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BRITANNICUS, ACTE II, SCÈNE 6

« Une tragédie en miniature »

Emmanuèle Blanc

Les Belles lettres | « L'information littéraire »

2008/3 Vol. 60 | pages 39 à 43


ISSN 0020-0123
ISBN 2251061313
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Britannicus, acte II, scène 6
« Une tragédie en miniature »

Véritable scène de théâtre dans le théâtre, la scène 4 de gique, que cette scène permette de définir d’une façon
l’acte II de Britannicus met en présence Junie et Britannicus, claire les différents aspects du tragique que l’on peut ren-
sous les regards perçants mais invisibles de Néron : Junie contrer dans les pièces de Racine : disons schématique-
doit en effet, à l’insu de Britannicus, jouer le rôle que lui a ment, soit la présence d’une fatalité ou d’un dieu méchant
imposé Néron, dans la tragédie d’un Britannicus dont il est qui, en dépit des efforts de la créature pour assurer son
le metteur en scène, celui d’une femme qui ne l’aime plus et salut, précipite son malheur (cf. Oreste ou Phèdre), soit
qui lui préfère Néron ; rôle qu’elle doit tenir le mieux pos- l’affirmation simultanée de deux valeurs incompatibles,
sible évidemment sous peine de mettre la vie de son amant entre lesquelles le choix est voué à l’échec, le héros ne pou-
en danger : Néron l’a prévenue : vant, en dépit de sa volonté affirmée d’instaurer un monde
Vous n’aurez point pour moi de langages secrets ; nouveau, se libérer du monde ancien qui continue de vivre
J’entendrai des regards que vous croirez muets ; en lui (Pyrrhus, voulant oublier la guerre de Troie, mais
Et sa perte sera l’infaillible salaire aimant précisément la troyenne Andromaque, par
D’un geste ou d’un sourire échappé pour lui plaire. (II, 3) exemple). Nous nous proposons de montrer comment cha-
cun des trois personnages de la scène (puisqu’il faut y
Si l’intérêt principal de cette scène est de montrer,
compter l’invisible présence de Néron) incarne l’un ou
comme on le verra, comment les désirs profonds de Néron
l’autre de ces différents aspects du tragique.
s’y assouvissent, il semble, d’un point de vue plus pédago-

