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Pierre-Marie Lledo

Odeurs et
représentations
mentales
Pierre-Marie Lledo est directeur de recherche au CNRS et
directeur du département de Neuroscience à l’Institut Pasteur1
de Paris. Il a été professeur invité à l’Université de Harvard aux
États-Unis de 2008 à 2015.

1 Le sens olfactif,
un sens longtemps
méconnu et méprisé
satisfaire pour induire la per-
ception d’odeurs figurent :
1) une bonne solubilité dans
l’eau et les graisses ; 2) un
L’olfaction est une sensibi-
faible poids moléculaire ; 3) la
lité moléculaire qui repose
capacité d’établir des liaisons
nécessairement sur le contact
de faible énergie (car réver-
physique des molécules libé-
sibles) avec leur récepteur.
rées par une substance avec
Ces conditions sont réunies
des récepteurs situés dans
pour un très grand nombre
l’organe olfactif. Cette sensi-
bilité concerne les molécules de molécules (naturelles ou
odorantes qui, entraînées par synthétisées) : ainsi, de dix
le courant d’air de la respira- à cent mille substances sont
tion ou du flairage, atteignent qualifiées d’odorantes.
la muqueuse sensorielle
située dans la cavité nasale.
1.1. Un sens utile à l’humain
Par la suite, ces molécules
et relié à son état d’esprit
se dissolvent dans un milieu
aqueux, le mucus, avant d’at- On confond souvent la nature
teindre les membranes des d’un objet ou d’une sensation
cellules sensorielles (milieu et sa représentation mentale.
lipidique). Aussi, parmi les Cela s’applique au sens olfac-
conditions physico-chimiques tif. On parle souvent d’odeur
que les molécules odorantes quand on parle de molécule
d o i v e nt n é ce s s air em ent chimique, alors qu’en fait,
l’odeur n’est pas dans le verre
1. www.pasteur.fr de vin, elle est dans notre tête.
La chimie et les sens

Cette représentation mentale 1.2. Un sens instinctif,


nait d’une stimulation olfac- puissant et fonctionnel
tive selon deux trajets bien dès l'embryon
distincts. En effet, le bouquet
d’un bon vin tient autant à la L’idée très fausse selon laquelle
perception que l’on peut avoir le sens olfactif humain n’est
à partir des odeurs perçues en pas important – « un sens
sentant le liquide dans notre dégradé » – est c­ omplètement
verre (voie dite ortho-nasale) battue en brèche par les études
que la perception des arômes scientifiques modernes qui le
libérés par le liquide contenu réhabilitent. Aujourd’hui, le
dans la bouche (voie rétro- sens olfactif est même promu
nasale) (Figure 1). à l’état d’outil pour la médecine

Figure 1
Le bouquet d’un verre de vin,
fruit de l’analyse par le cerveau
de stimulations gustatives
et olfactives.
La voie ortho-nasale correspond
au trajet des molécules odorantes
de la narine à l’épithélium olfactif
qui tapisse la cavité nasale (flèche
de gauche provenant du verre),
tandis que la voie rétro-nasale
associe une sensation olfactive aux
sensations gustatives lorsqu’un
aliment est ingéré, les deux
mécanismes se différenciant l’un
de l’autre par la nature de la voie
empruntée pour l’obtention des
sensations olfactives.

LE SENS OLFACTIF COMME OUTIL POUR LA MÉDICINE

Dans trois centres cliniques, les centres psychiatriques de Saint-Anne, de Créteil ou du


Kremlin-Bicêtre à Paris, nous avons mis au point des tests pour mesurer l’acuité et les per-
formances olfactives. D’autres centres hospitaliers recherchent au travers de tests olfactifs
des marqueurs pour diagnostiquer les maladies neurodégénératives*, bien plus tôt qu’on ne
peut le faire avec toutes les formes d’imagerie disponibles pour accéder à l’imagerie mentale.
Avec la psychiatrie, l’objectif est de diagnostiquer des troubles de l’humeur. Cette pratique
rencontre l’idée que derrière le sens chimique se cache le bien-être mental. Effectivement
derrière des troubles de l’olfaction on peut diagnostiquer des troubles de l’humeur. Grâce
à l’utilisation de critères olfactifs, on peut mesurer, sur une échelle de 0 à 10, la sévérité
du trouble de l’humeur : anxiété, stress chronique, dépression, burn-out. Cette méthode
est de plus en plus répandue.
*
Maladie neurodégénérative : pathologie se caractérisant par des lésions, souvent irréversibles, sur le
cerveau, le système nerveux, la moelle épinière, etc.
78
Odeurs et représentations mentales
(Encart : « Le sens olfactif comme olfactifs précoces. Lorsque
outil pour la médecine »). le nouveau-né sera expulsé,
On sait aujourd’hui que l’odo- confronté au monde exté-
rat se met en place dès la rieur, il sera alimenté par le
formation de l’embryon, bien colostrum2 et ne subira pas de
avant la naissance (Figure 2). rupture olfactive. Ce qu’il va
Il forme donc l’avant-garde de retrouver dans le lait mater-
la sensorialité du sujet. Ainsi, nel, c’est ce qu’il a connu
il est remarquable de consta- comme ingrédients dans le
ter que les voies de l’odo- placenta.
rat dans le cerveau sont les Chez la maman, on sait par
plus précocement ouvertes ailleurs très bien que le lien
durant le développement de materno-infantile est établi
l’organisme (que l’on nomme très tôt par le canal olfactif,
ontogenèse) ; elles offrent au comme peut l’illustrer le juge-
nourrisson l’occasion de sa ment de Salomon (Figure 3) :
confrontation inaugurale avec rappelons que lorsque le roi
le monde. Le nouveau-né est Salomon s’apprête à couper en
capable de reconnaître dans deux le bébé dont deux femmes Figure 2
l’odeur du lait de sa mère des se disputent la maternité afin L’embryon et le fœtus,
composés sentis durant sa qu’elles puissent repartir cha- des êtres vivants déjà capables
vie fœtale. Un continuum peut cune avec une moitié, la véri- de perceptions olfactives.
donc être établi à travers le table mère qui reconnaît son Sources : Fotolia.com - unlimit3d,
placenta puis lors de l’allaite- bébé par l’odorat s’écrit : « Ah Sebastian Kaulitzki.
ment. Le nouveau-né garde un non, ce n’est pas le mien ! » afin
souvenir olfactif du premier que ce nourrisson échappe à
milieu dans lequel il baigne, une mort certaine. C’est ainsi
c’est-à-dire le liquide amnio- que Salomon put reconnaitre
tique. Nul doute que tous les la véritable mère de l’usur-
comportements fondamen- patrice.
taux de l’espèce qui seront
transmis du nouveau-né à
2. Colostrum : liquide de couleur
l’adulte demeurent profon- jaune, sécrété par la maman avant
dément associés aux signaux la montée du lait.

