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In Analysis 4 (2020) 89–93

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Thèse de doctorat

La pratique clinique des premiers entretiens et le cheminement


intérieur de l’analyste. Étude en France et au Québec§
The clinical practice of first interviews and the analyst’s internal psychic
development of thought. Study in France and in Quebec
A. Lachan *
Laboratoire PCPP (EA 4056), université de Paris, Paris, France

1. Contexte de la recherche Dans la littérature, la technique des premiers entretiens varie


d’une démarche d’investigation à celle de la mise à l’épreuve de la
Dans un contexte concurrentiel d’évaluation de l’efficacité des situation analytique avec ses enjeux transférentiels (Baldacci &
psychothérapies, la question de l’indication — liée à la prédiction des Bouchard, 1998). Schématiquement les analystes privilégient
résultats : quelle psychothérapie va fonctionner pour quels types de soit une démarche prédictive, soit au contraire une position
patient ou de psychopathologie ? — s’avère tout à fait centrale. La d’incertitude considérant l’imprévisibilité des processus en jeu.
spécificité de la démarche psychanalytique convoque une acception Le « cheminement intérieur » renvoie aux processus psychiques
étendue de la notion d’indication. Elle ne repose pas sur l’évaluation de l’analyste au travail, multiples et variés. Suivant la littérature,
du seul patient, de ses symptômes ou de sa motivation consciente, ce cheminement serait organisé, spécifiquement au cours des
comme cela peut être le cas pour d’autres types de psychothérapie. premiers entretiens, selon une trame d’écoute préétablie et
En effet, la subjectivité de l’analyste est engagée dans le processus plus ou moins implicite. Si les fondements de la décision
d’élaboration de la décision thérapeutique1 d’engager ou non un semblent globalement partagés (demande, fonctionnement
travail analytique avec un nouveau patient. L’élaboration de la psychique du patient, potentialités transférentielles), la pondé-
décision tient compte à la fois de la rencontre entre un analyste ration relative des différentes dimensions prises en compte
particulier et un patient singulier, et à la fois de la personne qui semble reposer sur la subjectivité de l’analyste. De plus, les
éprouve une souffrance psychique non réductible à un ensemble de analystes auraient tendance à faire plus de place à leur perception
symptômes, ensemble qui dans d’autres approches théoriques se des potentialités d’évolution qu’aux caractéristiques initiale-
voudrait lié par implication réciproque à un type de psychothérapie ment observées (Leuzinger-Bohleber, 2007). Ainsi, dans la
prédéterminé. Ainsi, cette recherche vise à expliciter l’expérience pratique clinique, la subjectivité de l’analyste articulerait les
des premiers entretiens afin d’en appréhender l’ensemble des prescriptions théoriques aux dimensions transférentielles de la
dimensions, en mettant en lumière la façon dont se déroule le rencontre avec un nouveau patient.
processus de décision thérapeutique d’engager un travail analytique Les recherches sur les pratiques analytiques reposent en grande
dans la pratique clinique, au-delà des recommandations théoriques partie sur l’étude de cas réalisée par l’analyste « traitant » : elles
qui ne traduisent pas ce que la demande d’une personne peut constituent alors des constructions théoricocliniques dans l’après-
susciter chez l’analyste qui l’écoute. coup des premiers entretiens. Les recherches standardisées
Les premiers entretiens, malgré l’importance qui leur est prêtée, quantitatives dans le champ de l’évaluation des psychothérapies
n’occupent qu’une place restreinte dans la littérature psychana- se révèlent quant à elle inadaptées à la nature psychanalytique des
lytique au regard d’autres thèmes, et apparaissent peu étudiés dans processus en jeu. Ainsi, pour étudier la pratique des premiers
la pratique clinique. entretiens dans « l’avant-coup » de leur issue, la présente étude
s’engage dans une « voie intermédiaire » où le psychanalyste est
observateur interne de la situation clinique (Braconnier, 2002 ;
§
Thèse dirigée par le Professeur Serban IONESCU. Soutenue le 6 novembre 2014, Kosmadakis, Braconnier, Hanin, Lancrenon & Widlöcher, 2004 ;
en vue de l’obtention du titre de docteur en psychologie clinique et psychopa-
thologie, Université Paris 8, École doctorale cognition, langage, interaction no 224.
Kosmadakis & Widlöcher, 2004 ; Rappard, 1993 ; Von Benedek,
En collaboration avec le laboratoire de recherche en santé mentale Université du 1989).
