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CONTES ET LEGENDES

D’AFRIQUE NOIRE

L
'Afrique noire est une ce qui est écrit dans notre lan- on tête sa grand'mère.

I
terre ardente où s'éclai- gue, celle que nous parlons, l est des arts qui se jouent
rent fortement les celle que nous parlons aussi en des dimensions de l'espace
paysages de la bête et rêvant, que nous sommes ad- et déroulent librement leurs
de l'homme. Dans ce pays-là, je mis comme des personnages. accords, leurs variations et
sais que j'ai été reconnu, moi Même si on connaît parfai- leurs répétitions créatrices ; la
l'étranger, moi le paysan des tement une langue étrangère, musique, la danse, la littérature
bords de Seugne. Il y a plus de c'est toujours un étranger mal à orale... C'est en eux que s'ex-
vingt ans, j'arrivai à Dakar où je l'aise et dépaysé qui essaye de prime le plus franchement l'âme
devais enseigner au lycée. Je rejoindre les héros de l'aventure d'une terre, le génie profond
venais de ma Saintonge où l'au- écrite, et c'est comme si ceux-ci d'une race, c'est en eux que l'ac-
tomne est, chez nous, d'une ai- se méfiaient de vous, comme cent est le plus sincèrement mis
sance un peu molle, roux et vi- s'ils ne se sentaient pas complè- sur les expressions majeures de
neux avec quelque chose de tement libres et se parlaient l'esprit, de l'imagination et du
passionné qui n'appartient qu'à souvent dans le creux de rêve.
cet endroit. . l'oreille. La musique, non pas
Je savais les disciplines Et de même en Afrique celle des tams-tams qui n'ont ja-
d'une terre bien mise dans le noire où le conteur est dans le mais chanté dans aucune fête
mouvement lent des bœufs de secret de l'histoire. Il sait la de brousse, mais se contentent
labour. J'avais connu des ma- forme dans quoi il faut mouler de parler la nouvelle ou de tisser
ges en sabots, des rebouteux et les couleurs dont il faut enlumi- la trame sur le métier des soirs
des sorciers. Césaire Jaume, ner l'image, pour que l'accent de fêtes, la musique aide aux
mon grand-père, l'aîné de sept soit mis, comme dans un pa- évasions. Les balafons égout-
garçons, qui, avec le miel, les tois, pour que celui qui entend, tent leurs notes liquides, les flû-
tisanes et les prières, aux veilles entende dans la chair et qu'il y tes et les petits violons mono-
des grandes fêtes carillonnées, ait l'écho du sang, dans l'audi- cordes tissent et brodent... Et en
guérissait les écrouelles, tout toire. Afrique noire comme ailleurs, la
comme les rois au sang bleu. Et c'est cela qu'ailleurs musique développe les accents
En Afrique noire, c'est et partout on nomme littérature. les plus purs de la solitude. Elle
ce paysan de Saintonge qui a Bien sur nous ne som- agrandit son palais, colore la
écouté surtout la terre, la terre mes pas habitués à cette litté- toile du décor de féerie et dore
qui reconnaît ceux qui l'enten- rature orale. Nous la tradui- l'étoile qui montre le chemin au
dent au ras du sol. J'ai eu mes sons et l'interprétons comme cortège pieux des récitants du
rendez-vous avec l'antilope et pour des enfants et nous enten- silence.
avec l'éléphant. Aux soirs où la dons souvent très mal tout ce
brousse f a i t halte aux greniers que ce folklore conserve de
à mil, à l'heure des contes, j'ai précieux, dans les liens de la
vu accourir les étendues et se tradition, de la morale et de
grouper les champs en trou- l'histoire, le legs des ancêtres et
peau, autour de l'homme qui de la religion...
monte la garde auprès de son C'est dans ce folklore
feu. C'est l'heure où l'homme de que ceux qui cherchent
savane, de la forêt ou des dé- l'homme trouvent des repaires
serts de sable, invite, dans le fixes, comme les proverbes li-
cercle de la veillée, ses dieux, mitant la vie et ses marges. Et
ses héros légendaires et la Bête je pense à cet admirable pro-
qui fut au commencement du verbe Ouolof où se trouvent
pacte avec la terre. contenus, à la fois, la règle des
Mon seul but est d'es- femmes qui n'abandonneront
sayer de faire partager ici le dé- pas l'enfant dans la case où la
sir d'aller écouter l'Afrique noire, maman est morte, l'espoir dans
dans ses légendes à travers la vie qui continue, la foi dans
cette littérature orale du folklore la miséricorde divine et le sim-
indigène, son épopée, ses ple miracle du lait intarissable :
contes, ses chansons, ses pro- Kou amoul n'duège, nampa
verbes. mame
C'est seulement dans Quand on n'a pas de mère,

