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Privatisation, libéralisation,

régulation
La réforme des télécommunications
au Sénégal
Olivier Sagna

La réforme des télécommunications lancée en 1996 au Sénégal a


surtout bénéficié aux actionnaires de l’opérateur historique privatisé.
En dehors du développement de la téléphonie mobile, la téléphonie
fixe, la téléphonie rurale et Internet n’ont guère progressé, le niveau
de la concurrence est resté faible, une régulation crédible et impar-
tiale n’a pas su s’imposer, les investissements directs étrangers n’ont
pas afflué et le secteur demeure sous le contrôle de l’État même si la
privatisation lui a fait perdre un instrument clé pour la mise en œuvre
de sa politique de développement.
Mots clés : Sénégal – Libéralisation – Privatisation – Régulation – Télécommunications

Le triomphe du libéralisme dans certains pays occidentaux,


au début des années  1980, a eu pour conséquence la mise en
œuvre de politiques visant à réduire le périmètre d’interven-
tion de l’État, diminuer les budgets sociaux et déréglementer
les secteurs de l’économie fonctionnant sous contrôle étati-
que. Dans le cadre de la mondialisation, ces politiques ont été
relayées par la Banque mondiale (BM), le Fonds monétaire
international (FMI), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Union
internationale des télécommunications (UIT), etc., à l’échelle internationale
(Do-Nascimento, 2005).

Olivier Sagna est maître de coordonnateur de l’Initiative Leland la recherche en sciences sociales en
conférences à l’École de à l’USAID/Sénégal, responsable Afrique (CODESRIA). Il est aussi
bibliothécaires, archivistes et régional des formations, puis secrétaire général de l’Observatoire
documentalistes (EBAD) de directeur du campus numérique sur les systèmes d’information,
l’université Cheikh Anta Diop de francophone de Dakar de l’Agence les réseaux et les inforoutes au
Dakar (UCAD) où il enseigne universitaire de la francophonie Sénégal (OSIRIS) dont il gère le site
les sciences de l’information depuis (AUF), et est actuellement Web (www.osiris.sn) et est le rédacteur
1988. Parallèlement, il a administrateur de programme au en chef de la lettre d’information
successivement travaillé comme Conseil pour le développement de électronique mensuelle Batik.

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Les pays, dont l’économie était dépendante des prêts de la BM et du FMI
furent contraints de s’inscrire dans cette dynamique libérale. Les télécommu-
nications n’échappèrent pas à cette logique car, pour les institutions de Bretton
Woods, l’ouverture économique des pays en développement ne devait pas se
limiter aux f lux commerciaux, financiers et aux investissements mais s’étendre
aux technologies, à l’information et aux services (Nayyar et Bhaduri, 1997). La
modernisation des infrastructures de télécommunication, l’accroissement de
la couverture des réseaux, l’augmentation de la télédensité, l’accès universel,
l’amélioration de la qualité de service, la baisse des tarifs, etc., étaient autant
d’objectifs dont l’atteinte était jugée difficile voire impossible par un opérateur
public. Dès lors, la réforme du secteur des télécommunications était présentée,
par les tenants du libéralisme, comme le gage d’une meilleure efficacité éco-
nomique et la condition sine qua non d’une entrée réussie dans la société de
l’information (Chéneau-Loquay, 2001).
C’est dans ce contexte que le Sénégal, alors dirigé par le président
Abdou Diouf, qui avait fait sienne la devise « Moins d’État, mieux d’État »,
entreprit la privatisation d’une première série d’entreprises publiques évoluant
dans le secteur marchand de l’économie1 à partir de 1987 (Samb, 2009) puis
d’entreprises concessionnaires de services publics 2 (eau, électricité, etc.). Une
loi spécifique fut votée afin de privatiser la Société nationale des télécommu-
nications du Sénégal 3 (Sonatel) et un nouveau code des télécommunications
adopté pour libéraliser le marché 4 . La première étape de la réforme survint en
juillet 1997 avec la cession d’un tiers du capital de la Sonatel à France Télécom.
La seconde étape fut l’attribution d’une licence de téléphonie mobile à Sentel,
filiale du groupe Millicom International Cellular (MIC), en juillet 1998. Enfin,
la troisième étape fut la création de l’Agence de régulation des télécommunica-
tions (ART), en janvier 2002, parachevant ainsi la mise en œuvre du triptyque
« privatisation, libéralisation, régulation » induit par les engagements pris par
le Sénégal en matière de télécommunications à valeur ajoutée dans le cadre
de l’Uruguay Round (1994-1995) ainsi que par la signature de l’Accord sur les
télécommunications de base inclus dans l’Accord général sur le commerce des
services (AGCS) de 1997 5 . Près de 15 ans après le lancement de ce processus, il
nous a semblé opportun d’en dresser le bilan afin d’évaluer dans quelle mesure
les fruits avaient tenu la promesse des f leurs.

1. Le secteur marchand regroupe 3. Loi n° 95-25 du 29 août 1995 commerciaux et le dépérissement


les activités produisant des biens et modifiant l’annexe de la loi n° 87-23 du système des balances de trafic.
services marchands, par opposition du 18 août 1987. 6. Décret n° 95-414 du 15 mai 1995
aux biens et services non marchands, 4. Loi n° 96-03 du 26 février 1996 portant création du GRCC.
la différence entre les deux portant Code des 7. La lettre de CSD-PTT, n° 15,
s’établissant sur l’existence ou non télécommunications. décembre 1996.
d’une rétribution pour le service 5. Cet accord consacre 8. Bénéficiant d’une réduction de
rendu. la libéralisation des marchés 45 %, les travailleurs achetèrent
2. Loi n° 95-05 du 5 janvier 1995 des télécommunications, les actions à 10 500 FCFA et obtinrent
complétant l’annexe de la loi n° 87-23 la transformation des services de un prêt sans intérêt pour leur
du 18 août 1987. télécommunications en des produits acquisition.

