures. On peut voir dans
les autres Branès, les « vrais Branès », si j'ose dire,les ex-Numides,Numides qui avaient
finipar être aussi désignés,comme les descendantsdes premiersMaures, sous ce nom de
Maures.
2. Cf. infra,p. 297, n. 3, 4 et 5.
3. C'est parce qu'il fut désigné (peu après 670, semble-t-il)commechefdes Branès que
PAouréba Koceila commanda au peuple berbère(cf. Ibn Khaldoun, trad. Slane, Hist, des
Berbères,t. I, p. 211).
4. Ibid. : « Le droitde commanderau peuple berbèreappartenaitalors » (vers 670-675)
c à la tribu d'Auréba », c'est-à-direaux Aouréba.
5. Vers 690, c'est la reine des Jeraoua, nommée Dihya, célèbre sous son surnomla
Kahena, qui régna sur l'Ifriqiya (= Maghrib)et gouverna « les Berbères» (Ibid., p. 214 ;
cf. t. III, p. 193) ; les Jeraouaétaientla tribu « qui fournissaitdes rois et des chefs» à tous
les Botr {Ibid., t. I, p. 213). Quand cette femmepritle commandementdes Berbères,elle
était très âgée et déjà reine de l'Aurès,en tant que reine des Jeraoua,depuis plusieursdé-
cennies {Ibid., t. III, p. 193).
6. Carcopino, Le Maroc antique. Paris, 1943, p. 294.
7. Cf. Ibid.

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tard - les Aouréba étaient précisémentinstallésdans les confins
maroco-tlemcéniens ou que tout au moinsils étaientprésentsdans
le pays de Tlemcen,tout en contrôlant le Maroc' On est ainsiamené
à supposerque le royaumeorano-tlemcénien du début du vie siècle,
celui de Masuna,s'était élargiou intégréenuneconfédération maroco-
tlemcénienne.Enfin,il nous est permisde préciserque le monde
confédéralberbèrepréislamiqueenglobaitle Tafilelt: dans les pre-
mièresannées du vin6 siècle,les conquérantsarabes s'y heurtèrent
au roide Sijilmassa: il s'appelaitKamamoun,étaitl'allié des Aouréba
et des Sanhaja ; et sonpeupleétaitbranès: une fractiondes Kotama2.
Par conséquent,toute la Berbériedes vie et vne siècles - non
seulementcelles de ses régionsoù s'exerçait l'autoritébyzantine,
mais aussiles autres- constituaitdans une certainemesureun même
ensemble; et cet ensemblefaisaitpartiede ce mondeoccidentalque
l'on ne peut qu'appeler « romain», même après l'écroulementde
l'Empire en Occident. J'entendsbien l'objectionque l'on peut me
faire: l'Afriqueberbèreétaittoutedifférente de Rome; c'étaitl'Afrique
de la gens maura, difficileà dompter,difficileà assimiler,restant
toujours elle-même8.Mais le problèmen'est-il pas de discernersi
dans des États commeles royaumesdu vie siècle- ceux de Masuna
et de Mastinas- et commela confédération maroco-tlemcénienne
du vne siècle,Maures et Romains,c'est-à-dire,pour parlercomme
ChristianCourtois,« Berbèresrestésberbères» et « Berbèresroma-
nisés » étaientsimplement juxtaposés,associéssur une mêmeaire et
ainsi amenésparfoisà coexisteren paix, ou si au contraireils étaient
en voie d'interpénétration, comme l'étaient par exemple Gallo-
Romains et Francs ou encore Ibères restés Ibères, Ibéro-Romains
et Wisigoths.En Berbérie,la disparitionde l'Empire romain,le
périlvandale,puis mêmele « péril» byzantinn'ont-ilspas facilitéle
rapprochement, la réconciliation,la fusiondes « Maures » et des
« Romains»? Et cettefusionprogressive ne se réalisa-t-elle
pas plutôt
dans le sein du christianisme que dans celui d'un africanisme païen
se trempantdans de vieillestraditionsberbères4?

1. Ibn Khaldoun, trad. Slane, Hist, des Berbères,t. I, p. 211 et 286.


2. Ubayd Allah Ben Salih Ben Abd Al-Halim, trad. Lévi-Provençal,Un nouveau
récit de la conquête de l'Afriquedu Nord, Arabica, t. I (Leyde, 1954), p. 42.
3. Cf. par exemple l'excellent article de Louis Leschi, Les Juvenesde Saldae, Reçue
africaine,t. LXVIII (Alger,1927), p. 393-419; sur les Kotama, cf. supra, p. 296, n. 2.
4. Cf. supra, p. 296, n. 5. uourtoislui-mêmeécrit : «... le Maure et le « Komain »... se
_ _ _ _- ^m d • * * A mm* m mm m» . « ^__ m.

trouventassociés... » C'est le christianismequi a permisl'élaborationd'une communauté


véritable (Les Vandales et VAfrique.Paris, 1955, p. 339).

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Je retiendraiici ce qui autoriseà parlerde « Berbero- Romains»,
de même que l'on parle de Gallo-Romains,plutôt que de Berbères
restésberbèreset distinctsdes Berbèresromanisés.Des liens fami-
liaux laissentapparaîtreime relative« unité» de la Berbérie; on en
entrevoitau vie siècle entrela familleroyaledu pays orano-tlemcé-
nienet celle de l'Aurès*; et pareillement au vne siècle,à en croirele
plus ancienrécit que nous connaissions sur la conquêtede la Berbérie
par les Arabes, le Kitab Futu'h Ifriqvya,d'Ibn Abd al-Hakam, les
deux chefs successifsde la confédérationdes Berbères,disons les
deux imperatores qui menèrenttour à tour la lutte contreles en-
vahisseurs, Koceila et la reine Dihya dite la Kahena2, étaient de
bienprochesparents: le filset la mère! En effet, en narrantles cam-
pagnesde Koceila, Ibn Abd al-Hakam,pour désignercelui-ci,écrit:
« le Berbère,fils de la Kahena8 ». Tous les historienss'accordent
pour juger erronéeet par conséquentnégligeablecette étrangefor-
mule4,d'autant qu'aucune autre sourcen'indique pareille filiation.
Mais, étant donné qu'en généralun chroniqueurarabe ne mentionne
pas le nom de la mèred'un personnage,alors qu'il donne toujours
celuidu père,est-iltellementétonnantque la parentéentrela Kahena
et Koceila,si elle est véridique,n'ait pas été indiquéepar les auteurs
musulmanset qu'elle ne soit connueque par deux périphrasesd'Ibn
Abd al-Hakam?
L'affirmationd'Ibn Abd al-Hakam est-elle invraisemblable?
Contrairement à un avis que je croisunanime,je n'en suis pas certain.
En tout cas, elle me semblemériterd'être étudiéede près. On ne
peut arguercontreelle avec l'hypothèsede Gautiersur l'opposition,
fondamentale selonlui, entreles tribusbranèsde Koceila et les tribus
botrde la Kahena. Si Ibn Khaldouna classé les Berbèresen Branès
et Botr5, suivant la manièregénéalogiquechère aux Arabes, qui,
dans ce cas, correspondsans doute à une réalitéplus ou moinsdé-
formée,il laisse lui-mêmeapparaîtrequ'il y avait parfoisdes liens

1. Le roi de PAurès,Iabdas, était mariéà une sœur du « roi des Maureset des Romains »
du pays orano-tlemcénien,Masuna (vers 508-535). Sur ce point,je suis l'opinion de Carco-
pino, Masties,l'empereurmaureinconnu,Reçue africaine,t. G (Alger,1956), p. 346, et non
celle de Courtois, Les Vandaleset VAfrique.Paris, 1955, p. 334.
2. Cf. supra, p. 297, n. 3 et 4.
3. Ibn Abd Al-Hakam, trad. Gateau, Conquêtede VAfriquedu Nord, 2« éd., Alger,
1948, p. 73 et 75.
4. La meilleureétude critique sur Ibn Abd al-Hakam est l'article qui a été consacré
à son Kitab par Robert Brunschvig, dans les Annalesde VInstitutd'étudesorientales,t. VI
(Alger,1942-1947),p. 108-155.
5. Cf. supra, p. 297, n. 2.

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matrimoniauxet des adoptions,d'un groupe à l'autre1. En fait,
on ne constateaucune barrièreabsolue entreles populationsles plus
anciennement arrivéesen Berbérieet celles qui s'y installèrentplus
tard : le ritede l'adoptionet la « parentépar le lait » créaientà l'occa-
sion un lien aussi solide que le sang2. Et, de fait,dans l'histoirede
la résistancede la Berbérieà la conquêtearabe, contrairement à ce
qu'a brillamment imaginéGautier, la reinebotr qu'était la Kahena
a été la continuatricedu Branès Koceila, non seulementdans le
temps,mais à tous pointsde vue, mêmedans la techniquemilitaire:
le généralqui commandaitson avant-gardelorsde sa premièrecam-
pagne contreles Arabes n'était autre qu'un ancien généralde Ko-
ceila3; sa méthodede « terrebrûlée», de destructiondes arbreset
des murailles,qu'on nous dit tactique de nomade,avait été utilisée
au vie siècledans la mêmerégionpar un généralbyzantin4et n'a été
utiliséepar elle - si cela fut- que lors de sa dernièrecampagne,
une campagnedésespérée; cette tactique put donc être dictée par
l'évolutiondes événements,sans être le fruitd'une mentalitéde
typesociologiquenomade- qui ne s'étaitpas manifestée antérieure-
ment,d'ailleurs6.En outre,la parentéentrela Kahena et Koceila,
indiquéepar Ibn Abd al-Halam,si elle est exacte,éclairece que put
êtrela confédération ou alliance généraledes Berbères: lorsquepeu
après 670, semble-t-il,Koceila, fils d'un certainLemzem, qui n'a
joué aucun rôle historiqueconnu6,devintle chefde guerreou impe-

1. Cf. Ibn Khaldoun, trad. Slane, Hist, des Berbères,t. I, p. 226 : le Botr Zahhik eut
un filsnomméAddas ; il mourutaussitôt après la naissance de cet enfantdont la mèrese
maria avec le Branès Çoour, si bien que les descendantsd' Addas furenttenus pour des
Branès Hoouara, alors qu'ils étaient des Botr Nefouza.
2. D'après al-Bayan, d'iBN Idari, en adoptant (en 697?) un prisonnierarabe, Khaled,
au lendemainde sa victoirede la Meskiana,la Kahena plaça sur ses seins un mélange de
farined'orge et d'huile, le fitmangersur sa poitrineà ses filset à ce Khaled qui devint
ainsi leur frère(cf. Gautier, Le passé de VAfriquedu Nord. Paris, 1937, p. 277).
3. Al-Bakri, trad. Slane, Descriptionde VAfriquedu Nord, 2®éd. (1913), p. 23 : cam-
pagne de « 687 » qui est vraisemblablementde 692.
4. En 539, le Byzantin Solomon, en guerreavec le roi de rAurôs Iabdas, ravagea les
plaines s'étendant au nord du massif,brûla les moissonset dévasta les campagnes (Pro-
cope, De beilovandalico,éd. de La Byzantine,Bonn, p. 494-495; cf. Diehl, V Afriqueby-
zantine.Paris, 1896, p. 88-89).
5. Ibn Abd Al-Hakam, la plus ancienne de nos sources,ne dit rien des devastations
qui sont attribuéesà la Kahena par des sources postérieures.Son éditeuret traducteur,
Gateau (op. cit., p. 161, n. 6), estime « assez invraisemblable», ou tout au moins « forte-
mentexagéré », tout ce que des sources tardivesrapportentsur les dévastationscommises
par la Kahena pendant ses dernierstemps.
6. Son nom est incertain: Lamzam (Ibn Abd Al-Hakam, op. cit., p. 71), Lenzem (Al-
Bakri, trad. Slane, 2« éd., p. 151), Lemzem (Ibid., p. 23, et Ibn Kahldoun, trad. Slane,
Hist, des Berbères,t. I, p. 211), etc..

