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PENSEE e t REALITE

LE JEU DE L’ENSEMBLE DES ENSEMBLES*

Kostas Axelos
Paris

Commencons brutalem ent. P ar deux citations. L’une est de


Marx. II ecrit, dans Le Capital, que le systeme capitaliste empeche
le travailleur de jouir de son travail »en tan t que jeu de ses
propres forces corporelles et spirituelles«. L’autre est de Heidegger.
II šcrit, dans La constitution onto-theo-logique de la m etaphysi­
que: »l’essence de l’E tre est le Jeu lui-meme«. Ces deux citations
ne sont pas tout a fait isolees, occasionnelles et arbitraires. Dans
Le Capital toujours, M arx ecrit de nouveau: »en meme temps que
le travail m ecanique agresse au dernier point le systeme nerveux,
il opprime le jeu varie des muscles et confisque toute activite libre,
corporelle et spirituelle«. Et dans Le principe de raison Heidegger
demande: »devons-nous penser l’Etre (...) a p artir de l’essence du
Jeu«? M arx pense qu’alienation et exploitation empechent le tra ­
vailleur de deployer son activite en ta n t que jeu. La suppression
visee du capitalisme p erm ettrait done a l ’activite multiple de
l’homme de se m anifester dans le jeu et comme jeu. Ainsi serai
abolie la distinction: travail (necessaire) et jeu (libre). M arx pensa
cette pensee en un eclair, mains ne la poursuivit pas d’un bout
a l’autre. H eidegger »pense« que le Jeu constitue l’essence de
l’Etre, l ’Etre etan t a penser a p a rtir du Jeu et non l’inverse.
Heidegger pensa cette pensee dans toute sa fulgurante brievete,
mais n ’insista pas, n ’en tira pas toutes les consequences et semble
meme l’abandonner. M arx pense ontico — (ontologiquement): il
pense le travail productif et technique de l’homme grace auquel
se paracheve l’autoproduction du monde. C’est ce travail pratique
et mondialisant qui pourrait devenir jeu. Heidegger pense onto-
logico — (ontiquement): il pense le sens de l’Etre qui a ete oublie
par l’etre hum ain, E tre et etre hum ain se coappartenant. II se
pourrait que le sens de l’E tre residat dans le Jeu.

* Conference prononeće entre 1967 et 1970 aux U n iv e rsity de Bale, Ge-


nfeve, Belgrade, Zagreb, Bonn, Am sterdam, Leyde, Prague. R6digee en 1970.

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M arx et Heidegger — entre eux se situe le penseur modeme
du jeu, celui qui prete l’oreille a la voix d’Heraclite: Nietzsche
— essaient de depasser la philosophie, egale metaphysique. On
pourrait appeler leur pensee metaphilosophique, en ce sens qu’elle
ne fait plus obeir le Monde ou l’Etre a un principe transcendant
et ideel, source du Vrai, du Bien, du Beau.
Mais comment et ou rencontrons-nous la philosophie et la
pensee qui l’outrepasse, a savoir le Jeu?
Commengons par chercher la place et la situation du jeu.
Dans le grand ensemble des forces elem entaires qui ajointent
jeu de l’homme et jeu du monde, nous rencontrons le jeu. Avec
le langage et la pensee, le travail et la lutte, 1’amour et la mort,
celui-ci se manifeste, dans cet ensemble, en ta n t que humain, en­
semble des jeux dans le monde. Les forces elem entaires penetrent
les grandes puissances dont l’ensemble informe le jeu des forces
elementaires et l’accorde au jeu du monde mediatise. Ces grandes
puissances sont: magie, mythes et religion; poesie et art; politique;
philosophie, sciences et technique. Le jeu de l’ensemble des forces
elementaires avec l’ensemble des grandes puissances se constitue
a p artir du jeu du logos et de la praxis.
Le jeu qui ajointe jeu de l’homme et jeu du monde a ete pense,
depuis Platon, toujours metaphysiquement. En term es de non-jeu.
C’est-a-dire d’idees (qui gouvem ent jeu et non-jeu). Depuis Hegel
cette philosophie idealiste vit son parachevem ent et sa fin. Qu’ad-
vient-il alors de la pensše philosophique?
La philosophie a ete la base des sciences. Son ensemble s’ex-
plicite m aintenant en un ensemble de sciences. Cet ensemble com-
porte deux ensembles (cette division ne faisant pas suffisament
probleme):
a) les sciences de la nature,
b) les sciences humaines.
Parm i ces dem ieres domine l’ensemble: logique, logistique, lin-
guistique; anthropologie psychologique; sociologie.
Que devient la philosophie?
1. Elle se recueille dans l’histoire de la philosophie.
2. Elle se fait — justem ent — rem placer par les sciences.
3. Elle passe, elle qui commence avec la prćphilosophie, k une
pensee metaphilosophique: une pensće multidimensionnelle et que-
stionnante, globale et fragm entaire, ouverte, mondiale et plane-
taire.
Dans ce processus sont a noter — si l’on aime les comptabili-
sations — une perte et un gain. La perte: les sciences ne pensent
pas mais produisent, operent et transform ent technoscientifique-
ment. Le gain: le depassement possible des idćes fixes.
Toute la pensee philosophique pensa l’Etre du Monde — l’etre
en devenir de la totality fragm entaire et fragm entee du monde
multidimensionnel et ouvert — sous trois formes, en le ram enant
toujours a un etant intramondain:

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1. Comme logos-physis (chez les Grecs).
2. Comme logos-Dieu (chez les Judeo-Chretiens).
3. Comme logos-homme (chez les Europeens modernes).
Ces trois pensćes constituent les trois seules grandes pensees de
l’hum anitš (pensante). Elles existent dans la synchronie et dans
la diachronie, cette derniere ćtant nettem ent plus marquee et
m arquant plus historie de la pensće.
La Physis m eurt quand Dieu se revele. Dieu commence a mou-
rir en devenant homme — fils de Dieu et fils de l’Homme qui
m eurt sur la Croix — et m ourra »definitivement« lorsqu’il sera
tue par l’homme, le Sujet, qui se pose au centre de tout ce qui
est. L ’homme lui-meme court cependant vers son depassement.
Avec la fin de la philosophie se paracheve aussi l’humanisme.
Dans 1* fin de la philosophie se paracheve aussi l’humanisme. Dans
1’ imperfection de l’inachčvement. L’homme, sujet objectif pen-
sant et actif, a commence a en trer deja dans l’epoque de sa fin,
une fin a qui il est devolu de d u rer fort longtemps. Les sciences
hum aines ne constituent pas l’homme. Tout au contraire. Comme
l’ecrit un des protagonistes des sciences de l’homme aujourd.hui.
— Levi-Strauss —, sans comprendre integralem ent et dans toute
sa portee ce qu’il dit: »Le b u t dernier des sciences de l’homme
n ’est pas de constituer l’homme, mais de le dissoudre«. Le dis-
soudre en quoi?
Comment le »jeu du monde« fu t-il deja enonce? II le fut, plus
ou moins clairement, plus ou moins completement, par Heraclite
et p a r Platon, par les Proverbes (de Salomon), par Schiller et par
Novalis, p a r M arx, Nietzsche et Heidegger, deja cites, par Fink.1
Peu a peu se precise p eut-etre la signification du mot jeu: en
ta n t que jeu du monde. Jeu ne signifie plus ici jeu hum ain ou jeu
intram ondain, mais jeu du monde »lui-meme«, monde en tant que
jeu, deploiement du jeu dans lequel se rencontrent — pour faire
un? — (jeu de l’)homme et (jeu du)monde. L ’homme est le joueur
par excellence. Mais il est aussi le constamment dejoue. Le monde
n ’obeit plus — tout en obeissant encore — a des regies posees ou
supposees. II les englobe ces regies, elles et leurs combinatoires.
Car tous les ensembles regies ainsi que l’ensemble des ensembles
nous offrent surtout des interpretations et des donations de sens
intram ondaines. Le jeu du monde qui se joue du jeu de l’homme
et du jeu de 1’ histoire m ondiale est plus fort que nous — nous qui
le jouons.
Forces elem entaires et grandes puissances sont prises dans les
ensembles specifiques du jeu; elles-memes et leurs ensembles. La
linguistique envisage le langage comme un systeme combinatoire,
comme un jeu de signes et de regies. La logique comme logistique
traite la pen sie comme un jeu cybem£tique, autoregle. Le travail,
selon l’»6conomie« et la »politique« de M arx doit devenir jeu, et
1 Cf. Breve introduction au jeu du monde et Schem a du jeu de l’homme
et du jeu du m onde, dans Argum ents dfune recherche et, naturellem ent,
c’e s t-i-d ire non ludiquem ent, Le jeu du monde.

