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Abdellali Hajjat, Narguesse Keyhani, Cécile Rodrigues
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Abdellali Hajjat, Narguesse Keyhani, Cécile Rodrigues
1. Cet article est issu d'une recherche cofinancée par l'Institute for Advanced Studies in the Humanities (univer-
sité d'Édimbourg) et Marie Curie Actions (FP7) dans le cadre du programme EURIAS Fellowship. Nous remercions
Fabien Jobard, Sébastien Chauvin, Sébastien Delarre, Océane Pérona, Barbara Perry, Neil Chakraborti, Lionel
Zevounou et les trois évaluateur.rice.s anonymes pour leur précieuse relecture de versions antérieures de ce
texte, dont les imperfections relèvent de notre seule responsabilité. Nous remercions également Yassine et
Nadia Aslafy, Jérôme Oriol et Élodie Leconte pour leur aide.
2. Erik Bleich, Charles Girard, « Que faire des discours de haine en démocratie ? », Esprit, 10, 2015, p. 5-10.
3. Ulysse Korolitski, Punir le racisme ? Liberté d'expression, démocratie et discours racistes, Paris, CNRS Éditions,
2015.
4. Gwénaële Calvès, Envoyer les racistes en prison ? Le procès des insulteurs de Christiane Taubira, Issy-les-
Moulineaux, LGDJ, 2015.
5. Erik Bleich, The Freedom to be Racist ? How The United States and Europe Struggle to Preserve Freedom and
Combat Racism, New York, Oxford University Press, 2011.
6. Erik Bleich, « Deux poids, deux mesures ? La justice française face aux discours islamophobes », Esprit, 10,
2015, p. 33-44.
7. Selon Erik Bleich, le « taux de répression » des discours racistes correspond à la confirmation (ou non) du
jugement de la cour d'appel par la Cour de cassation.
8. E. Bleich, « Deux poids, deux mesures... », art. cité, p. 34.
9. Michel Wieviorka, La tentation antisémite. Haine des Juifs dans la France d'aujourd'hui, Paris, Robert Laffont,
2005.
profil des mis en cause sont difficilement généralisables, et l’enquête se focalise uniquement
sur l’antisémitisme, laissant de côté toutes les autres formes de racisme.
Cette lacune française concernant les infractions racistes n’est pourtant pas de mise pour
d’autres types d’infractions. Il existe en effet une longue tradition de sociologie de la justice
qui rend compte des différents facteurs sociaux influençant le processus judiciaire1. Si l’on
s’en tient aux infractions non racistes se rapprochant des crimes de haine, notamment les
violences contre les femmes2, plusieurs travaux ont mis en lumière les déterminants sociaux
du travail policier et judiciaire, en particulier pour les cas de violences sexuelles et/ou de
viols conjugaux3. Notre travail se situe dans la lignée de cette tradition de recherche, tout en
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s’appuyant sur les acquis du champ d’études des hate crime studies.
La rareté des travaux français relatifs aux infractions racistes contraste avec le nombre élevé
d’enquêtes étasuniennes et, dans une moindre mesure, britanniques, qui ont mis en lumière
plusieurs facteurs déterminant la poursuite judiciaire au niveau policier, notamment la défi-
nition légale du crime de haine4, la localisation des services de police5, la spécialisation des
unités de police dans les crimes de haine et la mise en place d’un contrôle a posteriori de la
qualification juridique6, le type d’infraction, le type de préjugés et les relations entre victime
et suspect7, ou encore l’ethnicité du mis en cause, les minorités raciales étant paradoxalement
surreprésentées parmi les suspects8.
Cependant, si le travail policier stricto sensu est bien connu, l’amont de la procédure policière
l’est moins car on sait peu de choses des formations relatives aux crimes de haine dans les
académies de police, hormis le contenu des manuels9. Elles laissent surtout peu de place à
1. Par exemple Nicolas Herpin, L'application de la loi. Deux poids, deux mesures, Paris, Seuil, 1977 ; Bruno
Aubusson de Carvalay, « Hommes, peines et infractions : la légalité de l'inégalité », L'Année sociologique, 35,
1985, p. 275-309 ; René Lévy, Du suspect au coupable. Le travail de police judiciaire, Genève, Médecine et
hygiène, 1987 ; Jean Danet (dir.), La réponse pénale. Dix ans de traitement des délits, Rennes, Presses univer-
sitaires de Rennes, 2013 ; Fabien Jobard, Sophie Névanen, « La couleur du jugement : discriminations dans les
décisions judiciaires en matière d'infractions à agents de la force publique (1965-2005) », Revue française de
sociologie, 48 (2), 2007, p. 243-272.
2. Maryse Jaspard, Les violences contre les femmes, Paris, La Découverte, 2011.
3. Océane Pérona, « La difficile mise en œuvre d'une politique du genre par l'institution policière : le cas des viols
conjugaux », Champ pénal-Penal Field, 14, 2017 ; Solenne Jouanneau, Anna Matteoli, « Les violences au sein du
couple au prisme de la justice familiale : invention et mise en œuvre de l'ordonnance de protection », Droit et
société, 99, 2018, p. 305-321.
4. Nathan Hall, « Policing Hate Crime in London and New York City : Some Reflections on The Factors Influencing
Effective Law Enforcement, Service Provision and Public Trust and Confidence », International Review of Vic-
timology, 18 (1), 2012, p. 73-87.
5. James J. Nolan, Yoshio Akiyama, « An Analysis of Factors That Affect Law Enforcement Participation in Hate
Crime Reporting », Journal of Contemporary Criminal Justice, 15 (1), 1999, p. 111-127.
6. Samuel Walker, Charles M. Katz, « Less than Meets The Eye : Police Department Bias Crime Units », American
Journal of Police, 14 (1), 1995, p. 29-48 ; Elizabeth A. Boyd, Richard A. Berk, Karl M. Hamner, « “Motivated by
Hatred or Prejudice” : Categorization of Hate-Motivated Crimes in Two Police Divisions », Law & Society Review,
30 (4), 1996, p. 819-850 ; Shea W. Cronin et al., « Bias-Crime Reporting : Organizational Responses to Ambiguity,
Uncertainty, and Infrequency in Eight Police Departments », American Behavioral Scientist, 51 (2), 2007,
p. 213-231.
7. Susan E. Martin, « “A Cross-Burning is Not Just an Arson” : Police Social Construction of Hate Crimes in Bal-
timore County », Criminology, 33 (3), 1995, p. 303-326, ici p. 303.
8. Eugene H. Czajkoski, « Criminalizing Hate : An Empirical Assessment », Federal Probation, 56 (3), 1992,
p. 36-40 ; Karen Umemoto, C. Kimi Mikami, « A Profile of Race-Bias Hate Crime in Los Angeles County », Western
Criminology Review, 2 (2), 2000, p. 1-34 ; Karen Franklin, « Good Intentions : The Enforcement of Hate Crime
Penalty-Enhancement Statutes », American Behavioral Scientist, 46 (1), 2002, p. 154-172.
9. Ryken Grattet, Valerie Jenness, « The Reconstitution of Law in Local Settings : Agency Discretion, Ambiguity,
and a Surplus of Law in the Policing of Hate Crime », Law & Society Review, 39 (4), 2005, p. 893-942.
l’aval, le rôle du parquet (City ou District Attorney [DA] ou Attorney General aux États-Unis).
Comme le souligne une étude en 2012, « very little attention has been given to the topic of
hate, or bias crime, prosecution »1, même s’il existe quelques travaux qui font le constat d’une
grande improbabilité de poursuite des affaires et d’une condamnation, et s’interrogent sur
les facteurs qui peuvent l’expliquer. Ces facteurs sont d’abord juridiques : la définition plus
ou moins élargie du crime de haine par la Cour suprême2 ; l’existence, dans les lois contre
le crime de haine au niveau de l’État, d’une mention de la race, de l’ethnicité, de la religion
et de l’orientation sexuelle comme relevant de groupes protégés, ainsi qu’une disposition
spéciale sur le vandalisme3 ; la difficulté à prouver la motivation haineuse4, conduisant la
police et le parquet à choisir les causes les plus facilement « gagnables5 ».
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Les facteurs sont ensuite professionnels. L’analyse des pratiques professionnelles montre que
le processus de décision dans les affaires de crimes de haine est globalement semblable à
celui qui concerne d’autres types d’affaires6, ce qui débouche sur un taux de poursuite assez
similaire à celui des affaires non motivées par des préjugés, taux qui est même plus élevé
dans les cas de religion et de motivations multiples7. Mais l’on sait également que les crimes
de haine sont moins susceptibles d’être poursuivis s’ils sont considérés comme des « infrac-
tions de bas niveau8 » ou moins graves9, si l’auteur n’est pas retrouvé ou inconnu de la
victime10 ou encore si les procureurs sont peu familiers des lois sur les crimes de haine11. À
l’inverse, ces affaires sont plus susceptibles d’être poursuivies si le bureau du procureur mène
une politique antiraciste active12, s’il affecte du personnel spécifique aux « relations commu-
nautaires13 » ou s’il existe des relations suivies avec une association antiraciste14.
1. « Peu de travaux se sont intéressés à la question du traitement judiciaire des crimes de haine ou fondés sur
le préjugé » : voir Bryan D. Byers, Kiesha Warren-Gordon, James A. Jones, « Predictors of Hate Crime Prosecu-
tions : An Analysis of Data from the National Prosecutors Survey and State-Level Bias Crime Laws », Race and
Justice, 2 (3), 2012, p. 203-219, ici p. 204.
2. Evan M. Read, « Put to the Proof : Evidentiary Considerations in Wisconsin Hate Crime Prosecutions », Mar-
quette Law Review, 89 (2), 2005, p. 453-474.
3. B. Byers, K. Warren-Gordon, J. A. Jones, « Predictors of Hate Crime Prosecutions... », art. cité.
4. Peter Finn, « Bias Crime : Difficult to Define, Difficult to Prosecute », Crim. Just., 3, 1988, p. 19.
5. Jeannine Bell, Policing Hatred. Law Enforcement, Civil Rights, and Hate Crime, New York, New York University
Press, 2002. L'anticipation du jugement par les policiers et le parquet est également documentée en France
(voir, par exemple, O. Pérona, « La difficile mise en œuvre... », art. cité).
6. Beverly McPhail, Valerie Jenness, « To Charge or not to Charge ? That is The Question : The Pursuit of Strategic
Advantage in Prosecutional Decision-Making Surrounding Hate Crime », Journal of Hate Studies, 4 (1), 2010,
p. 89.
7. Nickie D. Phillips, « The Prosecution of Hate Crimes : The Limitations of The Hate Crime Typology », Journal
of Interpersonal Violence, 24 (5), 2009, p. 883-905.
8. James Garofalo, Susan E. Martin, « Bias Motivated Crimes. Their Characteristic and Law Enforcement Res-
ponse. National Institute of Justice », rapport, Carbondale, Illinois University Center of the Study of Crime, 1993.
