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Pr

AKONO ATANGANE Eustache, Enseignant à l’Université Yaoundé II‐Soa

CHAPITRE III : GÉOGRAPHIE, GÉOPOLITIQUE ET


GÉOSTRATÉGIE LES TERMES DE L’ÉCHANGE

Géographie, géopolitique, géostratégie : trois termes distincts et un même


préfixe géo - du grec "gê ", la terre. Un élément commun qui renvoie uniformément à
l'espace de la planète, avec des déclinaisons sémantiques bien dissemblables, mais
peut-être complémentaires.
Chacune de ces approches se distingue ainsi structurellement des autres,
mais elles forment, ensemble, un raisonnement cohérent. En effet, la connaissance
de la géographie politique apparaît nécessaire pour formuler un raisonnement
géopolitique et la connaissance de la géopolitique apparaît nécessaire pour formuler
un raisonnement géostratégique. Ainsi, à une opposition fondamentale entre les trois
approches, on pourra préférer l’idée de complémentarité de ces savoirs dans un
ensemble cohérent.
Selon l'usage commun, la géographie, science pour laquelle on parle souvent
de crise d'identité et d'adaptation, a subi semble-t-il une relative déqualification
auprès de la plupart des publics, bien que certains la considèrent toujours comme
une discipline fondamentale dans la compréhension du monde aujourd'hui.
En revanche, le terme de géopolitique bénéficie désormais d'un effet de mode,
lequel lui vaut un emploi fréquent sinon hégémonique, en remplacement du terme
même de géographie pour toute évocation des réalités territoriales, comme si celui-ci
était trop empreint d'archaïsme et de mauvaise tradition, alors que celui-là serait la
plus parfaite expression de la pensée moderne alliée à un caractère davantage
opératoire.
Enfin le terme de géostratégie, moins galvaudé, d'utilisation plus
parcimonieuse, discrète, demeure encore opaque à bien des esprits. Ainsi, les trois
appellations participent-elles d'une économie complexe quant à leur genèse, leur
compréhension et leur usage, source de bien des confusions, promotions et
péjorations diverses.

PARAGRAPHE I –De la compréhension des terminologies


La géographie signifie étymologiquement la représentation graphique de la
terre, sa formalisation par le trait-écriture, peinture, dessin. Comme le dit Fernand
Braudel, « la géographie me semble, dans sa plénitude, l'étude spatiale de la société
ou, pour aller au bout de ma pensée, l'étude de la société par l'espace ». Science
inscrite dans des Écoles de pensée différentes selon les pays, elle a souvent été

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circonscrite à un usage scolaire étriqué ce qui n'a pas peu contribué paradoxalement
à scotomiser son sens profond et à entraver ses applications les plus fructueuses.
Dans l'enseignement, sa connaissance est encore trop souvent frappée par
l'anathème commun pour lequel il n'y aurait rien à comprendre et tout à apprendre
par cœur. Malgré une carence épistémologique avérée, la science géographique
revendique, avec justesse, une méthodologie critique et un raisonnement
disciplinaire propres, l'une et l'autre convergent désormais en une expression
nouvelle: le savoir-penser l'espace.
À l'encontre de la géographie traditionnelle enfermée trop souvent dans sa
conception scolaire, et en rupture de même avec la Geopolitik allemande, la
géopolitique fournit une nouvelle vision du monde. Branche des 'sciences sociales,
« elle opère une nouvelle synthèse de l'Histoire, de l'espace territorial, des ressources
morales et physiques de la communauté qui est ainsi située dans la hiérarchie des
puissances, à la place qu'elle occupe ou plutôt à celle que ses mérites lui assignent ».
Interrogation plus ancienne qu'on ne le croit habituellement, la géopolitique prend
en compte la dimension politique, au sens large du terme, des territoires et des
activités qui s'y développent, ce qui aboutit à la définir majoritairement comme l'étude
des relations internationales en général et des rapports diplomatiques entre États en
particulier. Aujourd'hui, la géopolitique semble triompher, avec le monde tel qu'il va.
Ce qui ne préjuge d'ailleurs aucunement de sa rigueur scientifique, alors même que
de nombreux auteurs considèrent qu'il s'agit là d'un néologisme pédant pour un faux-
semblant de science, avec une ambiguïté terminologique qui n'est toujours pas levée.
La géostratégie enfin, procède à l'origine d'une délimitation plus stricte,
réservant le terme à un usage militaire essentiellement en rapport avec la force ou
l'idée de son emploi. Les états-majors ont depuis longtemps développé, par
anticipation dans le domaine de la défense et de la sécurité, des réflexions
conséquentes sur les dynamiques spatiales et le savoir-penser-l’espace afin de
pouvoir à l'occasion mener victorieusement sur le terrain des crises et autres conflits,
des opérations armées si en la circonstance des dispositions de forces ou des
décisions politiques l'exigeaient. Toutefois « la géostratégie, comme la géopolitique
intègre la guerre mais ne s'y limite pas ». D'autres applications tendent à voir le jour,
dans le registre de l'économie notamment, mais aussi et conformément à l'étymologie
même du mot, à propos de toute problématique de l'agir en conscience dans une
dimension spatiale ce qui amène à considérer que l'expression géostratégie est peut-
être une tautologie, dans la mesure où une stratégie par définition se développe de