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La danse, c'est l'acte la passion la plus fertile, dans à une famille dont les liens se-
de foi et l'action de grâce... La l'émotion la plus affranchie, crets sont forts, dont l'héritage
danse, c'est l'art majeur de l'In- ceux qui jouent les figures du est méticuleusement classé et
tention. En pays noir, même ballet de la vie ne cèdent pas qui ont une longue habitude
dans l'expression de sa brutalité à l'ivresse enchantée. Ils se de s'accorder dans les sous-
la moins retenue, dans sa fiè- défendent d'être portés dans entendus, les signes de clans,
vre la plus délirante, dans son la fièvre ingénue de l'apprenti les gestes rituels, il n'est pas
aveu le plus charnel, la danse sorcier qui ouvre en plein tous besoin d'expliquer, il suffit de
propose — et ce n'est pas une les registres. De toutes façons, suggérer.
image seulement — la danse musique et danse demeurent
propose le bond magique qui dans le domaine idéal de la fan- Et c'est ainsi qu'autour du
porte l'être au sommet de ses taisie, réaliste, évocatrice... le conteur qui narre et vit l'histoire
silencieux éblouissements : la refuge bien défendu des dans ces représentations indigè-
peur, la joie, la mort, l'amour... saouleries de l'âme ; le "dolo" nes, le sel le plus précieux, la
Voisines et mêlées sou- magique qui ne grise que l'es- sève la plus fine ne sont pas goû-
vent, la musique et la danse déli- prit. tés. L'Européen, même s'il entend
vrent…. La littérature indigène la langue, ne perçoit pas l'intra-
donnée par la parole a des duisible, ce qui est écrit dans la
Des rythmes sont en possibilités plus finies... aurait marge du conte, ce que le geste
nous, qu'elles libèrent. Il est des devrais-je dire, si elle était ré- évoque pour les initiés. Et que dire
hymnes sans paroles, pour le citée et comme lue, ainsi alors des évocations qui revêtent
blanc comme pour le noir, des qu'on lit une fable à des en- un caractère religieux ? Celles-là
vivants qui jouent quotidienne- fants. Mais en Afrique noire, non seulement sont intraduisibles,
ment leur farce d'hommes, tragi- on ne lit pas, on ne récite pas, mais elles échappent complète-
que, comique, décevante, il est on mime. Contes et légendes, ment à l'étranger alors qu'elles ont
des hymnes de ralliement, aux évocations du merveilleux, ré- une action profonde sur les hom-
feux d'une rampe, à la halte d'un cits satiriques, poèmes épi- mes du village dont la sensibilité
soir des villages de brousse, où ques, farces, comédies, fa- est entraînée à fortifier l'écho de
il est chanté, où il est mimé, où il bliaux, chansons d'espoir ou toutes ces intentions plus ou
est affirmé surtout que la condi- d'amour, chants religieux, com- moins magiques, cachées dans la
tion de l'homme est souveraine plaintes... tout le folklore noire trame et le thème qui permettent
et qu'il existe pour lui, une solide est mimé et dansé. Et non dans l'homme de singuliers déve-
continuité de l'espoir. seulement la danse complète loppements.
Plus peut-être qu'en au- le chant ou le récit, mais en- Il est probable que ce
cune terre, l'homme noir, en celte core elle se substitue à eux qu'on peut appeler l'art dramati-
Af r i q u e des soleils drus , dans des phases de silence que en Afrique noire, ébauches
connaît ces magiques évasions où l'expression seule du mime de manifestations théâtrales,
et célèbre avec ferveur ces rites et ses gestes, suffisent à pro- contes et légendes joués et mi-
qui confirment sa présence dans longer et développer l'histoire. més, thèmes tragiques ou comi-
le grand ordre de la nature, le Car chacun des gestes de la ques de la vie courante, inter-
soutiennent et le font ainsi, danse a un sens. Les Euro- prétés aux veillées des villages
par instants précieux, péné- péens peuvent rarement être par le professionnel, l'amateur
trer dans le secret de sa sou- admis à entendre ce moyen de la soukala et de la case,
mission à la vie. conventionnel d'expression, trouve ses origines anciennes
L'art n'est qu'une recher- parce qu'en cet art, toute la dans les cérémonies rituelles.
che plus ou moins auda- finesse du jeu est dans l'ébau- Dans toute l'Afrique, depuis les
cieuse de soi, dans l'homme. che, dans la stylisation. premières c o n d i ti o n s de
Mais le fétichiste connaît des C'est déjà du théâtre. l'homme avec le sol, les fêtes de
interdits impératifs. Il a depuis Et si au théâtre en Eu- la terre, aux saisons marquan-
les premiers accords avec la rope, on bâtit sur règles et tes des semailles et des récol-
terre, jalonné ses routes, plan- conventions, celles du théâtre tes, font danser les masques.
té ses bornes. II a trouvé la indigène, même avec un seul Cette vertu des gestes du
graduation de tous les com- acteur, le griot qui joue tous conteur sont encore dans le jeu
promis qui lui garantissent les personnages, sont pres- le plus simple d'une farce ou
son existence dans le que impossibles à saisir pour d'une fable, des survivances de
royaume animal, végétal et di- l'étranger. Car le récit, le la qualité secrète du langage qui
vin... L'imagination artistique conte, la fable ont été conçus permet de se reconnaître entre
est une audace interdite. et développés dans le climat soi, d'un même groupement,
Le chant, la danse, sont- du village. Le village conduit d'une même caste. Il n'est pas
ils plus libres que ces techni- sa vie, il en a ordonné les ri- douteux que le griot prend avec
ques consacrées par la cou- tes : vie réelle, vie mystérieuse, le vocabulaire des précautions
tume et qui forment toujours cette dernière étant la plus ri- qui lui permettent des audaces
la même main à l'artisan ? che, la plus touffue... Alors, il dont il serait incapable s'il de-
Il est probable que dans n'est pas besoin pour ces vait traduire en clair ce que sa
ce domaine encore, la répéti- gens qui sont mêlés dans la fantaisie peut avoir de provocant
tion est la règle du jeu. Dans vie unanime, qui appartiennent pour les puissances occultes....

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ou humaines, qu'il parle des des rois dont la vertu est stable La nuit est bonne pour
dieux, des génies ou des rois. parce que la fidélité des vas- y railler sa misère, pour faire
D'où les formules, les saux en demeure la seule et ré- rire son mal. La nuit vous libère,
jeux oratoires, les scènes elle sauvegarde... Les dieux, les cache les trous des masques
muettes qui n'ont de sens que rois, les femmes... de la bête qui parlera pour
pour l'initié qui a été conduit à Je m'excuse. Mesda- l'homme. Tout le monde recon-
ce moment du récit, et le pour- mes, d'aller entendre jusque naîtra l'homme, mais il pourra
suit, le prolonge sans le soutien sous ces soleils noirs le tour- demeurer en paix, le témoin et
du conteur... lui fait passer sans ment de l'éternel masculin. prendre sa part, quand l'arai-
pont, un endroit difficile. Et C'est encore un nouvel aveu de gnée des forêts du sud ou le liè-
toute une assemblée de rire et l'homme et de sa faiblesse... et vre q u i parcourt la fable de la
d'applaudir le talent de celui qui, c'est ainsi que je vous prie de mer au Niger et va contant jus-
sans engager personne ni lui- l'entendre. C'est la nuit et sous qu'au pays Agnie où il ne pour-
même, a permis à tous de fran- le masque, sur les chemins de rait pas vivre dans l'immense
chir le pas, de se retrouver en- la fable que l'homme essaie de forêt qui porte à bout de branche
semble de l'autre côté, en terre rencontrer la femme, la vraie, des ciels pleins d'eau, quand la
plus franche où la fable peut re- l'inconnue... le mépris dans le- tortue ou le rat viennent fa i re
partir librement et courir tout quel il tient sa compagne ne leur tour, et interrompent la lé-
droit sur ses d eu x pieds, avant suffit pas à interdire sa puis- gende qui coulait menu, pour
d'aller, en fin d'histoire, se je- sance maligne, sa rouerie, et dire to u t haut la vérité de cet
ter comme tous les contes nè- s u r tou t sa souveraine fai- endroit des hommes.
gres, à la mer… blesse. Il est nuit, et la bête a toutes
les audaces. Les dieux sauront
qu'on n'est pas dupe. Les prêtres
connaîtront qu'on les juge. Et
l'homme peut rire parce que
c'est l'araignée, l'araignée de
Côte d'Ivoire qui a pris le train,
est remontée par Agboville, est
descendue à Bobo Dioulasso,
a pris la route de la kola,
comme un dioula, un colpor-
teur, et est arrivée ce soir dans
ce village de la brousse souda-
naise pour dire leur fait aux
puissances d'en haut et d'en
bas.
C'est l'araignée. Elle a
ce ventre énorme et ces pattes
d'or qui lui font tisser le fil de
plongée de la cime bleue des
ramures qui étoffent le sommet
des hautes colonnes massives
des bois du Sud, jusq u'à la
clairière noyée dans la pénom-
bre des verts acides, des vio-
lets pourris où la proie se dé-
Le conteur ne déve- Il faut donc la nuit pour senlise pour s'arracher à la
loppe la magie de son verbe conter. corruption de cette lumière
que la nuit. D'abord, l'obscurité Jusqu'où ira l'insulte à fangeuse. Elle est à son aise,
et sa secrète emprise excitent sa misère de ce village à la l'araignée, même dans cette
sa verve et aident à l'inspira- halte d'un soir de brousse, nuit souple du Haut-Soudan,
tion. De plus, le griot se sent quand on attend depuis un mois dont elle a appris le patois, les
protégé dans les ténèbres qui la saison en retard, la grasse gestes et les signes de recon-
couvrent le secret, le voilent. pluie des semailles... quand les naissance. Elle est plus fine
C'est toujours en marge du se- morts n'intercèdent plus avec que le lièvre, aussi rusée que
cret qu'il va développer sa fan- l'autorité que leur prêtent les lui et plus brutale que la pan-
taisie. Il le frôle, il le découvre vivants de l'heure... quand on thère ou le lion. Et ce soir elle
pour ceux qui attendent de l u i vous demande la graine du tra- est en verve. Comme elle a
cette audacieuse entreprise. Et vail, l'argent du travail, et vos craché sur le mauvais riche. Et
les thèmes majeurs ne s'abor- mains de travail quand c'est quelle longue bile…
dent pas sans crainte... Quels l'heure d'une revanche à pren- Le décor du conte,
sont-ils ? Ils traitent des reli- dre sur tout ce qui opprime, sur dans tonte l'Afrique noire, c'est
gions, de leur ordonnance, de la tout ce qui n'est pas juste, sur la nuit sous les étoiles et la
fantaisie incohérente des dieux, tout ce qui fait peur...? lune. Dans la forêt, sur la sa-

