Logistique & Management

Mondialisation de la production
et de la logistique et reconceptualisation
du rôle des technologies de l’information

Anne GRATACAP
Maître de Conférences, Université de Paris XI, P.E.S.O.R. - L.A.S.I.
Pierre MEDAN
Maître de Conférences, Université de Paris I, L.A.S.I.

Depuis le début des années 80 le développement des technologies de l’information

(T.I.) et la globalisation économique conduisent l’entreprise à modifier considéra-
blement son organisation productive, logistique et commerciale. Cette reconfigura-
tion en faveur d’une structure plus globale favorise l’émergence de potentialités
stratégiques nouvelles pour les T.I.
Cet article analyse les conditions dans lesquelles la reconceptualisation du rôle des
T.I. peut avoir lieu. Notre hypothèse est que le caractère éminemment stratégique
de ces dernières n’apparaît que dans le cadre d’une organisation clairement iden-
tifiée - la firme globale - et pour certaines fonctions critiques que sont la fonction de
production et la logistique.

Introduction industriel et commercial (globalisation éco-

Au cours des années 80, de nouvelles formes
d’organisation du travail et de gestion de
l’entreprise sont apparues. Le système for-
diste qui avait dominé la production indus-
trielle pendant de nombreuses générations
connaît des difficultés à partir des années 60
aux Etats-Unis, et du début des années 70 dans
le principaux pays de l’OCDE. Il laisse pro-
gressivement la place au modèle intégré
toyotiste qui accroît la flexibilité et la qualité
de la production, tout en gardant les princi-
paux avantages de la standardisation. Les sys-
tèmes de production à flux tendus, intégrant
des contrôles qualité d’un type nouveau, exi-
gent des formes de coopération très étroites
entre l’entreprise et ses partenaires sous-trai-
tants et fournisseurs.
Ce premier type de transformation de
l’organisation productive répond aux pres-
sions et aux instabilités de l’environnement
nomique, changements sociaux). De même,
les évolutions rapides des Technologies de
l’Information et de la Communication
(TIC) constituent un facteur majeur du
passage à une organisation intégrée et
flexible de type toyotiste. Ainsi, depuis
l’invention du télégraphe, les technologies de
l’information et de la communication révolu-
tionnent la façon de communiquer et de tra-
vailler dans l’organisation. Du téléphone à la
télécopie, de la tabulatrice à l’ordinateur mo-
derne... les opportunités offertes par ces tech-
nologies -abolition du temps et de la distance-
favorisent une intégration croissante des pro-
cessus industriels de production et de distribu-
tion au sein d’une économie mondiale.
Parallèlement au passage d’un système for-
diste à un système toyotiste, l’organisation
connaît un second changement de nature com-
plémentaire, qui se traduit par l’émergence
d’une nouvelle forme d’entreprise : la firme

Vol. 6 – N°1, 1998 31

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1 – D’une manière générale,
R. REIX définit le système
d’information comme « un en-
semble d’éléments (matériels,
logiciels, personnels) permettant
d’acquérir, traiter, mémoriser,
communiquer des informa-
tions ». On peut aussi retenir la
définition suivante de G.B.
DAVIS « le système
d’information sera considéré
comme un système « utilisa-
teur-machine » intégré qui
produit de l’information pour
assister des êtres humains dans
les fonctions d’exécution, de
gestion et de prise de décision »
dans Système d’information
pour le management, G.B.
DAVIS,
M.M. OLSON, J. AJENSTAT,
J.L. PEAUCELLE,
Economica, Paris, 1986
2 – Pour BAKOS (85),
BRETON (87), CARRE (90) et
GENTHON (86), les TIC
« constituent un ensemble de
ressources non humaines dé-
diées au stockage, au traitement
et à la manipulation
d’informations. Elles compren-
nent également les principes
d’organisation en systèmes de
ces ressources et les règles
32
globale. En effet, la mondialisation de
l’économie conduit à une intensification des
relations entre firmes au sein du système éco-
nomique, et au développement d’organisa-
tions en réseau au sein duquel les firmes
globales jouent un rôle croissant. Ces organi-
sations en réseau prennent souvent la forme
d’une « firme-réseau » qui se caractérise par
une centralisation accrue de quelques fonc-
tions clés de gestion par la firme globale (pi-
vot du réseau), et par l’établissement de
relations de partenariat entre la firme globale
et des unités de production décentralisées,
géographiquement dispersées. Les TIC auto-
risent cet étroit degré de coordination -voire
d’intégration- entre les différentes unités. On
parle alors de « quasi-intégration électro-
nique » des transactions.
Mais, cette densification des relations entre
unités autour de la firme globale touche
aussi les différentes fonctions de la firme
globale, fonctions séparées dans le cas de la
firme multinationale traditionnelle. En
effet, on assiste aujourd’hui à un décloisonne-
ment des différentes activités de la firme
globale : les processus de développement,
d’industrialisation (de commercialisation
aussi) sont gérés de façon transversale,
presque continue, au sein des différentes uni-
tés de production qui se trouvent pourtant géo-
graphiquement dispersées au niveau de la
planète. On peut opposer à cette vision celle
de la firme multinationale, caractérisée par
une forte autonomie de différents systèmes
productifs locaux et une discontinuité mar-
quée du processus de production entre les dif-
férentes unités.
L’accent est donc mis ici sur l’importance
stratégique que revêt l’information au sein
de la firme globale et des structures produc-
tives en réseau. La mondialisation semble
faire de l’organisation de la firme un facteur
majeur de compétitivité et ce à travers le
rôle joué par le système d’information de
l’entreprise. Le système d’information et plus
largement les technologies de l’information ne
constituent plus un simple support des activités
productives de la firme mais un nouvel outil de
gestion stratégique pour l’organisation.
En effet, le système d’information (R. REIX,
1
1986) de la firme globale et plus largement les
nouvelles Technologies de l’Information et de
la Communication2 qui y sont associées, per-
mettent de gérer et d’agencer de façon optimale
les différents éléments d’un système de pro-
duction et de distribution intégré, basé sur des
pratiques originales de type combinatoire (M.
DELAPIERRE, C. MILELLI, 1993). Les TIC
modifient la façon de produire et minimisent
les effets du temps et de l’espace. En ce sens,
elles contribuent à reconfigurer la fonction
de production dans son ensemble, ainsi que
la logistique d’entreprise, afin d’assurer la
cohérence entre l’organisation de la fonc-
tion de production et de distribution et le
nouvel environnement concurrentiel de la
firme.
En assurant cette harmonie, ces technologies
ont donc un impact sur la compétitivité de la
firme. Mais, N. VENKATYRAMAN (1995)
remarque qu’un accroissement régulier
d’applications informatiques sur de nombreu-
ses activités de gestion, conduisent à parler
abusivement de systèmes d’information stra-
tégique ou de système d’information compéti-
tive. Ainsi, en gestion de la production, les
exemples les plus connus en sont les systèmes
de prise de commande, les systèmes de ges-
tion des clients, la conception-fabrication in-
tégrée par ordinateur, les systèmes de gestion
des stocks en Juste à Temps. Selon l’auteur «
aucun système n’est stratégique sous sa forme
générique ». Il nous paraît important d’insister
sur cette conception. En effet, notre hypo-
thèse est qu’un système d’information
particulier ne peut acquérir un rôle straté-
gique significatif que dans un certain
contexte économique et dans une structure
organisationnelle clairement identifiée.
Ainsi, les systèmes de prise de commande ne
sont pas tous stratégiques, même si certains
constituent une source importante d’avan-
tages en terme de coût pour l’entreprise. Le
secteur dans lequel évolue l’entreprise, la
nature de la concurrence, mais surtout la
structure organisationnelle de l’entreprise
sont selon nous autant de critères suscepti-
bles d’identifier clairement la reconception
du rôle du SI et des TIC. C’est donc
l’environnement critique du système
d’information qui déterminera sa dimen-
sion stratégique et non la nature de
l’application générique. L’étude de la struc-
ture de la firme globale évoluant dans un
contexte de concurrence mondiale permet de
valider cette hypothèse.
A partir d’une analyse de la firme en terme
systémique, nous verrons donc, d’une part,
que d’un point de vue théorique, le système
d’information prend une place toute particu-
lière lors de l’élaboration de la stratégie glo-
bale de la firme notamment par rapport à la
stratégie multinationale ou multidomestique.
D’autre part, une application à la firme multi-
Vol. 6 – N°1, 1998

