Journal de Chirurgie Viscérale (2011) 148, 162—168

STAFF PUBLIC

Une contusion du foie. . .

A blunt hepatic trauma. . .

N. Chéreau , C. Trésallet ∗, H. Salepcioglu ,

G. Godiris-Petit , F. Menegaux

Service de chirurgie générale, viscérale et endocrinienne,

hôpital de la Pitié-Salpêtrière, univeristé Pierre-et-Marie-Cure (Paris VI), 47/83, boulevard
de l’Hôpital, 75013 Paris, France

Disponible sur Internet le 13 avril 2011

Présentation du cas clinique

Cette observation a été présentée au sixième Congrès francophone de chirurgie diges-
tive et hépatobiliaire, à Marne-la-Vallée, le 2 décembre 2010 lors de la séance de dossiers
cliniques. Le présentateur (Docteur Chéreau) fait des propositions, discutées par les ani-
mateurs (Docteur Sauvanet et Mariette), qui encouragent la salle à prendre la parole.
Docteur Chéreau : « Je vous présente le cas clinique d’une patiente prise en charge
à la Pitié-Salpêtrière à la suite d’un traumatisme hépatique. Il s’agit d’une patiente de
24 ans québécoise, sans antécédent, prise en charge à la suite d’une défenestration invo-
lontaire du troisième étage (en prenant des photos. . .). Elle est transférée, intubée avec
une instabilité hémodynamique initiale, une tension à 8/5 cmHg, une fréquence cardiaque
à 110/min, une hémoglobine à 8 g/dl nécessitant un remplissage, à l’admission par une
transfusion de huit culots globulaires et de six plasma frais congelés (PFC) associé à un
support tensionnel par noradrénaline. Le bilan lésionnel initial montrait un pneumotho-
rax droit, une fracture complexe du bassin, l’échographie retrouvait un hémopéritoine
modéré périhépatique, périsplénique et pelvien. Le scanner corps entier trouvait une frac-
ture du rachis lombaire non déplacée, une fracture complexe du bassin, un pneumothorax
droit, une dissection localisée de l’aorte à sa jonction thoraco-abdominale, une contusion
hépatique du foie droit avec hémopéritoine, une fracture du pôle supérieur du rein gauche
et une fracture de l’olécrâne droit. Sur les clichés tomodensitométriques (TDM), on peut
voir une contusion du foie droit de grade 5 sur la classification de Moore (destruction ou
dévascularisation d’un hémifoie), un hémopéritoine périsplénique et périhépatique (Fig.
1).
Chez cette patiente qui présentait une instabilité hémodynamique initiale, quelle doit
être la prise en charge en urgence du traumatisme hépatique ? »
Docteur Sauvanet : « Pour résumer, une touriste qui n’a pas profité de son séjour à
Paris, qui tombe par la fenêtre en faisant des photos et qui se casse plusieurs choses
dont le foie et le bassin, avec une instabilité hémodynamique qui a répondu au rem-
plissage (huit culots globulaires et six PFC). Que proposez vous ?

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : christophe.tresallet@psl.aphp.fr (C. Trésallet).

1878-786X/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.jchirv.2011.02.001
Une contusion du foie. . .
Figure 1. Tomodensitométrie abdominale : contusion du foie droit, hémopéritoine périhépatique et périsplénique.
1. surveillance ;
2. chirurgie en urgence pour packing ;
3. chirurgie en urgence pour hépatectomie ;
4. artério-embolisation ;
5. traitement en urgence de la dissection aortique.
Vous pouvez commencer à voter.
