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Psychotic logic and ideological madness: False consciousness, in homage to


Joseph Gabel (1912-2004)

Article · May 2015


DOI: 10.1684/ipe.2015.1344

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David Frank Allen


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Montrouge, le 21-05-2015

David Allen

Vous trouverez ci-après le tiré à part de votre article au format électronique (pdf) :
Logique psychotique et folie idéologique : de la fausse conscience, en hommage à Joseph Gabel
(1912-2004)

paru dans
L’Information psychiatrique, 2015, Volume 91, Numéro 5

John Libbey Eurotext

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ou scientifiques. En aucun cas, il ne doit faire l’objet d’une distribution ou d’une utilisation promotionnelle, commerciale ou publicitaire.
Tous droits de reproduction, d’adaptation, de traduction et de diffusion réservés pour tous pays.
© John Libbey Eurotext, 2015
L’Information psychiatrique 2015 ; 91 : 383–90

CLINIQUE

Logique psychotique et folie idéologique :


de la fausse conscience, en hommage
à Joseph Gabel (1912-2004)

David Allen 1 , Chantal Tanguy 2

RESUMÉ
L’article prend d’abord appui sur le problème posé par l’aliéniste François Leuret (1834) qui ne « parvient pas à distinguer,
par sa nature seule, une idée folle d’une idée raisonnable ». Nous présentons Gabel ; son expérience de la folie totalitaire,
sa position d’élève d’Eugène Minkowski, son utilisation du concept de rationalisme morbide et sa réponse au problème
posé par Leuret – à savoir l’unité dialectique de la psychose asilaire et de la folie idéologique.
Mots clés : psychopathologie, idéologie politique, psychose, totalitarisme, biographie

ABSTRACT
Psychotic logic and ideological madness: false consciousness, in homage to Joseph Gabel (1912-2004). Our study
starts with François Leuret’s (1834) question: “Can the nature of an idea tell us if it is mad or reasonable?”. We present
the life and work of the psychiatrist and sociologist Joseph Gabel. We relate his experience of totalitarian ideologies,
his relationship with Dr. E. Minkowski who was Gabel’s director for his state thesis, his use of Minkowski’s concept
of “morbid rationalism”, and finally his answer to Leuret’s problem i.e. the unity of psychotic logic with that of various
ideologies.
Key words: psychopathology, political ideology, psychosis, totalitarianism, biography

RESUMEN
Lógica psicótica y locura ideológica: sobre la falsa conciencia, homenaje a Joseph Gabel (1912-2004). El artículo
toma primero apoyo en el problema planteado por el alienista François Leuret (1834) que no “logra distinguir por su mera
índole, una idea loca de una idea razonable”. Damos una presentación de Gabel; su experiencia de la locura totalitaria, su
posición de alumno de Eugene Minkowski, su utilización del concepto de racionalismo mórbido y su respuesta al problema
planteado por Leuret – a saber La unidad a dialéctica de la psicosis así daría y de la locura ideológica.
Palabras claves : psicopatología, ideología política, psicosis, totalitarismo, biografía
doi:10.1684/ipe.2015.1344

1 Psychanalyste, MdC en psychopathologie, EA 4050, 12, rue du Hainaut, 75019, Paris, France
<david.allen@uhb.fr>
2 Psychanalyste, ATER, EA 4050, 20, rue du Champ-Jacquet, 35000, Rennes, France

L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 91, N◦ 5 - MAI 2015 383

Pour citer cet article : Allen D, Tanguy C. Logique psychotique et folie idéologique : de la fausse conscience, en hommage à Joseph Gabel (1912-2004). L’Information
psychiatrique 2015 ; 91 : 383-90 doi:10.1684/ipe.2015.1344