nationale Philips et à la firme globale Whirl-
pool nous permettra d’illustrer le processus de
reconceptualisation du SI et des TIC au sein
de cette nouvelle structure organisationnelle.
1. L’évolution de rôle des
technologies de l’information :
T.I.C. et reconfiguration
du système productif et logistique
de l’entreprise
Démarche méthodologique
Le plus souvent, la recherche dans l’élévation
du rendement de la production et de la logis-
tique grâce à l’informatisation des processus
de gestion donne lieu à une approche assez
parcellaire de nature plus technique que ma-
nageriale (S. MORTON, 1995). D’excellentes
études ont déjà traité des économies dans la
distribution physique grâce aux progiciels
d’optimisation de transports routiers utilisés
pour la localisation des entrepôts, l’organi-
sation des tournées... donc pour la gestion et la
distribution physique ; d’autres ont montré la
maîtrise et la réduction des stocks par applica-
tion informatisée des techniques quantitatives
ainsi que l’automatisation des manutentions
en production et en distribution.
Notre analyse se démarque de ce courant tra-
ditionnel car elle ne repose pas sur une dé-
marche technique. Elle est complémentaire à
cette première approche en abordant le rôle
des TIC sous l’aspect « management straté-
gique » de la production et de la logistique.
Elle privilégie pour cela une logique organisa-
tionnelle, manageriale et informationnelle.
Sachant que « la fonction logistique dans
l’entreprise a pour but d’assurer au moindre
coût la coordination de l’offre et de la de-
mande, aux plans stratégique et tactique, ainsi
que l’entretien à long terme de la qualité des
rapports fournisseurs / clients qui la concer-
nent » (D. TIXIER, H. MATHE, J. COLIN,
1996) et que « cette coordination nécessite no-
tamment des échanges d’information dont
l’importance va croissante » on perçoit bien
l’enjeux stratégique lié aux SI et TIC dans un
système de production mondial.
Afin de déterminer les conditions d’appli-
cation de la dimension stratégique des TIC et
du SI, il faut selon nous, adopter une dé-
marche de recherche en trois étapes. Dans un
premier temps, comme le suggère MORTON,
un repositionnement des TIC s’impose
pour les éloigner de leur fonction tradition-
nelle de soutien. Ainsi, notre étude part de
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Logistique & Management
l’idée que les TIC doivent s’appréhender en
ajoutant une perspective de gestion générale à
leur perspective traditionnelle de fonction
« support ». L’hypothèse correspondante est
qu’une exploitation efficace de la puissance
des TIC et de leurs fonctionnalités pourrait
impliquer d’importants changements dans les
processus de production et de distribution,
changements impossibles à réaliser dans un
perspective classique de type fonctionnelle.
Dans un deuxième temps, il faut déplacer les
TIC vers des secteurs et des fonctions de
l’entreprise où elles pourront jouer un rôle
critique dans la définition et la mise en
place de la stratégie. Pour répondre à cet ob-
jectif, le champ d’étude que sont la fonction
de production et la fonction logistique de la
grande firme industrielle nous paraît parfai-
tement indiqué. En effet, d’une part, l’évo-
lution des différents impératifs de la gestion
de production - coûts, délais, qualité, flexibili-
té...- laisse apparaître un certain nombre de
paradoxes (voir le dilemme productivité-
flexibilité par exemple) que les nouvelles
technologies permettent de résoudre en partie.
D’autre part, la fonction logistique prend une
place croissante au sein du système productif
moderne. En effet, si l’évolution des impé-
ratifs de la gestion de production conduisent à
l’origine à ne rechercher la productivité que
par la baisse des coûts (D. TIXIER,
H. MATHE, J. COLIN, 1996), on s’est aperçu
par la suite, que le concept dominant de « qua-
lité totale » en gestion de production impli-
quait une sécurité logistique totale. De plus,
l’évolution de la concurrence conduit au-
jourd’hui à la mise en place de structures pro-
ductives extrêmement flexibles nécessitant
« l’excellence logistique ».
La fonction logistique apparaît donc, en
quelque sorte, comme l’élément fédérateur
des différents impératifs de la gestion de
production moderne. Parmi les diverses com-
posantes de « l’excellence logistique » (parte-
nariat client/fournisseur, planification à long
terme, intégration des fonctions, progrès
continu, mobilisation du personnel...) D.
TIXIER, H. MATHE, J. COLIN (1996) souli-
gnent le rôle du système d’information inté-
gré. En conséquence, le choix de la fonction
de production et de la fonction logistique pour
illustrer la reconfiguration stratégique et orga-
nisationnelle permise par les technologies de
l’information nous semble pertinente.
Enfin, nous avons déjà précisé que si l’orga-
nisation veut tirer partie des technologies dis-
33
Logistique & Management
ponibles, elle doit agir en cohérence avec le
contexte concurrentiel, et aligner rigoureu-
sement sa stratégie, ses objectifs et ses
structures sur ses technologies. Les quel-
ques études précédentes concernant l’impact
stratégique et managerial des TIC sur l’orga-
nisation souffrent selon nous d’une trop
grande généralité et ne semblent pas avoir
tenu suffisamment compte de cette nécessaire
cohérence. En conséquence, ce souci d’har-
monisation et de rigueur nous conduit à distin-
guer le rôle des TIC selon la structure de
l’organisation productive en place et selon ses
buts. Notre démarche méthodologique repose
alors sur l’opposition firme multinationale
traditionnelle/firme globale, ces deux types
d’organisations privilégiant un mode de ges-
tion spécifique de leurs activités de produc-
tion et de distribution.
Toutefois, le recours à cette typologie élémen-
taire n’exclue pas de la réalité industrielle
l’existence d’autres formes d’organisations de
caractère plus hybride. Il existe en effet un
continuum d’organisations industrielles entre
la firme multinationale et la firme globale
(A. GRATACAP, 1994). Mais l’émergence
d’entreprises caractérisées par une organisa-
tion et une stratégie mondiale, c’est-à-dire en
marge du modèle traditionnel dominant
qu’est la firme multidomestique et ce, au sein
d’un contexte de concurrence mondiale, nous
conduit à privilégier l’opposition firme multi-
nationale/firme globale. En effet, elle permet
de faire clairement apparaître les implications
stratégiques et organisationnelles des TIC sur
l’activité productive et la logistique de l’entre-
prise industrielle.
Ces différentes axes de recherche nous
conduisent donc à envisager dans un premier
temps, le cas où les technologies de l’infor-
mation et la communication et le système
d’information de la firme participent en tant
que simple support technologique à la mise en
oeuvre de la stratégie productive de la firme
multinationale traditionnelle. Puis, dans un
second temps, nous montrerons la nouvelle
dimension stratégique prise par les TIC et le
système d’information dans le cadre du fonc-
tionnement de la firme globale.
La Dimension opérationnelle des T.I.C. et du
S.I. dans la firme multinationale
Le rôle fonctionnel des TIC et du S.I. dans la
firme multinationale
Pour M.S. MORTON (1995), lorsque l’on
traite de la stratégie d’entreprise, on a
l’habitude de répartir la stratégie en trois ni-
34
veaux : l’entreprise considérée dans son en-
semble, la division ou le métier (unité straté-
gique) et enfin la fonction. Les technologies
de l’information étaient traditionnellement
considérées comme des fonctions de soutien.
Selon MORTON, c’est encore le cas au-
jourd’hui dans de nombreuses entreprises. En
tant que fonction de soutien, les technologies
de l’information étaient généralement clas-
sées dans les charges administratives et non
dans les investissements.
Cette fonction purement « utilitaire » attribuée
aux TIC et au SI de l’entreprise correspond se-
lon nous à certains types de structures produc-
tives très répandues jusqu’au milieu des
années 80 : les firmes multinationales. En ef-
fet, les firmes multinationales, par opposition
aux firmes globales, sont des entreprises qui
privilégient le marché domestique mais dont
les activités s’étendent le plus souvent par fi-
lialisation à l’étranger. Ces filiales sont relati-
vement autonomes (J. SAVARY, 1991) et
reflètent par leur activité de fabrication les
besoins du marché local sur lequel elles sont
implantées. La spécificité de la production
limite tout échange d’information sur le
produit entre unités nationales et justifie
l’absence de coordination horizontale. La
firme multinationale traditionnelle se caracté-
rise aussi par une séparation entre les différen-
tes fonctions de R-D, fabrication et commer-
cialisation qui tend une nouvelle fois à limiter
le transfert d’information de nature horizon-
tale d’un site à l’autre. Les informations qui
circulent au sein de la firme sont surtout des
données financières et stratégiques transmi-
ses à partir du siège social ; elles obéissent
donc à une architecture de communication
verticale. Le système d’information apparaît
fortement hiérarchisé et dédié à des applica-
tions relativement restrictives.
Dans une telle structure verticalement centra-
lisée et à faible degré de coordination
horizontale, les dépenses d’information et de
télécommunication peuvent être relativement
importantes mais les TIC associées au sys-
tème d’information de la firme ne constituent
pas pour autant le support ou la source
d’avantages stratégiques pour la firme multi-
nationale. Elles restent selon A. RALLET
(1992) un service traditionnel « apportant des
formes standards de communication (...) sa-
chant que celles-ci sont susceptibles d’évo-
luer. Elles sont utiles à l’entreprise (...) et sont
traitées comme des consommations intermé-
diaires dont il faut s’assurer du caractère fonc-
tionnel et du contrôle des coûts ».
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A. RALLET souligne que « les télécommuni-
cations sont ramenées à un rôle fonctionnel
dès lors qu’elles ne mettent pas en jeu
l’organisation de l’entreprise ». Cette hypo-
thèse s’applique parfaitement au cas de la
firme multinationale. En effet, pour que les
TIC soient en mesure d’intervenir sur
l’efficacité du système de gestion le produc-
tion et de la logistique de l’entreprise, et
qu’elles constituent donc un élément potentiel
de sa stratégie, encore faut-il que la structure
de l’entreprise s’y prête. Or, une organisation
caractérisée par des unités productives évo-
luant sur une base territoriale s’assimile à un
regroupement de petites structures qua-
si-indépendantes sans que ne s’établisse entre
elles un certain degré de coordination et de
concertation.
Des implications managériales et stratégi-
ques faibles
Les firmes multinationales attendent surtout
des TIC une amélioration des services déjà
rendus à chaque filiale : « téléphoner plus
efficacement, découvrir les avantages de la té-
lécopie, utiliser les bases de données du Mini-
tel, gérer plus efficacement la trésorerie » (A.
RALLET, 1992). Les TIC et le système
d’information n’ont pas pour vocation de
transférer et de traiter au sein de la firme
les connaissances et les compétences. En
conséquence, dans ces entreprises, les TIC
ne relèvent pas d’une stratégie d’ensemble
gérée par la firme multinationale mais d’un
simple mode de gestion des filiales ou des
unités à caractère parcellaire.
I. ANSOFF nous éclaire sur la nature du mode
de gestion des TIC et du SI. En effet, il
distingue les « décisions stratégiques » (à
caractère centralisé), les « décisions adminis-
tratives » (aux confins entre stratégie et ex-
ploitation) et les « décisions opérationnelles »
(décentralisées). Le choix des TIC au sein de
la firme multinationale et de leur politique de
gestion fait référence selon nous à des déci-
sions à la fois administratives et opération-
nelles qui ne permettent pas toujours à la
firme d’assurer une gestion véritablement op-
timale de l’ensemble de ses ressources. Elles
peuvent se heurter aux buts collectifs et straté-
giques de la firme multinationale dans son en-
semble et sont limitées dans leur optimisation
par la complexité des éléments contingents à
prendre en compte (décisions opérationnel-
les). Ainsi, une diversification de l’offre de
produits au niveau national et une adaptation
de l’offre à chaque spécificité locale condui-
sent à limiter l’intérêt d’une gestion globale
Vol. 6 – N°1, 1998
Logistique & Management
du système d’information au sein de la firme
multinationale.
Dans ce cadre-là, les TIC ne sont pas de na-
ture à faire évoluer la gestion de la produc-
tion dans son ensemble ou à optimiser la
mise en œuvre de sa stratégie productive.
Elles constituent l’artefact technique aux rela-
tions hiérarchiques établies entre la Direction
Générale et les filiales, c’est-à-dire entre une
administration générale et une série d’unités
(de petite ou moyenne dimension) gérées à
l’image de « centres de profits » (J. SAVARY,
1991). Chaque filiale étant spécialisée puis-
qu’elle s’adapte au marché local, les informa-
tions circulent verticalement au sein de
l’entreprise. De même, les TIC se limitent au
développement de certaines fonctions auto-
matisées au sein de la filiale concernant
l’activité de conception ou de production.
Les T.I.C. facteur de rupture manageriale et
strategique du processus productif
Les facteurs d’évolution du rôle du SI et des
TIC
Pour rendre compte de la redéfinition du rôle
et de la dimension des TIC et du SI dans les or-
ganisations productives, il faut rappeler le
contexte actuel dans lequel évolue l’entreprise
industrielle. Ainsi, il est possible de distinguer
trois formes d’innovations (Graphique 1) :
l Innovations technologiques.
l Innovations concurrentielles.
l Innovations organisationnelles.
Graphique 1
Les facteurs d'évolution du rôle des T.I.C. et du S.I.
INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES
- Sophistication des technologies
- Tendances coûts-performances
- Nécessité de connectivité
ROLE STRATEGIQUE
DU S.I. ET DES T.I.C.
INNOVATIONS CONCURRENTIELLES INNOVATIONS ORGANISATIONNELLES
- Réduction du cycle de vie des produits - Réseau d'entreprises et entreprise-réseau
- Mondialisation de la concurrence - Structure globale d'entreprise
- Homogénéisation des besoins - Modèle de production flexible
- Déréglementation (modèle japonais)
Source : nous-mêmes.
35
Logistique & Management
Les innovations en matière de TIC permet-
tent aujourd’hui d’obtenir un excellent rap-
port « qualité-performance » pour des
composantes des technologies de l’informa-
tion de plus en plus sophistiquées et qui ten-
tent de combiner à la fois des capacités de
différenciation et d’intégration des processus
de gestion de l’organisation productive. Il est
aussi possible aujourd’hui en terme de pro-
duction et de logistique de favoriser la connec-
tivité de processus industriels au niveau
individuel (assistance informationnelle en cas
de panne d’équipements par exemple), au ni-
veau des groupes de travail (ingénierie simul-
tanée, groupes de projet), au niveau de
l’extérieur aussi (quasi-intégration électro-
nique des transactions dans le cadre de rela-
tions de partenariat étroite avec sous-traitants
ou fournisseurs).
L’importance de l’innovation concurren-
tielle s’appréhende en tenant compte à la fois
de la nature de la concurrence mais aussi de
son intensité. La déréglementation apparaît à
la fois comme la cause et la conséquence de la
globalisation notamment en terme financier.
La mondialisation s’est traduite par une exten-
sion géographique du champ de la concur-
rence et par l’apparition de nouveaux
compétiteurs. Cette extension nécessite de re-
penser l’organisation de la production. La ra-
tionalisation de l’activité productive implique
une nouvelle implantation des équipements
dans l’entreprise (simplifications des trajets,
technologies de groupe...) et entre entreprises
(partenariat global). Mais elle implique aussi
le nécessaire développement d’infrastructures
de communication afin de favoriser l’inté-
gration du processus de production, en parti-
culier lorsqu’il est dispersé à l’échelle
mondiale. Le raccourcissement de la durée de
vie des produits favorise une croissance ra-
pide de l’offre sur les marchés industriels tant
en termes de qualité que de quantité. Les ma-
nagers recherchent alors de nouvelles formes
d’innovations (de produits, de procédés) pour
obtenir des avantages propres. Les TIC offrent
à cet égard, pour certaines organisations ayant
le souci de la rigueur dans le processus de ges-
tion mais aussi de la cohérence entre organisa-
tion, système productif et instruments de
gestion, des opportunités stratégiques intéres-
santes.
Troisième forme d’innovation : les innova-
tions organisationnelles. Elles se traduisent
depuis le milieu des années 80 par le passage
de structures multinationales à des structures
globales qui remettent en cause l’organisation
classique du système productif et logistique.
36
Cette évolution se traduit aussi par
l’éclatement des frontières de l’entreprise (dé-
veloppement d’entreprises-réseau au sein
desquelles la firme globale joue un rôle
majeur comme nous le verrons, et de réseaux
d’entreprises). Enfin, en terme d’organisation
de la production, le modèle dominant depuis
le début des années 80 est le modèle de pro-
duction flexible japonais. Les objectifs de ce
système sont multiples (coûts, délais, qualités,
flexibilité...). Il ne cherche pas des solutions
susceptibles de minimiser les problèmes exis-
tants, mais il tente au contraire de faire dispa-
raître ces problèmes (c’est par exemple le cas
des stocks). Ce système privilégie une gestion
tendue des flux (lean production) et favorise
un partenariat global dans une organisation
éclatée.
L’analyse de l’environnement productif actuel
conduit à poser l’hypothèse que la dimension
stratégique des TIC et du SI apparaît dans un
contexte d’innovation technologique fort et de
concurrence mondiale. Cette mondialisation
favorise le passage des organisations multina-
tionales traditionnelles vers des firmes globa-
les. Au sein de ces organisations, les structures
productives évoluent vers des systèmes plus
complexes que l’on peut qualifier « d’inté-
grés-désintégrés ». Ils privilégient en effet
une étroite coordination du processus produc-
tif à l’intérieur de l’entreprise -même géogra-
phiquement dispersé-, ainsi qu’une quasi-
intégration des transactions avec les fournis-
seurs et sous-traitants au moyen de
l’informatique.
La reconception du rôle des TIC et du SI dans
la firme globale
La reconception du rôle du SI et des TIC dans
l’entreprise nécessite d’étudier la structure
organisationnelle dans laquelle ces technolo-
gies évoluent afin d’identifier les ressources
critiques susceptibles de bénéficier des op-
portunités offertes par les TIC.
Dans le cadre d’une stratégie globale par op-
position à la stratégie multinationale tradition-
nelle, il convient d’avoir une vision plus
unifiée et plus complexe de l’organisation de
la production. Nous concevons la globalisa-
tion de la firme comme un processus combi-
natoire intrafirme impliquant la remise en
cause de la séparation traditionnelle des fonc-
tions de l’entreprise (R-D, fabrication et com-
mercialisation). Ce processus combinatoire se
traduit aussi par l’intensification des relations
interfirmes et le développement des structu-
res industrielles en réseau. Dans les deux cas,
Vol. 6 – N°1, 1998

