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Pierre Inventer

Déléage l’écriture

| Les Belles Lettres | 248 p. | 39 illus. | ean 9782251150017| 25 €|  | 


INVENTER L’ÉCRITURE
Collection « Graphê »
dirigée par Alexandre Laumonier

www.lesbelleslettres.com

@ 2013, Société d’édition Les Belles Lettres,


95, boulevard Raspail, 75006 Paris

isbn 978-2-251-15001-7
Pierre Déléage

INV E N TE R L’ É CR I T UR E
Rituels prophétiques et chamaniques des Indiens
d’Amérique du Nord, XVIIe-XIXe siècles

Paris
les belles lettres
mmxiii
Introduction

Écritures et discours rituels

Ce dimanche de juin 1833, le long du fleuve Missouri, les habitants d’un


village d’Amérindiens kickapoos et potawatomis sont rassemblés dans
une grande maison. Debout au fond de l’édifice un homme élégant, dans
la force de l’âge, connu sous le nom de Kenekuk, prêche une nouvelle
fois à l’attention de ses fidèles : il leur raconte sa mort durant laquelle
il est monté au ciel et a parlé avec le Grand Esprit. Il répète ce récit de
vision de semaine en semaine depuis maintenant plus de six ans ;
chaque fois, il en adapte le contenu aux événements récents survenus
au sein de la communauté. Cependant la trame générale reste toujours
la même : un chemin mène de la terre au ciel et pour atteindre cette
région céleste ou, c’est la même chose, la Maison du Père, il faut résister
aux tentations qui corrompent les hommes : le vol, la querelle, le men-
songe, le meurtre ou la sorcellerie. Cette trame narrative, stable d’une
récitation à l’autre, s’appuie sur une carte que le prophète trace sur le sol
tout en prêchant : une longue ligne droite débouche sur un cercle céleste
tandis qu’une autre, qui part du même point d’origine, en bifurque rapi-
dement et s’égare vers l’est, la Prairie des Damnés ; plusieurs traits per-
pendiculaires à la longue ligne principale, qui représentent chacun un
péché, rejoignent la ligne déviante, conduisant eux aussi vers l’enfer.
Lorsque le sermon s’achève et que le prophète Kenekuk a, encore une
fois, décrit les coordonnées spatiales et morales du monde à venir, l’as-
semblée se met à chanter à l’unisson et entame une danse circulaire. Le
chant est le même, au mot près, chaque dimanche. Tous s’adressent au
Grand Esprit, le priant de leur accorder la bénédiction et la rédemption

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Introduction

de leur cœur, de leur chair, de leur vie, de leur nom et de l’humanité


entière. L’hymne est répété à plusieurs fois et, à chaque reprise, les chan-
teurs progressent sur le chemin qui les mène au ciel : ils commencent
sur terre, puis s’avancent vers la porte de la Maison du Père, pénètrent
à l’intérieur, marchent sur le sol et atteignent enfin le Grand Esprit.
Chaque membre de l’assemblée lit cette longue litanie sur une petite
planche de bois qu’il tient à la main, planche sur laquelle le prophète lui-
même a gravé une série ordonnée de signes.
Ce même été, beaucoup plus au nord, dans la région des Grands Lacs,
plusieurs groupes d’Amérindiens ojibwas se réunissent comme chaque
année, et une petite minorité d’entre eux, connue sous le nom de la
société rituelle du Midewiwin, décide d’accepter la candidature d’un
jeune homme qui souhaite faire partie de leur « Faculté ». L’initiation se
déroule sur plusieurs jours dans une loge spécialement construite pour
l’occasion ; elle fait alterner offrandes, sueries, danses, chants et repas.
Le point d’orgue de la cérémonie est atteint lorsque tous les chamanes
initiés s’emparent de leur sac-médecine et tirent sur le novice qui meurt
et renaît à chaque reprise : il devient ainsi un membre à part entière de
la société secrète. À l’abri des regards profanes, l’impétrant commence
alors son long apprentissage, poursuivi avec les initiés qui le souhaitent.
Pour être reconnu comme un véritable chamane il lui faudra connaître
d’une part une version ésotérique du mythe d’origine du Midewiwin et
d’autre part un arsenal de techniques thérapeutiques composé d’une
importante pharmacopée et d’une multitude d’incantations liturgiques.
Afin de mémoriser ce savoir complexe et abondant, l’apprenti pourra
s’appuyer sur une technique d’inscription elle aussi secrète : ses maîtres
lui transmettront des livres d’écorce de bouleau qu’il devra recopier
scrupuleusement, gravant avec soin chacun de leurs signes ordonnés.

Écritures sélectives, écritures intégrales


Dans cette première moitié du XIXe siècle, au cœur du continent
nord-américain, le prophète Kenekuk et les membres de la société cha-
manique du Midewiwin partageaient un point commun : ils avaient
inventé puis diffusé une écriture. Elle avait pour fonction de stabiliser
discours et chants rituels, et leur conférait un indéniable prestige. Dans
un cas comme dans l’autre, il ne s’agissait pas d’écriture au sens que l’on
donne le plus couramment à ce terme, c’est pourquoi il convient d’em-
blée de proposer une série de définitions.
Si les sociétés humaines ont régulièrement éprouvé le besoin d’éla-
borer des systèmes de signes très variés, tels que des répertoires orne-
mentaux, des héraldiques, des codes de signalisation ou diverses nota-
tions mathématiques1, ces répertoires n’étaient pas destinés à inscrire

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Introduction

et à stabiliser des discours. Ce sont les techniques d’inscription de discours,


et seulement celles-ci, qui seront considérées dans ce livre comme des
écritures – pour des raisons qui s’éclairciront au fil de l’argumenta-
tion. Le langage courant nomme « écriture » un système clos de signes
qui permet de noter n’importe quel discours d’une langue donnée. Ce
livre, par exemple, emploie une variante de l’alphabet latin, utilisée pour
transcrire des discours en langue française. Chacune de ses lettres cor-
respond à un ou plusieurs sons de la langue ciblée et, en combinant
ces signes conventionnels, il est possible d’inscrire des discours fran-
çais qui pourront ensuite être décodés, c’est-à-dire lus, par tous ceux
qui maîtrisent la langue française et l’alphabet latin. Dans la mesure où
les signes de ces systèmes se réfèrent à des sons, on parle d’écritures
phonographiques.
Il existe toutefois de nombreuses écritures dont le répertoire de
signes ne se limite pas à de telles lettres : l’écriture chinoise, par exemple,
comprend de nombreux signes qui, plutôt que de ne se référer qu’à des
sons, correspondent à des mots, et c’est pour cela qu’elle comporte entre
trois et cinq mille signes d’usage courant. Mais si l’on pousse l’analyse
de telles écritures plus avant, on se rend compte qu’elles ne se satisfont
jamais de cette simple notation de mots : elles intègrent toujours « un
niveau d’analyse de la langue visant à faire apparaître des unités pho-
niques à côté des unités morphologiques2 ». L’écriture chinoise est ainsi
très majoritairement composée de caractères complexes qui combinent
plusieurs signes discrets dont certains ont une valeur phonétique ; de ce
fait, toutes les syllabes de la langue chinoise font l’objet d’au moins une
transcription graphique. La sémiotique de l’écriture chinoise est donc
plus compliquée que celle de l’alphabet latin : elle est à la fois logogra-
phique (elle note des mots) et phonographique (elle note des syllabes),
c’est pourquoi on la qualifie souvent de logo-syllabique3.
Malgré ces différences d’ordre sémiotique, l’écriture chinoise et l’al-
phabet latin doivent être considérés comme des écritures intégrales,
c’est-à-dire qui permettent de transcrire graphiquement l’intégralité de
n’importe quel discours. L’écriture intégrale n’a été inventée que quatre
fois au cours de l’histoire de l’humanité. Les Sumériens, les Égyptiens,
les Chinois et les Mayas élaborèrent tous, apparemment indépendam-
ment les uns des autres, un répertoire restreint de signes graphiques
codant l’ensemble des unités syllabiques ou consonantiques de leur
langue. À ce répertoire limité de phonogrammes s’ajoutaient en quan-
tités variables d’autres signes, des logogrammes, désignant d’autres
unités sémantiques de leur langue. L’essentiel était là : ils disposaient
virtuellement des moyens d’inscrire n’importe quel discours à l’aide
d’un nombre fini de signes. Toutes les écritures intégrales du monde

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Introduction

dérivent d’une de ces quatre écritures originelles, écriture alphabétique


comprise. Dans tous les cas, il s’agissait de techniques robustes, sou-
vent extrêmement stables, qui permirent d’inscrire l’ensemble des dis-
cours que les populations qui s’en dotaient souhaitaient se transmettre
ou donner à voir4.
Dans ce livre nous utiliserons, à des fins comparatives, un concept
d’écriture qui ne se limite pas à ces écritures intégrales. Il n’est pas ques-
tion de faire de tous les systèmes de signes graphiques des écritures,
mais nous proposons de considérer comme telles tous les répertoires
de signes qui permettent de stabiliser le contenu de discours. Parmi ces
répertoires, les écritures étudiées ici sont toutes des écritures sélectives,
c’est-à-dire qui ne codent que certaines parties précises du discours.
Ainsi, les textes des planches gravées du prophète Kenekuk ou des livres
d’écorce des chamanes du Midewiwin étaient tous rédigés à l’aide d’une
écriture sélective.
À l’encontre de ce qu’affirme la plupart des historiens et des lin-
guistes qui se sont penchés sur le problème, la distinction entre écri-
tures intégrales et sélectives ne doit pas d’abord être pensée à partir de la
relation que leurs signes respectifs entretiennent avec la sonorité d’une
langue. L’une des définitions les plus courantes des écritures sélectives
(souvent qualifiées, à tort, de pictographiques) consiste à remarquer
qu’elles ne peuvent être lues sans que l’information qu’elles contiennent
ait été mémorisée au préalable. Il ne s’agit là toutefois que d’une défini-
tion négative faisant de l’écriture sélective une écriture intégrale ratée ;
il est plus pertinent de chercher quels sont les principes positifs qui
régissent cette technique scripturaire. Il est également vrai que, tandis
que les écritures intégrales se définissent par un répertoire restreint de
signes graphiques codant l’ensemble des unités sonores de leur langue
cible, les écritures sélectives ne se soucient que très marginalement de
transcrire ces sonorités5. Néanmoins là n’est pas l’important. Si l’on veut
comprendre les usages de ces écritures plutôt que les hiérarchiser, il faut
inverser la perspective : ne plus penser les écritures sélectives en fonc-
tion des écritures intégrales (comme de vagues avant-courriers impar-
faits et inachevés), mais penser les écritures intégrales en fonction des
écritures sélectives6.
Le critère sémiotique qui permet de distinguer ces deux formes
d’écriture est simple : un discours étant donné, l’écriture intégrale sera
destinée à en transcrire la totalité tandis que l’écriture sélective visera
à en transcrire certaines parties rigoureusement sélectionnées et logi-
quement ordonnées. Les écritures que l’on a longtemps nommées pic-
tographiques doivent donc avant tout être pensées comme des écritures
sélectives7.

10
Introduction

Quelles relations précises ces écritures sélectives entretenaient-elles


avec les discours qu’elles transcrivaient ? Précisons d’emblée qu’elles
n’étaient en aucun cas destinées à l’inscription de n’importe quel acte
de parole. Elles ne prenaient comme cibles que des genres de discours
déterminés dont la transmission et la mémorisation étaient considérées
comme importantes. Ces discours devaient être appris par cœur et réci-
tés dans un contexte cérémoniel, par exemple au cours des danses diri-
gées par le prophète Kenekuk ou lors des rituels thérapeutiques des cha-
manes ojibwas du Midewiwin. De ce fait, ils étaient déjà précisément
structurés : dans la mesure où ils avaient résisté à une multitude de pro-
cessus de transmission – de génération en génération dans le cas de la
société chamanique du Midewiwin, ou de converti à converti dans le cas
du rite de Kenekuk –, ils s’étaient coulés dans des formes stylistiques
standardisées facilitant leur mémorisation et leur apprentissage. Parmi
ces procédés stylistiques, les plus répandus furent la séquenciation
d’épisodes narratifs, dont l’ordre dérivait d’une logique spatiale, et le
parallélisme, une forme de séquenciation plus complexe, dans laquelle
des termes variables étaient enchâssés dans de longues formules inlas-
sablement répétées8. Nous étudierons plusieurs usages différents de
procédés de ce genre dans les discours rituels des prophètes et des cha-
manes amérindiens.
Les écritures sélectives furent toutes utilisées pour renforcer encore
la fixité de tels discours formalisés. Pour ce faire, elles représentaient
graphiquement (de manière figurative ou non) certains éléments clefs
des discours ciblés : soit le nom des épisodes narratifs successifs, soit
le nom des éléments variables d’une structure poétique paralléliste.
Elles opéraient donc une sélection régulée des parties du discours cible
qui devaient être inscrites ; elles inscrivaient à la fois le nom de chaque
variable (sous une forme généralement logographique, mais parfois
phonographique) et leur ordre dans la succession du discours. Les par-
ties du discours qui n’étaient pas transcrites étaient, quant à elles,
confiées à la mémoire orale. Ces écritures sélectives constituaient donc
bien une technique d’inscription et de stabilisation du contenu de dis-
cours. Contrairement aux écritures intégrales, elles n’encodaient pas la
totalité de leurs discours cibles mais seulement certaines parties sélec-
tionnées ainsi que leur ordre. Elles n’étaient, de plus, destinées qu’à
stabiliser un nombre limité de discours rituels qu’il fallait apprendre
par cœur pour être capable de les réciter le plus exactement possible.
Finalement, à partir de cette ossature, elles pouvaient assez librement
être enrichies afin, le cas échéant, d’encoder d’autres informations
absentes des discours ciblés9.

11
Introduction

Écritures attachées
Une fois cette différence sémiotique entre écritures sélective et inté-
grale précisée, il convient de remarquer que toutes les écritures sélec-
tives doivent être considérées comme des écritures attachées. En effet, si
l’on se penche non plus sur leur sémiotique mais sur les modalités de
leurs usages, on constate qu’elles étaient toutes inséparables des dis-
cours qu’elles étaient destinées à transcrire, et donc de l’institution
rituelle qui faisait usage de ces discours. De ce point de vue, elles dif-
fèrent des écritures intégrales qui, elles, sont susceptibles de trans-
crire n’importe quel genre de discours, rituel ou non, et que, de ce fait,
on peut qualifier de « détachées ». On observera que cette distinction ne
concerne que les modalités d’usage des écritures : la différence entre
une écriture attachée et une écriture détachée n’est pas nécessairement
intrinsèque et il sera montré, en conclusion de ce livre, que certaines
écritures intégrales, potentiellement détachables, purent rester atta-
chées pendant longtemps tandis que d’autres demeurèrent attachées
tout au long de leur histoire10. Ce critère, issu d’une approche pragma-
tique de l’écriture, repose donc sur une relation nécessaire ou constitu-
tive entre une écriture, un genre discursif et une institution. Toutes les
écritures attachées que nous aurons l’occasion de décrire et de déchif-
frer dans ce livre appartenaient à des institutions rituelles – prophé-
tiques ou chamaniques.
Les écritures sélectives remplissaient parfaitement leur fonction :
stabiliser le mieux possible certains genres de discours qui faisaient éga-
lement, dans tous les cas, l’objet d’une transmission orale. De ce point
de vue, certaines d’entre elles, dans des conditions institutionnelles pré-
cises qu’il s’agira de déterminer, acquirent une indéniable stabilité, com-
parable à celle de nombreuses écritures intégrales. Elles ne tendaient
aucunement à devenir des écritures intégrales : de même que les réper-
toires graphiques de type héraldique n’ont aucune tendance interne à
devenir des techniques de stabilisation du discours, les écritures sélec-
tives ne furent pas une étape sur le chemin menant à la transcription de
l’ensemble des sons d’une langue. Contrairement à ce que présupposent
plus ou moins tacitement la plupart des historiens et des linguistes qui
ont daigné s’intéresser aux écritures sélectives11, aucune évolution uni-
linéaire ne conduit des écritures sélectives aux écritures intégrales. Tout
au plus peut-on constater que certaines écritures intégrales emprun-
tèrent quelques aspects de leur graphie aux écritures sélectives, de la
même manière que ces dernières purent parfois faire usage de l’icono-
graphie de traditions graphiques préexistantes. Il ne faut toutefois pas
penser que la seule comparaison possible entre écritures sélectives et
intégrales s’inscrive nécessairement dans un tel schème évolutionniste

12
Introduction

entièrement discrédité. Dans la conclusion de ce livre, nous montre-


rons au contraire, en élaborant plus précisément, la notion d’écriture
attachée, qu’une comparaison entre les régimes d’usages des écritures
sélectives et intégrales est susceptible d’apporter un nouvel éclairage
sur le problème de l’origine de toutes les écritures.

Cinq rituels amérindiens


Les quatre premiers chapitres de ce livre sont consacrés à une série
de mouvements prophétiques qui, tous, donnèrent lieu à l’invention
d’une forme d’écriture sélective ; ils sont apparus, entre le XVIie et le
XIXe siècles, chez des populations amérindiennes vivant sur un terri-
toire qui correspondrait, aujourd’hui, au nord-est des États-Unis, à la
région des Grands Lacs, située à la frontière des États-Unis et du Canada,
et au sud de la baie d’Hudson, au Canada12. Tous ces peuples apparte-
naient à une même famille linguistique, la famille algonquienne. Cette
communauté de langue ne doit néanmoins pas masquer le fait que l’his-
toire et la culture de ces quatre sociétés, les Montagnais, les Delawares,
les Kickapoos et les Cris, différaient sur de très nombreux points13. Par
exemple, les Montagnais, en 1639, et les Cris, en 1842, formaient des
sociétés de chasseurs semi-nomades tandis que les Delawares, en 1762,
et les Kickapoos, en 1827, pratiquaient également l’agriculture et étaient
plus sédentarisés. Ce qui réunissait ces sociétés, au moment de l’appa-
rition de leurs prophètes, c’était leur situation vis-à-vis de la frontière
mouvante de la colonisation euro-américaine : chaque mouvement étu-
dié nous emmènera ainsi un peu plus loin de la côte atlantique, suivant
les avancées des colonies. Toutes ces sociétés amérindiennes entre-
tenaient d’intenses relations avec le front pionnier, relations qui pre-
naient de multiples formes, depuis le conflit violent jusqu’à différentes
formes d’ententes donnant lieu à des échanges commerciaux et cultu-
rels diversifiés. Cependant tous les prophétismes étudiés dans ce livre,
qu’ils fussent issus des peuples montagnais, delaware, kickapoo ou cri,
se situèrent de l’autre côté de la frontière de la colonisation14. De ce point
de vue, si les prophètes prirent tous en compte la culture des colonisa-
teurs lors de l’élaboration de leurs nouveaux rituels, ils ne firent jamais
de ces derniers des participants – c’est pour cette raison que les témoi-
gnages qui nous sont parvenus restent rares et le plus souvent extrême-
ment fragmentaires.
D’une manière générale, ces mouvements prophétiques algonquiens
se soldèrent tous par des échecs dans la mesure où aucun ne parvint à
stabiliser durablement le nouveau dispositif cérémoniel qu’ils propo-
saient. La plupart ne durèrent que quelques années, et ce pour une mul-
titude de raisons qui ne seront guère qu’évoquées dans ce travail. C’est

13
Introduction

pourquoi les écritures sélectives que ces prophètes inventèrent dispa-


rurent rapidement : si elles facilitèrent incontestablement la propaga-
tion des discours attachés à ces mouvements, elles n’eurent pas l’occa-
sion de devenir pérennes.
Un chapitre plus long est ensuite dédié aux écritures sélectives de la
société chamanique d’un autre peuple algonquien, les Ojibwas. Ces écri-
tures, contrairement à celles des prophètes algonquiens, acquirent une
indéniable stabilité, se transmettant durant au moins un siècle et par-
fois plus longtemps. Les traditions rituelles des Ojibwas sont assez bien
connues car elles ont attiré l’attention de nombreux observateurs étran-
gers et ce dès le début du XIXe siècle. Contrairement aux prophétismes
algonquiens, la société secrète des chamanes ojibwas s’est développée
de manière relativement autonome vis-à-vis du prosélytisme des mis-
sionnaires chrétiens qui, tout au long du XVIIIe siècle, furent largement
absents de cette région éloignée. Mais les prophétismes algonquiens et
cette société chamanique ont toutefois un point commun qui rend leur
confrontation pertinente : une date de naissance qui nous est à peu près
connue. On sait ainsi que la société chamanique des Ojibwas, nommée
Midewiwin, prit, vers la fin du XVIIe siècle, la forme sous laquelle les
anthropologues la décrivirent au XIXe siècle. L’origine de ces cérémonies
rituelles ne se perd donc pas dans des « temps ancestraux » et il est de
ce fait possible de les considérer dans leur ensemble comme des inno-
vations culturelles qui se propagèrent et se stabilisèrent de manières
distinctes.
Qu’il s’agisse de sociétés chamaniques ou de mouvements prophé-
tiques, toutes les institutions étudiées dans ce livre donnent lieu à des
rituels. Comme nous l’avons fait pour les écritures, il peut ainsi être
utile, dès maintenant, de présenter une série d’outils conceptuels qui
seront largement utilisés dans les pages qui suivent. Précisons donc
d’abord que les pratiques, discursives ou autres, de ces rituels, comme
celles de toutes institutions humaines, étaient transmises en même
temps que les règles stipulant comment et pourquoi elles devaient être
transmises15. Ainsi, les prophètes algonquiens ne se contentaient pas
d’enseigner à leurs disciples une série de pratiques rituelles nouvelles,
ils devaient également leur expliquer l’origine de ces pratiques, d’où
découlait la nécessité de leur transmission. Il leur fallait également
déterminer quand et où les rituels devaient être organisés, qui pou-
vait avoir accès à quelles pratiques liturgiques et, enfin, comment elles
devaient être transmises (très exactement ou approximativement ?) :
dans le cadre d’un apprentissage spécial ou dans celui, plus ordinaire, de
la cérémonie elle-même ? Le problème se posait aussi pour les chamanes
ojibwas du Midewiwin qui, lors de l’initiation d’un novice, devaient

14
Introduction

expliquer le pourquoi et le comment des pratiques extraordinaires que


ce dernier découvrait et mémorisait peu à peu.
Lorsque de telles règles institutionnelles entrent dans des combinai-
sons assez semblables, il devient possible de reconnaître les catégories
analytiques traditionnelles de l’anthropologie que l’on nomme « pro-
phétisme » ou « chamanisme » et dont il est un peu vain d’essayer de
chercher des définitions strictes. De ce point de vue, les prophétismes
algonquiens et la société chamanique ojibwa possédaient autant de
règles communes que de règles distinctes. Par exemple, toutes ces céré-
monies rituelles firent appel à au moins une entité surnaturelle qu’elles
situaient à l’origine de leur liturgie spécifique et à laquelle elles se réfé-
raient lorsqu’il fallait expliquer la nécessité d’une transmission fidèle
ou lorsqu’il était question de la vérité ou de l’efficacité de leurs savoirs
et de leurs procédés. De plus, tous ces rituels étaient organisés en fonc-
tion d’une régularité temporelle connue de tous et au sein d’un lieu de
culte bien déterminé. Toutefois, seuls les prophètes souhaitèrent diffu-
ser leur nouvelle liturgie au plus grand nombre de disciples possible ; les
chamanes du Midewiwin, quant à eux, sélectionnaient strictement les
novices en les contraignant à des offrandes sans cesse plus coûteuses. Si
les prophètes s’adressaient à tous, essayant de maximiser la propagation
de leur nouveau rituel, les chamanes de la société secrète du Midewiwin
constituaient une petite élite d’experts qui se distinguait des profanes
par la possession d’un savoir ésotérique chèrement payé.
Il en résulta, logiquement, des propriétés de distribution diamétra-
lement opposées : étendue pour la liturgie prophétique, restreinte pour
la liturgie chamanique. Les modalités de transmission propres à chaque
type d’institutions étaient, elles aussi, distinctes : l’apprentissage des
pratiques rituelles enseignées par les prophètes s’effectuait au cours de
cérémonies ouvertes à tous tandis que l’acquisition par le novice des
pratiques propres au Midewiwin se réalisait en secret, à l’abri du regard
des non-initiés, au cours d’une initiation destinée aux seuls spécialistes.
Pour autant, les objectifs des prophètes et des chamanes du Midewiwin
pouvaient se rencontrer : tous souhaitaient que les pratiques et les dis-
cours qu’ils transmettaient soient mémorisés très exactement, geste par
geste, mot par mot. Avec le recul historique, on constate que seuls les
chamanes du Midewiwin parvinrent à faire de cette règle une propriété
de leur institution.
Les écritures sélectives servirent avant tout à stabiliser les diffé-
rents discours rituels de ces cérémonies amérindiennes. Ces discours
devaient faire l’objet d’une mémorisation fidèle et de répétitions régu-
lières par l’ensemble des participants, les disciples des prophètes
comme les novices de la société chamanique. Ils appartenaient à deux

15
Introduction

genres consciemment distingués par tous ceux qui entreprenaient de


les apprendre ou de les enseigner. Les premiers étaient des chants litur-
giques aux vertus salvatrices, ils permettaient soit de hâter la venue d’un
monde nouveau, comme dans certains prophétismes, soit de favoriser la
guérison ou la chasse, comme dans la plupart des rituels étudiés. La réci-
tation de ces chants permettait donc d’accomplir la finalité pratique que
se donnaient les rituels. Les règles de transmission et de distribution de
chacun des rituels s’appliquaient clairement aux discours de ce genre :
dans la mesure où tous ces chants avaient été transmis aux humains par
une entité surnaturelle, ils devaient être récités par certaines personnes
lors de circonstances précises et de la manière la plus fidèle possible.
L’autre genre de discours devant être transmis était un discours épisté-
mologique explicitant, sous une forme narrative, une partie des règles
qui caractérisaient chacune des cérémonies. Il pouvait prendre la forme
soit d’un récit de vision, pour les prophétismes, soit d’un récit mythique,
pour la société chamanique. Il comportait l’épistémologie explicite des
rituels, et en particulier des chants, telle qu’élaborée par ceux qui se les
transmettaient. Typiquement, ce genre de discours expliquait l’origine
du rituel, pourquoi il était nécessaire aux humains, et comment, où et
quand il devait continuer à être transmis. Il fournissait ainsi une défi-
nition normative de la transmission du rituel16. Si les chants liturgiques
accomplissaient la finalité du rite, les discours épistémologiques expli-
quaient les conditions qui en rendaient possible l’accomplissement17.
On verra que les règles institutionnelles des rituels étudiés dans ce livre
correspondaient assez bien aux discours épistémologiques qui les expli-
citaient. Ce n’est cependant pas le cas partout et toujours : il arrive qu’un
discours épistémologique contredise certaines règles implicites de la
transmission d’un rituel, comme lorsque certains spécialistes nient
explicitement avoir reçu leur savoir d’un maître humain, au profit géné-
ralement d’une acquisition directe auprès d’une entité surnaturelle. Ils
passent ainsi sous silence le fait qu’il existe une règle de transmission
« à la sauvette » de ce savoir, unissant un maître à un disciple plus ou
moins reconnu18. Nous verrons qu’une institution chamanique ojibwa,
nommée Jaasakid et concurrente de la société du Midewiwin, pouvait
être définie en fonction d’une telle contradiction entre règle de trans-
mission et épistémologie de la transmission.
Les propriétés des discours rituels sont néanmoins fortement cor-
rélées aux règles des institutions qui rendent possible leur transmis-
sion. Ainsi, c’est dans la mesure où ces deux genres de discours prove-
naient directement d’une entité surnaturelle qu’il était nécessaire de
les mémoriser le plus exactement possible, idéalement mot à mot ; et
c’est en partie cette contrainte de mémorisation qui fit que les chants

16
Introduction

rituels en vinrent « mécaniquement » à adopter les procédures clas-


siques de stabilisation du discours que sont le transfert d’ordre, la répé-
tition, le parallélisme ou l’intersémioticité19. Nous verrons aussi que,
dans la mesure où les chants rituels prophétiques devaient être diffusés
au plus grand nombre de fidèles possible, ils ne pouvaient guère être que
très courts et très contraints par des procédés formels favorisant leur
mémorisation mot à mot. À l’inverse, c’est parce que les chants rituels
de la société chamanique Midewiwin faisaient l’objet d’un long et coû-
teux apprentissage secret, destiné à une petite élite d’experts, qu’ils se
multiplièrent jusqu’à constituer de très vastes répertoires dont la récita-
tion pouvait nécessiter des nuits entières. Par ailleurs, les discours épis-
témologiques se distinguaient entre eux par le type d’autorité au nom
duquel ils étaient transmis. Les prophètes inféraient leurs récits de
vision d’une expérience directe de communication avec une entité sur-
naturelle ; leurs disciples, eux, se transmettaient les uns aux autres ces
récits de vision en répétant les paroles du prophète, faisant ainsi reposer
l’autorité de leur discours épistémologique à la fois sur l’entité surnatu-
relle et sur son truchement, le prophète. Les chamanes du Midewiwin
faisaient plutôt appel à une entité surnaturelle ancestrale, la Loutre ou
Minabozho, dont ils affirmaient répéter les antiques paroles dans le
cadre de récits que l’on qualifie généralement de mythiques. Dans tous
les cas, ces discours rituels gagnèrent encore en prestige et en autorité
lorsque ils furent associés à une forme d’écriture.

Écritures de prophètes et écritures de chamanes


Sans trop anticiper les analyses à venir, il peut être utile d’esquisser
dès maintenant les principales caractéristiques des écritures sélectives
des prophètes algonquiens et des chamanes ojibwas du Midewiwin.
D’abord, toutes partagèrent un trait commun : elles se répartissaient
entre d’un côté des techniques d’inscription de discours épistémolo-
giques et de l’autre des techniques d’inscription de chants liturgiques.
En effet, les récits de vision des prophètes et le mythe d’origine de la
société Midewiwin, c’est-à-dire les discours épistémologiques propres à
chacun des rituels, furent tous inscrits sous forme de cosmogrammes,
c’est-à-dire de cartes dont chaque zone correspondait à un épisode nar-
ratif particulier et dont l’ordre spatial coïncidait avec l’ordre de succes-
sion de ces épisodes dans le récit oral. Les techniques d’inscription des
chants rituels s’appuyèrent, quant à elles, sur la structure paralléliste de
leurs cibles orales.
Écritures prophétiques et écritures chamaniques différèrent toute-
fois du point de vue de leur degré de complexité. Ce phénomène s’ex-
plique assez simplement par les propriétés de chacune des institutions

17
Introduction

rituelles. Dans la mesure où les prophètes souhaitaient diffuser au plus


grand nombre de fidèles possible leurs nouveaux discours rituels, ils
durent se contenter de propager des discours brefs et peu nombreux.
Les écritures sélectives transcrivant ces discours devaient également
obéir à ces mêmes exigences de commodité de transmission, ce qui
était facilité par les caractéristiques des discours ciblés ; elles furent
donc, dans leur ensemble, assez rudimentaires. Au contraire, les cha-
manes du Midewiwin, de par leur faible nombre et leur spécialisation,
disposèrent de suffisamment de temps pour se transmettre de longs et
riches répertoires de discours rituels. Les écritures sélectives qu’ils éla-
borèrent furent dès lors également susceptibles d’atteindre de hauts
degrés de complexité, ce qui les différencia très notablement des écri-
tures prophétiques. 
Rendue possible par la richesse de la documentation disponible,
l’analyse précise des conditions institutionnelles à partir desquelles les
prophètes algonquiens et les chamanes du Midewiwin élaborèrent leurs
écritures va de plus nous fournir l’occasion d’une part de dégager deux
contextes au sein desquels l’invention d’une écriture devint pertinente
et d’autre part d’identifier les caractéristiques du régime d’usage parti-
culier que ces nouvelles écritures partageaient.
Il sera ainsi montré que les prophètes amérindiens n’inventèrent
des écritures sélectives que dans la mesure où ils se placèrent en com-
pétition avec une institution rituelle concurrente, le christianisme des
missionnaires. En effet, les missionnaires menaient, dans chacune
des situations que nous allons étudier, une entreprise d’évangélisation
conquérante qui, du point de vue des Amérindiens, consistait à propa-
ger au plus grand nombre des discours rituels tels que le catéchisme ou
des prières d’obédiences variées. Pour ce faire, ils s’appuyaient sur l’au-
torité d’un texte, la Bible, qui, idéalement, permettait de stabiliser et
de propager efficacement ces nouveaux discours. Les prophètes algo-
nquiens empruntèrent, tout à fait consciemment, divers éléments aux
rituels chrétiens, chacun s’inspirant des pratiques liturgiques et des
règles institutionnelles qui lui semblaient les plus pertinentes pour
composer son nouveau dispositif cérémoniel. Mais tous comprirent que
la lutte prosélyte ne pouvait s’effectuer à armes égales que s’ils s’appro-
priaient à la fois le prestige de la Bible des chrétiens et la capacité de leur
écriture à stabiliser et à diffuser les discours. C’est ce conflit institution-
nel qui permet de comprendre l’invention, par mimétisme ou par ému-
lation, des écritures prophétiques.
Le chamanisme du Midewiwin fournit, quant à lui, un second
contexte institutionnel au sein duquel l’invention d’une écriture
put devenir pertinente. Là aussi, ce sont les différences entre deux

18
Introduction

institutions rituelles qui créèrent une dynamique d’innovation. Ainsi,


la société du Midewiwin se développa en parallèle avec une autre ins-
titution rituelle, plus traditionnelle chez les Ojibwas : le chamanisme
visionnaire. Les règles gouvernant la transmission de ce chamanisme,
connu sous le nom de Jaasakid, en vinrent à s’opposer sur de nom-
breux points essentiels à celles du Midewiwin. Cette différenciation
progressive ne résulta que de la coexistence, pendant plusieurs généra-
tions successives, des deux institutions. Les chamanes Jaasakid acqué-
raient leur savoir rituel, de nature essentiellement divinatoire, au cours
de visions qu’ils communiquaient librement à l’assemblée des non-ini-
tiés. Durant ces visions, ils établissaient une relation spéciale avec des
entités surnaturelles qui leur transmettaient directement leur savoir.
Du point de vue des règles de transmission, presque tout opposait cha-
manes Jaasakid et chamanes du Midewiwin : ces derniers, qui n’en-
traient jamais dans un tel contact direct avec les entités surnaturelles, se
transmettaient des paroles issues d’une longue chaine de transmission
humaine qu’ils devaient mémoriser le plus exactement possible. Plus le
chamane Jaasakid improvisait, plus le chamane du Midewiwin répétait
fidèlement de longs discours, ce qui, même dans un contexte social où
la mémoire orale était bien entrainée, devait finir par poser de réels pro-
blèmes de capacité mnémonique. Les conditions dynamiques créées par
cette complémentarité institutionnelle endogène rendirent ainsi extrê-
mement utile l’invention d’une écriture sélective par les seuls chamanes
du Midewiwin. Les efforts importants qu’il fallut fournir pour élaborer
puis transmettre cette nouvelle écriture n’étaient ainsi pas dépensés en
vain. Nous verrons en conclusion que l’on trouve ce genre de configura-
tion institutionnelle à l’origine d’autres inventions d’écritures sélectives.
Les conditions institutionnelles qui favorisèrent l’invention des
écritures sélectives étudiées dans ce livre diffèrent donc considérable-
ment : tandis que les prophètes algonquiens développèrent une forme
de mimétisme vis-à-vis des missionnaires chrétiens, les chamanes du
Midewiwin accentuèrent les différences internes qui les opposaient à
des chamanes visionnaires. Toutefois, il apparaît que les écritures des
prophètes algonquiens et celles des chamanes du Midewiwin parta-
gèrent un important trait commun : elles étaient toutes des écritures
attachées. Elles n’avaient d’intérêt que dans la mesure où elles permet-
taient de stabiliser des discours rituels précis (et non pas n’importe
quel genre de discours) et d’accroître le prestige et l’autorité de l’institu-
tion rituelle qui en assurait la transmission. Les prophètes algonquiens
souhaitaient propager le plus fidèlement possible les nouveaux dis-
cours rituels qu’ils avaient reçus lors de leurs visions ; les chamanes du
Midewiwin avaient besoin de standardiser un large répertoire de chants

19
Introduction

rituels dont la mémorisation était devenue problématique. Ainsi, toutes


choses égales par ailleurs, l’écriture ne fut inventée par les prophètes et
par les chamanes que pour faire l’objet d’un usage attaché à des discours
et à des rituels précis. Ce régime d’usage constitue donc une raison suffi-
sante pour inventer une écriture.
Rien ne nous oblige à restreindre ce régime d’usage particulier
aux seules écritures sélectives. En effet, les historiens des premières
écritures intégrales, qu’elles soient mésopotamiennes, égyptiennes,
chinoises ou mayas, ont souvent eu tendance à considérer, plus ou
moins implicitement, que le régime d’usage auquel elles étaient des-
tinées ainsi que le contexte institutionnel qui rendait pertinent cet
usage allaient de soi. De ce fait, le problème de leurs origines se résuma
la plupart du temps à celui de l’identification des conditions sociales
de leur apparition à tel ou tel moment de l’histoire de l’humanité ou à
la recherche de précurseurs graphiques qui en seraient des formes
moins évoluées20. Pourtant, l’effort que nécessite l’invention d’une écri-
ture intégrale incite à se demander pour quelles raisons il a été fourni.
Autrement dit : à quels besoins particuliers répondit l’invention de
l’écriture ? À quel régime d’usage l’écriture était-elle originellement
destinée ?
Nous essaierons donc de montrer, en conclusion, que le régime
d’usage attaché a pu concerner de nombreuses techniques scripturaires
destinées à canoniser des discours, que celles-ci soient sélectives, secon-
daires21 ou même intégrales. De ce point de vue, il n’est pas impossible
que l’étude des inventions d’écritures sélectives par les Indiens d’Amé-
rique du Nord puisse renouveler de manière significative la compréhen-
sion des origines et de l’essor de toutes les grandes formes d’écriture.

20
cartes

21
carte 1
L’écriture de Charles Meiaskaouat, prédicateur montagnais
carte 2
Le grand livre de Neolin, visionnaire delaware
carte 3
La Bible de Kenekuk, prophète kickapoo
carte 4
La charte d’Abishabis et de Wasiteck, prophètes cris
Chapitre 1

L’ÉCRITURE DE CHARLES MEIASKAOUAT,
PRÉDICATEUR MONTAGNAIS

La vision de Charles Meiaskaouat
Autour de 1640, Charles Meiaskaouat, modeste Montagnais de
Tadoussac, se rendit à la résidence jésuite de Sillery afin d’y être bap-
tisé puis de s’y installer à demeure, « en une des maisons bâties à
la Française »1. Les Montagnais étaient alors un peuple algonquien
nomade, vivant au nord du fleuve Saint-Laurent. Pendant la première
moitié du XVIIe siècle, leurs relations avec les autorités coloniales
françaises avaient été tendues. Ces dernières s’étaient immiscées au
sein du commerce de fourrures auquel les Montagnais prenaient part
depuis longtemps. Elles avaient expulsé les marchands protestants,
interdisaient aux contrebandiers, dans la mesure du possible, l’accès
à leur territoire et imposaient un prix unique à la traite. De plus, elles
avaient accru leurs relations avec les Hurons voisins, riches pour-
voyeurs des fourrures les plus lointaines, interdisant aux Algonquins et
aux Montagnais de percevoir un droit de passage sur leur territoire. Il
semble que de ce fait les Montagnais reçurent favorablement les Anglais
à chaque fois que ceux-ci s’emparèrent de la Nouvelle-France.
C’est aussi la résistance de ces populations nomades vis-à-vis de la
sédentarisation qui poussa les jésuites à réviser leur stratégie de réduc-
tion et à lui substituer, du moins auprès d’eux, le principe de la « mis-
sion volante », c’est-à-dire d’une mission limitée aux périodes estivales
durant lesquelles les Montagnais revenaient sur les rives du Saint-
Laurent. Toutefois, à partir des années 1640, on constate un intérêt
nouveau de la part des Montagnais pour les missions catholiques : cer-
tains se sédentarisèrent et le nombre de baptêmes augmenta sensible-
ment. Les facteurs habituels étaient responsables de ce changement
progressif : épidémies sélectives, menace iroquoise, relative dépendance

27
chapitre i

vis-à-vis des produits manufacturés français et, indéniablement, inté-


ressement économique (les baptisés bénéficiaient d’un meilleur prix
pour leurs fourrures et ils pouvaient acquérir des armes à feu)2.
C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter la geste de
Charles Meiaskaouat. En 1639, « Dieu l’a fortement touché » :

« Il nous a raconté qu’étant certain jour dans les bois, il vit un
homme vêtu comme nous et qu’il entendait une voix qui lui disait :
Quitte tes anciennes façons de faire, prête l’oreille à ces gens-là
et fais comme eux ; et quand tu seras instruit, enseigne à tes
Compatriotes ; Je ne sais, disait-il, si c’était la voix du grand Capitaine
du ciel, mais je voyais et concevais des choses grandes.
Je tins au commencement tout ce discours pour une rêverie de
Sauvage et j’ai passé plus d’un an sans y faire autre réflexion que
celle que je ferais sur un songe. Mais enfin voyant que ce bonhomme
s’efforçait de nous imiter le plus près qu’il lui était possible, selon sa
condition, voyant sa ferveur à embrasser et publier la foi, quoiqu’il
en soit de cette vision ou de ce songe, j’ai cru que ces bons effets ne
pouvaient provenir que de la Grâce de Jésus-Christ.
Si tôt qu’il eut entendu cette voix, il quitta de soi-même, sans
nous parler car il était bien loin de nous, toutes les folies de sa Nation,
les festins à tout manger, les chants superstitieux ; il quitta même les
choses indifférentes, comme de se peindre le visage, de s’oindre et
de se graisser les cheveux et la face, à la façon des autres Sauvages, il
quitta le pétun dont les Sauvages sont passionnés au-delà de ce qui
s’en peut dire.
Il se mit à prêcher ses gens, disant, qu’il fallait croire en Dieu,
qu’il nous fallait prêter l’oreille, qu’il fallait faire le signe de la Croix ;
c’est, disait-il, tout ce que je sais ; il le faisait à tout propos sans pro-
noncer aucune parole, n’ayant pas encore été instruit. Il parla si bien
aux Sauvages de Tadoussac et quelques-uns du Sagné qu’ils le délé-
guèrent à Québec pour venir quérir quelque Père de notre Compagnie
afin de leur enseigner des prières, c’est ainsi qu’ils parlaient3. »

Charles Meiaskaouat reçut d’abord une révélation au cours d’une


« vision » ou d’un « rêve ». Nous ne connaissons pas les détails de cette
vision, si ce n’est qu’elle mettait en scène une interaction directe entre le
Montagnais et le Capitaine du Ciel et que les Robes Noires – les jésuites
– y jouaient un rôle important. Cette vision fournit à Meiaskaouat le
récit et les principes qu’il entreprit par la suite de diffuser auprès de son
peuple. Et si l’ensemble de ces principes apparaissait en parfaite conti-
nuité avec les exigences des missionnaires catholiques, non seulement

28
L’ÉCRITURE DE CHARLES MEIASKAOUAT

il fit l’objet d’une sélection proprement montagnaise, mais il est aussi


très probable qu’il devait inclure d’autres principes sans rapport évident
avec le catholicisme et que le jésuite préféra taire dans sa Relation.
L’insistance de Meiaskaouat sur certains aspects de la pratique mis-
sionnaire est de ce point de vue révélatrice : il faisait à tout propos le
signe de la croix sans prononcer de parole et il se montrait tout particu-
lièrement intéressé par l’apprentissage des prières catholiques (que les
jésuites avaient traduites en montagnais). Dans les deux cas, le prédica-
teur souhaitait s’approprier les techniques rituelles des missionnaires
qu’il considérait certainement comme les chamanes des Français4.
Il parvint même à convaincre d’autres Montagnais de l’intérêt qu’il pou-
vait y avoir à acquérir ces chants nouveaux issus d’une tradition étran-
gère. Les prières des missionnaires étaient en effet souvent considérées
en continuité avec les chants des chamanes et elles avaient le pouvoir,
comme ces derniers, de favoriser la chasse ou de guérir.
Une anecdote survenue chez les Algonquins voisins et relatée en 1639
constitue un exemple éloquent de ce dernier point :

« Un certain de la petite Nation des Algonquins, ayant assisté aux


prières, et ouï chanter les Litanies des attributs de Dieu, s’imprima
cela si bien dans l’esprit qu’il les demanda par écrit ; ce qui lui étant
accordé, il faisait grand état du papier qui le contenait. […] Étant de
retour en son pays, il assemblait tous les jours ses voisins dans une
grande cabane, pendait ce papier à une perche et tous se mettaient à
l’entour, chantaient ce qu’ils savaient de ces Litanies, s’écriant tous
à Dieu : Chaouerindamaouinan, ayez pitié de nous. Dieu prit plaisir
à leur demande : car la maladie qui les affligeait cessa entièrement.
Ce pauvre homme revenant voir nos Pères rapporta ce papier et puis
se retirant l’hiver dans les bois pour faire sa provision d’élan, en
demanda un autre qu’il respectait en la même façon. […] Étant par
après de retour vers nos Pères, il leur dit que rien ne lui avait manqué,
et que Dieu l’avait mis dans l’abondance5. »

Le récit montre très clairement comment cet Algonquin resté ano-


nyme établissait une continuité complète entre les prières catholiques
traduites en algonquin et les chants chamaniques : que ceux-ci aient
une finalité thérapeutique comme dans le premier cas ou qu’ils soient
destinés à rendre la chasse heureuse comme dans le second. Le rôle du
papier sur lequel était écrite la prière ne doit surtout pas être sous-es-
timé : les Algonquins le considéraient très certainement comme l’équi-
valent des écrits sélectifs de leurs chamanes6 et il créa un précédent
que Meiaskaouat n’eut plus qu’à développer par la suite. En effet, le

29
chapitre i

Montagnais comprit très tôt l’importance de lier la diffusion de ces nou-


velles croyances à une technologie de transmission efficace. Deux pro-
cédés furent particulièrement privilégiés par le prédicateur : les calen-
driers et l’écriture sélective.

Le calendrier rituel
En 1640, Meiaskaouat avait déjà commencé son activité de prédicateur,
cependant la réticence des jésuites à son encontre fit que celui-ci fut
gommé de leur Relation. On y trouve pourtant, pour la première fois, la
mention d’un calendrier dont les missionnaires s’attribuent l’initiative :

« Les neiges étant un peu hautes, nos Sauvages s’en allèrent


dans les bois pour faire leurs provisions de chairs d’Élan ; comme
ils devaient être longtemps [dans les bois], nous donnâmes aux
Chrétiens un calendrier pour reconnaître les Dimanches, afin de
faire leurs prières un petit peu plus longues ces jours-là ; or comme
ils ne savent ni lire, ni écrire, on avait distingué les jours et les Lunes,
et les Fêtes par diverses marques, leur donnant ce papier comme
à l’aventure, pour voir s’ils s’en pourraient servir. Je vous assure
que nous fûmes bien étonnés à leur retour, car nous étant venus
voir, après avoir remercié Dieu en la Chapelle, ils nous apportèrent
leur papier, et nous dirent : Voyez si nous ne nous sommes point
mécomptés, voilà le jour où nous pensons être, firent-ils. Ils ne
s’étaient pas mépris d’un seul jour7. »

Ce passage de la Relation peut paraître anodin, mais il prend une tout


autre dimension si on le place en regard d’autres extraits. Car dès l’an-
née suivante, il est précisé que c’est Charles Meiaskaouat qui était à l’ori-
gine de l’usage de ces calendriers :

« Il nous vint demander un papier, nous priant d’y marquer tous
les jours : Marquez, disait-il, les jours de fête, les jours de travail, les
jours qu’on ne mange point de chair, les jours de jeûne, les jours
que vous jeûnez vous autres, et non pas les Compagnés, c’est ainsi
qu’ils nomment les hommes de travail, car je veux faire entièrement
comme vous. Lui ayant donné ce papier, il remarquait fort bien la dif-
férence des jours8. »

L’important, pour le prédicateur montagnais, était d’utiliser le com-


put du calendrier afin de savoir quels jours il devait jeûner et prier ; la
violation de cet interdit lui semblait être le péché le plus grave9. Trois ans
plus tard, les calendriers montagnais10 étaient devenus une « coutume » :

30
L’ÉCRITURE DE CHARLES MEIASKAOUAT

« Ils ont coutume de demander un papier ou un Calendrier pour


reconnaître les jours qu’on respecte : c’est ainsi qu’ils nomment
les Dimanches et Fêtes. Ils disaient donc que leur coutume était
d’étendre ces jours-là et de mettre en vue une belle grande image
dans la plus belle cabane, d’allumer deux cierges comme on fait dans
nos Chapelles, de s’assembler tous et de chanter des Hymnes et des
Cantiques spirituels, de faire leurs prières à haute voix, et de réciter
leur chapelet, et de prêter l’oreille à ceux qui leur parlent quelquefois
de la prière, c’est-à-dire de la doctrine de Jésus-Christ11. »

Ce passage doit de nouveau être lu entre les lignes. « Ceux qui leur
parlent quelquefois de la prière » sont certainement Meiaskaouat et
les deux « chefs » qui étaient ses disciples12 ; les missionnaires jésuites,
à propos de ces « trois chefs de famille », allèrent jusqu’à écrire qu’ils
« étaient si ardents à se faire instruire qu’ils nous lassaient13 ». On
remarque aussi un usage coordonné des calendriers de papier et des
chapelets ; peut-être qu’à cette époque les premiers étaient réservés
au prédicateur et à ses proches tandis que les seconds étaient diffu-
sés dans l’ensemble de la population. En effet, les jésuites distribuaient
alors beaucoup de chapelets, aussi bien chez les Hurons, où ils avaient
introduit l’usage de leur faire porter « leur chapelet au col comme
une marque de leur Foi14 », que chez les Algonquins et les Montagnais
nomades. Ces derniers avaient certainement remarqué l’analogie entre
ces chapelets et les wampum, les colliers de porcelaine des Hurons et des
Iroquois15, et c’est dans ce contexte qu’il faut interpréter le premier essai
de prosélytisme de Charles Meiaskaouat chez un groupe algonquien
voisin du sien :

« On l’entend aller souvent exhorter les Sauvages à suivre nos


façons de faire : Jetez les yeux, leur fait-il, sur les principaux Français,
sur les Capitaines, sur les Pères, ce sont ceux-là qu’il faut imiter, s’il
y a quelques Compagnés qui ne marchent pas droit, il n’y faut pas
prendre garde, ils ne savent pas tout le Massinahigan, c’est-à-dire le
Livre qui enseigne comme il faut bien se comporter. Si tôt qu’il fut
touché de Dieu, voyant des Sauvages du Sagné arriver à Tadoussac,
il les alla visiter, les exhorta à embrasser la foi dont il n’avait quasi
aucune connaissance et pour ce que les présents sont les paroles de
ce pays-ci, il leur offre un grand collier de porcelaine, pour les enga-
ger à croire en notre Seigneur16. »

31
chapitre i

Le livre des superstitions


Les calendriers que Meiaskaouat demandait chaque été aux jésuites
s’étaient ainsi en quelques années bien acclimatés à la vie rituelle mon-
tagnaise. Mais ce n’est pas tout : dès 1641, le prédicateur ne se contentait
plus des calendriers et des chapelets pour mémoriser et transmettre ses
nouvelles croyances.

« J’ai vu entr’autres Charles, dont je parle maintenant, se bander


si fort pour retenir les prières, qu’il en suait à grosses gouttes en un
temps assez froid. […] Il écrivait, ou plutôt faisait des marques sur de
l’écorce, pour s’imprimer dans l’esprit ce qu’on lui enseignait17. »

Les prières que transcrivait ainsi le prédicateur, pendant son baptême,


étaient le Pater noster, l’Ave Maria et le Credo18. Si Meiaskaouat consi-
dérait son baptême comme une sorte d’initiation chamanique, on ne
s’étonnera pas qu’il ait pu penser que celle-ci devait inclure d’une part
l’apprentissage par cœur d’une série de prières et d’autre part leur trans-
cription sélective sur un rouleau d’écorce. Il s’agit, dans tous les cas, du
premier exemple connu d’usage d’une écriture sélective, probablement
issue d’un procédé traditionnel et conçue dans un contexte chama-
nique, pour encoder des discours religieux catholiques. Cette innovation
devait alors être comprise à la fois comme l’équivalent des textes écrits
par les missionnaires (d’où son nom, Massinahigan, qui signifiait éga-
lement « Livre ») et comme l’adaptation à de nouveaux discours d’une
technique iconographique ou sélective utilisée auparavant dans le cadre
du chamanisme montagnais19. Cette forme d’écriture, dont les principes
nous demeureront hélas largement inconnus, rencontra un réel succès
auprès des Amérindiens de la région, et ce, indépendamment des mis-
sionnaires qui ne s’y intéressèrent pour ainsi dire aucunement.
Jusqu’alors le point de vue des missionnaires restait cependant limité
à la résidence de Sillery où les Montagnais se rendaient chaque année ;
ils devaient faire confiance à Meiaskaouat et à ses proches pour savoir ce
qui se passait effectivement dans les campements hivernaux. La situa-
tion fut notablement modifiée lorsqu’une mission volante, dirigée par
le Père Jacques Buteux, fut déléguée à Tadoussac. Il y devint plus fami-
lier des anciennes et des nouvelles coutumes montagnaises et il en
résulta une nouvelle technique de transmission du savoir catéchétique.
La description, quoique beaucoup plus détaillée que la plupart de celles
que nous passons en revue, est néanmoins une fois encore totalement
décontextualisée, si bien qu’il est difficile de déterminer l’origine, amé-
rindienne ou missionnaire, de cette technologie.

32
L’ÉCRITURE DE CHARLES MEIASKAOUAT

« Le Père, se voulant séparer de ces bons Néophytes, leur laissa


cinq Livres ou cinq Chapitres d’un Livre composé à leur mode ; ces
Livres n’étaient autres que cinq bâtons diversement façonnés, dans
lesquels ils doivent lire ce que le Père leur a fortement inculqué.
Le premier est un bâton noir, qui leur doit faire souvenir de l’hor-
reur qu’ils doivent avoir de leurs nouveautés et de leurs anciennes
superstitions. Le second est un bâton blanc, qui leur marque les
dévotions et les prières qu’ils feront tous les jours, et la façon d’offrir
et de présenter à Dieu leurs petites actions. Le troisième est un bâton
rouge, sur lequel est écrit ce qu’ils doivent faire les Dimanches et les
Fêtes, comme ils se doivent assembler tous dans une grande cabane,
faire les prières publiques, chanter des Cantiques spirituels, et sur-
tout écouter celui qui tiendra ces Livres ou ces Bâtons, et qui en don-
nera l’explication à toute l’assemblée. Le quatrième est le Livre ou
le bâton du châtiment, aussi est-il entouré de petites cordelettes. Ce
Livre prescrit la façon de corriger les délinquants avec amour et cha-
rité : il faut accorder à leur ferveur ce qui est raisonnable et retran-
cher les excès où ils portent aisément. Le cinquième Livre est un
bâton entaillé de diverses marques, qui signifie comme ils se doivent
comporter dans la disette et dans l’abondance, le recours qu’ils
doivent avoir à Dieu, les actions de grâces qu’ils doivent toujours
avoir en sa bonté, notamment pour l’éternité.
Ces pauvres gens se retirant dans les bois, se divisent ordinaire-
ment en trois bandes : le Père a donné au chef de chaque escouade
ces cinq Livres ou ces cinq Chapitres qui contiennent tout ce qu’ils
doivent faire. C’est un plaisir bien innocent de voir ces nouveaux
Prédicateurs tenir ces Livres ou ces bâtons d’une main, en tirer un
de l’autre, le présenter à leur auditoire avec ces paroles : Voilà le
bâton ou le Massinahigan, c’est-à-dire le Livre des superstitions, c’est
notre Père qui l’a écrit lui-même, il vous dit qu’il n’y a que les seuls
Prêtres qui puissent dire la Messe et entendre les Confessions, que
nos tambours, nos sueries et nos frémissements de mamelles, sont
des inventions du manitou ou du mauvais démon qui nous veut
tromper. Et ainsi de tous les Livres de bois, qui leur servent autant
que les volumes les plus dorés d’une Bibliothèque Royale20. »

Le Père Buteux s’attribuait la paternité de ces « livres de bois »,


« c’est-à-dire les marques qui doivent servir de mémoires locales aux
Principaux21 », tout en reconnaissant qu’ils étaient composés « à leur
mode ». Or s’il est probable qu’il ait effectivement exercé son influence
sur leur fabrication, il est certain que ces bâtons avaient pour origine

33
chapitre i

d’une part une technique montagnaise traditionnelle de bâtons garnis


d’entailles et d’autre part l’écriture sélective que Meiaskaouat développa
sur la base des procédés chamaniques. En effet, on retrouve, parmi ces
bâtons, un équivalent du calendrier de papier distribué aux Montagnais
(le bâton rouge) et c’est à partir de l’existence préalable d’une telle
technologie de comput temporel qu’il faut replacer l’enthousiasme de
Charles Meiaskaouat, puis de ses disciples, pour cet artefact catholique.
De plus, comme certains bâtons étaient couverts de « marques » et que
Buteux avait, comme nous allons le voir, une certaine connaissance de
la nouvelle écriture sélective de Meiaskaouat, il est très probable que ces
« livres de bois » avaient pour origine l’œuvre du prédicateur montagnais,
qu’ils en furent la copie exacte ou que le Père jésuite s’en inspira pour la
systématiser.

