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Vénus Khoury-Ghata

LE LIVRE
DES SUPPLIQUES

MERCVRE DE FRANCE
Je veillerai à ce que ton âme
ne manque pas de mots.
LE LIVRE DES SUPPLIQUES
Que ceci soit vrai ou faux
On se disait que tu continuerais à faire le mort par omission ou par
paresse pour te distinguer de ceux qui marchent adossés aux bruits de la
ville que tu nous paierais une bouteille de Xérès pour célébrer l’arrivée
d’un hiver vêtu de laine de chèvre afghane et des bottes glanées dans les
tombes des riches
Que ceci soit faux ou vrai
On se disait aussi que ta voix emmurée saurait nous départager lors de
la répartition des vents dans le platane de la place et entraîner les lucioles
échappées des manches de l’obscurité à éclairer le chemin de Dieu venu
vérifier la teneur de sa neige en solitude et si les passants glissent sur ses
larmes lorsque l’envie lui prend de pleurer
S’il faut croire la rumeur
tu battais les arbres femelles
battais le pavé et les tapis sur les rambardes
entrais dans les livres des deux pieds
faisais le tri entre enfants raturés par les parents et ceux fignolés par les
cigognes
entrais des deux pieds visiteur attendu de tout temps
accrochais des baisers rutilants sur les joues des filles
des médailles de maréchal-ferrant sur les épaulettes des garçons
puis repartais des deux pieds sans avoir salué la femme grise qui tournait
le potage
sans décliner le jour et ton nom
Faut-il te rappeler que tu n’es que ce qui se dit et s’oublie
frère d’ombres criant dans le marronnier
pensée esquissée
silence ébréché par l’usage
que le vent qui te pousse vers l’étang n’est pas l’ami de l’étang ni des
laveuses qui t’essorent avec le linge rouge des parturientes qui se
plaignent de cailloux dans leur poitrine quand tombent leurs bras et le
jour
Admettons que ta disparition était feinte
une mise en scène en connivence avec l’éclipse d’un soleil loufoque
que tu ne t’es jamais éloigné de ce seuil où tu trouais le ciel avec ton
lance-pierres tuant du même coup anges et mésanges
imaginaires les plumes qui ensanglantaient les cheveux de la femme grise
une invention d’érable la pluie rouge sur le puits
comment savoir qui a plumé l’ange et qui a mangé la mésange
et que ce qui est arrivé est arrivé
Admettons que tu as fait le mauvais choix
Opter pour les murs qui s’ouvrent sur d’autres murs n’est pas une raison
pour maudire l’escargot du jardin et l’herbe qui n’a pas retenu ton
nom
Pas le moindre écho de tes conciliabules avec le merle infatué de lui-
même
devenant deux merles dans la baie vitrée
Pas de prémices non plus d’une éventuelle esquisse de ton visage
les vapeurs échappées du potage ne sont l’image d’aucune âme
La femme debout face à l’évier fait pleurer le robinet
Mange à l’endroit et à l’envers ce que ta main droite arrache à l’arbre
les pieds nus le lui rendront miettes pour oiseaux céréaliers
donne à cet arbre une généalogie qu’il transmettra à sa descendance
un bon père celui qui donne son nom mais ne partage pas le ragoût de la
marmite
ses enfants mangeront le cri des châtaignes sous la cendre
l’odeur du pain levé

Ah ! Je les vois encore laver les pieds de ce père qu’ils s’étaient inventé
La grande maigreur du peuplier sied à ta nouvelle silhouette
Moins entravé
Tu écarterais l’hiver des deux mains pour voir si ta peau prolongeait
l’écorce
Tu crois applaudir les performances du feuillage qui danse
Suivre les déambulations de l’ombre dans les interstices

Tes appels comme au fond d’un puits lorsqu’une scie s’active plus haut
Le rire de l’homme remonte à tes genoux
Tu es démuni face aux moineaux qui attaquent ton figuier et déstabilisent
ton échelle
Arpenter une terre sous une autre terre t’enlève toute énergie

tu demandes une chaise pour remettre de l’ordre dans ton squelette et


demandes une trouée dans l’espace pour repérer ton figuier
alors que tu n’as droit qu’au bruit de ses feuilles
et à l’odeur âpre de son lait

l’itinéraire de ton retour dans une poche cousue


Ça s’est passé un jour qui n’était pas le soir
la fille refermée n’a pas retenu le teneur en rage des mains qui lacéraient
l’automne sous son dos
Troquer son linge rouge contre une poignée de seigle n’a pas atténué la
brûlure
n’a pas rapiécé l’écorce de l’arbre qui la regardait
ses chaussures sous l’aisselle reconnaissent le visage taiseux des pierres et
le vacarme de la terre quand l’homme la retournait

qui rêve de bouc s’enrichit répètent ses genoux à chaque pas sur le chemin
inversé
Celui qui pénètre par effraction dans le jardin malade fait couler le sang
blanc du bouleau
tu mets le feu à la page quand tu colores en rouge les cheveux de la fille
qui tourne le dos au jardin malade
les fumées ternissent l’éclat de la lampe
le soir assombrit l’humeur des murs
ce que tu prends pour toit n’est que pluies suspendues
et âmes indécises le linge qui frémit au vent

Demain
la page cessera d’être page et le crayon happé par le sol s’émiettera à tes
pieds
Peu importe que tu sois là où tu n’es pas
Arbre inversé
ou tigre raturé par sa rage
la caillasse a fendu ton orteil comme sabot de mule de labour
comme ongle de cordonnier maladroit
l’hirondelle qui te survole ne sait pas lire le marc de ton marbre ni ton
visage à trois dimensions

Le mort dit-elle n’est pas celui qu’on croit


Celui qui marche derrière l’arbre n’a pas suivi l’itinéraire de l’arbre
ses bras le long soudés à ses hanches l’assimilent à un poteau
la poignée d’obscurité jetée derrière son épaule fait fuir la maison qui le
poursuit
comment museler le vent qui aboie dans les couloirs
comment filtrer les cris qui s’étripent entre les murs et que la femme en
noir n’essaie pas de séparer
la foule qui l’appelle entre ses genoux a durci son cœur
et l’étranger qui arrive mains vides sans le moindre chemin à offrir
déroule le seuil comme un matelas
et dort jusqu’à extinction de la femme et de la nuit
Tu poses le paysage tel qu’il est à partir de la marge
Les personnages sortis de ta plume se répartissent sans se bousculer sans
s’être consultés au préalable
tu notes tous leurs déplacements
retires les mots de celui qui clame : Tu es ma femme et mon écriture
donnes la parole à celui qui connaît la fille qui croyait marcher vers le
nord alors qu’elle piétinait la même ligne sourde à l’orage et aux
injonctions de la page qui clame :
on ne retient pas le vent
on ne peut dire à la pluie de tomber à la renverse

Bientôt la page cessera d’être et la main qui écrit sera buée sur le miroir
Quelle couleur a la terre vue d’en bas
paraît-elle plus seule de là où tu te tiens
et combien faut-il compter d’années pour que ton visage cesse de pleurer
j’emporte sur mon épaule la main essuyant ce visage vide de l’intérieur
retire trois cailloux du puits et les lance dans le puits
le bruit des branches te conduit à l’arbre
les vibrations du sol sous tes pieds te mènent à la maison foulée par
l’arbre
les chambres profondes s’ouvrent par le haut comme les boîtes de dragées
comme les huches à pain
tu déplies les murs remontes la pendule laves l’eau attises les larmes

là où tu vas je ne puis te suivre crie le peuplier


Tu cours derrière toi-même et à côté de toi sûr de t’atteindre
Une prouesse si on songe à ton ombre contrainte de reproduire tes gestes
Le bruit de sabots qui te suivent et te côtoient n’est pas celui d’un cheval
mais écho de ton corps animal
Tu es toi et le cheval fondus en un
Jette des graines dans la fente entre tes deux visages et tu verras pousser
des pâquerettes le printemps venu
Même odeur de cendre de l’âtre et de la robe suspendue au clou
inconsolable la chatte qui pleure dans l’hiver
le crépitement des marrons dans l’âtre soubresauts d’une âme mécontente
le feu étranglé à mains nues a d’étranges reflets lorsque la clé tombe sur le
parquet
son tintement fait fondre la neige sur la vitre
libérer celui pris dans le gel et qui ne ressemble plus à son nom
Tu te tiens aux quatre coins de la chambre
et t’effilocherais si les murs se séparaient
La maison te tient lieu de squelette
d’interlocuteur celui adossé au plâtre et qui a fini par y adhérer
ses gesticulations ne sont qu’errements d’une lumière qui cherche sa place
son impact sur le sol ne génère aucun dialogue
sa main tendue se dissout avant de te toucher
le sel jeté par-dessus ton épaule l’efface et t’efface en même temps
Dormir porte ouverte à l’obscurci
Qu’il retrouve sa place à table soupe refroidie chaise retournée
Qu’il s’allonge sur un dormeur si le cœur le lui dit
Mais qu’il ne demande pas des comptes à l’armoire où sa sueur mijote
dans les aisselles
ni au chat inconsolable
Ses feulements creusent le carrelage de la cuisine où bout un linge épaissi
par le chagrin
Tu enjambes la muraille silencieuse vers le troupeau mugissant de blés
t’arrimes au bruit d’un train
Aux fumées d’une cheminée
prends tes distances avec l’eau qui dilue l’âme
évites le ruisseau où un hanneton s’est noyé

tes pieds frottés à l’herbe rouge


tu t’assois sur un coquelicot sûr de repérer le monde à cette hauteur
ignorant que les cinq pétales ne sont que ton sang coagulé