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divers jeux sont mis en mouvement, dans la lu tte visant la con-
quete du pouvoir. Les jeux varies de 1’ amour cherchent forme-
-et-contenu de l’am our a l’ere planetaire: de la sexualite presque
immediate, a travers l’ćrotique, jusqu’ a la figure problematique
de la famille. Finalement, nous jouons avec la mort. Des jeux
mortels qui nous subjuguent. Entre temps nous jouons a plusieurs
je u x particuliers. Le jeu lui-meme n ’est ni serieux ni ludique, ni
necessaire ni libre. — La m ythologie, la mythologie contemporaine,
codifie tous les mythes et joue avec eux a l’aide d’appareils elec-
troniques, d’ ordinateurs. La religion persiste a jouer le jeu my-
thologique, meme un peu demythologise, qui, dans l’ensemble du
sacre, relie le jeu de l’homme au jeu divin. La poesie et 1’ art de­
viennent de plus en plus explicitem ent jeu2. Le jeu empirique, et
non pas seulement empirique, de la politique mondiale continue a
se jouer, avec et en depit de ses protagonistes. II est de plus en
plus determ ine par les jeux de la technique et des science qui
l’informent. (La mathematique et l’šconomie politique, par exem­
ple, considerent les calculs de probability et les strategies corres-
pondantes comme les elements principaux de la theorie des jeux.)
La pensee elle-meme qui questionne feu la philosophie et les
sciences technicisees qui la rem placent essaie de penser le jeu, a
savoir le jeu du monde, le jeu qui relie homme et monde, a savoir
l’ensemble des ensembles3.
Le jeu du monde est une parole anticipatrice ayant effectue
cependant le pas qui retrocede; il forme l’espace-temps du jeu de
toutes les pensees et de toutes les experiences, y compris de celles
qui l’occultent et le refusent. II n ’est pas un mot d ’ordre ou un slo­
gan pour une nouvelle vision du monde, a 1’ epoque des slogans
et des visions du monde. La pensee planetaire du jeu du monde —
ayant deja commence a se employer mais dem eurant future —
constitue notre tache majeure. Pendant que plusieurs plans et
schemes du jeu nous motivent, nous-memes essayant de les expe­
rim enter et de les penser. Pendant que tous les partenaires et tous
les adversaires du jeu deviennent probiymatiques, nous-memes
refusant de faire de ce qui est en question — qui nous interroge
et que nous interrogeons — quelque chose d’objectif ou d’absolu.

* Divers romans et pieces de thć&tre portent au langage le jeu. II ne


s’agit pas de les enum ćrer tous et toutes. Pensons a Dostoievski qui dans
Le joueur parle de la problem atique de l’homme en general. Herm ann Hesse
dans Le jeu des perles de verre nous raconte l’histoire d’une petite republi-
que d ’elite qui ne produit pas de la culture a proprem ent parler m ais com­
bine, dans un jeu relationnel unifiant, toutes les formes de culture passee.
Van Vogt dans un roman de science-fiction, Le monde des n on-A (des non
aristoteliciens) nous m ontre une m achine des jeux qui dćcide en matifere
de gouvernem ent sur la planete Terre. Apržs Pirandello et son jeu des
rdles, Beckett m et en scfene le jeu (play) de la comćdie hum aine, de cette
Fin de partie qui sans cesse dćroule La derniere bande, au-delži du sense
et de l’absurde, de la tragedie et de la comćdie: dans la rćpćtition (nihi-
liste) du jeu.
3 Cf. Introduction a la pensee planetaire, dans Vers la pensee plane­
taire.