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Le GRCC à l’origine de la privatisation
En 1995, une structure composée de représentants de l’administration, d’or-
ganisations patronales, de syndicats de travailleurs, d’acteurs du monde rural
et d’associations de consommateurs, fut créée sous l’appellation de Groupe
de réf lexion sur la compétitivité et la croissance (GRCC). Sa mission était,
d’une part, de servir de cadre de concertation, d’analyse, d’information et de
réf lexion afin d’identifier les entraves à la compétitivité et à la croissance et,
d’autre part, de formuler des propositions en vue de lever ces freins et de ren-
forcer la contribution du secteur privé au développement économique 6 . La
réforme des télécommunications figurait parmi les priorités du GRCC bien que
combattue par les syndicats, qui organisèrent une grève pour s’y opposer en
août 19957. Cependant, en cette période où le gouvernement mettait en œuvre
le Programme d’ajustement structurel (PAS), suite à la dévaluation du FCFA de
janvier 1994, la conjoncture n’était guère favorable aux luttes sociales.
Les syndicats de la Sonatel, regroupés au sein d’une intersyndicale, déci-
dèrent alors d’accompagner le processus de privatisation en exigeant notamment
que 25 % du capital de l’entreprise leur soient réservés (Azam, Dia, N’Guessan,
2002, p. 26). À l’issue des négociations, ils se virent finalement attribuer 10 %
des actions à des conditions plutôt avantageuses 8 . Suite à cet accord, le schéma
retenu prévoyait que le capital de la Sonatel serait réparti entre l’État (34 %),
un partenaire stratégique (33,33 %), les travailleurs de l’entreprise (10 %), des
investisseurs privés (17,66 %) et un opérateur africain (5 %). Dès lors, le proces-
sus se poursuivit sans heurts majeurs, l’opposition politique ayant été affaiblie
suite à l’entrée de plusieurs de ses composantes dans un « gouvernement de
majorité présidentielle élargie ». La seule question qui faisait débat était de
savoir si la libéralisation du marché des services de télécommunications (télex,
téléphonie, transmissions de données, Internet, etc.) devait précéder la priva-
tisation ou inversement. Le patronat, dont certaines composantes souhaitaient
profiter rapidement des opportunités offertes par la libéralisation, poussait en
faveur de la première option tandis que les syndicats défendaient la seconde
option afin de permettre à la Sonatel de se préparer à affronter la concurrence.
Finalement, il fut décidé de privatiser avant de libéraliser.

Une entreprise publique qui n’avait rien d’un canard boiteux. À la veille de
la privatisation, la situation des télécommunications était nettement meilleure
que celle prévalant dans nombre de pays africains, même si elle était loin
d’être parfaite. Les télécommunications avaient en effet bénéficié d’une atten-
tion particulière des autorités publiques depuis le début des années 1980 avec
notamment l’organisation de journées nationales en 1983, puis leur inscription
comme secteur prioritaire dans le VIIe plan de développement économique et
social adopté en 1985. De plus, le secteur était animé par des cadres de valeur
à l’image d’Alassane Dialy Ndiaye qui peut être considéré comme le « père » des
télécommunications sénégalaises. Sous son impulsion, les télécommunications
par satellites avaient été introduites en 1972, et le Sénégal avait été connecté

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au réseau mondial des câbles sous-marins avec la mise en service des câbles
Antinéa, Fraternité I et II et Atlantis I et II entre 1977 et 1982. Nommé en 1973
à la tête de Télé-Sénégal, société d’économie mixte chargée des télécommuni-
cations internationales 9 , Alassane D.  Ndiaye avait su anticiper l’évolution du
secteur et dans un rapport, rédigé à l’attention des autorités en 1981, il avait
préconisé la fusion des activités de télécommunications nationales et interna-
tionales jusqu’alors gérées respectivement par l’Office des postes et des télé-
communications (OPT) et Télé-Sénégal.
Ses recommandations aboutirent, en 1985, à la première réforme d’en-
vergure du secteur avec la séparation des activités postales et de télécommuni-
cations débouchant sur la création de l’Office de la poste et de la caisse d’épargne
(OPCE) et la fusion de l’OPT et de Télé-Sénégal qui donna naissance à la Sonatel.
Nommé directeur général de cette société, il procéda à l’extension et à la moder-
nisation du réseau dans le cadre d’un programme d’investissements d’un mon-
tant de 63 860 milliards de FCFA, couvrant la période 1985-1992, financé à 45 %
sur fonds propres. Cette politique, qui sera poursuivie par son successeur, fit
qu’à la veille de la privatisation, l’infrastructure de télécommunications com-
prenait 2 200 km de câbles en fibre optique et était numérisée à plus de 90 %. Le
nombre de lignes téléphoniques principales s’élevait à 133 000  lignes, soit une
télédensité de 13  lignes pour 1 000  habitants10 et grâce à un réseau de points
d’accès collectifs au téléphone appelés « télécentres privés », 65 % des habitants
étaient couverts par la téléphonie. Sur le plan des services, la transmission de
données par paquets (1988), le vidéotex (1994), l’audiotex (1995), Internet et la
téléphonie mobile (1996) avaient été successivement introduits.
Malgré ses investissements, la Sonatel était peu endettée11 et son per-
sonnel présentait le taux de productivité le plus élevé du secteur des télécom-
munications en Afrique sur la période  1990-1996 avec le taux de croissance
annuelle cumulé (TCAC) le plus élevé avec 18,18 % (Lemesle, 2002, p. 57) après
l’Ouganda (18,8 %), mais avant l’Égypte (12,2 %), le Nigeria (10 %) ou encore
l’Afrique du Sud (7,5 %). Son capital, qui était de 3,5  milliards de FCFA12 en
1985, avait été augmenté à 50 milliards de FCFA en 1993, son chiffre d’affaires
était de 62 013 milliards de FCFA pour un bénéfice net de 12 605 milliards de