Docteur Letoublon : « C’est parce qu’elle est canadienne
que vous ne lui avez pas fait d’angioscanner. . .. »
Docteur Mariette : « C’est un bodyscanner de
débrouillage. Ce que l’on aurait fait dans beaucoup
de centres. »
Docteur Sauvanet : « Est-ce qu’elle avait un bon état
hémodynamique sur la table de scanner, parce qu’à la
TDM, il faut avoir une pression artérielle pour voir le sai-
gnement éventuel. Il y a un traumatisme du foie, une
fracture du bassin qui sont suspects d’être hémorra-
giques. »
Docteur Chéreau : « C’est ça. »
Docteur Mariette : « On vous laisse voter : 1) sur-
veillance en sachant que l’état clinique est à peu près
stabilisé, mais de façon précaire d’après ce que j’ai
compris ; 2) une chirurgie pour packing ; 3) une chirurgie
pour hépatectomie, puisqu’il y a une fracture impor-
tante du foie comme on vous l’a dit ; 4) privilégier une
artérioembolisation dans cette situation de saignement
hépatique et peut-être pelvien et ; 5) s’occuper de la
dissection aortique de première intention. »
Docteur Benoist : « On a dit qu’il y avait une fracture
complexe du bassin, est ce qu’il y a un hématome rétro-
péritonéal important ? »
Docteur Chéreau : « Non. »
Docteur Mariette : « Les réponses s’il vous plait. L’avis
de la salle : »
Docteur Sauvanet : « Monsieur Letoublon, vous avez
l’air déçu par l’avis de la salle. »
Docteur Letoublon : « Ce que je voulais dire, c’est que
l’angioscanner est plus efficace que l’artériographie pour
montrer une hémorragie, notamment dans le foie. C’est la
raison pour laquelle, la malade étant dans un état suffi-
sant pour être sur une table de scanner, il fallait lui faire
un angioscanner. S’il n’y avait pas de blush, ce n’était pas
la peine de l’emmener faire une artériographie. »
Docteur Sauvanet : « La TDM, vous l’avez faite dans
votre hôpital ou c’est une malade qui vous a été trans-
férée? »
Docteur Chéreau : « On l’a faite dans notre hôpital. »
Docteur Tresallet : « Pour préciser la prise en charge
de cette patiente : quand on a, à la Pitié-Salpétrière, des
163
polytraumatisés on fait de façon systématique un bodys-
can extrêmement rapide. La plupart du temps, il y a des
gestes derrière qui doivent conduire à une embolisation
et, compte tenu du plateau technique, du passage extrê-
mement simple du scanner à l’artériographie, on peut se
contenter d’un débrouillage scannographique pour prendre
une décision soit opératoire immédiate, soit une artérioem-
bolisation. Dans ce dossier, c’est l’embolisation qui a été
l’option choisie puisque, on va le voir par la suite, le sai-
gnement a été identifié. Enfin, les scanners sont faits à des
temps artériels qui sont bien conduits, ce qui correspond à
un très bon cliché d’artériographie. »
Docteur Tayard : « L’angioscanner est primordial pour
savoir ce qui saigne, si c’est le bassin ou le foie. À Henri-
Mondor, nous recevons pas mal de traumatisés de ce type.
Faire une artérioembolisation, d’accord mais de quoi, du
foie ou du bassin ? Pour décider, il faut avoir un angioscan-
ner. L’artériographie est beaucoup plus longue s’il faut tout
emboliser et le foie, s’il n’y a pas de flaque importante,
ne contribue pas forcément à l’instabilité ; ce peut être le
bassin. Donc, il est primordial d’avoir un angioscanner pour
choisir ce que l’on veut emboliser. »
Docteur Tresallet : « Je me suis peut être mal exprimé, les
clichés faits au temps artériel montrent, si l’examen est bien
fait, l’endroit qui saigne ; soit un blush, soit un saignement
d’origine osseuse, ou autre. »
Docteur Mariette : « Si l’on revient sur les clichés de
TDM, on a la cause ou une des causes potentielles de
l’hémorragie identifiée. »
Docteur Sauvanet : « On est peut être passé un peu vite
sur les images. Ce n’est pas un temps artériel mais cela
fuit quand même (Fig. 1). Donc, cela doit fuir au temps
artériel. Avançons, que dit l’artériographie ? »
Docteur Chéreau : « L’artériographie a trouvé des flaques
hémorragiques au temps artériel et parenchymateux dans le
foie droit et dans le petit bassin. Les clichés d’aortographie
ont trouvé des fuites du produit de contraste de l’artère
hépatique droite (Fig. 2a). Donc, une embolisation progres-
sive avec des microparticules résorbables a été réalisée et
les cliché post-embolisation sont témoins de l’efficacité du
geste (Fig. 2b). On a vu également un saignement à hau-
teur de l’artère hypogastrique gauche qui a été embolisée
(Fig. 3). La prise en charge non opératoire, avec l’apport
de l’artérioembolisation a été beaucoup développée dans
les traumatismes hépatiques, y compris sévères. Dans une
étude américaine de 2005, 561 patients ont été pris en
charge pour un traumatisme hépatique, avec une mortalité
globale de 9 % dont 3,7 % était lié au foie lui-même, 67 % des
patients ont eu une prise en charge non opératoire, avec une
164
Figure 2. Artériographie hépatique (a) et embolisation de l’artère hépatique droite (b) : la stagnation du produit de contraste au niveau
proximal est un témoin de l’efficacité du geste.
mortalité de 5 % versus 33 % pour une prise en charge opéra-
toire [1]. Si on adapte les résultats de cette étude à notre
patiente, qui avait une contusion hépatique de stade de gra-
vité 5, la mortalité peut être estimée à 4 % en cas de prise en
charge non opératoire contre 27 % si la prise en charge était
opératoire.