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: unproblème
et Ibériemedievales
Berbérie derupture
rotorde la Berbérienon byzantine' ce futparce qu'il était un Aou-
réba et que c'était alors aux Aouréba que revenaitle commande-
ment2; or, il n'était pas le chef des Aouréba; celui-ci,Sekerdid8,
appartenaità une lignéefameuse,puisqu'on connaîtle nom de ses
ascendantspaternelsjusqu'à la quatrièmegénération,ce qui n'est
pas le cas pour Koceila4. N'est-ilpoint remarquableque ce prince
Sekerdidn'ait pas été désignécommechefsuprêmedes Branès et,
partant,de tous les Berbères5?Pourquoi avoir porté au rang « im-
périal » un Aouréba de souche moinsillustreque le roi? Serait-ce
parce qu'à défaut d'une ascendance prestigieusecet Aouréba pré-
sentaitl'avantage politiqued'être le filsd'une reinebotr jeraoua?
Les Botr faisaientpartiede la confédération berbère,qui était alors
encoreà directionbranès; d'autrepart,c'est à la tribudes Jeraoua
qu'il appartenaitde fournir « des roiset des chefsà tous les Botr6» ;
et la Kahena elle-mêmeétait déjà la reinedes Jeraoua,c'est-à-dire
la reinede l'Aurès,lorsque Koceila futportéà la tête de la « confé-
dération7». Tout cela se tient.
Un autre aspect du mariageentrevuentrele père de Koceila et
là Kahena est non moinsrévélateur: les « nomades» ou plutôtpas-
teurstranshumants et montagnardsqu'étaientles Jeraouasont lo-
calisés dans l'Aurès; c'était là leur royaume; et il était déjà arrivé
à la familleroyale de l'Aurès de s'apparenterà une autre famille
princièrede Berbérie,celle du pays orano-tlemcénien 8. On connaît
moinsbien,paradoxalement, la zone de résidencedes « sédentaires»
Aouréba que celle des nomades ou pseudo-nomadesJeraoua,mais
il mesemblemanifeste qu'ils étaientimplantésdansla régiontlemcéno-

1. Il commandamêmeune armée« romaine» (byzantine?)lors de sa victoirede Tahouda


sur Sidi Oqba en 682 ou 683 (Al-Bakri, trad. Slane, 2« éd., p. 151).
2. Ibn Khaldoun, trad. Slane, Hist, des Berbères,t. I, p. 211. Cf. supra, p. 300, n. 1.
3. Ibn Khaldoun, op. cit., t. I, p. 211 : Sekerdidrégna sur les Aouréba de 620 (?) à
690 (?), notammentpendant que Koceila était le chefde tous les Berbères(c'est-à-diredes
environsde 670-675 à sa mortsurvenuevers 685-686 ou 688), et ce roi des Aouréba était
alors un « lieutenantde Koceila ». Mais le récitd'Ibn Khaldounest assez incohérent: p. 286,
il dit que Koceila succéda à Sekerdidet donne Tan 71 de l'Hégire (690) comme date de la
mortde Sekerdid; et p. 289, il date de l'an 67 de l'Hégire (686-697) la mort de Ko
ceila.
4. Ibn Khaldoun, Ibid., p. 211, rappelle ¡Sekerdidibn Koumi,mais ailleursil rappelle :
Ibn Zoufi (p. 286). Ce Zoufi ou Roumi était fils de Barezt (ou Marezt), lui-mômefilsde
Bezriat (Ibid., p. 211 et 296). Par contre,Ibn Khaldoun ne dit pas de qui était fils« Le-
mezm », le père de Koceila.
5. Cf. supra, p. 297, n. 3.
6. Cf. supra, p. 297, n. 5.
7. Cf. Ibid.
8. Cf. supra, p. 297, n. K

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marocaine1 : c'est à Tlemcenque Koceila est entrédans l'histoire;
avant la défaitequ'il subitprèsde cetteville vers 678 ou 679, on ne
sait riende précisni sur lui ni sur son peuple2; versle mêmetemps,
il « occupait» le Maroc8 ; une trentained'annéesplus tard,c'est dans
l'Atlas marocain que Mousa ben Nosair, le futurconquérantde
l'Espagne, captura les fillesde Koceila4. On entrevoitdonc bien
où était le royaumedes Aouréba. Dans ces conditions,le mariage
entrel'Aouréba Lemzem,le père de Koceila, et la Kahena n'aurait
été qu'une sorte de répétitionde la politique matrimonialedéjà
réaliséeau vie siècle par la dynastiede l'Aurès et celle du pays de
Tlemcen. On comprendmieux ainsi quels liens pouvaientunir les
populationsberbèrespréislamiques.D'ailleurs, même si mon hypo-
thèse reposantsur le texte d'Ibn Abd al-Hakam doit paraîtreinad-
missibleà beaucoup, ma thèse généralesur les liens matrimoniaux
et sur la tendancequ'avaient à fusionnertous les habitantsde la
Berbérieest défendableaussi par ce que l'on croitsavoir de la vie
de la Kahena : cettereinese seraitmariéeau moinsdeux fois,une
foisavec un « Romain», une autrefoisavec un Berbère5.
En définitive,nous disposonsd'un certainnombrede données
dont chacuneest mince,voire fragile,mais qui toutes s'assemblent
d'une manièreassez cohérente,au point que l'on peut se demander
si ce que l'on aperçoitainsi de la Berbérien'est pas moins obscur
que certainespéripétiestraverséesalors par d'autres pays, l'Aqui-
taine par exemple.En tout cas, l'histoireenregistredans les faits

1. Cf. supra, p. ?98, n. 1.


2. Ibn Khaldoun, trad. Slane, Hist, des Berbères,t. I, p. 211 : c'est à Tlemcen que
Koceila, à la tête de l'armée berbère (berbéro-romaine), fut battu par Abou-1-Mohajir.
3. Ibid., t. 1, p. 286 : « Koceila occupaitle Maghrebel-Aqsa avec ses Aouréba et d'autres
tribus.»
4. Ubayd Allah Ben Salih Ben Abd Al-Halim, trad. Lévi-Provencal,Un nouveau
récit de la conquête de l'Afriquedu Nord, Arabica,t. I (Leyde, 1954), p. 41. Cela se passa
lors de la prise d'une ville appelée Saguma, dont parle aussi Al-Bakri,trad. Slane, Descrip-
tion de l'Afrique,2« éd., p. 230, en y signalant une victoirede Mousa ben Nosair sur les
Berbères,mais en localisant cette ville près de Fès. Une localisation hypothétiquemais
vraisemblablese peut faire d'après la descriptionde la montagnede « Seggheme» rédigée
par Léon l'Africain, éd. Épaulard, t. I, p. 150.
5. Ibn Idari, al-Bayan, trad. Fagnan, Alger,1901, t. I, p. 21 et 27 ; Lévi-Provençal,
Un nouveau récit de la conquête de l'Afriquedu Nord, Arabica, t. I (Leyde, 1954), p. 33
(n. 1) et p. 41 : parmiles filsde la Kahena, l'un se nommaitIfran,l'autre Yazdiyan (nom
dans lequel Lévi-Provençalentrevoyaitun nom latin en « anus »). Je rappelle que, de son
côté, Ibn Abd Al-Hakam (suqra,p, 299, n. 3) appelle Koceila : «le Berbère,filsde laKahena ».
Quant à Ibn Al-Athir, trad. Fagnan, Annales. Alger, 1898, p. 31 ; An-Nuwairi, trad.
Slane, Conquêtede l'Afrique,apud Ibn Khaldoun, trad. Slane, Hist, des Berbères,t. I,
p. 341, et Ibn Khaldoun, Ibid., 1. 1, p. 214-215,et t. III, p. 194, ils s'accordentà dire que,
dans les dernierstemps de sa vie, la Kahena avait auprès d'elle deux fils (outre son fils
adoptif,l'Arabe Khaled).

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Berbérieet Ibérie médiévales: an problèmede rupture
la soliditédu môlesurlequel s'arc-boutale mondeberbèrecontreles
Arabesdans la secondemoitiédu vne siècle.La lutteeut deux aspects
complémentaires ; ce futd'ime partla résistancedes Byzantinset des
Berbèresde l'Afriquebyzantine,d'autre part celle de peuples chré-
tiens autochtonesde la Berbériecentraleet occidentale,dans des
zones nord-africaines qui avaient fait ou non partie de l'Empire
romain, tant à Tiaret1 et à Tlemcen2que dans le Haouz marocain8.
Dans l'histoiredu déroulement de la conquêtearabe,il estmanifeste
que la Berbériedans son ensemblene se montraguèreprête à de-
venir orientale: elle échappa et résista aux Arabes, de 647-648 à
709-710.Et cet ensemble,pourberbèrequ'il fût,n'en étaitpas moins
assez profondément teinté, voire pénétréde romanitéchrétienne.
Rien de ce que nous savonsne permetd'établirune distinction à cet
égard entreBranès et Botr, Sanhaja et Zénètes,sédentaireset no-
mades; on ne voit pas comment- ni pourquoi,d'ailleurs- ceux-ci
auraientété plus éloignésdu christianisme que ceux-là : aux dires
les
d'al-Bakri, Nefouza, Botr nomadesde la Tripolitainedu vne siècle,
étaientchrétiens 4; l'on sait
par ailleursque d'authentiquesnomades
orientaux,ceux du désertsyro-mésopotamien, l'étaientpareillement
avant l'apparitionde l'Islam, et que certainsd'entreeux l'étaient
encoreau xe siècle,groupésautourde quelques évêques,qu'ils mou-
rurentmêmeparfoisen martyrsde leur foi6.
Certes,je n'entendsdire pour autant ni que toutes les popula-

1. Vers 681, Sidi Oqba ben Nafl y remportaune victoiresur des Berbères chrétiens
parmilesquels se trouvaientdes Hoouara, donc des Branès,mais surtoutdes Botr : Zénètes,
Louata, Miknasa, Zouagha et Matmata (Ubeyd Allah Ben Salih Ben Abd Al-Halim,
trad. Lévi-Provençal,Un nouveau récit..., Arabica, t. I (Leyde, 1954), p. 37). Il est no-
table que les Aouréba n'aient pas participéà la bataille : leur royaumeétait dans la zone
tlemcéno-marocaine ; le plus célèbre des leurs, Koceila, le chef des Branès, était alors pri-
sonnier-otagedans la suite de Sidi Oqba. Aussi n'est-il pas étonnantque ce soit les Botr
(et parmi eux les Zénètes qui avaient parmi leurs tribuscelle des Jerouaa de la Kahena)
qui aient alors mené la lutte contreles Arabes, sans que ce soit moins une lutte berbéro-
romano-chrétienne que celle de Koceila. D'ailleurs, Ibn Al-Athir, trad. Fagnan, Annales,
Alger,1898, p. 21, précise que lors de cette campagne qui culmina à Tiaret les Berbères
menèrentla lutte contreles Arabes en liaison avec les Byzantins.De son côté, Ibn Khal-
doun, trad. Slane, Hist, des Berbères,t. I, p. 211, se contented'écrire : « Oqba défitles
princesberbèresà Tahert ». Sur les Hoouana prochesdes Botr : supra, p. 300, n. 1.
2. En 678 ou 679, Abou-1-Mohajirvainquit et captura, près de Tlemcen, Koceila qui
entra alors dans sa suite en feignantde se convertirou de se reconvertirà l'Islam (Ibn
Khaldoun, trad. Slane, Hist, des Berbères,t. I. d. 211).
3. Ubeyd Allah Ben Salih Ben Abd Al-Halim, trad. Lévi-Provençal, Arabica,
t. I (Leyde, 1954), p. 38 : victoired'Oqba, vers 681, sur les Berbèreschrétiensd'Agmat
et de Nfis.
4. Al-Bakri, trad. Slane, Descriptionde VAfriaue,2e éd., p. 26.
5. Henri Charles, Le christianisme des nomadesdu désertsyro-mésopotamien, aux alen-
toursdeVHégire. Paris, 1936, 114 p.