Figure 3
Le jugement de Salomon est un
mythe où le lien olfactif materno-
infantile peut avoir permis à une
mère de reconnaître son enfant
sans ambiguïté.
Source : Wikipédia, licence
CC-NY-SA-3.0, User:Fb78. 79
La chimie et les sens

Figure 5
L’Égypte Antique, une civilisation
dans laquelle les odeurs faisaient
partie intégrante des coutumes
et de la mythologie.
Figure 4
L’odorat est un sens culturel et un 1.3. Un sens culturel Figure 6
leitmotiv artistique. et historique La Chrétienté a longtemps réprimé
Tableau de Hans Makart
la sensorialité.
(1872-1879). L’Histoire montre que le sens L’expulsion d’Adam et Ève,
olfactif a été indispensable pour Devonshire collection, Chatsworth,
former les sociétés (Figure 4). The Bridgeman Art Library.
Les Égyptiens (Figure 5), déjà,
communiquaient au travers On pourrait percevoir une
des odeurs. C’était une façon renaissance de la sphère olfac-
de communiquer avec ceux tive dès le Moyen-Âge, mais ce
qui avaient quitté la Terre et qui est remarquable, c’est le
se trouvaient dans « l’Au- véritable renouveau des odeurs
Delà ». Il en reste quelque qui survient au xviiie siècle, le
chose : le terme parfum usité Siècle des Lumières (Figure 7).
aujourd’hui provient du terme Des sortes de marchands
perfume (par la fumée). d’odeur déambulent dans les
À l ’ère de la Chrétienté villes et proposent tissus et
(Figure 6), au Moyen-Âge, il fragrances.
y a eu répression, non pas du Le xixe siècle sera probable-
sens olfactif seulement, mais ment l’apogée de cette culture
de la sensorialité en général. qui lie des liens très étroits
avec les odeurs, avec tous ces
récipients que l’on fabrique
alors pour contenir des molé-
cules odorantes (Figure 8).
Mais un frein va y être apporté.
Sur le plan scientifique, l’idée
que l’olfaction humaine est un
sens appauvri est un mythe
du xixe siècle. C’est le célèbre
neuro-anatomiste français
P aul Broc a (1824-18 8 0),
Figure 7 père spirituel de Sigmund
Figure 8 Freud, qui le premier a dési-
La démocratisation des odeurs
au Siècle des Lumières. Les fragrances au xixe siècle, gné l’olfaction comme « un
Habit de parfumeur, des mixtures conservées dans sens inutile pour l’humain »
80 de Nicolas de Larmassin. des récipients raffinés. (Figure 9A). Broca a comparé
Odeurs et représentations mentales
Figure 9
Paul Broca (1824-1880) puis
Sigmund Freud (1856-1939), avec
sa théorie du refoulement, ont
contribué à disqualifier le sens
olfactif.

l’anatomie du système olfactif l’humain de s’épanouir en ani-


de l’homme et de différentes mal social, d’accepter certains
espèces. Il s’est notamment codes notamment appuyés
intéressé à l’anatomie du sur le langage ou par le visuel,
bulbe olfactif, qui est la pre- pour favoriser ainsi la relation
mière région du cerveau à à l’Autre. On réfrènerait ainsi
traiter l’information olfactive. l’olfactif considéré comme
En 1879, Broca observe que un sens archaïque, important
chez l’homme, le bulbe olfac- pour la survie du sujet mais
tif était relativement petit. De contraire à l’établissement de
plus, nos compor tements liens sociaux.
semblaient bien moins dictés Cette thèse s’est même nour-
par les odeurs que ceux des rie, un temps, de la théorie de
autres mammifères. Broca en Darwin. À la fin du xixe siècle,
a déduit que la taille réduite alors que les études d’ana-
de nos bulbes olfactifs était tomie et de physiologie 3
associée à l’expression de ­comparées étaient à la mode,
notre libre-arbitre, assuré par on portait sur des planches
nos lobes frontaux. Déjà à son anatomiques les cer veaux
époque, le philosophe Kant de différentes espèces pour
ne considérait-il pas le nez les comparer entre eux.
comme un organe « contraire La Figure 10 montre une
à la liberté » ? ­comparaison des territoires
Freud viendra développer ses qui reçoivent directement
théories sur le refoulement les informations issues de la
(Figure 9B), que nous aurions cavité nasale (région bleue
tous, au quotidien, de façon à qui dénote le bulbe olfactif).
quitter l’animalité et devenir Par cette comparaison, on Figure 10
des êtres humains. Pour ce s’aperçoit qu’en effet, plus on
faire, l’odorat, trop animal, s’approche des primates et À la fin du xixe siècle, la variation
serait négligé, abandonné, du rapport des territoires dédiés
à l’olfaction sur l’ensemble des
pour privilégier d’autres
3. Physiologie : branche de la bio- territoires disponibles a été un
m o d a l i té s s e n s o r i e l l e s , logie qui étudie les fonctions et les indicateur, au cours de l’évolution,
et notamment le visuel. Ce propriétés des organes et des tis- de l’importance accordée à
refoulement permettrait à sus des êtres vivants. l’olfaction. 81
La chimie et les sens