9. Valerie Jenness, Ryken Grattet, « Policing Hate Crime in California », rapport, Berkeley, California Policy
Research Center, 2004.
10. Bryan Byers, Richard A. Zeller, « An Examination of Official Hate Crime Offense and Bias Motivation Statistics
for 1991-1994 », Journal of Crime and Justice, 20 (1), 1997, p. 91-106 ; Bryan Byers, Richard A. Zeller, « Official
Hate Crime Statistics : An Examination of the “Epidemic Hypothesis” », Journal of Crime and Justice, 24 (2),
2001, p. 73-85.
11. James B. Jacobs, Kimberly Potter, Hate Crimes. Criminal Law & Identity Politics, New York, Oxford University
Press, 1998.
12. Donald P. Haider-Markel, « Regulating Hate : State and Local Influences on Hate Crime Law Enforcement »,
State Politics & Policy Quarterly, 2 (2), 2002, p. 126-160.
13. B. Byers, K. Warren-Gordon, J. A. Jones, « Predictors of Hate Crime Prosecutions... », art. cité.
14. B. McPhail et V. Jenness, « To Charge or not to Charge ? », art. cité.
Il existe enfin des facteurs extra-judiciaires. Les pressions politiques peuvent jouer puisque,
les DA étant élus par les citoyens, le fait de poursuivre les auteurs de crimes de haine peut
être considéré comme un levier politique pour obtenir le soutien électoral des minorités
ethniques1. De plus, une étude met en lumière d’autres facteurs qui influencent les décisions
de poursuite tels que la part plus élevée de ménages « de même sexe » et la faible présence
d’un « fondamentalisme protestant » dans la juridiction2.
Néanmoins, la plupart des études se sont concentrées sur les facteurs juridiques, et les facteurs
professionnels et extra-judiciaires n’ont pas été analysés de manière systématique, tandis que,
paradoxalement, d’autres facteurs liés à l’affaire elle-même ont tout simplement été ignorés.
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Nous faisons l’hypothèse que le processus judiciaire peut être éclairé par l’imbrication de
divers facteurs : caractéristiques des affaires et des acteurs impliqués, facteurs professionnels,
juridiques et extra-judiciaires. Ce travail s’inscrit ainsi à l’intersection de la sociologie éta-
sunienne des crimes de haine (mais en articulant analyse du travail policier et celle du travail
du parquet) et des travaux français de sociologie de la justice sur la reproduction des iné-
galités dans le traitement policier et judiciaire de diverses infractions3. Cette hypothèse de
l’imbrication de facteurs de diverses natures permet de discerner les éventuelles spécificités
du traitement judiciaire des infractions racistes par rapport à celui d’autres infractions. C’est
pourquoi nous proposons d’étudier le travail du parquet et le phénomène de l’attrition au
cours du processus judiciaire (depuis le dépôt initial d’une plainte jusqu’au jugement éven-
tuel devant le tribunal pénal). Par ailleurs, notre seconde hypothèse concerne les effets éven-
tuels des caractéristiques sociales des acteurs impliqués dans les infractions racistes :
l’imbrication de la classe sociale, du sexe, de l’ethnicité et de l’âge pèse-t-elle de façon dif-
férenciée sur le traitement des plaignants et des mis en cause ? En cela, ce questionnement
s’inscrit dans le sillage de la sociologie intersectionnelle du droit4.
Notre enquête examine ces deux hypothèses à partir d’une approche constructiviste de l’eve-
ryday racism5 qui part du principe qu’un fait devient « raciste » par l’action des acteurs
sociaux. La qualification « raciste » est le produit d’interactions et de négociations entre
plusieurs acteurs, obéissant à des logiques parfois convergentes, parfois divergentes. Ainsi, il
est nécessaire de plonger dans les coulisses de l’activité policière et judiciaire, et d’étudier le
travail de qualification juridique6, illustration du pouvoir discrétionnaire des agents admi-
nistratifs7. Nous portons par ailleurs une attention particulière aux catégories de l’entendement
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trage des affaires selon certaines de leurs caractéristiques tout au long du processus judiciaire,
tandis que la régression logistique renseigne la probabilité, toutes choses égales par ailleurs,
de confirmer (ou non) l’infraction raciste (indicateur « Infraction raciste (non) confirmée3 »)
selon une série de variables (localisation, type d’infraction, type de racisme, profil des acteurs,
etc.).
Pour rendre compte du traitement judiciaire des infractions racistes, nous montrons que,
malgré les différences législatives et institutionnelles importantes entre la France et les États-
Unis, on retrouve des logiques sociales et professionnelles le plus souvent similaires. Diffé-
rents facteurs pèsent sur ce traitement judiciaire : des facteurs juridiques et politiques, des
facteurs organisationnels et pratiques, la définition professionnelle de la situation raciste, le
type de racisme, et le profil du mis en cause et de la victime. Cette combinaison de facteurs
a pour effet de hiérarchiser les infractions plus ou moins « graves » mais aussi les racismes
plus ou moins légitimes à combattre. Enfin, ce traitement judiciaire a pour effet paradoxal
de surreprésenter les minorités raciales parmi les mis en cause, alors que la législation anti-
raciste est censée les protéger.
« [il faut] partir du principe que [quand] les infractions de discrimination sont confiées à un magis-
trat, ça veut dire qu'au moment de la prise de la plainte et de l'enregistrement [informatique], il
faut que ce soit mis en avant. Si c'est qualifié simplement de violence mais qu'on ne voit pas en
raison de l'origine [de la victime], etc., ce sera donné au magistrat qui traite les violences. » (entre-
tien avec un substitut du procureur, référent racisme)
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Ce pouvoir discrétionnaire est d’abord influencé par des facteurs légaux et politiques : la défi-
nition prosecution-centered (« déterminée par le parquet ») de la qualification juridique, la tech-
nicité du droit de la presse et les priorités de la politique pénale. En effet, « how much hate
crime there is and what the appropriate response should be depends upon how hate crime is
conceptualised and defined1 ». On sait que la perception de la victime est primordiale dans la
définition élargie des crimes de haine à Londres, alors qu’à New York, la définition fondée
avant tout sur l’appréciation de la police est beaucoup plus restrictive2. En France, la qualifi-
cation juridique initiale au moment du dépôt de plainte est une co-construction entre plaignant
et policier, et dépend du niveau de conscience du plaignant concernant le caractère raciste de
l’infraction et du niveau de formation du policier en matière de droit contre le racisme. Mais
c’est bien le parquet qui a le fin mot de l’histoire. Pas victime-centered (« déterminée par la
victime »), en partie police-centered (« déterminée par la police »), la qualification juridique
initiale est surtout prosecution-centered et renvoie à une difficulté particulière du droit français :
si les actes sont punis par le droit pénal, les discours racistes le sont par le droit de la presse
(loi du 29 juillet 1881 révisée par celle du 1er juillet 1972). Or ce droit très technique, qui vise
à protéger la liberté d’expression, est une contrainte légale importante de la répression : « Le
seul inconvénient de cette législation c’est qu’elle est sous l’égide du droit de la presse. [...]
C’est compliqué juridiquement. [Si] on en [faisait] une infraction normale avec un régime
normal, ce serait plus simple. » (entretien avec un procureur) En effet, le procureur doit
respecter un délai de prescription court (trois mois pour l’injure non publique, un an pour
l’injure publique) et ne pas commettre d’erreur concernant la « publicité » de l’injure (la fron-
tière entre le « privé » et le « public » fait l’objet d’une complexe jurisprudence).
À ces contraintes légales, il faut ajouter les contraintes politiques, c’est-à-dire les orientations
de la politique pénale définies au niveau national mais aussi local. Chaque tribunal adopte
des priorités pénales en fonction des caractéristiques de la délinquance locale. Dans le tri-
bunal no 1 (T1), par exemple, « la priorité, ce sont les atteintes aux personnes, particulière-
ment en matière de violences conjugales. Ensuite, [ce sont] les atteintes aux biens et les
atteintes liées à la circulation. Ce sont les trois gros blocs qui font notre activité principale.
Après, vous avez des satellites. » (entretien avec un procureur)
Les infractions racistes font donc partie des infractions « satellites » et, de fait, sont très peu
nombreuses dans la masse des affaires traitées par le parquet. Par exemple, en 2015, le tribunal
no 3 (T3) traite un total de 115 335 affaires et seulement 208 relevant d’une infraction raciste
(0,18 %), tandis que le tribunal no 2 (T2) en traite respectivement 49 023 et 57 (0,12 %).
1. « Le nombre de crimes de haine et le type de réponse pénale à apporter dépendent de la manière dont le crime
de haine est conceptualisé et défini » : voir J. B. Jacobs, K. Potter, Hate Crimes..., op. cit., p. 27.
2. N. Hall, « Policing Hate Crime in London and New York City... », art. cité.
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Acteurs_Mec_Condamnation.Plus d’une 13,38 1,1 2,35 0,019 1,54 115,9 *
condamnation
Acteurs_Mec_Condamnation.Une 4,42 0,9 1,65 0,1 0,76 25,73 .
condamnation
Acteurs_Mec_Sexe.Femme (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Acteurs_Mec_Sexe.Homme 1,01 0,39 0,04 0,972 0,47 2,19 .
Acteurs_ReactionVictime.Non (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Acteurs_ReactionVictime.Oui 0,45 0,46 -1,73 0,085 0,18 1,11 .
Acteurs_Relation.Administrative (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Acteurs_Relation.Aucune relation 1,85 0,86 0,72 0,473 0,35 9,94 .
Acteurs_Relation.Connaissance lointaine 6,59 1,45 1,3 0,194 0,39 112,88 .
Acteurs_Relation.NR 4,62 1,01 1,52 0,13 0,64 33,37 .
Acteurs_Relation.Proches 1,31 1,08 0,25 0,802 0,16 10,82 .
Acteurs_Relation.Travail / Scolaires 0,85 0,88 -0,18 0,854 0,15 4,79 .
Acteurs_Relation.Voisinage 4,55 0,98 1,55 0,123 0,67 30,99 .
Acteurs_Subordination.MEC > Victime 0,59 0,64 -0,82 0,411 0,17 2,06 .
Acteurs_Subordination.Pas de relation de ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
subo (ref.)
Acteurs_Subordination.Victime > MEC 4,03 0,64 2,17 0,031 1,15 14,15 *
Acteurs_Victime_ClasseSociale.Moyenne (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Acteurs_Victime_ClasseSociale.NR 0,41 0,56 -1,58 0,116 0,14 1,24 .
Acteurs_Victime_ClasseSociale.Populaire 1,39 0,52 0,63 0,531 0,5 3,88 .
Acteurs_Victime_ClasseSociale.Supérieure 3,85 0,87 1,55 0,123 0,7 21,17 .
Acteurs_Victime_Sexe.Femme (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Acteurs_Victime_Sexe.Homme 2,06 0,39 1,83 0,069 0,95 4,45 .