les TIC jouent un rôle majeur en permettant la
coordination et l’intégration des éléments tant
au sein de la firme globale (organisation intra-
firme) qu’entre un ensemble d’entreprises
(organisation interfirme).
Dans la firme globale les produits sont gérés
au niveau du marché mondial et non de chaque
marché domestique comme c’était le cas pour
la firme multinationale traditionnelle. Il en ré-
sulte donc d’une part, une spécialisation de
chaque pays (chaque filiale) dans la fabrica-
tion de tel ou tel élément du produit global ou
la fabrication dans un pays d’un produit global
commercialisé à l’échelle mondiale et d’autre
part, un commerce intra-groupe important
dans la mesure où les filiales exercent des acti-
vités complémentaires. De même, un fort
degré de coordination horizontale et de cen-
tralisation se développent et nécessitent la
mise en place d’un système d’information
vertical et horizontal interne au groupe. Une
coordination s’impose entre unités lorsque
chaque filiale nationale est spécialisée dans la
fabrication d’un produit global. Les informa-
tions qui circulent concernent alors non seule-
ment la stratégie d’ensemble de la firme
(comme c’était le cas dans la firme multinatio-
nale traditionnelle), mais aussi et surtout les
caractéristiques inhérentes au produit global
tant au niveau de l’activité de recherche que de
la fabrication ou de la distribution du produit.
La firme globale, qui apparaît dans un con-
texte de concurrence mondiale (Graphique 2),
se présente comme une organisation géogra-
phiquement dispersée et éclatée dans la me-
sure où elle établit des relations de partenariat
avec l’extérieur (entreprise « virtuelle »). La
fonction logistique gère l’interface entre la
production et le service commercial. Elle gère
aussi les relations entre les fournisseurs et la
production. La nouvelle structure privilégie
un décloisonnement des unités (les fonctions
apparaissent en pointillés sur le graphique).
Le sous-système d’information et de décision
est transversal dans l’organisation et assure
la circulation d’un flux continue d’infor-
mations de l’amont vers l’aval. Des possibili-
tés de rétroaction des informations sont
possibles. Ce système d’information et de dé-
cision s’étend à l’extérieur de l’entreprise.
Les TIC constituent la plate-forme informa-
tique nécessaire à l’élaboration de nouvelles
relations entre la firme globale et ses partenai-
res. Ces relations peuvent être des relations de
partenariat « classique » ou traduire au con-
traire un pouvoir de marché de nature infor-
mationnelle en faveur de l’entreprise globale.
Vol. 6 – N°1, 1998
Logistique & Management
Le système d’information glisse donc hors de
l’entreprise globale en demeurant sous son
contrôle.
Graphique 2
Firme globale et transversalité du système d'information
Action FONCTION DE PRODUCTION
Action FONCTION LOGISTIQUE
Action FONCTION COMMERCIALE
SOUS-SYSTEME SOUS-SYSTEME
DE DECISION D'INFORMATION
FIRME GLOBALE ENVIRONNEMENT GLOBAL
Firme globale constituée en réseau Flux d'information circulant de façon
continue entre fonctions amont et aval
Système d'information Fonction de production, logistique
et de décision transversaux et commercialisation éclatées
Source : nous-mêmes.
Les TIC et le SI : facteur de rupture managé-
riale et organisationnelle
Les TIC dans le cadre de la firme globale sont
utilisées non plus comme des « consomma-
tions intermédiaires » (A. RALLET, 1992)
mais comme une variable stratégique permet-
tant de développer une organisation indus-
trielle globale, basée sur un degré de
coordination et de standardisation élevé. Le
système d’information de la firme et plus
largement les TIC constituent, en ce sens, un
vecteur technologique facteur de ruptures ma-
nagériales et organisationnelles qu’il convient
de prendre en compte et d’identifier afin
d’assurer la cohérence des ressources maté-
rielles et humaines de l’organisation.
En effet, les TIC assurent la production de
connaissances et leur diffusion au sein de
l’organisation. Cette diffusion de l’infor-
mation autorise une nouvelle organisation du
travail en privilégiant le travail en commun
des unités. Mais en participant à la remise en
cause du principe de la division du travail elles
conduisent aussi à un partage du pouvoir et
des responsabilités au sein de l’organisation.
De même, les modalités traditionnelles de la
prise de décision se trouvent modifiées. En
effet, les décisions peuvent être désormais le
37
Logistique & Management
résultat de débats collectifs et d’initiatives
partagées, les nouveaux canaux d’infor-
mation abolissant les obstacles que consti-
tuent la distance géographique et les délais.
Or, ces barrières se multiplient pour une entre-
prise qui adopte une gestion globale et in-
tégrée de la production, de la distribution...
Les TIC permettent un accès en temps réel à
l’information et favorisent le travail simultané
des activités malgré la distance géographique.
De même, au sein de la firme globale, les TIC et
le SI autorisent l’application de nouvelles mé-
thodes de management en rupture avec une
gestion de type multidomestique. En effet, el-
les favorisent le mise en oeuvre d’un processus
de fabrication intégré pour que les produits par-
viennent au même moment sur les différents
marchés mondiaux, une gestion commerciale
similaire dans les différents pays, l’application
de principes de gestion des ressources humai-
nes basés sur des méthodes de management
standardisées... En fait, les TIC permettent le
développement d’une organisation dont le
mode de gestion des activités est basé sur la
standardisation, l’intégration et la simultanéité.
Le développement d’une infrastructure infor-
mationnelle permet d’optimiser la gestion de
ces ressources en autorisant la mise en pratique
de tels principes de gestion.
Les TIC : facteur de rupture concurrentielle
entre firmes
Sachant que l’avantage compétitif de l’entre-
prise provient d’une asymétrie favorable du
marché, on peut aller plus loin dans notre ana-
lyse. Nous avons vu qu’à l’intérieur de l’entre-
prise il est possible, pour certaines fonctions
critiques, de reconceptualiser le rôle du SI et
des TIC. Mais les entreprises globales opèrent
aussi très largement au sein d’un vaste réseau
de fournisseurs, acheteurs, intermédiaires,
sous-traitants... Les sources d’avantages
concurrentiels pour la firme résideront donc
aussi dans l’exploitation de ressources criti-
ques déployées par l’entreprise à l’extérieur
de sa propre structure productive. L’entreprise
peut ainsi utiliser les TIC en vue de structurer
le secteur dans lequel elle évolue.
Ainsi, parallèlement à la mise en place d’un SI
interne dans les activités identifiées comme
« porteuses » en terme d’exploitation des pos-
sibilités technologiques des TIC, le dévelop-
pement d’un réseau de communication
public ou privé (norme propriétaire) organisé
autour de la firme constitue une opportunité
stratégique que le décideur doit intégrer lors
de l’élaboration d’une stratégie globale offen-
sive. En effet, outre les avantages stratégiques
38
présentés par un système d’information local
au sein même de la firme, l’existence d’un ré-
seau de communication inter-firme organisé
autour de la firme globale lui permet de mettre
en oeuvre une stratégie de domination du mar-
ché. Cette stratégie prend une dimension nou-
velle car elle se traduit par l’existence d’un
pouvoir de marché à caractère informa-
tionnel, c’est-à-dire basé essentiellement
sur l’adoption de normes technologiques
permettant la gestion efficiente des flux
d’informations entre différentes unités.
Ce réseau de communication inter-firme
s’ordonne autour des objectifs suivants :
l Disposer d’une flexibilité organisation-
nelle et stratégique d’initiative source
d’avantage compétitif permettant à la firme
d’être leader sur le marché
l Exercer un effet de domination, donc
d’exclusion ou de cooptation sur les parte-
naires et les concurrents.
Grâce au traitement automatique de
l’information, les nouvelles TIC permettent
de créer des « processus interorganisation-
nels » (V. GUILLOUX, 1994) facilitant le
partenariat entre agents. Les limites intraorga-
nisationnelles (à l’intérieur de la firme) et in-
terorganisationnelles (à l’extérieur de la
firme) deviennent de plus en plus floues. Des
structures industrielles en réseau se dévelop-
pent par coopération entre fournisseurs,
clients, concurrents... Une architecture infor-
matique très intégrée qualifiée de réseau de
quasi-intégration électronique sous-tend cette
nouvelle organisation. C’est le développe-
ment d’un réseau de quasi-intégration électro-
nique qui est à la base de la flexibilité
d’initiative de la firme globale et de l’exercice
de son pouvoir de domination sur l’environ-
nement. Les TIC génèrent un effet d’inté-
gration « par élargissement des limites de
l’organisation permettant d’atteindre un ni-
veau de contrôle et de coordination jugé suffi-
sant entre différentes entreprises » (R. REIX,
1992). Le rôle purement fonctionnel des
TIC dans le cadre de la firme multinatio-
nale traditionnelle s’efface ici. Les TIC of-
frent ici des potentialités stratégiques
fortes qui se traduisent par le maillage or-
ganisationnel du secteur autour d’une
firme globale.
Pour profiter de l’ensemble des potentialités
offertes par les TIC et le SI, une planification
préalable et simultanée de la démarche straté-
gique et des choix technologiques s’impose
dans l’entreprise. Pour y répondre, le décideur
doit assurer la cohérence entre la stratégie,
Vol. 6 – N°1, 1998