Ton parcours prendra fin dans un herbier


Ton désarroi face à la disparition du quatrième mur
Où suis-je ? demandes-tu
alors que nous n’avons jamais croisé ton ombre ni humé la sueur de ton
linge
Tu es là où tu n’es pas
friable au toucher répétant à l’envi le mot « Tisonnier » alors que tu n’en
connais plus l’emploi
ni l’impact de son poids sur tes doigts qui se dissolvent au contact d’une
braise
« Tisonnier » alors que l’hiver tricoté avec la laine froide de ton silence a
épuisé sa dernière bûche
la forêt réduite au bruit du vent dans ses branches
l’exiguïté des lieux limite tes gesticulations
crier t’est interdit depuis que ce mur te suit dans tes déplacements

Emprunte le bas-côté du monde pour retrouver une place conforme à ton


état
tourne le dos au soir qui bleuit tes articulations
l’air qui brûle ses sarments n’est pas un obstacle
sa chair est volatile
et ceux qui s’opposent à ton passage ne sont que fumerolles
combustion lente d’os et de pierres confondus
ta présence dilate la nuit
Les visages alignés sur les murs t’invitent à les rejoindre
leurs commentaires font transpirer le plâtre

à bien réfléchir
ton absence n’a pas vieilli ta maison ni blanchi les cheveux du noyer qui
continue à regarder le soleil en face malgré la paille effilochée de son
nid
un battement d’ailes c’est tout ce que tu emportes
seule l’alouette aux cheveux de suie portera ton deuil
Tu ne fais pas la différence entre la pierre mâle étanche et la pierre
femelle poreuse
et donnes un nom rugueux aux choses qui t’ont quitté
Tu appelles épervier tueur la feuille détachée de l’arbre
Mouette médisante les cailloux qui jacassent
Colline le cheval figé dans son élan
comment te raisonner sans bousculer l’ordre tribal de l’alphabet et te faire
admettre que ce que tu prends pour écriture n’est que pierres écroulées
d’une haie
entassement de silences qui se déplacent sans raison

comment te réécrire démantelé comme tu es


Une poignée de terre rouge pour ton épaule qui te protège de l’orage
une poignée de terre bleue pour celle qui porte tes chagrins
une poignée pour le moineau qui annonce ton enfouissement aux arbres de
la forêt
Privés de la cérémonie
ta chaise ton lit ont pourtant leur mot à dire sur ta manière d’enfoncer le
clou dans le bois nu
faire adhérer les angles
lisser le bois de la main comme on caresse un animal familier
Incompréhensible pour tes objets ce trou dans la terre
persuadés que tout ce qui respire et transpire finit dans la décharge
Tu guettes l’instant où le crépuscule se faufile jusqu’à ta table pour noter
ses élucubrations
Poussière sur poussière les mots qu’il te dicte
la déception écrase tes épaules
pour quelle raison t’a-t-on convoqué au monde si tes doigts diluent les
messages qui te sont destinés
Affalé sur la page soudain obscurcie
tu te dis : Écrire est une invention d’alphabet atteint de surdité
les mots ne crient pas quand prend fin l’homme qui écrit
Lucarne ta bouche qui s’ouvre et se referme
Tu entres en toi pour trouver les mots qui te disent
et marches sur le rebord de l’alphabet de peur de t’enliser
Aussi
Quand le crépuscule s’enroule autour de ton cou
il y a ces lettres brèves qui palpitent sur ta tempe
comment savoir si elles te veulent du bien et
si leur ombre sur le livre que tu crois lire est gage de complicité
Les fumées du sommeil obscurcissent les lieux sur ton visage
les images du livre s’enfoncent dans tes orbites
les montagnes s’aplatissent
une forêt s’étrécit en allumettes
le fracas d’un fleuve surgi entre tes sourcils t’assourdit
« Ne partez pas sans moi » cries-tu au figuier qui s’éloigne
Le vacarme de son feuillage n’est pas une réponse
Comment savoir s’il est ton ami et s’il offre son ombre au livre qui
dort sur ta poitrine à poings fermés
Tu crois faire partie des terres qui montent et retombent
Dans la respiration des coteaux
La neige d’hier n’est pas ta peau retournée
la couleur sang du couchant ne te doit rien
pourquoi revenir quand on ne parle plus le dialecte du figuier
Ton nom lancé vers les fenêtres éclairées fait sursauter les vitres
vêtements de pauvre les murs qui t’habillent
les vrais retournants marchent en pointillé
sur l’endroit et l’envers
flottent bouchons de liège
sur eau absente
Les arbres qui défilent le long de la chaussée s’agitent à ta vue
ce feuillage ne parle pas ta langue
les mots de ta mère ne courent pas les rues de cette ville
Ne lisent pas les intentions du vent à la lueur des réverbères
Rétrécis par le froid ils ne savent plus t’écrire ou te vêtir
leurs accents rêches râpent la peau des passants
ils feulent hennissent de rage lorsque tu parades en mots étrangers

Monceau de chiffons entassés


tes mots sont ramassis de sonorités désaccordées
lambeaux d’un alphabet exsangue
tu bénis la fissure qui fraie son chemin vers toi
bénis le trille
sans lui tu ignorerais ce qui s’accomplit trois strates plus haut
fin du carnaval te dis-tu prêt à épousseter ton cœur
la terre t’a prêté son masque noir tu lui as prêté le tien blanc d’oubli
assumé
haut et bas mis sens dessus dessous
tracté par l’air
le platane au pied plat s’envole comme dans le tableau de Chagall
les cailloux fusent en étincelles
tout est en apesanteur sauf ta mémoire qui renâcle à avancer
l’envers de la terre n’est pas conforme à son endroit
sa vieille peau est mur frondaison muraille

Assis sur la pierre du récit tu comptes les poussières dispersées par


l’obscurité
Comment retrouver le paysage étroit
l’arbre haut de treize hommes et le nid à l’intersection du crépuscule et du
soleil
Tu suis à l’odeur le fleuve souterrain que tu précédais
les mots que tu crois prononcer ne fermentent plus le lait du figuier
ne font plus mûrir les œufs de l’alouette
ils ont l’opacité des réverbères de novembre quand la pluie parle plus haut
que l’air
Tu es seul de l’autre côté des choses
à l’intérieur d’un autre intérieur
malgré la présence du fleuve dans ton lit
Tout te parle de départ
les mots bougent sur ta page
l’homme qui marche sous l’averse te frôle par la pensée
Tu ressens l’humidité de ses pieds dans tes mollets
tu es toi et tous les passants à la fois
les clés de leur maison tintent dans tes poches
tu ouvres des murs et des portes
aucune ne ressemble à la tienne qui a vieilli à mesure que tu poursuis ces
étrangers
leurs cheveux plaqués par la pluie t’accusent de négligence

Plus responsable tu les aurais alignés sur ta rambarde


séché leurs pieds à côté des herbes de ton potager
et déroulé cette scène dans le sens contraire
te faufilant dans ceux qui marchent pour compenser ton inertie
Les pierres de ton jardin parlent plus haut que les passants
elles se réclament d’une ascendance qui remonte à la première caverne
quand deux silex détenaient le feu et qu’un vent pauvre balayait les ronces
d’un alphabet atteint de surdité

les choses étant ce qu’elles sont


Il suffit de serrer une pierre dans ta main pour vibrer avec la planète
détecter la fronde d’un volcan
le cri d’une montagne écroulée par une fourmi
Retiens cette main quand le couchant dessine son dernier cercle sur ton
mur
le soleil n’est pas un tambour
et la discussion entre obscurité et bitume ne te concerne pas du moment
que ton ombre te suit au doigt et à l’œil
Tu marches et les lieux s’impriment sur la plante de tes pieds
Tu guettes les couples dans les gares pour te repaître de leurs étreintes
poursuis les veuves dans les cimetières pour étancher ta soif de pierres et
de désolation
erres à la recherche du quatrième mur pour t’y adosser
ta cohabitation avec les livres ne t’est d’aucun secours
du papier devant
du papier derrière
et la tendresse noyée dans l’encre
tu rêves d’incendies de forêts et d’automne gris comme dos de loup
pourtant l’air au-dessus de ta tête est d’une douceur à briser le cœur
Qui retrouve le temps perdu
qui l’attache au pied du lit
qui le hissera sur le cheval qui court dans quatre directions à la fois

tu poses tes questions au plus ignorant des vents


qui prend le jonc de ton jardin pour visiteur attardé
le bruit de l’averse sur ta toiture pour dispute entre pigeons