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vane, jeux d'ombres et de bru- ou une bordée de vocables riture, la plus grasse et la plus
mes qui se nouent. C'est durs comme des pierres qui se abondante des viandes, tou-
l'heure immobile. Au centre du brisent, d'injures dans une tru- chait presque la terre. Les
groupe qui va écouter : le griot, culente licence de mots et de hommes rampant sous cette
le feu... Tout le village est là, grimaces quand il s'agit de la- mâne céleste, savaient des
les vieux au premier rang de pider le mal et de soulever tout siestes heureuses, jusqu'au
l'auditoire, les hommes, les un auditoire dans une brève jour où ce paradis des premiers
femmes, les petits qui grouil- révolte vengeresse des hum- âges remonta dans les étoiles,
lent par terre, nus. Une formule bles. parce qu'une vieille femme
ouvre la scène comme les trois La bête est souvent sotte, en écrasant son maïs,
coups du rideau. convoquée. L'oiseau descend, heurta le ciel de son pilon.
Partout on goûte l'élo- le fauve gronde. C'était dans le temps où la mort
quence et les morceaux de était un beau voyage qu'on en-
bravoure et les Ouolofs du Sé- Les genres développes par la lit- treprenait à son heure, après
négal sont passés maîtres térature orale indigène en Afri- s'être paré comme pour une
dans ces joutes oratoires où le que noire sont d'inspiration my- fête, et recevoir dignement le
verbe se déploie dans l'hu- thique, épique ou purement lé- récadaire de dieu, le messager
mour, le compliment, la gendaire. Les divinités cosmo- qui se faisait reconnaître.
louange. goniques ont largement inspiré Les noirs dans tous les
Le conteur, la plupart toutes les légendes, en particu- domaines de l'art ont fait une
du temps, pour les grandes as- lier celles du Dahomey et M. large part à leurs dieux, à leurs
semblées, un professionnel, un Quénum dans un bel ouvrage héros nés dans l'empire surna-
barde, qui a été convié seul ou Au Pays des Fons nous rap- turel des principes mâles et fe-
avec un ou deux récitants et porte de fabuleuses images. melles de la nature, les fils de
mimes, est un artiste qui ne se L'arbre du fond de la mer que la Bêle et de l'Homme, de l'Elé-
lance pas en plein s u je t sans Yo, un monstre insatiable, abat ment et de la Femme.
avoir fait ses gammes et cher- à coups de hache pour avoir le Au Dahomey, la Mer a
ché au ventre -et à la tête, cet droit de dévorer le genre hu- épousé une fille des hommes.
auditoire devant lequel il se main... et ce berger au soleil, un Dans une crique au sable fin, à
présente. Il a une science sourd qui mène cet astre en la saison des prémices, dont on
consommée des effets et il sait laisse comme un caniche ! venait faire l'offrande à la lon-
aussi bien la force des torrents Ce berger des ciels du gue eau verte, les tams-tams,
du verbe qui captive et porte soir ne veut pas entendre la cla- chaque année chantaient les
tout un village attentif que la meur qui monte de l'occident où accords avec la terre qui don-
vertu de la confidence. D'un des marchands le supplient nait son maïs, ses ignames et
trait d'esquisse, il marque une d'arrêter l'astre eu fin de jour, ses fruits. Le bois accompagnait
légère caricature, sans souligner sur ces marchés où ils sont jusque sur la lagune, les cortèges
le dessin, sans forcer la cou- contraints d'abandonner leurs chantants des filles parées de
leur. Et on voit aux passages vases pleins d'huile... une huile coquillages et de fleurs. Les
les plus neutres. une foule qui s'enflamme, incendiant le prêtres et les sages, à l'heure
avide, tout à coup rassasiée, couchant. du flux, appelaient la vague et
comme une basse-cour qui La lune qui trompe le so- la nier venait chercher sur la
vient d'engloutir à plein gosier leil et le berne. Ils avaient trop plage les couronnes de feuilla-
et qui savoure des grains choi- d'enfants tous les deux. Ils ont ges et les présents de son peu-
sis un à un… décidé de les répandre su r la ple. Il venait lui dire que l'année
Un silence... un terre pour peupler le monde. avait été grasse, que la bête de
geste... Plus de grain au bout Mais la lune a caché ses en- chasse avait donné de lourdes
des doigts. Et c'est justement fants. La nuit, elle leur ouvre sur viandes pleines de sang. Et les
la bouchée la plus savoureuse la voûte, la porte dérobée par jeunes mères venaient présen-
que tout le monde partage. Et où se répandent les étoiles. Et ter à l'océan leurs derniers nés,
le rire se déchaîne. Le griot le soleil qui a tenu ses engage- leurs beaux enfants.
sait dire, et le ton change avec ments, a je té ses enfants en- C'est à une de ces fê-
les scènes. Il presse l'allure ou fermés dans un sac ; ses petits tes que la Mer remarqua cette
la retient, module pour appeler qui, tombés du ciel dans la mer fille noire et l'aima. Le soir, elle
quelque figure de l'invisible, sont devenus les poissons. venait à ses amours dans le
détaille, et à petits pas dans Et tout cela du temps vent doux, mouillait les pieds
le mystère, vous entraîne. Et où l'homme pouvait se transfor- nus de son amie et lui parlait
voici un développement pure- mer en fleuve et découvrir les avec ces mots qu'aiment les
ment poétique, une mélodie savanes jusqu'à la mer, le jeunes femmes.
bien rythmée, un refrain temps où la bête métamorpho- La fille chantait au soir vert. Et
comme de complainte, un sée sortait de la brousse, venait la Mer eut un enfant de cette fille
chant parfois assez connu pour habiter une case d'un village et des cases, un enfant de la
être repris en chœur. Et bruta- se liait d'amitié avec les chas- brousse et de l'onde, Agassou,
lement, une montée de diapa- seurs... C'était le temps où le le léopard qui est au commence-
son, une envolée de lyrisme, ciel qui était une immense nour- ment d'un clan et d'une race.