La propagation de l’écriture sélective de Charles Meiaskaouat


Charles Meiaskaouat fut un bon prosélyte de sa version de la religion
catholique. Peu après sa vision initiale, vers 1639, il partit prêcher auprès
d’autres groupes algonquiens nomades22. Ceux-ci se rapprochèrent alors
progressivement des missions jésuites auxquelles ils rendirent plu-
sieurs visites. C’est au cours d’un de leurs passages à Sillery, en 1642, que
le Père Buteux découvrit la nouvelle écriture catholique. Le prédicateur
montagnais ne s’était pas contenté d’une harangue religieuse, comme
l’eut fait un missionnaire, il leur avait transmis ce qu’il considérait
comme le plus important dans le chamanisme catholique : les prières et
la technique de leur transcription sélective.

« Quand le Père expliquait quelque point, chacun marquait sur ses


doigts si tôt qu’il ouvrait la bouche. C’était un plaisir de les voir tous
lever les mains en l’air et plier les doigts selon le nombre de proposi-
tions qu’il faisait, et comme cela n’était pas assez capable d’aider la
mémoire, la plupart peignait ou faisait des marques sur des écorces
avec de la peinture rouge. À la fin ils persuadèrent au Père de figu-
rer lui-même sur un papier ce qu’il leur devait expliquer : il faisait
donc certaines marques ou lettres qui signifiaient le sens des choses :
chacun voyant le papier attaché au haut de la cabane le dévorait des
yeux : le Père avec une baguette leur montrait ce que voulait dire
chaque lettre ou figure ; après qu’il avait parlé, ceux qui pensaient
avoir compris prenaient la baguette et en répétant faisaient comme
ceux qui expliquent des énigmes23. »

On reconnaît dans ce passage à la fois l’écriture sélective de


Meiaskaouat et l’usage qu’il en faisait au cours des messes tenues dans

34
L’ÉCRITURE DE CHARLES MEIASKAOUAT

les cabanes. Le Père Buteux, sans en avoir nécessairement conscience,


reprenait la technologie mise au point par le prédicateur deux ans plus
tôt. Et comme les Montagnais de Tadoussac, ce groupe algonquien, sous
l’impulsion de leur « capitaine », Paul Ouetamourat, réclama des calen-
driers de papier aux jésuites et les utilisa de la même manière24.
Lorsqu’en 1651, presque dix ans plus tard, le Père Buteux sortit de sa
résidence afin de se rendre, pour la première fois, sur leur territoire, il
découvrit qu’une multitude de techniques de mémorisation des dis-
cours religieux y était en usage et qu’elles étaient déjà bien stabilisées :

« Pour se ressouvenir de leurs péchés, ils apportaient diverses


marques, qui leur tenaient lieu d’écriture. Les uns avaient de petits
bâtons de diverses longueurs, selon le nombre et la grièveté des
péchés ; les autres les marquaient sur de l’écorce avec des lignes plus
longues ou plus courtes, selon qu’ils les jugeaient plus grands ou
plus petits ; les autres sur quelque peau blanche et bien passée d’Ori-
gnac ou de Caribou, comme ils auraient fait sur le papier ; les autres
se servaient des grains de leurs chapelets ; mais ceux qui avaient
marqué leurs péchés chaque jour sur leur calendrier, et qui se
confessaient le parcourant ainsi depuis un an, me donnèrent beau-
coup d’étonnement25. »

Ils mettaient alors en œuvre tout un arsenal technologique pour


comptabiliser et classifier leurs péchés : de petites baguettes, des
marques sur écorce ou sur peau, des grains de chapelet et les calendriers
de papier. C’est le seul exemple qui nous éclaire quelque peu sur l’usage
proprement montagnais de ces calendriers ; d’emblée, il s’inscrit en
continuité avec des formes traditionnelles de comput.
Ce groupe algonquien ne fut pas le seul à adopter les règles, les dis-
cours et les technologies que diffusait Meiaskaouat. En 1643, quatre
années après sa vision, celui-ci se rendit chez les Abénaquis, de l’autre
côté du fleuve Saint-Laurent, et y passa tout l’hiver « à prêcher efficace-
ment la Loi de Dieu26 ». L’année suivante, une délégation d’Abénaquis
vint rendre visite aux jésuites de Sillery ; ces derniers eurent alors la sur-
prise de constater que ces Amérindiens qui n’avaient jamais rencontré
de missionnaire catholique « savaient déjà les Prières et le Catéchisme,
l’ayant appris de Charles Meiaskaouat27 ».
Deux années plus tard, le jésuite Gabriel Druillettes fut envoyé en
mission chez ces Abénaquis. Il y retourna régulièrement et c’est en 1652
qu’il remarqua que ceux-ci avaient adopté l’écriture de catéchèse de
Meiaskaouat.

35
chapitre i

« Quelques-uns écrivaient leurs leçons à leur mode, ils se ser-


vaient d’un petit charbon pour une plume, et d’une écorce au lieu de
papier. Leurs caractères étaient nouveaux et si particuliers, que l’un
ne pouvait connaître ni entendre l’écriture de l’autre ; c’est-à-dire,
qu’ils se servaient de certaines marques selon leurs idées, comme
d’une mémoire locale, pour se souvenir des points, et des articles,
et des maximes qu’ils avaient retenues. Ils emportaient ces papiers
avec eux pour étudier leur leçon dans le repos de la nuit28. »

Et lorsque, quelques vingt ans plus tard, ces Abénaquis, chassés par
les Iroquois et les Anglais, vinrent chercher refuge à la résidence de
Sillery, Jacques Vaultier ne put que constater que cette technique s’était
relativement stabilisée, en dehors de tout enseignement missionnaire :

« Comme [le chef Pirenakki] était âgé et qu’il ne pouvait pas rete-


nir les prières aussi facilement qu’il eût souhaité, il avait inventé
une espèce d’écriture pour soulager sa mémoire. Dans ce but, il
avait fait sur du papier une sorte de figure que lui seul connaissait,
pour représenter la première demande du Pater noster, une autre
pour la seconde, et ainsi du reste ; il prenait incessamment ce papier
la nuit et le jour, d’une façon fort aimable et comme en se divertis-
sant, la prière qu’il avait écrite, pour se la mieux imprimer dans la
mémoire29. »

L’histoire de la propagation de l’écriture sélective de Charles


Meiaskaouat se reconstruit donc à l’insu des missionnaires qui nous
l’ont rapportée. Chaque fois qu’ils la rencontrèrent, ils y virent une inno-
vation idiosyncrasique ; et pourtant il est possible de reconstituer ses
principales lignes de diffusion. L’adaptation de l’écriture sélective au
catéchisme et aux prières apparaît clairement comme une invention de
Meiaskaouat qui eut lieu entre 1639 et 1641. Il la fit connaître à un groupe
algonquien voisin à cette époque, soit sur le Sagné, soit à Sillery, de telle
sorte que ce dernier l’utilisait dès 1642. Enfin, au cours de sa mission de
1643 chez les Abénaquis, il leur transmit également sa nouvelle tech-
nique, qui était restée en usage en 1652, lorsque Druillettes la remarqua.
Cette écriture de catéchèse, jointe aux calendriers de papier ou de bois,
constitue le premier exemple connu d’une invention d’écriture par un
Amérindien30 ; les chapitres suivants montreront qu’il fut loin d’être un
cas isolé.

36
Chapitre ii

LE GRAND LIVRE DE NEOLIN,


VISIONNAIRE DELAWARE

5 juillet 1754 – Susquehanna – Un livre indien


Au début de l’été 1754, le missionnaire morave John Martin Mack partit
de la mission de Gnaddenhütten pour rendre visite aux villages amérin-
diens de la vallée du Wyoming, un affluent du fleuve Susquehanna1. Au
cours de cette brève expédition, Mack apprit que ses ouailles mohicans
et delawares venaient de recevoir un message des Iroquois leur intimant
d’envoyer une ambassade au village d’Onondaga afin de régler des ques-
tions territoriales et d’obtenir l’autorisation de recevoir des instructeurs
religieux2. Il rencontra aussi un « Indien » qui le convainquit de l’intérêt
que les peuples de la région portaient à la parole de ce qu’il nommait le
« vrai Dieu3 » :

« Il portait un Livre indien et prétendait que tout était à l’inté-


rieur : tout ce qu’ils devaient savoir, à propos de Dieu, du monde, des
hommes, du gibier, de la chasse et d’autres choses encore. Ce livre
avait probablement été écrit par un Indien qui avait appris à lire et
écrire auprès des missionnaires et qui s’en était ensuite retourné
dans le paganisme4. »

Il s’agit de la première mention d’un « livre indien » rencontré


par un Européen dans cette région du nord-est de l’Amérique. À quel
peuple appartenait cet Amérindien ? Aux Delawares, aux Mohicans,
aux Nanticokes5 ? On ne le saura pas. Quelle forme avait ce livre ? Que
contenait-il ? Faisait-il usage de l’écriture latine comme le suggère la
deuxième partie de ce témoignage ou ne comportait-il que des figures
dessinées comme semble l’indiquer la première partie ? Est-ce l’Amérin-
dien ou le missionnaire qui appela ce document un « livre » ? Quelle était
sa fonction ? Ces questions resteront sans réponse ; tout au plus pour-
ra-t-on, dans les pages qui suivent, en rassemblant quelques fragments
d’une chronologie des livres amérindiens de la région, voir dans ces
lignes un énigmatique point de départ.

37
chapitre ii

24 juillet 1754 – Onondaga –


Une lettre nanticoke
Il y avait tout juste trois jours que les missionnaires moraves
Frederick Post et David Zeisberger étaient arrivés dans le village iro-
quois d’Onondaga qu’ils connaissaient bien. La veille, ils avaient expli-
qué aux chefs, qui s’enquéraient des raisons de leur présence, qu’ils
n’étaient pas venus voler leurs terres et qu’ils souhaitaient apprendre
leur langue pour leur faire connaître ainsi les paroles du Créateur. Les
chefs avaient accepté le wampum que Zeisberger leur offrait, une cein-
ture de porcelaine faisant office de gage de sincérité.
Ce jour-là, Frederick Post nota dans son journal l’événement suivant :

« Les chefs se réunirent dans notre maison et délibérèrent lon-


guement au sujet d’un grand nombre de ceintures et de branches de
wampum, en particulier sur l’une d’elles envoyée par les Nanticokes
et traitant de l’excessive consommation d’alcool par les Indiens ; des
représentations, par la parole aussi bien que par l’écriture, furent
faites les priant de prendre des mesures afin de faire barrage à cette
vague de mal. Sur ce, le conseil se dispersa. Ils se réunirent à nou-
veau au cours de la soirée, en compagnie de huit ou neuf femmes.
Les femmes se chargent en général de l’approvisionnement de rhum,
elles devaient donc être des auditrices attentives.
Tels étaient les arguments des Nanticokes : Il apparaît qu’il n’y a
aujourd’hui que peu d’Indiens là où ils furent autrefois nombreux.
La cause de cette diminution est leur abus d’alcool. Que les Indiens
tentent de se passer de rhum durant quatre années successives et ils
seront étonnés de l’augmentation de leur population et de la raré-
faction des maladies et des morts survenues avant l’heure. Tout cela
résulte de la consommation de rhum, qui est la première cause de
famine parmi eux, car ils ne plantent pas leur récolte en temps voulu.
Leurs arguments étaient aussi ponctués par une lettre écrite sur
du bois avec de la peinture noire dans laquelle un trait représen-
tait Dieu ; un second une ville ; un troisième le Diable ; un quatrième
l’enfer, etc. Elle montrait qu’il était tout à fait inutile de boire en
secret, de cacher son alcool dans la forêt ou dans tout autre endroit
et de dire à un bon ami : “Viens avec moi à tel ou tel endroit ; j’y ai
conservé du rhum et nous allons nous réjouir”6. »

Cette lettre de bois nanticoke était peut-être le livre indien aperçu par
John Martin Mack deux semaines plus tôt dans la vallée du Wyoming,
historiquement contrôlée par les Iroquois et naturellement reliée au vil-
lage d’Onondaga. Dans un cas comme dans l’autre, si les missionnaires

38
LE GRAND LIVRE DE NEOLIN

parlèrent « d’écriture », leurs descriptions sont suffisamment floues


pour que l’on puisse penser que le terme devait s’entendre en un sens
très général. Ces séries de figures – Dieu, monde, hommes, gibier ou
Dieu, ville, diable, enfer – ne s’apparentaient probablement à une écri-
ture que dans la mesure où elles étaient liées de manière systématique à
un discours inspiré et moralisateur qu’elles inscrivaient, qu’elles « ponc-
tuaient ». Il est également possible de penser, en anticipant un peu sur
les analyses à venir, que c’étaient les Amérindiens eux-mêmes qui utili-
saient les termes d’écriture, de livre et de lettre lorsqu’ils se référaient à
ces inscriptions.
Le conseil iroquois réuni ce jour-là à Onondaga ne trouva pas de posi-
tion commune concernant cette affaire : le message, ainsi que son sin-
gulier support, furent laissés de côté. Quelques semaines plus tard, la
guerre opposant, entre autres, les Anglais aux Français faisait rage dans
toute la région7, rendant problématiques les velléités missionnaires
des Moraves et raréfiant leurs témoignages sur ces premiers livres
amérindiens.

2 juin 1760 – Susquehanna –


Le livre d’images d’un vieux prêtre delaware
Au cours de l’été 1760, Teedyuscung, le « roi » delaware, accompa-
gné du missionnaire morave Frederick Post et du lieutenant de milice
John Hays, entreprit une nouvelle expédition diplomatique dans la val-
lée de l’Ohio, afin de rallier les peuples de la région au gouverneur
de Pennsylvanie8. Tous trois séjournaient depuis un peu plus d’une
semaine dans le village delaware d’Atsingnetsing, une étape sur leur tra-
jet, lorsque John Hays écrivit dans son journal :

« Le vieux prêtre fait la tournée des maisons chaque matin et il


prononce même un genre de prière qu’il conserve dans un livre
d’images qu’il a fabriqué lui-même ; dans lequel il y a le paradis et
l’enfer et le rhum et le cygne et les Indiens et des lignes droites pour
le rhum ; et il lit dedans comme un insensé le matin et il chante au
soleil levant9. »

Malgré sa syntaxe rudimentaire, la description se fait plus précise :


si l’artefact en possession du vieux prêtre est à nouveau spontanément
qualifié de « livre » qu’il est possible de « lire », Hays ajoute immédiate-
ment qu’il n’est composé que d’images. Certaines semblent esquisser un
genre de carte situant les uns par rapport aux autres le paradis et l’enfer,
les Indiens et les Blancs (c’est ainsi qu’il faut entendre le terme « cygne »
dans ce contexte) ; d’autres n’apparaissent guère que comme de simples

39
chapitre ii

traits : leur décompte précis était-il essentiel ? S’agissait-il des « péchés »


des Indiens, le rhum en étant le plus exemplaire ? Le plus important
dans cet extrait est peut-être la mention de la relation qui unit ce « livre »
aux « chants » du prêtre : un discours rituel y apparaît inscrit dans un
document, phénomène suffisamment étonnant chez les Amérindiens
de la région pour que le milicien prit la peine de le noter. D’ailleurs, le
lendemain, son journal continuait ainsi :

« Le prêtre du village garde le compte de la semaine pour tout le


monde ; il travaille cinq jours et chôme le sixième jour ; pour gar-
der ce compte, il possède un petit bâton percé de douze trous et il le
remonte d’un trou chaque matin ; et il lit son livre d’images jusqu’à
midi puis il s’en retourne travailler10. »

L’expert rituel delaware complétait donc son arsenal mnémotech-


nique par un calendrier, de la même manière que Charles Meiaskaouat,
le prédicateur montagnais, associait prière transcrite sélectivement et
calendrier. Dans les deux cas, il s’agissait de repérer le jour de la semaine
durant lequel la cérémonie devait avoir lieu : si Meiaskaouat se confor-
mait aux calendriers écrits et à la semaine de sept jours des mission-
naires jésuites, le « vieux prêtre » delaware, à un siècle de distance, com-
binait une technique locale (le bâton percé de trous) à une semaine
de six ou de douze jours. Par ailleurs, chaque jour était marqué par un
trou du calendrier qui correspondait à une récitation du discours rituel
« contenu » dans le « livre d’images ». C’est probablement au sixième ou
au douzième jour de ce calendrier que se tint la grande cérémonie col-
lective dirigée par le prêtre11.
Car en effet, quelques jours plus tôt, le village d’Atsingnetsing avait
accueilli une grande réunion d’Amérindiens de la région qui souhai-
taient, selon les mots de Frederick Post, « raviver un ancien rassemble-
ment trimestriel qui avait été abandonné depuis de nombreuses années,
au cours duquel ils se racontaient les uns aux autres les rêves et les révé-
lations qu’ils avaient eu durant leur enfance ainsi que la force et le pou-
voir qu’ils en avaient retiré12 ». La cérémonie avait été conduite par le
« vieux prêtre » les 24 et 25 mai, de jour comme de nuit ; les descriptions
hostiles de Post et de Hays parlent de peintures corporelles, de danses
autour de la maison cérémonielle, de chants, de hurlements, de réci-
tations de visions, de salutations au soleil, de solennelles poignées de
main et de commensalité rituelle13. La cérémonie s’inscrivait dans la
continuité des canticos14 ou kentekey15, les dispositifs rituels tradition-
nels des Delawares, aujourd’hui assez bien documentés, auxquels s’ajou-
taient peut-être de nouveaux éléments (comme la poignée de main)

40
LE GRAND LIVRE DE NEOLIN

sans qu’il soit véritablement possible, ni nécessairement très intéres-


sant, de trancher.
Six ans séparent les « écritures » nanticokes, où figuraient Dieu et
l’enfer, de ce livre delaware, où l’on retrouve le paradis et l’enfer, mais
auxquels se superpose une opposition entre Indiens et Blancs (les
« cygnes »). Il y fut à chaque fois question d’alcool et tous deux don-
nèrent lieu à de longs discours moralisateurs dont la teneur semble
avoir clairement été de nature eschatologique. En ce qui concerne le
prêtre delaware, ces discours revêtaient un aspect cérémoniel marqué :
des « prières » devaient être récitées, ou « lues », tous les matins, lors
de la tournée des maisons du village. Si ce prêtre dirigeait une cérémo-
nie somme toute assez traditionnelle dans le contexte delaware, le fait
que son récit de vision prenne la forme d’un discours moralisateur s’ap-
puyant sur une cartographie eschatologique matérialisée par un livre
d’images était, quant à lui, assez singulier. S’il faut accorder quelque cré-
dit à Frederick Post lorsqu’il écrit que la cérémonie avait été laissée de
côté depuis plusieurs années, alors il est possible que le prêtre ait innové
en conférant une nouvelle finalité à un ancien rituel dont les éléments
liturgiques restaient à peu près inchangés : il s’agissait dorénavant d’ac-
complir la cérémonie en fonction d’une nouvelle perspective eschatolo-
gique établissant des distinctions nettes entre le paradis et l’enfer et sta-
tuant sur les manières de parvenir à l’un ou à l’autre. Ce faisant, le prêtre
delaware intégrait dans la cérémonie, très probablement sous la forme
d’un récit de vision, des éléments issus du christianisme – que ceux-ci
lui soient parvenus par l’intermédiaire de colons, de missionnaires ou
d’autres prédicateurs amérindiens, tel que le Nanticoke que nous avons
croisé.
On commence alors à entrevoir l’importance du « livre d’images » :
c’était la matérialisation iconographique d’une vision nouvelle au sta-
tut nouveau. Cette vision eschatologique prenait la forme d’un discours
prosélyte qu’il convenait de diffuser au plus grand nombre. L’associer à
une forme matérielle graphique, c’était à la fois se donner les moyens de
la mémoriser sous une forme poétique systématisée (« chantée ») et lui
conférer le statut prestigieux que les Amérindiens accordaient alors aux
livres des Blancs16.

15 octobre 1762 – Ohio – Le grand livre du prophète Neolin


Depuis à peu près une année, le quaker James Kenny avait la charge
de l’échoppe commerciale du commissariat aux Affaires indiennes du
Fort Pitt, récemment arraché aux Français. Situation commerciale et
militaire stratégique dans la vallée de l’Ohio, c’était depuis ce fort que
Kenny observait les allers et venues des Amérindiens de la région, en

41
chapitre ii

particulier des Delawares dont il faisait l’effort d’apprendre la langue.


Dans son journal, il nota ce 15 octobre :

« Je crois avoir déjà mentionné l’imposteur qui est apparu parmi
les Delawares afin de leur montrer le vrai chemin du paradis. Ce plan
est dessiné soit sur une peau préparée, soit sur du papier ; la terre
y est en bas et le paradis en haut, une ligne droite joignant l’un à
l’autre, celle que leurs ancêtres empruntaient pour s’élever jusqu’au
bonheur. Vers le milieu, il y a un genre de grand carré interrompant
perpendiculairement ce chemin vers le bonheur et représentant les
Blancs ; autour il y a un grand carré formé de traits noirs circonscri-
vant l’ensemble à l’intérieur ; et vers la gauche, depuis l’habitat des
blancs, sont figurés plusieurs traits parallèles au carré ou à l’endroit ;
tous ces traits représentent des péchés et des vices que les Indiens
ont découverts à l’arrivée des Blancs et ils doivent maintenant tous
passer par là puisque la bonne route a été bloquée. L’enfer n’en est
pas très éloigné, ils y sont conduits irréversiblement. On dit que la
doctrine qui y est contenue et la manière d’y parvenir consistent à
apprendre à vivre sans commerce ni relation avec les Blancs, à s’ha-
biller et à survivre comme leurs ancêtres ; on dit aussi que l’impos-
teur prédit la survenue de deux ou trois bons conseils suivis d’une
guerre ; ces dires les convainquent tellement qu’ils ont presque tous
arrêté de chasser pour autre chose que pour leur subsistance17. »

Il n’observa toutefois l’usage de ce « plan » que le mois suivant lors-


qu’il écrivit :

« L’Indien Simon est arrivé ici, avec son fils, en provenance de


Cuscuskies ; il a dormi à la maison ; il m’a montré son livre qui
contient leur nouvelle religion ; il s’agissait d’une faveur que je pense
aucun Blanc n’a reçue en dehors de moi ; il m’a dit qu’il était mainte-
nant devenu un ministre pour les Indiens de Cuscuskies ; il a aussi
dit ses prières à l’aide de son livre, ce que j’ai considéré comme une
grande idolâtrie puisqu’il semblait adorer l’image du fils ou du petit
Dieu situé tout en haut ; il n’y a pas d’image de Grand Être, il dit que
celui-ci est plus haut18. »

Comme en 1760 à Atsingnetsing, un Delaware, « l’imposteur » dont


parle Kenny, a obtenu une nouvelle vision, une « nouvelle religion », et
il souhaite en diffuser le récit à son peuple. Son contenu semble iden-
tique : il y est question de la topographie du destin post-mortem des
Amérindiens telle qu’elle a été observée par le visionnaire, de leurs

42
LE GRAND LIVRE DE NEOLIN

péchés et de leurs relations conflictuelles avec les Blancs19. Cette nou-


velle religion intrigua suffisamment le commerçant quaker pour qu’il
s’en enquière auprès de son ami le missionnaire morave Frederick Post
qui résidait maintenant dans la vallée de l’Ohio : « Reçu une lettre de
Frederick Post qui m’expose ce qu’il pense de la nouvelle religion que
l’imposteur diffuse parmi les Indiens ; il dit que l’imposteur leur dit qu’il
a obtenu une vision du paradis dans lequel il n’y avait pas de Blanc, seu-
lement des Indiens ; il désire une séparation totale d’avec nous et pour
ce faire encourage les Indiens à agresser les commerçants20. » Ce grand
prophète delaware se nommait Neolin21.
Le récit de cette vision du paradis nous est parvenu22 : une version
exceptionnellement détaillée a été couchée sur le papier par un notaire
de Détroit à partir des paroles du chef de guerre ottawa Pontiac23 [voir
annexe]. Neolin, qualifié de « sauvage de la nation Loup24 », avait décidé
d’entreprendre un voyage au paradis, la résidence du Maître de la vie
– « c’est ainsi que tous les sauvages appellent le Bon Dieu », précise le
notaire. Au terme d’une longue marche, il découvrit une « montagne
d’une merveilleuse blancheur » qu’il gravit laborieusement, suivant
les conseils « d’une femme dont la beauté éblouissait ». Au sommet de
la montagne, il rencontra « le Maître de la vie qui le prit par la main et
lui donna un chapeau tout bordé en or pour s’asseoir dessus ». Le Bon
Dieu lui tint alors un long discours, lui intimant de chasser les Blancs
de la région, de cesser d’emprunter leurs coutumes qui étaient autant
de péchés dangereux et de revenir à un mode de vie « traditionnel »,
quelque peu idéalisé. Pour finir, il lui communiqua une nouvelle prière
rituelle, le chargeant de la diffuser auprès de son peuple afin que celui-ci
puisse de nouveau s’adresser au Maître de la vie.
Cette vision de Neolin semble donc avoir joué le même rôle que celle
du vieux prêtre en 1760 : elle conférait une nouvelle finalité au dispositif
rituel traditionnel des Delawares. On sait en effet que la « nouvelle reli-
gion » de Neolin comportait également une activité rituelle complexe
que le quaker James Kenny, qui en avait entendu parler, rapporta dans
son journal : « On dit que dans leurs villages les Indiens organisent des
fêtes tous les jours maintenant et qu’ils accomplissent leurs nouvelles
dévotions en dansant, en chantant et parfois en s’agenouillant et en
priant (dit-on) un petit Dieu qui récupère leurs pétitions et les transmet
au Grand Être qui est trop haut et trop puissant pour que l’on puisse lui
parler directement ; ce petit Dieu vit quelque part aux alentours de chez
eux25. » Certaines cérémonies comportaient également l’usage d’un
émétique afin de se purifier de ses péchés26.
Et de nouveau, c’est l’aspect qui nous intéresse au premier chef, le
discours rituel du prophète était inscrit dans un « livre ». Mais cette

43
chapitre ii

fois-ci la description se fait encore plus précise : on découvre que le livre


était un « plan », une carte représentant le Chemin du paradis. La ligne
droite qui menait de la Terre au Ciel y était interrompue par les Blancs
obligeant les Delawares à emprunter les voies des péchés et des vices
qui toutes pouvaient conduire à l’Enfer, situé à la gauche du Paradis.
D’un point de vue iconographique, la continuité était grande entre cette
nouvelle carte et les différents livres que nous avons rencontrés au cours
des années précédentes : topographie eschatologique semblable ou
encore même usage d’une série de traits pour indiquer les « péchés ». De
plus, certaines fonctions de l’artefact semblaient rester identiques : le
plan permettait de mémoriser des « prières » et il conférait une autorité
livresque à un nouveau savoir visionnaire.
La transcription du récit de vision de Neolin par le notaire de Détroit
contient aussi un élément original : lorsque le prophète s’entretint avec
Dieu, le Maître de la vie, celui-ci lui confia son enseignement dans un
livre – « Voilà une prière que je te donne par écrit, pour l’apprendre
par cœur et pour l’apprendre aux sauvages et aux enfants27 ». On peut
déduire de ce passage non seulement que c’était Neolin lui-même qui
pensait sa carte comme un « livre écrit » mais aussi que cette « écriture »
était dotée d’une origine divine : le prophète ne faisait que recopier un
« livre » qui lui avait été transmis par Dieu.
Finalement, le témoignage de James Kenny fait apparaître une dis-
continuité majeure dans la manière dont furent utilisés les « livres »
delawares en 1760 et en 1762. Si le vieux prêtre d’Atsingnetsing était le
seul à « lire » son livre et à en chanter les prières, Neolin, quant à lui, sou-
haita, probablement sur les injonctions de son Dieu, diffuser au maxi-
mum à la fois ses prières et le livre qui les contenait – activité prosé-
lyte qui apparaît, dans ce contexte, tout à fait nouvelle. C’est pourquoi
il exista de multiples exemplaires de ce plan, sur papier ou sur peau,
et qu’un Delaware comme Simon put se considérer comme l’un des
ministres du prophète. Ce prosélytisme était toutefois entièrement
orienté vers les Amérindiens : lorsqu’il eut l’occasion de voir le livre
delaware, Kenny avait tout à fait conscience qu’il s’agissait là « d’une
faveur que je pense aucun Blanc n’a reçue en dehors de moi28 ».
On trouve néanmoins un autre témoignage sur ces instructions
« écrites » du Maître de la vie inséré dans le récit que John M’Cullough
a laissé de sa période de captivité chez les Delawares. À l’époque des
faits, il devait avoir environ treize ans ; ce n’est qu’aux alentours de 1806,
vingt-quatre ans plus tard, qu’il rédigea ses souvenirs :

« Mon frère [adoptif] était parti à Tus-ca-la-ways, à environ qua-


rante ou cinquante miles, pour voir et écouter un prophète qui

44
LE GRAND LIVRE DE NEOLIN

venait tout juste d’apparaître parmi eux ; il appartenait à la nation


Delaware ; je ne l’ai jamais vu ou entendu. Ceux qui l’avaient vu
disaient qu’il possédait certains hiéroglyphes tracés sur un mor-
ceau de parchemin représentant la mise à l’épreuve à laquelle les
humains étaient soumis durant leur existence sur Terre et expri-
mant aussi quelque aspect de la condition future. Ils m’ont dit qu’il
pleurait presque constamment lorsqu’il les haranguait29. »

On retrouve de nouveau l’association constante entre les harangues


cérémonielles du prophète Neolin et les « hiéroglyphes tracés sur un
morceau de parchemin » dessinant une carte eschatologique.

« J’ai vu une copie de ces hiéroglyphes puisqu’ils étaient nom-


breux à les avoir fait copier afin de prêcher ou d’instruire les autres.
La première chose transmise (leur doctrine principale) était la purifi-
cation de leurs péchés aux moyens d’émétiques et de l’abstinence de
tout contact charnel avec l’autre sexe. […] Ils disaient aussi que leur
prophète leur avait appris, ou fait croire, qu’il avait obtenu ses ins-
tructions directement de Keesh-shé-la-mil’-lang-up, un être qui nous
avait créé par la pensée, et qu’en suivant ces instructions ils devien-
draient, en quelques années, capables de chasser les Blancs hors de
leur pays. […] Je pourrais insérer ici de nombreux autres principes
qui, disaient-ils, leur avaient été transmis par leur prophète ; mais je
les laisserai de côté afin d’annoter une copie de leurs hiéroglyphes,
sans les expliquer autrement que brièvement30. »

L’illustration [figure 1] ainsi que la description qui suivent ne pro-


viennent pas du manuscrit de M’Cullough conservé aux archives de
l’État de Pennsylvanie31. Publiés par Archibald Loudon en 1808, leur
auteur est resté inconnu ; cependant, la proximité étonnante entre ces
documents et le témoignage, alors inédit, du quaker James Kenny nous
paraît garantir leur valeur. S’il est clair que l’illustration comme son
commentaire n’offrent qu’un regard extérieur, sans souci d’exactitude
et implicitement polémique (le prophète serait influencé par les catho-
liques français) sur le grand livre de Neolin, ils n’en demeurent pas
moins importants :

« Ils disaient que tous ceux qui étaient du côté droit de la sur-
face quadrangulaire, ou monde (représenté sur la planche opposée),
allaient immédiatement au paradis après leur mort – ainsi qu’une
partie de ceux qui étaient en haut à gauche ; ceux qui étaient dans
le carré en bas à gauche étaient ceux qui étaient définitivement

45
figure 1
Le grand livre du prophète Neolin
LE GRAND LIVRE DE NEOLIN

damnés, ils allaient immédiatement sur la route conduisant à l’en-


fer. Les endroits marqués A, B, C sont ceux où les damnés doivent
endurer diverses punitions avant d’être admis au paradis – cha-
cun de ces endroits est une flamme de feu – l’endroit situé à droite
de la ligne, ou du chemin du paradis, marqué D, signifie une source
d’eau pure, où ceux qui ont été punis aux endroits susdits s’arrêtent
pour étancher leur soif, après avoir enduré une purification par le
feu (ce témoignage semble indiquer qu’ils avaient pris connaissance
de la doctrine papiste du purgatoire). Il convient d’observer que les
endroits marqués A, B, C différaient (disaient-ils) par leur degré de
chaleur : quand la taille de la marque ou du hiéroglyphe diminue, la
chaleur augmente d’environ un tiers – le premier est moins chaud
d’un tiers que le second, la même proportion séparant le second du
troisième32. »

C’est aussi tardivement, en 1818, que le missionnaire morave John


Gottlieb Ernest Heckewelder publia également une description de ce
qu’il nommait la « carte » des Delawares. Il s’appuyait alors sur de loin-
tains souvenirs et très probablement sur les notes manuscrites de ses
collègues :

« Il y avait en 1762 un fameux prédicateur de la nation des


Delawares qui résidait à Cayahaga, près du lac Érié et qui voyageait
dans l’intérieur pour persuader aux indiens qu’il avait été désigné
par le grand esprit pour leur enseigner les choses qui lui étaient
agréables et leur indiquer les offenses qui leur avaient attiré sa dis-
grâce et les moyens par lesquels ils pourraient par la suite rega-
gner ses faveurs. Il avait tracé d’après les ordres du Grand-Esprit une
espèce de carte géographique sur un morceau de peau de chevreuil
ressemblant à du parchemin qu’il appelait le grand livre ou l’Écriture.
Il avait, ajoutait-il, reçu l’ordre de le montrer aux indiens afin qu’ils
pussent voir la situation dans laquelle le grand manitou les avaient
originellement placés, les malheurs qu’ils s’étaient attirés par leur
négligence à remplir leurs devoirs, et la seule voie qui leur restait de
recouvrer ce qu’ils avaient perdu. Il tenait cette carte devant lui tan-
dis qu’il prêchait et leur indiquait fréquemment avec son doigt des
marques particulières qui y étaient tracées dont il leur expliquait la
signification33. »

La description est cette fois très claire et les détails pertinents


abondent, le parallèle avec la Bible étant ce qui avait le plus marqué le
missionnaire morave. D’où son insistance sur les noms que Neolin

47
chapitre ii

donnait à ses cartes cosmographiques, « le Grand Livre » ou « l’Écriture » ;


d’où aussi sa remarque sur le fait que la carte avait été tracée « d’après
les ordres du Grand-Esprit » et que son origine était donc surnaturelle ;
d’où enfin sa description du prophète en prêche le doigt pointé sur son
manuscrit. Toutefois, le quaker James Kenny l’avait noté, rares furent
les Blancs qui eurent la possibilité d’observer ces livres ; et encore plus
rares furent ceux qui obtinrent quelques explications des figures qu’ils
contenaient. À lire les commentaires qui suivent, il semble bien que les
Delawares n’eurent jamais l’intention de partager cette partie de leur
savoir avec Heckewelder.

« Cette carte avait environ quinze pouces carrés, ou peut-être un


peu plus. En dedans, était un carré formé par des lignes, ayant cha-
cune à peu près huit pouces. Deux de ces lignes néanmoins laissaient
aux coins un espace non fermé. En travers de ces lignes intérieures,
il en avait tracé d’autres d’environ un pouce ; il avait aussi fait plu-
sieurs autres marques, pour représenter une barrière inaccessible,
destinée à empêcher ceux du dehors d’entrer dans l’espace intérieur,
autrement que par l’endroit désigné à cet effet. De la manière dont il
tenait la carte, les coins qui n’étaient pas fermés se trouvaient placés
à sa gauche, l’un au nord-est, et l’autre au sud sud-est.
En expliquant les différentes marques qu’il indiquait toujours
avec son doigt, il appelait l’espace qui se trouvait en dedans des
lignes intérieures, “les régions célestes” ou l’endroit désigné par le
Grand-Esprit pour la demeure des Indiens dans une vie future ; il
disait, que l’espace laissé ouvert au coin sud sud-est, était l’avenue
par laquelle il était difficile et dangereux d’entrer, le chemin étant
rempli d’obstacles, ainsi que d’un large fossé conduisant à un préci-
pice au-dessus duquel il leur faudrait sauter ; que le malin esprit veil-
lait continuellement dans cet endroit pour s’emparer des Indiens ;
que ceux qu’il attrapait ne pouvaient plus s’échapper, et étaient
conduits dans ses domaines, où on ne rencontrait que la plus grande
misère, où le terrain était toujours desséché faute de pluie, où les
fruits ne venaient jamais à maturité, où le gibier était étique faute de
pâture, et où le mauvais esprit les transformait à plaisir en chiens et
en chevaux, pour être montés par lui ou le suivre dans ses chasses
partout où il allait.
L’espace en dehors de ce carré intérieur était destiné à représenter
le pays donné aux Indiens pour y jouir de la chasse et de la pêche, et
y demeurer tant qu’ils seraient de ce monde ; et le côté oriental était
l’océan ou le grand lac d’eau salée. Alors le prédicateur, attirant par-
ticulièrement l’attention de ses auditeurs, leur disait : “Regardez ici !

48
LE GRAND LIVRE DE NEOLIN

Voyez ce que nous avons perdu par notre négligence et notre déso-
béissance, en ne témoignant pas au Grand-Esprit notre gratitude
pour les bienfaits dont il nous a comblés, en négligeant de lui offrir
les sacrifices convenables, en regardant des hommes d’une couleur
différente de la nôtre, et venus d’au-delà du grand lac, comme s’ils
étaient nos frères, en leur permettant de s’asseoir auprès de nous,
en voyant avec indifférence qu’ils s’emparaient non seulement de
notre pays, mais aussi de notre avenue (en montrant sur la carte
l’espace laissé ouvert au nord nord-est), oui, de cette avenue qui
conduit à ces régions délicieuses qui nous étaient réservées. Telle est
la triste condition à laquelle nous sommes réduits. Qu’avons-nous
à faire maintenant, et comment réparerons-nous tous ces maux ?
Je vais vous le dire, mes amis, écoutez ce que le Grand-Esprit m’a
ordonné de vous communiquer ! Il faut que vous offriez des sacri-
fices de la manière que je vous indiquerai, que vous vous défassiez
entièrement des habitudes que vous avez contractées depuis que
les blancs sont parmi nous ; il faut que vous reveniez à cet état heu-
reux qui nous procurait la paix et l’abondance, avant que ces étran-
gers fussent venus nous troubler, et par-dessus tout, que vous vous
absteniez de boire de ce beson mortel qu’ils nous ont apporté, afin
de satisfaire leur avarice et pour diminuer notre population. Alors
le Grand-Esprit fera prospérer nos armes, alors il nous donnera la
force de vaincre nos ennemis, de les repousser de notre territoire et
de reconquérir le passage qu’ils nous ont enlevé et qui conduit aux
célestes régions.” […]
Il concluait ordinairement ainsi : “Maintenant, mes chers amis,
afin que ce que je viens de vous dire reste gravé dans votre esprit,
et pour vous en rafraîchir la mémoire de temps en temps, je vous
conseille de vous pourvoir, au moins dans chaque famille, d’un livre
pareil à celui-ci, j’aurai soin de vous le procurer, pourvu que vous
m’en apportiez le prix qui est seulement une peau de daim, ou deux
peaux de daines.” On apportait le prix demandé et on obtenait le
livre. Dans quelques-unes de ces cartes, il avait placé dans les régions
célestes, ainsi que dans celles du mauvais esprit, la figure d’un che-
vreuil et celle d’un dindon ; mais les premiers paraissaient gras et en
bon état, tandis que les autres n’avaient que la peau sur les os34. »

Même en tenant compte de la qualité très variable de leurs


comptes rendus respectifs, il apparaît clairement que James Kenny,
John M’Cullough, l’anonyme auteur de la gravure et du commentaire
insérés dans son récit ainsi que John Heckewelder décrivirent tous
le même « livre » fabriqué et distribué par le même prophète delaware,

49
chapitre ii

Neolin. Les trois premières relations sont les plus proches les unes des
autres mais il est certain que le missionnaire morave avait vu un docu-
ment semblable, même si son interprétation paraît fantaisiste, ce dont
il ne faut pas s’étonner, nous avons vu pourquoi. Examinons donc l’en-
semble des traits qui sont communs à chacune de ces descriptions.
D’abord de quoi est-il question ? D’un « livre » ou d’un « plan » selon
les mots du commerçant quaker, de « hiéroglyphes » selon l’ancien captif
des Delawares. Quant à Heckewelder, même s’il préfère le terme « carte
géographique », il est le seul à nous offrir la traduction du nom que les
Delawares eux-mêmes utilisaient pour se référer à ces inscriptions : le
« Grand Livre » ou les « Écritures ». On retrouve cet usage dans le récit
de Pontiac qui précise également que ces « écrits » furent directement
transmis par Dieu, par le Maître de la vie, et que l’origine de ces livres
était donc surnaturelle – ce que confirme Heckewelder selon lequel le
prophète avait tracé ces cartes « d’après les ordres du Grand-Esprit ».
À quoi ressemblaient ces livres ? Ils avaient la forme d’une grande
feuille de papier ou d’un parchemin carré ; au centre de ce cadre qua-
drangulaire était dessiné un autre carré ; le tout était orienté selon un
axe vertical et la partie gauche comportait diverses figures. Il s’agit là
des seuls éléments qui font consensus, ensuite les interprétations diver-
gent. Celle de James Kenny nous semble la plus claire, et, dans la mesure
où elle est très proche de celle du pseudo M’Cullough, elle sera utilisée
comme référence. L’axe vertical y réunit la terre au paradis au moyen
d’un chemin eschatologique vertical (« le vrai chemin du paradis ») ; ce
chemin est interrompu par un carré, symbole associé au monde des
Blancs, à partir duquel surgissent une multitude de chemins plus tor-
tueux dont certains se perdent vers la gauche de la carte, c’est-à-dire
vers l’enfer (on pense aux « traits » de la lettre nanticoke et aux « lignes
droites » du livre du vieux prêtre delaware de 1760). Singularité rappor-
tée par Kenny, le paradis comporterait la figuration d’un petit Dieu, pro-
bablement le Maître de la vie – peut-être faut-il la mettre en rapport avec
la mention par Heckewelder des figures de chevreuil et de dindons, gras
au paradis, rachitiques en enfer ; et peut-être aussi avec la figure démo-
niaque du « Mahtan’tooh » (le manitou d’Heckewelder) représentée par
le pseudo M’Cullough. D’une manière générale, la description de ce
dernier s’accorde bien à l’ensemble de ce schème global : unique varia-
tion significative, les chemins menant vers l’enfer, plutôt que nommés
« vices », sont considérés comme des « punitions » par le feu, ordonnées
semble-t-il selon une logique de gradation. Par contre, les commen-
taires pourtant beaucoup plus longs de John Heckewelder diffèrent sur
de nombreux aspects de ces interprétations même si l’apparence maté-
rielle du livre semble globalement être la même35.

50
LE GRAND LIVRE DE NEOLIN

À quels usages se prêtaient ces livres ? Là aussi un consensus se


dégage rapidement des sources : ils devaient être « lus » à voix haute –
activité qui pouvait prendre la forme de la récitation de prières (Kenny,
Pontiac), de prêches et d’instructions (M’Cullough) ou de gloses expli-
catives s’attardant sur chacune des figures du parchemin à désigner du
doigt (Heckewelder). On retrouve là le même usage que pour les « livres »
des Nanticokes ou du vieux prêtre delaware. Enfin, comment étaient-ils
transmis ? John M’Cullough indique que nombreux étaient ceux qui en
avaient fait ou qui en avaient fait faire des copies, ce que l’on peut éga-
lement induire du journal de Kenny. Les remarques du missionnaire
morave sont concordantes mais elles doivent être reçues avec prudence :
il est le seul à mentionner l’existence d’un prix (une peau) et il est pos-
sible qu’il ne s’agissait là que de la peau sur laquelle on faisait dessiner
le livre.

22 octobre 1767 – Ohio – La bible des prédicateurs


Une fois passé l’épisode historique déterminant connu sous le nom de
soulèvement de Pontiac, David Zeisberger, de retour à l’ouest du pays,
rencontra le chamane delaware Wangomend au cours de sa première
semaine dans le village de Goschgosching36. Suite au sermon des mis-
sionnaires moraves, ce « prédicateur indien » prit la parole.

« Il affirmait qu’il y avait deux voies conduisant au salut, l’une


pour les Blancs et l’autre pour les Indiens. Il symbolisait cette affir-
mation au moyen d’un dessin tracé sur le sol montrant que la voie
réservée aux Indiens était beaucoup plus directe. […] Il disait aussi
qu’il savait que le Sauveur était la voie du salut, qu’il Le connaissait
depuis de nombreuses années et qu’il avait été en communication
spirituelle avec Lui37. »

Deux jours auparavant, le missionnaire, quelque peu exaspéré par ce


concurrent inattendu, avait rédigé une longue digression dans son jour-
nal, synthétisant sa désormais longue expérience de ces prédicateurs
amérindiens.

« Parmi les Indiens, les prédicateurs, apparus seulement au cours


des dernières années, les docteurs et les sorciers sont tous des
apôtres de Satan, désireux de garder les Indiens dans les ténèbres
et de les y conduire encore plus profondément. Je mentionne-
rai quelques éléments à propos de ces prédicateurs, de celui qui est
avec nous comme des autres, car ils sont tous de la même trempe. Ils
emploient tous les moyens pour accroître leur autorité et inventent

51
chapitre ii

toute sorte de mensonges, affirmant par exemple qu’ils ont eu une


vision de Dieu ou même qu’ils l’ont vu, qu’ils lui ont parlé et qu’ils en
ont obtenu quelque chose. […]
Ils fabriquent une bible qui consiste en une feuille de papier sur
laquelle on voit les représentations de Dieu, des Blancs, des Indiens
et des Noirs, d’une balance sur laquelle sont pesées les peaux qu’ils
obtiennent des cerfs, des ours et de toutes sortes d’animaux ter-
restres ou aquatiques, de diverses plantes comme du maïs, des hari-
cots, des citrouilles, des pastèques, des arbres et d’autres choses
semblables, à propos desquelles ils trouvent toujours des sujets de
prédication. Ils utilisent constamment le nom de Dieu en relation
avec les plus révoltantes abominations païennes38. »

Un peu plus d’une dizaine d’années après ce voyage, David Zeisberger,


depuis sa retraite du fleuve Muskingum, revint brièvement sur le sujet.

« Il y a une trentaine d’années des prédicateurs firent leur appa-


rition parmi les Indiens. Ils prétendaient avoir reçu des révélations
de l’au-delà, avoir voyagé au paradis et avoir conversé avec Dieu. S’ils
donnaient différents comptes rendus de leur voyage, tous s’accor-
daient sur ceci : que personne ne pouvait entrer au paradis sans ris-
quer de grands périls car le chemin, disaient-ils, passe très près des
portes de l’enfer. Là, le démon attend, embusqué, et attrape tous ceux
qui se dirigent vers Dieu.
Ils parvinrent d’abord jusqu’au Fils de Dieu puis, par son intermé-
diaire, jusqu’à Dieu lui-même avec qui ils prétendaient avoir conversé
au sujet des Indiens et de qui ils disaient avoir reçu l’ordre d’instruire
leur peuple. Ainsi les Indiens étaient pour la première fois informés
de l’existence d’un paradis où habitait Dieu et d’un enfer où résidait le
diable. Ils avaient probablement hérité ce savoir des Blancs. […]
Ces maîtres pointaient, sur un morceau de parchemin fait de
peau de cerf, deux chemins menant au paradis, l’un réservé par Dieu
aux Indiens, l’autre aux Blancs. Ils disaient que ces derniers devait
accomplir un long détour et que le chemin des Indiens était autre-
fois plus court, mais qu’aujourd’hui, comme les Blancs avaient fermé
le chemin des Indiens, ils étaient obligés d’emprunter le long trajet
pour atteindre Dieu. Il y avait aussi sur ces parchemins des peintures
du paradis et de l’enfer ainsi que la figure d’une balance représentant
le commerce malhonnête que les Blancs imposaient aux Indiens. Ils
expliquaient chaque marque et figure à leurs auditeurs et il parais-
sait évident que leur principal objectif était d’influencer l’esprit des
Indiens afin de les monter contre les Blancs39. »

52
LE GRAND LIVRE DE NEOLIN

Il est assez peu probable que Zeisberger se référait à Wangomend lors-


qu’il décrivit à deux reprises les « bibles » amérindiennes dont l’usage
était le même que celui des autres livres de cette histoire. Les rapides
dessins sur le sol de ce dernier avaient certainement évoqué des souve-
nirs plus anciens et les « bibles » qui y sont dépeintes correspondent cer-
tainement à l’un ou l’autre des documents déjà étudiés, ou peut-être à
une variante apparue au cours des « trente dernières années ». Ceci dit,
le schème général du grand livre de Neolin transparaît clairement dans
cet ultime témoignage : orientation verticale d’un chemin menant de
la terre jusqu’au paradis ; chemin plus direct pour les Amérindiens que
pour les Blancs ; représentation d’un enfer. Unique originalité des écrits
de Zeisberger : la mention de la représentation d’une balance dont il est
difficile de deviner le contexte adéquat d’interprétation – commerce
malhonnête ou jugement dernier.
Quelques remarques comparatives sur l’ensemble des livres
delawares permettront de conclure ce chapitre. D’abord, il apparaît fort
probable que ce furent les Amérindiens eux-mêmes qui nommèrent ces
inscriptions des « livres », des « écritures » ou des « bibles » (le mot algo-
nquien exact ne nous est hélas pas parvenu). L’usage de ces termes tra-
duit l’indéniable prestige qu’avaient acquis l’écriture et les livres dans
les sociétés amérindiennes de la région40 ; il fait irrésistiblement penser
à la manière dont le Montagnais Charles Meiaskaouat parlait de « massi-
nahigan » pour désigner aussi bien les livres imprimés des jésuites que
ses propres écrits sélectifs. Ensuite, ces livres pouvaient s’inspirer assez
librement à la fois de pratiques cartographiques traditionnelles41, des
images eschatologiques utilisées (et parfois distribuées) par les mis-
sionnaires catholiques42, de la tradition delaware des récits de vision43
ou encore des prêches des missionnaires protestants44. Enfin, ces livres,
en particulier ceux de Neolin, furent très clairement employés comme
des techniques permettant de stabiliser un nouveau discours rituel –
une prière, une harangue – issu d’une vision qui redéfinissait, dans des
termes de provenances diverses, la finalité d’un dispositif cérémoniel
traditionnel. Ils apparurent aussi, à la différence peut-être de leurs pré-
décesseurs nanticokes ou delawares, comme de véritables instruments
de propagande, comme une technique efficace qui permit à une innova-
tion rituelle d’être diffusée au plus grand nombre.