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façon obligée dans un espace; celui-ci n'étant alors qu'une catégorie de


développement de celle-là.

A- Avec l’évolution du monde


Au vu d'une certaine forme d'accélération de grands phénomènes ou
événements, démographiques, technologiques, économiques, écologiques,
idéologiques, politiques ou militaires, sur l'ensemble de la planète, le questionnement
sur l'espace - terrestre, maritime, aérien et cosmique (exo-atmosphérique) - redevient
à nouveau, si tant est qu'il fut marginalisé sinon omis parfois, un questionnement
important et même vital pour notre époque. À cela plusieurs raisons décisives ;
l'exploitation des ressources naturelles de la Terre n'a jamais été aussi fébrile, jusqu'à
mettre en jeu récemment et donc en péril, le continent « neuf » de l'Antarctique et ses
immenses richesses minières. Les fonds marins seront la nouvelle frontière au XXle
siècle. Dès aujourd'hui, les performances exceptionnelles des technologies de la
communication, tous azimuts, ont rétréci le monde à la dimension d'un gros village
- le village mondial de Mac Luhan - à penser différemment. L'ampleur croissante des
migrations humaines et autres déplacements de tous ordres, mouvements browniens
(colloïdaux ou désordonnés) à l'échelle planétaire, révèle la puissance des activités
mondiales et bien des déséquilibres dans les installations humaines et les niveaux
de développement des sociétés. Les flux, commerciaux, financiers et informatifs
induisent fortement des sens de lecture du monde. Enfin, l'exaspération des
problèmes de défense et de sécurité pour l'ensemble des États-nations, à la lumière
de systèmes d'armements toujours plus sophistiqués et destructeurs, amène à
envisager depuis un demi-siècle, le spectre de l'apocalypse (l'hiver nucléaire) au terme
de la guerre des cent secondes.
À l'ère optronique, l'espace planétaire ne se mesure plus seulement en distance
métrique, mais aussi en temps d'accès et donc en vitesse de parcours. Il ne s'apprécie
plus exclusivement à partir des objets qu'il recèle, mais aussi en fonction de la
perception que l'on en a, des usages qu'on lui réserve, des stratégies qui lui sont
appliquées. La simulation sur les machine-écrans (téléviseurs et autres ordinateurs)
et les capacités de calcul informatique suggèrent des modifications sans précédent
dans le rapport à l'espace, à sa compréhension et à son usage. Que de mutations de
l'épistémè en gestation afin d'adapter la pensée humaine à l'évolution du monde et
de la société. La civilisation technicienne, dans tous ses aspects, multiplie à l'extrême
les combinaisons spatiales, les dynamiques territoriales, les enchevêtrements de flux,
les réseaux de toute sorte. L'homme-habitant, animal-territorial depuis les débuts de