Fait_AntiEtranger.Non (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Fait_AntiEtranger.Oui 3,52 0,86 1,46 0,145 0,65 18,96 .
Fait_AntiJuif.Non (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Fait_AntiJuif.Oui 38,78 1,21 3,03 0,003 3,64 413,66 **
Fait_AntiMaghrebin.Non (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Fait_AntiMaghrebin.Oui 3,17 0,68 1,7 0,091 0,84 12,04 .
Fait_AntiMusulman.Non (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
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Fait_Injure.Oui 1,39 0,81 0,41 0,683 0,29 6,75 .
Fait_Provocation.Non (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Fait_Provocation.Oui 0,62 0,72 -0,66 0,51 0,15 2,54 .
Fait_Violence.Non (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Fait_Violence.Oui 4,43 0,51 2,9 0,004 1,62 12,14 **
Procédure_CodeTGI.T1 (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Procédure_CodeTGI.T2 1,07 0,78 0,08 0,933 0,23 4,95 .
Procédure_CodeTGI.T3 0,24 0,4 -3,52 0,001 0,11 0,53 ***
Procédure_ConflitAntérieur.Non (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Procédure_ConflitAntérieur.Oui 0,36 0,47 -2,13 0,034 0,14 0,92 *
Procédure_PlainteRéciproque.Non (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Procédure_PlainteRéciproque.Oui 0,96 0,61 -0,07 0,947 0,29 3,2 .
Procédure_ReponseInfraction.Négation ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
totale des faits (ref.)
Procédure_ReponseInfraction.NR 0,46 0,7 -1,12 0,263 0,12 1,79 .
Procédure_ReponseInfraction.Reconnais- 4,29 0,46 3,16 0,002 1,74 10,58 **
sance partielle des faits
Procédure_ReponseInfraction.Reconnais- 4,83 0,72 2,2 0,029 1,19 19,62 *
sance totale des faits
Procédure_SubstitutNombre.Plusieurs 2,31 0,54 1,56 0,12 0,81 6,63 .
Procédure_SubstitutNombre.Seul (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Procédure_SubstitutReferent.Non (ref.) ref. ref. ref. ref. ref. ref. ref.
Procédure_SubstitutReferent.NR 2,74 0,7 1,45 0,15 0,7 10,76 .
Procédure_SubstitutReferent.Oui 0,33 0,54 -2,03 0,043 0,11 0,96 *
. p <. 10 ; * p <. 05 ; ** p <. 01 ; *** p <. 001.
Source : enquête « Des paroles et des actes. La justice face aux infractions racistes », 2017.
Population : affaires dont les victimes ont déposé plainte, impliquant une victime et un mis en cause personnes physiques,
à l’exclusion des affaires dont l’infraction a été classée sans suite pour motif « infondé ».
N = 252, données pondérées.
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tien avec un procureur) Ces contraintes matérielles conduisent à privilégier les affaires qui
« méritent » d’être jugées, les plus « graves » : « C’est vraiment un des domaines [violences]
dans lequel ces poursuites, c’est tolérance zéro. [...] En matière d’actes racistes [violences],
pour nous c’est automatiquement l’audience. » (entretien avec un procureur)
Les résultats de la régression logistique montrent que le facteur le plus favorable au classe-
ment sans suite pour infraction raciste non confirmée (CSS IRNC)1 est la localisation au T3
(voir tableau 1)2. Cette différence locale est probablement due à des facteurs organisation-
nels : le T3 traite beaucoup plus d’affaires que le T1. Cette pression sur le travail judiciaire,
conséquence du décalage entre la masse des affaires et les ressources organisationnelles limi-
tées, produit une logique de hiérarchisation des infractions méritant d’être poursuivies3. Plus
cette pression est forte, plus la hiérarchie des infractions est serrée, et plus les infractions
considérées comme « satellites » sont classées sans suite.
En effet, un autre facteur déterminant est le type d’infraction. La hiérarchie des infractions
est révélée par un tri-à-plat des affaires selon le type d’infraction (voir tableau 2). La pro-
portion du nombre de mis en cause ayant obtenu un CSS IRNC illustre bien la hiérarchie4.
L’infraction la plus réprimée est l’outrage. Il s’agit des délits d’outrage et/ou rébellion contre
une personne dépositaire de l’autorité publique (policiers) ou exerçant une mission de service
public (par exemple les enseignants). Ces infractions, peu nombreuses (n = 15), font partie
de notre base de données parce qu’en plus de l’outrage, les mis en cause ont proféré des
insultes considérées comme racistes. Les affaires d’outrage ne représentent que 3,3 % de
l’ensemble des mis en cause, mais aucun d’entre eux n’obtient un classement sans suite,
93,3 % d’entre eux ont été « poursuivis5 », 86,7 % ont comparu devant le tribunal et 46,7 %
ont été jugés coupables. Ce résultat peu étonnant s’explique par l’existence d’un flagrant
délit (preuve faiblement réfutable), la qualité des victimes représentant l’autorité publique
et l’intransigeance des procureurs et des juges face à ce type de délit.
Effectifs 2 4 4 8 6 0 18
Dégradation
Pourcentages 11,1 22,2 22,2 44,4 33,3 0 100
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Effectifs 1 3 4 2 2 1 10
Diffamation
Pourcentages 10 30 40 20 20 10 100
Effectifs 2 6 10 5 3 1 23
Discrimination
Pourcentages 8,7 26,1 43,5 21,7 13 4,3 100
Effectifs 1 0 0 14 13 7 15
Outrage
Pourcentages 6,7 0 0 93,3 86,7 46,7 100
Effectifs 0 12 10 33 26 11 55
Provocation
Pourcentages 0 21,8 18,2 60 47,3 20 100
Effectifs 6 36 28 42 31 15 112
Violence
Pourcentages 5,4 32,1 25 37,5 27,7 13,4 100
Par ailleurs, la violence raciste est considérée comme plus « grave » que l’injure raciste et les
parquets n’hésitent pas à poursuivre si les preuves sont suffisantes1, ce qui est souvent le cas
pour les affaires de violence (certificat médical préconisant une interruption temporaire de
travail). De plus, contrairement aux affaires de provocation à la haine raciale et de dégra-
dation, les affaires de discrimination sont plus souvent classées sans suite2. C’est le type
d’infraction le moins réprimé parce qu’il est très difficile d’administrer la preuve de la dis-
crimination, surtout quand les témoignages recueillis par la police sont contradictoires. Par
1. Parmi les 112 mis en cause pour violence raciste, 25 % ont obtenu un CSS IRNC, 37,5 % ont été poursuivis,
27,7 % ont comparu devant un tribunal et 13,4 % ont été jugés coupables. L'analyse de régression montre que,
avec un odd-ratio de 4,43, les infractions de violence raciste ont 4,4 plus de chance d'être confirmées par
rapport aux affaires sans fait de violence (voir tableau 1). À l'inverse, parmi les 399 mis en cause pour injure
raciste, 40,9 % ont obtenu un CSS IRNC, 30,1 % ont été poursuivis, 15,3 % ont comparu devant un tribunal et
9,8 % ont été jugés coupables.
2. Là encore, les effectifs sont faibles. Parmi les 23 mis en cause pour discrimination, 10 ont obtenu un CSS IRNC
(43,5 %), 6 ont été poursuivis (21,7 %), 3 ont comparu devant un tribunal (13 %) et 1 a été jugé coupable (4,3 %).
ailleurs, les faits de discrimination n’apparaissent que dans 29 dossiers (5,8 %) de notre
échantillon et font partie des types de faits les moins dénoncés.
Un autre facteur organisationnel correspond au degré de spécialisation des magistrats. Léga-
lement, il existe dans chaque tribunal un « référent racisme et discrimination1 ». Les affaires
traitées par les référents racisme ont 3,03 fois plus de chance d’être classées pour infraction
raciste non confirmée que les affaires traitées par les autres substituts (voir tableau 1). Ce
résultat contredit les conclusions de plusieurs enquêtes étasuniennes selon lesquelles plus un
agent de police est spécialisé dans le domaine des crimes de haine, plus il a tendance à
confirmer la première qualification d’une infraction raciste. À l’inverse, plus un agent est
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livré à lui-même, c’est-à-dire sans formation et sans contrôle a posteriori de la qualification
juridique, plus il a tendance à adopter une définition restrictive du racisme2. Ce résultat
surprenant montre que les pratiques sont très hétérogènes et que le référent racisme est loin
d’être vraiment spécialisé. En effet, les substituts du procureur des T1 et T2 sont certes
« référents racisme et discrimination », mais ils n’ont suivi ni de formation initiale consacrée
au racisme à l’École nationale de la magistrature, ni dans le cadre de la formation continue.
Ils se sont formés sur le tas en lisant les circulaires ministérielles, comme n’importe quel
autre domaine du droit. Comme les affaires racistes sont peu nombreuses, le « référent
racisme et discrimination » est en même temps référent pour d’autres domaines du droit,
par exemple les infractions de la circulation routière. Il n’est donc pas à proprement parler
spécialisé dans les affaires racistes parce qu’il n’y consacre pas l’essentiel de son temps de
travail. Les substituts du procureur ont par conséquent tendance à traiter les affaires racistes
comme n’importe quelle autre affaire. Par ailleurs, il est rare qu’une affaire fasse l’objet d’une
discussion avec d’autres magistrats. Contrairement à certains services de police étasuniens,
il n’existe pas d’évaluation supplémentaire des affaires racistes. Le magistrat est seul à prendre
la décision.
Un autre critère de hiérarchisation des infractions est l’anticipation des jugements puisque les
procureurs préfèrent poursuivre quand ils sont relativement sûrs d’une condamnation, d’où
une certaine réticence à poursuivre des affaires où il existe un doute sur la motivation
raciste3 :
« Si on a vraiment affaire à des violences classiques, qui ne répondent pas à un motif particuliè-
rement évident de racisme, on va laisser tomber [la circonstance aggravante] parce que ce qu'il
faut bien avoir présent à l'esprit, c'est que si on fait un choix sur une qualification et qu'on va au
tribunal, il faudra le défendre, il faudra convaincre. Si on n'est pas convaincu soi-même, ça risque
d'être compliqué. » (entretien avec un substitut du procureur, référent racisme)
Ainsi, le travail du parquet est structuré par un processus de hiérarchisation des infractions
fondées sur le degré de gravité des délits et l’anticipation des jugements : seuls ceux qui sont
considérés comme graves et « gagnables » sont envoyées au tribunal. Cette hiérarchie judi-
ciaire des délits est proche de la hierarchy of police relevance (« hiérarchie de pertinence
1. Les dépêches du 27 juin 2012 et du 4 août 2014, ainsi que la circulaire du 12 janvier 2015 du ministère de la
Justice, mettent en place, dans chaque parquet, un substitut du procureur considéré comme le « référent
racisme et discrimination » et censé traiter les affaires liées au racisme.
2. E. A. Boyd, R. A. Berk, K. M. Hamner, « “Motivated by Hatred or Prejudice”... », art. cité ; S. W. Cronin et al.,
« Bias-Crime Reporting... », art. cité.