53
Chapitre iii

LA BIBLE DE KENEKUK, PROPHÈTE KICKAPOO

La carte eschatologique de Kenekuk


Le Kickapoo Kenekuk parlait régulièrement avec Dieu1. Il lui arrivait
aussi de voyager au ciel d’où il rapportait des descriptions édifiantes à
la portée morale adaptée aux nouvelles conditions de vie de son peuple.
Il était né aux alentours de 1790, au sud des Grands Lacs ; ce que l’on sait
de sa jeunesse se résume à un court récit d’allure quasiment mythique,
qui prit forme très tôt2 et dont le contenu était resté stable en 1964, plus
d’un siècle après la mort du prophète. On y racontait que Kenekuk,
banni de sa communauté en raison de ses accès de violence, avait trouvé
refuge auprès d’un prêtre qui lui avait confié un emploi de domestique.
« Un jour, le prêtre surprit Kenekuk en train de regarder quelques livres
religieux de sa bibliothèque. Le prêtre lui demanda ce qu’il faisait et
Kenekuk répondit qu’il désirait savoir ce qu’il y avait dans les livres. Le
prêtre dit que ces livres contenaient les enseignements de la religion
de l’homme Blanc. Impressionné, Kenekuk demanda à apprendre ces
enseignements. Le prêtre consentit et l’instruction commença3. » De sa
jeunesse, la tradition kickapoo n’a donc à peu près souhaité retenir que
la transmission, probablement très fragmentaire, de la doctrine chré-
tienne (catholique ou protestante, on ne le saura pas) et une certaine
fascination pour la chose écrite.
Le 10 février 1827, à Saint-Louis, Kenekuk exposa le contenu de ses
visions, peut-être toutes récentes4, au célèbre explorateur William Clark,
alors surintendant aux Affaires indiennes. Ce discours, pris en note par
son secrétaire, constitue le plus ancien témoignage concernant ce pro-
phétisme qui nous soit parvenu. Le Grand Esprit était apparu à Kenekuk
et lui avait confié une longue série de normes morales sous la forme de
règles de conduite que ce dernier aurait dorénavant pour mission de
faire adopter à ses disciples. À ces préceptes s’ajoutait, sous la forme
d’une narration, une description précise du monde à venir et, pour
la réciter à William Clark (qu’il nomme ici « père », suivant en cela un
usage devenu classique de la rhétorique diplomatique amérindienne5),
le prophète prit appui sur une carte qu’il traça à même le sol [figure 2] :

55
figure 2
Carte eschatologique du prophète Kenekuk
LA BIBLE DE KENEKUK, PROPHÈTE KICKAPOO

« Mon père, je vais vous expliquer ce que m’a dit le Grand Esprit –
pour y parvenir, je dois d’abord tracer quelques marques. Le Grand
Esprit dit : Mon père, nous sommes partis de ce point (A). Et mainte-
nant nous sommes ici (B). Quand nous serons là (C), le Grand Esprit
m’apparaîtra de nouveau. Ici (B) le Grand Esprit a béni les Indiens et
leur a dit de dire à Son peuple de jeter ses sacs-médecine et de ne
plus voler, de ne plus mentir, de ne plus tuer, de ne plus se quereller
et de brûler ses sacs-médecine6. S’ils ne le faisaient pas, ils ne pour-
raient plus suivre le droit chemin, ils devraient emprunter le détour
vicieux des damnés, ici (D). Que quand nous atteindrons cet endroit
(la ligne courbe E), nous ne serions pas capables de le traverser à
moins d’avoir tous été bons. C’était du feu. Que nous devrions aller à
cet endroit (E), où tous les chefs rouges seraient réunis, où il y aurait
un grand prêche. Que si nous n’avions pas abandonné toutes nos
mauvaises manières, ces deux extrémités se rencontreraient (D et E),
et alors le Grand Esprit détruirait tout et le monde serait renversé.
Que si nous étions bons et abandonnions nos mauvaises manières,
nous traverserions le feu et nous traverserions l’eau (deuxième
ligne). Nous arriverions alors dans un pays où il n’y a qu’une prairie
et où rien ne pousse. Là le soleil nous serait caché par quatre nuages
noirs. Quand nous atteindrons ce lieu (C), le Grand Esprit nous expli-
quera ces autres marques circulaires7. »

L’analogie entre cette carte prophétique et les « livres » des vision-


naires delawares du siècle précédent est patente : au-delà du fait qu’elle
est tracée sur le sable, à la manière de Wangomend, on y retrouve le che-
min rectiligne reliant la terre à un paradis solaire exclusivement autoch-
tone, la déviation induite par les péchés et l’enfer (la « prairie où rien ne
pousse ») au bout de cette voie alternative8. La prise de note et la repro-
duction de la carte effectuées par le secrétaire du général Clark ne sont
pas exagérément précises, mais on y devine assez aisément les points
d’accroche entre le récit de vision et le cosmogramme du prophète : en
plus de la structuration verticale et dualiste qui caractérise aussi bien la
narration que la carte, on remarque une série de traits horizontaux, asso-
ciés au feu comme dans le livre de Neolin, qui représentaient très proba-
blement les péchés énumérés dans le récit du prophète9. Un demi-siècle
sépare la carte de Neolin de celle de Kenekuk, néanmoins la ressem-
blance est troublante : les éléments et leur disposition sont les mêmes,
l’usage, attaché à la récitation cérémonielle d’un récit de vision, aussi.
Ce n’est que quelques années plus tard que fut publiée, cette fois dans
un journal local, l’Illinois Monthly Magazine, la traduction d’un prêche de
Kenekuk10. Il avait été prononcé à Danville le 17 juillet 1831 ; le français

57
figure 3
Le prophète Kenekuk
figure 4
Ahtónwetuck, disciple de Kenekuk, récitant sa prière
figure 5
Mashéena, un autre disciple de Kenekuk
figure 6
Onsáwkie, disciple potawatomi de Kenekuk
chapitre iii

G. S. Hubbard, qui vivait dans le voisinage du village du prophète11, ser-


vit d’interprète et c’est Solomon Banta qui fit office de secrétaire en rédi-
geant ce « sermon kickapoo ». On y découvre une nouvelle description
de la cartographie visionnaire du prophète :

« Il vous faudra, un jour, quitter la Terre ; que ferez-vous alors si


vous n’avez pas suivi les instructions de votre grand Père, si vous
n’avez pas obéi à ses ordres ? Il nous a offert un chemin étroit ; il est
difficile à suivre ; il vous dit qu’il conduit au bonheur. Certains parmi
vous n’ont plus le courage de chercher ce chemin, car il est difficile à
trouver. Vous suivez la grande route qui conduit à la souffrance. Mais
vous ne devez pas perdre courage ; pensez au Livre qu’Il a donné pour
votre instruction, retenez Ses commandements et respectez-les,
alors chaque nouveau pas sur ce chemin étroit deviendra plus facile ;
la voie sera plus aisée et, à l’arrivée, grande sera la récompense12. »

Cette fois, élément nouveau, il est aussi question d’un « Livre » que
Dieu a transmis aux Kickapoos de la vallée du Vermillion. De quoi
s’agit-il ? De la Bible chrétienne comme l’imaginaient très certainement
les lecteurs de l’Illinois Monthly Magazine ? Ou de tout autre chose comme
le donne à penser le fait que ni Kenekuk, ni l’immense majorité des
Kickapoos ne savaient lire à cette époque ? Plus loin dans le sermon, un
autre passage fait référence à ce « Livre » :

« Que deviendront ces hommes maudits qui offensent les com-


mandements de leur grand Père ? Il leur a donné un Livre contenant
des instructions édifiantes. Qui fit ce Livre ? Le grand Père le fit pour
leur bien – Il le fit il y a bien longtemps, afin que leur cœur et le nôtre
puissent être forts et afin qu’en le lisant vous puissiez Le voir, afin
que vous ne vous perdiez pas vous-mêmes13. »

L’écriture sélective de Kenekuk


Pour en savoir plus sur ce mystérieux Livre, il faut se rapporter au témoi-
gnage du peintre voyageur George Catlin, de passage dans l’Illinois cette
même année. Il réalisa plusieurs peintures, du prophète et de ses dis-
ciples [figures 3 à 6], et rédigea la première description de ces « livres »
kickapoos [figure 7] :

« Il [Kenekuk] entreprit de prêcher et institua une prière qu’il


grava ingénieusement sur un bâton d’érable d’un pouce et demi
de large à l’aide de caractères ressemblant vaguement à des
lettres chinoises. Ces bâtons, et les prières inscrites dessus, furent

62
figure 7
La Bible kickapoo
chapitre iii

introduits par ses soins dans chacune des familles de la tribu et mis
entre les mains de chaque individu. Et comme c’est à lui que revient
nécessairement la fabrication de ces objets, il les vend au prix qui
lui convient. De ce fait, il ajoute le gain à la renommée et augmente
son influence au sein de la tribu de deux manières essentielles et
efficaces.
Chaque homme, femme et enfant de la tribu, dans la mesure où
j’ai pu m’en rendre compte, a pour habitude de dire sa prière à l’aide
du bâton, en se couchant le soir et également en se levant le matin.
Cela se fait invariablement en plaçant l’index de la main droite sous
le caractère du haut jusqu’à ce qu’ils aient répété une phrase ou deux
qui leur étaient ainsi suggérées ; on faisait ensuite glisser le doigt
sous le caractère suivant, puis celui d’après et ainsi de suite jusqu’à
l’extrémité inférieure du bâton, ce qui prend au total une dizaine de
minutes car le tout est intégralement chanté, ou plutôt psalmodié14. »

Le livre du prophète était donc un bâton couvert d’une écriture « res-


semblant vaguement à des lettres chinoises ». Tous les observateurs
ont demandé à Kenekuk ce que représentaient ces « lettres » et tous
s’accordent sur le fait qu’il ne s’agissait pas de symboles figuratifs. Ces
signes « arbitraires » étaient néanmoins très systématisés, apparaissant
comme une série de petites variations graphiques et évoquant la forme
des caractères d’imprimerie de l’écriture latine que le prophète connais-
sait très certainement et qu’il avait pu vouloir imiter. On note également
dans cette description de Catlin plusieurs aspects que nous avons déjà
rencontrés, ça et là, dans les usages des livres amérindiens : l’habitude
de pointer du doigt, au cours de la lecture, chacun des signes succes-
sifs de cette écriture, la soi-disant vente exclusive de ces bâtons par le
prophète (accusation douteuse que Heckewelder proférait déjà à l’égard
de Neolin) et, surtout, l’attachement de ce « texte » écrit à une prière
cérémonielle.
George Catlin fut le dernier voyageur à rencontrer les Kickapoos
dans cette vallée du Vermillion. C’est en effet durant cette période,
marquée par la guerre du voisin sauk Black Hawk, que ces Kickapoos
durent se résigner à migrer à l’ouest du Mississippi, contraint par l’In-
dian Removal Act de 193015. En octobre 1832, ils campèrent sur la rive
de la Rivière des Pères, à proximité de la résidence de l’agent indien
Thomas Forsyth qui leur rendit visite et put alors constater que « dans
chacune des loges des camps, était accroché un morceau de bois plat,
large d’environ trois pouces et long de douze ou quinze, sur lequel
était gravé au fer chaud (apparemment) un certain nombre de marques
droites et courbes ; ce bâton ou cette planche ainsi inscrite, ils l’appellent

64
LA BIBLE DE KENEKUK, PROPHÈTE KICKAPOO

leur Bible16 ». Il s’agit là bien évidemment des artefacts décrits aupara-


vant par Catlin ; Forsyth nous apprend tout de même que les Kickapoos
les qualifiaient de « Bible », suivant là aussi un usage qui nous est devenu
familier.
Dès leur arrivée le long du fleuve Missouri, la communauté des dis-
ciples du prophète Kenekuk, alors composée de trois cents Kickapoos
et d’une centaine de Potawatomis, fit l’objet d’une multitude de visites
de la part de missionnaires de toute sorte de dénominations – parmi
les dispositions accompagnant l’Indian Removal Act figurait l’octroi
d’un budget fédéral aux missionnaires qui prendraient en charge l’édi-
fication chrétienne des Amérindiens déportés. Ainsi, durant l’été 1833,
le presbytérien William Smith remarqua, au cours d’une cérémonie
conduite par Kenekuk, « les caractères hiéroglyphiques utilisés pour les
prières à la manière du chapelet catholique17 ». L’été suivant, les métho-
distes Samuel Allis et John Dunbar, en visite chez leur coreligionnaire
Jerome Berryman qui venait d’inaugurer une précaire école dans la com-
munauté de Kenekuk, rédigèrent chacun des témoignages convergents :

« La bande du prophète célébrait un culte semblable à celui des


catholiques. Le dimanche, ils se réunissaient et le prophète prê-
chait en leur langue. Ensuite, ils formaient des files et marchaient
en cercle, trois ou quatre fois de suite, chantant leurs prières qui
consistaient en caractères gravés sur une planche ; en même temps,
ils se serraient la main les uns aux autres lorsqu’ils se croisaient.
Les caractères représentaient des mots. En sortant, ils répétaient
ces prières jusqu’à ce qu’ils atteignent la Maison de leur Père ou le
paradis. Leur Maison était représentée à l’extrémité supérieure de la
planche. Je l’avais recopiée sur papier mais je l’ai perdue18. »

« La planche, comme on l’appelle, est un morceau de bois ouvragé


dont la forme est très singulière. Sur ce morceau de bois sont gravés
certains hiéroglyphes qui doivent être appris par tous les disciples
du prophète et les prières pour lesquelles ils tiennent lieu doivent
être répétées lors de leurs dévotions saisonnières. Ils considèrent
ces planches comme particulièrement sacrées19. »

Si Dunbar insiste sur le caractère « sacré » de ces planches, dérivé très


certainement de l’origine surnaturelle que Kenekuk leur conférait (c’est
Dieu qui les lui avait transmises), Allis, quant à lui, est le premier à expli-
quer la signification du petit quadrilatère gravé au sommet des bâtons :
il s’agit de la Maison de Dieu, c’est-à-dire le paradis où le prophète s’était
rendu au cours de sa vision. Il semble donc que ces « Bibles » kickapoos

65
chapitre iii

fonctionnaient aussi comme des cosmogrammes, la base représentant


la Terre et le sommet le Paradis. Plus étonnant, Allis laisse entendre que
les prières lues par les fidèles les conduisaient à l’intérieur de la Maison
de Dieu.
L’année suivante, le voyageur britannique Charles Augustus Murray,
de passage chez les Kickapoos, remarquait incidemment que « chacun
était pourvu d’une planche plate sur laquelle étaient gravés des sym-
boles qui leur servaient de lettres et leur permettaient de participer à la
prière ou à l’hymne du prédicateur20 ». Et, dans une lettre datée du 20 jan-
vier 1838, le missionnaire jésuite Pierre Verhaegen nota :

« Le prophète n’épargne rien pour maintenir le prestige de son


autorité. Il y a quelques semaines, un de ses confidents raconta, à
son instigation, que pendant la nuit une voix lui annonça qu’il allait
mourir ; qu’il mourut en effet peu après, et monta au ciel : “Là, ajou-
ta-t-il, je trouvai quatre étages ; dans le 1er, le 2e et le 3e, je vis des
robes noires, et un grand nombre de planches, symboles écrits du
prophète ; j’essayai de monter au 4e, mais le palais du Grand-Esprit
occupant cet espace, il me fut défendu d’y entrer, et tout à coup je
fus rendu à la vie.” Ce conte fabuleux eut plein succès ; les Sauvages
furent convaincus que si le prophète les trompait, les planches qui
contenaient son symbole ne se seraient pas trouvées au ciel21. »

On reconnaît dans ces lignes, difficiles à interpréter, à la fois une des-


cription de la carte prophétique (les « quatre étages » correspondaient-ils
aux traits horizontaux de la carte reproduite par le secrétaire de Clark
et donc à la liste des tentations ?) et une référence à l’origine surnatu-
relle des bâtons transcrits. Ce n’est toutefois qu’en 1840 qu’une descrip-
tion précise de ces « Bibles » kickapoos et de leur usage fut publiée. On
la doit au missionnaire baptiste Isaac McCoy, par ailleurs inspirateur de
l’Indian Removal Act22. Il est possible qu’il observa lui-même l’usage qui
y est dépeint au cours de l’été 1833 ; ou peut-être le véritable auteur de
ce témoignage est-il un de ses assistants, Daniel French, qui essaya, sans
succès, d’installer une école baptiste chez les Kickapoos à leur arrivée au
Kansas ce même été. Toujours est-il qu’il s’agit là, et de loin, de la meil-
leure description dont nous disposons.

« La formule du prophète ne provient évidemment pas d’idées


purement indiennes : elles ressemblent bien plus à celles des catho-
liques qu’à celles de toute autre secte. Ils se rassemblaient régulière-
ment pour l’exercice du culte qui durait d’une à trois heures. Ils écou-
taient les discours de leur Prophète puis tous ensemble chantaient

66
LA BIBLE DE KENEKUK, PROPHÈTE KICKAPOO

en chœur un genre de prière composée de phrases discontinues


souvent répétées, à la tonalité monotone, dont la durée équivalait
à environ deux mesures d’un psaume ordinaire. Tous chantaient à
l’unisson et, afin de préserver l’harmonie des mots, chacun tenait à
la main une petite planche, d’environ un pouce et demi de large et
d’environ dix de long, sur laquelle étaient gravés des caractères arbi-
traires, qu’ils suivaient du doigt jusqu’à ce que le dernier leur intime
d’achever la prière23. »

McCoy opère donc une distinction entre les deux séquences suc-
cessives de la nouvelle cérémonie instaurée par Kenekuk : d’abord un
prêche monologique du prophète, au cours duquel il est tout à fait pos-
sible qu’il traçait sur le sol sa carte eschatologique, et ensuite de longs
chants à l’unisson qui apparaissent comme des lectures des bâtons. On
sait par le témoignage d’Allis que ces chants étaient également accom-
pagnés de danses circulaires au cours desquelles femmes et hommes
étaient rigoureusement séparés : tous « marchaient en cercle, trois ou
quatre fois de suite » ; il n’est, de ce fait, pas impossible que le nombre
de répétitions des chants était corrélé à celui des cercles chorégraphiés.
À la fin de ces danses, les participants se serraient la main24. La descrip-
tion de McCoy se poursuit ainsi :

« Ces caractères étaient au nombre de cinq. Le premier représen-


tait le cœur ; le second, le cœur, les affections et la chair ; le troisième,
la vie ; le quatrième, les noms ; le cinquième, la famille. Durant le ser-
vice, ces caractères étaient parcourus à plusieurs reprises ; la pre-
mière fois, la personne parlait comme si elle se considérait sur terre ;
la deuxième fois, comme si elle se dirigeait vers la porte de la maison
de Dieu ; puis, comme si elle était à la porte, etc.25 »

McCoy nous livre ainsi la clef de l’écriture sélective de Kenekuk. Allis


avait déjà observé que « les caractères représentaient des mots » mais
c’est McCoy qui, le premier, précise la traduction de chacun de ces
cinq « mots ». Il fournit également une indication précieuse : les répé-
titions de ces cinq mots n’étaient pas équivalentes les unes aux autres
car, à chaque fois, le contexte spatial de leur énonciation changeait et
ce, selon un trajet qui rappelle fortement l’ascension vers la Maison de
Dieu encodée dans la carte eschatologique du prophète. Le missionnaire
baptiste va encore un peu plus loin en traduisant, certes très imparfaite-
ment, quelques extraits du chant rituel :

67
chapitre iii

« Plaçant leur doigt sur le caractère le plus bas, ils disaient :

“Ô, notre Père, pensez à nos cœurs comme vous pensez à la


porte de la maison, etc.
Ô, notre Père, bénissez notre cœur et ses vêtements (le corps),
faites-le comme le vôtre, aussi fort que le vôtre, etc.
Faites-le comme votre maison, comme la porte de votre mai-
son, comme le sol de votre maison, comme votre bâton, etc.
Ô, notre Père, mettez notre nom avec votre nom, pensez-y
comme vous pensez à votre maison, à la porte, au sol de la maison,
à votre bâton, etc.”

Les répétitions étaient extrêmement fréquentes : les mots quasi-


ment identiques d’une même phrase étaient répétés de nombreuses
fois, tous apparemment dépourvus de sens26. »

Avant de revenir plus en détail sur ce chant rituel, il est intéres-


sant de juxtaposer d’emblée ce témoignage à celui que le méthodiste
William W. Redman, à l’issue d’une nouvelle visite à Jerome Berryman
en juin 1837, publia dans le Christian Advocate and Journal.

« Lorsqu’il [Kenekuk] acheva son discours, tous se levèrent et


chantèrent. Certains levaient les yeux au ciel et d’autres regardaient
avec force concentration de petites planches qu’ils tenaient entre
les mains. Sur ces planches étaient gravés cinq caractères. Le pre-
mier représentait le cœur ; le second la chair, c’est-à-dire les pas-
sions et les appétits ; le troisième leur vie, c’est-à-dire tous leurs faits
et gestes ; le quatrième leurs noms, c’est-à-dire leur caractère chré-
tien ; le cinquième leur famille, c’est-à-dire l’humanité. J’ai demandé
à l’interprète ce qu’ils disaient quand ils chantaient d’un air si solen-
nel. Il répondit : “Ô Jésus, venez dans notre cœur” ou “Venez et pre-
nez possession de mon cœur”27. »

Ces deux descriptions synoptiques donnent suffisamment d’indices


pour qu’il soit possible d’avancer que les Bibles de Kenekuk fonction-
naient selon les principes classiques des écritures sélectives tels que
nous les avons définis en introduction. Mais d’abord quelle était la signi-
fication de ces chants ? Il est certes difficile de la déduire de ces frag-
ments laissés volontairement très incomplets : McCoy et Redman eurent
recours à des interprètes dont ils ne firent que suivre les traductions
approximatives. Cependant, on repère assez aisément le schéma narra-
tif du chant rituel. Les cinq « mots » successifs correspondaient chacun

68
LA BIBLE DE KENEKUK, PROPHÈTE KICKAPOO

à une dimension de la personne humaine : d’abord son « cœur », qu’il


est légitime dans ce contexte d’associer à son « âme » ; puis son « corps »,
glosé par les termes « affections », « passions », « appétits », « chair » et
« vêtements » ; puis sa « vie », c’est-à-dire « tous ses faits et gestes » ; puis
son « nom », dont il est précisé qu’il est, dans ce contexte, chrétien ; et
enfin sa « famille », étendue à l’ensemble de l’humanité. On observe
donc que la personne de l’énonciateur s’étendait, au fur et à mesure que
se déroulait la récitation, jusqu’à embrasser tous les humains.
La prière était directement adressée à Dieu, « notre Père », et elle lui
demandait explicitement de « bénir », de « prendre possession de » ou de
« penser à » chacun des éléments successifs de la personne de l’énoncia-
teur. Ces prédicats implorant une rédemption étaient très fréquemment
répétés, à l’identique selon McCoy.
Enfin, chacun des cinq composants de la personne de l’énonciateur
se « déplaçait » au fil des répétitions. Au-delà de la mention par McCoy
du fait que les séries de cinq caractères étaient « parcourues à plu-
sieurs reprises », on comprend aussi pourquoi, sur le bâton transcrits
de Kenekuk, cette série était gravée à plusieurs reprises, depuis la base
de la planche qui correspondait à la terre, situation initiale de l’énoncia-
teur, jusqu’à son sommet, c’est-à-dire à la Maison de Dieu. Car à chaque
répétition, comme l’indiquait McCoy, la position spatiale de l’énon-
ciateur variait : il se situait d’abord sur la terre, puis s’approchait de la
porte de la Maison, puis entrait dans la Maison, puis marchait sur le sol
de la Maison, puis, semble-t-il, atteignait le bâton de Dieu. Chaque répé-
tition faisait ainsi progresser les cinq composants de l’énonciateur le
long d’un trajet qui les conduisait au paradis, la Maison de Dieu. Comme
l’écrivait Allis, « ils répétaient ces prières jusqu’à ce qu’ils atteignent la
Maison de leur Père ou le paradis ». Il est alors fort probable que la cho-
régraphie qui accompagnait ces répétitions chantées, les séries répétées
de danses en cercles, correspondait à une incarnation gestuelle de cette
ascension vers Dieu.
La logique de la lecture de cette écriture sélective peut dès lors être
assez aisément reconstruite. On reconnaît en effet, dans le chant pro-
pagé par Kenekuk, une forme relativement complexe de parallélisme
poétique. Le noyau du chant rituel était composé d’une série de cinq
termes variables (cœur, corps, vie, nom, famille) auxquels étaient prédi-
qués une série de termes constants (bénir, prendre possession de, pen-
ser à, venir dans, etc.). L’écriture sélective de Kenekuk notait, sous forme
de signes arbitraires, les cinq variables dans leur ordre immuable mais
laissait à la mémoire orale des lecteurs le soin de se souvenir des prédi-
cats constamment répétés (« les mots quasiment identiques d’une même
phrase étaient répétés de nombreuses fois »). L’écriture multipliait par

69
chapitre iii

ailleurs ces séries de cinq caractères le long de l’axe vertical de la planche


indiquant par là que les répétitions des cinq termes variables n’étaient
pas identiques les unes aux autres. La verticalité du bâton fonctionnait
comme un rappel du cosmogramme tracé sur le sol par le prophète lors
de ses prêches et la représentation, à son sommet, de la Maison de Dieu
indiquait clairement la finalité du chant ; il n’en reste pas moins que les
diverses étapes du trajet eschatologique de l’énonciateur qui prenaient
toutes, dans le chant, la forme d’énoncés prédiqués aux cinq variables,
étaient elles aussi prises en charge par la mémoire verbale des chanteurs.
L’écriture sélective de Kenekuk obéissait donc à une logique assez com-
plexe, avec une grande économie de moyens : elle inscrivait, à l’aide de
caractères arbitraires dont l’origine iconographique reste mystérieuse,
l’ordre des variables du chant et la direction, voire peut-être les étapes,
du trajet eschatologique ; les formules constantes, quant à elles, restaient
confiées à la mémoire orale des disciples.
Cette complexité sémiotique mise à part, les bâtons transcrits
de Kenekuk partageaient l’ensemble des caractéristiques des cartes
delawares : ils avaient été directement transmis par Dieu, ils étaient
nommés « livres » ou « Bibles » et c’est le prophète lui-même qui les
fabriquait et les distribuait. Ils servaient d’une part à stabiliser la prin-
cipale prière du nouveau rituel instauré par Kenekuk et d’autre part à
étendre la distribution de cette prière à l’ensemble de ses fidèles, que
ceux-ci soient Kickapoos ou Potawatomis. Et, autre élément décisif, ils
venaient compléter un autre artefact, la carte eschatologique dessinée
sur le sol, qui était quant à elle liée au prêche du prophète, c’est-à-dire au
récit de sa vision initiale28.
La nouvelle religion de Kenekuk jouit d’un indéniable succès : les
nombreuses tentatives des missionnaires baptistes, presbytériens,
méthodistes ou jésuites destinées à normaliser la doctrine et la vie
rituelle de cette communauté se soldèrent pendant longtemps par des
échecs étonnants29 – surtout dans un contexte où les groupes amé-
rindiens voisins, la plupart des exilés, se convertissaient dans leur
ensemble à une forme ou une autre de christianisme30.

Après la mort du prophète


Que devint le culte initié par Kenekuk après sa mort, survenue aux alen-
tours de 1852 ? On a vu que la tradition orale avait retenu la grande fasci-
nation que le prophète éprouvait pour les livres en général. Un peu avant
son décès, il aurait même « dit à son peuple qu’il avait laissé un récit écrit
de sa vie dans l’Illinois et qu’un jour il serait découvert », selon les mots
du Kickapoo John Masquequa, recueillis en 1906 par Milo Custer31. Cette
fascination ne manquait toutefois pas d’ambivalence : s’il souhaitait que

70
LA BIBLE DE KENEKUK, PROPHÈTE KICKAPOO

les Kickapoos s’approprient l’écriture, s’il affirmait distribuer lui-même


des « livres », il refusa longtemps que les missionnaires installent de
façon durable des écoles à l’intérieur de sa communauté32.
Il semble qu’il attendit longtemps pour organiser sa succession : en
1851, un an avant sa mort, la tradition kickapoo veut qu’il ait dicté sa
« doctrine » et ses « prières » à Wansuk, un disciple potawatomi :

« Les successeurs du Prophète en tant que pasteurs de son


“Église” furent les suivants : Wansuk, un Potawatomi, qui rédui-
sit la doctrine du Prophète à l’écrit, sous la conduite de ce der-
nier, en 1851. Quelques années après il laissa la place à Masquequa,
Sr. (père de John Masquequa), qui mourut en 1877 et qui fut suivi
par Nahkukkum qui mourut en 1886. Après quoi, Wansuk remplit à
nouveau cet office jusqu’à sa mort, à l’âge de 85 ans, le 18 avril 1900.
Ce fut alors au tour de John Masquequa qui mourut le 7 mai 190733. »

En 1906, plus de cinquante ans après sa mort, les singularités du mes-


sage visionnaire et du dispositif rituel de Kenekuk avaient disparu :
Kickapoos et Potawatomis célébraient un culte qui semblait chrétien de
part en part. Mais si les bâtons transcrits n’étaient plus lus, ils avaient
été remplacés par des petits carnets qui contenaient apparemment à la
fois le sermon de Kenekuk et les prières rythmant la cérémonie :

« Le service de l’Église de Kenekuk s’est considérablement rac-


courci depuis sa mort. Les bâtons de prières ne sont plus utilisés par
les fidèles […]. Le culte n’est plus célébré que le dimanche et le ser-
mon prêché, ou plutôt récité, ainsi que les quelques chants et prières
proférés, sont ceux que le Prophète lui-même composa et que
Wansuk écrivit34. »

En 1964, James Howard put, lui aussi, assister à une cérémonie de la


religion instaurée par Kenekuk :

« L’assemblée chantait des hymnes, lisant les textes de cahiers


ordinaires à feuilles mobiles, dans lesquels les syllabes potawato-
mis avaient été inscrites à l’aide de l’alphabet anglais. Plus tard, j’ai
emprunté un de ces livres pour l’examiner et j’ai remarqué qu’en
plus des hymnes et des prières il contenait une liste des noms
indiens distribués au cours des derniers baptêmes de l’église35. »

Que penser de ce que Milo Custer décrivit comme une « série de


petits volumes rédigés dans le dialecte kickapoo par Wansuk à l’aide

71
chapitre iii

de l’écriture anglaise36 » et que James Howard considéra comme des


cahiers rédigés en langue potawatomi ? Milo Custer fut autorisé, en
1906, à en copier deux courts passages que John Masquequa lui tra-
duisit37. Le premier faisait partie du sermon de Kenekuk ; en voici une
traduction :

« Maintenant, donc, mes frères, voilà ce que nous raconta


Celui qui nous créa sur cette terre
Nous tous, pauvres
Maintenant, donc, il en fut ainsi
Notre Père, après avoir créé le monde où nous vivons, nous créa
Peu après, notre Père commença à éprouver de la compassion pour nous
Il n’y avait alors personne là où nous vivons
Peu après, nous commençâmes à errer
“Que faire pour qu’ils soient mes enfants ?”
Son cœur était rempli de sagesse
Peu après, il pensa “Je la leur donnerai”
Il pensa “Elle restera auprès d’eux et ils deviendront mes enfants”
Il leur donna une partie de Son cœur et la leur laissa
Peu après, il enleva Son vêtement noir
“Ils viennent de votre Père, mes enfants ; adorez-les”
Dit-il de Son cœur et de Son vêtement
Il parlait depuis Son cœur, une partie de Son être. »

Le second passage était extrait de l’hymne que tous devaient chanter


en chœur :

« Donnez-nous la force maintenant !


Donnez-nous la force Père ! »

Les traductions sont approximatives, souvent difficiles à interpré-


ter, mais elles apparaissent suffisamment proches de ce que l’on connaît
des paroles et des thématiques de Kenekuk pour qu’on puisse les regar-
der comme authentiques. Si l’on regarde le texte en potawatomi, on peut
aussi conclure qu’il n’était pas orthographié dans l’alphabet de Meeker
à l’aide duquel le missionnaire baptiste Robert Simerwell avait traduit,
dès 1834, des morceaux choisis de la Genèse38. On peut donc penser que
l’écriture de ces cahiers cérémoniels s’inspirait de celle adaptée par le
jésuite Christian Hoecken et enseignée dans les écoles potawatomis
successives, écriture avec laquelle le missionnaire publia, entre 1844 et
1846, des recueils de prières et des méthodes d’apprentissage de la lec-
ture39 et qui est à l’origine de l’écriture syllabique potawatomi40.

72
LA BIBLE DE KENEKUK, PROPHÈTE KICKAPOO

Est-il possible de considérer comme vraie la tradition selon laquelle


Kenekuk dicta sermon et hymnes à Wansuk ? Peu importe peut-être
– la complexité du phénomène permet de faire apparaître certains des
traits les plus importants de la nouvelle religion de Kenekuk. On y voit
la manière dont Kickapoos et Potawatomis se sont appropriés la religion
chrétienne en la faisant dériver d’une vision de leur prophète et com-
ment leur vie cérémonielle n’a cessé, tout du long de cette période, de
reposer sur deux formes de discours, le prêche et la prière, et sur leur
transcription graphique. Ce faisant une nouvelle écriture rituelle, pen-
sée indépendamment de ses confuses origines catholiques ou protes-
tantes, prit la place occupée, durant la vie de Kenekuk, par les cartes
eschatologiques et les bâtons à prières41 ; et toutes ces formes d’écriture
ne furent considérées, durant toute cette période, que comme des ava-
tars semblables de l’unique Bible kickapoo. Le chapitre cinq, où seront
comparés les différents mouvements prophétiques algonquiens, per-
mettra de revenir plus en détail sur les conséquences de cette relative
stabilisation des éléments du dispositif rituel inventé par Kenekuk.

73
Chapitre iv

LA CHARTE D’ABISHABIS ET DE WASITECK, PROPHÈTES CRIS

Deux prophètes cris


En 1840, à Norway House, le missionnaire méthodiste James Evans éla-
bora les principes définitifs d’une nouvelle écriture qu’il destinait à la
transcription de la langue cri. L’originalité de cette écriture phonogra-
phique résidait dans ses caractères, très différents de l’alphabet latin.
Chaque signe correspondait à une consonne et sa rotation lui conférait
une valeur syllabique, chacune des quatre positions possibles du signe
(vers la droite, vers le bas, vers la gauche ou vers le haut) étant associée
à une voyelle. À cette structure sémiotique de base venait s’ajouter une
série de signes diacritiques dérivés de méthodes récentes de sténogra-
phie. Promptement, le révérend Evans traduisit en langue cri et trans-
crivit dans sa nouvelle écriture quelques hymnes chrétiens. Puis il fabri-
qua, de manière artisanale, une petite presse typographique ainsi qu’un
jeu de caractères mobiles correspondant aux signes de son syllabaire.
Dès l’automne de l’année 1840, le missionnaire fut à même d’impri-
mer en deux mille exemplaires deux hymnes, sous la forme de simples
feuilles de papier libres, peut-être même sur de l’écorce de bouleau.
L’année suivante, il élabora un hymnaire de seize pages à l’aide de son
syllabaire et quelques cinq mille nouvelles pages furent imprimées1.
Ces feuilles imprimées se propagèrent parmi les Cris à un rythme
d’une rapidité surprenante2. Elles se répandirent au cours de l’hiver
1841-1842 de Norway House à York Factory, puis de York Factory à Fort
Severn3. À l’automne 1842, elles atteignirent Moose Factory où le mis-
sionnaire méthodiste George Barnley remarqua d’abord, très étonné,
que « la technique de mémorisation [des Cris] est des plus curieuses :
une série de hiéroglyphes est tracée à l’aide du doigt sur une écorce
de bouleau4 ». Plus tard ce même automne, il comprit sa méprise et
il nota dans son journal avoir passé une journée entière « à essayer de

75
chapitre iv

déchiffrer un texte écrit par un Indien qui n’a pas rencontré de mission-
naire depuis notre entretien lundi dernier. Il s’agissait d’un hymne et
les caractères étaient ceux inventés par le révérend J. Evans. Quelques
Indiens de York avaient en leur possession les documents originaux de
Norway House et ceux-ci en étaient la copie qu’ils avaient communiquée
aux Indiens de Severn. […] Je n’eus aucun succès dans mes tentatives de
comprendre cette écriture5 ».
Plusieurs aspects caractérisent cette foudroyante diffusion du syl-
labaire cri. D’abord, l’écriture fut, dans un premier temps, indisso-
ciable du texte qu’elle transcrivait, c’est-à-dire des quelques hymnes
chrétiens traduits par James Evans6. Dans ce contexte où l’écriture
était « attachée », apprendre à écrire, c’était aussi apprendre à chan-
ter. Apparemment enthousiastes, les Cris s’enseignèrent les uns aux
autres, de manière autonome, sans école et dans le cadre familial, l’art
de déchiffrer et de recopier des textes précis qu’ils récitaient ensuite à
voix haute7. Ils écrivaient parfois sur de l’écorce de bouleau, un support
utilisé traditionnellement pour d’autres formes d’inscriptions, de type
cartographique8. Les Cris s’approprièrent donc très rapidement l’art de
l’écriture dans la mesure où d’une part il se substitua à des pratiques
d’inscription traditionnelles et où d’autre part il se transmit en même
temps, et de la même manière, que les autres techniques de subsistance
qui formaient le quotidien de leur existence9.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer le mouvement prophétique
qui se propagea chez les Cris de l’ouest de la Baie James à partir de l’hiver
1842. Dès le 4 septembre, John Cromartie, le commerçant responsable du
poste de Severn House, écrivait : « Ils m’exaspèrent […] parce que chan-
ter des psaumes et peindre des livres ont été leurs seules occupations
depuis trois semaines10. » De quoi s’agissait-il ? Les Cris ne faisaient alors
que recopier les hymnes transcrits dans le syllabaire de James Evans et
cet exercice était associé à une lecture à voix haute, bien évidemment
chantée ; toutefois, le caractère quelque peu obsédant de cette acti-
vité rituelle pouvait déjà sembler intrigant. Mais peut-être que le terme
« livre » ne faisait pas ici référence aux seuls hymnes écrits.
En effet quelques mois plus tard, le 8 juin 1843, George Barnston, offi-
cier de la Compagnie de la Baie d’Hudson en charge de Fort Albany, put,
avec effroi, observer cet enthousiasme cérémoniel se répandre. C’est
alors qu’il vit un Indien qui « se fiait, pour tous ses besoins, aux chartes
qu’il avait en sa possession et qui montraient les chemins conduisant au
ciel et à l’enfer. Ces rayures insignifiantes, faites sur du papier ou du bois,
il ne cessa de les regarder, à compter du moment où il planta sa tente à
l’automne jusqu’à l’heure de sa mort11 ». Alarmé par le danger potentiel
que représentait selon lui cette nouvelle religion, Barnston organisa un

76
LA CHARTE D’ABISHABIS ET DE WASITECK

autodafé au cours duquel il regroupa toutes les inscriptions de ces Cris


afin de les brûler. C’est ainsi qu’une « prêtresse » venue de York Factory
se vit dans l’obligation de lui remettre « un papier sur lequel des lignes
avaient été dessinées, certaines droites, d’autres, nombreuses, courbes
ou sinueuses ; ils pensaient tous qu’elles représentaient le Chemin du
Ciel12 ». Il ne s’agissait plus là des hymnes chrétiens imprimés en carac-
tères syllabiques par le révérend James Evans ; il était maintenant ques-
tion de cartes eschatologiques, semblables à celles des visionnaires
delawares et du prophète kickapoo. Que s’était-il passé au cours de l’hi-
ver ? Une longue lettre du missionnaire méthodiste de Moose Factory,
George Barnley, datée du 23 septembre 1843 et publiée dans le Wesleyan
Methodist Magazine, va nous permettre de le découvrir.

Deux hymnes imprimés et une charte eschatologique


Le missionnaire commença son compte rendu en évoquant la circula-
tion des feuilles volantes imprimées par son coreligionnaire.

« Deux hymnes (probablement imprimés par M. Evans, en tous


cas certainement par une personne familière des vérités de l’évan-
gile et des règles de la poétique) circulaient parmi les Indiens de
York Factory d’où ils se frayèrent un chemin jusqu’à Severn House.
Là, les indigènes n’épargnèrent pas leurs efforts pour en retirer de
nouvelles connaissances ; et les vérités qu’ils y décelèrent retinrent
tellement leur attention que les mystères des Mages indiens per-
dirent rapidement l’estime publique : ces jongleurs comprirent alors
que leur gagne-pain disparaissait13. »

Barnley décrivait ainsi une conséquence assez inattendue de la diffu-


sion autonome des pages d’hymnes d’Evans : les Cris furent enthousias-
més par cette nouvelle écriture et par les chants qu’elle transcrivait ; et
il semble que d’emblée ils perçurent un antagonisme entre ces chants
écrits et ceux de leurs chamanes14.

« L’un d’eux toutefois, plus subtil que les autres, semblable en cela
à Mahomet, eut l’idée d’amalgamer les parties de la révélation dont
il avait pris connaissance avec les ingénieuses inventions de son
propre esprit. Avec l’aide d’un habile complice, il conçut que le règne
déclinant des ténèbres pouvait non seulement être sauvé d’une
ruine définitive, mais qu’il pouvait aussi être magnifié par ces frag-
ments de vérité.
En conséquence, ces deux individus prirent congé de leur société
afin de mûrir leurs plans ; puis, suite à une longue absence, ils se

77
chapitre iv

présentèrent à leurs compatriotes comme d’extraordinaires mes-


sagers du paradis. Le premier des deux hymnes dont il a été ques-
tion plus haut commençait par une allusion à la lumière, le second à
notre Sauveur. Les imposteurs profitèrent de cette opportunité pour
accroître leur influence : l’un se fit appeler Wasetek, “Lumière”, tandis
que l’autre emprunta le nom sacré de “Jésus-Christ”15. »

Les deux prophètes dont il est question dans cette lettre sont connus
par le biais d’autres sources16. Il semble que le plus charismatique fut
Abishabis, celui qui se faisait nommer Jésus-Christ ; de son compagnon
on ne connaît que le nom qu’il s’était donné à la suite de leur vision,
Wasiteck, qui signifie en effet « Lumière » en cri. L’hypothèse de Barnley
était juste : les deux prophètes avaient trouvé leurs noms dans les textes
imprimés par James Evans – ils maîtrisaient donc l’art de la lecture
rituelle.
Dans le Cree Syllabic Hymn Book imprimé et diffusé par Evans en 1841,
le premier chant [figure 8] commençait ainsi :

« Jésus mon espoir


Qui est allé en haut
Je vois qu’Il est allé
Là où je devrai aller aussi.
Ceux qui furent bons
Au cours de cette vie
Le chemin de la vie
Là je marcherai17. »

La première strophe du second chant peut, quant à elle, être traduite


ainsi :

« Maintenant vous tous


Soyez très heureux
D’écouter cela
Partout dans le monde :
La Lumière vient à vous
Soyez très, très heureux18. »

Il apparaît donc très clairement qu’Abishabis avait trouvé son nom


dans le premier hymne tandis que le second chant avait été la source
d’inspiration de son compagnon. On ne s’étonnera donc pas trop du fait
qu’Abishabis se soit présenté comme un « extraordinaire messager du
paradis » : en tant que Jésus, il était « allé en haut », à la rencontre de Dieu,

78
figure 8
Premier hymne du Cree Syllabic Hymn Book
de James Evans (1841)
chapitre iv

en suivant le « chemin de la vie ». Et c’est en effet avec un récit de vision


que les deux prophètes revinrent chez les leurs.

« Leur récente absence fut justifiée par le récit de diverses visites


rendues à la fois à la région des futurs bienheureux et à celle des
futurs damnés. On montra une charte sur laquelle était représenté
un chemin passant par le soleil, la lune, etc., qui bifurquait en deux
directions : l’une conduisait au paradis et l’autre à l’enfer.
On décrivait un Paradis des sens peuplé de tous les ingrédients
susceptibles d’être conçus par l’imagination indienne et de la fas-
ciner : les cerfs étaient innombrables, incroyablement gras, gigan-
tesques et délicieux au-delà de toute description. Ils allaient jusqu’à
décrire la personne de ce Dieu : un Esprit “qu’aucun homme n’a vu
et ne pourra voir de son vivant”. Une magnifique demeure, suffisam-
ment grande pour accueillir tous les Indiens, mais seulement eux,
abondamment pourvue de toutes les sources de joies de l’existence,
était décrite. On la disait en cours de construction et elle devait des-
cendre du paradis d’ici quelques années19. »

Dans un contexte d’innovation cérémonielle immanente au sein de


laquelle se répandaient de nouveaux chants accompagnés de la première
transcription écrite de la langue cri, les deux prophètes entreprirent de
diffuser le récit de leur vision eschatologique avec l’aide d’une « charte »
représentant le chemin conduisant de la terre au paradis ainsi que son
détour vers l’enfer. La jonction entre les témoignages de John Cromartie
et de George Barnston s’effectuait finalement assez simplement : c’est
dans une indéniable continuité que le mouvement prophétique cri asso-
cia la copie de livres transcrivant de nouveaux chants rituels à celle de
chartes eschatologiques simplement nommées « Chemins du Ciel ». Les
prophètes prêchaient leurs visions à partir de leurs cartes et leurs adhé-
rents répétaient à l’unisson les chants dont ils se réappropriaient ainsi
l’autorité :

« La croyance en ces faux prophètes était fermement établie et


tous étaient tellement captivés par ce nouveau paradis que jours et
nuits ils n’employaient leur langue que pour chanter les louanges de
ces régions fertiles, de leur inépuisable abondance de baies et d’ani-
maux, comme il était exposé dans les tâtonnements poétiques de
leur grand “Lumière”20. »

Le mouvement était fondamentalement prosélyte : les hymnes écrits


et les chartes eschatologiques voyageaient plus vite et plus loin que les

80
LA CHARTE D’ABISHABIS ET DE WASITECK

prophètes. C’est pour cela qu’au printemps 1843 il se propagea, par l’in-
termédiaire de deux nouveaux prédicateurs, jusqu’à Fort Albany :

« Un zèle missionnaire s’éveilla chez une vieille femme et un


jeune homme : ils s’installèrent parmi les Indiens d’Albany et y intro-
duisirent rapidement leurs chartes ainsi que toutes les fascinantes
révélations de leur nouveau système. Et presque tous ces pauvres
gens s’enthousiasmèrent pour ces illusions : enfants et parents, lais-
sant de côté leurs noms propres, s’appelaient les uns les autres frères
et sœurs, et d’autres extravagances se répandirent également. La
Mission doit beaucoup au Commerçant Chef, G. Barnston, Esq., qui
dénonça promptement et fermement ces artifices pernicieux ; il en
résulta que la vieille Sybille consentit à la destruction de son pré-
cieux livre et à la cessation de la plupart de ces folies21. »

On retrouve donc à Fort Albany l’autodafé de George Barnston et la


capitulation apparente de la prêtresse de York Factory. De quel « pré-
cieux livre » était-il question dans cette lettre ? De la charte eschatolo-
gique ou des hymnes d’Evans ? L’impossibilité de trancher définitive-
ment nous semble suffisamment parlante.
Le processus de diffusion de ce mouvement prophétique cri aura
ainsi emprunté le même trajet que l’écriture syllabique une année plus
tôt. De York Factory à Severn House, de Severn House à Fort Albany, le
récit de vision et les chants rituels d’Abishabis et de Wasiteck finirent
par être remarqués par Barnley dans sa propre mission : « À Moose, la
plupart des indigènes sont tombés dans le même piège22. » Cependant,
comme Barnston, le missionnaire méthodiste ne toléra pas longtemps
ces innovations cérémonielles dont il n’était pas directement respon-
sable ; rapidement il put écrire, satisfait du travail accompli, qu’à Moose
Factory, « l’usage de ces chants, qui étaient de toute évidence le produit
d’un esprit indien resté au stade païen, a été liquidé23 ».

81
Chapitre v

ÉCRITURES DE PROPHÈTES

Les mouvements que nous avons rencontrés, malgré leurs différences,


trouvent leur origine dans les bouleversements intenses et souvent dra-
matiques engendrés par l’arrivée ou l’approche des Euro-américains.
L’environnement naturel et social des Amérindiens se transforma alors
radicalement : des épidémies frappèrent régulièrement mais sélective-
ment, le gibier se fit rare, la déportation conduisit les populations dans
des territoires peu connus et difficiles à exploiter, l’alcoolisme fit rage.
La toile de fond sur laquelle s’inscrivaient les relations avec les colons
demeura continuellement conflictuelle. Les ententes mutuelles et rela-
tivement durables qui s’établirent parfois restèrent toujours corrélées
aux rivalités opposant les colons les uns aux autres. C’est donc dans un
contexte de dissension aigüe entre Amérindiens et Euro-Américains
que doivent être replacées toutes les inventions de rituels et d’écri-
tures décrites jusqu’à présent. Elles s’élaborèrent cependant à partir
d’un conflit plus localisé : celui qui opposa les traditions rituelles amé-
rindiennes au prosélytisme chrétien. Les mouvements de ces prophètes
ou de ces prédicateurs se présentèrent dans leur ensemble comme des
alternatives aux institutions chrétiennes. Il s’agissait à chaque fois de se
passer de ces missionnaires étrangers tout en intégrant certains aspects
de leurs messages, de leurs cérémonies et de leurs outils. On verra dans
ce chapitre comment ce conflit institutionnel fut à l’origine aussi bien
de certaines des innovations rituelles des prophètes algonquiens que de
leurs inventions scripturaires.

Deux aspects de l’invention rituelle


Parmi les innovations introduites par les prophètes algonquiens, deux
types de discours rituels nous retiendront : les discours épistémolo-
giques et les discours liturgiques. Les premiers comprennent l’ensemble
des représentations qui expliquent l’origine du rituel, en décrivent les
autorités surnaturelles légitimant sa propagation et en définissent la

83
chapitre v

finalité. Les seconds permettent d’accomplir de manière performative la


finalité cynégétique, thérapeutique ou messianique du rituel.
Tous ces mouvements amérindiens partageaient un trait commun
évident : ils trouvaient leur origine dans la vision d’un innovateur –
que l’on qualifie ce dernier de prédicateur ou de prophète. Meiaskaouat
fonda sa prédication sur une vision qu’il eut du Capitaine du Ciel, Neolin
dialogua avec le Maître de la vie, Kenekuk reçut ses instructions du
Grand Esprit et finalement Abishabis et Wasiteck purent contempler
Dieu. Ces visions doivent être comprises par contraste avec les visions
personnelles dont la recherche était chose commune parmi ces groupes,
ou encore mises en rapport avec l’importance que ces sociétés accor-
daient aux rêves et parfois à leur valeur prédictive1. Obtenir une vision
et lui accorder une certaine valeur de vérité n’était pas chose nouvelle
pour ces Amérindiens.
Cependant les visions prophétiques différèrent des songes divina-
toires et des visions personnelles qui rythmaient la vie cérémonielle
traditionnelle de ces sociétés. D’abord, elles ne concernaient pas le seul
individu qui les avait obtenues : sous la forme d’un récit, elles devaient
être diffusées à une population entière, voire au plus grand nombre
d’Amérindiens possible. Si ce caractère prosélyte des visions avait cer-
tainement déjà dû exister par le passé, il constitua très probablement
dans ce contexte une réponse aux stratégies de conversion mises en
place par les missionnaires chrétiens. Ce faisant, les récits de vision
empruntèrent de nombreux éléments aux traditions discursives chré-
tiennes. Certains prophètes, comme Abishabis, s’identifièrent à Jésus ;
tous rencontrèrent Dieu ; et tous annoncèrent un monde, post-mortem
ou à venir, scindé par un dualisme moral inédit dans les traditions amé-
rindiennes2. D’un côté un paradis et de l’autre un enfer : les prophètes
se substituèrent aux missionnaires, d’abord en leur empruntant ce dua-
lisme eschatologique, ensuite en révélant une nouvelle marche à suivre
afin de trouver le paradis. Ainsi, les récits de vision des prophètes algo-
nquiens prirent à chaque fois la forme d’un discours épistémologique
préfaçant une cérémonie rituelle : ils expliquaient son origine (la vision),
ils décrivaient l’autorité surnaturelle qui rendait légitimes sa transmis-
sion et sa diffusion (Dieu) et ils lui conféraient une finalité (l’accès à un
paradis céleste ou terrestre). Ces récits qui expliquaient la nécessité de
la propagation des innovations rituelles des prophètes devaient égale-
ment être diffusés, parfois dans le cadre même de la cérémonie.
Les visions furent une constante dans les innovations des prophètes,
contrairement aux éléments liturgiques formant la substance des céré-
monies qui, selon les cas, étaient soit en continuité avec une tradition
locale, soit empruntés au christianisme, soit indéniablement nouveaux.

84
ÉCRITURES DE PROPHÈTES

Chacun des mouvements étudiés établit son propre ratio entre ces trois
aspects. Ainsi, Neolin ne fit vraisemblablement guère que recycler la
liturgie traditionnelle de la cérémonie de la Grande Maison qui, à son
époque, connaissait une certaine déshérence. La narration à voix haute
de récits de visions personnelles constituait le cœur de ce rituel3 et il
est probable que celui de Neolin ait été, dans un premier temps, inclus
dans ces séries de récitations. Cependant, il se singularisa rapidement
en acquérant une valeur dépassant largement la seule personne du pro-
phète et sa répétition correcte devint un élément constitutif du nou-
veau rituel collectif. On ne sait pas si le prophète introduisit de nou-
veaux chants distincts de ce récit de vision, mais dans tous les cas il est
clair que la nouvelle vision de Neolin conféra à l’ancienne cérémonie
une nouvelle épistémologie, non traditionnelle, liée aux instructions du
Maître de la vie.
Les cas de Meiaskaouat et des prophètes cris, Abishabis et Wasiteck,
sont quant à eux assez similaires du point de vue de leur liturgie :
ils intégrèrent des chants rituels empruntés aux chrétiens dans un
contexte chamanique qui provenait de leurs propres traditions. La céré-
monie propagée par Meiaskaouat se réduisait pour l’essentiel à la récita-
tion de chants catholiques. On ne sait pas si le récit de sa vision fit par-
tie intégrante de ces cérémonies ; tout au plus est-il possible d’affirmer
que les chants catholiques étaient dotés, dans ce contexte assez claire-
ment chamanique, d’une nouvelle épistémologie : ils étaient désormais
destinés à rendre la chasse heureuse, peut-être à guérir les maladies. Il
ne fait pas de doute que c’était le récit de la vision singulière du prédi-
cateur qui permettait à ses disciples de comprendre à la fois l’autorité
de ces nouveaux chants (qui superposait le prestige relatif des mission-
naires jésuites, l’exotisme de leur Dieu et le charisme du prédicateur) et
la finalité de leur usage (en continuité avec le chamanisme le plus tradi-
tionnel). Deux cents ans plus tard, les prophètes cris firent à peu près la
même chose avec des chants wesleyens, à ceci près qu’ils empruntèrent
aussi l’écriture syllabique avec laquelle ils étaient transcrits et impri-
més ; il est également possible que leur rituel incorpora la répétition
cérémonielle de leur vision prophétique.
Les innovations liturgiques du prophète kickapoo, Kenekuk, sont
plus délicates à cerner. Les missionnaires protestants voyaient dans son
rituel une variante de la messe catholique, ce qui n’est pas impossible
mais à un niveau de généralité extrêmement élevé. Il est par ailleurs
difficile de savoir si la cérémonie entretenait une quelconque forme de
continuité avec des traditions kickapoos faute de données historiques
circonstanciées. De toute façon, il est un peu vain d’essayer de retra-
cer la provenance de chacun de ses éléments rituels. Il importe avant

85
chapitre v

tout de constater que la cérémonie s’organisait en deux phases dis-


tinctes : d’abord Kenekuk répétait et commentait le récit de sa vision ini-
tiale, sous la forme d’un sermon adapté aux contingences du moment ;
ensuite tous les fidèles récitaient, en chœur, les chants rituels que le
Grand Esprit avait dictés au prophète au cours de sa vision. Le récit de
vision jouait donc bien, encore une fois, le rôle de préface épistémolo-
gique des chants liturgiques.
À chaque fois donc, les innovations rituelles introduites par les pro-
phètes algonquiens se répartirent entre le récit d’une nouvelle vision et
une série d’actions rituelles dont la provenance, la légitimité, la signifi-
cation et la finalité étaient explicitées par la vision. À partir de ce cane-
vas commun, chaque mouvement se mit en place en suivant une confi-
guration originale. Pour certains, la récitation de la vision initiale
du prophète était un élément constitutif du rituel, pour d’autres non.
Certains empruntèrent des chants et des éléments liturgiques à des tra-
ditions étrangères et leur conférèrent un nouvel usage ; d’autres ne firent
que donner une finalité nouvelle à une ancienne cérémonie. Chacune
de ces petites innovations, en décalage les unes par rapport aux autres,
s’ajustait à des contextes culturels et à des moments historiques singu-
liers et, toutes ensemble, elles formèrent les dispositifs rituels uniques
que propagèrent ces mouvements prophétiques.

La carte des récits de vision et l’écriture des chants


Si nous avons choisi ces quatre mouvements prophétiques algonquiens
plutôt que d’autres, car ils furent bien plus nombreux dans la région4,
c’est que tous eurent recours à une technique d’inscription particulière
destinée à diffuser et stabiliser leurs nouveaux discours. Tous ces pro-
phètes inventèrent pour leurs discours cérémoniels une technique de
notation, c’est-à-dire une forme d’écriture. Ces écritures partageaient
deux traits pragmatiques communs qui en faisaient des écritures atta-
chées : elles n’avaient d’usage qu’en contexte cérémoniel et elles accom-
pagnaient la mémorisation orale d’un discours rituel. Elles se répartis-
saient en deux grands genres : les cartes et les écritures de chants.
La carte est une technique qui réunit les prophètes delaware, kic-
kapoo et cri. Dans chaque situation singulière, le récit de vision du pro-
phète s’appuya sur une carte qui retraçait d’une part la topographie
théorique du monde à venir et d’autre part les chemins reliant chaque
zone de cette topographie. Il est clair que la continuité discursive com-
plète du récit de vision n’y était pas inscrite en tant que telle : la carte
n’en fournissait que les points de repère principaux, elle n’en était
que le sommaire – parfois topographique (lorsque le discours décri-
vait une zone puis une autre) et parfois séquentiel (lorsque le discours

86
ÉCRITURES DE PROPHÈTES

énumérait des séries de péchés correspondant à des séries de traits).