© John Libbey Eurotext, 2012


D. Allen, C. Tanguy

« Dans les tableaux cliniques de la schizophrénie, dit


Gabel , décadence de la dialectique de la totalité (avec
comme forme extrême la dissociation) et décadence de la
dialectique du devenir (avec comme forme extrême la cata-
tonie) semblent bien solidaires. » La conscience spectatrice,
prisonnière d’un univers aplati, borné par l’écran du spec-
tacle, derrière lequel sa propre vie a été déportée, ne connaît
plus que les interlocuteurs fictifs qui l’entretiennent unila-
téralement de leur marchandise et de la politique de leur
marchandise. Le spectacle, dans toute son étendue, est son
« signe du miroir ». Ici se met en scène la fausse sortie d’un
autisme généralisé. » [1, thèse 218].
« J’ai travaillé ; loin d’avancer, je me suis embarrassé
davantage. Il ne m’a pas été possible, quoi que j’aie fait,
de distinguer, par sa nature seule, une idée folle d’une idée
raisonnable. J’ai cherché, soit à Charenton, soit à Bicêtre,
soit à la Salpêtrière, l’idée qui me paraîtrait la plus folle ;
puis, quand je la comparais à un bon nombre de celles
qui ont cours dans le monde, j’étais tout surpris et presque
honteux de n’y pas voir de différence1 . » [2, p. 41].
Joseph Gabel [3] (figure 1), né juif à Budapest, en 1912,
dans l’Empire austro-hongrois, est l’auteur d’une œuvre
remarquable pour sa cohérence, sa densité et sa complexité.
Polyglotte, ayant un accès direct à toutes les publica-
tions publiées dans les principales langues européennes,
Figure 1. Joseph Gabel. (Photo personnelle de D. Allen.)
il incarne à sa manière la figure idéale de l’intellectuel sans
attaches qu’a définie son compatriote Karl Mannheim. La
Fausse Conscience est son livre le plus abouti et le plus la recherche scientifique. » [4] Quoi qu’il en soit, une autre
difficile à aborder pour un lecteur qui ne connaît pas néces- édition paraît très rapidement dans la prestigieuse collection
sairement la culture de l’Europe centrale et ne dispose pas « Arguments » dirigée par Kostas Axelos2 . Ici Gabel côtoie,
d’une culture psychopathologique aussi vaste que celle que dans la même collection, G. Lukács, Histoire et conscience
possédait Gabel. de classe, Clausewitz, De la guerre, Bataille, L’Érotisme,
Il s’agit d’abord d’une thèse d’État soutenue à Marcuse, L’Homme unidimensionnel sans oublier Nova-
l’université de Paris, faculté des lettres et sciences lis, Hegel, Jakobson, Korsch, Wittfogel, Lefebvre, Deleuze,
humaines. L’avant-dernière page de la « thèse principale » etc.
porte la mention « Vu, le 30 septembre 1959. Le Doyen de Dans la version thèse d’État, en exergue de l’avant-
la faculté des lettres et sciences humaines, André Aymard. » propos, on peut lire : « À la mémoire de ma mère. À mon
Plus loin sur la même page se trouve la mention : « Vu et per- père »
mis d’imprimer. Le Recteur de l’Académie de Paris, Jean Dans la version « Arguments »/Minuit de 1969, l’on
Sarrailh ». Le dépôt légal est daté du 1er trimestre 1962, trouve l’un des rares indices qui pourrait expliquer
n◦ 6726. Le titre de la première édition est simplement La l’implication filiale et subjective de Joseph Gabel dans
Réification, la couverture est celle d’une thèse universitaire, l’œuvre qui le préoccupa sa vie durant : « À la mémoire
mais à gauche de la première page on peut lire : « © 1962 de ma mère disparue à Auschwitz en 1945 et de mon père
by Les éditions de Minuit ». mort inconsolé à New York en 1968 je dédie cet ouvrage
Gabel, qui, après son internat en psychiatrie, avait écrit contre tous les fanatismes. »
occupé un poste de documentaliste au CNRS, avait peut- Autrement dit la question de la folie idéologique n’était
être obtenu de cet organisme une aide pour la publication pas une vague question philosophique ou académique mais
de sa thèse d’État. « Comme beaucoup d’autres thèses, la
présente – écrit Gabel – n’aurait pas pu être terminée (ni 2 Philosophe français d’origine grecque. Né le 26 juin 1924 à Athènes.
même commencée sans doute) sans le Centre national de Résistant communiste, il est condamné à mort pour cette raison. Il s’exile
à Paris vers 1944 et deviendra professeur à la Sorbonne. Il fut le cofonda-
teur puis rédacteur en chef de la revue Arguments (1956-1962), directeur
de la collection « Arguments » aux éditions de Minuit. Il est mort à Paris le
1 C’est ici la grandeur de Leuret ; à partir de son constat, une réflexion sur 4 février 2010, six ans après la mort de Gabel, il était en faveur d’une nou-
l’idéologie et la schizophrénie devient une nécessité clinique et épistémo- velle édition de la Fausse Conscience qu’il avait autorisée et encouragée
logique. oralement.

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Logique psychotique et folie idéologique : de la fausse conscience, en hommage à Joseph Gabel (1912-2004)