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l'Humanité, est ainsi amené à repenser inlassablement le monde dans lequel il vit. Il
doit veiller en permanence à ne pas pérenniser des théories, des méthodes, des
stratégies, des modèles, de fait caduques, sous le prétexte tragique que tous se
seraient avérés séduisants et efficaces dans le passé car cela ne fonde jamais pour
autant leur valeur universelle. L'histoire est pleine de décalages de la sorte qui
scellent autant de défaites pour cause d'arriération. C'est peut-être là, l'origine de
l'expression triviale être en retard d'une guerre, autrement dit d'un savoir-penser-
l'espace périmé.
Avec cette suggestion d'une nouvelle appréciation des dimensions du globe,
des différents systèmes qui s'y appliquent et de l'impact d'un certain nombre de
situations actuelles, la nécessité s'impose d'envisager la possibilité d'un progrès
décisif en créant les conditions d'une réflexion davantage performante sur les
logiques spatiales identifiables dans le monde. Peut-être faut-il pour cela abandonner
les découpages disciplinaires habituels afin d'en promouvoir d'autres, ou bien plus
simplement, distinguer dans chacune des disciplines existantes, les méthodes,
raisonnements et autres démarches intellectuelles remarquables, susceptibles d'être
regroupés, associés, juxtaposés, mis en synergie, au service d'une investigation
perfectionnée. Jamais, l'organisation spatiale sur la planète n'a été aussi complexe.
Pour autant, la culture sur la réalité multivariée des territoires et la manière de les
gérer intellectuellement, demeure trop souvent superficielle, faite de stéréotypes
tenaces, de trop grandes ignorances et de connaissances parfois très disparates, à
partir desquels il est bien difficile de respecter la rigueur scientifique requise.
Ainsi, au terme de ce constat, s'esquisse le projet d'une "géoculture", laquelle,
construite différemment, au prix peut-être de ruptures épistémologiques importantes
concernant la façon de penser les objets dans l'espace, les actions qui s'y développent
et l'espace lui-même, permettrait de renforcer la maîtrise cognitive sur les
problématiques territoriales. Au-delà de la géographie, de la géopolitique et de la
géostratégie, stricto sensu, dont chacune présente aussi bien des pôles d'insuffisance
que d'excellence, comment envisager la récupération de ceux-ci et la réduction de
ceux-là?
Dans cette recherche de la performance pour le savoir-penser-l’espace, quelles
peuvent être les contributions des géographes ? des géopoliticiens ? des géostratèges
? Si tant est qu'une identification distincte soit toujours possible. Quelle méthode
appliquer pour y parvenir? Tel est l'enjeu. Cela appelle une démarche particulière
qualifiée habituellement d'interdisciplinaire, avec l'exigence de respecter une qualité
de l'échange aussi bien sur le fond que sur la formel. Il faut déjà reconsidérer les

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spécialités des uns et des autres, et comprendre l'avantage pour tous d'apporter une
meilleure contribution à la communauté des "penseurs sur l'espace de l'humanité.

B – La carte et le savoir-penser-l’espace
L'expression cartographique est le premier registre à prendre en compte, dans
la présente réflexion, et cela pour deux raisons. En théorie, la carte est bien la
transcription initiale, l'écriture graphique par excellence, de l'espace géographique et
de tout ce qui s'y produit; outil privilégié souvent et révélateur toujours de la plus ou
moins grande qualité d'investigation des différents territoires étudiés. Mais en
pratique, la carte connait un usage restreint, beaucoup plus limité qu'il ne faudrait
en réalité: à témoin la plupart des travaux de géopolitique dans lesquels son
développement est d'une indigence extrême. Pourquoi une telle insuffisance? Les
géographes - universitaires ou militaires - seraient-ils les seuls porteurs de
l'expression cartographique? Dans ses applications militaires les plus sensibles, la
carte a logiquement été soumise à une confidentialité variable. Ce n'est pourtant pas
dans ce traitement que réside la principale explication d'une utilisation insuffisante
de la cartographie dans la plupart des travaux sur les réalités spatiales. En fait, on
retrouve là une double tendance. Pour le néophyte, la carte demeure un document
statique, mettant en place des localisations, en illustration éventuellement d'un texte
qui lui correspond. Elle n'est jamais, ou trop peu souvent, constitutive du
raisonnement géographique développé par ailleurs. Dans cette conception restrictive,
la carte n'est pas un instrument de la réflexion mais seulement un élément du
repérage; ce qui l'ampute dommageablement de tout rôle heuristique élaboré et
dynamique.
Les atlas à destination du grand public n'ont pas peu contribué à figer cet
emploi sommaire, dans la réflexion sur les données spatiales, et cela bien qu'ils soient
aujourd'hui d'excellente facture et très diversifiés. Pour des raisons économiques, les
conditions de production de tels recueils ne favorisent pas la meilleure exploitation
possible des différentes méthodes cartographiques disponibles. La projection de
Mercator, d'avant la révolution galiléenne, et qui surestimait les superficies des
territoires de l'hémisphère nord au niveau des hautes latitudes, au détriment de
celles des basses latitudes, n'a pas complètement disparu. Lorsqu'elle est remplacée
par d'autres, (projections de Mollweide, Peter, Sanson-Flamsteed, Goode, Grégory,
Winkel..) il n'en demeure pas moins que subsiste une vision immobile et monoculaire
de la carte, ce qui n'est pas le meilleur moyen de faire accéder le lecteur à une
véritable compréhension des dynamiques spatiales. Parce que les atlas, quelles que

