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Langages

Le travail du langage dans « Mémoire » de Rimbaud


Henri Meschonnic

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Meschonnic Henri. Le travail du langage dans « Mémoire » de Rimbaud. In: Langages, 8ᵉ année, n°31, 1973. Sémiotiques
textuelles. pp. 103-111;

doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1973.2239

https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1973_num_8_31_2239

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HENRI MESCHONNIC
Université de Paris VIII

LE TRAVAIL DU LANGAGE DANS « MÉMOIRE »


DE RIMBAUD

...le génie, c'est précisément, au moins en


matière poétique, d'être fidèle à la liberté.
Yves Bonnefoy,
Rimbaud par lui-même,
p. 39, éd. du Seuil, 1961.

On ne cherche ici qu'à faire converger quelques notes fragmentaires


sur le travail du langage poétique d'un poème, Mémoire, de Rimbaud.
On ne prétend pas à expliquer. On met l'accent, à titre méthodologique,
sur le travail du rythme, de la prosodie et de la syntaxe dans la production
du sens qui fait une sémantique spécifique au langage poétique, sémantique
prosodique, rythmique, syntaxique. Par là, l'historicité d'une écriture est
marquée, par rapport à la situation culturelle (la versification classique,
la poésie parnassienne) d'un poème, et par rapport à l'œuvre elle-même
du poète : ce poème non daté, étant sans doute de 1872 comme la plupart
de ses derniers poèmes. Travail implique le rôle transformateur de
l'écriture sur l'idéologie. Le postulat fondamental est le primat du signifiant
rythme dans le langage poétique conçu comme une pratique de la
contradiction et dans le texte comme unité dialectique à dominante. Il est
explicité dans Pour la poétique II (Gallimard, 1973) à quoi on renvoie pour
la justification théorique.

C'est pour sa situation de rupture avec les codes culturels de Yart


du vers de son temps, qu'on essaie ici l'analyse de ce poème. Pour montrer
que ce qui sort des cadres idéologiques d'un langage est construit, par
là même, pour sortir indéfiniment des cadres fixés par l'idéologie de la
littérature, définissant ainsi le caractère de fe-ici-maintenant de tout
langage poétique véritable. La complexité sémantique de ce poème est
déjà colportée par la tradition. En témoigne ce commentaire d'Yves
Bonnefoy : « Et vraiment ce poème, si admirablement mystérieux,
s'illumine quand nous décidons qu'il s'agit, en partie au moins, du récit
d'un rêve, au sens littéral de ce mot [ce que disaient les brouillons ď Une
saison en enfer]. On avait voulu le comprendre comme le souvenir de la
première fugue de Rimbaud, abandonnant sa mère et ses sœurs un après-
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midi de fête dans la prairie, ou comme une allusion au plus ancien des
départs, celui du père, mais tous ces thèmes se fondent dans un
symbolisme plus essentiel. Elle, c'est la Meuse qui se sépare de la lumière,
préférant par obscurité intérieure, fatalité, d'aller se perdre sous l'arche.
Mais c'est aussi Mme Rimbaud l'Épouse celle qui s'est séparée, par névrose
et orgueil, du courant originel de la vie, quitte à regretter ternement le
soleil disparu derrière la montagne avec le compagnon possible d'une
existence moins sombre. [...] Il est bien, lui, Rimbaud, ce canot toujours
fixe ancré par le malheur de la mère, dans la boue inconnue de l'inconscient
névrosé » (livre cité, p. 73). Commentateurs, annotateurs (par exemple
dans les notes de Suzanne Bernard, éd. Garnier, 1960), exégètes, tous
au nom du Lecteur et comme lecteurs interprètent, ne peuvent pas ne
pas interpréter. Sans remettre en question ici aucune interprétation, on
veut seulement noter qu'on ne cherche pas à illuminer ce poème, comme
si le commentaire devait en dire la vérité ou- le sens. S'agit-il d'éclairer?
Pas plus que d'obscurcir. C'est la notion même du comprendre que tout
poème remet en question et chacun spécifiquement. En quoi il est, s'il
l'est, cet exercice de la liberté dans l'exploration du rapport individuel-
collectif qu'est le langage poétique. C'est pourquoi on restreint le
commentaire au comment, sans par là entendre des procédés, une combinatoire
formelle propre aux conceptualisations dualistes, mais une signifiance,
c'est-à-dire la spécificité des signifiants poétiques. Signifiant est entendu
en poétique non pas comme en linguistique par opposition à un signifié,
ni comme en psychanalyse selon un plan symbolique pouvant être
extralinguistique, mais comme la structuration linguistique et translinguistique
d'un sujet dans et par le langage, caractérisée par l'inséparabilité d'un
message et de sa structure, d'une valeur et d'une signification.