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Dufourcq
tioüs de la Berbériepréislamiqueétaient latiniséeset chrétiennes,
ni qu'elles firentbloc contreles Arabes! D'une part,dans le dérou-
lementde la lutte,commel'a remarquéIbn Khaldoun,ce futtantôt
telles tribus,tantôt telles autres qui se lançaient au combat1 : la
confédération ou alliance généraleque nous avons enirevuevacillait
à l'épreuve2.D'autre part, commel'Espagne du vne siècle,la Ber-
béried'alors avait d'assez nombreusescommunautés juives8 et beau-
coup de ses filsétaientrestéspaïens ou l'étaientredevenusaprèsune
brève christianisation superficielle: les témoignagesde Procope et
de Corippussont incontestables4.Toutefois,il ne fautexagérerni
l'importancede l'esprit d' « autonomie» des divers groupesni la
portéedes résurgences de paganismeberbère.Le pur « berbérisme »,
qui ralliaitou auraitralliéà lui des « Romains»6 depuisla décadence
et l'effondrement de l'Empireen Occident,n'est pas un phénomène
trèsparticulier: n'est-ilpas similaire,par exemple,de la « renaissance
bretonne» des vie et vne siècles,ou encorede l'originalitéintacte
ou renouveléequ'eut alors le mondebasque et gascon? Ni ces résur-
gencesni les divisionsinternesn'empêchentque la Berbérie,comme
l'Ibérie,faisaitpartiedu mondeméditerranéen occidental,aux alen-
toursde 650-700,à la veille de la victoirede l'Islam. D'ailleurs,par
leurs rivages fraternelsdu détroit de Gibraltar,ces deux terres
n'étaientpas sans liens très directs.Les détails mêmesde l'histoire

1. Ibn Khaldoun, trad. Slane, Hist, des Berbères,t. III, p. 192 : «... chacune des tribus
berbèrescombattitdans son propreterritoire...».
2. Cf. supra, p. 303, n. 1. J'entrevois,dans la guerremenée par les Berbèrescontreles
Arabes sur l'actuel territoirealgérien,une phase Koceila, puis une phase Botr,une nouvelle
phase Koceila et la phase de la Kahena (durantcette dernièrephase, la guerrefut surtout
faite par les Botr, notammentles Zénètes Jeraoua et Beni Ifren : Ibn Kjaldoun, trad.
Slane, Hist, des Berbères,t. III, p. 193).
3. Id., t. I, p. 208, prétendqu? des Berbèresprofessaientle judaïsme : les Jeraoua (la
tribu de la Kahena), les Nefouza (cf. supra, p. 297, n. 1, l'affirmation contraired'al-Bakri)
et diverses tribus du Maroc (notammentles Mediouna, branche des Botr Beni Faten).
En ce qui concerneJeraouaet Nefouza,l'affirmation d'Ibn Khaldounsemblebien un lapsus :
dans le chapitrequ'il a consacré aux Jeraoua et à la Kahena (Ibid., t. III, p. 192 sq.), il
n'est jamais question de judaïsme ; pas davantage dans les pages qu'il a consacrées aux
Nefouza (Ibid., t. I, p. 226 sq.). Le seul point certain est qu'il y avait des communautés
juives de-ci de-là, notammentau Maroc; celles qui se trouvaientdans l'Afriquebyzantine
avaient subi des persécutionsau temps de Justinienet divers de leurs membresavaient
trouvé asile dans l'Afrique non byzantine.
4. Procope, De belloçandalico,éd. de La Byzantine,Bonn, p. 438 ; Corippus, Johannis
(Monum. Germ.Hist., Ill, 2), VIII, p. 254, 370, 656. Cf. Diehl, V Afriquebyzantine.Paris,
1896, p. 310-379,etc. ; Courtois, Les Vandaleset VAfrique.Paris, 1955, p. 126-130.
5. Id., Ibid., p. 339 et 359, estime qu'il y avait eu une insuffisante assimilationdu
monde berbèrepar Rome, et que maintenantc'était la Berbérie(à la veille de la conquête
arabe) qui assimilaitRome. Les idées de Courtoissont discutéespar F rend, The Vandals
and Africa,Journalof romanstudies,t. XLVI (Londres, 1956), p. 161-166.

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Berbérie : unproblème
et Ibériemédiévales derupture
contribuent à prouverque leurs destinsétaientintimement mêlés :
le rôle de Passez énigmatiquecomte Julienen témoignepour les
alentoursde l'an 700. A en croireIbn Abd al-Hakam, Ibn al-Athir
et an-Noweiri,Julien,le maîtrede Ceuta, l'était aussi d'Algésiras*;
bien que certainsexcellentshistoriensmettenten doute l'exactitude
de cettetradition2,elle me paraît très plausibleet je croismêmey
trouverune donnéefortsignificative.
On a beaucoupdiscutésur Julienqu'Ibn Khaldounnous présente
comme« émir » des Ghomara,c'est-à-direcommeun roi du pays
rifain8;de son côté, Ibn Abd al-Hakam nous dit qu'il était sous
l'autoritédu roi des Wisigoths4;mais on s'accordeà voir en lui un
patrice5 byzantin,devenu l'exarque de l'Afriqueimpériale après
la conquête de la Berbérieorientaleet médiane par les Arabes6 ;
on entrevoitqu'il exerça aussi ime autoritérelativeet médiatesur
Tanger7,qui n'était pourtantplus une place byzantine8.Tout cela
laisse comprendreque Julienétait à la fois Berbère,Byzantin et
Wisigoth,c'est-à-direqu'il était un « Romain», sans doute de sang
berbère,de langue latine, de religionchrétienne,peut-êtremarié
à une Wisigothe9,patricebyzantin,comtedu royaumewisigothique.

1. Ibn Abd Al-Hakam, éd. trad. Gateau, Conquêtede VAfriquedu Nord,2 e éd., (Alger,
1948), p. 89; Ibn Al-Athir, trad. Fagnan, Annales. Alger, 1898, p. 41; An-Nuwairi,
trad. Slane, Conquêtede VAfrique,apud Ibn Khaldoun, Hist, des Berbères,t. I, p. 345.
2. Par exemple Terrasse, Hist, du Maroc, t. I, Casablanca, 1939, p. 81.
3. Ibn Khaldoun. trad. Slane, Ibid., t. I, p. 212 et 287 ; t. II, p. 135. Les Ghomara
faisaientpartie du grand ensembleMasmouda (Pun des élémentsdes Branès). En tant que
roi des Ghomara qui tenaientla côte du détroitet les montagnesde Pex Maroc espagnol
du xxe siècle, Juliendevait en quelque mesurefairepartie de la confédérationgénéralede
Berbérie.Ce « royaume» nord-marocainde Juliendevait lui-mêmeêtre une sorte de confé-
dération apparemmentvoisine de la confédérationorano-tlemcéno- marocaine dont nous
avons entrevul'existence (royaumedes Aouréba).
4. Ibn Abd Al-Hakam, éd. trad. Gateau, Conquêtede VAfrique,2e éd., Alger, 1948,
p. 91. Cf. Gateau, La conquête de l'Espagne, Reçue tunisienne,nouvellesérie,n° 25 (Tunis,
1936), p. 77 sq.
5. Le termeest utilisé par Ibn Al-Athir, trad. Fagnan, Annales. Alger,1898, p. 22 :
« patricede Roum », soit « patrice de Byzance » (à propos de la campagne faite au Maroc
par Sidi Oqba vers 681).
6. Cf. Diehl, V Afriquebyzantine,p. 587.
7. C'est ce qu'affirmeun historienmarocaindu xixe siècle, Ahmed an-Nacirias-Slaoui,
dons son Kitab al-Istiqsa, dont la valeur est très contestée,mais est pourtantcertainepar-
fois; cf. Lacharrière, Tanger et ses destins,Revue africaine,t. LXVIII (Alger, 1937),
p. 375.
8. Tanger ne fut que momentanémentoccupée par les Byzantins,au temps de Justi-
nien; cf. Diehl, L'Afrique byzantine,p. 267 ; Terrasse, Hist, du Maroc, t. I, Casablanca,
1949, p. 81, n. 1.
9. Il aurait été marié à une nièce de l'archevêque de Seville, Oppas, le frèredu roi des
Wisigoths,Wittiza (Ballesteros, Hist, de España, t. I, éd. de 1943-1953,p. 878 ; Aguado
Blbye, Hist, de España, t. I, p. 355 ; Lévi-Provençal, t. IV de la Hist, de España de
Menendez Pidal, p. 7).

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II était surtoutle maîtredu détroitde Gibraltarqu'il gardaitavec
Paide du roi des Wisigoths,qui était à Algésirasson seniorimmédiat,
touten restantdans la dépendancedu souverainsuprême,l'empereur,
dontrelevaientdirectement la ville,le portet les bateaux de Ceutax.
Malgré les conflitsqui dressèrentl'État wisigothiquecontre By-
zance aux vie et vne siècles,pour la possessionde certainesportions
de l'Espagne, le roi des Wisigothsreconnaissaitou feignaitde re-
connaîtrela suprématiede l'empereur,dès que la paix revenaitentre
eux. Ces liensn'avaientpu que se resserrer quand les Arabesétaient
apparusen Occident: selonla Crónicadu roides Asturies,AlphonseIII
(866-910),une escadremusulmaneauraittentépour la premièrefois
une attaque contrela péninsuleibériquedès 673, et aurait été alors
vaincue par la flottewisigothique2;dès lors, contreles éventuels
agresseursarabes, Ceuta, commeles autres villes du détroit,avait
dû compterdavantagesur les Wisigothsque sur les Byzantins,pres-
tigieuxmais lointains; Dozy l'a ingénieusement pressenti,il y a plus
d'un siècle8; son intuitiona été oubliée depuis plusieursdécennies,
et pourtantil me semblebien certainque l'attaque maritimearabe
de 673 sur les rivagesles plus occidentauxde la Méditerranée, le
rôlejoué dans la conquêtede l'Occidentpar Sidi Oqba, qui était un
amiraltout autant qu'un général4,et toute la conjonctureinterna-
tionale purentprovoquerun acte d'allégeancedu maîtrede Ceuta
au roides Wisigothsqui en retourlui auraitconfiéun commandement
- celui de la ville,celui du « comté»? - à Algésiras5. Puis, en 709-
711, alors que la pressiondes Arabess'accentuaitnon seulementsur
terre,mais aussi sur mer6, ce furentles luttes intestineswisigo-

1. Diehl, V Afriquebyzantine,p. 267 et 587.


2. Cf. Menendez Pidal, Hist, de España, t. III, p. xlviii et 125-126. Déjà en 585
la marine wisigothiqueavait prouvé sa valeur en vainquant des bateaux francs dans le
golfe de Gascogne (Orlandis, El elementogermanicoen la Iglesia española del siglo vu,
Anuario de Estudios Medievales,t. Ill (Barcelone,1966), p. 39-40).
3. « L'exarque de Ceuta devait par la forcedes choses se rapprocherdu roi wisigoth»
(Dozy, Recherches de l'Espagne, t. I, Leyde, 1860, p. 70).
sur Vhistoireet la littérature
4. En 669, d'ordre du calife oméiyade de Damas, Moaouia, une flottearabe partie
d'Alexandrie,sous le commandementd'Oqba, fitune razzia maritimeen Sicile (Ibn Idari,
al-Bayan, t. I, p. 13 ; GeorgesMarcáis, La Berbériemusulmaneet VOrientau Moyen Age.
Paris, 1946, p. 64 ; cf. Paul Diacre, HistoriaLangobardorum(Monum. Germ.Hist.), V, 13 ;
et Amari, Storia dei musulmanidi Sicilia, t. I, Florence,1856, p. 98).
5. Sur les subordinationsvassaliques et les « reseaux prives» s insérantaans le sysieme
_ _ _ _. _ m mm mm # « V % Ê '

gouvernemental wisigothique,cf.Boutruche, Seigneurieetféodalité, 1. 1, Paris, 1959, p. 236.