Par la suite, la patiente a été surveillée en unité de
soins intensifs où il a persisté une déglobulisation, avec
des transfusions itératives, deux culots globulaires et deux
PFC en raison d’une coagulation intravasculaire disséminée
(CIVD), avec un TP à 42 %, une insuffisance rénale aiguë,
une cytolyse, une cholestase avec un ictère, une biliru-
bine à 179 mol/L et une bilirubine conjuguée à 93 mol/L.
Cliniquement, on a remarqué que cette patiente avait
des saignements vaginaux importants, sans cause locale
identifiée. Devant la persistance de la déglobulisation à
j8 du traumatisme, on a réalisé une TDM, qui montrait
une majoration des foyers de contusion hépatique droit,
étendus au dôme, un mini saignement actif au centre
Figure 3. Artériographie de l’artère hypogastrique gauche (a) et son embolisation (b).
N. Chéreau et al.
de la contusion et une majoration de l’hémopéritoine
(Fig. 4). »
Docteur Sauvanet : « On est d’accord sur
l’interprétation des images, ça c’est encore un angios-
canner, il y a pas mal de produit de contraste dans
l’aorte, une fuite dans le parenchyme hépatique. On
continue. »
Docteur Chéreau : « Que proposez-vous pour la prise en
charge de cette malade qui continue à saigner à j8 du poly-
traumatisme et qui présente des troubles de l’hémostase
importants ?
1. poursuite de la surveillance et des transfusions ;
2. chirurgie en urgence pour hépatectomie ;
3. chirurgie en urgence pour packing ;
4. artérioembolisation.
Docteur Sauvanet : « Elle saignait en haut et en bas et
elle continue à saigner en haut et en bas. . . Mais cela ne
se manifeste pas tout à fait de la même façon. »
Une contusion du foie. . .
Figure 4. Tomodensitométrie abdominale (à j8) : majoration des foyers de contusion hépatique droits, étendus au dôme, saignement
actif minime dans la contusion (secteur antérolatéral droit, flèche) (a) ; majoration de l’hémopéritoine (b).
Docteur Mariette : « Votre stratégie chez cette patiente
qui continue à saigner avec des données un peu nouvelles,
c’est un bilan hépatique qui se perturbe fortement. Sur le
plan clinique, elle est plutôt stable mais il existe toujours
de signes indirects de saignement. »
Docteur Sauvanet : « Et vous continuez toujours à la
transfuser. »
Docteur Allac : « Pas de nouvelles de la dissection aor-
tique ? »
Docteur Chéreau : « Avis vasculaire et surveillance. »
Docteur Mariette : « La dissection vasculaire a été trai-
tée médicalement sur l’avis des spécialistes. »
Docteur Rivoire : « On a l’impression à la TDM qu’il y a
quelque chose dans le tronc cœliaque ? Ah non, il est sim-
plement collé devant l’aorte. Il n’y a pas de fuite. »
Docteur Kianmanesh : « Vous n’interprétez les transami-
nases et la perturbation du bilan hépatique que par le
traumatisme ou un peu par le bas débit et le fait que vous
ayez embolisé toute l’artère hépatique droite ? Car on sait
que quand il y a un bas débit (elle a 8 de tension) et que
l’on fait un nœud sur l’artère hépatique droite, l’ischémie
s’étend et c’est encore pire après. Est-ce que vous avez
interprété le bilan hépatique de cette façon ou pour une
autre cause comme une éventuelle bilémie associée ? »
Docteur Sauvanet : « En clair, la question est : quelle
est pour vous la ou les causes qui pourrait contribuer à
une cytolyse majeure, une cholestas ? Est-ce à la suite
de l’embolisation, est-ce que c’est en raison d’un héma-
tome, ou une autre cause de défaillance multiviscérale
s’installe-t-elle ? »
Docteur Chéreau : « Ce sont les suites de l’embolisation
et le fait aussi qu’il y a une défaillance multiviscérale. »
Docteur Sauvanet : « On peut reconnaître un foie
de choc, une hépatite ischémique dont la cytolyse
prédomine sur les ASAT. Je ne sais pas si chez un poly-
traumatisé, cela a autant de valeur. »
Docteur Mariette : « On peut avoir le vote de la salle. »
Docteur Sauvanet : « Même cause, même traitement :
‘‘artério-embolisation’’. Confiance renouvelée, alors que
c’était un échec. . . Double échec, on recommence. C’est
une boutade bien sûr, ce n’est pas une critique. »
Docteur Chéreau : « Réponse 4, nous avons fait une
seconde artériographie à j8 et nous avons trouvé un sai-
gnement de l’artère utérine droite qui a été embolisée
et un minime saignement de la branche hépatique du seg-
ment VIII.