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L’INFORMATION LITTÉRAIRE N°3 / 2008 – AUTRES CONCOURS

BRITANNICUS Chacun semble des yeux approuver mon courroux


La mère de Néron se déclare pour nous…
Globalement en effet, la scène reproduit la structure tra- avivant, sans le savoir, la jalousie de Néron :
gique traditionnelle, celle de la tragédie grecque, dans
laquelle un personnage, croyant trouver le bonheur, ren- Qu’est devenu ce cœur qui me jurait toujours
De faire à Néron envier nos amours ?
contre le malheur, étant à la merci d’une puissance supé-
rieure qui travaille à sa perte à son insu. Ainsi, dans sa (notons ce qu’a de provocateur, à son insu, le possessif ou le
structure, la scène met en place l’empereur tout puissant pronom de la première personne du pluriel, dit à plusieurs
Néron, qui veut par jalousie, faire souffrir son rival, et trans- reprises : « notre ennemi, nos amours, pour nous »).
former en scène de rupture ce qui devait être un rendez-vous Parlant inconsidérément, Britannicus est donc l’agent de
amoureux : Britannicus arrive devant Junie tout heureux du sa perte : c’est sans surprise que nous entendrons dans la scène
rendez-vous amoureux que lui a ménagé Narcisse, ignorant suivante Néron prononcer sa condamnation devant Narcisse :
que la rencontre est un piège, et il va d’abord « jouer » lui Et tandis qu’à mes yeux on le pleure, on l’adore,
aussi, mais jouer un jeu précieux, faisant comme s’il doutait Fais-lui payer bien cher un bonheur qu’il ignore. (II, 8)
de l’attachement de Junie pour lui, et s’attendant, comme
d’ordinaire dans ces scènes d’amour convenues à ce que la Le tragique du personnage de Britannicus est donc
femme aimée lui donne de nouveaux témoignages de son double : d’une part il est l’artisan de sa propre perte, mais
attachement : ainsi le tragique vient précisément d’une part aussi il est la victime d’une « catastrophe » jouée par Junie
que, s’attendant à un duo amoureux que ne veut ni ne peut sous la contrainte de Néron ; son désarroi se voit dans la der-
absolument pas jouer Junie, il sera complètement refroidi nière tirade, où, reprenant le même code précieux, qui n’était
par son attitude pour le moins réservée, et que d’autre part, qu’un langage joué dans sa première tirade (cf. « Ma prin-
il sera amené, pour faire ces galanteries, à prononcer des cesse, avez-vous daigné me souhaiter ? », qui n’est pas une
mots qui vont le mettre en danger. vraie question, mais comme une coquetterie de sa part), il
Ainsi, sa première tirade est-elle constituée d’interroga- l’utilise pour exprimer une angoisse réelle :
tives qui sont autant d’invitations pressantes à Junie, dans le Quoi ! pour vous confier la douleur qui m’accable
code convenu du langage précieux, pour qu’elle lui dise son A peine je dérobe un moment favorable.
amour : Et ce moment si cher, madame, est consumé
A louer l’ennemi dont je suis opprimé…
Hélas ! Dans la frayeur dont vous étiez atteinte,
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M’avez-vous en secret adressé quelques plaintes ? Le même vocabulaire précieux (« douleur qui m’ac-
Ma Princesse, avez-vous daigné me souhaiter ? cable » reprenant le « douleur que vous m’alliez coûter » de
Mais, devant la froideur de Junie, son attente se trouve la première tirade, le même verbe « dérober », construit plus
déçue : haut avec le mot « bonheur », et maintenant plus sobrement
avec « moment », les yeux, où il voyait le bonheur, et, au
Vous ne me dites rien ? Quel accueil ! Quelle glace ! contraire ici, ces « regards qui ont appris à se taire »), le
Il est d’autant plus déçu qu’il vient de lui rappeler, dans même code galant, bref, est utilisé non dans un sens affaibli
des mots qui ont dû faire frémir Néron, leur amour passé : et imagé, mais dans le sens propre de son lexique en quelque
Faut-il que je dérobe, avec mille détours,
sorte : Britannicus est ici complètement désorienté : le
Un bonheur que vos yeux m’accordaient tous les jours ? « moment » de bonheur escompté s’est renversé en souf-
france insupportable :
Toute la scène montre donc l’atroce déconvenue de
Néron vous plairait-il ? Vous serais-je odieux ?
Britannincus, qui, dans un véritable retournement tragique
va connaître le malheur, mais aussi qui, pour rassurer une Nous voyons par là comment Britannicus est conforme à
Junie qu’il sent sur ses gardes, va devenir l’agent de sa ce que dit Aristote du personnage tragique qui, pour exciter
propre perte (Il s’agit donc là du tragique de l’Œdipe de terreur et pitié, ne doit être ni tout à fait bon ni tout à fait
Sophocle) : quand il dit méchant. Il en est ici exactement de même, car le véritable
Notre ennemi trompé tragique de Britannicus est qu’il doit sa perte à son aveugle-
tandis que je vous parle, est ailleurs occupé, ment : constatant la complète transformation (la « catas-
trophe ») de Junie,
il désigne en Néron un ennemi commun à Junie et à lui-
Qui vous rend à vous-même, en un jour, si contraire ?
même, et fortifie Néron dans l’idée qu’un complot est en
train de se tramer contre lui, d’autant que, continuant sur sa au lieu de la suspecter, au lieu de douter d’elle, il aurait dû
lancée, il ajoute, un peu plus loin : mieux entendre ses avertissements :