plus la taille du bulbe olfactif Cependant, lorsque l’on étu-


se réduit, suggérant ainsi une die l’olfaction, on s’aperçoit
certaine régression du sens qu’il n’existe pas de disposi-
olfactif lors du passage des tion spatiale particulière des
invertébrés aux vertébrés. différents récepteurs dans
Ce n’est qu’au début du xxie siècle l’épithélium olfactif.
que l’on a compris que ce rai- Les récepteurs pour une
sonnement était erroné. Les même molécule odorante
travaux de phénoménologie4 sont dispersés de manière
de l’olfaction ont expliqué que aléatoire sur la surface de
ce n’est pas la taille de la par- la muqueuse. En revanche,
tie concernée du cerveau qui les projections de l’épithé-
compte mais le nombre de neu- lium olfactif vers le bulbe
rones dédiés au sens olfactif. olfactif semblent se faire
La disqualification de l’olfaction selon une organisation pré-
n’avait donc plus lieu d’être. De cise. L’odeur s’inscrit donc
fait, nous savons aujourd’hui que matériellement dans la sur-
nos bulbes olfactifs contiennent face sensorielle olfactive
autant de neurones que ceux comme l’image tactile d’un
des autres mammifères. objet s’inscrit à la surface de
la peau. Seulement, dans le
cas de l’image olfactive, les
1.4. Un sens analysé et
deux dimensions de la surface
compris que récemment
sensorielle ne reproduisent
Le lien entre le stimulus qui pas les dimensions spatiales
excite le cerveau et la sensa- du stimulus, qui ne possède
tion perçue par le sujet se fait pas de telles dimensions. En
selon un « code ». Newton a fait, l’espace ne structure en
ainsi découvert le code de la rien la sensation olfactive.
couleur : notre cerveau sait L’image olfactive n’est donc
si nous sommes exposés à pas la projection physique du
une lumière bleue, verte ou monde olfactif sur l’organe
rouge, en fonction de la posi- mais plutôt un codage de posi-
tion des cellules sensorielles tion qui utilise les dimensions
qui sont stimulées. Il en est spatiales de l’épithélium pour
de même pour l’audition, le représenter des dimensions
goût ou le toucher. Il y a, dans non spatiales du stimulant.
toutes ces modalités senso-

2
rielles, un code très simple
La perception
(Figure 11) : le cerveau peut
et l’analyse des
coder l’information qui nous
sensations olfactives : des
par vient de l’extérieur en
mécanismes complexes
fonction de la position de
la cellule sensorielle qui Les mécanismes de la percep-
aura été activée par cette tion et de l’analyse des sensa-
même stimulation ; il s’agit tions sont complexes, et leur
donc d’un codage spatial. compréhension fait appel à de
nombreux domaines scienti-
fiques comme la biologie molé-
4. Phénoménologie : étude des-
criptive de la succession des culaire, la biologie cellulaire, la
phénomènes et/ou d’ensembles neurophysiologie, la biophysique,
82 de phénomènes. la biochimie ou l’éthologie.
Odeurs et représentations mentales
A
Vision Audition

cellule ciliée
interne membrane tectoriale
cellule ciliée
externe

membrane
basilaire

Gustation Sensibilités somesthésiques


corpuscule de Meissner

récepteur
amère de Markal

corpuscule
acide
de Rufini
corpuscule
salée de Pacini
sucrée

B Olfation

cil olfactif mucus


protubérance du dendrite microvilli

cellule de soutien

neurone récepteur olfactif neurone en développement

cellule basale

axones

vers le bulbe olfactif

Figure 11
A) La vision, l’audition, la gustation et les sensations somesthésiques sont des modalités sensorielles répondant
à un code spatial, issu du repérage, par le cerveau, de la cellule sensorielle activée par la stimulation ; B) l’odorat
est un sens pour lequel l’obtention d’une représentation spatiale des perceptions reçues n’est pas immédiate
puisqu’un grand nombre de récepteurs sont activés plus ou moins spécifiquement. 83
La chimie et les sens

glomérule

Bulbe olfactif

Lame criblée

Épithélium olfactif

neurone sensoriel cavité nasale


olfactif

Figure 12
Les récepteurs olfactifs : les « serrures » de l’odorat. Les récepteurs olfactifs de l’odorat sont des cellules
terminées par des cils, qui détectent les molécules volatiles.

