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régulation
La réforme des télécommunications
au Sénégal
Olivier Sagna
Olivier Sagna est maître de coordonnateur de l’Initiative Leland la recherche en sciences sociales en
conférences à l’École de à l’USAID/Sénégal, responsable Afrique (CODESRIA). Il est aussi
bibliothécaires, archivistes et régional des formations, puis secrétaire général de l’Observatoire
documentalistes (EBAD) de directeur du campus numérique sur les systèmes d’information,
l’université Cheikh Anta Diop de francophone de Dakar de l’Agence les réseaux et les inforoutes au
Dakar (UCAD) où il enseigne universitaire de la francophonie Sénégal (OSIRIS) dont il gère le site
les sciences de l’information depuis (AUF), et est actuellement Web (www.osiris.sn) et est le rédacteur
1988. Parallèlement, il a administrateur de programme au en chef de la lettre d’information
successivement travaillé comme Conseil pour le développement de électronique mensuelle Batik.
Une entreprise publique qui n’avait rien d’un canard boiteux. À la veille de
la privatisation, la situation des télécommunications était nettement meilleure
que celle prévalant dans nombre de pays africains, même si elle était loin
d’être parfaite. Les télécommunications avaient en effet bénéficié d’une atten-
tion particulière des autorités publiques depuis le début des années 1980 avec
notamment l’organisation de journées nationales en 1983, puis leur inscription
comme secteur prioritaire dans le VIIe plan de développement économique et
social adopté en 1985. De plus, le secteur était animé par des cadres de valeur
à l’image d’Alassane Dialy Ndiaye qui peut être considéré comme le « père » des
télécommunications sénégalaises. Sous son impulsion, les télécommunications
par satellites avaient été introduites en 1972, et le Sénégal avait été connecté
9. Télé-Sénégal deviendra 14. Les accords internationaux de de la Banque mondiale qui s’opposait
une société nationale avec une balances de trafics permettaient au maintien du monopole sur
gestion de type privé dès 1977. d’établir annuellement le nombre de les services de base accordé à
10. À cette époque, la télédensité minutes de communications la Sonatel pour une durée de sept ans
africaine était comprise entre 0,3 et échangées entre deux pays. Une fois (Dianté, 2003).
0,8 ligne pour 1 000 habitants. le solde calculé, le pays ayant émis 16. Le consortium piloté par
11 Les dettes à moyen et long terme le plus de minutes de l’opérateur historique suédois était
de la Sonatel ne représentaient que télécommunications devait payer composé de la société américaine
7 % du total de son bilan. la différence au pays vers lequel elles The Walter Group, de la société
12. Un euro vaut 655,957 FCFA. avaient été émises afin de compenser taïwanaise China
13. Déclaration de la politique de les coûts entraînés par leur réception, Telecommunications Services (CTS)
développement générant ainsi des revenus et de la société sénégalaise Senecom
des télécommunications substantiels. Partners.
sénégalaises (1996-2000). 15. Il faut souligner que l’opération 17. Jeune Afrique, 4 janvier 2008.
n’avait pas obtenu l’assentiment 18. Wal Fadjri, 1er octobre 2007.
19. Sonatel, rapport annuel 2008, 23. Cette marge est exprimée sous 27. En 2009, plus de 88 % de
p. 27. l’appellation d’Earnings Before la population et plus de 94 %
20. La contribution de la téléphonie Interest, Taxes, Depreciation, and des villages de plus de 500 habitants
mobile au chiffre d’affaires annuel de Amortization (EBIDTA). sont couverts par les réseaux de
la Sonatel qui était inférieure à 50 % 24. Jeune Afrique, 10 décembre la téléphonie mobile.
jusqu’en 2005 a atteint 62 % en 2009. 2008. 28. ARTP, rapport annuel d’activité
21. Le dividende versé par France 25. Entre juin 2005 et juin 2009, 2008, p. 33-34.
Télécom est passé de 1 € en 1998 à le nombre d’abonnés à la téléphonie 29. En novembre 2006, Orange s’est
1,40 € en 2009. mobile a progressé de 595 %. substitué à toutes les marques
22. Plus connu sous l’appellation 26. Il faut cependant souligner que commerciales de la Sonatel.
anglaise de Price Earning Ratio la Sonatel a investi annuellement près 30. Depuis novembre 2005,
(PER), le coefficient de capitalisation de 122 milliards de FCFA durant la marque commerciale Tigo, utilisée
de bénéfices est égal au rapport la période 2004-2009. par MIC à travers le monde, s’est
entre le cours d’une valeur et substituée à Sentel.
le bénéfice net par action.