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soient par ailleurs leurs qualités, sont soumis à une logique de compilation
exhaustive, la lecture du document cartographique ne se confine-t-elle pas trop
souvent dans une contemplation béate de signes en très grand nombre?
Pour autant cela ne favorise jamais le moindre énoncé intelligible en matière
de problématisation d'espace, hormis la possibilité de déchiffrer tel objet
géographique, tel événement historique, tel phénomène ou qualité, « accrochés » en
un endroit. Telle qu'elle est présentée et telle qu'on en use habituellement, la carte
« donne » à voir, rarement à comprendre. Or, le savoir-localiser ne saurait jamais
tenir lieu de savoir-penser-l'espace au sens d'une capacité mentale supérieure à
penser dans/sur/avec/par l'espace, et supposant, sans doute des structures
cognitives particulières, d'où la nécessité forte d'un apprentissage approfondi, d'une
éducation spécialisée à la gestion intellectuelle de l'outil cartographique. Les
géographes en la matière sont potentiellement les plus performants, même si leur
aptitude pédagogique à diffuser un tel savoir-faire reste modeste.
Donc la carte est à promouvoir autrement. Document non plus unique mais
pluriel. Non plus la carte mais les cartes pour l'étude d'un même espace, tant il est
vrai que ce dernier est lui aussi pluriel, par essence, et qu'il faut l'aborder à des
échelles différentes, sous des angles de vue nombreux, selon des temps successifs, à
partir de critères diversifiés. Avec l'objectif d'une vision kaléidoscopique en relief et
en mouvement: là est la source d'une pensée géospatiale améliorée. Dans le même
esprit, il faut cesser de considérer que la seule représentation du monde est cette
planisphère qui met en place l'Europe au centre, avec l'Afrique au Sud (en bas),
l'océan atlantique et le continent américain à l'Ouest (à gauche) et l'ensemble
asiatique à l'Est (à droite). Une telle grille de disposition « européocentrique » des
continents et océans déforme davantage qu'on ne le pense la gestion mentale de la
planète (déterminisme cartographique), avec une kyrielle de porte-à-faux
méthodologiques et d'incompréhensions dommageables. À la limite de la caricature,
cela aboutit parfois à oublier, de fait, la rotondité de la Terre et ses effets induits (avec
le problème majeur de savoir si, à petite échelle, c'est à dire pour un grand espace, il
n'est pas tout simplement impossible de bien penser l'espace sphérique à partir d'un
document-plan), à sous-estimer les proximités et les éloignements, à mal concevoir
certaines entités spatiales pour cause de découpage cartographique inadéquat. Ainsi
tout cadrage de carte est-il un parti pris, toujours une frustration pour l'esprit, et qui
peut s'avérer être une déformation fatale.
Le rapport modifié à la cartographie suppose l'acquisition d'une compétence
graphique, non sur le modèle sophistiqué et inhibant des cartes imprimées, mais