2.1. La biologie moléculaire, suf fisante dans l ’air qui


pour comprendre la nature pénètre les fosses nasales.
de nos récepteurs olfactifs Le poids moléculaire d’une
substance odorante est donc
La cavité nasale est tapis-
un facteur impor tant. Un
sée de cellules sensorielles
poids trop élevé s’accom-
qui compor tent des cil s
pagne d’une trop faible ten-
(Figures 11 et 12).
sion de vapeur de la molécule,
Un grand nombre de molé- mais un poids trop faible ne
cules appar tenant à des permet pas à la molécule de
familles chimiques très dif- s’associer de façon optimale à
férentes sont des stimuli son récepteur. D’autres para-
olfactifs potentiels. Très géné- mètres physiques comme la
ralement, ces stimuli sont des capacité à donner ou à rece-
molécules organiques pro- voir des liaisons hydrogène,
duites par le métabolisme des la polarisabilité électronique,
animaux et des végétaux, par- la solubilité dans les lipides,
fois issus de la transformation conditionnent l’aptitude des
par des micro-organismes. molécules à activer l’organe
Celles-ci sont ensuite trans- sensoriel. Puisque les condi-
portées en phase gazeuse tions physico-chimiques à
jusqu’à l’épithélium olfac- remplir pour qu’une molécule
tif. Fait remarquable, aucun soit perçue olfactivement ne
caractère physico-chimique sont pas drastiques, nous
ne permet avec certitude d’at- sommes capables de perce-
tribuer le statut de « molécule voir olfactivement jusqu’à cent
odorante » à un composé. Pour mille molécules.
être olfactivement active, une
Contrairement à la longueur
molécule doit être volatile afin
d’onde pour l’audition ou la
d’atteindre une concentration
84
Odeurs et représentations mentales
vision, la stimulation olfac- apprennent que le système
tive n’est pas un paramètre olfactif se distingue nettement
physique qui varie de façon des autres systèmes senso-
continue. L’espace olfactif est riels. Il s’apparente davantage
plutôt représenté par la com- au système immunitaire qui,
binaison stérique particulière comme lui, utilise une grande
de groupements atomiques. diversité de molécules afin de
Le stimulus olfactif est consti- reconnaître, puis neutraliser,
tué par une molécule ou, plus les innombrables antigènes
exactement, par la configu- présents dans la nature.
ration tridimensionnelle des Une molécule odorante peut
sites de liaisons de faible éner- donc interagir avec plusieurs
gie que la molécule-ligand récepteurs ; placée devant
est capable de réaliser avec les 400 récepteurs olfactifs,
son récepteur. Les travaux de elle interagira avec un grand
Richard Axel et Linda Buck nombre d’entre eux. Notre
(prix Nobel de physiologie ou nez reconnait en permanence
médecine en 2004) nous ont plusieurs molécules qui vont
appris que la réception d’une activer plusieurs récepteurs
substance odorante par son (Figure 13). Une odeur est faite
récepteur est essentiellement d’un grand nombre de molé-
une affaire de reconnaissance cules et chacune de ces molé-
moléculaire. Le stimulus ne cules excite un grand nombre
peut, de ce fait, être carac- de récepteurs. Pour donner du
térisé physiquement par un sens à ce monde chimique, le
unique paramètre variant de cerveau utilise une approche
façon continue comme peut combinatoire.
l’être la longueur d’onde pour
les stimuli auditifs et visuels. Le fonctionnement de la
Comme nous le décrirons, les rétine est une référence
propriétés moléculaires perti- importante pour comprendre
nentes sont très nombreuses
et, de plus, interactives. On
dira donc que l’espace des Molécules Récepteurs olfactifs
stimuli olfactifs5 est multidi-
mensionnel. Ce dernier est
représenté par la combinai-
son stérique particulière de
groupements atomiques qua-
lifiée d’odotope, par analogie
avec un épitope, déterminant
immunologique. En somme,
les découvertes de Richard
A xel et Linda Buck nous

5. La notion d’espace des stimuli


olfactifs est utilisée pour désigner
l’ensemble organisé des molé-
cules qui agissent sur l’organe Figure 13
olfactif. C'est une notion formelle
qui présente un intérêt pour la Le codage combinatoire des odeurs. La reconnaissance des molécules
comparaison avec les autres sys- chimiques par les cils des récepteurs est un mécanisme analogue à celui
tèmes sensoriels. d’une clé correspondant à une serrure, pour un motif constitutif donné. 85
La chimie et les sens

Figure 14 A

A) La vue est un sens permettant


le discernement d’un million
de couleurs à partir de trois Vision 3 photo- 1 million de couleurs
pigments ; B) l’odorat est capable, trichromatique récepteurs discernables
à partir de 400 récepteurs
différents, de permettre Olfation 400 récepteurs 1 000 milliards d’odeurs
la reconnaissance de plusieurs olfactifs discernables
milliards de molécules chimiques !
B

le jeu des récepteurs. À par- sont liés au même neurone


tir de la vision trichroma- olfactif et convergent vers
tique (de trois pigments), un territoire précis du bulbe
on perçoit toute une palette olfactif ; ils contribuent à la
d’environ un million de cou- construction d’une carte. Le
leurs (Figure 14A). Avec les cerveau va saisir l’excitation,
400 récepteurs du système provoquée par exemple par
olf ac tif, en ex tr apol ant, le menthol6, ­seulement par la
on peut estimer que nous position précise dans le cer-
sommes capables de recon- veau de l’activation de cer-
naître, en théorie au moins, tains neurones.
plusieurs milliards de molé- Mais il ne s’agit encore là que
cules chimiques (Figure 14B). de la première étape de la
Donc, sens archaïque, l’olfac- perception du signal olfactif.
tion ? On va voir qu’il s’agit Les molécules en fait recon-
plutôt d’un sens très précis, naissent non pas un récep-
qui reconnait les molécules teur, mais une combinaison
chimiques en nombre quasi de récepteurs. L’information
infini, moins restreint que le fournie au cerveau est donc
monde visuel. décomposée comme un code
barre en plusieurs lignes.
Plusieurs points vont être
Figure 15 2.2. Le code spatial sollicités par exemple par
de l’olfaction, un code l’odeur de citron, plusieurs
Exemples de « cartes olfactives ».
complexe autres par l’odeur de man-
Les représentations mentales des
sensations olfactives traduisent darine, d’autres régions vont
Le fonctionnement des cel- être activées par le raisin
des cartes dynamiques constituées
par la stimulation d’une lules sensorielles, tel qu’il est (Figure 15). L’ensemble des
combinaison de neurones activés schématisé sur la Figure 12, régions activées constitue
simultanément (code couleur). Le montre comment il se conci- finalement une « carte olfac-
cerveau permet la recomposition lie avec la représentation tive » plus ou moins grande
des sensations olfactives reçues, et spatiale qui relie le stimulus
compare les odeurs en comparant
et qui sera « dynamique »,
initial du récepteur à la sti-
les cartes. La formation de ces
cartes est également utile pour mulation du cerveau. Les mul- 6. Menthol : molécule que l’on
conserver une trace mnésique de tiples récepteurs sensoriels trouve dans l’essence de menthe
86 nos expériences sensorielles. analogues de l’épithélium poivrée.
Odeurs et représentations mentales
dépendant par exemple de sens holistique7 : nous ne
la concentration et de l’expé- décor tiquons pas, quand
rience du sujet vis-à-vis de nous sentons la fraise, les
cette même odeur complexe. 200 ou les 300 composés
Ces cartes donnent naissance odorants individuels qu’elle
à des « représentations men- contient, nous disons : « ça
tales » (voir plus loin), qui sent la fraise » – il y a une
dépendent des caractéris- synthèse qui est faite et nous
tiques de chaque individu. sentons un « tout » plutôt
Elles sont le substrat physique que la somme des parties.
Cette synthèse se fait dans
de la mémoire car même en
les structures cérébrales
l’absence de stimulation, elles
(cor tex olf ac tif) pl acées
peuvent se réactiver.
juste après le premier relais
Pour résumer, nous avons une central (Figure 16C). C’est là
première série de signaux qui où se joue la recomposition,
décompose le monde exté- et c’est là où nous sommes
rieur sous forme de cartes tous uniques puisque cette
portées par le bulbe olfactif. reconstruction se fait en
Ces informations sont ensuite fonction de trois dimensions
transférées au cortex olfactif du sujet : ses expériences
(recomposition) sous formes passées, son état affectif au
codées (qui rappellent les moment où il perçoit cette
codes barres) où est traitée sensation, et ses attentes
l’information olfactive pro- (cerveau projectif).
duisant une représentation
mentale (Figure 16).
7. Holistique : issue du grec holos
Du fait de cette décompo-
signifiant entier, propriété qui
sition suivie d’une recom- considère le corps ou la spéci-
position, il faut considérer ficité comme faisant partie d’un
le sens olfactif comme un tout, d’un ensemble.