En effet, l’artérioembolisation a montré son efficacité
dans plusieurs études avec une efficacité qui est de plus de
95 % dans les contusions sévères. Elle a montré un bénéfice
sur la diminution de la mortalité par rapport au traite-
ment chirurgical par packing avec une incidence élevée de
165
complications, mais liées au traumatisme hépatique. Les
échecs du traitement non opératoire avec artérioemboli-
sation varient en fonction des études de 7 à 15 % ; dans
plus de 50 % des cas, ce sont des saignements extrahépa-
tiques. Donc, la leçon qu’il faut tirer de l’échec supposé
de la première embolisation est qu’il faut rechercher une
hémorragie d’une autre origine.
Entre j8 et j11, la patiente était stable sur le plan hémo-
dynamique mais persistaient des troubles de l’hémostase
avec un TP inférieur à 50 %, une CIVD, une majoration
de l’insuffisance rénale aiguë nécessitant une dialyse et
apparition d’une hyperpression abdominale avec des pres-
sions intravésicales mesurées à 25 mmHg. Le syndrome du
compartiment abdominal était lié à l’hémopéritoine abon-
dant.
Que proposer à j11 à cette patiente qui est stable mais
qui présente des troubles importants de l’hémostase, qui
augmente ses pressions intra-abdominales et qui est main-
tenant dialysée ?
Docteur Mariette : « On vous invite à répondre aux
questions :
1. poursuite de la surveillance et correction des troubles
de l’hémostase ;
2. cœlioscopie évacuatrice — drainage ;
3. laparotomie — packing ;
4. ponction + drainage sous TDM de l’hémopéritoine ;
5. chirurgie pour hépatectomie.
Docteur Mariette : « En attendant les réponses,
comment avez-vous fait le diagnostic du syndrome du
compartiment abdominal ? »
Docteur Chéreau : « Par la mesure des pressions intravé-
sicales ».
Docteur Mariette : « Uniquement sur cet élément ou
associé aussi au tableau clinique, à la défaillance ? »
Docteur Chéreau : « Au tableau clinique ».
Docteur Mariette : « Parce que juste la pression, ça
peut être variable. Il y a des évolutions de la pression. »
Docteur Sauvanet : « Vous l’avez vu monter progressi-
vement cette pression ? »
Docteur Chéreau : « Oui, elle était déjà surveillée depuis
plusieurs jours. »
Docteur Mariette : « On me demande si les vaisseaux
rénaux étaient intacts. . . »
Docteur Chéreau : « Oui ».
Docteur Mariette : « ‘‘2’’ remporte la mise pour lever
l’hyperpression abdominale de façon élégante, c’est-à-
dire la cœlioscopie évacuatrice. Il semble que ce soit
le choix que vous ayez fait. Pour ceux qui ont voté
laparotomie, cela me semble défendable. Vous avez des
arguments contre la laparotomie ? »
166
Docteur Chéreau : « Elle avait toujours des troubles de
l’hémostase importants. La cœlioscopie est un geste plus
élégant. . . »
Docteur Mariette : « L’idée du packing, c’était
l’idée que lever l’hyperpression pouvait réactiver
l’hémorragie ? »
Docteur Chéreau : « Oui, enfin cela aurait pu être sim-
plement une laparotomie évacuatrice. »
Docteur Sauvanet : « Et packing si les lésions hépa-
tiques redevenaient hémorragiques en peropératoire, ce
qui est en effet une possibilité. »
Docteur Laurent : « Est-ce qu’à la cœlioscopie, c’était
un hématome et est-ce qu’une ponction sous scanner ou
sous écho aurait été envisageable ? Avec mise en place d’un
drain ? C’est une patiente qui a fait un tableau de CIVD très
abondante avec un gros saignement au départ et qui dans les
suites nécessite deux culots par jour, puis resaigne. La ques-
tion que l’on pouvait se poser, c’est : arrive-t-elle à faire des
caillots dans le ventre alors qu’elle n’en fait pas ailleurs ?
C’est pourquoi je pose la question de la ponction de façon
à faire baisser la pression. »
Docteur Moutardier : « Cette prise en charge n’est pas
binaire, cette petite a tout le monde autour d’elle. On peut
donc très bien commencer par une ponction sous scanner.