3. On retrouve une logique analogue autour de la notion de « consentement » concernant les violences sexuelles.
Voir O. Pérona, « La difficile mise en œuvre... », art. cité.
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de la situation raciste, l’évaluation des relations entre la victime et le mis en cause (conflit
antérieur, « provocation » de la victime, victime suspecte) et les contours de la « bonne
victime ».
Concernant l’administration de la preuve et la motivation raciste, les procureurs traitent les
affaires racistes comme les autres : « Même si ce sont des infractions spécifiques, on va avoir
la même logique pour les traiter que les autres. » (entretien avec un substitut du procureur,
référent racisme) Ils raisonnent de la même manière que les policiers étasuniens non spé-
cialisés3. Ainsi, la motivation raciste « se déduit forcément de la verbalisation qui a été faite.
[Si] vous attaquez un mec et vous lui donnez de grands coups de savates sans rien dire, on
ne pourra pas dire que c’est un acte raciste » (entretien avec un procureur). Même si la
victime interprète cette violence comme raciste, le parquet ne la suit pas sans « verbalisa-
tion ». Cependant, il peut arriver que le procureur retienne la motivation si certains « élé-
ments extérieurs » sont présents, par exemple si le mis en cause est « habillé en skinhead »,
porte de « grosses rangers » ou des « tatouages de swastika ». Le parquet raisonne donc selon
une logique indiciaire, typique des catégories d’entendement judiciaires, certains indices étant
plus prépondérants que d’autres.
Si la totalité des injures racistes sont par définition des verbalisations, il reste que, pour être
considérée comme crédible, la version de la victime doit être confirmée par des éléments
matériels (écrit, tag, etc.) ou par un témoignage extérieur :
« C'est le problème de la preuve parce que si je vous dis quelque chose et qu'on est que tous les
deux, ce sera parole contre parole, ce qui fait que dans un certain nombre de cas, s'il n'y a pas
d'éléments extérieurs, ce sera des classements sans suite parce qu'on n'a pas de charges suffi-
santes pour aller poursuivre la personne. » (entretien avec un procureur)
Ce discours est confirmé par nos données4. Les situations de « parole contre parole » sont
le plus souvent classées sans suite avec le motif « infraction insuffisamment caractérisée »,
d’autant plus lorsque l’infraction est une injure raciste, considérée comme « moins grave ».
1. Roger Grimshaw, Tony Jefferson, Interpreting Policework. Policy and Practice in Forms of Beat Policing, Lon-
dres/Boston, Allen & Unwin, 1987.
2. Benjamin Bowling, Violent Racism. Victimization, Policing, and Social Context, Oxford/New York, Clarendon
Press, 1998.
3. E. A. Boyd, R. A. Berk, K. M. Hamner, « “Motivated by Hatred or Prejudice”... », art. cité.
4. Parmi les 246 mis en cause dans des affaires sans témoin, 38,6 % ont obtenu un CSS IRNC, 25,6 % ont été
poursuivis, 13 % ont comparu et 8,9 % ont été jugés coupables (voir tableau 3). À l'inverse, parmi les 88 mis
en cause dans des affaires avec un ou des témoignages favorables à la victime, 26,1 % obtiennent un CSS IRNC,
58 % ont été poursuivis, 35,2 % ont comparu et 20,5 % ont été jugés coupables.
Ce n’est donc pas un hasard si un témoignage en faveur du mis en cause est également
déterminant dans la procédure1.
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En faveur Effectifs 2 12 23 51 31 18 88
de la victime Pourcentages 2,3 13,6 26,1 58 35,2 20,5 100
Effectifs 3 14 24 11 6 1 52
En faveur du MEC
Pourcentages 5,8 26,9 46,2 21,2 11,5 1,9 100
Effectifs 4 11 30 27 17 3 72
Indéterminés
Pourcentages 5,6 15,3 41,7 37,5 23,6 4,2 100
Effectifs 7 81 95 63 32 22 246
Pas de témoin
Pourcentages 2,8 32,9 38,6 25,6 13 8,9 100
Le fait d’accorder peu de crédit à la parole de la victime renvoie par ailleurs à une certaine
conception du racisme. La définition professionnelle de la situation raciste est structurée par
les catégories de l’entendement social (le « sens commun ») et met en avant deux éléments
déterminants : la politisation du mis en cause et l’absence de relation avec la victime. L’idéal-
type du racisme est donc politico-idéologique et « gratuit ». Un procureur prend l’exemple
d’une injure proférée entre deux automobilistes : « Pour une place de stationnement, vous
vous mettez à vous injurier et, voilà, les gens “connement” s’injurient sur le plus visible. [Si]
le gars [était] borgne, il se ferait traiter de borgne. » (entretien avec un procureur) Pour son
substitut, « vous avez des gens qui disent des choses horribles sans forcément avoir une
motivation raciste derrière. Ils ont dit ça comme il aurait pu dire autre chose. » (entretien
avec un substitut du procureur, référent racisme) Les procureurs sont généralement
convaincus que « le vrai acte raciste est celui qui n’a pas de raison dans la vie commune
[...], c’est le racisme qui transforme ce sentiment ou cette opinion [...] en un acte. » (entretien
avec un procureur) Ainsi, le « vrai » raciste est celui qui l’est déjà idéologiquement ou poli-
tiquement et qui attaque verbalement ou physiquement un individu qu’il ne connaît pas
pour son appartenance réelle ou supposée à un groupe racial. Compte tenu de cette définition
restrictive du racisme, il n’est pas étonnant que le procureur fasse un constat optimiste :
« De vrais actes racistes franchement ici en cinq, six ans [souffle dubitatif] je n’ai pas vraiment
1. Parmi les 52 mis en cause dans des affaires avec un ou des témoignages favorables à ceux-ci, 46,2 % obtien-
nent un CSS IRNC, 21,2 % ont été poursuivis, 11,5 % ont comparu et seulement 1,9 % a été jugé coupable.
le souvenir d’un truc complètement mû par un mobile raciste. » (entretien avec un procu-
reur) Ce raisonnement est analogue à la perception générale que l’on retrouve dans certains
départements de police étasuniens selon laquelle très peu de crimes sont « réellement »
motivés par la haine raciale1. La définition implicite du crime de haine « normal » est celle
d’un crime explicitement raciste, tels que les incendies de croix ou les agressions du Klu
Klux Klan.
Tableau 4. Les affaires selon le type de relation victime/mis en cause dans le processus
judiciaire
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Relations entre NR Autres CSS AAP et Dont Dont Ensemble
victimes et mis CSS infraction poursuites affaires coupables des mis
en cause raciste au en cause
non tribunal
confirmée
Effectifs 0 10 11 5 2 1 26
Prochesa
Pourcentages 0,0 38,5 42,3 19,2 7,7 3,8 100
Effectifs 2 27 37 18 9 7 84
Travail/Scolaires
Pourcentages 2,4 32,1 44,0 21,4 10,7 8,3 100
Effectifs 8 36 58 34 10 6 136
Voisinage
Pourcentages 5,9 26,5 42,6 25,0 7,4 4,4 100
Effectifs 1 6 7 11 10 5 25
Administrativeb
Pourcentages 4,0 24,0 28,0 44,0 40,0 20,0 100
Connaissance Effectifs 3 6 4 13 7 3 26
lointaine Pourcentages 11,5 23,1 15,4 50,0 26,9 11,5 100
Effectifs 2 25 46 52 38 20 125
Aucune relation
Pourcentages 1,6 20,0 36,8 41,6 30,4 16,0 100
Effectifs 0 8 9 19 10 2 36
NR
Pourcentages 0,0 22,2 25,0 52,8 27,8 5,6 100
Or nos données montrent que cet idéal-type du mis en cause d’extrême droite et inconnu
de la victime est ultra-minoritaire. Sur les 458 mis en cause répertoriés, seulement 11 sont
identifiés à des mouvements politiques, dont 9 à la mouvance d’extrême droite. La réalité
du racisme quotidien et l’expérience des victimes sont de fait en décalage par rapport à cet
idéal-type puisque la majorité des affaires concernent des protagonistes qui se connaissent
personnellement dans le cadre du voisinage (29,7 % des mis en cause), du travail et de l’école
(18,3 %), etc. (voir tableau 4). Or ce type d’affaires est moins poursuivi1. On observe un
processus analogue lorsque la victime et le mis en cause ont une relation de travail ou scolaire
(entre élèves)2.
À l’inverse, l’absence de relation ou l’existence d’une relation lointaine semblent jouer en faveur
d’une poursuite3. On retrouve des chiffres encore plus parlants lorsque la victime et le mis
en cause sont des « connaissances lointaines4 ». La seule exception concerne les affaires rele-
vant d’une relation administrative (incluant un agent de police ou de gendarmerie, hospi-
talier, etc.). Cela ne signifie pas pour autant que, si la victime et le mis en cause se connaissent,
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le classement soit systématique5. En fait, ces résultats renvoient à des situations où, la plupart
du temps, la victime est un agent administratif, ce qui constitue une circonstance défavorable
aux mis en cause.
Par ailleurs, l’enquête de Susan E. Martin sur le traitement policier des crimes de haine
montre un plus faible taux de confirmation lorsqu’il y a conflit antérieur entre mis en cause
et victime, « provocation » de la victime ou « victime suspecte ». On retrouve une réalité
analogue en France6. Ceci est confirmé par l’analyse de régression : ce type d’affaires a
2,78 fois plus de chance d’être classé pour infraction raciste non confirmée par rapport aux
affaires sans conflit antérieur (voir tableau 1). On voit que le filtrage du parquet est déjà
massif, mais celui du tribunal est encore plus important. L’effet est moins net pour les affaires
où la victime a « provoqué » le mis en cause7. Mais l’effet est beaucoup plus visible pour les
cas de plaintes réciproques (le mis en cause dépose plainte contre la victime)8.
Ces données révèlent un élément crucial des catégories de l’entendement administratif et
social du parquet : la « bonne victime » doit être une victime « pure », c’est-à-dire irrépro-
chable, sans aucun conflit antérieur avec le mis en cause, ne l’ayant pas « provoqué » et
n’étant pas elle-même suspecte9. Dans le cas contraire, les procureurs peuvent utiliser le
classement sans suite pour le motif « comportement de la victime » : « Le “comportement
1. Parmi les 136 mis en cause dans des affaires de voisinage, 42,6 % ont obtenu un CSS IRNC, 25 % ont été
poursuivis, 7,4 % ont comparu et 4,4 % ont été jugés coupables.
2. Parmi les 84 mis en cause concernés, 44 % ont obtenu un CSS IRNC, 21,4 % ont été poursuivis, 10,7 % ont
comparu et 8,3 % ont été jugés coupables.
3. Parmi les 125 mis en cause dans des affaires sans relation entre ceux-ci et la victime, 36,8 % ont obtenu un
CSS IRNC, 41,6 % ont été poursuivis, 30,4 % ont comparu et 16 % ont été jugés coupables.