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Abbey, mon piroguier des ma-
rais du Sénégal, Abbey qui sait
les vents et les courants du
grand fleuve, m'a conté la belle
légende des fils du Vent. Le
Vent revenait d'une longue
course autour des îles, 11 avait
porté à pleines voiles les vais-
seaux s ur la mer. Il avait charrié
les pluies sur des savanes qui
appelaient l'eau, il avait bouscu-
lé la saison en retard et fait les
annonces des printemps de la
terre. Il avait f a i t son métier de
vent. Il était las. Le soir venait
sur ces plaines lentes. Qu'elle
était belle la paix de ce petit vil-
lage de-pécheurs dont les feux
s'allumaient. Les collines fon-
daient dans une brume bleue.
Des grands oiseaux remon-
taient de la mer, cinglaient pour
venir reconnaître ce feu des quand il devint vieux. La fille qui quand s'organisaient les des-
hommes. Comme une halte se- naquit la seconde apprit les ma- cendances du Soleil, du Fleuve,
rait bonne dans ce pré aux her- riages de fleurs et d'abeilles. de la Mer, et jusqu'au pêcheur
bes molles. Et il était si las... Et C'est le vent des jolis prin- Bozo, et jusqu'au minuscule
le vent se laissa porter sur ce temps. Le plus jeune avait poisson sacré de la mare.
pré, comme une mouette se l'âme triste. Il avait vécu long- Pour ce qui est des
pose, s'étendit, s'enferma dans temps dans les pagnes des poèmes religieux, ils sont d'ha-
ses ailes de cotonnade bleue et femmes. Il était doux, il était bitude transmis par les prêtres
s'endormit. C'est là que le trou- bon. Il est resté sur le fleuve et et peu introduits dans la masse
va cette fille du village qui re- les pêcheurs le connaissent. qui en connaît ce qui est donné
montait de la rive avec sa cale- Je revois à l'arrière de pour chanter en chœur ou psal-
basse d'eau sur la tète. Elle re- ma pirogue qui descend vers modier comme des récitants.
connut cet étranger de sou rêve Saint-Louis après une chasse Et d'une façon générale les my-
de femme, cet étranger qui dor- aux sangliers sur les marais et thes sont assez mal connus.
mait dans ses chev eux par les dunes, je revois mon

A
d'homme. Il était beau. D'une compagnon de chasse et mon près les dieux, les rois.
main légère elle mouilla le front ami aux bras bleus, Abbey le pi- Presque tous les chefs
du voyageur et ses lèvres, et les roguier, petit cousin du Vent, de royaumes, les
paupières du vent que ternissait par les femmes. L'aigle pêcheur, conquérants, les bâtis-
la poussière du désert rouge. Le sur la rive, dans un bouquet de seurs des empires noirs, les
Vent s'éveilla, regarda cette en- palétuviers, vient de jeter son chefs de clan qui portaient la
fant des hommes. "T'a-t-on d é - cri. cet appel du Fleuve qui guerre et les pillards d'enver-
jà dit que tu étais belle ?" On commande aux renversements gure ont attiré l'attention sur
ne lui avait jamais dit. "Qui du flot et aux marées. Et les leurs hauts faits et donné ma-
t'aime dans le monde ?" Elle eaux chantent. Ce doit être tière à la chanson de gestes.
avait répondu : "Quelqu'un qui aussi l'heure du vent, de ce der- L'épopée occupe une grande
viendra d'ailleurs... " "Tu ne nier enfant qui vient encore de place dans la littérature orale.
sais pas son nom ?" avait de- jouer su r le pré et soulever les Mais elle a évolue dans sa
mandé le Vent... Alors, la fille lessives. Abbey a tendu sa forme et le côté historique a été
lui avait souri et tendrement elle voile. Deux doigts dans les lè- souvent remanié et retravaillé
avait murmuré : "Voyageur quel vres, il siffle, il appelle le vent : dans le ferment du merveilleux
est ton nom ?" Fris... fris... mon boie... Viens et de la magie.
II l'avait épousé e petit, viens mon petit frère. Et la
comme un homme. Il avait mar- voile se gonfle... Du temps des grandes dynas-
qué une halte dans ce village et Toute une poésie de la ties, tous les principes de
la veille des noces, pendant que terre a fertilisé les amours des l'heure avaient attaché à leur
tous dormaient il avait ouvert Dieux et a inspiré l'homme noir, cour, le griot de la louange,
ses ailes pour aller chercher dans toute l'Afrique, pour l'ima- celui qui mettait au point la ver-
dans ses lointains royaumes les gination d'une littérature se- sion officielle des amitiés, des
riches présents dont il voulait crète où les filiations sont éta- haines, des gloires du souve-
parer celle qu'il aimait. Ils eu- blies et honorés les totems des souverain et composait les pa-
rent trois enfants, le Vent et la origines mythiques. C'est la litté- ges d'histoire. Beaucoup de
femme. L'aîné est le vent de la rature des miraculeux accords ces fragiles épopées sans
mer. Son père vint le chercher passés à l'origine du monde, trame se sont déchirées avec

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le temps, mais il en reste les d'or qui venait du ciel et se bri- rent. On le crut mort. Il avait un
principales. sa. garçon qui avait pris de la taille et
Dans tout le Soudan Toujours la légende qui commençait à être de forte
on répète encore celle de se mêle à l'épopée. chair. Ce sont les sorciers qui du-
Soundiata Keïta qui fonda Les légendes sont innombra- rent lui conseiller cette entre-
l'empire Mandingue. Soundia- bles. Elles font intervenir les prise : retrouver la biche noire et
ta l'avorton, le contrefait, qui puissances secrètes et mêlent les traces de son père. A ce prix,
dans sa laideur prenait la res- les dieux aux personnages du il pouvait espérer devenir le chef
semblance de la bête. Un pou- surnaturel. La fantaisie ne des chasseurs du village. L'enfant
voir devait le transformer de connaît pas de limites et les partit avec un grand panier et un
façon magique en un géant si actions les plus extraordinaires couteau. Oui, un couteau, car
fort qu'il pouvait revenir de la sont accumulées dans la plus ces traces, ces marques dans la
chasse avec un éléphant sur franche naïveté. brousse des pieds nus de son
les épaules ; et la légende épi- J'ai rapporté à ma manière une père, il devait les lever en pla-
que dit comment il rassembla légende de Haute Côte ques fines, avec sa lame, et les
ses guerriers pour lutter contre d'Ivoire. Les Traces du Temps rapporter dans un panier. Dans la
son puissant voisin, le meurtrier Perdu que je tiens du chacal. boue séchée des premiers mari-
de son père, comment il per- Le Chacal était un vieil gots, il releva facilement les pas
suada à sa sœur Diégué de homme qui m'avait fait connaî- du chasseur, et pendant des
teindre vouloir épouser cet en- tre des amis, comme je pas- lieues, dans la forêt, les traces du
nemi qui était invulnérable. sais à Bobo-Dioulasso. Une temps perdu étaient si lisibles,
Diégué se refusa tant qu'elle bien curieuse figure de chas- qu'on ne pouvait se tromper. Ici,
n'eut pas obtenu de son futur seur. Ancien soldat, il avait fait les sangliers avaient usé leurs
époux l'aveu de ce qui faisait en 1914-1918 la guerre sur les défenses au tronc des arbres, là
son invulnérabilité. Et c'est le fronts de la Somme et de Ver- les fourmis avaient dévoré des
développement de la ruse fé- dun. Il avait rapporté de Paris bêtes vivantes... les rivières vaga-
minine, l'homme amoureux qui un souvenir, une montre et qui bondaient et, sortaient de leur lit...
confie qu'il ne peut mourir que marchait. Ce chacal savait Heureusement qu'il y avait cette
d'une flèche magique dont la l'heure. Il en vivait. Il vendait liberté dans le cours des eaux vi-
pointe est faite d'un ergot de l'heure comme d'autres ven- ves, car à un passage de rochers
coq blanc. Un sorcier habile se dent de l'eau ou des kolas. rouges où les traces de son père
chargea de fabriquer pour Son histoire est merveilleuse, s'étaient effacées et où l'enfant
Soundiata l'engin mortel avec de cet envoûté de la chasse. Il risquait de perdre sa piste, il fut
lequel il partit en guerre contre avait dû tuer le chacal de fa- bien heureux de faire amitié avec
son ennemi qu'il devait ren- çon interdite. Et à la lune un ruisseau qu'il emmena avec lui
contrer près de Koulikoro... rousse, il y a des lunes rous- dans sa randonnée. Ils jouèrent
Combat... Feux du ciel... et ses sur les savanes soudanaises longtemps sur ces cailloux et le
dans le tourment de la terre comme sur les marais de Sain- ruisseau qui voulait courir à la
épouvantée par cette lutte ti- tonge, il avait commencé de s'en- mer, disait : "Allons nous en",
tanesque la disparition magi- tendre appeler dans le soir vert "Allons nous en..." il fallait bien le
que du vaincu que la flèche a où la bête aussi se démoule, et il temps à cette eau qui jouait là de
touché comme il enlevait son avait reconnu la voix : la femelle détremper le caillou, de ramollir
cheval pour franchir le Niger... du chacal qui avait perdu son en- pour que la fine lame du couteau
et par terre, ce qui en reste, un fant... Et l'homme va à ces ren- puisse lever, et pas à pas, les tra-
petit bracelet d'argent... dez-vous. Les sorciers n'y ont ces, comme de fines semelles.
Le pays Mossi connaît rien pu, ni par onguent, ni par La légende conduit jus-
aussi de belles épopées où les sortilèges ou contre-maléfices... qu'à la biche noire qui aima
guerriers à cheval vont à la li- Et voici ce que m'a raconté aussi l'enfant.
mite du sang de leur monture le Chacal. Et un jour, au village, on vit
et leur arrachent leur dernier Il y avait un chasseur fameux qui revenir un vieux chasseur. Il dit :
effort pour la suprême course, lui aussi avait été ensorcelé par la C'est moi. Je n'entends plus la
en leur plantant jusqu'au man- brousse et une fabuleuse Biche douce voix de la Biche. La forêt
che, dans la croupe, le petit noire. II partait dans la forêt où est désenchantée... On ne le re-
poignard de guerre. L'épopée l'appelait sa belle, parlait avec connut pas, cet enfant qui était
sénégalaise, celles du Caior et elle dans cet amour si terrible qui parti à la recherche du temps per-
du Djolof ne sont pas moins rapproche l'homme des bêtes. Il du dont il vit l'image dans la cale-
riches. Et sans doute que ne chassait plus. Les éléphants basse où on lui donnait à boire.
quelque barde, quelque trou- venaient casser les villages. Les Dans l'eau il vit un vieux sans
badour de la Nouvelle-aux- grandes trompes qui sonnent la dents dont la barbe était blanche.
grands-pieds travaille à celle nuit sur les champs de mil ne ré- J'ai raconté aussi cette lé-
des Amazones dahoméennes. ussissaient plus à détourner les gende de Tapou, le danseur à plu-
La chronique Agnie troupeaux, qui venaient jusque mes, que j'ai recueillie en Basse
relate les discordes des fils dans l'odeur de l'homme et des Côte d'Ivoire et dont je n'ai retenu
d'Ezchiré et des Dankiras. et chiens… que la profonde poésie du cou-
leur origine à la chute miracu- Et un jour, le chasseur ne rage et du sacrifice, pour que les
leuse de ce sabre à poignée revint plus. Des années passè- harmonies de la vie unanime qui