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Car que pouvons-nous penser et faire par les temps qui courent?
1. On peut revivifier l’ancien absolu, logos-Dieu, m o rt, en fai-
sant de la theologie demythologisee, en s’adonnant meme a la t h e -
ologie de la m ort de Dieu ou en sacrifiant aux theories et aux
pratiques d ’une religiosite profane.
2. On peut se lancer dans la recherche scientifique, hautement
technicisee, en s’attaquant technoscientifiquement aux deux autres
anciens absolus: la nature et l’homme historique. Ainsi s’instaurent
et progressent l’ensemble des sciences de la nature et l’ensemble
des sciences humaines, l’ensemble des deux ensembles ne reussis-
sant pas a constituer la Science.
3. On peut s’adonner a la politique, pragm atique ou messia-
nique, viser la consolidation de l’administration gestionnaire et du
pouvoir ou son renversem ent.
4. On peut continuer la quete de l’E tre par une pensee qui pense
son oubli et son retrait, re tra it se retiran t lui-meme et nous lais-
sant en plan. En suivant la voie de Parm enide et de Platon, de
K ant et de Heidegger.
5. On peut commencer a penser le jeu du monde — en assumant
toute la durete de l’existence —, a travers sa grammaire et sa syn-
taxe, en ecoutant son appel, en le pensant a l’aide d’une pensee
enjouee et souple, coherente, bien que sans base, acceptant l’ajoin-
tem ent des contraires. En suivant la voie d’Heraclite, de Hegel-
-M arx et de Nietzsche.
6. On peut prolonger, en innovant parfois, les exercices et pe-
tits jeux de l’6criture qui sous des pretextes theoriques, poetiques,
litt£raires, scripturaux, perpćtuent les divers scripturations plus
ou moins insignifiantes de la designifiance.
Ces six possibilites s’ouvrent a nous, pendant que la philosophie
= m§taphysique, bien que parachevee et deja depassee, continuera
a se survivre: de plusierus manieres.
P our ceux qui sont tentes p ar la possibility de penser le jeu du
monde, une question surgit, une question qui demande: comment
passons-nous du jeu de l ’homme et des jeux dans le monde au jeu
du monde et de celui-ci a ceux-la? La reponse qui se laisse formu-
ler dit: grace a l’homme, etre du passage, etre de passage. C’est
»chez« les hommes qu’a lieu le jeu des questions et des reponses
entre homme et monde. Car ces deux ensembles tendent a faire
un ensemble d’ensembles.
L ’ensemble de la matidre-ćnergie, l ’ensemble de la m atičre vi-
vante, l’ensemble de l’£nergie neuropsychique et sociohistorique
ne vont pas sans antagonismes, oppositions et contradictions, a
l’intćrieur de chaque ensemble et entre les ensembles. Chaque
systeme, chaque structure du jeu poss&de une force d’attraction et
une force de repulsion. Au processus vers l’homogeneite (1’ asso­
ciation) correspond, en le contrecarrant et en le completant —-
fOt-ce en le faisant eclater —, le processus vers l’heterogeneite
(la dissociation). Ces deux processus combines et alternants s op-
posent et a l’in tšrieu r de chaque systeme et dans le systeme des
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systemes. Pourquoi? Parce que jamais il n ’y a d’actualisation ri-
goureuse et complete. A cause precisement des contradictions et
des antagonismes immanents. II se joue des choses dans le monde.
Tres certainement. Et potentiellem ent et sur le registre des E qu­
alisations. C’»est« Cela le jeu.
De quoi s’agit-il done pour nous lecteurs et facteurs du jeu et
des jeux? Notre tache consiste a savoir lire dans tout jeu du mon­
de tout autre jeu et, principalement, le jeu du monde. (Et non pas
seulement lire, mais jouer: en renversant au besoin les regies.) En
e x p e rim e n ta l la pluralite des perspectives au sujet de chaque
probleme (qui depasse l’opposition sujet-objet). II s’agit de corres-
pondre — avec serenite et tristesse — au jeu du monde — l’indi-
cible, l’innommable, l’injouable —, sans le presser hativem ent
dans de petits systemes qui pretendent l’epuiser avec leurs m etho-
des reductrices, unilaterales et imperialistes. Se tenir prets pour le
jeu qui nous recquiert, jeu du langage et de la pensee, du travail
et de la lutte, de 1’ amour et de la mort. (La vie n ’est ni digne ni
indigne d’etrevecue, puisqu’il s’agit non pas de la »vivre« — avec
ou sans raison de vivre — mais de la jouer.) En essayant, si le
coeur nous en dit, d’en atteindre les cimes. Sans doute n ’y a-t-il
plus de joueurs d ’elite on une elite de joueurs. II y a cependant
ceux dont nous avons besoin et qui am plifient et intensifient pro-
ductivem ent les regies, ou, plutot, le style du jeu. Pour nous,
joueurs qui restons toujours en route. Car le jeu sans cesse se de­
robe. C’est lui pourtant qui nous inspire. Sans doute devons-nous
apprendre a adm ettre — avec depouillement et audace — que tout
est dejoue. Tous les jeux etant deja joues. II ne vous reste par
consequent qu’a dejouer egalement le jeu de l’ensemble des en­
sembles dont parlait cette conference, non entendue, dont parle ce
texte, indecrypte.

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