Québec à Trois-Rivières, Canada.
* Correspondance. 49, rue Marcel-Dassault, 92100 Boulogne-Billancourt, France
Adresse e-mail : alicelachan@hotmail.com. 2. Objectifs de la recherche
1
Nous retenons le terme de « décision thérapeutique » — d’engager ou non un
travail analytique avec un nouveau patient — plutôt que celui d’indication, car ce
dernier nous semble trop renvoyer à un jugement unilatéral, là où cette décision La présente étude vise à explorer, de manière qualitative, le
engage la rencontre subjective entre un analyste et un patient donné. processus d’élaboration de la décision thérapeutique de l’ana-

https://doi.org/10.1016/j.inan.2019.12.002
2542-3606/ C 2020 Association In Analysis. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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lyste d’engager ou non un travail analytique avec un nouveau celle du fonctionnement psychique du patient et plus spécifi-
patient dans la pratique clinique, en rendant compte autant que quement des caractéristiques favorables ou défavorables à
possible des parts explicites et implicites de son cheminement l’entreprise analytique ; et les dimensions transférentielles et
intérieur au cours des premiers entretiens. À cette fin, elle contre-transférentielles de la rencontre entre l’analyste et le
s’appuie sur le discours de l’analyste — observateur interne de la nouveau patient. Le psychanalyste est invité à expliciter ce qu’il
situation analytique — témoignant de sa pratique au moment des prend en compte ou non dans l’élaboration de sa décision
premiers entretiens, c’est-à-dire dans « l’avant-coup » du destin d’engager ou non un travail analytique avec le nouveau patient.
que prendra la rencontre entre l’analyste et un patient donné. L’analyse des résultats s’attache également à repérer les
Plus spécifiquement, elle cherche à mettre en lumière : l’exi- dimensions intervenant plus implicitement dans son élabora-
stence d’une trame d’écoute spécifique aux premiers entretiens ; tion.
les caractéristiques du cheminement intérieur de l’analyste dans Les 15 cliniciens participant à l’étude bénéficient tous d’une
ce moment particulier ; et les fondements de la décision formation psychanalytique (achevée ou encore en cours), et
thérapeutique du côté de l’analyste, c’est-à-dire la décision de d’une pratique de psychothérapie analytique ou de psychanalyse
proposer de s’engager dans un travail analytique avec un patient en libéral ou en institution. Ils présentent un nombre d’années
donné. d’expérience clinique variant de 3 à 37 ans4. Par ailleurs, ils
pratiquent pour 7 d’entre eux en France et 8 au Québec. En effet,
3. Méthode un second volet de la recherche interroge l’influence du contexte
culturel sur les pratiques cliniques des premiers entretiens.
La présente étude considère les processus psychanalytiques en Nous ne ferons pas état dans le présent article de cet autre
tant qu’objet de recherche — recherche sur la psychanalyse — et volet. Cependant, nous tenons à préciser que le contexte
prend soin par ses choix méthodologiques de respecter autant que culturel n’a pas démontré d’influence sur les résultats qui sont
possible leur singularité et leur spécificité. À visée exploratoire et exposés ci-après. L’influence du contexte culturel, au vu des
descriptive, elle s’est attachée à penser une méthodologie résultats, ne semble en effet que moduler la demande et les
qualitative médiane entre la recherche psychanalytique à pro- possibilités de l’analyste d’y répondre. Quinze entretiens de
prement parler2 et la recherche dite « scientifique recherche semi-directifs enregistrés ont été inclus dans l’échan-
universitaire »3. Nous reprenons ici la distinction proposée par tillon. Les situations cliniques présentées sont issues pour
Bergeret (1987), qui estime que les psychanalystes privilégieraient 12 d’entre elles d’une pratique en libéral et 3 d’une pratique
soit un modèle « artistique », soit un modèle « scientifique institutionnelle.
universitaire » pour penser les rapports entre la théorie et la La démarche d’analyse des données relève essentiellement de
clinique. Le modèle « artistique » ou « théorico-clinique » l’induction générale (Blais & Martineau, 2006), mais aussi d’une
favoriserait une certaine liberté de circulation des idées et le démarche déductive, en ce qu’elle met à l’épreuve des hypothèses
modèle « scientifique universitaire » permettrait une certaine de travail identifiées à partir de la littérature et des résultats de
rigueur de recherche. De ces deux conceptions découle une façon recherches antérieures. L’analyse thématique qualitative de
d’entrevoir la recherche et sa place dans la pratique clinique. En contenu (Bardin, 1977) a été appliquée à l’ensemble des entretiens
effet, d’un côté le modèle « artistique » procède à l’analyse de la retranscrits, dont les étapes ont été utilisées de façon cyclique ou
clinique à partir de laquelle émerge la théorie. D’un autre côté, le itérative plutôt que linéaire, afin de soutenir la créativité du
modèle « scientifique universitaire » s’attache à élaborer des chercheur.