plutôt une réalité psychique inscrite dans la chair de l’être viennois de psychologie profonde dont il est l’animateur. »
même – réalité que Gabel a choisi de traiter scientifi- [4, p. 11].
quement – en regroupant plusieurs types de phénomènes Entre les lignes. . . Minkowski – le directeur de thèse –
totalitaires pour mieux construire le terrain commun qui n’a jamais été titulaire de quoi que ce soit à l’université
réunit, effectivement, la logique psychotique avec des dis- française. Juif marginal lui aussi, il ne possède que très
torsions idéologiques. peu d’influence institutionnelle, ce qui explique l’utilisation
Juif hongrois, marxiste anti-stalinien, Gabel fut comme de Lagache – qui, lui, était professeur en titre est donc
en marge de la marginalité dans la mesure où il se trouva capable de valider une soutenance. Les thématiques explo-
en opposition directe aux staliniens qui avaient établi leurs rées par Lagache n’ont strictement aucun rapport avec les
réseaux à l’université comme à l’hôpital. En effet, aucun travaux de Gabel, il est là pour signer un procès-verbal, nous
stalinien ne pouvait soutenir la candidature d’un psychiatre semble-t-il. Le reste du jury n’est même pas mentionné. . .
et sociologue qui travaillait sur le stalinisme comme idéal Cependant nous avons jamais constaté la moindre amer-
type de fausse conscience. Gabel ne pouvait pas non plus se tume chez Gabel, il disait « la France peut être sale, mais elle
fondre dans la mouvance de Jean-Paul Sartre [5], celui-ci n’est pas systématiquement infâme ». Privé de la mention
l’ayant insulté publiquement3 . Il est difficile aujourd’hui de très bien, il eut un poste, plus tard, à Rabat où, semble-t-il,
mesurer l’influence institutionnelle des sartriens et des sta- il remplaça George Lapassade. Sa thèse, qui grâce à Axelos
liniens [6] dans la France entre 1949 et 1981 ; à cette époque s’appelait maintenant : La Fausse Conscience. Essai sur la
ils contrôlaient aussi bien des départements universitaires réification, allait connaître quatre éditions chez Minuit et
que des services hospitaliers. des traductions aux États-Unis, en Allemagne et ailleurs.
Selon Gabel, sa carrière psychiatrique fut arrêtée net en Maître de la tour de Babel, il se reconnaît comme mar-
raison de sa qualité de citoyen hongrois : il n’eut pas le xiste antistalinien bien avant 1939 : en ce sens il est proche
droit de passer (ou de repasser) un examen de titularisation. d’Orwell, Il faut lire et relire le chapitre Althusser & Orwell :
Gabel laissait entendre que des ennemis politiques avaient « [. . .] J’abats mes cartes ce dénominateur commun (entre
bloqué sa carrière psychiatrique en jouant sur le fait qu’il Althusser & Orwell) est la place centrale qu’occupe, chez
n’était pas naturalisé français. Il est possible que le nombre l’un et chez l’autre, le problème de l’historicisme. Althus-
impressionnant de publications qu’il avait déjà à son actif ser a prétendu construire un marxisme anti-historiciste et
dans les années 1950 ait pu jouer contre lui ; qui plus est, il ne anti-humaniste ; Orwell est à mon sens l’un des grands
possédait certainement pas la diplomatie visqueuse et ecto- représentants contemporains de l’historicisme humaniste
plasmique des arrivistes ordinaires. Pour ce qui en est de sa [. . .] Althusser c’est l’anti Orwell. . .. » [8, p. 72]. Du reste
thèse d’État on lui refusa la mention très honorable avec les il parlait souvent de l’« orwellisation du monde » bien avant
félicitations du jury – vraisemblablement parce que l’idée l’affaire Snowden. Gabel disait aussi que la philosophie
même d’une analyse psychopathologique de phénomènes d’Althusser était organisée comme un délire psychotique
idéologiques paraissait aussi dangereuse qu’inacceptable – l’anti-historicisme fut interprété par Gabel comme un
pour le jury de la Sorbonne4 . Malgré l’ambivalence de trouble de la temporalité que l’on repère dans les psychoses
l’institution universitaire, Gabel explique qu’il est « ... asilaires. Ici encore il se montre d’une fidélité absolue à
actuellement plus facile – ou, si l’on veut, moins risqué – Minkowski [8].
de soutenir une thèse marxiste en Sorbonne qu’à Moscou, Un dernier point va compliquer notre présentation :
sans parler de Pékin. » [23 p. VII]. Gabel fut d’abord psychiatre avant de se tourner vers la
Une certaine tradition universitaire veut que l’on remer- sociologie de la connaissance. Ce « d’abord » mérite d’être
cie les membres du jury pour l’honneur qu’apporte leur précisé : en effet, on peut entendre « d’abord et avant tout »,
présence, etc. Or, dans la publication universitaire (La Réi- car la psychose va lui fournir un modèle type de fausse
fication) Gabel exprime sa « chaleureuse reconnaissance » à conscience. Mais on n’oublie pas non plus que, en tant que
Minkowski, directeur de la thèse, et à Daniel Lagache, pro- psychiatre – et a fortiori comme théoricien de l’aliénation
fesseur à la Sorbonne ; dans la même phrase, l’auteur idéologique –, il restera d’une fidélité épistémologique sans
remercie Igor A. Caruso [7] « pour l’accueil sympathique faille à son directeur de thèse d’État, Eugène Minkowski
qu’il a réservé à ses conceptions théoriques dans le Cercle – qui lui fut une figure essentielle de la psychiatrie phéno-
ménologique, véritable inventeur de la notion de structure
3 « Être traité de “con” par Sartre c’était quelque chose ! » dit Gabel un
en psychopathologie, président clandestin de l’OSE (Œuvre
de secours aux enfants) qui sauva de l’extermination des
soir vers 1996.
4 Un soir l’un de nous lui avait demandé pourquoi Minkowski n’avait pas enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, et un des
pu obtenir une mention « très bien » – pour une thèse qui a fait presque plus grands psychiatres de sa génération selon R. D. Laing
le tour du monde. « Il n’avait pas l’influence nécessaire » répondit Gabel et G. Lantéri-Laura.
sans affect particulier, comme s’il disait « Il y a de la moutarde au frigo Gabel était venu « faire sa médecine » à Paris parce
». Il possédait un grand sens de sa propre sécurité ontologique et riait
facilement des semblants universitaires – la chaire est faible, disait-il ! Par que, en tant que Juif, le numerus clausus lui avait interdit
ailleurs il citait longuement ses détracteurs pour mieux les ridiculiser. l’inscription à l’université de Budapest. Minkowski s’était