Vent hargneux
qui refuse de s’attabler face à toi pour une discussion franche
de partager ta soupe
ou de reprendre le chemin houleux qui l’a largué sur ton seuil

Comment te faire entendre que la gouttière est mieux adaptée que la


chatière pour entrer chez toi
À quoi ressemblent-ils de l’autre côté du mur
la mise à feu du soir les entasse fagots d’ossements rectilignes
Troués les fils de leur père qui montaient sur les remparts
trouées les filles qui retournaient les pierres
pourquoi s’asseoir au pied du mur quand on possède la sagesse de la plaine
inutile de rapiécer les corps déchirés
ceux qui ont du vent à volonté construisent sur l’air avec des fenêtres
natales et un noyer qui voit dans l’obscurité
les nantis lèvent des troupeaux de nuages pour leur propre usage
mangent la laine cèdent les bêlements aux nécessiteux

Que d’années à compter un bétail qui s’effiloche au moindre écho


la femme que tu rejoignais dans son lit était à toi
à toi aussi la jarre fêlée
et le fleuve sans eau

Assis sur la berge comme au bord du monde


tu disais au crapaud de chanter et le crapaud chantait plus fort que les
tambours de la pluie
Tu disais au vent de chasser les fumées sur ton toit
Et le vent emportait les fumées
et la femme qui couvait un incendie entre ses hanches

Te voilà tirant ta maison avec lenteur comme un chameau


Qui est-elle cette femme qui bat ses tapis jusqu’au sang mais
se prosterne devant un brin d’herbe
élève une clôture autour d’un trèfle à quatre feuilles
ses enfants livrés au fleuve flottent dans l’anse avec les rebuts des hautes
terres
morts ou vifs
ils tournent en rond dos tourné à la femme qui jaunit l’automne
et donne ses taches de rousseur à l’érable
Qui est-il cet homme bras croisés face au fleuve
L’arbre traîné par les cheveux jusqu’à l’embouchure mourra de son
indifférence
Les vagues le débiteront en bûches
Le dernier soleil en fera un brasier
Les berges qui ont vieilli retiennent ce qu’elles peuvent retenir
Serpe et faucilles usées robe déchirée
Parfois un berceau vide
À chaque objet sa douleur se dit le gardien de l’écluse qui pense à l’enfant
couché en bonne terre
Dans ton livre il y a beaucoup de monde
les visiteurs débordent des pages
entassés sur la même ligne ou gesticulant dans les marges
ils réclament un peu d’air et de compassion
Comment réunir les mots de famille nombreuse
comment intervenir quand les mots musclés en viennent aux mains
heureux temps quand tes doigts transformaient le feuillet en bateau en nid
en cerf-volant
qu’un mot avait la valeur d’un caillou
qu’au mouvement de l’herbe tu comprenais si le vent était fiable et si le
mur de brouillard était assez robuste pour y adosser ton échelle
tu guettes une trouée dans l’espace pour réclamer ce que tu es seul à voir
alors que tes mains sont caduques et que la planète a changé
d’orientation
impossible de saisir le miroitement de l’eau
le grésillement d’un cierge
le vacillement de la pluie sur une terre inclinée
et comment évaluer l’angoisse des gouttes d’un robinet qui fuit

faut-il t’avouer notre impuissance à t’être utile


nommer ce qui ne se prononce pas faute de conciliabules entre les mots

comment crier dans une langue qui n’est plus la tienne


quel nom donner aux murs non imprégnés de ta sueur

Adossé à la porte fermée


tu invoques l’esprit des lieux pour éloigner les âmes en souffrance
comment retrouver le lit du fleuve où dormir et les draps tendus entre les
berges
quelle eau lavera ton absence
le vent qui creuse sous tes pieds ne peut t’être d’aucun secours
Tu descends d’un nuage comme d’un train et vas à la recherche de ta voix
qui t’appelle
les rues te renvoient d’écho en écho
les arbres ont du mal à te reconnaître
tu habitais un autre jardin à l’époque
un pivert limait son bec sur un jujubier
mais personne ne te croit
le bruit de tes semelles sur l’herbe réveillait une femme aux aisselles
vertes
ses bras s’ouvraient d’un coup comme les volets

penchée à la fenêtre
son regard ce matin suit la progression du nuage qui t’a vu arriver
honte à toi qui reviens le cœur vide telle noix de fin d’été
honte à la fenêtre refermée et à la voix qui te souhaite
Longue pluie
Retourne-toi sur ta couche pour changer de rêve lorsqu’une forêt
s’approche de ton lit
Le fer à cheval sur ta porte te protège des dérives de l’obscurité et des
hiboux
Allume une bougie pour chacun de tes doigts
Laisse la cire couler jusqu’au ventre du sol souillé
les arbres repartiront queue entre les jambes
comme des chiens
la terre déborde de réminiscences
lâcher bruyant de pigeons les rumeurs qui s’en s’échappent
tu écrivais l’hiver
même bruit équidistant de la pluie et du clavier
même pelage fumant du chat et de la robe suspendue à la corde
dans l’arrière-cour une femme fait bouillir ses enfants avec le linge
tes gesticulations ne dépassent pas la vitre
ne repousseront pas la neige prévue pour ce soir
ne retisseront pas le cœur effiloché

Te voilà pleurant noir sur page blanche


L’ombre du figuier sur ta chambre lui donne une dimension
grandiloquente
tu ne dois rien à l’arbre ni à ses fruits faits pour l’appétit d’un moineau
le fracas des ailes s’intensifie quand tes appels vont plus loin que ta voix
leurs battements remontent à la nuit des temps comme ta fatigue quand les
veines de tes mains viraient à l’encre
la femme qui a muré ses ouvertures n’a que faire du vent qui halète
derrière sa porte
le sable a rouillé sa clé
l’eau de sa bassine a dilué le visage de l’homme qui lapait son sel
l’odeur de chat sur ton coude vient d’une arrière-vie
ses foulées sur le toit levaient un vol d’hirondelle suivi d’une clameur
retranché dans ton corps rétréci
le désarroi de l’air tu le sens encore dans tes chevilles
les miaulements remontent à tes genoux
bon augure le trèfle à quatre feuilles de ses empreintes sur le sol
la femme qui les essuyait avait ses convictions
mort et vie cercle fermé sur lui-même mais
il suffit d’un rai de soleil pour que l’homme qui a tourné au gel redevienne
eau
Comment retrouver le cercle lumineux sous la lampe quand la pluie
cinglait les vitres que les convives étaient restés chez eux

Leurs voix sur la nappe ressassent le même malentendu

Fait du même bois que la table


tu es seul à voir les convives absents
les chaises vides
et ces disparus qui ne faisaient pas la différence entre ta voix qui épelait
leur nom et l’écho qui égrène le même malentendu
Tu es le feu qui maugrée dans l’âtre et l’homme qui se réchauffe à ce feu
Frère de la branche hargneuse qui s’exprime en étincelles
cousin de la figue sèche qui se souvient de la branche
tu es un et tout à la fois
Avoir deux pieds ne te donne pas droit à deux chemins en même temps
ni de cribler de pierres le puits qui brouille ton image
Tu n’es que cil de vieille étoile
goutte d’eau évaporée au contact du sol
pierre devenue tumulus à force d’enfanter des pierres qui lui ressemblent

tu mangerais dans la main d’une fourmi en cas de nécessité


Tu deviens riche lorsque l’obscurité multiplie tes murs par tes enfants
Pauvre quand le halo de la lampe dessine un cercle sur ta table
Tu serais un autre si tu enjambais l’obscurité et ce cercle qui entrave tes
mouvements
le battement du sang à ton poignet est remugles du ruisseau enfoui sous
ton jardin
ta toison l’herbe maigre autour de la réserve
tu aimes la nuit pour les arbres vêtus de noir comme chevaux de parade
pour ceux en haillons qui suscitent la hargne des chiens
tu l’aimes pour sa lenteur à plier son linge obscur avant l’arrivée des
balayeurs
pour sa dextérité à mélanger le blanc et le noir sans déteindre sur toi qui
marches sur la lisière de l’obscurité sans savoir où tu vas
Le violoniste joue pour le merisier dépecé dans l’atelier du luthier
comment faire la filiation entre le bois et la note qui arpente les cordes
comment évaluer son poids sur l’air et son impact sur toi qui n’es pas
l’ami de l’arbre et qui ne fais pas la différence entre le crissement des
feuilles sous ta semelle et le cri de l’archet