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selon des modes plus accessibles (le croquis géographique schématisé par exemple).
Car cela constitue une carence fondamentale que de « dire » l'espace, « l'écrire » et ne
pas savoir, de manière organique, le « produire », le "reproduire" graphiquement et
visuellement. Un hiatus existe donc entre les deux traditions, qu'il faudrait
s'employer à réduire, afin de parfaire significativement le « penser géographiquement
ou géostratégiquement ». À ce propos, ce n'est peut-être pas un hasard si la formule
« savoir-penser-l'espace » a été produite par un géographe, pour lequel l'expression
cartographique et la prise en compte de différents ordres de grandeur dans l'espace
et de différents niveaux d'analyse spatiale sont à l'origine de la méthodologie
complexe et rigoureuse à promouvoir pour mieux cerner et comprendre les réalités
du monde.

PARAGRAPHE 2 – Outils, canevas, épures...


Géographie, géopolitique, géostratégie: trois champs disciplinaires distincts et
se superposant localement parfois, mais 'trois cultures particulières, trois traditions,
qu'il ne convient plus d'opposer ni de confondre. La problématique de l'échange arrive
à son heure, au moment même où l'enfermement disciplinaire devient préjudiciable
à tout progrès fondamental en matière d'espace. L'analyse de l'espace-temps et des
phénomènes qui s'y développent plaident en faveur d'un rapprochement des
disciplines, d'une osmose de leurs meilleurs paradigmes et méthodes. Il s'agit bien
plus que d'établir des relations diplomatiques et commerciales entre les disciplines,
où chacune se confirme dans sa souveraineté. Il s'agit de mettre en question le
principe de discipline qui découpe en hachoir l'objet complexe, lequel est constitué
essentiellement par les interrelations, les interventions, les interférences, les
complémentarités, les oppositions entre éléments constitutifs dont chacun est
prisonnier d'une discipline particulière. Pour qu'il y ait véritable interdisciplinarité, il
faut des disciplines articulées et ouvertes sur les phénomènes complexes, et bien
entendu, une méthodologie ad hoc. Il faut aussi une théorie, une pensée
transdisciplinaire', Comment envisager les déconstructions et les restructurations
nécessaires? Quelle position épistémologique commune?
La primauté de l'espace, à travers sa réaffirmation récente dans l'étude des
réalités mondiales, est patente. Trois processus de restructuration interdépendants
érigent la géospatialité en paradigme fondateur commun: la restructuration
ontologique avec une formulation nouvelle des relations complexes entre l'espace, le
temps et les êtres; la restructuration économique, politique et sociale; enfin la
restructuration civilisationnelle selon les idéologies et les cultures. Le monde est tel

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qu'il est, en devenir, et tel que les individus et les sociétés le pensent et le pratiquent.
Géoculture immense, sans bornes, comme l'imagination. L'espace, lieu de la
puissance de l'Homme, le temps, signe de son impuissance. La question permanente
consiste à savoir si, comme le soutenait Kant, l'espace n'est qu'une formé a priori de
la sensibilité. "L'espace est l'acte par lequel je m'approche d'un monde étrange et
fonde du même coup cette étrangeté, cette extériorité, matrice de toute connaissance
des choses; il précède toute perception réelle, matrice de l'expérience, il est comme
une intuition pure qui détermine les objets et les relations qui s'établissent entre eux.

CHAPITRE III- À QUOI SERT LA GÉOSTRATÉGIE ?

La « géostratégie » n'est-elle qu'un néologisme supplémentaire ajouté à un


jargon où tout le monde se perd un peu: géographie politique, géographie du
politique, géopolitique... Qu'est-ce que la géostratégie, quels sont ses concepts, ses
méthodes, son histoire?
Répondre à ces questions suffirait à remplir un livre assez épais. Nous avons
préféré donner une idée de la spécificité de la géostratégie en posant la question de
sa finalité: à quoi sert la géostratégie ?
Si la géostratégie n'est pas une pseudo-discipline inventée par quelques
chercheurs en quête d'un champ d'expertise, elle sert à quelque chose, et l'effort et le
jeu de la pensée « géostratégique » ne sont pas sans gain pour le stratège. Peut-on
définir la géostratégie (ainsi que son nom semble l'indiquer) comme une stratégie de
l'espace de même que la géopolitique se veut une politique de l'espace ?