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D. Allen, C. Tanguy

engagé dans l’armée française vers 1915 et avait soutenu sa Reprenant ce cas en 1927 [11, p. 116], Minkowski ajou-
troisième thèse en 1926. Tous deux ont dû se cacher pendant tera : « Les facteurs affectifs et, encore plus qu’eux, la
l’Occupation : Minkowski à l’hôpital Sainte-Anne, Gabel à durée vécue, semblent avoir disparu [. . .]. Aussi se trouve-
Toulouse et en Espagne. Ils avaient en commun une expé- t-il [l’instituteur] constamment en contradiction avec la
rience directe du totalitarisme doublée d’une passion pour vie. » Il met fin à l’idée de la psychose perçue comme défi-
la logique psychotique. Le premier restera dans le champ cit intellectuel ; sa théorisation du rationalisme morbide
de la psychopathologie et de la phénoménologie, le second, s’insère dans le cadre du projet de Jaspers, bien loin de
l’élève Gabel, va combiner les deux thèmes – logique psy- l’idée de maladie. Mais il semblerait que les origines de ce
chotique et logique totalitaire – dans l’élaboration d’une concept phénoménologico-psychiatrique essentiel aient été
des œuvres les plus importantes du xxe siècle. rapidement oubliées : « Qui sait encore que nous devons
L’ordre des choses fut le suivant. l’identification et le repérage du rationalisme morbide à
notre maître E. Minkowski ? » [12, p. 86].
Avec la notion de géométrisme morbide, Minkowski fait
Influence du Dr Minkowski sur Gabel : un deuxième pas vers une conception indépendante : si le
le rationalisme morbide rationalisme morbide se manifeste par l’adoption de sys-
tèmes rigides, le géométrisme morbide s’en démarque par
La direction que Minkowski va adopter se révèle dès la prédominance de divers facteurs d’ordre spatial, quanti-
1923 dans une étude rédigée en collaboration avec Rogues tatif et mathématique. Minkowski illustre cette notion par le
De Fursac [9]. Pour les deux auteurs, le comportement cas d’un patient dont l’attention était « entièrement absor-
autiste désigne : « l’attitude générale de l’individu vis-à- bée par un projet d’agrandissement de la gare de l’Est »
vis de l’ambiance ». Autrement dit, la pensée autiste, ne [11]. Il ne s’agit pas là de délire stricto sensu, mais plutôt
s’adaptant pas au monde, s’oppose à la pensée réaliste. Min- de l’investissement délirant d’un objet, comme dirait Henri
kowski ajoute : « C’est l’altération du contact vital avec la Faure [13].
réalité qui est l’élément essentiel de la schizophrénie. » En fait, Minkowski réaffirmait là les idées déjà expri-
Minkowski et Fursac s’orientaient ainsi dans une direc- mées dans sa thèse, qui se terminait sur la remarque
tion qui rappelle la notion kierkegaardienne [10] d’une suivante : « Dans certains cas de schizophrénie, la
relation réussie ou non entre le soi et le soi. Ils nomment défaillance des facteurs dynamiques est accompagnée
cela « le sentiment d’harmonie avec la vie » : « Nous ne d’une véritable hypertrophie des facteurs rationnels et spa-
cherchons pas à être d’accord avec la logique, mais unique- tiaux de la pensée. Cette hypertrophie conditionne alors
ment à être d’accord avec nous-mêmes, à nous mettre en tout le comportement des malades, en donnant lieu à des
harmonie avec la vie. » tableaux cliniques particuliers. Il paraît justifié de parler,
À l’inverse, pour Minkowski, l’état schizophrénique dans ces cas, de rationalisme et de géométrisme morbides. »
résulterait d’une tentative de rationalisation excessive de [14, p. 76]. Le rationalisme morbide implique donc une
la vie, il cite par exemple le cas d’un instituteur qui avait réification de la sphère axiologique et symbolique. Cette
tenté d’édifier des systèmes logiques susceptibles de lui position psychopathologique, résultat d’une structure psy-
permettre de gérer sa vie professionnelle. Il en avait ainsi chotique, peut entraîner une logique d’identité (A = A) [7]
testé plusieurs, en se fondant successivement sur le principe ainsi qu’une extrapolation arbitraire [15].
d’indulgence absolue (« Il essaie de s’adresser à leur raison Gabel va extraire de cela toute une série de postulats que
et souffre de les voir [les écoliers] sourire et ne pas compren- nous présentons ici en expliquant les concepts utilisés.
dre »), puis sur celui de la sévérité (une sorte de méthode
militaire), et enfin sur le principe libéral de la douceur.
Pour Minkowski, une telle conduite met en relief deux Le rationalisme morbide selon Gabel
traits qui éclairent la notion de schizophrénie. Le pre- Le rationalisme morbide suppose un arrêt de la rela-
mier, l’attitude antithétique, consiste à voir la vie en termes tion entre un sujet (psychologique et social) et le monde,
d’antithèses rationnelles (oui ou non, bien ou mal, permis ou ou encore l’ambiance d’une situation donnée (soirée entre
défendu, utile ou nuisible) et résulte « du manque du senti- amis, bureau de poste, etc.). Le sujet psychotique cherche
ment irrationnel d’harmonie avec soi-même et avec la vie » en lui-même une logique, une façon de faire, un système.
[9, p. 225]. Il y a là non pas ambivalence, mais mouvement Ce système a valeur de certitude – toute critique à son
de la psyché vers des systèmes figés, bâtis sur la ruine de encontre est dangereuse, ou du moins irrecevable ; ainsi les
la dialectique. Ainsi, « l’individu régit sa vie uniquement êtres humains sont perçus de façon logique, mathématique
d’après des idées et devient doctrinaire à outrance » [9, et quantifiable.
p. 211]. Le second, l’égocentrisme actif, implique que La quantification abolit, de par son propre mouvement,
« c’est le moi [. . .] et non l’ambiance » qui « sert de adialectique et anhistorique, l’idée même d’un « sujet ».
point de fixation » et « devient exclusivement le champ La spatialisation suppose l’invalidation ou encore la des-
de [l’]action » du schizophrène. truction (ou l’interdiction !) d’une conscience historique ou