théories qui définissent une technique applicable dans la pratique,
afin d’améliorer celle-ci. Ces deux perspectives de recherche 4. Résultats
postulent respectivement : soit que l’observation du fonctionne-
ment mental du clinicien n’a aucun sens en dehors de l’expérience Les résultats5 permettent d’éclairer : l’existence d’une trame
clinique vécue intérieurement, tenant compte de ses dimensions d’écoute spécifique aux premiers entretiens, préétablie plus ou
inconscientes et nécessairement subjectives ; soit la possibilité de moins implicitement ; les caractéristiques du cheminement
modélisation de l’objectivable. Entre ces deux modèles, une voie intérieur de l’analyste dans ce moment particulier ; et les
médiane consiste à réaliser des recherches « systématisées » à fondements dans la pratique de la décision thérapeutique, de
partir du discours de l’analyste sur sa pratique, c’est-à-dire en s’engager dans un travail analytique avec un patient donné.
l’utilisant comme observateur interne témoignant de son expé-
rience clinique au chercheur. Elle n’est pas une recherche 4.1. Trame d’écoute
psychanalytique mais sur la psychanalyse (Emmanuelli & Perron,
2007). Elle respecte autant que possible les spécificités de la Au vu des résultats, une trame d’écoute préétablie, sélective et
méthode analytique, en partant du discours de l’analyste sur sa sous-tendant une évaluation semble organiser le cheminement
pratique, et non pas en essayant de la « modéliser » par des outils intérieur de l’analyste au cours des premiers entretiens, en opérant
« extérieurs ». une sélection sensible du matériel clinique, ce qui va à l’encontre
Ainsi, dans la présente étude, le psychanalyste observateur d’une partie de la littérature réfutant toute structuration même
interne témoigne au chercheur de son cheminement intérieur au implicite de l’écoute de l’analyste et toute démarche d’évaluation
cours des premiers entretiens avec un nouveau patient, au au cours des premiers entretiens.
moment où il en a réalisé entre 2 et 5. Construit pour favoriser Que la trame d’écoute soit explicitée ou qu’elle reste à un niveau
autant que possible la pensée associative de l’analyste, l’entretien implicite, elle opère une sélection sensible du matériel clinique
de recherche explore notamment : l’évaluation de la demande ;
4
Les participants se répartissent en trois groupes en fonction du nombre
2
Entendue comme la recherche théorico-clinique menée par l’analyste d’années d’expérience clinique dont ils bénéficient : 5 cliniciens ont 3 à 8 ans
« traitant », qui utilise la méthode psychanalytique elle-même en tant que d’expérience clinique et sont qualifiés « peu expérimentés » ; 4 cliniciens ont 14 à
méthode d’investigation des processus inconscients au travers d’études de cas. 20 ans d’expérience clinique et sont qualifiés « moyennement expérimentés » ; et
3
Entendue comme la recherche systématisée menée par un chercheur qui utilise 6 cliniciens ont 27 à 37 ans d’expérience clinique et sont qualifiés « très
des outils d’évaluation « externes » qualitatifs et/ou quantitatifs (dans le champ de expérimentés ».
5
l’évaluation des psychothérapies : questionnaires, comptes rendus ou enregis- Le format concis de la présente rubrique ne permet d’évoquer ici qu’une partie
trements de séances, échelles de mesure). succincte des résultats.
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« signifiant » pour l’analyste. Les résultats montrent qu’elle se 4.2. Cheminement intérieur
construit à partir de la théorie et de l’expérience clinique, mais
aussi en partie des intérêts théorico-cliniques propres à l’analyste. Deux caractéristiques principales du cheminement intérieur de
Par ailleurs, elle est modulée en fonction des spécificités de chaque l’analyste au cours des premiers entretiens se dégagent de l’étude
situation clinique. Elle représente en quelques sortes l’architecture des résultats : sa nature toujours en partie prédictive ; et son
qui structure l’écoute de l’analyste. articulation à la subjectivité de l’analyste.