Des questions te taraudent


Un jeune violon s’incline-t-il lorsqu’il croise un vieux merisier
lui demande-t-il des nouvelles du trou à son flanc et
si la blessure de son aubier a cicatrisé
Tes appels se faufilent dans le mur derrière le lézard rouge
où se lève le soleil demandes-tu au chardon indigent
où sont l’échelle le portail les enfants
ce qui est arrivé est arrivé
le pommier est mort
seule l’échelle adossée à l’air l’a pleuré et
la femme insomniaque qui ravaude les pierres ne fraie pas avec ce qui se
nomme mais qui n’est pas
Il convient de mettre de l’ordre dans tes affabulations
le pommier enterré en grande pompe
la crête du coq noircie par le deuil
c’est pour l’hier de demain
Tu prends le large au moindre vent qui fait tourner ta mappemonde
Rejoins à la nage l’île grosse comme le caillou qui te fait boiter
donnes l’accolade aux sauvages mangeurs d’ethnologues
aucun lien entre la surface de ton corps et celle des continents
ni de cause à effet entre tes déplacements dans ta chambre et les
mouvements imprévisibles des océans
La planète ne sait pas qui tu es
Mets de l’eau dans ta colère lorsqu’un fleuve s’accroupit sur ton
paillasson
un fleuve ne s’essore pas
ne se renvoie pas à coups de pied
un fleuve n’est pas un chien
ne te mets pas en travers de son chemin lorsqu’il enjambe ton seuil
son eau effacera les empreintes du vent qui harcèle ta porte
étanchera la soif de ton âtre
et fera reluire les genoux de tes filles comme galets de ruisseau
Honte à ta femme qui lui donne à boire dans sa bassine trouée
il connaît ses secrets
connaît la chair fendue de sa marmite et le poil hirsute de son chanvre
honte à toi qui reconstruis ailleurs avec des pierres puisées dans un mur
écroulé
Quel âge avait la terre sous cette pierre que tu aplatissais chaque fois que
tu t’y assoyais
comment mesurer son désarroi quand tu lui tournais le dos et qu’un
passant lui reprochait son engeance modeste
comment la convaincre de te suivre pour l’installer sur un sol bienveillant
sans la dresser sur d’autres pierres
sans l’emmurer
sans la dépayser

quelle couleur a la terre de là où tu es


te paraît-elle plus seule
combien d’étoiles faut-il compter pour que ton visage redevienne ton
visage
les trois cailloux retirés du puits sont rendus au puits
Tu as tort de relier la mort du moineau à l’orage qui a dévasté ton jardin
L’orme calciné n’a aucun lien avec les plumes sur ton seuil

Inutiles la terre retournée les trous que tu ne cesses de creuser


Un moineau s’enterre dans l’air sans pelle sans regrets
avec l’approbation du paysage qui rit sous cape derrière ton dos lorsqu’il
t’entend ahaner
Tu mesures le temps par les distances qui te séparent de ton départ alors
que le temps n’est ni ligne droite ni cercle
Tu humes le bois de la table à la recherche du cri de l’encrier et des
fragments de la vieille lampe ignorant que les années aux longues jambes
t’ont devancé sur les lieux et que ce que tu appelles maison n’est qu’un
ramassis de pierres sourdes à force d’être cuites au soleil

Ce vacarme assourdissant chaque fois que tu te retournes pour te


retrouver
Tes appels donnent froid aux pierres qui inculquent sobriété et indigence
où se lève le soleil demandes-tu aux cloisons
où retrouver le seuil
le fer à cheval
les enfants

ce qui est arrivé est arrivé


un lézard rouge surveille les fugueurs
la femme insomniaque ravaude les blessures de la muraille

n’est pas trépassé qui veut


dit le gardien des lieux
celui qui traverse le mur de son plein gré est un Retournant
Le figuier de ton jardin te tourne le dos
ta bouche ne fouillera plus sa chair soudée comme fille défendue
tes doigts ne déshabilleront plus son chagrin
De Babel à Ur en passant par Mari l’ocre
le figuier parlait une langue sans écorce
l’homme qui l’escaladait perdait la mémoire
la femme qui y accrochait sa ceinture mettait au monde des filles charnues
Silence désapprobateur de l’ombre quand elle ouvrait sa robe mais oubliait
de la refermer
Écris sept fois le nom de la ville qui tue
écris sans ponctuation la terre rouge et le bac à sable où jouaient les
enfants
creuse en cercles concentriques
une citerne
un ventre de femme
humecte ses parois de ta salive
puis dors jusqu’à la fin de la guerre
après fermeture de la grille et départ du dernier enfant
Tu projettes ton image dans la foule tel un montreur d’ombres chinoises
sur un écran
Reconnais la femme à son odeur d’herbe froissée
La nuque de l’enfant sent l’oiseau
Ils marchent au soleil alors qu’il pleut autour d’eux
Le rire de l’enfant tressaute sur ton épaule
Il est seul à te voir
Quel nom donner à la chose qui change sans cesse d’apparence
Tantôt tache d’humidité sur les pavés tantôt cercle lumineux qui se
déplace sans raison
Celle absente de la photo tapait sur sa cuisse
et le vent tendait son cou à la laisse
se lovait sous la table à côté du chien qui devenait loup quand la nuit
zébrait les vitres
le loup disait-elle
n’est loup que par ouï-dire et médisance
il ne piétine pas les jeunes herbes
ne se moque pas des veuves aux robes de chagrin
Ange devant
fauve derrière
le loup était sonneur de cloches au temps des cathédrales
pèlerin aux genoux hirsutes
voleur de girouettes
Sa disparition des livres la laisse inconsolable
Il fait hiver dans ses photos
Le silence gèle à pierre fendre
Elle frotte ses mains sur les murs pour s’inventer un peu de chaleur
les compte dans les deux sens pour avoir l’impression d’être riche
feuillette son jardin comme un livre en y ajoutant des mots de son
invention
et un sécateur pour le mort qui taille le laurier qui a poussé de travers
Elle croit le voir sur la colline
marcher comme on dessine en traits rapides
un pied sur le sommet
un pied dans une crevasse de l’air
le croit hors d’atteinte alors qu’il l’ouvre
compte ses cuillères et les bûches de sa réserve
entre dans ses photos
remplace ses ancêtres entre le noir et le blanc
émiette ses murs qu’elle recolle de sa salive avec une patience infinie
Il escalade la femme de dos puis de face
bat des bras pour ne pas sombrer dans sa peine
surveille la montée de son eau
écoute le clapotis de son herbe
lape le sel de ses crêtes après sans susciter le moindre remous
l’amour donne l’amour reprend
crie-t-il à l’intersection de ses genoux
Celle qui a dévalé la montagne sur ses fesses secoue épines et insectes
taiseux accrochés à sa robe
Elle n’a ramené aucun nuage sur son chemin mais l’odeur des brebis
et la laine nécessaire pour rembourrer l’oreiller de l’amant

Sept saisons à attendre son retour avec le matelas


sept contorsions pour atteindre son centre et cette odeur d’herbe
souterraine humée jusqu’à la lie
lorsque son cri dilatait les murs
Le brouillard craché par le fleuve passe par la décharge
chaise boiteuse bouquet flétri parapluie vont de porte en porte mais
personne n’en veut
l’âme de la servante morte suspend du linge sur la corde
ses seins sont deux pétales de magnolia
sa robe est tache d’incompréhension
la croix noire du clocher se prend pour une girouette
son tournoiement ne correspond à aucune direction
Comment recenser les points cardinaux quand la terre ne cesse de bouger
Il aligne ses cailloux sur le seuil de la femme
sèche ses algues sur sa corde tendue entre l’horizon et son noyer
frappe sur son épaule comme à une porte ignorant qu’elle ne fraie qu’avec
sa chevelure
que l’eau qui irriguait ses genoux fut déviée vers champs mitoyens
son cœur devenu aussi sourd qu’un tambour transi par la pluie
Il arrive au jardin de s’échapper de sa clôture
de ramener les ombres attardées sur les bas-côtés du chemin
d’en faire des choses identifiables
suscitant la morgue des fruits qui se détachent des arbres dans un silence
désapprobateur

nous sommes maîtresses de nos contours criaient les ombres en d’autres


temps
quand tout se réglait à coups de sablier dont la terre imitait le mouvement
Quelqu’un a vu le rouge-gorge mettre le feu à la montagne
vu la femme éteindre l’incendie avec son verre à eau
nombreux l’ont vue égoutter le sang de l’érable puis le sécher à la même
corde que sa robe
Décembre ayant gelé la parole
Faut-il se fier au témoignage de ce qui s’ouvre et se referme
Volets grille livre cahier
Déduire qu’il n’y eut jamais de femme
jamais d’érable
encore moins de rouge-gorge capable d’embraser le monde avec son chant
Quand on a hérité d’une cage vide
qu’on a longtemps médité sur le sort d’un rouge-gorge qui a effacé la
tache rouge de sa honte
on envie celui qui a serré la main d’un oiseau modeste
qui arbore une plume au revers de sa veste
Faut-il commencer par la fin ou par le début de la fin
quand le toit s’affaissa sous la neige
qu’une armée d’anges armés de pelles retira des décombres
une ficelle
une théière sans anse
des aiguilles à tricoter hautes comme des béquilles