4. Sur les 26 mis en cause ayant une relation de « connaissance lointaine » avec la victime, seulement 4 ont
obtenu un CSS IRNC (15,4 %), 11 ont été poursuivis (50 %), 26,9 % ont comparu et 11,5 % ont été jugés coupables.
5. Lorsqu'il existe une relation administrative entre la victime et le mis en cause, 28 % des mis en cause ont
obtenu un CSS IRNC, 44 % ont été poursuivis, 10 ont comparu (40 %) et 5 ont été jugés coupables (20 %).
6. Parmi les 191 mis en cause concernés par les affaires où il existe un conflit antérieur, 45,5 % ont obtenu un
CSS IRNC, 23 % ont été poursuivis, 9 % ont comparu et 6,8 % ont été jugés coupables (voir tableau 5).
7. Parmi les 140 mis en cause concernés par ce type d'affaires, 40,7 % ont obtenu un CSS IRNC, 27,1 % ont été
poursuivis, 10,7 % ont comparu et 6,4 % ont été jugés coupables.
8. Parmi les 78 mis en cause concernés par ce type d'affaires, 40 ont obtenu un CSS IRNC (51,3 %), 15 ont été
poursuivis (19,2 %), 5 ont comparu (6,4 %) et 4 ont été jugés coupables (5,1 %).
9. Cette catégorisation de la « bonne victime » peut être rapprochée des catégorisations relatives à d'autres
procédures, par exemple les procès de violences sexuelles (O. Pérona, « La difficile mise en œuvre... », art. cité),
les procès liés à la traite d'êtres humains (Milena Jakšić, « Devenir victime de la traite : l'épreuve des regards
institutionnels », Actes de la recherche en sciences sociales, 198, 2013, p. 37-48), les demandes d'asile (Karen
Akoka, « La fabrique du réfugié à l'OFPRA. Du consulat des réfugiés à l'administration des demandeurs d'asile
(1952-1992) », thèse de sociologie sous la direction d'Alain Tarrius, université de Poitiers, 2012) ou d'aide
d'urgence (Didier Fassin, « La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes
d'aide d'urgence », Annales. Histoire, Sciences sociales, 55 (5), 2000, p. 955-981).
de la victime”, c’est quand il y a eu un élément provocateur. [...] Vous me mettez une claque,
je vous traite de “sale Arabe”... On peut vous poursuivre pour la claque et moi pour l’injure...
C’est plutôt de la provocation. » (entretien avec un procureur) Mais ce motif de classement
sans suite tend à disparaître en raison d’instructions ministérielles en faveur d’autres motifs
tels que « infraction insuffisamment caractérisée ». Cette vision de la « bonne victime » est
bien illustrée par le discours d’un substitut du procureur :
Tableau 5. Les affaires avec des relations conflictuelles dans le processus judiciaire
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Relations NR Autres CSS AAP et Dont Dont Ensemble
conflictuelles CSS infraction poursuites affaires coupables des mis
raciste au tribunal en cause
non
confirmée
Plainte Effectifs 4 19 40 15 5 4 78
réciproque Pourcentages 5,1 24,4 51,3 19,2 6,4 5,1 100
« Même si la provocation n’est pas une excuse, il y a des gens qui sont tellement poussés à
bout que, dans certaines circonstances effectivement, ils peuvent un peu perdre leur sang-
froid ou avoir des propos qui dépassent leurs pensées [...]. On va toujours essayer de trouver
un autre critère pour classer parce que le comportement de la victime, c’est difficile [de le
justifier] [...]. En termes de violences en général, je ne cache pas que quand [...] quelqu’un
aura vraiment asticoté le mis en cause jusqu’à ce qu’il perde ses nerfs, on dira : “Bon ça
mérite pas d’être traité comme une bonne victime, quoi”... La prochaine fois il réfléchira
avant d’aller chercher les ennuis. » (entretien avec un substitut du procureur, référent
racisme)
P Les affaires de racisme antijuif ont 39 fois plus de chance d’être confirmées par rapport
aux affaires ne comprenant pas de fait antijuif (voir tableau 1). Les affaires de racisme
antimusulman ont huit fois plus de chance d’être confirmées par rapport aux affaires sans
fait antimusulman. Ces résultats révèlent une hiérarchie implicite des racismes et des antira-
cismes où les racismes antijuif et antimusulman sont dans une position plus élevée, et où les
autres formes de racisme, antimaghrébin et antinoir notamment, sont dans une position
plus basse. Ce fait est sûrement le produit d’une sensibilité particulière des procureurs à la
❘ REVUE FRANÇAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘ VOL. 69 No 3 ❘ 2019
INFRACTION RACISTE (NON) CONFIRMÉE ❘ 423
lutte contre l’antisémitisme favorisée par des directives ministérielles régulières, qui renvoient
elles-mêmes au relatif succès des organisations antiracistes et/ou juives à inscrire la lutte
contre l’antisémitisme à l’agenda des priorités gouvernementales1. Quant au racisme anti-
musulman, il est difficile d’expliquer la sensibilité des procureurs dans la mesure où les
associations de lutte contre l’islamophobie ne sont pas considérées comme des acteurs légi-
times par les pouvoirs publics2. Le traitement différentiel selon le type de racisme est glo-
balement confirmé par l’évolution de leur proportion dans le processus judiciaire (voir
tableau 6), même si on observe parfois une nette différence d’appréciation entre le parquet
et le tribunal.
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Tableau 6. Les affaires selon le type de racisme et hostilité antifrançaise dans le processus
judiciaire
Effectifs 1 3 5 2 0 0 11
Anti-africain
Pourcentages 9,1 27,3 45,5 18,2 0 0 100
Effectifs 0 2 3 3 0 0 8
Anti-asiatique
Pourcentages 0 25 37,5 37,5 0 0 100
Effectifs 0 0 1 0 0 0 1
Anticorse
Pourcentages 0 0 100 0 0 0 100
Effectifs 3 4 8 11 8 1 26
Anti-étranger
Pourcentages 11,5 15,4 30,8 42,3 30,8 3,8 100
Effectifs 0 0 4 8 8 3 12
Anti-européen
Pourcentages 0 0 33,3 66,7 66,7 25 100
Effectifs 1 12 6 18 9 1 37
Antifrançais
Pourcentages 2,7 32,4 16,2 48,6 24,3 2,7 100
Effectifs 1 11 9 16 11 7 37
Antijuif
Pourcentages 2,7 29,7 24,3 43,2 29,7 18,9 100
Effectifs 6 45 82 63 27 19 196
Antimaghrébin
Pourcentages 3,1 23 41,8 32,1 13,8 9,7 100
Effectifs 1 7 11 13 8 7 32
Antimusulman
Pourcentages 3,1 21,9 34,4 40,6 25 21,9 100
Effectifs 2 29 47 32 21 12 110
Antinoir
Pourcentages 1,8 26,4 42,7 29,1 19,1 10,9 100
Effectifs 0 1 3 0 0 0 4
Antiturc
Pourcentages 0 25 75 0 0 0 100
Racisme Effectifs 0 4 2 0 0 0 6
non-explicite Pourcentages 0 66,7 33,3 0 0 0 100
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Pourcentages 3,5 25,8 37,6 33,2 18,8 9,6 100
Source : enquête « Des paroles et des actes. La justice face aux infractions racistes », 2017. Calculs basés sur le total
des affaires où l’on dispose d’au moins une information sur le mis en cause.
En effet, les juges du tribunal correctionnel semblent moins enclins à confirmer l’hostilité
antifrançaise1 que les procureurs2. La différence entre parquet et tribunal n’existe cependant
pas concernant les 37 mis en cause impliqués dans des affaires de racisme antijuif3. De l’autre
côté de la hiérarchie, on retrouve les affaires de racisme antinoir4. Les autres formes de racisme
se situent entre ces deux extrémités et les chiffres correspondant se rapprochent de la moyenne
de l’ensemble de l’échantillon, même s’il faut souligner la particularité des jugements pour
racisme antimusulman. Sept mis en cause (21,9 %) parmi les 32 concernés ont été jugés cou-
pables, révélant une sensibilité relativement plus grande des juges à ce type de racisme que les
procureurs. Ces données montrent ainsi que la hiérarchie des racismes à combattre évolue
durant le processus judiciaire, notamment entre la phase du parquet et la phase du jugement.
1. Nous utilisons l'expression « hostilité antifrançaise » par cohérence sociologique dans la mesure où, dans la
société française actuelle, on ne peut pas parler de « racisme antifrançais », le racisme étant défini sociologi-
quement comme un processus de division, de hiérarchisation et de discrimination des minoritaires au profit
des majoritaires. Or les Français blancs constituent justement le groupe majoritaire. L'expression ne concerne
pas le racisme contre les membres des minorités venues d'Europe (Espagne, Italie, etc.).
2. Parmi les 37 mis en cause pour des affaires d'hostilité antifrançaise, 6 ont obtenu un CSS IRNC (16,2 %), 18 ont
été poursuivis (48,6 %), 9 ont comparu (24,3 %), mais seulement 1 a finalement été jugé coupable (2,7 %).
3. Puisque parmi les 37 mis en cause, 9 ont obtenu un CSS IRNC (24,3 %), 16 ont été poursuivis (43,2 %), 11 ont
comparu (29,7 %) et 7 ont été jugés coupables (18,9 %).
4. Parmi les 110 mis en cause concernés, 42,7 % ont obtenu un CSS IRNC, 29,1 % ont été poursuivis, 19,1 % ont
comparu et 10,9 % ont été jugés coupables.
5. Parmi les 143 mis en cause dont la victime est une femme, 45,5 % ont obtenu un CSS IRNC (contre 34,8 % si
c'est un homme), 27,3 % ont été poursuivis (contre 38 %), 14,7 % sont passés au tribunal (contre 19,3 %) et
9,1 % ont eu une condamnation (contre 11,8 %) (voir tableau 7).
Bien que le renseignement disponible sur la classe soit lacunaire (identifiée pour 67,3 % des
victimes et 64,5 % des mis en cause), la confirmation de l’infraction raciste est plus probable
pour les victimes des classes supérieures1. L’ethnicité de la victime est une variable influençant
le processus judiciaire puisque, paradoxalement, les victimes arabes et noires obtiennent
moins de confirmation de l’infraction raciste que les victimes françaises blanches2. Ainsi, le
pouvoir discrétionnaire relatif à la confirmation ou non du racisme tend à reproduire un
traitement inégalitaire défavorable aux victimes femmes, issues de classes populaires et raci-
sées. Le sexisme, le « classisme » et le racisme à l’encontre de la victime semblent influencer
le pouvoir discrétionnaire des procureurs en mettant en lumière d’autres aspects de la « bonne
victime », à savoir le fait d’être un homme blanc des classes supérieures.