6. Vers 708 (donc avant le ralliementaux Arabesdu comteJulienet de la ville de Ceuta),
une flottemusulmanecommandéepar Abdallah, filsde Mousa ben Nosair, fitune descente
à Majorque : Ibn Al-Athir, trad. Fagnan, Annales. Alger, 1898, p. 33. Je rappelle qu©
les Baléares relevaientencore au moins théoriquementde l'Empire byzantin et non du
royaumewisigothique.

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Berbérieet Ibérie médiévales: un problèmede rapture

thiques qui contribuèrent à faciliterl'installationdes Musulmans


dans le Marocseptentrional avant de les aiderà conquérirl'Espagne.
Le fait est qu'une foisle détroitde Gibraltaret ses rives africaines
tombésentreles mainsdes Musulmans,Plbérie ne tint guèrecontre
eux : en quatre ou cinq ans, ils s'emparèrent de toute la péninsule.
Conclusionpremière: dans la sériedes événementsnord-africains
et ibériquesqui vont des alentoursde 650 aux alentoursde 715,
rienn'indiqueque ceux qui se soumirentvite aux Musulmans- les
« Espagnols» - ne l'auraientfait qu'en apparence,alors que ceux
qui avaient longuementrésisté- les « Nord-Africains » - auraient
été prêts à une soumissionet à une intégrationtotales à l'Islam.
Chacun,d'ailleurs,connaîtla phrase d'Ibn Khaldoun sur les tribus
berbères qui théoriquementdevenues musulmanes apostasièrent
douze fois,sinon davantage1,entreleur premierralliementet leur
conversiondéfinitivequi eut lieu, d'après lui, sous le gouvernement
de Mousa ben Nosair2,mais parfoispeut-êtrebien plus tard3. Il
sembledonc difficile de ne pas reconnaîtreque vers 715 l'avenirne
s'annonçaitpas différemment pour l'Espagne et pour la Berbérie:
il y avait communautédes destinset mêmeorientation.

Que se passa-t-il ensuite? Une certaine arabisation,une cer-


taineislamisation; mais elles eurentdes limites,aussi bienen Afrique
qu'en Espagne.
L'apport ethniquearabe aux vne et vme siècles n'a guère été
plus élevé en terreberbèreque dans la péninsule: quelques dizaines
de milliersd'hommes,ici et là, perdusau milieude millionsd'indi-
gènes4.Aux ixe et xe siècles,il n'y eut pas davantage de courant
migratoire importantde l'Orientverslesterresde l'Occidentmusulman.

1. Ibn Khaldoun, trad. Slane, Hist, des Berbères,t. I, p. 198, qui ne fait aucune dis-
tinctionà ce sujet entrele comportement des Branèset celui des Botr, et qui précise que sa
phrases'applique aussi bien aux Berbèresd'Ifriqiyaqu'à ceux du Maghrib.
2. Ibid. Mousa ben Nosair resta gouverneurde l'Ifriqiya (« Maghrib» compris)et de
l'Espagne jusqu'à sa mort survenue en 715-716, d'après Ibn Abd Al-Hakam (éd. trad.
Gateau, Conquête,2* éd., Alger,1948, p. 111), le 4 septembre715 d'après Ibn Al-Athir,
trad. Fagnan, Annales. Alger,1898, p. 55.
3. Cf. infra,p. 308, n. 6 et 7.
4. Au maximum100 000 Arabes en Berbérie,des débuts de la conquête au début du
ixe siècle (WilliamMarcáis, Gommentl'Afriquedu Nord a été arabisée, Annales de VIns-
titutd'étudesorientales,t. IV (Alger,1938), p. 10 sq.). Au maximum60 000 Arabes en Es-
pagne durant la même période (cf. Cruz Hernandez, San Isidro, Anuario de Estudios
Mediavate, t. Ili (Barcelone,1966), p. 423).

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Cbarles'EmmanuelDufourcq

Quant à l'islamisation,elle ne paraîtpas avoirplus vite progressé


en Afriquedu Nord qu'en Espagne. Je viens de rappelerla fameuse
phrased'Ibn Khaldounsur les apostasiesdes Berbères.Rien même,
si ce n'est la pensée séduisanted' Emile-FélixGautier,ne nous en-
traîneà admettreque, parmiles Berbères,les Botr se convertirent
plus vite et plus sincèrement que les Branès1. Certes,au début du
vnie siècle,la massedes Berbèreschrétiens étaitcomposéede Branès:
en exposantl'organisationdonnéeà l'Ifriqiya(vers 694 - ? - ou
plutôtvers 703) par Hasab ben Noman,Ibn Abd al-Hakam indique
que le mêmestatutfiscalfutappliquéaux Byzantinset aux Berbères,
en précisant: les Berbèresqui « commeces étrangers(les Byzantins)
professaient le christianisme: des Branèspour la plupartet un petit
nombrede Botr2». Mais,étantdonnéque, dans la populationberbère,
les Botrétaientune minorité3, il n'est pas trèsétonnantque les Botr
chrétiensaient été peu nombreuxpar rapportaux Branès chrétiens,
d'autant plus que ce tableau tracé par Ibn Abd al-Hakam est très
précisément datédeslendemains de la conversionplusou moinssincère
des Jeraouaet d'autresBotr,à la suite de la mortde la Kahena4.
Ce momentest celui où les Arabescommençaient à devenireffec-
tivementles maîtresdu pays berbèreet à y fairerégnerl'Islam; ce
n'étaitpas seulementgrâce à leursvictoires,c'était aussi parce que,
après avoir obtenule ralliementdes Jeraoua,ils se présentaientou
s'imposaientcomme successeursde ceux-ci en tant que dirigeants
de la (ou : d'une) confédération des peuplesde Berbérie5.Mais,siles
Musulmanss'installèrent ainsià la têtedu paysau débutdu vmesiècle,
l'Afriquemineurene fut cependantislamisée dans son ensemble
qu'entrele deuxièmequart du vine siècle6et le début du ixe7.
1. Cf. É.-F. Gautier, Le passé de VAfriquedu Nord. Paris, 1937, p. 249, 277, 279, etc.. ;
et supra, p. 303, n. 5.
2. Ibn Abd Al-Hakam, éd. trad. Gateau, Conquête,2e éd., Alger,1948, p. 81.
3. Même Gautier, Le passé de VAfriquedu Nord. Paris, 1937, p. 265, etc., admet
qu'au milieudu vne siècle les Botr (venus de Tripolitaine)ne s'étaient guère avancés, vers
le nord-ouest,au delà de la régionde PAurès.
4. Suivant les diverses chronologiesutilisées par les chroniqueursarabes, cette mort
se situe en 694 ou plutôten 702-703.
5. Cf. supra, p. 297, n. 2 et 5.
6. Le calife oméiyade Omar ben Abd al-Aziz (717-720) ordonna en 719 au gouverneur
de Hfriqiya (= Maghrib)d'inviterles Berbèresà se convertirà l'Islam (Terrasse, Hist,
du Maroc, t. I, Casablanca, 1949, p. 93). Vers 740, quand la révolteéclata contrele calife
dans le Maroc septentrional(d'où elle gagna le reste du Maroc et tout le Maghrib),ce fut
une révoltenon chrétienne(ni juive ni païenne), mais musulmane: une révoltekharidjite.
Par conséquent,l'ensemble de la population de ce Maroc septentrionalse serait converti
entre720 et 740 ; on entrevoitque c'est le cas des Aouràba et des habitantsdu pays de Vo-
lubilis (cf. Carcopino, Le Maroc antique.Paris, 1943, p. 295).
7. D'après Léon l'Africain, Descriptionde VAfrique,éd. Épaulard, Paris,1956,1. 1,p. 45,

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Berbérie : an problème
etIbériemédiévales derupture
Au surplus,cetteconversion,qu'elle ait été plus ou moinsrapide
ou plus ou moinstardive,n'est pas un phénomènepropreà l'histoire
de la Berbérie: en Espagne,et aussi en Syrieet en Egypte,il y eut
une semblablemutationreligieuse.Son processusn'échappe pas à
l'analyse : l'enseignement de Mohammedpouvait paraître dans le
prolongement de celui de Jésus. Aux yeux de saint JeanDamascène,
le granddocteurchrétiende la Syrieoméiyade,l'Islam était non une
religiondifférente du christianisme, mais ime hérésie chrétienne.
En Berbérie,commeailleursau tempsde Romeet de Byzance,toutes
les déformations du christianisme avaient été connuesou s'étaient
:
répandues donatisme,arianisme, nestorianisme,monophysisme,
*; à l'origine,l'Islam ne dut être
monothélisme qu'un élémentde plus
apportéà. de vieillesdiscussions;au surplus,il n'était pas monoli-
thique: à sa formeofficielle,que l'on pritl'habituded'appelersunnisme,
s'opposaientdéjà kharidjismeet chiisme.Il est établi que c'est sur-
tout grâceau kharidjismeque se fitl'islamisationde la Berbérie,et
cela me sembletrès significatif;en effet,ce ne fut peut-êtrepas
seulementpour les motifspolitico-sociauxque l'on invoque d'ordi-
naire2, que le kharidjismeprit essor en milieu berbère; il paraît
avoir su attirerà lui les chrétiens,dans la mesureoù certainesde
ses sectesauraientadmis l'adhésionde ceux-ci,invitéscertesà pro-
noncerla professionde foi musulmane,Mohammedest Venvoyéde
Dieu, mais autorisésà y ajouter ces mots : aux Arabes,mais pas à
nous3. Ibn Khaldoun signale d'ailleurs que l'un des chefs kharid-
jites çofrites,Abdallahben Hodaij, était un ancienchrétien4,et l'on
sait par le chroniqueurIbn Çaghirque, dans le plus importantdes
États kharidjites,le royaumerostémidede Yahert - des vnie et
ixe siècles- le souveraingouvernaiten prenantl'avis de notables,
dont certainsétaient chrétiens6.D'autre part, GeorgesMarcais a
noté que l'art kharidjitedes xe et xie siècles,tel qu'on l'a découvert

l'ensembledu Maghribn'auraitété convertià l'Islam qu'au début du ixe siècle. Cf.Lewicki,


Survivancespaïennes chez les Berbères,Folia orientalia, t. VIII (Cracovie, 1966), p. 13.
1. Mal accueillipar les Berbèresdans la partie de l'Afriqueque conquirentles Vandales,
Parianismeaurait-ileu du succès au Maroc où les Wisigothsl'auraient importépar Tanger?
Cf. Lacharrière, Tanger, Revue africaine,t. LXVIII (Alger,1927), p. 375.
2. Le kharidjismea réclamépuis établi l'égalité fiscaleentreArabes et convertisà l'Is-
lam, et il a été une formede résistanceberbèreau califat arabe : un mouvement« xéno-
phobe » (Julien. Hist, de VAfriquedu Nord, 2e éd., t. II, p. 28).
3. Terrasse, Hist, du Maroc, t. I, Casablanca, 1949, p. 98-99.
4. Ibn Khaldoun, trad. Slane, Hist, des Berbères,t. I, p. 216-217.
5. Ibn Saghir, Chronique des imams rostémidesde Tahert, éd. trad. Motylinswski,
Actesdu XIV6 Congrèsdes orientalistes, 1907 ; cf. Julien, Hist, de VAfriquedu Nord,2« éd.,
t. II, p. 37.