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Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance. Mais il y a aussi Néron, qui se repaît de ce spectacle dou-
Ces murs même, Seigneur, peuvent avoir des yeux… blement tragique, mais qui n’échappe pas non plus à cette
et essayer de s’expliquer cet étrange comportement, qui ne fatalité qui fait le malheur de tous.
pouvait être justifié que par la seule présence de contraintes
extérieures, d’autant plus qu’il sait bien que Junie n’est pas
libre, puisqu’elle vient d’être arrêtée par Néron. NÉRON
Pour conclure, nous dirons donc que le personnage de
Britannicus, confronté à un réel retournement tragique (le En effet, il nous semble que le rôle de Néron est tout
malheur au lieu du bonheur attendu), agit de façon double- aussi tragique dans cette scène, dont pourtant il tire les
ment tragique, d’une part parce qu’il croit être libre de par- ficelles, du lieu invisible où il est caché, parce que, tout en
ler, alors qu’il est tombé dans un piège que ses propos faisant jouer la scène qu’il désire voir jouer, il est en fait joué
inconsidérés referment sur lui, et d’autre part, parce qu’il est lui-même : tout comme Œdipe, croyant être le maître du jeu,
en même temps le propre artisan de sa perte, puisque, dans il en est au contraire la victime. Examinons de plus près ces
son aveuglement, il met en doute la droiture de Junie. deux aspects du personnage.
Un héros aveuglé, à la fois fautif et victime d’un dieu
méchant qui jouit de le laisser aller de son propre chef à sa 1. Néron metteur en scène
perte, voilà tout ce que peut apporter cette petite scène pour Il est d’abord vrai que cette scène correspond à la réalisa-
la définition du personnage tragique. tion de ses fantasmes, et cela pour trois raisons principales :
Mais Junie ? - Il se voit préféré à son rival : le jeu de Junie, effective-
ment provoque la réelle jalousie de Britannicus : Néron,
dans la scène suivante dit à Narcisse :
JUNIE
Et je l’ai vu douter du cœur de son amante
Nous comprenons bien, par suite, en quoi réside le tra- trouvant sa satisfaction à se voir, sur le mode fictif, aimé
gique de Junie : écartelée entre sa droiture essentielle, et le comme jamais il ne l’a été dans la réalité.
rôle que Néron lui impose de jouer, elle ne peut que se tenir - Il organise avec perversité une véritable scène de torture
sur la réserve : ne pouvant mentir, elle parle très peu, et où Junie se trouve écartelée entre sa droiture naturelle et la
cherche seulement à faire comprendre à Britannicus qu’elle duplicité qu’il lui impose ; par là, il prolonge le plaisir
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n’a pas la liberté de dire ce qu’elle veut. Ainsi, elle avive sadique qu’il a éprouvé en voyant Junie en larmes, escortée
l’étonnement de Britannicus, qui, de ce fait, comme on l’a de ses « fiers ravisseurs », et, lui qui s’est vu si souvent
vu, devient de plus en plus imprudent. imposer les volontés de sa mère, il se venge en imposant à
Le tragique propre de Junie est donc d’abord de se trouver une autre femme une volonté destinée à la détruire.
partagée entre deux désirs contradictoires : assurer le salut de - Mais, en même temps, comme tout dramaturge vis-à-
Britannicus (et donc lui dissimuler son amour), ou ne pas le vis de ses personnages, il a imaginé ce « rôle » pour Junie,
faire douter de la réalité de cet amour (et donc provoquer sa parce qu’il rêve d’être à sa place : il la fait en quelque sorte
perte). Si elle le sauve, c’est qu’elle perd son amour. parler pour lui. Nous inspirant du très stimulant article de
Le second aspect du tragique de Junie consiste à essayer de Serge Doubrovski sur « l’arrivée de Junie » (Littérature 32,
le sauver, et à ne pas être comprise dans ses efforts pour le sau- 1978), qui fait un lien entre le rapt de Junie et le « ravisse-
ver. Ainsi, elle veut lui faire comprendre qu’ils sont écoutés : ment » de Néron, qui s’identifie à Junie, parce que son
Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance propre rêve, en comédien qu’il est, est précisément de pro-
Ces murs même, Seigneur, peuvent avoir des yeux ; voquer sur les autres le même ravissement que Junie produit
Et jamais l’Empereur n’est absent de ces lieux. sur lui, nous constatons ici que, faisant jouer à Junie le rôle
d’un personnage cherchant à renvoyer un importun qui n’est
Mais c’est en vain, car Britannicus réplique : plus tout puissant sur son cœur, il se voit en train de réaliser
Et depuis quand, Madame, êtes-vous si craintive… ce qu’il n’ose toujours pas faire dans la réalité, et qui est le
sujet même de la tragédie de Britannicus : écarter Agrippine
Et, Britannicus, pour dissiper ce qu’il interprète comme
du pouvoir.
une peur injustifiée, va accumuler les imprudences.
Junie incarne donc elle aussi, mais dans une moindre Éloigné de ses yeux, j’ordonne, je menace… (II, 2)
mesure, les deux aspects principaux du tragique : un écartèle- dit-il à Narcisse, en évoquant ce qu’il rêve de faire et
ment entre deux désirs incompatibles, et une action qui, au lieu qu’il ne fait jamais, dès qu’il est en présence de sa mère.
d’assurer le salut des deux amants va provoquer leur perte. N’est-ce pas là le rôle qu’il veut faire jouer à Junie, en face

