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Société

Monde grippé, poules mouillées :


la peur de la contagion dans un
monde globalisé
 PAR Gaëtan THOMAS et Frédéric VAGNERON

Date de publication • 22 mai 2011


Temps de lecture estimé • 29 minutes

Un monde grippé
Frédéric Keck
2010
Flammarion
350 pages

Dans "Un monde grippé", l'anthropologue Frédéric


Keck analyse au prisme des relations hommes-animaux la
façon dont le monde s'est préparé à la grippe H5N1.

Les virus grippaux, à l’instar du H5N1 réapparu en 2005, ont ceci


i
d’exemplaire qu’en franchissant la barrière des espèces , ils
révèlent les liens inquiétants qui enserrent les hommes avec les
animaux. Ils constituent donc pour un chercheur comme Frédéric
Keck, attentif aux rapports entre nature et culture, à la
transformation d’un événement biologique en "catastrophe
politique", un objet de prédilection.

Loin de considérer que les pandémies contemporaines rejouent les


pestes moyenâgeuses, Frédéric Keck s’intéresse à la grippe H5N1
i
comme un problème du monde moderne , inséré dans un
dispositif de contrôle de la nature. Ce faisant, l'auteur d’Un monde
grippé a parcouru le monde pour y pratiquer une anthropologie de la
modernité, cherchant à analyser des "processus globaux à partir de
i
phénomènes toujours localisés" , dans la lignée de Paul Rabinow

dont il est un disciple. L’ouvrage restitue une enquête menée sur de


nombreux terrains, de l’Argentine à la France, en passant par les
Etats-Unis, le Japon et le Cambodge. Parmi ces terrains, Hong Kong
constitue le cœur de l’étude.

L’anthropologue veut montrer comment la "vieille" notion de


contagion, et les mesures prophylactiques associées, ont été
modifiées par un déplacement des frontières entre les mondes
humains et animaux, déplacement effectué au gré des crises
sanitaires, de l’évolution des savoirs scientifiques et de l’émergence
d’acteurs internationaux (OMS, FAO, OIE). Le "grand partage" entre
les hommes et les animaux, en plus de disparaitre (Latour), s’est
trouvé profondément mo(n)difié, faisant émerger de nouveaux
acteurs, lieux et politiques stratégiques : les lieux "sentinelles", les
politiques de "préparation", les experts. Le concept de biosécurité
i
, inspiré de la question biopolitique travaillée par Foucault est le
"détour" qui permet à Keck de penser cet agencement inédit. Ces
carnets de voyage visent à décrire la constitution disparate de la
biosécurité dont les manifestations concrètes se déclinent
localement dans les dispositifs de surveillance et les figures de
l’expert.

Ainsi, pour Frédéric Keck, notre représentation de la pandémie de


grippe aviaire est tributaire de la lecture "biosécuritaire" qu’en font
les experts. Ces derniers sont au centre de la chaîne d’acteurs
concernés par la pandémie, des éleveurs, aux marchands, chefs
d’entreprise et responsables de santé publique. Médiateurs situés à
l’intersection de deux axes, selon la représentation de l’auteur -l’un
allant du biologique au politique, de l’émergence du virus à la
catastrophe sanitaire, l’autre de la production des volailles à leur
consommation, des animaux aux humains- les experts
proposeraient une lecture dominante, mais conflictuelle, de la
pandémie.

Pourtant, c’est la diversité des significations anthropologiques

données par les sociétés à ce nouvel ordre des relations homme-


animal qui semble intéresser Frédéric Keck. L’ouvrage navigue entre
ces deux polarités, d’un cadre théorique fondé sur la biosécurité
donnant sa structure globale à l’enquête, à un souci pour les sites et
sujets locaux qui donnent vie et sens à ce cadre nouveau. Keck fait
un petit détour par l’histoire de l’anthropologie française dont il est
i
un spécialiste reconnu , en rappelant que le vœu réitéré d’en
revenir aux perceptions localisées des personnes, à leur "mentalité
primitive" dirait Lévy-Bruhl, est difficilement réalisable. C’est
pourquoi l’analyse de la structure des significations, chère à Lévi-
Strauss, autre figure tutélaire de Keck, est plus opératoire.