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REV. HISTOR. CCXL. 2. 20

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à Sedrata,près d'Ouargla,est directement inspirépar l'art chrétien
de l'Afriquepréislamique1.On discerneassez bien que des survi-
vanceset des ferments chrétienssubsistèrent ainsi longtempschez les
Berbèresdevenuskharidjites.
Il est non moins caractéristiquede constaterque dans l'autre
mouvementpolitico-religieux qui s'enracina dans la Berbériemu-
sulmane primitivecontre le califat, une infrastructure chrétienne
romainese découvreaussi : ceux des Berbèresqui furent effrayés
par l'aspectrévolutionnaire et destructeur que pritsouventen Afrique
du Nord le kharidjismenaissant,s'unirentau Maroc, à Volubilis,
autour d'un Alide, c'est-à-dired'un descendantde Mohammed,le
princeIdris. Or, cet émirétait non seulementun chiite,mais aussi
un motazélite; autrementdit, à ses yeux commeà ceux des kharid-
jites, d'ailleurs2,le Coran n'était pas coéternelà Dieu, n'était pas
incréé,mais créé par Dieu8. Cetteconceptioncontraireau sunnisme
officielne put-ellefaciliterle glissementde chrétiensvers l'Islam?
Le fait certainest que la forcepolitiquegrâce à laquelle naquit la
monarchieidrissidefut celle que constituaientles Aouzéba, c'est-
à-direle peuple qu'avait illustréKoceila un siècleplus tôt ; al-Bakri
précisemêmeque les Aourébaétaientalors adeptesdu motazélisme,
et que ce sonteux qui avaientralliéle princeIdris à cettedoctrine4.
Le lien resta solide, malgréles interférences de forcescontraires:
au ixe siècle encore,ces Aouréba étaientle fermeappui des Idris-
sides5. En transportant leurcapitalede Volubilisà Fès qu'ils créèrent,
les deux premiers Idris restèrentdans un milieuoù se perpétuaient
souvenirset mêmeriteschrétiens: la portionde Fès-Bali que fonda
Idris Ier,Medinat-Fès,était entouréed'une enceintepercéede quatre
portes,dontl'une garda longtempsle nom de Bab el-Khanisa,c'est-
à-direde « portede l'église6 » ; d'aprèsle Raoud al-Qirtas,
alorsqu' Idris
était occupé à tracerle plan de Fès, un très vieux moine chrétien
lui dit que, selon une prophétiefaitepar un autre religieuxromain
qui avait vécu bien auparavantsur ce site,le descendantd'un pro-
phète devait y bâtir une ville7. Voilà qui laisse apparaîtreune tra-

1. GeorgesMarcais, Art chrétiend'Afriqueet art berbère,Mélanges d'histoireet d'ar-


chéologie,t. I, Alger,1957, p. 136-138.
2. Terrasse, Hist, du Maroc, t. I, Casablanca, 1949, p. 98.
3. Ibid., p. 113.
4. Al-Bakri, trad. Slane, Descriptionde VAfrique,2« éd., p. 231 (cf. p. 239-240).
5. Ibid., p. 243.
6. Le Tourneau, Fès. Casablanca, 1949, p. 41-42.
7. Ibn Abi Zar, Raoud al-Qirtas,trad. Beaumier,Pans, 1860, p. 27 ; cf. Le Tourneau,
Fès, op. cit.,p. 38.

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Berbérie : unproblème
etIbériemedievales derupture
ditionlocale indiquantun enchaînement religieux,de pieux ermites
chrétiensà un descendantdu prophèteMohammed,de même que
la réalitéhistoriquenous montreles Aouréba,ex-championsde la
cause de Koceila, devenuschampionsde celle des Idrissides.
Par conséquent,il n'est pas impossiblede discernercommentput
se réaliserle passage des populationsberbèresdu christianisme à
l'Islam. Fut-celà un processusirréversible? On est tentéde répondre
par l'affirmative,du fait que cette islamisationfut définitive.Le
problème,pourtant,n'est pas simple.GeorgesMarcáis l'a bien vu,
qui a écritavec son sage et prudentdésabusement: « L'islamisation
de la Berbériesoulèveun problèmehistorique,que nous n'avons pas
l'espoir de résoudre1.» Ici, toutefois,l'histoirede l'Espagne peut
nous être d'un grand secours : en gros,les conversionsdes Ibères
ou Ibéro-Romano-Wisigoths s'effectuèrent
commecellesdes Berbères
ou Berbéro-Romains. De mêmeque les filsde la Kahena qui lui sur-
vécurentse convertirent à l'Islam dès la défaiteet la mortde leur
mère, de même que le petit-filsdu « Berbero- Romano-Wisigoth »
-
Juliense convertità l'Islam aprèsla mortde son grand-père resté,
lui, chrétienet gouverneur de Ceuta jusqu'à la finde sa vie2 - alors
que la descendancemasculinedu roi Wittiza resta longtempschré-
tienne,une fille- ou la veuve - du roi Rodrigueépousa l'un des
fils du conquérantMousa ben Nosair, Abd al-Aziz3; et l'histoire
d'une familleconnue du pays basque est particulièrement signifi-
cative : au débutdu vme sièclese convertità l'Islam un autochtone
nomméFortún,filsd'un comteGassio (Cassius - ? - Cassien- ?)
et importantpropriétairefoncier;le filsde ce Fortún,Mousa ben
Fortúnben Cassio (ou : Ibn Qasi) futtué en 788 en luttantcontre
des Musulmansde la vallée du Haut-Èbre qui refusaientde recon-
naîtrel'émirHicham,filset successeurd'Abd ar-Rahman,le premier
Oméiyadede Cordoue; ce fidèleMousa eut deux filsconnus; l'un
d'eux, Motarifben Mousa ben Fortúnben Qasi, fut gouverneurde
Pampeluneau nom des Oméiyadesà la findu vine siècle; quant à
l'autre,nomméMousa ben Mousa ben Fortún ben Qasi, il n'était
pas né de la mêmemère; sa mère,antérieurement mariéeà un chré-

1. GeorgesMarcáis, La BerbériemusulmaneetVOrientau MoyenAge. Paris, 1946, p. 35.


2. Slane, Appendice à Ibn Khaldoun, Hist, des Berbères,t. I, p. 345-346 : le comte
Julieneut un fils,Petrus (Pedro), dont le fils,devenu musulmansous le nom d'Abdallah,
eut un petit-filsqui fitde brillantesétudes en Irak et devintun fameux jurisconsultedu
début du xe siècle.
3. Ibn Abd Al-Hakam, éd. trad. Gateau, Conquêtede VAfrique,2 e éd., p. 107.

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tien ou à un Musulmanredevenuchrétien,avait eu de cette union
initialeun fils qui fut le premiervéritableroi de Navarre : Iñigo
Iñiguez Arista. Ce roi chrétienétait bien plus âgé que son demi-
frèreMousa ben Mousa; il donna en mariageà celui-ciune de ses
filles,Assona1.
Voilà commentse présentel'histoirereligieused'ime famille
ibère qui manœuvradans les dernièresdécenniesdu vine siècle et
les premièresdu ixe entreArabeset Francs dans le pays basque. La
mèredu roi Iñigo Iñiguezet de Mousa ben Mousa était-ellepaïenne,
chrétienne ou musulmane ? Onl'ignore.Maisà la lumièrede cetexemple
on devine ce que purentêtre oscillationsreligieuseset conversions
en pays berbère.N'est-cepas seulementà cause du voisinageactif
et de la pressiondes Aquitainset des Carolingiensque la Navarre
et des famillesibères ou basques revinrentau christianisme et à
l'Occident après avoir été musulmanespendant quelques dizaines
d'années? Les Berbèresconvertisà l'Islam l'étaient-ilsplus profon-
démentque les Ibères? On n'a aucune raisonde le supposerpour le
ixe siècle.Brusquementle christianisme renaissaitparfois.Rien n'est
plus probant à cet égard qu'une révoltede montagnardsqui se pro-
duisitdans le dernierquart du ixe siècleen AndalousieentreMalaga
et Ronda; le chefdes insurgés,un autochtone,Omar ben Hafsoun,
constituaun « véritableÉtat espagnol» et « revintau christianisme
de ses ancêtres2». Vers le mêmetemps,des résurgences chrétiennes
discrètesmaisincontestables se manifestèrent dans l'État crééen terre
maghribine par les Berghouata- des Branès Masmouda- entrele
Bou Regreget l'oued Oum er-Rbia; ces Marocainsavaient une reli-
gion particulière,qu'ils disaient avoir été dictée par Dieu dans la
premièremoitiédu vme siècleà leurprophète,« le Prophètedes Ber-
bères », présentécommeun continuateurde Jésus; et c'est par le
nomde « Yaqouch » - qui seraitune déformation de Yesous-Jésus-
qu'ils désignaientDieu 8. Pour tout dire,ni en Ibérieni en Berbérie
les conversionsà l'Islam n'excluaientles possibilitésde retourau

1. Cette histoirefamiliale se reconstituepar des sources arabes et chrétiennescan-


frontées,utilisées d'une part par Lévi-Provençal, Du nouveau sur le royaume de Pom-
pelune au ixe siècle, Bulletinhispanique,t. LV (Paris, 1953), d'autre part par Pérez de
Urbal, Origen del reino de Navarra, Al-Andalus,t. XIX (Madrid-Grenade,1954).
2. Le Tourne au, L'Occident musulmandu vu« siècle à la findu xv«, Annalesde VIns-
titutd'étudesorientales,t. XVI (Alger,1958), p. 154.
3. Al-Bakri, trad. Slane, Descriptionde l'Afrique,2« éd., Alger, 1913, p. 261 ; Ter-
rasse, Hist, du Maroc, t. I, Casablanca, 1949, p. 128-129; cf. Lévi-Provençal, Un nou-
veau récit,Arabica,t. I (Leyde, 1954), p. 42.

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Berbérie : unproMème
et Ibériemédiévales derupture
christianisme : de part et d'autre du détroitde Gibraltar,catholi-
cisme et romanità,pour généralement enterrésqu'ils fussent,n'en
affleuraient pas moins à
parfois,prêts rejaillir.
En ce qui concernel'Espagne, Claudio Sánchez Albornoza sou-
ventdémontréque l'essenceet la substancede Plbérieprémusulmane
sontrestéesvivantesaprèsla conquêtede la péninsulepar les Arabes
et ont largementcontribuéà féconderet personnaliserl'Espagne
musulmane1.Tout ce que l'éminenthistorienespagnola ainsi établi
pour la péninsulese peut pareillementdémontrerpour la Berbérie.
Le passé préislamiqueet ses donnéesstructurales profondes n'ontpas
en
disparuplus brusquement Afrique du Nord qu'en Espagne. Il est
aisé de le contrôlerpointpar point.
Sánchez-Albornoz nous rappelleque les Musulmansd'al-Andalus
étaientencorebilinguesà la findu xie siècle et au début du xne2.
De même,les Maghribinsétaientloin de ne parler qu'arabe en ce
temps,et les dialectesberbèresn'étaientpas le seul idiomepréisla-
miquequ'ils continuaient à employer: d'une part,le latinétaitencore
utilisépar des autochtonesd'Afriquedu Nord au xie siècle,notam-
mentà Kairouan8; d'autre part et surtout,durantle haut Moyen
Age, de mêmeque naquirentdu latin les languesromanesd'Europe,
unelangueromanede Berbérieen étaitnée: dansPIfriqiyadu ixesiècle,
en particulierdans les agglomérations urbaines,« Berbèreslatinisés»
et « Latins africanisés» parlaientun « latin corrompu4»; selon le
Kitab ah* san at-taqasin,que l'Oriental al-Muqaddasi écrivitvers
985, les habitantsdu Maghributilisaientalors,outrel'arabe - « un
arabe peu intelligible» - et le berbère- « langue incompréhen-
sible» - une troisièmelangue« qui se rapprochedu roman(rumi)6 » ;
c'est l'idiome que l'on appelle al-latinial-afariqui,ou plus simple-
mentValfariqi; il était encoreparlé au milieudu xne siècle,notam-
mentdans la régionde Gabès et de Gafsa,« par la plupartdes gens»,

1. Sanchez-Albornoza récemment rassemblé les élémentsde sa démonstration,dans


unecommunication au congrès de Spolètede 1964,Lo premuslim en la España musulmana,
traduiteen français sousle titre: Espagneproislamique et Espagnemusulmane, dansla
Revuehistorique, t. CGXXXVII (Paris,1967),p. 295-338.
2. Ibid., p. 302.
3. Cf.,parexemple,Mahjoubi,Nouveautémoignage épigraphiquesurla communauté
chrétiennede Kairouanau xiesiècle,Africa, t. I (Tunis,1966),p. 87-96.
4. Urénéral Hassen-Husni Abdul-Wahab, Les steppestunisiennes pendantle Moyen
Age,Cahiersde Tunisie,1954,p. 5-16 (d'aprèsune dizainede chroniqueurs arabescon-
frontés).
5. Al-Muqaddasi, éd. trad. Ch. Pellat, Descriptionde VOccidentmusulmanau Xe siècle.
Alger,1950, p. 59.