Redresser les murs n’était pas dans leurs compétences


leurs ailes étroites les empêchaient d’entasser la provision de neiges
prévue pour l’hiver
maison plus vaste que le paysage
la salive d’un escargot a rassemblé les murs
poser une pierre sur une pierre est à la portée du moindre fil à plomb
il est un temps pour construire et un temps pour s’abîmer en soi pense
celui affalé sous l’arbre
pourquoi s’épuiser puisque la terre qui se retourne emmêle océans et
continents
Jetés sans ponctuation sans majuscules
les enfants enfouis refluent avec les fossiles
entrent dans les livres sans frapper
remplacent un mot par un autre
essuient la sueur des pages
hurlent dans la marge avec les loups
les mères qui ne reconnaissent pas leur odeur les balaient avec les
épluchures
l’enfant qui crie de bas en haut ne peut ameuter les nuits ne peut alerter les
soldats de plomb qui veillent sur son sommeil
la mère qui halète sur l’envers du mur est de pierre sourde
l’ébriété de ses seins fait des remous dans l’eau de la bassine et fait
craindre à l’enfant une inondation de l’obscurité
La flaque d’eau sur le bitume se réclame d’un nuage respecté
Un gros chagrin de pluie monte dans sa poitrine quand la nuit l’obscurcit
Repérer le soleil est affaire de coloquinte pense l’écolier qui a usé ses
mots à force de les frotter sur ses genoux
Son cartable rempli de billes ne peut le contredire
Les cartables étaient assez grands pour se rendre à l’école
Les livres ne perturbaient pas le sommeil des parents
Le sang refluait dans les cheveux de ceux qui lisaient
L’enfant prudent s’accrochait aux draps lorsqu’une page s’ouvrait à ses
pieds
À qui dénoncer les doigts tachés d’encre qui cassaient un carreau pour
redessiner la nuit
Friables les chevilles de la mère
et la crainte de la voir tomber plus bas que la nuit
de se prosterner devant le froid
front posé sur le sol étroit
Nous étions quatre par temps de pluies comptées à travers les vitres
Le froid nous rétrécissait
Nous rêvions de serrer la main à ceux qui dormaient sous les arbres
montaient à cru le bouleau au crâne dégarni
rêvions de déborder des rainures du parquet qui nous voyait dessiner des
trains effacés par l’éponge maternelle
Nous nous voulions frères et sœurs d’herbes aux longues jambes pour
suivre leurs déambulations à travers la planète
La lucarne reflétait les humeurs du père
Devenait opaque lorsqu’il rentrait les mains vides
Avalait insectes et poussières lorsqu’il renversait la soupière et que la
mère ramassant les débris accusait le vent
Nous étions sept par temps de désarroi ordinaire
Quatre enfants et trois chaises aux dos interminables
Celui assis sur le vide se disait éphémère comme la flambée de houx
Sa vie n’excédera pas la taille d’un crayon
Qu’il nous noiera sous ses bienfaits
Un cerf-volant qui nous emportera par-dessus le toit
et un soleil de poche pour la mère qui pleuvait à chaque passage de nuage

si triste la maison à cinq heures de l’après-midi


Désarroi du passager qui s’attarde à l’escale
Ses pas ont la lenteur d’un glacier
La fin est commencement susurrent les herbes surgies du goudron
Qui part revient puisque la terre est ronde
Les migrateurs indécis qui le savent suspendent leur vol
Les ailes frappant les poitrines
n’est pas contrition mais applaudissements et
le rire de celui qui s’oublie à l’escale écroule les quais
Les cartables étaient assez grands pour se rendre à l’école
les enfants ne perturbaient pas le sommeil des livres ni celui des parents
Le sang refluait dans les cheveux de celui qui lisait
L’enfant prudent s’accrochait aux draps quand une page s’ouvrait à ses
pieds
À qui dénoncer les doigts tachés d’encre qui cassaient un carreau pour
écrire l’obscurité en blanc
Retour de la nuit qu’on n’attendait plus
Comment retrouver les objets perdus du temps que la mère était mère
qu’elle écartait les murs des deux mains pour nous voir
que nous dormions porte ouverte pour compter la lune avec des doigts
tachés d’obscurité

Les maisons tristes vivent longtemps clamait un passant qui nous


connaissait d’hiver et d’été
Et on le suppliait d’entrer en nous
de colorer les joues du pommier
de museler la mère qui criait au loup dès que le brouillard se mettait en
marche vers son miroir de poche
et qu’elle se perdait de vue
Maison noire de chagrin
L’homme qui a escaladé le fleuve jusqu’à la source frappe l’eau
chasse les berges jusqu’à l’embouchure
Ramène entre ses dents la femme qui a assombri ses murs avec la suie de
ses cheveux
Demain il déviera son sang à coups de serpe vers le champ mitoyen
qu’il arrose le seigle rouge du voisin
Tu goûtes sur le bout du doigt le brouillard qui défonce ta porte
Insipides les bribes de ciel effiloché
Sa reptation inquiète ta clôture
Arrivée plus tôt que prévue la pluie le piétine des deux pieds

Pluie quotidienne comme le pain


pluie ménagère secouée comme un tapis
vieillie dans les cuves d’octobre
ses mains blanches sur ta nuque sont d’une douceur à briser les pierres
Tu manges crue la terre autour de ton cerisier pour lui rendre l’appétit
perdu depuis la chute de ses cheveux
Tu le gaves de cerises achetées chez l’épicier
lui prêtes ton peigne en corne et ton calendrier
le maries à tes trois filles
mais te fâches lorsqu’il te demande d’élaguer tes bras en même temps que
ses branches
les bourgeons sangs mêlés d’Avril donneront du panache au printemps
laisse la nuit hurler toute la nuit
la neige prévue pour ce soir te consolera de sa noirceur
tu te hisses sur nos épaules pour retrouver ton reflet dans le macadam et
chantes plus haut que la pluie
ceux qui te prennent pour un rossignol te jettent graines et regrets
jettent de la terre pour combler tes fêlures
t’allument t’éteignent comme si tu étais cierge
allumette
amulette portée autour du cou
Tu cherches la lune sur tes étagères
Dans ton grenier sous ton lit
Ton voisin qui a l’âge de son prunier l’a clouée hier sur sa lucarne
La lune dit-il est un miroir de poussière du sable sur du sable
Une bulle de savon
Un carreau fêlé par un jet de cailloux

La lune a la tristesse des trains arrêtés sur les rails


Tu résistes à la spirale qui te traîne en profondeur
Qui a décrété les uns en haut les autres en bas et les âmes récalcitrantes
dans l’entre-deux
La terre que tu épluchais te tient en grande estime
Insignifiant l’eucalyptus de la place comparé à ta pelle
Inutile la forêt comparée à ton basilic
Le soleil serait moins soleil si tes volets s’ouvraient à l’ouest
Cabri sur un rocher l’homme assis sur les genoux de la femme
elle le soulève jusqu’au noyer
noue ses membres en fagot
allume un feu sous ses aisselles
l’enfume
l’enjambe pour porter secours aux oisillons
trois orphelins
la mère a déserté le nid pour on ne sait quelles raisons
Jamais soleil couchant n’a emporté une tuile une clôture ou le moindre
seuil
un soleil digne de ce nom disparaît avec ses seuls rayons qui s’effritent
lorsqu’il bascule cul en l’air
cousue de fil blanc la lune qui le remplace
remplie à ras bord de cailloux et pas la moindre marguerite à effeuiller
selon les astronautes
que dire d’une terre où les volcans n’ont pas de nom
ils sont juste des volcans
Adossé à la porte fermée
Tu cherches la clé sous la pierre semblable à mille autres pierres
laquelle renverser sans déclencher la panique des lézards et la colère des
fourmis céréalières
Tu invoques l’esprit des lieux pour qu’il te protège des âmes en souffrance
et des coyotes
comment retrouver le lit du fleuve et les draps tendus entre les berges avec
quelle eau laver ton absence
le puits réservé aux abeilles et
le vent qui creuse sous tes pieds ne peut t’être d’aucun secours
Tu mesures le temps par les distances parcourues depuis ton retour en ce
lieu alors que le temps n’est ni ligne droite ni cercle
Tu humes les murs à la recherche du cri de l’encrier
des fragments de la vieille lampe
Ignorant que les années aux longues jambes t’ont devancé dans cette
chambre
l’ombre qui dessine une maison ouverte aux ronces n’est pas crédible

Ah ! Ces sons inaudibles chaque fois que tu retournes ta peau pour te


retrouver
Tu donnes origines et responsabilités aux objets qui te suivent
L’arrosoir était théière dans une autre vie
Le crayon à papier cyprès de cimetière
Le parapluie chauve-souris
La pluie sur ta vitre réclame le cahier trouvé dans la décharge
Comment savoir ce que
dit l’envers des pages
Si voyelles et consonnes arrivent à cohabiter et si les mots sont morts
d’une insuffisance d’écriture depuis que l’alphabet est un ramassis de
sons
Tu reflues chaque fois qu’une pelle épluche la terre
Le tronc de l’orme est ton corps amaigri
l’indécision du feuillage tes gesticulations
tu parles une langue de colère qui fait peur aux vieilles roses mais pas au
vent
il casse sur son genou l’arbre qui enjambe et renverse la haie d’une
chiquenaude la maison du loup
Les nids vides partagent la nostalgie des maisons désertées et la solitude
des grilles plantées en plein champ
l’oiseau sans toit devrait signer un contrat de non-belligérance avec le vent
reconstruire à l’identique ou creuser son nid en terre bienveillante
mitoyen d’un terrier
Comment pleurer dans une langue qui n’est plus la tienne
quel nom donner aux murs non imprégnés de ta sueur