Le niveau d’explicitation de cette trame d’écoute semblerait Le cheminement intérieur de l’analyste comporte une part
dépendre du degré d’expérience clinique. Les analystes « moyen- prédictive quant : à l’issue des premiers entretiens (poursuite ou
nement et très expérimentés » font le choix d’expliciter ou de interruption des séances) ; aux potentialités de « rencontre dans un
laisser implicite la trame d’écoute dans leur pratique des premiers lieu transférentiel » ; et à une forme de « projet thérapeutique » à
entretiens. Lorsqu’ils choisissent de la laisser volontairement à un venir. Cette part prédictive de l’évaluation n’empêcherait pas de
niveau implicite, c’est pour éviter de secondariser trop rapidement préserver un espace à la surprise et à l’incertitude, contrairement à
leurs élaborations et se centrer sur l’émergence des processus ce qui est soutenu par une partie des analystes.
inconscients. Un des analystes de l’étude souligne que la possibilité L’élaboration des potentialités de « rencontre dans un lieu
de travailler avec une trame implicite, de ne pas chercher la transférentiel » occupe une place centrale dans le discours de
théorisation secondarisée du matériel, est liée à son expérience l’analyste témoignant de son cheminement intérieur, pour
clinique. En effet, entre le début de sa pratique et aujourd’hui il l’ensemble de l’échantillon d’étude. Les prédictions sur les
n’élabore plus d’évaluation psychodynamique : « [. . .] c’est rare que potentialités de la rencontre analytique apparaissent notamment
je le fasse parce que je ne veux pas enfermer ça dans une quand celle-ci ne semble pas s’établir au cours des premiers
théorisation, je faisais ça quand j’étais jeune, on est tellement entretiens. Une majorité des analystes de l’étude témoigne d’une
angoissé qu’on a besoin de tout comprendre. Maintenant là, [. . .]. certaine construction des directions du travail analytique dès les
C’est : supporter l’angoisse de ne pas savoir ». Chez les analystes premiers entretiens. Le « projet thérapeutique » apparaı̂t ainsi bien
« peu expérimentés » la trame d’écoute demeure implicite. Il faire partie, au moins implicitement, du cheminement intérieur de
semble logique qu’il leur soit moins aisé d’en faire part, celle-ci l’analyste, contrairement à ce qui est le plus souvent soutenu dans
étant encore en cours de construction. La capacité à porter un la littérature. La préoccupation éthique de l’analyste, d’évaluer les
regard sur sa propre pratique, de la conceptualiser, augmente en bénéfices potentiels que le patient pourrait tirer du travail
effet avec l’expérience clinique. Ce n’est donc pas tant l’existence analytique, sous-tendrait ces constructions.
de cette trame qui varie d’un analyste à l’autre, que la façon dont il D’après l’analyse des entretiens de recherche, les réponses des
peut en rendre compte. analystes quant à leur « projet thérapeutique » pour le patient
Une des dimensions de cette trame d’écoute concerne montrent que celui-ci est en effet pensé par rapport aux bénéfices
l’évaluation diagnostique, qui fait débat dans la littérature sur potentiels d’un travail analytique pour le patient. Ainsi, un des
les premiers entretiens. Au vu des résultats de recherche il apparaı̂t analystes de l’étude estime que ce qui le mobilise dès le départ et
que les positions théorico-techniques varient : de la nécessité s’inscrit dans son cheminement intérieur tout au long des
d’une évaluation diagnostique, au moins à minima, avant de premiers entretiens est : « est-ce que je vais lui être utile ? Est-
s’engager dans un travail analytique ; à au contraire l’importance ce que le fait qu’elle vienne va lui permettre de modifier un peu ce
de ne procéder à aucune évaluation, pour respecter le cadre qui la met en difficulté, en panne ? ». Le « projet » de travail
spécifique que requiert le travail de l’inconscient. Si l’évaluation analytique s’exprime sous forme de « souhaits » et « d’espoirs », et
diagnostique n’est pas explicitement recherchée par la majorité jamais comme une certitude, comme par exemple un des
des analystes de l’étude, des hypothèses psychodynamiques sont analystes qui le formule ainsi : « [. . .] j’aimerais beaucoup que
néanmoins toujours à l’œuvre, plus ou moins implicitement sous ça lui serve à quelque chose mais ça c’est le mystère des débuts on
forme d’hypothèses de travail en construction, confortant des ne sait pas du tout sur quoi ça débouchera. On verra ». Il ne contient
résultats antérieurs (Kosmadakis & Widlöcher, 2004 ; Von jamais des « objectifs » à atteindre, mais détermine des lignes
Benedek, 1989). Des analystes insistent sur le fait que ces directrices relativement générales du travail à venir. Les analystes
hypothèses demeurent « en filigrane », « en suspension », et que soulignent en effet que ce sont des hypothèses et qu’il est trop tôt
c’est l’entretien de recherche qui conduit à les formuler de façon pour en dire davantage. Certains analystes de l’étude estiment que
secondarisée. Si le diagnostic n’est explicitement pas une la problématique psychique repérée au cours des premiers
préoccupation centrale chez la majorité des participants, ils ne entretiens pourrait constituer l’axe central du travail qui
le méconnaissent pas pour autant comme le résume l’intervention s’engage ; pour d’autres — moins nombreux, 4 sur 15, et tous
d’un des analystes de l’étude : « on n’évalue pas, et je n’ai pas une « très expérimentés » — il leur semble impossible voire
perspective diagnostique [. . .]. Ce qui ne veut pas dire que je ne suis dommageable de formuler si tôt un « projet thérapeutique » et
pas capable de porter un jugement diagnostique, je vois bien que je s’y refusent.