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au témoignaged'al-Idrisidans son Kitab Rudjar, rédigévers 1154'
Si, en Espagne,de nombreuxchrétiensrestèrentfidèlesà leur foi
au lendemainde la conquêtearabe, en Berbérieil en futde même.
Bien que les chroniqueurs et autresécrivainsarabes ne parlentguère
de cette persistanced'ime romanitàchrétiennedans la Berbérie
médiévale,on ne peut la mettreen doute. S'il y eut, commeje l'ai
dit plus haut2,une islamisationde l'ensembledes populations,cela
n'empêchepas qu'au xie siècle subsistaientencorebien des groupes
indigèneschrétiensen terre maghribine,notammentà Tlemcen
d'après ail Bakri3,voire des évêchésdans le Constantinois et en Tu-
nisie, comme d'autres communautés en Tripolitaine,d'après divers
documents4.Il y avait aussi des survivancesreligieusesindirectes:
dans les actuelsconfinsalgéro-tunisiens,on croyaitencorevers 1070
que gisaitdans une grottede la régionle corpsmiraculeuxd'un dis-
ciple de Jésus5;versle mêmetemps,l'un des bourgsqui jalonnaient
la routede Ceuta à Fès à traversl'ex-Maurétanie tingitanes'appelait
toujoursEPKenisa, c'est-à-dire« L'église », et c'était une agglomé-
ration de Masmouda-Kotama6;au xive siècle persistaità flotter
dans la ville de Fès le souvenirdes moineschrétiensà dons prophé-
tiques qui auraientvécu aux vne et vine siècles sur l'emplacement
de la futurecapitale7. Même après l'extinctionofficielle des chré-
tientésberbèrespréislamiquesau milieudu xne siècle sous les coups
du califealmohadeAbd al-Moumen8,certainescommunautéschré-
tiennessquelettiquesvivotèrentassez longtemps: au Maroc,dans le

1. Al-Idrisi, trad. Dozy-De Goeje, Descriptionde VAfrique.Leyde, 1864, p. 122. Cf.


Lewicki, Une langue romaneoubliée,RocznikOrientalistyczny. Cracovie,1953, p. 415-480;
et GeorgesMarcáis, La Berbérieau ixe siècle d'après al-Yaqoubi, Mélanges d'histoireet
d'archéologie,t. I, Alger,1957, p. 40-44.
2. Cf. supra, p. 308, n. 6 et 7.
3. Al-Bakri, trad. Slane, Descriptionde VAfrique,2« éd., Alger,1913, p. 155 : on trouve
à Tlemcenles « restes d'une populationchrétiennequi s'est conservéejusqu'à nos jours...
et une église qui est encore fréquentée». D'autre part, il indique que Cherchelest « une
ville antique, énorme,maintenantinhabitée », mais où « se trouvent plusieurs« ribats »
dans lesquels une foule de monde se rassemblechaque année » (Ibid., p. 615).
4. Évêchés de Carthage et de Bòne, églises et communautésde Kairouan, Mahdia et
La Qala des Beni Hammad : Courtois, GrégoireVII et l'Afrique du Nord, Reçue histo-
rique, t. CXCV (1945), p. 203-206; Mahjoubi, Nouveau témoignage,Africa,t. I (Tunis,
1966), p. 87-96; G. Marcáis, Mélangesd'histoireetd'archéologie, t. I, Alger,1957. Cf. Idris,
Fêtes chrétiennesen Ifriqiya,Reçue africaine,t. XCVIII (Alger,1954), p. 271-276. Sur la
Tripolitaine.
5. Al-Bakri, trad. Slane, Descriptionde l'Afrique,2« éd., Alger,1913, p. 113 et 279.
6. Ibid., p. 215 et 222-223.
7. Ibn Abi Zar, Raoud al-Qirtas,trad. Beaumier, Paris, 1860, p. 27; cf. Lévi-Pro-
vençal, Annalesde l'Institutd'étudesorientales,t. IV, Alger,1938, p. 46 sq.
8. Ibn Al-Athir, trad. Fagnan, Annalesdu Maghrebetde l'Espagne. Alger,1898, p. 586.

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Berbérie : unproblème
etIbériemedievales derupture
Haouz, jusqu'au xiné siècle1,voire dans le MoyenAtlas plus tard
encore2; dans la zonetuniso-tripolitaine jusqu'à la findu xive siècle
8
au moins4.MoncollèguePaul-AlbertFévrier,de l'Universitéd'Alger,
commentant récemment les inscriptions des xe et xie sièclestrouvées
à AïnZara, en Tripoiitaine, à l'est du Djebel Nefouza,en parlecomme
de « signesd'ime christianisation réelleet profonde», et ajoute à leur
propos, ainsi qu'au sujet des inscriptions voisinesd'En Ngila : « Ce
n'est pas une communautéqui survitpar hasard que celle qui est
révéléepar les deux nécropolestripolitaines ; c'est le hasard de dé-
couvertesfortuitesqui nous permetde devinerun monde chrétien
originalet sans doute bien vivant... Si nous sommestellementigno-
rants sur la communautéchrétienneafricainedes ixe-xie siècles,
cela est dû pour une part aux destructionsdu temps,mais aussi
au fait que ces communautésn'ont pu bénéficier, commecelles de
l'Espagne, d'une a
reconquêtequi permis la conservation de manus-
critset qui a favoriséle maintiende certainestraditions6.»
De bien d'autresmanières,un parallélismese note au lendemain
de la conquête arabe, comme antérieurement, entre la péninsule
et
ibérique l'Afrique du Nord : si, dans l'Espagne musulmane,« les
vieux plans des demeurespatriciennesromainesne tombèrentpas
dans l'oubli6 », ils n'y tombèrentpas davantageen Berbérie; même
dans le Maghribdu xxe siècle, affirme Henri Terrasse,« toutes les
architectures berbères,partout où elles ont pu subsister,se cons-
truisentencoresur des plans romains...La villa ruralemunie d'une
tour et où des bâtisses entourentune cour intérieurese retrouve
encoreau Maroc... (Selon Emile Laoust) la taddartdes oasis n'est
autre que la maison romaineà impluvium...Le qsar conserveles

1. En 1232, le prétendantalmohade Yahya massacra à Marrakechles chrétiensBeni


Farfan (qui étaientpeut-êtredes Mozarabes d'Espagne antérieurement déportésau Maroc,
peut-êtredes Berbèresdu Haouz) : Ibn Abi Zar, Raoud al-Qirtas,trad. Huici, Valence,
1918, p. 259-260.
2. D'après le voyageurespagnol Diego de Torres,qui alla de Marrakechà Tanger vers
1550, il y avait encore alors dans le Moyen Atlas le souvenirdu christianismeantérieure-
ment pratiqué dans la région : Diego de Torres, Histoiredes Chérifs,trad, par le duc
d'Angoulême,1650; cf. Carcopino, Le Maroc antique. Paris, 1943, p. 299, n. 9.
3. Brunschvig, La Berbérieorientalesous les H afsides,t. I, Paris, 1940, p. 430.
4. D'après le voyageur Moulay-Ahmed, il y avait encore à Tozeur, au début du
xvine siècle, « un reste de chrétiens», la population de cette ville, comme celle du Djerid
en général,descendantdes « anciens chrétiensd'Ifriqiya » (trad. Berbrugger: Exploration
scientifiquede VAlgérie,t. IX, Paris, 1846, p. 289).
5. P.-A. Février, Évolution des formesde l'écriten Afriquedu Nord, à la finde l'Anti-
quité et durantle haut MoyenAge ; communicationà YAcademiadei Lincei. Problemi at-
tuali (Quaderno105, Rome, 1968 - anno CCCLXV), p. 211 et 216.
6. Sanchez-Albornoz, Espagne proislamique,Revue historique,t. CCXXXVII (1967),
p. 320.

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grandesligneset souventl'orientation du castrum romain.La tighremt
avec ses quatre tours d'angle n'est pas autre chose qu'un castellum
transposéen architectureberbère. Dans les villes... la maison à
patio est une maisonromaine,retourd'Espagne1». Voilà qui rejoint,
en l'élargissantpour le Maghrib,la démonstration faitepour la pé-
ninsule ibérique par Sánchez-Albornoz.D'ailleurs, selon Georges
Marcáis,il y a im lien généralentre« l'art chrétiend'Afrique» et l'art
musulmande la Berbériemédiévale2.
Il n'est point malaisé d'élargirencore la comparaisonentre la
surviedes donnéesprémusulmanes dans l'Espagne islamiséeet leur
pareille survie dans le Maghrib : dans la péninsule,« après comme
avant l'invasion musulmane,les Espagnols continuèrentà suivre
le calendrierromain8»; il n'est pas moinscertainqu'au xxé siècle
encore,« le calendrieragricolede tous les Marocains,berbèresou
arabisés,est restéle calendrierjulien : les nomslatins des mois ont
4
passé en berbèreet en arabe, à peine déformés». S'il est exact que
«
le parlerarabe de la péninsule fut inondé de mots romans6», il
l'est aussi que de nos jours encore« dans le vocabulaireberbère- et
souventpar l'intermédiaire du berbèredans l'arabe parlédu Maroc-
la plus grandepartiedes termesrelatifsà l'agriculture restede souche
latine6». Des réalitéséconomiquesà leursconséquencessociales,les
liens restèrenttenaces,tant en Afriqueque dans la péninsule: la
vigneet le vin,voiredes scènesbacchiques,ont été des composantes
de la vie dans l'Espagne musulmane7;en terremaghribineaussi :
au xié siècle, on vendait et consommaitdu vin dans des tavernes
d'Ifriqiya8;dans les premièresannées du xne siècle,à en juger par
les prédicationset l'actiondu mahdialmohadeIbn Toumert,l'usage
du vin était courantà traversle Maghrib9 ; en Orientaussi - est-il
besoin de le rappeler?- notammentà Bagdad, on aimait le vin

1. Terrasse, Hist, du Maroc, t. I, Casablanca, 1949, p. 70-71.


2. GeorgesMarcáis, Art chrétiend'Afriqueet art berbere,Mélangea d'histoireet d'ar-
chéologie,t. I, Alger,1957, p. 131-140.
3. Sanchez- Albornoz, Espagne préislamique,Reçue historique,t. CGXXXVII (1967),
p. 323.
4. Terrasse, Hist, du Maroc, t. I, p. 70.
5. Sanchez-Albornoz, Espagne préislamique,Reçue historique,1967, p. 303.
6. Terrasse, Hist, du Maroc, t. I, p. 70.
7. Sánchez-Albornoz, Espagne préislamique, Reçue historique,1967, p. 321-323;
cf. Levi-Provençal, Histoire de l'Espagne musulmane,t. I, Paris, 1950, p. 196 ; t. III,
Paris, 1953, p. 446-447.
8. Idris, Fêtes chrétiennesen Ifriqiyaziride,Reçue africaine,t. XCVIII (Alger,1954),
p. 272-272.
9. Cf., par exemple,Terrasse, Hist, du Maroc, t. I, p. 267.