Les caractéristiques communes de ces cosmogrammes étaient les sui-
vantes : une répartition en zones distinctes de la Terre, du Paradis et de
l’Enfer ; un réseau de chemins qui conduisaient d’une zone à l’autre ;
quelques spécifications idiosyncrasiques prenant la forme de série de
traits ou de figures iconographiques simples. La fonction de représen-
tation géographique de ces cartes se superposait ainsi à une fonction
d’ordonnancement séquentiel du discours qui rythmait la répétition
du récit de vision du prophète5. L’invention, par les prophètes algon-
quiens, de ces cartes ou de ces cosmogrammes eut donc pour finalité de
faciliter la propagation et la stabilisation du schéma narratif général de
leur récit de vision.
Il peut paraître hardi ou exagéré de considérer ces cosmogrammes
prophétiques comme des écritures. Néanmoins dans la mesure où il
a été établi que ces techniques d’inscription étaient liées de manière
systématique à un discours rituel, il est impossible de les penser uni-
quement comme de simples cartes géographiques, comme de simples
représentations spatiales (réelles ou imaginaires, peu importe). Au
contraire, ces cosmogrammes illustrent parfaitement l’une des carac-
téristiques originales des écritures sélectives en général : contrairement
à l’écriture intégrale, les écritures sélectives peuvent être enrichies6.
Ainsi, il est assez probable que les cartes des prophètes algonquiens ne
se contentèrent pas d’inscrire l’ossature narrative des récits de vision
qu’elles étaient destinées à stabiliser et qu’elles apportèrent également
des informations supplémentaires, absentes de leur discours cible.
Meiaskaouat peut-être, Kenekuk certainement, furent les seuls à uti-
liser de manière consistante une écriture sélective destinée à faciliter
la mémorisation de chants rituels. Rappelons qu’une écriture sélective
est une méthode d’inscription qui permet de stabiliser, dans un ordre de
succession strict, les éléments les moins stables d’un discours formalisé.
Cela signifie deux choses. D’abord, les écritures sélectives n’étaient pas
destinées à noter n’importe quel discours, elles n’avaient pour objec-
tif que de transcrire un domaine discursif limité, les discours formali-
sés. Ensuite, elles s’adaptaient à la répartition mise en place par la for-
malisation du discours entre d’une part les éléments répétés et d’autre
part les éléments variables : par principe d’économie, l’écriture sélective
ne notait que les éléments variables. Dans ce cadre, chaque discours for-
malisé définissait son propre ratio répétition/variation ; un des ratio les
plus répandus parmi les traditions rituelles, très probablement pour des
raisons ayant trait aux caractéristiques de la mémoire humaine, prit la
forme du parallélisme. Les chants parallélistes se prêtaient particulière-
ment bien à une transcription de nature sélective : ils faisaient alterner

87
chapitre v

de longues formules répétées inlassablement et donc peu difficiles à


mémoriser à de courtes variations dont il fallait retenir à la fois la forme
discursive (tel mot ou telle phrase) et l’ordre d’énonciation (un mot puis
un autre, puis un autre, etc.). Les écritures que l’on nomme souvent pic-
tographiques doivent donc, plus correctement, être qualifiées d’atta-
chées et de sélectives.
Les indices fragmentaires qui nous sont parvenus au sujet des chants
rituels transcrits par les bâtons à prières de Kenekuk laissent très claire-
ment deviner qu’il s’agissait de discours parallélistes. Les cinq variables
(cœur, corps, vie, nom, famille) étaient notées les unes derrière les
autres dans un ordre immuable qui s’inscrivait à son tour dans un cos-
mogramme orienté, dérivé de celui que le prophète traçait sur le sable,
et opposant la Terre, en bas du bâton, au Paradis, en haut. Cette struc-
ture simple se dispensait donc de noter les longues formules dans les-
quelles s’enchâssaient ces variables, formules inlassablement répétées
et confiées à la mémoire orale. Elle avait de plus l’avantage de donner à
voir de manière figurative la relation qu’entretenaient les cartes et les
écritures sélectives, c’est-à-dire les discours épistémologiques et les
chants liturgiques : de la même manière que les récits de vision consti-
tuaient les préfaces épistémologiques des actions rituelles, le cosmo-
gramme figuratif apparut comme la condition spatiale de la succession
des variables sélectivement transcrites (dont l’iconographie, quoique
très systématique, paraît avoir été arbitraire).
Pour Meiaskaouat comme pour Kenekuk, l’invention de l’écriture
répondit donc à la nécessité de stabiliser des chants rituels en en trans-
crivant sélectivement les éléments variables. Et c’est en continuité avec
ce processus d’invention qu’il faut penser les phénomènes d’appropria-
tion de l’écriture intégrale qui eurent lieu au sein des mouvements kic-
kapoo et cri. Dans un cas comme dans l’autre, l’appropriation de cette
écriture s’effectua dans un contexte identique à celui des écrits sélec-
tifs : il s’agissait de transcrire des chants rituels destinés à être récités à
voix haute très régulièrement et donc à être retenus par cœur. Si, comme
nous l’avons vu en introduction, la sémiotique de l’écriture intégrale
différait grandement de celle de l’écriture sélective, la pragmatique de
leurs usages respectifs était identique : toutes deux furent des écritures
attachées. L’écriture intégrale fut ainsi confinée, pendant un temps, à ce
contexte institutionnel particulier, dans le cadre duquel on pouvait se
contenter de la lire et de la recopier, comme on lisait et on recopiait les
cartes et les écrits sélectifs7. Néanmoins, malgré cette continuité prag-
matique, l’écriture intégrale contenait en germe d’autres usages, déta-
chés de toute institution rituelle, que les deux sociétés algonquiennes
ne tardèrent pas à découvrir.

88
ÉCRITURES DE PROPHÈTES

Un des aspects à retenir de cette analyse est l’étrange récurrence de


techniques similaires utilisées pour transcrire des genres de discours
similaires, correspondant aux deux aspects de l’innovation rituelle que
nous avons distingués. D’une part, les récits de vision furent transcrits par
des cosmogrammes (le vieux prêtre delaware, Neolin, Kenekuk, Abishabis
et Wasiteck) ; d’autre part, les chants rituels furent notés par deux formes
d’écriture, l’écriture sélective (Meiaskaouat, Kenekuk) et l’écriture inté-
grale (les successeurs de Kenekuk, Abishabis et Wasiteck). Ces techniques
furent donc inventées ou empruntées pour stabiliser et propager les deux
genres de discours rituels nouveaux ; c’est pour cela qu’il est possible de
parler de cartes épistémologiques et d’écritures liturgiques.

L’invention prophétique de l’écriture


Les prophètes algonquiens proposèrent tous une alternative au christia-
nisme. C’est ce conflit institutionnel de base qui permet de comprendre
la logique et la dynamique des nouvelles cérémonies qu’ils essayèrent de
mettre en place. Un prosélytisme se confrontait à un autre et c’est pour-
quoi les prophètes avaient besoin de techniques de diffusion efficaces.
Ces prosélytismes amérindiens passaient eux aussi, comme l’évangé-
lisation, par la propagation de discours cérémoniels à apprendre par
cœur, à transmettre fidèlement et à réciter ou à chanter dans le cadre de
rituels divers. Les prophètes avaient tous conscience d’emprunter cer-
tains éléments, épistémologiques ou liturgiques, au christianisme. Mais
il ne s’agissait en aucun cas d’une conversion : au contraire, le nouveau
dispositif rituel qu’ils proposaient se présentait comme une institution
alternative destinée à rendre caduque l’évangélisation par les mission-
naires étrangers.
C’est à partir de ce conflit institutionnel que l’on doit comprendre
l’invention de nouvelles techniques d’inscription du discours par les
prophètes. Certes, cosmogrammes et écritures liturgiques étaient utiles
pour propager et stabiliser leurs innovations discursives, leurs récits
de vision et leurs nouveaux chants. Mais il est très clair que les pro-
phètes inventèrent ces formes d’écriture à partir de l’émulation issue de
l’usage chrétien de la Bible. Tous les Amérindiens avaient eu l’occasion,
au cours de leur vie, d’entendre les colons euro-américains dénigrer leur
culture et leurs rituels en invoquant leur analphabétisme et l’absence de
livre sacré au fondement de leur « religion »8. Les prophètes leur appor-
taient un livre dont ils pouvaient dire qu’il était leur Bible. Non seule-
ment, la valeur de leur nouveau rituel ne pouvait qu’en sortir renforcée
mais, ce faisant, ils permettaient aussi à leurs disciples de s’approprier
une prestigieuse technologie qui s’opposait frontalement à celle des
étrangers9. Il n’est donc pas étonnant que ces écritures rituelles fussent

89
chapitre v

inventées dans le contexte de mouvements prophétiques permettant,


certes momentanément, d’unir les Amérindiens dans une « commu-
nauté imaginée10 » qui, dans le cas du prophétisme delaware, entra vio-
lemment en conflit avec les forces coloniales de l’Empire britannique ou
qui, dans le cas du prophétisme kickapoo, résista longtemps à la dépor-
tation organisée par le gouvernement américain.
Cependant, du point de vue des prophètes algonquiens, il s’agis-
sait probablement moins de se situer par rapport à la société coloniale
dans son ensemble que de se positionner vis-à-vis de son avant-garde
missionnaire. Ce n’est que face à ces prosélytes alternatifs que la course
aux armements put prendre un sens pertinent et que l’appropriation
d’une technologie efficace et imposante représenta une avancée tac-
tique manifeste. C’est très probablement pourquoi Charles Meiaskaouat
nomma ses écrits sélectifs des Massinahigan, terme alors utilisé pour
désigner l’écriture des Européens, et que Buteux traduisit par « Livre »,
avec une majuscule ; il s’agissait très clairement pour lui de trouver un
substitut à l’écriture alphabétique que les missionnaires jésuites vou-
laient alors se réserver mais qu’ils employaient pour traduire et trans-
crire les chants rituels qui l’intéressaient – le Credo, le Pater noster ou
l’Ave Maria. Les prophètes delawares utilisèrent de manière constante
le terme « Livre » qui ne fut hélas jamais donné en langue vernaculaire
par les observateurs ; on en trouve toute une série de variantes : « Livre
Indien », « Lettre », « Livre d’Images », « Grand Livre », « Écriture » ou
« Bible ». Tous utilisaient donc leur cosmogramme eschatologique non
seulement pour propager le récit de leur vision mais aussi pour en faire
des substituts de la Bible des Euro-américains. On retrouve le même
phénomène dans le mouvement créé par Kenekuk : les disciples kic-
kapoos et potawatomis qualifiaient les écrits sélectifs, dont les carac-
tères arbitraires ressemblent fortement, par leur systématicité, aux
lettres latines, de « Livre » et de « Bible ». Finalement, il semble aussi
que les prophètes cris nommèrent leur charte « Livre », si l’on en croit le
témoignage, certes lapidaire, de Cromartie.
Dans tous ces cas, l’invention prophétique d’une forme d’écriture
ne peut être expliquée qu’en tenant compte de l’émulation créée par la
concurrence qui opposait les deux institutions, chrétienne et prophé-
tique : toutes deux s’adressaient au même public et les secondes s’em-
parèrent des outils des premières11. Ce faisant, les prophètes s’appro-
priaient aussi bien la fonction stabilisatrice de l’écriture que le prestige
et l’autorité du Livre de leurs concurrents. La comparaison de l’ensemble
de ces prophétismes scripturaires algonquiens a ainsi permis de définir
précisément une première configuration institutionnelle conditionnant
l’invention de l’écriture.

90
Chapitre vi

L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN,


UNE SOCIÉTÉ CHAMANIQUE OJIBWA

Deux témoignages à plus d’un siècle d’écart


En 1710, Antoine-Denis Raudot, l’intendant de la Nouvelle-France, écri-
vit dans une lettre un passage concernant ceux qu’il nommait les
« jongleurs » de la société des « Sauteurs », c’est-à-dire des Ojibwas. Ses
informations étaient certainement de seconde main, soit qu’il n’ait
qu’entendu parler de ce genre de scène rituelle, soit qu’il l’ait tirée de
mémoires manuscrits restés inédits :

« L’abondance du poisson rend l’endroit du Saut, où demeurent


les Sauteurs dont je vous ai parlé par ma dernière lettre et que les
Français ont nommé Sault de Sainte-Marie, habité pendant l’été de
plusieurs nations errantes qui viennent pour y vivre ; c’est là où ils
exercent leurs diableries jusqu’à l’excès ; outre les rêves, les danses,
et les sacrifices et autres idées superstitieuses que les Sauteurs ont
comme les autres nations, ils enchérissent par dessus et font comme
nos opérateurs de France qui courent les villes ; ils répandent de la
médecine et font à ce qu’ils disent mourir par leur sortilège ceux
qui ne sont pas de leurs amis, ce qui est cru par les autres sauvages,
car parmi toutes les nations il n’y a point de vieux ni de vieille qui
n’aient quelque secret de médecine ou vraie ou fabuleuse.
Ces Sauteurs trouvent le secret de se faire craindre par leurs dis-
cours, et pour persuader davantage ils conviennent avec une ou plu-
sieurs personnes qu’elles feront le personnage de moribond, de mort
et de vivant, suivant que cela leur sera nécessaire pour prouver leur
puissance.

91
chapitre vi

C’est en ce temps qu’ils font savoir au public par une harangue,


que dans la cabane d’un tel on y dansera la médecine, et que les
jongleurs y feront voir des effets prodigieux de leur science et de
leur pouvoir. Longtemps auparavant ils préparent au son du tambour
avec des invocations diaboliques les remèdes ou arts magiques dont
ils prétendent se servir ; ensuite la nuit indiquée, ils apprêtent leur
attirail qui consiste dans plusieurs petits sacs ou paquets d’écorce,
dans lesquels il y a des poudres et des ossements de bêtes, et une
peau de loutre qu’ils font remuer et sauter suivant les mouvements
de leurs corps et de leur chichikoüé [hochets].
Quand tout le monde est assemblé, un des jongleurs commence
à faire un grand discours à leur louange ; ils y vantent leur science
et leur pouvoir sur la vie et sur la mort des hommes ; les autres l’ap-
plaudissent ; et pour commencer à prouver ce qu’il dit, ils jettent de
leur poudre sur les personnes qui sont à leur dévotion, lesquelles aus-
sitôt tombent et se tourmentent comme des possédés, écumant et
faisant des cris terribles ; les jongleurs redoublent de leur côté ceux
qu’ils font, leur jettent encore de leur poudre et le moribond contre-
fait le mort ; on le porte, on le tourne, il paraît sans connaissance et
sans mouvement. C’est en ce temps que ces jongleurs triomphant
de la surprise qu’ils voient sur tous les visages s’écrient que ce n’est
rien, que la vie et la mort dépendent d’eux, qu’ils lui ont ôté la vie,
mais qu’avec leurs remèdes ils vont la lui rendre ; tout est pendant ce
temps dans un profond silence et d’une grande attention ; pour cet
effet ils lui soufflent d’une autre médecine en invoquant leur mani-
tou, appellent ce mort qui ne l’est que parce qu’il le veut bien être et
qui pour finir la scène revient peu à peu avec la même santé qu’il avait
avant tout ce manège ; il se lève, s’assied ensuite et raconte à l’assem-
blée des fables et des histoires de l’autre monde qu’il dit avoir vu1. »

L’explorateur Joseph-Nicolas Nicollet assista, chez le même peuple,


à une cérémonie très semblable un siècle plus tard, le 5 février 1837,
dans la région des sources du Mississippi. On en trouve, dans ses notes
manuscrites, le compte rendu suivant :

« Le jour de l’initiation tout le village est en émoi, et dès le lever


du jour, les sauvages viennent de tous côtés. Les mizhinaweg, les
deux qui ont reçu les plumes colorées, procèdent à la construction
d’une grande enceinte, avec deux portes ou entrées ; l’une à l’orient,
l’autre au couchant. Pendant ce temps-là, la Faculté et le candidat
sont réunis dans la loge où ils ont passé une partie de la nuit, et où
l’instruction du candidat se continue. Okagikimawan : c’est-à-dire ils

92
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

le conseillent. Les dons que fait le candidat se composent de cou-


vertures de drap, de chaudières, de fusils, de pièges, en assez grande
quantité pour pouvoir faire huit paquets présentables, destinés aux
huit membres de la Faculté. Il y a de plus un plat qui contient huit
bouchées d’une nourriture quelconque. Ce plat se nomme mideona-
gon : le plat de la cérémonie de Médecine, et les présents : pagijigo-
num. La grande enceinte, ou midewigomik, étant préparée, tous les
Mide, hommes et femmes, s’y rendent, et se placent aux endroits
réservés. […]
Quant tout est prêt, les mizhinaweg vont avertir la Faculté. Ils
sortent gravement, marchant l’un derrière l’autre. Le candidat est en
tête, portant un bâton auquel les présents sont suspendus. Les pré-
sents qui ne se consomment pas, se nomment sasagiwijigon, au sin-
gulier, et sasagiwigonun, au pluriel. Le dernier de la file porte le mideo-
nagon. Tous chantent ; le candidat chante de la manière suivante :

Wabamishin, Wabamishin, Wabamishin


(Regarde-moi, regarde-moi, regarde-moi)
Ezhinagwioyan
(Comment je suis arrangé)

Ils entrent dans la loge par la porte du levant, en font le tour par le
sud, l’ouest, le nord, et reviennent se mettre le long du côté oriental
de la loge, faisant front au centre. Les mizhinaweg prennent les pré-
sents des mains du candidat, et vont les suspendre par deux cordes,
à une certaine distance. La Faculté refait un autre tour dans le même
sens, en chantant un autre air, avec les seuls mots :

Wemittigoshiwug omadindaganiwan nindayamoowan


(Je les ai, les marchandises des Blancs)

La chanson finie, avec le tour de la loge, le candidat et les huit


disent, de manière à ce que tout le monde l’entende : “Kanagekana.”
On répond en chœur : “Na.” Sur quoi, la Faculté va se placer au nord.
Il y a deux foyers où l’on entretient du feu sans autre signification
que pour allumer les pipes, dans les intervalles, et pour chauffer, si
la saison est froide. Il y a aussi un poteau qu’ils nomment midewa-
tig, de quelques pouces d’épaisseur sur trois à quatre pieds de haut,
peint selon le goût des mizhinaweg. Au sud, en face de la Faculté, sont
les chanteurs, avec le tambour mittigwakik, et les shishigwan pour
accompagner, un petit maillet pour frapper le tambour. Ce maillet se
nomme pagaakookwan.

93
chapitre vi

L’un des huit fait une harangue sur le pouvoir des manidos de gué-
rir ou de rendre malade, pouvoir donné aux Mide, et transmis d’âge
en âge jusqu’à eux. Après la harangue, le candidat se lève et fait le
tour de la loge, s’arrêtant pour regarder tous les membres, et leur
disant à chacun, un mot de salut qu’il accompagne d’un mouvement
de la main, comme s’il les comptait, ou comme s’il les bénissait. […]
La Faculté se lève, se déplace et chante une chanson :

Nabek owibian… manido nindanissa


( Je pourrais tuer un esprit, avec mon sac de Médecine fait avec
une peau d’ours mâle)

Le candidat se met à genoux sur une couverture étendue. Les huit


font le tour de la loge, par le sud, en disant, “Nikanug, Nikanug” (Mes
confrères), saluant de la main, et vont se placer à l’occident, font un
demi-tour pour faire front au candidat. De là, les huit membres vont
partir pour huit tours de la loge, par le sud, l’ouest. Ils se suivent en
file, mais ces huit tours sont exécutés dans des circonstances parti-
culières qui ont pour objet de montrer le pouvoir qu’a leur Médecine
de tuer, en l’essayant sur le candidat. Celui qui marche en tête, en
commençant le premier tour, tient son sac de Médecine, comme
il tiendrait un fusil prêt à faire feu. Il s’avance en menaçant le can-
didat du coup qu’il va tirer avec son sac, en faisant de la bouche,
“Hohohoho ! hohohoho… hoho ! hoho ! ho !”. Le candidat tremble et n’est
que blessé par le coup. [Chaque membre tire ensuite, tour à tour, sur
le candidat].
Il s’agit de l’achever, et c’est ce dont est chargé le dernier membre
qui tient le sac de Médecine fait avec la peau d’ours, et dont on a
chanté le pouvoir dans la chanson précédente (cette chanson chan-
gerait, si l’on prenait un autre sac). Avant de commencer le huitième
tour, celui qui doit achever le candidat, fait une harangue : “Voici un
sac de Médecine qui m’est venu de mon grand-père, par mon père.
Mon père m’a dit que jamais je ne manquerai mon coup quand je
m’en servirai. Mais je suis vieux. Mes confrères, aidez-moi, pour que
j’aie la force de souffler, de tirer sur cet homme qui est là, à genoux. Il
a une marque rouge sur le cœur, je m’en vais souffler là, et ma méde-
cine ne manquera pas.” Il commence ses menaces “Hohohoho ! hoho-
hoho !”, en s’avançant contre le candidat, et suivi par les autres sept
membres. Arrivé à portée, il fait feu, en disant “Ho !”, et le candidat
tombe mort. […] Il s’agit de prouver par cet exemple sur le candidat
que si la Médecine a le pouvoir de rendre malade et de faire mourir,
elle a aussi celui de guérir et de ressusciter.

94
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

À la chute du candidat, il y a une grande excitation dans toute


l’assemblée, et parmi le peuple. Les chanteurs se transportent vers
le poteau, dansent autour, en faisant aller les shishigwanun et le tam-
bour. Tous les assistants du Mide se lèvent et piétinent en cadence
sur place. Les membres de la Faculté sont autour du mort dont ils
ont couvert le corps de leurs sacs de Médecine. Un moment se passe,
et l’on cherche à relever le corps avec précaution pour le mettre sur
ses pieds, en marquant par des “Ya-ha ! ya-ha !”, les divers degrés de
retour à la vie. Le candidat est debout, il est déjà ressuscité. On lui
fait boire une médecine et le voilà en bonne santé. Il est initié, il a
les pouvoirs de la Médecine et c’est ce que le reste de la cérémonie
va prouver.
Son premier acte, est de reconnaître tous les membres du
midewiwin, comme ses confrères. Jusqu’ici il les a appelés : père,
oncle, frère, cousin, fils, mère, tante, sœur… Maintenant, il va les
saluer du titre de nikanug, mes confrères. Il fait le tour de la loge en
le prononçant et vient se mettre près de la Faculté où il reçoit son
diplôme de la main du membre qui lui a porté le dernier coup. C’est-
à-dire qu’on lui donne un sac de médecine qui lui confère le pouvoir
de pratiquer, et un grain de porcelaine, personnification de la mala-
die qu’on donne ou qu’on ôte2. »

Plus d’un siècle sépare ces comptes rendus et pourtant les deux céré-
monies apparaissent des plus semblables. Ce que décrivaient les deux
auteurs n’était autre que le rituel d’initiation de la société chamanique
des Ojibwas, nommée « Midewiwin ». Plusieurs aspects clefs y étaient
d’emblée présentés : le caractère collectif et hiérarchique de la cérémo-
nie, la loge rituelle (cabane ou enceinte) qui l’accueillait temporaire-
ment, les harangues, les danses, la musique, les chants et surtout, cli-
max de la cérémonie, le meurtre rituel du candidat à l’initiation puis sa
résurrection, l’un et l’autre accomplis par les initiés grâce à un sac-mé-
decine zoomorphe [figure 9]. Nicollet s’attardait également sur les
sueries dans lesquelles le candidat devait se décrasser, sur les présents
qu’il devait distribuer aux initiés et sur le festin que tous partageaient
par la suite. Il ne s’agissait là que de la partie publique, la plus spectacu-
laire, des activités rituelles de la société. Suite à cette initiation, le pré-
tendant devait s’engager dans un long apprentissage au cours duquel lui
étaient transmis de nombreux remèdes et chants chamaniques. Selon
les termes de Nicollet, « être reçu Mide, n’est pas plus pour les sau-
vages, qu’un étudiant qui vient d’être reçu docteur, pour nous. Il faut
une longue pratique, apprendre les mille et mille chansons, les plantes
manidos ou gouvernées par les manidos3 ». C’est dans le cadre de cet

95
figure 9
Le « tir » du migis
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

apprentissage qu’était utilisée une « écriture hiéroglyphique » propre


aux « membres du corps de Médecine4 ». Tout ce savoir ésotérique était
par la suite mis en œuvre par l’initié dans le cadre de rituels destinés à
soigner les maladies de clients non initiés5.

Une société chamanique ojibwa


L’apparente stabilité de l’institution ne doit pas faire illusion : la plupart
des historiens s’accorde aujourd’hui pour reconnaître le caractère his-
torique de cette société chamanique qui n’existait probablement pas
comme telle au XVIIe siècle6. Le Midewiwin est donc très certainement
une innovation rituelle propre au monde amérindien du XVIIIe siècle.
Parmi les sociétés algonquiennes de l’ouest des Grands Lacs, les pra-
tiques traditionnelles liées au monde surnaturel étaient assez variées.
Elles incluaient les quêtes de visions au cours desquelles le jeune ado-
lescent, seul et le visage noirci au charbon, devait rencontrer, à l’is-
sue d’un jeûne plus ou moins sévère, une entité surnaturelle qui pren-
drait « pitié » de lui et deviendrait son « protecteur » tout au long de sa
vie7. Très répandue également était l’institution de la tente tremblante,
spécialité rituelle de chamanes qui, rendus momentanément invisibles,
incarnaient diverses entités surnaturelles dotées de compétences divina-
toires (en particulier la tortue) avec lesquelles les participants pouvaient
dialoguer8. Les chamanes de la région dirigeaient aussi des rituels collec-
tifs propitiatoires au cours desquels ils tentaient de garantir une chasse
heureuse en accompagnant leurs exhortations chantées de diverses
offrandes (tabac, etc.) aux entités maîtresses du gibier9. Ce n’est cepen-
dant qu’avec le témoignage indirect de Raudot, daté de 1710, qu’un phé-
nomène susceptible d’être qualifié de société chamanique apparaît dans
les archives d’origine euro-américaine. La cérémonie qui y était décrite
intégrait certes de nombreux éléments issus de ces diverses traditions
(peut-être les visions si l’on en croit Raudot, certainement les sacs-mé-
decine et le poteau cérémoniel de la loge qui correspondait aux perches
des rituels cynégétiques10), elle n’en demeurait pas moins très originale.
En effet l’ensemble de la cérémonie d’initiation du Midewiwin, qui
avait lieu à intervalles réguliers, était orienté vers la transmission d’un
sac-médecine, ainsi que le fit ressortir clairement Nicollet puis tous
ceux qui la décrivirent par la suite11. C’est avec ce sac, dont l’ouverture et
la fermeture étaient ritualisées, que les initiés « tiraient » sur le novice ;
c’est lui qui contenait le mystérieux coquillage chamanique nommé
migis, à l’origine des pouvoirs des chamanes ; c’est enfin son aspect qui
indiquait le niveau hiérarchique atteint par le sociétaire12. La transmis-
sion de ces sacs-médecine était associée à celle d’un long récit mythique
et d’une multitude de chants chamaniques. Par contraste avec les

97
chapitre vi

cérémonialismes des groupes algonquiens qui associaient un paquet


cérémoniel particulier à un clan particulier (et à son mythe d’origine)13,
la transmission de sac propre au Midewiwin introduisait une dimension
verticale, remplaçant l’horizontalité relative des multiples clans par l’ex-
plicite hiérarchie des degrés initiatiques, qu’on en comptât quatre ou
huit. Toutefois, dans un cas comme dans l’autre, l’obtention inspirée de
nouvelles visions personnelles (et des chants qui en découlaient) était
mise de côté au profit de la transmission de longs récits mythologiques
décrivant l’origine de la cérémonie et de ses chants – ces derniers fai-
sant également l’objet d’un apprentissage par la répétition la plus exacte
possible. Ce processus de canonisation des discours rituels, mythiques
et chantés, s’accompagna ainsi de l’éradication des visions et des chants
inventés ou « inspirés », de l’objectivation marchande du savoir chama-
nique ésotérique (tous les observateurs décrivirent l’importance des
paiements initiatiques et leur incessante inflation), de la constitution
d’une stratégie pédagogique de type scolaire (ce qui se retrouva traduit,
par exemple dans le compte rendu de Nicollet, par des termes tels que
« Faculté », « docteur », « diplôme », etc.) et de l’usage de techniques d’ins-
cription spécifiques.
D’une manière plus générale, la configuration institutionnelle de
la société chamanique du Midewiwin pouvait être simplement défi-
nie au moyen de trois spécifications. D’abord, elle s’inscrivit dans une
complémentarité plus ou moins conflictuelle, en fonction des circons-
tances, avec une institution chamanique préexistante. La société du
Midewiwin ne fit pas disparaître les chamanes visionnaires nommés
Jaasakid qui utilisaient la tente tremblante : les deux institutions cha-
maniques, dont les objectifs pratiques pouvaient parfois se recouvrir,
coexistèrent sans réel problème. Ensuite, la diffusion du savoir propre
au Midewiwin fut d’emblée extrêmement restreinte, conditionnée par
une initiation longue et coûteuse : à chaque génération, seule une infime
fraction de la population ojibwa eut accès à ses secrets, à ses chants et à
ses remèdes. Enfin, l’institution rituelle, malgré sa nouveauté et son ori-
ginalité, se pérennisa pendant au moins deux siècles, depuis le début du
XVIIIe jusqu’au milieu du XXe siècles dans certaines régions, faisant ainsi
preuve d’une indéniable stabilité.

Les répertoires graphiques ojibwas


Le marchand de fourrure George Nelson fut, semble-t-il, le premier à
laisser un témoignage écrit sur l’usage d’une écriture chamanique chez
les Ojibwas. Ce souvenir de jeunesse, retranscrit plus tard dans son jour-
nal, remontait aux années 1802-1804, lorsqu’il vivait dans le nord du
Wisconsin :

98
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

« Leurs chants peuvent êtres transcrits sous forme de notes hié-


roglyphiques, gravées ou dessinées sur de l’écorce, et c’est ainsi
qu’ils sont enseignés. [Comme il s’agit de hiéroglyphes similaires à
ceux des Égyptiens,] il n’en existe pas deux d’identiques ; ils néces-
sitent donc un certain temps pour être appris, l’un après l’autre ;
car leurs notes ne sont pas comme les nôtres, composées de traits
réguliers, de telle sorte que la portée peut toutes les accueillir. Chez
eux, chaque note peut en quelque sorte être considérée comme une
portée.
J’ai néanmoins quelque raison de penser que ces inscriptions
sont régulières et uniformes – car il y a bien longtemps, alors que
je n’étais guère qu’un jeune garçon, je me souviens avoir jeté le
contenu d’un sac-médecine dans lequel il y avait quelques bandes
d’écorce couvertes de ce genre de notes. Un Indien qui se trouvait à
proximité en récupéra une et commença à chanter en suivant régu-
lièrement chaque note de la pointe de son couteau à la manière des
enfants qui apprennent leur alphabet. […] Je lui demandai comment
il s’y prenait.
“Comme toi, répondit-il, lorsque tu lis tes papiers. Regarde, cela
signifie Tonnerre ; et cela, Terre, etc. Mais je ne connais que très peu
de ces chants ; celui qui possédait ce sac en savait beaucoup plus :
c’était un grand homme-médecine, un docteur”14. »

Il s’agissait bien là de « l’écriture hiéroglyphique » que mentionna


très brièvement Nicollet : une technique permettant de « noter » des
chants chamaniques. Si cette écriture sélective était très probablement
une nouveauté dans le cadre du chamanisme algonquien, ses sources
iconographiques ainsi que ses techniques calligraphiques étaient, quant
à elles, issues d’une longue tradition15.
Les peuples de la région faisaient en effet depuis longtemps usage
de « hiéroglyphes » dans divers contextes et d’abord dans celui de l’hé-
raldique. Une pratique particulièrement répandue consistait ainsi à se
peindre sur le corps (en rouge et blanc de préférence) ou à graver sur son
casse-tête les armes du groupe auquel on appartenait, c’est-à-dire son
« totem »16. Ces armoiries, dont une belle liste concernant les peuples du
Pays d’en Haut nous est parvenue17, prenaient généralement la forme
d’animaux – par exemple, l’ours, l’écureuil, la grue, le lièvre, la perdrix,
l’aigle, l’esturgeon, l’orignal, le renard, la loutre, la tortue, etc. Ces signes
héraldiques à l’iconographie standardisée, transmis de manière patri-
linéaire, pouvaient être gravés ou peints sur un poteau de bois planté
sur la tombe d’un guerrier [figure 10]18 ; ils firent aussi office de signa-
tures lors de la conclusion de nombreux traités avec les administrations

99
figure 10
Poteaux funéraires armoriés
figure 11
Recensement ojibwa

figure 12
Une carte ojibwa
Cette carte est centrée sur le fleuve et ses affluents. Son auteur appartient aux
personnes représentées dans les trois canoës. Le personnage à la proue du pre-
mier canoë en partant de la droite appartient au clan des Pics et celui à la poupe
au clan des Serpents ; les personnages aux deux extrémités du canoë du milieu
appartiennent respectivement aux clans du Poisson-Chat et de l’Ours ; le per-
sonnage du dernier canoë est du clan du Loup. Ces trois groupes de voyageurs
se sont arrêtés deux nuits à un lieu situé après la jonction du fleuve et de l’un de
ses affluents (trois tentes contenant une marmite et deux traits verticaux) et ont
vu, sur un autre affluent à l’embouchure duquel ils ont laissé un bâton incliné,
trois Sioux dont deux étaient armés de fusils (Densmore 1929, p. 178-179).
chapitre vi

coloniales successives ou dans les divers recensements commandés


par ces mêmes autorités [figure 11]19 ; ils furent finalement employés
dans des contextes aussi divers que des comptes rendus de chasse et de
guerre20 ou des livres de compte21.
Les Amérindiens de la région étaient également connus pour leur art
cartographique [figure 12] que le trafiquant et interprète John Long
décrivit ainsi vers la fin du XVIIIe siècle :

« Quoique les Indiens soient très habiles à tracer des pays sur de
l’écorce d’arbre au moyen de charbon de bois mêlé avec de la graisse
d’ours (ce que les femmes font avec beaucoup d’adresse), il est bon
d’observer que la longueur de la marche d’une journée est cependant
très indéterminée et ne peut en conséquence donner aucun rensei-
gnement géographique. Pour preuve de cette remarque, il suffira, je
l’espère, de considérer que leurs plans consistent surtout en lacs et
en fleuves parce qu’ils font rarement de longs voyages par terre ; et
lorsqu’on y trouve décrite une route par terre, c’est peut-être seule-
ment quelque court portage qu’ils ont à traverser pour pouvoir conti-
nuer le voyage sur leur élément favori22. »

De telles cartes pouvaient d’ailleurs inclure parmi leurs composants


les emblèmes du système héraldique que nous venons d’évoquer ; ainsi,
selon Nicollet :

« Le langage figuré des Indiens est purement limité à leurs besoins
quand ils voyagent, ou qu’ils vont à la guerre ou à la chasse, pour
faire connaître ce qu’ils deviennent, d’où ils viennent, où ils vont, ce
qu’ils vont faire, les événements qu’ils rencontrent, les nouvelles du
pays qu’ils traversent.
Ils consignent toutes ces choses, aux embouchures des rivières,
sur les bords des lacs, aux endroits de portages, et toujours dans les
lieux les plus apparents et où il passe le plus de voyageurs qui sont
les messagers de ces dépêches. Le système consiste à faire connaître
où l’on peut être rejoint, retrouvé. […]
Lorsqu’ils veulent faire connaître les personnes, ils tracent près
de chacune d’elles l’animal, ou l’objet qui est la marque de son todem ;
souvent, lorsqu’ils sont pressés, ils se dispensent de dessiner les per-
sonnages, et se contentent de les indiquer par leurs todems23. »

Héraldique sociale et cartographie n’étaient pas les seuls contextes


dans lesquels une pratique iconographique s’était développée et stabi-
lisée. Parmi les témoignages les plus anciens concernant les Ottawas,

102
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

voisins des Ojibwas, celui du jésuite Claude Dalbon, issu de sa Relation de


1670, établit un lien explicite entre les entités surnaturelles rencontrées
au cours des quêtes de vision et leur figuration tatouée :

« Chacun se fait un Dieu dès son bas âge, qu’il révère ensuite le
reste de ses jours, avec des vénérations superstitieuses et ridicules.
C’est lui qu’ils croient être l’auteur unique de leur bonne fortune,
en toutes leurs entreprises de guerre, de pêche, et de chasse ; aussi
en portent-ils le hiéroglyphe ineffaçable, peignant sur leur peau
comme avec le burin, les figures de la Divinité qu’ils ont choisie24. »

Cette pratique de l’emblème de vision connut un grand succès sous


la forme d’incisions ou de tracés au charbon de figures sur de l’écorce
de bouleau : si l’identité de l’entité rencontrée au cours de la vision était
ainsi révélée à tous, par sa simple exposition publique, le récit précis de
l’interaction passée devait, quant à lui, rester secret [figure 13]25. Le
port de ces emblèmes devait assurer une protection surnaturelle à leur
propriétaire : tous les témoignages insistent sur le caractère « magique »
de ces figurations d’entités rencontrées au cours de visions ou de rêves.
On verra que cette pratique iconographique a donné lieu, peut-être tar-
divement et dans le seul cadre du chamanisme individuel, à des figura-
tions de la multiplicité des entités surnaturelles avec lesquelles les cha-
manes Jaasakid étaient capables d’entrer en contact. Si l’iconographie
de cette « héraldique » surnaturelle pouvait parfois sembler très proche
de celle de l’héraldique sociale, elle n’en demeurait pas moins très diffé-
rente dans son origine, son usage et son statut.
On connaît un autre usage surnaturel des « hiéroglyphes » de cette
tradition iconographique  ; il fut particulièrement bien décrit par
Edwin James :

« Muzzinnenin, muzzinneninsug (singulier et pluriel). Meshesinnes-


hah et mesheninneshuk en langue menomini. Sculptés dans le bois,
fabriqués à l’aide de chiffons, dessinés grossièrement sur l’écorce de
bouleau ou tracés dans le sable, ces dessins sont toujours désignés
par le même terme. Beaucoup de bandes ou tribus algonquiennes,
sinon toutes y ont recours. Leur usage n’est pas uniquement réservé
à la chasse, on peut s’en servir pour se faire aimer de quelqu’un ou
pour assouvir d’autres passions, comme la haine ou la vengeance.
Cette pratique magique, devenue une institution, a fini par acquérir
un pouvoir étonnant.
Une croyance répandue veut que les chamanes – hommes ou
femmes – ou ceux qui ont une connaissance intime de leur wusk,

103
figure 13
Emblème de vision peint sur une couverture

figure 14
Figures de gibier
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

entrent en possession du corps et de l’esprit de l’individu repré-


senté par le muzzinnenin. Comme cela existait autrefois dans notre
civilisation, il arrive qu’une jeune fille indienne offre ses plus beaux
bijoux, ornements ou autres à une vieille femme rusée dans le but de
lui acheter les faveurs et l’amour d’un homme. Dans ce cas, la vieille
femme fabrique, au moyen de haillons et de bois peint, une poupée
à qui elle donne le nom de la personne dont elle est censée contrô-
ler les sentiments. De temps en temps, elle applique une substance
magique sur les yeux, le cœur ou d’autres parties du corps de la pou-
pée ; parfois elle fait semblant de le faire, car il lui arrive de duper sa
cliente en abusant de sa crédulité.
L’influence magique de ces muzzinneninsug est encore plus sou-
vent attestée dans des situations de conflits : par exemple la haine
avec la mort comme objectif final. Le rituel est le même que celui
dont on se sert pour rechercher l’amour de quelqu’un, mais les subs-
tances magiques utilisées sont différentes. Parfois, en piquant diffé-
rentes parties du muzzinnenin avec une épingle ou une aiguille, on
provoque une douleur ou la maladie chez l’individu visé par ce rituel
maléfique. Parfois, le fait de noircir les mains ou la bouche de la figu-
rine provoque un changement analogue chez l’individu qui y verra
les signes d’une mort prochaine26. »

Ces figures anthropomorphes (représentant une victime à ensorce-


ler) ou zoomorphes (représentant le gibier à attirer [figure 14]) pou-
vaient être découpées sur de l’écorce de bouleau, ou même peintes des-
sus. Une épingle ou une aiguille faisaient alors office de flèche dans le
cadre d’une petite cérémonie privée, effectuée par un chamane, où une
action symbolique sur la figurine était accompagnée d’un chant cha-
manique garantissant une chasse heureuse, une victoire guerrière ou
un succès amoureux27. La mention par Nelson et Nicollet de « hiéro-
glyphes » permettant de noter des chants chamaniques, même si elle
était tout à fait originale28, s’inscrivait donc dans un contexte où plu-
sieurs pratiques iconographiques traditionnelles, dont certaines avaient
déjà trait au monde surnaturel, étaient très largement répandues.

Origine de l’écriture sélective du Midewiwin


Le premier ouvrage contenant des reproductions de l’écriture chama-
nique du Midewiwin fut publié en 1830 par le chirurgien Edwin James29.
Il s’agissait d’une édition du récit autobiographique de John Tanner,
qui fut capturé enfant par les Ojibwas et qui vécut une trentaine d’an-
nées parmi eux. Les annexes placées à la suite du récit étaient compo-
sées de plusieurs sections exposant des aspects de la culture ojibwa qui

105
chapitre vi

n’avaient pas pu trouver place au sein même de la narration autobiogra-


phique. La seconde mère adoptive de John Tanner, d’origine ottawa, avait
été membre active de la société Midewiwin et, même si Tanner mépri-
sait alors profondément ce genre de savoir chamanique, il n’avait pu
éviter, à son contact, d’en acquérir quelques rudiments. Edwin James
se montra extrêmement intéressé par ce qu’il considérait comme « les
premières étapes menant à une langue écrite30 ». Et l’ouvrage fut, pen-
dant une vingtaine d’années, l’unique source d’informations concer-
nant l’écriture sélective des chants du Midewiwin31. Ce n’est qu’en 1851
qu’Henry Rowe Schoolcraft, par ailleurs plagiaire désinvolte des textes
de Nicollet que nous avons cités32, publia lui aussi des écrits sélectifs
chamaniques qu’il avait recueillis au cours de ses trente années de rési-
dence au Sault-Sainte-Marie en tant qu’agent indien33. Ces premiers
exemples d’écriture chamanique ojibwa, les seuls issus de la première
moitié du XIXe siècle, indiquent clairement d’une part que l’institution
rituelle du Midewiwin ne ressentit le besoin de se doter d’une technique
d’inscription de ses chants qu’assez tardivement et d’autre part que,
durant cette période, elle n’avait pas l’exclusivité de leur usage.
Il est en effet probable que l’écriture sélective du Midewiwin n’ap-
parut qu’entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle. Tous les cha-
manes qui confièrent l’histoire de la transmission de leurs écrits la fai-
saient remonter aux premières décennies du XIXe siècle34. Elles étaient
alors soit transmises de maître à disciple35, soit copiées par le disciple
au cours de l’apprentissage [figure 15]36 ; parfois les écrits sélectifs
d’un maître étaient détruits peu avant sa mort37. Par ailleurs, James et
Schoolcraft mentionnèrent explicitement que certains des textes sélec-
tifs qu’ils reproduisirent n’étaient pas utilisés par les seuls membres
du Midewiwin38 ; certains étaient même, semble-t-il, exclusivement
employés par les chamanes appartenant au mouvement Wabeno39.
On ne connait hélas que très peu de choses sur le Wabeno si ce n’est
qu’il s’agissait d’un mouvement chamanique d’origine récente, apparu
vers la fin du XVIIIe siècle parmi les Ojibwas et certains de leurs voi-
sins40. On sait aussi qu’il entretenait une très forte rivalité avec le
Midewiwin qui, à cette époque, était déjà pensé comme une tradition
ancestrale et que ses membres faisaient parfois usage de « bâtons plats,
d’environ trois pieds de long, couverts de grossières figures, gravées
ou peintes41 ». Il n’est donc pas impossible que ce soit le mouvement
Wabeno qui ait entrepris le premier d’utiliser une écriture sélective
afin de noter ses propres chants chamaniques et que, par un classique
phénomène de course aux armements, les sociétés Midewiwin s’en
soient parallèlement dotées à leur tour. Ceci expliquerait simplement
pourquoi les premiers témoignages sur les écritures chamaniques

106
figure 15
Un initié copiant un texte sélectif
chapitre vi

n’apparurent qu’un siècle après la description, par Raudot, de la céré-


monie d’initiation à la société.
Quel regard James et Schoolcraft portaient-ils sur l’écriture rituelle
des Ojibwas [figure 16] ? Le chirurgien y voyait de « grossières images
qui, gravées sur un morceau de bois plat, servent à évoquer à l’esprit de
ceux qui ont déjà appris les chants les idées et leur ordre de succession.
Les mots ne peuvent varier et ils doivent faire l’objet d’un enseignement
[oral] : si quelqu’un peut, en observant une figure, en comprendre l’idée,
il ne saura toutefois pas ce qu’il doit chanter42 ». Il ressort clairement de
ce témoignage que l’écriture sélective du Midewiwin était une écriture
attachée à des chants rituels précis et qu’elle était sélective, codant cer-
tains mots ainsi que leur séquenciation linéaire. Schoolcraft fut, quant à
lui, plus disert : il revint sur les écritures sélectives amérindiennes à de
nombreuses reprises dans ses ouvrages, élaborant ainsi un champ de
recherche alors inédit. Son optique générale n’était néanmoins pas très
éloignée de celle de James – ces écritures sélectives n’avaient d’inté-
rêt, selon lui, que dans la mesure où elles représentaient un premier pas
en direction de l’écriture alphabétique. Sa phraséologie est compliquée
mais on devine qu’il s’agissait pour lui de nettement différencier écriture
sélective et écriture alphabétique : « Ces images symboliques ne font que
suggérer à la mémoire les mots d’une prière ou d’un chant particuliers
dont chaque figure est le représentant. Les mots de ces chants sont fixés
et ne peuvent varier, de même que les notes auxquelles ils sont chantés.
Mais ces mots, pour être répétés, doivent avoir été auparavant appris et
mémorisés par le chanteur. Autrement, même si leur caractère idéogra-
phique et leur valeur demeureraient apparents et ne donneraient pas lieu
à erreur, il ne serait pas possible de chanter les mots du chant43. »
Ces définitions sont équivalentes : l’écriture sélective ojibwa y était
appréhendée comme une succession de figures ou d’images symbo-
liques qui chacune correspondait à une partie sélectionnée d’un dis-
cours, à un « mot » issu d’un chant rituel. Les deux auteurs insistaient
avec véhémence sur le fait que cette écriture sélective ne fonctionnait
pas comme l’écriture alphabétique : elle ne soulageait la mémoire que si
le discours avait préalablement fait l’objet d’un apprentissage par cœur
– Champollion n’aurait donc rien pu faire. Finalement, tous deux signa-
laient la fixité de l’ordre des « mots » des chants et donc des figures qui
leur correspondaient. Pour mieux comprendre l’écriture rituelle du
Midewiwin, il convient donc d’abord de savoir comment étaient structu-
rés les chants chamaniques ; il deviendra alors possible d’étudier d’une
part la relation systématique que les inscriptions sélectives entretinrent
avec ces chants et d’autre part les processus de standardisation icono-
graphique de cette technique.

108
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

Les chants chamaniques du Midewiwin


Commençons donc par rassembler les descriptions de chants du
Midewiwin qui nous sont parvenues. Edwin James décrivait ainsi les
chants ojibwas : « Leurs chants, qu’ils soient de guerre ou de dévotion,
consistent pour la plupart en quelques mots ou en de courtes phrases
répétés de nombreuses fois44. » Plus loin, il est question d’« un chant
laborieux et monotone dans lequel une oreille d’étranger ne distingue
guère que de fréquentes répétitions du même mot45 ». On retrouvera ces
caractérisations chez tous les observateurs : les chants chamaniques
du Midewiwin, même s’ils sont très nombreux, sont courts et extrê-
mement répétitifs. À la page suivante, James ajoute : « Si quoique ce
soit mérite ce nom [de poésie], il faut le chercher parmi ces chants tra-
ditionnels transmis de père en fils et transférés d’homme à homme au
moyen de paiement, que l’on utilise au cours des fêtes, de l’administra-
tion de remèdes à un malade et surtout de la magie de chasse. Il n’y a pas
de doute quant à la considérable ancienneté de certains de ces chants ;
mais nous n’irons pas jusqu’à prétendre qu’en tant que composition
poétique, ils ont beaucoup de mérite46. » Plusieurs points sont ici à rete-
nir. D’abord, on y constate l’homogénéité formelle des chants chama-
niques ojibwas – qu’ils soient destinés à la thérapie, à la chasse ou à la
cérémonie d’initiation. Ensuite, le mode de transmission de ces chants
apparaît clairement : le plus souvent ils sont hérités en ligne paternelle
ou alors ils font l’objet de paiement – leur standardisation ou leur cano-
nisation (« les mots ne doivent pas varier », « l’ordre des mots est fixe »)
ont été poussées au point où ils sont parvenus à être envisagés comme
une forme de marchandise.
Finalement, l’auteur nous fournit une information précieuse sur les
conditions de production de l’annexe de son ouvrage qui comprend des
« traductions » de chants ojibwas : « La poésie des Indiens, tout comme
leur éloquence, requiert l’assistance de traducteurs compétents qui
n’auront pas le scrupule de ne s’appuyer que sur le matériau original47. »
En effet, cette première publication des écrits sélectifs ojibwas est para-
doxale : l’auteur est bien conscient que cette écriture « note » des chants
et, puisqu’il considère ces « grossières images » comme un premier pas
vers l’écriture, il se doit de fournir le texte des chants en langue ver-
naculaire. C’est pour cela que, dans son annexe, il présente d’abord les
textes en numérotant chacun de leurs signes, ensuite le « chant » corres-
pondant en ojibwa sous la forme d’une phrase par signe et finalement la
« traduction » de ce chant en anglais. Ce faisant il établit un précédent :
la plupart des auteurs qui publieront les écrits sélectifs du Midewiwin à
sa suite fourniront la glose de chacune des figures à l’aide d’une phrase
entière en ojibwa. Mais nous verrons que ces phrases en ojibwa, que l’on

109
figure 16
Texte sélectif gravé sur écorce de bouleau recueilli
par Walter Hoffman (chant d’initiation).
chapitre vi

qualifiera désormais de « gloses », ne doivent en aucun cas être confon-


dues avec les vers réels des chants chamaniques qui, eux, restent pour
la plupart inconnus. On comprend dès lors pourquoi Edwin James avait
besoin d’un traducteur qui ne se contente pas de lui chanter les textes
mais qui soit capable d’un côté de les gloser (même très imparfaitement
car le savoir de John Tanner était loin d’être adéquat) et d’un autre de
lui fournir une traduction qui ne soit « en aucun cas littérale48 ». James
se chargea lui-même de développer ces gloses à partir de son intuition
puis d’intercaler ses propres commentaires, pour l’essentiel des inter-
prétations personnelles souvent fantaisistes et la plupart du temps rédi-
gées au conditionnel. Pour quelle raison James se révéla incapable de
transcrire et de traduire fidèlement les paroles des chants chamaniques
ojibwas ? La réponse se trouve dans les écrits de ses successeurs.
Déjà Nicollet écrivait des prêtres Mide que « leurs chansons sont com-
posées d’une seule idée, de peu de mots significatifs, et de longs refrains
avec des paroles de remplissage ou sans signification49 ». De manière
semblable, Schoolcraft admit très tôt que les mots utilisés dans ces
chants étaient de nature « cabalistique » ou « ésotérique50 ». Lui aussi,
après Edwin James qu’il plagie parfois51, publia des textes sélectifs cha-
maniques accompagnés de gloses en ojibwa qu’il fit passer pour des
chants. À propos de sa méthode, il écrivit :

« J’avais observé les manifestations du Midewiwin avec tout le


cérémonialisme pointilleux et laborieux de leurs rituels en 1820,
dans la région du Lac Supérieur, et j’avais décidé de tirer profit des
avantages que me conféraient mon statut officiel lorsque j’y retour-
nai en 1822, en tant qu’agent du gouvernement auprès de ces tri-
bus, afin d’explorer plus avant ses principes et ses modes opéra-
toires. À cette fin, j’ai fait répéter cette cérémonie dans mon bureau,
portes fermées afin d’en préserver le secret, disposant ainsi de tous
les moyens d’obtenir une interprétation correcte et de la noter sur le
champ. Avant cette transaction, j’avais observé, entre les mains d’un
Indien de la tribu Ojibwa, une de ces tablettes symboliques à inscrip-
tions picturales qui ont été parfois nommées Planches Musicales,
car elles sont chantées par les initiés de la Société du Midewiwin.
Elles constituèrent l’objet des explications qui, avec l’accord du
chef de la Société et de trois autres initiés, furent cérémoniellement
effectuées52. »

William Whipple Warren constitua, quant à lui, un témoin excep-


tionnel car il parlait correctement l’ojibwa – sa grand-mère maternelle
étant originaire de ce peuple. Il avait fait des études à l’Oneida Institute et

112
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

était membre de la législature du Minnesota lorsqu’il entreprit, en 1852,


de rédiger une History of the Ojibways based upon traditions and oral sta-
tements, qui resta inédite jusqu’en 1885. Il y relata, quoique brièvement,
ses observations des cérémonies du Midewiwin, mettant en doute au
passage l’exactitude des informations de Schoolcraft – il lui semblait
peu probable que les « prêtres » du Midewiwin, d’habitude si pointilleux
quant au caractère secret de leurs rituels, se soient ouverts si librement
à l’arrogant agent indien53. De son côté, et même si son expérience de
ce genre de cérémonie ojibwa était extrêmement limitée, il remarqua :
« Le rituel Midewiwin incorpore ce qu’il y a de plus ancien parmi eux :
les chants et les traditions qui ont été transmis, non pas oralement, mais
au moyen de hiéroglyphes, durant au moins une longue suite de généra-
tions. Dans ce rite se sont également perpétués les plus purs et les plus
anciens idiomes de leur langue, qui diffèrent largement de l’usage com-
mun et quotidien54. » À nouveau l’obscurité des chants était fortement
soulignée.
Le voyageur allemand Johann Georg Kohl, qui séjourna chez les
Ojibwas du Minnesota en 1855, est aussi un témoin intéressant car il pre-
nait plaisir à dépeindre de manière détaillée les circonstances dans les-
quelles il obtenait ses informations. Ainsi, lorsqu’il en vint à aborder le
thème des « chansons magicales55 » des Ojibwas, il précisa :

« Je suis incapable d’offrir une description adéquate de tout ce


qui eut lieu puisque je ne pouvais comprendre tout ce qui se disait
et que même mes interprètes étaient pris en défaut de temps en
temps. Un haut degré d’initiation est nécessaire pour comprendre le
pourquoi et le comment des mystères indiens. Et même si ces céré-
monies possèdent certainement toutes une histoire, une origine et
une signification, la majorité des participants les effectuent comme
quelque chose d’appris par cœur et ils en comprennent aussi peu
que nos choristes et chanteurs de l’histoire et du sens des diverses
parties de la messe56. »

S’il fournit de nombreuses gloses permettant « d’expliquer » les écrits


sélectifs qu’il recueillit, Kohl ne s’encombra pas de les transcrire en
ojibwa – sa langue de communication dans la région était d’ailleurs le
français. Et il nous laissa une description des difficultés qu’il rencontra
pour simplement obtenir ces vagues explications :

« J’entendis dire, dans le wigwam de Agabe-gijik, que Plume


Tachetée [Kitagiguan] possédait plusieurs livres et chants d’écorce
de bouleau. Après quelques discussions, nous nous accordâmes sur

113
chapitre vi

le fait qu’il me montrerait ses chants, que non seulement il me les


expliquerait mais qu’il me le chanterait aussi, et qu’il me les laisserait
copier, en retour de quoi je promis de lui donner une certaine quan-
tité de tabac. Je devais revenir le lendemain pour conclure l’affaire.
Lorsque j’arrivai et que je rappelai à Plume Tachetée sa promesse,
il était tout à fait prêt à l’honorer. Mais il hésita et en fin de compte
dit : “On ne peut le faire dans les wigwam : les autres entendraient.”
“Bien, répondis-je, allons dehors.” Nous nous assîmes sur une pierre
proche du wigwam. Kitagiguan sortit alors son livre d’écorce et me
montra la pictographie inscrite sur le verso.
Il se mit alors à expliquer les symboles, avec l’aide de mon batelier
canadien et de l’interprète de la mission protestante qui était égale-
ment présent. L’explication était aussi barbare que les dessins. Je vais
néanmoins essayer de la reproduire aussi fidèlement qu’il est pos-
sible car je pense que le lecteur pourra en inférer quelque informa-
tion nouvelle à propos des Indiens. [Suit l’explication].
Jusqu’alors mon Indien n’avait fait que parler. Maintenant je lui
demandai de remplir sa part du contrat et d’entonner le chant. Il
ne put s’y résoudre qu’avec de grandes difficultés […]. Il commença
d’une voix tremblante. Mais il ne put poursuivre. Il me dit que s’il
était complètement seul avec moi, il le ferait. Je partis donc m’assoir
avec lui loin des autres, au bord d’une falaise où les tombes nous fai-
saient face tandis que les scalps flottaient dans la brise.
Une fois assis et seuls, il recommença à chanter ou plutôt à mar-
monner. Sa voix trembla et il parut avoir très peur. Son front était
baigné de sueur. Il approcha sa bouche de mon oreille et je sentis son
haleine chaude sur ma joue. À chaque instant, son regard, furtive-
ment, se tournait vers la lugubre forêt pour la scruter tandis que le
soleil achevait sa descente. Il semblait presque que l’enfant sauvage
de la forêt cherchait à être protégé en mon seing. Pendant ce temps,
toutefois, son doigt pointait les notes et il élevait et abaissait ce doigt,
en accord avec sa voix murmurante57. »

L’honnêteté de Kohl, quant aux modalités du recueil de ses interpré-


tations des écrits sélectifs, est des plus louables : elle nous permet de
deviner les conditions de production des gloses des textes sélectifs de
James et de Schoolcraft. Si les membres du Midewiwin livraient sans
trop de problèmes des explications des signes de leur écriture, ils éprou-
vaient infiniment plus de répugnance à communiquer les chants cha-
maniques à des étrangers qui se piquaient de folklore amérindien ; en
effet, d’une part ils les avaient certainement payés très cher et d’autre
part leur transmission était entourée de nombreux interdits rituels. Et,

114
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

de toutes façons, dans l’éventualité assez improbable où ils auraient


accepté de le faire, l’observateur se serait heurté au caractère « cabalis-
tique », « ésotérique » et, en somme, à peu près inintelligible, du voca-
bulaire de ces chants. Ainsi en 1888, Walter James Hoffman écrivait
encore : « Les chants utilisés au cours de toute la cérémonie d’initiation
aux quatre degré du Midewiwin apparaissent comme de simples répé-
titions de mots et de phrases obscures. […] La langue employée est sans
doute une forme archaïque de l’ojibwa transmise de génération en géné-
ration et il est plus que probable que nombreux sont les mots inintel-
ligibles, même pour ceux qui les profèrent58. » Il ajoutait à propos de sa
propre enquête : « En ce qui concerne la langue employée par le Mide
lorsqu’il chante les chants du Midewiwin, je dirais que durant la courte
période de temps dont je disposais, il me fut impossible d’obtenir des
traductions satisfaisantes de nombreux mots, même avec l’assistance
des métis et des interprètes les mieux éduqués qui étaient sous mon
commandement. Un des plus importants obstacles rencontrés lors de
l’étude de ces inscriptions vient du fait que le Mide ne donnera pas le
nom d’une figure ou l’idée représentée par un caractère unique : il com-
mencera inévitablement à chanter et parcourra ainsi l’intégralité de
l’inscription, n’offrant que très peu d’occasion de détecter lequel de ces
étranges mots ou phrases correspond à un objet particulier59. » Même le
révérend James A. Gilfillan, un des rares étrangers à parler ojibwa, était
incapable de traduire correctement ces chants60.
Tardivement, au début du XXe siècle, et à propos du Midewiwin des
Menominis, voisins des Ojibwas, Alanson Skinner découvrit l’une des
clefs de cette opacité sémantique. Certes, comme ses prédécesseurs, il
nota que « de nombreux chants et formules sont proférés en un meno-
mini qualifié d’archaïque, en ojibwa ou en potawatomi, ou du moins en
une imitation de ces langues61 », mais il ajouta également qu’ils étaient
« encombrés d’un fatras de syllabes dépourvues de sens introduites par
le prêtre pour des raisons d’euphonie et aussi pour les rendre plus diffi-
cile à comprendre pour les non-initiés. En plus de cette insertion de syl-
labes dépourvues de sens destinée à rendre les chants plus compliqués,
les chamanes appartenant à la société emploient aussi des significations
inversées : le véritable sens de ces chants est souvent l’inverse de ce que
disent les mots. Il utilisent également des euphémismes et des appel-
lations cérémonielles pour les objets auxquels ils font référence. Par
exemple, les arbres, mêtîgwan, ne sont pas désignés par leur nom ordi-
naire mais par le terme mêtigwopa’iwinîniwûg, “archers”, puisque l’on
dit que les arcs sont fait du bois des arbres62 ». De même, poursuivit-il,
les termes « griffeur », « moussue » ou « joyeuses » signifiaient respecti-
vement « ours », « tortue » et « herbes »63. L’opacité des chants résultait

115
chapitre vi

donc, au moins partiellement, d’un cryptage linguistique compréhen-


sible et transmissible ; si les observateurs étrangers se révélèrent tous
incapables d’effectuer ou même d’intuitionner ce décodage possible,
c’est que leurs interlocuteurs, pour des raisons évidentes, ne souhai-
tèrent jamais leur donner accès aux secrets acquis au cours de leur coû-
teuse initiation.