les structures de l’entreprise et les techno-
logies de l’information, en fonction du
contexte concurrentiel du moment. Donc,
c’est selon la structure et l’organisation de
la firme industrielle et selon les modalités de
la concurrence qui s’exerce, que les TIC et
plus précisément le système d’information
agissent comme facteur d’optimisation de la
stratégie mise en place. L’objectif de notre re-
cherche n’est donc pas de savoir si les TIC
constituent aujourd’hui un facteur de compé-
titivité pour les entreprises dans leur en-
semble, mais c’est d’identifier le(s) type(s)
d’organisation(s) susceptible de tirer profit de
la dimension stratégique des TIC. Il s’agit
alors pour nous de reconceptualiser le rôle des
TIC et du SI dans certaines entreprises indus-
trielles et pour certaines fonctions critiques.
L’étude de l’organisation globale de la firme
Whirlpool, en particulier en ce qui concerne
les fonctions de production et de logistique de
l’entreprise, permet de faire apparaître les op-
portunités stratégiques offertes par ces tech-
nologies.
2. Technologies de l’information
et nouvelles perspectives
en management stratégique :
le cas de la firme globale
Whirlpool
Afin d’analyser le rôle joué par les TIC dans la
décision de globalisation de la firme Whirlpo-
ol et la mise en oeuvre de sa stratégie, il
convient de faire un bref rappel historique de
l’évolution récente du secteur électroména-
ger. Le secteur électroménager est un secteur
sur lequel n’existe pas de marque mondiale
jusqu’en 1989. En effet, il est caractérisé par
la présence de quelques firmes multinationa-
les (Electrolux, Philips, Whirlpool) qui gèrent
un grand nombre de marques dans le cadre
d’une stratégie multidomestique. L’année
1989 marque un tournant décisif dans l’orga-
nisation de ce secteur et la stratégie de deux
firmes : Whirlpool Corporation (Etats-Unis)
et Philips (Pays-Bas). Le numéro un de
l’électroménager aux Etats-Unis, Brésil et
Mexique, s’allie avec le leader européen Phi-
lips. Le 1er janvier 1989 les deux firmes créent
une entreprise commune qui passera définiti-
vement sous le contrôle de Whirlpool Corpo-
ration en 1991, Philips n’ayant plus les
moyens de se maintenir dans cette branche. A
partir de cette date, l’objectif de Whirlpool est
clair : « Créer une marque universelle et
s’assurer que le nom de Whirlpool est consi-
Vol. 6 – N°1, 1998
Logistique & Management
déré comme la garantie des meilleurs produits
et des meilleurs services au monde ».
Pour atteindre cet objectif, Whirlpool déve-
loppe un système d’information et un réseau
de communication performants et intégrés, de
dimension mondiale. L’émergence d’un ré-
seau de quasi-intégration électronique des
transactions lui permet d’assurer une gestion
globale des ressources internes et de dévelop-
per des relations contractuelles nouvelles,
étroites et stables avec ses différents partenai-
res. On assiste alors à une reconceptualisation
du rôle du SI et des TIC pour les fonctions cri-
tiques que sont la production et la logistique.
Le système d’information de Philips au ser-
vice d’objectifs opérationnels locaux
Un système d’information différencié
Le système d’information du secteur électro-
ménager de Philips, en 1988, se caractérise
par deux éléments principaux. D’une part, il
n’existe pas de système d’information général
à l’ensemble des fonctions de distribution de
la firme et pas d’instance chargée de la coordi-
nation de l’ensemble des systèmes d’infor-
mation au sein de chaque activité de Philips
Electroménager. Les fonctions d’administra-
tion, de commercialisation, de marketing...
sont gérées par des supports informatiques
différents. D’autre part, aucun correspondant
unique n’est chargé des relations avec
l’ensemble des prestataires de service exter-
nes. Il n’y a donc pas au sein de l’entreprise de
système d’information susceptible de gérer
des activités parcellaires au départ.
L’architecture existante au niveau de la distri-
bution des produits et de l’approvisionnement
s’organise autour du système RETOPS qui est
un système de saisie et de traitement de la
commande et comprend un grand nombre
d’applications informatiques satellites à ca-
ractère spécifique. Il existe en effet une multi-
tude d’applications spécifiques, développées
selon les besoins du moment pour une marque
et/ou un produit.
La caractéristique principale du système
d’information existant en 1988 est donc la dif-
férenciation des applications informati-
ques. C’est l’organisation de la firme
multidomestique (autonomie des différentes
filiales nationales les unes par rapport aux au-
tres, spécificités de la production dans chaque
pays d’implantation...) qui justifie une telle ar-
chitecture informatique. L’organisation du
travail, telle qu’elle existe chez Philips, néces-
site l’utilisation de nombreux logiciels de ges-
tion différents pour chaque fonction de
39
Logistique & Management
l’activité distribution (il y a un logiciel de ges-
tion des approvisionnements, un deuxième lo-
giciel est destiné à la gestion des ventes, un
troisième est dédié à la distribution phy-
sique...) sans qu’aucune intégration générale
du système d’information ne soit pratiquée.
De même, chaque marque de produits dispose
d’une marge de manoeuvre importante en ce
qui concerne la gestion des différentes fonc-
tions de distribution. En conséquence, un
manque de cohésion se dégage tant au niveau
des applications informatiques (software) que
du choix du matériel (hardware). Par exem-
ple, Bauknecht dispose de sa propre architec-
ture informatique alors que l’ensemble des
autres marques du groupe Philips a tenté une
approche plus « harmonisée » du matériel in-
formatique, même si de nombreuses spécifici-
tés d’application apparaissent.
Ce type de gestion informatique se comprend
aisément dans la mesure où la gestion des
marques se pratique de façon relativement
décentralisée et que chacune dispose d’un
degré d’autonomie important. Enfin, le sys-
tème de base RETOPS, conçu comme un sys-
tème multidivision de produits et géré par la
plupart des marques lors du traitement des
commandes, s’est trouvé complexifié au fil
des ans par des traitements spécifiques à cer-
taines divisions de produits. Ces traitements
ont contribué à alourdir et à compliquer le sys-
tème alors que l’application particulière déve-
loppée était souvent ponctuelle car propre à un
produit à un moment donné.
Le système d’information, support du système
de gestion de la production et de la logistique
Le système d’information de Philips concer-
nant l’activité distribution en 1988 est donc un
système complexe et peu évolutif. Il peut ap-
paraître comme relativement désorganisé
mais il répond en fait aux besoins propres de la
firme multidomestique. Il correspond à une
multitude d’applications spécifiques -tant en
termes de gestion de marques que de produits-
et ne pose d’autre problème que sa complexi-
fication croissante. Dédié au départ à la ges-
tion unique de la marque et des produits
Philips, une multitude d’unités de gestion
« satellites » s’est greffée autour du système
principal afin d’assurer la gestion des autres
marques. Mais comme aucune intégration
générale de la gestion n’est pratiquée que
ce soit au niveau des marques ou des fonc-
tions, aucune intégration du support infor-
matique n’est nécessaire.
40
La gestion générale de la firme est basée sur
une gestion par marques (Philips, Radiola, La-
den, Ignis) et dans la mesure où la structure ne
privilégie pas les relations horizontales, le rôle
du système d’information se limite au support
technologique. Le système d’information de
Philips ne relève pas d’une gestion straté-
gique mais d’une politique de gestion « au
coup par coup ». Il participe à l’activité de la
firme en assurant une tâche fonctionnelle de
transfert de l’information au sein d’unités de
taille réduite, mais il ne constitue pas un fac-
teur susceptible de faire évoluer l’organi-
sation vers un type de gestion plus efficient.
Il n’offre aucune perspective en termes
d’optimisation du système de gestion de la
firme.
Lors de l’achat de Philips Electroménager par
Whirlpool en 1989, le rôle du système
d’information est devenu plus important dans
le cadre de la gestion stratégique de la firme.
Cette nouvelle organisation industrielle se
caractérise par une étroite coopération ho-
rizontale entre les différentes filiales qui
produisent pour un marché unique et non
plus pour le marché national. Elle implique
la gestion globale des marques, la mise en
commun des différents réseaux de distribu-
tion, l’arrivée simultanée sur les différents
marchés nationaux de produits globaux... Il
est donc devenu difficile de pratiquer une ges-
tion globale des produits et des marques à
l’aide d’une architecture informatique très
lourde et dédiée à une multitude d’appli-
cations spécifiques.
Le S.I. de Whirlpool et les T.I.C. facteur
d’optimisation organisationnelle et straté-
gique de la firme
La mise en œuvre de la stratégie mondiale
d’entreprise repose ici sur la nécessaire réor-
ganisation du système informatique. En effet,
celui-ci doit répondre aux nouvelles exigen-
ces en matière de gestion de la production et
des produits. Les TIC qui étaient considé-
rées jusqu’alors comme des facteurs passifs
-à caractère principalement fonctionnel-
agissent comme un « effet de levier » dans le
cadre d’une stratégie de globalisation. Mais
pour intégrer le système de pilotage de
l’entreprise, elles doivent faire l’objet d’une
planification stratégique rigoureuse de façon à
agir en cohérence avec le contexte concurren-
tiel et l’organisation de la firme.
Vol. 6 – N°1, 1998