A B C

Bulbe olfactif Cortex olfactif


Décomposition Recomposition
centaines millions de neurones
de glomérules

Figure 16
A) La « décomposition » est la première étape vers l’élaboration d’une représentation mentale à partir des
stimulations olfactives perçues ; B) la « recomposition » permet en retour d’associer l’activation d’un territoire
donné du bulbe olfactif à un type de représentation mentale ; ceci va permettre l’identification de la sensation
olfactive analysée ; C) l’analyse des cartes mentales est synthétique, et s’effectue dès que les représentations
mentales sont obtenues. 87
La chimie et les sens

2.3. L’analyse des perceptions c’est une des raisons pour


olfactives : de la représentation laquelle on utilise les tests
mentale au jugement olfactifs dans le monde de la
des sensations perçues clinique psychiatrique ; c’est
une façon puissante de péné-
La représentation mentale
trer dans le monde affectif
d’une odeur est affaire de
d’une personne où règne le
l’histoire du sujet, peut-être
d’acquis génétiques, mais sur- « j’aime » ou « je n’aime pas »,
tout de son vécu (Figure 17A). qualifié d’hédonisme, de plai-
L’analyse des cartes mentales sir, etc. Rappelons que l’odo-
se fait de façon synthétique, rat joue un rôle majeur dans
par un processus dit de syn- notre orientation hédonique
thèse corticale8 (Figure 17B). vers les odeurs positives, flo-
rales, esthétiques et surtout
Notre cerveau enregistre des
alimentaires où, associées
cartes dynamiques olfactives
au goût (salé, sucré, acide,
et, en fonction de ses para-
amer), elles contribuent à
mètres personnels, construit
l’appréciation et à l’identifi-
les représentations olfac-
cation des aliments.
tives mentales. Ensuite, il
leur affecte des valences :
« j’aime » ou « je n’aime pas ». 2.4. Les représentations
C’est la première réaction mentales de l’olfaction
que l’on a devant une nouvelle et la formation dynamique
odeur ; avant de dire « ça sent des cartes olfactives sont
ceci, ou cela », c’est d’abord : spécifiques à chacun
« j’aime » ou « je n’aime pas »
(Figure 18). Incidemment, Les représentations mentales
des odeurs dépendent de l’ex-
périence du sujet, de son vécu,
8. Synthèse corticale : synthèse
effectuée dans l’aire corticale, qui de ses apprentissages, car les
gère notamment les perceptions cartes sensorielles sont dyna-
sensitives conscientes. miques, elles s’enrichissent

Figure 17
A) L’analyse des cartes mentales
est propre à chaque individu ;
B) l’analyse des cartes mentales
se fait par synthèse corticale,
et cette analyse va ensuite être
envoyée à d’autres territoires
cérébraux comme ceux qui sont
relatifs aux émotions.

