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du monde musulman
jusqu'au milieu du 11e siècle
Civilisations et Sociétés 7
La géographie humaine
du monde musulman
jusqu'au milieu du 11e siècle
Géographie et géographie humaine
dans la littérature arabe
des origines à 1050
D e u x i è m e é d i t i o n 1973.
Ce livre n'est pas celui qu'il aurait dû être. Ou plutôt, il vient avant celui
auquel on avait initialement pensé. Etudier les géographes arabes, dresser le
panorama de l'Orient musulman au Moyen Age, c'était là une entreprise qu'on
pouvait aborder de deux manières. En historien bien sûr : alors, il fallait
peindre, à partir de ces textes et autant qu'ils le permettaient, le tableau d'un
monde tel qu'il avait existé dans les faits. Mais l'idée était ancienne, les sentiers
déjà battus, soit qu'on ait exploité les richesses de ces œuvres pour éclairer tel ou
tel point particulier de l'histoire de l'Islam, soit que, en une visée plus ambi-
tieuse à laquelle le nom de Maurice Lombard reste attaché, on ait véritablement
voulu écrire l'histoire totale de cet Orient. Certes, il y avait, sur ce terrain
même, encore beaucoup à faire. Mais le labeur du métier d'historien, plus en-
core mon insuffisance en ce domaine, me dirigèrent ailleurs, vers des terrains
qui me paraissaient vierges. Pourquoi, me disais-je, ne pas explorer les oeuvres
de l'intérieur et, au lieu de m'essayer à dégager, à couper d'elles une réalité
objective, celle de l'histoire, pourquoi ne pas prendre ces textes comme un tout,
en les considérant comme témoins non pas tellement d'une réalité que d'une
représentation de celte réalité, en visant, en un mot, non pas le monde recréé
par notre recherche, à mille ans de distance, mais le monde senti, perçu, ima-
giné peut-être par les consciences d'alors ? Qu'était-ce que la mer, un fleuve, une
ville, l'impôt, les frontières, non pas en l'an mil, mais vus par un musulman
de l'an mil ? Plonger au-dedans des textes, participer de leur Weltan-
schauung et, s'agissant de morts, tenter « de saisir ces nuances fugitives de leur
personnalité (qui échappent à l'analyse scientifique, mais qui reçoivent une
valeur du sentiment intuitif de la communication humaine et de l'expérience
de l'amitié) » (Lévi-Strauss), voilà qui m'apparaissait comme une entreprise
exaltante et neuve : qui valait, en tout cas, la peine d'être tentée.
Mais dangereuse aussi : car, pour essayer de comprendre ces textes de l'in-
térieur, il fallait à coup sûr leur appliquer des méthodes d'investigation
éprouvées et sérieuses, mais aussi, pour juger d'eux avec toute la sympathie
nécessaire, garder perpétuellement présents à la pensée les critères auxquels ils
se référaient, les traditions qui les modelaient, les moyens d'expression dont ils
disposaient. En un mot, l'étude des concepts, des idées, des images, supposait
qu'on eût d'abord éclairé le climat dans lequel cette géographie avait pris
naissance et auquel il fallait perpétuellement la rapporter. Par là et par là
seulement, on pouvait éviter le danger des explications littéraires traditionnelles
ou des faux comparatismes, qui nous enferment dans une référence incons-
ciente et constante à notre propre sensibilité.
J'avoue avoir été, à ce point de ma recherche, découragé, presque hésitant :
dans mon impatience à dresser le tableau d'un monde mental que mes premières
lectures me faisaient déjà présager comme passionnant, l'étude préalable à
laquelle je me voyais forcé, sous peine de manquement à la probité, m'apparais-
sait comme un obstacle, ou, pire, comme une redite après les travaux de Ham-
mer-Purgstall, Reinaud, Ferrand, ~Wùstenfeld, Lelewel, de Gœje, Schwarz,
Blachère, Minorsky, Munaggid et de tant d'autres, sans oublier la somme de
toutes ces recherches : la magistrale Littérature géographique arabe de
Kratchkovsky. Ceux qui m'avaient encouragé à entreprendre ce travail me
firent alors remarquer que l'occasion m'était fournie de m'attaquer, par le biais
des géographes, à une étude des formes fondamentales de la culture arabo-
musulmane du Moyen Age. Cette culture s'exprime d'un mot, l'adab, mot-clé,
presque magique et en tout cas fort mal connu, qui recouvre l'ensemble des
comportements sociaux, et en particulier tous ceux qui touchent, justement,
à la culture conçue comme un héritage collectif. Ici encore, partie difficile à
jouer, qui le restera, de toute façon, tant qu'un dépouillement systématique de
tous les textes où ce mot apparaît n'aura pas été mené à bien. Mais à tout le
moins pouvais-je me dire qu'à défaut d'exhaustivité, ma recherche sur les
formes de la culture arabo-musulmane était, vue à travers les géographes, ori-
ginale, rationnelle en tout cas, en ce sens qu'elle porterait sur un ensemble de
textes bien délimités, dont elle pourrait faire un inventaire complet : qu'en un
mot, avec les géographes, je tenais ce que les sociologues appellent une
« population ».
moi seul, qui décidais, ici ou là, selon nos critères d'aujourd'hui, de leur
appartenance.
Il fallait se résigner à l'évidence : la géographie arabe ne montrait en rien
qu'elle fût moindrement consciente de recouvrir trois domaines différents. Ses
titres pouvaient bien, le cas échéant, abuser le chercheur en lui laissant croire à
une spécialisation quelconque, en réalité elle demeurait une science globale,
insécable. Fondamentalement moniste, elle ne séparait pas la terre ni l'homme
des autres créations ou créatures de l'univers, ne traitait pas différemment le
métal de la plante, la ville d'un être vivant, l'homme du cosmos. Je la pris donc
comme elle voulait être : comme un tout.
Pourquoi, dès lors, parler de géographie humaine ? Parce que, pour opposer à
la géographie des savants cette géographie-ci, à la fois totale et littéraire, on
n'a pas trouvé d'expression aussi appropriée. Si l'on veut bien en effet ne pas
la considérer seulement dans le sens strict où nous l'enfermons aujourd'hui,
lorsque nous parlons de géographie humaine, on conviendra, pour trois
raisons, de sa justesse. D'abord, géographie humaine, cela veut dire, certes,
comme on s'y attend, que l'étude qu'on entame par ce livre porte sur des
textes et des thèmes géographiques où les hommes tiennent la meilleure part, et
ce d'autant plus qu'à la diversité et à la richesse de leurs situations et de leurs
activités, la géographie mathématique ou physique n'oppose guère, à quelques
exceptions près, que des stéréotypes.
Mais l'homme déborde ici son propre cadre : géographie humaine, cela veut
dire aussi que l'homme est partout dans la géographie totale, plus exactement
en son centre, puisqu'il est au centre de cette création dont la géographie pré-
tend être comme l'image : centre moral, auquel, d'après l'Islam, toute la créa-
tion est soumise et destinée, centre rationnel et logique, car l'homme est à lui
seul, pour l'Islam comme pour la Grèce, un reflet de l'univers, un microcosme.
Au propre, le monde entier est humain, car il se comporte selon des mécanismes
et des lois que l'homme résume : comme le disent les textes, les mers ont leurs
biles, et la terre vieillit tout autant que nous. Un des thèmes les plus anciens et
les plus essentiels de la géographie arabe, du reste hérité de la Grèce, à savoir
la relation entre le caractère et le comportement de l'homme, d'une part, sa
situation sur la terre et sous un astre, d'autre part, ce thème donc, qui fonde à
lui tout seul toute une géographie humaine, toute une explication de la présence
et des activités de l'homme ici-bas, n'est guère que la réciproque, en mineur, de
ce thème majeur qui veut que, de tout phénomène intéressant la création,
l'homme soit un des termes ou, à tout le moins, l'illustration.
Enfin géographie humaine, cela signifie, à l'opposé de l'esprit désincarné
de la mathématique des étoiles, une géographie faite par des hommes, une
science dont l'homme n'est pas seulement objet, mais sujet. Ici, des êtres vivants
interviennent, transparaissent, avec leur religion, leur philosophie, leurs goûts,
leurs inquiétudes. Les ressorts humains de ceux qui font alors la géographie
Restent les difficultés contre lesquelles on ne peut rien : les textes disparus, les
lacunes dans ceux qui existent, les attributions douteuses, les manuscrits encore
inconnus, qui dorment un peu partout, d'autres repérés, qui attendent la
publication. A défaut de pouvoir les résoudre, j'ai, dans le texte ou les notes,
signalé ces problèmes chaque fois qu'ils se posaient. Ils ne me paraissent pas du
reste, compte tenu du volume des textes dont nous disposons heureusement,
devoir remettre fondamentalement en cause les conclusions auxquelles on est
amené sur l'histoire ou les thèmes de la géographie arabe.
La transcription adoptée pour les mots arabes relève du système dit « serré »,
à quelques variantes près : l' alif maqsûra a été rendu par â et, dans des réfé-
rences empruntées à d'autres auteurs, le qâf (q) a été gardé dans sa transcrip-
tion originelle : k ; le hamza (') n'a pas été conservé à l'initiale. Enfin, quel-
ques mots devenus d'orthographe courante en français, comme Irak, cadi,
Bagdad, ont été maintenus tels quels.
On aura deviné, par les pages qui précèdent, de quels conseils et encou-
ragements je suis redevable : à M. C. Pellat, d'abord, qui a accepté de
diriger ce travail, et l'a fait avec autant d'autorité que de bienveillance; à
MM. R. Blachère et H. Laoust, qui m'aidèrent, avec lui, à choisir ce
sujet ; à M. G. Wiet, qui m'a communiqué plus d'un texte ; mais aussi à
M. F. Braudel, qui a reçu ce livre dans une collection publiée sous le patro-
nage de la V / e Section de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes.
— les auteurs (signalés par une astérisque) dont les œuvres sont perdues
ou connues seulement par des extraits ou de simples mentions qui en sont
faits par les écrivains postérieurs.
Il va de soi que, dans le cas de polygraphes, les œuvres prises ici en
compte, qu'elles soient conservées ou perdues, sont celles-là seules qui
intéressent notre sujet, dans l'esprit défini en A.
C. Les auteurs sont classés par ordre chronologique, selon la date de leur
mort (ou d'autres repères, quand celle-ci est inconnue). Par auteurs, on
entend les créateurs d'une œuvre écrite ou, dans le cas d'une œuvre dis-
parue, présumée comme écrite, et l'on exclut les simples informateurs :
on ne signale pas, par exemple, Hâlid al-Barïdï, informateur de Muqaddasï
(trad., § 123), ni ces prisonniers musulmans de Byzance dont Ibn Hawqal
(p. 195) enregistre les dires. En revanche, on signale, entre autres, 'Umàra
b. Hamza, la distance chronologique entre lui et Ibn al-Faqîh, qui le cite,
impliquant transmission d'une œuvre écrite, ou, a fortiori, ûazâl, séparé
de ses transmetteurs par une distance encore supérieure.
T a m ï m b. B a h r a l - M u t t a w w i ' î . S a n s d o u t e o r i g i n a i r e d e s r é g i o n s f r o n -
t i è r e s d e l ' I s l a m , si l ' o n en c r o i t sa nisba, ee p e r s o n n a g e e s t c o n n u
p o u r a v o i r laissé, d e s p a y s t u r c s d ' A s i e c e n l r a l e , v i s i t é s e n t r e
1 1 3 / 7 6 0 et 1 8 1 / 8 0 0 , u n e d e s c r i p t i o n d o n t on t r o u v e d e s I r a e e s
c h e z I b n H u r d â d b e h , à t r a v e r s l e q u e l o n t pu le c o n n a î t r e d ' a u t r e s
a u t e u r s , n o t a m m e n t Y a q i i t e t , a v a n t lui, I b n a l - F a q ï h ( m a n u s c r i t
de Meshed). Cf. Hudûd al-'âlam, p. 13, 26, 208-26!), 272, 181.
1-AS 'at al-Kindï (q. v.), ce dernier s'inspirant à son tour de "Arrâm
b. al-Asbag (q. v.). Cf. Yâqut, Mu'{jam al-buldân, 1.1, p. 11, traduc-
tion anglaise par W. Jwaideh, The introductory chapters of Yâqût's
Mu'jam al-buldân, Ley de, 1959, p. 11 ; Kratchkovsky, p. 278
(277).
* Merveilles de la mer ('Agâ'ib al-bahr). Ouvrage perdu, cité dans Sûlï,
Abbâr ar-Râdl wa l-Muttaqî, Le Caire, 1935, publ. par J. Dunne,
p. 6. Antérieur à 322/934, puisque RSdï, dans la bouche duquel
Sûlï met cette citation, n'est donné dans l'histoire que comme prince
héritier et qu'il monte sur le trône en 322/934. Cf. Afrmad Amïn,
Zuhr al-Islâm, t. I, p. 27 ; Sauvaget ; Relation, p. X X X , § 3.
* Balbï (Abu Zayd Ahmad b. Sahl al-Balbi). Né vers 235/849-850, mort en
322/934, qualifié par Brockelmann de « fondateur de l'école classique
de la géographie arabe». Compose, vers 308-309/920 ou un peu plus
tard, un atlas commenté du monde de l'Islam, dont la trame s'est
conservée chez les auteurs de masâlik wa l-mamâlik du iv e /x® siècle.
Cf. De Goeje, dans ZDMG, X X V , p. 42-58 ; C. Huart, p. X-XVI
de l'introduction au Kilâb al-bad' wa t-ta'rït de Maqdisï (Mutahhar
b. Tàhir) (q. v.) ; Barthold, dans Hudûd al-'âlam, op. cit., p. 15 sq. ;
Kratchkovsky, p. 195-197 (198-199); D. M. Dunlop, dans El (2),
t. I, p. 1033-1034.
* Ibn (Abî) 'Awn al- Kâtib, ou Ibn an-N5gim (Abu IsJjâq Muhammad (ou
Ibrahim) b. Ahmad). Mort en 322/934, au début du règne d'ar-Râdï
qui le fit exécuter comme hérétique (il était disciple du Sï'ite Sal-
magânï), ce personnage, dont le nom est très incertain, composa,
selon Mas'fidï (Tanbïh, p. 75; trad. 109-110, 503), un Kitâb an-
nawâhï wa l-âfâq (Des contrées et des horizons), «où il rapportait des
traditions (atbâr) sur les pays et nombre de merveilles ('agâ'ib) qui
se voient sur terre et sur mer ». L'ouvrage est malheureusement perdu.
A ne pas confondre avec Ibn Abî 'Awn (ou Abu 'Awn) IsftSq b.
'Alï, astronome qui aurait repris les tables astronomiques (zï§) de
Huwarizimï (cf. Yâqut, Buldân, trad. Jwaideh, p. 10-11 et note 1;
Kratchkovsky, p. 340 (342)). Cf. Fihrist, p. 147 ; Kratchkovsky,
p. 179-180 (183-184); Laoust, Ibn Batta, p. X X X V I I I , note 8 6 ;
Sourdel, Vizirat, p. 486, note 4.
Wa§§â' (Abu t-Tayyib Muhammad b. Afomad b. Istiâq b. Yaljyâ al-
Wa§5â'). Mort vers 324-325/936, l'auteur du Muwattâ n'est en
rapport avec la géographie que par de très rares thèmes, où le propos
initial est oublié au profit de l'utilisation, morale ou sociale, qui
peut en être faite. Cf. C. Brockelmann, dans EI, t. IV, p. 1186;
GAL, t. I, p. 129.
par les auteurs postérieurs, et surtout par Bakrî, dont il est une
des sources essentielles. Cf. Pons-Boigues, Ensayo bio-bibliogràfico
sobre los historiadores y geografos arabigo-espanoles, Madrid, 1898,
p. 80, note 1 ; GAL, Suppl., t. I, p. 233 ; Kratchkovsky, p. 165
(169); R. Brunschvig, «Un aspect de la littérature historico-géo-
graphique de l'Islam» dans Mélanges Gaudefroy-Demombynes, Le
Caire ( I F A O ) , 1935-1945, p. 147-158; E. Lévi-Provençal, «Abu
'Ubayd al-Bakrï», dans El (2), t. I, p. 161.
* Sïrâfî (Abu Sa'ïd al-Hasan b. 'Abd Allah as-Slràfî). Célèbre philologue,
mort vers 368/979, représentant de la tendance lexicographique arabe
« large» de Nadr b. Sumayl (q.v.). A écrit un Kitâb Gazïrat al-'Arab
dont Yâqût et Bakrî nous ont conservé des extraits. Cf. F. Krenkow,
dans El, t. IV, p. 463-464.
Maqdisï (Mutahhar b. Tâhir al-Maqdisï). Ce Palestinien, dont la vie nous
est à peu près inconnue, rédigea dans le Sigistân, vers 355 /966, à la
demande d'un ministre sâmânide, une encyclopédie appelée Livre
de la création et de l'histoire (Kitâb al-bad' wa t-ta'rii}), dont la
texture rappelle celle des Prairies d'or, de Mas'ûdï, mais qui s'en
différencie par certains traits profondément originaux, notamment
par la constance de l'inquiétude philosophique. Cf. Huart, introd.
aux divers tomes de l'édition de la Création, op. cit. ; du même,
Littérature, p. 282-283, 289,299 ; GAL, Suppl., t. I, p. 222 ; Kratch-
kovsky, p. 226-229 (224-226).
* IbrShîm b. Ya'qûb (al-Isrâ'ïlï at-Turtûisî). Marchand juif espagnol, qui
voyage en Europe vers 354/965. Il laisse une relation connue par
quelques extraits chez Bakrî (pour les Slaves) et Qazwïnï (pour
quelques villes de l'Europe occidentale). Cf. G. Jacob, Studien,
fase. I, II, IV ; GAL, Suppl., t. I, p. 410 ; Kratchkovsky, p. 190-192
(190-192), 275 (274); E. Lévi-Provençal, « A b u ' U b a y d al-Bakrï»,
dans El (2), t. I, p. 161 (1) ; M. Canard, « Ibrahim b. Ya'qub et sa
relation de voyage en Europe», dans EOLP, t. II, p. 503-508;
T. Kowalski, introd. à l'édition d'Ibrahim b. Ya'qûb d'après
Bakrî, op. cit. ; A. Miquel, «L'Europe occidentale dans la relation
arabe d'Ibrahim b. Ya'qûb», dans Annales E.S.C., X X I , n° 5, sep-
tembre-octobre 1966*.
Huwàrizmï (Abu 'Abd Allah Muhammad b. Ahmad b. Yflsuf al-Huwâ-
rizmï al-Kâtib). Fonctionnaire de la dysnatie sâmânide, écrit vers
365-381 /976-991 une encyclopédie des termes techniques des diverses
sciences. Cet écrivain, dont la vie nous est par ailleurs inconnue, ne
doit être confondu ni avec l'astronome Muhammad b. Mûsà al-
Huwârizmï (q. v.), ni avec le poète et épistolier Abu Bakr Muham-
mad b. al-'Abbâs al-Huwàrizmï, mort en 383/993 (sur ce dernier,
cf. R. Blachère et P. Masnou, Choix de séances de Hamatfanì, Paris,
"'Voir Addenda, page 401
1957, p. 26, note 5), ni avec Bîrûnï (q. v.), parfois désigné sous cette
nisba (par Y â q û t notamment). Cf. Van Vloten, introd. au Kitâb
mafâtïh al-ulûm (Clés des sciences), op. cit. ; E. Wiedemann, dans
El, t. II, p. 965 ; GAL, t. I, p. 282-283 et Suppl., t. I, p. 434-435 ;
Kratchkovsky, p. 240-241 (234-235); Sourdel, Vizirat, p. 17-18.
Ma'n b. Fri'ûn (? ou Furay'ïn ou Farïgûn). Elève de Balbï, auteur d'une
encyclopédie intitulée Gawâmi' al-ulûm (Encyclopédie des sciences),
illustratrice, mais de façon encore plus poussée dans la concision, de
la tendance représentée par Huwârizmî (cf. ci-dessus) : simple enre-
gistrement de termes techniques. Cf. GAL, Suppl., t. I, p. 435 ;
Sourdel, Vizirat, p. 18, note 1.
Hudud al-âlam (Des limites du monde). Ouvrage anonyme, rédigé en persan
(372/982-983), dans la tradition de la géographie universelle de la
sûrat al-ard, et avec intérêt marqué, à l'intérieur du monde musul-
man, pour les régions non arabes. Cf. Minorsky et Barthold, intro-
duction et commentaire de l'édition des Hudùd, op. cit. ; Kratch-
kovsky, p. 224-226 (223-224) ; Lazard, Prose persane, op. cit., p. 53-54.
* Muhallabï (al-Hasan b. Muftammad (Ahmad) al-Misrï al-Muhallabï).
Mort en 380/990, compose un Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik
d'allure très classique, autant qu'on en puisse juger par les nombreux
mais très courts extraits conservés par Yâqût et Abu 1-Fidâ'.
L'ouvrage est aussi appelé Kitâb al-'Azîz ou al-'Azïzl, du nom du
calife f a t i m i d e al-'Aziz, m o r t en 386/996*, a u q u e l il est dédié. Cf.
Hâgéï Halîfa, t. V, p 512, n° 11875; Reinaud, p X C I I - X C I I I ;
Kratchkovsky, p. 234-236 (230) ; S. Munaggid, op. cit., p. 43, sq. ;
W. Jwaideh, op. cit., p. 11, note 9 (avec bibliographie; compléter
avec Yâqût, Buldân, t. II, p. 145; t. IV, p. 3 4 7 ; t. V, p. 419).
Tanûljï (Abu 'Alï al-Muhassin b. 'Ali at-Tanûbî). Mort en 384/994, auteur
A'al-Farag ba'd as-sidda (La détente après l'épreuve), anthologie
d'adab, d'allure moralisante, où les t h è m e s géographiques n'inter-
viennent que comme prétexte à contes ou développements paréné-
tiques. Cf. R. Paret, dans El, t. IV, p. 689 ; GAL, t. I, p. 161-162 et
Suppl., t. I, p. 252-253.
Ibn an-Nadïm (Abu 1-Farag Muhammad b. Ishâq b. Abï Ya'qûb). Le
célèbre auteur du Fihrist (Index), composé en 377/987-988, est
indiqué ici pour divers passages de son œuvre touchant à la géogra-
phie (cf. chap. VI). Cf. J. Fuck, dans El, t. III, p. 863-865 ; GAL,
t. I, p. 153 et Suppl., t. I, p. 226.
* Dâraqutnï (Abfi 1-Hasan 'Ali b. 'Umar b. Aljmad ad-Dâraqutnï).
Célèbre h o m m e de lettres et traditionniste (306/918-385/995), qui
composa notamment, sous le nom de Kitâb al-mu'talaf, un diction-
naire d'ethniques, repris et complété par al-tJatïb al Bagdâdï (q. v.).
André MIQUEL. 3
•Voir Addenda, page 402
Gâtjiz (al-), Magmû' rasâ'il al-ùâhiz, pubi, par P. Kraus et M. Tâhâ al-
I.Iâgirî, Le Caire, 1943. Comprend : Risala al-ma'âd wa l-ma'âs,
p. 1-36 ; Kitâb kitmân as-sirr wa hifz al-lisân, p. 37-60 ; Risàia fî
l-gidd wa l-hazl, p. 61-98 ; Risâlat fasi ma bayn al-'adâwa wa l-hasad,
p. 99-124. Trad, inédite par C. Vial.
Gâtiiz (al-), Risàia ila Fath b. IJâqân fï manàqib at-Turk wa 'àmmat gund
al-hilàfa, pubi, par G. van Vloten (p. 1-56 de Tria opuscula alidore
al-Djahiz), Leyde, 1903.
GAL : voir Brockelmann.
Gazai (al-) : relation de voyage à Constantinople, dans Maqqarï (al-) :
R. Dozy, G. Dugat, C. Krehl et W. Wright, Analectes sur l'histoire
et la littérature des Arabes d'Espagne par al-Maqqarï, t. I, Leyde,
1855-1860, p. 223, 630-634 (le texte de Maqqarï contenant aussi
certains détails renvoyant à l'ambassade au Jutland).
Gazai (al-) : relation de voyage chez les Normands du Jutland : texte arabe
d'Ibn Difoya, dans A. Seippel, Rerum Normannicarum fontes Arabici,
Oslo, 1928, 21. en 1 vol. (p. 13-20 du texte arabe et X-XI de l'anno-
tation). Pubi, plus ancienne par R. Dozy, Recherches sur l'histoire
et la littérature de l'Espagne pendant le Moyen Age, t. II, Paris-Leyde,
1881 (p. L X X V I - L X X X V I I I du texte et 267-278 de la traduction).
Nos références renvoient à l'éd. Seippel.
Griinebaum (G. von), L'Islam médiéval, histoire et civilisation, Paris, 1962.
Hâggï Halifa, Kasf az-zunûn, pubi, par G. Fliigel, Leipzig, 1835-1858, 7 vol.
Hamdânî (al-), Sifat Gazïrat al-'Arab, pubi, par D. H. Millier, Leyde,
1884 et 1891, 2 vol. Sauf indication spéciale, nos références ren-
voient au texte arabe du t . I ; on se méfiera de la vocalisation de
celui-ci, parfois hésitante ou franchement fausse.
Heyd (W.), Histoire du commerce du Levant au Moyen Age, pubi, française
par Furcy Raynaud, t. I, Leipzig, 1923 ; reproduction anastatique
de l'éd. de 1885, réimprimée, Amsterdam, 1959.
H u a r t (C.), Littérature arabe, Paris, 1939.
Jludûd al-'âlam, pubi, et trad, par V. Minorsky, Oxford, 1937 (les p. 3 à 44
sont une traduction de la préface russe de V. Barthold à une I e éd.
restée inachevée).
Husri (al-), Zahr al-àdàb, pubi, par 'A.M. al-Bagâwî, Le Caire, 1372/1953,
2 t. en 1 vol.
Huwârizmï (al-), Kitâb az-zïg, pubi, par O. Neugebauer (The astrono-
mical tables of al-Khwârizmt), Copenhague, 1962.
Huwârizmï (al-), Kitâb sûrat al-ard, pubi, par H. von Mzik, Leipzig, 1926.
Reproduit en photochromographie en 1963.
1. Pour un exposé d'ensemble, ef. S. Maqbul Ahmad, dans El (2), t. II, p. 590 sq.,
a v e c bibliographie, et Kratchkovsky, op. cit.
2. Ibn Burdàfjbeh, Kitâb al-masdlik wa l-mamâlik (232/846-272/885); Ya'qubi,
Kitab al-buldûn (276/889) (pour ne parler que des œuvres qui nous sont parvenues).
3. 842 ap. J.-C.
1. EGA, p. 9.
2. Cf. Mas'ûdî, Tanblh, p. 109 ; Muqaddasï, trad., 5 10 sq.
3. Les auteurs géographiques citent bien Gâhi? (cf. Muqaddasï, |trad., § 13 bis),
mais c'est un polygraphe qui s'occupe, à l'occasion, de géographie : sur le problème,
cf. infra, chap. II. E t du reste, Gâhi? mourant en 255/868, le problème n'est pas modifié
fondamentalement quant aux dates. On ne tient, ici non plus, aucun compte dei
astronomes ni des cosmographes purs.
4. La première version du Kitâb al-masdtik est de 232/846 et sa mise au point
définitive de 272/885. Nous aurons l'occasion de revenir (cf. infra, p. 90) sur le problème
posé par ces deux versions.
5. Cf. infra, chap. I. Pour la plupart chrétiens non bagdadiens de naissance, mais
en relation constante avec le califat : cf. Abd-el-Jalil, op. cit., p. 133, et R. Arnaldez,
« Sciences et philosophie dans la civilisation de Bagdad sous les premiers 'Abbâsides >,
dans Arabica, IX, 1962, p. 357 sq.
6. Ibn Sa'd meurt en 230/845 et Balàduri en 279/892.
7. Morts respectivement en 255/868 et vers 270-276/883-889.
8. Nous retrouvons ici un des repères fondamentaux de R. Blachère dans sesExtraits.
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Aux
sources de la géographie arabe :
les sciences nouvelles
et les sciences traditionnelles
La mathématique de la Création
1. Pour ne parler bien entendu, et ce sur le plan des œuvres théoriques seules, que
des premiers auteurs ; sinon, il faut aussi songer à d'autres grands noms, notamment
à Battânï (Albatenius), mort en 317/929. A noter qu'Abu Ma'Jar est connu surtout
c o m m e astrologue : cf. infra. Sur ces astronomes, cf. les articles de \'E1, s.v., et les
ouvrages ou articles déjà cités. On n'omettra pas enfin que les traducteurs, Tâbit b.
Qurra notamment, ont composé eux aussi des traités théoriques. Bon exemple de ces
œuvres avec The astronomical tables of al- Khwârizml (cf. bibl.).
2 . Sauf peut-être par la systématisation de l'emploi des procédés trigonométriques,
où survit sans doute une influence indienne.
3. Place faite, toutefois, à la théorie d'un mouvement de la terre autour de son a x e :
I b n Rusteh, p. 23, i.f. -24 (cf. Nallino, dans El, t. I, p. 507 [21, 1. 24-26).
4. Pour l'astronomie s'entend. On ne dira rien ici des autres disciplines mathéma-
tiques, qui n'entrent pas dans notre propos.
5. «Le jaune dans l ' œ u f « : Ibn Hurdâdbeh, p. 4 ; Ibn Rusteh, p. 8 ; Ibn al-Faqîh,
p. 4 ; Muqaddasî, p. 58, etc.
6. Trad., p. 4-6 (citation de Sarabsï : sur celui-ci, cf. infra, p. 78-79).
7. Sur cette conception de la science, cf. infra, p. 200.
8. Cf. infra, chap. II.
Par une idée chère aux héritiers de la science grecque, il n'est pas de
recherche fondamentale qui ne trouve, sous la forme de dérivées ou de com-
posantes ( f u r û ' ) , son application dans les faits. 6 L'astronomie se subdi-
vise ainsi, aux yeux des savants arabes du Moyen Age, en un certain nom-
bre de disciplines, dont certaines lui appartiennent en propre et d'autres,
au contraire, lui sont communes avec la géométrie. C'est à cette seconde
espèce qu'il convient de rattacher la « science de l'astrolabe», notre géo-
désie, qui fut, on le sait, une des gloires les moins discutables de la pensée
arabe au Moyen Age. 9 Mais l'appréciation exacte des mesures de la terre
et de sa position dans l'univers n'allait pas toutefois sans la volonté d'en
1. Mas'ûdï, Tanbih, trad., p. 19-20, explique les rapports des deux sciences. Sur
l'astrologie chez les Arabes, cf. Nallino, dans El, t. I, p. 502 sq.
2. Tanbih, trad., p. 54. Sur l'interprétation du mot «climat», cf. ci-après.
3. Ibid., p. 47.
4. Une illustration exemplaire en est donnée (p. 55 sq.) par le ciimat médian, le
quatrième, celui de l'Irak et de Babylone, auquel sa position confère un rôle primordial
dans le monde et dont les habitants, en vertu du même principe, donnent de la per-
sonne humaine une image idéalement composée.
5. Cf., entre autres passages, Hayaivân, t. III, p. 245 ; t. V, p. 35-3G.
ti. Tanbih, trad., p. 40.
c o u r b e n t o u se t o r d e n t e n b o u c l e s à m e s u r e q u ' o n les p o r t e p l u s p r è s d u
foyer ou qu'on les en éloigne.»
A i n s i s ' é l a b o r e p e u à p e u ce q u e l'on a a p p e l é la f o r m e o u r e p r é s e n t a t i o n
d e la t e r r e (sûrat al-ard), g e n r e i n c e r t a i n q u i j u x t a p o s e les d o n n é e s m a t h é -
m a t i q u e s d e l ' a s t r o n o m i e a p p l i q u é e e t la « science, d e s c l i m a t s ». 1 G e n r e
i n c e r t a i n , dis-je, car, d a n s l ' é t a t a c t u e l d e n o s c o n n a i s s a n c e s , c e t t e c a r t o g r a -
phie® s e m b l e a v o i r t r è s t ô t , d a n s s e s d e u x c o m p o s a n t e s f o n d a m e n t a l e s
d e la g é o d é s i e e t d e la r é p a r t i t i o n a s t r o l o g i q u e d e s c l i m a t s , r e f u s é d e s ' e n
t e n i r à la t h é o r i e p u r e . E n ce qui c o n c e r n e , t o u t d ' a b o r d , la s c i e n c e d e s
m e s u r e s d e la t e r r e e t de la r é p a r t i t i o n de ses d i f f é r e n t s é l é m e n t s o n
c o n s t a t e qu'elle f a i t place, m ê m e de f a ç o n rudimentaire, à des considéra-
t i o n s d e p h y s i q u e n a t u r e l l e q u i n e s o n t p e u t - ê t r e à l e u r tour, a u m o i n s à
l ' o r i g i n e , q u e l ' a p p l i c a t i o n , a u x d o n n é e s n o u v e l l e s , d e s t h è m e s d e la m é c a -
n i q u e . * E t déjà, p a r là m ê m e , s o n t f i x é e s les l i m i t e s d e la p e r s p e c t i v e e n v i -
s a g é e : car — s a n s p a r l e r de t a n t d ' a u t r e s sujets, si é l o i g n é s de l ' a s t r o n o m i e
p u r e e t p o u r t a n t p r é s e n t s c h e z les t o u t p r e m i e r s c a r t o g r a p h e s 6 — r e c o n -
1. Il faut entendre ici le mot au sens]du grec xÂÎtioc, dont les Arabes ont fait iqllm :
inclinaison de la terre vers le pôle à partir de l'équateur, d'où : climat, région, zone
terrestre en rapport avec l'astre influent. L'idée est connue aussi des Persans, mais
les keSivar iraniens, bien qu'ils soient sept eux aussi, sont des entités politico-ethniques
( R û m , Inde, Chine, etc.) et non plus géodésiques. Cf. T. H. Weir, « iklïm dans El,
t. II, p. 488-489.
Le titre célèbre de Kitâb sûrat al-ard s'applique aux traductions de la Géographie
de Ptolémée (dont une de Tâbit b. Qurra : cf. Nallino, commentaire de Battànî, Opat
astronomicum, p. 210-211) et aussi à ses adaptations, dont la principale consiste, dans
la répartition des lieux par climats, à ajouter à la nomenclature ptoléméenne les prin-
cipaux toponymes arabes : le type de ces ouvrages reste Huwârizmï, Kitâb fûrat
al-ard (cf. bibl. et C. A. Nallino, « al-tjuwàrizmï e il suo rifacimento délia Geografia di
Tolomeo », dans MRAL, série V, t. II, 1894-1895, p. 3-53) et le chap. VI de Battânl,
Opus astronomicum (éd. Nallino), un peu plus tardif il est vrai.
2. Cartographie en effet, en ce sens que cette recherche nouvelle se borne à donner,
en ses lignes essentielles, une image graphique du passage de notre globe, le texte,
si texte il y a, n'étant guère que le commentaire technique du dessin : tel est le cas
de tjuwârizmï, dont le Kitâb apparaît comme la consignation, dans un texte, des
données graphiques de l'atlas élaboré par les savants du règne d'al-Ma'mûn, tel est le
cas aussi de Balbî : cf. Muqaddasi, p. 4 (trad., § 12); J. H. Kramers, «La question
Balbî-Irtabri e t l'atlas de l'Islam», dans Acta Or., XI, 1932, p. 9-30. Huwàrizmî, qui
juxtapose le Kitâb et des traités d'astronomie pure, est un des exemples les plus inté-
ressants, mais on voit que la tendance est vivace, puisqu'on la retrouve encore chez
Balbî (cf. infra, chap. III). Sur les aspects techniques de la cartographie arabe, cf.
K. Miller, Mappae arabicae, Stuttgart, 1926-1927, 3 vol.
3. Par exemple, les évaluations, remontant à Ptolémée, des distances maritimes
et terrestres ou du nombre des îles de la mer Orientale (1378 clans Géographie, VII, 4;
1370 chez Ilm Rusteh [p. 81} et lîaLlâni (p. 2(>|), la configuration générale des
mers aussi (cf. Nallino, commentaire de Battâni, Opus astronomicum, p. 166 sq.).
4. Rapport des masses terrestres et aquatiques dans l'équilibre du globe, mouvement
des fleuves, phénomènes d'attraction, marées : un bon exemple dans Tanbïh, p. 45-46.
5. Nous savons que Huwàrizmï lui-même fait place dans son œuvre à des thèmes
d'adab (sur ce mot, cf. chap. II) : cf. la classification des édifices les plus somptueux
au monde, reprise par Ibn Rusteh, p. 83, et, dans le Kitâb (éd. von Mzik, p. 106, 108),
le thème des sources et du delta du Nil : ces notations restent toutefois très rares e t
sèches, et n'enlèvent rien à la présentation mathématique et sévère de l'ouvrage.
1. Il faudrait, en tout état de cause — ce qui n'est pas le lieu ici — reposer le pro-
blème aux origines, dans le cadre de la science grecque.
2. Sur l'absence de l'œuvre de Strabon parmi ces traductions, cf. infra, p. 270.
3. Cf. Nallino, dans El, p. 505-506. Cet intérêt et les nécessités de la communauté
nouvelle expliquent, comme on l'a dit (cf. p. 12, note 1), que ces oeuvres juxtaposent,
dans la répartition des climats, une nomenclature de tradition ptoléméenne et celle
des lieux les plus célèbres d'Arabie : un exemple avec tJuwârizmï, introd. de von Mzik,
p. I X - X .
4. Cf. Schoy, «kibla», dans El, t. II, p. 1045-1047. Muqaddasï illustre assez bien
la façon dont s'est développée cette science de la qibla. Venant plus d'un siècle après
les premiers géographes, il ne la mentionne plus au nombre des rubriques qui composent
la science géographique totale (trad., § 2) ; la question de la qibla ne réapparaît que
dans son cadre d'origine, c'est-à-dire dans le chapitre réservé à la description géné-
rale du globe et des « climats» (trad., § 95).
1. Théorie générale de l'influence des planètes mâles ou femelles (p. 38) et parallé-
lisme du feu interne des entrailles, qui opère la maturation de l'embryon, avec le feu
solaire (p. 11).
2. Quelques pages à peine dans les traités de masälik wa l-mamâlik comme ceux
d'Ibn Hawqal ou Muqaddasï.
3. Au sens défini plus haut, p. 12, note 1.
4. Cf. M. Steinschneider, Die arabischen Übersetzungen aus dem Griechischen, Leipzig,
1889-1893, 2 vol., et les articles de \'EJ, notamment : R. Walzer, « Aristütälis », EI (2),
t . I, p. 651-654 (documentation bibliographique très abondante) ; M. Plessner, « Balï-
nûs », ibid., p. 1024-1026 ; sur Zosime le Panopolitain, cf. bibl. par C. Pellat, Le Livre
des avares, p. 345.