En France, la crise de la vache folle est à l’origine d’une


reconfiguration des rapports hommes-animaux (p.30-41) que décrit
l’auteur à travers la restitution de son observation participante à
i
l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA ).
Keck fait des remarques éclairantes sur la difficulté de pénétrer les
débats de l’Agence (problème d’accès, débats scientifiques qui ont
lieu ailleurs, etc.). Il suggère que la centralisation organisationnelle
d’une telle structure n’entraîne pas davantage de transparence et
empêche probablement l’émergence des sujets critiques. Pourtant,
loin d’être limités à des enjeux strictement techniques, les débats
accueillis par l’AFSSA engagent la société dans son ensemble. Le
caractère paradigmatique de la crise de la vache folle provient de
l’intrusion de la santé humaine dans la gestion d’un problème
initialement animal : le prion a remis en cause la vielle alliance
i
entre la médecine vétérinaire et l’État français .

Le cœur de l’enquête, la gestion de la grippe aviaire, est la suite


logique de l’enquête menée à l’AFSSA. L’auteur a été accueilli de
2007 à 2009 à Hong-Kong par le Centre d’étude sur la Chine
contemporaine. Dans le contexte asiatique, la crise du SRAS de 2003
est l’événement fondateur, analogue à la crise de la vache folle, dans
lequel s’inscrit la pandémie grippale. Keck travaille successivement,
par observation et par entretien, avec les chercheurs de l’université
de Hong-Kong, ceux de l’Institut Pasteur, des responsables de la
santé publique et de l’agriculture, les membres de l’Association des
observateurs d’oiseaux, l’Association bouddhiste de Hong-Kong, les
adeptes du lâcher d’oiseau, il visite la réserve naturelle de Mai Po et
enfile même une cotte de fermier dans une "ferme modèle". Des
reconfigurations locales entraînées par la grippe apparaissent : le
lâcher d’oiseau est remplacé par les chants, l’observation de
volatiles en cages dépérit progressivement.

L’anthropologue passe ensuite en Chine, dans la province de Canton.


Il suit l’évolution d’un foyer de grippe aviaire, réalise des entretiens
avec un représentant du Bureau de l’agriculture, un entrepreneur
français, visite les marchés de volailles vivantes. Keck analyse le
scandale local du lait contaminé, dont Hong-Kong s’est fait le
rapporteur auprès de l’OMS et du reste du monde, rejouant l’axe
décrit entre production et consommation. Il repart à Hong-Kong,
décrit la manière dont le petit commerce de la volaille a pâti des
règles sanitaires et comment les grossistes ont grossi. Aller-retour
entre Hong Kong et la Chine pour décrire deux logiques d’adaptation
au risque : "En traversant la frontière qui séparait Hong Kong et
Canton, je voyais s’inverser le soutien public accordé à l’agriculture
et à la santé dans la prise en charge de la grippe aviaire" (p. 96). Ces
deux logiques tendent à se rapprocher : en votant la loi sanitaire de
2009, les autorités chinoises ont donné un avantage à la santé
humaine sur la santé animale, en théorie du moins.
Envolé pour le Japon puis le Cambodge, l’anthropologue décrit le jeu
entre les injonctions internationales à la biosécurité et les
problématiques locales, s’appuyant sur un parallèle avec les formes
de l’activité juridique – dont les normes sont calquées sur celles de
la justice internationale – dans un pays jugeant les acteurs du
génocide. L’auteur déploie un raisonnement analogique,
rapprochant les pandémies grippales des évolutions politiques et
doctrines religieuses. C’est ce même raisonnement analogique qui
l’amène à comparer une ferme de volailles à un hôpital, et plus loin
la pandémie grippale à une grève. Les hypothèses sont
intéressantes, il semble toutefois que les traits partagés entre les
deux éléments des analogies restent minces.

Revenu de ses terrains, Keck mobilise la notion de mythe ("pour


décrire cette gestion de l’incertitude dans un horizon de
totalisation", p. 289) afin de cerner dans un même mouvement
l’instabilité des relations hommes-animaux, l’horizon
catastrophique de la pandémie, synonyme de la possibilité d’un
"arrêt du monde", et les formes de la critiques face à ces dispositifs
biosécuritaires. Ainsi, "plutôt que de décrire le mythe de la
pandémie comme une idéologie globale portée par des acteurs
mobiles aux intérêts particuliers, j’ai donc commencé par ce lieu
singulier où le mythe s’exprimait à travers ce que Lévi-Strauss
appelle "une intuition intellectuelle" avant de se propager, comme
par contagion, vers d’autres contextes" (p. 299). Alors qu’un auteur
comme Nicholas B. King (p. 291) conclut -en la critiquant- à la
cohérence de la vision du monde suscitée par le paradigme des
maladies émergentes, Keck estime que cette mise en ordre holiste
nécessite une étude de ses effets locaux et des émotions morales
qu’elle provoque. A une approche "par le haut", Keck préfère une
étude pragmatique des sujets critiques révélés par l’événement.