On présente d'abord les moyens d'ensemble du métaphorisme, dans


ce poème. Les moyens de l'ambivalence symbolique réalisent non une
ambiguïté au sens de I.-A. Richards et de Valéry, mais une motivation
subjective transnarcissique. Il n'y a pas d'ambiguïté. Il y a une polysémie
d'un type spécifique, et orientée par le texte. On reprend ensuite, avec
une linéarité qui n'appartient qu'à la procédure d'exposition, et non au
fonctionnement du langage, le plan des effets rythmiques pour montrer
des paquets de convergences.

Ce poème, que Rimbaud, dans un brouillon d'Une saison en enfer,


voulait citer en exemple des « rêves les plus tristes », est l'un des plus riches
de symboles qui fonctionnent en tableaux. Cinq couples de quatrains
posent successivement des scènes qui constituent des sujets typiquement
impressionnistes, puisqu'il s'agit de l'eau et de ses métamorphoses.
Autant la juxtaposition des tableaux et des métaphores est
impressionniste, autant la destruction du vers par la phrase fait une cascade de
discordances rythmiques qui installent dans la structure même du poème
une façon spécifique de sentir, c'est-à-dire ce rapport entre langage et
société qui est à la fois culturel et individuel. Jusqu'à une confusion des
plans de l'animé et de l'inanimé, le symbolisme joue ici une
identification multiple qui est le propre de cette mémoire.
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Dès les premiers mots — tous les cinq premiers vers — la structure
nominale impose une nomination d'objets dans une juxtaposition sans
coordination, une parataxe qui commence culturellement une verticalité
poétique, le style substantif, qui s'est identifié pour toute une tradition
à la poésie même, le donner à voir. La syntaxe de Rimbaud, bien plus
dégagée ici de la rhétorique de son époque que dans le Bateau ivre (de
l'été 1871), est en chemin vers la syntaxe de certaines proses des
Illuminations. La comparaison comme le sel des larmes ď enfance économise toute
description : ce qui prévaut dans cette poésie est l'association subjective.
Le rapport établit le sel des larmes comme élément avec l'eau. Le comme
est indispensable pour marquer et tenir la distance analogique, par quoi
il est le terme pivotai de toute une poésie qui se fait dans l'analogie, ce
que, — contre une ancienne valorisation de la métaphore aux dépens de
la comparaison — André Breton, Robert Desnos, Michel Deguy par
exemple ont reconnu. Le déséquilibre rythmique du vers en fait un terme
marqué aussi rythmiquement. Tout le premier quatrain élabore un champ
sémantique de la blancheur, à quoi collabore le rythme des accents et des
pauses, aux vers 2 et 3, ainsi que la parenté prosodique des échos
(blancheurs, corps, pur, pucelle). L'évocation de quelque pucelle est une
harmonique du thème de l'enfance par le rappel d'images du livre d'histoire de
l'enfant. De même les anges du vers 5, que reprendra le vers 22.

U ébat des anges, métaphore des bouillons limpides du vers 9, est à la


limite de la chose vue et de la figure de rhétorique. Il est caractéristique
du traitement de la rhétorique chez Rimbaud, dans ces derniers poèmes,
que la figure soit niée par l'intrusion même de la rhétorique (Non...)
pour réinstaller l'ordre du visuel. On y remarque déjà le jeu de l'animé
(meut ses bras) pour le non-animé. Ce jeu reparaît au vers 14 (ta foi
conjugale, ô l'Épouse), domine dans les vers 17-24, s'atténue ensuite (vers
25-29) et subit un transfert dans la dernière partie où l'eau ne sera plus
que morne, couleur de cendre, et boue, alors que le je sujet des
métamorphoses se reconnaît dans le canot immobile. Que la vision repose sur les
figures (ainsi le jeu verbal sur le carreau et sur les couches) ou qu'elle
consiste dans un renversement des valeurs visuelles par le renversement
des rapports entre le comparant et le comparé (Les robes vertes et déteintes
des fillettes / font les saules... vers 11-12), rhétoriquement le poème
progresse en constituant la surprise non comme écart mais comme système,
non seulement comparé au contexte stylistique de son époque, mais
encore aujourd'hui : il est une symbolisation trans-subjective, plus qu'une
cohérence.