Technologies de l’information et management
stratégique de l’organisation
En 1988, Whirlpool souhaite devenir le leader
mondial du secteur électroménager. L’acqui-
sition de Philips lui offre un degré de complé-
mentarité suffisant pour assurer la mise en
oeuvre de sa stratégie globale mais une recon-
figuration de l’entreprise s’impose afin de
pouvoir bénéficier des potentialités stratégi-
ques du SI.
a) La reconfiguration de l’organisation
productive
Afin d’exploiter les opportunités stratégiques
offertes par les TIC, une reconception des pro-
cessus de gestion et de la structure des deux
organisations s’impose. Cette nouvelle stra-
tégie se caractérise par la mise en place d’un
nouvel organigramme hiérarchique plus
plat et plus flexible permettant le développe-
ment d’un mode de gestion standardisé des
ressources humaines dans les différents pays.
Le SI a des implications managériales visibles
à travers ce nouvel organigramme car il est né-
cessaire d’assurer la cohérence entre l’infra-
structure informatique et l’organisation
hiérarchique. Une réorganisation s’impose
donc à double titre. Il s’agit d’une part, grâce
aux opportunités offertes par les TIC, de favo-
riser des effets de synergie et des économies
d’échelle et d’éviter la duplication des tâches,
la prise de décisions contradictoires... D’autre
part, il s’agit aussi d’assurer une plus grande
transparence dans l’organisation du travail
afin de limiter les conflits liés à la capacité de
chacun de disposer de l’information.
A cet objectif de cohérence s’ajoute un objec-
tif d’intégration qui se traduit par une coordi-
nation entre les différents responsables
chargés de pratiquer la gestion globale des
processus de production et du marketing...
Cette intégration a permis de passer d’une or-
ganisation géographique de la production
chez Philips à une organisation par centre de
compétence ou par produit chez Whirlpool.
L’organisation géographique de Philips privi-
légiait à travers les différentes marques du
groupe une gestion autonome d’un pays à
l’autre car de type multidomestique. Une
marque correspondait souvent à un pays (Phi-
lips en France, Ignis en Italie, Bauknecht en
Allemagne...) donc il y avait peu de relations
horizontales de pays à pays. La nouvelle
organisation de Whirlpool par centre de
compétence ou par produit (l’activité lavage
est essentiellement située en Allemagne, le
froid en Italie, le marketing-publicité en
Vol. 6 – N°1, 1998
Logistique & Management
France...) est gérée de façon très centralisée.
En effet, un étroit degré de coordination
s’établit désormais entre les différents
centres de recherche, de production, de
commercialisation... puisque les produits
fabriqués, les campagnes publicitaires lan-
cées, ne sont plus destinés uniquement au
marché national mais à un marché de taille
continentale, voire mondiale.
Afin de mettre en œuvre cette stratégie mon-
diale, Whirlpool Corporation a repensé totale-
ment l’organisation européenne conçue par
Philips. En effet, l’intégration cohérente du
système d’information indispensable à sa
stratégie globale conduit Whirlpool à diviser
l’Europe (au sens géographique du terme) en
5 régions principales regroupant 4 ou 5 pays
chacune :
l Région Ouest : Belgique, France, Espagne,
Portugal.
l Région Centre : Allemagne, Autriche,
Suisse, Hollande.
l Région Nord : Grande-Bretagne, Irlande,
Pays-Bas, Scandinavie, Norvège , Suède.
l Région Sud : Italie (la Direction de Whirl-
pool en Europe se trouve à Comerio),
Grèce.
l Région Est : pays de l’Est.
Cette intégration du système d’information
s’opère en trois étapes successive dans le
cadre d’une planification de long terme :
l Chaque région dispose d’une Direction
Informatique dont le rôle est d’assurer la
gestion intégrée des différents pays qui la
composent à partir des directives émanant
de Comerio (Italie). Pour assurer cette har-
monisation, un bilan de l’état de
l’architecture informatique existante dans
chaque pays est établi
l Dans un second temps, il faut pratiquer la
gestion intégrée des 5 régions à l’échelle
européenne à partir des directives de Co-
merio et de Whirlpool Corporation
l Enfin, dans une troisième étape, c’est au ni-
veau mondial que l’intégration se pratique,
l’idée étant de disposer d’un système
d’information unique et homogène dans
tous les pays où Whirlpool est installé
(Amérique du Nord, Europe, Asie...).
b) Un système d’information intégré
Afin de pouvoir assurer la gestion de
l’organisation globale il faut repenser la struc-
ture générale et le mode de fonctionnement du
système d’information de Philips. En effet,
comme aucune conceptualisation générale du
système n’était en place en 1989 lors du ra-
41
Logistique & Management
chat, Whirlpool a procédé à des modifications
visant à harmoniser la gestion dans les diffé-
rents pays, au niveau des marques mais aussi
des produits.
Afin de développer un système d’information
global, deux modifications essentielles ont été
apportées :
l Choix d’un logiciel intégré de commer-
cialisation commun aux différents pays
européens (AS 400 : plate-forme IBM) et
d’un fournisseur anglais unique chargé des
aménagements éventuels (JBA).
l Adoption d’un système de gestion de
l’activité commercialisation identique
dans tous les pays européens : c’est
l’European Commercial System (ECS) qui
remet en cause la gestion par marque et a
fortiori par pays.
En conséquence, les principales fonctions
liées à la logistique, et qui étaient jusqu’en 89
assurées par une multitude de logiciels, sont
désormais rassemblées autour d’une plate-
forme unique commune à tous les pays.
Whirlpool a pratiqué un « alignement stra-
tégique » entre l’organisation globale de
l’entreprise Whirlpool-Philips et les TIC
afin de pouvoir exploiter leurs potentialités
et afin qu’elles agissent comme un « effet de
levier » sur l’organisation dans son en-
semble.
Ce système intègre l’essentiel des fonctions
logistiques (gestion des approvisionnements,
saisie et traitement des commandes, adminis-
tration des ventes, gestion des stocks...). Ce
système d’information intégré a permis la
création d’une base de données accessible par
l’ensemble du personnel de l’activité com-
merciale, quelle que soit sa fonction (service
du planning, comptabilité...). Il répond donc à
de nouvelles exigences en termes de gestion
commerciale engendrées par le nouveau
mode de fonctionnement de l’organisation.
Cette base de données permet aussi d’assurer
la transparence de l’information à d’autres ni-
veaux :
l Elle peut être consultée par tout le person-
nel, notamment le personnel de l’activité
de production. Il est donc possible pour
cette activité d’exploiter les données four-
nies par la distribution et de les traduire en
modèle de production ;
l Elle est librement accessible par le person-
nel de Whirlpool quelle que soit sa locali-
sation géographique dans la mesure où un
langage commun est utilisé entre les diffé-
rents pays. Il n’y a pas de codification
propre à chaque pays et relative à la gestion
42
des produits ou des marques. Ceci facilite
la transparence de l’information, sa
circulation et son exploitation au sein
d’une structure éclatée géographique-
ment mais qui demeure très centralisée.
c) Un système d’information flexible
L’intégration des différentes fonctions au sein
d’un système d’information unique et cohé-
rent a nécessité une adaptation à quelques spé-
cificités culturelles et fonctionnelles. Ainsi,
par exemple, en France, les règlements des
transactions commerciales s’effectuent sou-
vent à l’aide d’effets de commerce (notam-
ment par lettre de change). Or, dans les plupart
des autres pays européens, le mode de paie-
ment quasi exclusif est le chèque. En consé-
quence, il a fallu associer un certain degré de
flexibilité au système d’information de façon
à ce qu’il accepte de gérer certaines spécifici-
tés. Concrètement, il a fallu « greffer » autour
du ECS des modules permettant d’assurer la
flexibilité du système.
D’autre part, certaines fonctions particulières
continuent d’être gérées en marge du ECS à
cause de leur spécificité. Elles sont confiées à
des logiciels de gestion utilisés par Philips en
88. L’objectif de la Direction Informatique de
la région Ouest, comme celui des autres ré-
gions européennes, est de limiter au maxi-
mum le recours aux différents modules
satellites du ECS. La volonté est d’intégrer
les différentes fonctions au sein d’un projet
commun européen et mondial tout en gom-
mant les spécificités culturelles et fonction-
nelles.
Whirlpool base aussi son développement sur
l’EDI qui permet à la dizaine unités de fabrica-
tion qui se trouvent en dehors de la France
d’échanger régulièrement des informations
avec le service de commercialisation et no-
tamment le planning. L’EDI permet un suivi
de l’approvisionnement en temps réel dans la
mesure où quotidiennement les usines en-
voient les factures de produits finis à Sures-
nes. De même, une fois par semaine, elles font
parvenir le plan de production fixé sur les trois
mois à venir. Pour l’ensemble des produits ré-
férencés, grâce à cette gestion en temps réel, il
est possible de planifier l’organisation de la
production, d’éviter les ruptures de stock, de
prévoir les délais de livraison...
Les TIC offrent ici un ensemble de potentialités
nouvelles indispensable à la réalisation de la
stratégie globale en permettant la transition de
la firme multinationale, gérée de façon multi-
domestique c’est-à-dire à partir d’une organi-
Vol. 6 – N°1, 1998