Le monopole public est mort, vive le monopole privé ! Une autre consé-
quence du monopole de la Sonatel a été d’étouffer le développement des services
à valeur ajoutée 32 pourtant soumis à un régime de libre concurrence depuis
1996. Alors qu’il existait près d’une quinzaine de fournisseurs de services
Internet (FSI) dans les années 1995-2000, ceux-ci ont peu à peu cessé leurs
activités, compte tenu de la concurrence déloyale exercée par Télécom-Plus 33 ,
filiale de la Sonatel chargée de commercialiser les services Internet. S’appuyant
sur son monopole en matière d’accès à la bande passante Internet internatio-
nale, la Sonatel a pratiqué des prix de revente au détail sur les liaisons spé-
cialisées qui n’ont pas permis aux FSI d’exercer rentablement leur activité.
Par ailleurs, Télécom-Plus a joui pendant longtemps de l’avantage comparatif
constitué par le réseau commercial de l’opérateur historique sur lequel elle a pu
s’appuyer à une époque où « services de télécommunications » rimait toujours
avec Sonatel dans l’esprit d’une majorité de Sénégalais. Le régulateur n’ayant
pas joué son rôle en imposant une régulation asymétrique à l’opérateur histo-
rique, il en a résulté la disparition de tous les FSI pour ne laisser subsister que
deux revendeurs de services ADSL. Concomitamment au faible taux d’alphabé-
tisation numérique, à la cherté des ordinateurs, au développement lacunaire de
la téléphonie fixe, à la cherté de l’Internet mobile et au petit nombre de services
répondant aux besoins des Sénégalais, l’absence d’une véritable concurrence
sur ce segment de marché est un des facteurs expliquant le faible taux de péné-
tration d’Internet (0,49 %) avec seulement 59 745 abonnés en 2009, même si par
31. ARTP, Observatoire de la ligne, les services Internet, 35. Le Soleil, 1er aout 2007.
téléphonie mobile, décembre 2009. le transfert de fichiers, etc. 36. ANSD, « Situation économique et
32. L’OMC définit les services à 33. Créée en 1991 sous la forme sociale du Sénégal », en 2008.
valeur ajoutée comme « des services d’une filiale dont le capital était 37. Tout opérateur de
dans le cadre desquels les détenu à hauteur de 51 % par télécommunications qui détient une
fournisseurs “ajoutent une valeur” la Sonatel et de 49 % par France part de marché supérieure à 25 % est
aux informations fournies par le client Câbles et Radio (FCR), Télécom-Plus considéré par le régulateur comme
en améliorant leur forme ou leur est devenue une filiale à 100 % de étant en position dominante.
contenu ou en prévoyant leur la Sonatel sous l’appellation de 38. OMC, « Sénégal. Liste
stockage et leur recherche » tels le Sonatel Multimédia en 2001. d’engagements spécifiques », GATS/
courrier électronique, la messagerie 34. Africa Internet Usage and SC/75/Suppl.1.
vocale, les services d’informations en Population Statistics, www.
internetworldstats.com
39. Loi n° 2001-15 du 27 décembre l’ART est nommé par décret, sans les domaines de la téléphonie fixe, de
2001 portant Code des préciser la durée de son mandat ni l’Internet et de la téléphonie mobile.