5. Sur cette dernière, cf. E. Wiedemann, « kïmiyâ' », dans El, t. II, p. 1068-1076
(avec bibliographie, mais compléter avec J. Ruska, « Alchemy in Islam », dans Islamic
Culture, X I , 1937, p. 30-36 ; « Arabische Alchemie », dans Archeion, X I V , p. 425-535) ;
cf. également P. Kraus, « Djâbir b. Hayyân», dans El (2), t. II, p. 367-369. Sur la
météorologie (traductions d'Aristote et de Théophraste), cf. B. Lewin, « al-âthâr
al-'ulwiyya », dans El (2), t. I, p. 758-759.
Sauf la réserve faite plus haut 4 , l'étude de l'être animé est ainsi la plus
complexe, la moins théorique 5 qui soit : au premier rang, la médecine 9 ,
déjà illustrée par la rencontre de la Grèce et de l'Orient à Gunday-Säbür 7 ,
associe aux deux grands noms de Galien et d'Hippocrate ceux de Rufus
d'Ëphèse, Aetius, Oribase, Paul d'Égine, Alexandre de Tralles, Dioscoride et
Théodose 1 ; elle domine les autres sciences de la vie par l'ampleur de ses
matériaux, par la prééminence de son objet, par ses implications aussi : s'il
est vrai qu'elle se subdivise en plusieurs champs de r e c h e r c h e e l l e est
aussi, comme l'homme au centre de l'univers, située à un carrefour : p a r un
certain côté, elle touche à ce que nous appellerions l'ethnologie », p a r les
caractéristiques de l'hominien qu'elle met en lumière, elle s'intègre à la
science plus vaste de la zoologie, où l'influence d'Aristote est souve-
raine *, par la pharmacologie, avec Galien, Hippocrate et surtout Dios-
coride, elle ouvre la voie à la botanique 6 , parce qu'elle est enfin, à cette
époque, la science très vaste de l'adaptation de l'homme au milieu, elle
n'est pas absente d'un certain ordre de recherches domestiques, et n o t a m -
m e n t de l'agronomie
A ce point de notre recherche, nous nous sentons à n'en pas douter assez
loin des considérations de géographie pure ; mais n ' y a-t-il pas au juste,
dans cette espèce de dépaysement, comme une première caractérisation,
par la négative, de cette géographie qui seule nous intéresse ? Si, t a b l a n t
sur le phénomène historique des traductions du grec et de leur développe-
m e n t postérieur en une science arabe, nous cherchons, dans le parterre des
fleurs nouvelles, celle qui nous appartient en propre, nous ne pouvons
guère, pour l'instant, que désigner à l'évidence celles que nous ne recon-
naissons pas : la géographie est bien faite d'astronomie, mais le Zïg d ' I b n
Yûnus, par exemple, n'est pas de la géographie ; les œuvres que nous quali-
fions de géographiques font bien la place aux variations du comportement
physique de l'homme, mais les œuvres des grands médecins arabes ne sont
pas pour a u t a n t de la géographie ; on peut bien enfin trouver chez les
géographes quelques développements sur les plantes ou l'agriculture, mais
ni le Traité des simples d'Ibn al-Baytâr, ni le Traité d'agronomie d'Ibn al-
'Awwâm ne sont de la géographie. Nous pouvons ainsi poser, comme un
premier jalon de notre recherche, que la géographie n'appartient à aucune
discipline spécialisée. Toutefois, énoncer cette proposition n'est pas imposer
un signe irréductiblement négatif à la définition que nous voulons trouver :
car il revient au même de dire — et nous aurons maintes fois l'occasion de
le vérifier — que la géographie, puisqu'elle n'est tributaire en propre d'au-
cune discipline spécialisée, l'est donc de toutes : ce n'est pas une fleur qui
répondra à notre attente, mais le parterre t o u t entier. 1
Du même coup est posée une caractéristique fondamentale de cette
recherche : parmi toutes les branches du savoir, telles qu'elles s'élaborent au
m e / i x e siècle, elle est, de très loin, la plus représentative des inquiétudes
de l'époque, de cet appétit encyclopédique qui la marque. Si « les sciences
de toutes sortes sont cultivées avec une extrême ardeur», si, « dans toutes
les directions, on trouve une immense curiosité, un besoin universel et in-
tense de connaître les choses de la nature et celles de l'humanité», si
« l'érudition est la marque propre de cette période », il semble que la géogra-
phie en soit conçue comme l'expression souveraine : « tableau complet des
divers pays », qui fait « la place aux mœurs, aux idées, aux légendes mêmes
et à une histoire rapide du passé », elle donne des œuvres « d'un caractère
généralement encyclopédique, qui ont surtout pour objet de condenser les
renseignements épars». Ces lignes 2 , qui s'appliquent, à quelques siècles
d'intervalle, aux splendeurs hellénistique et romaine de la science grecque,
et notamment de la géographie, peuvent, presque à la lettre, exalter
encore le miracle de leur résurrection.
Ainsi se précisent les voies de notre prochaine recherche : la géographie
face à son objet. Car, d'entre toutes les manières de traiter une donnée
encyclopédique, lesquelles seront préférées ? La nouvelle science sera-t-elle
vraiment, dans les intentions ou dans les faits, exhaustive, ou simplement
éclectique, voire sélective ? Une pareille étude est inséparable toutefois de
celle qui, sur un plan plus général, aura traité auparavant des attitudes
d'ensemble du i n e / i x e siècle face au monde nouveau créé par l'essor de la
connaissance. » Or, dans cet essor, la pensée grecque n'est pas seule en
1. On a déjà évoqué (cf. p. 13, note 2) l'absence, parmi les traductions i!u grec, de la
géographie strabonienne, à laquelle on pense bien évidemment ici.
2. Cf. Walzeret Gibb, op. cit., p. 335-339 ; Ahmad Amîn, Zuhr al-Islam, t. II, p. 175 sq.
3. Cf. infra, chap. II, p. 63, note 2.
4. Soit le premier tiers du ix" siècle ap. J.-C., de façon un peu théorique, nous en
convenons, pour la clarté de l'exposé.
5. Cf. les définitions citées dans l'art, de R. W'alzer, p. 337.
6. Sur l'œuvre d'Ibn al-Muqaffa', cf. C. Brockelmann, dans El, t. II, p. 738 ; F. Ga-
brieli, op. cil. (supra, p. 16, note 6). Autre exemple de cette éthique avec Gàlji?, Ma§mû'.
•Voir Addenda. |>ai><' l°2
Fait significatif : les traductions cèdent le pas, sinon aux œuvres originales,
du moins aux adaptations. On cite, certes, de prétendues lettres d'Aristote
1. Ibn al-Faqïh, p. 160, selon lequel cette lettre aurait été 'lue en présence d'al-Ma'-
mun.
2. La littérature politique intitulée al-ahkâm as-sultdniyya (Màwardî et Abu Ya* là),
décrivant le fonctionnement idéal des institutions du droit public musulman, n'inter-
viendra qu'au v e /xi e siècle. La politique à la manière grecque semble mal connue ou
très vite remodelée : la Politique d'Aristote ne parait pas avoir été traduite (cf. R. Walzer,
op. cit.), contrairement à la République de Platon (au moins partiellement : cf. R. Wal-
zer, « Aflâtun », dans El [2], t. I, p. 242), mais les œuvres que la philosophie grecque
inspire et qui portent le titre attendu de Kitâb as-siyâsà (Fâràbï, Avicenne, Abu
1-Qâsim al-Magribï) sont, en fait, des ouvrages d'éthique personnelle et sociale plus que
des exposés des principes du pouvoir et de l'organisation de l'Etat : cf. L. Strauss,
« How Fârâbl read Plato's laws», dans Mélanges Massignon, t. III, Damas (JFD),
1957, p. 319 sq; S. Dahan, introd. à Abû 1-Qâsim al-Magribï, Kitâb as-siyûsa, Damas,
(IFD), 1948, p. 32-42.
3. Rôle de la physiognomonie (firâsa). Cf. T. Fahd, |S. ,v., dans El (2), t. II, p. 937-
938 ; KalUa wa Dimna, trad., § 34, 45 (et note 11), 297 (avec ébauche de critique de
cette science,*! 299) ; Y. Mourad, La physiognomonie arabe et le Kitâb al-firâsa de
Fakhr al-Din al-RSzl, Paris, 1939 ; et le traité du pseudo-ûàlji? cité à la note suivante ;
compléter avec bibl. indiquée par C. Pellat, index ¡de Gâ\ii?, Kitâb at-tarbl', s. v.
« Polémon». Les apports arabes (cf. D. B. MacDonald, « kiyâfa», dans El, t. II, p. 1108-
1109) semblent inexistants dans le Kalila.
4. Sur les présages et la divination, cf. KalUa, trad., § 524 |et passim, et le Bib
al- 'irûfa wa z-za$r wa l-fir&sa 'alâ madhab al-Furs, faussement attribué à fiâtùg ; sur
cet ouvrage et sur les rapports entre cette science et la Perse sassanide, cf. la biblio-
graphie donnée par T. Fahd, «Les présages par le corbeau», dans Arabica, VIII,
1961, p. 30-58 (notamment p. 54). Sur l'oniromancie, cf. KalUa, trad., § 541-545,
564-568 (avec réminiscences hindoues) ; B. Doutté, Magie et religion dans l'Afrique du
Nord, Alger, 1909, p. 395 sq. ; T. Fahd, « DInawarl», dans El (2), t. II, p. 309 et, du
même, Le Livre des songes (Kitâb ta'blr ar-ru'yâ), publ. de la trad., par Hunayn b.
Isbâq, de l'œuvre d'Artémidore d'Éphèse, Damas (IFD), 1964.
5. Les Ras/fil de "Abd al-Hamïd b. Yafcyà al-Kâtib ont été éditées dans les Rasd'il
al-bulagâ' (publ. par M. Kurd'AU, 3« éd., Le Caire, 1946, p. 173-226). Sur le Kitâb
at-ta§ fi abiaq al-multtk, composé sous le règne d'al-Mutawakkil (232-247/847-861),
cf. la traduction de C. Pellat (Le livre de la couronne attribué à Gihiï, Paris, 1954).
Sur cette présence de la Perse, cf. notamment introd. de ce dernier ouvrage, p. 9, 15 ;
F. Gabriel!, « Etichetta di corte e costumi Sasânidi nel Kitâb ablâq al-Mulflk di al-
6âW? », dans RSO, XI, n° 3, 1928, p. 292-305 ; D. Sourdel, Vizirat, p. 59-60, 719-720.
Voir aussi Hilàl aj-Çâbi', RusOm dur al-bilâfa, publ. par M.'Awâd, Bagdad, 1964.
6. Cf. Qudâma, trad., p. 192 (conseils généraux aux princes), 200-201 (cas d'Anfl-
tirwân), 204 (cas d'Alexandre). La tradition est vlvace : on la retrouvera notamment
voir considérée maintenant non pas chez celui qui l'incarne, mais chez ceux
qui l'exercent en son nom : les Grecs, aux i v e e t v e siècles après J.-C., s'étaient
bien donné pour tâche, autour de professeurs célèbres, Themistios* et
Libanios surtout, de former les cadres de l'administration impériale 1
et l'on pouvait, dans le principe, sous réserve d'heureux hasards dans la
transmission des œuvres, s'attendre à retrouver, dans la science du parfait
fonctionnaire, un écho des grandes écoles d'Athènes, de Constantinople ou
d'Antioche. Or, ici, l'absence des œ u v e s grecques est, autant que je sache,
totale : eussent-elles été connues, dans la réalité des faits, que les exigences
de l'heure auraient évincé cette influence traditionnelle au profit des néces-
sités du nouvel empire : celui-ci est en effet bien décidé à ne pas retomber
dans l'erreur de son prédécesseur umayyade, qui avait cru gouverner en
plaquant une aristocratie arabe sur un pays qu'elle connaissait d'autant
plus mal qu'il restait, au moins dans les débuts, administré par des fonc-
tionnaires auxquels Byzance et la Perse donnaient leurs traditions et leurs
routines, leur langue et parfois même encore leur religion. 2 Le succès du
califat abbasside, c'est d'abord celui d'une administration nouvelle fondée
en fonction de trois impératifs : l'impôt, la paix intérieure, la frontière.
Les trois thèmes fondamentaux de la géographie politique des Gayhânï
ou des Qudâma, à savoir les listes de l'impôt foncier (harâg), les itinéraires
(masâlik) et la description des places-frontières ( t u g û r ) , s'organisent autour
du thème central de la poste, du barld traditionnel, mais rénové, remar-
quable outil de renseignements autant que de communications. 3 Sans
doute aussi faut-il rattacher aux préoccupations de l'administration centrale
Les catalogues de prix de denrées4 et les itinéraires de pèlerinage. 5
Ces connaissances, du reste, ne retiennent guère qu'une catégorie de fonc-
tionnaires, ceux-là mêmes qui seront à l'origine d'une certaine géogra-
phie 8 ; mais il y en a bien d'autres, qui seront intéressés, selon les cas, à
dans Harawl (mort en 611/1215), Kiiâb at-taikira (traduit et annoté par J. Sourdel-
Thomine, dans BEO, XVII, p. 205 sq.).
1. Cf. Croiset, op. cit., p. 790-791.
2. Cf. Sourdel, op. cit., p. 59-61 ; Blachère, Extraits, p. 11-12 ; G. Lecomte, « L'intro-
duction du Kitâb adab at-kâtib d'Ibn Qutayba », dans Mélanges Massignon, t. III,
Damas, (IFD), 1957, p. 46.
3. Cf. D. Sourdel, >• baiîd », dans El (2), t. I, p. 1077-1078 (mais cette institution
remonte, bien que l'article ne le signale pas, à l'Empire achéménide) ; Qudâma, trad.,
p. 144-145; chap. III, p. 85, note 3.
4. Le premier en date semble être celui de Ma 5â' Allah, mort en 205/820, mais le
plus célèbre est le Tabassur bi t-tigâra, attribué à ôâhi? : sur ces œuvres, cf. infra,
chap. III i. f .
5. E n relation, eux aussi, avec les impôts (taxes perçues sur les voyageurs), l'organi-
sation de la poste et le maintien de la sécurité en présence de mouvements de foule
parfois considérables. L'on verra infra (chap. IV i f.) les développements propres du
thème.
6. La géographie politique d'Ibn tjurdâdbeh ou de Qudâma ne fera qu'intégrer à
un cadre plus vaste ces thèmes administratifs.
1. Dans Rasa il al-bulaga , op. cit., p. 117-134. Adressée au calife al-Mansûr, elle
passe en revue certaines questions touchant l'armée, la justice et l'impôt.
2. Ce Livre de l'impôt foncier, rédigé à l'intention de Hârun ar-RaSïd, est consacré aux
principes qui règlent la perception de l'impôt et à des notions de justice criminelle et de
finances publiques ; son auteur, un des fondateurs de l'école Ijanafite, est surtout connu
pour avoir été le premier Grand Cadi : cf. J. Schacht, s. v., dans El (2), t. I, p. 169 et
infra, p. 97 (compléter avec GAL, t. I, p. 177 et Suppl., t. I, p. 668). Il faudrait évoquer
encore, dès la fin du califat umayyade, les Rasâ'il de 'Abd al-Hamïd (citées supra, p. 21,
note 5).
3. Ibrahim b. Muhammad a5 Saybânî est, ainsi que le montre D. Sourdel (« Le
Livre des Secrétaires de 'Abdallah al Bagdâdï», dans BEO, X I V , 1954, p. 116, note 2),
l'auteur de la Risâla al-'adrâ' (La lettre vierge), sur la technique épistolaire et les con-
naissances requises du kâtib. Cf. infra, chap. II, où l'on verra que Gâhi?, par son épître
sur les fonctionnaires, joue également un rôle important.
4. L'expression de «scribe-géomètre-ingénieur », qui est de D. Sourdel (op. cit., p. 122,
note 90), nous paraît un peu étroite, compte tenu des disciplines indiquées à la fois par
Bagdâdï (même art., p. 115-127) et par Ibn Qutayba (cf. G. Lecomte, op. cit., p. 59-60).
Du reste, D. Sourdel l'élargit lui-même ( Vizirat, p. 569) en « styliste, géomètre, juriste ».
5. Cf. les art. cités, et, sur les modalités de cette préférence, infra, chap. II.
6. Cf. Sourdel, Vizirat, p. 61.
Les années 850 après J.-C. sont également décisives pour l'histoiie des
sciences religieuses arabes, en ce sens qu'elles marquent la fin de la période
d'élaboration, a v a n t les développements ultérieurs. 6 Les grandes répar-
titions de l'ensemble musulman — sunnisme, si'isme, bârigisme — sont
acquises. La science de la tradition (hadït) ne sera, certes, vraiment codifiée
critique littéraire, chez Marwazï et Qudâma, la poésie, chez Ibn al-Faqlh, sont autant
de préoccupations fondamentales, qui donnent lieu à des traités distincts.
1. Cf., pour l'exemple typique des Barmécides, D. Sourdel, « Barâmika», dans
El (2), t. I, p. 1066-1067.
2. On retrouvera chez les géographes le thème du 'aijami donnant des leçons de
pur arabe aux Arabes eux-mêmes : cf. par exemple MuqaddasI, trad., § 213.
3. Cf. supra, p. 2, note 4.
4. Des maîtres en philologie, comme Sibawayh, Kisâ'î, al-Farrâ', sont iraniens.
Tradition vivace : un monument de la grammaire arabe, le Mufafçal, sera écrit par
un Persan, ZamabSarï, au début du v i e / x u » siècle.
5. Cf. le propos d'Ibn Hurdâ(]beh : traduire Ptolémée de la langue 'ajamiyya
en arabe, pour le rendre compréhensible (éd. de Goeje, p. 3).
6. Ceci a été remarquablement mis en lumière, dans l'ensemble de ses ouvrages,
par H. Laoust, qui place au iv«/x" siècle l'époque où l'orthodoxie engagera, de façon
décisive, son existence contre les mouvements dissidents. Cf. également Lecomte,
op. cit., p. 47. On notera, comme dates exemplaires, 232/847, début de la réaction
antl-mu'tazilite avec le califat d'al-Mutawakkil, et 241/855 : mort d'Ibn Çanbal,
le plus tardif des quatre imams.
Grèce, lorsqu'il existe, n'est plus guère qu'une modalité : les Mu'tazilites
eux-mêmes 1 ne mettent pas en cause le primat des valeurs ¡islamiques, et
les démarches grecques sont simplement réemployées, comme les matériaux
des anciens temples dans les nouvelles constructions : on conviendra par
exemple que la doctrine du Coran créé, même si elle se situe dans un
contexte rationaliste où la Grèce joue son rôle, a une signification et un
contenu émotionnel purement musulmans. C'est donc, au bout du compte,
sur un terrain neuf que nous nous trouvons, et véritablement « national » :
car, si les autres disciplines faisaient la part belle aux étrangers, Persans
surtout, pour l'élaboration d'une culture fondamentalement composite,
ici au contraire, les grands noms de la science sont ceux ou bien d'Arabes
de souche, ou bien de Persans qui, loin de s'affirmer comme tels — ne
fût-ce qu'en gardant un nom aux consonances étrangères — sont au
contraire déjà intégrés au noyau arabe de la communauté. »
On a pu ainsi mesurer, dans la hiérarchie des sciences, le degré d'origi-
nalité et de puissance d'une langue et d'une mentalité arabes et aussi,
à travers les rapports des cultures et des traditions, le rôle subtil et com-
plexe, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir 3 , des divers groupes
ethniques et linguistiques à l'intérieur d'une communauté musulmane
de langue arabe. L'histoire au contraire, jusqu'au milieu du ix e siècle de
J.-C., nous offre une construction d'une incomparable et rigide unité.
1. Il faudrait dire, pour les débuts de l'école : surtout pas eux, puisqu'ils se posent
en défenseurs de l'orthodoxie contre la pensée grecque ; on n'a retenu ici que la méthode
employée, cette argumentation rationaliste qui, quoi qu'ils en aient, fait d'eux des
héritiers, lointains mais hardis, de cette pensée, et les entraîne souvent fort loin de
l'orthodoxie (voyez par exemple le cas d'Abû ' Isa al-Warrâq).
2. Pour le droit, trois des quatre imams (Mâlik, Sâfi'î, Ibn Hanbal) sont arabes de
souche ; le quatrième, Abu Hanïfa, est d'ascendance iranienne, mais son père est déjà
membre de plein droit de la tribu des Banu Taym Allah. Pour le hadit, sans parler
d'Ibn Hanbal, Muslim, l'un des deux grands maîtres de cette discipline, est a r a b e ;
l'autre, Bubârî, est persan, comme les auteurs des quatre autres recueils officiels
(çahih), au reste beaucoup moins importants, mais on remarquera, en tout état de
cause, qu'il ne s'agit pas ici de science créatrice, mais d'enregistrement d'un donné
déjà établi, où seule joue une tradition arabe, pure ou syncrétiste (cf. Juynboll, op. cit.,
p. 205 [1]) ; la même remarque, avec plus de nuances toutefois, joue pour Tabarï
et le tafsir. La science de la lecture du Coran (qirâ'a) est aux mains d'Arabes ou de
Persans arabisés (cf. R. Blachère, Introduction au Coran, Paris, 1959, p. 118 sq.). Pour
la mystique, le grand maître, al-Hasan al-Baçrï, est irakien par son père, mais lui-même
est arabisé, né à Médine, et, quoique connaissant le persan, ne s'exprime qu'en arabe.
Pour le kalâm, nous avons affaire, en majorité, à des mawâli de grandes tribus arabes
(par exemple Wâçil b. ' A f â ' , 'Amr b. 'Ubayd, Abu 1-Hudayl al-'Allâf), très arabisés,
et dont Gàhi?, comme eux mu'tazilite et comme eux arabe de cœur, sinon d'origine,
incarnera assez bien les sentiments ; cf. Pellat, Milieu, p. 54.
3. Dans le volume qui suivra celui-ci.
La tradition: l'histoire*
T e r r a i n r é s e r v é 1, r e c h e r c h e qu'il f a u t placer, du p o i n t d e v u e d e la
s t r i c t e a r a b i c i t é , a u s o m m e t d e la h i é r a r c h i e d e s s c i e n c e s t r a d i t i o n n e l l e s ,
t e l l e n o u s a p p a r a î t l ' h i s t o i r e e n ce m i l i e u d u i x e siècle a p r è s J.-C. E l l e e s t e n
e f f e t le s e u l d o m a i n e o ù les i n f l u e n c e s é t r a n g è r e s n ' o n t p a s d u t o u t j o u é . »
N o n q u e l ' h i s t o i r e a r a b e , q u i n'a c o n n u , s e m b l e - t - i l , a u c u n e t r a d u c t i o n
d e s g r a n d e s œ u v r e s g r e c q u e s \ ne s ' i n s p i r e p a s p o u r a u t a n t de c o n s i d é -
r a t i o n s o u d e p r o c é d é s d u m ê m e ordre : o n p e u t , par e x e m p l e , n o t e r q u e
l ' e s p r i t d e l ' h i s t o i r e q u i i n t e r v i e n d r a , il e s t vrai, u n p e u p l u s t a r d , d a n s la
d e u x i è m e m o i t i é d u i x e siècle de J . - C . 4 , n ' e s t p a s si éloigné, mutatis
mutandis, d e celui des a u t e u r s grecs : la c o n c e p t i o n t o t a l i s a n t e de l ' h i s t o i r e
u n i v e r s e l l e c o m m e r é p e r t o i r e de l ' e x p é r i e n c e é d i f i a n t e d e s n a t i o n s 5 ,
c o n j u g u é e a v e c le m o u v e m e n t inverse, p a r lequel l ' e n s e m b l e d u d o n n é
h i s t o r i q u e e s t relié à l ' é v é n e m e n t c e n t r a l q u i e n e s t la c h a r n i è r e — R o m e
p o u r P o l y b e , l ' I s l a m p o u r Tabarï — , s e r e t r o u v e d a n s les d e u x cas. E t
p e u t - ê t r e f a u t - i l , e n l'occurrence, ne p a s s e c o n t e n t e r d e v o i r là c o m m e u n
é t r a n g e a c c o r d , à q u e l q u e s siècles d ' i n t e r v a l l e , m a i s b i e n r a p p o r t e r l ' a v è n e -
m e n t d e la n o u v e l l e h i s t o i r e 6 à celui d ' u n e g é n é r a t i o n e t h n i q u e m e n t e t
culturellement très m ê l é e 7 , ouverte a u x influences et n o t a m m e n t à
en 198/814 : cf. Ibn Rusteh, trad., p. VI, 63 [et note 3], 66, 81 [et note 4), 84 [note 5] ;
J. Sauvaget, La mosquée omeyyade de Médine, Paris, 1947, p. 26), Azraqï à La Mekke
(mort en 244/858), az-Zubayr b. Bakkâr, biographe et généalogiste des QurayS (mort
en 2 5 6 / 8 7 0 ; cf. DahabI, Tadhira, t. II, p. 528) et Wâqidï (mort en 208/823), cadi de
Bagdad, mais né à Médine. Dans un troisième temps enfin, qui déborde le cadre chrono-
logique de ce chapitre, soit après les années 246/860 —• ou, si l'on préfère, parallèlement
à une vision plus large de l'histoire : Balàdurî, Tabarî... — le genre des monographies
s'étend à la Haute-Mésopotamie, à l'Iran et au Hurâsân, avec des auteurs originaires
de ces contrées : cf. Huart, op. cit., p. 177 (les notices sur les auteurs sont à chercher
dans DahabI, Taikira, s.v.).
1. Dans l'espace (les Médinois et les Mekkois en Irak) ou dans le temps (en 272/885
par exemple, Fâkihi compose encore à La Mekke une histoire de cette ville).
2. Abd-el-Jalil, op. cit., p. 125.
3. Sauvaget-Cahen, Introduction, p. 25 sq.
4. Cf. L. Massignon, Parole donnée, Paris, 1962, p. 234, 237.
5. Ce qui explique que les historiens sont en même temps philologues ( A b û ' U b a y d a
et, à la limite, Açma'I, plus philologue qu'historien) ou traditionnistes (l'énorme majo-
rité des premiers historiens arabes est consignée dans la Tadkirat al-huffâ} de DahabI ;
cf. également, en matière de transmission, le double rôle de Wahb b. Munabbih ou
d'Ibn 'Abbâs pour le hadit et pour l'histoire).
6. Sauvaget-Cahen, op. cit., p. 31.
de ses flottements : ce qu'elle enregistre avec lui, au gré des options défor-
mantes des auteurs, ce sont les divisions internes, jadis fixées, avant l'Is-
lam, sur l'honneur des clans et l'antagonisme des tribus, et transposées
désormais, depuis la mort du Prophète, en des affrontements politiques
plus vastes autour de la dévolution du califat.
Ainsi naît le genre des ahbâr (récits rapportés), de style uniforme
mais de contenu varié, où se rencontrent, sous la même estampille de la
tradition, les généalogies (ansâb), les vies de Muhammad et de ses Compa-
gnons, les tableaux de générations (tabaqât) de personnages célèbres, l'his-
toire de telle ville, de tel groupe ethnique, professionnel ou social 1 : en
un mot, l'art des monographies.
1. Elle n'est pas la seule, en effet : les sciences théoriques, pour une large part,
sont dans ce cas.
Le problème de Z'adab 1
1. La traduction française est impossible, en vertu des valeurs multiples prises par le
mot au cours de son histoire, dont l'étude reste à faire. Cf., en attendant cette étude
d'ensemble, Griinebaum, op. cit., p. 274 sq ; Gabrieli, s.v., dans El (2), t. I, p. 180-181 ;
Nallino, Littérature, p. 7 sq. ; Pellat, Langue et littérature arabes, p. 127-128 ; R. Paret,
< Contribution à l'étude des milieux culturels dans le Proche-Orient médiéval : 1'« ency-
clopédisme » arabo-musulman de 850 à 950 de l'ère chrétienne », dans Revue historique,
C C X X X V , janvier-mars, 1966, p. 47-100.
2. « Littérarisation de toute pensée qui marque la fin de la contribution de l'Islam
médiéval au progrès de l'humanité » (Griinebaum, op. cit., p. 282). Vue à nuancer, certes,
mais il reste qu'en façonnant le goût du public pour le facile, en faisant de celui-ci la
clé d'un succès qui reste au Moyen Age la fin essentielle de l'acte d'écrire, l'adab n'a pas,
tant s'en faut, encouragé la recherche pure.
3. Le processus de cette évolution est mal connu, dans la mesure où nous ignorons
presque t o u t d'auteurs essentiels comme 'Abd al-Hamld, Sahl b. Hârûn ou Madâ'inï
(sur l'importance de ce dernier, cf. Pellat, Milieu, p. 144-145). Mais peut-être faut-il,
dans ce processus, laisser une part importante au phénomène gâhi?ien : cf. infra, p. 45.
4. La tentative d'égaiement par la fable (cf. Kallla wa Dimna, trad., p. 9) n'enlève
rien au ton sentencieux de l'ensemble.
•Voir Addenda, page 101
Une étude d'ensemble sur (jâfriz pourrait ici normalement trouver place,
compte tenu de sa situation chronologique, qui le fait contemporain des
premières œuvres géographiques connues 3 , et de l'importance de son
œuvre : dans l'élaboration de la culture arabo-islamique, Gâhiz intervient
en effet non seulement en tant que personne, par la vertu de son génie
propre, mais aussi en tant que personnage, par l'autorité que lui confère
une légende 4 désireuse d'accréditer sous son nom des thèmes et des styles
dont il assume ainsi, volens nolens, la paternité. Sans parler toutefois des
dimensions que requerrait une pareille étude 5 , il nous a paru plus oppor-
tun d'aborder l'œuvre de Gâljiz en fonction des thèmes qui serrent au
plus près ceux que nous retrouverons chez les géographes : dans cet esprit,
une place devra, bien entendu, être faite aux fragments conservés du
Kitâb al-amsâr wa 'agâ'ib al-buldân (Livre des métropoles et des curiosités
du monde), qui pourront donner la mesure d'une certaine géographie
gâljizienne. « Mais celle-ci, compte tenu de la personne de l'auteur et de
1. Par leurs mérites propres et aussi par la grâce du temps. Cf. p. 36, note 3.
2. né vers 160/776, meurt en 255/868 (cf. Pellat, Milieu, p. 50). Ibn Qutayba,
né en 213/828, meurt sans doute en 276/889.
3. D'Ibn Uurdâdbeh, qui met, rappelons-le, la dernière main à son œuvre en 272/885,
la première rédaction étant de 232/846.
4. « Chaque époque a son Gâhi? (Hamadânï, Maqûma jûhifiyya, pourtant assez
critique à l'égard de la prose de Gàhi? : cf. éd. de Beyrouth, avec commentaire de Muham-
mad 'Abduh, 4« éd., 1959, p. 75).
5. Entreprise par M. C. Pellat, à qui je suis redevable des orientations de lecture
signalées.
6. D'autres œuvres sont perdues (exemples : Kitâb al-ma'âdin wa l-qawl fi jawâhir
al-ard [Des mines et pierres précieuses], Kitab al-afnâm [Des idoles], etc.), ou ne répondent
guère à l'annonce du titre, arbitrairement choisi par le copiste (cf. Kitâb al-tarbi',
introd. de C. Pellat, p. X , note 1) : exemple : Kitâb al-awfân wa l-buldân (Des patries
et des pays).
1. Dont les études de C. Pellat (bonne vue d'ensemble dans E l [2], t. II, p. 395-398)
tendent fort justement à rétablir l'idée, trop obscurcie par la légende et les infortunes
de la transmission.
2. On nous objectera que, même sous un titre spécialisé, les écrits de Gâhi? touchent
à tout. Cela n'est pas si sûr. Une fois la part faite aux avatars des textes et à la fantaisie
des titres, on constate qu'en réalité les essais (rasà'il) comme les grandes œuvres
(Bayân, Bubalà') restent caractérisés par un dessein parfaitement net. C'est précisé-
ment ce dessein et sa délimitation, selon les cas, dans l'ordre apologétique, littéraire,
politique, moraliste, ethnographique, etc., qui nous incitent à voir dans ces œuvres
l'illustration, sur tel ou tel point qu'elles approfondissent, d'une conception générale
de la connaissance, ce qui nous autorise, le cas échéant, à faire référence à ces ouvrages
pour éclairer tel point du Tarbl' ou des Hayawân. Reste l'objection chronologique :
l'illustration dont nous parlions ne tient pas, puisque les HayawHn prennent place à la
fin de la carrière gâhizienne (immédiatement avant 232 : cf. Pellat, Inventaire, n° 57,
et introd. au Tarbl', p. XII). Je vois là,pour ma part, un argument inverse : une ency-
clopédie comme les Hayawân ne s'improvise pas, elle se porte des années durant. La
même remarque vaut pour le catalogue qu'est le Tarbl' : à quelque date qu'il ait été
mis par écrit (il l'a été, en fait, vers 227-230/842-845, soit plus de vingt ans avant la
mort de &âhi? : cf. Pellat, Inventaire, n° 164, et introd. au Tarbl', p. XII), il apparaît
bien que ces problèmes innombrables sont ceux-là mêmes qui ont agité l'auteur toute
sa vie durant.
3. Il s'agit, en fait, on le verra, de la création dans son ensemble. Sur ce titre, cf.
p. 45, note 3.
4. Titre dû sans doute à un copiste (Pellat, op. et loc. cit.), qui l'a tiré du § 30
de l'ouvrage.
5. Bible, mythologie, eschatologie : § 38, 39, 40,43,47, 60, 63, 76, 77, 188; religions
diverses : § 133, 137, 163-164 ; histoire et civilisation des nations étrangères : § 44, 45,
46, 48, 155, 156 ; Arabie pré-islamique : § 38, 41, 134-135, 145.
1. Légende musulmane : § 63 ; théologie, mystique, philosophie jurisprudence ( f i q h ) ,
problème de l'imamat : § 43, 73, 74, 130, 133, 135, 136, 157-160, 171.
2. Cosmologie, mathématiques, musique : § 64, 147-148, 150-153 ; physique (optique
surtout) : § 167-170, 173-174, 1 7 7 ; géographie générale (pûrat al-arçt, merveilles du
monde) et géologie : § 39, 44, 46, 47, 51, 63, 64, 78, 80, 175 ; zoologie (bestiaire naturel
ou légendaire) : § 40, 41, 42, 44, 49, 50, 53, 56, 73, 78, 79, 1 4 6 , 1 8 0 , 1 8 1 , 1 8 7 , 1 8 8 ; ethno-
graphie (aptitudes des races, description des techniques) : § 48, 64, 78, 172 ; médecine
(théorie des humeurs) : § 144, 152 ; magie (sous diverses formes) : § 68-70, 75, 76,
139-142, 176, 183, 184.
3. Pellat, op. cit., p. X .
4. Cycle bagdadien du x" siècle, déjà touché par l'ankylose de Yadab. Cf. E. Litt-
mann, dans El (2), t. I, p. 369-375 (avec renvoi, p. 375 [1], à l'étude de J. Horovitz,
t D i e Entstehung v o n Tausendundeine Nacht», dans The Rtview of nations, n ° 4,
avril 1927).
5. Pour l'exposé, qui suit, de l'attitude gâbUienne, nous renvoyons aux divers
ouvrages de C. Pellat.
médiaire : sarnâ'] », Gâhi?, après avoir ainsi fait du ' iyàn une sorte de critère idéal,
ajoute encore : « Cela posé, la tradition ne fait pas connaître (comme le ' i y â n ) les choses
dans le détail de leur être ( t a k a y y u f ) , mais seulement dans leur ensemble. »
1. Fortifié par le contact avec la Grèce, mais déjà en germe à Baçra : cf. Pellat,
Milieu, passim ; El (2), loc. cit.
2. Sur la conception mu'tazilite d'une construction rationnelle de l'univers, et sur ses
limites, cf. Hayawàn, t. I, p. 33 ; Nader, op. cit. ; et dans El (2), t. I, p. 360 (TJ. de Boer,
« 'àlam ») et 418 sq. (L. Gardet, « Allah »). Un exemple de la croyance à cette construction
est donné par les IJayaivân, avec les deux ordres de preuve de la création : l'infiniment
grand et l'infiniment petit (cf. infra).
3. Du développement duquel on verra l'importance (cf. chap. Y). Pour l'étude qui
suit, nous nous en tenons aux exemples où la raoine 'gb est prise en son sens fort de
« merveilleux », en laissant par ailleurs de côté les parties du Tarbi' dont l'appartenance
au texte initial est douteuse (indiquées typographiquement dans l'éd. Pellat).
4. § 181.
5. § 78, 79.
6. On remarquera au passage que ôàhiz semble refuser pour son compte la croyance
à la transmutation de l'or.
7. On se souviendra, ici encore, que le mu'tazilisme se propose avant tout, par le
recours à l'argumentation rationaliste, une meilleure défense de la foi : cf. p. 27, note 1.
1. § 204-205.
2. P a r exemple sur le nombre infini (§ 37).
3. Pellat, introd. au TarbV, p. XV. Cf. Kilâb al amsâr, p. 171 : « le doute, de par
la volonté de Dieu, mène à la certitude. » Même idée dans Tarbi', p. 19.
4 . § 59.
5. Ce couronnement moral du Tarbi' est placé uniquement sous des noms grecs
(Hippocrate, Platon, Polémon, Démocrite, Aristote, etc. : § 190 sq. ; à noter toutefois
la présence [§ 194] du médecin juif Mâsargis, au reste simple t r a n s m e t t e u r [traducteur
du syriaque en arabe]) ; on trouvera n o t a m m e n t (§ 190) le f a m e u x « tout ce que je sais,
c'est que je ne sais rien».
6. Un t e x t e comme celui du § 197 rappelle les aphorismes de Kallla tva Dimna
ou de l'Adab a$-$agir, et le Kallla est expressément cité au § 156.
1. De la même façon, nous serons amené, pour mieux comprendre les orientations
de certains géographes, à nous interroger sur l'évolution de l'adab après ôâhi?.
2. Gàhi?, Magmù' (cf. bibl.). Je suis redevable, pour ce passage, aux observations de
C. Vial consignées dans l'introduction à sa traduction de ces oeuvres (en préparation).
3. Cf., entre autres exemples, les chaînes de causes et d'effets ( M a j m û ' , p. 17
et passim) et les répertoires (ibid., p. 20, 21, 24 et passim), si fréquents chez un Ibn
al-Muqaffa'.
1. Cf. p. 6-7 (plaidoyer pour l'étude des causes et motivations), 75 (• la fonction crée
l'organe"), 77 (description clinique de la rétention d'urine et de son influence sur le
caractère), etc.
2. Celles des géographes, on le verra, aussi bien que les autres.
3. La traduction par « création animée • rend mieux compte, selon nous, du sujet
que celle, plus courante, par » animaux » ; car l'homme, on le verra, est au centre du
système et, du reste, il s'agit en fait, de façon très générale, de création, animée ou non.
Cf. p. 51, note 1.