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règle les accords de la brousse, de Comme toutes les gens allaient user leurs mus-
la bêle et des hommes, continuent nuits, depuis qu'avaient été cles et leur sang et l'un d'eux
de faire chanter la paix des jours. faite l'annonce de la fête, l'Oi- qui chaque année était en se-
Tapou était un des seau vint près de la natte où cret averti par l'oiseau, rece-
danseurs du ballet de la dormait Tapou. "C'est toi... ?" vait en plein bond, au sommet
chasse, celui, qu'on danse "C'est moi, disait l'oiseau". "La de la danse, la flèche magi-
avant d'ouvrir le feu, les sava- brousse m'a choisi, demandait que, la flèche du ciel. Et il re-
nes, avant de cerner dans les Tapou". "Elle t'a choisi". "Et c'est tombait percé au cœur. Les
flammes au centre du cercle moi qui... ? " "C'est toi..." femmes couraient se pencher
rouge qui se rétrécit, les élé- Dans ce ballet des sur ce corps dans l'aire de sa-
phants massifs, les hauts pa- danseurs à plumes qui devait ble, pour reconnaître leur en-
chydermes qui brûlent debout, durer jusqu'à la première fant.
dans leur cuirasse grise. aube de chasse, vingt jeunes

Chaque nuit, l'oiseau petit paquet de plumes que le deux amis, tandis que l'autre
venait faire répéter à Tapou les garçon portait au cimier de son restait sous un baobab à pré-
éblouissantes figures du ballet casque. parer le repas. Au retour, le
de la mort, lui apprenait à se La Bête pourrait-elle géant trouva la calebasse vide.
parer des plumes blanches et être moins généreuse, quand II entra en fureur. Le compa-
à réussir le bond au soleil. "Tu pour éclairer la nuit des hom- gnon chargé de la cuisine lui dit
m'as promis, disait le danseur mes, dans un village de la qu'un diable était descendu de
à l'oiseau, tu m'as promis que chasse, une foi si ardente et si l'arbre et avait récuré les cale-
ma mère n'en saura rien" . pure, réussit à dépouiller de sa basses, mangé riz et viande...
"Ta mère ne te reconnaîtra chair le petit danseur à plume Le deuxième jour, c'est l'autre
pas". "Je te crois. Et tu verras qui a entendu le messager de compagnon qui prépara le dî-
comme je saurai mourir"... la brousse, l'Oiseau ? ner, et raconta la même fable
Les masques ont dansé toute la Les géants occupent au retour de Sadigali. Le troi-
nuit. Tapou était infatiguable. Il une grande place dans les sième jour, Sadigali resta sous
était la danse. Il n'était plus évocations légendaires, ceux le baobab, et les chasseurs re-
qu'une plume blanche soulevée de la naissance du monde et vinrent à temps du bois pour
aux flammes du feu qui annon- de la Grande Eau, que se par- assister à une lutte terrible du
çait à la bête que demain les tagent les pêcheurs du Niger et géant et du diable.
chasseurs iraient au rendez- les paysans de la savane sou- Sadigali dans une
vous de la viande, la viande ma- danaise. Le folklore du littoral et belle dépense de toutes ses
gnifique pour tous les ventres... particulièrement celui du Séné- forces, avait arraché le bao-
Tapou était l'âme de ce jeu. gal donnent de beaux exem- bab, l'avait lancé en l'air et
Seul, maintenant sur l'aire de ples de cette facilité dans le l'arbre immense s'en était allé
sable, il s'élançait. La flèche gigantesque. Et je vais vous très loin, très loin, tomber dans
l'atteignit très haut dans le ciel dire celle de Sadigali. l'œil d'un bébé porté noué
où fondaient les premières dans le pagne au dos de sa
blancheurs de l'aube. Il ne re- Un jour Sadigali partit mère. Bébé géant d'une femme
tomba ni sang ni chair... un à la chasse avec un de ses géante...

