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Meschonnic Henri. Le travail du langage dans « Mémoire » de Rimbaud. In: Langages, 8ᵉ année, n°31, 1973. Sémiotiques
textuelles. pp. 103-111;
doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1973.2239
https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1973_num_8_31_2239
midi de fête dans la prairie, ou comme une allusion au plus ancien des
départs, celui du père, mais tous ces thèmes se fondent dans un
symbolisme plus essentiel. Elle, c'est la Meuse qui se sépare de la lumière,
préférant par obscurité intérieure, fatalité, d'aller se perdre sous l'arche.
Mais c'est aussi Mme Rimbaud l'Épouse celle qui s'est séparée, par névrose
et orgueil, du courant originel de la vie, quitte à regretter ternement le
soleil disparu derrière la montagne avec le compagnon possible d'une
existence moins sombre. [...] Il est bien, lui, Rimbaud, ce canot toujours
fixe ancré par le malheur de la mère, dans la boue inconnue de l'inconscient
névrosé » (livre cité, p. 73). Commentateurs, annotateurs (par exemple
dans les notes de Suzanne Bernard, éd. Garnier, 1960), exégètes, tous
au nom du Lecteur et comme lecteurs interprètent, ne peuvent pas ne
pas interpréter. Sans remettre en question ici aucune interprétation, on
veut seulement noter qu'on ne cherche pas à illuminer ce poème, comme
si le commentaire devait en dire la vérité ou- le sens. S'agit-il d'éclairer?
Pas plus que d'obscurcir. C'est la notion même du comprendre que tout
poème remet en question et chacun spécifiquement. En quoi il est, s'il
l'est, cet exercice de la liberté dans l'exploration du rapport individuel-
collectif qu'est le langage poétique. C'est pourquoi on restreint le
commentaire au comment, sans par là entendre des procédés, une combinatoire
formelle propre aux conceptualisations dualistes, mais une signifiance,
c'est-à-dire la spécificité des signifiants poétiques. Signifiant est entendu
en poétique non pas comme en linguistique par opposition à un signifié,
ni comme en psychanalyse selon un plan symbolique pouvant être
extralinguistique, mais comme la structuration linguistique et translinguistique
d'un sujet dans et par le langage, caractérisée par l'inséparabilité d'un
message et de sa structure, d'une valeur et d'une signification.
Dès les premiers mots — tous les cinq premiers vers — la structure
nominale impose une nomination d'objets dans une juxtaposition sans
coordination, une parataxe qui commence culturellement une verticalité
poétique, le style substantif, qui s'est identifié pour toute une tradition
à la poésie même, le donner à voir. La syntaxe de Rimbaud, bien plus
dégagée ici de la rhétorique de son époque que dans le Bateau ivre (de
l'été 1871), est en chemin vers la syntaxe de certaines proses des
Illuminations. La comparaison comme le sel des larmes ď enfance économise toute
description : ce qui prévaut dans cette poésie est l'association subjective.
Le rapport établit le sel des larmes comme élément avec l'eau. Le comme
est indispensable pour marquer et tenir la distance analogique, par quoi
il est le terme pivotai de toute une poésie qui se fait dans l'analogie, ce
que, — contre une ancienne valorisation de la métaphore aux dépens de
la comparaison — André Breton, Robert Desnos, Michel Deguy par
exemple ont reconnu. Le déséquilibre rythmique du vers en fait un terme
marqué aussi rythmiquement. Tout le premier quatrain élabore un champ
sémantique de la blancheur, à quoi collabore le rythme des accents et des
pauses, aux vers 2 et 3, ainsi que la parenté prosodique des échos
(blancheurs, corps, pur, pucelle). L'évocation de quelque pucelle est une
harmonique du thème de l'enfance par le rappel d'images du livre d'histoire de
l'enfant. De même les anges du vers 5, que reprendra le vers 22.
Mémoire
L'eau
Ji- claire;
JLsj I\ comme
,£~v_^__^
le sel des larmes d'enfance,
s, I,
II
БЫ Ii l'humide
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о bouillons
у, limpides!
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— L— (t yf —I— ff %j <£ \j — о
L'eau meuble d'or pâle et sans fond les couches prêtes.
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Les robes vertes et déteintes des fillettes
|
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Plus pure qu'un louis, I jaune et chaude paupière
.
le
О souci
«-» <J d'eau
... I — ta
O —foi conjugale,
4L» <_»—^— |I — ^—
ô l'Epouse!
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III
IV
U M —— О— О — Ci — О ■■■- 1
Regret des bras épais et jeunes d'herbe pure! I
'
Jouet
v, de cet
w ^-Il^JIL
œil d'eau morne,
v Ii je
v n'y puis
L -IL
prendre, |,
accents rythmiques de deux, comme lys pur (v. 3), ciel bleu (v. 7), rideaux
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Vombre (v. 8) ou la montagne! Elle (v. 23). Groupes de trois : surtout
lit' "Ш. JL^Il* "T"4 // "m
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ďherbe. Elle (v. 6), saint lit! Joie (v. 26), œil ďeau morne (v. 33). Groupes
de quatre, contre-accent rythmique plus contre-accent prosodique-
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rythmique : œil ďeau sans bords (v. 40). Groupes de cinq en enjambement :
"T"*4 //* V/ —* un' ///// '7~">ч ff' "V/ " *£* ^
Hélas, Lui, comme jmille anges (v. 21-22), immobile! Oh! bras trop courts
(v. 34). La juxtaposition de ces groupes dans de mêmes vers fait des
surcharges, des vers de sept accents (v. 10, 26, 34), de huit accents (v. 6),
Ill
répartis pour le déséquilibre (ainsi au v. 21), l'attaque du vers (7, 26, 37),
la fin de vers (6, 21, 26). Le rythme construit ses groupements d'effets par
paquets dans le vers, et par paquets de vers : ainsi les vers 5-6, 9-10, 21 à
24, 26, 31 à 34, 40. Les ralentissements sont aussi marqués que les
concentrations : ainsi 37 à 39 et particulièrement le v. 38 qui reprend la cadence
alexandrine pour la confiance, le bonheur de la tradition par la nostalgie,
ce qu'appuie le double couple prosodique roses-roseaux, dès longtemps-
déuorées. Tous ces rapports de conflits entre la phrase et le vers se lisent
psychologiquement, culturellement, comme un expressionnisme, non
comme de la variété. Ce dire est pris encore dans une idéologie mimétique
où l'effet est redondance d'un sens : le rythme des pauses,
particulièrement dans les vers 31-32. Mais l'ensemble de cette rythmique n'est pas
une expressivité. C'est la construction dans et par des signifiants, dont la
dominance est rythmique et prosodique, d'une parole écriture subjective,
prise dans une expérience individuelle-collective. Elle n'en est elle-même
qu'un moment, avant Une saison en enfer, et Illuminations, dans le langage
poétique de son temps. Sa lecture et sa transmission sont, pour une part
qui est encore à théoriser, une fonction de cette structuration.