4. Cf. supra, p. 38, note 2.
5. Sur ces sources, cf. l'introduction de l'éd. A. M. Hàrûn. On retiendra, en parti-
culier, d'une part la trad. du Livre des animaux (sic) d'Aristote par Ibn al-Bitrïq (p. 14 ;
cf. ci-dessous, note 6) et, d'autre part, les ouvrages arabes, à but essentiellement lexico-
graphique, composés, avant ûâhi?, sur divers animaux (p. 16). Il faut ajouter, aux deux
sources signalées ici, l'expérience personnelle : cf. infra, p. 52-53.
6. Les trois œuvres semblent avoir été connues par une traduction de Yahyà b.
al-Bitriq : cf. R. Walzer, «Aristûtàlïs », dans El (2), t. I, p. 653 (1). Il faudrait ajouter
deux autres traités moins importants sur la Marche des animaux et le Mouaement des
animaux.
1. Cette définition est du Kitâb al-bayân iva t-tabijin (citée dans Alimad A m ï n ,
Fagr al-Islâm : cf. supra, p. 18, note 1). E t A h m a d Amïn de conclure (p. 37) : « Disons, si
v o u s le voulez, que la langue est plus déliée que la capacité de réflexion. » Cf. ce que
disent Grunebaum, op. cit., p. 291, sur « la vision atomisante », et Blachère, Littérature,
t. I, p. 3 0 sg.
2. Grunebaum, op. cit., p. 254.
3. û à h i ? ( H a y a u i â n , t. III, p. 268) déclare expressément que les Arabes n'ont rien à
envier a u x « philosophes » ( c'est-à-dire aux Grecs) pour la connaissance des a n i m a u x .
4. Quand ce n'est pas à « l'effort concerté pour éliminer la n o t e étrangère » :
cf. Grunebaum, toc. cit., et infra, à propos d ' I b n Qutayba.
5. Soit au plan de la connaissance — et l'appétit de savoir, un peu brouillon, du
n é o p h y t e joue peut-être aussi son rôle dans l'inaptitude à la dialectique — , soit au
plan de certains procédés méthodologiques (cf. p. 41), dont on peut se demander, après
tout, s'ils n'ont pas perdu, en quittant la Grèce, leur vertu dialectique pour devenir
de simples instruments d'exposition.
André MIQUEL. 7
1. Cette référence au réel, après tout naturelle dans une œuvre comme les Hayawân,
se constate aussi dans d'autres ouvrages, comme le Baydn ou les Bubalâ', dont le propos
initial se situe non plus dans le monde extérieur, mais dans des considérations morales
ou théoriques. Le souci de localisation géographique, par exemple, distingue radicale-
lement l'étude des mœurs, telle qu'elle est pratiquée dans les Bubalâ', de l'œuvre
d'un La Bruyère ; même remarque pour le Bayân (à opposer, dans le même esprit,
à l'ouvrage d'un Quintilien) : plus de trois cents noms de lieux et autres éléments
géographiques ou toponymiques, organisés autour de quelques grands thèmes privilégiés
qui ne sont autres, déjà, que ces amfâr sur lesquels, après ôàhi?, les géographes insis-
teront : Baçra, Küfa, l'Irak, le Sàm, le Hurâsàn, Médine, La Mekke : cf. l'anecdote
rapportée par Muqaddasï (trad., § 61).
2. Choisie (t IV, p. 140-143) comme exemple des effets ^néfastes du climat. Le choix
de l'interprétation, en quelques passages, s'inspire de l'annotation de l'éditeur. On
lira, p. 142 i.f., muqâm au lieu de ma'àm.
3. Thème traditionnel (cf. Kitâb al-arnfûr, p. 180 sq.), mais qui va être prétexte à un
développement d'inspiration et de ton nouveaux.
1. Sur la notice de YâqOt, inspirée de celle-ci, cf. Mu'jam, t. I, p. 286 (rapportée &
Hamdânl). Muqaddasï, quant à lui, déclare, à propos d'al-Ahwâz, qu'elle est « la
poubelle du monde • (mazbalat ad-dunyd : éd. de Goeje, p. 403) et 11 dit de ses habitants
qu'« on ne les voit guère, malgré l'abondance des biens, l'incroyable prospérité du
commerce et la qualité de leur artisanat, apporter à l'organisation de leur vie la distinc-
tion que d'autres y apporteraient en pareil cas. Quand leurs enfants sont grands, ils
les chassent à l'étranger et leur imposent l'épreuve du voyage et du gain, les faisant
errer de pays en pays. Le sort leur a refusé toute science et toute culture » (op. et loc. cit.).
Le thème est développé plus amplement, un peu plus loin aussi de l'original gâhi?ien,
p. 410 et 411 de la même édition. Il se retrouve aussi chez Ta'âlibî, Latâ'if al-Ma'ârif,
p. 107-109.
1. Ces différentes composantes d'une géographie ne sont pas à chercher dans le
propos même de l'auteur ( H a y a w â n , t. I, p. 42), qui énumère pêle-mêle divers aspects
de cette culture qu'on appelle adab, mais dans les livres eux-mêmes (selon l'esprit
défini, p. 38, note 2). Sur les types humains, il suffirait de rappeler l'intérêt porté par
Gâhi? à l'étude des peuples et des grands groupes ethniques, principalement Arabes,
Persans, Zang et Turcs. Citons toutefois, à titre d'exemple, Hayawân, t. V, p. 35-36
(théorie de la « maturation » des races).
Sur les considérations médicales et les effets du milieu physique sur l'espèce, cf.
Hayawân, t . I, p. 157 (longévité au Fargâna) ; t. I I I , p. 434-435 (effets du désert sur
les étrangers) ; t. IV, p. 135, 139 (effets du site du Tibet, de Mossoul et du pays des
Zang) ; Bayân, t. I, p. 94 (considérations médicales) ; Bigâl, p. 86 (changement des
caractères acquis d'une race lors du transfert d'un pays dans un autre), etc.
Sur l'alimentation, cf. Hayawân, t. III, p. 525-526 (sur quelques mets des Arabes);
t. IV, p. 46 (sur certains usages alimentaires à al-Ahwâz) ; t. V, p. 429 (sur la fabri-
cation de l'hydromel en Égypte : repris par Ibn al-Faqïh, p. 6 6 ) ; Bubalâ', p. 117 et
passim.
Sur la toilette et le costume, cf. Hayawân, t. IV, p. 172 (sur un rapport inverse entre
fécondité et soins intimes) ; Bayân, t. II, p. 88, 342 ; t. I I I , p. 6, 97, 101, 114 et passim
(considérations générales sur l'habillement et le port du turban) ; Bubalâ', p. 123
(sur les sandales du Sind).
Sur la circulation des biens et les lieux d'origine de divers produits, cf. Hayawân,
t. I I I , p. 143 (sabres hindous); Bubalâ', p. 59, 66, 78-79 et passim; sur la circulation
des personnes, cf. Bubalâ', p. 123.
Sur les groupements ethniques ou sociaux impliqués dans les luttes politiques, cf.
Bubalâ', p. 60-61, 105 ; sur la poste, long exposé dans BiQâl, p. 55-72.
Sur les religions, cf. Hayawân, t. V, p. 157 sq. (Juifs, Zoroastriens, Chrétiens), 327-328
(sur les rapports entre religion et intelligence) ; t. VII, p. 25-29 (sur la circoncision) ;
sur quelques coutumes, cf. Hayawân, t. VI, p. 145-147 (jeux des Arabes) ; Bubalâ',
p. 83 (usages de la table chez la petite noblesse terrienne d'origine persane).
Quant aux considérations linguistiques et culturelles, cf. Hayawân, t. IV, p. 21-23 ;
t. V, p. 289-290 ; Bubalâ', p. 122 ; Bayân, t. I, p. 18, 92, 144 ; t. II, p. 323 et passim.
1. On voit qu'il ne s'agit pas seulement de création animée, comme le titre de Haya-
wân le laisserait croire.
2. Hayawân, t. III, p. 299.
3. Ibid., p. 371.
1. Sur la création des êtres supérieurs, djinns et anges, eux aussi rangés en classe»
hiérarchisées (marâtib), cf. Hayawân, t. I I I , p. 231-235 (discussion sur les ailes des
anges) ; t. VI, p. 190-194.
Sur l'homme défini comme animal à poils, cf. Hayaœdn, t. V, p. 484 ; semblable
au singe : t. I, p. 2 1 5 ; rapproché du pigeon : t. I I I , p. 163-168, 211 et passim; changé
en cochon : t. IV, p. 72 (donné sous toutes réserves par Gàhi? ; sans doute réminiscence
de contes d'origine grecque (épisode de Circé) : cf. Griinebaum, op. cit., p. 331-332 ;
notation probante, toutefois, car elle s'inscrit dans la même intention de ne pas isoler
l'homme dans la création, mais au contraire de le relier aux autres espèces) ; sa voix
mise en parallèle avec celle du chat : t. IV, p. 21-23, avec, en manière de conclusion :
i quand les manifestations de la connaissance et des besoins sont rares, rares sont aussi
les manifestations de l'émission de la voix ».
Sur les références concernant l'homme dans son ensemble, cf. Hayawân, index,
s.v. «insân». Sur les caractéristiques intellectuelles de 1'« hominien», cf. t. I, p. 42 sq.,
71 ; sur Vistitâ'a, cf. t. V, p. 442-453, où l'homme est présenté comme l'animal qui doit
penser et bien penser (fonction rendue d'autant plus nécessaire par le rappel de l'exempla
des anges et peuples châtiés).
2. Buhalâ', p. 59 (extrait d'un ensemble beaucoup plus long : p. 56-62).
3. Éd. de Goeje, p. 44 (extrait de p. 43-45) ; trad., § 83-87.
ô â h i z , gagne droit de cité dans les lettres arabes, même à travers la simple
imitation d'un modèle, c'est l'observation empirique, fondée en droit
dans le TarbV et en fait dans les Hayawân et dans toute l ' œ u v r e gàhi-
zienne, c'est l'aventure personnelle, toute cette magie de l'instant vécu,
de ce ' i y â n 1 dont Muqaddasï fera l'un des fondements de sa méthode.
Allons plus loin : quand on f a i t la somme des passages où un auteur comme
celui-ci se réfère à sa propre expérience, on peut dire que, sur bien des
points, l'attitude de la meilleure géographie arabe n'est guère autre chose
que la systématisation de la référence personnelle dont Gâhiz a jeté les
bases vers le milieu du m e / i x e siècle, avec cette réserve essentielle, que
l'expérience du réel devient objet même de recherche, et non plus seule-
ment, comme chez Gâljiz, contexte ou illustration, ce qui a pour corollaire,
quelquefois dans les intentions et presque toujours dans les faits, une
présentation sobre, voire sèche, laissant peu de place aux considérations
morales et aux soucis de style qui font, ici, la différence fondamentale
d'avec la "manière d'un Gâhiz.2
N e confondons pas pourtant, en la matière, l'apparence extérieure d'une
écriture, le jeu des mots, bref ce qu'il est convenu d'appeler, comme plus
haut, le style, dont la fonction est l'expression d'une pensée, avec la f o r m e
même de l'esprit qui la pense, f o r m e que le style, certes, n'a pas pour
objet d'exprimer, à de rares exceptions près, mais qu'il ne peut s'empêcher
de trahir. Si donc nous voulons étudier la pensée, non plus dans son contenu
comme tout à l'heure, mais dans sa l'orme, ne reslons pas confinés dans les
limites de son expression, qui, n'en étant que l'épiphénomène, demeure
ambiguë et fuyante à l'examen — puisqu'aussi bien, si son existence est
nécessaire à la pensée, sa spécificité, elle, ne l'est pas — et attachons-nous
plutôt à ce qui lui préexiste, c'est a-dire aux démarches mêmes de la
pensée, aux structures et aux attitudes mentales, telles qu'elles appa-
raissent au travers, et presque à F insu, des fantaisies de l'expression. Si
donc, en ce domaine, nous recherchons les points de comparaison possibles,
que constatons-nous ? Comme fxâhiz, des auteurs aussi représentatifs,
dans diverses tendances de la géographie, qu'Ibn Hurdâdbeh, Ibn Rusteh,
Ya'qûbï ou Muqaddasî ont lendance à procéder, dès qu'ils s'évadent du
cadre de l'observation partielle, et de la monographie pour tenter de
s'élever à des considérations générales, par le schéma classique du cata-
logue, dont la devinette, les listes de spécialités (hasâ'is) ou rémunération
ne constituent guère qu'autant de spécimens. 1 E t même dans la des-
cription détaillée, je note les mêmes symptômes, la même propension à une
systématique rudimentaire : une notice comme celle d'al-Ahwâz préfigure,
1. Cf., chez Gâhiz, Buhala , p. 78 (les vipères du Siëistân.î les serpents d'Ëgypte et
les couleuvres d'al-Ahwâz), 79, 1. 12-13 (liste de spécialités); Hayawân, t. IV, p. 106
(sur les particularités de quelques pays) ; t. VII, p. 230 (énumération de lieux avec indi-
cation des effets correspondants sur la psychologie des hommes). Plus probante est
la citation de ûâhiz par Muqaddasî — dans l'esprit sans doute du Kitâb al-am?âr —,
qui s'intègre parfaitement (trad., § 61) à un chapitre entièrement consacré à un cata-
logue des spécialités (hasâ'is) des pays (catalogue de même esprit chez Ibn al-Faqîh,
p. 92-93) ; comparer de même Bayân, t. II, p. 297 : « Nous n'avons pas vu de ville plus
proche qu'al-Ubulla, ni plus douce pour l'eau, plus égale pour les montures, plus
favorable aux commerçants, plus secrète aux gens pieux... » et Muqaddasî, § 63 : « Point
de gens aussi nombreux ni aussi ignobles que les chantres de Nïsâbûr, ni aussi avides
qu'à La Mekke, ni plus pauvres qu'à Yatrib, ni plus chastes qu'à Jérusalem », § 78
(classification des caractéristiques des adeptes des diverses écoles juridiques), etc.
Présentations de même esprit chez Ya'qubi (trad., p. 5, à propos de la population de
Bagdad : « Nul n'est plus instruit que leurs savants, mieux informé que leurs tradi-
tionnistes, mieux doué pour le raisonnement que leurs théologiens, plus fort en syntaxe
que leurs grammairiens, plus sûr que leur lecteurs, plus expert que leurs médecins », etc. ;
trad., p. 235 [citation de Ya'qubi par Nuwayri : sur les différentes catégories de musc]) ;
Ibn Rusteh (trad., p. 122 : « Ni au Yémen, ni au Tihama, ni au Hidjaz, on ne rencontre
une cité plus grandiose, plus populeuse, où les richesses soient plus abondantes, la
nourriture plus délicate », p. 147-148 : énumération des richesses de Rome, etc.) ; Ibn
Hurdàdbeh (beaucoup plus rarement : cf. infra, p. 56 et note 3 ; voir toutefois trad.,
p. 123, 133 : « La ville la plus favorisée de la nature est ar-Rayy, avec ses beaux quartiers
d'as-Sorr et d'as-Sarbân ; celle qui l'emporte par l'industrie de l'homme est Djordjân ;
la ville la plus productive, Naisâbour»); Ibn al-Faqîh, p. 29 (sur les mérites de la
Yamàma), 35 (sur le Yémen), 92, etc. (le même auteur développe également le thème
de la répartition [exemple p. 84 : « La violence a été répartie en dix parts, dont neuf
sont allées aux Berbères et la dixième au reste de l'humanité » ; cf. également p. 92]).
Sur ce mode de pensée, voir références ci-après, p. 55, note 2.
arabe, avec Ibn al-Muqaffa' notamment, en offrait déjà avant lui de nom-
breux exemples. 1 II n'entre pas dans les limites tracées à notre recher-
che de déterminer la part respective des influences arabes, grecques ou
orientales dans l'élaboration de pareils schèmes de pensée.11 Constatons
simplement qu'au niveau littéraire, ûâbiz leur a donné définitivement des
lettres de noblesse et qu'ainsi, après avoir introduit, on l'a vu, une méthode
nouvelle d'investigation des faits, son prestige accrédite, pour leur exposé,
des méthodes traditionnelles. Et la meilleure preuve en est qu'un Ibn
tJurdâdbeh, moins à cause d'une manière qui lui serait propre que parce
que, contemporain ou presque de GShiz, il ne subit pas encore son in-
fluence de façon aussi pregnante que les générations suivantes, éprouve
beaucoup plus de répugnance, non pas à penser de la sorte — qui le saura
jamais ? —, mais à écrire dans cet esprit, je dirais presque : à écrire tout
court, dans la mesure où un tel acte, le libérant de la notation technique et
quasi arithmétique à laquelle il entendait se borner, l'eût engagé, venant,
comme d'autres, quelques décennies après, à se livrer ou, à tout le moins
porté à se trahir. Il suffisait, en d'autres termes, de donner à une certaine
formulation de l'œuvre littéraire le temps de devenir classique et de
s'inscrire dans les faits pour qu'on la vît ensuite s'appliquer tout naturelle-
ment à des domaines comme l'exposé des itinéraires, où l'on n'eût pas
pensé peut-être, au temps qu'elle s'élaborait, qu'elle dût un jour trouver
place. 3
1. Cf. Gâhi?, HayawOn, t. "VII, p. 203 (devinette sur les choses les plus étonnantes
au monde) ; Fahr as-Sûdân, p. 58 : « D'après Luqmân, il est trois sortes d'hommes
qui se révèlent dans trois sortes de circonstances : le sage face à la colère, l'intrépide
face à la crainte, le frère face à tes besoins ». Pour Ibn al-Muqaffa", cf. Kallla, trad.,
p. 56-57, 96, 116, 147, 150, 161, 181, 183, 191 et surtout 214-225, long écheveau de ces
sortes d'apophtegmes, dont nous extrayons celui-ci : « Il est trois solitudes : celles
d'une mer sans eau, d'un pays sans roi et d'une femme sans époux». Dans la même
tendance naturelle à classer, citons la variante de la chaîne (exemple pris, entre t a n t
d'autres, à VAdab a$-sa<jir, p. 11) : « Toute créature a une tendance, toute tendance
une fin, toute fin un moyen ». Nombreux exemples aussi dans le Kallla, trad., p. 41,141
et passim. Pastiche de ce style dans Hamadânl, maqâma cjâhiiiyya (éd. M. 'Abduh,
op. cit., p. 75).
2. Sur les influences qui ont façonné l'adab, cf. Griinebaum, op. cit., p. 278-282.
L'universalité de cet esprit apparaît bien comme une constante — mais comment
situer les influences possibles ? — dans les mondes hellénistique, romain et oriental :
sans parler, par exemple, du goût de la comparaison qui est une des prédilections de
l'expression poétique en grec et en latin, on retrouve chez un Sénèque, sur le thème de
la vertu, les mêmes développements que dans la prose moralisante de l'adab (cf. De
constanlia sapientis, III-VI, et préface de 'Ali b. a5-§àh al-FàrisI au Kalila, trad.,
p. 291).
3. Ce que nous savons de la vie d'Ibn Hurdâdbeh, et ce qui e s t ' d i t par ailleurs de
son œuvre, historique ou autre (cf. Mas'ûdï, Prairies, t. I, p. 13 ; de Goeje, introd. au
Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik, p. X I - X I I ; R. Blachère, compte rendu de la publ.
du Kitâb al-lahw wa l-malâhi par 'A. Khalifé, dans Arabica, V I I I , 1961, p. 102) nous
inclinent à penser que nous avons affaire à un homme représentant assez bien le type
D e l ' œ u v r e q u e G à h i z a v a i t réservée a u x p r o b l è m e s s t r i c t e m e n t g é o g r a -
p h i q u e s , nous n e c o n s e r v o n s q u e q u e l q u e s e x t r a i t s . N o u s n e p o u v o n s
c e p e n d a n t n o u s en désintéresser, e n droit ou e n fait. E n droit, c a r l'in-
f l u e n c e du Livre des métropoles et des curiosités du monde a é t é m a n i f e s t e
sur les a u t e u r s g é o g r a p h i q u e s des m e / i x e et i v e / x e s i è c l e s . 1 E n fait, car,
si u n e certaine p r u d e n c e reste de m i s e q u a n d il f a u t juger une œ u v r e
ainsi mutilée, le v o l u m e substantiel de c e s f r a g m e n t s limite d ' a u t a n t p l u s
le péril que le Kitâb al-amsâr n ' é t a i t s a n s d o u t e pas u n e œ u v r e m o n u m e n -
t a l e 3 , e t donc q u e le rapport du v e s t i g e au t o u t reste satisfaisant.
Ce q u i frappe à la première lecture de l'œuvre, c'est la part é n o r m e q u ' y
t i e n t la tradition, e t particulièrement la t r a d i t i o n a r a b e . 3 On v e r r a i t
alors, dans c e t t e t a r d i v e c o m p o s i t i o n des t o u t e s dernières a n n é e s de l a
v i e de ( j â h i z * , la m a r q u e d'une retraite où les i n q u i é t u d e s de la j e u n e s s e ,
les p r é o c c u p a t i o n s de l'âge mûr, s ' e s t o m p e n t d e v a n t la résignation, l e s
n é c e s s i t é s de la p r u d e n c e 5 , p e u t - ê t r e aussi le désir sincère du vieillard d e
même de l'adib. Or, son œuvre géographique, qui nous occupe seule, semble assez
peu ouverte, en sa technicité, aux thèmes et aux schèmes de pensée dont il est ici
question, sauf dans certains passages (cf. citation, p. 54, note 1) qui posent précisément,
selon nous, le problème de l'ouverture du genre technique qu'est la géographie d'alors
aux influences proprement littéraires. Nous sommes en effet, avec ces passages, dans
une zone du livre qui représente un ensemble d'adjonctions apportées, jusque vers 272
de l'Hégire (date de parution d'une seconde et définitive version), à une première
rédaction de l'œuvre (en gros, les itinéraires et la description des quatre • quarts » de
la terre) faite, elle, en 232 de l'Hégire (cf. de Goeje, introd., p. XVIII, XX). Or, dans
la même zone de l'ouvrage, soit trad., p. 132, nous retrouvons — et nous n'avons
aucune raison de penser qu'il s'agit là d'une glose — la notice de Gâhi? sur al-Ahwâz,
avec mention expresse du nom de cet écrivain et reprise des termes mêmes de son
texte (exemple : magnat"" hamrû'" : teinte rosée des pommettes). Que le présent
emprunt ne remonte pas à la version de 232 ne peut raisonnablement être mis en doute,
en raison, on l'a dit, de sa localisation dans l'ouvrage et aussi du fait que la version
de 232 et les Hayawân sont quasiment contemporains (cf. supra, p. 38 . note 2). Ainsi
donc, la version définitive qui est donnée du Kitâb al-masâlik iva l-mamâlik en 272,
soit dix-sept ans après la mort de Gâhi?, fait la place, contrairement à la version de 232,
aux thèmes propres à Vadab et à son maître prestigieux : les merveilles et les particu-
larités de la terre et des régions. Volonté, par conséquent, de se mettre au goût du jour
et d'appliquer au genre des itinéraires les nouvelles formes littéraires.
1. Il est cité notamment par Ibn al-Faqïh, Mas'udï, MuqaddasI (cf. index de ces
auteurs), inspire Ibn Rusteh (trad., p. 60-63 : Hayawân, mais peut-être tout aussi bien
Amsâr [cf. p. 187 s?.]), Qudâma sans doute (cf. A. Makkï, Qtidâma b. Ga 'far et son œuvre,
p. 275-276). Ya'qûbï, en revanche, semble suivre une documentation originale (déjà
signalé par Sauvaget [Relation, p. XXVIII]).
2. Cf. MuqaddasI, trad., § 13, 13 bis.
3. Cf. par exemple le thème des QurayS : p. 174-187.
4. Composé en 248/862 (cf. p. 181), le Kitâb al-amçâr est antérieur de sept ans à
la mort de son auteur.
5. Cf. Pellat, dans El (2), t. II, p. 397 [1].
1. Plus que la distance chronologique en valeur absolue, d'ailleurs faussée par l'ex-
ceptionnelle longévité de Gâhi? (160/776-777-255/868-869 ; Ibn Qutayba : 213/828-270-
276/882-889), ce qui est parlant, c'est le fait que la plénitude de l'âge adulte coïncide,
pour le premier, avec le mu'tazilisme et le mouvement scientifique du règne d'al-Ma'-
m û n (198/813-218/833), pour le second avec la réaction orthodoxe qui commence au
règne d'al-Mutawakkil (232/847-247/861).
2. Cf. G. Lecomte, dans Mélanges Massignon, t. III, p. 45 sq. (art. cité).
3. Op. cit., p. 47.
4. Adab al-kâtib, cité dans Mélanges Massignon, op. cit., p. 55 i.f.
5. Ibid., p. 59 i.f.
6. Cf. supra, p. 23, note 4.
7. Ainsi s'explique le nombre des citations poétiques dans l ' A d a b al-kâtib. Voir par
ailleurs une illustration typique, sur l'équitation, dans le Kitâb aS-ii'r wa S-Su'arâ',
cité dans l'introd. de M. Gaudefroy-Demombynes, p. X I I .
est quantitativement mieux traité, mais dans le même esprit : cet Iranien
de souche qu'est Ibn Qutayba, que retient-il de son patrimoine ? Une cer-
taine histoire et une certaine littérature populaire. Pour l'histoire, je'veux
dire que l'Iran, pas plus que les autres nations, n'intervient jamais pour
lui-même, mais dans le contexte très précis de l'avènement de l'Islam. Mais
passe encore sur ce fait : car ce point de vue, courant chez l'historien arabe,
ne l'empêche pas du moins d'accorder, même dans ce contexte, une place
importante à l'étude des peuples étrangers. Or, la comparaison entre un
Mas'ûdï et un Ya'qûbï, d'un côté, et Ibn Qutayba de l'autre, est éclai-
r a n t e 1 : on y verra que le fait iranien joue dans les Ma'ârif un rôle à peu
près nul. Quant aux 'Uyûn, ils ne le présentent qu'en relation avec l'éthique
arabo-musulmane, thème central et quasi unique de l'ouvrage. 2 On
rejoint par là, en fait, un traitement de l'histoire par la littérature populaire,
le but étant d'intégrer la traditionnelle sagesse des nations au cadre de la
religion nouvelle. E t encore faut-il noter que les sentences ou dictons rap-
portés à la Perse 3 ne peuvent jamais, pour leur nombre, être mis en
balance avec l'énorme masse de la poésie, du folklore et de la tradition
arabes, qui restent, de très loin, les sources fondamentales. 4
L'entreprise d'Ibn Qutayba, qui vise à former non plus l'honnête homme
de l'époque, mais le bon musulman, lui a valu les éloges de l'orthodoxie,
pour qui il est le chef de file des Sunnites, tout comme Gâliiz est celui des
Mu'tazilites. 5 La formule fixe et résume à la fois l'esprit et les méthodes
de cette connaissance, ainsi que la position d'Ibn Qutayba par rapport à
l'Iran, à la Grèce et à Gâhiz. En livrant aux musulmans le catalogue des
connaissances à posséder, on opte pour l'encyclopédie et contre la recherche,
André MIQUEL. 8
Gâhiz et l'esprit qu'il incarne font évidemment les frais de cette opéra-
tion, et la façon dont Ibn Qutayba attaque son rival est tout à fait sympto-
matique de la vivacité de la lutte. Tantôt, on tourne l'obstacle, on emprunte
au grand homme, mais en lui faisant porter un autre drapeau : quand on
déclare 1 que « Dieu n'a réservé ni la science, ni la poésie, ni l'éloquence
à une époque en la refusant à une autre», qu'il n'en a « pas doué un peuple
à l'exclusion d'un autre», mais qu'il a « partagé tout cela comme un bien
commun entre tous ses adorateurs, en tous les siècles », on reprend, certes, un
propos courant chez Gâljiz 2 , mais en en renversant le sens, l'intention
universaliste et humaniste de Gâhiz permettant ici d'attaquer l'étranger
quel qu'il soit et, en montrant que les Arabes n'ont rien à envier aux « bar-
bares », de présenter, comme il est dit ailleurs », ceux-là seuls comme les
«dépositaires de la Sagesse et de la Preuve décisive». D'autres fois, on
préfère attaquer de front : on se propose alors de ruiner l'audience de Gâhiz
en s'en tenant aux apparences extérieures de l'homme, en dénonçant tout
à la fois le caractère pernicieux de ses doctrines et la bouffonnerie de leur
auteur. 1
Il reste à expliquer pourquoi la légende d'un Crâliiz histrion a pu s'accré-
diter aussi vite : le goût du public n'explique pas tout et aux raisons ordinai-
rement invoquées" doivent en être ajoutées d'autres, qui tiennent aux
conditions historiques de l'œuvre. Si Ibn Qutayba a pu se poser en homme
sérieux, face à un baladin de caricature dont il contribue à accréditer
l'image, c'est parce qu'il oppose, dans la réalité des faits, à l'inquiétude et à
la nervosité de la recherche gâhizienne, une construction parfaitement
ordonnée qui répond aux angoisses d'une conscience musulmane désem-
parée par les premiers signes de l'échec temporel et le spectacle de la disper-
sion spirituelle : programme religieux, politique, moral et culturel, l'œuvre
d'Ibn Qutayba trouve dans ces circonstances son illustration et sa grandeur.
Celle-ci ne tient pas, comme le croit une tradition trop tenace, à l'ampleur
exigeante du savoir, mais presque à son contraire, à cette construction,
synonyme de cohérence et de contrainte, où Ibn Qutayba enferme l'homme
nouveau.
Le problème de la culture et de son public, posé au début de ce chapitre,
peut donc recevoir deux solutions : Gâhiz, préoccupé des droits de l'esprit,
pose la nécessité de la recherche en tant que telle, tout en ménageant les
1. Sur les sens du mot anwâ' (à l'origine, système de comput fondé sur les cou-
chers acronyques des étoiles et les levers héliaques de leurs opposites) et la littérature
de ce type, cf. C. Pellat, dans El (2), t. I, p. 538-540.
2. A v e c des emprunts indiens, mais le contexte reste arabe : cf. Pellat, op. cit.
3. Cf. Ibn al-Muqaffa', Risâla fi s-sahâba, traduction dans C. Pellat, Milieu,
p. 286, et, plus tard, MuqaddasI, trad., § 92.
4. Pour les ahbâr, cf. les renseignements donnés par Ibn Qutayba sur Ba$ra (cinq
lignes d'ahbâr, constituant toute la notice relative à Baçra dans les Ma'ârif, p. 245-246).
Sur la «joute» des mafâhir wa l-matâlib, cf. supra, p. 55. U n exemple relatif à Basra-
K u f a est celui de Madâ'inï, un des prédécesseurs de Gâhi? (cf. Pellat, Milieu, p. 144).
5. Muqaddasï, traitant de l'ensemble des amsâr, est typique à cet égard. Il juxta-
pose les données techniques du thème (§ 92) aux données traditionnelles de Yadab
(§ 61 : liste des caractéristiques des dix amsâr, explicitement rapportée à Gâhi?, il est
vrai : sur ce point, cf. infra).
6. Cf. supra, p. 54-56.
1. Cf. chap. I, p. 10 sq. Sur ce chapitre, cf. Kratchkovsky, p. 99 (105), 127 (131),
147-150 (155-158), 160-162 (165-166), 195-196 (198-199), 219-225 (219-223).
1. Sous la réserve toutefois que les noms de peuples sont parfois déjà une ébauche
de description, d'autant mieux qu'ils sont moins connus, exemple : ' A(j.aÇ66iot : ceux qui
vivent dans des chariots (peuple scythe); Troglodytes (peuple d'Ëthiopie) ; AIOÎcoteî; :
les hommes au visage brûlé, etc.
2. Rayonnement, ici encore, de l'école de âunday-Sâbûr ; quant aux influences
indiennes — non exemptes, peut-être, d'influences grecques antérieures —, la mesure en
est donnée par la traduction, sous le règne d'al-Mansûr, du Sûrya-siddhânta, lequel
inspire le Kitâb az-zijj d'Ibrahim al-Fazârï, écrit dans le dernier quart du n / v i n e siècle.
3. Nous retombons ici sur un problème fondamental : celui de la langue. Le public
cultivé qui accueille les thèmes grecs à l'époque d'al-Ma'mun (813-833 de J.-C.) dis-
pose d'un véhicule de pensée arabe, mais cette pensée même, étant donné les conditions
de création de la prose arabe, est tout imbibée de thèmes iraniens : c'est l'éthique
iranienne, l'histoire, la médecine et même la religion de l'Iran (parfois de l'Inde à travers
l'Iran) qui inspirent, on l'a vu, pour une très large part et presque sans partage, la
pensée littéraire des débuts du califat abbasside. N'oublions pas non plus que les
influences iraniennes étaient vivaces jusque dans les milieux chrétiens, dont on sait la
part qu'ils ont prise à la traduction des œuvres grecques : un bon exemple de ces in-
fluences, pour une époque antérieure, est donné par Bardesane (Bar Disân, né en 154
ap. J.-C. : cf. A. Abel « Dayjâniyya », dans El (2), t. II, p. 205-206).
4. Cf. « Dâtastân-i dënïk », trad. par. M. Molé, dans La naissance du monde, Paris,
1959, p. 308-314 et notamment 312 : « Au sommet du tiers [intermédiaire], [le Créateur]
fixa le soleil lumineux, la brillante lune et les étoiles... Il décréta qu'à l'arrivée de
l'adversaire ils se mettraient en mouvement et tourneraient autour de la création,
projetant sur la vaste terre la lumière et la pluie... »
5. C'est sans doute de l'Iran (avec appropriation, parfois, par la tradition arabe)
que provient l'habitude de donner, sur les cartes, aux grands ensembles maritimes ou
terrestres la figure d'objets ou d'êtres familiers : oiseau, manteau court (taylasân),
quwâra (cf. infra, p. 80, note 3), etc. (cf. S. Maqbul Ahmad, « Djughrâfiyâ », dans El [2],
loc. cit., p. 590 [2], 592 [1], 596 [1]). Cette tradition jouera un rôle considérale chez les
E n f i n et s u r t o u t , à la c o n c e p t i o n g é o d é s i q u e d e s c l i m a t s s ' o p p o s e la c o n s -
t r u c t i o n g é o p o l i t i q u e des keswar-s, q u i j o u e r a u n rôle c a p i t a l d a n s la g é o -
g r a p h i e a r a b e : il y a, au p r o p r e , h u m a n i s a t i o n d e la g é o g r a p h i e , d a n s la
m e s u r e o ù la t h é o r i e des keswar-s r e n v e r s e les t e r m e s de la p r é s e n t a t i o n
d e l ' œ c o u m è n e : alors q u e la Grèce p o s e , a u d é p a r t , u n e r é p a r t i t i o n m a t h é -
m a t i q u e d e « c l i m a t s » à l'intérieur d e l a q u e l l e les g r a n d s e n s e m b l e s h u -
m a i n s v i e n n e n t t r o u v e r l e u r s p l a c e s r e s p e c t i v e s , l'Iran, q u i a a u s s i sa
c o n s t r u c t i o n m a t h é m a t i q u e d u m o n d e , p r é s u p p o s e , lui, q u e c e t t e o r g a n i -
s a t i o n m é n a g e , a v a n t t o u t e c h o s e , la d i s t r i b u t i o n é t o i l é e d e s d i t s e n s e m b l e s
a u t o u r d u keswar central, q u i e s t celui d e l ' I r a n et d e l ' I r a k . 1 C'est d o n c
l ' h o m m e q u i d e v i e n t , par s a s i t u a t i o n , ses c a r a c t é r i s t i q u e s e t s e s v a r i a n t e s ,
le p i v o t d u m o n d e . E n m ê m e t e m p s , d a n s l'ordre d e l ' e x p r e s s i o n , c e t t e
c o n c e p t i o n e n t r a î n e le p a s s a g e de t y p e s p u r e m e n t m a t h é m a t i q u e s à d e s
t y p e s p l u s littéraires, le g e n r e d e la n o m e n c l a t u r e a r i t h m é t i q u e p a r d e g r é s
se f o n d , s ' e s t o m p e m ê m e d a n s u n e p r é s e n t a t i o n p l u s i m a g é e e t p l u s v i v a n t e
d e la terre, où d o m i n e n t c e t t e f o i s les t h è m e s p r i v i l é g i é s d e s rois d u m o n d e ,
d e s g r a n d e s v i l l e s d e la c r é a t i o n o u d e s t r a i t s f o n d a m e n t a u x d e s p e u -
p l e s . 1 P o u r t o u t dire, la sura p o r t e en elle, e n c o r e c o n f u s , les g e r m e s
géographes arabes, qui la signaleront ou l'adopteront selon les cas : cf. Ibn al-Faqïh,
p. 3-4 ; Mas' ûdî, § 193 ; Muqaddasî, trad., § 26, 28, etc. Mas 'ûdï, loc. cit., semble rappor-
ter cette habitude à la Grèce, mais il peut s'agir d'une simple aberration visuelle, les
formes vues par lui sur les cartes « de Ptolémée » n'ayant existé que dans son imagination.
Certes, nous ne savons pas comment Ptolémée dessinait ses cartes et «on n'est même pas
sûr qu'il en ait publié de son vivant », les seules cartes que nous lui attribuions ayant été,
en réalité, dressées dans des ateliers byzantins des x m e et x i v e siècles (R. Taton,
op. cit., 1.1, p. 369). Pourtant, et malgré l'argument contraire que peuvent constituer les
noms des constellations, la technique figurative parait incompatible avec celle du poin-
tage minutieux de Ptolémée : cf. infra, p. 74, note 4.
Faut-il rapprocher l'oiseau dont la forme embrasse toutes les parties de la terre
(cf. Ibn al-Faqih, loc. cit. et p. 119) de ces animaux à fonction pan-symbolique, « dont
le corps est une véritable imago mundi » (Pensée sauvage, p. 80) ?
1. Par la suite, ce centre irano-irakien (dont la tradition se devine encore chez Ibn
Rusteh, p a r exemple [p. 151 sg], ou, plus clairement encore, chez Mas' üdi [ Tanbih,
p. 55-57)) se fixe sur l'Irak seul (cf. Ya 'qûbl, p. 233 sq.) ou même se déplace aux lieux
saints d'Arabie (cf. Ibn al-Faqïh, p. 16 sq., et aussi Ibn Rusteh, p. 24). Nombre de
géographes toutefois juxtaposent les deux systèmes de divisions climatiques longitu-
dinales et de répartition rayonnante autour d'un ¿(¿cpaXôç : cf. Muqaddasî, p. 58 sq.,
67, 113. Sur les fondements mythologiques de cette répartition ethnique, cf. M. Molé,
« Le partage du monde dans la tradition iranienne », dans J. As., CCLX, 1952,p.4 55-463.
2. Cf. p a r exemple Mas 'ûdî, Prairies, § 395-397 (ou apparaît, pour le roi suprême,
celui du centre, le titre de Sâhân Sàh : thème iranisé, sinon iranien : cf. références dans
Relation, § 24, note 1). Même littérarisation pour les thèmes d'astronomie pure : cf.
l'image du «jaune dans l'œuf», répétée à l'envi pour illustrer la position centrale de
la terre dans l'univers ; cf. Ibn tJurdâdbeh, p. 4 ; Ibn al-Faqïh, p. 4-5 ; Ibn Rusteh, p. 8,
etc. L'image ne semble pas être grecque et Mas'ûdï (§187 sq.), qui parait suivre Ptolé-
mée d'assez près, ne la reproduit pas (notamment § 187 et 197, où on' l'attendrait et où
ne se trouve, en réalité, que la notion géométrique de point ; même attitude dans
Tanbih, p. 15).