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Le bébé n'avait pas fini Mantitanie racontent aux soirs trouvent des grains d'or fondu.
de pousser son cri que l'arbre verts des tehtes, les fabuleuses C'est cet enfant du Genou, qui
avait fondu dans l'eau de son prouesses des troupeaux des refuse de cuire dans la marmite
œil. Mais la mère entrait dans Djennouns, ces génies du vent et où l'a enfermé sa marâtre...
une terrible colère, arrachant des tourbillons de sable, qui mè- C'est la horde des fourmis qui
la colline pour écraser Sadigali nent paître des gazelles à leur entreprend de faire le tour de la
et ses compagnons. Les trois marque. terre pour chercher l'endroit où
hommes s'enfuirent. En pays Fon, c'est en- le soleil se couche... C'est !e
La femme allait les re- core un géant, Gbodja, et un fantastique dessin animé, primi-
joindre quand Sadigali aperçut grand chasseur, qui, après une tivement colorié où la nature li-
près d'un puits, un berger lé- vie aventureuse au plus secret bre retrouve dans la fantaisie,
preux qui faisait abreuver ses de la brousse, et maints chan- dans le geste, son ardeur la plus
bêtes. Il le supplia clé leur don- gements de forme, de la feuille neuve et ses accords les plus
ner refuge. Alors, l'un après à la fourmi, de la fourmi à l'oi- précieux.
l'autre, le berger les prit du seau, redevient l'homme au

L
bout des doigts, et les cacha pays de la bête, l'hippopotame es contes, plus brefs,
dans un pli d'étoffe de son qui le poursuivait. Pour échap- plus condensés, servent
boubou, en roulant un peu la per, et usant de sa dernière for- en pays noir à illustrer
cotonnade autour de la cein- mule magique, Gbodja lit un la coutume, à imager la
ture de corde. Quand la femme trou dans la terre, s'enfouit et sentence, à développer les ima-
arriva elle questionna le berger ordonna à la colline de s'enfler ges du bon sens. Si les person-
qui ne voulut pas répondre. démesurément sur lui. C'est nages de la fable, les acteurs, la
Combat de la femme et du lé- ainsi que le mont Djalonkou plupart du temps des animaux,
preux... Le gardien de trou- sortit de terre. varient avec la contrée, on re-
peau eut le dessus. La mégère Toute une poésie fraî- marque que ce folklore courant,
abandonna la lutte. Quand elle che, naïve, s'attache souvent à cette menue monnaie de la litté-
fut loin, le lépreux dénoua sa ces légendes où les amours des rature orale, présente des identi-
ceinture pour délivrer Sadigali hommes, des bêtes et des plus tés qui frappent. Il y a eu et il y a
et ses amis. Il ne restait plus nobles figures de la terre, sont toujours migration des contes,
trace des trois hommes. Ils chantées avec une ferveur qui apports et échanges, mais les
avaient été dévorés vifs par les surprend l'Européen. Une imagi- similitudes dans l'inspiration
poux du berger. Et avant que la nation fleurie, touffue, et qui ré- amènent à penser à l'identité
légende revienne à la mer, le serve à chaque tournant de la des réactions morales dans des
griot demande lequel était le fable d'étonnantes surprises. milieux où la vie est pareillement
plus fort, de celui qui arrachait C'est la lionne qui folâ- orientée et limitée.
des arbres, de l'enfant qui fai- tre et joue sur la colline avec Nous n'ouvrirons pas le
sait fondre un baobab dans l'œuf du Fleuve... Vous avez débat sur les influences de
l'eau tiède de son œil, de la bien lu. C'était du temps que les l'orient et nous ne chercherons
femme qui arrachait avec ses Fleuves pondaient des œufs. pas les traces du conte sur tou-
mains des montagnes ou du C'est la bête sans couleur, le tes les pistes des colporteurs.
berger dont les poux avalaient caméléon qui monte dans Ce qui est intéressant,
des hommes. J'arc-en-ciel à partir de ces c'est l'identité du fond humain.
Beaucoup de légendes mettent grottes où à son pied, les noirs
en scène des animaux fabu-
leux, des monstres... Ainsi au
pays Mossi le serpent à la
pluie d'or, la bête du fond du
puits, qui recevait chaque
année, en sacrifice une fille
des hommes, et l'entraînait
dans son antre, jusqu'au jour
où le fiancé de ta belle qui
avait été désignée pour être
offerte au monstre, trancha du
sabre la tête du serpent dont
le sang s'égoutta sur les sa-
vanes, en pluie d'or.
Les pécheurs du Ni-
ger et les Bozos de la Bézen-
ga savent la légende du pois-
son merveilleux portant à la
gueule l'anneau de servitud e
des puissances de l'onde, au
royaume du lamentin.
Les nomades de

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Les protagonistes types lièvre, c'est Pankia..." mon eau " dit l'hippo. Mainte-
qui jouent dans le conte sont : le Et voici un conte du nant, quand le lièvre vent man-
lièvre en savane, l'araignée en pays Gourounsi où le lièvre af- ger ou boire, il s'habille dans
forêt. Tous deux incarnent la fronte le lion. Ils aimaient la une vieille peau de chèvre pour
ruse, la subtilité et la finesse. même fille. Le lièvre se vantait ne pas être reconnu.
Les personnages secondaires par toute la brousse d'extermi- On pourrait ainsi en citer à lon-
sont l'hyène q u i joue souvent ner bientôt la race des lions. Un gueur de page.
le rôle de bouc émissaire, la tor- jour qu'il était las, il entra dans Je veux encore dire ce
tue dans le sud, et tous les ani- le ventre creux d'un baobab sa- conte Ouolof qui souligne t o u s
maux de la brousse, le lion, la cré où demeuraient des génies les défauts de l'hyène(1).
panthère, l'éléphant, le chacal... qui le saisirent par les pattes et Il devait se donner une grande
Le lièvre joue les rôles qui sont l'ayant fait tournoyer comme fête d a n s le ciel et tous les
chez nous d'Europe, réservés une fronde, l'envoyèrent tomber animaux y avaient été conviés.
au renard. C'est le meneur de loin dans la brousse. Pour monter d ans les airs,
jeu. Le lendemain le lièvre tous s'y étaient pris à l'avance
" On croit dire la der- provoqua le lion qui lui donna la et les plus lourds étaient partis
nière du lièvre, et il exploite une chasse. Le lièvre alla se réfu- devant. L'hyène tr aîn ait encore
nouvelle ruse, tandis qu'on ra- gier derrière le baobab et de là su r In terre quand elle ren-
conte... " Ainsi s'exprime le griot il dit : " Je suis hors de ton at- contra l'araignée. " II y a une
au début du conte de Pankia, du teinte dans le ventre de ce bao- fête dans le ciel, aujourd'hui.
pays Somogo. bab. Tu ne peux rien contre moi dit-elle, y vas-tu ?" " Oui ", répon-
Le Roi un jour convo- ". Le lion se précipita et bondit dit l'araignée. " Je ne sais com-
qua le lièvre : " On dit que tu es dans le creux de l'arbre. Il n'y ment monter dit l'hyène, tu de-
le plus rusé des animaux et je resta pas longtemps car les gé- vrais m'aider." "Je veux bien si
veux te mettre à l'épreuve. nies l'ayant lancé da n s les airs, tu dois être discrète et ne dire à
Prends ce morceau de fer et il vint s'écraser de toute sa personne comment nous avons
porte le au forgeron. Tu lui de- masse dans le sable. fait".
manderas de me forger ce que Alors le lièvre alla cher- L'hyène promit de ne rien dire.
je désire... A toi de deviner... " cher la fille, la conduisit auprès Alors l'araignée commença de
Le lièvre s'éloigna avec du lion, lui montra l'énorme tisser sa toile et de cracher des
le morceau de ferraille. Quel- bête étourdie et pantelante et fils et des fils, et jusqu'au ciel.
ques jours plus tard, le Roi vit lui dit : Et l'hyène n'eut qu'à monter der-
arriver à sa cour un animal " Voilà... " rière elle comme à une échelle
étrange vêtu de calebasses dé- Dans to u te l'Afrique de corde. Les fêtes étaient déjà
coupées et qui prononçait des Noire on conte cette histoire, commencées, les tams-tams
paroles inintelligibles. Il réunit qui se répète en changeant sonnaient, les griots chantaient,
tous les animaux pour leur de- seulement de forme, du lièvre, et on apporta les viandes.
mander si quelqu'un savait le du roi de la terre et du roi de la L'hyène mangea goulûment. Ja-
nom de cette bête fabuleuse. mer. mais elle n'avait en si abondante
Personne ne répondit. Le lièvre traînant une chère, et le plaisir de se gaver
" Si le lièvre était là, dit grande corde vint trouver le roi l'excitait, l'enivrait, si bien qu'à la
la voix d'un compère, il aurait de la mer et lui dit : " Tiens le fin du repas elle commençait à
vite fait de nous renseigner ". bout de cette corde et tire... " parler à tort et à travers. Le lion,
" Oui, mais le lièvre est Puis il s'en alla chez l'éléphant la panthère et tous les autres ra-
parti faire forger un mors de roi de la terre et lui donna l'autre contaient comme des exploits
bride dont j'ai envie " dit le Roi. bout de la corde en lui deman- les élans qu'ils s'étaient donnés,
A ce moment, on vit la dant de tirer de toutes ses for- les sauts, les bonds de géants
bête inconnue se soulever sur ces. Dans certains contes le so- qu'ils avaient réussi pour monter
ses deux pattes en chantant : " leil est attaché au milieu et il au ciel.
Pankia... Pankia..." Puis s'éloi- s'agit de l'amener à se coucher Et toi ? demandèrent-ils à
gner toujours dansant, toujours dans les flots verts ou sur les l'hyène.
chantant. Dès qu'elle fut dans là savanes. Les deux rois s'épui- J'ai promis de ne pas le dire.
brousse, la bête se dépouilla et sèrent à tirer pendant de lon- Allons, allons...
notre lièvre débarrassé de son gues années et le lièvre en riait L'araignée... mais j'ai promis de
attirail de calebasses, de courir à s'en décrocher la mâchoire. ne pas le dire.
chez le forgeron pour lui de- Tirant toujours, on doit se de- Allons, allons...
mander de forger un mors de mander comment, mais le conte L'araignée a tissé sa toile et...
bride. Le lendemain il apportait le dit, les deux grands animaux mais j'ai promis...
au Roi la pièce forgée. " Si tu se rencontrèrent. Après expli- Allons, allons...
avais été là hier, dit le Roi, tu cations, ils comprirent qu'ils L'araignée a tissé son fil et je
nous aurais tiré d'embarras". Et avaient été .joués. "Ce gredin ne suis montée derrière elle.Puis
il conta l'apparition de la bête mangera plus de mon herbe" dit gorgée, repue, saoule de viande,
inconnue. " Je la connais, dit le l'éléphant. "II ne boira plus de l'hyène s'endormit tandis que les