Adossé à la porte fermée tu invoques l’esprit des lieux pour qu’il éloigne
les âmes en souffrance et les coyotes
La clef est sous une pierre analogue à toutes les pierres
tu cherches à tâtons le lit du fleuve où dormir et les draps tendus entre les
berges
quelle pierre soulever sans susciter la panique des lézards et sans
éparpiller le peuple peureux des fourmis
le vent tu le sais ne peut t’être d’aucun secours
fâché avec l’eau
le puits qu’il creuse depuis des siècles est rempli de ta voix
le dormeur peut rêver tout son saoul l’espace est assez vaste pour absorber
ses rêves
la femme vue de dos dans son sommeil est une outre d’incompréhension
elle va dans les livres comme on va à l’herbe
le sécateur dans une main
le silence dans l’autre
entre dans la page sans frapper
remplace un mot par un cri
essuie la sueur d’un autre
croise des voix flétries
s’essuie les pieds dans la marge

mur impénétrable son dos lorsqu’elle sort du livre


celui qui se tordait les mains face à l’arbre foudroyé renaît épouvantail des
champs
un vent assidu peigne ses cheveux de ficelles et de paille
une pluie maternelle lave sa tête grouillante de moineaux malpropres
il rit jaune quand le colza se proclame soleil végétal
pleure noir sur la neige qui déchire son manteau de parade
en fait une serpillière
un perchoir pour corbeaux ordinaires
son squelette réduit à de deux bâtons
La grande maigreur du peuplier sied à ta silhouette
moins entravé tu écarterais l’hiver des deux mains pour voir si ta peau se
prolonge en écorce et si le pivert y a creusé des trous identiques
tes mains silencieuses croient applaudir les performances des feuilles
tes pieds cousus croient suivre les déambulations de l’ombre qui s’épaissit
ta voix comme au fond d’un puits lorsqu’une scie s’active
tu as tort de relier la mort du moineau à l’orage qui a dévasté ton jardin
l’orme calciné la toiture envolée la haie démantelée n’ont aucun lien avec
les plumes sur ton seuil
inutiles les trous que tu ne cesses de creuser
superflue la terre retournée les deux bras enfoncés dans la boue
jusqu’aux coudes
un oiseau s’enterre dans l’air de ses propres mains
sans pelle ni regrets
avec l’approbation du paysage qui rit sous cape derrière ton dos en te
voyant ahaner
Tu goûtes sur le bout du doigt le brouillard qui s’entasse à ta porte prêt à
la défoncer
insipide et sans goût les bribes de ciel effilochées
sa reptation insidieuse inquiète ta clôture et t’isole du monde
la pluie arrivée plus tôt que prévu le piétine des deux pieds pluie
saisonnière vieillie dans les cuves de septembre
pluie ménagère secouée comme tapis sur les rambardes de l’horizon
promenée en ficelle par les enfants
ses mains blanches sur ta nuque sont d’une douceur à briser les pierres
Y a-t-il un endroit au monde sans paysage
avec un arbre seul qui mange ses fruits et jette les épluchures par-dessus
son épaule
un lieu pour un homme seul qui se nourrit du silence de l’arbre
exclus ravins montagnes béances aspérités
homme et arbre se suffisent à eux-mêmes
partagent le même espace plat et même suffisance
leur ombre sur l’horizon est d’une telle précision que les oiseaux y font
halte avant de basculer du côté sourd de l’univers
dix ans ont jauni le chemin en contrebas de la maison
la fillette aux jambes d’allumettes qui guettait ton retour devenue mère de
trois cerisiers et d’une portée de chats
ses sanglots défoncent la porte quand le vent ramène une odeur de tabac au
miel
quand le feu qu’on croyait assoupi esquisse une silhouette
comment croire des flammes qui dessinent la chose et son contraire
à travers la grille du miroir
tu réclames le témoignage d’une libellule d’une feuille d’érable d’une
éclaboussure de soleil
déchiffrer ta buée n’est pas à notre portée
nous t’avons fourni l’affliction nécessaire à ton bien-être

quel impact auraient la libellule la feuille d’arbre sur le déroulement de ce


que tu n’es pas
un gâchis le soleil pour tes mains qui serrent des ténèbres
Y a-t-il un lieu sans paysage
Avec un arbre seul qui mange ses propres fruits
Un lieu pour un homme seul qui se nourrit du silence de l’arbre
Exclus ravins montagnes béances aspérités
Homme et arbre se suffisent à eux-mêmes
Leur ombre sur l’horizon est d’une telle précision qu’elle induit en erreur
le soleil prêt à basculer du côté sourd de la planète
le frémissement du feuillage dans ta main te conduira à l’arbre
les vibrations du sol sous tes pieds te mèneront à la femme adossée à cet
arbre
les chambres profondes dis-tu s’ouvrent par le haut comme les huches à
pain comme les boîtes de dragées
nul besoin d’allumer des fleurs pour traverser le rien
le mot de passe est le même pour tous
inscrit au dos des pierres
La première marche menait à la prairie où broutaient côte à côte anges et
brebis
la deuxième menait au ravin du diable
une fourmi ouvrait le convoi
la paille entre ses dents remplaçait la boussole
caressé dans le sens du poil le chardon ronronnait
grandioses dans nos guenilles
grandiloquents face à la cascade
les points cardinaux nous obéissaient au doigt et à l’œil
le vent à quatre pattes retrouvait la boucle d’oreille le cœur égarés
tu résistes à la spirale qui te traîne en profondeur
qui a décrété les vivants en haut
les morts en bas et
les âmes récalcitrantes dans l’entre-deux
la terre que tu jouais à pile ou face avec ta pelle te tient en grande estime
insignifiant l’eucalyptus de la place comparé à ton balai
aucune commune mesure entre le basilic de ta fenêtre et la luzerne du
voisin
le soleil serait moins soleil si tes volets ne s’ouvraient à l’est et si les
fumées
de ta cheminée n’indiquaient la direction du vent
jamais soleil couchant n’a emporté une tuile un caillou une chèvre
un soleil digne de ce nom meurt seul
rayons pliés par le même rite tel linge de famille dans les armoires
anciennes
s’en va appauvri d’un coup
or dilué dans l’océan
remplacé par une lune cousue de fils blancs
remplie à ras bord de cailloux et pas la moindre marguerite à effeuiller
disent les astronautes
que dire d’une terre où les volcans n’ont pas de nom
ils sont juste des volcans
tu projettes ton image parmi les passants comme le ferait un montreur
d’ombres
reconnais la femme à son odeur d’herbe froissée
l’enfant à son odeur d’oiseau
ils marchent au soleil alors qu’il pleut autour d’eux
le rire de l’enfant tressaute sur ton épaule
il est seul à te voir mais ne sait quel nom donner à cette chose qui change
sans cesse d’apparence
tantôt tache d’humidité sur le pavé tantôt cercle de lumière qui se déplace
sans raison
LES MÈRES ET LA MÉDITERRANÉE
Tout détruire criaient les mères du haut des terrasses
Tordre les réverbères
Faire mordre poussière aux arbres
démanteler l’échelle la poupée le hamac de l’araignée
les enfants joueront avec la Mer
apprendront l’addition sur les cadavres entassés sur les trottoirs
la soustraction sur les arbres décapités
l’œil ramassé dans la poussière contre un cornet de glace à la pistache
contre un jus de karkadan
le marchand de la corniche échange tout ce qui s’achète et se vend

Les chars sillonnaient la Méditerranée


les mères appelaient morts et enfants à rentrer avant les bombardements
pleuraient sur les terrasses et sur l’épaule de la pluie qui ne pleuvait plus
les mains vertes paillaient le basilic qui sursautait à chaque
déflagration
empaillaient les enfants
Seuls survivants les êtres à plumes disaient les mères
qui tricotaient des ailes aux enfants
puis les poussaient par-dessus les balustrades
vole mon enfant
mon amour
yeux de mes yeux
les récupéraient sur le bitume avec des bleus au cœur
les replantaient dans leur jardin au pied de l’oseille qui guérit les coliques
et calme les appréhensions
vole à l’intérieur du soleil
tu deviendras colibri à dix ans
épervier rouge craint par la tempête quand des poils pousseront sur tes
paumes
vole l’air le sang et tu deviendras franc-tireur
Celui qui épinglait les passants sur le bitume
suivait la trajectoire du soleil
son rire éparpillait le sang du crépuscule