sation basée sur les marques et les pays, à la
firme globale gérée par centres de compétences
(produits) de façon intégrée et très coordonnée.
Elles assurent aussi le développement de rela-
tions verticales et surtout horizontales en cen-
tralisant les données, et en les répartissant
entre les différentes unités. Ces technologies
offrent de nouvelles perspectives en termes de
management stratégique. Elles autorisent
l’abolition des distances géographiques et
des délais inhérents à une stratégie globale
basée sur une gestion standardisée des diffé-
rentes ressources et un fort degré de complé-
mentarité entre les unités. Les activités de
production, de logistique, de marketing sont re-
lativement intégrées grâce au support informa-
tique choisi. L’harmonisation des langages en
matière d’information favorise la coordination
étroite d’activités « décontractées » géogra-
phiquement tout en assurant un certain degré
de flexibilité au système. Cette flexibilité et
cette intégration constituent des avantages
concurrentiels pour Whirlpool. Les TI auto-
risent le management des activités de la firme
en temps réel par un partage immédiat des res-
sources et des informations. Mais elles permet-
tent aussi la gestion de certaines spécificités
incontournables, tout en assurant la stabilité de
l’organisation.
L’apparition d’une nouvelle organisation vir-
tuelle
Si l’EDI est utilisé au sein de la firme entre les
différentes unités, il permet aussi de relier la
firme à son environnement. En effet, il faci-
lite le transfert de l’information entre le ser-
vice de commercialisation qui, pour la région
Ouest, est situé à Suresnes, et les entreprises
de transport auxquelles Whirlpool recourt
parfois pour assurer les livraisons. L’EDI sou-
tient aussi logistiquement les liaisons établies
entre Whirlpool à Suresnes et des partenaires
indépendants qu’ils soient fournisseurs, dis-
tributeurs ou bien sous-traitants. Ce réseau
s’étend jusqu’aux activités financières puis-
que l’EDI permet l’échange d’informations
entre le service de commercialisation et les
banques. A l’EDI sont associées d’autres
technologies de l’information comme le vi-
déotex notamment qui permet la saisie des
commandes, le suivi des clients...
Whirlpool est devenue le noyau d’un réseau
d’entreprises qui basent leurs relations sur
l’harmonisation de leur infrastructure infor-
matique. La coopération qui s’établit entre
Whirlpool et ses fournisseurs, clients... finit
par créer un enchevêtrement organisationnel,
un maillage organisationnel du secteur élec-
Vol. 6 – N°1, 1998
Logistique & Management
troménager autour de la firme pivot. L’uti-
lisation d’un support de communication nor-
malisé apparaît comme un facteur de
compétitivité original pour la firme car il
constitue la condition de tout échange entre
Whirlpool et ses partenaires. En conséquence,
l’entrée dans le réseau est conditionnée par
la capacité des partenaires éventuels à
s’adapter au système de normalisation
électronique des transactions imposé par
Whirlpool.
Whirlpool bénéficie d’un avantage concur-
rentiel qui s’illustre par sa position de pivot
au sein du réseau. L’intégration électronique
des transactions imposée par la firme ren-
force cet avantage. En effet, elle lui permet
de structurer son environnement en éri-
geant une barrière supplémentaire à
l’entrée de nature informationnelle. La vel-
léité d’entrée des firmes postulantes peut être
découragée par la nécessaire normalisation
électronique des transactions imposée par la
firme c’est-à-dire ici par le recourt à l’EDI.
C’est particulièrement vrai pour les petits
sous-traitants ou les petits distributeurs qui
travaillaient avec la firme Philips à partir de
processus d’échange plus traditionnels et sou-
vent spécifiques (gestion par marques). Cer-
taines entreprises prennent le risque de se voir
exclues du réseau pour ne pas pouvoir ou ne
pas vouloir s’adapter au nouveau standard de
communication imposé.
Mais le choix de ce support de communication
montre la volonté de Whirlpool de développer
un réseau ouvert. En effet, l’EDI est relative-
ment facile d’accès et ne nécessite pas
d’investissements jugés trop irrécupérables
par les membres du réseau et donc suscepti-
bles de remettre en question leur partenariat
avec Whirlpool. La firme -totalement in-
connue en Europe en 1989- veut se présenter,
au départ, comme un « partenaire à part en-
tière » face aux membres du réseau. Elle sou-
haite dans un premier temps faciliter l’entrée
dans le réseau afin de multiplier ses partenai-
res et de profiter des compétences acquises
par les différentes entreprises. De plus, le
choix d’une norme publique permet de ne pas
enfermer les entreprises au sein d’un réseau
unique (celui de Whirlpool). La firme entend
ainsi pouvoir bénéficier des savoir-faire des
sous-traitants qui appartiennent à d’autres ré-
seaux et qui travaillent donc en collabora-
tion avec les concurrents de Whirlpool.
Enfin, cloisonner le réseau en en limitant
l’entrée de partenaires potentiels signifierait
aussi cloisonner son propre marché, ce que ne
43
Logistique & Management