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Tableau 7. Profil des 333 victimes physiques pour lesquelles au moins un mis en cause
(personne physique) a été identifié
Effectifs 6 45 65 71 36 22 187
Homme
Pourcentages 3,2 24,1 34,8 38,0 19,3 11,8 100,0
Effectifs 3 36 65 39 21 13 143
Sexe Femme
Pourcentages 2,1 25,2 45,5 27,3 14,7 9,1 100,0
Effectifs 0 2 1 0 0 0 3
Sexe_NR
Pourcentages 0,0 66,7 33,3 0,0 0,0 0,0 100,0
Effectifs 0 0 6 4 0 0 10
[0,18)
Pourcentages 0,0 0,0 60,0 40,0 0,0 0,0 100,0
Effectifs 1 31 42 38 20 11 112
[18,35)
Pourcentages 0,9 27,7 37,5 33,9 17,9 9,8 100,0
Âgea
Effectifs 6 45 68 59 32 20 178
[35,60)
Pourcentages 3,4 25,3 38,2 33,1 18,0 11,2 100,0
Effectifs 1 6 12 6 2 1 25
[60,100)
Pourcentages 4,0 24,0 48,0 24,0 8,0 4,0 100,0
1. Parmi les 31 mis en cause dont la victime est de classe supérieure, 6 ont obtenu un CSS IRNC (19,4 %) (contre
40 % si elle est de classe populaire), 13 ont été poursuivis (41,9 %) (contre 35 %), 8 sont passés au tribunal
(25,8 %) (contre 20 %) et 6 ont eu une condamnation (19,4 %) (contre 12,5 %) (voir tableau 7).
2. Parmi les 70 mis en cause dont la victime est française blanche, 23 ont obtenu un CSS IRNC (32,9 %), 28 ont
été poursuivis (40 %), 20 sont passés au tribunal (28,6 %) et 7 ont eu une condamnation (10 %) (voir tableau 7).
Parmi les 155 et 66 mis en cause dont la victime est arabe ou noire, on en retrouve respectivement 70 (45,2 %)
et 25 (37,9 %) qui ont obtenu un CSS IRNC, 46 (29,7 %) et 20 (30,3 %) qui ont été poursuivis, 18 (11,6 %) et 11
(16,7 %) qui sont passés au tribunal, et (14) 9 % et 8 (12,1 %) qui ont eu une condamnation.
Effectifs 2 28 48 42 24 15 120
Populaire
Pourcentages 1,7 23,3 40,0 35,0 20,0 12,5 100,0
Effectifs 0 13 17 23 13 8 53
Moyenne
Classe Pourcentages 0,0 24,5 32,1 43,4 24,5 15,1 100,0
socialeb Effectifs 0 12 6 13 8 6 31
Supérieure
Pourcentages 0,0 38,7 19,4 41,9 25,8 19,4 100,0
Effectifs 7 30 60 32 12 6 129
Classe_NR
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Pourcentages 5,4 23,3 46,5 24,8 9,3 4,7 100,0
Effectifs 4 35 70 46 18 14 155
Arabe
Pourcentages 2,6 22,6 45,2 29,7 11,6 9,0 100,0
Effectifs 1 20 25 20 11 8 66
Noir
Pourcentages 1,5 30,3 37,9 30,3 16,7 12,1 100,0
Effectifs 0 6 7 12 6 4 25
Européen
Catégorie Pourcentages 0,0 24,0 28,0 48,0 24,0 16,0 100,0
ethniquec Effectifs 0 6 5 3 2 2 14
Autres
Pourcentages 0,0 42,9 35,7 21,4 14,3 14,3 100,0
Effectifs 4 15 23 28 20 7 70
Français
Pourcentages 5,7 21,4 32,9 40,0 28,6 10,0 100,0
Effectifs 0 1 1 1 0 0 3
NR
Pourcentages 0,0 33,3 33,3 33,3 0,0 0,0 100,0
Concernant le profil des mis en cause, le sexe du mis en cause est un facteur déterminant.
La confirmation de l’infraction raciste est plus probable pour les hommes que pour les
femmes mis en cause1. On observe ainsi une nette différence entre la phase du parquet et la
phase du tribunal puisque les femmes sont moins souvent renvoyées au tribunal et jugées
coupables. Ces données ne sont pas étonnantes dans la mesure où la recherche sur la répres-
sion des femmes délinquantes a déjà montré l’existence d’un traitement judiciaire différentiel
selon le sexe, qui renvoie à une conception sexiste implicite des femmes : chargées de la
reproduction biologique, elles sont moins susceptibles d’être poursuivies et condamnées2.
1. Parmi les 290 mis en cause homme, 31 % ont obtenu un CSS IRNC (contre 49,7 % si c'est une femme), 39 %
ont été poursuivis (contre 23 %), 24,5 % sont passés au tribunal (contre 8,5 %) et 11,7 % ont été condamnés
(contre 5,5 %) (voir tableau 8).
2. Coline Cardi, Geneviève Pruvost (dir.), Penser la violence des femmes, Paris, La Découverte, 2017 ; Kathleen
Daly, « Rethinking Judicial Paternalism : Gender, Work-Family Relations, and Sentencing », Gender & Society,
Contrairement au profil des victimes, l’âge des mis cause semble être une variable détermi-
nante. La confirmation de l’infraction raciste concerne plus les jeunes mis en cause que les
plus âgés1. Les chiffres sont encore plus frappants pour les mis en cause de plus de 60 ans.
Tout se passe comme si le parquet et le tribunal étaient plus indulgents à l’égard des per-
sonnes plus âgées. Par ailleurs, là encore, la classe sociale du mis en cause joue un rôle
déterminant. Les mis en cause des classes supérieures sont moins souvent poursuivis que
ceux des classes populaires et moyennes2. Ainsi, plus le mis en cause s’élève dans la hiérarchie
sociale, moins il a tendance à être poursuivi et condamné, ce qui confirme une longue
tradition de recherche française sur la réponse pénale3.
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Tableau 8. Profil des 458 mis en cause (personnes physiques) dans le processus judiciaire
Effectifs 7 38 82 38 14 9 165
Sexe Femme
Pourcentages 4,2 23,0 49,7 23,0 8,5 5,5 100,0
Effectifs 1 1 0 1 1 1 3
Sexe_NR
Pourcentages 33,3 33,3 0,0 33,3 33,3 33,3 100,0
Effectifs 0 4 3 6 1 0 13
[0,18)
Pourcentages 0,0 30,8 23,1 46,2 7,7 0,0 100,0
Effectifs 6 24 39 66 50 20 135
[18,35)
Pourcentages 4,4 17,8 28,9 48,9 37,0 14,8 100,0
Âgea
Effectifs 6 47 104 56 23 15 213
[35,60)
Pourcentages 2,8 22,1 48,8 26,3 10,8 7,0 100,0
Effectifs 2 18 22 23 11 8 65
[60,100)
Pourcentages 3,1 27,7 33,8 35,4 16,9 12,3 100,0
3 (1), 1989, p. 9-36 ; Jill K. Doerner, Stephen Demuth, « Gender and Sentencing in The Federal Courts : Are
Women Treated More Leniently ? », Criminal Justice Policy Review, 25 (2), 2014, p. 242-269.
1. Parmi les 135 mis en cause âgés de 18 à 35 ans, 28,9 % ont obtenu un CSS IRNC, 49,9 % ont été poursuivis,
37 % ont comparu et 14,8 % ont été jugés coupables (voir tableau 8). À l'inverse, parmi les 213 mis en cause
âgés de 35 à 60 ans, 48,8 % ont obtenu un CSS IRNC, 26,3 % ont été poursuivis, 10,8 % ont comparu et 7 %
ont été jugés coupables.
2. Parmi les 37 mis en cause des classes supérieures, 16 ont obtenu un CSS IRNC (43,2 %), 8 ont été poursuivis
(21,6 %), 7 ont comparu (18,9 %) et 2 ont été jugés coupables (5,4 %) (voir tableau 8). Parmi les 48 mis en
cause des classes moyennes, 17 ont obtenu un CSS IRNC (35,4 %), 18 ont été poursuivis (37,5 %), 12 ont comparu
(25 %) et 5 ont été jugés coupables (10,4 %). Parmi les 196 mis en cause des classes populaires, 40,8 % ont
obtenu un CSS IRNC, 36,2 % ont été poursuivis, 19,9 % ont comparu et 12,8 % ont été jugés coupables.
3. N. Herpin, L'application de la loi..., op. cit. ; B. Aubusson de Carvalay, « Hommes, peines et infractions... »,
art. cité ; R. Lévy, Du suspect au coupable..., op. cit. ; J. Danet (dir.), La réponse pénale..., op. cit.
Effectifs 4 41 80 71 39 25 196
Populaire
Pourcentages 2,0 20,9 40,8 36,2 19,9 12,8 100,0
Effectifs 1 12 17 18 12 5 48
Moyenne
Classe Pourcentages 2,1 25,0 35,4 37,5 25,0 10,4 100,0
socialeb Effectifs 0 13 16 8 7 2 37
Supérieure
Pourcentages 0,0 35,1 43,2 21,6 18,9 5,4 100,0
Effectifs 11 52 59 55 28 12 177
Classe_NR
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Pourcentages 6,2 29,4 33,3 31,1 15,8 6,8 100,0
Effectifs 7 54 81 81 43 25 223
Français
Pourcentages 3,1 24,2 36,3 36,3 19,3 11,2 100,0
Effectifs 5 24 47 36 23 9 112
Arabes
Pourcentages 4,5 21,4 42,0 32,1 20,5 8,0 100,0
Effectifs 3 20 26 21 13 7 70
Européen
Catégorie Pourcentages 4,3 28,6 37,1 30,0 18,6 10,0 100,0
ethniquec Effectifs 0 7 9 5 2 0 21
Noirs
Pourcentages 0,0 33,3 42,9 23,8 9,5 0,0 100,0
Effectifs 0 0 4 4 1 1 8
Autres
Pourcentages 0,0 0,0 50,0 50,0 12,5 12,5 100,0
Effectifs 1 13 5 5 4 2 24
NR
Pourcentages 4,2 54,2 20,8 20,8 16,7 8,3 100,0
De plus, un des facteurs les plus défavorables au CSS IRNC est le casier judiciaire. Les infrac-
tions racistes où le mis en cause a plus d’une condamnation ont 13 fois plus de chance d’être
confirmées par rapport aux affaires où le mis en cause n’en a aucune (voir tableau 1). Ce
résultat révèle une réalité générale du fonctionnement du système judiciaire et une plus faible
tolérance des procureurs pour les personnes déjà condamnées dans d’autres affaires1. Autre-
ment dit, un mis en cause a d’autant plus de chance d’être considéré comme un délinquant
raciste s’il est déjà catégorisé comme délinquant par le système judiciaire. À la figure de la
« bonne victime » s’ajoute celle du « bon mis en cause ».