Figure 18
Association
A) L’appréciation de l’odeur Intégration
analysée est effectuée de Valence
manière spontanée par le sujet.
Le processus mental associé
donne accès à la perception Décomposition Recomposition
du plaisir par le sujet, et peut être Cartes olfactives communes Représentation des odeurs
à tous les individus propre à chacun
88 utilisé en clinique.
Odeurs et représentations mentales
O
Figure 19
Le 2-méthylbutanoate d’éthyle est
O
un exemple de molécule volatile
2-méthylbutanoate d’éthyle dont l’appréciation est fonction
du sujet : goût de frais pour les
uns, goût d’ananas pour d’autres.
lorsque différents territoires la mémorisation des odeurs.
cérébraux s’activent suc- Elles sont une clé, plus généra-
cessivement. La plasticité lement, pour étudier toutes les
cérébrale9 joue un grand rôle questions que l’on se pose sur
dans ces processus, stimulée les mécanismes cérébraux de
par l’expérience de chacun l’olfaction.
et la dimension culturelle
qui le caractérise. Devant un
échantillon de 2-méthylbu- 3.2. La valence
tanoate d’éthyle (Figure 19), d’appréciation, un jugement
certains lèveront la main en effectué simultanément avec
disant : « ça sent la fraise », et la reconnaissance de l’odeur
d’autres : « ça sent l’ananas », Derrière ce qu’on pourrait
et ce, sans ambiguïté. penser être des réactions
af fec tives, résumées en
olfaction par le « concept de
3 La voie empruntée
par les stimulations
olfactives dans
valence », se trouvent aussi
des mécanismes cérébraux.
Pour commander les juge-
le cerveau : une voie
ments comme « j’aime » ou « je
singulière et novatrice
n’aime pas », ce sont des terri-
toires cérébraux différents qui
3.1. Sentir, remémorer, interviennent (Figure 20). Ces
apprécier une odeur : que se territoires sont engagés avec
passe-t-il dans le cerveau ? d’autres structures qui appré-
L’imagerie cérébrale permet cient l’intensité, l’échelle, du
de visualiser les régions du signal olfactif en jeu.
cerveau qui s’excitent quand L’expérience (en cuisine, en
Codage Codage
on ressent telle ou telle odeur. parfumerie…) nous a appris de valence de valence
med
Un des apports des études que les appréciations des (négatif) olc (positif)
lat
d’imagerie a été de mettre en goûts dépendent beaucoup ofc
évidence le fait que les terri- des échelles d’intensité. Pour
toires cérébraux mis en jeu sont certaines substances concen-
Codage
les mêmes quand on ressent trées, comme la putrescine10 am d’inten- am
sité
une odeur ou quand on se sou- ou les poly­amines11 : la réac-
vient d’une expérience anté- tion est aversive, mais à de
rieure. C’est la « madeleine très basses concentrations,
de Proust » refaite en version éventuellement infinitési-
scientifique. Ces observations males ; elles apportent des
sont un outil pour comprendre
10. Putrescine : substance orga-
nique qui se forme dans la putré-
9. Plasticité cérébrale : concept faction des cadavres. Figure 20
qui décrit la capacité du cerveau 11. Polyamine : molécule compo-
à se remodeler et à se réorganiser sée de plusieurs groupes amine À chaque type de valence est
de manière interne en fonction du (-NH2), qui donnent à la molécule associée une stimulation cérébrale
vécu, des traumatismes, etc. une odeur désagréable et âcre. différente. 89
La chimie et les sens

notes qu’on ne rejettera pas – mentale », et peut-être un


on déroute l’information vers souvenir. Pour toutes les
« j’aime ». sensations (sauf l’olfaction), il
En collaboration avec les faut, pour ce processus, que le
œnologues de Bordeaux, on a sujet soit éveillé et conscient ;
cherché à identifier les images s’il est endormi, l’informa-
mentales qui naissent dans la tion venant de la « gare de
tête d’un sommelier. La pre- triage » ne parviendra jamais
mière chose qui frappe est au cortex (Figure 21). Selon
que la perception d’un bou- la seconde voie, l’information
quet dans la bouche stimule sensorielle sera transférée
une myriade de territoires à d’autres structures impli-
cérébraux. Certains peuvent quées dans la genèse de nos
avoir rapport avec le souvenir émotions.
de l’odeur de la cave, de la L’odorat plus que tout autre
maison, du fruit, peut-être du sens a partie liée avec la
château qu’on a déjà vu. Les mémoire. Il suffit d’évoquer à
territoires cérébraux mis en ce propos le rôle des souve-
jeu par la perception du goût nirs olfactifs dans la genèse
ou de l’olfaction sont multiples des comportements fonda-
et contingents ; l’expertise ou mentaux de l’espèce comme
l’apprentissage peut bien sûr la reproduction ou l’alimen-
les modifier. tation, et de rappeler que
les structures ner veuses
qualifiées de « rhinencé-
3.3. La dualité voie phaliques » sont au cœur
consciente/voie inconsciente des processus mnésiques
empruntée par le sens olfactif dans notre cerveau. Que des
Les modalités sensorielles images visuelles du présent
utilisent, pour pénétrer dans évoquent des images du
le cerveau, un chemin à deux passé, quoi de plus naturel !
voies. La stimulation initiale La mémoire des êtres visuels
fait par venir l’information que nous sommes est chargée
dans une zone du cerveau d’une infinité d’images que
située au centre de celui-ci nous évoquons sans effort et
que l’on nomme thalamus et sans surprise. Plus rare est
qui sert de « gare de triage ». la rencontre d’une odeur qui
De là, cette information ne convoque pas seulement
parvient au cortex12 où elle le souvenir d’une sensation
génère une « représentation identique mais d’un moment
du passé avec un cortège de
représentations multisenso-
12. Cortex : d’origine latine qui rielles, voire même d’affects.
signifie écorce, le cortex est aussi Pour les humains, les odeurs
appelé matière grise ou substance
grise. C’est la couche la plus
sont en quelque sorte des
externe du cerveau d’une épais- signes qui renvoient à d’autres
seur d’environ 5 millimètres, qui objets du monde (la source de
recouvre les hémisphères céré- ces odeurs le plus souvent).
braux. Contrairement aux régions
Cette forte intrication entre
sous-corticales, les neurones
du cortex se définissent par des odeur et mémoire provient,
neurones disposés en six couches entre autres, du chemine-
90 superposées. ment assez particulier du
Odeurs et représentations mentales
message odorant. Celui-ci Même en dor mant, vous
n’est pas relayé par le thala- pouvez aider quelqu’un qui
mus. L’information odorante souhaite arrêter de fumer,
passe directement des fosses simplement en exposant ses
nasales aux circuits diffus de narines pendant qu’il dort,
la mémoire et de l’émotion, à l’odeur de tabac dans un
sans aucun relais ni représen- contexte particulier. Ainsi,
tation directe dans le cortex en 2014, l’équipe de Noam
cérébral. Notre cerveau est Sobel, à l’Institut Weizmann
donc organisé de telle manière (Israël), en a livré une preuve
que, percevant une odeur, il frappante. L’étude a été réa-
éveille une impression dif- lisée chez 66 volontaires qui
fuse, mise en forme par un voulaient arrêter de fumer.
souvenir. On comprend mieux Pendant qu’ils dormaient,
pourquoi l’olfaction qui active les chercheurs ont diffusé
les circuits d’un tiers du cer- près d’eux une odeur de
veau et s’associe à toutes les tabac, suivie de l’exposition
représentations a si mauvaise à une autre odeur, celle de la
réputation : il s’agit d’une péné- putrescine, universellement
tration réelle qui évoque tout reconnue comme extrême-
ce qu’il y a de délicieusement ment aversive. En une seule
trouble dans notre intimité. nuit, ce conditionnement
L’impact de la perception olfactif, dont ces personnes
d’une odeur e s t par fois n’ont gardé aucun souvenir,
inconscient. C’est ce qui a permis de diminuer leur
explique la capacité innée consommation tabagique de
des humains de répondre à 30 %. Ainsi, comme l’affir- Figure 21
des odeurs, même en dor- mait Nietzsche « Tout mon
Le stimulus olfactif se distingue
mant. Si un feu se déclare génie est dans mes narines ».
des autres stimuli. Il emprunte une
dans notre appar tement, C’est le pouvoir magique des voie « innée » d’accès au centre
nous serons réveillés et nous odeurs, d’agir aussi bien sur des émotions sans passer par
pourrons alors nous enfuir. la sphère consciente que sur le thalamus.