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(1) R. GuiLLOT. -- Contes d'Afrique

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animaux se divertissaient aux ans, il demanda respectueuse- s'approchèrent de l'eau pour
jeux qui avaient été organisés ment à sa mère ce qu'était de- boire, et en buvant, chacune
après le festin. Elle dormait en- venu ce père qu'il n'avait jamais d'elles laissa tomber un de ses
core à l'heure qui avait été fixée connu. yeux dans la vase. L'homme
pour quitter le ciel, et quand elle — Mon enfant, lui dit-elle un plonge, fouille le fond du mari-
s'éveilla elle vit que toutes les jour, tu venais de naître, ton got et remonte n'ayant trouvé
bêtes étaient revenues sur la père m'apportait un plat de riz. qu'un œil. A qui doit-il le don-
terre ainsi que l'araignée qui ne Il a glissé devant la porte. Tu ner ?
l'avait pas attendue. Alors pourrais croire qu'il est tombé. Et cet autre : l'homme
l'hyène se mit à gémir et sup- Non. Il a simplement glissé. descend du grenier d'où il a je-
plier qu'on l'aidât à descendre. — Et alors, maman ?... té dans !H c our, pour sa
Et elle entendit une voix qui di- — Alors je pense qu'il glisse femme, le mil qui servira à pét rir
sait : encore. le gâteau. Quand il arrive en
" Voilà une bande — Pourquoi ne pas me l'avoir bas de son échelle, il entend sa
d'étoffe, un bâton, et un tam- dit plus tôt ?... murmura l'enfant. femme lui dire : "Viens donc
tam. Tu descendras le long de Il sella son cheval, l'en- m'aider à sortir du four le gâ-
l'étoffe et tu frapperas sur le fourcha, piqua des deux... et teau..." Pour ne pas être en
tam-tam quand tu auras touché p a r t i t à la recherche de son reste l'homme le lendemain va
terre ". père. Il traversa un village où il y à la chasse. Il tire une gazelle à
L'hyène avait à peine a dix-huit ans, on avait vu pas- l'arc, rej oi nt la gazelle à la
commencé sa descente que du ser un homme portant un plat course avant la flèche, poignarde
ciel, on entendit un grand coup de riz et qui glissait, plus loin, la bête. II e nt e n d un sifflement.
de tam-tam. Et aussitôt, la il trouva des vieux qui se souve- C'est la flèche qui arrive. Il l'ar-
bande d'étoffe se déchirait. Juste naient avoir vu glisser un rête d ' u n e main et la remet
au-dessous de l'hyène se trou- homme portant le même plat de dans son carquois. Quel est le
vait le squelette d'un arbre brûlé riz fumant. Il y avait dix-huit ans plus rapide ?
dont les branches étaient poin- de cela. Il courait, ce fils zélé, il
tues comme des épines. courait à essouffler son cheval. La devinette, le proverbe,
" Tourne-toi... tourne- Et bientôt, avant qu'il ait encore servent à détendre l'assistance.
toi... " criait l'hyène à l'arbre. rien vu... miracle... Il sentit Le proverbe mériterait des étu-
Tant pis pour toi hurla-t-elle l'odeur de ce riz. Il poussa sa des spéciales, car dans toutes
en lui arrivant dessus. bête. Le sang aux éperons, il les régions de l'Afrique Noire, il
Et elle se déchira le poursuivit cette odeur. est à la fois un résumé et une
flanc profondément. Elle était En h a u t d'une colline, somme. Certains sont de petits
persuadée d'avoir f a i t à l'arbre que vit-il? Un homme, un homme chef-d'œuvres, tissés dans la
un très grand mal et avant de qui, sur la pente, un plat de riz trame la plus subtile, la plus rai-
s'éloigner, se moqua de lui. Son à la main, glissait, glissait tou- sonnable, la plus spirituelle
ventre crevé saignait tout au long jours... Il le rejoignit. Il lui dit : qu'ont filé des siècles de veil-
de la route et au lieu de se hâter — Salut, père... lées.
vers sa maison pour se panser, Il le retint, l'arrêta. Le Ils donnent l'expression
elle s'attarda auprès d'un cada- prit en croupe sur son cheval. de la profonde sagesse de ces
vre de chien pourri dont la mâ- Ensemble ils revinrent à la vieux qui, dans les cases ont la
choire décharnée grimaçait. Et la maison. La mère souriait s u r parole, traitent avec les dieux et
bête stupide creva, ayant perdu le seuil. veillent à ce que la coutume soit
tout son sang, en face de ce . — Tiens, voilà ton riz, dit forte et honorée...
squelette desséché à qui elle l'homme. Mais comme l'enfant Le proverbe, c'est un filet
voulait défendre de rire. a grandi ! qu'on jette et qui prend des
Voici un conte souda- — N'est-ce pas... ! dit la mère. poissons brillants dont la chair
nais dont la fantaisie est pleine Quand le griot se re- est bonne.
d' h u mour. Il a pour titre : "Une pose, que l'attention est lasse de Dans les palabres, les
fameuse glissade" ( 1 ) . suivre le conte qui enchaîne le joutes oratoires, le proverbe est
merveilleux à longueur de nuits, très en honneur. Il permet aux
Quand la femme mit au monde au merveilleux toujours renouve- érudits de s'élever au-dessus du
son fils, le père f u t bien obligé lé, c'est l'entr'acte de la veillée ton banal et de ne pas s'écarter
de l'aider aux soins du ménage, sous la lune. On se délasse au- du vrai terrain des sages. Le jeu
et de faire la cuisine. Il le fit d'ail- tour du conte minuscule qui f a i t des proverbes est à rebondisse-
leurs de bonne grâce. Un jour, rire, on pose la question q u i ments, comme celui de la balle.
comme il apportait à manger un soulèvera le palabre. On lance un proverbe et
plat de riz à son épouse, l'heu- Un homme, sa femme il en suggère un autre qui rebon-
reux père glissa sur la terre hu- et sa belle-mère, en pays Mossi dit. Cascades...
mide, devant la case... Jusque allaient à pied ensemble au vil-
là rien d'extraordinaire. lage voisin. En passant près
Quand le fils eut vingt d'un marigot, les deux femmes