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Logique psychotique et folie idéologique : de la fausse conscience, en hommage à Joseph Gabel (1912-2004)

encore la condamnation d’un mouvement vers une consci- fut le cas pour les premiers photographes, la fausse cons-
ence historique. La destruction de la conscience historique cience présente un monde à l’envers. « Et, si, dans toute
facilite une réécriture du passé en fonction des besoins l’idéologie, les hommes et leurs rapports nous apparaissent
(idéologiques) du présent. La destruction de la capacité placés la tête en bas comme dans une camera obscura
dialectique appelle et entraîne une logique d’identité : la (chambre noire) [. . .] » [16].
forme extrême de la logique d’identité serait « 4 = 4, jaune =
jaune, idiot = idiot – donc il est idiot de dire que quelque Quand demain égale hier
chose est idiot . . . » [7, 15]. Cette logique d’identité entraîne
La notion de « contrôle et figement temporel » propo-
l’extrapolation arbitraire qui, selon Gabel, constitue un ter-
sée par Owen Lattimore (cité par Gabel) à propos de la
rain commun aux discours psychotiques et idéologiques.
logique du sénateur McCarthy, qui explicite une condamna-
Ainsi le champ épistémologique de la fausse conscience
tion actuelle en vertu d’une action supposée accomplie dans
est-il constitué par l’ensemble des raisonnements que l’on
le passé, dans un mécanisme de confusion temporelle, est un
trouve aussi bien chez les psychotiques que chez les idéo-
bon exemple de fausse conscience. Owen Lattimore, ancien
logues. La psychose n’empêche en rien une prise de position
collaborateur du président Roosevelt était expert des ques-
idéologique – bien au contraire. . . La « causalité diabo-
tions de l’Extrême-Orient, où il a passé une grande partie de
lique » (Gabel) est un bon exemple de fausse conscience :
sa vie, parlant le chinois aussi bien que le mongol. « Détaché
ainsi la perçoit-on en France chez des gens qui expliquent
en qualité de conseiller auprès de Tchang Kaï-Chek [...] il ne
que les problèmes de la France sont dus aux chômeurs.
tarda pas à diagnostiquer la profonde corruption de l’édifice
Les chômeurs sont perçus comme cause et non pas comme
politique de la Chine du Kuo-Min-Tang [...]. McCarthy n’a
résultat d’un certain nombre de choix économiques cons-
pas hésité à qualifier Lattimore [...] de principal agent de
cients. L’inversion de la causalité est une préoccupation
l’espionnage sovietique aux États-Unis [...]. [...] Lattimore
constante chez Gabel.
dut comparaître devant la Commission des activités anti-
américaines... [Il] ne fut pas l’objet de poursuites mais il
De la fausse conscience... [22] demeure suspect. » [17, p. 207]. La logique maccarthyste
est la suivante : avant la révolution chinoise Lattimore était
La fausse conscience se manifeste dans sa praxis. La
en contact avec des autorités chinoises. Après la révolution
bataille de Diên Biên Phu constitue un exemple éclatant de
la Chine est devenue communiste. L’Union soviétique est
fausse conscience qui se manifeste à plusieurs niveaux, à
communiste, donc... Lattimore est un agent communiste !
savoir :
La logique anhistorique (time mastery) – le traitement du
– les militaires français ne souhaitaient pas une défaite dans
temps comme si le temps était un espace figé – permet
le sillage de l’incurie de la Seconde Guerre mondiale ;
toutes les équivalences, toutes les fausses identifications
– l’idéologie coloniale, qui consistait à prendre un état de
imaginables. L’extrapolation arbitraire est en effet un point
fait pour un état de droit, a produit une sorte d’aveuglement
de fusion entre logique psychotique et folie idéologique.
– une scotomisation de la réalité : un responsable de
Dans le stalinisme, Gabel repère ce qu’il appellera la
l’artillerie française a déclaré que l’artillerie « viet » était
distorsion idéologique (synonyme pour lui de fausse cons-
« de la blague », il se suicida plus tard ;
cience) : il multiplie les exemples de fausses équations
– ni Vo Nguyen Giap ni Hô Chi Minh n’avaient fait l’école
(logique d’identité), par exemple le fait de mettre en équi-
de Saint-Cyr (Giap avait peut-être une licence ou une maî-
valence, comme le fait l’État stalinien de faux passeports
trise d’histoire et de géographie délivrée par une université
avec de faux billets de banque. Ici la fausse conscience cor-
française. . .).
respond au refus (idéologiquement motivé) de reconnaître
– les vietminhs ont utilisé des bicyclettes Peugeot fabri-
une différence d’intentionnalité entre le sujet qui utilise des
quées à Sochaux, renforcées par des branches de bambou,
faux papiers pour échapper à une situation qu’il juge inac-
pour transporter du riz et de l’artillerie le long du chemin
ceptable et celui qui fabrique des faux billets pour mieux
baptisée plus tard the Hô Chi Minh Trail ; les officiers
jouir d’une situation donnée. La fausse conscience consiste,
français, issus de Saint-Cyr, portaient en eux un mépris
parfois, à réduire des oppositions à l’identique, ou l’inverse.
sans limites pour les soldats vietnamiens qui n’avaient pas
fait leurs études à l’École militaire. Le mépris de caste est
une des formes que peut prendre la fausse conscience. La Fausse conscience et idéologie
psychose produit des délires, la névrose produit des préju- Le concept de fausse conscience est tributaire de trois
gés. Dans les deux cas une réification de la conscience (le penseurs : Lukás et sa théorie de la réification dans Histoire
mépris de l’ennemi) produit des conséquences désastreuses et Conscience de classe, Mannheim et sa conception de
dans un contexte militaire ou autre [23]. l’idéologie exposée dans Idéologie et utopie et les travaux
La fausse conscience se manifeste aussi dans la distor- de Minkowski.
sion qu’elle opère entre le signifiant et le signifié : ainsi le Schématiquement, la fausse conscience est à la base de
verbe « moderniser » a pour signifié « licencier ». Comme ce l’idéologie, définie comme une de pensée politique intéres-