La nuit prévue pour le soir


ses poings criaient sur les portes des femmes seules
l’omelette consommée debout
il retournait à son toit
suppliait la pluie de le diluer en garçon craintif
avec une mère diaphane et une maison herbeuse
un gobelet à son nom suspendu au-dessus de l’évier
Relique
l’éclat d’obus frotté contre le jeans
retour à l’innocence la marguerite effeuillée
tu m’aimes un peu
beaucoup
jusqu’à la mort…
cailloux de Poucet les ossements déterrés sous le bac à sable
lavés sans états d’âme sans larmes
car tout était sec
les pluies comme les cœurs
l’odeur blanche du jasmin fait tituber le combattant accroupi au pied du
muret
sa mitrailleuse a la peau douce des femmes aux seins laiteux
son sang épaissi crie à l’intersection de ses jambes
le trou rouge en plein front de la vieille qui cherche son chat l’écroule de
rire
Elle a ce qu’elle mérite
les chats ne vont pas à la guerre
chats et vieux à l’intérieur
les tueurs à l’extérieur
le pays leur appartient
Sieste à l’ombre de son chariot
le marchand des quatre saisons dort face contre terre
les bombardements font sursauter ses cerises mais le laissent de marbre
la guerre terminée il sera riche d’un cerisier
aura une femme pour lui seul et des enfants frais comme pétales de
magnolia
blancs comme une hostie
Il n’y a rien après la mort
du brouillard sur du brouillard
de la neige sur la neige
un temps circulaire
criait un macchabée
mais personne ne le crut
grand effroi des réverbères lorsqu’il marcha
les cheveux des palmiers blanchirent d’un coup
un train se coucha sur les rails
la vieille qui aimait voir mourir les gens criait à l’imposteur et
le maraîcher dont il traversa le verger se pendit à un plant de tomates
un temps pour travailler la terre un temps pour s’y reposer clamait le
maraîcher
Des concombres dodus comme doigts de bébé
des petits pois ronds comme des fossettes
des haricots rutilants comme boucles d’oreilles
les recettes échangées entre les mères faisaient saliver les murs de l’abri
La veuve qui nourrissait son défunt de loukoum et de gingembre lui parlait
dans l’horloge arrêtée
emporte-moi où que tu sois
lucarne de mes yeux
herbe de mon cœur
cadenas de ma maison
redis les mots qui fendaient le matelas et s’envoler l’oreiller
les mots de cristal et de fumée
la pendule n’est pas rapporteuse et le franc-tireur sur le toit te croit parti
en Amérique
Secouer un drap par-dessus la balustrade chassait le franc-tireur et le soleil
taper sur l’écuelle du chat lui donnait la sensation d’être rassasiée
la veuve de l’étage au-dessus des étages marchait sur ses larmes pour
apaiser les brûlures de ses pieds
trèfle à cinq feuilles l’empreinte de ses orteils
bon augure déduisait le goéland debout sur son rocher
la guerre prendra fin avec le retrait total de la Méditerranée
La Méditerranée profita du sommeil des veuves pour se retirer jusqu’à
Nicosie
les enfants qui l’ont vue partir ne l’ont pas retenue
les ailes sur les petites épaules empêchent de courir

Qui es-tu pour me voler mon soleil cria un gamin


le franc-tireur qui ne craignait que les aboiements des chiens
démonta l’enfant pièce par pièce
le rangea dans son sac puis dormit du sommeil du juste
Longue vie à toi franc-tireur fils de la vierge et du menuisier
qui sait distinguer l’utile du futile
le riche du nécessiteux
sauve-nous de l’ennui
sauve le pays de la paix
criait un fou derrière les barreaux
les mots du fou couraient les rues
leurs accents rêches râpaient la peau des arbres
hérissaient les vagues et les plumes au goéland
Minuscule dans son viseur la maison du franc-tireur
sa mère un point mouvant sur le seuil
balai dressé sur son manche le jujubier dépouillé de ses feuilles
l’odeur de méchoui au cumin fait tituber l’air
viande d’agneau persil haché oignon vert
le franc-tireur échangerait sa kalachnikov contre une pincée d’amour et de
cumin
La fille dans son viseur avait marché sur son ombre
la déflagration écartèle robe et poitrine
le franc-tireur suivra son enterrement de son toit
trois salves tirées pour sa mise en terre
troueront trois nuages feront saigner l’air

Demain
Le franc-tireur cassera sa kalachnikov sur son genou comme une paille
Demain
il échangera sa vie contre un plat de lentilles au cumin
et une rasade de raki
Dans l’abri
On parle d’une armée d’arbres prêts à envahir le pays
copeaux hargneux d’hommes et d’écorces
ils escaladeront les femmes et les échelles
planteront des enfants verts à l’intersection des hanches
enfumeront les ruches jusqu’à carbonisation complète de la reine
dépèceront les hommes et le bourdon
Un temps d’abstinence et d’austérité
les doigts amaigris ne retiennent plus les bagues
les veuves qui remuent le fond marin avec des bâtons
exhument des algues silencieuses et des noyés mécontents
Refoulés vers le large les époux morcelés
leur peau ridée plaide contre eux
et ce qu’on prend pour diamant est sel pétrifié entre deux cils
il y a trop de noyés à compter
Fatiguées d’essorer leurs serpillières dans la Méditerranée
les veuves dorment contre les murs
sur leur propre épaule
le cierge sur le seuil chasse le mort indésirable

Miaulements de chats et de nouveau-nés


les mères sont des femmes criées
La canicule fait ondoyer le bitume
la mer visible des terrasses avale ses vagues de travers
ses coquillages insultes à une terre belliqueuse
Les pluies ont dilué le pays
il y a une autre terre sous la terre
une autre mer sous la mer disent celles qui balaient la mer
des trésors dignes d’un palais de sultan
escarpin de concubine noyée
trône d’empereur qui incendia sa ville
vaisselle de mandarin chinois
bâton de maréchal
collier de chien
la Méditerranée rend ce qu’on lui prête
les balayeuses font reluire leurs cuivres et le sémaphore d’Alexandrie avec
le même mélange de cendre et de citron
Il neige sur la Méditerranée
Les flocons effacent la guerre
Les morts ne donnent plus de leurs nouvelles
les veuves vivent à reculons
le jour qui entre par effraction dans les abris coule comme du lait
les chats le lapent sur les dalles puis s’essuient le museau sur une tache de
soleil

Le cadavre d’un chat au milieu de la chaussée


Donne la nausée au franc-tireur
Accroupi sur son ombre
Il regarde l’arbre absent et le nid posé sur l’air
La guerre terminée
Il se retirera dans un nid
La voix des mères appelant chats et enfants raye les nuages
Suspend un vol d’hirondelles au-dessus du minaret
« Mangez pour grandir » disent-elles aux enfants morts
mangez pour devenir aussi grands que l’échelle
Un pain lumineux pour l’enfant obscurci
Un pain terreux pour l’homme qui a labouré la mer semé sa rage entre
deux vagues
sûr de récolter les noyés nécessaires pour sa provision d’hiver
il neige dans la bouche des canons et dans les poulaillers
la neige touillée se mange crue
le chant du muezzin mue en stalactites
c’est par les orteils qu’on devient fou le reste suit

Monceau de sel sur la digue les appels des femmes


le ressac ramène des noyés rabougris et des livres qui ont doublé de
volume
le vent prévu pour demain séparera les pages
rendra à leur destin les mots qui criaient dans les profondeurs
Dans l’église qui a perdu son toit
On brûle des cailloux dans l’encensoir
On lave linge et enfants dans le baptistère
Demain Halloween
Les tueurs plieront leurs ailes évanescentes pour traverser le portail

les jours de la Méditerranée sont comptés


Vidée de son eau
elle est entassement de carcasses et d’arêtes
Les marins cherchent son reflet dans les nuages
le franc-tireur la voit dans les yeux de sa mère qui sait à l’odeur qu’il a tué
Bienvenue à l’enfant qui remplace l’enfant dit-elle
Et elle l’habille en fille
Aux femmes vieillies dans les abris
On construit un pays au-dessus du pays
Des maisons qui tournent le dos aux vagues qui défonçaient les portes
traînaient par les cheveux celles qui s’accrochaient à leurs cris
© Mercure de France, 2015.
DU MÊME AUTEUR

LES INADAPTÉS, roman, Le Rocher.