La plus célèbre représentation de la terre est l'atlas qui fut dressé par les
astronomes du règne d'al-Ma'mûn (813-833 de J.-C.) dans le cadre de cet
institut de recherches qu'était le bayt al-hikma. Il est à peu près certain,
du reste, que cette sûra ma'mùniyya s'inspirait fondamentalement des
données fournies par Marin et Ptolémée, complétées en l'occurrence par
l'inscription, sur la carte, des toponymes livrés par la tradition arabo-
musulmane : c'est en ce sens qu'il faut prendre l'affirmation de Mas'ûdï 3 ,
qui déclare la nouvelle sura supérieure à celle des maîtres grecs : supérieure
parce qu'adaptée aux exigences nouvelles. 4 La théorie de cette carto-
1. Conception bien entendu héritée de l'Inde : cf. Maqbul Ahmad, op. cit., p. 591
[2|. Un exemple dans Ibn Rusteh, p. 22.
2. On opposera, sur ce point, le sérieux de l'exposé d'un Ibn Rusteh au caractère
précaire des données « scientifiques » de Muqaddasï, qui, écrivant dans les dernières
années du x e siècle, est séparé de son prédécesseur par quatre-vingts ans ou plus.
3. Tanblh, p. 53.
4. Mas'ûdï déclare, en cette matière, jugersur pièces,puisqu'il dit avoir vu les cartes
de Marin ( T a n b l h , loc. cit.) et de Ptolémée (Prairies, § 191, 193). Pareille affirmation
relance le problème, posé supra (p. 71, note 5), de la cartographie ptoléméenne. Etait-
ce les originaux que voyait Mas'ûdï, ou des cartes dressées, d'après les données du t e x t e
de Ptolémée et de Marin, par les traducteurs, lors du passage du grec au syriaque ou
du syriaque à l'arabe ? Dans ce dernier cas, o n s'expliquerait mieux, à la faveur des
influences signalées (cf. p. 71, note 3), l'origine de cette cartographie figurative que
graphie ainsi mise au point a été, parallèlement, exposée dans des traités
techniques : le plus célèbre, et aussi le plus ancien, semble être le Kitâb
sûrat al-ard1 de Muhammad b. Mûsâ al-Huwârizmï. Or, ce traité, q u o i q u e
technique d'allure, fait déjà place, encore que de façon épisodique, à des
t h è m e s d'adab.2 N o u s savons, certes, au témoignage de Mas'ûdî 3 , q u e
Huwârizmï s'est intéressé à l'histoire ; pourtant, le caractère d o m i n a n t
du personnage reste celui du savant très spécialisé : surtout algébriste
et astronome, il n'a sans doute vu dans sa participation à la sûra ma'mû-
niyya q u e le prolongement d'une recherche fondamentale. Si donc les
t h è m e s développés par Yadab se font déjà, m ê m e modestement, une place
chez un pur savant contemporain de l'apparition du genre de la sûra, o n
est en droit de penser qu'avec le t e m p s et chez des personnages plus éclec-
tiques, plus portés à composer entre la littérature et la science, la carto-
graphie primitive va s'élargir d a v a n t a g e encore.
Mas'ûdî 4 signale la différence qui existe, pour l'appréciation des m e s u -
res de l'œcoumène, entre les astronomes purs et les disciples de Kindï, d o n t
le plus éminent et le plus fréquemment cité par lui est A h m a d b. a t - T a y y i b
as-Sarahsï. Ces préoccupations particulières qui distinguent l'école de
Kindï, quelles sont-elles ? Kindï, tout d'abord, le maître très écouté, e s t
un phénomène rare à cette époque : celui d'un Arabe, qu'on peut donc
supposer pétri de la tradition de la Péninsule, mais en m ê m e temps né à
Kufa, élevé à Basra ou Bagdad, et rompu à la nouvelle science grecque. 5
p. 268) dit qu'« on a traduit pour lui, Kindï, au demeurant assez mal, la Géographie
de Ptolémée. » L'ensemble de la notice du Fihrist sur Kindï (p. 255-261) n'est pas plus
explicite et Carra de V a u x (Penseurs, t. IV, p. 5) avait déjà douté que Kindï eût connu
le grec.
1. Il est connu sous le titre de « philosophe des Arabes» et est l'auteur d'un traité
célèbre (Risâla fi l-'aql) que le Moyen Age occidental connaîtra par une traduction
latine intitulée De intellectu (cf. GAL, Suppl., t. I, p. 373, 1. 4).
2. Tanbih, p. 42, 77.
3. Cf. Tanbih, p. 42, note 2 (avec citation de source arabe reprenant la tradition
d'un Kindï connaisseur du grec [cf. supra, p. 75, noie 5], qui peut être d'ailleurs un
mauvais démarquage du Fihrist).
4. Tout au moins sous leur forme arabe ; le traité du flux et du reflux a inspiré
une traduction latine (cf. GAL, Suppl., t. I, p. 373, 1. 31).
5. Mesure de l'arc de méridien sous al-Ma'mun. Sur le sens de l'observation chez
Kindï, cf. Tj. de Boer, op. cit. (on corrigera l'expression de la p. 1079 [1] : «l'auteur
a vérifié à l'aide d'expériences les fondements de sa théorie qui, il est vrai, est fausse»),
6. Cf. Tanbih, p. 77 ; même attitude pour d'autres régions inconnues, au septentrion
ou au sud de l'Équateur par exemple : Tanbih, p. 42 ; Prairies, § 297.
7. Il se traduit, en fait, par une accentuation des erreurs de Ptolémée. La Méditer-
ranée est longue d'environ 3 900 km. Avec Ptolémée, d'après la différence approxi-
m a t i v e de 62° qui sépare les Colonnes d'Hercule de la ville d'Issos, on arrive, sur la
base de 500 stades au degré, à 31 000 stades environ, soit 5 580 km. Les chiffres des
auteurs arabes sont largement supérieurs, quelque valeur que l'on donne au mille,
qui est, avec la parasange (farsah), leur unité de mesure la plus fréquemment citée,
unité extrêmement flottante puisqu'elle oscille entre X /56 et 1 /87 de degré terrestre
(cf. Tanbih, p. 45 ; Prairies, t. I, p. 182-183 = § 190 et note 8 : sur ces difficultés d'éva-
luation, cf. Prairies, éd. Pellat, § 194, note 8, et ma traduction de Muqaddasï, § 97,
note 8, § 102, note 25). Battânï donne, comme longueur, 5 000 milles et l'école de Kindl,
prétendant rectifier ce chiffre, 6 000 milles (Prairies, § 298), ce qui nous amène à une
longueur de 11 500 km sur la base du mille ordinaire (1/3 de parasange, soit 5,7628:
3 = 1,92 km), ou de 8 100 km sur la base du mille ptoléméen de 7 stades et demi ( T a n -
bih, p. 42, note 3 ; 1 stade = 180 m), ou enfin, sur la base de 1/87 de degré (le degré
valant lui-même [cf. Prairies, t. I I I , p. 441] 25 parasanges, soit 144 km environ, ce
qui donne au mille 1,656 km), 9 900 km (9 700 dans l'art, anonyme « Bahr ar-Rûrn»,
dans El [2], t. I, p. 963).
1. Sans parler du sentiment de fierté qui le pousserait à gonfler les estimations des
Grecs.
2. Phénomène signalé aussi pour la cartographie pure : cf. Kramers, « La question
Balbl», p. 9-12.
3. C'est le terme employé par Marco Polo (Le devisement du monde, éd. A . t'Sterste-
vens, Paris, 1960), mais dans un sens profane, le mot exprimant alors une idée de
disposition, d'arrangement, dans les faits ou au niveau du langage. Ici, le taqœim
al-buldân (autre titre de l'ouvrage de Balbî) n'est pas séparable du thème de rènqxxXéç,
de l'Islam centre du monde, que ce soit par l'Irak, La Mekke ou Jérusalem, ni de la
distinction juridique entre le dâr al-Islâm et le dâi al-harb, séparés par cette région
mouvante des marches (iugûr), que la géographie administrative, ici encore, traitera
de son côté, mais sur le plan technique qui lui est propre.
André MIQUEL. 9
i.f.) et des itinéraires (cf. Le S t r a n g e , op. cit., p. 7). Mais c e t t e h y p o t h è s e reste précaire,
le m a n u s c r i t précisant (cf. 2 b) qu'il s'agit là d ' u n résumé (fa ahbabtu an afrtasira min
¿ami'i kutubihim).
1. Cf. p a r exemple les «idoles de cuivre» a u x limites occidentales de la Méditer-
ranée (10 b), l'ile de l ' a r g e n t et celle des pierres précieuses, dans la m e r des T é n è b r e s
(17 b), les lies de la mer Verte (23 a et b), le dialogue de Dieu et de Moïse sur le Sinaï
(29 a et b), les sources d u Nil (41 b), Gog et Magog (46 a et 48 b), R o m e (50 a). Si ces
incursions au domaine de i'adab ne suffisent p a s à expliquer le t i t r e de l'ouvrage, il
f a u t voir alors dans ce t i t r e u n certain désir de publicité, car a t t i r e r un public en
lui p r o m e t t a n t des t h è m e s d'adab prouve t o u t e la f a v e u r de ceux-ci.
2. Les chaînes de m o n t a g n e s y sont t r a i t é e s c o m m e les mers : elles « passent à »,
« v i e n n e n t de », « r e n c o n t r e n t » ou « reçoivent » : cf. 14 a sq. et 28 a-30 a.
3. J u g é si indispensable q u e , m ê m e dans ce « résumé », il a été, semble-t-il, intégra-
l e m e n t conservé (plus de dix folios [30 à 41] s u r u n t o t a l de 68). On sait d u reste que
c e t t e description de la Mésopotamie a inspiré, parfois m o t p o u r m o t , a l - t j a t ï b al-Bag-
dàdï (et, à t r a v e r s lui, Y à q û t ) et A b ü 1-Fidà' : cf. Le Strange, op. cit., p. 6 : le m o t de
qawwâra, employé p a r ce dernier auteur et p o u r lequel Dozy (t. II, p. 417) propose
la leçon plus correcte de quivâra (morceau rond), se t r o u v e précisément, dans le t e x t e
d ' I b n Serapion (cf. 15 b, 16 a et b, 19 b e t passim), sous sa f o r m e défectueuse, ce qui
est une p r e u v e s u p p l é m e n t a i r e de la parenté des deux textes.
4. « Un g r a n d cours d ' e a u f r é q u e n t é des navires » (36 b) ; « un p o n t de pierre » (35 b) ;
« à l'entrée du canal, un i m m e n s e pont... sous lequel l'eau s'élance en force, a v a n t de
t r a v e r s e r villages et cultures » (34 b).
5. « D i e Istabrî-Balbï F r a g e » , d a n s ZDMG, X X V , p . 42-58.
6. Ou encore Kitâb laqivim al-buldân (De la répartition des pays) : cf. p. 77, note 3.
1. Muqaddasï (trad., § 12) nous présente son œuvre comme livresque, très condensée,
consistant surtout en cartes accompagnées de brefs commentaires ; sur ses rapports,
controversés, avec l'œuvre du mathématicien Abu 6 a ' f a r al-Hâzin, cf. GAL, Suppl.,
t. I, p. 387 ; D. M. Dunlop, « BalkhI», dans El (2), t. I, p. 1034 (1) ; J. H. Kramers,
« Djughrâfiyâ», dans El, Suppl., p. 70 (1).
2. Cf. Yâqut, Udabd', cité dans Dunlop, op. cit., p. 1034 (1) i.f. Il a d'ailleurs connu
la famille des Gayhânï (le père ou le fils : sur cette question, cf. tableau des auteurs,
s.v. « ôayhânï »).
3. Cf. éd. de Goeje, p. 67-68, 269-270, 280 (note a), 306 (note b), 307.
4. Ibid., p. 307.
5. Etant donné le mystère qui entoure le personnage d'Ibn Serapion, nous ne pouvons
savoir s'il a été lui aussi en rapport avec cette école.
6. P. 74 i.f.
7. Cf. Içtabrî, Ibn Hawqal et Muqaddasï, qui, pour le plan d'ensemble, se situent,
on le sait, dans ce qu'on appelle « l'école de Balhï» : cf. Maqbul Ahmad, op. cit., p. 595-
596.
8. D e u x ou trois cartes traditionnelles (œcoumène, mers) sur une vingtaine pour
les géographes de cette « école » : cf. Kramers, « La question Balbï », p. 10.
9. Ibn Serapion en donne de fâcheux exemples (cf. 59 b sq.), tout comme Muqaddasï
(cf. trad., § 102, note 25) et Mas'ûdï (cf. Tanbih, p. 68), qui croit que toutes les villes
d'un iqlim sont situées sur une même latitude.
10. Dans la géographie de la mamlaka, la mention des terres non musulmanes est,
avec les autres notions venues de la ?ûra, confinée a u x chapitres d'introduction, et
elle disparaît complètement de la cartographie.
apogée, tout comme son Daylem correspond à la gloire de la domination exercée par
les habitants de cette région (cf. V. Minorsky, « Daylam», dans El [2], t. II, p. 199 [1]),
et ses Rihâb à celle de la dynastie musâfiride au milieu du i v e / x e siècle (cf. dans El [2],
t. I, V. Minorsky, « Àdharbaydjân », p. 194 [2] ; M. Canard, « Armîniya>, p. 658 [ 2 ] ;
R . N. Frye, « Arrân », p. 681 [2|).
1. Confirmé par la définition, donnée par Mas'ûdï, de l'œuvre de Saraljsï : cf. supra,
p. 79.
2. Son triomphe sur l'esprit de la géographie mathématique expliquerait que la
notion, très technique, de la qibla, ne s'intègre pas, malgré son importance pour la
communauté nouvelle, à la nouvelle sûra ; elle reste réservée à des traités spécialisés,
mais ne figure, dans les oeuvres géographiques, que comme souvenir, sous la forme
d'une simple mention (une seule mention chez Ibn Serapion : p. 67 a i.f.) ; voir toutefois
infra, chap. VI, p. 235, note 1. Sur les traités relatifs à la qibla, cf. supra, p. 73, note 4.
Le triomphe en question (celui de l'iranisme comme d'une certaine littérarisation
des thèmes) me paraît être l'illustration, pour la géographie, de la tendance qu'Ibn
Qutayba anime au plan plus général de l'histoire des idées ; contre un courant moder-
niste et scientiste, on délimite un sujet arabo-islamique (ici, la mamlaka) qu'on traite
selon l'esprit et les méthodes venus de l'Iran, mais en vidant ceux-ci de leur ancien
contenu iranien, en les adaptant aux données nouvelles : nous retrouvons, ici encore,
un Iran comme forme, non comme contenu.
3. Ils écrivent respectivement (cf. tableau des auteurs) en 232/846 (deuxième version
en 272/885), 276/889, entre 279/892 et 295/907, et en 320/932 (mais ici, pour Qudâma,
il s'agit de la fin de la rédaction d'une œuvre sans doute entreprise depuis longtemps :
cf. A. Makkï, Qudâma b. Ùa'far, op. cit., p. 256-258).
4. Cf. par exemple les listes de préfets du Sigistân ou du tJuràsân données par
Ya'qûbï (trad., p. 91 sq., 114 sq.), les mentions du conquérant de chaque province
(par exemple Àçjarbaygân : ibid., p. 71 ; Kirmân, p. 99 ; Égypte, p. 185 ; etc.), ou des
notations plus précises (ibid., p. 81 : « Le Tabaristàn est un pays indépendant, siège
d'une importante principauté » ; mention des principautés d'Afrique du Nord : p. 207 sq.).
feste dans ses thèmes, encore que de façon modeste une certaine conver-
gence avec la géographie administrative.
Cet intérêt porté à l'entité provinciale participe du mouvement par
lequel la sûra, limitant sa vision du monde à tout ou partie du domaine
islamique, répudie ou révise, au nom de la nécessité de l'observation
directe, les notions théoriques et trop générales héritées de l'étranger.
Mais d'autre part, on l'a vu, un mouvement de sens contraire porte la
même sûra, dès ses origines, à refuser de se fermer tout à fait aux thèmes
de l'adab. Si elle est ainsi soumise à l'apparente contradiction de deux
mouvements de sens inverse, c'est bien évidemment parce qu'elle est le
reflet de tendances connues, qui existent en dehors d'elle et qu'elle tente
d'intégrer, avec plus ou moins de bonheur et au prix de son unité. Mais
le problème reste posé, des voies par lesquelles se sont imposées ces in-
fluences : on peut admettre, certes, que, la notion de mamlaka et l'adab
étant alors deux idées-forces, la sûra s'en est imprégnée naturellement,
comme en respirant l'air du temps. Prenons garde toutefois qu'elle n'a
pas été seule — et ce dès l'époque de sa naissance — à porter les destinées
de la géographie : cette géographie administrative, dont nous venons de
voir que la sûra la rencontrait, sur le thème essentiel des provinces de
l'empire, autour des années 920-930, est presque aussi ancienne qu'elle. a
Il est possible par conséquent que, loin de cheminer parallèlement, les
deux genres aient influé l'un sur l'autre. Mais dans quelles proportions ?
J'ai tendance à penser que la sûra a pris à la géographie administrative
beaucoup plus qu'elle ne lui a donné et que l'apparition en elle du concept
de province, précisément, n'est qu'une illustration parmi d'autres d'une
convergence beaucoup plus générale et ancienne. La géographie adminis-
trative, nous allons le voir, a pour elle non seulement l'autorité d'une
tradition au moins aussi vénérable que celle de la sûra, mais le nombre et
surtout le prestige de ses auteurs : il flotte autour d'elle un parfum de
pouvoir, d'officialité, de capitale, et qui dit tout cela dit mode, goût du
jour. 3 Si donc nous décelons dans cette littérature géographique née au-
tour du califat les mêmes tendances que dans la sûra, nous serons, semble-
t-il, en droit de conclure que c'est à travers les œuvres des hauts fonction-
naires que s'est effectuée l'ouverture de la sûra aux grands thèmes indiqués.
au fait que les représentants de cette dernière sont des hommes qui gravitent autour
du pouvoir : on sait le rôle de Uuwârizmî comme savant officiel, pourrait-on dire, du
califat d'al-Ma'mûn ; mais Kindï joua le même rôle sous al-Mu'taçim, et Saratjsï
fut précepteur, puis familier d'al-Mu'taiJid ; Balbi, enfin, joint à sa qualité d'élève de
Kindï l'expérience du kâtib, de province il est vrai (cf. supra, p. 81, 83).
1. P. 22.
2. Cf. p. 23, note 4.
3. Les auteurs arabes en font généralement remonter l'institution a u x Sassanides
(cf. Ibn al-Faqîh, p. 198), mais celle-ci est en réalité achéménide : cf. Hérodote, V,
52-53; Xénophon, Cyropédie, VIII, 7, 18.
4. Rôle confirmé par l'exposé des qualités exigées du directeur du service : cf. Qudâma,
p. 184-185 (on ne consultera qu'avec réserve la trad., p. 144-145). Autre exposé fonda-
mental chez Abû Yiisuf Ya'qûb (pp. cit., p. 287-288), qui accuse les fonctionnaires du
barld, m u s par leur dévouement aveugle au pouvoir, d'être partiaux dans les renseigne-
ments qu'ils transmettent et de prendre systématiquement le parti de l'administration
centrale contre les sujets : réaction du juridisme égalitaire de l'Islam (sur Abu YOsuf
Ya'qûb, cf. infra, p. 88, note 1) contre l'organisation du califat selon les normes de la
monarchie traditionnelle à l'orientale.
1. La plus notable est celle des catalogue de prix (cf. infra) ; un tableau des dimen-
sions des places fortes syriennes (cf. Sauvaget, Relation, p. X V ) ne saurait être invoqué
ici, en raison de sa date tardive (seconde moitié du x n e siècle).
2. G. Wiet est, à ma connaissance, le premier à avoir mis clairement en lumière les
relations de cet auteur avec le pouvoir central : cf. Pays, p. V I I I , X I I I - X I V , X V .
3. Cf. notamment le classement de R. Blachère dans EGA.
4. Peut-être faut-il se défier ici, comme en d'autres occasions (cf. supra, p. 32, 62),
de certains mécanismes de pensées : à parler, au x x e siècle, de compendia, de mementos,
de vademecum (EGA, p. 15, 18, 32, 55), on évoque, en vertu de nos habitudes mentales,
des volumes spécialisés, techniques et condensés, sortes de « manuels du parfait fonc-
tionnaire », en faisant oublier toute la distance qui les sépare des grands ouvrages éclec-
tiques dont nous venons de parler. Confusion d'autant plus marquée, que, pour prévenir
inconsciemment cette critique, on parle en même temps (ibid., p. 18, 54), au prix d'une
contradiction, d'« encyclopédies».
1. L'absence de technicité pure est patente dans l'inventaire dressé par D. Sourdel
( Vizirat, p. 6-40), qui souligne le caractère « littéraire » de ces textes (p. 2, 4) et déplore,
en t a n t qu'historien, précisément leur absence de technicité (cf. p. 3, citation de R. Brun-
schvig). Seuls peuvent faire exception, à première vue, les ouvrages que D. Sourdel
(p. 38) qualifie d'«écrits de théorie politique». Pourtant, la Risâla fi s-sahâba, d'Ibn
al-Muqaffa', si elle évoque des problèmes concrets comme l'obéissance de l'armée
(cf. Rasâ'il at-buta^â', p. 120-121), le gouvernement de l'Irak et la rivalité entre Basra
et Kufa (p. 124-125), ou les rapports de l'Arabie et du pouvoir central (p. 132-133),
traite néanmoins ces questions dans un style qui porte la marque de son auteur : on y
retrouve le souci de rattacher les problèmes traités aux maximes d'une éthique tradi-
tionnelle (cf. notamment p. 122) venue de l'Iran et l'emploi constant d'une prose élé-
gante, parfois recherchée, ne sacrifiant en aucun cas à la sécheresse d'un quelconque
style administratif : cf. p. 117-119 et passim.
Le Kitâb al-barâj, d'Abû Yusuf Ya'qûb, mort en 182/798 (cf. éd. Fagnan p. IX),
est, lui, infiniment plus technique d'allure. Consacré aux problèmes des divers impôts,
contributions et capitations, il ne fait appel à d'autres thèmes — récits historiques,
traditions et même éthique (ibid., p. 6-27, 168-184) — que par référence au propos prin-
cipal, qu'ils expliquent ou illustrent. Surtout, émanant d'un pur Arabe de souche
(cf. J . Schacht, dans El [2], t . I, p. 168-169), l'ouvrage s'appuie exclusivement, y
compris pour l'histoire et l'éthique, sur des autorités arabes. Comme son auteur, ju-
riste et juge (cadi), fait, de par ses fonctions et la formation — précisément religieuse
et arabe — qu'elles réclament, figure de personnage à part dans l'ensemble de l'appareil
administratif, le Kitâb al-barâtj joue donc assez bien le rôle de preuve a contrario
par rapport aux œuvres de la majorité des fonctionnaires, nourris, eux, de traditions
persanes et soucieux, on l'a dit, d'éclectisme et de style à l'occasion.
Cette dernière remarque vaut pour le KitSb al-bar⧠de Yaljyâ b. Adam, non signalé
par D. Sourdel. Certes, l'auteur, mort en 203/818 (cf. éd. Juynboll, p. V), s'inspire
d'intentions différentes : il livre bruts, en historien impartial, ses matériaux, tandis qu'Abû
Yûsuf Ya'qub prêche, avec ses matériaux à lui, pour l'école d'Abû Hanïfa à laquelle
il appartient (cf. sur ce point F. Pfaff, op. cit., p. 10, 50). Mais il se fonde, lui aussi,
exclusivement sur la tradition arabe, dont l'emploi et la citation deviennent chez lui
systématiques : c'est qu'il est lui aussi, à défaut d'Arabe de souche, rattaché au milieu
des juristes et des traditionnistes dont il est un représentant (cf. DahabI, Tadkirat
al-huffât, t. I, p. 359-360), milieu où régnent sans partage les modes de pensée arabes
(cf. supra, p. 25-27).
2. Cf. introd. au Kitâb al-masâlik, p. XV, X X I .
3. Cf. Kitâb al-masâlik, p; 3.
son lecteur. Le but atteint, sinon avoué, par le livre est ainsi fondamenta-
lement musulman. Musulman et non pas arabe : car, si Ibn Uurdâdbeh
joue fidèlement, avec ces mawâlï iraniens qu'il représente si bien, le jeu de
l'unité linguistique il ne concède en revanche à l'Arabie, dans sa des-
cription des terres d'Islam, que la situation d'une pièce parmi d'autres 2 :
la qibla religieuse de La Mekke, brièvement mentionnée 3 , se voit opposer,
sur l'ensemble du livre, le centre politique de la Mésopotamie et de la
Médie, le vieil IrânSahr 4 , siège du pouvoir et foyer commun des itiné-
raires, et les souvenirs du Yémen s'estompent largement derrière ceux
de la Perse. 5
C'est donc en faveur d'un Islam exprimé en arabe, mais nourri de sou-
venirs persans, que s'opère, chez Ibn Hurdâijbeh, une des deux options
devant lesquelles est placé le kâtib.6 L'autre option intéresse la spécia-
lisation technique ou le savoir étendu : nous savons déjà en quel sens elle
se fait, mais ses modalités restent à découvrir. On peut répartir les thèmes
traités par le Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik en trois grandes catégories :
la première, de loin la plus importante, englobe donc les notations techni-
ques, itinéraires et impôt ; la seconde relève directement de l'adab et
représente à peu près la moitié des développements consacrés à la précé-
dente 7 ; la troisième enfin comprend un ensemble de thèmes historiques
et géographiques, non techniques donc à la différence des premiers, mais qui
peuvent intéresser l'exercice du métier de kâtib : d'importance supérieure à
1. Cf. supra, notamment p. 2, note 4, p. 24-25. Il accorde, pour son compte, une large
place à l'expression la plus haute de la langue arabe : les vers, desquels je n'ai pas relevé
moins de 97 citations dans le Kitâb al-masâlik.
2. Si les itinéraires intéressant l'Arabie occupent une place un peu plus importante
que les autres (p. 125-153), on peut répondre que leur connaissance, compte tenu des
mouvements de population suscités par le Pèlerinage, fait partie de celles qu'un res-
ponsable de l'autorité se doit de posséder.
3. Quelques lignes en p. 5.
4. P. 5 i.f. Cf. supra, p. 71-72, 81-83.
5. Pour les premiers, cf. p. 144-145 (monuments), 136-143 (vieille division admi-
nistrative en mabâlif) ; même indigence pour l'évocation du territoire sacré (haram)
de La Mekke-Médine (quelques lignes p. 132 i.f. -133). Pour la Perse cf., entre autres
citations, p. 14-15, 17-18 (rois), 161-162 (monuments), 171-172 (villes célèbres), 173
(Cour de Chosroès).
6. Cf. supra, p. 61-62.
7. On peut évidemment objecter le caractère relatif de ce classement, étant donné les
mutilations de l'œuvre. Pourtant, l'imbrication des thèmes de toutes catégories est telle
qu'on peut raisonnablement uenser aue ces mutilations'ne transforment pas radicalement
les proportions indiquées ici. Je range au nombre des thèmes d'adab ceux des rois du
monde, des Sept Dormants, de Rome, du passage légendaire de Moïse au Caucase, des
monuments du Yémen, des merveilles du monde, de Gog et Magog, des curiosités des
pays, soit un total d'environ 22 pages dans la traduction (j'exclus de ce compte les
thèmes traités p. 138 sq. de la traduction qui ne sont sans doute pas de la main d'Ibn
Uurdâdbeh : cf. la note 1 de ladite page), contre près de 75 pour les thèmes techniques.
1. Notamment ceux qui sont le prolongement normal des itinéraires, par exemple les
thèmes des Sept Dormants (p. 106-107 ; en relation avec le thème des voies d'accès
à Constantinople), de Moïse (p. 124 ; en relation avec l'itinéraire du nord vers le Caucase) ;
quant au thème de la route maritime d'Extrême-Orient (p. 60 sq.), s'il peut remonter, en
son principe, à la première version (il est en relation avec le thème de Basra), on a v u
néanmoins (supra, p. 90, note 6) que le passage a très vraisemblablement subi, par la
suite, diverses adjonctions de détail tirées de la Relation.
2. Cf. supra, chap. II, p. 56, note 3.
3. Il ne naît pas de lui-même, bien entendu, mais, comme nous l'avons dit supra,
p. 87-88, d'une tendance générale. Pour apprécier l'originalité d'ibn Hurdâdbeh, repor-
tons-nous au trinôme, déjà évoqué, du scribe-arpenteur-juriste. Jusqu'à Ibn Hurdâdbeh,
les seuls termes du trinôme traités par la littérature administrative, dans l'esprit défini,
sont le premier et le troisième. Avec Ibn Hurdâdbeh, c'est le deuxième, celui de la con-
naissance concrète du terroir, qui accède, à travers l'expression écrite, à l'univers
éclectique des kuttâb.
4. Peut-être toutefois avec un souci d'efficacité et de précision concrète qui n'est pas
sans rappeler celui de Gâhi? ou, plus encore, de Saybânî : cf. références supra, chap. II,
p. 61, note 2.
5. « Quiconque prend pour métier celui de secrétaire (kâtib) et se fait désigner comme
tel ne doit pas manquer de s'intéresser aux branches de la culture générale (adab) » :
citation de Saybânî par Bagdâdï, trad. D. Sourdel, op. cit. (cf. supra, chap. II, toc. cit.).
6. Thème surtout inspiré, on l'a vu par la Grèce : cf. supra, p. 16-17, 48 sq. ; il se
trouve chez Ibn Hurdâçjbeh, p. 170, déjà citée (supra, p. 90, note 4).
1. Cf. p. 171-172, à comparer avec la liste de (îâhi? donnée par Muqaddasî, trad.,
§ 61.
2. Cf., entre autres, les thèmes des rois du monde et de l'impôt du sawâd, cités supra,
p. 89, note 7, 90, note 1.
3. « J'espère avoir fait un livre, déclare-t-il dans sa préface au grand personnage dont
il a été question (cf. supra, p. 88, note 2), qui cerne ton propos et réponde à ce
que t u désires, aussi bien que si tu voyais [les choses] par toi-même (kal-muSâhid) »
(Masâlik, p. 3) : l'acte de la vision, bien ¡qu'on lui substitue une lecture livresque,
est tout de même pris comme terme de référence.
4. P. 88-89 ; cf. également p. 19, 25, 28, 38, etc.
5. Ibn Rusteh, p. 149, lui reproche sa crédulité, Muqaddasî, trad., § 13, sa concision ;
critiques plus voilées chez Ibn Hawqal, p. 5.
6. Le cas le plus net est celui d'Ibn Rusteh, qui ne cite pas son nom : cf. références
dans Atours, trad. Wiet, index, p. 295.
7. Ainsi Mas'udï, après lui avoir reproché d'écrire pour un public restreint et de
manquer de rigueur scientifique (Prairies, t. II, p. 70-71) ; Muqaddasî, qui ne le ménage
pas non plus, on l'a v u (supra, note 5), l'appelle « imâm » en cette science (géographie
ou connaissance des régions orientales) : cf. éd. de Goeje, p. 68.
8. Cf. Muqaddasî, trad,, § 11 i.f., et éd. de Goeje, p. 241.
1. Mis à part les simples références à son œuvre, quelques passages de ûayhânï
peuvent avoir été démarqués de très près : bon aperçu d'ensemble dans l'introd. de
V. Minorsky aux Hudud al-'âlam, p. X V I - X V I I I ; le récit de Sallâm l'Interprète à la
muraille de Gog et Magog (cf. p. 89, note 7, 90, note 1), démarqué d'Ibn Hurdâdbeh par
Gayhânï a été ensuite copié par Idrîsî sur le t e x t e de Gayhânï : cf. de Goeje, introd. aux
Masâlik d'Ibn Hurdâdbeh, p. X V I .
2. Cf. Muqaddasï, trad. § 10-11.
3. Cf. le texte de Muqaddasï, cité ci-après.
4. Cf. supra, p. 90, note 1.
5. Trad., § 10.
6. Preuve de ces soucis scientifiques : malgré les traditions iraniennes, dont on va
parler, traditions en vertu desquelles Balbï, autre fonctionnaire, opte pour une réparti-
tion inspirée des keSwar-s (cf. supra, p. 81-83), Gayhânï conserve la répartition tradi-
tionnelle en sept « climats», chacun sous l'influence d'une planète (cf. Muqaddasï, trad.,
§ 10), auxquels s'ajoutent sept climats inhabités (cf. Muqaddasï, éd. de Goeje, p. 387,
note n). L'influence iranienne se fait toutefois sentir en matière de cartographie
(ibid., éd. de Goeje, p. 269 ; cf. supra, p. 71, note 5).
André MIQUEL. 10
donner des modèles de rescrits. 1 Mais c'est avec l'éthique que le propos
de Qudâma s'éclaire à plein : qu'elle se présente dans les formes de la tra-
dition n'empêche pas qu'elle soit, dans son fond, très peu traditionnelle ;
car elle est reliée très fortement, elle aussi, à l'exercice du métier de kâtib :
il ne s'agit plus, comme chez Ibn al-Muqaffa", d'aligner des aphorismes
sur le comportement du souverain et des sujets, mais de savoir exacte-
ment quelles qualités doivent se déployer, aux divers échelons de l'admi-
nistration, pour que l ' E t a t fonctionne. C'est ce qui explique, d'une part
que l'éthique soit avant tout, comme chez Gâhiz, une réflexion psycho-
logique sur les comportements humains 3 , et, surtout, que le livreVIII,
consacré à ces problèmes et qui est comme le couronnement de l'œuvre,
dresse, à partir de ces analyses des relations humaines, un tableau très
cohérent de l'ensemble du corps social.
La théorie du pouvoir exposée par Qudâma au livre V I I I revêt ainsi
une importance fondamentale : nécessaire au kâtib en ce qu'elle lui donne,
en tant que fonctionnaire, l'explication des mécanismes du pouvoir, et,
en tant qu'homme, celle des comportements de son espèce, elle élargit
la science administrative — sans pour autant cesser de se justifier par
rapport à elle — à la dimension d'une réflexion générale sur la société.
En un exposé remarquable où le point de vue historique est toujours
présent, Qudâma fait du pouvoir et de ses hiérarchies l'aboutissement
d'une évolution entamée à partir de la distinction fondamentale entre
l'homme et la bête et poursuivie à travers une série de phases où inter-
viennent peu à peu les grandes composantes de la société des hommes :
la nourriture, le vêtement, la propagation de l'espèce, le fait urbain et la
monnaie. 3 A ce point de l'analyse et des thèmes de géographie hu-
maine qu'elle découvre, la question qui se pose est de savoir s'il existe,
à parti d'eux, précisément une géographie humaine véritable.
Celle-ci étant définie comme l'étude de la situation de l'homme sur la
terre, on conviendra qu'avec Qudâma les deux termes de la relation sont
définitivement posés. Car la terre n'est pas moins indispensable à connaître
1. Chap. II - V, sur les sept «climats», les mers, les montagnes et les cours d ' e a u ;
noter que la division grecque en «climats» est préférée aux divisions traditionnelles
(iraniennes ou autres) exposées dans M 51 sq. En outre, références à Pto'émée, Marin,
Hipparque et Timosthène (M 48 ; l'éditeur déclare ce personnage «non identifié» :
introd., p. VIII, note 5. Il s'agit sans doute de l'amiral de Ptolémée Philadelphe,
célèbre pour son inventaire des ports et escales de la Méditerranée [cf. Strabon, I, 21 ;
II, 40; IX, 10; Croiset, Littérature grecque, t. V, p. 118], Le même Timosthène est
cité aussi par Mas'udî dans Tanblh, p. 48).
2. Ce sont eux qui ont été publiés par de Goeje dans le t. VI de la BGA.
3. ûâhi? (Amsâr, p. 181) parle de mamlakat at-'Arab et de mamlakat al-'Agam, mais
Qudâma de mamlakat ai-Islam : cf. Harâg, p. 234 et M 45 ; si le mot n'est pas encore
employé au sens absolu, comme ii le sera par exemple chez Muqaddasï, il a déjà, toute-
fois, un sens unitaire très net : lorsque Qudâma évoque ( t f a r â g , p. 252) la reconstitution
du vieil empire de Médie-Mésopotamie par le Sassanide ArdeSîr I, il oppose celle mamlaka
aux principautés et groupements locaux (tawâ'if) au détriment desquels elle se constitue.
A noter au passage l'ambiguïté de cet idéal de mamlaka, ainsi partagé entre le souvenir
du vieux groupement national et le nouvel idéal égalitaire de l'Islam. La conciliation
est trouvée dans le thème de l'ennemi héréditaire : le Rûm (Empire romain ou byzan-
tin) : « à grand peine et après de longs efforts, ArdeSïr regroupa l'empire et put refuser
de payer le tribut que la Perse versait au Rûm : aussi convient-il que les Musulmans
réservent au Rûm, plus qu'à tous autres ennemis, une extrême défiance, laquelle est
d'ailleurs justifiée par certains versets [du Coran], » (Uarâij, loc. cit. ; sur le passage
du Coran, cf. Blachère, Coran, t. III, p. 419-420).
4. Cf. supra, p. 77, 81, 92, 94.
5. Sans parler de la description des itinéraires au chap. X I (relatif au barld) du
livre V.
1. Supra, p. 84-85.
2. Souvent désigné sous ce terme (cf. trad. Wiet, p. 231, 243, 244), il a peut-être
appartenu au service du barid : ibid., introd., p. VIII.
3. Cf. Huart, Littérature arabe, p. 296 ; Pays, trad. Wiet, p. 234.
4. On n'oubliera pas que la famille de Ya'qûbï a joué un rôle très important dans
l'histoire du mouvement Sï'ite : cf. Wiet, op. cit., p. V I I ; tradition reprise par Ya'qûbï
lui-même dans son œuvre historique : ibid., p. X - X I .
5. Trad. Wiet, p. 228-246 ; je ne vois pas pourquoi G. Wiet dans son introduction
(p. X X ) déclare : « Le Livre des pays n'est pas cité souvent. » Sur le problème des
citations de Ya'qûbï, qui n'en demeurent pas moins assez tardives, cf. infra, chap. V,
p. 188, note 3, et chap. VI, p. 238.
6. Comme on l'a vu plus haut, Kindï meurt après 256/870 et Sarabsï en 286/899,
Ibn Serapion écrit entre 289/902 et 334/945 et Balfoï vit vers 236/850-322/934 ; ajou-
tons, pour compléter cet aperçu des interférences possibles entre la fûra et la littérature
administrative, qu'à la génération d'Ibn Serapion et de Balbî appartiennent ô a y h â n ï ,
mort en 301 /914, et Qudâma, mort en 337/948 : voir tableau des auteurs.