Un exemple de chant du Midewiwin


C’est dans la monographie de Walter James Hoffman que l’on peut
trouver la première transcription authentique d’un chant chama-
nique du Midewiwin. Ce médecin était le collaborateur du colonel
Garrick Mallery au Bureau of American Ethnology ; il fut chargé de réali-
ser une série d’enquêtes sur les écritures sélectives de divers peuples
d’Amérique du Nord et ses talents artistiques en firent le dessinateur
de la plupart des figures des monumentales synthèses de Mallery sur
« l’écriture d’images » (picture-writing) des Amérindiens. Dans son propre
ouvrage, intitulé The Midewiwin or Grand Medicine Society of the Ojibwa et
publié en 1891, il suit la méthode de ses prédécesseurs, en particulier
celle de Schoolcraft64, et fournit, pour chaque signe des textes sélectifs
qu’il recueillit, une glose en ojibwa. Néanmoins, il fut aussi capable de
transcrire, certes pour un seul texte sélectif parmi les vingt-trois qu’il
présenta, l’intégralité à la fois des paroles et de la musique d’un chant. Il
nota d’ailleurs à cette occasion : « On remarquera que les mots diffèrent
assez largement selon qu’ils sont parlés ou chantés65. » S’il faut admettre
que la correspondance entre ce chant et sa transcription sélective est
des plus douteuses66, il n’en reste pas moins qu’il nous est possible d’ob-
server ici de près ce que pouvait être réellement un chant chamanique
du Midewiwin. Voici donc une reconstruction des paroles de ce chant67 :

Donagani Donagani
Donagani Donagani
Donagani Donagani
Nakwawe Indoshiton
Donagani Donagani
Donagani Donagani
Donagani Donagani

Manidoiyani Manidoiyani
Manidoiyani Manidoiyani
Manidoiyani Eshkote nidowe yo we
Manidoiyani Manidoiyani
Manidoiyani Manidoiyani

116
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

Kotshihaioni Kotshihaioni
Kotshihaioni Kotshihaioni
Kotshihaioni Kotshihaioni
Kotshihaioni Kotshihaioni
Eshkote waniyo Kotshihaioni
Kotshihaioni Kotshihaioni

Nimegasi Manidowe we he
Nimegasi Manidowe we he
Shagodzhihina
Nimegasi Manidowe we he
Nimegasi Manidowe we he

Nigane nin Manidowe ya


Nigane nin Manidowe ya ya we ya
Manidowe nidowe ya
Nigane Manidowe ya we

Ekotshinaha Ekotshinaha
Ekotshinaha Ekotshinaha
Ekotshinaha Ekitshi Manidowe dowe
Ekotshinaha Ekotshinaha
Ekotshinaha hea

Heawinondamani he Heawinondamani he
Heawinondamani he Heawinondamani he
Manido Midewi he Nemadawidzhig
Heawinondamani he he he

Heawena newedo ho Heawena newedo ho


Heawena newedo ho Heawena newedo ho
Manido weani nikana nikana ho ho

Manidoweani he Manidoweani he
Manidoweani he Manidoweani he
Manidoweani he Eshkatoweani he
Manidoweani he Manidoweani he

Heasiwikitte he Heasiwikitte he
Heasiwikitte he Heasiwikitte he
Nasimagot ninde he Heasiwikitte he

117
chapitre vi

Heasiwikitte he Heasiwikitte he
Heasiwikitte he

Nikani Kotshiha Nikani ha


Nikani Kotshiha Nikani ha
Nikani Kotshiha Nikani ha

Henenawa nibeidon Henenawa nibeidon


Henenawa nibeidon Henenawa nibeidon

Yeweni mide hwa da Kewashi mide hwa hwe


Yeweni mide hwa da Kewashi mide hwa hwe
Yeweni mide Yeweni mide hwa da

Naianawi nama ha Naianawi nama ha


Naianawi nama ha Naianawi nama ha
Wanaheneniwa ha Otabeweni me ha

Aiya hanawi nama Aiya hanawi nama


Aiya hanawi nama Aiya hanawi nama heo heo heo

Cet exercice de restitution des paroles exactes d’un chant n’est ici
accompli que pour donner à voir sa structuration poétique. Hoffman
précise que chaque strophe pouvait être continuée ad libitum par la
simple répétition des énoncés que nous n’avons pas isolés en gras : cette
transcription ne restitue donc que l’ossature minimale de chants dont
la profération pouvait requérir une assez longue durée. Tout au long du
chant, il est clair que le vocabulaire utilisé n’est pas celui de la vie quo-
tidienne, Hoffman le fait remarquer à plusieurs reprises en indiquant
également le terme commun ; souvent il ne s’agit que de différences de
prononciation, une consonne étant remplacée par une autre de manière
systématique (ce qui pourrait d’ailleurs constituer des emprunts à la
phonologie de langues ou de dialectes voisins) ; parfois le chanteur
introduit des syllabes supplémentaires, dépourvues de sens, à l’inté-
rieur des mots. De plus, divers procédés sémantiques devaient com-
plexifier la surface du chant, mais ils nous resteront à peu près inac-
cessibles, faute d’une traduction fiable. Il est par exemple possible que
le terme « esprit » (manido) de la sixième strophe se réfère à un sac-mé-
decine qui a la forme de « l’esprit » d’un animal ou que le terme « feu »
(eshkote) dans les deuxième et troisième strophes fonctionne comme un
substitut comparable à ceux que décrit Skinner pour les chants meno-
minis – Hoffman ne nous en fournit cependant pas la clef. Tout au plus

118
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

sait-on que le terme « parents » (nikani) désigne ici les membres initiés
de la société chamanique.
Au niveau proprement formel, on observe d’une part l’usage de syl-
labes euphoniques et de répétitions partielles destinées à « remplir » la
structure rythmique du chant68 et d’autre part un parallélisme généra-
lisé. Il est difficile d’affirmer que les unités sonores de « remplissage »
étaient entièrement dénuées de sens, car il est toujours possible d’en
conférer aux syllabes échoïques postposées, surtout dans une langue
à morphologie suffixale comme l’ojibwa. Mais il est clair que des échos
tels que Manidowe nidowe ya opèrent par élision d’une syllabe, ici le
ma de manidowe. Ces enrichissements et appauvrissements de la sur-
face sonore du chant constituaient certainement, selon les mots de
Skinner, de puissantes « techniques destinées à rendre le rituel inintelli-
gible pour les spectateurs69 ». Finalement, la structure globale de chaque
strophe du chant apparaît assez systématisée :

AA
AA
AB
AA
ad lib.

Une variable B est encadrée, à l’intérieur de chaque strophe, par une


série de répétitions de la constante A ad libitum. Afin de donner à voir
cette structure paralléliste assez classique, nous avons indiqué en gras,
dans la transcription, les termes qui jouent le rôle de la variable B.
Qu’est-ce qui est exprimé dans ce chant chamanique ? Nos tentatives
de retraduction des paroles du chant, entreprises avec les dictionnaires
de l’époque, sont restées vaines70. Pour donner un unique exemple,
Hoffman traduit le premier vers, Donagani, par « Mon plat » (qui jouerait
ici le rôle d’une désignation métonymique des offrandes que les Mide
doivent faire aux entités surnaturelles), alors qu’il comporte clairement
la racine « chanter ». La « traduction » que nous donnons tout de même
ci-dessous ne dérive donc que des gloses qui furent fournies à Hoffman.
Si elle mérite malgré tout d’être prise en compte, c’est que d’une part
elle provient in fine d’initiés Mide et que d’autre part elle est très homo-
gène à l’ensemble des traductions de chants, toutes très approximatives,
qui nous sont accessibles dans l’ouvrage d’Hoffman et dans le reste de la
littérature. Une analyse qui s’attache, non pas aux détails linguistiques,
mais aux caractéristiques les plus schématiques des chants devient dès
lors légitime. Voici donc la traduction, légèrement retravaillée, que pro-
pose Hoffman ; nous ne reproduisons volontairement pas la structure

119
chapitre vi

paralléliste du chant original afin de bien marquer qu’il ne s’agit là que


d’un artefact philologique :

« Mon plat
À midi, je le fabrique
Je suis un esprit
Je suis un esprit, mon esprit de feu
J’ai essayé
En feu, j’ai essayé
Mon esprit Migis
Avec lui, je vaincs la mort
C’est ainsi, mon esprit
Mon esprit
Je suspends
Je suspends mon esprit
Laissez-leur porter
Les esprits, à ces Mide assis en cercle
Celui qui dort
J’apporte un esprit à mon parent
Je suis un esprit
Je suis un esprit, je suis le feu
Il se penche
Mon cœur souffle, il se penche
Parents, j’essaie
Je tiens ce que j’ai apporté
Qui est ce grand Mide, ce Mide peu puissant ?
Qui est ce grand Mide, ce grand Mide ?
Je ne peux l’atteindre
Quand je tourne, quand je suis assis
Je ne peux le tirer, je ne peux le tirer. »

Si l’on accepte de conférer une certaine valeur à une telle « traduc-


tion » et si l’on garde à l’esprit l’homogénéité de ces paroles avec celles
d’autres chants du Midewiwin, il devient alors possible de répartir
en trois groupes l’ensemble de ces énoncés. Le premier comprend les
strophes qui stipulent l’identité de l’énonciateur du chant : elles défi-
nissent l’auteur surnaturel du chant, c’est-à-dire le manido, « l’esprit »
selon la traduction d’Hoffman. Les strophes « Je suis un esprit » ou « Je
suis le feu » font partie de ce groupe71. Un deuxième groupe est composé
de caractérisations de cet énonciateur, soit qu’elles décrivent son appa-
rence, soit qu’elles établissent la liste de ses instruments rituels. Ici, en
se référant aux explications d’Hoffman, il semble clair que les strophes

120
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

faisant appel à « mon esprit » sont des allusions à « mon sac-méde-


cine surnaturel », c’est-à-dire précisément au sac qui était transmis au
cours de l’initiation rituelle. Il semble aussi que « mon cœur » fasse réfé-
rence au coquillage migis (ou « esprit Migis »), objet magique très puis-
sant qui est contenu dans le sac-médecine et qui se transmettait par le
« tir » ou par le « souffle » au cours du climax de la cérémonie72. Des ana-
lyses semblables permettraient certainement de décoder les expres-
sions ésotériques « Celui qui dort » ou « Mide peu puissant ». Enfin, le
troisième groupe contient les descriptions à valeur performative d’ac-
tions réalisées à la fois par l’énonciateur idéal, le manido, et le chanteur
initié dans le cadre de la cérémonie. Ici, il s’agit de l’ensemble des verbes
qui, s’ils restent souvent très allusifs, semblent pour la plupart se rap-
porter à une série d’usages du sac-médecine et de son coquillage migis
– « je suspends », « laissez-leur porter », « il se penche », « je tiens ce que
j’ai apporté », « je ne peux l’atteindre », « je ne peux le tirer » (les deux
derniers énoncés étant peut-être des exemples d’inversions séman-
tiques qu’évoquait Skinner). Il est donc possible, à un niveau d’analyse
suffisamment élevé, de repérer trois séquences fondamentales dans
les chants du Midewiwin : la définition de l’énonciateur surnaturel du
chant, la liste des caractéristiques de cet énonciateur et la description,
à valeur performative, des actions rituelles entreprises par cet énoncia-
teur. On retrouve ces trois grandes séquences dans la plupart des chants
chamaniques de la région.

L’écriture sélective des chants


Comment ce genre de chants était inscrit par l’écriture sélective ? Nous
ne pouvons hélas, pour les raisons que nous avons indiquées, faire
confiance aux gloses obtenues par James, Schoolcraft, Kohl, Mallery
ou Hoffman pour résoudre ce problème73. Il semble d’abord, ce qui fait
consensus entre les auteurs, que chaque strophe correspondait à une ou
deux figures et que donc l’écriture sélective enregistrait d’abord l’ordre
invariable des strophes. Il est ensuite possible, selon le modèle classique
des écritures sélectives que nous avons exposé en introduction, que les
images prenaient appui sur la structure poétique des chants, ne repré-
sentant sélectivement que la variable B que nous avons identifiée. Dans
tous les cas, une étude globale de l’iconographie des textes sélectifs qui
nous sont parvenus permet de repérer la constance du schème que nous
avons défini à propos des chants : les figures s’y répartissent en trois
groupes (définition de l’énonciateur surnaturel, attributs de cet énon-
ciateur, actions de cet énonciateur) auxquels il faut ajouter, pour les
chants thérapeutiques et cynégétiques, un quatrième groupe rassem-
blant les entités sur lesquelles portent les actions (le malade pour les

121
chapitre vi

guérisons, le gibier pour les rituels propitiatoires de chasse). On mon-


trera cette homologie schématique entre chants et écriture chamanique
à partir d’une analyse du corpus publié par Edwin James et glosé par
John Tanner [figure 17]74.
D’abord, ces écrits sélectifs ne comportent que deux types de repré-
sentations : des figures anthropomorphes et des figures zoomorphes.
Leur iconographie, très stylisée, dérive des traditions de répertoires gra-
phiques que nous avons étudiées. Chaque chant est transcrit par une
série de signes (entre six et vingt-sept) alignés les uns derrière les autres,
à « lire » de droite à gauche apparemment. Tous les chants sont divisés
en deux parties, ce qui est indiqué par une simple barre verticale dans
la transcription. Cette division permet de penser que l’ordre des signes
suivait une forme de régularité, mais celle-ci est très difficile à déduire
des gloses de Tanner et James. Il semble toutefois que ces chants étaient
composés d’abord d’une préface au cours de laquelle le chanteur expli-
citait l’identité surnaturelle qu’il assumait durant le rituel (premier et
deuxième groupe) et ensuite d’un texte qui décrivait les actions surna-
turelles du chanteur (troisième et quatrième groupe).
Les préfaces juxtaposent généralement figures anthropomorphes et
zoomorphes. La plupart du temps, une des premières figures humaines
est représentée avec des rayons sortant de la bouche75 : il s’agit soit
d’une entité surnaturelle en train de chanter (« J’entends ta voix, mani-
tou76 »), soit du chamane lui-même en train de chanter (« Je suis en train
de chanter77 »). Lorsqu’une silhouette humaine apparait simplement,
sans rayon, elle permet d’expliciter l’identité surnaturelle du chanteur :
« Je suis tel ou tel manitou78 » ou « Je suis Nanabush79 ». Ces préfaces jux-
taposent souvent des figures animales à ces figures humaines80. Il s’agit
alors d’entités surnaturelles (oiseau-tonnerre81, aigle ou faucon82, lynx83,
ours84) ou de sacs-médecine (serpent85, ours86, loup87) auxquels le chan-
teur s’identifiait : il chantait alors en tant que telle ou telle entité88. Dans
ces contextes, les animaux apparaissent souvent « coupés » en deux par
une ligne89, peut-être une manière de montrer qu’il ne s’agit là que de la
peau de l’animal, celle qui constituait le sac-médecine mais aussi celle
dans laquelle le chanteur pouvait métaphoriquement se glisser pour
prendre la place de l’entité surnaturelle90. Ce premier groupe de figures
permet donc de définir l’identité complexe de l’énonciateur rituel.
Dans cette préface, des variations de la figure humanoïde peuvent
aussi lui être juxtaposées ; c’est ainsi qu’apparaissent les « attributs » de
l’énonciateur, caractéristiques du deuxième groupe. On l’observe alors
avec un chapeau sur la tête91, avec un sac-médecine92, une flèche93 ou
une plante médicinale94 à la main ou encore avec la baguette qui per-
met de jouer du tambour95, autant d’ustensiles (parfois représentés

122
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

isolément96) qui donnent à voir les pouvoirs et les capacités techniques


du chanteur.
Le troisième et la quatrième groupe décrivent l’action proprement
chamanique : à l’aide de ses paraphernalia, le chamane « tue » tel ou
tel animal au moyen d’une flèche dans le cœur97 ou alors il guérit un
patient. Parmi les figures animales représentant divers types de gibier
désiré, on peut observer, dans le corpus, le castor98, l’élan99, l’huard100,
l’ours101 et le cerf102. Certaines figures anthropomorphes représentent la
victime de la maladie, c’est-à-dire le client du chamane103. Les rayures
sur ces figures (humaines ou animales) semblent signifier des blessures
ou des infections104. On peut induire de cette homologie générale entre
le schème des chants et celui des textes sélectifs que ces derniers enre-
gistraient bien l’ordre exact des strophes de chaque chant.
Que peut-on conclure de cet essai de déchiffrement de l’écriture sélec-
tive du Midewiwin, écriture qui restait attachée à des chants rituels pré-
cis ? D’abord on observe un consensus sur le fait qu’il s’agissait d’une
écriture logographique au sens où elle encodait non pas de simples idées
mais de véritables « mots » de la langue ojibwa, ou, plus précisément,
l’ojibwa étant une langue à morphologie polysynthétique, un enchaîne-
ment syntagmatique précis. Ensuite on a vu que chaque signe n’encodait
qu’une partie sélectionnée de la strophe que cette écriture était destinée
à transcrire. Le principe exact de cette sélection ne peut pas être inféré
clairement des sources qui nous sont parvenues, mais il est assez pro-
bable, étant donné la structure paralléliste des chants rituels, que chaque
signe correspondait à la variable de chaque strophe que nous avons indi-
quée par la lettre B. Enfin, la succession linéaire des signes de cette écri-
ture correspondait à la séquenciation chronologique des strophes des
chants. Il sera difficile d’aller beaucoup plus loin dans le décodage de
cette écriture ; cependant, on peut d’ores et déjà conclure qu’il s’agissait
d’une écriture semblable à celle du prophète kickapoo Kenekuk.

Les chartes
C’est Johann Georg Kohl qui, au cours de son expédition de 1855, fut le
premier à reproduire et à décrire un second genre d’inscription propre à
la société chamanique du Midewiwin. Mangusid, le chef de la bande de
Fond du Lac, lui montra une charte gravée sur chacune des faces d’une
écorce de bouleau. Le commentaire que Kohl adjoint à la reproduction
de cette charte [figure 18] est significatif : « Je ne le compris pas entiè-
rement, en partie à cause du laconisme de mon mentor qui n’éprouvait
aucun désir de révéler ces mystères et en partie parce que rien, dans
cette affaire, n’est très clair105. » Plus loin, il ajoute : « Lorsque je deman-
dai à Mangusid ce qu’était la figure n°1 [une partie du recto de la charte],

123
figure 17a
Le corpus d’écrits sélectifs publié par Edwin James
Chant de Mide pour la chasse, p. 341-344.

figure 17b
Le corpus d’écrits sélectifs publié par Edwin James
Chant de Mide, p. 345-347.
figure 17c
Le corpus d’écrits sélectifs publié par Edwin James
Chant de Mide pour la chasse, p. 348-350.
figure 17d
Le corpus d’écrits sélectifs publié par Edwin James
Chant pour la chasse, p. 351-362.
figure 17e
Le corpus d’écrits sélectifs publié par Edwin James
Chant pour la chasse, p. 363-368.
figure 17f
Le corpus d’écrits sélectifs publié par Edwin James
Chant pour la chasse, p. 369-372.

figure 17g
Le corpus d’écrits sélectifs publié par Edwin James
Chant thérapeutique, p. 373-375.
figure 17h
Le corpus d’écrits sélectifs publié par Edwin James
Chant thérapeutique, p. 376-378.

figure 17i
Le corpus d’écrits sélectifs publié par Edwin James
nt de guerre, p. 379-380.
figure 18
Charte du Midewiwin publiée par Johann Georg Kohl
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

il commença d’abord par me raconter, tout naturellement, l’histoire de


la création du monde et quand je l’interrompis pour qu’il revienne à
ma question, il expliqua alors : [suit une série de gloses des figures]106. »
L’impatience du voyageur ou plutôt ses préjugés sur la nature sémio-
tique des « dessins » ojibwas sont ici au fondement du malentendu
qui le conduisit à douter de la « clarté de cette affaire ». Et pourtant
Mangusid n’utilisait probablement cette charte que de manière très tra-
ditionnelle : il s’en servait pour réciter le mythe d’origine de la société
du Midewiwin107. Des gloses de Mangusid, Kohl retint que la charte
représentait d’un côté le Lac Supérieur et de l’autre un « temple » du
Midewiwin contenant sous forme de quatre carrés les quatre degrés ini-
tiatiques de la cérémonie108.
Une trentaine d’années plus tard, Walter Hoffman crut être le premier
étranger à avoir la chance d’observer une de ces chartes. « À Red Lake,
j’ai découvert l’existence d’une ancienne charte109 qui, m’ont assuré les
chefs et l’assistant des prêtres Mide, n’avait encore jamais été montrée à
un homme blanc, ni même aux Indiens qui n’en étaient pas les gardiens
ou qui n’avaient pas encore accompli le jeûne préliminaire, condition de
l’instruction aux degrés successifs du Midewiwin110. » Il s’agissait d’une
« charte cosmogonique » destinée aux premiers enseignements des can-
didats à l’initiation : « Son principal objet est de présenter au candidat un
résumé imagé des traditions et de l’histoire de la cosmogonie ojibwa111. »
Dans le compte rendu de cette charte qu’il publia en 1891, Hoffman ne
commit pas la même erreur que Kohl : il resta relativement fidèle aux
pratiques discursives de son instructeur en commençant son exé-
gèse par le récit du mythe d’origine du Midewiwin ; ensuite seulement,
il reprit l’analyse du document figure par figure112. Il répéta le procédé
avec une autre charte obtenue de Sikas’sige, un prêtre du Midewiwin
qui résidait alors à White Earth : cette fois, il intercala la version du
mythe d’origine récitée par Sikas’sige et les gloses qu’il lui demanda
expressément ensuite en utilisant deux tailles de police distinctes afin
de bien différencier les deux genres de discours113. Les récits mythiques
qui correspondaient à ces chartes étaient des versions ésotériques, plus
complexes, plus détaillées, de narrations que tout un chacun connaissait
chez les Ojibwas ; le novice devait les écouter et les mémoriser pendant
son initiation, avant même de pouvoir apprendre les autres chants114.
La charte de Red Lake [figure 19] est d’une complexité telle qu’elle
peut être considérée comme une matrice des divers types de chartes que
se transmirent les chamanes ojibwas ; c’est pourquoi elle jouera le rôle
de fil conducteur de notre analyse. La « lecture » de la charte, qui s’effec-
tue de droite à gauche, commence par la récitation du mythe d’origine
du Midewiwin ; nous en résumons ici la version fournie par Hoffman.

131
figure 19
Charte de Red Lake
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

« Lorsque Minabozho, “Grand Lapin”, le serviteur de Dzhe Manido,


“Bon Esprit”, embrassa du regard la Terre, il vit les humains, les
Anishinabeg, les ancêtres des Ojibwas. Ils occupaient les quatre
quartiers de la Terre – le nord-est, le sud-est, le sud-ouest et le nord-
ouest. Il vit leur désarroi et resta pensif, au-dessus du centre de la
Terre, réfléchissant à un moyen d’entrer en contact avec eux afin de
leur offrir les moyens de se débarrasser des maladies qui les affli-
geaient constamment et de leur procurer des animaux et des plantes
qu’ils pourraient manger ainsi que d’autres choses utiles.
C’est alors qu’il entendit un rire et qu’il aperçut une forme noire
apparaître sur la surface de l’eau, à l’ouest. Il ne put reconnaître cet
être car quand il essaya de le regarder de plus près, la forme s’éva-
nouit lentement. Elle apparut de nouveau au nord et disparut peu
après. Minabozho espéra qu’elle surgirait encore une fois à la surface
des flots, ce qu’elle fit, à l’est. Alors Minabozho souhaita qu’elle s’ap-
prochât de lui afin de pouvoir lui parler. Quand elle réapparut au sud,
il lui demanda de venir au centre de la Terre pour qu’il puisse la voir.
Elle disparut de nouveau mais lorsqu’elle émergea à l’ouest, elle s’ap-
procha lentement du centre de la Terre.
Minabozho descendit et vit qu’il s’agissait de la Loutre. Alors il
enseigna à la Loutre les mystères du Midewiwin puis lui donna les
ustensiles sacrés – le hochet, le tambour et le tabac115. »

La figure qui correspond à ce récit est, dans la charte de Red Lake, un


cercle, la Terre, sur lequel sont indiqués les quatre points cardinaux. Ni
Dzhe Manido, ni Minabozho ne sont représentés ; si l’on distingue une
figuration de la Loutre, elle appartient déjà à la section suivante de la
charte, en tant que gardienne de la première loge. Ce simple cercle
constitue donc la notation, extrêmement condensée, du mythe d’ori-
gine du Midewiwin : on remarquera que d’une part il ne donne à voir
qu’une sélection minimale du contenu de la narration mais que d’autre
part il évoque, par sa simple forme, une configuration cosmographique
susceptible de faire l’objet de nombreux développements.
Car en effet, d’autres chartes ojibwas se spécialisèrent dans la repré-
sentation de ce mythe d’origine en lui conférant une portée beaucoup
plus large. Ainsi, une des chartes partielles du chamane Sikas’sige
de White Earth, développe cette figure de cercle en en faisant le point
de départ d’une narration de la création, par Dzhe Manido, non seule-
ment des autres êtres surnaturels mais aussi de l’humanité qu’il installa
ensuite sur Terre [figure 20]116. Comme dans de nombreuses versions
du mythe d’origine du Midewiwin, le récit devient ici véritablement

133
figure 20
Charte d’origine de Sikas’sige
chapitre vi

cosmogonique117 et la charte qui lui correspond comprend cette fois-ci


les figures des êtres créateurs. Siskas’sige montra aussi à Hoffman,
d’une manière très claire, comment il était possible de visualiser les
relations qu’entretenaient ces deux genres de chartes : il suffisait de
poser la charte retraçant le mythe cosmogonique perpendiculairement
à la grande charte au niveau de son simple cercle initial qui ne donnait
à voir qu’une synthèse condensée de ce mythe [figure 21]118. On ne
pouvait dire plus explicitement que l’une des chartes n’était que l’ex-
croissance de l’autre qui en était la matrice119. On connaît ainsi de nom-
breuses variantes de chartes spécialisées de nature uniquement cosmo-
gonique [figure 22].
Mais poursuivons la lecture de la charte de Red Lake : celle-ci conti-
nue avec la description des rituels des quatre degrés d’initiation au
Midewiwin. La narration orale prend ici la forme d’une citation des
paroles de Minabozho qui enseigne à la Loutre l’ensemble des procé-
dés qui composeront la liturgie de la cérémonie d’initiation120. C’est là
une technique narrative que l’on retrouve très souvent dans les tradi-
tions orales de la région, par exemple chez les Menominis121 ou chez
les Meskwakis122. Les quatre degrés hiérarchiques sont représentés sur
la charte par quatre loges successives, orientées d’est en ouest. Chaque
loge est gardée par un être surnaturel, généralement zoomorphe (un
manido) ; elle comporte un certain nombre de figures anthropomor-
phes qui représentent les participants requis pour la cérémonie ; elle
contient, le cas échéant, les ustensiles rituels propres au degré atteint
ou encore la liste des pouvoirs acquis à chaque degré (sous la forme de
traits adjoints à une figure humaine qui représente l’initié). Tous ces
détails graphiques sont repris dans le récit mythique, c’est-à-dire ici
dans la citation des paroles de Minabozho, sous une forme narrative qui
leur confère une continuité temporelle. La charte est donc ici à la fois la
figuration d’un espace cérémoniel (la loge avec son poteau central, etc.),
celle du trajet que le candidat devra parcourir en dansant tout du long
de son initiation aux degrés du Midewiwin qui pourra s’étendre sur plu-
sieurs années, celle de la chronologie de la cérémonie et celle de la hié-
rarchie des degrés initiatiques. Elle superpose ainsi des logiques spa-
tiales, temporelles et institutionnelles123.
La charte de Red Lake a ceci de particulier qu’elle comporte égale-
ment deux autres éléments qui peuvent faire l’objet de chartes spéciali-
sées et qui peuvent être replacés dans une perspective historique grâce
aux données fournies par Kohl dans les années 1850. En effet, la figura-
tion des quatre loges initiatiques est suivie de la représentation du tor-
tueux « chemin de la vie » dont chaque déviation est une « tentation » à
laquelle le candidat doit résister afin de rester sur le droit chemin qui le

136
figure 21
Combinaison d’une charte d’origine et d’une charte des quatre degrés

figure 22
Charte d’origine publiée par William Jones
chapitre vi

mènera au bout du monde, c’est-à-dire à la mort124. Par ailleurs, on peut


observer, au-dessus de la troisième et de la quatrième loge, la représen-
tation d’une « loge fantôme ». On retrouve ce dispositif figuratif dans des
chartes spécialisées ; il s’agit alors de deux loges reliées par un chemin :
la première est une loge humaine, terrestre, tandis que la seconde est la
loge des êtres surnaturels et des défunts [figure 23]125. Un rituel spé-
cial lui est consacré. L’important dans cette représentation, c’est qu’elle
donne toujours à voir une superposition verticale là où la logique struc-
turelle des autres chartes est horizontale : si les quatre degrés viennent
les uns à la suite des autres, précédés par le cercle originel, la loge fan-
tôme est toujours au-dessus de la loge humaine126 – ce qui d’ailleurs per-
met de comprendre pourquoi, dans la charte de Red Lake, la loge fan-
tôme doit être considérée comme étant au-dessus des autres loges.
Ni le « chemin de la vie », ni la « loge fantôme » n’ont donné lieu à des
discours traditionnels qui leur correspondent – peut-être à cause des
limites intrinsèques de nos sources d’informations. Il est néanmoins
possible de chercher leur « archéologie » dans un dessin que reprodui-
sit Kohl. Ce dernier avait demandé à un Ojibwa comment il se représen-
tait le destin de l’âme après la mort ; son interlocuteur lui demanda un
papier et un crayon et se mit à l’œuvre [figure 24]. Il expliqua ensuite :

« “Écoute, dit-il, et regarde. Ceci est la Terre (A, un parallélo-


gramme rectangulaire). Sur la Terre, Dieu a planté sa loi, comme un
arbre ou comme un chemin droit. Certains empruntent le bon che-
min (B), mais la plupart s’égare sur les chemins qui dévient de la
ligne (a, a, a, a). Ceux-ci conduisent au désert.
Quand on meurt, nous suivons tous le chemin des âmes (C). Au
milieu de ce chemin (D), il y a un fraisier sur le côté. Il est extraor-
dinairement grand et on dit que ses fraises sont très sucrées. Un
homme à côté invite les passants à les goûter ; mais il ne faut pas
l’écouter, car les âmes qui le font sont alors perdues à jamais. Celles
qui résistent continuent leur voyage avec bonheur jusqu’à ce qu’elles
atteignent le paradis. C’est un voyage de trois ou quatre jours. Alors
le chemin est interrompu par une longue et large rivière sur laquelle
il n’y a pas de pont normal : seule une chose ressemblant à une
grande souche d’arbre la traverse. Ses racines s’enfoncent ferme-
ment dans la rive opposée ; de ce côté, elle étend sa cime sans tou-
cher la terre. L’âme doit sauter par dessus ce petit interstice. L’arbre
se balance constamment. La plupart des âmes réussissent ce saut
et sont sauvées ; mais celles qui ne sautent pas assez loin ou qui
glissent sur le tronc tombent dans l’eau et se transforment en cra-
paud ou en poissons. […]”

138
figure 23a
Charte de loge fantôme publiée par Walter Hoffman

figure 23b
Charte de loge fantôme publiée par Ruth Landes
figure 24
Le destin de l’âme après la mort
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

Moi : “Mais que représentent ce chemin et ce carré que tu as des-


sinés à droite (X et Z) ?” L’Indien me répondit qu’il souhaitait par là
représenter le paradis des Chrétiens. “Ils ont aussi un paradis, dit-il,
mais les Indiens ne peuvent pas y entrer.” Il ne savait rien de sa
nature mais il l’avait dessiné pour que je me fasse une idée correcte.
En observant ces deux paradis, je me souvins immédiatement
des cimetières doubles que l’on voyait si fréquemment dans les
missions du Lac Supérieur, l’un pour les Chrétiens, l’autre pour les
païens. J’eus l’impression que mon Indien avait dessiné le plan d’un
de ces villages127. »

Nous reviendrons très bientôt sur la relation au christianisme qu’im-


plique une telle image. Pour le moment, il suffit de remarquer que,
dans ce dessin apparemment improvisé, on voit à la fois la représenta-
tion d’un « chemin de la vie » et celle d’une superposition verticale de
la Terre et du Paradis – éléments graphiques qui d’un côté évoquent
immanquablement les cartes eschatologiques des prophètes delaware,
kickapoo et cri et qui, d’un autre, ressemblent clairement aux deux élé-
ments que l’on trouve dans la charte de Red Lake – ainsi que dans toutes
les chartes partielles de loge fantôme et de chemin de la vie. Il y a là un
indice probant de la continuité de toutes ces traditions graphiques –
que celle-ci soit historique ou non.
L’analyse de la charte de Red Lake s’achève ici. Mais Siskas’sige, le
chamane de White Earth, montra à Hoffman une autre charte par-
tielle qui offrait un développement alternatif de la grande charte
[figure 25]. Il s’agissait d’une charte de migration qui, elle, correspon-
dait à une tradition narrative ojibwa ; tradition qui prenait la suite du
récit d’origine du Midewiwin. En effet, après la naissance de l’huma-
nité, après la rencontre de Minabozho et de la Loutre, après la trans-
mission du savoir rituel des quatre degrés initiatiques, le mythe pou-
vait être complété par le récit de la migration d’est en ouest de la Loutre
qui, à chaque lieu où elle émergea, fonda un village ojibwa et transmit
le savoir du Midewiwin. La connexion avec la charte principale s’effec-
tuait au niveau du cercle, la Loutre se trouvant au centre de la Terre lors-
qu’elle commença son voyage qui est représenté par une ligne droite.
Cette ligne est, peu après qu’elle ait surgi du cercle, coupée par une autre
ligne qui « sépare l’histoire du Midewiwin de celle de la migration128 ».
Puis, après le franchissement de ce fameux « hiatus flottant129 », une
série de points, correspondant à une liste de toponymes, vient dessi-
ner une carte géographique du trajet de la Loutre, trajet historique qui
aboutit, in fine, au lieu où cette liste est énoncée130. Le discours qui cor-
respondait à cette charte de migration était très probablement chanté et

141
figure 25
Charte de migration
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

sa structure était certainement paralléliste : après ou avant chaque nom


de lieu, l’énonciateur répétait, en se référant à la Loutre : « Au milieu,
elle se tenait » ou « Sur le côté, elle s’asseyait131 ». Avec cette charte se
concluait l’ensemble des traditions discursives dont la connaissance
formait la condition de l’apprentissage des autres chants chamaniques :
« Ces légendes d’origine et de migration constituaient le socle du caté-
chisme de l’initié Mide132. »

Le contexte institutionnel de l’écriture et des chartes du Midewiwin


La société chamanique des Ojibwas constitue donc un exemple d’in-
novation rituelle, apparue sous sa forme canonique probablement vers
la fin du XVIIe siècle, qui donna naissance à une cérémonie pérenne
réservée à une petite minorité de la population. C’est à l’intérieur de ce
genre de configuration institutionnelle que se développa une techno-
logie sélective complexe qui, elle-même, se stabilisa durant au moins
un siècle. Après avoir mené à bien l’étude de ses caractéristiques, de
ses usages et de sa sémiotique, il convient maintenant de mieux com-
prendre les relations qu’elle entretint avec les conflits institutionnels à
partir desquels elle se développa.

Midewiwin et christianisme
Les chamanes ojibwas nommèrent leurs écrits sélectifs de diverses
manières : selon Schoolcraft, « les indigènes les appellent Nugamoon-un,
c’est-à-dire “chants”133 » ; plus loin, il remarque qu’ils sont parfois nom-
més « cartes », en français dans le texte134. Kohl, quant à lui, écrivit :
« Les Indiens nomment “masinaigan” les morceaux d’écorce de bouleau
employés pour écrire. Le terme dérive du verbe nin masinaige (“Je fais des
signes”) et se réfère à toute chose sur laquelle des signes sont inscrits.
Ils donnent aussi au papier et aux livres le même nom135. » L’ensemble
de ces termes évoque un champ sémantique qui nous est maintenant
familier : si la dénomination « chant » n’est qu’une métonymie, nous
avons à plusieurs reprises rencontré les expressions « carte » et « livres »
(masinaigan) chez les prédicateurs et prophètes algonquiens des siècles
précédents. Si l’on prend cette continuité au sérieux, il convient d’inter-
roger plus avant la relation que le Midewiwin pouvait entretenir avec le
christianisme et ses livres.
Les potentielles influences de l’Église chrétienne sur la société
rituelle hiérarchisée des Ojibwas ont fait couler beaucoup d’encre. Il
n’est par exemple pas impossible que la présence des Jésuites dans la
région des Grands Lacs à la fin du XVIIe siècle ait joué un rôle indirect
au moment de la mise en place de la configuration rituelle de la société
du Midewiwin. Par la suite, au cours du XVIIIe siècle, c’est-à-dire au

143
chapitre vi

moment de la consolidation de l’institution chamanique, de la canonisa-


tion de ses discours rituels et de l’invention des ses techniques scriptu-
raires, les missionnaires chrétiens étaient à peu près totalement absents
de la région. Il est cependant clair que, tout au long du XIXe siècle, lors
du retour des missionnaires et peut-être à la suite du déclin du Wabeno,
l’antagonisme entre Midewiwin et Église chrétienne devint très pro-
noncé136. Les chamanes ojibwas s’opposaient en effet frontalement à la
diffusion du christianisme tout en en incorporant divers aspects dans
leurs discours et peut-être dans leurs pratiques cérémonielles.
Warren relata ainsi l’anecdote suivante : « J’ai parfois traduit à leurs
anciens des passages de l’histoire biblique et leur réaction était inva-
riablement : “Le livre doit être vrai car nos ancêtres nous ont raconté
des récits similaires, génération après génération, depuis l’origine de
la Terre”137. » Lorsque quelques années plus tard, Kohl réclama une fois
encore des explications à propos des écrits sélectifs, son interlocuteur
« commença par Adam et Ève, et la création du monde, puis il me raconta
avec force détails comment le Grand Esprit avait fondé l’ordre des Mide
et comment leur religion était venue à eux depuis l’est lointain138 ». Plus
tard, on lui narra à nouveau ce récit et il se résolut à en prendre note. On
y observe un entremêlement constant de thèmes ojibwas et chrétiens :
le Kitchi Manitou créa le monde et les humains ; les hommes étaient alors
couverts d’écailles d’argent scintillant ; par compassion, le Grand Esprit
offrit une compagne à l’homme et celle-ci se nommait Marie ; le Kitchi
Manitou leur transmit ensuite les plantes domestiquées mais leur inter-
dit les fruits d’un arbre ; bien évidemment, la femme puis l’homme les
goûtèrent ; ils perdirent alors leurs écailles scintillantes (sauf sur les
ongles) et furent expulsés du paradis ; ils durent alors chasser pour sur-
vivre. C’est à ce moment qu’intervient un épisode qu’il vaut la peine de
citer intégralement :

« Un jour, l’homme partit chasser et trouva un livre sous un arbre.


Il s’arrêta et l’observa. Le livre se mit à lui parler et lui dit ce qu’il
devait faire et ce qu’il ne devait pas faire. Il lui donna une longue liste
d’ordres et d’interdits. L’homme trouva cela curieux et, bien qu’il ne
l’appréciât pas vraiment, il l’apporta chez lui et le montra à sa squaw.
“J’ai trouvé un livre sous un arbre, lui dit-il, qui me dit de faire
plein de choses et qui m’en interdit d’autres. Je trouve ça difficile et je
vais le remettre là où je l’ai trouvé.” Et c’est ce qu’il fit malgré les sup-
plications de sa squaw qui souhaitait le garder. “Non, dit-il, il est trop
épais. Comment pourrais-je le transporter dans mon sac-médecine ?”
Et le jour suivant, il laissa le livre sous l’arbre où il l’avait trouvé et au
moment même où il le déposa, il disparut. La terre l’avait avalé139. »

144
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

À ce stade de la narration, Kohl inséra une note de bas de page pour


préciser : « Il est clair qu’il s’agit ici de la Bible et des enseignements
chrétiens. » Le récit continue :

« À sa place, toutefois, un autre livre apparut, sur l’herbe. Il était


simple et léger ; il était écrit sur deux morceaux d’écorce de bou-
leau. Il lui parla également, en un ojibwa clair et pur, ne lui interdi-
sant ni ne lui ordonnant rien ; il lui enseigna seulement les usages et
les qualités des plantes de la forêt et de la prairie. Cela lui plut beau-
coup : il rangea aussitôt le livre dans son sac de chasse, s’en fut dans
la forêt et collecta toutes les plantes, racines, fleurs et herbes qui lui
étaient indiquées140. »

Ainsi Bible et écrits sélectifs en vinrent à être pensés comme com-


parables141. Mais il ne faut probablement voir là qu’une confrontation a
posteriori : si la société rituelle du Midewiwin a pu très vaguement s’ins-
pirer, par émulation, de ce qui était connu au XVIIIe siècle de l’Église
catholique, il est assez peu probable que le développement de l’écriture
sélective et des chartes soient à penser en fonction de l’exemple donné
par l’usage chrétien de la Bible. Nous avons vu que non seulement les
origines iconographiques de ces techniques étaient locales mais aussi
que l’élaboration de l’écriture sélective dut s’effectuer vers la fin du
XVIIIe siècle, période creuse pour les missionnaires dans la région142.
Il est beaucoup plus probable que cette forme d’écriture chamanique
se soit développée en fonction d’une part de la rivalité circonstancielle
qui opposa un temps le Midewiwin et le Wabeno et d’autre part des exi-
gences de mémorisation et de stabilisation que la configuration institu-
tionnelle propre au Midewiwin portait virtuellement en elle.

Midewiwin et Jaasakid

« Dans les anciens temps, les gens de notre peuple n’avaient pas
d’éducation. Ils n’étaient pas instruits par les livres et par les pro-
fesseurs. Toute leur sagesse et tout leur savoir provenaient de leurs
visions » – Une femme ojibwa au début du XXe siècle143.

Si le Wabeno disparut progressivement et si les missionnaires chré-


tiens n’exercèrent de nouveau une réelle influence dans la région qu’au
cours de la seconde moitié du XIXe siècle, la société du Midewiwin
n’était toutefois pas la seule institution ojibwa à se positionner sur le
marché des transactions avec le surnaturel. En effet, la société a tou-
jours coexisté avec une forme plus ancienne et plus individuelle de

145
figure 26
Vision de Jaasakid publiée par Henry Schoolcraft

figure 27
Visions de Jaasakid publiées par Walter Hoffman
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

chamanisme : ces spécialistes, connus sous le nom de « Jaasakid »,


étaient aussi thérapeutes et leur savoir d’herboriste rivalisait certaine-
ment avec celui des initiés Mide144. S’il est difficile de reconstruire les
formes anciennes de ce genre de chamanisme, il est clair que sa longue
coexistence avec une autre institution collective, comme le Midewiwin,
a dû exercer une influence sur la délimitation de son champ d’activité.
Ainsi, au XIXe siècle, les Jaasakid étaient essentiellement connus pour
leurs séances de divination réalisées à l’abri de tentes tremblantes ; ce
faisant, ils avaient le monopole d’une technique chamanique, la société
du Midewiwin ne transmettant aucune compétence de ce genre.
À vrai dire, Jaasakid et Mide différaient autant par la nature de leur
dispositif cérémoniel que par celle de leur mode de transmission. Sous
leur tente, les Jaasakid invoquaient des entités surnaturelles qui par-
laient ensuite par leur truchement, répondant aux questions de l’audi-
toire. Ces cérémonies, qui commençaient au crépuscule, faisaient inter-
venir une multitude « d’esprits auxiliaires » qui se présentaient chacun
en prononçant son nom à l’aide d’une voix spécifique (les mouvements
de la tente étaient pensés comme les déplacements, arrivées et départs,
de ces entités). Chaque séance était introduite par la Tortue qui, dotée
d’un humour souvent sarcastique, jouait le rôle d’intermédiaire entre
les humains et les entités surnaturelles. Il était alors question de ce qui
se passait au loin (par exemple, la situation d’un groupe ennemi), d’évé-
nements futurs (par exemple, la localisation précise de gibier) ou d’étio-
logie de maladies.
Contrairement au Midewiwin, les techniques du Jaasakid ne fai-
saient pas l’objet d’un processus de transmission institutionnalisé. Si
un apprentissage informel, constitué de multiples observations d’autres
Jaasakid, était certes nécessaire, il n’était pas pensé comme fondamen-
tal et il n’y avait pas d’interactions stipulées entre un maître et un dis-
ciple. C’est que la transmission du savoir du Jaasakid se déroulait au
cours d’une « révélation », d’une vision qui avait souvent lieu durant le
jeûne pubertaire que tous les hommes ojibwas devaient effectuer. C’est
au cours de cette vision qu’avait lieu l’apprentissage : les entités surna-
turelles rencontrées transmettaient alors leurs pouvoirs et leurs savoirs
au jeûneur – il en résultait d’une part une grande variabilité entre les
techniques des différents Jaasakid qui s’ajustaient aux modifications
continues de l’environnement naturel et social des Ojibwas145 et d’autre
part une rivalité et une « jalousie » permanentes entre les différents
chamanes qui s’accusaient les uns les autres de sorcellerie ou de char-
latanerie. Du point de vue de leur mode de transmission, les deux ins-
titutions chamaniques ojibwas appartenaient donc à deux pôles oppo-
sés146 : les Jaasakid acquéraient leur savoir de manière « charismatique »

147
chapitre vi

par le biais d’une vision dont le contenu était hautement variable, per-
sonnel et syncrétique tandis que les Mide apprenaient un savoir doctri-
nal extrêmement stable dans le cadre d’une institution de type scolaire
et à l’aide de techniques d’inscription147. Cette opposition institution-
nelle constitue un phénomène historique : le développement d’un cha-
manisme doctrinal, dans le cadre du Midewiwin, mit progressivement
de côté les expériences visionnaires qui, selon le témoignage de Raudot,
en faisaient encore partie au début du XVIIIe siècle, tandis que les cha-
manes Jaasakid se focalisèrent de plus en plus nettement sur l’étiologie
visionnaire des maladies, délaissant la liturgie thérapeutique aux ini-
tiés Mide. Cette dynamique historique explique aussi, au moins en par-
tie, que la société Midewiwin se soit engagée de plus en plus au cours du
XVIIIe siècle vers un accroissement du savoir rituel transmis, vers une
complexification de ce savoir ésotérique et, surtout, vers une canonisa-
tion de ses discours rituels qui devaient être répétés avec la plus grande
exactitude, à la différence des pratiques discursives des chamanes
Jaasakid qui étaient toujours « inspirées » ou improvisées.
Cette opposition institutionnelle, qui était aussi une complémenta-
rité, permet également de comprendre plus précisément la nature des
techniques d’inscription des discours du Midewiwin. Car les Jaasakid
aussi produisaient parfois des images ; selon les mots de Schoolcraft,
« les symboles du Midewiwin […] sont accessibles à tous ceux qui sont
admis dans la société secrète. Mais l’art des prophètes [les Jaasakid] se
suffit à lui-même. Il est exclusif, singulier, personnel et expérimental148 ».
Ainsi, il arrivait que les Jaasakid dessinent les entités qui peuplaient
leurs visions, avec lesquelles ils étaient capables d’interagir durant leurs
séances de divination – ce faisant, ils ne faisaient que développer la tra-
dition iconographique des emblèmes de vision [figures 26 et 27]149.
Cependant ces dessins, dont la fonction est quelque peu mystérieuse,
demeuraient personnels, souvent secrets, et ne faisaient l’objet ni d’une
transmission, ni d’un usage pédagogique. Tout le contraire des écritures
de chants et des chartes du Midewiwin qui n’existaient que pour accom-
pagner la mémorisation de traditions discursives complexes qu’il s’agis-
sait d’une part de conserver sous une forme canonique et d’autre part de
transmettre de la manière la plus efficace possible.
Les constantes innovations iconographiques des Jaasakid n’eurent
d’égales que celles, potentiellement infinies, d’un « scribe » que rencon-
tra Kohl en 1855 [figure 28]. Voici le récit qu’il en fit :

« Comme je ne cessais de poser des questions à propos des pic-


tographies, les Indiens de la mission finirent par me parler d’un
homme de leur peuple, dont le nom était Ojibiwas, qui était très

148
figure 28
Le dessin d’un scribe ojibwa
chapitre vi

habile au dessin et à l’écriture. Il pourrait me fabriquer autant de


livres que je le désirerais. Il pouvait écrire tout ce qu’on lui racontait
et il avait déjà beaucoup écrit pour d’autres personnes.
Je fis rapidement connaissance avec ce scrittore indien et le sup-
pliai de venir me voir avec de l’écorce de bouleau et le matériel d’écri-
ture nécessaire. Le matin suivant, il se présenta à mon petit cabanon.
Il donnait l’impression d’avoir écorcé un bouleau entier, car il appor-
tait au moins une demi-main de ce papier indien ainsi qu’un grand
couteau et un crayon en os.
Je lui demandai d’abord d’écrire ou de peindre quelque chose à
la manière de son peuple. Il me demanda quoi et je lui répondis que
peu m’importait, qu’il pouvait suivre sa propre imagination : ce pour-
rait être une histoire de Menaboju ou tout autre récit plaisant qu’il
saurait décrire en pictographie. “Bien”, dit-il. Il le ferait.
Je lui donnai un bon crayon anglais mais il affirma que son os
aiguisé était bien meilleur pour dessiner. Il ne voulut pas non plus
s’asseoir dans mon cabanon ombragé où j’avais fait installer une
table pour son usage. Il m’assura préférer s’asseoir au dehors sous
le soleil. Il sortit donc et travailla plusieurs heures, sur l’herbe et les
broussailles, et je n’entendis plus le son de sa voix.
Je ne sais plus combien de chapitres de l’excellente étude de
Morgan sur les Iroquois j’avais eu le temps de lire lorsque mon
petit scrittore refit surface et me dit qu’il m’avait dessiné quelques
anecdotes à propos de Menaboju, le fameux demi-dieu des
Ojibbeways150. »

Dans le cas de ce scribe comme dans ceux des Jaasakid, il apparaît


clairement que ce qui est recherché, ce n’est ni la stabilisation de la tra-
dition discursive qui l’accompagne, ni la canonisation des formes stan-
dard d’une technique graphique. Ils permettent de mieux percevoir les
caractéristiques de l’écriture sélective du Midewiwin : sa fonction inhé-
rente de stabilisation d’un discours cérémoniel qui s’oppose à l’exubé-
rante profusion graphique semi-improvisée des dessins des Jaasakid ou
de scribes autoproclamés.
On comprend dès lors pourquoi et comment certains chamanes
ojibwas du début du XXe siècle substituèrent tout naturellement à leur
écriture sélective, les diverses formes d’écritures phonographiques
qu’ils avaient acquises de diverses provenances. Ainsi, l’agent indien
Albert B. Reagan mit la main sur les carnets d’un Mide, George Farmer
ou Nebadaykeshigokay, où ce dernier avait inscrit son répertoire de
chants chamaniques à l’aide de l’écriture alphabétique des Grands
Lacs151. Fred K. Blessing, quant à lui, fit l’acquisition entre 1946 et 1968

150
L’ÉCRITURE ET LES CHARTES DU MIDEWIWIN

figure 29
Transcription alphabétique d’un chant du Midewiwin

151
chapitre vi

de deux corpus d’écrits phonographiques ojibwas d’une douzaine de


mains différentes qui contenaient d’une part de nombreux chants cha-
maniques et d’autre part des « instructions rituelles incluant la descrip-
tion des gestes cérémoniels des participants dans la loge, des repré-
sentations pictographiques des différents degrés de l’initiation et du
“chemin de la vie”, et la liste des toponymes situés le long du trajet de
la migration152 ». On sait aussi que les Bungis utilisèrent une écriture
dérivée du syllabaire cri pour noter certains chants de leur version du
Midewiwin [figure 29]153. Ce faisant, les Mide ne faisaient que subs-
tituer une technique de notation par une autre – la fonction de cano-
nisation des discours et la pragmatique de lecture et d’enseignement
propres à une institution rituelle élitiste et hiérarchisée restaient fonda-
mentalement les mêmes.