9. Télé-Sénégal deviendra 14. Les accords internationaux de de la Banque mondiale qui s’opposait
une société nationale avec une balances de trafics permettaient au maintien du monopole sur
gestion de type privé dès 1977. d’établir annuellement le nombre de les services de base accordé à
10. À cette époque, la télédensité minutes de communications la Sonatel pour une durée de sept ans
africaine était comprise entre 0,3 et échangées entre deux pays. Une fois (Dianté, 2003).
0,8 ligne pour 1 000 habitants. le solde calculé, le pays ayant émis 16. Le consortium piloté par
11 Les dettes à moyen et long terme le plus de minutes de l’opérateur historique suédois était
de la Sonatel ne représentaient que télécommunications devait payer composé de la société américaine
7 % du total de son bilan. la différence au pays vers lequel elles The Walter Group, de la société
12. Un euro vaut 655,957 FCFA. avaient été émises afin de compenser taïwanaise China
13. Déclaration de la politique de les coûts entraînés par leur réception, Telecommunications Services (CTS)
développement générant ainsi des revenus et de la société sénégalaise Senecom
des télécommunications substantiels. Partners.
sénégalaises (1996-2000). 15. Il faut souligner que l’opération 17. Jeune Afrique, 4 janvier 2008.
n’avait pas obtenu l’assentiment 18. Wal Fadjri, 1er octobre 2007.

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FCFA et elle disposait de capacités d’autofinancement de 24 445  milliards de
FCFA. Globalement, les télécommunications contribuaient pour 2,6 % au PIB13 ,
ce qui était remarquable pour un pays en voie de développement. Seules ombres
à ce tableau, la téléphonie rurale était faiblement développée, les sommes dues
par le secteur public étaient difficilement recouvrées et, surtout, 75 % des recet-
tes de la Sonatel provenaient du solde des balances de trafic14 , ce qui n’était pas
viable dans le nouvel environnement réglementaire dessiné par l’AGCS. C’est
donc une entreprise performante, saine, bien gérée et évoluant dans un secteur
d’avenir que l’on s’apprêtait à privatiser et non un canard boiteux.

Quand la privatisation bénéficie à une entreprise publique. En 1996, les


autorités lancèrent un appel d’offres international pour la sélection d’un « parte-
naire stratégique » auquel était proposé l’achat du tiers du capital de la Sonatel
pour un prix minimal de 55  milliards de FCFA15 . De nombreux opérateurs se
manifestèrent parmi lesquels France Télécom, le consortium Telia Overseas16
ainsi que les opérateurs nationaux d’Afrique du Sud, d’Arabie Saoudite, de
Malaisie, du Maroc, du Portugal, etc. En novembre  1996, Telia Overseas rem-
porta l’adjudication avec une offre de 137,3  millions de dollars (Hawkins et
Shepher, 1997). Cependant, les négociations entre Telia et l’État achoppèrent sur
la garantie de l’emploi, le plan d’investissement à long terme et la durée de la
concession que l’État souhaitait de 20 ans tandis que Telia voulait la limiter à
sept années (Mbengue, 2006-2007). Après quatre mois de négociations, Telia
retira son offre et des discussions s’engagèrent avec France Télécom qui figurait
en deuxième place sur la liste des adjudicataires. L’État s’accorda finalement avec
l’opérateur historique français qui signa une concession d’une durée de 20 ans et
versa la somme de 70 milliards de FCFA (Dianté, 2003). Ironie de l’histoire, alors
que le processus de privatisation avait pour objectif de sortir la Sonatel de l’orbite
de l’État, celle-ci tomba sous la coupe d’une entreprise publique dans le capital de
laquelle l’État français détenait une participation majoritaire bien qu’elle fonc-
tionnât comme une entreprise privée (Sagna, 2001).

De bons résultats financiers payés par les consommateurs. L’introduction


du titre Sonatel à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) d’Abid-
jan (Côte d’Ivoire), en octobre  1998, fut une première en Afrique de l’Ouest.
Quelque 9 000  particuliers souscrivirent des actions (Africa Recovery, 2000)
et la vente rapporta plus de 14 milliards de FCFA à l’État. Introduit sur le mar-
ché à la cote de 22 000 FCFA, le titre devint rapidement la valeur phare de la
BRVM, dont il représenta entre 40 % et 50 % de la capitalisation boursière selon
les années17. En 2006, il franchit la barre des 100 000 FCFA pour atteindre le
cours record de 194 995  FCFA en février  2008. Alors que certains analystes
prévoyaient qu’elle atteigne les 200 000 FCFA, voire même les 250 000 FCFA18 ,
l’action Sonatel plongea à la baisse pour se stabiliser autour de 120 000 FCFA à
la fin de l’année 2009, suite au repli des investisseurs étrangers frappés par la
crise économique mondiale. Malgré ces f luctuations, le titre Sonatel enregistra