n’ai pas affaire à une psychotique, je vois bien que ce n’est pas vers L’évaluation de l’analyste repose en partie sur sa subjectivité.
la voie psychosomatique, mais ça ne m’intéresse absolument pas ». D’une part, les analystes témoignent de la façon dont la prise en
Si des hypothèses diagnostiques sont à l’œuvre, ces analystes compte de leur contre-transfert intervient dans leur élaboration, ce
insistent sur le fait qu’on ne peut pas savoir ce qui va se dévoiler au qui correspond à une donnée classique le considérant comme un
cours du travail, ce sera la surprise de la découverte. Ils considèrent outil sensible de l’analyste. Ce résultat confirme l’importance du
ainsi qu’elles ne sont pas utiles au processus d’élaboration de la travail de contre-transfert dans le cheminement intérieur de
décision thérapeutique. Cependant, la préoccupation diagnostique l’analyste. L’évaluation repose en effet toujours en partie sur
— même a minima ou implicitement — que mettent en lumière les « l’examen subjectif de ce que l’analyste ressent de l’attitude de son
résultats, répond en effet à la nécessaire articulation des critères patient » (Kosmadakis & Widlöcher, 2004, p. 239). D’autre part, les
structurels avec la responsabilité d’engager un travail analytique et « dispositions contre-transférentielles » de l’analyste au moment
avec les aménagements du cadre à mettre en œuvre. Ainsi, des premiers entretiens sembleraient influencer en partie son
l’évaluation diagnostique semble rester secondaire dans l’élabora- évaluation, notamment à travers ses prédictions quant à l’issue des
tion de la décision d’engager un travail analytique avec un nouveau premiers entretiens. C’est sur ce point que nous allons avancer les
patient, tout en étant bien présente dans la trame d’écoute. résultats de la présente recherche.
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Lorsque les « dispositions contre-transférentielles » de l’ana- Les résultats soutiennent que l’ensemble des analystes de
lyste sont positives, elles favoriseraient la mise au second plan des l’étude tient compte de certaines capacités psychiques du patient
réserves de l’analyste quant à l’indication. Lorsqu’elles sont favorables au travail analytique (capacités d’introspection, d’asso-
ambivalentes, ou négatives, elles tendraient à laisser au second ciativité, d’élaboration, d’accès à l’inconscient, . . .). Lorsqu’elles
plan l’évaluation de facteurs favorables au travail. Il apparaı̂t que sont absentes au départ, les analystes appuient leur évaluation sur
lorsque les mouvements contre-transférentiels de l’analyste sont les potentialités d’évolution de celles-ci. Elles apparaissent
ambivalents ou négatifs à l’égard de la situation clinique, seules des toujours secondaires et articulées à l’évaluation de la demande
prédictions pessimistes quant à l’issue des premiers entretiens et des potentialités transférentielles dans l’élaboration de la
sont envisagées. Ces résultats appuient ceux de Von Benedek décision thérapeutique. Par exemple, une des analystes de l’étude
(1989) et l’observation clinique d’Urtubey (de) (2002), selon lie explicitement à son évaluation favorable des possibilités d’un
lesquels le contre-transfert ou la contre-attitude de l’analyste travail analytique avec le patient, la façon dont il énonce sa
serait projetée sur son évaluation. souffrance, ses capacités d’introspection et d’associativité : « [. . .]