7. Indiquons ici simplement que le Kitâb al-buldân traite exclusivement de l'Empire
musulman, avec de brèves mentions de peuples voisins, comme Turcs et Nubiens, et
que les thèmes traditionnels d'adab y sont fréquents : voir des exemples signalés par
G. Wiet, op. cit., p. X V I , X V I I I (climat de Bagdad et monuments célèbres).
1. G. Wiet (op. cit., p. X V ) écrit : « les détails données sur les Villes saintes et l'Arabie
sont d'une pauvreté déconcertante : on sent bien que cette région n'est d'aucun rapport
au point de vue fiscal. »
2. Op. cit., p. X I V .
3. P. 232-233.
4. Supra, p. 90,note 6.
5. Cf. références, supra, p. 85, note 3 ; autres survivances à chercher dans le main-
tien d'une unité de mesure persane, portant le même nom de barld, à côté de la mesure
arabe : cf. Muqaddasî, trad., § 115 (et note 20).
6. Éd. Pellat, op. cit., p. 55-72.
qui paraît si éloignée des exigences concrètes de leurs fonctions. Mais, qu'ils
soient nés de la mode ou du métier, les thèmes de la géographie adminis-
trative doivent sans aucun doute au moins une chose à Ibn Hurdâdbeh et
à ses successeurs : c'est d'avoir connu, à côté de leur forme légendaire — et
ceci jusque dans les propres œuvres de la géographie administrative —, une
expression concrète et chiffrée. A partir des premières années du i v e / x e
siècle, un choix est posé, dont nous pourrons cette fois étudier historique-
ment les conséquences : ou bien, comme on l'a dit, poursuivant sur la voie
du concret, les thèmes de la géographie administrative se développeront
dans les masâlik wa l-mamâlik, ou bien ils seront pris en charge par l'adab,
qui va, à leur propos, faire une fois de plus la preuve de sa puissance assi-
milatrice : car nous les y trouverons non seulement sous leur forme légen-
daire — celle-là même dont ils procèdent peut-être, en dernière analyse —,
mais aussi sous l'aspect empirique qu'ils tiennent de la géographie admi-
nistrative : je dis bien aspect, car l'adab n'est, ici encore, qu'un revêtement
plaqué sur le réel. Il prête, dans le cas présent, au donné qu'il enregistre
une apparence contradictoirement concrète et inerte puisqu'il se contente,
en tant que procédé d'enregistrement, de fixer telles quelles, en l'état où il
les trouve, les notions qu'il s'approprie : systématisation, on le voit, où le
chiffre quitte la réalité mouvante du signe pour devenir simple objet de
vitrine. 1
1. Chez Ibn a l - F a q ï h :
a) Le chiffre est t r a i t é sur le m ê m e plan que les a u t r e s t h è m e s à'adab et son a p p a r i -
tion participe de la p r é s e n t a t i o n pointilliste de ce genre d'oeuvres : donnons-en, e n t r e
t a n t d ' a u t r e s , d e u x exemples : p o u r l ' Ë g y p t e , le t h è m e d u barâg i n t e r v i e n t (p. 76)
après celui des curiosités du pays, pour H i m ç (p. 109-110) e n t r e celui des p a r a d i s t e r -
restres et une légende relative à P a l m y r e .
b) S u r t o u t , le chiffre échappe désormais, comme t h è m e A'adab, à l ' e n q u ê t e . Même
conçu c o m m e fin en soi, il p o u r r a i t faire q u e l'intérêt q u i s'y a t t a c h e s ' a c c o m m o d â t des
révisions q u e l'histoire r e n d indispensables. Mais tel n ' e s t p a s le cas : la codification p a r
Vadab revient à reproduire, à diverses époques, le m ê m e chiffre i n c h a n g é , c o m m e u n
s t é r é o t y p e : les s o m m e s avancées p a r I b n al-Faqïh (vers 290/903) p o u r le barâg de
différents pays s o n t les mêmes que chez I b n H u r d â d b e h , d o n t le t e x t e (sans n u l doute
celui de la première version, vers 231 /846 : cf. supra, p. 90) est copié à la l e t t r e ; le
c h i f f r e demeure d o n c inchangé sur une période de plus de c i n q u a n t e a n s : cf., p o u r
l ' É g y p t e , r e s p e c t i v e m e n t Ibn H u r d â d b e h , p. 84, et I b n al-Faqïh, p. 76 ; p o u r la Pales-
tine, p. 79 et 103 ; p o u r H i m s , p. 76 et 110 ; p o u r le D i y â r R a b i ' a , p. 95 et 133 ; p o u r
I s p a h a n , p. 20 et 263 ; pour l ' À d a r b a y | â n , p. 121 et 286 ; p o u r le H u r â s â n , p . 39 e t
328 (avec f a u t e d u copiste : cf. la note k). Comparer au contraire avec l ' i n f o r m a t i o n
originale et sérieuse de Y a ' q û b ï , fondée sur des pièces officielles (Buldân, p . 325) :
I s p a h a n , p. 275 ; H u r â s â n , p. 308 ; Himç, p. 325 ; P a l e s t i n e , p. 329.
c) Un a u t r e registre prévu pour le t r a i t e m e n t du chiffre est l'exagération s y s t é m a t i -
q u e , sur laquelle n o u s aurons l'occasion de revenir : les 40 000 bains et 1 200 églises d e
la description de R o m e chez Ibn H u r d â d b e h (p. 113-115) p a s s e n t à 600 000 e t 24 000
chez Ibn a l - F a q ï h (p. 149-150), d o n t le t e x t e s'inspire p a r ailleurs de t r è s près d e celui-
d'Ibn Hurdâdbeh.
d) E n f i n , la dévalorisation du concret provient de la référence c o n s t a n t e que le
lecteur opère inconsciemment entre ce donné, qui reste marginal, et les thèmes qui lui
correspondent dans l'ordre du traditionnel et du légendaire : les clichés des curiosités
locales, les listes de spécialités, les tableaux comparatifs de l'agrément et des richesses
des diverses contrées, etc., écrasent sous leur poids les estimations chiffrées du fcarâg.
Des remarques du même ordre peuvent être faites pour les itinéraires (par exemple
p. 133 [1. 14-15], 303, 305), qui ne sauraient donner une évocation concrète de pays pris
surtout comme prétexte à des récits merveilleux, ou encore pour les places-frontières
(p. 111), dont le souvenir s'efface presque entièrement au profit de la curiosité portée à
l'étranger (thème du Rûm, p. 136-151).
1. Dont Yadab prend en charge les thèmes (dimensions et figure de la terre, mers,
climats, etc.), tandis que les masâlik wa l-mamâlik en recueillent et développent l'esprit
(connaissance concrète de la terre).
2. Sur les épigones que sont Bakrî et Idrîsï, cf. infra, note 4.
3. On renverra, sur se point, globalement, au chap. II et aux références qui y sont
données.
4. E t notamment, quand leur tour viendra, ceux des masâlik wa l-mamâlik : lorsque
Bakrî ou Idrîsï reprennent, pour les pays d'Orient, les données de Muqaddasï ou d'Ibn
Hawqal, que font-ils d'autre que traiter celles-ci comme des thèmes désormais classiques,
clairement que nous ne saurions faire de différence, pour notre étude, entre
les ouvrages présentés comme géographiques et ceux qui ne s'annoncent
pas comme tels, mais où, pourtant, la géographie se cache.
Le cas des masâlik wa l-mamâlik étant clair, comment classer les œuvres
traitant la géographie sous la forme de l'adab ? Ici encore, le seul critère
valable réside dans le propos des auteurs et dans la distance éventuelle
existant entre ce propos et l'œuvre telle que nous la connaissons. On dis-
tinguera donc trois manières de ce qu'on pourrait appeler l'adab géogra-
phique : dans un premier groupe d'œuvres, le propos est encyclopédique et
la géographie présentée tout naturellement avec les autres composantes du
savoir ; ailleurs, le propos est spécialisé, mais dans un ordre autre que celui
de la géographie, l'histoire par exemple, et la géographie intervient alors
comme complément ou digression; enfin, la géographie peut faire l'objet
même du livre, dans les intentions comme dans les faits. La classification,
qui définit ainsi les trois chapitres futurs de notre recherche sur l'adab
géographique, illustre les difficultés d'une définition univoque du terme,
puisque l'adab intervient successivement comme principe de connaissance
(volonté d'exhaustivité ou d'éclectisme), comme motivation inconsciente
(goût du détail curieux ou de l'accessoire), comme méthode enfin, par
l'application systématique de certains procédés à un propos géographique.
C'est évidemment sous ce dernier aspect, illustré par le Livre des pays
( Kitâb al-buldân), d'Ibn al-Faqïh, qu'on a le plus de chances de pénétrer,
au-delà des mécanismes de l'adab, le sens d'une géographie interprétée
de la sorte et de découvrir en quelle mesure — très large, comme nous le
verrons, mais selon d'autres critères que les nôtres — elle est géographie
humaine.
Toutefois, avant d'ouvrir les enquêtes suggérées, il nous faudra encore
ajouter, à la panoplie de ce qui constituera l'adab géographique, deux sortes
de connaissances : l'une, technique et qui, comme telle, trouve place en ce
chapitre, intéresse les prix des denrées, l'autre, infiniment plus importante
quant au volume des œuvres, vient des professionnels du voyage, auxquels
sera consacré le chapitre suivant.
1. Sur cet auteur, dont le nom d'origine était peut-être Joël ou Joab, cf. Stein-
schneider, op. cit., p. 15-23.
2. Le manuscrit (cf. bibl.) élargit sur la lin (fol. 229 b-230 a) son optique à quelques
données classiques plus générales ; le Kitdb al-as'dr fait d'ailleurs suite, dans le manuscrit,
à une série d'œuvres d'un autre astrologue, Abü Ma'Sar ; l'ensemble du document pré-
sente une grande unité, puisqu'il s'ouvre sur une dissertation astronomique (zi/j) et
s'achève sur un exposé (maqâla) de Hunayn b. Isljâq et diverses tables.
3. Enoncés de situations données (itfâ kâna..., in kâna...) et des mouvements de
prix correspondants.
4. Cf. Abü Yüsuf Ya'qüb, op. cit., trad. Fagnan, p. 75-76, et A. J. Wensinck, Hand-
book of early Muhammadan tradition, Leyde, 1960, p. 30-33.
5. Op. cit., p. 171.
6. Ibid., p. 173.
1. Dans la Risâla fi madh at-lugtjâr (De l'éloge des marchands) (éd. H. Sandubï,
Ihdà 'aSrata risâla, Le Caire, 1324/1906), p. 156-158 ; cette position confirme ce qui a été
dit supra, p. 61, sur Gâhiz et les kuttâb. L'éloge des marchands se nuance d'ailleurs de
réserves : le Kitâb al-amsâr parle de leur avarice (p. 176, 185), et les Hayawân des exa-
gérations qui émaillent leurs récits de navigation (op. cit., t. VI, p. 19 ; idée reprise par
Qudâraa à propos des informateurs des géographes grecs : Harâg, M 48).
2. Cf. Sauvaget, Relation, p. X X X V I I , et Historiens, p. 7, et infra, p. 114, note 5.
3. Cf. par exemple les longs passages consacrés par Ya'qûbï aux différentes variétés
de parfums ( B u l d â n , p. 364-370; cf. Tabassur, p. 157) et, surtout, la généralisation
du procédé, inauguré avec Ibn IJurdâdbeh, qui consiste à signaler, à l'occasion de la
citation d'un pays ou d'une ville, les productions locales : Buldân, passim. Cf. également
infra, p. 111, note 5.
4. Hakim : cf. Pellat, introd. au Tabassur, p. 154.
5. Cf., aux p. 154-155 et 161, les références non arabes et les techniques du style :
enchaînements, parallélismes, dissociations et classifications.
6. On reposera ici encore, comme plus haut à propos d'autres thèmes (p. 104-105
et sans pouvoir davantage la résoudre, la question de l'origine elle-même : littérature
administrative ou adab 1
7. Cf. Tabassur, p. 156-158.
A n d r é MIQUEL. 11
Les vocations
1. Mille et une Nuits, Le Caire, 1957, vol. 2, p. 119-144. Sur ce chapitre, cf. Kratch-
k o v s k y , p. 129 sq. (132 sq.), 184 sq. (186 sq).
2. Nous ramassons en une seule deux citations ( B u l d â n , p. 149, 1. 11-17) où les
thèmes interfèrent.
3. Supra, p. 109.
4. Lui aussi traité par Gâhi?, notamment dans la Risâla qui porte ce titre (cf. Pellat,
Inventaire, n° 53).
5. Op. cit., p. 146. On peut considérer en effet, avec Heyd, op. cit., p. 31-32, et
Ferrand, Voyages, p. 75 sq., que les troubles intervenant en Chine à partir de 875
ap. J.-C. et l'anarchie générale qu'ils entraînent marquent la fin des grands échanges
avec la Chine, la presqu'île de Malacca devenant, de simple étape sur la route maritime
chinoise, terminus des navigations chinoise et arabe. Le mouvement, ainsi freiné, se
ralentit encore au x e siècle, par suite de « l'anarchie prolongée» (du monde musulman
cette fois) et « de la misère générale qu'elle provoqua » : cf. Sauvaget, Relation,
p. X X X V I I (cf. également Mas'ûdï, Prairies, § 329, 336).
L'histoire de Sindbad, à quelque époque qu'elle ait été enregistrée par écrit, remonte,
à l'évidence, à la grande période commerciale du ix" siècle (cf. E. Littmann, • Alf
layla wa l a y l a d a n s El [2], t. I, p. 372 [2], 374 [2]).
6. Op. cit., p. 146.
1. Cf. supra, p. 114, note 5 et Heyd, op. cit. ; compléter la bibliographie avec Sauvaget-
Cahen, Introduction, p. 98-99.
2. Cf. Ibn Rusteh, p. 132-134 (citant un Abu 'Abd Allah Muhammad b. Ishàq ;
compte tenu de la durée du séjour chez le souverain khmer, il s'agit bien, comme le
note Sauvaget, d'un commerçant : cf. Relation, p. X X X I I I , note 2) ; Mas'udî, Prairies,
§ 246 (pour l'Afrique ; orthographe nâhûia) ; Merveilles de l'Inde, passim ; MuqaddasI,
trad., § 28.
A la même époque est née la littérature technique maritime (cartes et portulans),
qui devait s'épanouir aux i x e / x v e - x e / x v i e siècles, n o t a m m e n t avec Ibn Mâgid, le
pilote de Vasco de Gama. Malheureusement, ces premières œuvres ont disparu et
nous ne conservons que le souvenir de leurs auteurs : Muhammad b. Sâdân, Sahl b.
Abân, Layt b. Kahlàn (fin du m e / i x e siècle) et, plus tard, HawâSïr b. Yûsuf al-Arikï
(vers 400/1009) : cf. Maqbul Ahmad, dans El (2), t. II, p. 597 (2), 600 (2) ; Krat-
chkovsky, p. 243 (237).
3. Nous sommes largement redevable, pour les observations qui suivent, à l'intro-
duction de Sauvaget (p. X V - X L I ) , à laquelle nous renvoyons globalement, afin de ne pas
alourdir l'annotation, en nous contentant des quelques références jugées indispensables.
1. Sans compter des pans entiers d'œuvres plus vastes, par exemple les § 165-186,
243 sq. ou 328-355 des Prairies, ou encore la première partie de l'Abrégé des merveilles,
les deux œuvres étant respectivement postérieures d'environ cent et cent cinquante ans
à la Relation (sur la date de composition des Prairies, cf. infra, p. 121, note 4 ; sur celle
de l'Abrégé, cf. tableau des auteurs, s.v. « Ibrahim b. Waçîf Sàh»),
2. Cf. supra, p. 48, 52-53, ce qui a été dit à propos de Gâhi?.
e n s u i t e s e u l e m e n t — et v u e t o u j o u r s du côté d e la m e r — la terre a v e c
ses rivages et ses ports. Les m a r c h a n d s , au contraire, franchies la m e r e t
la f a ç a d e portuaire des c o n t i n e n t s v o i e n t du d e d a n s les p a y s où ils
séjournent, parfois des a n n é e s d u r a n t . Ainsi s ' e x p l i q u e le sérieux de leurs
n o t a t i o n s , ainsi s'explique, fait f o n d a m e n t a l , q u e plus Yadab se fera e n v a h i s -
sant, et plus les c o m m e r ç a n t s c é d e r o n t l i t t é r a i r e m e n t le pas a u x m a r i n s ,
g e n s t r a d i t i o n n e l l e m e n t hâbleurs, spécialistes d ' u n d o m a i n e réservé et
étrange, colporteurs de c o n t e s d i f f i c i l e m e n t v é r i f i a b l e s . 2
Mais quelle v i s i o n les m a r c h a n d s ont-ils des p a y s , m ê m e occasionnels,
de leur résidence ? A v a n t t o u t , n a t u r e l l e m e n t , ils p o r t e n t leurs regards
sur les p r o d u i t s l o c a u x et les m o n n a i e s . 3 S o u v e n t , t o u t e f o i s , les n é c e s s i t é s
q u ' i m p o s e n t u n séjour prolongé et les rapports a v e c la clientèle f o n t q u e
l'intérêt s'élargit à u n e peinture g l o b a l e de la s o c i é t é i n d i e n n e ou chinoise.
La Relation est ainsi, pour u n e large part*, une m i n e d e r e n s e i g n e m e n t s sur
l'organisation politique, é c o n o m i q u e , sociale et culturelle des p a y s tra-
versés. L ' a p p l i c a t i o n , à ces r e n s e i g n e m e n t s , des t e r m e s m o d e r n e s d ' e t h n o -
graphie, d ' e t h n o l o g i e ou de g é o g r a p h i e h u m a i n e n e v a u t é v i d e m m e n t q u e
si l'on a c c e p t e qu'ils r e c o u v r e n t des m é t h o d e s e t u n esprit s o u v e n t diffé-
r e n t s des nôtres. Certes, on p e u t trouver, dans la Relation, bien des préfi-
g u r a t i o n s d'un esprit v r a i m e n t scientifique, s o u c i e u x de poser des f a i t s et
rien que cela : tel e x p o s é du s y s t è m e des castes, ou des l u t t e s p o l i t i q u e s en
Chine », telle é v o c a t i o n de la fourmilière chinoise 6 se signalent à nous,
1. On peut dire, avec toute la prudence qu'inspire l'état du manuscrit (cf. Sauvaget,
p. XVI), que les récits relatifs à la mer ou aux franges maritimes des terres sont très
rares dans la Relation : cf. § 1-3,9-10, 17, 19, et notations isolées dans § 4-8, 11, 13-17
(sur un total de 73 paragraphes).
2. Et qu'on tentera d'autant moins de vérifier que le goût de l'extraordinaire aura
pris de plus en plus le pas sur celui du savoir objectif. Les auteurs qui se veulent sérieux
ont toujours stigmatisé la forfanterie des matelots (cf. ôâhi?, Hayawân, t. VI, p. 19),
ou tout au moins pris vis-à-vis d'eux une certaine distance (cf. Mas'ûdï, Prairies,
§ 245, 305) ; à noter l'affirmation d'Abu Zayd as-Sïrâfi (Supplément, p. 139) : « Je me
suis abstenu de reproduire les histoires mensongères que racontent les marins et aux-
quelles ils ne croient pas eux-mêmes», affirmation que contredit sur bien des points,
on le verra, l'attitude de l'auteur, prisonnier, avec son époque, du goût pour le mer-
veilleux. Par référence à cette attitude, un test du sérieux de la Relation est l'absence
en elle du thème du Wâq-Wâq (pays de l'Extrême-Orient [Japon ?] ou de l'extrême sud
[Madagascar ? Afrique orientale ?]) : cf. Abrégé des merveilles, p. 26, 29; Merveilles de
l'Inde, § 7, 31, 38, 110, 122-123, 126-127, 134 (sur la localisation du Wâq-Wâq, cf.
R. Hartmann et D. M. Dunlop, « Bahr al-Hind», dans El [2], t. I, p. 958 [2]-959 [1] ;
Ferrand, Voyages, t. I, p. r v ; du même, « Wâk-Wâk », dans El, t. IV, p. 1164-1168).
3. Cf. Relation, § 4-7, 9, 14, 25-26, etc.
4. Cf. § 21-23, 33-49, 59, 64 (sur la Chine), 24-32, 50-53, 66 (sur l'Inde), 54-58, 60-63,
65, 67-72 (tableau comparatif des deux pays) ; le § 73 parle de la situation du Tibet
et de quelques traits relatifs à la Corée. Il faut enfin ajouter des renseignements épars,
sur les habitants des différentes Iles (§ 4-20, passim).
5. § 53, 56.
6. Début et fin du § 72.
Abü Zayd as-Sïràfï, qui fut un des informateurs de Mas'udï, écrit, dans les
premières années du x e siècle, un supplément à la Relation * où se marquent
en E g y p t e ( Tanbih, p. 73, 150, 213, 433, 488), alors qu'au contraire, jusqu'à ces années-
là, ses voyages « orientaux » nécessitent sa présence dans les régions du golfe Persique
(cf. C. Brockelmann, dans El, t. III, p. 457-458) : il est, en particulier, à Içtabr en
l'an 303 même ( T a n b i h , p. 150) et revient en 'Umàn, au terme de sa dernière navi-
gation sur l'Océan Indien, en 304/916-917 (Prairies, § 246). On peut donc déduire rai-
sonnablement que la rencontre entre Mas'ûdï et Abü Zayd se situe en 303/915-916
ou dans les années immédiatement postérieures, et par conséquent que le Supplément,
antérieur à la rencontre, se situe, lui, au plus tard vers 915-916 : opinion admise, sans
discussion, par Sauvaget (¡oc. cit.) et Ferrand (notamment dans l'intitulé d u titre
du Voyage du marchand arabe Sulaymân : cf. tableau des auteurs, s.v. « Abü Zayd
as-Sïràfï »).
1. P. 13.
2. Par exemple pour des produits intéressant à la fois la vie maritime et le com-
merce, ambre et perles notamment : cf. Supplément, p. 132-135.
3. Cf. Relation, § 1-2, et Supplément, p. 133.
4. Cf. Supplément, p. 93, 126, 130-131.
5. Cf. supra, p. 119, note 2.
6. Cf. supra, p. 114, note 5.
7. P. 95-96.
suscite dans les textes l'écho d'une exaltation religieuse et nationale ne fait
dans le fond, ici encore, qu'entretenir une tradition née de l'adab. Celui-ci
s'est très tôt attaché à montrer le rôle important effectivement joué par
les Arabes en matière de navigation, non pas seulement à l'époque du
grand commerce maritime, mais même au v m e siècle, où ils ont pu passer
pour des pionniers. 1 C'est en ce sens qu'il faut prendre l'affirmation de
Gàhiz, copié par Ibn R u s t e h s e l o n lesquels le célèbre gouverneur umay-
yade de l'Irak, al-Haggâg, mort en 95/714, aurait été le premier à lancer sur
mer des navires non plus cousus, mais cloutés et goudronnés.
Ainsi, les circonstances historiques, jointes au poids des modèles cultu-
rels, font que, pour un temps, du côté de l'Orient, la littérature va inver-
ser son point de vue initial : alors que la Relation, mettant les mers au
second plan, s'intéresse aux terres avec les hommes qu'elles portent, les
œuvres postérieures, soucieuses d'insolite et à qui, de toute façon, certains
continents sont fermés, s'attachent à la mer et ne voient plus, dans les
pays — perdus ou non — qui la bordent, qu'un accessoire, un prétexte à
redites, à contes et à merveilles. 8 Ici comme pour la géographie adminis-
trative 4, la survivance spirituelle d'une œuvre est à distinguer de sa sur-
vivance littéraire. L'esprit de curiosité, objective ou tolérante, de la Rela-
tion n'a rien à voir avec le goût systématique du curieux qu'illustrent,
souvent au prix de la réalité 6, le Supplément et les Merveilles de l'Inde ;
les véritables successeurs de la Relation seront, beaucoup plus tard, les
journaux de voyage en Extrême-Orient, ceux que composeront par exem-
ple un Ibn B a t t u t a ou, pourquoi pas ? avant lui, notre Marco Polo :
renaissance qui n'est pas fortuite, car c'est l'époque où la paix mongole,
qui s'étend jusqu'en Chine, rouvre à la curiosité des hommes les pays
devenus inaccessibles ou délaissés depuis le x e siècle. «
of Ibn Battùla, C a m b r i d g e , t. II, 1962, p . 528 i. f., 530] ; la seconde d a t e est celle d u
r e t o u r en A r a b i e : Rihla, p . 648 ; d a n s l ' I n d e , qui é c h a p p e encore à la d o m i n a t i o n
mongole, le r è g n e d e M u h a m m a d b . T u g l u q [725/1325-752/1351], p é r i o d e de f a s t e d u
s u l t a n a t d e Delhi, coïncide e x a c t e m e n t a v e c le p a s s a g e d ' I b n B a t t u t a en ces régions).
1. S a u v a g e t ( R e l a t i o n , p. X X I X - X X X ) a f a i t j u s t i c e d e l ' a t t r i b u t i o n des Merveilles
à B u z u r g b. S a h r i y â r : le p e r s o n n a g e (cf. Merveilles, § 46) n ' e s t q u ' u n de ces g e n s de m e r
d o n t les récits c o m p o s e n t le livre ; m a i s il n ' y a a u c u n e raison de le lui a t t r i b u e r , e t
ce d ' a u t a n t m o i n s q u ' i l n ' e s t c i t é q u ' u n e fois, c o n t r a i r e m e n t à d ' a u t r e s m a r i n s d o n t
les n o m s r e v i e n n e n t assez s o u v e n t . S u r la d a t e de c o m p o s i t i o n , c f . § 93, qui r a p p o r t e
u n f a i t r e m o n t a n t à 342/953-954, d a t e la p l u s r é c e n t e p a r m i t o u t e s celles q u e cite
le livre (cf. infra, p. 131, n o t e 3), ce q u i s i t u e la c o m p o s i t i o n a u x a n n é e s 3 4 3 / 9 5 4 - 5
(cf. S a u v a g e t , Relation, p. X X X , n o t e 1).
2. Merveilles, § 47, 60-61, 84, 91, 109, 114 : seul, le § 91 semble se r a p p o r t e r à u n
t r a i t de m œ u r s . L e reste, collection d e « merveilles », a c c r é d i t e l'idée d ' u n E l d o r a d o
p e r d u . L a d a t a t i o n d e ces v o y a g e s à l a Chine n ' e s t p a s i n d i q u é e a u x § 47, 91, 109
et 1 1 4 ; elle renvoie a u x a n n é e s 296-312/908-924 ( é p o q u e des trois v i z i r a t s d ' I b n al-
F u r â t ) a u x § 60-61, a u x années 3 0 8 / 9 2 0 (?) a u § 84. Mais les a n e c d o t e s r a p p o r t é e s s o n t
si e x t r a o r d i n a i r e s q u ' o n p e u t l é g i t i m e m e n t d o u t e r , sinon q u e leurs r a p p o r t e u r s s o i e n t
e f f e c t i v e m e n t allés en Chine, du m o i n s qu'ils a i e n t v u ce d o n t ils p a r l e n t e t s é j o u r n é
d a n s le p a y s .
3. Cf. supra, p . 119, n o t e 2 ; Merveilles, § 7, 31, 1 1 0 , 1 2 2 - 1 2 3 , 126-127, 134. On v o i t
q u e le t h è m e d e v i e n t ici m a j e u r .
4. Merveilles, § 15 ; il y a aussi l'Ile des f e m m e s (§ 14), l'île des singes e t de l'or
(§ 41), etc.
André Miquel. 12
1. P o u r l'imagerie, cf. infra, à propos du bestiaire, e t aussi § 46, 60, 92, 1 1 2 et passim
( t y p e s de récits m a r i t i m e s classiques) ; sur le v o c a b u l a i r e , § 17 e t 48 ( n o m s d e navires) ;
sur les t e c h n i q u e s de la n a v i g a t i o n , § 40-41 e t passim ; sur les dangers, § 4 6 ( é n o n c i a t i o n
e x p l i c i t e d u t h è m e ) e t passim ( p o u r son illustration) ; sur la d é o n t o l o g i e , § 14 (p. 203).
2. Merveilles, § 13, 18.
3 . / b l d . , p. 2 0 5 i. f., 237.
4. Ibid., p. 2 0 2 - 2 0 3 , 218, 2 9 1 - 2 9 2 .
5. Ibid., p. 2 0 2 - 2 0 5 , a v e c c e t t e différence qu'ici, le f e u , produit d u c h o c des v a g u e s
(cf. é g a l e m e n t § 23), signale s i m p l e m e n t les f l o t s qui se brisent a u x récifs d ' u n e lie.
L ' e n s e m b l e de c e s c r o y a n c e s e s t à rattacher au c y c l e d u N u a g e f i x e de M a g e l l a n (cf.
t e r m e qumr, « clarté lunaire c e n d r é e m o n t r a n t le s u d » ) : cf. Massignon, op. cit., p. 4 2 6 -
427. L e t h è m e d e la lumière e t d e la cendre, c o n j u g u é à celui des t é n è b r e s de la mer,
c l ô t p r é c i s é m e n t l ' a v e n t u r e de P y m .
6. A v è n e m e n t d'un t h è m e i m p o r t a n t : celui d e la piraterie (Merveilles, § 6 2 , 63,
81 b) ; sur d e s e x e m p l e s d ' e x a g é r a t i o n , cf. § 27, 4 6 bis e t passim.
7. « Il t r a i t a i t les m a r c h a n d s à s o n bord c o m m e les t r a i t e n t les notaires » (Merveilles,
§ 49). T h è m e e s s e n t i e l , traité d a n s u n éclairage d ' u n r u d e réalisme : l ' e s c l a v a g e (Mer-
veilles, p. 196, 2 0 8 , e t § 32).
8. Merveilles, § 89, 9 6 (sur les h é m é r a l o p e s e t la f a ç o n d o n t o n p e u t leur faire p r e n d r e
leur f e m m e p o u r une autre). A u t r e s e x e m p l e s d e f a r c e s ou c o n t e s g r a v e l e u x § 67,
90, 102.
9. G o û t e t o s t e n t a t i o n de l'argent : § 32, 49, 5 0 i.f., 86, 87 e t passim ; plaintes contre
le f i s c : p. 2 5 7 - 2 5 9 e t § 81 b.
wân, t. I, p. 146 ; t. VII, p. 171, 204 : sur une parenté entre l'éléphant et le porc ; ibid.,
t. VII, p. 204 : rapprochement entre le buffle et l'éléphant). On comparera avec le
ton catégorique des Merveilles donnant (§ 20) quelques exemples de croisements. S'agis-
sant des égarements de l'homme (Hayawân, t. III, p. 203-204), Gàhi'f ne livre pas ses
données brutes, comme un prétexte à récits excitants, mais assorties à la fois d'une
condamnation morale et d'une réflexion sur les causes physiologiques et psycholo-
giques de ces comportements (sur cette attitude, cf. supra, chap. II, p. 44-45).
1. Types de contes (certains se retrouvent dans les Mille et une Nuits, par exemple
§ 12 [thème de la bague retrouvée dans le ventre d'un poisson : cf. par exemple l'histoire
d'Abu Qïr et Abu Sir, Mille et une Nuits, t. IV, p. 50-51], 81 a [vallée aux pierres pré-
cieuses gardées par les serpents : cf. deuxième voyage de Sindbad] ; sur les farces, cf. su-
pra, p. 128, note 8) : § 8, 12, 26-27, 41, 45 (d'où mer >t Orient sont totalement absents),
50, 59, 81 a, 88,105, 112 (début de l'histoire du « petit navire •). Le personnage de Poly-
phème, qu'on retrouvera au troisième voyage de Sindbad, est ébauché au § 133; les
femmes de l'Ile dont il est question au § 14 sont une variante, sur le plan sexuel, du
mythe de la femme dévoreuse, de la sirène.
2. Cf. supra, p. 124, note 3.
3. Cf. supra, p. 19-20; Walzer et Gibb, « a k h l â j , - d a n s El (2), t. I, p. 337 (1).
4. Il s'impose aux Indes (§ 1, 14 [début] et 90), à Ceylan (§ 103), à l'Afrique (§ 32),
au Wâq-Wâq et aux lies lointaines (§ 7, 14). Rappel des principes musulmans : § 86
(p. 275), et aussi 13, 14, 32, etc. Un passage (p. 202) est particulièrement révélateur :
extension de la notion de qibla à diverses religions. Plus révélatrice encore est l ' i r r u p t i o n
des t h è m e s de l'histoire m u s u l m a n e : le s t r a t a g è m e de M u ' â w i y a à Çiffïn et le souvenir d e
la révolte d'esclaves (celle des Zang du B a s - I r a k en 877-883) sont p a t e n t s au § 7.
1. Merveilles, § 32 i.f.
2. Le souci de ne laisser é c h a p p e r rien de ce qui peut p r ê t e r à des développements s u r
le bizarre r e n d plus n a ï v e encore l ' a f f i r m a t i o n d u § 20 i.f. : « Si n o u s nous laissions aller
à d é n o m b r e r t o u t ce qui résulte de l ' a c c o u p l e m e n t d'espèces différentes, nous fatiguerions
l ' a t t e n t i o n d u lecteur et nous nous écarterions de n o t r e dessein qui est de t r a i t e r spé-
cialement des merveilles de l ' I n d e . »
3. Les d a t a t i o n s sont f r é q u e n t e s : § 1, 9, 10, 29, 32, 33, 37, 41, 48, 60, 81 b, 83, 93, 107,
112, 125,1127, c i t a n t des faits compris e n t r e 288/900-901 et 342/953-954. L a citation des
sources intervient plus f r é q u e m m e n t encore : § 1-2, 3-5, 6, 7,;8, 9, 10, etc.-Sur l ' u s a g e
de ces citations, cf. S a u v a g e t (cité supra, p. 117, note 2).
4. Cf. § 13, 14, 15, 24, 27, 77, 117, 127.
5. Voir p a r exemple § 5 (sur le t h è m e : t r o p ' b e a u p o u r être vrai, et p o u r t a n t . . . ) , 92,
d é b u t (souci de ne pas faire rejaillir sur l'ensemble d u récit une imprécision, a u r e s t e
minime, due au r é d a c t e u r seul) ; opposer à ce souci divers passages qui m o n t r e n t l ' e n j o -
livement des thèmes depuis le Supplément (l'idole d'or p u r , à Ceylan. d o n t le poids est
e x t r a o r d i n a i r e [Supplément, p . 119), passe la m e r dans les Merveilles [§ 73] et se v o i t
flanquée d ' u n a r b r e de cuivre [ibid., § 3] d o n t on p e u t se d e m a n d e r s'il ne r e p r é s e n t e
pas une a d a p t a t i o n d u t h è m e de l'arbre merveilleux de m ê m e genre, à R o m e ou à Cons-
t a n t i n o p l e [cf. Ibn Hurdâçjbeh, p. 116; I b n a l - F a q ï h , p. 7 2 ; I b n R u s t e h , p. 79, 128]).
A l'intérieur même des Merveilles, l'insistance sur le f a b u l e u x s'opère a u t r e m e n t : le
t h è m e se dédouble ou se relance en se r é p é t a n t , parfois m o t p o u r m o t (§ 34, 36, 77-78).
1. P. 115.
2. A titre d'exemple, citons seulement le Kitâb al-tabaçsur bi t-tijâra du pseudo-
Ôâiji?, p. 157 i.f., 159.
3. Par où passe aussi la route terrestre avec la Chine : cf. Sauvaget, Relation,
p. X X X V I I , note 2.
4. Ajouter aux ambassades arabes en Chine, citées par Sauvaget (loc.cit.), pour l'épo-
que umayyade, la lettre de l'empereur de Chine à Mu'âwiya, citée par ôâhi?, Ifayawân,
t. V I I , p. 113.
5. N o t a m m e n t aux Sâmânides (et à leur vizir ôayhânï), qui ont joué leur rôle dans
l'organisation des voyages d'Ibn Fadlân e t d'Abû Dulaf Mis'ar. Sallâm l'Interprète,
dont il sera question plus bas, a, de la même façon, été aidé par les Tâhirides. Cf. Risâla
d'Ibn Fadlân, p. 76, et autres références au tableau des auteurs.
6. Le premier de ces personnages, vraisemblablement le célèbre mathématicien et
astronome Muljammad b. Musa b. Sâkir, a parfois été confondu avec son homonyme,
non moins célèbre que lui et comme lui mathématicien et astronome, Muljammad b.
Mûsâ al-Uuwârizmï. Cf. infra, p. 145-146, et tableau des auteurs (auquel on renvoie éga-
l e m e n t pour Garmï et Sallâm). Sur Garmï, cf. aussi infra, p. 146.
7. Accessoirement, le volume des extraits conservés nous est garant, par référence au
caractère limité de ce propos, que le temps n'a pas été ici l'occasion de pertes trop impor-
tantes.
1. Peu importe, au fond, que l'œuvre d'Ibn Fadlân s'intitule kilâb, si l'on en croit
le manuscrit, ou risâla, si l'on suit Yâqût (cf. Canard, trad.. p. 42, note 8) et l'usage
courant : ce sont les traits essentiels de l'œuvre qui comptent et qui en font, sous cet
intitulé ou sous un autre, une risila (« mémoire », plutôt qu'« épltre ») : il faudrait, natu-
rellement, reposer ici le problème de l'influence des modèles, de Gâhi? notamment ;
la risâla touche aussi, avec Kindï, aux sujets scientifiques (cf. Fihrisl., p. 255-261,
passim) et, avec Sarabsï, à l'historiographie (sur l'expédition d'Aljmad b. al-Muwaffaq,
futur calife al-Mu'tadid, contre Bumârawayh : cf. Rosenthal, op. cit., p. 59).
2. P. ¿4.
3. P. 162 sq. du Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik.
4. Cf. supra, chap. III, p. 93, 94, note 4. Sur d'autres emprunts, cf. Muqaddasî, éd.
de Goeje, p. 346 (345, note b) ; Wiet, introd. aux Atours précieux d'Ibn Rusteh,
p. V I - V I I ; S. Maqbul Ahmad, « Djughrâfiyà », dans El (2), t. II, p. 595 (2).
5. Sallâm est exploité, entre autres, par Ibn al-Faqïh (p. 298-301, cf. p. 301, note h).
Voir autres références chez Ibn Rusteh, trad., p. 167, note 7.