Si c’est compliqué, on fait la cœlioscopie, puis la laparoto-
mie si nécessaire. La prise en charge n’est pas binaire et je
pense que les trois réponses sont logiques, mais peut-être
successivement. »
Docteur Sauvanet : « Vous commencez par la laparoto-
mie ou j’ai mal compris. . . ? » (rires de la salle)
Docteur Tayard : « La cœlioscopie risque d’être difficile
dans ce contexte. Si vous faites une laparotomie, est-ce que
vous avez envisagé la pression négative (VAC)? Parce que
chez ces malades la fermeture n’est pas toujours facile et
on peut fermer sur un VAC intra-abdominal. Je suis d’accord
avec le docteur Laurent : on peut commencer par le moins
invasif, une ponction drainage sous scanner. Est-ce que la
cœlioscopie était difficile ?
Docteur Chéreau : « La cœlioscopie s’est très bien pas-
sée. On a évacué 5 L très liquides. »
Docteur Pruvot : « À ce délai là du traumatisme,
l’hémopéritoine est toujours liquide, il est souvent facile
à évacuer, on peut se passer de la laparotomie. La vraie
question est selon la formule du docteur Letoublon : va-t-
on trouver de l’« huile de vidange » ? C’est-à-dire un liquide
avec des signes indirects de fuite biliaire. »
Docteur Tresallet : « C’est ce que l’on voulait dire. La
cœlioscopie, dans ce contexte, a l’intérêt de lever le syn-
drome du compartiment abdominal mais aussi de faire un
premier bilan lésionnel et donc de voir s’il n’y a pas de
bile, si ce n’est pas un biliopéritoine. Elle a ce double
intérêt à la fois de lever le syndrome du compartiment
abdominal et d’explorer la cavité abdominale [2]. En effet
à j11, on trouve la plupart du temps un hématome qui
s’est totalement liquéfié, qui s’évacue relativement faci-
lement et de voir s’il y a de la bile. On aurait pu se
demander s’il n’aurait pas fallu faire la cœlioscopie un
peu plus tôt à j8, quand on lui a fait emboliser l’artère
utérine. »
Docteur Sauvanet : « J’ai certainement moins
l’habitude que certaines personnes dans la salle mais
on a quand même une obligation de résultat dans cette
indication. Il faut que l’on évite les complications du
syndrome d’hyperpression abdominale. Il faut donc faire
une évacuation maximum, totale, pour que la fonction
rénale reprenne, que la coagulopathie disparaisse. C’est
N. Chéreau et al.
donc un nettoyage complet qui est visé, on est d’accord. »
Docteur Laurent : « Sa fonction rénale n’est pas uni-
quement cassée par l’hyperpression abdominale. C’est
multifactoriel, elle a eu l’embolisation, beaucoup de trans-
fusions, c’est plutôt une nécrose, une nécrose tubulaire
aiguë (NTA) plutôt que le syndrome du compartiment abdo-
minal pur. La fonction rénale, elle va se rétablir après six
semaines de dialyse, donc le but du traitement c’est de faire
baisser la pression pour diminuer ce facteur de risque. »
Docteur Vibert : « Pour avoir été confronté à ce genre
de malade une fois. En fait, ce qui a largement amélioré
les choses, c’est que j’ai mis le trocart de cœlioscopie. Du
liquide rougeâtre est sorti pendant un quart d’heure, j’ai pu
regarder sur 5 cm et je suis parti. Finalement, le drainage
s’est fait par le trocart de cœlioscopie par lequel on a intro-
duit l’optique. Je crois que la cœlioscopie ‘‘exploratrice’’
dans ce genre de situation, ce n’est pas une réalité parce
qu’on n’explore rien. »
Docteur Mariette : « Je vous rappelle juste qu’on a indi-
qué cœlioscopie ‘‘évacuatrice’’ ».