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Berbérie et Ibérie medievales : un problème de rupture

et les poètesaimaientà le chanter.Un poèmede 1' « Espagnol » Ibn


Hazm, cité par Sánchez-Albornoz,se termineainsi :
Moi, elle, la coupe, le vin blanc et Vobscurité,
Nous ressemblionsà la terre,à la pluie, à la perle, à Vor et au jais1.
Commentne pas penseren lisantces vers à ceux qu'écrivaitvers
800 à Bagdad le poète Abou Nowas, qui était connuà Kairouan :
Le vin sembledans la coupe un lac d'or liquide
Où, quand Veau y est mêlée,Vœil croit voir des perles2.
De même,après avoir lu les fermespages de Sánchez-Albornoz,
d'imepartsurles survivanceschrétiennes dans l'Espagnemusulmane,
d'autre part sur « le respectde pure souche hispanique» témoigné
à la femme,et sur les traitsespagnolsde « romantismeamoureux»
remontantà la traditionpéninsulairepréislamique8,on ne peut ne
pas se rappelerqu'il se trouva aussi un souverainzirided'Ifriqiya,
l'émir Tamim (1062-1108),pour écriredans une poésie adressée à
une chrétienne du Maghrib:
Allah ne sait-Il pas que mon cœur est épris de toi, 6 visage de beauté?
Et que j'aime tessuaves accents,au prix de ma vie,quand tu lis les paroles
[du Messie.
Je manifestede Vaffectionà d'autres que vous intentionnellement, mais
[celle que je ressenspour vous est la seule véritable.
Et, pour Vamour de vous,je goûtefêteschrétienneset cantiquesaux airs
[mélodieux*.
Ces quelques exemplesd'histoirecomparative,si j'ose dire, ne
méritent-ilspas réflexion?En Ibérie certes,mais en Berbérieaussi,
et ailleursencoresans nul doute,la conquêtearabe eut commeré-
sultat,suivantla juste expressionde Lévi-Provençal,l'implantation
de l'Islam dans une portiondu mondeantique6, dontbien des traits
survivaient.L'étude synchronique de la Berbérieet de la péninsule
ibériquene permet-elle pas de mieuxentendrele débat « espagnol»,

1. Ibn Hazm, trad, espagn. par Garcia Gómez, El collar de la paloma, p. 90, cité par
Sánchez-Albornoz, Espagne préislamique,Reçue historique,t. CCXXXVII (1967), p. 322,
n. 6.
2. Citépar GeorgesMarcáis, Histoiredu MoyenAge (de la collectionGlotz),t. III, p. 367.
3. Sanchez-Albornoz, Espagne préislamique,Reçue historique,t. CGXXXVII (1967),
p. 324.
4. Manuscritconservé à la grande mosquée de Tunis, cité par H. H. Abdulwahab,
Coup d'oeilsur les apportsétrangersen Tunisie,Reçue tunisienne,1917, p. 312-313; et par
Id ris, Fêtes chrétiennesen Ifriqiya,Reçue africaine,t. XGVIII (1954), p. 273.
5. Lévi-Provençal, La civilisationarabe en Espagne. Paris, 1948, p. 2.

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qui met aux prisesdepuis si longtempsun Sánchez-Albornoz et un
AméricoCastro1,au sujet du rôle respectifdes donnéesprémusul-
manes et des facteursislamiquesdans l'évolutionconsécutiveà la
conquêtearabe? N'aperçoit-onpas ainsi qu'en généralce qui est vrai
pourl'Espagne l'est aussi pourl'Afriquedu Nord? Ni plus ni moins.

Et voici que se fitla reconquista de la péninsuleibérique,tandis


qu'à partir du milieudu xie siècle s'effectuaen Berbérie« l'invasion
hilalienne». Tels sont les derniersflotsd'événementsauxquels il
convientde réfléchir.
La reconquista prit son départdans le nord de l'Espagne dès le
vnie siècle.Fut-ceparce que les Asturieset la Galice,la zone basquo-
navarro-aragonaiseet la Catalogne auraient été particulièrement
rebellesà l'arabismeet à l'Islam2? Ce futplutôtparce que des fac-
teurs géohistoriquesfacilitèrentun triple démarragede la recon-
quête chrétienne: quand les Arabes atteignirent les Pyrénées,ils
eurenttendanceà poursuivreleurs effortsau delà de cette chaîne,
non au cœur de ses massifsni dans tous ceux du nord-ouestde la
péninsule; et, de son côté, la puissance carolingienne, en prenant
essor et en renforçant la résistanceaquitaine aux raids musulmans,
mitsa forceen mouvement versle sud. En mêmetempsque ces deux
motifs,jouèrentIe3 effetsde la criseque traversale mondemusulman
au milieudu vine siècle.Voilà, à monsens,ce qui permitla naissance
de principautésou royaumesespagnolschrétiens.
Nous arrivonsainsi à un momentde rupture; mais il s'agit d'une
rupturede l'unité péninsulaireet non d'une ruptureentrel'Ibérie
et la Berbérie.Une vaste zone frontière, large de plusieursdizaines
de kilomètresapparut dans la péninsule,au moins dans sa moitié
occidentale.La frontièreméridionaleet orientaledu royaumedes
Asturiessuivaitau ixe sièclele coursinférieur du Douro depuis son
embouchure jusqu'à Osma à l'est ; ensuite,elle devenaitplus ou moins
sud nordou sud sud-ouestnordnord-est.Par contre,les places fron-

1. Cf.supra,p. 3 3, n. 1, et AméricoCastro, Espana en su historia,lre éd., Buenos Aires,


1948 ; The structureof Spanishhistory.Princeton,1954.
2. Dans des < Notes de lecture », intitulées« Conquête arabe, reconquistaespagnole...
et évolutiondu Maghrib... », j'ai discutéles thèsesqu'ont exposées A. Barbero et M. Vigil
dans un articlesur les originessociales de la reconquista,publié dans le Boletínde la Real
Academiade la Historia,t. GLVI/2 (Madrid,1965), p. 271-339 (Reçue d'histoireet de civili-
sationdu Maghreb,n° 4, Alger,janvier 1968, p. 75-79).

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Berbérie : unproblème
etIbériemedievales derupture
tièresmusulmanesles plus septentrionales et occidentalesen face de
cettefrontière asturiennene se trouvaientque sur le Mondegodans
la régionde Coimbreet sur le Tage dans la régionde Tolède, puis
elles s'alignaientvers le nord nord-esten directionde Guadalajara
et de Pampelune1. Ainsi,jusqu'au derniertiersdu ixe siècle,les pla-
teaux de Léon et de Castilleseraientdemeurésdéserts: la vie était
impossible,croit-onen général2,sur cet espace « maudit» que rava-
geaient tour à tour Hispano-Musulmanset Asturienschrétiens8.
Plus à l'est, au sud de la Navarre- dontnaquit le royaumed'Ara-
gon au xie siècle- et au sud de la Catalogne,le no man's land était
moinsvaste, mais là aussi sur les pics, dans les montagnes,il y eut
sans tarderdes vigies et des tours de guet; ces atalayasscrutaient
la bande de terredésertéequi servaitde zone frontière : la tierrade
nadie,la « terrede personne4». L'unité péninsulaireavait sombré.
Désormais,il y eut d'une partle mondeislamiquehispano-maghri-
bin, d'autrepart la chrétientéespagnole.Entre ces deux mondes,la
zone frontière fut mouvantependant des siècles, à traversla pé-
ninsuleet mêmeà traversla Méditerranée, les Baléares restantmu-
sulmanesjusque vers 1230. Un pointessentielest qu'aucun des deux
mondesen présencene renonçaità reconquérirl'autre,ni ses terres
ni ses âmes. Dans cet antagonisme,la religiondevint un élément
caractéristique, essentiel.Islam et christianisme cessaientd'être ce
qu'ils avaient semblé vers le vme siècle aux chrétiensdevenant
musulmans: deux branchesrivales mais relativementfraternelles
d'un mêmemonothéisme. Maintenant,le contrastereligieuxdevenait
totalet bienplus déterminant que le contrasteethnique.Il s'affirmait
au soufflede certainsversetscoraniques: « Croyants,combattez5!»
« Lancez-vousen campagne6 ! » « Combattezceux qui ne croientpas
en Allah... et qui ne déclarentpas illicitece qu'Allah et son apôtre

1. Lévi-Provençal, Histoire de l'Espagne musulmane,t. I, p. 70-71; Id., V Islam


d'Occident.Paris, 1948, p. 161.
2. Ibid. Y avait-il un « désert» dans la vallée du Douro? Plusieurs écoles s'affrontent
sur cette question. L'étude la plus récenteet la plus solide (Sanchez-Albornoz, Desplo-
bación y repoblacióndel valle de Duero. Buenos Aires, 1966, 406 p. et 2 cartes hors
texte) démontrequ'il y eut effectivement dépeuplementde la vallée du Douro aux viiie-
ixe siècles.
3. Ibn Al-Athir, trad. Fagnan, Annales. Alger,1898, p. 133- 150-152,198, 212 ; San-
chez-Albornoz, L'Espagne et l'Islam, Revue historique,t. GLIX (1932), p. 332 ; Perez de
Urbal, Origendel reino de Pamplona, Al-Andalus,t. XIX (1954), p. 17.
4. Gazulla, Moros y Cristianos,Boletín de la Sociedad Castellonensede cultura,t. XI
(Castellónde la Plana, 1930), p. 101.
5. Coran,trad. Blachère, II, 245.
6. Ibid., IV, 73.

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(le Prophète)ont déclaréillicite*. » « Les chrétiensont dit : le Messie
estfilsd'Allah,..Qu'Allahles tuea !» Le djihad,c'est-à-dire« la guerre
sainte », apparaissaitainsi par excellencecommel'obligationde la
communautédes croyants(Vumma),seule « société humaine» légi-
time : tout pays prochede Vummaet entreles mainsde non-musul-
mans est terrede djihad; le Coranle dit : « Combattezceux des infi-
dèles qui sont dans votre voisinage8.» Envahir leur terre pour y
porterla religionrévéléepar Allah à Mohammedest un devoirabsolu,
dès qu'il y a possibilitéde le faire: « Combattez,a dit le Prophète,
jusqu'à ce que... le culte soit renduà Allah4! » Et à cette attitude
musulmanede répondrecelle des chrétiens, dont les roismenaientla
croisadecontrel'Islam d'Espagne avec l'aide de l'Église.
S'effectuant ainsi au rythmede la croisadecontrela guerresainte,
la reconquista, ses fluxet ses refluxentraînèrent peu à peu de pro-
fondesconséquencessociales; les années passant, le contrastereli-
gieux s'accentua entrel'Espagne du Nord et la zone forméepar le
restede la péninsuleibériqueet le Maghrib: au ixe siècleet au début
du xe, beaucoup d'autochtonesrestéschrétiensen Espagne musul-
mane, les Mozarabes,fuirentle pays d'Islam pour aller s'installer
dans le royaumedes Asturies6; aux xie et xne siècleseurentlieu des
mouvements migratoires semblables6,tandis que d'autresMozarabes
étaient déportésau Maroc par les souverainshispano-maghribins7.
Et bientôtexpirèrentà peu près complètement, sous les coups des
Almohades, les communautés chrétiennes d'Afrique,tantla chrétienté
berbèreautochtoneque l'Église mozarabe importée8.Quant à la
communauté mozarabed'Espagnedu tempsdes Almohades,de moins
en moins étoffée,beaucoup moins connue d'ailleurs que celle des
temps antérieurs,elle ne tarda pas à devenirassez squelettique.
D'autre part,toutesles avances territoriales des États chrétiensdu
nordde la péninsule étaientsuiviespar départde musulmansvers
le

1. Coran,trad. Blachère, IX, 29.


2. Ibid., IX, 30.
3. Ibid., IX, 124.
4. Ibid., VIII, 40.
5. Lévi-Provençal, Histoirede VEspagne musulmane,t. I, p. 327 ; Sánchez-Albornoz,
L'Espagne et l'Islam, Reçue historique,t. CLIX (1932), p. 332.
6. Menendez Pidal, Orígenesdel español, 3« éd., Madrid, 1950, p. 425-431; torres
Balbas, Mozarabias y Juderias,Al-Andalus,t. XIX (1954), p. 174-175.
7. Ibid., et Simonet, Historia de los Mozarabes,p. 750, 755 et 770. Je me permetsde
renvoyerà mon article : Les relationsdu Maroc et de la Castillopendantla premièremoitié
du xine siècle, à paraîtredans le n° 5 de la Reçue d'histoireet de civilisationdu Maghreb
(Alger,juillet 1968).
8. Cf. supra, p. 314, n. 8, et p. 320, n. 7.