6. P. 104-106.
q u e le passage de la risâla à l'adab se fera par les voies que nous avons
indiquées, n o t a m m e n t par la systématisation du merveilleux et l'efface-
m e n t progressif de la découverte au profit de la redite. En même t e m p s ,
comme pour toutes les autres formes d'expression déjà passées en revue,
on estimera, sans grande crainte d'erreur, que la véritable postérité de
la risâla est à chercher en dehors des données où l'adab la fige, qu'ici
encore l'originalité profonde d'un genre est indissociable de sa nécessaire
évolution. La grande innovation de la risâla a y a n t été de consigner les
choses vues dans l'ordre d ' u n itinéraire, de systématiser la relation entre
le t e m p s vécu et l'espace parcouru, ses héritiers véritables seront, d ' u n e
p a r t les masâlik wa l-mamâlik du i v e / x e siècle, et, plus encore, au-delà
de l'époque qui nous occupe, le journal de voyage (rihla) tel que l'illustre-
r o n t , aux v i e / x u e et v m e / x i v e siècles, un Ibn Gubayr ou un Ibn B a t t ù t a .
Au bout du compte, le périple d ' I b n Fadlân ne différerait guère de
ceux de ses grands successeurs que p a r le caractère intéressé de son o b j e t .
R é p o n d a n t à un souci extérieur au lieu d'être à soi-même sa propre j u s t i -
fication, il s'enferme à l'avance, du m ê m e coup, dans des paysages déter-
minés au lieu de se maintenir perpétuellement disponible à de n o u v e a u x
horizons. Mais, ces réserves faites, la technique de consignation des f a i t s
est p a r t o u t identique : le premier, Ibn F a d l â n établit cette relation fon-
d a m e n t a l e espace-temps qui sera u n des traits distinctifs de la rihla :
genre intermédiaire, donc, entre la géographie et l'histoire, puisque, comme
la première, il s'exprime dans un espace, mais en le réordonnant selon
des critères temporels qui relèvent de la seconde. 1
D e u x dates essentielles jalonnent l'œuvre d ' I b n Fadlân : le d é p a r t
de B a g d a d au 11 safar 309/21 juin 921 et l'arrivée au pays des Bulgares, le
12 m u h a r r a m 310/12 mai 922. E n t r e ces deux dates, décrits au hasard du
chemin, les Huwârizmiens, les Turcs, les Petchénègues et les B a c h k i r s 2
interviennent non seulement comme sujets d'observation, mais, plus
encore, comme acteurs d'une histoire vécue, leur attitude, amicale, indif-
férente ou hostile, c o m m a n d a n t directement l'avenir de la mission e t
suscitant, chez l ' a u t e u r lui-même, ces réactions diverses de joie e t de
désespoir, de frayeur et de quiétude, qui donnent à la Risâla un e x t r a -
ordinaire accent de vérité.
On peut voir par là q u ' u n e telle œ u v r e doit ressortir en principe à deux
ordres différents, selon que l'évrivain y intervient en t a n t qu'observateur
ou en t a n t que personne : dans le premier cas, elle énonce une vérité scien-
t e n t i o n du l e c t e u r é t a i t de l u i p r é s e n t e r u n r a p p o r t où les e x i g e n c e s
d e l ' i n f o r m a t i o n se c o n c i l i a i e n t a v e c l ' a g r é m e n t d e la l e c t u r e , e n u n
m o t , de m é n a g e r , ici encore, l e s droits de l'adab. Le souci du
s t y l e , a c t e d ' h o n n e u r v i s - à - v i s du calife, a priori s u p p o s é l e t t r é e n t r e
l e s lettrés, est, d a n s le c a s d ' I b n F a d l â n , d ' a u t a n t p l u s n é c e s s a i r e q u e le
v é r i t a b l e l e c t e u r e t u t i l i s a t e u r d e l ' o u v r a g e d e v a i t être, a u - d e l à d e s a p p a -
r e n c e s du p o u v o i r r e p r é s e n t é e s par le calife ou le p â l e vizir H â m i d b. al-' A b -
b â s , le célèbre kalib, à la f o i s a n c i e n e t f u t u r v i z i r l u i - m ê m e , "Alï b. 'Isa,
d o n t on c o n n a î t les d o n s l i t t é r a i r e s . 1
R e s t e r a i t à d é b a t t r e d u p r o b l è m e du m e r v e i l l e u x , d o n t o n s ' e s t p l u
à t r o u v e r d e ci d e là d e s t r a c e s dans la Risâla.2 On éliminera, b i e n é v i d e m -
m e n t , de ce m e r v e i l l e u x les p a s s a g e s q u i t i r e n t l e u r o r i g i n a l i t é s o i t d e s
s u j e t s e u x - m ê m e s , p a r e x e m p l e l'extraordinaire r é c i t d e s f u n é r a i l l e s d ' u n
n o b l e russe», s o i t d e s q u a l i t é s de la prose d ' I b n F a d l â n : « I l a v a i t ,
déclare-t-il à p r o p o s d ' u n T u r c , épilé sa b a r b e t o u t en g a r d a n t q u e l q u e s
p o i l s au m e n t o n , e t c o m m e il é t a i t v ê t u d ' u n e p e l i s s e , il p a s s a i t , v u d e loin,
à t o u t c o u p p o u r u n b o u c » . 4 E n t o u t cela, il y a , c e r t e s , d é p a y s e m e n t p u r
o u t r a n s f i g u r a t i o n littéraire, m a i s rien q u i ne s o i t s t r i c t e m e n t vrai. L o r s -
q u e Ibn F a d l â n , e n r e v a n c h e , a g r é m e n t e s o n r é c i t d e q u e l q u e s t r a i t s réso-
1. Cf. Risâla, p. 114, note 8 ; Sourde], Vizirat, t. II, p. 414 sq., 520-521 (et notes 1, 2)
et passim. Hâmid b. al-'Abbâs est explicitement désigné, dans la Risâla (p. 114 i.f.),
comme l'auteur de la lettre d'introduction auprès du roi des Bulgares.
2. Cf. EGA, p. 97.
3. P. 155-165 ; trad., p. 122-134. Il faudrait citer de même, entre bien d'autres traits,
tous ceux qui tirent leur étrangeté de leur opposition aux coutumes de l'Islam (cf. p. 92-
93, 94, 115, 131-132 et passim). Mais, à la différence de ce qui se passe dans la Relation,
le Supplément ou les Merveilles de l'Inde (cf. supra, p. 120, 125, 130-131), la notation de
ces différences s'inspire ici de soucis en réalité politiques : la conversion des Bulgares
est la mission dévolue en propre à Ibn Fadlân (cf. en particulier, sur cette attitude, les
p. 117, 131-132 [déjà citées], 134).
4. P. 101. Autres exemples : p. 120, à propos d'un Bulgare : « C'était un homme im-
posant, gros et corpulent, avec une voix qu'on eût dite sortant d'une jarre. • P. 83-87 :
notations concrètes sur le froid au Buwârizm, les vêtements qu'il nécessite et certaines
coutumes ou attitudes qu'il inspire, le tout représentant la transcription vécue, expé-
rimentale, du thème théorique de la relation de l'homme au sol et au climat : cf. supra,
chap. I et II, p. 14-16 et passim). Un dernier exemple est plus intéressant encore, car
il nous montre de quel profit pourrait être pour l'étude de la littérature arabe, de ses
motifs et de ses techniques, l'observation du cheminement de certains thèmes fondamen-
t a u x . Soit le thème de l'habileté du Turc, dont Gâhi? traite dans le contexte général
du partage des qualités diverses de l'être humain entre les grands groupes ethniques du
globe (cf. Risâla ilâ Fath b. tfâqân, passim) ; Ibn Fadlân (p. 103) représentele stade du
passage du thème théorique à son illustration vécue : « Un jour que ce Turc nous accom-
pagnait à cheval, je l'ai vu, une oie venant à passer, bander son arc, presser sa monture,
tirer sur sa cible et l'abattre. » Voici enfin, avec Hamadânï (Maqâma asadiyya, éd.
M. 'Abduh, Beyrouth, 1957, p. 33 [et note 7) — 35), dans la prose rimée propre à cet
auteur, un Turc qui « prend un arc, le bande, fait voler une flèche dans les airs, puis une
autre qui fend la première en plein vol. »
t . Voir, par exemple, au tableau des auteurs, les références relatives au récit de
Sallâm l'Interprète.
2. On a vu que la Relation est de 237/851 et le Suppément d'Abu Zayd des années
303-304/915-916 (supra, p. 121, note 4). Sallâm et Garmî sont tous deux en relation avec
le califat d'al-Wâtiq (227/842-232/847) et la Risâla d'Ibn Fadlân date des années 309-311 /
921-923 (cf. supra, p. 134, 135, note 2).
3. Autre cas éclatant, en dehors de la géographie pure : l'autobiographie d'Usâma
b. Munqid, au v ° / x i e siècle.
Abu Dulaf Mis'ar 1 est un héros de roman : poète qui eut ses heures de
célébrité, en même temps que minéralogiste compétent, il fait sa cour,
entre les années 330/940 et 380/990, successivement aux Sâmânides de
Buhârâ 2, à leurs vassaux, les princes saffârides du Sigistân 3 et au célèbre
as-Sâhib Ibn 'Abbàd, vizir des Buyides à ar-Rayy. Mais il fréquente les
truands aussi bien que les princes et s'affilie à la célèbre compagnie
des Banû Sâsân. Dans cette vie longue de près de quatre-vingt-dix ans*,
les séjours citadins semblent avoir été coupés de nombreux voyages et
Ibn an-Nadïm, qui aurait connu Abu Dulaf personnellement, le qualifie
de « globe-trotter » (gawwâla). 5
Son œuvre n'est pas moins originale : il compose, presque simultané-
ment«, deux risâla-s aussi dissemblabes qu'on puisse l'imaginer, l'une,
sur les Turcs, accessoirement sur l'Inde et la Malaisie, l'autre sur l'Iran
et l'Arménie. Aussi sérieux et personnel dans la seconde que plagiaire et
suspect dans la première, il hésite ainsi, d'oeuvre à œuvre, entre les procé-
dés de l'adab et l'observation directe, comme s'il s'ingéniait, jusque dans
ses écrits, à confirmer l'image d'une personnalité double. Cet Arabe de
souche vivant en milieu iranien, cet homme connu pour son amour des
pierres comme pour avoir composé un poème célèbre dans l'argot des
coquillards, est décidément plus qu'un écrivain : une figure, et des plus
grandes parmi toutes celles qui illustrèrent, en Orient, une vie et une
1. Pour l'Orient, cf. l'étude de R. Blachère et P. Masnou dans l'introd. à leur Choix
de séances de Hamaiâni, Paris, 1957, p. 10-13.
2. Cyrano et Régnard illustrent assez bien, par leurs aventures, les « vies » dont nous
parlions ; leurs œuvres juxtaposent le Voyage dans la lune ou le Voyage en Laponie
au goût pour les genres affirmés que sont la tragédie pour le premier et la comédie
pour l'autre. Furetière et Le Sage représentent, eux, les « âmes • : le second, qui cultive
à la fois la comédie, genre classique, et le roman picaresque ou d'aventures avec Gil
Blas ou les Aventures de Beauchêne, poursuit une vie systématiquement exempte
d'honneurs ; le premier est un Académicien, mais son mépris des conventions littéraires
ou sociales va jusqu'à la composition du Roman bourgeois et de fables, et surtout
jusqu'à braver, par la publication de son dictionnaire, l'Académie qui l'exclura.
3. Ces deux hypothèses sont envisagées par V. Minorsky dans El (2), t. I, p. 119,
et Oriens, V, 1952, p. 24 : « A b u Dulaf, toujours à court d'argent, a pu fabriquer) s o n
factum... pour s'assurer une récompense plus abondante. »
4. Cf. Marquart, Streifziige, p. 77 sç.,| 83 sq. ; seconde Risâla, trad. Minorsky,
p. 12-18, où il est montré qu'AbQ Dulaf est sans doute allé de Bubârâ au Sigistân, mais
que sa prétendue expédition jusqu'aux provinces de Nan-Chan et de Kan-Sou (à
500-700 k m au sud de la frontière méridionale de l'actuelle Mongolie Extérieure) ne laisse
pas d'être suspecte en raison de l'incroyable désordre de la nomenclature des tribus
turques traversées ; tous les renseignements qui se rapportent à la Malaisie et à l'Inde,
maigres au demeurant, sont des emprunts.
serpents, confinés sur une montagne magique, tuent, rien qu'en les regar-
dant, tous ceux qui s'en approchent. 1 Mais ces traits d'insolite outrancier
sont assez rares. 4 Dans ce jeu — puisqu'il ne s'agit, après tout, que de
cela —, Abu Dulaf garde l'habileté de rester en deçà des limites imposées,
à une espèce de moyenne dans le dépaysement, au-delà de laquelle il
risque de passer pour un simple fabulateur. Car, si la règle du merveilleux
Çagïb) est en effet, pour lui donner le plus de force et d'attrait, non pas
de le créer de toutes pièces, mais de le rendre vraisemblable en l'inscrivant
dans un contexte plus ou moins authentique qui lui sert de garant, il
importe chaque fois d'en doser les effets. Et comme la règle devient d'au-
t a n t plus valable que l'on se rapproche de terrains connus, on comprend
pourquoi les Turcs d'Abû Dulaf représentent assez bien cet amalgame
idéal de bizarre et de quotidien par lequel seul, pour reprendre l'expression
célèbre, l'artiste peut les «figurer». C'est pourquoi il n'est pas besoin de
suivre V. Minorsky lorsqu'il affirme 3 , au vu du caractère décousu de cet
itinéraire, que le destinataire de la Risâla ne pouvait vivre que loin de
Buljârâ : en admettant que l'on connût alors exactement l'emplacement
des tribus turques, rien ne prouve que le protecteur d'Abû Dulaf ait été
dans les dispositions d'esprit que nous lui prêtons aujourd'hui, avec notre
souci d'information objective et précise. Comme on peut présumer, au
contraire, qu'Abû Dulaf a modelé sa Risâla dans le sens requis par la
personnalité du demandeur 4 , il n'est pas besoin de chercher, avec l'éloi-
gnement géographique, une cause extérieure à t a n t de tranquille et plaisant
désordre : si la Risâla n'est pas une étude en forme, mais un mémoire
récréatif, si elle se préoccupe moins de vérité que de thèmes à la mode,
c'est, tout simplement, parce que son destinataire lui-même voulait qu'elle
f û t cela. Ainsi nous est prouvé, si besoin en était, que les pays du nord,
tout comme les mers orientales, sont devenus, vers le milieu du i v e / x e siè-
cle, de simples articles au catalogue de l'adab.
Tout autre apparaît, nous l'avons dit, la seconde Risâla, qui porte, elle,
sur l'Iran et l'Arménie. Les thèmes y deviennent l'affaire personnelle de
l'auteur et non plus le prétexte à une démonstration mondaine de sa
culture, à l'exercice social d'un savoir. Cet examen passé, pourrait-on dire,
Abu Dulaf revient à ce qu'il aime : les roches, les plantes, la thérapeuti-
A n d r é MIQUEL. 13
ne supportent qu'un style spontané qui suit, comme il le peut, les solli-
citations de l'œil ou de l'esprit. « Les pommes, à Ispahan, restent fraîches
sept années durant et les charançons n'y attaquent pas le blé. On y voit
des ruines superbes ». 1 La moisson serait abondante, s'il fallait relever
les notations de ce genre, typiques d'une expression désordonnée, truffée
de coq-à-l'âne, qui caractérisera tant de passages des masâlik wa l-mamâ-
lik.2 Que manque-t-il donc à Abû Dulaf, malgré le mode de vie, le savoir
et le style qu'il propose, pour être vraiment géographe, au sens où l'est
son contemporain Istahrï ? Précisément la conscience de cette vocation,
qui lui eût fait, d'une part, élargir le champ de vision trop restreint d'une
risâla et, d'autre part, regrouper ses données autour de quelques grandes
rubriques, territoriales ou autres : en un mot, de trouver, comme les masâ-
lik wa l-mamâlik, le moyen terme attendu entre la partitio mundi à la
mode de la sûrat al-ard, trop schématique et théorique, et l'observation
concrète du monde, qui mène à la vérité, sans doute, mais à travers une
expression désordonnée.
On ne saurait, bien entendu, faire à Abû Dulaf le procès de n'être pas
géographe, puisqu'il ne visait pas après tout à cela. Son mérite est ailleurs :
dans sa personnalité ambiguë, vivant d'attitudes contradictoires et
opposant, aux formules dépassées de la mode, les engagements libres de
la personne. Pour tout dire, mérite de la contestation, mais exprimée dans
les formes que lui prête, on l'a vu, la mentalité picaresque. Or, des pro-
testations de ce genre ne valent pas seulement par l'image qu'elles donnent
d'un certain type de mentalité. Les inquiétudes d'Abu Dulaf, rapprochées
de celles qui se font jour au même moment dans les masâlik wa l-mamâlik
d'Istahrï 3 , témoignent qu'en ce milieu du iv e /x e siècle, la curiosité de
quelques lettrés évolue de façon décisive et proclame périmés un certain
nombre de modèles : périmé le rapport d'ambassade 4 , traité cavalièrement,
bâclé même, et qui se voit opposer le plaisir du voyage en soi ; périmée
l'excursion imaginaire dans les livres et les dires d'autrui, car l'époque
arrive de l'aventure personnelle ; périmé enfin l'au-delà des frontières, au
profit de la découverte chez soi. Si l'on ne peut établir de liaison formelle
déjà trouvé sur les routes du nord parcourt en Asie Mineure, vers les
années 845 de J.-C., la région de la Caverne des Sept Dormants. Garmî,
prisonnier des Byzantins, écrit un ouvrage sur leur Empire et les peuples
voisins. 2 Hârun b. Yaljyâ, surpris par des pirates sur les rivages de
Palestine, sans doute à l'extrême fin du ix e siècle, visite, sur les chemins
de sa captivité, Constantinople, Salonique, les pays slaves du sud, Venise,
Pavie et Rome, où il recueille des renseignements sur la France, la Bour-
gogne et la Grande-Bretagne. Le Juif espagnol Ibrahim b. Ya'qùb, pour
des raisons commerciales ou religieuses 3 , entreprend en Europe, vers
354/965, un très long périple qui le mène de la Bretagne — peut-être
de l'Irlande ou même de l'Islande — en Pologne et du Schleswig à la Sicile,
en passant par les Pays-Bas et l'Allemagne de l'empereur Othon le Grand,
qui le reçoit à sa cour. A l'extrême ouest, enfin, le iv e /x e siècle voit huit
jeunes hommes, que l'histoire a surnommés les Fils de l'Aventure (al-
Magrûrûn), quitter par mer Lisbonne et explorer les parages de Madère
et des Canaries.
On a beau jeu, certes de dénoncer le caractère parfois suspect des pré-
tendus résultats de ces expéditions. 4 C'est qu'en effet, si la réalité de ces
voyages peut être à peu près sûrement affirmée, et tout autant celle des
récits qui les consignèrent, le doute règne, en revanche, sur la forme et le
contenu originels de ces récits, tant les épaves conservées sont réduites,
et grande la distance chronologique entre ces originaux et les textes dans
lesquels, aujourd'hui, nous les lisons. 6 Sur le plan quantitatif, donc, on
peut à peine, devant quelques pages ou même quelques lignes, parler
d'œuvres, au sens courant du terme, le récit des Magrûrûn, ou du moins
ce qu'il en reste, occupant, de par sa minceur, une position extrême au-
delà de laquelle le souvenir des voyageurs est réduit à la simple mention
d'un nom, sans qu'on puisse savoir si ce nom, en son temps, était bien
synonyme d'un récit de voyage effectivement sanctionné par l'écriture. 6
un écrivain assez peu éloigné de lui dans le temps, mais dont nouf connais-
sons le goût avéré pour les formes littéraires en honneur dans son siècle :
q u ' I b n al-Faqïh ait déformé 'Umâra b. Hamza dans le sens du merveil-
leux ou qu'il se réfère à lui parce qu'il trouve en cet auteur comme un
modèle, précisément, au regard de ses propres tendances, le résultat est
le même : l'envahissement du récit par le prodige 1 . Enfin, les atteintes les
plus graves seront portées à l'original lorsque l'utilisation de formes litté-
raires conventionnelles se conjugue à la distance chronologique : que reste-
t-il de l'œuvre d'Ibrahim b. Ya'qflb, mutilée, confondue avec d'autres,
éparpillée aux quatre coins de l'ouvrage d'un Qazwïnï, vulgarisateur
honnête, certes, mais pour lequel l'apprentissage du savoir est rarement
séparable du plaisir que procure l'insolite ? E t ce Gazai qu'on nous pré-
sente, quatre ou huit siècles après, dans les mêmes formes stéréotypées
de l'amour courtois et de l'honneur 2 , s'était-il vraiment comporté ainsi
dans ces affaires en principe sérieuses que sont une ambassade et la rédac-
tion des rapports que l'on en donne ? 3 On le voit, la distance chronologique
doit être, en tous ces cas, jugée à deux niveaux : à celui de la connaissance
historique, on devra évidemment faire de sérieuses réserves sur l'authen-
ticité de l'œuvre transmise ; mais précisément l'ampleur de la défiguration
historique des textes originaux est la preuve, sociologique cette fois, de
son remodelage en fonction du système culturel accrédité dans les cons-
ciences. Ce sont les Arabes du Moyen Age, et non pas nous, qui désignent
ce remodelage, une fois de plus sous le même terme d'adab.
tel ou tel groupe de lieux saints, tel ou tel personnage dont elles se récla-
m e n t , soit qu'on devine, au-delà des préférences personnelles des auteurs,
u n e volonté de donner, dans une vision syncrétiste et globale, le dénomi-
nateur commun de l'Islam à l'ensemble des lieux saints, un souci « de
reconstruire, par une réconciliation entre Sunnites et Chiites, l'unité
primitive de l ' I s l a m » . 1
Si, à partir du x i e siècle, les efforts de conciliation islamo-chrétienne
qui avaient pu être tentés j u s q u e là, sur le plan social et politique 3 ,
semblent réduits à néant, si, sur le plan religieux, chacune des deux com-
m u n a u t é s se m o n t r e désormais soucieuse de s'affirmer essentiellement en
se distinguant de l'autre, on s'étonnera moins que, sur le plan littéraire,
cet autre syncrétisme soit rompu, que représentait le t r a i t e m e n t d ' u n
thème chrétien, celui des monastères, selon les normes en usage dans la
littérature arabo-musulmane du x e siècle. Auteur marginal 3 si l'on s'en
t i e n t aux limites historiques imposées à cette étude, Sâbustî ne l'est plus
si on le replace dans l'évolution d'ensemble de ce genre que nous avons
appelé la géographie spirituelle. Car il est u n peu, à l'itinéraire religieux
d ' u n Harawï ou au récit de pèlerinage d ' u n Ibn Gubayr, ce que la géogra-
phie théorique, sous sa forme administrative ou cartographique, est a u x
masâlik wa l-mamâlik. Ici aussi, les thèmes livresques seront appelés à
être revus, vivifiés par l'expérience visuelle et directe, à cette différence
que, d'une p a r t , le phénomène se produira, pour cette géographie spiri-
tuelle, avec quelques siècles de retard et, surtout, qu'il ne naîtra pas de
simples motifs personnels de curiosité, mais de raisons plus profondes
ressortissant, on l'a vu, à de nouvelles circonstances historiques. Le schéma
de l'évolution, toutefois, reste le même et substitue, il faut y insister, à
une expérience livresque la confrontation avec les lieux d'une expérience
personnelle, qui est ici celle de la foi.
Conclusion
direct Çiyân) et les données d'une culture (adab). Ces deux constantes
voisinent toujours et toujours s'affrontent ou se modèlent l'une l'autre,
soit chez un même auteur, soit au niveau d'un jugement global sur l'en-
semble des œuvres. 1 II semblerait à première vue normal, au terme d'une
étude sur les voyages, d'essayer de préciser ce qu'est, pour un Musulman
de cette époque, l'acte de voir; mais précisément celui-ci ne peut jamais
être défini de façon absolue, jugé en lui-même, autrement dit en dehors
de tout rapport avec les données de la culture qui est celle des voyageurs.
Il importe donc de s'attacher maintenant à étudier les thèmes, l'esprit
et les mécanismes de l'adab, en définissant en même temps ses rapports
avec l'expérience personnelle : ainsi qu'on l'a dit plus haut 2 , c'est à Ibn
al-Faqïh qu'on demandera d'éclairer cette recherche.
1. Dans le premier cas, on pensera par exemple à un Abu Du] ai Mis'ar; dans le
second, on opposera les données de la Relation au traitement qu'elles subissent dans
le Supplément ou les Merveilles.
2. P. 108.
lbn al-Faqïh
ou la géographie vue par l'adab
D'entrée de jeu, après une invocation d'une extrême concision, lbn al-
Faqih déclare : « Il existe, selon al-Fadl b. Yaljyà \ quatre classes d'hom-
mes : les rois, que distingue leur mérite, les ministres, dont la précellence
est fondée sur la sagacité et le jugement, les nobles, qui s'élèvent par leur
aisance, et tout homme moyen (awsât) qui, par l'apprentissage de la cul-
ture (ta'addub), gagne sa place avec les précédents. Hors de ceux-là, il n'y
a que déchets et écume, qu'un torrent de débris, d'abjections et d'ordures,
un compagnonnage de la médiocrité dont le commun souci a nom pain et
sommeil. A Mu'âwiya qui lui demandait de parler des êtres humains, al-
Atinaf 2 répondait : «Il y a les têtes, que la chance place tout en haut, les
« épaules », qui doivent leur grandeur à leur conduite et la somptueuse publi-
1. Sur ce Barmécide, cf. D. Sourdcl, dans El (2), t. II, p. 750. Les passages d'Ibn
al-Faqih cités ici se trouvent p. 1-3 du KitSb al-buldûn.
2. Sur ce notable et général tamlmite, cf. C. Pellat, dans El (2), t. I,p. 313-314.
cité qu'elles se font, et les lettrés (udabâ'), qui peuvent rejoindre les rangs
des précédents en se cultivant (ta'addub). Après eux, les hommes sont
comme des bêtes : affamés, ils courent au pré, rassasiés, ils courent au lit ».
B u z u r g m i h r \ lui, conseillait à qui voulait parvenir au plus degré jamais a t -
t e i n t par les maîtres de la culture (âdâb), de fréquenter un roi ou un minis-
tre : le zèle, disait-il, qu'ils apportent à connaître l'épopée et l'histoire des
rois 2 , la culture (âdâb) et ses maîtres vous inciteront à cette recherche. Le
moyen de s'approprier ce savoir ? L'exercice de l'intelligence, car une telle
q u ê t e est la matière de notre être e t la culture (âdâb) n'est pas sépara-
ble de l'effort».
Il ne reste plus à Ibn al-Faqïh, après quelques citations du même ordre,
q u ' à demander au lecteur de bien accueillir un ouvrage inspiré d'un aussi
noble dessein, « r e n f e r m a n t toutes sortes de traditions (ahbâr) sur les diffé-
rents pays, sur les m o n u m e n t s et autres merveilles Çagâ'ib) que l'on p e u t
voir d a n s les provinces » 3 , u n livre enfin « dont t o u t e la substance est faite
de t r a d i t i o n s (ahbâr), de poésies, de citations et de sentences, enregistrées
sur le vif p a r une mémoire toujours à l'écoute».
Cette entrée en matière, assez fracassante, nous est précieuse à plus d ' u n
titre, car la définition, par Ibn al-Faqïh, des lignes de force de son ouvrage
n'est pas seulement utile en soi : elle intervient, t o u t a u t a n t , si l'on posé
le problème de la fidélité de notre t e x t e à l'original. Le Kitâb al-buldân
(Livre des pays) se présentait, lorsqu'il f u t composé vers 290/903, comme
une encyclopédie, en cinq volumes, du monde de l'Islam, alors que nous
ne le connaissons a u j o u r d ' h u i que par le résumé (muhtasar) qui en f u t fait
par un certain 'Ali as-Sayzarï en 413/1022. 4 Une œuvre ainsi transmise
appelle, dans le principe, de sérieuses réserves ; mais une chose est la
réduction quantitative — qui reste, hélas 1 acquise — de l'original », et une
autre, l'esprit même dans lequel f u t effectuée cette réduction. Nous
serons, semble-t-il, en droit d'étudier l'œuvre d ' I b n al-Faqïh selon des
approximations suffisantes si nous nous rassurons sur deux ordres de
fidélité : l'une tient au respect des intentions de l'œuvre originale, et p e u t
donc, à ce titre, être jugée de façon absolue ; l'autre, qui intéresse la m a -
tière traitée, doit l'être au contraire de façon relative, par référence au
1. Sur ce personnage célèbre des légendes iraniennes, qui apparaît notamment dans
le Kalila wa Dimna, cf. H. Massé, dans E.I (2), t. I, p. 1399.
2. Ma 'rifat ayyâmi l-mulûk wa aàbârihim.
3. Littéralement: les districts (kuwar, choisi par euphonie avec ahbâr, qui précède).
4. Références dans Kratchkovsky, p. 156-158 (162-163) ; on signale ici, pour mémoire,
la thèse selon laquelle l'auteur du résumé serait Ibn al-Faqïh lui-même, thèse difficile-
ment défendable, comme le souligne de Goeje (introd. au Kitâb al-buldân, p. VIII).
5. Le manuscrit conservé à Me5hed*eût donné sans doute un t e x t e plus complet, mais
il est malheureusement réduit à la première partie de l'œuvre : cf. V. Minorsky, « A
false Jayhânï», dans BSOAS, X I I I , 1949-1950, p. 89, note 5, et introd. à la deuxième
Risâla d'Abû Dulaf Mis'ar, op. cit., p. 2, note 3 (avec bibliographie).
1 . « U n e autre voie», dans la traduction que j'ai donnée de ce passage (§ 13) : cet
t autre » doit s'entendre par rapport à la sùrat al-ard et Balbï, dont il est question immé-
diatement avant.
2. Ed. de Goeje, p. 241.
3. C'est aussi l'avis de de Goeje (introd. au Kiiâb at-buldân, p. VIII), qui note, après
Loth, que presque tous les passages de l'original cités par Yâqût se trouvent dans
l'abrégé : cela peut donner à penser que la réduction opérée n'est pas, même en volume,
aussi ample que le laisseraient croire les chiffres bruts (les 5 volumes de l'original
[cf. Muqaddasï, trad. § 13 bis] contre le résumé, les 1 000 feuillets du même original
[cf. Fihrist, p. 154 et Yâqût, Udabâ', t. IV, p. 199-200] contre les 330 p. de l'éd. de
Goeje). La discussion sur ce point précis sera reprise plus bas.
1. Cf. supra, p. 37 (et note 4), 45, 59, 65. Ajouter a u x références données la formule
d'Ibn H a z m (citée dans Grilnebaum, op. cit., p. 228, note 2), pour qui Gâhi? est « l'un
de ces hommes frivoles qui sont dominés par le désir de plaisanter et l'un de ceux qui
induisent en erreur, mais cependant, comme nous l'avons vu, un homme qui, dans ses
livres, n'avance jamais un mensonge délibérément et avec assurance, bien qu'il expose
s o u v e n t les mensonges des autres » : phrase embarrassée, dont les hésitations montrent
bien le conflit entre une légende reçue et un jugement personnel, sensible à l'inquiétude
êâhi?ienne, à toute une recherche qui se méfie du dogmatisme.
2. Cf. supra, p. 155, note 3.
3. La Taikirat al-huffâi de Dahabï, notamment, un des exemples les plus complets
du genre.
4. Le Fihrist et Yâqut (foc. cit.) le classent expressément « parmi les gens de Vadab »
(min ahl al-adab).
1. A prendre au sens suivant : les renseignements géographiques sur les villes sont
aussi secs que dans une table astronomique (laquelle se contente d'en donner la position
sur le globe), propos qui serait confirmé par le texte cité p. 155, 1. 16-17.
2. P. 106, note 1.
3. On renvoie, ici encore, à la note de la p. 106, déjà citée, où l'on montre c o m m e n t les
rares exemples de notations chiffrées sont traités dans un contexte qui précisément les
littérarise.
A n d r é MIQUEL. 14
rubriques amputées, certes, des passages cités par de Goeje, mais par ailleurs bien pré-
sentes dans le Muhtasar, contrairement aux trente et une rubriques retenues, dont il
n'est pas jusqu'au nom qui n'ait disparu lors de la réduction à l'abrégé. Ce dernier
chiffre n'est sans doute qu'un minimum, car il est fort probable, comme l'indique de
Goeje (p. X, 1. 7-10), que Yâqût a, plus d'une fois, démarqué Ibn al-Faqïh sans le citer.
Mais il faudrait alors augmenter aussi, pour les mêmes raisons, le chiffre de cent trente-
deux. Toutes ces adjonctions seraient, on le voit, d'un ordre résolument problématique.
Notre méthode a, sur ce plan, l'avantage de mettre en relief des quantités chiffrables ;
mais elle en a un autre, dans le cadre même de la méthode chiffrée ainsi retenue : en
ne prenant en compte, pour les concordances entre le texte de Yâqût et le Muhtasar,
systématiquement que les emprunts de passage (les emprunts de ligne ou de mot
étant, on l'a dit, exclus), autrement dit en fixant le chiffre de ces concordances à leur
plafond le plus bas, nous savons que le rapport établi est vraiment l'indice minimum
de la fidélité du Muhtasar au Kitâb al-buldân.
1. Rapport des 132 thèmes conservés par l'abrégé à l'ensemble des 163 thèmes (132 +
31) traités dans l'original.
2. « Il a fait son livre avec ceux des autres » (ahadahu min kutubi n-nds) : Fihrist
et Yâqût, loc. cil.
3. P. 284-286.
4. P. 16-41, 91-127, 161-192.
1. P. 290 i. f .
2. Cf. supra, p. 37, 45.
3. Au moins pour l'exemple cité ici ; pourl'ensembleducas Ya'qQbI,c/'.plusloin,p. 188.
4. Explicitement invoquée p. 116 (à propos d'al-Ahwâz), 253 (sur les palmiers de
Baçra) ; sur un cas de démarquage de thèmes gâljiiiens, sans citation du nom de Gâljiî,
cf. infra. |>. ll>8. noie .">.
drie ou l'église d'Édesse 1 , quand ce n'est pas, pour le pays égyptien par
exemple, pêle-mêle une pla.ate textile ou un arbre phosphorescent, la pierre
qui flotte et le bois qui sombre, les phénomènes magnétiques, la sécheresse
et le nom même de l ' Ë g y p t e . 2
U n e pareille accumulation de curiosités n'est pas seulement la manifesta-
tion d'une recherche déterminée. E l l e répond aussi à des intentions litté-
raires et sociales. L ' œ u v r e n ' é t a n t pas séparable de son public, ni l ' a c t e
d'écrire, comme on l'a d i t s , de la démonstration que l'on en fait, le mer-
veilleux se révèle répondre, en même temps qu'à un goût, à une fonction
sociale, qui est d'attacher le public à l'œuvre et d'adapter l'œuvre à
l ' a t t e n t e du public, selon un principe d'efficacité extrêmement simple,
à savoir que la curiosité va aux curiosités. D a n s le même esprit, on ne
saurait concevoir une connaissance exposée de façon strictement scientifi-
que, suivant la règle d'or de l'économie du style ; l'œuvre, ici, se présente
résolument comme une composition littéraire. L e développement classi-
que sur le mélange nécessaire du sérieux et du plaisant, ainsi que les
intentions de l'écrivain, clairement affirmées dans la préface et dans le
corps du livre 4 , rattachent décidément Ibn a l - F a q ï h à la tradition des
prosateurs des m e / i x e et i v e / x e siècles. Il ne saurait, certes, être question
de comparer, sur le vu des résultats, son art à celui d'un Câhiz, par exem-
ple. Mais, pour être moins heureux, le souci du style n'en est pas moins
évident dans la lettre du texte, ni surtout moins expressément formulé
dans les intentions. Ce n'est pas un hasard si le Kitâb al-buldân invoque
justement, avec celui d'autres écrivains célèbres, le patronage d'un ô à h i z
loué surtout pour les qualités formelles de son œuvre », ni si la conception
de l'ouvrage et le but qu'on lui assigne relèvent aussi peu des préoccupa-
tions individuelles que notre tradition à nous a si longtemps assignées au
métier d'écrivain : ici, le m o t de composition retrouve son sens propre, car
il s'agit, au vrai, d'ajuster ( t a ' l î f ) , en vue de la constitution d'un tout, des
pièces qui ne sauraient qu'être prises à autrui ; l'art de la prose est donc
synonyme de l'emprunt (intihâl), puisque, comme le dit expressément Ibn
a l - F a q ï h en des pages essentielles 8 , c'est par la référence, parfois littérale,
p. 133, 263, 303, 321-322 (sur ces d e u x derniers exemples, toutefois, voir infra, l a note 4
de la p. 171).
1. On ne s a u r a i t é v i d e m m e n t épuiser t o u t e s les références qui la c o n c e r n e n t , t a n t
le v o l u m e des données est immense : o n se r e p o r t e r a p o u r cela, de façon générale, à l'index
d u Kitâb al-buldân.
2. Cf. d e u x exemples caractéristiques de ces f o r m u l e s , p. 148 et 243-244.
3. Plus s o u v e n t utilisé que ne le laisseraient croire les d e u x seules citations qui sont
f a i t e s de son n o m , p. 303 et 321 : cf. de Goeje, op. cit., p . X I I . Y a ' q u b ï n ' e s t cité (sous
le n o m d ' A h m a d b. W â d i h al-Isfahânï) que p a r exception (p. 290-292), à propos de
l ' A r m é n i e , sans q u ' o n puisse dire s'il s'agissait d ' u n e m p r u n t à son œ u v r e historique
ou géographique (G. W i e t , dans sa t r a d u c t i o n du Kitâb al-buldân de Y a ' q u b ï , range
le t e x t e (p. 232-233] d a n s la série des « f r a g m e n t s » de Y a ' q u b ï se t r o u v a n t chez d ' a u t r e s
a u t e u r s , sans préciser à laquelle des deux œ u v r e s il p o u v a i t a p p a r t e n i r , et en é m e t t a n t
d'ailleurs l ' h y p o t h è s e qu'il s'agit p e u t - ê t r e d ' u n e c o m m u n i c a t i o n faite o r a l e m e n t à I b n
a l - F a q ï h : cf. i n t r o d . d e G. Wiet, p . IX).
4. Cf. supra, p . 19, 28-29.
5. Cité p . 116 (sous son n o m de ' A m r b. B a h r ) , 195, 253 ; d é m a r q u é p. 296, à propos
des migrations des poissons, des distances de Baçra à l ' A f r i q u e et à la Chine et de
l'expérience des m a r i n s à ce s u j e t (cf. Hayawân, t . I I I , p . 261-263).
6. Cf. Pellat, Milieu, p. 144 ; Madâ'inï est cité p. 39, 105, 115, 161, 175, 192, 318.
7. « ' A b d a l - H a m ï d est la racine, Sahl b. H â r u n la b r a n c h e , I b n al-Muqaffa* le
f r u i t et A l j m a d b . Yusuf (cf. D. Sourdel, dans El [2], t . I, p. 288) la fleur» (p. 194).