Par ailleurs, un autre facteur défavorable est lié à la reconnaissance des faits par le mis en
cause. Les infractions racistes où le mis en cause reconnaît totalement (aveu) et partiellement
(demi-aveu) les faits ont respectivement 4,8 et 4,2 fois plus de chance d’être confirmées par
rapport aux affaires où le mis en cause nie les faits. Il semble que le fait de reconnaître les
faits favorise les poursuites et alternatives aux poursuites. Ce résultat ne peut s’expliquer que
par la spécificité des situations de « parole contre parole ». Lorsqu’il n’y a pas de témoin
(54 % des affaires incluses dans la régression), c’est l’aveu du mis en cause qui, finalement,
vient confirmer l’accusation.
Un dernier facteur défavorable est l’ethnicité du mis en cause en raison de la surreprésentation
des minoritaires parmi les mis en cause à tous les niveaux de la procédure (voir tableau 8).
Ainsi, les Français blancs représentent 48,7 % de l’ensemble des mis en cause, les Européens
15,3 %, les Arabes 24,5 % et les Noirs 4,6 %. On retrouve des proportions analogues aux
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stades du classement, de la poursuite et du jugement. Autrement dit, 64 % des mis en cause
sont blancs et 30,8 % des non-Blancs. La diversité ethnique des mis en cause renvoie à trois
phénomènes imbriqués qui remettent en cause le schéma « classique » du mis en cause blanc
contre des victimes non-blanches. Les autorités policières et judiciaires enregistrent les infrac-
tions racistes quel que soit le profil de la victime. La vision juridique du racisme fondée sur
une qualification pénale est relativement éloignée, voire antithétique, à la vision sociologique
du racisme fondée sur une relation de pouvoir.
Tout d’abord, une partie non négligeable d’affaires concerne des infractions racistes entre mino-
ritaires, voire au sein même d’un même groupe minoritaire. Par exemple, parmi les affaires où il
y a une victime et un mis en cause et dont la victime est arabe (n = 155), 60 % concernent des
mis en cause français blancs, 16,1 % des Européens, 15,5 % des Arabes et 1,9 % des Noirs.
Parmi les affaires où il y a une victime et un mis en cause et dont la victime est noire (n = 66),
50 % concernent des mis en cause français blancs, 12,1 % des Européens, 27,3 % des Arabes et
3 % des Noirs. Ensuite, 8,1 % des mis en cause (10,6 % de l’ensemble des affaires) concernent
l’hostilité antifrançaise. Dans la mesure où la législation protège les membres d’une nation (ainsi
que d’une race, d’une ethnie ou d’une religion), les actes antifrançais sont considérés par la
police et la justice comme des actes racistes. Ce juridisme est bien sûr en contradiction avec la
définition sociologique du racisme, fondée sur les relations de pouvoir entre majoritaires domi-
nants et minoritaires dominés. Parmi les affaires où il y a une victime et un mis en cause et
dont la victime est française blanche (n = 70), 40 % concernent des mis en cause arabes, 31,4 %
des Français blancs, 11,4 % des Européens et 11,4 % des Noirs.
Enfin, l’application de la loi antiraciste n’échappe pas aux règles générales du fonctionnement
du système judiciaire marqué par le racisme institutionnel. Le travail policier et judiciaire tend
en effet à cibler les groupes minoritaires qui constituent, en raison d’un traitement différentiel
basé sur leur catégorisation ethnique, une « clientèle pénale » surreprésentée dans les commis-
sariats, les tribunaux et les prisons françaises1. On retrouve ainsi une réalité similaire à la situa-
tion étasunienne. En effet, « the suggestion of racial bias in prosecutorial decision making is troubling
in light of evidence that members of traditionally oppressed groups, which hate crime laws were
ostensibly enacted to protect, appear to be disproportionately arrested under penalty-enhancement
statutes. This can occur because the laws are operationalized without regard to societal power
dynamics. In other words, bias crimes that target Whites, heterosexuals, or Protestants are regarded
as seriously under these statutes as those targeting traditionally victimized social groups2 ».
1. F. Jobard, S. Névanen, « La couleur du jugement... », art. cité ; Fabien Jobard, René Lévy, Police et minorités
visibles. Les contrôles d'identité à Paris, Paris, Open Society Justice Initiative, 2009.
2. « L'idée de l'existence d'un préjugé racial dans le processus décisionnel au niveau des parquets est déconcer-
tante dans la mesure où les membres de groupes traditionnellement opprimés, en faveur desquels les lois contre
les crimes de haine ont été ostensiblement adoptées en vue de les protéger, semblent être arrêtés de façon
Ainsi, l’application de la loi se fait en dehors de tout contexte social, en particulier la logique
de domination entre groupes majoritaires et groupes minoritaires. Cette surreprésentation
s’explique par plusieurs facteurs, notamment par le fait que les Africains-Américains utilisent
plus les « termes raciaux » que les autres groupes, que les groupes minoritaires, dont les
Africains-Américains, sont moins susceptibles de porter plainte et enfin que, de manière
générale, le système judiciaire étasunien a tendance à criminaliser à outrance la population
noire1. Malgré les différences de systèmes pénaux entre la France et les États-Unis, le trai-
tement pénal différencié des minorités se perpétue, y compris dans un domaine du droit
censé les protéger.
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Conclusion
otre recherche permet ainsi d’éclairer une zone d’ombre de la littérature scientifique
N sur la législation antiraciste en analysant sa mise en œuvre concrète par les parquets.
Le croisement des données qualitatives et quantitatives a permis de mettre en lumière
les catégories de l’entendement administratif et social des procureurs, ainsi que les détermi-
nants de leur pouvoir discrétionnaire. En effet, une combinaison de facteurs politiques,
légaux, organisationnels, contextuels, etc., participe à produire un taux élevé de classements
sans suite pour infraction raciste non confirmée.
D’une part, notre recherche confirme les résultats de travaux étasuniens portant sur les
crimes de haine ou certaines études françaises analysant la pénalisation d’autres types
d’infractions. Les facteurs déterminant le processus judiciaire produisent une hiérarchie des
infractions où les infractions racistes sont considérées comme « satellites », sauf s’il s’agit de
violence ou d’outrage. Les pratiques quotidiennes judiciaires révèlent une définition plus ou
moins explicite du « vrai » racisme, idéologique et « gratuit », et de la « bonne victime »,
« pure » et « non suspecte », qui rentre en contradiction avec l’expérience quotidienne des
victimes du racisme. Ainsi, malgré les différences légales et institutionnelles entre la France
et les États-Unis, on retrouve des catégories de l’entendement administratif et social relati-
vement similaires qui débouchent, paradoxalement, sur une surreprésentation des minori-
taires parmi les mis en cause.
D’autre part, la validation de nos hypothèses permet de comprendre l’influence sur le pro-
cessus judiciaire des caractéristiques des affaires en elles-mêmes et des profils des protago-
nistes. C’est notamment le cas du type de racisme dans la mesure où les pratiques des
parquets dessinent une hiérarchie des racismes à combattre en faveur des racismes antijuif
et antimusulman, au détriment des racismes antimaghrébin et antinoir malgré leur impor-
tance numérique. L’analyse statistique démontre par ailleurs un traitement différentiel des
disproportionnée. Cela peut se produire parce que les lois sont mises en œuvre sans tenir compte de la dyna-
mique des relations de pouvoir dans la société. En d'autres termes, en vertu de ces lois, les crimes de haine qui
ciblent les Blancs, les hétérosexuels ou les Protestants sont considérés aussi sérieusement que ceux qui visent
les groupes sociaux traditionnellement opprimés » : voir K. Franklin, « Good Intentions... », art. cité, p. 159.
1. Ce n'est donc pas un hasard si les statistiques montrent une surreprésentation des Africains-Américains parmi
les auteurs de crimes de haine. En 1993, selon les données nationales de la Southern Pacific Leadership Confe-
rence, 46 % des meurtres à raison de la race sont commis par des Noirs. En 1999, selon les données du FBI,
19 % des auteurs connus de crimes racistes sont Africains-Américains et les crimes de haine antiBlancs repré-
sentent 18 % des crimes de haine à raison de la race. La disproportion concerne également le taux d'arrestation
aux niveaux local et de l'État. En Floride, la répartition des victimes (50 % de Blancs, 38 % de Noirs) n'a rien
à voir avec celle des auteurs (33 % de Blancs, 27 % de Noirs, 40 % étant inconnus). En 1999, l'État de Californie
comptabilisait 1 321 incidents racistes, dont 15 % antiBlancs.
victimes et des mis en cause selon l’âge, le sexe, la classe sociale, l’ethnicité, le passé pénal
et la reconnaissance des faits.
Enfin, ces résultats montrent que le traitement des infractions racistes est tout à la fois
contraint par des logiques d’action qui pèsent sur le travail du parquet, comme pour toute
infraction, mais qu’il est aussi tributaire des politiques pénales en matière de lutte contre le
racisme (comme en témoignent les effets réels dans un cas et nuls dans l’autre de la mise à
l’agenda de l’antisémitisme et de l’islamophobie, d’une part, et de l’existence de « référents
racisme » dans les parquets, d’autre part). Ces résultats révèlent toute la difficulté pour la
justice de prendre en compte les rapports de domination quand elle statue sur des cas
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individuels. Tout se passe comme si l’objectif initial de la législation, lutter contre le racisme,
était dépolitisé par les catégories de l’entendement administratif propres au système judiciaire
et les catégories de l’entendement social, c’est-à-dire une définition du racisme très restrictive
et proche de celle du sens commun.
Abdellali Hajjat est maître de conférences en science politique à l’université Paris Nanterre et membre
de l’Institut des sciences sociales du politique (Paris Nanterre/ENS Saclay). Ses travaux portent sur
l’islamophobie et la construction du « problème musulman », les politiques de lutte contre le racisme
et l’expérience du racisme dans le monde académique. Sur ces thèmes, il a récemment publié, avec
Marwan Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le problème musulman,
La Découverte, 2013 ; La Marche pour l’égalité et contre le racisme, Amsterdam, 2013 ; et, avec Julien
Beaugé, « Élites françaises et construction du “problème musulman” : le cas du Haut Conseil à l’inté-
gration (1989-2012) », Sociologie, 5 (1), 2014, p. 31-59 (université Paris Nanterre, UFR droit et science
politique, 200 avenue de la République, 92001 cedex Nanterre, <ahajjat@parisnanterre.fr>).
Narguesse Keyhani est sociologue. Après une thèse sur la promotion des relations interculturelles en
France, elle a notamment été post-doctorante dans le cadre de l’enquête collective « Des paroles et des
actes » (GIP-Justice). Par ailleurs, elle mène avec Vincent-Arnaud Chappe une enquête sur les mobi-
lisations contre les discriminations à la SNCF. Parmi ses publications récentes : « Agir sur l’opinion.
Socio-histoire d’un répertoire d’action antiraciste », Terrains & Travaux, 32, 2018, p. 201-223 ; et, avec
Vincent-Arnaud Chappe, « La fabrique d’un collectif judiciaire : la mobilisation des cheminots maro-
cains contre les discriminations à la SNCF », Revue française de science politique, 68 (1), février 2018,
p. 7-29. Elle est actuellement chercheuse post-doctorante à l’Institut Convergences Migrations-INED
et associée à l’Institut des sciences sociales du politique (ISP) (IC Migrations-INED, 133 boulevard
Davout, 75020 Paris, <narguesse_keyhani@yahoo.fr>).