Visuel encore le cycle métaphorique des vers 13-16, qui prépare la


troisième partie, de l'Épouse à Madame. Des éléments d'écriture d'époque
(donc une dominance de l'idéologie sur l'écriture) marquent ce poème et
c'est en eux, avec eux, que se fait, contradictoirement, le retournement de
cette rhétorique en écriture, le retournement du sémiotique en
sémantique. Ainsi la tournure (vers 18) où neigent les fils du travail transpose du
non-animé à l'animé, du singulier invariable au pluriel un verbe imper-
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sonnel, et ce travail sur le langage était déjà partiellement commencé dans


l'écriture théologique de Bossuet (Dieu a-t-il tonné et éclairé?), il était
surtout différemment essayé dans l'écriture artiste (II neige lentement
d'adorables pâleurs, A. Samain). La grammaire de l'ensemble du poème
montre sa date culturelle. Ainsi la structure grammaticale des vers 17-21
juxtapose, de manière caractéristique, après les deux premières
propositions, une succession nominale dont les quatre composantes sont des
variables : une phrase nominale, l'ombrelle J aux doigts, composée d'un
substantif suivi d'un tour prépositif; une phrase participiale, foulant
l 'ombelle, où un participe fonctionne comme attribut détaché (et le
rapprochement des deux mots, ombrelle-ombelle, fait un jeu sémantique);
de nouveau une phrase nominale, trop fière pour elle, où le prédicat du
thème Madame est un adjectif dans une tournure comparative; de
nouveau une participiale, des enfants lisant dans la verdure fleurie / leur livre
de maroquin rouge, le participe y faisant l'adjectif syntaxique. Ces quatre
phrases nominales paratactiques, avec leur variété, leur alternance, leur
jeu aussi par rapport au rythme métrique, peuvent se caractériser comme
syntaxe impressionniste, datée. Mais cette appartenance est complexe,
par l'ironie qui semble faire une parodie de Verlaine (la Sphère rose et
chère), par le parlé difficile à caractériser de Madame se tient trop debout
qui va jusqu'à la trivialité (après le départ de V homme) qui fait allusion
cruellement au conjugal. Le parlé des interjections Eh! v. 9, Oh! v. 34,
Ah! v. 37. Cette sémantique, incluant l'allégorie (que marque la
majuscule de Lui) et le rappel baudelairien des pourritures, développe la symbo-
lisation subjective où des commentateurs ont senti poindre le
biographique (Madame, des enfants... Elle... court! après le départ de Vhomme).
Mais il y a symbolisation parce qu'il y a de l'indécidable. Il n'y a pas lieu
de défigurer la figure (Lui, comme \ mille anges blancs qui se séparent sur
la route) en traduisant : « soleil ». La sémantique de cette ambivalence
garde la motivation féminine culturelle de l'eau (L'eau claire... Elle, v. 6...
Madame... Elle, v. 23, 29). Elle la particularise.