I b n al-Muqaffa' est cité deux a u t r e s fois, mais de f a ç o n t o u t aussi accessoire, p. 284
(à propos de l'étymologie d u nom d ' À d a r b a y g â n ) e t 317 ( c o m m e seul e x e m p l e , avec
a l - F a d l b. Sahl, vizir d u calife a l - M a ' m u n , de P e r s a n s célèbres depuis l ' a v è n e m e n t de
l'Islam).
représentent une phase de l'adab — celle qu'on a qualifiée plus haut à'adab-
éthique — beaucoup moins intéressante, pour un compilateur comme Ibn
al-Faqïh, que celle qui a suivi : l'adaft-recherche à la manière, précisément,
d'un Crâljiz ou d'un Madâ'inï 1 a été une véritable mine de renseignements
pour notre auteur et pour t a n t d'autres, qui en systématisèrent les données
et en firent peu à peu un arfaô-répertoire. 2
Face à cet Orient, la place de la Grèce apparaît bien restreinte. Elle
n'a pour elle que l'autorité d'un petit nombre de maîtres, au premier rang
desquels Hippocrate, Platon et Aristote s, mais surtout, de même que son
héros national, Alexandre, lui était retiré au bénéfice d'un syncrétisme
historique soucieux de ménager l'avènement du monde arabo-islamique,
de même tout se passe, avec les philosophes et les savants de la Grèce, comme
si la substance propre de leur pensée leur avait été arrachée : Théodose,
Hippocrate, Dorotheos ou Festos ne sont guère que des survivances per-
dues dans la masse et dispersées aux quatre coins du livre, Aristote n'existe
que comme auteur d'une brève et banale lettre à Alexandre, où il lui dit
comment régir ses sujets et garder ses trésors en sûreté, Platon enfin
devient bâtisseur d'un rempart légendaire en Egypte. 4
Le Kitâb al-buldân intègre ainsi les quelques rares données grecques
qu'il utilise à un adab qui fait la preuve, une fois de plus, de ses capacités
d'assimilation. Car enfin, étant donné la disparité des époques, des pays et des
disciplines où l'ouvrage d'Ibn al-Faqïh puise son inspiration, on s'atten-
drait à trouver un livre incohérent. Or, c'est l'inverse qui se produit :
jusqu'au cœur de ces passages où nous éprouvons le plus de peine à saisir
le déroulement du plan d'ensemble et, parfois, la suite même du propos
entamé quelques lignes plus haut, jamais nous n'avons le sentiment de
changer de ton ni de style. Cette remarquable unité de l'ouvrage tient,
selon nous, au traitement qu'y subit la connaissance : elle est, on l'a dit,
1. Leur parenté d'esprit est soulignée par C. Pellat, op. cit., p. 144-145, Madâ'inï,
antérieur du reste à Gàhi?, m a n i f e s t a n t pour l'histoire un g o û t plus marqué que s o n
cadet : goût qui est sans aucun d o u t e la raison de sa faveur auprès d ' I b n al-Faqïh.
2. Sur t o u s ces points, cf. supra, p. 19-21, 44-45, 64, 68.
3. P. 152, 238, 301 ; 60, 330 ; 160. Sont é g a l e m e n t cités : D o r o t h e o s (Sidonius),
auteur de p o è m e s astronomiques (p. 5 [et note d] ; cf. Croiset, Littérature grecque, t. V ,
p. 450, note 5), H e r m è s (p. 7 ; Croiset, t. V, p. 842-843 ; voir aussi Gâhi?, Kitâb at-
tarbl', éd. Pellat, p. 18-19 de l'index), F e s t u s (p. 152 ; ou Casthos, Coslus : cf. chap. I,
p. 17, n o t e 6), Themistios (p. 207 [et note i] ; Croiset, t. V, p. 872-877) et T h é o d o s e
(p. 223 ; p l u t ô t , d'après le c o n t e x t e , le grammairien Théodose d'Alexandrie, d e la f i n
du i v e siècle [cf. Croiset, t. V, p. 973], que le diacre Théodose, auteur d'une relation
de v o y a g e en Terre sainte [ v i e siècle ; sur lui, cf. introd. de C. Gildemeister à l'édition
de cette relation (De situ sanctae terrae, B o n n , 1882), p. 3-14], ou l'astronome et m a t h é -
maticien T h é o d o s e de Tripoli [cf. Croiset, t. V, p. 705], dont les t r a v a u x furent repris
par Nàçir a d - D ï n at-Tusï]). Le n o m « Qânbus d e la p. 296 m e reste obscur. Sur Apol-
lonios, cf. ci-après, p. 170, n o t e 1.
4. P. 60, d o n t on rectifiera le t e x t e selon la leçon indiquée n o t e l.
pour bien cerner ce rôle, de distinguer les techniques, en tant qu'elles sont
mises au point et pratiquées par un écrivain conscient, et les mécanismes,
qui interviennent dès que ces techniques commencent à échapper à leur
utilisateur.
Le Kitâb al-buldân est fondé, on l'a dit, sur le discours indirect, l'auteur
ne parlant que par personne interposée. Ce serait donc, dans le principe,
l'application, à la science des pays, d'un procédé cher à la tradition (hadit)
et à l'histoire. Transmission orale, par conséquent, dont C. Lévi-Strauss
note fort justement qu'elle permet, en t a n t qu'« appréhension concrète d'un
sujet par un autre», « contact vécu avec des personnes», un rapport au réel
beaucoup plus intimement ressenti qu'il ne l'est dans une civilisation fon-
dée sur le document écrit. 1 Un grammairien arabe, Zaggâgï (mort en
337/949), donne par la sémantique une illustration probante du sentiment
profond de cet accord : rattachant, de façon très étroite, le mot de hadit à
sa racine hdt, dont la notion de base est celle de fait, d'événement, Zaggâgï
montre que cette racine exprime à la fois et l'idée pure de fait (hadat) et sa
réalisation (ihdât), et la relation (hadit) que l'on en fait. 2 Dans une théorie
qui estime ainsi que l'être, conçu, réalisé ou relaté, est tout un, ce hadit
que nous traduisons fort improprement par parole ou tradition, est en
réalité la recréation du fait au niveau de la communication, il ne se conçoit
que rapporté à la réalité vivante du hadat devenu chose (muhdat). On voit
tout ce que cela emporte, dans les consciences, sur la puissance vivifiante
du hadit : il s'agit, au vrai, de parole créatrice. On dira, certes, qu'Ibn al-
Faqîh s'inspire de sources écrites. Mais, d'une part, bon nombre de ces
sources, et notamment celles qui se rapportent aux premiers temps de
l'Islam, émanent elles-mêmes de traditions orales dont elles ne sont, après
tout, que l'enregistrement matériel, et, d'autre part, la connaissance réso-
lument profane ne participe pas fondamentalement, quant à elle, d'un es-
prit très différent. La citation ne vise pas seulement, en effet, à lui donner
une autorité qui la garantisse, elle a plus d'ambition que cela : dans un
système qui conçoit la connaissance comme une série de relais successifs
jusqu'à la réalité originelle, citer un maître revient à mettre le lecteur
devant la réalité du fait invoqué, ainsi perçu dans la spontanéité de ses
origines, que ce maître invoque son témoignage personnel ou, à son tour,
une autre autorité. Ce n'est pas un hasard si la formule qâla (un tel dit que)
qu'il en soit, à l'époque où écrit Ibn al-Faqïh, elle est devenue une manière
d'exposition privilégiée dans la littérature d'adab et le prétexte, chez des
lettrés ou de hauts personnages, à des séances où l'on improvise, en ce style,
sur un thème donné 1 . Au total, donc, rien que de classique, dans la mesure,
notamment, où les thèmes traités sont souvent largement traditionnels,
et l'on n'insisterait pas là-dessus si le procédé, loin de n'être jamais que ce
cadre, commode et obligé, où l'on présente de vieux thèmes figés une fois
pour t o u t e s n ' a p p a r a i s s a i t pas aussi, à l'égal d'un bon nombre de tous
ceux qu'utilise l'adab, comme recouvrant des forces intactes et indéfini-
ment susceptibles de modeler n'importe quelle connaissance présentée pour
en faire, à travers lui, précisément un article de l'adab. E t tel est bien le cas
en effet : appliquée d'abord à des thèmes classiques — littérature des ahlâq
ou opposition entre Basra et Kûfa, par exemple 3 —, la munâzara tend
peu à peu à s'étendre à n'importe quel objet ou pays. Ibn al-Faqïh traite
de l'Egypte sur ce mode 4 et, après lui, les auteurs des masâlik wa l-ma-
mâlik, Muqaddasï en tête, en feront un procédé systématique de leur
exposé.
Lorsque la relation établie porte sur plus de deux termes, elle devient
principe de classement et de catalogue. Ce mode de présentation du donné,
fort en honneur dans la littérature arabe, a lui aussi, sans doute, des antécé-
dents dans la littérature persane. 6 Définitivement accrédité à l'époque
d'Ibn al-Faqïh et appliqué aux thèmes les plus divers, il sera, comme la
munâzara, largement utilisé dans les masâlik wa l-mamâlik, qui présente-
ront sous cette forme les particularités (hasâ'is), ethniques, économiques,
culturelles ou autres, des pays. 6 Ibn al-Faqïh, à l'occasion, peut préfigurer
cette géographie 7 , mais, dans l'ensemble, le procédé de la nomenclature
reste, chez lui, d'inspiration essentiellement littéraire. Qu'il reprenne
l'énoncé des caractéristiques des peuples, qu'il énonce les mérites respec-
tifs des diverses localités du t j u r â s à n ou, plus généralement, de quelques
villes ou pays célèbres S il s'inspire, ici encore, moins d ' u n esprit que d ' u n
système, moins d ' u n Gâhiz, chez qui ces formules n ' é t a i e n t q u ' u n m o y e n
parmi d ' a u t r e s d'exposer les résultats d ' u n e recherche personnelle, que d ' u n
Ibn Q u t a y b a , chez qui elles deviennent des fins en soi et une espèce de
catéchisme de la connaissance profane. Dans bon nombre de passages
du Kitâb al-buldân, elles répondent, de fait, à des questions a r b i t r a i r e m e n t
posées 2 et reprennent, à l'évidence et presque dans la littéralité du texte,
les classifications pratiquées par Ibn Q u t a y b a . 3 A la limite, le culte de la
différenciation revient à un résultat e x a c t e m e n t inverse de celui que se
propose t o u t e systématique : la négation m ê m e du concept au profit de la
seule v a r i a n t e . 4
Nous commençons ainsi à percevoir la p a r t des a u t o m a t i s m e s : la v a -
riante, dans la mesure où elle représente un t r a i t curieux, où elle exprime
une certaine distanciation p a r r a p p o r t à la norme ou au concept commun,
est une modalité, entre t a n t d'autres, du procédé qui consiste à ne p r e n d r e
en compte que l'extraordinaire. La systématique pratiquée, on l'a dit,
touche u n i q u e m e n t ce qui n'est pas systématique ; or, si elle est déjà une
méthode consciemment et régulièrement appliquée, peut-on s'étonner que,
pris à son piège, Ibn al-Faqïh soit si souvent dépassé p a r le procédé qu'il
met en jeu ? L ' a u t o m a t i s m e du merveilleux peut, à t r a v e r s les mécanismes
impliqués, revêtir plusieurs formes : t a n t ô t , le cadre réel, topographique
n o t a m m e n t , du sujet s'estompe pour mener le récit à mi-chemin du conte ;
le « il était une fois, en un pays lointain » est très perceptible, par exemple,
dans les notations relatives à l'Extrême-Orient. Démarquées, on l'a dit, de
la Relation, elles brouillent les contours géographiques si précis de l ' œ u v r e
originale et t r a n s f o r m e n t ainsi le curieux en féérique. 8 Ailleurs, le même ré-
A n d r é MIQUEL. 15
On commencera par se demander s'il n'existe pas, dans l'oeuvre d'Ibn al-
Faqïh, certains principes pouvant être considérés comme relevant d'une
méthode et d'un esprit scientifiques. Tout ce qu'on a dit sur l'esprit et les
procédés du livre accuse sans doute une très grande distance entre une
connaissance de ce genre et une description de la terre au sens où nous
1. P. 118.
2. P. 162.
3. P. 174 i. f.-175, par l'intermédiaire du fleuve de Kiifa, i'Euphrate, considéré
comme l'un des quatre fleuves du Paradis. Mouvement de même ordre p. 176 sq. : des
monuments des environs de KQfa aux noms de leurs bâtisseurs, puis aux constructions
des Abbassides.
1. Préface : p. 1-3 ; description de la terre et des mers : p. 3-13 ; Chine et Inde : p. 13-
16 ; Arabie : p. 16-41 ; sérieux et comique, éloge du voyage : p. 41-56 ; Ouest ( Ë g y p t e ,
Magrib, Syrie-Palestine, Haute-Mésopotamie et Empire byzantin) : p. 56-151 ; louange
et critique de Varchitecture : p. 151-161 ; Irak : p. 161-192 ; nouvelle préface : p. 192-195 ;
Iran, Àdarbaygàn et Arménie : p. 195-298 ; Gog et Magog : p. 298-301 ; Tabaristàn
et Hurâsân : p. 301-330 (les rubriques en italique sont celles des « intermèdes »).
2. P. Gharpentrat, dans N.N.R.F., octobre 1959, p. 702, à cette différence que le
baroque en architecture tend à renforcer le vecteur par le jeu des courbes. Ici, tout
ce à quoi peut prétendre l'orientation linéaire de l'exposé, c'est à ne pas être oubliée.
Cette unité réelle, si profonde qu'on la discerne même à travers les dé-
marches les moins conscientes, ne vient pas seulement du propos choisi,
abstraitement considéré en soi, mais de la convergence de ce propos avec
u n e méthode, en d'autres termes de l'application, à un propos géographique,
d ' u n e systématique qu'on a déjà définie comme celle de l'inaccoutumé.
E n allant au fond des choses, on est amené à réviser le j u g e m e n t courant,
qui définit cette science des pays comme le t r a i t e m e n t d'un sujet géogra-
phique par des disciplines qui, dans leur énorme majorité, ne le sont pas.
Car, en réalité, ce n'est pas leur définition comme histoire, tradition,
éthique ou poésie qui inspire les choix de l'auteur, mais bien le principe du
merveilleux qui guide le choix de ces disciplines : elles ne sont présentes
q u ' a u t a n t qu'elles s'identifient à l'extraordinaire, et la géographie elle-
même n ' a d ' a u t r e raison d'intervenir que celle-là. C'est donc, ici encore, une
raison profonde d'unité qui se cache derrière l'apparente diversité du donné.
P o u r que la définition des disciplines où s'alimente le Kitâb al-buldân
revête un caractère aussi accessoire au regard du principe de base qu'est le
merveilleux ('agïb), il f a u t donc q u e celui-ci recèle en lui-même un principe
objectif de classement, que, loin d'être soumis a u x fluctuations personnel-
les du jugement de valeur, il puisse inspirer, de façon régulière et sûre, les
choix que l'auteur sera amené à opérer entre tous les m a t é r i a u x que lui
proposent lesdites disciplines. E n son sens premier, la racine 'gb, telle
qu'elle nous est expliquée dans le Lisân al-'Arab \ désigne l'impossibilité
de référer un fait à la norme commune, e t le Coran l'applique en effet à des
cas de miracles et de prodiges 2 , d'où il ressort que, si ba'ïd désigne ce qui
s'éloigne de l'ordre courant, 'agïb, qui en serait le superlatif, désignerait,
lui, ce qui en est radicalement c o u p é . 3 Ibn al-Faqïh, d a n s un même
passage *, applique le terme à des spécialités locales, à des m o n u m e n t s et
a u x principales merveilles du monde, m o n t r a n t ainsi, sous u n e apparente
hétérogénéité, qu'en fait le critère reste t o u j o u r s le même : la normale é t a n t
représentée par une espèce de base ou p a r l'ensemble des pays, il n'est pas
interdit de qualifier de 'agïb telle variété d'animal relevant d'une espèce
p a r ailleurs connue, ou tel produit a p p a r t e n a n t en propre à un pays donné,
ou encore le Nil parce qu'il coule dans un sens réputé inverse de celui des
autres fleuves de la terre. On p e u t donc, on le voit, m e t t r e sous le m o t de'agïb
des traductions aussi diverses qu'anormal, rare, voire exclusif ou spécifique
mais on prendra garde, en tout cas, à deux faits : l'un est que l'idée de
magnificence ou tout autre jugement de valeur ne s'attachent au mot que de
façon secondaire et accessoire : on ne le verrait guère, par exemple, s'appli-
quer en ce sens *au crocodile ou à une particularité de fruit, lesquels ne sont
merveilleux qu'au sens premier du terme, le seul valable en toutes circons-
tances ; l'autre fait, il faut y revenir, est que, sous les apparences de la
diversité, le 'agïb désigne toujours, en définitive, ce qui est justiciable d'un
critère de différenciation : et pour qui sait la fortune qu'un tel critère a
connue dans les sciences humaines depuis Saussure, le choix, fait par la
vieille science des pays, d'un tel principe méthodologique n'apparaîtra
pas si mauvais. Mais qui nous dit quelle n'en était pas consciente ? Ibn
al-Faqïh, après tout, ne fait pas autre chose que fonder en droit cette
systématique lorsqu'il déclare : « Tout pays a reçu une grâce qui lui est
singulière, certains agréments dont les autres sont privés et qui reviennent
régulièrement, comme autant de sujets de fierté, dans l'éloge que font de
lui ses habitants » a , et ailleurs, en un texte plus significatif encore : « Sans
la grâce du Très-Haut, qui a donné en propre à chaque pays quelque chose
qu'il a refusé aux autres, c'en serait fait du commerce et de l'artisanat,
personne ne s'expatrierait ni ne voyagerait, les échanges disparaîtraient
et l'on ne verrait plus ni acheter ni vendre, ni recevoir ni donner».8
On n'a pas oublié, par ailleurs, que ce 'agïb pouvait être, pour certains
auteurs comme Gâhiz l'occasion d'une recherche. L'optique, certes,
change avec Ibn al-Faqïh. J e sais bien qu'en de rares occasions il tente lui
aussi de briser l'enveloppe mystérieuse d'un phénomène pour accéder à la
vérité 5 , mais, dans la quasi-totalité des cas, le merveilleux, chez lui, est
noire, piquetée, qui flotte sur l'eau, et l'ébène, qui y sombre. Or, quoi de plus étonnant
(a'jjab) qu'un bois qui sombre ou une pierre qui flotte ? Il y a diverses sortes de bois
qui sombrent dans l'eau : l'ébène, le Slz (variété proche de l'ébène : cf. Lisân, t. V,
p. 363), le jujubier et Vâhendâl (littéralement : arbre de fer, du persan âhen (fer) et ddr
(arbre, bois), contaminé en dâl : cf. BGA, t. V, Glossaire, p. XV).
1. Sauf, bien entendu, dans une pensée de type spinoziste, qui ménage en toute
chose, derrière l'apparente monstruosité et sub specie aeternitatis, la possibilité d'un
plan divin : on a vu à ce propos, supra, p. 42-43, 51, l'attitude d'un Gafti?.
2. P. 119.
3. P. 251. Le thème du voyage est, certes, largement exploité dans la littérature d'adab,
mais, alors qu'on en a vu plus haut (p. 114-115) une justification morale, on en voit
ici, dans le principe des différences réciproques qui le fonde, une justification logique.
Né de ces différences, le voyage crée à son tour l'activité, mais aussi la connaissance :
cf. Kitâb al-buldân, p. 50 : « Sans tous ceux qui quittent leur pays, on ignorerait la
terre, de l'Espagne à la Chine » : thème qui fait le contre-point de cet autre, non moins
célèbre, dont on a déjà parlé, à savoir l'attachement au pays natal : cf. Ibid.
4. Cf. supra, p. 42-43. Même leçon chez Mas'ûdï, Prairies, § 249 : « Sans la tendance
qu'a l'esprit humain à nier ce qu'il ignore et à rejeter tout ce qui sort du cercle habituel
[de ses connaissances], nous pourrions parler d'un grand nombre de merveilles. »
5. Par exemple, p. 215, où il apporte, de seconde main du reste, la réfutation de
l'existence d'une pierre pouvant changer de couleur.
la connaissance qu'elle attend de cette étude de l'homme n'a pas pour fin
première d'intervenir, par exemple pour en améliorer les conditions ou en
modifier les usages, dans la situation des sujets qui procèdent à cette étude :
ce rôle étant accessoire, et réservé aux techniques, la connaissance de
l'homme vise, en tant que science, à accroître, au-delà desdits sujets, le
patrimoine commun de la recherche humaine. Elle est donc foncièrement
idéaliste et universalisante : humaniste, si l'on préfère. Au contraire, la
science des pays, à la manière d'Ibn al-Faqïh, est fille d'une société, science
militante, et vise moins à connaître l'homme qu'à former un certain type
d'homme. Fille d'une société, disions-nous, dans la mesure où l'interven-
tion de l'auteur, en tant que représentant de cette société et à ce titre
seulement, est partout perceptible dans l'œuvre. Science militante dans la
mesure où, née de cette société, elle y retourne pour en former les fils. Tout
ce que nous avons dit sur l'inspiration du livre, puisée sans cesse à l'expé-
rience du corps social, sur la littérarisation des thèmes, l'exhaustivité et le
merveilleux, conçus pour attirer à cette connaissance le plus vaste public
possible, sur le rôle social du style enfin, fait pour lier l'un à l'autre un
public féru de règles et un auteur dont tout le génie personnel consiste à
les bien jouer, tout cela caractérise éminemment cette littérature comme
expression d'une société 1 : en l'occurrence celle qui, dans la Bagdad des
califes abbassides, s'est composée, ethniquement, politiquement et cultu-
rellement, à partir d'éléments disparates et qui s'exprime, de façon privi-
légiée et la poésie mise à part, dans Vadab. S'il y a ici un humanisme, ce ne
peut être qu'au sens où on parle, par exemple, de l'humanisme du XVII® siè-
cle français, c'est-à-dire dans la mesure où l'époque propose, à tout homme
suffisamment doué et volontaire, un idéal élevé, certes, mais pas hors
d'atteinte. Elevé, disions-nous : aussi bien, quand on parlera de public
moyen, comme semble y inviter la lettre même du texte d'Ibn al-Faqïh
cité plus h a u t o n prendra garde à faire la différence : si c'est, à n'en pas
douter, à l'homme moyen, jugé sur les qualités fondamentales de l'espèce,
que s'adresse cet appel, le but reste bien l'instauration d'une élite ou, plus
exactement, l'installation, parmi une élite déjà existante et fondée sur le
sang, le rang et l'argent, de n'importe quel roturier doté, en guise de
passeport social, d'une culture ; de la même façon, l'expression de culture
moyenne, déjà employée, ne doit pas faire illusion : elle vise le contenu de
cette culture — en ce sens, elle est moyenne entre les rudiments possédés
par le vulgaire et la spécialisation savante —, et non pas son public, qui
reste une élite. Au total, morale bourgeoise, et c'est pourquoi l'idéal qu'elle
propose, loin d'être hors d'atteinte à l'instar d'un modèle véritablement
humaniste, reste aussi évidemment lié à une société et à la conquête d'un
rang. Par là se font jour les limites de cet humanisme : si cette culture nous
contrainte 1 , où l'homme est enfermé dans une sorte de savoir révélé qui
est, sur le plan profane, le pendant de la vérité religieuse.
Tout se passe d'ailleurs, le plus souvent, comme si les deux ordres n'inter-
féraient pas et ce n'est pas le moindre paradoxe de constater que, malgré
le climat où elle baigne, cette géographie est fondamentalement laïque et
que Dieu n'y joue qu'un rôle très modeste, finalement réductible à une
source de traditions parmi d'autres. Alors que l'entreprise gâhizienne, en
bonne élève de la Mu'tazila, ne concevait pas sa recherche en dehors de la
démonstration d'un ordre providentiel au sein du monde, il semble, avec
Ibn al-Faqîh, que, cet ordre étant donné une fois pour toutes à l'instar de
l'unité de l'Islam, on puisse faire l'économie de sa formulation. Mais faut-il
s'étonner de cet apparent paradoxe ? Après tout, une entreprise qui se
donne comme but la culture pour la culture ne peut pas traiter Dieu dans
une autre optique que celle-là : concurrencé, en t a n t que source de mer-
veilleux et de connaissance, par la tradition profane, il s'efface à propor-
tion de cette concurrence. 2 Ici encore, le Kitâb al-buldân répond parfaite-
ment à sa logique interne : le savoir étant révélé, l'œuvre baigne dans
l'évidence, en se contentant, sur le plan profane, de prendre ce savoir aux
maîtres accrédités et en se dispensant, sur le plan religieux, de s'y référer.
Si une telle géographie rejoint en fin de compte la nôtre dans un humanisme
exclusif de Dieu, ce ne peut être, sur ce point aussi, que par des voies très
différentes : l'absence de Dieu ne signifie pas que cette connaissance,
comme la nôtre, l'ignore ou le met entre parenthèses, mais plutôt qu'elle
le suppose une fois pour toutes.
Conclusion
ïienne de l'avarice (p. 316-317, où l'origine gâhi?ienne du thème est très nette, fiâhi?
étant désigné par la périphrase de «calomniateur des tjurâsâniens» : at-tâ'in 'ala ahl
ifurâsân) à l'exaltation du tjurâsân défenseur du califat, expressément confiée à
Ibn Qutayba (p. 314-315). On retrouve ainsi des positions connues : pour û â h i ï ,
défiance vis-à-vis de l'Iran, pour Ibn Qutayba, assimilation de ce même Iran, l'un
comme l'autre entendant sauvegarder la primauté de l'expression et de la culture
arabes et divergeant en fin de compte — la Grèce jouant le rôle de test — sur le carac-
tère ouvert ou clos de cette culture : cf. supra, p. 39-44, 62-68 ; C. Pellat, « Djâhi? •
dans El (2), t. II, p. 396-397 ; G. Lecomte, Ibn Qutayba, p. 347-358.
1. Supra, p. 65.
2. Exemple significatif : pour Jérusalem (p. 99-101), on ne cite pas une fois le nom,
pourtant coranique, d'al-masgid al-aq$à.
1. Avec un léger décalage, ce qui a permis la citation indiquée plus haut, p. 168,
note 3.
2. Cf., pour Qudâma et Balbï, supra, p. 81-85, 97-99, et, sur l'ensemble, chap. III,
passim.
3. Si l'on met à part la citation de Ya'qùbï par Ibn al-Faqïh lui-même (supra,
p. 168, note 3), on constate que l'accréditation de Ya'qubi comme modèle a été beau-
coup plus lente à s'opérer que celle d'Ibn al-Faqïh : alors que celui-ci est cité par
Muqaddasï (trad., § 13, 13 bis, 35 ; éd.de Goeje, p. 68, note f , 210, 212, 241), le premier
auteur qui rite expressément Ya'qQbî, en tant que géographe, est Idrlsl, au v i ' / x i i » siècle
(cf. G. Wiet, introd. à la traduction de Ya'qùbï, p. X X , et supra, chap. III, p. 102,
note 5). Sur le cas d'Ishâq b. al-Husayn, cf. tableau des auteurs.
1. R. Blachère, EGA, p. 18, classe Ibn Rusteh parmi ceux qui écrivent pour les
« secrétaires de l'administration califienne », mais il hésite sur la caractérisation de son
œuvre (compendium, encyclopédie, mémento) et concède (ibid. et p. 32-33) qu'il s'agit
d'un travail beaucoup plus étendu, en tous cas d'une portée beaucoup plus générale que
celui d'Ibn Uurdâdbeh », d'« un ouvrage de vulgarisation d'une allure plus littéraire*.
2. Atours, trad., p. 79.
3. De Goeje, introd. au t. V I I de la BGA, p.VII, a donné une image vraisemblable de
ce qu'elle pouvait être : « quod attinet partes operis deperditas, praecedentia proba-
biliter de creatione et de rébus coelestibus egerunt, sequentium argumentum fuisse histo-
riçum verisimile est. » P. 29,1. 20 sq. : « auctor promisit se alio loco de aedificatione Kaa-
bae a Koraischitis dicturum esse. • On retrouve là le schéma classique de l'encyclopédie
à la manière d'un Mas'udi ou d'un Maqdisï, bien différent de celui de l'encyclopédie
« administrative i à la manière d'un Qudâma.
Tradition mu'tazilite puissante, donc, et qui trouve devant elle, ici comme
partout ailleurs, au premier rang des résistances, les Hanbalites emme-
nés par les élèves du propre fils du fondateur de l'école, SâlUi b. Ahmad b.
Hanbal. Né en 203/818-819, ce Sâlih, qui a été cadi de Tarse avant d'exer-
cer, pendant au moins vingt-cinq ans, les mêmes fonctions à Ispahan,
meurt en cette ville au mois de ramadan 266 (avril-mai 880), ses deux fils
Ahmad et Zuhayr — ce dernier mort en 303/915-916 — perpétuant la
tradition. 2 Les textes nous ont gardé le souvenir de l'affrontement,
sources. A. N. Nader (Le système philosophique des Mu'tazila, Beyrouth, 1956) reprend
sur ce point, sans y ajouter, les données àefi'EI. Z. H. ô â r Allah, al-Mu'tazila, Le Caire,
1366/1947, ignore le personnage, tout comme les ouvrages classiques de biographies
et de références.
Az-Zubayrï est de la descendance d'az-Zubayr b. al-'Awwâm, Compagnon du Pro-
phète ( K 52, T 90). Sur son succès à Ispahan, cf. mêmes références. Sur ses disciples,
et notamment an-NaqqâS, K 62, T 103-104. Sur sa lutte contre Ibn ar-Râwendî, mort
en 245/859, K 53, T 92. Sur l'existence d'une école zubayrite à Ispahan, K 61, T 102.
Le personnage a dû vivre jusqu'à un âge assez avancé. Il est à Sâmarrâ quand meurt
Abu 1-HudayI, sous le califat d'al-Wâtiq (227/842-232/847), au dire même de Zubayrî,
mais plus probablement, selon Ibn al-Murtadâ, qui corrige sur ce point l'affirmation
même de Zubayrî, dans les premières années du califat d'al-Mutawakki), en 235/849-850
( K 28). Voir à ce sujet Carra de Vaux, «Abu 1-Hudhayl», dans El, t. I, p. 95, réfé-
rences pour une autre date : 226/840-841 (indications non reprises par H. S. Nyberg,
dans El [2], t. I, p. 131). Zubayrî, d'autre part, est cité (T XVII et 48) comme s'entre-
tenant avec Ibn Yazdâd, dernier vizir d'al-Ma'mun (de 215/830 à 218/833), mort en
230/844-845 (cf. Sourdel, Vizirat, p. 232-234). La tabaqa (classe chronologique, géné-
ration si l'on préfère) de Zubayrî est la huitième, celle de Gubbâ'î ( K 45, T 80), lequel
meurt en 303/915-916. Il nous est dit par ailleurs que le maître de Zubayrî a été Yahyâ
b. BiSr al-Arraëànï (T 90) ; or, ce Yahyâ, élève d'Abû 1-Hudayl (T 78) appartient à la
septième tabaqa, celle d'Abu Ya'qûb Yûsuf b.'Abd Allah b. Ishâq aS-Sahhâm (T 72),
le maître de Gubbâ'î (T 80), celle aussi de Gâhi?, lequel meurt en 255/868-869. Enfin,
le cadi Abu 1-Hasan 'Abd al-Gabbâr b. Muhammad (ou Ahmad) b. 'Abd al-Gabbâr
al-Hamadânï a vu, à Ispahan, la fille de Zubayrî, alorsj qu'elle était très âgée (T 90) :
or, ce cadi (sur lui, cf. T XVI et S. M. Stem, dans El [2], 1.1, p. 61 [2]) vécut à Bagdad
jusqu'au jour où as-Sâhib Ibn 'Abbâd l'appela à ar-Rayy (ceci en 360/971). On peut
donc conjecturer qu'il a vu la fille de Zubayrî sur son itinéraire Bagdad-Rayy et donc
que celle-ci a dû naître vers 277/890-287/900.
Les renseignements recueillis concordent assez bien et permettent d'imaginer la
vie de Zubayrî comme prenant place entre les années 204-205/820 et 297/910.
1. Cf. Laoust, Ibn Batta, p. XVII.
2. Cf. Abu I-Husayn Muhammad b. Abï Ya 'la, Jabaqât al-Hanâbila, éd. M. Hâmid
al-Fïqï, Le Caire, 1371/1952, 2 vol., t. I, p. 50, 173, 175, 176; t. II, p. 49, 64, 66. Les
principaux renseignements donnés sont consignés dans le tableau ci-dessous (en fin de
note), où le trait continu indique la filiation, le trait interrompu un enseignement et le
pointillé les générations (tabaqât).
On notera, comme élève de Sâlih b. Ahmad et de Zuhayr b. Sâlih, le très important
Abu Bakr al-tjallâl, mort en 311/923 (sur lui, cf. Laoust, Ibn Batta, p. XXIV-XXV
et passim). Le rôle de Sâlilj a été considérable, non seulement sur le plan intellectuel,
mais sur le plan politique : les Tabaqât (t. I, p. 173) déclarent qu'il recevait du Huràsàn
un abondant courrier, dans lequel on le chargeait d'interroger son père sur un certain
e x t r ê m e m e n t v i o l e n t , des d e u x t e n d a n c e s : é t a n t d o n n é qu'elles s o n t en
p l a c e , c o m m e on v i e n t de le v o i r , d è s la d e u x i è m e m o i t i é d u i n e / i x e siècle,
o n p e u t , s a n s g r a n d e c r a i n t e d ' e r r e u r , r é f é r e r à I s p a h a n e t à l ' é p o q u e qui
n o u s o c c u p e ce q u ' u n M u q a d d a s I , q u a t r e - v i n g t s a n s p l u s t a r d , é c r i r a des
c o n f r o n t a t i o n s a c h a r n é e s qui se d é r o u l e n t en I r a n a u t o u r des d e u x p r o b l è -
m e s f o n d a m e n t a u x q u e s o n t le c u l t e d e M u ' â w i y a e t l a c r é a t i o n du C o r a n . 1
On c o n c é d e r a a l o r s que, d a n s c e t t e a t m o s p h è r e , la c o m p o s i t i o n d'une
encyclopédie n'est peut-être pas, comme nous nous l'imaginerions au-
j o u r d ' h u i , u n e t â c h e c o n ç u e sous l ' a n g l e désintéressé de la p u r e s c i e n c e ,
a d m i n i s t r a t i v e ou a u t r e , m a i s p l u t ô t u n e œ u v r e e n g a g é e , qui e n t e n d bien
dire son m o t d a n s les c o n f r o n t a t i o n s a u milieu desquelles elle n a î t . A v a n t
nombre de questions. Sâlih jouait ainsi les intermédiaires entre le fondateur de l'école
et ce Hurâsân si essentiel dans l'histoire de la diffusion des doctrines hanbalites (cf.
Laoust, op. cit., p. X I I I , X V I I , X X V I I ) : l'indication, si elle est authentique, prouve-
rait que Sâlih aurait été nommé à Ispahan avant 241 /855 (date de la mort d'Ibn Han-
bal), et par conséquent qu'il y résida au moins vingt-cinq ans : on peut juger par là
de son rôle dans l'implantation du hanbalisme en cette ville. Sur les rarraorts entre le
hanbalisme et le sufisme de l'école de Sufyàn at-T 3 ""'". citée plus haut, p. 194, note 7,
cf. Laoust, op. cil., p. L X .
Al.\mad b. yanhnl
(mort. 241 /8R.r>)
rôle est largement compensé par les traditions relatives à des pays comme
l'Egypte et Bagdad. Mais ces données classiques de X'adab sont précisément
contre-battues par t o u t ce que la géographie descriptive réserve en p r o p r e
— et naturellement sur le mode laudatif — à l'Iran, dont le passé, les cou-
t u m e s et même l'ancienne religion sont soigneusement mis en évidence. 1
Il n'est pas j u s q u ' a u x listes signalées de personnages célèbres, en fin de
livre, qui ne soient un prétexte commode à démontrer, comme en passant,
que les Arabes n'eurent pas le monopole des inventions ni des situations
glorieuses 2 ; bien plus, en quelques endroits, cette présentation officielle
des gloires arabes t o u r n e au désavantage des Qurays, qu'on nous présente
comme a y a n t exercé des professions commerciales, manuelles, ou encore le
métier, assez décrié, d ' i n s t i t u t e u r s . 3
Cette attitude, si évidemment m a r q u é e au coin du vieux nationalisme
(su'ûbiyya) persan, est non moins évidemment en r a p p o r t avec des t e n d a n -
ces sï'ites. La même liste de personnalités est encore prétexte à introduire
un tableau de quelques écoles ou sectes particulièrement significatif :
l'imprécation é t a n t réservés aux Hârigites et l'orthodoxie au sens strict,
hanbalite ou autre, semblant ignorée, les Sï'ites voient en revanche pré-
senter quelques-unes de leurs tendances les plus extrêmes, n o t a m m e n t ces
û u r à b i t e s , pour lesquels le message coranique, en principe réservé à 'Alï,
n'a été transmis à M u h a m m a d que par suite d'une erreur de l'ange Gabriel,
qui aurait confondu les deux personnages. 4 Compte tenu de ce qu'on sait
sur l'ensemble du m o u v e m e n t sï'ite 6, mais aussi de ce qui a été dit plus
1. A un moindre degré aussi pour le quiétisme murgi'ite, lequel, plus qu'une écple,
est une tendance spirituelle qui peut se combiner à d'autres systèmes, et notamment
au mu'tazilisme, mais aussi au bârigisme »atténué», ibâdisme surtout {cf., sur ces
questions, Pellat, Milieu, p. 211, 215) : ce pourrait être là, en dernière analyse, la
raison de la citation (avec, pour des raisons évidentes de prudence, la clause obligatoire
de malédiction) des Ibâdites (Atours, trad., p. 258). On objectera, dans cette perspective,
que la citation, qui suit (p. 259), des tjârigites extrémistes que sont les Azraqites fait
alors difficulté : mais, même en leur sein, on trouvait des partisans d'une attitude
conciliante envers les Murgi'ites (cf. Pellat, op. cit., p. 210, 1. 18-19).
2. Présenté (A/ours, p. 200 ; trad. 233) comme le premier à « faire profession d'i'tizâl » :
on entendra l'expression en son sens politique, si remarquablement mis en lumière
par Nyberg (El, loc. cit., p. 841) ; le souci de « rester à l'écart» (i'lizâl) des luttes qui
opposaient les 'Alides à leurs adversaires caractérisera en effet, pendant toute sa vie,
ce fils de 'Alï, qui mit sa sagesse (ou sa prudence) à se défendre des entreprises de ses
partisans aussi bien que de ses ennemis (sur lui, cf. F. Buhl, dans El, t. I I I , p. 716-717).
A noter, ici encore, le rapprochement opéré dans les Atours entre mu'tazilisme et
murëi'isme, le fils de Muhammad, Hasan, étant donné (ibid.) comme le premier à
prêcher l'irgâ'.