Néanmoins, d’après la présente étude, l’implication des c’est évident qu’il avait tout ce qui est requis pour faire un travail
prédictions pessimistes de l’analyste ne semble que secondaire analytique : l’insight, la capacité d’associer librement, la lucidité, le
dans la décision thérapeutique finale, qui peut tout autant être regard sur lui sur sa vie [. . .] ». Néanmoins, l’aspect qui prend le plus
celle de différer l’indication ou de poursuivre un travail pré- de poids dans sa décision demeure la capacité du patient
liminaire, que de s’engager dans un travail analytique avec le d’interroger son histoire dans le cadre analytique proposé, c’est-
patient. Ce résultat nuance l’idée selon laquelle un attrait ou un à-dire de travailler avec son inconscient : « [. . .] je me demande est-
rejet, un intérêt ou un ennui, qui peuvent se dessiner d’emblée à ce que la personne va pouvoir se mouvoir facilement ou pas dans ce
l’égard du patient, joueraient sur la décision de l’analyste (Urtubey travail là ? [. . .] ce qui fait la différence c’est si cette personne est
(de), 2002). En effet, au vu de la présente étude, les « dispositions capable ou non de travailler avec son inconscient, [. . .] pour moi un
contre-transférentielles » de l’analyste au moment des premiers travail analytique c’est travailler avec quelqu’un qui a compris qu’il
entretiens apparaissent influencer ses prédictions, mais pas ou peu avait un inconscient et que ça se travaillait ». Ainsi, la seule
sa décision thérapeutique. évaluation de capacités psychiques favorables au travail d’analyse
Enfin, au vu des résultats il semble que l’espoir que les analystes ne suffit pas à la décision thérapeutique, elle est articulée aux
expriment pour leur patient de pouvoir bénéficier d’un travail autres dimensions.
analytique, repose sur leur propre « transfert sur l’analyse ». Cet Le diagnostic psychanalytique n’intervient pas dans la décision
espoir peut en effet s’exprimer à travers des prédictions optimistes thérapeutique pour une grande majorité d’analystes. Si dans la
quant à l’issue des premiers entretiens, malgré l’évaluation de pondération relative de ces trois dimensions, l’évaluation du
facteurs défavorables aux possibilités d’engager un travail fonctionnement psychique apparaı̂t presque toujours très secon-
analytique. L’analyste aurait toujours tendance à croire que chaque daire, elle jouerait un rôle non négligeable dans les aménagements
patient serait un analysant potentiel, que ça vaudrait toujours le du cadre analytique mis en place progressivement au cours des
coup (Mac Dougall, 1983), ce que tendent à confirmer les résultats premiers entretiens.
de la présente étude. L’évaluation des potentialités de rencontre dans un « lieu
transférentiel » apparaı̂t toujours occuper une place importante
dans le cheminement intérieur de l’analyste au cours des premiers
4.3. Fondements de la décision thérapeutique dans la pratique entretiens, elle s’appuie sur l’élaboration des dispositions trans-
férentielles du patient et contre-transférentielles de l’analyste. Les
Au vu des résultats, l’élaboration de la décision thérapeutique « dispositions transférentielles » du patient peuvent se traduire :
de l’analyste au cours des premiers entretiens se fonde essentiel- par son investissement ou sa mobilisation dans les entretiens,
lement sur l’évaluation de trois dimensions : la demande, les notamment à travers l’intérêt ou le plaisir qu’il exprime, et par des
capacités psychiques du patient favorables au travail analytique, et manifestations transférentielles adressées à l’analyste. Les « dis-
les potentialités de rencontre dans un « lieu transférentiel ». J’ai positions contre-transférentielles » de l’analyste au cours des
choisi le terme de potentialités de rencontre dans un « lieu premiers entretiens sont examinées : à travers la question de
transférentiel », pour faire référence aux différentes façons dont l’influence éventuelle du « mode d’adresse » sur ses représentations
l’analyste peut rendre compte de son évaluation des possibilités de de la pertinence de l’orientation, et sur son investissement ; à
travail analytique, entre un patient donné et lui-même. Il me travers la façon dont il témoigne de sa mobilisation, intellectuelle
semble en effet, au vu des résultats, qu’il s’agit toujours de et affective, dans la situation clinique ; et enfin, à travers les limites
questionner les possibilités d’une rencontre dans un espace d’ordre contre-transférentiel qu’il peut rencontrer. Les « signes »
« intermédiaire » où l’inconscient peut être mis au travail, espace sur lesquels s’appuie l’analyste pour évaluer que la relation avec le
qui se met en place et s’ajuste au cours des premiers entretiens patient « s’installe », peuvent être : l’effet d’une de ses
entre l’analyste et le patient. interventions, des manifestations transférentielles qui lui sont
Les dimensions évaluées apparaissent communes à l’ensemble adressées, ou le fait ou l’impression clinique que le patient
des analystes, quel que soit le degré d’expérience clinique, s’engage, a le désir de travailler avec l’analyste. Par exemple, une
confortant des résultats antérieurs (Braconnier, 2002 ; Kosmadakis analyste de l’étude confirme son évaluation des possibilités
et al., 2004 ; Kosmadakis & Widlöcher, 2004). Pour autant, cette d’engager un travail analytique avec sa patiente, en s’appuyant
description d’ensemble ne vise pas à réduire la complexité de principalement sur l’évolution de la relation avec elle au cours des
l’élaboration de l’analyste au cours des premiers entretiens à une premiers entretiens. Elle souligne en effet chez la patiente « [. . .]