Olfaction Vision – Audition – Toucher – Gustation

Amygdale
Émotions
Odeurs
Cortex Thalamus Stimulus
Sensoriel
Mémoire,
Représentation

Odeurs innées Apprentissage olfactif


Odeur signalant un danger/poison Association par l’expérience
Exemple : décomposition Exemple : aversion gustative conditionnée
cadavérine Associations
Amygale Cortex
91
La chimie et les sens

nos comportements et choix qui repose sur les inférences


inconscients ! bayésiennes, c’est-à-dire
l’utilisation des probabilités
et du raisonnement inductif.
3.4. Accéder au vécu par
On notera en passant que
l’analyse des stimulations
l’hémisphère gauche de notre
olfactives perçues ?
cerveau est celui dédié à l’ini-
Quand nous sentons, nous tiation du langage, tandis que
avons cette capacité de stimu- la destinée des informations
ler plusieurs territoires céré- olfactives est l’hémisphère
braux simultanément : d’une droit. D’où la difficulté de
part, enfouie au cœur de notre verbaliser les odeurs et donc
cerveau, la région qui gère nos la nécessité de recourir à la
émotions que l’on nomme sys- métaphore. Si un sommelier
tème limbique13, et d’autre part dit : « ben ce vin, il y a le goût
la région qui fait que consciem- des fruits de bois, etc., etc. »,
ment on peut identifier ce que en fait, il est en train d’utiliser
l’on sent, réaliser par exemple des métaphores, il n’est pas
qu’une odeur est associée à capable de vous dire : « ça sent
une récompense, l’autre à une l’aldéhyde avec sept carbones »,
punition. En somme, lorsque par exemple. Il est très diffi-
nous sentons une rose, ces cile de pouvoir verbaliser nos
deux voies sont sollicitées sensations olfactives.
simultanément. En bout de chaîne des proces-
L’odeur perçue consciemment sus qui concourent à traiter
parvient à des territoires orbi- l’information sensorielle, sont
taux-frontaux14 , situés dans notamment les systèmes de
la partie avant du cerveau, la récompense qui sont les
qui, incidemment, est celle centres qui nous invitent à
qui qualifie l’humain car c’est recommencer nos actions ou
elle qui nous engage dans nos expériences. Pour cela,
le futur : le désir siège dans ces centres gèrent la genèse
ces lobes frontaux. C’est du plaisir.
une machine qui fait en per-
manence des calculs sur le
futur (ce qu’on appelle, une 3.5. Des échanges internes
« machine bayésienne15 » : « si d’information au sein
tu fais ça, tu auras ça »). Selon du cerveau
cette vision, l’activité de notre L a dif férence entre les
cerveau peut se définir par un Figures 22A et 22B est la pré-
biologisme non déterministe sence, dans la seconde, de flux
allers-retours entre les dif-
13. Système limbique : ensemble de
territoires cérébraux jouant un grand férentes régions du cerveau
rôle dans la mémoire et les réactions impliquées par les informa-
comportementales d’ordre social. tions sensorielles olfactives.
14. Territoire orbital-frontal : région Ainsi, le cerveau ne doit plus
du cortex cérébral jouant un rôle être considéré comme un
important sur la prise de décision.
simple organe où l’informa-
15. Machine bayésienne : machine
dont le fonctionnement est basé tion pénètre de l’extérieur vers
sur des évaluations de probabilité l’intérieur en suivant des tra-
92 et l’établissement d’hypothèses. jets ascendants. La majeure
Odeurs et représentations mentales
A Figure 22
De la carte olfactive à la mémoire
Centres de la récompense, des odeurs. A) Les informations
de la prise de décision
sensorielles olfactives vont
Cortex exciter de nombreux territoires
Gustatif cérébraux ; B) un processus
Cortex …
Orbito-frontal d’interaction en allers-retours
Intégration consciente Cortex entre informations sensorielles
piriforme
Valence
Percept
incidentes et informations stockées
Hippocampe
Bulbe olfactif Mémoire (expériences passées) construit les
Discrimination, attention Amygdale
Codage émotions et la mémoire olfactives.
Traitement Émotions
Mémoire

Autres modalités sensorielles


Contexte

Centres de la récompense,
de la prise de décision
Cortex
Gustatif
Cortex …
Orbito-frontal
Intégration consciente Cortex
Valence piriforme
Percept Hippocampe
Bulbe olfactif Mémoire
Discrimination, attention Amygdale
Codage
Traitement Émotions
Mémoire