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de Britannicus : lui signifier son renvoi. Se donner la repré- elle était « de ce grand corps, l’âme toute puissante ». Ainsi
sentation du renvoi de Britannicus par Junie, c’est, prendre Néron, croyant inventer une tragédie, ne fait, dans une cer-
la place de Junie, pour se rêver en train d’oser renvoyer sa taine mesure, que reproduire des situations inventées par
mère et de se libérer d’une autorité dont il n’a pas le courage Agrippine.
de s’affranchir dans la réalité. Le tragique propre de Néron est donc de vouloir se libé-
Mais enfin mes efforts ne me servent de rien ; rer de sa mère, tout en ne faisant que l’imiter ; c’est cette
Mon génie étonné tremble devant le sien… (II, 2) identification qui provoquera le meurtre de Britannicus, et
ensuite le matricide prédit : croyant fonder un ordre nou-
Ainsi cette fiction qu’il met en place doit assurer, en veau, le héros s’identifie à l’ordre ancien, l’ordre du Père ou
quelque sorte, la réalisation de tous ses fantasmes, dans de la Mère : le tragique de Néron, c’est de se métamorpho-
toutes les identifications qui peuvent se manifester entre les ser en Agrippine, alors qu’il ne rêve que de s’en libérer.
personnages de la scène jouée et les personnages réels :
Je me fais de sa peine une image charmante (II, 8) 3. Le point aveugle
dit-il à Narcisse, dans un aveu qui explicite les raisons de sa Mais on peut aller plus loin dans l’analyse de ce tragique,
« mise en scène ». si on s’avise à quel point Néron est joué dans cette scène
qu’il a pourtant voulu faire jouer. Car cette scène n’est pas
2. Néron victime seulement l’assouvissement imaginaire de ses fantasmes,
elle peut aussi être considérée comme la révélation de ce
Pourtant nous voulons montrer que le tragique de Néron
qu’ils cachent, c’est-à-dire, de leur dimension symbolique,
consiste dans le fait qu’il est en réalité victime de ce spectacle
celle du point aveugle que le moi s’obstine à ne pas voir
qu’il n’a organisé que pour satisfaire sa propre perversité.
parce qu’il préfère ne pas le voir : s’agissant de Néron, c’est
- Victime, il l’est, parce que les spectacle ne lui apporte
de ne pas vouloir voir qu’il n’est pas aimé, non de Junie,
pas cependant tout le plaisir escompté : ce qu’il voit le fait
certes, cela, il la constaté, mais de sa mère elle-même
au contraire terriblement souffrir : l’amour profond d’abord
(comme du public d’ailleurs devant lequel il se produit au
qui unit Britannicus à Junie, comme le lui apprend à son insu
théâtre, on va le voir) car, dans la scène qu’il fait représen-
Britannicus quand il dit à Junie :
ter, ce qui se dévoile à son insu, c’est la réalité enfouie et
Qu’est devenu ce cœur qui me jurait toujours refusée : qu’on ne fait que feindre de l’aimer, que ce soit par
De faire à Néron même envier nos amours ? goût du pouvoir, comme Agrippine, ou, comme les autres,
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puis leur ressentiment commun contre lui, quand parce qu’on y est obligé.
Britannicus désigne Néron par un « notre ennemi », qui ne Faisant jouer par Junie le « rôle » de quelqu’un qui
laisse aucun doute sur la communauté d’intérêts de Junie et l’aime, Néron, à son insu représente, par delà une fiction où
de Britannicus, enfin, et surtout, la réalité de la cabale qui il est aimé, la réalité elle-même, où l’on fait comme si on
existe contre lui et qui soutient Britannicus : l’aimait, alors qu’on ne l’aime pas. Ainsi, le tragique de
Néron est ici de préférer une fiction où il joue le mauvais
La foi dans tous les cœurs n’est pas encore éteinte
Chacun semble des yeux approuver mon courroux… rôle (car il y assume en quelque sorte sa perversité) à une
réalité qu’il ne veut pas voir et dont il est le jouet pathétique :
Ainsi, au lieu que le spectacle qu’il met en scène lui pro- « je ne suis pas aimé ; c’est dans la réalité même, et non
cure le plaisir escompté, il éprouve une jalousie avivée, une dans la scène que j’ai inventée, qu’on feint de m’aimer. ».
inquiétude politique réelle, et le sentiment qu’il n’est aimé ni Cette scène est donc capitale puisqu’elle montre d’avance la
de Junie, ni de la Cour nécessité d’un crime qui aura la même justification que celui
Hé bien ! de leur amour tu vois la violence d’Oreste (« Justifions leur haine, méritons leur cour-
Narcisse ; elle a paru jusque dans son silence… (II, 8) roux… ») c’est-à-dire remplacer le manque d’amour qu’on
ne veut pas voir ni accepter, par une culpabilité (Je suis un
- Mais il est aussi une victime puisque tout ce qu’il fait
tortionnaire, je suis un enfant ingrat) qui mène au crime.
représenter n’est justement qu’un jeu, qui, en tant que jeu, est
Quel crime ? le futur matricide dont la tragédie ne constitue
la preuve de la faillite de sa volonté de maîtrise, non seulement
que la première étape :
parce que cette volonté se contente d’être jouée, mais surtout
parce que de ce jeu, il n’est même pas l’inventeur : on a sou- C’en est fait : le cruel n’a plus rien qui l’arrête
vent rapproché dans cette scène le comportement de Néron du Le coup qu’on m’a prédit va tomber sur ma tête (V, 7)
comportement d’Agrippine quand le sénat était convoqué, dit Agrippine, mais aussi le meurtre de Britannicus, parce
Et que, derrière un voile, invisible et présente, (I, 1) que c’est exactement pour ne plus entendre un Narcisse
impitoyable lui asséner cette vérité qu’il redoute tant, à