Cécile Rodrigues est ingénieure d’études CNRS en production et analyse de données quantitatives au
Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (CERAPS, université de Lille,
CNRS, UMR 8026, <cecile.rodrigues@cnrs.fr>).
Annexe 1. Méthodologie
Grâce à l’accord du ministère de la Justice, nous avons obtenu l’accès à 500 dossiers judiciaires
d’affaires liées au racisme instruites entre 2006 et 2015, dans trois tribunaux correctionnels dif-
férents (T1, T2 et T3)1. À partir d’une liste initiale de 833 affaires potentielles (388 au T1, 44
au T2 et 401 au T3), obtenue grâce au logiciel Cassiopée2, nous avons construit un échantillon
de 795 affaires. Pour les T1 et T2, nous avons cherché à être aussi exhaustifs que possible car
le nombre total d’affaires potentielles y est relativement faible. Cependant, considérant le temps
disponible limité pour coder les dossiers, le nombre trop important de dossiers du T3 nous a
obligés à faire une sélection3 : 249 affaires (214 classements sans suite [CSS] et 35 jugements)
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sur 401 affaires potentielles. Sur un échantillon de 795 affaires, 500 affaires ont été traitées et
saisies, dont 275 (55 %) dans le T1, 17 (3,4 %) dans le T2 et 208 (41,6 %) dans le T3. Le
décalage entre le nombre d’affaires échantillonnées et le nombre d’affaires codées s’explique par
la perte physique des dossiers et le faible nombre de dossiers que le T2 a pu mettre à notre
disposition (17 trouvés sur 44 échantillonnés). Le taux de perte global est de 38,6 % mais il
concerne peu les jugements (quasiment tous retrouvés) et surtout les classements sans suite,
quels que soient la période, le type d’affaires ou le motif de classement (voir tableau 9). Même
si le décalage entre la composition des dossiers de référence (affaires potentielles) et celle des
dossiers codés est faible, il peut constituer un biais significatif rendant difficile l’interprétation
des résultats. Nous avons donc opéré un redressement statistique grâce à une pondération des
affaires en nous basant sur la composition des dossiers de référence (voir tableau 9).
Nous avons ainsi pu consulter les dossiers d’affaires dans les salles d’archives et utiliser un
formulaire de saisie créé pour l’enquête (application interactive Shiny du logiciel R). Le masque
de saisie est structuré en une table « Affaires » et une table « Individus » (voir tableau 10),
permettant de coder autant la plus « simple » affaire avec une seule victime sans mis en cause
(auteur inconnu) que l’affaire plus complexe avec plusieurs individus impliqués. La table
« Affaires » permet de collecter les informations sur le processus judiciaire du signalement de
l’infraction jusqu’à l’éventuel procès au tribunal correctionnel. Quant à la table « Individus »,
elle récolte les informations sur le profil social4 des mis en cause, victimes et témoins, les relations
qu’ils peuvent entretenir entre eux, les antécédents judiciaires, etc. Au total, on dénombre
367 variables pour la table « Affaires », et 103 variables pour la table « Individus ».
1. Nous avions contacté au départ 14 tribunaux mais seulement 3 ont accepté de nous donner accès aux dossiers
judiciaires. Afin de garantir l'anonymat des tribunaux, nous ne pouvons pas indiquer leur localisation. Cependant,
la population couverte par les juridictions est numériquement plus importante, par ordre décroissant, dans la
zone T3, la zone T1 et la zone T2. Ceci explique le nombre plus élevé d'affaires traitées au T3.
2. L'utilisation de ce logiciel et des 160 codes d'infractions NATINF (nature de l'infraction) correspondant aux
affaires de racisme est le seul moyen d'identifier les numéros de parquet servant à classer les dossiers dans
les archives. Mais cet outil implique deux biais dans l'échantillonnage : 1. Cassiopée n'a commencé à bien fonc-
tionner qu'à partir de 2012 ; 2. une affaire apparaît dans notre échantillon à la condition d'avoir été enregistrée
avec un code NATINF lié au racisme. Or il est certain qu'un nombre indéterminé d'affaires de racisme n'a pas
été enregistré par la police avec ces codes NATINF et a donc échappé à notre attention.
3. Les principes de sélection sont les suivants : ensemble des jugements et des alternatives aux poursuites :
ensemble des classements sans suite pour « préjudice peu important », « comportement de la victime », « état
mental » ; les autres classements sans suite ont été choisis de manière aléatoire (un sur deux).
4. Concernant la classe sociale, nous avons reproduit en clair les professions indiquées dans les procès-verbaux de police,
qui sont déclaratives (donc impossible à vérifier), puis nous avons fait correspondre ces professions aux catégories
socioprofessionnelles de l'Insee et regroupé celles-ci en trois grandes catégories : classes populaires, classes moyennes
et classes supérieures. Concernant l'ethnicité, nous avons distingué trois formes de catégorisation raciale : catégorisation
assignée (individu assigné à un groupe), catégorisation revendiquée (auto-identification à un groupe) et catégorisation
« informationnelle » (identification d'un individu à un groupe en fonction de la combinaison de ses prénom et nom, lieu
de naissance, nationalité et des prénoms et noms des parents). C'est la troisième qui est utilisée dans cet article.
T1 T2 T3
CSS Absence
21 5,4 15 5,5 0 2 4,5 2 11,8 7,2 24 6 11 5,3 -0,7
d’infraction
CSS Auteur inconnu 85 21,9 62 22,5 0,6 10 22,7 1 5,9 -16,8 52 13 28 13,5 0,5
CSS Carence du
11 2,8 7 2,5 -0,3 0 0 0 0 9 2,2 4 1,9 -0,3
plaignant
CSS Charges
0 1 0,4 0,4 0 0 0 0 0 0 0 0
insuffisantes
CSS Comportement de
10 2,6 7 2,5 0 0 0 0 0 2 0,5 2 1 0,5
la victime
CSS Désistement du
6 1,5 6 2,2 0,6 0 0 0 0 16 4 5 2,4 -1,6
plaignant
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CSS Infraction 76 19,6 66 24 4,4 7 15,9 3 17,6 1,7 135 33,7 73 35,1 1,4
insuffisamment
caractérisée
Total Classements 250 64,4 192 69,8 5,4 28 63,6 6 35,3 -28,3 308 76,8 169 81,3 4,4
sans suites
Total 388 100 275 100 0 44 100 17 100 0 401 100 208 100 0
Source : enquête « Des paroles et des actes. La justice face aux infractions racistes », 2017.
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INFRACTION RACISTE (NON) CONFIRMÉE ❘ 435
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Individus impliqués Catégorisation nationale / raciale
Appel
Cet article est fondé sur les données quantitatives issues de cette base de données. Nous
avons réalisé des tris croisés rendant compte de l’évolution notable du type d’affaires selon
les quatre étapes du processus judiciaire : première qualification de l’infraction, confirmation
ou non de l’infraction raciste par le parquet, passage ou non au tribunal et condamnation
ou non du mis en cause. Pour pouvoir comparer le début et la fin du processus judiciaire,
nous avons pris en compte les 458 individus mis en cause identifiés dans le procès-verbal
de police – c’est-à-dire retrouvés – plutôt que les affaires afin d’avoir une vision plus fine
des condamnations et acquittements.
Nous avons construit un indicateur spécifique, l’« infraction raciste confirmée » (CSS IRC),
qui est central dans notre démonstration. Le procureur peut classer sans suite une affaire
pour une grande variété de motifs (voir la liste en annexe 2), soit juridiques (prescription,
désistement du plaignant, etc.), soit qualitatifs (appréciation de la situation). Notre indicateur
concerne les classements sans suite pour les quatre motifs suivants : « infraction insuffisam-
ment caractérisée », « absence d’infraction », « comportement de la victime » et « préjudice
peu important ». Pour ces motifs, l’infraction raciste a d’abord été qualifiée par la police ou
la gendarmerie, mais le parquet décide de ne pas la confirmer (CSS IRNC, infraction raciste
non confirmé). À l’inverse, les infractions racistes confirmées (CSS IRC) renvoient aux affaires
poursuivies au tribunal ou faisant l’objet d’une alternative aux poursuites (rappel à la loi,
❘ REVUE FRANÇAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘ VOL. 69 No 3 ❘ 2019
436 ❘ Abdellali Hajjat, Narguesse Keyhani, Cécile Rodrigues
médiation, etc.). Les affaires infondées (CSS INF) rassemblent les classements sans suite pour
tous les autres motifs que ceux des affaires d’infraction raciste non confirmée.
En ce sens, nous adoptons une méthodologie similaire à celle de Susan E. Martin1 mais,
contrairement à celle-ci, nous avons également recouru à la régression logistique (voir
tableau 1), qui permet de compléter les tris croisés dans la compréhension des facteurs
déterminants du pouvoir discrétionnaire selon le raisonnement « toutes choses égales par
ailleurs ». Nous avons donc créé un modèle unique de régression logistique où la variable
dépendante est la décision judiciaire de poursuivre une affaire pour infraction raciste, et les
variables indépendantes sont multiples : localisation, type d’infraction, type de relation vic-
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time/mis en cause, type de racisme, profil du mis en cause, profil de la victime, etc.2 Là
encore, il était impossible de prendre en compte l’ensemble des affaires codées puisque l’on
souhaite tester le profil du mis en cause unique et celui d’une victime unique. Il a fallu
restreindre l’échantillon pour se focaliser sur les 252 affaires impliquant à la fois une victime
physique ayant déposé plainte et un mis en cause physique identifié, en excluant les affaires
classées sans suite pour des motifs autres que les CSS IRNC.
Enfin, nous avons réalisé douze entretiens avec des procureurs et substituts du procureur.
La méthode utilisée est l’entretien semi-directif effectué à partir d’une même grille d’entre-
tien, structurée autour de huit thèmes : parcours professionnel de l’interviewé, organisation
du travail des parquetiers, relations entre parquet et police ou gendarmerie, qualification
juridique de l’acte raciste, profil des victimes, profil des mis en cause, réponse pénale et
recours judiciaire.
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Infraction insuffisamment Circonstances indéterminées, charges insuffisantes ou
21
caractérisée insuffisance de preuve.
51. Réparation/mineur
52. Médiation
53. Injonction thérapeutique
Procédures alternatives 54. Plaignant désintéressé sur demande du parquet
mises en œuvre par le 51 à 58 55. Régularisation sur demande du parquet
Affaires poursuivables
parquet (PAP) 56. Rappel à la loi/avertissement
57. Orientation structure sanitaire, sociale
ou professionnelle sur demande du parquet
58. Composition pénale
Non-lieu à assistance
81 Ce motif est ensuite intégré aux absences d’infraction.
éducative
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