Autres modalités sensorielles


Contexte

partie de l’activité mentale Le premier relais de l’infor-


vient en fait, de façon sponta- mation dans le cerveau sera
née, par des échanges d’inté- autant impacté par ce que
rieur à intérieur, et donne ainsi l’on sent dans ses narines
du sens aux informations qui que par l’attente du cerveau
proviennent de l’extérieur. vis-à-vis de cette odeur : le
Avant de sentir un objet, on le cerveau participe activement
voit et on a déjà des attentes. à la construction des images
L’objet est en fait un percept16. mentales.
Tout cela est illustré par d’in-
16. Percept : entité cognitive, cons­ téressantes expériences qui
tituée d’un ensemble d’informa- montrent combien on peut
tions sélectionnées et structurées
en fonction de l'expérience anté-
tromper notre sens olfactif.
rieure, et qui sont mobilisées dans Par exemple : on fait sentir
une perception particulière. du vin blanc à des œnologues, 93
La chimie et les sens

vin blanc vin blanc


+ Interaction entre modalités sensorielles :
colorant rouge additivité de stimuli olfactif et gustatif
[Saccharine + arôme « vanille »] > [Saccharine]
descripteurs descripteurs [Arôme « cerise » + saccharine] > [Arôme « cerise »]
de vin blanc de vin rouge

Temporalité sensorielle :
la vue précède l’olfaction
30

sensitivity
Increased
20

10

0 Decreased
sensitivity

-10

-20

-30
Cerise + Cerise Cerise + Cerise + Hiérarchie sensorielle :
saccharine seule sel glutamate la vue prime sur l’olfaction

Figure 23
Les interactions entre modalités sensorielles peuvent induire un changement radical de la perception.
Des hiérarchies existent entre sens. On voit ainsi comme la vue détermine le ressenti olfactif.

puis dans un second temps, co-construction qui ne peut


on introduit dans ce même s’affranchir des impressions
vin blanc un peu de poudre d’autres sens, comme le
colorée sans goût. Quand le visuel par exemple. En fait, il
verre contient le vin blanc, existe une véritable hiérarchie
les premiers descripteurs qui sensorielle que des expé-
arrivent à l’esprit des œnolo- riences permettent de révé-
gues, c’est la vanille, le beurre, ler : on montre par exemple
la noix de coco. Et puis après que l’arôme de la cerise asso-
coloration, d’un seul coup les cié à la saccharine17 a tou-
descripteurs du vin changent jours le goût de cerise, mais
radicalement et deviennent l’arôme de la cerise associé
plutôt ceux attribués aux fruits au sel ou au glutamate18 perd
rouges. Pourtant il s’agit du
même vin ! 17. Saccharine : édulcorant artificiel,
Le sens olfactif se construit c’est-à-dire une molécule conférant
avec d’autres modalités sen- une saveur sucrée. C’est le premier
édulcorant artificiel ayant été syn-
sorielles. Bien sûr, la vue pré-
thétisé.
cède l’olfaction (Figure 23A) 18. Glutamate : molécule issue de
et notre sens olfactif peut l’acide glutamique, qui est un acide
94 se tromper parce qu’il y a aminé neurotransmetteur.
Odeurs et représentations mentales
Aliments Figure 24

HUMAIN L’importance accordée au sens


plantes crues olfactif et la diversité de ses
semences noix fruits frais utilisations varie selon l’espèce
+ plantes cuites + fruits viande crue
eau lait graines pain cuits poisson insectes considérée, de la souris à l’homme.
+ boissons + viandes cuites
+ fermentation sauces
Florale fromage vin aliments
plantes fruits avariés
crues frais viande
parfum eau
de fleurs crue appât alarme
lait
+ parfum d’aliments fumée
avariés alarme
+ encens
parfum SOURIS
de fleurs
fumée

proie Survie
proie
territoire
territoire
prédateur
hiérarchie état
hormonal prédateur
lors de
hiérarchie identité l’accouplement
état
allaitement hormonal
identité lors de
allaitement l’accouplement
Social

totalement le goût de la cerise évènement fédérateur pour


(Figure 23B). que la société puisse émer-
ger, et que lorsque vous
par tagez un plat, c’est un
3.6. Un sens éminemment moment où l ’on échange
social socialement, où l’on partage
L’ h i s t o g r a m m e d e l a nos émotions : « j’aime » ou
Fi g u re  2 4 c o m p a r e l e s «  je n’aime pas », « ça sent
situations des humains avec ces herbes », etc.
celles des rongeurs en ce On voit aussi l’importance
qui concerne l’olfaction. On pour la survie où l’olfaction
voit pour les humains l’im- donne des signaux d’alerte :
por tance de la dimension une femme enceinte refusera
sociale, telle que représen- un plat où elle considère que
tée ici par l’alimentation. la viande est avariée. Son
On peut en l ’occur rence seuil de détection a été modi-
renvoyer à Cl aude Lev y- fié sous l’action de certaines
Strauss, et en par ticulier hormones, pour assurer la
à son ouvrage intitulé Le survie, non pas peut-être de
cuit et le Cru, où il montre la maman, mais surtout de
­c ombien l’invention du feu l’embryon ou du fœtus qu’elle
et de la cuisson a été un porte en elle.

95
La chimie et les sens

L’olfaction : un sens majeur


et méconnu !
Ce chapitre a pour objectif de rétablir la place
du sens olfactif pour l’homme, en dépit de l’an-
cienne réputation qui le considère comme un
sens mineur.
Laissons la conclusion à Michel de Montaigne :
« Quelque odeur que ce soit, c’est merveille
comme elle s’attache à moy, et combien j’ay la
peau preste à s’en abreuver. Celuy qui se plaint
de nature, de quoy elle a laissé l’homme sans
instrument à porter les senteurs au nez, a tort :
car elles s’y portent d’elles mesmes. Mais à
moy particulièrement, les moustaches, que j’ay
pleines, m’en servent : si j’en approche mes gans
ou mon mouchoir, l’odeur y tiendra tout un jour ;
elles accusent le lieu d’où je viens. Les estroits
baisers de la jeunesse, savoureux et gourmans,
s’y colloient autrefois et s’y tenoient plusieurs
heures après. » M. Montaigne, dans Les Essais,
I, LVI.

96

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