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C. BARBAFIERI : HERCULE ET ACHILLE, HÉROS FRANÇAIS AU XVIIe SIÈCLE

savoir que le public ne l’aime pas, et que les seuls applaudis- Cette scène, offrant l’avantage de caractériser tous les
sements prodigués sont ceux que « des soldats vont arracher types de tragique, et d’en montrer les liens, est donc riche
pour lui » (IV, 4) (le public montrant sous la contrainte, d’enseignement. Disant aussi la réalité qui se cache sous la
comme Junie, l’amour qu’il a pour lui), c’est pour ne plus fiction, elle ouvre une perspective intéressante sur les rap-
entendre donc ce qu’il ne veut pas entendre, qu’il va céder à ports entre le théâtre et la vie, montrant comment le théâtre,
Narcisse, et consentir au meurtre de Britannicus, à l’issue de tout en entretenant une fiction qui fait oublier la réalité, fait
cette scène admirable où pourtant il avait résisté de toutes ses surgir cette vérité encore plus violemment, du sein même de
pauvres forces aux conseils pernicieux de son âme damnée. la fiction. Racine a peut-être voulu se justifier par là de
Ainsi le personnage de Néron incarne-t-il dans la scène 6 toutes les attaques auxquelles il était en butte de la part de
de l’acte II, où il se dévoile sans apparaître, puisqu’il en est ses anciens amis de Port-Royal : ne montre-t-il pas là en
en quelque sorte le dramaturge, les principaux aspects du tra- effet comment une représentation, loin d’apporter les dou-
gique racinien : l’impossible libération de l’ordre ancien, la ceurs attendues, ne fait que mettre la créature en face de la
fatalité qui consiste à être agi, alors qu’on croit agir, enfin la vérité de sa nature ?
nécessité de justifier par un crime la cruauté d’un dieu qui
n’aime pas sa créature. Emmanuèle BLANC
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