Docteur Tresallet : « Ce n’est pas seulement une cœlio-
scopie ‘‘évacuatrice’’. Elle permet en outre de bien
décailloter, de bien voir et de faire un bilan lésionnel,
sans toucher au foie. Juste un point sur le syndrome du
compartiment abdominal et l’insuffisance rénale : de façon
assez surprenante, la levée du syndrome du comparti-
ment abdominal permet de rétablir une fonction rénale de
façon très rapide. Le mécanisme qui conduit à l’insuffisance
rénale dans ce syndrome n’est pas dû à une NTA mais
à un autre mécanisme de compression. Ce sont des
malades chez lesquels la fonction rénale reprend très
vite. »
Docteur Letoublon : « Je voulais d’abord confirmer que
le syndrome du compartiment abdominal donne un arrêt de
la diurèse et que l’on voit reprendre la diurèse sur la table
d’opération souvent. Par ailleurs, je suis tout à fait d’accord
sur la proposition d’une cœlioscopie évacuatrice. Il faut par-
fois convaincre les anesthésistes que l’on ne va pas encore
augmenter la pression mais au contraire la baisser, puis on
peut remonter à 12 mmHg pour faire l’exploration, on voit
très bien car le liquide s’aspire très facilement et dans un
second temps, il faut mettre des lames ou un drainage, car
après un tel traumatisme on a toutes les chances d’avoir des
lésions biliaires qui vont donner une fuite biliaire, qu’il faut
alors organiser. »
Docteur Mariette : « Sauvée par les experts ! »
Docteur Chéreau : « Donc, il s’agissait d’une cœlioscopie
évacuatrice qui a permis l’évacuation de 5 L d’un hémo-
biliopéritoine sans exploration de la zone de contusion et
un drainage aspiratif dans la cavité abdominale. Dans les
suites, on a assisté à l’arrêt complet du saignement et des
transfusions, l’amélioration progressive du TP et la norma-
lisation de la fonction rénale avec arrêt de la dialyse quatre
jours après la cœlioscopie évacuatrice.
Le syndrome du compartiment abdominal est défini
récemment par des pressions vésicales supérieures à
20 mmHg. Les causes sont multiples. Tout hémopéritoine
abondant menace un patient. Chez cette patiente, la
compensation des hémorragies par les transfusions est un
facteur aggravant, entraînant un hémopéritoine sous pres-
sion. Les conséquences, c’est la baisse du retour veineux,
l’ischémie viscérale, puis œdème réactionnel et donc un
cercle vicieux entraînant une insuffisance rénale aiguë, une
défaillance multiviscérale. La conduite à tenir dans tous les
cas c’est une décompression en urgence par cœlioscopie ou
laparotomie.
Une contusion du foie. . .
On a vu que le traitement non opératoire avec une
meilleure survie évitait une laparotomie initiale mor-
bide. Dans cette étude de M. letoublon [2], 257 patients
ont été pris en charge pour un traumatisme hépatique,
72 % ont eu un traitement non opératoire et une lapa-
rotomie/cœlioscopie secondaire a eu lieu chez 15 % des
patients ; 28 patients dont 22 interventions liées au trau-
matisme hépatique. Les complications rencontrées sont à
type d’hémorragie, syndrome du compartiment abdominal
ou syndrome inflammatoire abdominal. Ce traitement chi-
rurgical secondaire par laparotomie ou par cœlioscopie est
un complément et non un échec de la prise en charge initiale
non opératoire.
L’évolution entre j1 et j16 : le drain abdominal a donné
800 mL/24 h avec un aspect de fuite biliaire et un dosage de
la bilirubine qui était à dix fois le taux sérique. Il persis-
tait un syndrome inflammatoire mais, dans un contexte de
complication à type de pneumopathie à Enterobacter. Que
proposer devant cette fuite biliaire ?
1. Laparotomie, lavage-drainage, cholécystectomie et
drainage transcystique ;
2. Cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique
(CPRE) ± sphinctérotomie ;
3. Poursuite de la surveillance, avec antibiothérapie ;
4. TDM et drainage percutané.
Docteur Mariette : « On vous laisse répondre. Les élé-
ments nouveaux, c’est que la patiente s’est améliorée
sur le plan clinique mais il y a une fuite biliaire, comme
prédit par nombre d’experts dans cette salle, qui s’est
découverte par la levée de l’hyperpression. Est-ce que la
patiente est septique ? »
Docteur Chéreau : « Elle est septique mais avec une pneu-
mopathie importante. »
Docteur Sauvanet : « Est-ce qu’il y a des germes dans le
drainage biliaire ? Non, c’est une fistule a priori stérile. »
Docteur Mariette : « Alors qu’elle est votre stratégie de
prise en charge de cette fistule biliaire ? »
Docteur Sauvanet : « Qui intervient par laparotomie,
lavage-drainage, cholécystectomie et drainage transcys-
tique ? Qui confie la patiente à un endoscopiste ? Qui
poursuit la surveillance avec de simples antibiotiques
(j’imagine en pariant sur la fermeture de cette fistule
qui donne 800 mL) ? Qui draine en percutané le foyer de
contusion ? L’idée est de mettre un drain dans le foyer
de fracture là où doit siéger la fistule car, en général, la
fistule n’est pas loin de la lésion artérielle. »
Docteur Mariette : « On me souffle une cinquième
réponse : ‘‘mais la patiente est drainée !’’ En effet, il y a
de la bile qui coule par le drain et il n’y a pas de syndrome
septique majeur. »
Docteur Chéreau : « Pour proposer une surveillance
simple ? »
Docteur Sauvanet : « oui, c’est la réponse ‘‘3’’ avec
antibiothérapie. »
Docteur Mariette : « On ne vous interroge plus sur la
prise en charge du débit. Les résultats sont en faveur
de la réponse 2. Une majorité d’entre vous estime la
probabilité que la fistule qui donne 800 mL se tarisse
spontanément est faible. »
Docteur Sauvanet : « Le Docteur Pruvot n’a pas l’air de
partager l’avis de la salle. »
Docteur Pruvot : « Pour la première attitude, il ne faut
pas aller au devant des ennuis. La laparotomie avec cho-
lécystectomie pousse à la faute, c’est-à-dire aller dans le
foyer de fracture, ouvrir, drainer. Cela se remet à saigner
167
alors que ça n’a aucune raison de se remettre à saigner
spontanément. Il ne faut pas aller au devant de l’échec.