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une capitalisation boursière de 1 300 milliards de FCFA en 200819 soit 26 fois
le montant de son capital réel. Ces bons résultats découlaient du fait que les
activités du groupe avaient fortement progressé grâce à la téléphonie mobile
(Sagna, 2008) et s’étaient étendues au Mali en 2002 puis à la Guinée et à la
Guinée-Bissau en 2006 20 . Le chiffre d’affaires de la Sonatel était passé de
90 695  milliards de FCFA en 1998 à 562 626  milliards de FCFA en 2009, soit
une progression de 520 %, pendant que son résultat net progressait de 288 %,
passant de 47 660  milliards de FCFA à 185 028  milliards de FCFA. Quant au
dividende par action, il avait augmenté de 419 %, passant de 2 340  FCFA en
1998 à 12 150  FCFA en 2009 21 et son coefficient de capitalisation de bénéfi-
ces 22 n’avait jamais été inférieur à 4, s’élevant même à 10 en 2007.
Le succès du titre s’explique également par l’importance de la marge
opérationnelle de la Sonatel 23 qui était de 56,2 %24 en 2007 quand Vodafone
et d’AT&T affichaient des marges opérationnelles respectives de 26,4 % et de
35,8 %. De tels résultats avaient été possibles grâce à une conjoncture particu-
lière, caractérisée par un marché de la téléphonie mobile en très forte expan-
sion 25 , une concurrence limitée, des tarifs relativement élevés et une régulation
qui n’avait jamais imposé de contraintes fortes à l’opérateur historique. Dans
un contexte où prévalait une situation de monopole sur la téléphonie fixe, une
concurrence limitée sur la téléphonie mobile et une concurrence totale pour
les services à valeur ajoutée, la réussite financière de la Sonatel privatisée a été
largement payée par les consommateurs 26 .

Immobilisme dans la téléphonie fixe. Le monopole de la Sonatel sur la télé-


phonie fixe ne l’a guère encouragée à développer cette activité, certes en voie de
déclin à l’échelle internationale, mais encore embryonnaire au niveau national,
alors que son développement aurait pu contribuer à une meilleure pénétration
d’Internet. Ainsi, dès 2001, elle a cessé d’étendre son réseau en cuivre et le
nombre de lignes fixes a très faiblement progressé, passant de 140 000 en 1998
à 258 000 en 2009, soit un taux de pénétration de 2,29 %. Derrière ces chiffres,
se cache d’ailleurs une baisse du nombre de lignes amorcée depuis 2007, suite

19. Sonatel, rapport annuel 2008, 23. Cette marge est exprimée sous 27. En 2009, plus de 88 % de
p. 27. l’appellation d’Earnings Before la population et plus de 94 %
20. La contribution de la téléphonie Interest, Taxes, Depreciation, and des villages de plus de 500 habitants
mobile au chiffre d’affaires annuel de Amortization (EBIDTA). sont couverts par les réseaux de
la Sonatel qui était inférieure à 50 % 24. Jeune Afrique, 10 décembre la téléphonie mobile.
jusqu’en 2005 a atteint 62 % en 2009. 2008. 28. ARTP, rapport annuel d’activité
21. Le dividende versé par France 25. Entre juin 2005 et juin 2009, 2008, p. 33-34.
Télécom est passé de 1 € en 1998 à le nombre d’abonnés à la téléphonie 29. En novembre 2006, Orange s’est
1,40 € en 2009. mobile a progressé de 595 %. substitué à toutes les marques
22. Plus connu sous l’appellation 26. Il faut cependant souligner que commerciales de la Sonatel.
anglaise de Price Earning Ratio la Sonatel a investi annuellement près 30. Depuis novembre 2005,
(PER), le coefficient de capitalisation de 122 milliards de FCFA durant la marque commerciale Tigo, utilisée
de bénéfices est égal au rapport la période 2004-2009. par MIC à travers le monde, s’est
entre le cours d’une valeur et substituée à Sentel.
le bénéfice net par action.

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à la fermeture progressive des télécentres privés dont le nombre de ligne est
passé de plus 25 000 en 2006 à près de 4 000 en 2009.
Après avoir joué un rôle important dans la démocratisation de l’accès au
téléphone et contribué à la création de près de 30 000 emplois, ils ont subi à la
fois les conséquences de l’expansion de la téléphonie mobile et celles de la poli-
tique tarifaire et commerciale de l’opérateur historique. En effet, bien qu’ayant
contribué jusqu’à 40 % du chiffre de la Sonatel, ils n’ont jamais bénéficié d’un
véritable soutien de cette dernière, en se voyant notamment refuser l’achat
d’unités téléphoniques à des prix de gros. A contrario, la téléphonie mobile a
bénéficié de nombreuses campagnes publicitaires et innovations tout en offrant
des baisses de prix et des bonus de communication à l’occasion de fréquen-
tes opérations de promotion. Les télécentres, en lesquels certains voyaient un
support pour le développement de l’accès collectif à Internet et la création de
centres multiservices (Gurstein, 2000), ont quasiment disparu et ceux qui sub-
sistent ne sont plus guère rentables (Sagna, 2009).
Outre la disparation de milliers d’emplois, la fermeture des télécentres
a eu pour conséquence de réduire les possibilités d’accès au téléphone. Certes,
le développement de l’infrastructure a fait d’immenses progrès 27 mais il n’en
reste pas moins que seuls 1 000 des 14 206 villages du pays possèdent un point
d’accès public au téléphone 28 . Dès lors, la question de l’accès aux services de
télécommunications se pose toujours, dans les zones rurales comme dans les
zones urbaines, pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’abonner à la téléphonie
fixe, quand elle existe, ou d’acheter un téléphone portable.