"Un mouvement en spirale" (p.20)


L’ouvrage est foisonnant : il allie une écriture centrée sur
i
l’expérience du chercheur à une méthode d’enquête qui relève de
i
l’ethnographie multi-située . Au miroir des nombreuses
références conceptuelles qu’il mobilise (p. 30), Frédéric Keck retrace
son parcours universitaire et intellectuel, entre philosophie et
anthropologie, traditions française et américaine. C’est à l’aune de
ce parcours qu’il faut lire l’ouvrage et comprendre les terrains sur
lesquels l’auteur nous mène le long d’une demi-douzaine d’années.

En refermant le livre, on est passé de la grève et Sorel, "au riche

cinéma hongkongais" (p. 170), aux tribunaux cambodgiens jugeant


les acteurs du génocide, au "mythe" et à la "biosécurité", à Angkor,
à la grippe espagnole et au séquençage génétique entre wetlab et
drylab qui rappellent à l’anthropologue la distinction entre back et
front office de la finance internationale, de Bergson à Foucault en
passant par Lévy-Bruhl.

La focalisation sur le parcours de l’anthropologue, sur son "je" et


sur les objets hétéroclites qu’il mobilise, déboussole un peu. Le récit
de l’expérience de l’anthropologue s’inscrit dans une stratégie
i
d’écriture ; nous n’en discuterons pas les motivations . Le risque
existe toutefois que l’expérience de l’anthropologue fasse écran à
l’analyse de son terrain, le chercheur devenant le héros de l’enquête
i
à la place de son objet . Quant à la variété des références, le livre
annoncé par l’auteur à la fin d’Un monde grippé devrait y donner un
caractère plus systématique.

À propos de la notion de sentinelle appliquée à Hong Kong

Très rapidement, l’auteur qualifie Hong-Kong de "laboratoire pour


la biosécurité" (p. 47), et c’est précisément l’évidence de cette
caractérisation qui mérite d’être interrogée.

Le terme de sentinelle, utilisé avec ou sans l’adjectif sanitaire,


appliqué à différentes échelles (d’abord à l’ensemble du territoire
hongkongais, puis à une ferme, puis à certains animaux utilisés
comme détecteurs de la maladie p.198) est une notion clé qui motive
le choix du terrain, mais répond à plusieurs définitions parmi
i
lesquelles l’auteur ne tranche pas . Son origine est incertaine : il
s’agit tantôt d’une catégorie forgée par l’analyste dont la généalogie
serait militaire ("La sentinelle ne monte pas seulement la garde en
prévenant du danger ; elle peut aussi tomber la première en donnant
i
l’alerte."), tantôt d’une catégorie propre aux acteurs . Ailleurs
i
, Keck cite un article publié par les experts hongkongais avec
lesquels il s’est entretenu. Les scientifiques eux-mêmes ont recours
à la notion de sentinelle dont la généalogie, dans le contexte
i
présent, est plus directement épidémiologique que militaire .
Frédéric Keck le confirme (p. 27), ce terme est "souvent employé par
les acteurs de la surveillance. La notion de sentinelle ne désigne pas
seulement des "lanceurs d’alerte" […]. Elle désigne aussi un
collectif aux frontières du vivant, dépistant dans une espèce animale
un agent infectieux ou toxique transmissible à une autre espèce […].
Je montrerai que c’est la capacité des experts en microbiologie de
l’université de Hong-Kong à se situer sur cette frontière, dans
l’écologie singulière du sud de la Chine, qui leur a permis de jouer le
rôle de sentinelle sanitaire pour le reste du monde. Je définirai ainsi
une sentinelle sanitaire comme un collectif associant une menace
locale à une frontière naturelle de manière à l’articuler à d’autres
frontières politiques dans un dispositif de sécurité global."