La CPRE chez une patiente de 33 ans, je ne suis pas trop
d’accord, surtout que, c’est C. Letoublon qui me l’a appris
récemment, ça pèse lourd dans le travail randomisé qui
est proposé à Toulouse sur les fuites biliaires post-résection
hépatique, le plus souvent périphériques, seront-elles trai-
tées par un drain transcystique mis en place au cours de
la résection hépatique ? C’est le même problème ici, c’est-
à-dire que la CPRE, avec la volonté de baisser la pression
dans la voie biliaire extrahépatique, n’a aucun impact sur
les fuites biliaires intraparenchymateuses. »
Docteur Sauvanet : « C’est CPRE plus ou moins sphinc-
térotomie, plus ou moins prothèse parce qu’il y a une
autre solution : si la plaie est sur un canal accessible à
une tutorisation, on met un drain. »
Docteur Letoublon : « Pour le moment, on n’a pas la
preuve que la bile soit infectée et si on fait ça, on est sûr
de transformer la bile non infectée en bile infectée. Je vou-
lais dire également que, dans notre expérience, toutes les
fuites biliaires que l’on a eus, ont toutes guéries spontané-
ment après ablation de la lame ; parfois en mettant jusqu’à
six semaines à deux mois. Donc, je ne pense pas que ce soit
une urgence et je prendrai la troisième proposition parce
que s’il y a une pneumopathie, c’est un problème infectieux
pulmonaire. »
Docteur Boudjema : « Je voulais juste évoquer
l’arrachement d’un canal hépatique droit ou gauche
dans ces traumatismes violents, surtout le gauche d’ailleurs
et qui finit par guérir spontanément et donc, il ne faut pas
être pressé. »
Docteur Sauvanet : « Vous seriez plutôt partisan d’une
surveillance. »
Docteur Boudjema : « La patiente est un peu fatiguée. Lui
faire une CPRE, risquer de l’infecter, lui faire une sphincté-
rotomie, je ne pense pas. »
Docteur Vibert : « Elle est drainée par une lame ou par un
drain ? »
Docteur Chéreau : « Par un drain ».
Docteur Vibert : « Je ne ferai pas la CPRE non plus. On
peut faire une fistulographie par le drain. »
Docteur Sauvanet : « Là, il y a un risque d’infection. »
Docteur Vibert : « Le risque est qu’il s’agisse d’une fistule
biliaire exclue et la CPRE ne changera rien. »
Docteur Metairie : « Nous aurions fait une IRM, parce que
la seule question est : y a-t-il une lésion d’un gros canal
biliaire ou pas ? Si c’est une lésion d’un gros canal biliaire,
on peut faire une CPRE et mettre une endoprothèse. Si c’est
un canal biliaire périphérique la CPRE ne sert à rien et la
fistule se tarit tout le temps. »
Docteur Vons : « Je partage l’avis opposé à la CPRE pour
le risque d’infection et il manque aussi le renseignement de
la position du drain par rapport à l’éventuel canal biliaire
abimé. Car si le drain est juste dedans on comprend la quan-
tité de bile et il faut peut-être juste le tirer un peu pour
aider à la cicatrisation canalaire. »
Docteur Dousset : « Je partage au contraire l’avis qui
a été retenu. Peut-être parce que je suis influencé par
un centre d’endoscopie interventionnel ‘‘expert’’. Le pro-
blème de l’infection n’est pas un problème car on dispose
d’antibiotiques pour le prévenir. On s’attend à voir une dés-
insertion d’un canal principal vers le secteur traumatisé
qui va s’atrophier et le débit biliaire va s’arrêter progres-
sivement. L’intérêt de l’endoprothèse est de hâter et de
diminuer par trois ou quatre la durée de cicatrisation de la
fuite biliaire. Je ne conteste pas le message de la guéri-
168
Figure 5. Tomodensitométrie abdominale (à j21) ; cholécystite
alithiasique.