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D. Allen, C. Tanguy

sée et de ce fait déformée ; l’idéologie est la cristallisation Les concepts psychopathologiques


théorique d’une forme de fausse conscience.
utilisés par Joseph Gabel
La fausse conscience est corollaire de réification qui tend
à effacer les limites entre nature et culture, elle implique un dans son travail
aveuglement face au réel social et économique.
L’idéologie et la fausse conscience qu’elle sécrète, est Le groupe des psychoses
anhistorique et anti-historiciste [8]. Gabel s’intéresse plus aux délires organisés (voir le
« L’histoire de la nature, ce qu’on appelle les sciences rationalisme morbide plus haut) ; il constate que des idéo-
naturelles, ne nous intéresse pas ici ; mais nous devrons logies sont souvent organisées avec une logique ou une
nous occuper de l’histoire des hommes, puisque l’idéologie structure anti-dialectique psychotique. Son travail central
presque entière se réduit soit à une conception erronée de est la construction d’un pont solide entre la psychose asi-
cette histoire, soit à une abstraction complète de cette his- laire (fausse conscience individuelle) et les idéologies de
toire », écrit dans un raccourci génial – qui anticipe sur les groupe.
idées d’Orwell – le jeune Marx. Toute organisation, toutes vérités sont possibles dans les
Le problème de la fausse conscience est intimement lié à psychoses : l’absence de conscience historique (trouble de
celui de l’aliénation dans son double aspect social et indivi- la temporalité) produit des vérités instables et ce que Gabel
duel (clinique) ; le rationalisme et le géométrisme morbides nomme « présento-centrisme » : ni passé, ni avenir. On
peuvent être interprétés en termes marxistes comme mani- retrouve ces phénomènes dans les dystopies classiques que
festation d’une conscience réifiée, ainsi le sens marxiste de sont La Ferme des animaux et 1984 de George Orwell.
l’aliénation rejoint sa définition psychiatrique. La fausse « Quand les Français lisent Orwell, écrit Simon Leys,
conscience n’est pas fondée sur un simple raisonnement c’est généralement dans une optique digne du Reader’s
analogique mais plutôt de la mise en évidence de processus Digest : son œuvre est alors réduite au seul 1984 privé de
parallèles de dédialectisation d’origine naturellement diffé- son contexte et arbitrairement réduit aux dimensions d’une
rente mais aboutissant à des structures logiques semblables. machine de guerre anticommuniste. On ignore trop souvent
La fausse conscience implique un degré d’imper- que c’était au nom du socialisme qu’il avait mené sa lutte
méabilité à l’expérience comparable à ce que l’on trouve antitotalitaire . . . » [25].
dans les psychoses cliniques ; dans les deux cas on trouve
la déchéance de la temporalisation ainsi qu’un effondre- Paranoïa
ment de la dialectique. La conscience raciste est une forme
C’est le sentiment d’être persécuté par une force ou
« idealtypique » de fausse conscience. « La conscience
une personne malfaisante. Le paranoïaque, tout comme
antisémite (et de façon générale, la conscience raciste) est
l’homme politique, se distingue par la certitude impla-
doublement fausse. Elle réifie l’image de l’adversaire [...]
cable qui le porte ; le film de Stanley kubrick Dr Folamour
et elle considère comme anhistorique [...] des particularités
(Dr Strangelove, 1964) représente une sorte d’unité de la
[...] d’origine historique [...] la fausse conscience raciste nie
paranoïa et de la Guerre froide selon Gabel [17, pp. 205-54].
l’histoire : l’idéologie raciste, elle, tend à bâtir là-dessus une
pseudo-histoire qui, au lieu d’expliquer le Juif par l’histoire
prétend expliquer l’Histoire par le Juif » [22, p. 20] Le signe du miroir [19]
Un des premiers penseurs à saisir l’importance réelle des Dans le mythe de Narcisse, l’adoration de son image
travaux de Gabel est Guy Ernest Debord : le mène au suicide. Dans certaines psychoses, le patient
« Le parallélisme entre l’idéologie et la schizophré- perçoit « une petite amie » dans le miroir et dirige une
nie établie par Gabel (La Fausse Conscience) doit être conversation utilisant deux voix différentes. Dans d’autres
placé dans ce processus économique de matérialisation de cas le miroir renvoie l’image d’une tête de canard, ou encore
l’idéologie. Ce que l’idéologie était déjà, la société l’est des morceaux de buisson et plantes qui sortent de la tête
devenue. La désinsertion de la praxis, et la fausse cons- d’un patient. Un autre patient perçoit une tête de loup qui
cience anti-dialectique qui l’accompagne, voilà ce qui est le menace depuis le miroir intérieur de sa voiture. Ce signe
imposé à toute heure de la vie quotidienne soumise au clinique indique la fragilité ou la mort de la subjectivité.
spectacle ; qu’il faut comprendre comme une organisation Certains patients psychotiques vont jusqu’à recouvrir les
systématique de la « défaillance de la faculté de rencontre », miroirs avec des journaux, d’autres gardent un miroir avec
et comme son remplacement par un fait hallucinatoire eux pour avoir de la compagnie. Dans la citation de Debord,
social : la fausse conscience de la rencontre, l’« illusion de le signe du miroir renvoie à une dépersonnalisation géné-
la rencontre ». Dans une société où personne ne peut plus ralisée, avec la marchandise comme seule forme et mesure
être reconnu par les autres, chaque individu devient inca- de l’existence humaine. Gabel considérait qu’il ne s’agissait
pable de reconnaître sa propre réalité. L’idéologie est chez pas d’une citation au sens strict mais d’un « bon résumé »
elle ; la séparation a bâti son monde. » [1, thèse 217, p. 168]. de sa pensée.