A- La conquête de l’espace : Objectif de la géostratégie ?


Présenter la géostratégie comme une « stratégie de l'espace » revient à dire que
le géostratège est un type de stratège particulier qui organise sa pratique stratégique
pour transformer l'espace au mieux de ses intérêts. Le géostratège rêverait de
contrôler des positions géostratégiques, des forteresses, des ports, des îles, des
canaux, des bases sur les grandes voies de communications et d'approvisionnement.
Il méditerait de nouvelles conquêtes territoriales. La géostratégie désignerait un
certain type de réflexion et de pratique stratégique.
L'essentiel pour le géostratège serait de faire passer sous son contrôle une
partie de l'espace adverse. La géostratégie théorique étudierait - cartes, concepts et
expérience historique à l'appui (la manière la plus efficace de couper les
communications, d'isoler les places et les armées, de soulever les populations,

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d'établir un contrôle efficace des provinces tombées). Elle décrirait la suite cohérente
d'opérations intellectuelles, matérielles et déclaratoires permettant de rendre l'espace
adverse comme étranger à l'adversaire lui-même, et comme ouvert, transparent,
contrôlable à l'envahisseur.
La géostratégie pourrait revendiquer une pléiade de grands praticiens, de
Fabius Cunctator aux guérilleros sandinistes du Nicaragua, qui ont su faire leur
l'espace contrôlé au départ par l'adversaire. Faire passer un espace, ou une portion
d'espace, d'une tutelle sous une autre, nous tiendrions là l'objet même de la
géostratégie. Il serait alors possible d'écrire plusieurs pages d'ouvrages sur les grands
noms de la géostratégie, où l'on retrouverait pêle-mêle conquérants et résistants,
théoriciens de la guérilla et historiens des constructions impériales.
L'idée que le géostratège s'occupe de l'espace nous semble assez satisfaisante
pour l'interprétation du préfixe: le gain territorial, les méthodes qui y conduisent le
plus sûrement, les opérations à prévoir sur les routes, les aéroports, les réseaux de
communications, les voies de chemins de fer, la déstabilisation des campagnes et des
villes... tout cela nous semble parfaitement géographique et tout à fait passionnant.
Mais à trop s'attacher au préfixe, on en vient à oublier le nom. Qu'y a-t-il de
stratégique dans toute cette « géostratégie » dont nous forçons un peu le trait à
dessein ?
B- Organiser l’espace-temps du stratège
De manière sommaire, l'activité du stratège peut se concevoir comme un art
de la décision. Tout ce qui contribue à perfectionner, faciliter, améliorer la décision
du stratège, voilà ce qui est réellement d'ordre stratégique, voilà le sens des patients
efforts de la stratégie théorique, qui travaille à rendre les instruments intellectuels de
la décision plus précis et plus efficaces. La « géostratégie » n'est vraiment "stratégique"
que si elle utilise l'espace, la réalité « géographique », de manière à servir la décision
du stratège. Mais comment l'espace peut-il servir?
Si l'espace a une chance de trouver quelque utilité pour la pratique stratégique,
c'est d'abord en fournissant du temps et de l’information. L'espace que cherche à
conquérir la géostratégie c'est un espace/temps. La géostratégie fait partie de la
stratégie dans la mesure où le stratège se préoccupe d'organiser son espace pour
améliorer le temps et l'information dont il dispose pour prendre sa décision.
Temporiser, utiliser toutes les possibilités de l'espace pour gagner du temps et
recueillir de l'information, voilà bien le génie géostratégique.
Si la géostratégie organise l'espace pour gagner du temps c'est pour rendre
plus sûre la décision du stratège. Du temps et de l'information, c'est l'information qui

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est la plus importante: le temps ne sert à rien si l'espace est muet. C'est peut-être un
des axiomes "géostratégiques" de la guerre du Golfe, où les Américains ont su réduire
à rien l'avantage du temps dont dispose le défenseur – selon Clausewitz - en rendant
l'espace totalement muet. Le bombardement systématique et continu n'avait pas
seulement pour effet de réduire l'agressivité des forces adverses mais aussi de rendre
de plus en plus difficile la collecte et le traitement de l'information, forçant l'adversaire
à décider dans le vide et l'incertitude la plus grande.