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(1) R. GUILLOT. — Nouveaux contes d'Afrique

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L
'Afrique a ses hymnes Voici un chant Peul du Macina dans les hautes herbes. II n'y a
dont la ferveur est bien qui m'a été communiqué der- ni mouche, ni épi de mil, ni es-
émouvante, ses odes, nièrement par Théodore Mo- saims d'insectes piqueurs.
ses chants funèbres, nod, Directeur de. l'Institut Fran- Le vacarme du village
ses poèmes d'amour. çais d'Afrique Noire, un chant s'est perdu dans le lointain. C'est
Qui dit que je ne reverrai pas emprunté à la littérature pro- alors qu'il devient agréable
la savane Est-ce l'arbre. fane du berger qui se contente d'écouter la guitare.
Est-ce le fou, de chanter le soleil, la nuit, sa La lune n'a pas paru.
Est-ce la tortue ou ma mère ?... vache ou sa mie et si émou- Sa lueur n'a pas incendié le
dit ce chant de Baoulé. vant dans l'expression de la ciel, ni effacé la beauté des
Les chansons forment simple harmonie d'un beau rè- étoiles. Mes bœufs grouillent et
une partie non négligeable du gne : paissent, et au-dessus de moi,
folklore. Il est des chants gra- Ohé, nuit joyeuse... Tu les étoiles brillent, étincellent
ves et tristes comme des com- apparais avant que le soleil ne dans l'obscurité. Elles s'élan-
plaintes du désespoir, de gra- pointe, brille, monte... Tu ternis cent dans l'espace, rayent le ciel
cieuses, de fraîches, de naïves. puis tu éclipses sa lumière. Tant et l'illuminent.
La chanson donne
souvent en bref,
avec les refrains des
chœurs, une figura-
tion m i n u s cule du
théâtre.
Au désert
des Touareg, aux
haltes de la lente,
c'est, à l'heure du
"Tour d'amour" les
improvisations poé-
tiques des amants
de la plus belle
quand chante l'am-
zad, le petit violon
monocorde.
La poésie
qui a dé jà eu sa
part dans les légen-
des, les chansons
de gestes et les épo-
pées que colportent
les conteurs de la
Nouvelle, se déve-
loppe librement
dans les chants et
particulièrement dans les que tu dures les veaux restent Celui qui fait paître à la
chants d'amour. Les Peuls qui entravés, et les plus jeunes d'en- belle étoile engraissera sûre-
prennent le temps de vivre la tre eux restent couchés. ment son bétail. Le désir d'en-
vie, dans la paix des étendues, Ohé, nuit joyeuse... Tu graisser le mien est le seul motif
sont des poètes bergers dont la es une occasion pour faire ré- qui m'a fait interrompre mon
formule et la sincérité de l'ac- sonner les tams-tams, frémir les sommeil, aux côtés de Diko au
cent sont franchement émou- flancs des noirs. Tu es mon mo- teint clair, aux cheveux longs et
vantes. Ils suivent au pas lent ment préféré, temps où j'aime à lisses.
des troupeaux, la vie dont ils sa- épauler ma lance et mon bâton Elle répand une odeur
vent les haltes fraîches, les de pâtre, pencher légèrement suave et ne pue jamais le pois-
haltes des soirs qui chantent, les ma tête pour les empêcher de son. Elle n'exhale pas de sueurs
haltes de la joie, de la vache, de tomber, saisir et pincer les ban- comme les ramasseuses de
la femme... Ils sont à l'aise des de ma guitare. Je m'en- bois mort. Elle ne porte pas sur
dans l'improvisation du bel ac- fonce par les petites pistes, je la tète la plaque sans cheveux
cord des vivants, dans l'amour. trottine vers les pâturages de due aux fagots de bois. Ses
L'amante qui attend a nuit. dents sont blanches, ses yeux
pour l'aimé une parole sucrée Ohé, n u i t noire... par semblables à ceux d'un faon
comme le lait de la vache, la toi je vais dans la haute premier né de la gazelle mohor,
vache qui est la reine de leur brousse y chanter pour toi un gavé au lait d'une mamelle qui
monde. Et elle d i t cette chant qui transporte. J'étends en laisse couler pour la pre-
amante : Le ciel de mon cœur te mon vêtement sur une termi- mière fois. Ni son talon ni la
couvre... tière. Mes bœufs qui ont franchi paume de sa main ne sont ru-
la haie du parc se dispersent gueux, mais d o u x au toucher,

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comme le foie et mieux, le du- avance puis recule ; regarde percute. Une brise agréable
vet lissé du kapok. tantôt à droite, tantôt à gauche ébouriffe mes cheveux. Nul être
Mon bœuf qui marche et parfois se déplace en chan- humain n'est à mes côtés. En
eu tète a meuglé. Il sort brus- geant de côté. On le flatte par le face j'aperçois le dôme d'un
quement du troupeau, s'arrête, mot dial et alors, il troue la terre. baobab qui me donne l'impres-
dresse la queue et baisse la Pendant ce temps ma sion d'un génie accroupi.
tète. Il bondit, il frappe la terre petite guitare répand un filet
de ses quatre membres, de sons que l'écho nocturne ré-

L
a littérature orale en Afrique Noire mériterait une étude plus approfondie que cet aperçu rapide et
ces considérations qui n'ont d'autre prétention que de souligner l ' a m p l e u r des passionnantes re-
cherches qui s'imposent dans ce domaine où l'homme est le plus fidèlement avoué, dans son
cœur, son esprit, son âme...
C'est à travers la littérature orale qu'il f a u t essayer d'entendre la vie sur la savane rousse, car
c'est elle qui développe pour tous ceux qui vont à sa recherche, la plus belle, la plus sincère, la plus fran-
che expression de la fidélité de l'homme à l'homme...
René GUILLOT

Paru dans
la Revue des Troupes coloniales
N° 281 — octobre 1946

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