AU SUD DU SILENCE, poèmes, Saint-Germain-des-Prés.
TERRES STAGNANTES, poèmes, Seghers.
LES OMBRES ET LEURS CRIS, poèmes, Belfond. Prix Apollinaire.
DIALOGUE À PROPOS D’UN CHRIST OU D’UN ACROBATE, roman, E.F.R.
QUI PARLE AU NOM DU JASMIN, poèmes, E.F.R.
LE FILS EMPAILLÉ, roman, Belfond.
UN FAUX PAS DU SOLEIL, poèmes, Belfond. Prix Mallarmé.
MONOLOGUE DU MORT, poèmes, Belfond.
FABLES POUR UN PEUPLE D’ARGILE, poèmes, Belfond.
VACARME POUR UNE LUNE MORTE, roman, Flammarion.
LES MORTS N’ONT PAS D’OMBRE, roman, Flammarion.
MORTEMAISON, roman, Flammarion.
BAYARMINE, roman, Flammarion.
LA MAÎTRESSE DU NOTABLE, roman, Seghers. Prix Liberatur.
LES FUGUES D’OLYMPIA, roman, Régine Desforges / Ramsay.
LES FIANCÉES DU CAP-TÉNÈS, roman, Lattès. (Poche Hachette.)
ANTHOLOGIE PERSONNELLE, poèmes, Actes Sud. Prix Jules Supervielle.
LA MAESTRA, roman, Actes Sud. (Babel.)
UNE MAISON AU BORD DES LARMES, roman, Balland.
PRIVILÈGE DES MORTS, roman, Balland.
ELLE DIT, poèmes, Balland.
LA VOIX DES ARBRES, poèmes pour enfants, Cherche-Midi.
LEÇON D’ARITHMÉTIQUE AU GRILLON, poèmes pour enfants, Milan.
COMPASSION DES PIERRES, poèmes, La Différence.
ZARIFÉ LA FOLLE, nouvelles, François Jannaud.
ALPHABETS DE SABLE, poèmes, illustrés par Matta. Tirage limité. Maeght.
ILS, poèmes, illustrés par Matta. Tirage limité. Amis du musée d’Art moderne.
VERSION DES OISEAUX, poèmes, illustrés par Velikovic, François Jannaud.
LE MOINE, L’OTTOMAN ET LA FEMME DU GRAND ARGENTIER, roman, Actes Sud. Prix Baie des Anges. (Babel.)
QUELLE EST LA NUIT PARMI LES NUITS, poèmes, Mercure de France.
LA MAISON AUX ORTIES, roman, Actes Sud.
SEPT PIERRES POUR LA FEMME ADULTÈRE, roman, Mercure de France.
LES OBSCURCIS, poèmes, Mercure de France. Grand prix de poésie de l’Académie française 2009.
LA REVENANTE, roman, Archipel.
LA FILLE QUI MARCHAIT DANS LE DÉSERT, roman, Mercure de France.
OÙ VONT LES ARBRES, poèmes, Mercure de France. Goncourt de la Poésie 2011.
LE FACTEUR DES ABRUZZES, roman, Mercure de France.
CHERCHE CHAT DÉSESPÉRÉMENT, roman, Écriture.
LA FIANCÉE ÉTAIT À DOS D’ÂNE, roman, Mercure de France.
Cette édition électronique du livre
Le livre des suppliques de Vénus Khoury-Ghata
a été réalisée le 28 janvier 2015 par les Mercure de France .
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 9782715237858 - Numéro d’édition : 276635)
Code Sodis : N68540 - ISBN : 9782715237865
Numéro d’édition : 276636
Le format ePub a été préparé par PCA, Rezé.
Table of Contents
Couverture
Titre
Exergue
Le Livre des suppliques
Que ceci soit vrai ou...
S’il faut croire la rumeur...
Faut-il te rappeler que tu...
Admettons que ta disparition était...
Admettons que tu as fait...
Mange à l’endroit et à...
La grande maigreur du peuplier...
Tu es démuni face aux...
Ça s’est passé un jour...
Celui qui pénètre par effraction...
Peu importe que tu sois...
Celui qui marche derrière l’arbre...
Tu poses le paysage tel...
Quelle couleur a la terre...
le bruit des branches te...
Tu cours derrière toi-même et...
Même odeur de cendre de...
Tu te tiens aux quatre...
Dormir porte ouverte à l’obscurci...
Tu enjambes la muraille silencieuse...
Ton désarroi face à la...
l’exiguïté des lieux limite tes...
Les visages alignés sur les...
Tu ne fais pas la...
Une poignée de terre rouge...
Tu guettes l’instant où le...
Lucarne ta bouche qui s’ouvre...
Les fumées du sommeil obscurcissent...
Tu crois faire partie des...
Les arbres qui défilent le...
tu bénis la fissure qui...
Comment retrouver le paysage étroit...
Tout te parle de départ...
Les pierres de ton jardin...
Tu guettes les couples dans...
Qui retrouve le temps perdu...
À quoi ressemblent-ils de l’autre...
la femme que tu rejoignais...
Qui est-elle cette femme qui...
Qui est-il cet homme bras...
Dans ton livre il y...
tu guettes une trouée dans...
Tu descends d’un nuage comme...
Retourne-toi sur ta couche pour...
la terre déborde de réminiscences...
L’ombre du figuier sur ta...
l’odeur de chat sur ton...
Comment retrouver le cercle lumineux...
Tu es le feu qui...
Tu deviens riche lorsque l’obscurité...
Le violoniste joue pour le...
Tes appels se faufilent dans...
Il convient de mettre de...
Mets de l’eau dans ta...
Quel âge avait la terre...
Tu as tort de relier...
Tu mesures le temps par...
Tes appels donnent froid aux...
Le figuier de ton jardin...
Écris sept fois le nom...
Tu projettes ton image dans...
Celle absente de la photo...
Il fait hiver dans ses...
Elle croit le voir sur...
Il escalade la femme de...
Celle qui a dévalé la...
Le brouillard craché par le...
Il aligne ses cailloux sur...
Il arrive au jardin de...
Quelqu’un a vu le rouge-gorge...
Quand on a hérité d’une...
Faut-il commencer par la fin...
maison plus vaste que le...
Jetés sans ponctuation sans majuscules...
l’enfant qui crie de bas...
La flaque d’eau sur le...
Les cartables étaient assez grands...
Friables les chevilles de la...
La lucarne reflétait les humeurs...
Désarroi du passager qui s’attarde...
Retour de la nuit qu’on...
Maison noire de chagrin...
Tu goûtes sur le bout...
Tu manges crue la terre...
laisse la nuit hurler toute...
Tu cherches la lune sur...
Tu résistes à la spirale...
Cabri sur un rocher l’homme...
Jamais soleil couchant n’a emporté...
Adossé à la porte fermée...
Tu mesures le temps par...
Tu donnes origines et responsabilités...
Tu reflues chaque fois qu’une...
Les nids vides partagent la...
Comment pleurer dans une langue...
le dormeur peut rêver tout...
celui qui se tordait les...
La grande maigreur du peuplier...
tu as tort de relier...
Tu goûtes sur le bout...
Y a-t-il un endroit au...
dix ans ont jauni le...
à travers la grille du...
Y a-t-il un lieu sans...
le frémissement du feuillage dans...
La première marche menait à...
tu résistes à la spirale...
jamais soleil couchant n’a emporté...
tu projettes ton image parmi...
Les mères et la Méditerranée
Tout détruire criaient les mères...
l’œil ramassé dans la poussière...
Seuls survivants les êtres à...
Celui qui épinglait les passants...
Reliquel’éclat d’obus frotté contre le...
l’odeur blanche du jasmin fait...
Sieste à l’ombre de son...
Il n’y a rien après...
La veuve qui nourrissait son...
Secouer un drap par-dessus la...
La Méditerranée profita du sommeil...
Longue vie à toi franc-tireur...
Minuscule dans son viseur la...
La fille dans son viseur...
Dans l’abriOn parle d’une armée...
Un temps d’abstinence et d’austéritéles...
Fatiguées d’essorer leurs serpillières dans...
Les pluies ont dilué le...
Il neige sur la Méditerranée...
La voix des mères appelant...
il neige dans la bouche...
Dans l’église qui a perdu...
Aux femmes vieillies dans les...
Copyright
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Table of Contents
Titre
Exergue
Le Livre des suppliques
Que ceci soit vrai ou...
S’il faut croire la rumeur...
Faut-il te rappeler que tu...
Admettons que ta disparition était...
Admettons que tu as fait...
Mange à l’endroit et à...
La grande maigreur du peuplier...
Tu es démuni face aux...
Ça s’est passé un jour...
Celui qui pénètre par effraction...
Peu importe que tu sois...
Celui qui marche derrière l’arbre...
Tu poses le paysage tel...
Quelle couleur a la terre...
le bruit des branches te...
Tu cours derrière toi-même et...
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Tu te tiens aux quatre...
Dormir porte ouverte à l’obscurci...
Tu enjambes la muraille silencieuse...
Ton désarroi face à la...
l’exiguïté des lieux limite tes...
Les visages alignés sur les...
Tu ne fais pas la...
Une poignée de terre rouge...
Tu guettes l’instant où le...
Lucarne ta bouche qui s’ouvre...
Les fumées du sommeil obscurcissent...
Tu crois faire partie des...
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Les pierres de ton jardin...
Tu guettes les couples dans...
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À quoi ressemblent-ils de l’autre...
la femme que tu rejoignais...
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Qui est-il cet homme bras...
Dans ton livre il y...
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Le violoniste joue pour le...
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Il convient de mettre de...
Mets de l’eau dans ta...
Quel âge avait la terre...
Tu as tort de relier...
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Le brouillard craché par le...
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Il arrive au jardin de...
Quelqu’un a vu le rouge-gorge...
Quand on a hérité d’une...
Faut-il commencer par la fin...
maison plus vaste que le...
Jetés sans ponctuation sans majuscules...
l’enfant qui crie de bas...
La flaque d’eau sur le...
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Friables les chevilles de la...
La lucarne reflétait les humeurs...
Désarroi du passager qui s’attarde...
Retour de la nuit qu’on...
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Tu manges crue la terre...
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Tu résistes à la spirale...
Cabri sur un rocher l’homme...
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Tu mesures le temps par...
Tu donnes origines et responsabilités...
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Tout détruire criaient les mères...
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