152
Chapitre vii

ÉCRITURES DE CHAMANES ET
ÉCRITURES DE PROPHÈTES

Dans la mesure où la société du Midewiwin est une innovation rituelle


qui s’est stabilisée pendant plus de deux siècles, elle pourrait être consi-
dérée, d’un point de vue institutionnel, comme un prophétisme qui a
réussi. Ainsi, c’est en grande partie dans la mesure où le Midewiwin est
une institution dont la naissance ne se perd pas dans un « passé immé-
morial », qu’une comparaison fructueuse entre les rituels et les inven-
tions scripturaires des prophètes algonquiens et de la société chama-
nique ojibwa devient possible.

Épistémologie et liturgie
On retrouve dans la société Midewiwin les deux dimensions du dis-
cours rituel que nous avons repérées chez les prophètes algonquiens.
Tandis que chez ces derniers les représentations épistémologiques des
rituels étaient transmises dans des récits de vision, les chamanes du
Midewiwin se transmirent ces représentations dans le cadre de l’ap-
prentissage et de la récitation d’un mythe d’origine. Le mythe se subs-
tituait ainsi à la vision : un discours attribué aux ancêtres et aux enti-
tés fondatrices de la cérémonie remplaçait, pour les disciples, un
discours attribué à un prophète vivant. Et en effet, le mythe d’origine
du Midewiwin contient toutes les informations épistémologiques perti-
nentes : il décrit la genèse et les séquences du rituel, les autorités surna-
turelles qui rendent légitime sa transmission et la finalité thérapeutique
de l’institution.
De ce point de vue, les chartes du Midewiwin apparaissent en
continuité avec les cartes des prophètes : toutes permettent de stabili-
ser le schéma narratif du discours épistémologique propre au rituel.
Ce faisant, elles inscrivent les rituels dans une représentation spa-
tiale aux dimensions multiples  : chronologiques, cartographiques,

153
chapitre vii

institutionnelles et cosmologiques. Il n’est d’ailleurs pas impossible que


cartes prophétiques et chartes chamaniques se soient réciproquement
influencées, ces peuples algonquiens étant tous en contact les uns avec
les autres au cours de la période historique considérée.
Parallèlement à cette analogie située au niveau de la notation des dis-
cours épistémologiques des prophètes et des chamanes du Midewiwin,
on trouve également un usage similaire des écritures rituelles, que
celles-ci soient sélectives ou intégrales : dans les deux configurations,
il s’agissait de canoniser et de stabiliser un élément fondamental de la
liturgie des cérémonies – leurs chants. Ainsi, comme Meiaskaouat et
comme Kenekuk, les membres de la société Midewiwin inventèrent une
écriture sélective pour stabiliser autant que faire se peut leurs chants
rituels. Et comme les disciples de Kenekuk, les membres du Midewiwin
finirent par substituer à leur écriture sélective une écriture intégrale
qu’ils avaient empruntée aux missionnaires afin de continuer à assurer
la pérennité de la transmission de ces mêmes chants liturgiques.
On trouve donc, dans les prophétismes algonquiens et dans la société
chamanique ojibwa, les deux mêmes genres de discours rituels trans-
crits, de manière semblable, par les deux mêmes genres de techniques
d’inscription. Cependant, cette homologie ne doit pas cacher une dif-
férence fondamentale : si les prophètes inventèrent leurs écritures en
même temps qu’ils essayèrent de propager leurs innovations rituelles,
les membres du Midewiwin n’éprouvèrent le besoin de se doter de tech-
niques scripturaires que lorsque leur cérémonie se fut bien stabilisée,
environ un siècle après son apparition. Cette différence sera mieux com-
prise à partir d’une comparaison des conditions institutionnelles de ces
inventions.

Stabilité et distribution
Les mouvements prophétiques algonquiens furent tous des succès
à court terme. Ils se propagèrent rapidement en peu de temps, signe
qu’ils venaient se loger dans une niche culturelle prête à les accueil-
lir. Meiaskaouat n’hésita pas à franchir des frontières linguistiques et
naturelles afin de diffuser sa prédication chez différents groupes mon-
tagnais et abénaquis. Neolin, s’il excluait les Blancs de la population
cible, semble s’être adressé à l’ensemble des Amérindiens de sa région,
nommant des « ministres » tels que Simon pour optimiser cette diffu-
sion – son message se répandit, au fil des années, jusqu’aux Ottawas du
sud des Grands Lacs. Kenekuk ne convainquit certes qu’une partie des
Kickapoos mais il sut élargir le cercle de ses disciples aux Potawatomis
et il ne cessa d’essayer de convertir ses voisins. Si les prophètes cris
ne disposèrent que de très peu de temps, ils suscitèrent eux aussi des

154
ÉCRITURES DE CHAMANES et DE PROPHÈTES

vocations prosélytes telle celle de cette « prêtresse » qui partit au loin


prêcher leur nouvelle vision. Dans tous les cas, le prosélytisme était
fondé sur une stratégie de distribution et de diffusion maximales des
discours rituels – récits de vision et chants liturgiques.
Mais ces mouvements furent également tous des échecs à long terme.
Il est toujours possible de discuter sur le sens du terme « échec » dans
un contexte où, souvent, les innovations rituelles prirent la forme d’em-
prunts au christianisme et où ceux-ci, repris dans une institution chré-
tienne ultérieure, acquirent une réelle pérennité (par exemple, le dua-
lisme eschatologique d’un paradis et d’un enfer). Néanmoins, en tant
que dispositif cérémoniel complet, incluant épistémologie et liturgie,
aucun de ces mouvements ne survécut plus de quelques années : quatre
ans, tout au plus, pour Meiaskaouat et Neolin ; moins d’une année pour
Abishabis et Wasiteck. Le mouvement de Kenekuk dura certes plus
longtemps, une trentaine d’années, peut-être plus, et de ce fait acquit
certaines caractéristiques originales sur lesquelles nous reviendrons
bientôt. Mais le passage du temps rendit la plupart de ces innovations
religieuses indiscernables du long et lent processus de christianisation
que connurent toutes ces sociétés. Kenekuk1, peut-être Abishabis2, lais-
sèrent certes un souvenir marquant, encore vivant plusieurs généra-
tions après leur mort – mais leurs visions, leurs dispositifs cérémoniels,
leurs paraphernalia ne jouèrent très rapidement plus aucun rôle dans la
vie rituelle de leur peuple.
Par contraste, la société chamanique des Ojibwas demeura stable du
début du XVIIIe siècle jusqu’à la première moitié du XXe siècle. En ce sens,
elle fut une réussite institutionnelle à long terme. Mais cette pérennité
s’accompagna d’une distribution très différente de son savoir rituel : à
chaque génération, seule une petite minorité de la population ojibwa
pouvait avoir accès à ses techniques et à ses discours. Ainsi, prophé-
tismes et société chamanique furent radicalement opposés du point de
vue des propriétés de leur configuration institutionnelle : les premiers
visèrent une propagation maximale de leur savoir mais ne parvinrent
pas à le stabiliser longtemps, la seconde se limita à une distribution res-
treinte et réussit à se pérenniser sur le long terme. Ces propriétés résul-
tèrent de deux modes de transmission du discours rituel très différents
dont les conséquences furent aussi clairement visibles aux niveaux de
la nature et de la complexité des discours et, partant, de leurs formes
d’écriture.
Ainsi, les règles de distribution de ces deux configurations institu-
tionnelles ne pouvaient que conditionner des discours de complexité
différente. La diffusion des discours rituels des prophètes se réalisait
horizontalement au sein de larges populations de convertis alors que la

155
chapitre vii

transmission des discours rituels du Midewiwin, de par la stabilité de


l’institution, s’effectua verticalement, d’initié à novice, au sein d’une
petite élite d’experts. Les prophètes, dans la mesure où ils visaient une
propagation maximale à court terme, ne pouvaient guère que tenter de
diffuser des discours brefs et simples à mémoriser (des récits de vision
simples ou des chants courts) tandis que les spécialistes du Midewiwin
purent progressivement consacrer un temps important à apprendre et à
transmettre de longs récits mythiques extrêmement détaillés et de très
nombreux chants ésotériques dont le vocabulaire présentait un degré
d’opacité inconnu des mouvements prophétiques. Cette différence au
niveau du degré de complexité des savoirs transmis ne pouvait que se
répercuter sur leurs techniques d’inscription respectives. Ainsi, les
chartes du Midewiwin et leurs dérivés sont d’une richesse sémiotique
qui n’a aucun équivalent dans les cartes eschatologiques des prophètes
algonquiens. De même, les quelques écrits sélectifs de Meiaskaouat
et de Kenekuk, ou même les quelques pages de textes en écriture syl-
labique des Cris, ne peuvent rivaliser ni avec la quantité extraordinaire
d’inscriptions sélectives ojibwas, ni avec les centaines de pages dont
ils eurent besoin, au XXe siècle, pour transcoder en écriture alphabé-
tique leurs chants chamaniques. Chaque configuration constituait donc
un milieu susceptible de favoriser ou d’inhiber la croissance de la com-
plexité des discours transmis.
On remarquera d’ailleurs que, de ce point de vue, le mouvement de
Kenekuk occupe une position intermédiaire : sa distribution, sans être
aussi restreinte que celle du Midewiwin, ne dépassa néanmoins pas une
fraction des sociétés kickapoos et potawatomis et il survécut plusieurs
dizaines d’années à la mort du prophète, sous une forme certes très
diluée dans le christianisme. Ces conditions institutionnelles étaient
moins contraignantes que celles des autres mouvements prophétiques :
Kenekuk put ainsi inventer une forme d’écriture d’une complexité sin-
gulière, mêlant des aspects cosmographiques et liturgiques, afin d’assu-
rer la stabilité de discours cérémoniels très structurés et relativement
longs. Plus tard, si l’on en croit la légende, il entreprit même de canoni-
ser ses discours à l’aide d’une écriture intégrale, phénomène qui le rap-
proche encore un peu plus du Midewiwin.

Les conditions institutionnelles de l’invention de l’écriture


Finalement, ces deux configurations institutionnelles opposées ne
peuvent être comprises qu’à partir des conflits qui soit en expliquent
l’origine, soit en expliquent la persistance. Nous avons vu, dans le cha-
pitre cinq, que les caractéristiques propres aux mouvements prophé-
tiques algonquiens pouvaient être expliquées en partant du conflit qui

156
ÉCRITURES DE CHAMANES et DE PROPHÈTES

les opposa, dès l’origine, aux stratégies de conversion et d’évangélisa-


tion chrétiennes. Le conflit institutionnel, dans ces cas, restait exogène :
il confrontait des institutions issues de cultures et de traditions étran-
gères l’une à l’autre.
En ce qui concerne le Midewiwin, la situation est plus complexe :
il faudrait pouvoir distinguer d’une part les conflits qui en furent à l’ori-
gine (mais il est difficile de les identifier faute de documentation fiable3)
et d’autre part ceux qui en expliquent, en partie certes, la stabilité. Nous
avons néanmoins vu que la coexistence, dans la société ojibwa, de
deux institutions chamaniques distinctes permettait d’en comprendre
certaines dynamiques différentielles. Tandis que le chamanisme des
Jaasakid prit toujours plus la forme d’un savoir révélé, visionnaire, inno-
vant et charismatique (au point qu’il est possible d’y voir un genre para-
doxal de prophétisme perpétuel), la société du Midewiwin s’orienta
continuellement dans la direction opposée, accentuant les aspects doc-
trinaires et scolaires d’un savoir hérité et canonisé et excluant toute
vision de ces procédures d’apprentissage. Le processus était ici endo-
gène, à la différence des mouvements prophétiques : la dynamique de
différenciation complémentaire des institutions rituelles restait interne
à la société ojibwa.
Ainsi, il est très probable que le Midewiwin se complexifia tout au
long du XVIIIe siècle, accroissant à chaque génération la quantité et
l’opacité du discours canonique transmis. Et c’est vraisemblablement à
partir de ces propriétés internes et donc de ses exigences propres que
l’institution éprouva le besoin de se doter de techniques scripturaires
afin de mieux stabiliser des discours dont la mémorisation exacte deve-
nait de plus en plus difficile. Certes, la concurrence du Wabeno, peut-
être une scission hérétique à l’intérieur même du Midewiwin, put servir
de déclencheur – mais, dans tous les cas, on ne peut pas parler ici d’un
processus d’émulation issu d’une prise en compte de la Bible des mis-
sionnaires. Ce sont des besoins internes, liés à la spécialisation doctri-
naire de l’institution et à l’accroissement de la quantité de discours céré-
moniels que cette spécialisation rendait possible, qui sont à l’origine de
l’invention de l’écriture chez les Ojibwas de la société du Midewiwin.
Ils avaient besoin d’une écriture pour stabiliser les discours qu’ils sou-
haitaient continuer à transmettre4.
Si les prophètes algonquiens inventèrent l’écriture d’emblée, afin de
se trouver à armes égales dans le conflit qui les opposait à leurs concur-
rents chrétiens, les membres du Midewiwin ne l’inventèrent qu’au bout
d’un siècle, en réponse aux nouveaux problèmes engendrés par le déve-
loppement de plus en plus doctrinaire de leur institution. Si les pro-
phètes s’inspirèrent de la Bible dès l’origine de leurs mouvements, les

157
chapitre vii

chamanes du Midewiwin, quant à eux, ne remarquèrent que tardive-


ment, au milieu du XIXe siècle, que leur arsenal d’écrits sélectifs pouvait
être confronté et comparé à la Bible. Si le conflit avec le christianisme
est à l’origine de l’invention de l’écriture par les prophètes algonquiens,
les conflits avec le Wabeno puis avec le christianisme ne peuvent, dans
le meilleur des cas, qu’expliquer (partiellement) la stabilité des tech-
niques d’inscription chamaniques ojibwas. L’invention de l’écriture par
les chamanes du Midewiwin ne peut être expliquée que par le processus
mécanique de complémentarité et de progressive différenciation qui les
opposèrent aux chamanes Jaasakid.

158
Conclusion

ÉCRITURES ATTACHÉES

La comparaison entre les écritures des prophètes algonquiens et celles


des chamanes de la société du Midewiwin a fait ressortir une série de
distinctions conceptuelles dont nous allons tester, dans cette conclu-
sion, la fécondité1. Toutes concernent la relation qu’entretiennent écri-
tures et institutions rituelles ; deux d’entre elles sont susceptibles de
renouveler notre compréhension des premiers usages de toutes les
écritures.
Nous avons d’abord identifié un contexte institutionnel particulier
qui nous a permis de comprendre comment le besoin d’inventer une
écriture était susceptible d’apparaître dans une société donnée, indé-
pendamment de toute volonté consciente d’imiter ou d’emprunter une
technologie étrangère. En effet, ce sont les caractéristiques propres
aux deux institutions chamaniques ojibwas qui ont engendré la dyna-
mique conduisant d’une part les chamanes Jaasakid à accentuer sans
cesse l’adaptabilité et donc l’origine inspirée de leur savoir et d’autre
part la société rituelle du Midewiwin à accroître progressivement à la
fois le nombre et la complexité de ses discours canoniques et l’exigence
d’exactitude gouvernant les modalités de leur transmission. Dans cette
situation, l’invention d’une technique scripturaire devint, sinon néces-
saire, du moins extrêmement utile et on comprend aisément pourquoi
écritures liturgiques et chartes épistémologiques se stabilisèrent assez
longtemps dans le cadre de cette transmission rituelle. On peut donc
légitimement se demander si un tel contexte de dualité institutionnelle
dynamique ne joue pas un rôle explicatif pour d’autres phénomènes
d’inventions d’écritures, en particulier sélectives.

159
conclusion

Ensuite, nous avons vu que les écritures prophétiques et chama-


niques partageaient un trait commun : toutes deux furent des écritures
attachées. Les principaux effets que recherchèrent ceux qui les inven-
tèrent étaient la stabilisation accrue de discours rituels précis (et non
de n’importe quel genre de discours) et l’augmentation du prestige et de
l’autorité de l’institution rituelle qui assurait la transmission de ces dis-
cours. De ce fait, ces écritures accompagnaient toujours, par essence, la
transmission orale des discours qu’elles prenaient pour cibles et elles ne
survécurent ni à la disparition de leur contexte rituel d’usage, ni à l’ou-
bli des traditions orales qu’elles accompagnaient. Ce régime d’usage par-
ticulier, fortement corrélé à la volonté de canoniser un discours, c’est-
à-dire à la fois de le pérenniser et de le doter d’une autorité encore plus
grande, est susceptible de révéler une dimension peu étudiée des ori-
gines de toutes les écritures dont l’invention s’effectua en l’absence
d’un modèle à imiter ou à emprunter. Car, s’il est vrai que, de par leur
sémiotique, les écritures sélectives ne peuvent qu’être attachées, il n’est
pas impossible que d’autres formes d’écritures, aux principes sémio-
tiques distincts, aient elles aussi fait l’objet d’un usage attaché, au moins
au moment où de bonnes raisons étaient nécessaires pour justifier que
l’on fasse l’effort de les inventer et de les propager. L’objectif de cette
conclusion sera donc de tester la validité de cette hypothèse en exami-
nant l’histoire des usages des différentes formes d’écritures – sélectives,
secondaires et intégrales.

Écritures sélectives
L’invention d’une écriture sélective complexe par les spécialistes rituels
du Midewiwin ne constitue pas un phénomène isolé parmi les peuples
amérindiens. Au moins deux autres sociétés du continent ont connu un
processus semblable à partir de conditions institutionnelles similaires :
les Navajos du Sud-Ouest de États-Unis et les Kunas du Panama. Le cha-
manisme navajo est issu de la rencontre, aux alentours du XVIe siècle,
des populations athapascanes venues du nord et des ancêtres des popu-
lations pueblos de la région. Au cours des siècles, un système cérémoniel
duel se mit en place chez les Navajos. Un premier chamanisme se spécia-
lisa dans la divination et dans l’établissement de diagnostics identifiant
l’origine des maladies. Ces chamanes employaient diverses techniques
visionnaires afin de déterminer les causes des malheurs : ils observaient
le soleil, la lune et les étoiles, leur main tremblait lorsqu’ils visualisaient
des images pertinentes et ils entendaient des indices sonores que nul
autre qu’eux ne pouvait percevoir. Ces techniques ne se transmettaient
pas de maître à disciple : elles étaient innées et pouvaient être révélées
à l’occasion d’un rêve ou d’une vision. Un second chamanisme se mit

160
ÉCRITURES ATTACHÉES

en place, très probablement à partir d’une série d’emprunts faits aux


populations pueblos locales mais aussi au cours d’une différenciation
progressive du chamanisme visionnaire. Ce second chamanisme était
avant tout thérapeutique et il excluait toute forme de vision. Il faisait
l’objet d’un long apprentissage au cours duquel le disciple, après paie-
ment à son maître, devait retenir un large corpus de très longs chants
rituels dont la mémorisation exacte était considérée comme cruciale.
Ces chants liturgiques entretenaient des relations complexes d’une part
avec des récits mythiques qui en expliquaient l’origine et d’autre part
avec diverses procédures cérémonielles qui étaient, elles aussi, trans-
mises au cours de l’initiation chamanique. Le corpus de chants était tel-
lement important qu’aucun chamane ne pouvait les mémoriser tous : la
plupart se spécialisait dans une ou deux cérémonies particulières nom-
mées « voies ». Cette seconde institution chamanique procéda donc pro-
gressivement à une division accentuée du travail de mémorisation du
savoir thérapeutique.
Si les Navajos acquirent la technique et l’iconographie des peintures
de sable des sociétés initiatiques pueblos, leurs chamanes thérapeutes
en firent un usage singulier : au cours du XIXe siècle probablement, ils
multiplièrent ces peintures dans le cadre de leurs cérémonies, systéma-
tisant les relations entre leurs chants rituels et leurs représentations
graphiques. Parallèlement, dans le cadre de l’apprentissage des chants,
ils élaborèrent de réelles écritures sélectives afin d’en canoniser la
mémorisation [figure 30]. Ces écritures, dont l’iconographie s’inspirait
largement des peintures de sable, fonctionnaient selon des principes
tout à fait semblables à celles des Kickapoos et des Ojibwas : elles trans-
crivaient sélectivement les éléments variables de chants dont la struc-
ture paralléliste était extrêmement rigoureuse et leur usage était attaché
au seul contexte rituel. Cette invention d’écriture ne devait très pro-
bablement rien à l’exemple et à la rivalité des très rares missionnaires
chrétiens de la région : elle constitua une réponse adéquate à des pro-
blèmes propres à la configuration de leur institution chamanique. Ainsi,
en se différenciant, de manière complémentaire, des chamanes vision-
naires, les chamanes thérapeutes se transmirent des corpus discur-
sifs de plus en plus longs et de plus en plus complexes : même en ayant
recours à une distribution entre spécialistes du travail de mémorisation,
la charge devint excessive pour la mémoire des chanteurs et l’inven-
tion d’une écriture sélective, susceptible de stabiliser ces discours cano-
niques, représenta une solution parfaitement adaptée2.
L’histoire des institutions chamaniques des Kunas du Panama est
moins bien connue : lorsqu’elles furent décrites en détail, au début du
XXe siècle, elles présentaient une configuration duelle très marquée,

161
figure 30
L’écriture sélective navajo
figure 31
L’écriture sélective kuna
conclusion

probablement assez ancienne. Certains chamanes, nommés nele, étaient


spécialisés dans le diagnostic de l’étiologie des maladies : leur aptitude
était innée et ils effectuaient de longs voyages visionnaires dans le cadre
de leurs divinations. D’autres chamanes, nommés igar wisid, se consa-
craient uniquement aux cérémonies thérapeutiques, n’avaient jamais
recours à des visions et, à la manière des spécialistes ojibwas et navajos,
se transmettaient d’importants corpus de chants rituels au langage opa-
que. Là aussi, c’est afin de stabiliser le plus possible ces corpus de chants
liturgiques qui flirtaient avec les limites des capacités de la mémoire
humaine qu’une forme d’écriture sélective fut inventée [figure 31].
Cette écriture, à nouveau, obéissait à des principes tout à fait sem-
blables à ceux des écritures rituelles kickapoo, ojibwa et navajo : inscrip-
tion sélective des parties variables de chants parallélistes et usage atta-
ché, exclusivement cérémoniel. Le moment exact de son invention fait
encore l’objet de débats ; il est néanmoins peu probable qu’elle eut lieu
avant la seconde moitié du XIXe siècle. Et il apparaît clairement que cette
invention répondit à des besoins internes, dérivés d’une dynamique de
spécialisation institutionnelle endogène : l’émulation avec la Bible des
missionnaires n’y joua très probablement aucun rôle. L’écriture sélective
kuna, d’une grande complexité, permettait ainsi d’accroître la stabilité
des chants thérapeutiques et de leur processus de transmission3.
Les inventions scripturaires ojibwa, navajo et kuna sont donc issues
des mêmes conditions : à chaque fois, une dualité institutionnelle stabi-
lisée opposait des chamanes charismatiques et visionnaires à des cha-
manes scolaires et doctrinaires. Les discours rituels n’étaient accessibles
qu’à une petite minorité de la société qui se les transmit de génération
en génération pendant une longue période. Du fait de la dynamique
engendrée par cette dualité institutionnelle, la quantité de discours
rituels à transmettre s’accrut progressivement tandis que leur contenu
et leur structure se complexifiaient. Ce faisant, c’est d’une manière qua-
siment mécanique qu’apparut une situation où l’invention d’une écri-
ture sélective répondait à un besoin réel. Il est très possible que des
conditions similaires puissent expliquer l’origine et l’essor de nom-
breuses autres écritures sélectives. Hélas, rares sont les cas où nous dis-
posons d’une documentation comparable à celle sur laquelle nous nous
sommes appuyé dans les exemples que nous avons présentés.

Il est toutefois possible de mettre en évidence une similarité d’usage


réunissant l’ensemble des écritures sélectives qui nous sont un tant soit
peu connues. Leur analyse et leur comparaison fait en effet ressortir que
toutes les écritures sélectives furent des écritures attachées à des institu-
tions rituelles précises et aux discours canoniques dont elles assuraient

164
ÉCRITURES ATTACHÉES

la transmission. Ainsi, les fameuses écritures sélectives des Mixtèques


et des Mexicas partageaient nombre de caractéristiques avec celles que
nous avons étudiées. Si elles étaient, dans l’ensemble, beaucoup plus
complexes et certainement plus anciennes, et si elles étaient coordon-
nées à un système calendaire lui aussi très ancien, elles n’en demeu-
raient pas moins attachées à des champs discursifs limités. Parmi les
textes qui nous sont parvenus et dont l’origine est assurément précolo-
niale, il semble n’exister que deux genres4 : d’un côté des écrits de nature
panégyrique décrivant les hauts faits et les successions dynastiques de
personnages importants et d’un autre des écrits liés à des rituels reli-
gieux, se présentant comme des listes de cérémonies coordonnées à
un calendrier5 ou inscrivant les éléments pertinents de riches discours
liturgiques [figure 32]. On sait par ailleurs que ces textes accompa-
gnaient une transmission orale dans le contexte d’écoles spécialisées où
une élite de novices apprenait à la fois à lire les livres et à mémoriser par
cœur les discours cérémoniels qu’ils contenaient. Certaines des études
les plus approfondies de ces textes, fondées sur leur collation avec les
transcriptions en écriture latine des narrations orales parallélistes qui
leur correspondaient, montrent qu’ils employaient une écriture sélec-
tive dont la logique était tout à fait semblable à celle des Ojibwas, des
Navajos ou des Kunas6. S’il est difficile de reconstituer le contexte de l’in-
vention de cette écriture sélective mésoaméricaine7, il est néanmoins
intéressant de constater qu’elle put, dans un contexte institutionnel res-
semblant beaucoup à celui du Midewiwin, se pérenniser durant une très
longue période, remplissant adéquatement les fonctions de canonisa-
tion et de stabilisation qui lui étaient dévolues8.
Une analyse similaire peut être appliquée aux célèbres textes de
l’île de Pâques dont l’écriture est connue sous le nom de rongo rongo
[figure 33]. Ces écrits, gravés sur des tablettes d’ibiscus, n’étaient acces-
sibles qu’à une petite élite de prêtres experts qui, dans le cadre d’un
apprentissage scolaire, devait à la fois apprendre à les lire et mémoriser
les discours rituels qu’ils inscrivaient. Ces discours étaient ensuite réci-
tés dans des contextes cérémoniels divers. Toutes les études récentes de
cette écriture pascuane convergent pour établir sa nature sélective : soit
qu’elle notait sélectivement les parties variables de chants de structure
paralléliste9, soit qu’elle inscrivait des listes ordonnées de lunaisons
liées à des cérémonies régulières10. Là aussi, si le contexte de l’origine
de cette écriture rituelle demeure inconnu, la similarité entre les condi-
tions institutionnelles de sa transmission et de sa stabilisation et celles
à l’œuvre dans la cadre du Midewiwin permet de placer les rongo rongo
dans un champ comparatif nouveau, celui des écritures sélectives atta-
chées à un discours et à un contexte rituel précis11.

165
figure 32
L’écriture sélective mixtèque
figure 33
L’écriture sélective de l’île de Pâques
ÉCRITURES ATTACHÉES

Ces écritures sélectives stabilisées, celles des chamanes ojibwa,


navajo et kuna ou celles des prêtres mixtèques, mexicas et pascuans,
partagent un trait commun avec les écritures sélectives instables des
prophètes algonquiens : toutes ont été inventées afin de pérenniser et
de canoniser certains genres de discours. Pour les premiers, il s’agis-
sait d’assurer la transmission correcte de discours dont la complexité et
la longueur étaient en croissance continue, dépassant ainsi les capaci-
tés de la mémoire humaine ; pour les seconds, il fallait propager le plus
possible des discours simples afin de représenter une alternative pres-
tigieuse et efficace aux procédures rituelles du prosélytisme chrétien.
Ces conditions institutionnelles permettent de comprendre l’origine
de l’ensemble de ces écritures sélectives, toutefois elles n’en expliquent
pas la stabilité. Si certaines écritures sélectives sont restées stables, c’est
probablement dans la mesure où leur transmission, ainsi que celle des
discours auxquels elles étaient attachées, étaient réglées par une insti-
tution rituelle réunissant un petit nombre d’experts. Nous avons vu que
cette condition institutionnelle expliquait à la fois l’origine et la stabi-
lité de l’écriture des chamanes ojibwas du Midewiwin. Étant donnée la
rareté des sources documentaires, il est difficile de proposer une expli-
cation des origines des écritures sélectives des Navajos, des Kunas, des
Mixtèques, des Mexicas ou des Pascuans ; il est néanmoins clair que
c’est ce même facteur institutionnel qui permet d’en expliquer la sta-
bilité. Les écritures sélectives des prophètes algonquiens, quant à elles,
disparurent rapidement, en même temps que les institutions rituelles
qui en assuraient la transmission et la propagation. Il s’agit donc là très
probablement d’une propriété des écritures sélectives : leur stabilité
au cours des générations est corrélée à leur faible distribution parmi la
population. Pour qu’une écriture soit à la fois stable et largement diffu-
sée, comme le souhaitaient les prophètes algonquiens, il lui faut chan-
ger de nature sémiotique. Et ce fut très probablement là l’une des rai-
sons de l’instabilité chronique des écritures sélectives des prophètes :
leur modèle, la Bible, employait un genre d’écriture très différent.

Écritures secondaires
Nous avons, en introduction, limité le propos aux écritures sélectives et
intégrales. Il existe cependant un troisième et ultime genre d’écriture –
du moins si l’on accepte la définition que nous avons proposée qui fait
de toutes les techniques d’inscription et de stabilisation de discours des
écritures. Ce troisième genre comprend les techniques scripturaires qui
permettent de transcrire un discours en recodant un texte préexistant
en écriture intégrale. Il s’agit donc là d’écritures secondaires qui présup-
posent l’existence d’une écriture intégrale au moins lors du processus

169
conclusion

d’encodage. On connaît de très nombreux codes, cryptographiques ou


autres, qui appartiennent à ce genre de techniques et pour lesquels une
clef est nécessaire à la fois pour coder le message écrit puis pour le déco-
der12. Les écritures secondaires ne se limitèrent toutefois pas à ces pra-
tiques cryptographiques : de nombreux missionnaires chrétiens uti-
lisèrent des techniques scripturaires de ce genre afin d’enseigner aux
populations qu’ils voulaient convertir une série de discours rituels et de
prières. À la différence des codes cryptographiques, l’usage de ces écri-
tures catéchétiques était asymétrique : tandis que ceux qui les élabo-
raient avaient conscience de recoder une écriture intégrale, ceux qui les
lisaient ignoraient la logique de cette autre technique scripturaire. Dans
cette situation, la relation que ces derniers lecteurs concevaient entre
l’écriture secondaire et son discours cible n’était pas médiatisée par
l’écriture intégrale.
Ainsi, dans le cadre du long processus d’évangélisation des
Amérindiens, des missionnaires chrétiens, au cours d’époques diverses,
firent usage de telles écritures secondaires pour transmettre à leurs
ouailles les principaux discours rituels que ceux-ci avaient besoin de
connaître par cœur afin de pouvoir recevoir le baptême13. Au Mexique,
au Pérou ou au Canada, le travail de ces missionnaires s’opérait en sui-
vant les mêmes étapes : ils transcrivaient ou « réduisaient » d’abord la
langue de leurs catéchumènes amérindiens à l’aide de leur propre écri-
ture intégrale, les caractères alphabétiques latins. Il s’agissait là, si l’on
veut, d’un travail de linguiste. Ils se servaient ensuite de ce nouvel outil
pour traduire des discours rituels tels que le Pater noster ou l’Ave Maria,
puis ils recodaient ces textes alphabétiques à l’aide d’un système cryp-
tographique qu’ils jugeaient, pour des raisons diverses, plus conformes
aux attentes et aux besoins des Amérindiens. La sémiotique de ces écri-
tures secondaires était souvent complexe : l’écriture micmac inven-
tée par le récollet Chrestien Leclercq employait des symboles arbi-
traires qui, chacun, se substituait à un ou plusieurs mots d’une prière
traduite en langue micmac, recodant ainsi l’intégralité du texte source
[figure 34]14 ; les écritures des manuscrits testériens, élaborées par
des religieux catholiques dont l’identité est restée à peu près incon-
nue et utilisées dans la région centrale du Mexique, étaient composées
de symboles beaucoup plus figuratifs, aux complexités sémiotiques raf-
finées flirtant souvent avec la phonographie, et elles opéraient réguliè-
rement une sélection systématisée des parties des prières qui devaient
être notées [figure 35]15. Malgré cette diversité sémiotique, à mi-che-
min entre les principes des écritures sélectives et intégrales, ces écri-
tures avaient en commun d’être secondaires : elles recodaient un texte
préalablement encodé en écriture latine. Les missionnaires apprenaient

170
figure 34
L’écriture secondaire micmac
figure 35
Écriture secondaire du Mexique
figure 36
L’écriture sélective du prophète apache Silas John
ÉCRITURES ATTACHÉES

ensuite à leurs ouailles à déchiffrer directement ces écritures secon-


daires sans avoir recours à l’écriture latine qu’ils se gardaient souvent de
leur enseigner. De telle sorte que si, pour les missionnaires, ces écritures
étaient bien des recodages de textes phonographiques, elles étaient,
pour les Amérindiens, des inscriptions directes de discours oraux.
Ces techniques se stabilisèrent parfois durant de longues périodes.
Les écritures secondaires d’évangélisation étaient bien évidemment
des écritures attachées16. Elles étaient limitées à un corpus de discours
précis (quelques prières, le catéchisme) et elles n’avaient d’usage per-
tinent que dans le cadre d’une seule institution rituelle, celle que les
missionnaires chrétiens essayaient d’implanter chez les Amérindiens.
En effet, les textes étaient employés pour forcer les catéchumènes à
mémoriser de la manière la plus exacte possible des prières qui devaient
ensuite être récitées dans le contexte de la messe. Écritures sélectives et
écritures secondaires furent donc utilisées dans un cadre pragmatique
similaire : toutes deux étaient des écritures attachées17.
Cette analyse des écritures secondaires d’évangélisation permet d’af-
finer sensiblement la compréhension de certaines écritures sélectives
que nous n’avons pas encore abordées18. Ainsi, chez les Apaches, voisins
des Navajos, un prophète nommé Silas John eut, en 1904, une vision au
cours de laquelle Dieu lui transmit soixante-deux prières ainsi qu’une
écriture sélective qui devait permettre de les stabiliser durablement
[figure 36]19. Le prophète ne souhaita pas que ses nouveaux chants
rituels se disséminent trop largement : dans les années 1920, il limita
leur circulation à une douzaine d’assistants à qui il enseigna la nou-
velle écriture. La mission de ces disciples était de propager le nouveau
dispositif rituel auprès des Apaches. Contrairement aux prophétismes
algonquiens que nous avons étudiés, la nouvelle cérémonie se stabilisa
tout au long du XXe siècle, se rapprochant ainsi d’une institution cha-
manique comme le Midewiwin, caractérisée par une faible distribution
et par une pérennité non négligeable. Ce qui toutefois rapproche l’écri-
ture du prophète apache d’une écriture secondaire, c’est que son inven-
teur était lettré : non seulement Silas John était, depuis son plus jeune
âge, fasciné par le concept de Bible, mais il avait également acquis, au
cours d’une éducation chez les luthériens puis à l’école indienne de sa
région, de bonnes compétences en anglais et en écriture alphabétique.
Au cours d’un très long séjour en prison, il employa d’ailleurs réguliè-
rement l’écriture alphabétique dans le cadre de sa correspondance épis-
tolaire avec certains de ses fidèles20. L’invention de l’écriture sélective
apache s’effectua donc dans un contexte d’asymétrie typique des écri-
tures secondaires d’évangélisation : si Silas John maîtrisait deux écri-
tures et était ainsi capable de lire aussi bien ses propres prières que les

175
figure 37
L’écriture attachée des chamanes nipas
(texte rituel Mizhi de Lava)
ÉCRITURES ATTACHÉES

textes de la Bible, la plupart de ses premiers disciples ne savaient lire


que l’écriture sélective de leur prophète. Au fil des décennies, l’alpha-
bétisation des Apaches s’accrut progressivement ; cependant, l’écriture
sélective de Silas John ne devint pas pour autant obsolète : elle conserva
toute sa valeur en tant qu’écriture attachée – aux prières du prophète et
à l’institution rituelle qu’il avait créée21.

Écritures intégrales
Le régime d’usage propre aux écritures attachées ne se limite donc pas
aux seules écritures sélectives autonomes : il peut également caracté-
riser adéquatement les usages d’écritures secondaires inventées et uti-
lisées au sein de contextes sociaux dans lesquels circulaient déjà des
écritures intégrales, même si celles-ci restaient l’apanage d’une petite
minorité. Nous allons maintenant montrer que quelques écritures inté-
grales ont, elles aussi, pu être caractérisées par un usage attaché que
certaines d’entre conservèrent tout au long de leur histoire. Un des
exemples les mieux connus est probablement celui de l’écriture secrète
et exclusivement rituelle des chamanes bimo chez les Nipas du Yunnan
[figure 37]. Cette écriture syllabique de 1 200 caractères, très différente
de l’écriture chinoise, n’était destinée qu’à inscrire des genres de dis-
cours rituels bien définis et elle n’était utilisée que dans deux types de
contextes : celui de la transmission de ces discours, de maître à disciple,
et celui de l’accomplissement des rituels pendant lesquels les spécia-
listes psalmodiaient leurs textes manuscrits. Les conditions de l’inven-
tion de cette écriture restent néanmoins assez mystérieuses22.
On connaît toutefois, au cours de l’histoire récente, plusieurs situa-
tions institutionnelles dans le cadre desquelles furent inventées des
écritures intégrales destinées à rester attachées23. Ainsi, en 1927, une
secte chrétienne dissidente apparut au Nigéria : elle s’opposa d’em-
blée aux missionnaires protestants. Les ministres ibibio de cette nou-
velle église, nommée Oberi Okaime, étaient en général lettrés, issus d’une
petite élite de clercs locaux. Ceux-ci s’adressaient néanmoins à des
fidèles qui, dans leur ensemble, ignoraient l’alphabet. Très tôt dans l’his-
toire de cette religion, certains spécialistes éprouvèrent le besoin de se
doter d’une écriture rituelle spécifique et ils notèrent leurs glossolalies
à l’aide de symboles indéchiffrables. Mais c’est en 1933 qu’un des respon-
sables du culte, Michael Ukpong, inventa une nouvelle écriture alpha-
bétique destinée à inscrire les discours liturgiques de l’église. Ukpong
était lettré et son écriture dérivait assez clairement de l’alphabet latin.
Il créa néanmoins une écriture attachée : elle n’était destinée qu’à l’ins-
cription de discours liturgiques proférés dans le seul cadre de la nou-
velle institution [figure 38]. Dans la seconde moitié du siècle, toute une

177
figure 38
L’écriture attachée de l’Oberi Okaime inventée
par Michael Ukpong
ÉCRITURES ATTACHÉES

littérature exégétique associée à la nouvelle religion se développa mais,


pour ce faire, elle utilisa l’écriture alphabétique standard de l’efik ; l’écri-
ture attachée de l’Oberi Okaime, quant à elle, était encore employée à la
fin du siècle dernier24.
On trouve une autre écriture intégrale attachée dans le cadre d’un
récent mouvement prophétique apparu en 1965, dans la province de
Sayaboury, au Laos. Ce mouvement est issu de la révélation, au hmong
Her Nga Va, de huit ou neuf livres sacrés, constituant ensemble un cor-
pus manuscrit de trois mille pages rédigées en une écriture alphabé-
tique nouvelle. L’écriture et les textes, qui décrivent la « constitution »
politique du futur pays hmong, proviennent tous deux d’une divinité
nommée Yia Bi Mi Nou. À la manière du prophète apache Silas John,
Nga Va choisit de ne transmettre ces savoirs, ainsi que son nouveau
culte, qu’à une petite élite rigoureusement sélectionnée de spécialistes
rituels – de nombreux interdits restreignant leur transmission à l’en-
semble des fidèles25. On connaît encore peu ce mouvement qui sou-
haite demeurer en grande partie secret. Ces deux inventions d’écritures
alphabétiques, l’une au Nigéria l’autre au Laos, s’effectuèrent donc dans
un contexte où des écritures intégrales étaient déjà largement diffusées
dans certains secteurs de la société. Pourtant, toutes deux restèrent des
écritures attachées, à la manière des écritures sélectives rituelles et des
écritures secondaires d’évangélisation. Elles étaient et demeurent insé-
parables du genre particulier de discours qu’elles servent à inscrire et de
l’institution rituelle qui en définit les règles de transmission26.
L’écriture intégrale est souvent caractérisée par ses propriétés spa-
tio-temporelles : elle permet aux discours qu’elle transcrit de s’affran-
chir des conditions locales de la transmission orale en les stabilisant à
la fois dans l’espace (principe de la correspondance épistolaire) et dans
la longue durée (principe de l’archive)27. En effet l’écriture intégrale
transcrit, contrairement aux écritures sélectives, la totalité des dis-
cours ciblés : une fois sa logique acquise, elle peut donc se passer entiè-
rement du recours à la mémoire et à la transmission orales. Ainsi, dans
la mesure où elle peut transcrire n’importe quel discours, l’écriture inté-
grale n’a pas nécessairement besoin d’être attachée à une institution
rituelle afin d’être transmise, contrairement aux écritures sélectives.
Tout au plus peut-elle avoir besoin, en fonction de son degré de com-
plexité sémiotique, d’institutions de type scolaire qui en facilitent l’ac-
quisition. Cela signifie que les écritures intégrales peuvent être infini-
ment plus stables que les institutions qui permettent de les transmettre :
au cours de son histoire, une écriture très stable peut se transmettre
par le moyen d’institutions assez instables. La stabilité de l’écriture
intégrale n’est donc pas forcément corrélée à celle des institutions qui

179
conclusion

en opèrent la transmission. En revanche, ces écritures pérennisent de


manière extraordinaire les discours qu’elles sont destinées à trans-
mettre (ainsi que la langue de ces discours), les transformant en archives
décontextualisées lorsque les institutions qui les utilisaient et les valori-
saient disparaissent. C’est alors que commence le travail de l’exégète ou
de l’historien. Les résultats de notre enquête sur les écritures sélectives
des Indiens d’Amérique du Nord vont nous permettre de proposer l’hy-
pothèse selon laquelle ce détachement potentiel des écritures intégrales
vis-à-vis d’une part des discours qu’elles furent destinées à canoniser et
d’autre part des institutions qui en organisèrent la transmission fut une
simple conséquence historique de leur sémiotique particulière et non
une motivation originelle de leurs inventeurs.
L’écriture intégrale n’a été inventée que quatre fois au cours de l’his-
toire de l’humanité : chez les Sumériens, les Égyptiens, les Chinois et les
Mayas28. On parle aujourd’hui « d’invention » car de nombreuses don-
nées indiquent que, plutôt que par un développement graduel, les écri-
tures intégrales sont apparues au cours de « surgissements soudains »,
« à l’échelle d’une seule vie humaine »29. Le caractère systématique
de la notation phonographique, où chaque unité n’existe que par son
contraste avec les autres, exige en effet un effort intellectuel concerté et
assez bref qui s’appuya à chaque fois, en le recyclant, sur un répertoire
de représentations iconographiques traditionnel relativement stable
qui devait être bien connu des inventeurs mais qui n’avait pas voca-
tion à transcrire une langue30. De ce point de vue, il n’est pas impossible
que certaines langues fussent caractérisées par des propriétés morpho-
logiques qui les rendaient, toutes choses égales par ailleurs, plus sus-
ceptibles que d’autres de recevoir une forme écrite. On a ainsi pu pen-
ser que la morphologie tendanciellement monosyllabique du sumérien
et du chinois avait constitué un facteur facilitant leur transcription
phonographique31.
Plutôt que dans les propriétés de la langue, il a semblé plus judicieux
de chercher dans les conditions sociales les facteurs permettant d’ex-
pliquer l’invention des écritures intégrales. Ainsi, il a été très souvent
répété que les écritures mésopotamienne et égyptienne étaient liées à
une urbanisation croissante, qu’elles répondaient à des impératifs ges-
tionnaires et administratifs et qu’elles satisfaisaient des besoins écono-
miques, dans le cadre d’activités commerciales en expansion, et non des
besoins « littéraires »32. Ce genre d’hypothèses est assez difficile à réfu-
ter. Cependant un faisceau d’arguments convergents vient les fragiliser :
ainsi les écritures chinoise et maya ne répondaient clairement pas à des
impératifs économiques ou administratifs33 ; parmi les textes sumériens
les plus anciens, on trouve de nombreux contrats privés, transcrivant

180
ÉCRITURES ATTACHÉES

probablement des discours déjà hautement formalisés et appartenant


à une tradition orale34 ; enfin, il peut sembler contradictoire de réserver
à une petite classe de scribes une technologie censée faciliter les tran-
sactions économiques. Mais le principal défaut de la thèse est qu’elle se
situe à un degré de généralité beaucoup trop trivial pour qui veut exa-
miner les raisons ayant pu pousser un nombre restreint d’individus, sur
une très courte période, à fournir l’effort intellectuel nécessaire à l’in-
vention d’une écriture. Et, dans tous les cas, la paucité des données
jointe au fait que chaque nouvelle découverte archéologique est suscep-
tible de bouleverser la compréhension du problème rendent les bases de
ces réflexions extrêmement fragiles35.
C’est pourquoi de nombreux historiens se sont tournés vers des phé-
nomènes récents d’invention d’écritures intégrales afin de trouver une
pierre de touche plus fiable. En effet, dans le cadre des empires du XIXe
et du XXe siècles, de nombreuses écritures ont été inventées par des
membres de peuples colonisés, constituant ainsi une série d’exemples
dont il était possible d’étudier, de manière parfois assez précise, les
éléments contextuels. Parmi ces écritures intégrales, on ne fera que
signaler celles transcrivant le cherokee en Amérique du Nord, le vaï au
Liberia ou le bamoum au Cameroun, dont les inventeurs furent respec-
tivement Sequoyah (1821), Momolu Duwalu (1832) et le roi Njoya (1905)36.
Dans un premier temps, les histoires de ces écritures furent utilisées
pour illustrer des théories plus générales concernant l’évolution ou la
diffusion de la culture. Ainsi, les premières études essayèrent de mon-
trer que ces inventions « récapitulaient » à une échelle microcosmique
le processus d’évolution caractéristique de toutes les écritures, censées
passer par les étapes successives de la pictographie, de la logographie et
de la phonographie37. L’hypothèse a été réfutée par la simple considéra-
tion des données empiriques38. Plus tard, ce sont les mêmes écritures
qui ont permis à Alfred Kroeber de formuler le concept de diffusion
« par stimulus » ou « par idée ». En effet, on sait que même s’ils étaient
illettrés, le Cherokee Sequoyah et le Vaï Momolu Duwalu s’inspirèrent
de l’idée d’écriture qui leur était parvenue par le biais de l’observation
des écrits des missionnaires chrétiens, des administrateurs coloniaux
ou des lettrés musulmans. Ce qui était diffusé était donc l’idée de l’écri-
ture et non une écriture avec sa sémiotique propre, raison pour laquelle
Sequoyah, Momolu Duwalu ou le roi Njoya élaborèrent des écritures syl-
labiques alors que leurs modèles étaient généralement alphabétiques39.
Si le concept de diffusion par stimulus était intéressant, son utilisation
était extrêmement délicate, potentiellement ouverte à tous les excès,
et Kroeber proposa d’emblée une généralisation abusive en défendant
l’hypothèse selon laquelle l’invention de toutes les écritures du monde,

181
conclusion

y compris l’écriture chinoise, avait été stimulée par l’idée de l’écriture


sumérienne. Le déchiffrement de l’écriture maya au cours des trente
dernières années a porté un coup fatal à cette théorie.
Aujourd’hui, plutôt que d’être pensés comme des « ancêtres contem-
porains », les inventeurs de ces écritures intégrales sont considérés dans
le cadre de leur résistance à la domination coloniale. En effet, dans bien
des cas, on observe, à l’origine de ces écritures, à la fois le besoin de four-
nir une alternative aux écrits sacrés des autorités religieuses (la Bible ou
le Coran) et la volonté de s’approprier une technologie pensée comme
exhibant à la vue de tous une situation où un peuple et une langue appa-
raissent comme dominants. Le premier point se traduit par le fait que
ces inventions furent souvent considérées comme des révélations issues
de rêves ou de visions et que plusieurs inventeurs furent avant tout des
prophètes. Le second point apparaît clairement lorsqu’on s’aperçoit que,
dans un premier temps, les inventeurs se préoccupèrent moins de trans-
crire des textes dont ils auraient jugé la sauvegarde importante que de
mettre en place les conditions d’une large diffusion de leur écriture au
sein de leur peuple, par le biais de l’imprimerie, de l’école ou de biblio-
thèques40. La prise en compte de ces points, spécifiques aux sociétés
coloniales, rend les caractéristiques de ces inventions très difficiles à
transposer à d’autres cas et en particulier aux situations où il n’existait
pas d’écriture préexistante propre à une société dominante.
C’est pourquoi les écritures sélectives attachées sont susceptibles de
jouer un rôle important dans la réflexion sur les conditions de l’inven-
tion de l’écriture intégrale. Car le problème qui se posait à leurs inven-
teurs est beaucoup plus facile à généraliser : il ne présuppose que la pré-
existence d’une tradition discursive et non nécessairement celle d’une
écriture, ni même de sa seule idée. Nous avons vu pourquoi les pro-
phètes algonquiens ou les chamanes du Midewiwin inventèrent leurs
écritures : ils souhaitaient faciliter la mémorisation exacte de discours
rituels standardisés. Autrement dit, ils voulaient élaborer un moyen
d’accroître encore plus la stabilité des discours afin qu’ils se propagent
au plus grand nombre sous une seule forme canonique. Contrairement
à la résistance à une situation de domination culturelle ou politique, il
s’agit là d’une motivation aisément généralisable à de nombreux autres
cas d’inventions d’écriture. Cette motivation est de plus corrélée à un
régime d’usage particulier de l’écriture. En effet, toutes les écritures
sélectives furent des écritures attachées : on ne les transmettait jamais
séparément d’un corpus de textes limité, récité dans un contexte ins-
titutionnel spécifique. Cette motivation et ce régime d’usage restreint
peuvent facilement être transposés, certes avec prudence, aux pre-
mières écritures intégrales.