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Berbérie : unproblème
et Ibériemedievales derapture
les pays d'Islam et par la repopulationpartielledes zonesreconquises
par des fidèlesdu Christ1. Autrement dit, l'Espagne chrétiennede-
vint de plus en plus chrétienneet l'Espagne musulmanede plus en
plusmusulmane, quellequ'ait pu êtrede partet d'autrede la frontière
instablela profondeimportancedes apportsdu monde adverse2*
Tandis que les sièclesentraînaientcette double évolutionà l'in-
térieurde la péninsule,le Maghrib,de son côté,ne s'arabisait-ilpas
ou, du moins,ne s'islamisait-ilpas de plus en plus? Un faitmajeur
inciteraità répondreaffirmativement à cette double question : au
milieu du xie siècle se produisitl'invasionhilalienne,début de la
lente infiltration des Beni Hilal, Beni Soleim et Maqil à traversle
:
Maghrib quelques centainesde milliersd'hommespeut-être.Ces
Bédouins,purs Arabes, ne modifièrent-ils pas les fondementshu-
mainsdu Maghriben mêmetempsque biendes traitsde sonéconomie?
Ibn Khaldouna ditavec forcel'importancedésastreusede cetteinva-
sion,et les historiensactuelssont presquetous d'accordpourrépéter
son jugement8.Par conséquent,tandis que l'Occidentchrétiencon-
naissaitsa « renaissance» du xie siècle,renaissancequi ne manqua
pointde faciliterla pousséedes chrétiensespagnolsdu nordvers le
sud de la péninsule,le Maghribdevintplus oriental,mais cetteorien-
talisationn'auraiteu qu'un aspectnégatifen quelque sorte: aux dires
de tous ceux qui croienten l'importancede l'invasion hilalienne,
les arrivantsarabes auraient été un élémentde décompositionet
d'affaiblissement; ils n'auraientdonc pas renforcéla soliditéisla-
mique du pays.
Mais voici mêmeque le rôlejoué par les Hilaliensest trèssérieu-
sementremisen question.Il y a plus de dix ans déjà, Lucien Golvin
émettaitdes réservessur l'importanceque put avoir l'invasionhila-
liennedans les régionssituéesà l'ouest de PIfriqiya4;aujourd'hui,

1. Vicens Vives, Historiasocial y económicade España, t. II, Barcelone,1957, p. 12 sq. ;


Martínez Ferrando, Repoblaciónen los territorios de la Corona de Aragón, VII Congreso
de Historiade la Coronade Aragón.Barcelone. 1962, p. 143 sa.
2. C'est là un tout autre problèmequi mériteraitaussi une mise au point.
3. Cf., par exemple,GeorgesMarcáis, in Gsell, Marcáis, Yver, Histoirede VAlgérie.
Paris, 1929, p. 128; Id., La Berbériemusulmaneet VOrientau Moyen Age. Paris, 1945,
p. 205, 208-210, etc.. ; Ch. A. Julien, Histoirede VAfriquedu Nord, 2« éd., t. II (revu
par Le Tourneau), p. 74-75; Robert Brunschvig, La Berbérieorientalesous les Hafsides,
t. I, Paris, 1940, p. 325 ; HenriTerrasse, Histoiredu Maroc,t. L p. 294 sa., 347-348,etc..
4. Golvin, Le Magrib centralà Vépoquedes Zirides. Paris, 1957, p. 144 : « Le centreet
l'ouest de la Berbériene connaissentguère que des raids qui ne modifientpas sensiblement
le mode de vie des indigènes... Il semble bien qu'à la longue les nomades arabes se soient
mêlésaux Berbèreslocaux et que certainsmêmese soient fixés...Ce ne sont plus des hordes
en quête de rapine,mais des peuplades qui prennentconsciencede la valeur de la terre.»

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J. Poncet réduitla prétendue« catastrophehilalienne» au rang de
* au
mythe,mêmepour la Tunisie : ces pauvresBédouinsimmigrant
Maghrib ne mériteraient pas d'être tenus pour des acteurs de l'his-
toire, même pas pour des fauteurspremiersde destructions ; ils
seraientdes comparsesnégligeables.La fameuseruptureprovoquée
dans l'histoirede la Berbériepar l'arrivéedes Beni Hilal est donc
contestéeet un nouveau débat s'ouvre ainsi.
En tout cas, les historienssont d'accord sur un point : dans le
mondemusulmanoccidentalde la deuxièmemoitiédu xie siècle et
du xne, la régionla plus profondément pénétréede civilisationarabo-
musulmaneétait l'Espagne dite al-Andalus,c'est-à-diretoute la
partie de la péninsulequi était d'Islam. De même que l'élément
wisigothiquen'avait en rien renforcéla résistancede l'Ibérie à l'in-
vasion musulmane2,la composantegermaniquequi subsistaitdans
la population péninsulairen'empêcha pas son orientalisation ; et
voilà qui prouve indirectement que l'absence de Germains dans la
Berbérie des viie-vine sièclesne peut guère être considéréecomme un
facteurqui auraitfacilitél'intégration de ce pays à l'Islam : l'histoire
de l'Espagne musulmaneest claire. Certes,aux xie et xn° siècles,
le Maghribdevintun point de départ d'élans profondément musul-
mans; mais si les Almorávides puis les Almohades furent alors de
grandsconstructeurs d'empire et si le moteur premier de ces deux
élans marocainssuccessifsfut incontestablement religieux,il n'en
estpas moinsvraique depuispluslongtemps, depuis ixe et xe siècles,
les
l'Espagne musulmane n'avait cessé d'accentuer le caractèreoriental
de son esprit,de ses institutions et de ses structures sociales : par
l'intermédiairedu califat abbasside de Bagdad, malgré le conflit
qui opposait à cet État la cour de Cordoue,une part de l'héritage
iranienet maintautreapportoriental,s'ajoutantaux imprégnations
arabeset syriennes, s'étaientintégrésà al-Andalus*.Et ce futensuite
seulement,aux xie et xne siècles,lorsquel'unitépolitiquefutréalisée
entrel'Espagne musulmaneet le Marocpuis toutela Berbérie,préci-
sément aux temps almorávideset almohades, que Parabisme et

1. J. Poncet, Pays subdésertiques,Annales,1961, p. 105 ; Id., Le mythede la « catas-


trophe » hilalienne,Ibid., 1967, p. 1099-1120 : l'État ziride d'Ifriqiya s'effondrade lui-
même. Golvin (op. cit., p. 122) avait aussi été « tenté de penserque les Zirides... se trou-
vaient sur le cheminde la décadence », à la veille de l'arrivée de Beni Hilal.
2. Cf. Orlandis, El elementogermánicoen la Iglesia española del siglo vu, Anuario
de Estudios Medievales,t. Ill, Barcelone,1966, p. 27-64 ; cf. Dufourcq, Notes de lecture,
Reçue d'histoireet de civilisationdu Maghrib,n° 4 (Alger,janvier 1968, p. 72-73).
3. Cf. Terrasse, Islam d'Espagne. Pans, 1958.

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Berbérie : on problème
et Ibériemédiévales derupture
l'orientalismedu Maghribse développèrent;mais ce fut par al~
Andalus. Ce ne fut pas l'inverse.Le grand foyerarabo-musulman
était alors en Espagne et non en Berbérie.
Je me permetsde rappelerquelques faitsbien connus: l'un des
plus grandsAlmorávides,Ali ben Yousof (1106-1142),né à Ceuta,
qui étaitalorsime « ville aux troisquartsandalousex», futun artisan
de V « hispanisation» du Maroc2 ; à Marrakech,que son père avait
fondée,il s'entoura d'immigrantsandalous3. Les villes berbères
s'arabisaientalors par l'Espagne4 : les archéologuesont noté par
exempledans la Qouba almoravidede Marrakechdes élémentsar-
tistiquesqui rappellentceux de la grandemosquée de Cordoueet
de l'églisetolédanedu Cristode la Luz5; des spécialistesont indiqué
comment« le décor foisonnantde la grandemosquée de Tlemcen»
a été sans doute inspirépar « celui de l'Alfajeriade Saragosse6».
Bref,les Berbèresse mirentalors« à l'école de l'Andalousie7 » ; encore
est-il établi que cette « hispanisation», qui était une arabisation,
avait des limites: la Berbérie,pour Maghribqu'elle fût devenue,
restaitmoins« orientalisée» que l'Espagne musulmane8.
On arrivejusqu'à la veille de l'effondrement du califatalmohade,
sans noterdans la réalitéhistoriqueaucun indicede moinsprofond
enracinementde la civilisationarabo-musulmanedans al-Andalus
qu'en terremaghribine. On a mêmeplutôtl'impressiondu contraire.
Il n'en est pas moinsvrai qu'au xine siècle les Baléares,le Levant
espagnolavec Valence et Alicante,et une grandepartiede l'Anda-
lousie avec Cordoue et Seville, Murcie et Carthagèneredevinrent
terreschrétiennes.Pourquoi? Parce que les chrétienstriomphèrent
des Musulmanssurle sol espagnol.C'est la forcedes armesqui orienta
l'histoire.On ne voit pas en quoi l'essence,la substanceou les struc-
tures d'al-Andalusauraientjoué pour faciliterla reconquista;elles
n'étaientpas plus prêtesà jouer dans ce sens que n'y étaientprêtes
celles du Maghrib.La poussée victorieuseet les progrèschrétiens

1. GeorgesMarcáis, La BerbériemusulmaneetVOrientau MoyenAge. Paris, 1945, p. 247.


2. Cinquantenairede la Faculté des lettresd'Alger. Alger,1932, p. 313-315 : Lévi-Pro-
vençal, Réflexionssur l'Empire almohade.
3. Ibid., p. 312 ; Lévi-Provençal, La civilisationarabeen Espagne. Paris, 1948, p. 29-30.
4. Terrasse, Histoiredu Maroc, t. I, Casablanca, 1949, p. 203 et 259.
5. Meunié et Terrasse, Nouvellesrecherches archéologiquesà Marrakech.Pans, 1957,
p. 30.
6. Cf. Golvin, in Revue africaine,t. CHI (Alger,1959), p. 125.
7. Terrasse, Histoiredu Maroc, t. I, p. 252.
8. Sur l'esprit berbèrese manifestantdans l'art et la civilisationalmohades,cf., par
exemple,Ibid., p. 366-367.

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Ch.-Em. Dafoarcq - Berbérieet Ibérie médiévales
étaientunecatastrophe et une abomination pourl'Islamd'Espagne.
En définitive, n'est-cepas l'étatdes forcesen présence,les dis-
tances, les réalitésinternationaleset la politiqueméditerranéenne
qui expliquent que la reconquête se fitdans la péninsule,
s'y figea
puis s'acheva,et qu'ellen'atteignit pas le Maghrib?

Voicidoncla réponseque je croisdevoirformuler aux questions


que j'ai poséesau débutde cet article: rienau longdes siècles,jus-
qu'au xne,ne faitentrevoir uneprédestination occidentale de l'Ibé-
rie,ni ime orientale
prédestination de la Berbérie. Sous l'effet con-
jugué de maintfacteur, al-Andalus et le Maghrib s'étaient intégrés
au mêmedegréà l'Islamau coursd'undemi-millénaire. Si finalement
lesévénements prirentuncoursdifférent au sudetà l'ouest-nord-ouest
de la Méditerranée, ce futparce que des hommesforgèrent ainsi
l'histoire,
par un enchaînement de succès et de revers qui tout
à
instantauraitpu s'orienter
autrement, si telsmenusdétailsou telles
volontéshabilesou maladroites n'avaientjoué à des heuresoppor-
tunes.
Charles-Emmanuel Dufourcq,
Professeurà la Faculté des Lettres et Sciences humaines d'Amiens.

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