C- LE GLACIS : une solution géostratégique contemporaine


Ce n'est pas par hasard si, dans la vaste production de la géopolitique, un
thème surtout a retenu l'attention non seulement des politiques mais aussi des
stratèges: le glacis. Un glacis est un espace/temps d'information plus qu'un simple
terrain de manœuvre. Sur le glacis se teste la détermination de l'adversaire,
d'escarmouches, d'avant-postes en manœuvres de grande ampleur. Le glacis renforce
l'avantage du temps dont dispose la défense: il retarde, il permet de "voir venir". Un
glacis géostratégique est tout le contraire d'un vide où l'on attend de voir paraître
l'ennemi à l'horizon: c'est un système d'information échelonné où la détermination de
l'adversaire rencontre des obstacles de plus en plus puissants.
Il nous semble que l'organisation de glacis à différentes échelles du no man's
land le long du rideau de fer aux systèmes d'alliance périphériques - constitue la
principale solution géostratégique trouvée par les grandes puissances au temps de la
Guerre froide, peut-être parce que la gravité des décisions stratégiques à l'âge
nucléaire réclame plus de temps et d'information. Le croissant interne de Mackinder
devient une vaste zone où l'URSS comme les États-Unis se taillent de larges glacis,
l'URSS - qui se souvient de la blitzkrieg allemande - pour protéger son territoire, les
États-Unis pour protéger les mers libres et les nations industrielles. La politique de
la Chine en Mongolie, au Tibet, au Cambodge semble s'expliquer par la volonté de
constituer face à l'URSS et à l'Inde les éléments d'un glacis géostratégique. À une
échelle très différente, la zone de sécurité d'Israël au Sud-Liban, l'occupation de la
Cisjordanie et du Golan, désastreux d'un point de vue politique, sont rendus
nécessaires par les exigences de la rationalité géostratégique.
La question des glacis est embarrassante d'un point de vue politique: personne
ne souhaite voir son territoire servir de glacis à une puissance alliée. Dans le cas de
l'Europe occidentale la question est particulièrement embarrassante : personne n'ose
se demander si les nations de l'OTAN servent de glacis aux États-Unis, ni si la France
ou l'Angleterre considèrent une partie de l'Allemagne comme un glacis géostratégique.

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L’insistance allemande en faveur d'une défense musclée de l'avant cherche à éviter


que l'Allemagne joue effectivement ce rôle.
La différence entre un glacis et une zone d'influence permet de bien
comprendre la différence entre géopolitique et géostratégie. La géopolitique fait de la
politique: une zone d'influence est un moyen d'assurer à la métropole des ressources
et des débouchés commerciaux, un certain poids dans les décisions concernant un
ensemble régional, un rayonnement idéologique et culturel. La lutte pour les zones
d'influence s'inscrit dans la logique de la politique économique et de la politique
étrangère d'une puissance. Un glacis permet d'observer l'adversaire, de collecter des
informations, éventuellement de gagner du temps pour favoriser la décision
stratégique. La géopolitique essaie de réaliser un programme politique. La
géostratégie essaie de faciliter la décision stratégique. Il se trouve qu'en Europe glacis
géostratégique et zone d'influence géopolitique coïncident, ce qui n'est pas le cas en
Afrique par exemple.

Conclusion
La géostratégie n'est pas un type particulier de stratégie. Elle ne fixe pas
comme objectif au stratège la conquête de l'espace adverse. La géostratégie travaille
à conquérir pour le stratège un espace-temps qui lui permette d'optimiser ses
décisions. La géostratégie théorique essaie de comprendre comment organiser de
manière optimale l'espace-temps dont il va disposer pour prendre la suivante. La
géostratégie théorique est donc un des instruments d'aide à la décision dont dispose
le praticien, et c'est en tant que telle qu'elle mérite qu'il s'y intéresse.

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