Une concurrence limitée sur le marché de la téléphonie mobile. En matière


de téléphonie mobile, le réseau Alizé 29 , lancé par la Sonatel en septembre 1996,
est resté pendant plus de deux ans et demi sans concurrent direct, ce qui lui
a permis d’en tirer un avantage comparatif décisif. Durant cette période, la
Sonatel s’est contentée d’offrir une formule post-payée qui limitait l’accès de la
téléphonie mobile aux plus nantis, compte tenu des tarifs pratiqués. À partir
de juin 1998, dans la perspective de l’arrivée d’un second opérateur, elle a ciblé
le grand public en investissant le créneau du prépayé qui a rapidement rencon-
tré un vif succès. Un an après son lancement, cette formule comptait près de
22 000 abonnés dépassant la formule post-payée qui n’en totalisait que 16 000
après six années d’existence (Guèye, 2002). En avril 1999, le groupe Millicom
International Cellular (MIC) démarra ses activités sous la marque Sentel 30 . Sa
part de marché passa de 15 % à 26 % entre 1999 et 2001 pour atteindre plus de
30 % en 2009.
En janvier 2009, le démarrage des activités d’un troisième opérateur a
apporté un regain de dynamisme sur le marché de la téléphonie mobile, mais il
n’a pas véritablement exacerbé la concurrence, Expresso ayant adopté un posi-
tionnement mettant l’accent sur les qualités de son réseau 3G, qui exigent l’uti-
lisation de terminaux spécifiques incompatibles avec les réseaux de la Sonatel
et de Sentel, tout en proposant des tarifs du même ordre que ses concurrents.

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De plus, la non-portabilité des numéros n’incite pas les clients à changer d’opé-
rateur, ce qui constitue un frein à l’exercice d’une véritable concurrence sur ce
segment de marché. Au final, si l’instauration de la compétition a participé au
succès de la téléphonie mobile (Chéneau-Loquay, 2001) et a contribué à une
baisse des prix des cartes  SIM comme des tarifs des télécommunications, la
longue situation de duopole a fortement limité l’intensité de la concurrence.
Avec 67 % des parts de marché 31, l’opérateur historique reste ultra-dominant,
fort de sa position de premier entrant et quelque peu aidé par les conséquences
du contentieux opposant l’État à Sentel.

Le monopole public est mort, vive le monopole privé ! Une autre consé-
quence du monopole de la Sonatel a été d’étouffer le développement des services
à valeur ajoutée 32 pourtant soumis à un régime de libre concurrence depuis
1996. Alors qu’il existait près d’une quinzaine de fournisseurs de services
Internet (FSI) dans les années  1995-2000, ceux-ci ont peu à peu cessé leurs
activités, compte tenu de la concurrence déloyale exercée par Télécom-Plus 33 ,
filiale de la Sonatel chargée de commercialiser les services Internet. S’appuyant
sur son monopole en matière d’accès à la bande passante Internet internatio-
nale, la Sonatel a pratiqué des prix de revente au détail sur les liaisons spé-
cialisées qui n’ont pas permis aux FSI d’exercer rentablement leur activité.
Par ailleurs, Télécom-Plus a joui pendant longtemps de l’avantage comparatif
constitué par le réseau commercial de l’opérateur historique sur lequel elle a pu
s’appuyer à une époque où « services de télécommunications » rimait toujours
avec Sonatel dans l’esprit d’une majorité de Sénégalais. Le régulateur n’ayant
pas joué son rôle en imposant une régulation asymétrique à l’opérateur histo-
rique, il en a résulté la disparition de tous les FSI pour ne laisser subsister que
deux revendeurs de services ADSL. Concomitamment au faible taux d’alphabé-
tisation numérique, à la cherté des ordinateurs, au développement lacunaire de
la téléphonie fixe, à la cherté de l’Internet mobile et au petit nombre de services
répondant aux besoins des Sénégalais, l’absence d’une véritable concurrence
sur ce segment de marché est un des facteurs expliquant le faible taux de péné-
tration d’Internet (0,49 %) avec seulement 59 745 abonnés en 2009, même si par

31. ARTP, Observatoire de la ligne, les services Internet, 35. Le Soleil, 1er aout 2007.
téléphonie mobile, décembre 2009. le transfert de fichiers, etc. 36. ANSD, « Situation économique et
32. L’OMC définit les services à 33. Créée en 1991 sous la forme sociale du Sénégal », en 2008.
valeur ajoutée comme « des services d’une filiale dont le capital était 37. Tout opérateur de
dans le cadre desquels les détenu à hauteur de 51 % par télécommunications qui détient une
fournisseurs “ajoutent une valeur” la Sonatel et de 49 % par France part de marché supérieure à 25 % est
aux informations fournies par le client Câbles et Radio (FCR), Télécom-Plus considéré par le régulateur comme
en améliorant leur forme ou leur est devenue une filiale à 100 % de étant en position dominante.
contenu ou en prévoyant leur la Sonatel sous l’appellation de 38. OMC, « Sénégal. Liste
stockage et leur recherche » tels le Sonatel Multimédia en 2001. d’engagements spécifiques », GATS/
courrier électronique, la messagerie 34. Africa Internet Usage and SC/75/Suppl.1.
vocale, les services d’informations en Population Statistics, www.
internetworldstats.com