Ainsi, la sentinelle s’inscrit dans un "dispositif de sécurité global"


dont elle est l’avant-garde. On peut toutefois se demander si un
i
certain biais, voire une "fascination" pour les catégories de la
microbiologie n’ont pas influencé le chercheur dans la façon dont il
qualifie Hong-Kong.

Cette fascination apparaît dans la description du rôle historique de


Webster ou de Shortridge. Mais aussi important qu’il aient pu être,
la lecture que Keck propose de leur rôle est fortement liée à la
"virologisation" rétrospective d’une histoire héroïque de la grippe.
Cette construction tend à occulter le rôle des instances qui ont
formulé les savoirs avant leur mise en ordre sous le signe d’une
discipline particulière. Elle occulte ensuite les rapports mouvants
entre virologie et épidémiologie, le rôle de cette dernière discipline
i
est d’ailleurs peu traité par l’auteur .

La surveillance épidémiologique de la grippe précède l’apparition du


concept de biosécurité et du paradigme des maladies émergentes.
Aussi, le lien entre la notion de sentinelle, à l’avant-poste de la
surveillance épidémiologique de la grippe, et l’application d’une
i
politique de préparation ne justifie pas entièrement le "détour"
par la biosécurité. L’auteur semble le reconnaître implicitement
puisque le terme de détour, très présent sous sa plume, lui sert à
qualifier son recours au concept de biosécurité. D’autant que la
biosécurité postule l’existence d’un "ennemi politique" (p. 42).
L’ennemi politique est ici absent, sauf à considérer que la Chine joue
un tel rôle. Keck n’ose pas critiquer frontalement le concept savant
de biosécurité appliqué à Hong-Kong, alors qu’il reconnaît les excès
de cette notion dans le cas de la France (p. 47). Au final, ce détour
par la notion de biosécurité n’empêche t-il pas l’écriture d’une autre
histoire des politiques de préparation , une histoire débarrassée de
"l’ennemi politique", une histoire plus directement attentive à la
prise en charge des "menaces naturelles" sans pour autant en
évacuer son caractère politique ?

La nouveauté des politiques de préparation en santé publique est


sûrement l’objet le plus riche de l’étude de Frédéric Keck. Deux
questions y sont immédiatement corrélées : de quelle manière ces
politiques de préparations sont-elles mises en oeuvre localement et
comment sont-elles perçues par les individus ? L’enquête porte
davantage sur les entrepreneurs locaux de la préparation que sur
ceux qui la subissent. On aimerait d’ailleurs en savoir plus sur la
place des guides de l’OMS dans la préparation aux épidémies, y
compris le rapport de ces guides à la "biosécurité" américaine.
L’étude des sujets sur lesquels les plans sont appliqués est moins
développée, même si la crise fait parfois apparaître dans l’ouvrage
les sujets critiques de ces nouvelles politiques de la nature.

C’est l’un des dangers de l’approche multi-sites de l’anthropologie


du monde moderne qui point : le risque de "perdre" "quelque chose
de la mystique et de la réalité du travail de terrain conventionnel",
basée "sur l’attention au quotidien et sur la connaissance intime des
i
groupes et des communautés de face à face" . Bien que Keck
maîtrise nombre des garde fous méthodologiques caractéristiques de
cette approche (la multiplication des matériaux et des terrains pour
étudier les experts, le recoupement des sources), l’accès direct aux
perceptions des sujets "subalternes" et critiques est manifestement
i
plus difficile à mettre en œuvre .

Quelle forme prendra l’ouvrage à venir de Frédéric Keck ? La


question n’est pas simplement formelle : elle pose le problème de la
"fin" de l’enquête relevant de l’ethnographie multi-située. Où se
situe, aux sens géographique et commun, la "saturation" des
données de l’enquête quand la diversité et la discontinuité des
contextes locaux est la clé de compréhension des dynamiques
mondiales ? La mobilisation face à la "pandémie" de 2009, qui a pris
des formes très différentes à travers le monde, constitue-t-elle la
fin du mythe de la pandémie de la grippe aviaire ? Ou la force
mobilisatrice du paradigme des maladies émergentes va-t-elle se
transformer de nouveau autorisant ainsi une autre étude des
modalités de son renouvellement ? La peur de la contagion -réelle
ou virtuelle- reste un objet de recherche stimulant dont on est loin
d’avoir épuisé la compréhension

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