liste de facteurs à évaluer. Il n’en est rien. Si l’analyse des données son changement de réaction quand j’interviens. Au départ je
permet de figurer une vue d’ensemble, la façon de rendre compte l’agaçais, je la réveillais, je la surprenais je ne sais pas, je lui
des dimensions participant à l’élaboration de la décision varient montrais juste que j’étais là, visiblement ça la perturbait. [. . .] Et
selon les analystes, et l’articulation des différentes dimensions, maintenant elle accepte que je participe quelque part, puisqu’elle
ainsi que leur pondération relative dans la décision, semblent prend en compte ce que je dis, elle associe dessus ». Réciproque-
dépendre de chaque situation clinique singulière. De plus, ment cette analyste répond « contre-transférentiellement » au côté
l’adaptation au patient est fréquemment mise en avant, dans la infantile de la patiente : « parce que ça évoque en moi [. . .] des
façon d’aménager le cadre analytique à lui proposer. mouvements de maternage qui visiblement me plaisent ». Il s’agit
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bien d’un investissement réciproque, « une accroche », entre la sur son cheminement intérieur, la présente étude tend à montrer
capacité de la patiente d’investir la relation — même si cela peut que l’analysabilité ou l’alliance thérapeutique n’interviennent pas
être sur un mode agressif, comme le souligne l’analyste — et dans la décision, en tout cas telles qu’elles sont développées dans
l’investissement de la clinicienne. La décision de s’engager ou non les recherches standardisées. L’engagement réciproque dans un
dans un travail analytique avec un patient s’appuie le plus souvent travail analytique dépend en effet essentiellement des possibilités
de façon centrale sur l’évaluation de ces potentialités de rencontre de rencontre dans un « lieu transférentiel », qui n’a que peu de lien
dans un « lieu transférentiel », et même l’espoir de l’analyste avec des critères objectifs standardisés et généraux. Nous pouvons
qu’elles puissent se développer peut suffire à soutenir la décision espérer que ce type de recherches suscite plus d’intérêt chez les
de s’engager dans un travail analytique avec un nouveau patient. cliniciens que ne le font habituellement les recherches standardi-
Si la pondération relative des trois dimensions — demande, sées, considérées trop loin des préoccupations cliniques.
capacités psychiques et potentialités transférentielles — peut Au-delà de l’étude des premiers entretiens spécifiquement,
varier en fonction des spécificités de la situation clinique, les cette perspective rejoint le développement depuis les années
résultats tendent à montrer qu’elle serait influencée de façon 2000 de propositions méthodologiques fondées sur les pratiques à
notable par « l’espoir » de l’analyste que le patient puisse bénéficier partir d’études naturalistes, standardisées tout en respectant les
d’un travail analytique. Par exemple, là où des aspects du spécificités des processus analytiques étudiés (Thurin & Thurin,
fonctionnement psychique du patient peuvent être mis en avant 2007). Ainsi, ces mouvements vers une pluralité de méthodes de
comme participant favorablement à la décision, car ils sont recherche en et sur la psychanalyse me semblent témoigner de la
présents, ils peuvent devenir secondaires quand ils sont absents : nécessité d’opérer un « travail de traduction »6 sur nos pratiques
ce sont alors les potentialités d’évolution des capacités psychiques psychanalytiques pour poursuivre les ouvertures de dialogues avec
favorables au travail d’analyse qui passent au premier plan. D’une les autres champs de recherche et de pratique clinique, dialogues
manière générale, les analystes tiennent davantage compte dans qui ne peuvent que bénéficier à l’ensemble de la communauté
leur décision de leurs évaluations favorables que de celles qui sont scientifique et clinique.