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ailleurs le nombre d’utilisateurs d’Internet est estimé à plus d’un million soit un
taux de pénétration de 7,2 % 34 .
Sur un autre plan, la plupart des entreprises qui se sont lancées dans
la création de services innovants ont dû mettre fin à leurs activités soit du
fait des tarifs pratiqués par la Sonatel soit du fait des contraintes légales et
réglementaires. C’est ainsi que les opérateurs de terminaison d’appels ont fait
faillite et que les fournisseurs de contenus à valeur ajoutée, comme les jeux par
SMS proposés par les chaînes de télévision et de radios, ont dû renoncer à cette
activité à cause du monopole sur les jeux de hasard accordé à la Loterie natio-
nale sénégalaise (LONASE) 35 . En dehors des centres d’appels, seules quelques
entreprises, telle Manobi, ont pu émerger tout en restant marginales en termes
de volume d’activités et de chiffre d’affaires. La libéralisation n’a donc guère
favorisé l’apparition de services répondant aux besoins des citoyens ni consti-
tué un levier pour le développement d’une économie de services basés sur les
TIC. Elle a essentiellement profité au secteur des télécommunications dont la
part dans le PIB a atteint 11,1 % en 2008 36 .
Dans le cadre de la convention signée avec l’État en 1997, la Sonatel a
bénéficié d’un monopole de jure sur les services de base jusqu’en juillet 2004.
Malgré l’arrivée d’Expresso, dont les services ont été lancés en janvier  2009,
elle continue néanmoins de jouir d’un monopole de facto sur la téléphonie fixe,
sans parler du contrôle qu’elle exerce sur l’accès au câble sous-marin  SAT-3
dont elle est copropriétaire, le nouvel entrant ayant décidé de démarrer unique-
ment ses activités dans la téléphonie mobile. Conséquence de cette situation,
la Sonatel exerce une position dominante sur neuf des dix segments du marché
des télécommunications et partage cette position avec Sentel sur le segment
de la téléphonie mobile 37. Il est donc permis d’affirmer que la privatisation
de la Sonatel et la libéralisation du marché ont eu pour principal résultat de
substituer un monopole privé étranger à un monopole public national. De plus,
à l’exception de la venue d’un troisième opérateur et de la création de quelques
entreprises de téléservices (centre d’appels, saisie, traitement documentaire,
etc.), la libéralisation n’a pas entraîné un accroissement significatif du volume
des investissements directs étrangers comme cela a également été constaté dans
les pays du Maghreb où seul Wanadoo s’est positionné sur le marché régional
(Mezouaghi, 2005). Pour l’essentiel, les lacunes observées dans l’ouverture du
marché s’expliquent par la faiblesse de la régulation censée être le garant de la
libre concurrence dans le secteur des télécommunications.

Régulation : impartialité et transparence aux abonnés absents. Malgré


l’adoption du Code des télécommunications de 1996 introduisant la séparation
entre la fonction d’exploitation et de réglementation en transférant la politi-
que réglementaire au ministère des Télécommunications, la Sonatel a continué
à gérer la régulation bien après sa privatisation (Kane, 2010). Dans le cadre
de l’AGCS, le Sénégal avait pourtant souscrit l’engagement de créer un organe
de régulation autonome avant le 31  décembre 199738 . Cependant, sa création

Privatisation, libéralisation, régulation 121


attendra l’adoption du Code des télécommunications de décembre  2001 pour
être effectivement inscrite dans la loi 39 . Mise en place en janvier 2002, l’Agence
de régulation des télécommunications (ART) devra attendre plus d’un an avant
de voir signer les décrets organisant son fonctionnement 40 , définissant les
modalités de gestion des fréquences 41 et nommant les membres du Conseil de
régulation 42 . Disposant de ressources humaines en nombre limité, provenant
pour l’essentiel de la Sonatel et ne possédant pas les équipements techniques
nécessaires à l’accomplissement de ses missions, notamment en matière de
contrôle des fréquences, l’ART commencera à exercer ses prérogatives dans
des conditions difficiles. Alors qu’elle commençait à prendre ses marques, son
directeur général est limogé en mai 2003, sans aucune explication officielle 43 .
Son remplaçant ne restera guère plus longtemps en poste puisque à peine deux
ans après sa nomination, il sera relevé de ses fonctions, suite à une mission de
contrôle de l’Inspection générale d’État (IGE) ayant décelé des malversations
portant sur plusieurs centaines de millions de FCFA 44 .
Cela étant, l’organe de régulation s’est montré peu convaincant dans
l’exercice de sa mission. Ainsi, en août  2007, c’est via un site d’information
en ligne que l’opinion publique est informée que l’État procède à la consulta-
tion d’un certain nombre d’opérateurs en vue de l’attribution d’une troisième
licence 45 . D’abord démentie, l’information est confirmée par l’Agence de régu-
lation des télécommunications et des postes (ARTP) 46 qui déclare dans un com-
muniqué avoir demandé à tous les opérateurs qui se sont montrés intéressés par
l’attribution de la licence globale 47 de remettre une offre avant le 31 août 2007.
Le 7 septembre 2007, l’ARTP annonce que la licence a été attribuée à la société
soudanaise Sudatel, en raison de la qualité de son offre technique et finan-
cière 48 . L’affaire fait grand bruit car Sudatel figure sur une liste du Bureau
de contrôle des avoirs étrangers (OFAC) du ministère américain des Finances
recensant les personnes, les institutions et les firmes étrangères dont les avoirs
aux États-Unis sont bloqués en raison de leur implication supposée dans des
persécutions et des violations des droits de l’homme au Darfour (Soudan) 49 . Le
Conseil national du patronat (CNP), à travers l’Organisation des professionnels