télécommunications. donner un caractère irrévocable à 48. Sudatel avait offert la somme de
40. Décret n° 2003-63 du 17 février sa nomination. 200 millions de dollars contre
2003 fixant les règles d’organisation 44. Wal Fadjri, 9 juillet 2005. 152 millions de dollars et 105 millions
et de fonctionnement de l’ART. 45. La décision de l’État d’attribuer de dollars respectivement proposés
41. Décret n° 2003-64 du 17 février une troisième licence avait été par Bintel et Celtel.
2003 relatif aux fréquences et bandes annoncée en janvier 2005 à 49. United States Department of
de fréquences radioélectriques et l’occasion de la publication de Treasury, Office of Foreign Assests
aux opérateurs de ces équipements. la lettre de politique sectorielle du Control, www.ustreas.gov
42. Décret n° 2003-215 du 17 avril secteur des télécommunications. 50. www.millicom.com
2003 nommant les membres 46. Les compétences de l’ART ont 51. Le Sénégal ne réclame pas moins
du Conseil de régulation de l’Agence été étendues à la poste par la loi de 125 milliards de FCFA à Sentel,
de régulation des télécommunications. n° 2006-02 du 4 janvier 2006. L’Observateur, 4 novembre 2008.
43. Le Code des télécommunications 47. Par licence globale, il faut 52. ICSID (2008).
indique que le directeur général de entendre l’autorisation d’opérer dans
Conclusion
Dès 2003, des voix questionnaient la « réussite » de la privatisation de la Sonatel
et montraient que l’opération avait surtout profité à France Télécom (Jaffré,
2003). L’examen des résultats financiers de la Sonatel sur la décennie 1998-
2009 confirme cette analyse. En effet, elle a réalisé un bénéfice cumulé de
1 082 milliards de FCFA dont l’essentiel est allé à l’actionnaire principal 57,
sans compter les transferts internes liés au paiement de prestations de servi-
ces et autres frais de gestion facturés par France Télécom 58 ainsi que les 20 %
de la croissance du résultat d’activités prélevés sur le bénéfice avant même la
rétribution des actionnaires. Si l’on rapporte ces sommes aux 70 milliards de
FCFA payés par France Télécom pour prendre le contrôle de la Sonatel, il est
indubitable que ce fut une opération particulièrement rentable. Les dirigeants
de France Télécom ont d’ailleurs reconnu que les résultats 2004 de la Sonatel
avaient dépassé de 25 fois les projections établies au moment des négociations
en vue de son acquisition 59 . Dans une moindre mesure, l’État 60 , les actionnai-
res privés et les salariés 61 ont été les autres grands bénéficiaires de la privatisa-
tion grâce à l’encaissement de dividendes dont le montant s’est fortement accru
au fil des ans. S’agissant des performances de l’entreprise, en matière de la télé-
phonie fixe, les résultats ont été plus que mitigés puisque le nombre d’abonnés
a faiblement progressé. Si le développement de l’infrastructure de la téléphonie
mobile a permis une quasi totale couverture du territoire, il n’en reste pas moins
qu’elle n’offre qu’un accès potentiel aux services de télécommunications.
53. Le troisième directeur général de place en 2006 n’est devenu d’affaires, avant d’être revus à
l’ARTP a été relevé de ses fonctions opérationnel qu’en mars 2010 avec la baisse en 2004 à la demande même
en septembre 2009 suite à une la nomination de son administrateur des administrateurs de la Sonatel.
mission de contrôle de l’IGE ayant et du comité de direction. 59. Dépêche de l’Agence de presse
décelé un détournement de deniers 56. Arrêté ministériel n° 06495 en sénégalaise (APS), 24 avril 2006.
publics portant sur une somme de date du 23 juin 2009 portant 60. En dehors des dividendes
1,6 milliard de FCFA. attribution d’une licence de service découlant des 27 % d’actions qu’il
54. En janvier 2007, l’ARTP a universel dans la région de Matam. possède encore, l’État a bien entendu
condamné la Sonatel à payer une 57. France Télécom possède 42 % perçu le montant des impôts
amende équivalant à 1 % de son du capital de la Sonatel depuis que et taxes découlant des activités
bénéfice 2005, soit 3,169 milliards de l’État lui a cédé 9 % de ses parts à de la Sonatel.
FCFA « pour mauvaise qualité de l’occasion de la visite de son PDG, 61. Les salariés et les retraités de
service ». Michel Bon, au Sénégal, en la Sonatel ne détiennent plus que 5 %
55. Le Fonds de développement du janvier 1999. du capital de l’entreprise.
service universel des 58. En 1997, les managements fees 62. ARTP, Observatoire de
télécommunications (FDSUT) mis en s’élevaient à 1,3 % du chiffre la téléphonie mobile, décembre 2009.