peut se permettre une firme qui est inconnue et
qui adopte sur un marché traditionnellement
multidomestique une nouvelle stratégie de
type mondial. Ce n’est donc qu’une fois par-
faitement insérée dans le secteur européen de
l’électroménager, que Whirlpool pourra envi-
sager d’exercer plus fortement son pouvoir de
domination en adoptant une norme privative.
Le processus de normalisation des transac-
tions à partir de l’EDI a donc l’avantage
d’assurer à Whirlpool un certain degré de sta-
bilité parmi les membres du réseau c’est-à-
dire de « fidéliser » ses partenaires ainsi qu’un
3 – Les trois rôles dévolus au SI transfert de savoir-faire.
s’inspirent de la typologie éla-
borée par N. VENKATRAMAN Les apports stratégiques du S.I. et des T.I.C. :
(1995). Mais l’auteur ajoute une pour un nouveau management stratégique
quatrième dimension supplé- de l’organisation
mentaire que nous ne retenons
pas : il s’agit de l’expertise La reconceptualisation du SI et des TIC il-
(échange d’informations non lustrée par la firme globale Whirlpool fait in-
structurées reflétant la création
tervenir plusieurs variables qui doivent être
d’un réseau intellectuel virtuel
traversant les frontières physi- gérées de façon cohérente et rigoureuse dans
ques et organisationnelles). Cet l’entreprise. Elle implique donc un nouveau
aspect, que l’auteur classe en processus de management stratégique de
dernière position dans une typo-
Whirlpool et des facteurs clés de succès que
logie hiérarchisée, ne nous
semble pas essentielle à la re- sont la structure organisationnelle, la stratégie
conceptualisation du SI c’est globale, les partenaires et les technologies de
pourquoi nous n’en tenant pas l’information (Graphique 3).
compte.
Graphique 3
Reconceptualisation des technologies de l'information
et processus de management stratégique de l'organisation
ENVIRONNEMENT
TECHNOLOGIQUE
EXTERNE
Structure organisationnelle de Whirlpool :
- unités dispersées
- coordination horizontale et verticale
- firme-réseau
Stratégie globale : PROCESSUS Technologies :
- leader mondial DE MANAGEMENT - SI flexible intégré
- produits globaux - plateforme unique
STRATEGIQUE - EDI
Partenariat : quasi-intégration électronique
des transactions avec :
- fournisseurs
- sous-traitants
- concurrents
ENVIRONNEMENT
ECONOMIQUE
ET SOCIAL EXTERNE
Source : nous-mêmes.
Notre hypothèse est que le caractère straté-
gique des TIC et du SI n’apparaît que dans le
cadre d’une organisation clairement identifiée
-la firme globale- évoluant au sein d’un
contexte concurrentiel mondial. A travers
l’exemple d’un SI intégré appliqué à la fonc-
tion de production et à la logistique de la firme
Whirlpool, les technologies de l’information
apparaissent comme un facteur d’optimi-
sation de la stratégie de la firme. Cet « effet de
levier » sur la stratégie productive s’exerce se-
lon nous à travers trois dimensions : les tran-
sactions, les stocks, les processus3.
En effet, par opposition à la firme multinatio-
nale Philips, la dimension stratégique des
technologies de l’information en gestion de la
production et en logistique permet première-
ment de favoriser les transactions à travers
des échanges de données structurées entre
des organisations géographiquement disper-
sées. Cet échange s’effectue grâce à une
plate-forme informatique commune (voir AS
400, E.C.S. chez Whirlpool) et grâce à
l’utilisation de « formats prédéterminés et
mutuellement agréés » (tel que l’EDI par
exemple). Des applications se traduisent par
un système de paiement électroniques, les
systèmes de prise de commandes et les systè-
mes de suivi des ordres (on passe des transac-
tions entre les organisations à l’aide
d’ordinateurs et de systèmes de communica-
tion sans intervention humaine de routine).
Le réseau qui se crée au sein des différentes
unités productives de la firme globale et entre
les partenaires de la firme (fournisseurs,
clients, sous-traitants) permet d’estimer les
stocks disponibles sans délais excessifs. En
plus des échanges directs de données, il est
possible de vérifier l’état des stocks existants
et de déclencher des mouvements de com-
mande. Ainsi, par exemple, l’intégration élec-
tronique de Whirlpool rend possible la mise
en place de systèmes et procédures de gestion
des stocks en Juste-à-Temps.
Enfin, à un troisième niveau, l’harmonisation
informatique de la firme globale Whirlpool a
permis d’intégrer l’ensemble des processus
de fabrication à l’aide de liaisons électroni-
ques. Le système fournit des informations re-
latives par exemple à des processus de
fabrication intégrés entre différentes unités de
Whirlpool. Le SI sert ainsi de base à l’appli-
cation du principe de la transversalité dans les
organisations en décloisonnant les diverses
activités de l’entreprise. Le SI intégré permet
de mener de manière coordonnée et sans inter-
ruption de flux, les activités de recherche, de