39. Loi n° 2001-15 du 27 décembre l’ART est nommé par décret, sans les domaines de la téléphonie fixe, de
2001 portant Code des préciser la durée de son mandat ni l’Internet et de la téléphonie mobile.
télécommunications. donner un caractère irrévocable à 48. Sudatel avait offert la somme de
40. Décret n° 2003-63 du 17 février sa nomination. 200 millions de dollars contre
2003 fixant les règles d’organisation 44. Wal Fadjri, 9 juillet 2005. 152 millions de dollars et 105 millions
et de fonctionnement de l’ART. 45. La décision de l’État d’attribuer de dollars respectivement proposés
41. Décret n° 2003-64 du 17 février une troisième licence avait été par Bintel et Celtel.
2003 relatif aux fréquences et bandes annoncée en janvier 2005 à 49. United States Department of
de fréquences radioélectriques et l’occasion de la publication de Treasury, Office of Foreign Assests
aux opérateurs de ces équipements. la lettre de politique sectorielle du Control, www.ustreas.gov
42. Décret n° 2003-215 du 17 avril secteur des télécommunications. 50. www.millicom.com
2003 nommant les membres 46. Les compétences de l’ART ont 51. Le Sénégal ne réclame pas moins
du Conseil de régulation de l’Agence été étendues à la poste par la loi de 125 milliards de FCFA à Sentel,
de régulation des télécommunications. n° 2006-02 du 4 janvier 2006. L’Observateur, 4 novembre 2008.
43. Le Code des télécommunications 47. Par licence globale, il faut 52. ICSID (2008).
indique que le directeur général de entendre l’autorisation d’opérer dans

122  TIC en Afrique Afrique contemporaine 234


des TIC (OPTIC), critique l’opération car n’ayant obtenu que 15 % du capital
de l’opérateur alors qu’il avait demandé à l’ARTP de lui réserver 51 % des parts
avant de limiter ses prétentions à 30 %. Alors, le plus haut niveau de l’État est
impliqué dans les négociations, ce qui met de facto l’ARTP hors jeu.
L’autre affaire ayant hypothéqué la crédibilité de la régulation a été le
bras de fer opposant l’État et Millicom International Cellular (MIC) autour de
la question de la réévaluation du montant de sa licence. Attribuée en juillet 1998
pour une durée de 20 ans, au prix de 50 millions de FCFA, la licence accordée
à Sentel a été remise en question par le nouveau régime issu de l’élection pré-
sidentielle de mai 2000. En octobre, un communiqué du Conseil des ministres
annonça le retrait de la licence de Sentel à compter du 29  septembre 2000
pour non-respect de ses engagements en matière de volume d’investissements,
défaillances en termes de qualité et de couverture radioélectrique de son
réseau, absence d’information relative à la gestion financière et technique de
la licence et non-paiement d’une dette de 579 millions de FCFA due à l’État au
titre de diverses redevances. Récusant ces accusations, Sentel poursuivit néan-
moins ses activités et des discussions s’engagèrent pour aboutir à un accord en
août 2002. Les deux parties s’accordèrent sur le principe de rouvrir des négo-
ciations après l’attribution de la troisième licence afin de définir de nouvelles
conditions d’exploitation mutuellement acceptables.
À la surprise générale, le 30  octobre 2008, Millicom International
Cellular publie un communiqué révélant que l’État l’a informé de son intention
de révoquer sa licence à partir du 31  octobre 2008 50 . Selon la presse, l’État
exigeait de Sentel la somme de 125 milliards de FCFA 51. Faisant monter la pres-
sion, le 11 novembre 2008, l’État initia une procédure en justice afin d’obliger
Sentel à cesser immédiatement l’exploitation de son réseau GSM, tandis que
de son côté MIC saisissait le Centre international de règlement des différends
liés à l’investissement (CIRDI) 52 . Cette affaire provoqua un certain malaise et
nombreux furent ceux qui y virent un mauvais signal adressé aux investisseurs
étrangers pour qui la garantie de la sécurité juridique et judiciaire est un cri-
tère essentiel pour la domiciliation de leurs activités.
Marginalisée dans l’attribution de la troisième licence, comme dans l’af-
faire Sentel, et ayant connu quatre directeurs généraux en neuf années d’exis-
tence 53 , l’ARTP a vu sa crédibilité fortement entamée. Alors que sa création
devait marquer la fin de l’intervention de l’État dans la régulation des télé-
communications, la pratique a montré que celui-ci restait présent à travers des
interventions répétées. De plus, dans de nombreux contentieux, l’ARTP a été sus-
pectée par les acteurs du secteur d’un certain parti pris en faveur de la Sonatel
bien que cette dernière ait été sanctionnée d’une lourde amende en 200754 . Par
ailleurs, l’ARTP n’a pas su imposer à l’opérateur historique des mesures desti-
nées à l’empêcher de tuer la concurrence telle la colocalisation des équipements
de sa filiale chargée de la commercialisation des services Internet avec ceux des
autres FSI afin de les traiter sur un même pied d’égalité. Elle n’a pu contribuer
à résoudre la question de l’accès universel 55 , l’action d’envergure à mettre à son

Privatisation, libéralisation, régulation 123


crédit étant l’adjudication d’une licence de service universel dans le cadre d’un
projet pilote 56 . Enfin, l’ARTP n’a pas répondu aux attentes des acteurs du sec-
teur qui attendent, depuis des années, la prise de toute une série de décisions
concernant des questions cruciales pour accroître le champ de la concurrence,
multiplier les niches d’affaires et contribuer à faire baisser les prix des services
telles que l’autorisation de la téléphonie sur IP, le dégroupage de la boucle locale,
l’utilisation de la boucle locale radio, la portabilité du numéro, etc.