son et du tarissement spontané de la fistule par un simple
drainage, sauf que l’endoscopie interventionnelle associée
à des antibiotiques va diviser le temps de guérison par deux
ou trois. »
Docteur Sauvanet : « Je vous rappelle que la fuite de
produit de contraste initiale n’était pas très loin du canal
droit, on était dans la bifurcation sectorielle antérieure-
postérieure droite. Donc, s’il y a un dégât biliaire, il est
potentiellement proximal. »
Docteur Tresallet : « Dans le cadre d’une fistule avec un
débit pareil, on a eu besoin d’avoir une cartographie biliaire.
On a évoqué l’IRM, mais on a opté pour la sphinctéroto-
mie qui nous paraissait un bon moyen thérapeutique pour
accélérer le tarissement. »
Docteur Chéreau : « La CPRE nous a permis tout comme
aurait pu le faire l’IRM de voir la fuite du produit de
contraste dans la zone de contusion et de faire un drainage
par une prothèse plastique insérée dans le canal hépatique
droit.
Les complications biliaires sont fréquentes dans les
stades 5, il peut s’agir d’une péritonite biliaire avec un
traité chirurgical par lavage-drainage, d’un biliome, sim-
plement par drainage percutané, ou des fuites biliaires
comme le cas de cette patiente. Il existe peu d’études et
souvent les effectifs sont restreints. Dans cette étude du
BJS en 2006 [3], portant sur 11 patients, les auteurs ont
réussi à avoir un succès de 100 %.
Par la suite, la patiente s’est améliorée progressi-
vement mais il persistait un état septique malgré la
pneumopathie contrôlée. On a réalisé une TDM à trois
semaines du polytraumatisme, qui montré un aspect de
cholécystite aiguë alithiasique (Fig. 5). On a donc réalisé
N. Chéreau et al.
une cholécystectomie à j21. Plus tard à j45, elle a encore
aggravé sa cholestase. Une nouvelle TDM a mis en évidence
une dilatation de la voie biliaire intrahépatique et une
seconde prothèse va être mise en place en raison d’une
fuite du canal hépatique droit, au niveau sectoriel droit. La
patiente est partie en convalescence à j58 du traumatisme
et est retournée au Quebec.
En conclusion, le traitement non opératoire s’est beau-
coup développé dans la prise en charge des contusions
hépatiques, y compris les traumatismes du foie sévères. La
prise en charge des complications reste quand même élevée
(15 à 30 %) selon les études.
Je vais conclure avec cette étude multicentrique de
Kozar qui est sortie, en 2006 dans Archives of Surgery
[4], sur les traumatismes hépatiques sévères à partir d’un
grade 3 au scanner. Soixante-cinq pour cent des patients ont
eu un traitement non opératoire, 13 % des patients ont
présenté une ou plusieurs complications hépatiques, hémor-
ragie, complications biliaires, d’infection ou du syndrome
du compartiment abdominal. Deux facteurs de risque indé-
pendants de complication sont ressortis, c’est la sévérité
de la contusion initiale et le besoin transfusionnel initial.
Docteur Sauvanet : « J’ai une question : pourquoi est-
elle tombée du troisième étage sans avoir été poussée ? »
Docteur Chéreau : « Elle faisait des photos sur le bal-
con. »
Docteur Sauvanet : « Ah ! Elle n’avait pas pris de sirop
‘‘dérape’’. . . »
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Références
[1] Christmas AB, Wilson AK, Manning B, et al. Selective
management of blunt hepatic injuries including nonopera-
tive management is a safe and effective strategy. Surgery
2005;138:606—10.
[2] Letoublon C, Chen Y, Arvieux C, et al. Delay coelio-
tomy or laparoscopy as part of the nonoperative mana-
gement of blunt hepatic trauma. World J Surg 2008; 32:
1189—93.
[3] Lubezky N, Kornikoff FM, Rosin, et al. Endoscopic sphinctero-
tomy and temporary internal stenting for bile leaks following
complex hepatic trauma. Br J surg 2006; 93:78—81.
[4] Kozar RA, Moore FA, Cothren CC, et al. Risk factors for hepa-
tic morbidity following nonoperative management: multicenter
study. Arch Surg 2006;141:451—8.