182
ÉCRITURES ATTACHÉES

Parmi elles, les écritures mésopotamiennes et égyptiennes se carac-


térisent par une chronologie grossièrement similaire : apparues vers la
fin du quatrième millénaire avant notre ère, ce n’est que vers le milieu
du troisième millénaire que ces écritures furent employées pour trans-
crire, de manière assurément intégrale, de longs textes continus41.
Auparavant, « l’information représentée était essentiellement incom-
plète ». Les scribes de cette écriture « assumaient que les lecteurs de
leurs textes, à la manière des partenaires d’une conversation orale,
connaissaient le contexte de l’information qu’ils souhaitaient trans-
mettre ». Cette première forme d’écriture, sélective, ne doit ainsi pas
être pensée comme « une représentation défectueuse de la langue mais
plutôt comme une réussite technique destinée à représenter un savoir
et à le transmettre d’un individu à un autre, et même d’une génération
à une autre42 ». Ce premier demi-millénaire des écritures mésopota-
mienne et égyptienne reste assez énigmatique pour les historiens : les
informations sont extrêmement lacunaires et les textes difficilement
déchiffrables. Plusieurs traits communs semblent néanmoins s’im-
poser : la lecture de ces textes « incomplets » ou « sélectifs » devait lais-
ser une place au travail de la mémoire orale ; ils transcrivaient des dis-
cours extrêmement formalisés et systématisés ; ils ne pouvaient être lus
et écrits que par une petite classe de scribes formée dans des écoles où
l’on apprenait à la fois à maîtriser l’écriture et à mémoriser des discours
canoniques.
Ces écritures furent-elles inventées pour stabiliser des discours
rituels (contractuels, religieux ou politiques) ? Il est difficile de l’affir-
mer, faute d’éléments probants. S’il est vrai que les premiers usages
connus de l’écriture égyptienne se restreignent à la transcription de dis-
cours cérémoniels organisés selon un rigide système métrique et pro-
bablement récités à l’occasion de l’intronisation de rois ou de la célé-
bration de leurs hauts faits43, la plupart des textes mésopotamiens les
plus anciens apparaissent comme des listes permettant d’administrer et
de contrôler la production et la distribution des produits agricoles, du
bétail et des marchandises, probablement dans un cadre contractuel.
Néanmoins, pour qu’un tel système hautement standardisé de signes
devienne une écriture intégrale, il fallut une motivation autre que ces
uniques besoins administratifs qui étaient parfaitement satisfaits par
la « réussite technique » que représentait le premier système de nota-
tion. Cette nouvelle invention devait répondre à des exigences d’exacti-
tude qui ne pouvait guère être liées qu’à la répétition la plus fidèle pos-
sible de discours cérémoniels (contractuels, religieux ou panégyriques)
ou à la transmission exacte de la mémoire canonique d’une élite diri-
geante44. Et ce sont effectivement des textes de ce genre que l’on trouve

183
conclusion

toujours, en Mésopotamie comme en Égypte, dans les contextes des


premières écritures monumentales ou des premières transcriptions de
longs textes continus. Il n’est donc pas impossible que les inventions
de ces deux premières formes d’écritures intégrales puissent être pen-
sées dans un cadre similaire à celui de l’invention de l’écriture sélective
des chamanes ojibwas du Midewiwin. Elles auraient alors été élaborées,
dans toute leur complexité phonétique et non sélective, afin de stabiliser
au plus haut degré des genres de discours hautement formalisés jugés
comme importants, destinés à être appris par cœur ou à être récités, et
réservés à une petite élite de spécialistes appartenant à une institution
rituelle de type scolaire45.
Au milieu du deuxième millénaire avant notre ère apparut une troi-
sième écriture intégrale dont il est possible d’affirmer qu’elle fut inven-
tée en dehors de toute influence mésopotamienne ou égyptienne :
l’écriture chinoise. Contrairement aux deux autres, cette écriture est
d’emblée déchiffrable : dès les premiers témoignages, elle apparaît
comme la transcription de l’intégralité linéaire de ses discours cibles46.
Il s’agissait alors uniquement d’inscriptions oraculaires sur os ou sur
plastron de tortue : tous ces textes divinatoires étaient hautement for-
malisés, structurés par un strict parallélisme, et composés de formules
stéréotypées et séquencées47. Si l’on sait que cette écriture n’était maî-
trisée que par une classe très limitée de devins royaux, on ignore si ces
textes accompagnaient systématiquement une énonciation ou une
transmission orales. Il n’est donc pas impossible, encore une fois, que
l’origine et l’essor de l’écriture chinoise soient à penser dans le cadre de
conditions institutionnelles et de motivations originelles comparables à
celles des chamanes ojibwas, navajos et kunas.
L’invention autonome la plus récente d’une écriture intégrale eut lieu
chez les Mayas, quelques siècles avant le commencement de notre ère48.
On sait qu’elle emprunta en partie son iconographie à des écritures
peut-être sélectives utilisées par les sociétés dites olmèques peuplant la
région de l’isthme du Mexique49. Les traditions iconographiques ainsi
que le calendrier de cette société furent également empruntés par les
peuples qui vivaient au nord de leur région50 et ce sont les Mixtèques qui
systématisèrent, à partir de ces traditions diverses, l’une des écritures
sélectives stables les plus complexes qui nous soit parvenue. Mayas et
Mixtèques puisèrent donc à la même source afin d’élaborer des écritures
à la sémiotique différente, la première intégrale et la seconde sélective.
Toutefois, ils utilisèrent ces écritures pour transcrire les mêmes genres
de discours cérémoniels : discours panégyriques relatifs à l’intronisation
ou aux hauts faits de dynasties dirigeantes et discours religieux séquen-
cés par un système calendaire. Même si la sémiotique phonographique

184
ÉCRITURES ATTACHÉES

de leur écriture leur aurait potentiellement permis de transcrire n’im-


porte quel discours, les Mayas ne l’employèrent, selon toute apparence,
que pour stabiliser et transmettre les deux genres canoniques de dis-
cours rituels que l’on retrouve chez les Mixtèques ou les Mexicas.
Par ailleurs, Stephen Houston a pu parler, à propos des scribes et
prêtres mayas, d’un « usage récitatif de l’écriture » (recitational literacy) :
il semble en effet que les inscriptions monumentales, les dédicaces for-
mulaïques peintes sur les offrandes ou leurs récipients et les livres divi-
natoires ne comportèrent que des textes destinés à être récités dans le
cadre de cérémonies rituelles de natures diverses [figure 39]51. Enfin,
la maîtrise de cette écriture intégrale était réservée à une petite élite
de scribes retranchée dans des écoles initiatiques, les « maisons d’écri-
tures », attachées aux temples de la religion officielle52. La question per-
tinente devient dès lors : en quoi l’écriture des prêtres mayas différaient
de celles des prêtres mixtèques et pascuans ou des chamanes ojibwas
et kunas ? Apparemment, et encore une fois dans la limite des témoi-
gnages évidemment lacunaires qui nous sont parvenus, l’unique dif-
férence était de nature sémiotique : dans la mesure où elle était claire-
ment intégrale, l’écriture maya put assurer encore plus efficacement sa
fonction de stabilisation des discours rituels. L’écriture intégrale maya
demeura donc elle-même stable, en tant que technique d’inscription,
beaucoup plus longtemps que les écritures sélectives53. Il ne s’agit là que
d’une conséquence de sa sémiotique phonographique et probablement
pas d’une motivation à situer à l’origine de son invention.
Toutes les écritures sélectives passées en revue au cours de cette
conclusion ont partagé, en plus de leur sémiotique sélective, une carac-
téristique essentielle : elles furent toutes attachées, de manière néces-
saire, à des discours précis et à une institution déterminée. L’usage de
l’écriture disparut en même temps que l’institution rituelle ; lorsque les
discours furent oubliés, l’écriture devint indéchiffrable. Du fait de cet
attachement, les écritures sélectives ne furent employées que pour sta-
biliser un corpus assez limité de discours rituels qui devaient être trans-
mis oralement et récités lors d’occasions cérémonielles. Ces deux usages
scripturaires – accompagner l’apprentissage de discours et, éventuelle-
ment, guider leur récitation – ne pouvaient être mis en œuvre que dans
le contexte d’institutions rituelles qui définissaient les règles de trans-
mission et d’énonciation de ces discours. De ce point de vue, c’est-à-dire
si l’on ne tient compte que de leur régime d’usage, écritures sélectives et
écritures secondaires furent totalement identiques.
L’analyse des premiers usages des quatre grandes écritures inté-
grales mésopotamienne, égyptienne, chinoise et maya, dont les inven-
tions furent indépendantes les unes des autres, a quant à elle tenté de

185
figure 39
L’écriture logo-
syllabique maya
ÉCRITURES ATTACHÉES

montrer qu’elles furent probablement elles aussi, au moins au moment


de leur invention et de leur essor, des écritures attachées, à la manière
des écritures des chamanes nipas, des ministres de l’Oberi Okaime ou
du mouvement de Her Nga Va. Il faut donc voir dans le concept d’écri-
ture attachée un régime d’usage des techniques d’inscription du dis-
cours et non un principe sémiotique quelconque. Il devient alors clair
que, si les écritures sélectives ne purent qu’être attachées, les écritures
intégrales, ce fut là leur singularité, purent, quant à elles, devenir des
écritures détachées. En effet, parmi les quatre premières écritures inté-
grales, seule l’écriture maya, pour autant qu’il nous est possible de le
savoir, demeura, pendant plus d’un millénaire, une écriture attachée
– transcrivant des genres précis de discours rituels dont la mémorisa-
tion et la récitation étaient réservées à une petite institution de prêtres
scribes. Les trois autres écritures s’affranchirent toutes, à des rythmes
différents, des genres de discours qu’elles furent peut-être originelle-
ment destinées à transcrire, des institutions qui en assurèrent d’abord
la transmission, des langues pour lesquelles elles avaient été crées et,
donc, des sociétés qui les avaient inventées. Toutes ces écritures, de par
la nature de leur sémiotique phonographique, se détachèrent donc des
conditions institutionnelles puis sociales de leur invention et de leur
stabilisation originelle. L’histoire des conséquences de ce détachement
dépasse cependant de loin les limites de cette conclusion, dont l’objectif
était de montrer que la prise en compte des conditions institutionnelles
de l’invention et de la stabilisation des écritures sélectives des cha-
manes ojibwas du Midewiwin pouvait éclairer d’un nouveau jour le pro-
blème de l’origine de l’ensemble des écritures inventées de façon relati-
vement indépendante au cours de l’histoire de l’humanité.

187
Annexe

Récit de la vision de Neolin, prophète delaware du clan du Loup


Tel que rapporté par le chef Ottawa Pontiac le 27 avril 1763
Tel que transcrit par un notaire français de Détroit

Cette histoire est conçue en ces termes. Un sauvage de la nation Loup,


envieux de voir et de connaître le Maître de la vie (c’est ainsi que tous
les sauvages appellent le Bon Dieu) résolut d’entreprendre le voyage du
paradis, où il savait qu’était sa résidence, sans en rien communiquer à
ceux de sa nation ni de son village. Mais il était question, pour réussir
à son projet, de savoir le chemin qui y mène et comme il ne connaissait
personne qui, y ayant été, put lui enseigner la route, il se mit à jongler
dans l’espérance de tirer bonne augure de sa rêverie. C’est une règle
générale que tous les Sauvages, même ceux qui sont affranchis, sont
sujets à la superstition en ajoutant beaucoup de foi à leurs songes, ce
dont on a bien de la peine à les faire revenir ; cette histoire donnera une
preuve de ce que j’avance.
Le sauvage Loup, dans sa rêverie, s’imagina qu’il n’avait qu’à se
mettre en chemin et qu’il parviendrait, à force de marche, à la demeure
céleste, ce qu’il fit le lendemain. De grand matin, il s’habilla et s’équipa
en voyageur de chasse, sans oublier de prendre ses provisions, ses muni-
tions et une grande chaudière. Puis comme cela, le voilà parti pour son
voyage dans le Ciel, y voir le Maître de la vie. Les premiers sept jours
de son voyage furent assez favorables à ses desseins, il marcha sans se
décourager, ayant toujours une ferme confiance qu’il arriverait à son but.
Puis huit jours s’étaient déjà écoulés sans qu’il rencontra qui que ce soit
qui put être un obstacle à ses désirs.
Sur le soir du huitième jour, au soleil couchant suivant l’ordinaire, il
s’arrêta à l’entrée d’une petite prairie qui lui parut propre à camper, sur
le bord du ruisseau. En préparant son logement, il aperçut à l’autre bout
de cette prairie où il campait, trois chemins bien larges et bien frayés qui
lui parurent avoir quelque chose de singulier. Néanmoins il continua
de travailler à sa retraite pour se mettre à couvert des injures du temps
et fit du feu. Il crut s’apercevoir en faisant sa cuisine que plus le temps

189
annexe

s’obscurcissait par l’éloignement du soleil et plus les trois chemins


devenaient clairs, ce qui le surprit jusqu’au point de l’effrayer. Il hésita
quelque moment sur ce qu’il avait à faire : ou de rester à son camp ou
de s’éloigner pour camper plus loin. Mais en balançant ainsi, il se res-
souvint de sa jonglerie ou plutôt de son rêve et qu’il n’avait entrepris
ce voyage qu’à dessein de voir le Maître de la vie, ce qui lui remit les
sens dans la croyance qu’un de ces trois chemins était celui qu’il fallait
prendre pour se rendre au lieu où il aspirait. Il se résolut de rester où il
était jusqu’au lendemain, qu’il prendrait une de ces trois routes sans
choisir.
Mais sa curiosité lui donna à peine le temps de prendre sa réflexion,
il abandonna son camp et s’achemina dans le chemin qui lui parut le
plus large. Il y marcha jusque vers la moitié du jour sans rien voir qui
put l’arrêter ; mais se reposant un peu pour prendre haleine, il vit d’un
coup un grand feu qui sortait de sous terre, ce qui attira sa curiosité. En
s’approchant de plus près pour mieux considérer ce que pouvait être
ce feu, plus il approchait et plus le feu lui paraissait augmenter, ce qui
l’effraya jusqu’au point de le faire retourner sur ses pas pour prendre
un autre chemin qui était moins large que le premier. Où ayant marché
dans le même espace de temps qu’à l’autre, il vit le même spectacle, ce
qui réveilla sa frayeur qui s’était assoupie par le changement de route. Et
qu’il fut encore obligé de faire pour prendre le troisième chemin, dans
lequel il marcha l’espace d’une journée sans rien découvrir.
Tout d’un coup il s’offrit à sa vue comme une montagne d’une
merveilleuse blancheur qui le fit arrêter et le saisit d’étonnement.
Néanmoins, bien résolu, il avança pour voir ce que pouvait être cette
montagne. Étant au pied, il ne vit plus de chemin, ce qui le rendit triste.
Ne sachant comment faire pour continuer sa route dans cette conjonc-
ture, il regarda de tous côtés : il vit au droit de cette montagne une
femme dont la beauté éblouissait, dont les habits ternissaient la blan-
cheur de la neige et qui était assise.
Cette femme lui dit dans sa langue : « Tu me parais surpris de ne pas
trouver de chemin qui te mène où tu veux aller. Je sais qu’il y a long-
temps que tu as envie de voir et de parler au Maître de la vie, c’est pour-
quoi tu n’as entrepris le voyage que pour le voir. Le chemin qui mène
à sa demeure est sur cette montagne, et pour le monter il faut que tu
quittes tout ce que tu as, que tu te déshabilles entièrement et laisse tout
ton butin et tes hardes au pied de la montagne, personne ne t’y fera tard
[?]. Et que tu ailles te laver dans cette rivière que je te montre et après tu
monteras. »
Le sauvage Loup obéit à la voix de cette femme de point en point.
Mais il lui restait une difficulté à vaincre : c’était de savoir comment

190
annexe

parvenir au haut de cette montagne qui était droite, sans sentier et unie
comme une glace. Il questionna cette femme sur la façon de s’y prendre
pour monter. Il lui fut répondu que s’il avait vraiment envie de voir le
Maître de la vie, qu’il fallait la monter et ne s’aider que de sa main et
de son pied gauche, ce qui parut impossible au Loup, qui cependant
encouragé de cette femme se mit en devoir de la monter et y parvint
avec bien de la peine. Quand il fut en haut, il fut bien étonné de ne plus
voir personne : cette femme avait disparu. Il se vit seul, sans guide, au
droit de trois villages qui lui faisaient face et qu’il ne connaissait pas, qui
lui semblaient autrement construits que le sien, plus beaux et dans un
plus bel ordre. Après avoir rêvé quelque temps à ce qu’il devait faire, il
s’avança vers celui qui avait à sa vue le plus d’apparence.
Ayant bien fait la moitié du chemin depuis le haut de la montagne,
il se ressouvint qu’il était nu. Il eut crainte d’avancer davantage, mais
une voix qu’il entendit lui ayant dit de continuer, qu’il ne devait point
craindre, que s’étant lavé comme il avait fait il pouvait marcher en assu-
rance. Il ne fit plus de difficulté d’aller jusqu’à un endroit qui lui sem-
blait être la porte de ce village et il s’arrêta pour attendre qu’elle ouvrit
pour entrer. Pendant qu’il examinait la beauté du dehors de ce village, la
porte s’ouvrit. Il vit venir à lui un bel homme vêtu tout en blanc qui le
prit par la main, lui disant qu’il allait le contenter, lui faisant parler au
Maître de la vie. Le Loup se laissa conduire et ils arrivèrent tous deux
dans un endroit dont la beauté n’avait rien d’égal et que le sauvage ne
pouvait se lasser d’admirer, où il vit le Maître de la vie qui le prit par la
main et lui donna un chapeau tout bordé en or pour s’asseoir dessus.
Le Loup hésita de le faire par la crainte qu’il avait de gâter le chapeau.
Mais il lui fut ordonné de le faire et il obéit sans réplique.
Le sauvage s’étant assis, le Bon Dieu lui dit : « Je suis le Maître de la
vie. Comme je sais que tu désires de connaître et à qui tu veux parler,
écoute bien ce que je vais te dire pour toi et pour tous les sauvages. Je
suis celui qui a fait le ciel, la terre, les arbres, les lacs, les rivières, tous les
hommes et tout ce que tu vois, et tout ce que tu as vu sur la terre. Parce
que j’ai fait ceci et parce que je vous aime, il faut faire ce que je dis et ce
que j’aime et ne pas faire ce que je hais. Je n’aime point que vous buviez
jusqu’à perdre la raison comme vous faites. Et quand vous vous battez,
je ne veux pas cela. Vous prenez deux femmes ou bien vous courrez les
femmes des autres, vous ne faites pas bien, je hais cela. Vous ne devez
avoir qu’une femme et la garder jusqu’à la mort. Quand vous voulez aller
en guerre, vous jonglez, vous chantez la médecine croyant me parler ;
vous vous trompez : c’est au Manitou à qui vous parlez. C’est un mauvais
esprit qui ne vous souffle que du mal et que vous écoutez faute de bien
me connaître.

191
annexe

Cette terre où vous êtes, je l’ai faite pour vous et non pas pour d’autres.
D’où vient que vous souffrez les Blancs sur vos terres, est-ce que vous
ne pouvez pas vous passer d’eux ? Je sais que ceux que vous appelez les
enfants de votre grand-père vous apportent vos besoins. Mais si vous
n’étiez pas mauvais comme vous l’êtes, vous vous passeriez bien d’eux.
Vous pourriez vivre tout comme auparavant que de les connaître. Avant
que ceux que vous appelez vos frères fussent venus sur vos terres, ne
viviez-vous pas à l’arc et à la flèche ? Vous n’aviez pas besoin de fusil ni
de poudre et ainsi du reste et cependant vous attrapiez de animaux pour
vivre et pour vous habiller avec leurs peaux.
Mais quand j’ai vu que vous vous donniez au mal, j’ai retiré dans les
profondeurs des bois les animaux, pour que vous eussiez besoin de vos
frères pour avoir votre nécessaire, pour vous couvrir. Vous n’avez qu’à
devenir bon et faire ce que je veux, je vous renverrai les animaux pour
vivre. Je ne vous défends pas cela de souffrir parmi vous les enfants de
votre père. Je les aime, ils me connaissent et ils me prient et je leur donne
leurs besoins et tout ce qu’il vous apporte. Mais pour ceux qui sont venus
troubler vos terres, chassez-les, faites-leur la guerre. Je ne les aime point,
ils ne me connaissent pas et sont mes ennemis et les ennemis de vos
frères. Renvoyez-les sur les terres que j’ai fait pour eux et qu’ils y restent.
Voilà une prière que je te donne par écrit, pour apprendre par cœur et
pour l’apprendre aux sauvages et aux enfants. » Le Loup fit réponse qu’il
ne savait pas lire. Il lui fut répondu que quand il serait revenu sur terre, il
n’aurait qu’à la donner au chef de son village qui la lirait et la lui appren-
drait par cœur et à tous les sauvages et qu’il fallait la dire soir et matin.
Sans manquer et de faire ce qu’il venait de lui dire et de le dire à tous
les sauvages de la part et au nom du Maître de la vie : de ne point boire
qu’un coup, ou deux tout au plus, par jour ; de n’avoir qu’une femme, et
de ne point courir après les femmes des autres ni après les filles ; de ne
point se battre entre eux ; de ne point faire la médecine, mais la prière,
parce qu’en faisant la médecine on parle au mauvais esprit ; de chasser
de dessus leurs terres ces chiens habillés de rouge qui ne vous feront
que du mal.
« Et quand vous, vous aurez besoin de quelque chose, adressez-vous
à moi et comme vos frères je vous donnerai, comme à eux ; de ne point
vendre à vos frères ce que j’ai mis sur terre pour la nourriture. Bref deve-
nez bons et vous recevrez de rien vos besoins ; quand vous vous rencon-
trez les uns les autres, de vous saluer et de ne vous donner que la main
gauche qui est la main du cœur. Sur toutes ces choses, je te commande
de faire tous les jours matin et soir la prière que je te donne. »
Le Loup promit de bien faire ce que le Maître de la vie lui disait et
qu’il recommanderait bien aux sauvages et que le Maître de la vie serait

192
annexe

content d’eux. Ensuite, le même homme qui l’avait amené par la main
le vint reprendre et le conduisit jusqu’au pied de la montagne, où il lui
dit de reprendre tout son butin et de s’en retourner à son village. Ce
que le sauvage Loup exécuta. Où étant arrivé, il surprit bien ceux de sa
nation et de son village qui ne savaient pas ce qu’il était devenu et qui
lui demandèrent d’où il venait. Comme il lui était enjoint de ne parler à
personne avant qu’il n’eut parlé à son chef de village, il se contenta de
leur faire signe avec la main qu’il venait d’en haut. En entrant dans son
village, il alla droit à la cabane du chef à qui il donna ce qui lui avait été
donné : la prière et la loi que le Maître de la vie lui avait données.

193
notes

notes de l’introduction
1 Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’étudier certains de ces systèmes dans la
suite de ce livre.
2 Glassner 2009, p. 13.
3 Alleton 2008.
4 DeFrancis et Marshall Unger 1995 ; Trigger 2004 ; Houston 2004c ; Glassner
2009.
5 Le contre-exemple classique, sur lequel nous reviendrons en conclusion, est
celui de l’écriture sélective mixtèque qui fit un large usage du principe (phono-
graphique) du rébus pour encoder de nombreux noms propres et toponymes
(Smith 1973 ; Boone 2000).
6 On reviendra, au chapitre vi, sur les conceptions d’Edwin James ou de Henry
Schoolcraft concernant les écritures sélectives. Parmi les tout premiers
auteurs à s’intéresser d’un point de vue théorique aux pratiques scriptu-
raires amérindiennes, Edward Tylor (1865) et Garrick Mallery (1881, 1893) envi-
sageaient l’écriture pictographique comme un avant-courrier, primitif et ico-
nique, de l’écriture phonographique dont les signes étaient pensés comme
conventionnels (arbitrairement associés à des sons). Ils ne faisaient ainsi que
développer l’opposition traditionnelle entre écriture des choses et écriture des
mots (Severi 2007, chapitre 2 ; Déléage 2011). Ils y ajoutaient néanmoins l’idée
d’une évolution progressive de ces « moyens de communication » menant de
l’iconisme figuratif à la pure convention – ce qui leur permettait d’établir un
parallèle entre écriture pictographique et langues de signes gestuels. Ces der-
nières, fortement iconiques, étaient à la langue parlée, fortement conven-
tionnelle, ce que l’écriture pictographique était à l’écriture phonographique
(Baynton 1996, chapitre 2 ; Kendon 2004, chapitre 4). Si linguistes et sémioti-
ciens ont depuis les années 1960 entièrement renouvelé l’étude des langues de
signes, les historiens de l’écriture, avant et après Gelb (1973), n’ont guère modi-
fié ces conceptions.
7 Il est clair qu’aucune écriture, pas même l’alphabet phonétique international,
ne permet de coder l’intégralité de la sonorité d’un discours ; le problème n’est
pas là. L’important est que ces écritures ne choisissent pas les parties du dis-
cours qu’elles souhaitent transcrire et que leur seule lecture permet de recons-
tituer aisément l’intégralité de leur discours cible.

195
notes
8 Ces procédés n’étaient les plus répandus et les plus pertinents que du point
de vue de notre analyse : il existait évidemment d’autres procédés stylistiques,
probablement plus efficaces en terme de stabilisation, organisant le contenu de
ces discours rituels (par exemple, Rubin 1995).
9 Cette approche de la sémiotique des écritures sélectives s’inscrit dans la lignée
des travaux précurseurs de Carlo Severi (1994 ou 1996) ; voir aussi Déléage 2011.
Une telle définition a été entrevue par Kramer (1970, p. 67) : « le principe de
base de [l’écriture “pictographique” des Kunas] est le renoncement à la trans-
cription des composants textuels redondants et non pertinents. » Sa formu-
lation a toutefois le défaut de n’être que négative, contrairement à celle de
Barthel (1977, p. 27) : « [l’écriture partielle] consiste à représenter graphique-
ment sur le papier des segments d’une tradition orale plus riche. » La notion
« d’écriture partielle » développée par DeFrancis (1989) en diffère profondément
dans la mesure où elle s’appuie sur la « notation de la pensée » et non sur celle
du discours.
10 Précisons que cette distinction entre écriture attachée et écriture détachée ne
doit pas être pensée en fonction d’un processus d’évolution unilinéaire : les
écritures attachées n’ont pas vocation à devenir des écritures détachées (ce qui
serait une conséquence d’une assimilation trop rapide de ce concept à celui
« d’usage restreint de l’écriture » [restricted literacy] tel que défini par Goody
[1968]). On remarquera d’ailleurs que certaines écritures détachées sont deve-
nues au cours de leur histoire des écritures attachées, par exemple les écritures
batak (Kozok 2000) ou cherokee (Bender 2002) ; ce type de processus tend à
avoir lieu dans des situations culturelles où au moins deux écritures sont dis-
ponibles (Cole et Scribner 1981 ; Unseth 2008).
11 Le plus fameux et le plus influent d’entre eux étant Ignace Gelb (1973).
12 Parmi les nombreux ouvrages récents abordant l’histoire de cette région
d’Amérique au long de la période considérée, on privilégiera White 1991, Dowd
1992 ou Havard 2003.
13 Nous avons choisi d’utiliser dans ce livre les appellations Montagnais (plutôt
qu’Innu), Delaware (plutôt que Lenape ou ses subdivisions) et Ojibwa (plutôt
que Chippewa ou Anishinaabe) afin de maintenir la distance historique qui
nous sépare de ces peuples aux frontières identitaires mouvantes et générale-
ment mal définies dans la littérature des époques qui nous intéressent.
14 C’est pourquoi ils restent relativement étrangers à la problématique historio-
graphique contemporaine du middle ground, c’est-à-dire du fragile terrain d’en-
tente qui conditionna en partie les interactions des Amérindiens et des colons
jusqu’à la fin du XVIIIe siècle (White 1991).
15 Les modalités de transmission de ces règles constituent, pour les anthropolo-
gues, un phénomène extrêmement complexe à étudier : il ne faut surtout pas
penser qu’elles sont toutes enseignées de manière dogmatique par des spécia-
listes accrédités. Si certaines règles sont transmises de manière très explicite,
d’autres s’acquièrent plus tacitement, dans des contextes variés qui vont de la
discussion informelle à la simple participation aux cérémonies.
16 Sur la notion d’épistémologie des discours traditionnels, Déléage 2009a et
2009b.
17 Cette dualité entre chants liturgiques et discours épistémologiques permet
avant tout de circonscrire deux genres discursifs qui sont très bien distin-
gués par ceux qui se les transmettent. Elle ne doit pas être essentialisée : nous

196
introduction-chapitre i
aurons l’occasion de montrer que les chants liturgiques comportent toujours
des éléments dont la teneur est épistémologique.
18 On trouve de beaux exemples de ce type de contradiction entre règles de
transmission et discours épistémologique dans les récits de révélation de
nombreuses traditions rituelles mésoaméricaines ; par exemple chez les
Totonaques (Ichon 1969, p. 250), les Nahuas de la Sierra Norte de Puebla
(Lupo et Signorini 1989, p. 178-179 ; Lupo 1995, p. 60-71), les Tepehuas (Heiras
Rodríguez, à paraître) ou encore les Maya Tzotzil (Holland 1963, p. 133-134, 172)
et Yucatèques (Hanks 2000, p. 197-217).
19 Sur ces techniques cognitives : Déléage 2012.
20 Le problème de l’origine des écritures intégrales a fait couler beaucoup d’encre
et plusieurs perspectives plus ou moins complémentaires ont été explorées.
On s’est par exemple demandé quelles étaient les contraintes cognitives et lin-
guistiques qui pesaient sur la formation de la graphie et les choix de transcrip-
tion de ces écritures (Dehaene 2007, pour une synthèse) ; on s’est aussi inter-
rogé sur les avant-courriers iconographiques des signes des écritures (Glassner
2000, pour une belle étude de l’origine de l’écriture sumérienne) ; on a finale-
ment tenté de déterminer le genre de formations sociales et politiques à l’inté-
rieur desquelles l’écriture est d’abord apparue (Houston 2004a, pour l’état des
recherches actuelles). Tous ces facteurs, cognitifs et environnementaux, sont
évidemment fondamentaux si l’on essaie de comprendre les causes de l’inven-
tion de l’écriture. Toutefois, pour des raisons évidentes de manque d’archives,
il est difficile de reconstruire le contexte détaillé au sein duquel les écritures
intégrales originelles ont été inventées ; nous reviendrons sur ces problèmes
dans la conclusion.
21 Pour une première approche des écritures secondaires : Déléage 2009c, p. 82 sq.

notes du chapitre i
1 JR 24, p. 56 ; sur son mariage quelques années plus tard : Anderson 1991.
2 Beaulieu 1990 et 2008 ; Gardette 2008.
3 JR 20, p. 184-188.
4 Beaulieu 1990, p. 89-94.
5 JR 16, p. 42.
6 Beaulieu 1990, p. 92-93 ; Déléage 2009c, p. 65.
7 JR 18, p. 164-166.
8 JR 20, p. 187.
9 JR 22, p. 44 ; JR 24, p. 58.
10 Les Montagnais les nommaient massinahigan, c’est-à-dire « livre » (JR 26, p. 74),
tandis que les missionnaires, outre « calendrier », utilisaient les termes « cata-
logues » (JR 29, p. 110) et « almanachs » (JR 31, p. 232).
11 JR 26, p. 130. Voir aussi, cette même année, p. 112-114.
12 L’un d’eux était certainement son propre frère, Eustache Koukinapou (JR 22,
p. 96).
13 JR 20, p. 192.
14 JR 26, p. 284. 
15 Déléage 2009c, p. 35-37 et p. 56-61.
16 JR 20, p. 192 ; JR 21, p. 102.
17 JR 20, p. 192-194.

197
notes
18 Ibid., p. 192.
19 Sur les usages de l’écriture et des livres par les missionnaires de Nouvelle-
France : Déléage 2009c, p. 50-54 ; et, plus généralement, Gardette 2008.
20 JR 29, p. 140-142.
21 JR 31, p. 230.
22 JR 20, p. 192.
23 JR 24, p. 94. La même scène est esquissée quelques pages auparavant ; l’écri-
ture sélective y est présentée comme une technique proprement autoch-
tone : « Quand le Père commença à les instruire, ils comptaient les points et les
demandes sur leurs doigts. Mais le nombre venant à surpasser celui des doigts,
ils les marquaient sur des écorces faisant certaines figures qui leur représen-
taient le sens de quelques articles et s’appliquaient avec grande contention
pour le comprendre et le retenir et puis l’enseigner aux autres » (JR 24, p. 82).
24 JR 29, p. 110 ; JR 31, p. 232.
25 JR 37, p. 40.
26 JR 23, p. 282 ; JR 24, p. 60 ; cette mission comportait aussi clairement des enjeux
diplomatiques dans le cadre des conflits avec les Iroquois.
27 JR 25, p. 118.
28 JR 38, p. 26.
29 JR 60, p. 240-242.
30 Les Relations jésuites ne mentionnent plus Charles Meiaskaouat après 1644
(JR 25, p. 175-179), alors qu’il tentait de retourner chez les Abénaquis, dans un
contexte de guerre diffuse avec les Iroquois et les Anglais.

notes du chapitre ii
1 Sur les missions moraves en Amérique du Nord : Loskiel 1794 ; Gray 1956 ;
Merritt 2003 ; Wheeler 2008, pp. 84 sqq.
2 Sur les relations entre les Iroquois et les peuples des vallées des fleuves
Delaware, Susquehanna et Ohio : Miller 1974 ; White 1991 ; Dowd 1992 et 2002 ;
Schutt 2007.
3 Loskiel 1794, vol. 2, p. 153-154 ; Johnson 1894, p. 52-53.
4 Merritt 2003, p. 125-126 ; voir aussi Loskiel 1794, vol. 2, p. 154. Sauf mention
explicite, toutes les traductions sont de l’auteur.
5 Sur l’ethnonymie complexe de la région, son historicité et l’importance de ne
pas l’essentialiser : Dowd 2002, p. 22-53.
6 Beauchamp 1917, p. 199-200 ; voir aussi Loskiel 1794, vol. 2, p. 155-156.
7 Parmi les meilleures approches de cette guerre, White 1991 et Dowd 2002.
8 Sur Teedyuscung, Wallace 1949.
9 Grumet 1999, p. 73.
10 Ibid., p. 77.
11 Ce calendrier delaware avait à peu près autant de chance de dériver de tradi-
tions locales (Grumet 2001, p. 29-30 : témoignage de William Penn, 1683, sur
l’importance du nombre douze chez les Delawares – qui va à l’encontre des
hypothèses de Kinietz 1940) que d’une influence missionnaire, en particulier
catholique (Darlington 1893, p. 39, extrait du Journal de Christopher Gist, 1751 :
« L’un d’eux m’apporta son livre [du genre de ceux que les Français leur pro-
curent, dans lesquels les jours de la semaine sont notés de telle manière qu’en
déplaçant un cran chaque matin ils savent assez bien se repérer dans le temps]

198
chapitre i-ii
afin de me montrer qu’il me comprenait » ; Butler Hulbert et Schwarze 1912,
p. 56, témoignage de David Zeisberger : « L’Indien m’a à nouveau rendu visite
le 29 et je lui ai fabriqué un calendrier indien afin qu’il puisse savoir quand
il serait dimanche, car il avait été baptisé à Gachnawage, au Canada, par un
Français »). Les Indiens d’Amérique du Nord, d’une manière générale, dévelop-
pèrent souvent des technologies calendaires dont les rapports avec les divers
computs d’origine européenne restent difficiles à préciser. Un des premiers
témoignages concernant ces techniques vient des Algonquiens de Virginie et
a été publié en 1681 par John Lederer ; il évoquait « certaines roues hiérogly-
phiques qu’ils appellent en leur langage Sag Ko Ko K. Quejacasong, c’est-à-dire
la mémoire des Dieux. Ces Roues sont composées de 60 Rayons dont chacun
désigne une année, comme s’ils avaient voulu marquer l’âge de soixante ans
où va ordinairement la vie de l’homme. Ces Roues sont peintes sur des peaux
que leurs principaux Prêtres conservent dans leurs Temples. Ils marquent sur
chaque Rayon les choses mémorables qui arrivent pendant une année par une
figure hiéroglyphique. Ainsi le sieur Lederer en remarqua une qui ne tient
pas trop du Sauvage, dans un Village nommé Pommaeomek, pour laquelle au
Rayon qui marquait l’année de la première arrivée des Européens en ce pays-là
était dépeint un Cygne qui jetait de la fumée et du feu par le bec. La blancheur
du plumage de cet oiseau et l’eau dans laquelle il se tient toujours désignaient
la blancheur du visage des Européens et leur arrivée par mer dans la Virginie,
et ils avaient mis dans le bec de cet oiseau de la fumée et du feu pour signifier
les armes à feu dont les Européens se servaient » (Feest 1975, p. 150-159).
12 Grumet 1999, p. 56.
13 La cérémonie a été décrite à la fois par Frederick Post et par John Hays.
Témoignage de Frederick Post (Grumet 1999, p. 58-60) : « 24e. Ce fut une très
belle journée et aux alentours de neuf heures ils commencèrent leur grande
cérémonie qui nous fournit l’occasion d’observer leur culte stupide et tragique.
Leurs prêtres ou jongleurs, accompagnés d’une dizaine de femmes, partirent
les premiers dans la forêt afin de se peindre selon leurs goûts. Ils se peignirent
le corps entier de diverses couleurs, certains ajoutant des serpents à sonnettes,
d’autres des écureuils, d’autres des oiseaux arboricoles, etc. Ainsi décorés, ou
plutôt défigurés, ils entrèrent dans le village les uns derrière les autres tout en
chantant. Par exemple l’un d’eux chanta : “J’ai vu deux oiseaux anglais voler
ensemble, amoureux”, ce que tous les autres répétèrent quatre fois ; après quoi
ils partirent en procession quatre fois autour de la maison cérémonielle puis
ils firent face au soleil levant, braillant tous ensemble jusqu’à ce que le souffle
leur manque. Alors ils se serrèrent tous la main et invitèrent tout le monde à
les rejoindre dans la maison où ils continuèrent à marcher, à chanter et à hur-
ler tout le jour et toute la nuit, jusqu’à six heures du matin lorsqu’un certain
esprit les vint trouver, ce qui en fit pleurer amèrement beaucoup. 25e. Ce matin
toute la troupe sortit et s’assembla en rangée face au soleil levant, élevant les
mains en direction des cieux et hurlant six fois de toutes leurs forces ; ils se
serrèrent la main et se rendirent dans toutes les maisons pour souhaiter à cha-
cun une heureuse matinée. » Témoignage de John Hays (Grumet 1999, p. 59) :
« 24. Samedi. Ils ont célébré un genre de culte et ont réunis trois venaisons
et deux ours. Ils sont partis dans la forêt vers dix heures et sont revenus vers
onze ou douze heures, habillés comme au temps du paganisme. Il y avait trois
hommes et deux femmes, et deux hommes et deux femmes, et deux hommes.

199
notes
Et ils avaient de grandes quantités de fleurs sur la tête ; ils étaient nus et peints
plus que de nature. Certains avaient des tiges vertes à la main et des serpents,
des oiseaux et d’autres merveilles peintes sur eux, de toutes les couleurs. Un
homme était blanc et une femme était noire. Ils s’alignèrent les uns derrière
les autres, tous nus à partir de la ceinture, et ils firent le tour de la maison ; ils
entrèrent et dansèrent, sortant parfois et faisant souvent face au soleil levant ;
ils continuèrent toute la nuit en compagnie d’un grand nombre d’Indiens
étrangers qui n’avaient jamais vu une telle cérémonie. 25. Dimanche. Ils chan-
tèrent et vers une heure nous fûmes invités dans la maison pour manger ; nous
nous assîmes pendant qu’il secouait son coquillage, dansait, regardait au ciel,
dansait encore et encore, et récitait une bénédiction à sa manière ; finalement,
il plaça une portion dans la main du chef et il donna une assiette pleine à notre
roi [Teedyuscung]. »
14 Grumet 2001, p. 29 : témoignage de Daniel Denton, 1670.
15 Butler Hulbert et Schwarze 1912, p. 29.
16 Sur le prestige des livres chez les Delawares, la même année : Klett 1962,
p. 67-69 ; et plus généralement parmi les Amérindiens de la région : Rice 2010.
17 Jordan 1913, p. 171-172 ; contrairement à ce qu’il laisse supposer, Kenny n’avait
pas fait mention de cet « imposteur » dans les pages antérieures de son journal.
18 Ibid., p. 173.
19 Ou avec certains Blancs, les seuls Anglais, selon Dowd 2002, p. 96-97.
20 Jordan 1913, p. 175.
21 Hunter 1971 ; White 1991, p. 279-285 ; Dowd 1992 ; Dowd 2002, p. 94-105 ; Sayre
2005, p. 139-152 ; Cave 2006, p. 22-43 ; Irwin 2008, chapitre 4. Autres études
notables sur le mouvement de ce prophète : Mooney 1973, p. 662-669 ; Wallace
1956 ; Champagne 1988.
22 Sur le rôle des visions dans les traditions delawares : Jordan 1913, p. 176 ;
Heckewelder 1822, p. 245-247 ; Newcomb 1956, p. 35 ; Gavaler 1994.
23 Burton 1912, p. 21-33.
24 Les « Loups » étaient l’un des clans des Delawares.
25 Jordan 1913, p. 172.
26 Ibid., p. 188.
27 Burton 1912, p. 33.
28 Jordan 1913, p. 173.
29 Loudon 1808, p. 272.
30 Ibid., p. 272-273.
31 Je remercie Aaron McWilliams, des archives de l’État de Pennsylvanie, pour
cette information.
32 Loudon 1808, p. 275-276.
33 Heckewelder 1822, p. 471-472. Traduction de Du Ponceau.
34 Ibid., p. 471-475. Traduction de Du Ponceau.
35 La reconstruction par Hunter (1971, p. 45) de ce qu’il nomme la Delaware Indian
Bible prend comme point de départ la description d’Heckewelder ; c’est, à notre
avis, faire trop confiance aux souvenirs du missionnaire.
36 Hunter 1971 propose de voir dans le « vieux prêtre » de John Hays et dans ce
Wangomend une seule et même personne.
37 Butler Hulbert et Schwarze 1912, p. 27-28. Identification comme Wangomend :
Heckewelder 1822, p. 476.
38 Butler Hulbert et Schwarze 1912, p. 24-26.

200
chapitre ii-iii
39 Butler Hulbert et Schwarze 1910, p. 132-133.
40 On trouvera des exemples précis dans Jordan 1913, p. 178, ou Klett 1962, p. 67-69.
Pour des études synthétiques de ce phénomène dans la région : Merrell 1999
(chapitre 5) et Round 2010.
41 Dankaerts 1867, p. 150-151, témoignage de 1679 à propos d’un interlocuteur
algonquien : « Il resta silencieux un moment, incapable soit de s’élever si haut
en pensée soit de les exprimer sans aide, puis il retira du feu un morceau de
charbon afin d’écrire sur le sol. Il dessina d’abord un cercle, un petit ovale,
auquel il adjoignit quatre pattes ou pieds, une tête et une queue. “Ceci, dit-il,
est une tortue entourée d’eau” ; sa main décrivit un cercle autour de la figure
et il continua : “ceci n’est ou n’était que de l’eau, ainsi était le monde ou la terre
au commencement, lorsque la tortue fit progressivement émerger son dos
arrondi” » ; voir aussi Warhus 1997 et Malcolm Lewis 1998.
42 Gagnon 1975.
43 Gavaler 1994 pour une synthèse.
44 Dowd 2002, p. 99-100 ; Hultkrantz 1981, p. 187-211.

notes du chapitre iii


1 Sur Kenekuk : Mooney 1973, p. 692-700 ; Howard 1965a ; Herring 1988 ; Cave
2006, chapitre 6 ; Irwin 2008, p. 219-229. On trouvera une première approche de
l’histoire des Kickapoos dans Gibson 1963.
2 Catlin 1841, vol. 2, p. 98.
3 Récit de Minnie M’Jessepe (Howard 1965a, p. 3).
4 Hubbard 1831, p. 473.
5 White 1991.
6 En organisant ainsi de véritables autodafés de sacs-médecine (connus égale-
ment, dans la littérature ethnographique, sous le nom de « paquets sacrés »),
Kenekuk prenait clairement position contre l’ensemble des cérémonies tradi-
tionnelles des Kickapoos et des Potawatomis. Si l’on ne connaît rien des tra-
ditions rituelles kickapoos, il est légitime de penser qu’elles étaient proches
de celles des Potawatomis. Ces dernières comportaient d’une part des rituels
chamaniques faisant usage de sacs-médecine remplis de simples et d’artefacts
divers (Landes 1970, chapitre 2, pour le début du Xxe siècle) et d’autre part de
complexes cérémonies claniques au cours desquelles l’ouverture d’un paquet
dans une loge spécifique était accompagnée de la narration d’un mythe d’ori-
gine du clan, de danses et de chants (Skinner 1924, pour le début du Xxe siècle
également).
7 Mooney 1973, p. 695.
8 Il n’est pas impossible que cette carte entretienne des rapports avec celles de
certains prophètes contemporains, ottawa (comme Aiskawbawis, selon Tanner
1983, p. 184) ou ojibwa (Kohl 1985, p. 215-220).
9 Il est possible que, du point de vue de sa stratégie rhétorique, Kenekuk oppo-
sait alors son cosmogramme à une carte de la réserve dans laquelle Clark sou-
haitait que vivent les Kickapoos.
10 Dennis 2006 propose une première étude des raisons complexes pour les-
quelles de nombreux « discours indiens » furent très régulièrement publiés
dans la presse américaine du Xixe siècle ; voir aussi, plus généralement,
Coward 1999.

201
notes
11 Badin 1833 (lettre du 14 janvier 1831), p. 155-156.
12 Hubbard 1831, p. 474.
13 Ibid., p. 475.
14 Catlin 1841, vol. 2, p. 99 ; repris dans Tylor 1865, p. 88.
15 Herring 1988, chapitre 5.
16 Blair 1911, vol. 2, p. 280. Un autre témoignage de l’époque, celui du métho-
diste James Armstrong, confirme que les Kickapoos nommaient leurs bâtons à
prière des « Bibles » (Mooney, p. 699-700).
17 Herring 1988, p. 33.
18 Allis 1887, p. 135.
19 Allis et Dunbar 1915-1916, p. 586.
20 Murray 1839, p. 77.
21 Verhaegen 1839, p. 471 ; voir aussi la remarque du jésuite Nicolas Point, en 1840,
à propos de Kenekuk : « L’autorité de sa mission divine réside en un morceau de
bois de deux pouces de large et de huit de long » (Point 1967, p. 24).
22 Sur les idées et l’action politique d’Isaac McCoy, on consultera les apologies de
Schultz 1972 et de Myrhe 1998.
23 McCoy 1840, p. 457.
24 Une autre cérémonie, généralement organisée le vendredi, comportait confes-
sions et flagellations publiques.
25 McCoy 1840, p. 457-458.
26 McCoy 1840, p. 457-458. On retrouve la même description, dans les mêmes
termes, dans la réédition d’une lettre du jésuite Pierre-Jean De Smet (De Smet
1905, vol. 3, p. 1085-1086). Or ce dernier s’était rendu chez les Kickapoos en
1838 ; les éditeurs du recueil précisent néanmoins qu’ils y ont inclus assez libre-
ment les notes de lecture du jésuite – la publication originale est donc bien
celle d’Isaac McCoy. De Smet est également connu pour avoir substantielle-
ment modifié, en 1843, les échelles catholiques de Blanchet en y introduisant
la figuration d’un « double chemin », l’un menant au paradis, l’autre à l’enfer
(Thiel 2009, p. 56-57 ; Furtwangler 2005) ; il n’est pas impossible que l’idée lui
soit venue de l’observation, cinq ans plus tôt, des cosmogrammes dualistes de
Kenekuk.
27 Redman 1837, p. 198.
28 Les planches à prière de Kenekuk, comme d’ailleurs le calendrier du « vieux
prêtre » delaware, font penser au bâton d’un autre prophète algonquien,
potawatomi celui-ci. Contemporain de Kenekuk et connu sous le nom de
Menominee, il rencontra plusieurs fois Isaac McCoy qui écrivit à son propos :
« Une fois, il me montra un bâton droit sur lequel il avait fait une marque pour
chacun des sermons qu’il avait prêchés » (McCoy 1840, p. 104). Le prophète
et le missionnaire comparèrent ensuite le nombre de sermons qu’ils avaient
respectivement prononcés en se référant l’un à son bâton, l’autre à son livre.
Parmi ces sermons, Menominee professait une variante très singulière du
mythe d’origine des Potawatomis qu’il vaut la peine de citer, à partir des notes
de McCoy : « Le prophète exposa sa propre version de l’immaculée concep-
tion. Dans son interprétation, la Seconde Personne de la Sainte Trinité rendit
visite à la Vierge Marie pour lui annoncer qu’elle aurait un fils. Elle pensa que
c’était impossible, sur quoi la Seconde Personne lui fabriqua, à partir d’argile
et de métal, la statue d’un garçon, d’une taille d’environ quatre pieds de haut.
Marie oublia la statue et la laissa dehors où la pluie la fit fondre. Tandis qu’elle

202
chapitre iii-iv
se débarrassait des restes de la statue, la Troisième Personne de la Trinité lui
apparut soudain, un livre à la main. Elle fabriqua deux autres statues, sem-
blables à la première, et, avec l’aile d’une dinde, elle éventa le livre, provoquant
un courant d’air qui traversa les deux statues : c’est ainsi qu’elles devinrent des
personnes vivantes. L’un des garçons était blanc et il fut placé d’un côté de la
mer, l’autre était rouge et il fut placé de l’autre côté » (Schultz 1972, p. 52).
29 Herring 1988, chapitre 7 ; l’époque, qualifiée par un courant de l’historiographie
américaine de « deuxième grand réveil », a vu les effectifs méthodistes et bap-
tistes croître en flèche, en même temps que leurs ardeurs missionnaires.
30 Par exemple, Clark 1979 ; Murphy 1988 ; Myrhe 1998 ; Schurr 2010.
31 Custer 1918, p. 50.
32 Herring 1988, chapitre 7; sur les écoles baptistes et catholiques chez les
Potawatomis voisins : Murphy 1988, chapitre 8 ; Myrhe 1998, chapitre 5.
33 Custer 1918, p. 53.
34 Ibid., p. 51.
35 Howard 1965a, p. 31 ; l’auteur précisait aussi : « Bien qu’ils ne soient plus utilisés,
[les bâtons à prière] restent conservés par les plus vieux membres de l’église.
J’en ai vu un au service de Pâques auquel j’ai assisté en 1964 et j’en ai observé
d’autres dans les maisons de ces anciens » (Ibid., p. 23).
36 Custer 1918, p. 53.
37 Ibid., p. 53-54.
38 Sur l’alphabet de Meeker : McCoy 1840, p. 471-478 ; Allen et McMurtrie 1930 ;
McMurtie 1931 et 1933 ; Walker 1981 et 1996 ; Grant 2003. Sur Simerwell : Myrhe
1998, p. 178-183 ; sur ses traductions : Pilling 1891, p. 463-466.
39 Sur Christian Hoecken : Myrhe 1998, p. 202-214 ; sur son écriture et ses traduc-
tions : Pilling 1891, p. 232. Maurice Galliand compléta ensuite ce travail en tra-
duisant l’intégralité d’un missel qui fut publié en 1868 (Clifton 1998, p. 445-446).
40 Sur l’écriture potawatomi : Hamilton 1884, p. 72 (« Les Chippewa inventèrent
un système d’écriture et l’enseignèrent à quelques Kickapoos, puis quelques
Sacs l’apprirent d’eux ; il provient certainement de l’anglais puisque les lettres
ressemblent fortement à celles de l’anglais, même si les sons sont différents,
utilisant seize lettres dont quatre sont des voyelles ») ; Walker 1981 et 1996 ;
Justeson et Stephens 1993 ; Goddard 1997.
41 On remarquera qu’entre 1832 et 1867, les jésuites s’approprièrent la technique
du bâton à prière de Kenekuk afin d’évangéliser les Potawatomis : voir la repro-
duction du mystérieux « dessin employant des signes et des symboles indiens
afin d’enseigner le concept de paradis » dans Myrhe 1998, p. 300. Je remercie
Lin Fredericksen, de la Kansas Historical Society, pour ces informations.

notes du chapitre iv
1 Sur James Evans et son écriture intégrale : McLean 1890 ; Pilling 1891, p. 186-
189 ; Young 1899 ; Peel 1974 ; Dorais et Lewis 2003 ; Hengstler 2003. L’invention
de cette écriture venait après celle d’une autre, aux principes similaires,
qu’Evans pensait particulièrement adaptée à la transcription de l’ojibwa ; les
Ojibwas Peter Jacobs et Henry Bird Steinhauer contribuèrent largement à la
création de cette première écriture.
2 Il est possible de considérer cette diffusion non contrôlée de feuilles volantes
sur lesquelles étaient imprimées des traductions d’hymnes et de prières chré-
tiennes comme une spécificité, voire une stratégie, de certains missionnaires

203
notes
protestants (voir sur ce point Harper 1983, p. 15-16 ; Edwards 2005, p. 38-62).
À plusieurs reprises, dans des milieux culturels très différents, cette manière
de faire constitua une niche parfaite dans laquelle se développèrent diverses
formes de prophétismes : par exemple en Guyane britannique (Déléage 2010)
ou chez les Inuits (Laugrand 2002, p. 209-211 ou p. 365-403). Le phénomène
exaspérait au plus haut point les religieux d’obédience catholique (Laugrand
2002, p. 392) mais il fascina durablement le missionnaire anglican Robert Hunt
qui élabora, à la fin du Xixe siècle, un « alphabet syllabique universel », dérivé
de celui d’Evans, pour que les « sept cents millions de païens analphabètes » de
par le monde puissent s’enseigner les uns aux autres les éléments de l’Évangile,
sans l’aide de missionnaires (Hunt 1872, 1873) ; progressivement, Hunt en vint
même à penser que son écriture universelle était l’écriture naturelle d’Adam,
disparue à la suite du Déluge.
3 Murdoch 1981, p.  3-5.
4 Cité par Long 1986, p. 318.
5 Cité par Brown 1982, p. 58 ; voir aussi Long 1986, p. 318.
6 La Bible cri ne sera imprimée, à Londres, qu’en 1861 (Peel 1974).
7  Suzanne McCarthy 1995 ; à comparer aux Inuits : Harper 1983 et Kakkik,
Laugrand et Oosten 2003, p. 8. On retrouve un processus très similaire, où une
écriture est inventée par un missionnaire pour les besoins de l’évangélisation,
puis où elle se diffuse de manière autonome, en dehors de son contrôle, chez
les Micmacs de la fin du Xviie siècle (Déléage 2009c, p. 82 sq.). La transmis-
sion familiale de l’écriture syllabique perdura longtemps, aussi bien chez les
Cris que chez les Inuits : le syllabaire s’apprenait par cœur en chantant ; il ne
semble pas que les procédés mnémotechniques développés par Robert Hunt
pour faciliter son acquisition, fondés sur des configurations des doigts ou des
membres analogues à la forme des lettres, à la manière de la dactylologie ou des
sémaphores aléoutes, furent employés dans les écoles des missions (Harper
1983, p. 156-157).
8 Harmon 1820, p. 370-371 ; Murdoch 1981, p. 54.
9 Ce processus d’appropriation de l’écriture put être considéré comme achevé
lorsque certains groupes cris se transmirent des récits, considérés comme tra-
ditionnels, dans lesquels l’écriture syllabique apparaissait comme un élément
proprement autochtone : par exemple, Bloomfield 1934, p. 19-21, Mandelbaum
1979, p. 180, ou Dusenberry 1962, p. 267-271. Il est vrai que dans les trois cas, il
s’agit de groupes très excentrés, assimilés aux cultures des Plaines ; la docu-
mentation manque pour les autres groupes. Il est d’ailleurs intéressant de com-
parer cette innovation propre à la mythologie cri avec l’un des effets de l’inven-
tion, par le Cherokee Sequoyah, d’une écriture syllabique destinée à transcrire
la langue de son peuple (Sarbauch et Walker 1993, Cushman 2010) : la pro-
pagation de cette écriture, à partir des années 1820, rendit obsolète le récit
mythique qui associait d’un côté l’arc et les flèches aux Cherokees et de l’autre
l’écriture aux Blancs (Bender 2002, p. 26-27). Le récit, dont on peut retrouver
le schème narratif dans de très nombreuses traditions mythiques amérin-
diennes (Déléage 2010, p. 234), avait disparu avant la fin du siècle. Tandis que
les Cherokees oublièrent un récit décrivant l’origine exogène de l’écriture, les
Cris adoptèrent un récit expliquant l’origine endogène de l’écriture.
10 Cité par Brown 1982, p. 53.
11 Ibid., p. 54.