Conclusion
Dès 2003, des voix questionnaient la « réussite » de la privatisation de la Sonatel
et montraient que l’opération avait surtout profité à France Télécom (Jaffré,
2003). L’examen des résultats financiers de la Sonatel sur la décennie  1998-
2009 confirme cette analyse. En effet, elle a réalisé un bénéfice cumulé de
1 082  milliards de FCFA dont l’essentiel est allé à l’actionnaire principal 57,
sans compter les transferts internes liés au paiement de prestations de servi-
ces et autres frais de gestion facturés par France Télécom 58 ainsi que les 20 %
de la croissance du résultat d’activités prélevés sur le bénéfice avant même la
rétribution des actionnaires. Si l’on rapporte ces sommes aux 70  milliards de
FCFA payés par France Télécom pour prendre le contrôle de la Sonatel, il est
indubitable que ce fut une opération particulièrement rentable. Les dirigeants
de France Télécom ont d’ailleurs reconnu que les résultats 2004 de la Sonatel
avaient dépassé de 25 fois les projections établies au moment des négociations
en vue de son acquisition 59 . Dans une moindre mesure, l’État 60 , les actionnai-
res privés et les salariés 61 ont été les autres grands bénéficiaires de la privatisa-
tion grâce à l’encaissement de dividendes dont le montant s’est fortement accru
au fil des ans. S’agissant des performances de l’entreprise, en matière de la télé-
phonie fixe, les résultats ont été plus que mitigés puisque le nombre d’abonnés
a faiblement progressé. Si le développement de l’infrastructure de la téléphonie
mobile a permis une quasi totale couverture du territoire, il n’en reste pas moins
qu’elle n’offre qu’un accès potentiel aux services de télécommunications.

53. Le troisième directeur général de place en 2006 n’est devenu d’affaires, avant d’être revus à
l’ARTP a été relevé de ses fonctions opérationnel qu’en mars 2010 avec la baisse en 2004 à la demande même
en septembre 2009 suite à une la nomination de son administrateur des administrateurs de la Sonatel.
mission de contrôle de l’IGE ayant et du comité de direction. 59. Dépêche de l’Agence de presse
décelé un détournement de deniers 56. Arrêté ministériel n° 06495 en sénégalaise (APS), 24 avril 2006.
publics portant sur une somme de date du 23 juin 2009 portant 60. En dehors des dividendes
1,6 milliard de FCFA. attribution d’une licence de service découlant des 27 % d’actions qu’il
54. En janvier 2007, l’ARTP a universel dans la région de Matam. possède encore, l’État a bien entendu
condamné la Sonatel à payer une 57. France Télécom possède 42 % perçu le montant des impôts
amende équivalant à 1 % de son du capital de la Sonatel depuis que et taxes découlant des activités
bénéfice 2005, soit 3,169 milliards de l’État lui a cédé 9 % de ses parts à de la Sonatel.
FCFA « pour mauvaise qualité de l’occasion de la visite de son PDG, 61. Les salariés et les retraités de
service ». Michel Bon, au Sénégal, en la Sonatel ne détiennent plus que 5 %
55. Le Fonds de développement du janvier 1999. du capital de l’entreprise.
service universel des 58. En 1997, les managements fees 62. ARTP, Observatoire de
télécommunications (FDSUT) mis en s’élevaient à 1,3 % du chiffre la téléphonie mobile, décembre 2009.

124  TIC en Afrique Afrique contemporaine 234


Certes, la téléphonie mobile affiche un taux de pénétration de 56,70 % 62 ,
mais il faut souligner qu’en dehors de la voix, des SMS et de l’Internet mobile,
elle fournit bien peu de services ayant une réelle utilité sociale. Par ailleurs, son
développement s’est fait aux dépens de l’infrastructure fixe, ce qui hypothèque
le déploiement de l’Internet à haut débit, le haut débit mobile n’étant guère
envisageable à court voire à moyen terme compte tenu des tarifs pratiqués et
des types de terminaux qu’il implique. En revanche, le choix de privatiser avant
de libéraliser s’est avéré judicieux puisqu’il a évité que la Sonatel éprouve les
difficultés qu’ont rencontrées les opérateurs historiques face aux nouveaux
entrants dans des pays comme l’Algérie, le Bénin ou encore le Mali.
Pour ce qui est du volet libéralisation, l’évolution des différents segments
du marché montre que l’instauration d’un véritable régime de concurrence n’a
pas été au rendez-vous. Le monopole de la Sonatel sur l’accès à l’internatio-
nal a entraîné la disparition de tous les fournisseurs de services Internet et la
position dominante de la Sonatel sur les divers segments du marché des télé-
communications a eu pour résultat d’entraver le développement des services
à valeur ajoutée, et par contrecoup l’émergence d’applications et de contenus
adaptés aux besoins des Sénégalais. Concernant le volet régulation, l’inaction
face à la position dominante de l’opérateur historique, le traitement probléma-
tique des contentieux mettant en lice ce dernier, la lenteur à trancher les ques-
tions critiques intéressant le secteur, la confusion des pouvoirs de régulation et
de réglementation et le peu de transparence noté dans l’attribution des licences
de télécommunications ont montré que le régulateur n’avait pas été capable de
mettre en place des procédures transparentes, fiables et impartiales sans parler
de sa subordination vis-à-vis du pouvoir politique, même s’il est compréhensi-
ble que l’État ne reste pas indifférent à ce qui se passe dans un secteur aussi
stratégique (Plane, 2002).
Tous ces éléments ont entravé la mise en place d’une régulation crédi-
ble acceptée par tous, de telle sorte qu’à bien des égards, la situation n’a guère
changé par rapport à ce qu’elle était à l’époque du monopole public. Au final,
le bilan de la réforme des télécommunications au Sénégal montre qu’elle n’a
pas été le remède magique qui devait apporter des solutions à tous les maux du
secteur. Tous ses effets n’ont certes pas été négatifs mais ses bénéfices ont plus
profité à quelques minorités (France Télécom, actionnaires, équipementiers,
etc.) qu’à la grande majorité des Sénégalais pour qui les opportunités offertes
par la Société de l’information restent inaccessibles. En revanche, elle a eu pour
conséquence irrémédiable de déposséder l’État d’un instrument de politique
susceptible de jouer un rôle clé dans sa stratégie de développement politique,
économique, social et culturel à l’échelle locale, nationale, sous-régionale et
continentale.

Privatisation, libéralisation, régulation 125


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