On montre encore deux éléments de grammaire qui caractérisent


diversement la situation de ce poème dans le langage et dans la langue.
Au v. 31, Puis, c'est la nappe retire la particule c'est à sa double valeur,
présentative et représentative, en langue, d'identification et de
description (c'est lui, c'est une armoire, c'est l'heure). Ici un rapport d'identité est
posé, mais sans représentation préexistante, d'où le verbe être tend à
prendre un sens fort d'existence. C'est un tel c'est de métamorphose que
reprendra Apollinaire dans Le voyageur : Une nuit c'était la mer et les
fleuves s'y répandaient. Au v. 40, à quelle boue fait un emploi de à avec un
substantif déterminé complément de lieu (impliquant ici un mouvement,
non une localisation) qui relève de la syntaxe archaïsante et « poétique »
au xixe siècle. Les emplois de à pour construire de tels compléments
étaient plus nombreux au xvne siècle que dans la langue moderne. Ici la
valeur descriptive-concrète est moins accusée qu'avec vers. La visée
stylistique est une certaine ambiguïté par la préposition abstraite. C'est une
recherche propre à l'esthétique tant parnassienne que symboliste.
Rimbaud tient encore, à cette étape de son œuvre, à cette vieillerie poétique.
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Autre syntaxe particulière de à au v. 36 : amie à Veau... Et les pluriels de


la poétisation : des limes d'avril, aux soirs d'août. Et la poudre du dialecte
littéraire archaïsant. Cette syntaxe situe l'ensemble du langage de ce
poème et le lie. De même, dans la discontinuité des évocations de cette
mémoire, discontinuité qui est elle-même un lien structurel, des rappels
rhétoriques tiennent l'ensemble comme ensemble : lien de V Épouse (v. 14)
à Madame (v. 17), répétition des anges (v. 5, 22), des bras (v. 6, 34), rappel
de la barque au canot, du souci (v. 14) à la jaune (v. 35).

Par-delà les explications paraphrastiques littéralisantes auxquelles


se sont consacrés certains commentateurs, on essaie de noter les éléments
de la nouveauté stylistique d'un tel poème : l'invocation renouvelée par la
phrase nominale menant à un travail du rythme, à des dissonances entre .
la phrase et le mètre qui désarticulent l'alexandrin de son temps. Le
paradoxe de ce poème qui multiplie les notations visuelles, colorées (le blanc
six fois, Yor quatre fois; le bleu, le noir, le gris, le rose, le vert, le jaune,
tous deux fois; le rouge une fois) est que les effets ostensiblement pris à
l'ordre du visuel sont inséparables de l'ordre auditif. Par rapport aux
contraintes culturelles d'écriture, à la rhétorique d'époque, c'est par cet
ordre que le poème passe, liant le travail métaphorique au travail
rythmique. C'est ce travail qu'on va essayer de préciser.

Scandant le poème, on se sert des signes de notation utilisés dans


Pour la poétique III (Gallimard, 1973) sur Chant d'automne de
Baudelaire, pour l'attaque consonantique sur une syllabe inaccentuée ^, et les
divers contre-accents. On présente ci-dessous la notation systématique
du rythme, puis quelques remarques qu'elle appelle.

Mémoire

L'eau
Ji- claire;
JLsj I\ comme
,£~v_^__^
le sel des larmes d'enfance,
s, I,

L'assaut au soleil d!es blancheurs ďes corps de femmes; I

la soie, ! en foule et de lys pur, I des oriflammes

4 sous les mûrs dont quelque puëëlle eut la defense; I

l'*ébat des anges; 1 — Non... I le courant d'or en marche, |

meut ses bras, I noirs, | et lourds, [ et frais surtout, | d'herbe. | Elle

sombre, | ayant fé Ciel bleu pour ciel-de-lit, | appelle

8 pour rideaux l'ombre d*e la colline et dé l'arche, I


108

II

БЫ Ii l'humide
« !/ carreau
\&\-£ tend
JL ses
о bouillons
у, limpides!
J — |i
— L— (t yf —I— ff %j <£ \j — о
L'eau meuble d'or pâle et sans fond les couches prêtes.

| i
Les robes vertes et déteintes des fillettes

12 font les saules, | d'où sautent les oiseaux sans brides.

|
<i —— о ** о / i —£■ о v» о
Plus pure qu'un louis, I jaune et chaude paupière

.
le
О souci
«-» <J d'eau
... I — ta
O —foi conjugale,
4L» <_»—^— |I — ^—
ô l'Epouse!
Jť —~ — I|
'

о о. « I о t> v «J. —r I .<■»


au midi prompt, I de son terne miroir, | jalouse

16 au clël gris cïe cfialëur ía Sphère rose et chère. I

III

о ——о о «_» о о —— <-» о «-» —-


Madame se tient trop debout dans la prairie

prochaine où neigent les fils du travail; | l'ombrelle


о I с» — *& u I о —о о I
aux doigts; | foulant l'ombelle; | trop fière pour elle; |