44 Vol. 6 – N°1, 1998


développement, et d’industrialisation, même
si les unités sont géographiquement disper-
sées. De même, à l’extérieur de la firme glo-
bale, la quasi-intégration électronique des
transactions entre Whirlpool et ses partenaires
favorise la gestion de projets en commun. Elle
contribue ainsi à développer un réseau
d’entreprises autour ou avec Whirlpool sous
la forme d’une nouvelle organisation qua-
lifiée de « virtuelle ».
La redéfinition stratégique des TIC apparaît
donc à travers les trois composantes que nous
avons énoncées. Elle reflète, d’une part,
l’efficience des technologies de l’information
au sein de la firme globale Whirlpool par rap-
port à la firme multinationale Philips. En effet,
celle-ci, de part son organisation peu coor-
donnée, gère au niveau opérationnel une
architecture informatique extrêmement diffé-
renciée. Cela se traduit par un coût de gestion
élevé et par un degré de complexité croissant
des systèmes dédiés à des applications ponc-
tuelles spécifiques propres à certaines mar-
ques. La firme Whirlpool au contraire oriente
ses choix technologiques comme son choix
organisationnel, c’est-à-dire dans le cadre
d’une planification de long terme et d’un ali-
gnement stratégique cohérent, afin de bénéfi-
cier d’un certain degré d’économies sur les
coûts. D’autre part, la firme Whirlpool pose,
grâce à son système d’information, les condi-
tions d’un partenariat global avec les autres
firmes. En spécifiant les normes de l’échange,
elle introduit un critère de discrimination au
sein des partenaires potentiels. De plus, elle se
positionne de façon originale par rapport au
marché en détenant un pouvoir de marché de
nature informationnelle ce qui lui permet de se
différencier par rapport à ses concurrents et de
différencier ses actions.
Conclusion
La stratégie de Whirlpool met en évidence la
remise en cause des stratégies multidomesti-
ques et la montée en puissance des stratégies
globales. Celles-ci se définissent simultané-
ment par :
l L’unification relative des gammes de pro-
duits et la standardisation des méthodes de
gestion au sein de la firme.
Since the early 80’s, the development of information technologies (I.T.) and the globalization are leading firms to modify in a consi-
derable way their productive, logistic and commercial organization. This reconfiguration in favour of a more global structure en-
couraged the emergence of new strategical potentialities for the I.T.
This paper deals with the conditions of reconceptualization of the role of the I.T. Our hypothesis is that their highly strategical
feature only appears in the frame of a clearly identified organization - the global firm - and for critical functions such as the produc-
tion function and the logistics.
Vol. 6 – N°1, 1998
Logistique & Management
l La spécialisation des unités par centres de
compétence.
l La gestion et la coordination centralisée de
l’ensemble des activités du groupe.
l La nécessaire gestion du changement dans
un contexte d’innovation technologique
permanente.
La caractéristique centrale et spécifique de
cette évolution est l’intégration des activités de
gestion par l’intermédiaire d’une plate-forme
informatique. Cette intégration a été rendue
possible grâce à une reconfiguration de l’orga-
nisation et de son environnement économique
mais aussi et surtout par la redéfinition du rôle
des TIC et du SI dans et entre entreprises.
Le rôle stratégique des TIC est déterminant
dans le cadre d’une stratégie globale dans la
mesure où le système de gestion de la firme
doit être intégré. Ce n’est pas le cas lors
d’internationalisation par multinationalisa-
tion car cette stratégie s’appuie sur une ges-
tion relativement autonome et indépendante
de chaque filiale. Le besoin de coordination
globale n’existait pas ou peu lorsque Philips
laissait chaque marque décider de sa propre
politique commerciale. La mondialisation
d’une stratégie d’entreprise, à l’image de
l’opération de Whirlpool, se fonde désormais
sur une nouvelle logique organisationnelle,
manageriale et informationnelle, englobant
l’Europe et le monde. Cette démarche conduit
la firme à devenir la firme-pivot d’un réseau.
Elle associe son propre succès au développe-
ment des potentialités stratégiques des TIC.
Le système d’information a désormais une
nouvelle dimension dans l’entreprise puis-
qu’il ouvre de nouvelles opportunités stratégi-
ques à la firme. Il assure la réorganisation des
différentes fonctions et permet l’établis-
sement de relations de coopération entre les
unités spécialisées. Il occupe aussi une place
particulière dans les relations entre l’entre-
prise et son environnement. En fait, la compé-
titivité de la firme globale repose sur la
reconceptualisation du rôle du SI et des TIC.
Cette reconceptualisation implique une plani-
fication préalable de ces technologies afin
d’assurer leur cohérence avec la structure or-
ganisationnelle et concurrentielle au sein de
laquelle elles prennent place.
45
Logistique & Management
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