défavorables aux possibilités de travail analytique. Leur désir, leur
espoir, fondent en premier lieu leur investissement d’une
Déclaration de liens d’intérêts
rencontre, dont ils considèrent de façon prépondérante toutes
les « ouvertures vers des possibles ». Ainsi, les potentialités
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
évaluées auraient plus de poids que l’évaluation actuelle de
facteurs défavorables aux possibilités de travail analytique,
confortant des résultats antérieurs (Leuzinger-Bohleber, 2007). Références
La décision d’engager un travail analytique avec un nouveau
Baldacci, J.-L., & Bouchard, C. (1998). La rencontre analytique, proposition d’un par-
patient repose ainsi en grande partie sur le désir de l’analyste et sur cours. Revue française de psychanalyse, LXII(1), 13–24.
sa capacité à investir une personne particulière, sans méconnaı̂tre Bardin, L. (1977). L’analyse de contenu. Paris: Presses universitaires de France.
Bergeret, J. (1987). Les interrogations du psychanalyste : Clinique, théorie et technique.
l’incertitude inhérente à l’aventure.
Paris: Presses universitaires de France.
Blais, M., & Martineau, S. (2006). L’analyse inductive générale : Description d’une
5. Conclusion démarche visant à donner un sens à des données brutes. Recherches qualitatives,
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Braconnier, A. (2002). Psychanalyse et/ou psychothérapies analytiques. Recherches sur
Les seuls développements théoriques quant à l’indication l’alliance thérapeutique et l’analysabilité. Psychothérapies, 22(1), 21–28.
d’analyse ne traduisent pas la façon dont le discours intérieur de Emmanuelli, M., & Perron, R. (2007). Présentation. In M. Emmanuelli & R. Perron (Eds.),
l’analyste chemine jusqu’à aboutir à la décision d’engager un La recherche en psychanalyse (pp. 7–11). Paris: Presses universitaires de France.
Kosmadakis, S. C., Braconnier, A., Hanin, B., Lancrenon, S., & Widlöcher, D. (2004). La
travail analytique avec un nouveau patient. Dans la pratique, les pratique des entretiens préliminaires de psychothérapie psychanalytique. Critères
situations cliniques sont multiples, et ne correspondent que d’évaluation–Étude quantitative. Annales médico-psychologiques, 162, 271–278.
rarement à des configurations claires ou extrêmes qui permettent Kosmadakis, S., & Widlöcher, D. (2004). La clinique des entretiens préliminaires en
psychanalyse. Annales médico-psychologiques, 162, 329–336.
une décision « tranchée ». Ainsi, ce type de recherche centrée sur les Leuzinger-Bohleber, M. (2007). Un exemple de recherche en psychanalyse : Le suivi de
pratiques cliniques mérite d’être poursuivi pour témoigner de la psychanalyses et thérapies psychanalytiques de longue durée. In M. Emmanuelli &
complexité des pratiques cliniques psychanalytiques. R. Perron (Eds.), La recherche en psychanalyse (pp. 127–148). Paris: Presses uni-
versitaires de France.
La méthodologie qualitative retenue dans la présente étude, Mac Dougall, J. (1983). Le contre-transfert et les cas difficiles. In H. Sztulman (Ed.), Le
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recherches « scientifiques universitaires », apporte un éclairage 262). Toulouse: Privat.
Rappard, E. (1993). Proposition d’une méthode d’évaluation des indications des psycho-
complémentaire aux recherches les plus répandues. S’appuyant
thérapies et des psychanalyses (Doctoral dissertation) Paris: Université Paris VI.
sur l’analyste en tant qu’observateur interne, elle permet de rester Thurin, J.-M., & Thurin, M. (2007). Évaluer les psychothérapies : Méthodes et pratiques.
aussi proche que possible de la perspective clinique en tenant Paris: Dunod.
compte de la subjectivité de l’analyste dans son élaboration, tout Urtubey (de), L. (2002). Du côté de chez l’analyste. Paris: Presses universitaires de
France.
en permettant l’analyse conjointe de plusieurs cas cliniques Von Benedek, L. (1989). Le travail mental du psychanalyste. Belgique: Éditions univer-
soutenant la portée des résultats. Partant du discours de l’analyste sitaires Bégédis.

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Thuy Do, communication personnelle.

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