204
chapitre iv-v
12 Ibid., p. 59.
13 Barnley 1845, p. 202.
14 Pour un aperçu synthétique du chamanisme cri avant le Xixe siècle : Morantz
1978.
15 Barnley 1845, p. 202.
16 Sur ce mouvement prophétique : Williamson 1980 ; Brown 1982, 2004 ; Long 1989.
17 Evans 1954, p. 13. Traduction en français à partir de la traduction anglaise litté-
rale du texte cri, lui-même une traduction de l’original anglais.
18 Ibid., p. 14. Nichols 1984 a démontré, à partir d’une analyse de l’évolution de
l’orthographe des différents textes de ce recueil de 1841, que les deux chants
que nous avons isolés sont bien ceux qui furent diffusés sur feuilles volantes
en 1840.
19 Barnley 1845, p. 202-203.
20 Ibid., p. 203.
21 Ibid., p. 203.
22 Ibid., p. 203.
23 Ibid., p. 203.

notes du chapitre v
1 Sur le complexe culturel des visions  : Benedict 1923  ; Blumensohn 1933.
On trouve dans les Relations jésuites quelques-unes des premières descriptions
de rêves prédictifs (par exemple JR 10, p. 168-172 ou p. 204-208) et de quêtes
de vision (par exemple JR 54, p. 140-142, ou JR 67, p. 158-160) dans les cultures
amérindiennes du Nord-Est. Pour les Amérindiens de la région des Grands
Lacs, voir Raudot 1904, p. 77-79, ou Baraga 1837 ; pour les Delawares, voir Jordan
1913, p. 176.
2 Sur cette appropriation : Hultkrantz 1981 ; White 1991, p. 280-284 ; Dowd 2002,
p. 99-105.
3 Heckewelder 1822, p. 390-391 ; Grumet 2001.
4 Dowd 1992 a bien décrit cette profusion de prophétismes au XVIIIe siècle.
Le lecteur familier de l’historiographie des prophétismes de cette région
d’Amérique aura remarqué que nous n’avons pas évoqué le mouvement de
Tenskwatawa, le prophète shawnee du tout début du Xixe siècle. C’est que, à
en croire les sources qui nous sont parvenues, ce dernier, même s’il se référa
dans ses visions au « livre de comptes » du Grand Esprit (ce qui rappelle Exode
XXXII, 31-33), ne jugea pas utile d’avoir recours à des techniques d’inscription
(en dehors des traditionnels wampum) pour stabiliser et diffuser ses innova-
tions rituelles (Lambert 1810, vol. 1, p. 395-396). Il n’y a pas de raison valable de
penser que le bâton à prière décrit dans Galloway 1943 (puis dans Howard 1981,
p. 204-207) provienne de ce prophète. S’il n’est pas non plus question du pro-
phète seneca Ganioda’yo (Handsome Lake), c’est que le mouvement qui s’est
réclamé de ses visions s’est construit dans un tout autre contexte, celui d’une
alphabétisation iroquoise inscrite sur une assez longue durée et à propos de
laquelle nous préparons une autre étude (voir néanmoins ce qui semble être
un bâton à prière lié aux révélations du prophète dans Fenton 1950, planche 8).
Quant au calendrier du winnebago Tshizunhaukau, il ne semble pas avoir été
en relation avec une activité rituelle nouvelle (Merrill 1945).
5 À l’ouest des Cris, parmi les sociétés athapascanes, de nombreux « prophètes »
utilisèrent aussi des cartes eschatologiques. Ainsi, vers la fin du Xixe siècle, un

205
notes
prophète Kaska nommé Gusais, reçut un « morceau de peau sur lequel était
dessinée une image représentant des humains suivant une ligne conduisant
au paradis » ; le prédicateur, très favorable au catholicisme, appelait sa carte
un « livre » (Honigmann 1949, p. 47-48). Au cours des années 1920, c’est un pro-
phète Castor nommé Vieux Matoit qui utilisa, pendant ses prédications, une
« grande carte comportant une multitude de chemins. Un de ces chemins était
bon et des élans et des ours se trouvaient dessus. De nombreux mauvais che-
mins, contenant peu d’animaux, déviaient de cette voie. Le prophète mon-
trait du doigt le bon chemin et exhortait son auditoire à continuer à le suivre »
(Honigmann 1946, p. 132-135). Ce genre de « prophétisme » athapascan, utili-
sant des cosmogrammes pour figurer les visions ou les rêves d’un paradis plu-
tôt cynégétique, s’est, à un moment donné, inspiré des échelles catholiques
du Père Lacombe distribuées par les missionnaires oblats (Duchaussois 1928,
p. 328-329 ; voir aussi Martha McCarthy 1995, p. 142). De manière singulière, il
semble s’être stabilisé et, récemment encore, des chamanes « rêveurs », nom-
més « prophètes », utilisaient des cartes du chemin vers le paradis (Brody 1982,
p. 44-48 ; Ridington 1988). Ce complexe prophétique est très largement autoch-
tone et ne partage que peu d’éléments avec les mouvements étudiés dans ce
livre. On remarquera d’ailleurs que les cartes ne dépeignent pas vraiment d’en-
fer (Janes et Kelley 1977 ; Ridington 1988) – comme d’ailleurs certaines cartes
cosmologiques des Cris des Plaines (Cadzow 1926a, p. 26).
6 Severi 1996.
7 On peut observer un phénomène très semblable chez les Inuits de l’Arctique
de l’Est canadien à partir du début du Xxe siècle (Blaisel, Laugrand et Oosten
1999 ; Laugrand 2002, p. 365-403). Comme chez les Cris, des hymnes chrétiens
traduits et transcrits dans une variante du syllabaire d’Evans s’y propagèrent
à une vitesse fulgurante, indépendamment, dans un premier temps, de toute
scolarisation missionnaire – l’art de la lecture à voix haute se transmit donc
dans un contexte pragmatique similaire à celui que nous avons défini ; et, à
nouveau comme chez les Cris, ces textes furent utilisés dans le cadre d’une
série de mouvements prophétiques – par exemple le mouvement collectif de
Tasiujaq, mais aussi ceux initiés par les prophètes Alik Kiktuviak et surtout
Gisiasi.
8 Le taux d’alphabétisation des colons, au moins celui des hommes, était alors
particulièrement élevé en regard des taux observés en Europe (Damon-Moore,
Kaestle et al. 1991, p. 20) ; après la révolution, il connut une explosion sans pré-
cédent (Round 2010).
9 On retrouve un processus tout à fait similaire dans le cadre de plusieurs
autres innovations rituelles amérindiennes. Ainsi, dans la seconde moitié du
xixe siècle, chez les Wanapams de la rivière Columbia, le prophète Smohalla
utilisait un «  livre contenant de mystérieux caractères, certains ressem-
blant aux lettres de l’alphabet ; il disait qu’y étaient inscrites ses prophéties »
(Mooney 1973, p. 720 ; Brown et Ruby 1989, p. 34). Plus au nord, dans les tradi-
tions orales recueillies au début du Xxe siècle chez les Salish Stolo, il était éga-
lement question d’anciens prophètes utilisant des livres rituels : le premier,
Twaqpa’met, était connu pour avoir introduit l’écriture chez son peuple aux
alentours de 1840 car il prêchait à partir d’un livre qui lui conférait un savoir
concernant les technologies européennes ; le second, Quitzkanum, possé-
dait, vers la fin du xixe siècle, un parchemin couvert de « hiéroglyphes » qu’un

206
chapitre v-vi
missionnaire oblat s’empressa de brûler – peut-être ce dernier prophète était-il
l’auteur d’un étrange document, de nature très probablement sélective, connu
sous le nom de Dreambook of a Stolo Chief (Thor Carlson 2001).
10 Anderson 1996. La plupart des études concernant les prophétismes delaware
(Wallace 1956 ; Champagne 1988 ; White 1991 ; Dowd 1992 et 2002 ; Cave 2006) et
kickapoo (Herring 1988 ; Cave 2006) insiste sur ces aspects politiques et identi-
taires qui sont, bien évidemment, fondamentaux.
11 Kroeber (1958, p. 15) pensait que toutes les écritures sélectives inventées au
nord du Mexique résultaient d’un tel processus d’émulation ; le prochain cha-
pitre montrera qu’une telle affirmation est très probablement erronée.

notes du chapitre vi
1 Raudot 1904, p. 117-119 ; le réel auteur de ces observations était probablement le
Sieur Chabert de Joncaire.
2 Lind 1979, p. 130-134.
3 Ibid., p. 116.
4 Ibid., p. 118.
5 Pour une description de ces cérémonies thérapeutiques : Lind 1979, p. 126-129 ;
Densmore 1907 ; Casagrande 1960 ; il vaut la peine de remarquer que les céré-
monies de guérison effectuées par les membres du Midewiwin ne différaient
guère de celles des autres chamanes de la région.
6 Hickerson 1963 (l’argumentation d’Hickerson 1988 est beaucoup plus faible) ;
Vecsey 1983a ; Schlesier 1990 ; Angel 2002.
7 Par exemple, JR 54, p. 140-142, ou JR 67, p. 158-160 ; pour de beaux témoignages
tardifs, Densmore 1929, p. 83-86, et Radin 1914 ; pour une synthèse des sources,
Vecsey 1983a, p. 121-143.
8 Par exemple, parmi les premiers témoignages, JR 6, p. 162-172, ou JR 12, p. 16-22
(Montagnais, 1634-1637) ; Lind 1979 (p. 118-121) pour la belle description de
Nicollet ; pour une synthèse régionale et historique, Hallowell 1942. Nous
reviendrons sur ces chamanes Jaasakid à la fin de ce chapitre.
9 « Je leur demandai aussi ce que signifiait une image du soleil que l’un d’eux
avait peinte sur un bout de planche. Cette image était attachée au haut d’une
perche, aussi peinte des plus vives couleurs ; et à cette perche on voyait, à la
hauteur d’un homme, pendre un faisceau de petit bois de cèdre, coupés comme
pour servir à mettre aux filets qu’on emploie à la pêche de l’esturgeon, de
même qu’en France on met du liège à toutes sortes de filets. Je m’informai donc
à quel dessein ils avaient dressé cette espèce d’anathème. Ils me répondirent
que c’était un sacrifice, ou plutôt, selon l’expression propre de leur langue, une
exhortation qu’ils faisaient au soleil pour le prier d’avoir pitié d’eux. Comme
ils croyaient que le soleil était le maître de la vie et de la pêche, le dispensateur
de toutes choses, ils le conjuraient de faire entrer l’esturgeon dans leur rivière
et de favoriser leur pêche » (JR 58, p. 272-274). Accrochés en haut de perches
similaires, Marquette observa une croix (JR 59, p. 102) et Hennepin des wam-
pum ; on se souvient que les Algonquins y avaient placé le texte d’une prière
catholique – Nicollet put, quant à lui, y voir une prière transcrite sélective-
ment (Lind 1979, p. 138-144). En règle générale, on plaçait plutôt, en haut de ces
poteaux cérémoniels, la peau ou les ossements du gibier désiré (par exemple,
Perrot 1968, p. 20, ou Raudot 1904, p. 106-107) – et ce jusque très tard (Skinner
1911, p. 162-164).

207
notes
10 Le « tir » chamanique, nommé aussi « souffle », constituait également un élé-
ment certainement issu d’une ancienne tradition (Havard 2003, p. 716-717).
11 Kohl 1985 ; Hoffman 1891 ; Densmore 1929 ; Landes 1968 ; trois années avant
Nicollet, le révérend James Evans avait rédigé une description assez complète
de la cérémonie (Graham 1975, p. 101-104).
12 Kohl 1985, p. 44 ; Densmore 1929, p. 93 ; Blessing 1977, p. 81.
13 Comme on en trouve abondamment chez les groupes algonquiens qui vivaient
au sud de la région des Ojibwas (les sources sur leur vie cérémonielle, bien que
d’excellente qualité, sont hélas souvent très tardives, nous y reviendrons), dans
le cadre de rituels peut-être apparus à la fin du xviie siècle (Callender 1978 ;
White 1991).
14 Brightman et Brown 1988, p. 58-59.
15 Sur les pétroglyphes de la région et leurs éventuels rapports iconographiques
avec l’écriture sélective du xixe siècle : Rajnovich 1994 ; Lenik 2009.
16 Le terme provient en effet des langues et des cultures de la région ; pour un his-
torique et une discussion polémique de la notion, Brightman et Fogelson 2002.
17 Anonyme 1928 (1736) ; voir aussi Lahontan 1990 (1704), p. 728-732 ; Keating 1824,
p. 119 ; Kohl 1985, p. 149 ; Landes 1968, p. 86.
18 Black Hawk 2008 (1833), p. 46, qui mentionne le coutume de rafraichir la pein-
ture du signe héraldique à chaque passage ; Schoolcraft 1851-1857, vol. 1, p. 335,
p. 355-357 ; Kohl 1985, p. 159 ; Mallery 1893, p. 521-522 ; Hoffman 1896, p. 74 ;
Skinner 1913, p. 67 ; Densmore 1929, planche 29.
19 Schoolcraft 1851-1857, vol. 1, p. 411-421, et vol. 2, p. 222-229 ; D’Avignon, Delâge et
Guillaud 2001 ; Bohaker 2006 et 2010.
20 Par exemple, Feest et Kasprycki 1999, p. 210-211, p. 228-229 ; Nelson 2002, p. 120-
121 ; Harmon 1820, p. 370-371 (Cri).
21 Mallery 1893, p. 259-262 ; Fulford 1992 ; Beal 2007.
22 Long 1980 (1794), p. 101 ; Carver 1781, p. 418-419 ; Hoffman 1888, p. 223-229 ;
Densmore 1929, p. 176-181.
23 Lind 1979, p. 145-150, voir aussi p. 203-205.
24 JR 54, p. 140.
25 Densmore 1929, p. 80-82 ; voir aussi Tanner 1956, p. 164 et p. 315 ; Kohl 1985, p. 58,
p. 296-297 et p. 400-404 ; Landes 1968, p. 38 ; Phillips 1986.
26 Tanner 1983, p. 178-179 (traduction de Pierrette Désy). On remarquera que
Schoolcraft choisit le terme Muzzeniegun, signifiant selon lui « un document
imprimé ou un livre », comme sous-titre de son hebdomadaire publié à Sault-
Sainte-Marie pendant l’hiver 1926-1927, le Literary Voyager (Mason 1997, p. xviii).
Un même terme algonquien (dont nous avons croisé, chez Meiaskaouat, l’équi-
valent en montagnais) désignait donc à la fois les répertoires graphiques, les
livres et, comme nous le verrons, les écritures sélectives.
27 Lind 1979, p. 118-121 (Nicollet) ; Schoolcraft 1851-1857, vol. 1, p. 382-383 ; Hoffman
1883, p. 138-139 ; Skinner 1913, p. 42-43 ; Coleman 1937, p. 39 ; Heye et Speck 1921
(Montagnais) ; Vastokas 1984, p. 435.
28 Voir néanmoins les témoignages réunis dans Déléage 2009c, p. 65-66.
29 Tanner 1956, p. 338-381 ; Nicollet connaissait ce livre (Lind 1979, p. 47) ; sur
Edwin James : Benson 1970 et Kasprycki 1990.
30 Tanner 1956, p. 338
31 Elles furent reproduites, sans mention du nom de leur éditeur original,
dans Catlin 1841, vol. 2, figures 310-311, et dans Schoolcraft 1851-1857, vol. 1,

208
chapitre vi
planches 53 et 58 (ce qu’avait déjà remarqué Tylor 1865, p. 82-83). Constantine
Samuel Rafinesque s’en inspira largement pour forger son Walam Olum
(Brinton 1885 ; Oestreicher 1995 et 2002 ; Boewe 2003) qui, à son tour, fut la
source du dixième chapitre de Copway 1850. Parmi les reproductions qui popu-
larisèrent les écrits sélectifs publiés par Tanner au xixe siècle, on mentionnera
Domenech 1861 ou Mallery 1893.
32 Schoolcraft 1851-1857, vol. 5, p. 415-441.
33 Ibid., vol. 1, p. 351-404 ; sur Schoolcraft : Freeman 1965.
34 Hoffman 1891, p. 288 par exemple.
35 Ibid., p. 165 ; Densmore 1929, p. 90 ; Landes 1968, p. 86.
36 Ibid., p. 174.
37 Kohl 1985, p. 384.
38 Tanner 1956, p. 351 ; voir aussi Lind 1979, p. 205-207.
39 Schoolcraft 1851-1857, vol. 1, p. 366-381.
40 Pour une synthèse des sources et une discussion de la rivalité entre Midewiwin
et Wabeno : Krusche 1981.
41 Thompson 1916, p. 256 ; voir aussi Burton 1909, p. 243-246, pour un témoignage
tardif.
42 Tanner 1956, p. 341.
43 Schoolcraft 1851-1857, vol. 1, p. 361. Dans une lettre de 1849 adressée à E. G. Squier
où il exprime ses doutes quant à l’authenticité du Walam Olum, Schoolcraft com-
plète ainsi sa définition de l’écriture sélective : « Dans le système des tribus du
nord, auquel je me suis intéressé, les finalités de l’art des inscriptions sont :
témoigner d’un exploit singulier, une bataille, la bravoure d’un homme, quelque
chose comme des mémento biographiques, tels que le nombre de scalps, d’ani-
maux sauvages tués, d’objets rituels liés à la prêtrise [du Midewiwin], etc. Cet
art est plus communément utilisé pour consigner les chants de médecine, de
chasse et de guerre. Le système est purement idéographique et mnémonique.
C’est un système de substantifs, les actions restant toujours à inférer. Les vers
des chants sont notés par des images, mais il s’agit, pour ainsi dire, seulement
de thèmes principaux (key-notes), destinés à en réveiller le souvenir. Les mots
doivent nécessairement avoir d’abord été confiés à la mémoire afin d’être réci-
tés avec exactitude » (Weslager 1972, p. 471). Cette définition est l’une des meil-
leures parmi celles qui furent proposées au xixe siècle : Schoolcraft ne se
contente pas de remarquer que ces écritures étaient attachées à des discours
rituels précis qu’il s’agissait d’apprendre par cœur ou que leur sémiotique était
de nature logographique (elles notaient des mots et non de vagues idées). Il
explique aussi, et c’est là l’important, que ces écritures étaient sélectives (tous
les mots du discours n’étaient pas notés) et que cette sélection ne devait rien
au hasard : « C’est un système de substantifs, les actions restant toujours à infé-
rer. » On peut en déduire, correctement comme nous le verrons, que ces écri-
tures ne transcrivaient que certains syntagmes précis, confiant ceux qui leur
étaient prédiqués à la mémoire orale. Le traducteur français de Schoolcraft
compara, quant à lui, la « pictographie secrète » du Midewiwin aux techniques
de mémoire artificielle exposées par Quintilien (Mondot 1858, p. 229).
44 Tanner 1956, p. 334.
45 Ibid., p. 337.
46 Ibid., p. 338.
47 Ibid., p. 338.

209
notes
48 Ibid., p. 341.
49 Lind 1979, p. 190.
50 Schoolcraft 1851-1857, vol. 1, p. 368 sq.
51 Comme l’avait déjà remarqué Tylor (1865), p. 82-83 de l’édition américaine de
1878.
52 Schoolcraft 1851-1857, vol. 1, p. 361.
53 Warren 1984, p. 65-66.
54 Ibid., p. 67 ; voir aussi p. 78.
55 En français dans le texte, Kohl 1985, p. 156.
56 Kohl 1985, p. 43.
57 Ibid., p. 285-290.
58 Hoffman 1888, p. 220.
59 Ibid., p. 214.
60 Même constat chez Densmore 1910, p. 15, ou Landes 1968, p. 119.
61 Skinner 1925, p. 292 ; sur le Midewiwin des Menominis : Skinner 1913, 1920 ; sur
le langage ésotérique des chants de la cérémonie, voir aussi Skinner 1922, p. 69 ;
et sur ce dernier texte, voir Darnell 2001, p. 210-224.
62 Skinner 1925, p. 291.
63 Ibid., p. 291-292.
64 Hoffman était parti chez les Ojibwas, d’abord en compagnie de Mallery, afin de
vérifier l’exactitude des informations de Schoolcraft qui passaient alors, auprès
du public cultivé, pour assez douteuses (Mallery 1882 ; Mallery 1886, p. 17).
Mallery n’obtint que trois rouleaux accompagnés de vagues exégèses arrachées
à force de whisky (Mallery 1893, p. 202-203). Hoffman fit preuve d’une plus
grande persistance retournant régulièrement au Minnesota et au Wisconsin
entre 1887 et 1890 ; sa monographie, malgré ses défauts, reste la principale
source d’information en ce qui concerne le Midewiwin du xixe siècle.
65 Hoffman 1891, p. 207 ; cette différence, dans les travaux d’Hoffman, entre gloses
des textes sélectifs et chants a déjà été notée par Severi 2007, p. 190-194.
66 Angel (2002, p. 141) précise bien que les écrits sélectifs qu’avaient obtenus
Hoffman n’appartenaient pas aux chanteurs qu’il employa (Little Frenchman et
Leading Feather) – dès lors, l’interprétation ne pouvait guère être parfaite.
67 Hoffman 1891, p. 266 sq.
68 Densmore 1910, p. 14-15.
69 Skinner 1925, p. 292.
70 L’essai de retraduction proposé par Fulford (1988, p. 189 sq) s’avère hélas tout
aussi inutilisable.
71 De ce fait les chants « appartiennent » aux Manido (Kohl 1985, p. 160).
72 Kohl 1985, p. 44, les termes « tir » et « souffle » sont en français dans le texte.
73 Il faut même éviter de considérer comme acquise la fidélité des reproduc-
tions des textes sélectifs : s’il est évident que ceux publiés par Schoolcraft ont
été considérablement remaniés, Fulford (1988, p. 85) a montré que ceux d’Hof-
fman pouvaient également être très souvent critiqués. Un mot sur le corpus
rassemblé par Frances Densmore au début du xxe siècle : celle-ci enregistrait
d’abord ce qu’elle considérait comme un chant (c’est-à-dire une strophe) puis
elle demandait au chanteur de dessiner une image correspondant à la strophe
(Densmore 1910, p. 16). Si le chanteur puisait évidemment dans l’iconographie
traditionnelle, ce genre de requête ne pouvait que passer à côté de la logique
sélective et séquentielle de la notation du discours.

210
chapitre vi
74 Si l’analyse s’appuie sur le seul corpus publié par James, les regroupements
ont été inférés à partir d’une étude de l’ensemble des écrits ojibwas publiés
au xixe siècle. Edwin James a publié neuf gloses de chant (en ojibwa et en
anglais) accompagnées de leur notation sélective recueillie et annotée entre
1827 et 1830. Le massif ouvrage de Schoolcraft ne comporte que cinq gloses de
chants inédits (en ojibwa et en anglais) accompagnées de leurs transcriptions
sélectives ; ces dernières ont par ailleurs été très fortement retravaillées, de
telle sorte qu’il ne nous est guère possible maintenant que de tenter de devi-
ner leur apparence originelle. Schoolcraft prétendit avoir pris connaissance de
ces écrits dès 1822 ; il faut donc penser que ses informations furent recueillies
au cours d’une période allant des années 1820 à 1851. En 1855, Kohl fit l’acquisi-
tion de cinq autres textes sélectifs accompagnés des gloses de leurs figures (en
anglais ou en français) ; son livre fut publié en 1859, traduit en anglais quelques
années plus tard, mais il semble n’avoir obtenu aucun écho dans le milieu
savant international (malgré Hoffman 1896, p. 106-108). Hoffman publia vingt-
trois gloses de chants (toutes en ojibwa et en anglais) avec leurs transcriptions
sélectives dans son ouvrage de 1891 et Mallery fit de même, dans sa synthèse
de 1893, pour sept gloses inédites et six reprises du livre d’Hoffman. Il s’agit là
des seuls corpus publiés que nous estimons à peu près fiables.
75 Fig. 17a [1] ; fig. 17b [2] ; fig. 17f [3] ; fig. 17g [1] et [3] ; fig. 17h [2] ; fig. 17i [4].
76 « Maintenant je l’entends, amis du Mide » (Tanner 1956, p. 341) ; « J’entends ce
qui sort de ta bouche, manitou » (Tanner 1956, p. 345).
77 Fig. 17g [1] ; fig. 17h [2].
78 Fig. 17b [5] (« Je suis un manitou », Tanner 1956, p. 346) ; fig. 17c [2], [3] et [8] ;
fig. 17d [4], [5] et [23] ; fig 17e [15] ; fig. 17f [2] (« Mes peintures font de moi un
manitou », Tanner 1956, p. 369).
79 Fig. 17d [1], [2], [3] et [26].
80 Sur l’iconographie de ces figures animales et leurs fréquences, voir Fulford
1989.
81 Fig. 17d [20] ; fig. 17g [4] et [7].
82 Fig. 17a [4] ; « Par cet oiseau, l’homme-médecine fait référence à lui même »
(commentaire d’Edwin James, in Tanner 1956, p. 342) ; fig. 17c [4].
83 Fig. 17b [1], [3] et [4] ; fig. 17e [16] ; fig. 17h [6].
84 Fig. 17e [1].
85 Fig. 17d [11], [13], [16] et [22] ; fig. 17e [14] ; fig. 17h [1], [3] et [5].
86 Fig. 17d [7] et [21].
87 Fig. 17c [9] ; fig. 17d [12].
88 « Je vole » (comme un aigle ou un faucon, Tanner 1956, p. 342) ; « Je marche dans
la nuit » (comme un lynx, Tanner 1956, p. 344) ; « Je suis un lynx » (Tanner 1956,
p. 346) ; « Je marche comme un ours » (Tanner 1956, p. 363) ; « Je suis un castor »
(Tanner 1956, p. 365) ; « Je fais de moi un serpent noir » (Tanner 1956, p. 376).
89 Fig. 17a [2] et [10] ; fig. 17b [4] ; fig. 17c [9] ; fig. 17d [13].
90 Fig. 17a [7], une figure d’ours : « Il s’agit de l’homme-médecine déguisé sous la
peau de l’ours » (commentaire de James, in Tanner 1956, p. 343).
91 Fig. 17e [4] ; fig. 17f [4] ; fig. 17g [2]. Probablement une forme d’acquisition des
pouvoirs des Blancs.
92 Fig. 17d [8], [16] et [18] ; fig. 17e [3] ; fig. 17g [1].
93 Fig. 17b [6] ; fig. 17e [9].
94 Fig. 17d [6] ; fig. 17h [4].

211
notes
95 Fig. 17b [5] ; fig. 17f [3].
96 Fig. 17d [15] ; fig. 17e [8] et [20].
97 « Je tire dans ton cœur, j’atteins ton cœur, ô animal, ton cœur, j’atteins ton
cœur » (Tanner 1956, p. 342) ; fig. 17c [6] ; fig. 17e [10] ; fig. 17f [6].
98 Fig. 17e [5].
99 Fig. 17a [6] et [10].
100 Fig. 17c [7] ; fig. 17e [7].
101 Fig. 17a [7] ; fig. 17d [14] et [27] ; fig. 17e [18] et [21].
102 Fig. 17e [2].
103 Fig. 17a [9] ; fig. 17e [11] et [13] ; fig. 17f [8] et [9].
104 Cette analyse est bien évidemment assez hypothétique. Elle ne permet ni
de comprendre les relations sémiotiques précises qu’entretenaient chants
et textes sélectifs, ni d’analyser l’iconographie dans toute sa richesse. Par
exemple, il semble que certaines figures permettaient de condenser une
double signification : la plume et la plante y apparaissaient comme des flèches
(fig. 17d [15]), le serpent comme le pôle de la loge chamanique (fig. 17d [22]), la
baguette du tambour comme un crucifix (fig. 17f [3]) ou le cœur de l’animal
comme un chaudron (fig. 17d [10] ; fig. 17f [10] ; Tanner 1956, p. 380), raccourci
saisissant traduisant parfaitement l’objectif pratique du chant chamanique.
105 Kohl 1985, p. 150.
106 Ibid., p. 150-151.
107 Le même malentendu se répète un peu plus tard, Ibid., p. 163.
108 On trouve peut-être une référence plus précoce à ce genre de charte dans
Warren (1984, p. 25), où il est question de hiéroglyphes dénotant la Terre d’après
le déluge.
109 Dans un texte tardif (1897, p. 168), Hoffman va jusqu’à affirmer que cette tradi-
tion serait vieille de quatre ou cinq siècles.
110 Hoffman 1888, p. 217 ; 1891, p. 165.
111 Hoffman 1888, p. 218.
112 Hoffman 1891, p. 166-171.
113 Ibid., p. 175-179.
114 Warren 1984, p. 78 ; Landes 1968, p. 95, p. 103.
115 Hoffman 1891, p. 166.
116 Ibid., p. 172.
117 Vecsey 1983b ; cet article étudie et classifie les vingt-six variantes connues du
mythe d’origine du Midewiwin.
118 Hoffman 1891, p. 174.
119 Ces chartes cosmogoniques spécialisées sont nommées « chartes d’origine »
par Dewdney 1975, chapitre 4, et Nelson 1983, p. 221-222. On en trouve différents
exemples diversement développés dans Jones 1919, p. 322 ; Cadzow 1926b, p. 125 ;
Nelson 1983, p. 231.
120 Hoffman 1891, p. 166-167 ; plus explicitement : p. 176-177, dans la narration de
Sikas’sige.
121 Skinner 1920, p. 24-83.
122 On pourra se référer aux nombreux textes édités par Truman Michelson mais
rédigés par des Meskwakis qui transcrivent, à l’intérieur du mythe d’origine de
transmission d’un paquet cérémoniel, une description complète de la liturgie
du rituel ; voir les Bulletins of the Bureau of American Ethnology 72, 85, 87, 89, 95
ou 105.

212
chapitre vi
123 Ces chartes sont les plus souvent reproduites dans la littérature ; par exemple,
Densmore 1929, p. 91, ou Landes 1968, p. 82-83. Elles sont nommées par
Dewdney (1975, chapitre 6) des « chartes de maître » ; voir aussi Nelson 1983,
p. 222-225. Elles étaient parfois séparées en quatre chartes spécifiques, une
pour chaque degré initiatique.
124 Hoffman 1891, p. 170. On retrouve ce chemin figuré différemment dans la
charte de Sikas’sige (Hoffman 1891, planche 4) ou encore représenté seul dans
Densmore 1910, p. 24. Voir aussi Tanner 1956, p. 189.
125 Ces chartes sont nommées « chartes de la loge fantôme » dans la classification
de Dewdney 1975, chapitre 7, et de Nelson 1983, p. 225. Hoffman 1891, p. 279, en
offre la première reproduction connue. Voir aussi Landes 1968, p. 200.
126 C’est très clair dans la charte du chamane nommé Ojibwa (Hoffman 1891,
planche 8).
127 Kohl 1985, p. 215-217.
128 Hoffman 1891, p. 179.
129 Vansina. 1985, p. 23-24.
130 Vennum 1978, p. 761-762.
131 Ibid., p. 768 sq.
132 Ibid., p. 756. On trouvera d’autres reproductions de « chartes de migration »
dans Dewdney 1975, chapitre 5.
133 Schoolcraft 1851-1857, vol. 1, p. 361.
134 Ibid., vol. 1, p. 384.
135 Kohl 1985, p. 145 ; voir aussi Mason 1997, p. xviii.
136 Vecsey 1983a, p. 187-190 ; Peers 1994, p. 168-169.
137 Warren 1984, p. 71.
138 Kohl 1985, p. 163 ; voir aussi, plus tardivement, Densmore 1938, p. 175.
139 Ibid., p. 200.
140 Ibid., p. 200-201 ; on trouve une variante tardive de cet épisode dans Landes
1968, p. 91-92.
141 Lorsqu’il établit la liste des influences possibles du christianisme sur le
Midewiwin, Vecsey (1983a, p. 179-182) inclut l’idée de la Bible dont les écrits
sélectifs chamaniques dériveraient par émulation. S’il est impossible d’ap-
porter la preuve du contraire (les Ojibwas ayant entretenu des relations avec
les missionnaires jésuites depuis longtemps), il nous semble néanmoins que
l’analogie entre Bible et écriture sélective constitua un phénomène a posteriori.
142 Graham 1975 ; Vecsey 1983a, p. 26-58 ; MacLean 2005 ; Servais 2005.
143 Densmore 1929, p. 78.
144 On sait par l’ensemble des sources qui nous sont parvenues que certains indi-
vidus étaient à la fois Mide et Jaasakid ; là n’est pas l’important : ce que nous
souhaitons souligner dans les paragraphes qui suivent (qui reprennent, pour
l’essentiel, les données présentées dans Hallowell 1942), c’est la différence et
la complémentarité des deux configurations institutionnelles. Sur la rivalité
entre Mide et Jaasakid, on consultera Bourgeois 1994, p. 57-58.
145 Certains Jaasakid devenaient célèbres grâce à la pertinence de ces innovations ;
par exemple, Shagwawkosink et Aiskawbawis (Tanner 1956, p. 180-190) ou
Akiwenski et Akojah (Servais 2005, p. 523).
146 L’opposition est proche de celle entre gourou et illusionniste proposée par
Barth 1990 ; néanmoins, si ce dernier en développe les conséquences au
niveau des dynamiques internes de chacun des pôles, dans le cadre d’une

213
notes
anthropologie de la connaissance développée ensuite par Whitehouse 2000,
nous souhaitons ici insister sur la dynamique interactionnelle qui s’établit
entre chaque pôle lorsqu’ils coexistent au sein d’une même société.
147 On remarquera que certaines versions du mythe d’origine du Midewiwin
racontent que la société chamanique a été fondée à la suite d’une vision par un
prophète, parfois nommé Cutfoot – vision fondatrice qui ne put, par la suite,
qu’être récitée et non ré-expérimentée (Landes 1968, p. 109-111 ; Vecsey 1983b,
p. 453-454).
148 Schoolcraft 1851-1857, vol. 1, p. 390.
149 On trouvera des reproductions de dessins de Jaasakid dans Schoolcraft 1851-
1857, vol. 1, p. 390-395 ; Kohl 1985, p. 400-404 ; Hoffman 1891, p. 252.
150 Kohl 1985, p. 385-386. On remarquera la dernière image du dessin : le scribe s’y
est représenté lui-même donnant à Kohl un dessin représentant le contrat
passé entre eux afin que soit élaboré le dessin…
151 Reagan 1922 – l’écriture utilisée est définie comme « possédant des valeurs
phonétiques similaires au français » (p. 332). Sur l’histoire des usages ojibwas
de l’écriture : Corbiere 2003, MacLean 2005 et Servais 2005, p. 36-38.
152 Blessing 1977, p. 38, p. 42 ; Vennum 1978, p. 757.
153 Howard 1965b, p. 143.

notes du chapitre vii


1 Howard 1965a.
2 Long 1989.
3 Voir néanmoins les hypothèses d’Hickerson (1963 et 1988) qui évoque comme
concurrents directs du Midewiwin au moment de sa constitution la fête des
morts importée dans la région par les Hurons et la liturgie catholique importée
par les Jésuites.
4 Cela ne signifie évidemment pas que l’invention d’une écriture était une consé-
quence nécessaire de cette configuration institutionnelle ; c’est l’inverse qui
est vrai : la configuration institutionnelle propre au Midewiwin constitua une
condition nécessaire (et peut-être suffisante pour les Ojibwas) à l’invention
d’une écriture.

notes de la conclusion
1 Il convient de préciser d’emblée que la bipartition entre une écriture des dis-
cours épistémologiques et une écriture des chants liturgiques semble se limi-
ter aux rituels amérindiens dont nous avons reconstitué l’histoire : elle ne réap-
paraît pas de manière évidente dans les autres inventions scripturaires dont
nous avons connaissance, à l’exception du prophétisme des peuples kapon et
pemon des Guyanes (Déléage 2012).
2 Sur les chamanismes des Navajos, on consultera Morgan 1931, Wyman 1936,
Leighton et Leighton 1949, Reichard 1950 et aussi, pour un point de vue
contemporain, Begay et Feltes-Strigler 2010 ; sur leurs peintures de sable,
Wyman 1983, Reichard 1939, Newcomb et Reichard 1937, et Parezo 1991 ; sur
leurs écritures sélectives, Fishler, Newcomb et Wheelwright 1956, et Déléage
2011 ; sur leur attitude vis-à-vis de l’écriture intégrale, qui fut longtemps exclu-
sivement associée à la langue anglaise, Young 1977 et Lockard 1995.
3 Sur les chamanismes et les écritures des Kunas : Nordenskiold 1928-1930 et
1931 ; Holmer et Wassen 1953 et 1963 ; Chapin 1983 ; Severi 1994, 1996 et 1997 ;

214
chapitre vi-vii-conclusion
Howe 2009. Cette écriture sélective a peut-être également été employée par les
Bribris, voisins des Kunas (Guevara-Berger 1993, p. 383-384).
4 Boone 2000 et 2007 (le seul texte concernant un discours rituel religieux qui
nous soit parvenu est contenu dans le Codex Borgia).
5 La « lecture » de ces listes différait très probablement de celle, linéaire, des
autres textes rituels, panégyriques ou religieux ; en effet, elles étaient certai-
nement utilisées pour déterminer, à partir d’une date donnée, une série de pro-
cédures rituelles incluant offrandes et sacrifices (Nowotny 2005). La logique
de cette lecture combinatoire était donc bien plus comparable à celle des
hexagrammes du Yi Jing chinois ou des configurations de cauris dans la divina-
tion ifa des Yorubas.
6 C’est particulièrement clair dans le cas de la lecture du Codex Boturini présentée
dans Johansson 2004.
7 Voir néanmoins Marcus 1992 ou Taube 2000 et 2011.
8 On sait que l’écriture sélective mixtèque utilisa très tôt des principes phono-
graphiques tels que le rébus pour noter les éléments variables (noms propres
et toponymes) des discours ciblés (Smith 1973). Ce fait nous fournit l’occasion
de rappeler que la différence entre écriture sélective et écriture intégrale n’est
pas fondamentalement liée à la présence ou à l’absence d’une notation phoné-
tique : c’est la sélectivité agencée à une structure formelle préalable qui défi-
nit la logique sélective et non le type de relation, médiatisée ou non par une
forme acoustique, qui s’établit entre un signe et son référent. Il est ainsi pos-
sible d’imaginer une écriture sélective dont chacun des signes serait un mot
codé dans une écriture phonographique. C’est d’ailleurs, toutes choses égales
par ailleurs, le cas dans de nombreux monuments aux morts érigés en Europe
à la suite de la Première Guerre mondiale : ils apparaissaient comme une liste
de noms propres transcrits en écriture latine et gravés sur une stèle. Ces noms,
dans le contexte d’un rituel annuel, devaient être récités à voix haute par
des enfants, l’un après l’autre, encadrés par une formule constante (telle que
« mort pour la France » ou « mort au champ d’honneur ») qui n’était enregistrée
que par la mémoire orale (Prost 1984).
9 Fischer 1997 ; voir aussi Guy 1998.
10 Guy 1990.
11 Parmi les autres techniques d’inscription qui trouvent leur place dans ce
champ comparatif, on ne fera que signaler les khipus andins (Brokaw 2003 ;
Déléage 2007), les chapelets émérillons (Déléage 2010) et les cordelettes iatmul
(Severi 2007, chapitre i). On remarquera aussi que des systèmes héraldiques
purent dans certains contextes cérémoniels devenir des écritures sélectives,
par exemple dans le cas des armoriaux peut-être récités par les hérauts dans
le cadre des tournois médiévaux (Van den Neste 1996, p. 117) ou dans celui de
l’appel des chefs dans le cadre de la cérémonie de condoléance de la ligue des
Iroquois (Fenton 1950).
12 Pour une introduction à l’histoire des écritures cryptographiques, Singh 1999.
Durant la Renaissance européenne, de nombreux traités expliquant les règles
de nouvelles écritures universelles reposèrent sur un principe semblable à
celui des cryptographies ; certains érudits s’illustrèrent d’ailleurs aussi bien
dans l’invention de ces polygraphies que dans celle de diverses formes de cryp-
tographies, à l’instar d’Athanasius Kircher (Wilding 2001 ; Godwin 2009). On
remarquera cependant que personne, si ce n’est leur inventeur, n’employa ces

215
notes
écritures universelles qui n’eurent donc jamais l’occasion de se stabiliser.
13 Déléage 2009c, p. 86-90 et p. 111.
14 Schmidt 1997 ; Déléage 2013.
15 Gaillemin 2011.
16 Au contraire des écritures secondaires telles que les techniques cryptogra-
phiques et les codes de communication fondés sur la segmentation phonétique
d’écritures phonographiques (sténographie, dactylologie, morse, braille, etc.)
qui, étant susceptibles de recoder n’importe quel texte, font l’objet d’usages
détachés (Kendon 1988, p. 430).
17 La prédicatrice chrétienne inuit Lily Ekak Savok (Ray 1996, p. 47-52) créa éga-
lement au début du xxe siècle une écriture attachée (développée ensuite par
Edna Kenick – voir Hammerich 1977 et Griffin 2010) en partie comparable à
l’ensemble des écritures secondaires d’évangélisation.
18 Elle fournit aussi l’occasion de faire le point sur les principales caractéristiques
des trois grandes techniques d’inscription du discours que sont les écritures
sélectives, les écritures intégrales et les écritures secondaires – dont une pre-
mière approche a été présentée dans Déléage 2009c. Les écritures sélectives
sont toujours attachées ; elles sont généralement logographiques, même si cer-
taines d’entre elles font usage de divers principes phonographiques. Les écri-
tures intégrales sont toujours phonographiques, même si nombre d’entre elles
(voire toutes) font aussi usage de principes logographiques ; elles sont par-
fois attachées mais toujours potentiellement détachables. Les écritures caté-
chétiques secondaires sont toujours attachées ; elles sont parfois sélectives et
parfois intégrales, et il existe des dynamiques historiques au cours desquelles
certaines écritures secondaires sélectives devinrent intégrales et vice-versa
(Gaillemin 2011) ; elles sont généralement logographiques mais font assez sou-
vent usage de principes phonographiques.
19 Anderson et Basso 1973. Chaque symbole de cette écriture désignait une ligne
du chant, donc l’encodage était d’une part celui de la succession linéaire
et d’autre part celui d’un élément pertinent de la ligne, qui pouvait, mais
pas nécessairement, être une variable au sein d’une courte suite d’énoncés
parallélistes.
20 Kessel 1976, p. 155-177.
21 D’autres écritures sélectives attachées, qui furent élaborées et utilisées dans
des contextes où une ou plusieurs écritures intégrales étaient déjà assez lar-
gement diffusées, sont peut-être analysables selon des termes semblables, par
exemple l’écriture des chamanes naxi du Yunnan (Jackson 1979 ; Hsu et Oppitz
1998) ou celle de certains spécialistes rituels iban à Bornéo (Harrisson 1966 ;
Masing 1997).
22 Névot 2001 et 2008. Depuis les années 1980, le statut de cette écriture s’est sen-
siblement modifié, à l’initiative des instances dirigeantes locales, et elle tend à
devenir détachée.
23 Sur les conditions sociales des inventions récentes d’écritures intégrales (atta-
chées ou détachées) : Kroeber 1940, Dalby 1970, Harbsmeier 1988 ou Monaghan
2008.
24 Abasiattai 1989. Un peu plus tôt dans le même pays, le prophète yoruba
Josiah Oshitelu inventa lui aussi une écriture attachée mais il semble qu’il n’es-
saya pas de la propager parmi ses fidèles (Probst 1989).
25 Culas 2005 ; Smalley et al. 1990, p. 157.

216
conclusion
26 On remarquera que les syllabaires cris, athapascans (Morice 1902 ; Mulhall
1986) et inuits (Harper 1983 et 1985), élaborés par des missionnaires chrétiens
à la suite de James Evans, furent utilisés, au moins dans un premier temps,
comme des écritures attachées (aux prières et aux institutions rituelles chré-
tiennes). On pourrait dire la même chose de l’écriture intégrale inventée en
Alaska par le Yupik Uyaquk, dans la mesure où elle n’était destinée qu’à trans-
crire des discours chrétiens (Schmitt 1951 ; Senft 1955). Il serait même possible
de soutenir que l’entreprise planétaire de traduction de la Bible, par les mis-
sionnaires linguistes formés au Summer Institute of Linguistics, en des langues
dont ils créent, par la même occasion, l’écriture (en utilisant les caractères
latins), participe de ce régime de l’écriture attachée, au moins dans un premier
temps.
27 Par exemple, Goody 1968 ou Houston 2004c.
28 Précisons d’emblée que les réflexions que nous allons présenter à propos de
ces quatre écritures se fondent sur ce qui est connu des textes qui nous sont
parvenus jusqu’à présent. Les biais induits par les modalités hasardeuses de
leur conservation sont innombrables ; c’est pourquoi l’usage du conditionnel
est de rigueur.
29 Houston 2004a, p. 6 ; Houston 2004c, p. 238-239.
30 Sur ces « précurseurs » iconographiques des écritures, on consultera Glassner
2000 et les contributions réunies dans Houston 2004a et Vernus 2011.
31 Daniels 1996, p. 585 ; Boltz 2000. Cependant ni l’égyptien, dont la transcription
phonographique est consonantique, ni le maya, à morphologie affixale et large-
ment polysyllabique, ne correspondent à ce critère.
32 Par exemple, Goody 1994, p. 46, qui synthétise de nombreux travaux sur l’ori-
gine de ces écritures.
33 Houston 1994 ; Postgate, Wang et Wilkinson 1995, dont les données empiriques
peuvent aisément être retournées contre leur thèse ; voir aussi les contribu-
tions réunies dans Houston 2004a et Vernus 2011.
34 Glassner 2011, p. 16-18.
35 Postgate, Wang et Wilkinson 1995, p. 475 ; Glassner 2000, p. 18 ; Houston, 2004a,
p. 12 ; Houston 2004c, p. 234-237.
36 Sur l’écriture cherokee : Sarbaugh et Walker 1993 ; Cushman 2010. Sur l’écriture
vaï : Dalby 1970 ; Kotei 1977 ; Hair et Tuchscherer 2002. Sur l’écriture bamoum :
Dugast et Jeffreys 1950 ; Tardits 1980. Benedict Anderson (1996) fournit un bon
cadre théorique pour interpréter ces inventions.
37 Friedrich 1938 ; Schmitt 1951 et 1963.
38 Harbsmeier 1988.
39 Kroeber 1940 ; Tuchscherer 2007.
40 Dalby 1970 ; Kotei 1977 ; Harbsmeier 1988 ; Cooper 1991 ; Sarbaugh et Walker
1993 ; Anderson 1996 ; Hair et Tuchscherer 2002 ; Cushman 2010. On remar-
quera d’ailleurs que, très souvent, les premiers textes diffusés employant ces
écritures furent des méthodes d’apprentissage de la lecture.
41 Trigger 2004.
42 Damerow 1999, p. 2-3 ; voir aussi Glassner 2000 et Cooper 2004.
43 Baines 1983 et 2004 ; Vernus 2011.
44 Assman 2010.
45 Sur les « maisons de vie » égyptiennes : Baines 1983 ; sur les écoles mésopota-
miennes : Glassner 2005.

217
notes
46 Ce qui pose évidemment le problème du fossile manquant ; il a été proposé de
voir les origines iconographiques de l’écriture chinoise dans certaines tradi-
tions décoratives ou emblématiques.
47 Vandermeersch 1994 ; Venture 2002 ; Bagley 2004.
48 Les textes de San Bartolo (Guatemala) remontent jusqu’à 400 av. J.-C. (Beltrán,
Saturno et Stuart 2006).
49 Houston 2004b.
50 Taube 2000.
51 Houston 1994 et 2000 ; Grube 1998.
52 Houston 2000, p. 150 ; Houston 2008 développe également la notion de « com-
munauté d’écriture ».
53 Même si cette stabilité ne doit pas être exagérée : comme toutes les écritures
intégrales, l’écriture maya connut de nombreuses modifications au cours de
son histoire (Houston 2000 et 2011).

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235
table des illustrations

Figure 1
Le grand livre du prophète Neolin
Source : LOUDON, Archibald (ed.) (1808), A Selection of Some of the Most Interesting
Narratives of Outrages Committed by Indians in Their Wars With the White People, Press of
A. Loudon, Carlisle, tome 1, p. 274.

Figure 2
Carte eschatologique du prophète Kenekuk
Source : MOONEY, James (1973, 1ère éd. 1896), The Ghost-Dance Religion and Wounded
Knee, Dover, New York, p. 694.  

Figure 3
Le prophète Kenekuk
Source : Kee-án-ne-kuk, chef de la tribu, 1830, George Catlin, huile sur toile
(73,7 × 60,9 cm), don de Mme Joseph Harriso, Jr. Smithsonian American Art Museum,
Washington D. C.

Figure 4
Ahtónwetuck, disciple de Kenekuk, récitant sa prière
Source : Ah-tón-we-tuck, Le Dindon, récitant sa prière, 1830, George Catlin, huile sur
toile (73,7 × 60,9 cm), don de Mme Joseph Harrison, Jr. Smithsonian American Art
Museum, Washington D. C.

Figure 5
Mashéena, un autre disciple de Kenekuk
Source : Ma-shée-na, Bois de Wapiti, un sous-chef, 1830, George Catlin, huile sur toile
(73,7 × 60,9 cm), don de Mme Joseph Harrison, Jr. Smithsonian American Art Mu-
seum, Washington D. C.

237
table des illustrations
Figure 6
Onsáwkie, disciple potawatomi de Kenekuk
Source : On-sáw-kie, Le Sauk, en train de prier, 1830, George Catlin, huile sur toile
(73,7 × 60,9 cm), don de Mme Joseph Harrison, Jr. Smithsonian American Art
Museum, Washington D. C.

Figure 7
La Bible kickapoo
Source : HOWARD, James H. (1965 a), « The Kenakuk Religion: An Early 19th Century
Revitalization Movement 140 Years Later », Museum News (South Dakota Museum), 26
(11-12), p. 47.

Figure 8
Premier hymne du Cree Syllabic Hymn Book de James Evans (1841)
Source : EVANS, James (1954), Cree Syllabic Hymn Book, Bibliographical Society of
Canada, Toronto, Facsimile Series n° 4, p. 13.

Figure 9
Le « tir » du migis
Source : HOFFMAN, Walter James (1891), « The Midewiwin or Grand Medicine
Society of the Ojibwa », Seventh Annual Report of the Bureau of American Ethnology,
p. 192.

Figure 10
Poteaux funéraires armoriés
Source : SCHOOLCRAFT, Henry R. (1851), Historical and Statistical Information respecting
the History, Condition and Prospects of the Indian Tribes of the United States, Lippincott,
Grambo & Co, Philadelphie, vol. 1, p. 355.

Figure 11
Recensement ojibwa
Source : SCHOOLCRAFT, Henry R. (1851), Historical and Statistical Information respecting
the History, Condition and Prospects of the Indian Tribes of the United States, Lippincott,
Grambo & Co, Philadelphie, vol. 1, planche 61.

Figure 12
Une carte ojibwa
Source : DENSMORE, Frances (1929), « Chippewa Customs », Bulletin of the Bureau of
American Ethnology, 86, p. 178, figure 19.

Figure 13
Emblème de vision peint sur une couverture
Source : DENSMORE, Frances (1929), « Chippewa Customs », Bulletin of the Bureau of
American Ethnology, 86, planche 32 b.

Figure 14
Figures de gibier
Source : TANNER, John (1956, 1ère éd. 1830), A Narrative of the Captivity and Adventures of
John Tanner, Ross & Haines, Minneapolis, p. 182.

238
table des illustrations
Figure 15
Un initié copiant un texte sélectif
Source : HOFFMAN, Walter James (1895), The Beginnings of Writing, Macmillan & co,
Londres, frontispice.

Figure 16
Texte sélectif gravé sur écorce de bouleau recueilli par Walter Hoffman (chant d’initiation).
Source : National Museum of Natural History, Smithsonian Institution, Washington
D. C., Anthropology Collection, numéro de catalogue E153151‑1. Photographie de Pat
Henkle.

Figure 17
Le corpus d’écrits sélectifs publié par Edwin James
Source : TANNER, John (1956, 1ère éd. 1830), A Narrative of the Captivity and Adventures
of John Tanner, Ross & Haines, Minneapolis.
Figure 17 a. Chant de Mide pour la chasse, p. 341-344.
Figure 17 b. Chant de Mide, p. 345-347.
Figure 17 c. Chant de Mide pour la chasse, p. 348-350.
Figure 17 d. Chant pour la chasse, p. 351-362.
Figure 17 e. Chant pour la chasse, p. 363-368.
Figure 17 f. Chant pour la chasse, p. 369-372.
Figure 17 g. Chant thérapeutique, p. 373-375.
Figure 17 h. Chant thérapeutique, p. 376-378.
Figure 17 i. Chant de guerre, p. 379-380.

Figure 18
Charte du Midewiwin publiée par Johann Georg Kohl
Source : KOHL, Johann Georg (1985, 1ère éd. 1855), Kitchi-Gami. Life Among the Lake
Superior Ojibway, Minnesota Historical Society Press, St. Paul, p. 150.

Figure 19
Charte de Red Lake
Source : HOFFMAN, Walter James (1891), « The Midewiwin or Grand Medicine
Society of the Ojibwa », Seventh Annual Report of the Bureau of American Ethnology,
planche 3.

Figure 20
Charte d’origine de Sikas’sige
Source : HOFFMAN, Walter James (1891), « The Midewiwin or Grand Medicine
Society of the Ojibwa », Seventh Annual Report of the Bureau of American Ethnology,
planche 5.

Figure 21
Combinaison d’une charte d’origine et d’une charte des quatre degrés
Source : HOFFMAN, Walter James (1891), « The Midewiwin or Grand Medicine So-
ciety of the Ojibwa », Seventh Annual Report of the Bureau of American Ethnology, p. 174.

239
table des illustrations
Figure 22
Charte d’origine publiée par William Jones
Source : JONES, William (1919), Ojibwa Texts, Publications of the American Ethnologi-
cal Society, New York, vol. 7, 2e partie, p. 322.

Figure 23 a
Charte de loge fantôme publiée par Walter Hoffman
Source : HOFFMAN, Walter James (1891), « The Midewiwin or Grand Medicine Society
of the Ojibwa », Seventh Annual Report of the Bureau of American Ethnology, p. 279.

Figure 23 b
Charte de loge fantôme publiée par Ruth Landes
Source : LANDES, Ruth (1968), Ojibwa Religion and the Midewiwin, University of Wis-
consin Press, Madison, p. 200.

Figure 24
Le destin de l’âme après la mort
Source : KOHL, Johann Georg (1985, 1ère éd. 1855), Kitchi-Gami. Life Among the Lake
Superior Ojibway, Minnesota Historical Society Press, St. Paul, p. 215.

Figure 25
Charte de migration
Source : HOFFMAN, Walter James (1891), « The Midewiwin or Grand Medicine Society
of the Ojibwa », Seventh Annual Report of the Bureau of American Ethnology, p. 179.

Figure 26
Vision de Jaasakid publiée par Henry Schoolcraft
Source : SCHOOLCRAFT, Henry R. (1851), Historical and Statistical Information respecting
the History, Condition and Prospects of the Indian Tribes of the United States, Lippincott,
Grambo & Co, Philadelphie, vol. 1, p. 390.

Figure 27
Visions de Jaasakid publiées par Walter Hoffman
Source : HOFFMAN, Walter James (1891), « The Midewiwin or Grand Medicine So-
ciety of the Ojibwa », Seventh Annual Report of the Bureau of American Ethnology, p. 252.

Figure 28
Le dessin d’un scribe ojibwa
Source : KOHL, Johann Georg (1985, 1ère éd. 1855), Kitchi-Gami. Life Among the Lake
Superior Ojibway, Minnesota Historical Society Press, St. Paul, p. 387.

Figure 29
Transcription alphabétique d’un chant du Midewiwin
Source : HOWARD, James H. (1965 b), The Plains-Ojibwa or Bungi: Hunters and Warriors
of the Northern Prairie, with special reference to the Turtle Mountain Band, University of
South Dakota, Vermillion, p. 143.

240
table des illustrations
Figure 30
L’écriture sélective navajo
Source : The Schøyen Collection, MS 4606, p. 36, Oslo et Londres.

Figure 31
L’écriture sélective kuna
Source : Début du chant du démon ; Carlo Severi, collection personnelle.

Figure 32
L’écriture sélective mixtèque
Source : Codex Zouche-Nuttall, planche 3, recto, British Museum.

Figure 33
L’écriture sélective de l’île de Pâques
Source : Santiago Staff ; FISCHER, Steven Roger (1997), Rongorongo. The Easter Island
Script. History, Traditions, Texts, Clarendon Press, Oxford, p. 451

Figure 34
L’écriture secondaire micmac
Source : Décalogue, première page ; KAUDER, Christian (ed) (1921, 1ère éd. 1866),
Manuel de prières, instructions et chant sacrés en hiéroglyphes micmacs, Micmac Messen-
ger, Restigouche, p. 76.

Figure 35
Écriture secondaire du Mexique
Source : Pater noster, extrait ; Bernand, Carmen (2009), Teotl. Dieu en images dans le
Mexique colonial, Presses universitaires de France / Fondation Martin Bodmer, Paris.

Figure 36
L’écriture sélective du prophète apache Silas John
Source : ANDERSON, Ned et BASSO, Keith H. (1973), « A Western Apache writing
system : the symbols of Silas John », Science, 180 (4090), p. 1014.

Figure 37
L’écriture attachée des chamanes nipas (texte rituel Mizhi de Lava)
Source : Aurélie Névot, collection personnelle.

Figure 38
L’écriture attachée de l’Oberi Okaime inventée par Michael Ukpong
Source : HAU, Kathleen (1961), « Oberi Okaime Script, Texts, and Counting System »,
Bulletin de l’Institut Français d’Afrique Noire, Série B : Sciences Humaines, 23 (1-2), p. 305.

Figure 39
L’écriture logo-syllabique maya
Source : Codex de Dresde, planche 30 ; THOMPSON, J. Eric S. (1972), A Commentary on
the Dresden Codex, The American Philosophical Society, Philadelphie.

241
remerciements

Cette enquête, entamée à Berkeley, s’est poursuivie entre Paris, Montréal,


Mexico et surtout New York où j’ai été accueilli à deux reprises par le dépar-
tement d’anthropologie de la New York University. Au cours des années, nom-
breux sont celles et ceux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à
rendre possible ce projet de longue haleine ; je tiens néanmoins à remercier
plus particulièrement Olivier Allard, Gil Bartholeyns, François Berthomé,
Capucine Boidin, Julien Bonhomme, Marie-Pierre Bousquet, Matthew
Carey, Pedro Cesarino, Jin Chen, Philippe Descola, Emmanuel de Vienne,
Philippe Erikson, Carlos Fausto, Bérénice Gaillemin, Jean-Jacques Glassner,
Andrea-luz Gutierrez Choquevilca, William Hanks, Christian Jacob,
Jacques Leroux, Olivier Morin, Johannes Neurath, Aurélie Névot,
Bambi Schieffelin, Carlo Severi, Charles Stépanoff et Anne-Christine Taylor.

243
table des matières

Introduction  7
Écritures et discours rituels

Cartes 21

Chapitre i  27
L’écriture de Charles Meiaskaouat, prédicateur montagnais

Chapitre ii  37
Le grand livre de Neolin, visionnaire delaware

Chapitre iii  55
La Bible de Kenekuk, prophète kickapoo

Chapitre iv  75
La charte d’Abishabis et de Wasiteck, prophètes cris

Chapitre v  83
Écritures de prophètes

Chapitre vi  91
L’écriture et les chartes du Midewiwin,
une société chamanique ojibwa

Chapitre vii  153


Écritures de chamanes et écritures de prophètes

Conclusion  159
Écritures attachées

Annexe  189
Récit de la vision de Neolin

Notes  195
Bibliographie  219
Table des illustrations  237
Remerciements  243
Ce ier volume de la collection « Graphê », publié aux Editions Les Belles Lettres,
a été achevé d’imprimer en avril 2013 par Schaubroeck (Belgique)

Numéro d’éditeur : 7619

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