20 des enfants lisant dans la verdure fleurie

о — о о <_» о о I и -t- \ -ÍL \ -¥L


leur livre de maroquin rouge! | Hélas, | Lui, | comme
"^ mi—m/ o — „ W7l.o J o_ i
mille anges blancs qui se séparent sur la route, I
о к> о о — v/ w» —'— \-^- v» I
s'éloigne par delà la montagne! | Elle, | toute
I о —— *> I I О U U lí О
24 froide, I et noire, I court! | après le départ de l'homme!

IV

U M —— О— О — Ci — О ■■■- 1
Regret des bras épais et jeunes d'herbe pure! I
'

Or des lunes d'avril au cœur du saint lit! | Joie


»_» V-» —— \J> О — О С* Ci — — I KJ
des chantiers riverains a l'abandon, I en proie

28 aux soirs d'août qui faisaient germer ces pourritures!


109

Qu'élit pleure a présent sous les remparts 1 1 ťhaleine

des peupílěrs d'en haut est pour la seule brise. |


nae*
c'est
'est ia nappe*, | sans
a reflets,
flt | sans source, | grise :

32 un vieux, I dragueur, | dans sa barque immobile', j peine.

Jouet
v, de cet
w ^-Il^JIL
œil d'eau morne,
v Ii je
v n'y puis
L -IL
prendre, |,

ô canot immobile! | Oh! bras trop courtsi ] ni l'une

ni l'autre fleur : | ni la jaune qui m'importune, |


— — I *£ w — — | v> — *«• — — «^ — v* — — I
36 là; I ni la bleue, | amie à l'eau couleur de cendre. J

Ah! j la poudre des saules qu'une aile secoue! |

Les roses des roseaux dès longtemps dévorées! |

Mon canot, I toujours fixe; | et sa chaîne tirée

40 Au fond de cet œil d'eau sans bords, | — à quelle boue?

L'organisation des chaînes prosodiques construit non une expressivité


eu un mimétisme mais une sémantique subjective d'associations par
paquets, qui inscrivent ainsi dans la structure même du langage les
subdivisions rhétoriques des cinq groupes de deux quatrains, autant que,
inversement, la continuité en un poème. Sans procéder à un relevé
systématique, on montre seulement par quelques exemples ce fonctionnement.
Ainsi une chaîne se constitue par les /s/, qui est propre à la première
strophe, et relie entre eux sel-enfance-assaut-soleil-soie-lys-pucelle : une
signifiance (production de sens directement à partir des signifiants) entre
dans le jeu de la valeur et de la signification. Sa configuration, dans cette
sémantique prosodique, délimite un sujet comme langage personnel-
impersonnel. U ne s'agit plus ici d'allitérations ou de couplages formels,
même si ces chaînes ont pu être lues comme telles. Leurs figures forment
des rapports spécifiquement poétiques et non directement interprétables
par la langue : comme l'embrassement syntagmatique /Issl/ dans la suite
Uassaut au soleil v. 2), l'inversion à la même position syllabique
superposée la soie-sous les /Is-sl/, et lys pur-pucelle qui fait une figure
d'inclusion semi-renversée presque complète, construisant la motivation. La
chaîne des /3/ suit à peu près tout le poème, combinant son jeu
syntagmatique par groupes et son effet paradigmatique d'ensemble où
jaune-conjugale-jalouse, jeunes-joie-germer et jouet-je-jaune se reportent
по

réciproquement l'un sur l'autre, non linéairement et en tenant compte de


la distribution et de la position : anges (1,5), jaune-conjugale-jalouse (II,
13-14-15), neigent (III, 18), rouge-anges (III, 21-22), jeunes-joie-germer (IV,
25-26-28), Jouet-je-jaune (V, 33-35), toujours (Y, 39). Il y a là le rapport
entre une rhétorique de la signifiance et un je. Ce rapport fait que cette
prosodie, contrepoint du rythme, invente sa sémantique, propre à chaque
je de l'écriture et à chaque texte.