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Logique psychotique et folie idéologique : de la fausse conscience, en hommage à Joseph Gabel (1912-2004)

Autisme La cohérence
Joseph Gabel utilise ce terme avec le sens qu’il avait de La Fausse Conscience
à partir de 1911 (Bleuler). Le sujet est comme divorcé du
monde et de l’ambiance. Minkowski oppose un autisme Ce concept n’assure pas seulement une place originale
riche, où le sujet est occupé par la richesse de sa propre à Joseph Gabel dans l’histoire du marxisme anti-stalinien,
pensée, à un autisme pauvre caractérisé par une absence de mais aussi une position de pionnier dans l’histoire de la psy-
pensée. Le mot change de sens à partir de la fin des années chopathologie. Certes bien avant Gabel ont paru des études
1940 avec les travaux de Kanner et Asperger. Gabel restera sur la folie de groupes5 [24] qu’il subsume parfois – mais il
fidèle à son utilisation classique, ce qui lui vaudra quelques fut le premier à réussir une analyse des idéologies en arti-
démêlés avec certains rédacteurs de revues, qui ignoraient culant des concepts d’origine marxiste au structuralisme
visiblement tout de la littérature psychiatrique classique et dialectique de Minkowski. Le problème posé par Leuret en
considéraient que le fait de parler de la « dimension autis- 1834 trouve ainsi sa réponse en 1962. Par la suite, Gabel
tique de l’idéologie » était incorrect vis-à-vis des enfants publiera d’autres ouvrages importants, comme autant de
souffrant de l’autisme de Kanner ! Le politiquement correct développements solidement construits sur l’ouvrage fon-
était, selon Gabel, « parfaitement stupide ». dateur.
En détournant légèrement un paragraphe du regretté
Simon Leys, nous conclurons en précisant que si vivre
Mélancolie
en régime totalitaire est une expérience orwellienne, vivre
Classiquement on sépare la mélancolie simple de la tout court est une expérience gabelienne. Aujourd’hui, il ne
mélancolie anxieuse ou délirante. Dans la forme simple semble pas qu’il existe aucune œuvre qui pourrait nous être
on trouve un désespoir marqué, une incertitude quant à d’un usage pratique plus urgent et plus immédiat que celle
l’être et une culpabilité disproportionnée. Par exemple, une du Dr. Joseph Gabel [26].
jeune mélancolique cherche une marque de shampooing,
elle ne trouve pas sa marque habituelle et en achète une
Remerciements. À Joel Gayraud, Michel Massuyeau,
autre qui ne lui convient pas. Elle souffre de cette situa-
David Douyère ainsi qu’aux lecteurs anonymes de
tion tout en craignant par ses dépenses de provoquer la
L’Information Psychiatrique pour leurs remarques cri-
ruine de sa famille. L’aspect affectif de la mélancolie est en
tiques.
effet « caractérisé par la constance et l’intensité de la dou-
leur morale » [20, p. 483]. (La notion classique de douleur
morale renvoie à l’idée d’une souffrance inimaginable de Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
l’être – une expérience de l’enfer et de la damnation.) « Il lien d’intérêts en rapport avec cet article.
n’est pas rare d’entendre des mélancoliques affirmer que le
monde n’existe plus ou bien que les êtres et les objets qui Références
le composent ont entièrement changé d’aspect. . . Parfois il
a changé de sexe ou pris la forme de quelque animal. [. . .] 1. Debord G. La Société du spectacle. Paris : Champ Libre, 1983
Le mélancolique ne se confère l’immortalité que pour se [1967]. Thèse 218, p. 168. Thèse 217, p. 168.
condamner aux peines éternelles [. . .]. » [21, pp. 166-7] 2. Leuret F (1834). Fragments psychologiques sur la folie. Paris :
L’essentiel pour Gabel, ce sont les modifications Frison-Roche, 2007.
extrêmes du rapport au temps et à l’espace que l’on trouve 3. Gachnochi G. Joseph Gabel (1912-2004). Perspectives Psy
dans la mélancolie, pour lesquelles il va prendre appui aussi 2005 ; 44 : 78.
bien sur les travaux de Tellenbach que sur ceux de Min- 4. Gabel J. La Réification. Paris : Minuit, 1962, p.11 [Thèse
kowski. La mélancolie, tout comme la manie ou la folie d’État].
circulaire (PMD), présente différents aspects de la fausse 5. Judt T. Un passé imparfait : les intellectuels en France :
conscience – différents aspects des ruines de la dialectique 1944-1956. Trad. fr. Paris : Fayard, 1992.
que sont les psychoses selon Gabel. « Le mélancolique, 6. Dreyfus M. L’antisémitisme à gauche : Histoire d’un para-
écrit Gabel, perçoit son ambiance comme une surface plane doxe, de 1830 à nos jours. Paris : La Découverte, 2009.
[. . .] Tout se situe dans la même ligne ; les choses sont
comme une surface immobile. [. . .] Du coup, l’articulation 5 Maurice Dide, publie en 1913 une étude qui porte sur les rapports pos-
de l’espace en espace proche et espace éloigné s’estompe. sibles entre le sujet psychotique et l’idéologie, Les Idéalistes passionnés.
Les objets quittent le premier plan : une surface plane (rap- Esprit fin, certainement mal vu (et mal lu !) par ses collègues, il va rejoindre
pelant l’écran cinématographique) se substitue à l’horizon la résistance pour mourir dans un camp allemand, arraché à la vie par des
circulaire. Dans cette espace déstructuré, les dimensions chiens. Dide théorise, bien avant Gabel, les liens possibles entre logiques
psychotiques et propositions idéologiques et électorales. « Unabomber »
vécues et agies perdent leur relief, le monde se verticalise » Theodore Kaczynski, l’écologiste assassin, est presque un exemple parfait
[22, p. 152]. de l’idéaliste passionné selon Dide.