Le code métrique traditionnel est renié dès le premier vers, par


l'accent à la septième syllabe et l'inaccentuée à la césure, la pause forte
après la quatrième inaccentuée : dans (encore) le moule préétabli du
douze, le rythme ne coïncide plus avec le mètre, bien qu'il garde ce mètre :
c'est un des éléments de la datation culturelle pour ce langage versifié.

On veut montrer le caractère grammatical du plan du rythme, son


fonctionnement par préparations et convergences. La syntaxe nominale,
autant que la prosodie, vient proposer, par rapport à la séquence progres-

sive du langage courant Veau claire, sa contre-diction Veau claire, c'est-


à-dire une attaque du vers sur un temps accentué, faisant ressortir, contre
le caractère syntagmatique de la chaîne phonique, les mots qui sont des
monosyllabes. La combinaison de la syntaxe nominale et du style de
l'invocation, ou de l'exclamation, multiplie les marques rythmiques (par
exemple aux vers 25-26). L'ambiguïté syntaxique et sémantique vient
également marquer le rythme d'intensité, par exemple au v. 16 où la

construction indécidable ciel gnš / de chaleur ou ciel jgris de chaleur aboutit


à accentuer le monosyllabe ciel. Ce poème est une culture particulière des
marques rythmiques, ce que montre son traitement des monosyllabes en
fin de vers : aux vers 6, 21 (deux monosyllabes consécutifs isolés), 23, 26
(trois monosyllabes consécutifs en deux plus un), 31, 32. La fin de vers
reste bien privilégiée, aussi par l'isolement des dissyllabes : aux vers 7, 15,
18, 27, 29, 34. Le plus marquant de cette rythmique est dans les
plafonnements de contre-accents consécutifs, une rythmique affective,
antimétrique et organisatrice du parlé dans le vers, analogue au sprung rhythm de
Gérard Manley Hopkins, mouvement de la parole dans l'écriture. Contre-

accents rythmiques de deux, comme lys pur (v. 3), ciel bleu (v. 7), rideaux
~2 Z""
Vombre (v. 8) ou la montagne! Elle (v. 23). Groupes de trois : surtout
lit' "Ш. JL^Il* "T"4 // "m
JlL
ďherbe. Elle (v. 6), saint lit! Joie (v. 26), œil ďeau morne (v. 33). Groupes
de quatre, contre-accent rythmique plus contre-accent prosodique-
_jT "*_// "^ \__
rythmique : œil ďeau sans bords (v. 40). Groupes de cinq en enjambement :
"T"*4 //* V/ —* un' ///// '7~">ч ff' "V/ " *£* ^
Hélas, Lui, comme jmille anges (v. 21-22), immobile! Oh! bras trop courts
(v. 34). La juxtaposition de ces groupes dans de mêmes vers fait des
surcharges, des vers de sept accents (v. 10, 26, 34), de huit accents (v. 6),
Ill

répartis pour le déséquilibre (ainsi au v. 21), l'attaque du vers (7, 26, 37),
la fin de vers (6, 21, 26). Le rythme construit ses groupements d'effets par
paquets dans le vers, et par paquets de vers : ainsi les vers 5-6, 9-10, 21 à
24, 26, 31 à 34, 40. Les ralentissements sont aussi marqués que les
concentrations : ainsi 37 à 39 et particulièrement le v. 38 qui reprend la cadence
alexandrine pour la confiance, le bonheur de la tradition par la nostalgie,
ce qu'appuie le double couple prosodique roses-roseaux, dès longtemps-
déuorées. Tous ces rapports de conflits entre la phrase et le vers se lisent
psychologiquement, culturellement, comme un expressionnisme, non
comme de la variété. Ce dire est pris encore dans une idéologie mimétique
où l'effet est redondance d'un sens : le rythme des pauses,
particulièrement dans les vers 31-32. Mais l'ensemble de cette rythmique n'est pas
une expressivité. C'est la construction dans et par des signifiants, dont la
dominance est rythmique et prosodique, d'une parole écriture subjective,
prise dans une expérience individuelle-collective. Elle n'en est elle-même
qu'un moment, avant Une saison en enfer, et Illuminations, dans le langage
poétique de son temps. Sa lecture et sa transmission sont, pour une part
qui est encore à théoriser, une fonction de cette structuration.

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