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D. Allen, C. Tanguy

7. Caruso I. Psychanalyse et synthèse personnelle : rapports 16. Marx K, Engels F. 1846-1959, L’idéologie allemande.
entre l’analyse psychologique et les valeurs existentielles. Paris : Éditions Sociales, 1976.
Paris : Desclée de Brouwer, 1959 (Caruso insiste sur 17. Gabel J. Idéologies. T. 1. Paris : Anthropos, 1974, pp 205-54.
l’importance des travaux de Gabel, voir pp. 80-6.).
18. Gabel J. Études dialectiques. Paris : Méridiens Klincksieck,
8. Minkowski E. Le Temps vécu. Paris : JLL d’Artrey, 1933, 1990.
p. 271 (les éditions françaises ont toutes la même pagination). 19. Méaulle D. « Le signe du miroir: reflets cliniques et théo-
9. De Fursac R, Minkowski E. « Contribution à l’étude de la pen- riques ». L’Évolution Psychiatrique 2007 ; 72 : 81-97.
sée et de l’attitude autistes ». L’Encéphale 1923 ; XVIII : 4. 20. Fursac RD. Manuel de Psychiatrie. Paris : Alcan, 1923
10. Kierkegaard S (1949). Traité du désespoir. Paris : Gallimard, (6e éd.), p. 483.
1990, p. 351. 21. Sergent E. Traité de Psychiatrie, T. 1. Paris : Maloine et fils,
11. Minkowski E. La Schizophrénie. Paris : Payot, 1927. 1921, pp. 166-7.
12. Lantéri-Laura G, Gros M. Essai sur la discordance dans la 22. Gabel J. La Fausse Conscience. Paris : Minuit, 1962, 1969.
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13. Faure H. L’Investissement délirant des objets. Entretiens psy- 24. Mackay Ch. Extraordinary Popular Delusions and the Mad-
chiatriques. Paris : L’Arche, 1953, pp. 17-39. ness of Crowds. London : National Illustrated Library, 1852
14. Minkowski E. La Notion de perte de contact vital avec la réa- (seconde édition).
lité et ses applications en psychopathologie. [Thèse]. Paris : 25. Leys S. Orwell ou l’horreur de la politique. Paris : Plon,
Jouve et Cie, 1926. 2006, p. 10.
15. Klein F [1937]. Une folie psychiatrique. Paris : Les Empe- 26. Leys S. Orwell ou l’horreur de la politique. Paris : Hermann,
cheurs de penser en ronds, 1998. 1984, p. 56.

Œuvres de Joseph Gabel : repères bibliographiques

En français :
La Réification. [Thèse principale]. Paris : Minuit, 1962.
La Fausse Conscience : essai sur la réification. Paris : Éditions de Minuit, 1962. (Rééd, 1969 & 1977.) Coll.
« Arguments ».
Sociologie de l’aliénation. Paris, PUF, 1971. Coll. « Bibliothèque de sociologie contemporaine ».
Avec Bernard Rousset, Trinh Van Thao, et al. L’Aliénation aujourd’hui. Paris : Anthropos, 1974.
Idéologies 1 (Articles, 1948-1972). Paris, Éditions Anthropos, 1974.
Idéologies 2, Althussérisme et stalinisme. Paris, Éditions Anthropos, 1978.
Avec Bernard Rousset, Trinh Van Thao, et al. Actualité de la dialectique. Colloque du Centre universitaire de recherche
sociologique d’Amiens, Chantilly, septembre 1977. Paris : Éditions Anthropos, 1980.
Mannheim et le marxisme hongrois. Paris : Méridiens-Klincksieck, 1987. Coll. « Sociétés ».
Réflexions sur l’avenir des juifs : racisme et aliénation. Paris : Méridiens-Klincksieck, 1987.
Études dialectiques. Paris : Méridiens-Klincksieck, 1990.
En anglais :
False consciousness : an essay on reification. Translated from the French by Margaret A. Thompson with the assistance
of Kenneth A. Thompson. Introduction by Kenneth A. Thompson. Oxford : Blackwell, 1975.
Karl Mannheim and Hungarian Marxism. Translated by William M. Stein and James McCrate. New Brunswick, NJ :
Transaction Publishers, 1991.
Ideologies and the corruption of thought (Ed. & Introd. by Alan Sica. Postface David Allen). New Brunswick, NJ :
Transaction Publishers, 1997.

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© John Libbey Eurotext, 2012

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