3. Commune (trad., p. 263-264) avec les Qadarites, définis — ce qui revient au
même — comme ceux qui nient le destin (qadar) ou comme ceux qui sont partisans
du libre-arbitre (qadar), selon qu'on applique le terme de qadar (pouvoir) à Dieu ou
à l'homme : cf. Laoust, Ibn Batta, p. 49 (note 1), 54, 90, 92.
4. Cité ou démarqué : cf. trad., p. 8 , 1 2 (note 1), 15 (note 1), 107 (note 3). Sont égale-
ment cités : Sarabsï (p. 4), Abu Ma'Sar (p. 15, 188) et Muhammad b. Musa (p. 91),
ce dernier, il est vrai, pour des thèmes A'adab (cités supra, p. 12 [note 5], 75 [note 2]).
5. Ptolémée (trad., p. 14-15).
6. Trad., p. 21, 1. 5-6 (passage cité supra, p. 9, note 3).
7. Trad., p. 3-4, et les passages cités supra, p. 9 ; sur Gâhiz, supra, p. 41-43.
8. Trad., p. 3.
La tradition littéraire arabe ne s'est pas abusée, qui donne à Mas'ûdï, mort
en 345 ou 346/956-957, le titre d'imam dans sa discipline. 2 Grand voyageur
et compilateur doué d'une extraordinaire puissance de travail, Mas'ûdï a
écrit au moins une trentaine d'ouvrages 3, total d ' a u t a n t plus impression-
1
n a n t que ces œ u v r e s c o m p t a i e n t s o u v e n t plusieurs v o l u m e s et surtout
qu'elles o n t pris place en u n e e x i s t e n c e toujours errante e t peut-être
relativement brève.3
Œ u v r e é c r i t e à la h â t e , d o n c , m o i n s p a r u n m a u v a i s é c r i v a i n q u e p a r u n
écrivain pressé.3 Premier sujet d'étonnement que cette bousculade, cette
f é b r i l i t é q u i a n i m e l ' é c r i v a i n c o m m e le v o y a g e u r , e t q u e la c u r i o s i t é , le d é s i r
d e l a i s s e r u n n o m o u le s o u c i d ' u n e i n f o r m a t i o n t o t a l e n e s u f f i s e n t p a s ,
à m o n s e n s , à e x p l i q u e r . Car il y a d ' a u t r e s s u r p r i s e s : c e s r é d a c t i o n s s u c c e s -
s i v e s d e la g r a n d e œ u v r e de Mas'ûdï, l'Histoire universelle (Ahbâr az-
1. Voir le titre complet et une traduction littérale dans Prairies, § 1 (et note 1).
2. Voir l'histoire de cette chaîne de réductions dans Prairies, § 3, et Brockelmann,
dans El, art. cité. Nous conservons, pour le titre de Kitâb at-lanbïh wa 1-iSrâf, la
traduction traditionnelle, mais celle-ci n'est pas exacte : tanbïh évoque ici un renvoi
aux livres antérieurs, et ilrâf une vue générale, de haut.
3. Problème posé par Barbier de Meynard, op. cit., p. VI.
4. Dahabï ( v i i e / x i n , ! - v m " / x i v e siècles) le cite (Taikirat al-huffât, t. III, p. 857)
comme «le maître des Prairies d'or» : sâhib murùij ad dahab.
5. Cf. Tanbïh, p. 139-140, 2 1 3 ; Barbier de Meynard, op. cit., p. VII.
6. Tanbïh, p. 508.
A n d r é MIQUEL. 17
1. Le Moyen Age, dans Histoire générale des civilisations, t. I I I , 4 e éd., Paris, 1965,
p. 170-171. Il n'est guère possible ici de dresser une liste exhaustive pour la mise en
lumière de ces différentes lignes de force, à laquelle devrait s'attaquer toute mono-
graphie sur Mas'ûdï. On se contentera de quelques points de repère : sur l'écho de pra-
tiques initiatiques, connues, au moins de loin, à travers les Qarmates, cf. Tanbih,
p. 501 (à propos de ce mouvement égalitaire autant que religieux, il faut rappeler
que Mas'ûdï l'a connu d'assez près. N'oublions pas, par ailleurs, que Mas'ûdï naît au
moment où la révolte des Zang [autre mouvement égalitaire et initiatique, en liaison
avec le qarmatisme naissant : cf. Massignon, dans El, t. IV, 1281-1282] ¡vient 'd'être
écrasée définitivement : intérêt évident pour le mouvement dans Prairies, t. V I I I ,
p. 31 sq., 57 sq.). Sur les « mystères» et 1'« involution gnostique» (voir à ce sujet Mas-
signon, « Karmates», dans El, t. II, p. 815), cf. le texte essentiel, déjà cité, de Prairies,
§ 5. Sur le système du monde, cf. Tanbih, p. 11, 16 (sur la cinquième essence), 29 (sur
l'union des âmes et des essences supérieures), 169 (et note 1 : sur la métempsychose),
surtout 167 sq., 221-224 (sur divers systèmes du monde spiritualistes) ; Prairies, § 156
(spiritualisme hindou), etc. Sur l'importance des doctrines grecques et étrangères,
cf. par exemple l'index du Tanbih : à noter, entre autres points, la défense du zoroas-
trisme (Tanbih, p. 135-136), la présentation, bien dans la note du qarmatisme, de
certains maîtres grecs (Agathomédon, Hermès, etc.) comme autant de prophètes
(Tanbih, p. 29, 2 2 2 ; Prairies, § 1234 : comparer avec Massignon, « ^armâtes », art.
cité, p. 817 [2]), la critique du sectarisme judaïque et la défense, par personne inter-
posée, de l'intérêt de toutes les religions ( P r a i r i e s , § 802-803).
Ces grandes options sont parfois masquées, certes, par la prodigieuse diversité des
intérêts manifestés par l'auteur ( Tanbih, p. 453-454 et Prairies, t. V I I , p. 123 sq. :
sur le burramisme ; Tanbih, p. 492 : sur al-^îallâg, et Prairies, t. VI, p. 384 [sur le
çufisme, à propos de l'amour] ; Prairies, t. V, p. 434 sq., 440-443 : sur les Hârigites ;
Prairies, t . VI, p. 20-31 ; t. V I I , p. 234-237 : sur les Mu'tazilites ; etc.). On rappellera à
ce sujet ce que C. Pellat, dans Milieu, p. 216, dit pertinemment de l'éclectisme qui
marque, chez les esprits indépendants du Moyen Age musulman, la recherche de la
vérité en dehors de la stricte orthodoxie.
Cette liberté d'esprit, qui noie souvent ce que nous croyons être l'option fondamen-
tale de Mas'ûdï — à savoir l'ismaélisme — dans le contexte plus général d'une recherche
totale au sens que l'on vient d'évoquer, n'est pourtant pas la seule difficulté que l'on
éprouve lorsqu'on veut cerner la pensée originale de l'auteur. Car celle-ci, déjà ainsi
diluée, s'obscurcit encore davantage lorsque la liberté d'esprit semble elle-même contre-
dite par la lettre du texte : voir par exemple les § 1429-1432 et 1437-1438 des Prairies,
condamnant la doctrine de l'éternité du monde, ou 1135-1137, critiquant les thèses
des Sï'ites extrémistes (Gulât). Mais des condamnations aussi explicites, au demeurant
très rares, peuvent s'expliquer par les nécessités de la prudence et de la dissimulation
légale (taqiyija), qui sont de mise dès qu'on Louche à des points sur lesquels l'orthodoxie
ne transige pas, et le dernier mot reste toujours en fait aux options fondamentales
signalées au début de cette note : ce jugement, qui se fonde sur une appréciation glo-
bale de l'œuvre, s'inspire aussi, à l'occasion, de certains passages significatifs, où
l'on voit la condamnation ou la critique immédiatement corrigées dans le sens de la
sympathie : voir par exemple, à propos de doctrines étrangères, Prairies, § 1223,
largement compensé par la sympathie évidente qui s'étale aux § 1233, 1237-1238,
et aussi § 1240 (revendication nationale arabe en matière de divination, précaution
oratoire contredite, en fait, par § 1241 s?., qui exposent la pensée grecque en cette
matière), et § 1396, plus net encore, où se lit, en filigrane, le reproche d'obscurantisme
adressé à ceux qui critiqueraient les doctrines grecques en matière de transmigration
des âmes.
1. Tanbih, p. 431 (334).
2. Je conserve la traduction de Carra de Vaux (p. 454), mais elle ne rend qu'impar-
faitement le texte (p. 354) : kitâb habarin là kitàb bahtin wa navarin (même idée dans
Prairies, § 1247). Le dernier terme en particulier signifie très précisément la spéculation
dialectique, dans la théologie dogmatique (kalâm).
3. Prairies, § 5-6.
4. Tanbih, p. 213 (155) : Kitâb al-masail wa l-'ilal fi l-maiâhib wa l-milal.
5. On évitera, en tout état de cause, l'expression de dilettante employée par Carra
de Vaux, op. cit., p. VII.
6. Sympathies visibles de Mas'ûdï, par exemple dans Prairies, § 210 (et note 9
de la p. 81) ; autres références supra, p. 208, note 1.
conçue comme une somme de faits essentiels, débouche parfois, on l'a dit,
sur une ethnographie d o n t on sait le rôle qu'elle joue d a n s u n adab f o r t
curieux de coutumes étrangères. On peut donc, à propos des Prairies et d u
Tanbïh, parler d'encyclopédie, mais en p r e n a n t bien garde d'employer le
m o t en un sens radicalement différent de celui que nous lui prêtons a u -
jourd'hui pour désigner des œuvres dont l'intention vulgarisatrice n'exclut
pas, t a n t s'en faut, l'exposé de connaissances techniques.
C'est encore l'esprit de l'adab que l'on retrouve dans le caractère fonda-
mentalement islamique de cette encyclopédie : l'honnête homme à qui
s'adresse Mas'udï peut bien différer, q u a n t à ses options 'alides, de celui
qu'entend former un Ibn al-Faqïh, il est p o u r t a n t un p r o d u i t du m ê m e
système de pensée et de culture. A première vue, certes, u n e telle proposi-
tion semble contredire ce qui a été dit plus h a u t sur la large curiosité reli-
gieuse de Mas'udï. Prenons-y garde toutefois : qu'elle soit de tendance
sï'ite ou non, une œuvre comme celle-ci reste, en son essence, inspirée
d'une société qui se définit comme islamique, et qu'elle puise, consciemment,
à un vaste héritage de doctrines étrangères n'empêche pas que l'Islam
qu'elle incarne se présente précisément comme l'héritier total, le syncré-
tisme parfait de toutes ces histoires dont il est le couronnement. Sï'ite ou
non, l'Islam occupe dans l'œuvre de Mas'udï une place qui t r a h i t bien cette
conception : on peut m o n t r e r sa sympathie a u x religions et a u x systèmes
non islamiques, mais on ne saurait penser, pour les résumer, les sublimer et
les parfaire, qu'à cet Islam dont les variantes internes n ' e n t a m e n t pas, il
f a u t y insister, le prodigieux sentiment unitaire dès qu'il se pense p a r
rapport à autrui.1
C'est, enfin, l'esprit de l'adab qui explique le rôle modeste et la n a t u r e de
la géographie qui nous est proposée ici. Il existe en effet deux façons de
présenter les données de l'adab : ou bien, comme le fait Ibn al-Faqïh, on
les rapporte aux divers pays qu'elles intéressent, et l'on néglige alors l'his-
toire au profit d'un système de classement géographique, ou bien, avec
Mas'udï, on relie ces données à une histoire, et la géographie cède alors le
pas à une présentation chronologique. Le donné d'ensemble restant en gros
1. Voir, par exemple, face au christianisme, la fin du § 121 des Prairies. On notera
aussi, comme illustration du thème islamique, la fin du § 1372, où l'Islam, avec Muham-
mad, est présenté comme le suprême et définitif moyen d'incarner des idées éminemment
chères à la gnose : « purifier le monde et relever l'homme déchu. » Enfin, on aurait
tort de réserver au Sl'isme et aux doctrines non orthodoxes ou étrangères la curiosité,
sinon la sympathie de Mas'udï : voir par exemple son attitude à propos de ' U t m â n
et des U m a y y a d e s : qu'il les critique (cf. Tanbih, p. 411-412, à propos d'al-Haggâg,
et aussi Prairies, t. V, p. 288 sq., 382-383 ; Tanbih, p. 391, 424 : sur le califat de Hasan
b.'Alï ; Tanbih, p. 431-433 : négation d'une prétendue titulature honorifique des
Umayyades ; Prairies, t. IV, p. 424-426 : justification de l'attitude de 'Ali à Siffin ;
t. V. p. 9, 45-46, 99-100 : sur et contre Mu'âwiya ; t. VI, p. 55-59 : réfutation des thèses
'utmânides de Gâhi? ; etc.) n'empêche pas qu'il s'applique à connaître les thèses de
leurs partisans ( T a n b i h , p. 306, 382, 433-434).
le même, les deux méthodes sont aussi valables l'une que l'autre. Mais, dans
les deux cas, on reste incapable d'intégrer au cadre choisi la présentation
globale de la terre, à savoir les thèmes traditionnels de la sûrat al-ard.
Celle-ci ne peut être alors conçue que sous la forme d'une introduction
traçant, dans le premier cas, le cadre plus vaste où viendront prendre leur
place les diverses références aux pays et, dans le second, édifiant le théâtre
où se déroulera l'histoire qu'on se propose de présenter. Mais il faut bien
reconnaître, de ce point de vue, que la construction d'Ibn al-Faqïh s'avère
beaucoup plus cohérente que celle de Mas'ûdï, et l'on n'a rien fait t a n t
que l'on n'a pas trouvé les raisons de l'irruption de la géographie dans une
œuvre conçue sous l'angle de l'histoire. C'est ici qu'il convient de se repla-
cer dans l'optique de l'adab. Le système de classement — en l'occurrence
chronologique — est une chose, et le donné présenté dans ce cadre en est
une autre. Si, dans leur refus de toute discipline technique ou spécialisée,
mais en même temps dans leur souci de présenter le panorama attendu des
connaissances du siècle, les Prairies et le Tanblh se croient tenus de faire
une place aux thèmes de la sura, c'est évidemment parce que, en ce milieu
du iv e /x e siècle où écrit Mas'ûdï, celle-ci a définitivement quitté, aux mains
des prosateurs, le domaine des œuvres techniques et que ses thèmes, désor-
mais littérarisés, sont considérés, à part entière, comme des composantes de
l'adab 1 : autre preuve, s'il en était besoin, que les options politico-reli-
gieuses ne modifient pas, fondamentalement, les structures du système
culturel dont procèdent toutes les œuvres littéraires de l'époque.
1. L'évolution en ce sens sera achevée avec un Muqaddasï, chez lequel ces données
deviennent incertaines et confuses : cf. trad., § 95 (et note 1).
2. Malgré toutes les réserves qu'on peut faire sur ce choix, nous avons décidé de
garder pour cet auteur le nom d'origine Maqdisî, en réservant la forme Muqaddasï
à l'auteur du Ahsan at-taqâsim. Arbitraire, le procédé a au moins l'avantage de dis-
tinguer les deux auteurs.
3. Il a rédigé, avant celle-ci, une autre œuvre intitulée Livre des significations (du
Coran) ( Kitâb al-ma'âni, ou : Kitâb ma'âni al-Qur'ân) : cf. Création, t. II, p. 23, 86;
t. III, p. 17, 81, 98 (avec brève analyse), 100, 103, 117, 185, 189. Sont annoncés comme
devant être écrits après la Création : le Livre de l'âme et de l'esprit ( Kitâb an-nafs wa
r-riih) : t. II, p. 107 (115 i. f.) ; le Livre de la religion et de la sécurité (Kitâb ad-diyâna
wa l-amâna) : t. I, p. 64 (70-71) ; le Livre de la justice ( Kitâb al-ma'dila) : t. I, p. 83 (91).
Un autre ouvrage i sur les étoiles >, mais sans titre expressément formulé, est annoncé
à t. II, p. 14 (14). La liste donnée par Huart en préface au t. I (p. XV-XVI) est rendue
Inutilisable par la confusion opérée entre Maqdisl et Abu Zayd al-Balbî, à qui la Créa-
tion est faussement attribuée (rectification de cette attribution dans les préfaces des
t. II, p. IX-X ; t. III, p. VI-VII ; t. IV, p. V).
« tant que nous ne trouvons pas de texte péremptoire dans notre livre sacré
ou de tradition authentique de notre Prophète. Mais lorsque nous ren-
controns un texte ou une tradition contraire à l'avis des anciens, celui-ci
est par 1 nous rejeté avec dédain et considéré comme à éviter ». La recherche,
donc, se tempère à la certitude de la foi : musulman éclairé, peut-être, mais
musulman convaincu, Maqdisï apparaît comme refusant ce qu'on pourrait
appeler l'aventure scientiste et intransigeant sur les points vitaux du dogme
islamique : les condamnations les plus explicites de la Création visent le
dualisme et l'anthropomorphisme, l'Islam étant présenté comme l'essence
même de la vérité religieuse et de la croyance au Dieu unique. 9
Mais quel Islam ? Les sympathies de Maqdisï sont, à première vue,
difficiles à saisir : on dirait, certes, qu'il a un penchant au sî'isme, s'il ne
manifestait pas son horreur, ici comme toujours, des extrémistes et
beaucoup d'indulgence pour ceux qui, finalement, sont les moins éloignés de
l'orthodoxie, je veux dire les Zaydites. 3 De la même façon, on le taxerait
1. L e t e x t e de la t r a d u c t i o n dit : p o u r .
2. L e t o n d e v i e n t violent lorsqu'il s'agit de c r i t i q u e r les théories sur l ' é t e r n i t é d u
m o n d e ou d u t e m p s , ou sur le bien et le mal c o n ç u s c o m m e êtres en-soi : cf. t . I, p. 82-84,
1 0 8 - 1 1 7 , 1 2 3 (critique de la cinquième essence) ; t . I I , p. 65,126-127. T o u t e s ces critiques
sont r é s u m é e s à t . I I , p. 88 (« q u e l q u e s - u n s de ces n o v a t e u r s qui se d é r o b e n t sous le
voile de l'islamisme e x p l i q u e n t c e t t e légende d ' u n e m a n i è r e qui c o n d u i t à l'hérésie»).
D ' o ù les a c c u s a t i o n s portées c o n t r e les Mazdéens (t. I, p . 80-81) et les Chrétiens (t. I I ,
p. 35, 47 ; t. IV, p. 43-44 ; t . V, p. 32-35). A l'opposé, cf. t . V, p. 31 ( M u l j a m m a d p r é d i t
p a r l ' É v a n g i l e : allusions précises à J e a n X I V , 16-17, 26 ; X V I , 7) ; t . I I , p. 203 (credo
du déisme m u s u l m a n : « la base de la religion de t o u t h o m m e religieux sur la t e r r e est
de croire » q u e Dieu est c r é a t e u r , q u ' i l est bon et qu'il j u g e r a les h o m m e s a p r è s leur m o r t ) .
A u t o t a l , d o n c , large i n t é r ê t p o u r les religions e n t a n t qu'elles p r o c l a m e n t ces prin-
cipes, et d é f i a n c e envers elles d a n s la mesure où elles s ' e n éloignent.
3. L a curiosité ou la s y m p a t h i e p o u r les Si'ites sont perceptibles, e n t r e a u t r e s pas-
sages, à t. I, p. 140 ; t . V, p. 2 i. f., 74 sq., 130-141 ( p a r e u x c o m m e n c e l'exposé des
diverses sectes ou écoles), 240-243 (califat de H a s a n b. 'Ali) ; t . V I , p. 51-52, 53-54,
76-78, 84-86, 98, 107-108, 122 (révoltes et m a r t y r o l o g e Si'ites). H u a r t (t. V, p. VI)
estime que Maqdisï réserve a u x Si'ites, d a n s son histoire, la m ê m e place q u e Y a ' q û b ï
ou Mas'ûdï. J e n ' e n suis pas si s û r : les références s o n t é v i d e m m e n t n o m b r e u s e s , c o m m e
on v i e n t de le voir, et le t i t r e de calife est r e f u s é a u x U m a y y a d e s ( w i l â y a , dit-on à
p r o p o s de leur g o u v e r n e m e n t [t. V I , p. 1 (1) sç.], e t Yazïd b. M u ' â w i y a e s t e x p r e s s é m e n t
m a u d i t : t . V I , p. 9 [8]. E n r e v a n c h e , les c r i t i q u e s ou les éloges p o r t é s sur les califes
a b b a s s i d e s [exemples t. V I , p. 90 (contre a l - M a n s û r ) / 9 4 - 9 5 ( p o u r al-Mahdî), 99 (pour
H â r u n ar-Ra5ïd), 110 (pour al-Ma'niûn)] ne c o m p r o m e t t e n t ni ne Justifient leur q u a l i t é
de califes, r e c o n n u e une fois p o u r t o u t e s : t . VI, p. 57 [56] sq.). Mais le sens critique,
t o u j o u r s en éveil, de Maqdisï ô t e à b e a u c o u p de p a s s a g e s la valeur p a r é n é t i q u e qu'ils
d e v r a i e n t r e v ê t i r sous la plume d ' u n Si'ite c o n v a i n c u : t . V, p. 199 (« il e s t assez sot », dit
' U m a r à p r o p o s de 'Alï ; a f f i r m a t i o n i m m é d i a t e m e n t corrigée p a r u n e glose é m a n a n t
d ' u n lecteur Sï'ite o u t r é : cf. la n o t e 1 de H u a r t , loc. cit. ; si s y m p a t h i e Si'ite il y a, elle
cède d o n c le pas, p o u r Maqdisï, à l ' a u t h e n t i c i t é d u had.lt), 202 ( b é n é d i c t i o n Si'ite
d ' A b u L u ' l u ' a , m e u r t r i e r de ' U m a r : simple m e n t i o n , sans d o u t e inspirée d ' u n souci
d ' e x h a u s t i v i t é q u a n t a u x t r a d i t i o n s relatives à c e t t e m o r t ) ; t . V I , p. 10-13 ( m a r t y r e
de H u s a y n , m a i s [p. 13] : « rien q u e dans ce que n o u s a v o n s exposé, il y a encore des
1. Cf. t. IV, p. 2-3 : les athées et les matérialistes ne sauraient avoir de principes,
puisqu'ils en nient la source, qui est Dieu.
2. Cf. t. II, p. 44-45 ; même syncrétisme, t. II, p. 90-122 : traditions d'origines
diverses sur l'âme et la vie.
3. Cf. supra, p. 213, note 8.
4. Sur les 22 chapitres de l'œuvre, 10 au total (I-VI, V I I I - X et X I I ) sont consacrés,
à travers l'Islam ou les autres religions, à ces problèmes : fondement de la certitude,
preuves de l'existence de Dieu, de ses modes, de la prophétie, eschatologie, réflexions
sur l'âme et sur le monde.
enfin invoquent les mots attribués à Mugira b. Su'ba, selon qui toute m o r t
voit se lever une résurrection »
C'est dire, au total, dans quel contexte s'inscrivent les données géogra-
phiques de la Création. Leur exposé est conçu dans le cadre plus vaste de
la recherche métaphysique que l'on vient d'évoquer, la connaissance des
phénomènes de l'univers et de la terre répondant chaque fois à la double
question : est-ce licite au regard de Dieu ? est-ce utile à sa connaissance ?
On ne s'étonnera donc pas que les développements sur les phénomènes
météorologiques, les mers ou les dimensions de la terre soient inséparables
de leurs prolongements dialectiques, par lesquels Maqdisî s'efforce de
répondre à ces deux questions. 3 On en pourrait, du reste, dire a u t a n t de
l'histoire, laquelle est conçue comme un ensemble de faits retenus pour
leur signification, et dont l'enchaînement ou la localisation dans le temps,
soucis m a j e u r s de l'historien, apparaissent ici comme tout à fait secon-
daires. 3 L'histoire, comme la géographie, se plie a u x exigences d'une
encyclopédie qui trouve dans la constance de son propos philosophique une
rigueur et une unité décidément très fortes. Dès lors, l'inventaire des
thèmes géographiques de la Création doit logiquement nous livrer ce qui,
dans la conscience d'un musulman du i v e / x e siècle, est ressenti comme con-
naissance fondamentale pour la recherche qu'on a dite. Or, cet inventaire se
résume aux données traditionnelles de la sûra, aux informations classiques
sur le monde extérieur à l'Islam et, enfin, à un tableau général des provin-
ces de ce même Islam, le t o u t conçu dans l'optique du temps, qui fait fixer,
par le Créateur, le centre du monde à l'Arabie et à l'ancienne Médie * ; au
total, on le voit, les thèmes auxquels la culture d'alors, par la voie de Yadab,
réduit la géographie. L'originalité de la Création tient donc, en dernière
analyse, à l'esprit dans lequel ce donné est repensé ; mais l'intervention
d'une méditation philosophique et personnelle ne remet pas en cause les
cadres mêmes du système culturel à l'intérieur duquel elle s'exerce.
1. T. II, p. 198-199 (236) : traduction de Huart modifiée. Sur al-Mugïra, cf. H. Lam-
mens, dans El, t. III, p. 683. Les thèmes développés ici ne sont du reste pas sans
rapport avec la gnose : cf. T. J. de Bœr, « Ikhwàn aç-Çafâ' », dans El, t. II, p. 488.
2. Cf. t. II, p. 24-35, 37-49 ; t. IV, p. 53, i. f.-54 (1. 1-4) ; opinion sur la licéité de la
science expressément formulée à t. IV, p. 22.
3. A preuve l'extrême rareté des dates données.
4. Ce qui explique que le seul itinéraire détaillé soit celui qui joint l'Irak à l'Arabie :
t. IV, p. 85-86 (les deux centres du monde étant définis à t. IV, p. 51, 77, 92-93). Les
données indiquées sont groupées au chap. X I I I (t. IV, p. 47 sq.) de l'œuvre. Si l'on y
ajoute les quelques renseignements du chap. V I I (t. II, p. 1 sq.), sur l'univers et les
phénomènes naturels, on voit que cette « géographie » n'occupe, avec deux chapitres
sur u n total de vingt-deux, qu'une place réduite dans l'œuvre. Quant à l'originalité
de quelques passages (signalée supra, p. 213, note 2), elle ne met pas en cause la théma-
tique d'ensemble.
On s'attardera moins sur une autre encyclopédie, celle des Ihwân as-safâ'
ou « Frères de la Sincérité », au demeurant beaucoup plus connue. Rédigée
en forme d'essais (rasa'il), elle émane d'une confrérie de Basra, dont l'acti-
vité se situe au i v e / x e siècle de J.-C. 1 Les tendances gnostiques et isma A -
liennes s'affirment ici pleinement, dans les principes comme dant, leurs
conséquences philosophiques. 2 Pour ce qui touche, en particulier, aux pro-
blèmes de la connaissance, le système des Ihwân est tout entier ramené à
la primauté, chronologique et principielle, du monde spirituel sur le monde
sublunaire. D'où les propriétés de l'investigation scientifique, définie comme
fondamentale, exhaustive et rationnelle. Fondamentale, d'abord : allant
au-delà du débat traditionnel sur la licéité de la connaissance, les Ihwân
posent la recherche comme noble en soi, la marque de l'homme étant de
réfléchir sur les causes et les conditions du monde où sa nature corporelle le
jette, pour entrevoir, à travers cette réflexion, les principes suprêmes qui
lui seront révélés seulement après sa mort, dans la pure unité de l'esprit ;
la science, exercice de l'esprit, est donc l'antichambre de son « royaume». 8
La géographie, désignée ici sous son nom grec (gugrâfiyâ), est ainsi validée
à u n double t i t r e : en t a n t qu'exigence intellectuelle, comme connaissance
des conditions concrètes de notre ^-ésence sur la terre, et en t a n t que pré-
lude à la méditation sur les '•stres.
Elle s'intègre ainsi à une connaissance e x h a u s t i v e 2 du monde sublunaire.
Mais pas à n ' i m p o r t e quel niveau : car la réflexion sur le monde, si elle est
totale, doit naturellement retrouver cet ordre fondamental dont le monde,
en sa totalité même, offre précisément la preuve. Où se place donc la gugrâ-
fiyâ des Ihwân ? Avec les sciences fondamentales, c'est-à-dire m a t h é m a t i -
ques, exactement après l'arithmétique, la géométrie et l'astronomie, et
a v a n t la musique, donc avec t o u t e s celles qui donnent les lois des nombres,
des rapports, de l'ordre, en u n mot, a u sens grec du terme : de l'har-
monie. '
On ne s'étonnera donc pas, compte tenu des modalités de l'investigation
scientifique ainsi définie, que, dans son sens strict, la géographie présentée
ici 4 soit en définitive réduite non pas même à la sûra, mais à son a r m a t u r e
essentielle, et soucieuse d'en tirer a r g u m e n t beaucoup plus que d'en exposer
les données. D ' u n e part, en effet, elle vise, a v a n t toute chose, à fixer la
place et le rôle de la terre au sein de la contruction universelle et, d ' a u t r e
p a r t , lorsqu'elle consent à descendre de la cosmographie à la géodésie,
de l ' é t u d e de la terre dans ses rapports avec les astres à celle de la terre en
elle-même, c'est, encore et seulement, pour illustrer le même principe
f o n d a m e n t a l d'harmonie : les mers, les lacs, les fleuves, les montagnes et
m ê m e les villes n'interviennent pas sous leurs noms concrets 6, mais sous
la forme de r a p p o r t s numériques t e n d a n t à prouver, parallèlement à
1. On a déjà évoqué ôâhi? et Qudâraa (encore qu'il soit difficile d'apprécier lequel,
du Kitâb al-harâtj ou de l'encyclopédie des Ihwân, est antérieur à l'autre). Cette ab-
sence d'originalité, touchant des thèmes qui, de toute façon, sont dans l'air, est soulignée
par Kratchkovsky, p. 232 (228), qui en excepte toutefois les développements sur l'ori-
gine des fleuves ou sur les variations des eaux et des terres, des aires cultivées et des
déserts (cf. par exemple t. I, p. 180 ; t. II, p. 57-59). Or, des développements identiques
se trouvent chez Mas'ûdï, par exemple Tanbih, p. 103 ; Prairies, § 213 ; peut-on y voir
une preuve de contacts entre Mas'udî et la confrérie (cf. supra, p. 207, note 2) ? Si
oui, resterait en tous cas à élucider dans quel sens s'est opéré l'emprunt, ce qui est
impossible vu l'indigence de nos renseignements sur l'histoire des Ihwân.
2. La comparaison est instructive, de ce point de vue, entre les Hayawân de Crâhi?
et les Rasâ' il. Pour prendre un exemple particulier, on comparera les longs développe-
ments consacrés par ftahi? aux voix humaines et animales (exemple : Hayawân, t. I,
p. 32 ; t. IV, p. 95, 270, etc.) au silence qui règne dans les Rasâ'il, où la seule musique
est celle du monde des esprits supérieurs (t. I, p. 206-207) : encore est-elle, et pour cause,
théorie elle aussi.
3. Le thème de la décadence, cher aux auteurs musulmans du Moyen Age (voir
une analyse d'ensemble dans Grunebaum, op. cit., p. 263-264), est exploité par les Ihwân en
un système très cohérent : ils posent, d'une part, dans l'esprit du manichéisme, l'exis-
tence des forces du bien et du mal (celles-ci justifiées notamment, selon des résonances
bibliques, par le péché originel : t. I, p. 100), et, d'autre part, une histoire cyclique (t. I,
p. 180-182), dont les alternatives sont liées à la fois aux mouvements des astres, d'ampli-
tudes diverses (depuis les cycles courts, égaux à un jour, jusqu'aux cycles longs, de la
valeur d'un millénaire : t. I, p. 154-155), et au couple antagoniste et complémentaire
matière-forme (exemple : t. I, p. 251-253 ; t. II, p. 419). D'où il résulte que, puisque le
siècle s'inscrit dans une phase de déclin, il faut se préparer, intellectuellement et morale-
ment, à une phase ascendante où triompheront les forces du bien, incarnées par les
Ihwân. L'optique métaphysique de l'oeuvre des Ihwân est bien notée par Tawhïdi
(qui les critique par ailleurs) : cf. Imtâ', t. II, p. 5.
tion très poussée, qui en est comme la négation systématique 1 : par le refus
de l'expression littéraire, d'abord, et, plus encore, par la réduction des
t h è m e s à leur squelette lexicographique. C'est dire que, malgré la valeur
qu'elles revêtent pour l'historien ou le linguiste, ces Clés des sciences
n'ouvrent, au sociologue de la littérature, d ' a u t r e accès qu'à un d é s e r t . 2
P o u r Bïrûnî, un des plus grands et des plus complets savants du Moyen
Age, c'est évidemment l'inverse qu'il f a u d r a i t dire, et le m o t de marginal,
s'il a p p a r a î t choquant, appliqué à une aussi grande figure, ne fait que t r a -
duire cette fois notre impuissance et notre respect, et non plus un quel-
conque dépit. C'est qu'on hésite d e v a n t cette citadelle, que son gigantisme 3
et n o t r e faiblesse conjugués concourent à rendre d'ici longtemps imprena-
ble : car t o u t e approche de la place qui v o u d r a i t se cantonner à tel ou tel
secteur, qu'il s'agisse de géographie, d'astronomie, de médecine ou de
t o u t e a u t r e spécialité, ne pourrait éluder la nécessité préalable d'un investis-
sement total. Bïrûnî en effet, quelque matière qu'il traite, la relie chaque
fois au réseau complet de ses préoccupations : sous des titres divers,
c'est donc à un savoir global qu'il nous invite, à un encyclopédisme d ' a u -
t a n t plus compact qu'il se situe à la fois au niveau de chaque œuvre et à
celui, plus général, du système qu'elles constituent par relation les unes
avec les autres.
Si au moins la vue de la place à investir s'étalait clairement à nos y e u x !
Mais tel n'est pas le cas, de trop vastes zones d'ombre nous dérobant encore
des p a n s entiers de l'œuvre de Bïrûnî. Textes inédits, textes perdus, t e x t e s
à revoir S il f a u t se résigner : l'étude d'ensemble, complément et prélude
indispensables à t o u t e investigation plus spécialisée, en tel ou tel domaine
de cette œuvre, est à son t o u r obérée par l'ignorance ou la méconnaissance
de t r o p d'ouvrages du maître. On comprend, dans ces conditions, l'aveu
d'impuissance qui échappe à un érudit p o u r t a n t aussi tenace que K r a t c h -
k o v s k y 6 : répertorier, en cette immensité, les thèmes de la géographie
1. On a vu de même la rareté des thèmes exploitables à partir des Easâ'il des Ibwân,
ceux-ci, à l'opposé de fcfuwârizmï, opérant non pas à l'échelle du mot, mais à celle de la
plus vaste méditation Dhilosophique possible : pour la géographie concrète qui nous
intéresse, on peut dire, en d'autres termes, que tfuwârizmï pèche par réduction exces-
sive et les Ibwân par abstraction trop poussée. Mais le résultat est identique : les thèmes
de géographie, dans la mesure où ils relèvent de Vadab, sont incompatibles avec les
techniques que sont, dans un cas, la lexicographie et, dans l'autre, la spéculation
philosophique.
2. Ces réflexions valent a fortiori pour un élève deBalbï, Ma'n 1). Fri'ûn (? ; ou Furay-
'ïn, ou Farïgûn), l'auteur des ôawâmï al-'ulûm (Encyclopédie des sciences), où la conci-
sion est encore plus grande : cf. GAL, Suppl., t. I, p. 435 ; Sourde], Vizirat, p. 18, note 1.
3. D.J. Boilot (El [2], t. I, 1274) arrive à un total de 180 titres d'ouvrages.
4. Aux indications de D. J. Boilot, op. cit., on ajoutera celles de Kratchkovsky,
p. 252 (251), soulignant la nécessité d'une révision, malgré ses mérites, de l'ancienne édi-
tion Sachau des Aiâr (1878).
5. P. 260 (256 /./•.).
André MIQUEL. 18
style. 1 Mais, du savant, il a aussi cet autre trait, qui est la passion de la
vérité, inséparable du mépris des honneurs a , ce qui situe, une fois de plus,
ses préoccupations aux antipodes de celles de l'adab.
Ainsi apparaît-il comme un isolé dans son siècle 8 ou, pour reprendre
notre mot, comme un personnage marginal. Mais l'argument de l'ori-
ginalité n'est pas, à vrai dire, suffisant pour démontrer que BIrûnî excède
the admiration of modem scholarship» (Sachau, introd. à l'éd. du texte arabe de 1 ' Inde,
p. VI ; on songe à ce propos à Descartes ou à d'autres mathématiciens-philosophes) ;
«mathematical accuracy is his last gauge, and wherever t h e nature of the tradition
admits of such a gauge, he is sure to verify it by the help of careful mathematical cal-
culation» (Sachau, introd. à la traduction des Âtâr, op. cit., p. X).
1. Opinions à première vue divergentes que celles de R. Blachère et C. Pellat d'un
côté (EGA, p. 235 : « valeur littéraire de certaines pages » ; Langue et littérature arabes,
p. 156 : « ce qui est caractéristique, indépendamment de la valeur documentaire de
son œuvre, c'est qu'il n'échappe pas aux préoccupations des stylistes et que certaines
de ses pages sont de beaux spécimens de la littérature arabe ») et de Sachau, de l'autre
(introd. au texte de l'Inde, op. cit., p. X X X I I I : « all his sentences are very precise and
most of them very short. The connection of the sentences with each other is very strict
and bears a close relation to the method of geometry, as each sentence is so construc-
ted as to fit closely on to t h e preceding one. The nature of his style seems to betray
the mathematician by profession »). La vérité est que, pour un authentique savant
comme BIrûnî, le style n'est pas, comme pour les prosateurs de l'adab, une fin en soi
au niveau de l'acte d'écrire et, p a r ailleurs, un moyen de gloire sociale, mais le mode
d'expression d'une pensée, Ces principes ne sont évidemment pas inconciliables avec le
souci du style, ils le requièrent même, dans la mesure où les qualités de celui-ci concou-
rent à la mise en relief, aussi claire et rigoureuse que possible, de l'idée. Pareillement,
Birûnï n'a pas été, loin de là, inaccessible à la poésie (cf. Kratchkovsky, p. 245-247
[246-247]), mais il la maintient, comme la littérature pure, en son domaine, et ne l'intro-
duit pas, à tout bout de champ comme fait l'adab, là où elle n'a que faire. Ce souci
d'assigner à la littérature et à la science leurs domaines respectifs, comme aussi de
subordonner l'expression à l'idée, explique que les plus belles pages de Bîrûnï soient
en effet d'authentiques monuments à la gloire de la langue arabe, que BIrûnî a passionné-
ment aimée (cf. citation du Kitâb a$-$aydana, dans Abd al-Jalil, Littérature, p. 248)
et dont son œuvre démontre objectivement, aux yeux de nos contemporains, qu'elle
est réellement une des grandes langues de civilisation (qu'on se reporte par exemple
aux p. 9, 53 sq. ou 267-271 de l'Inde, et aux p. 36-42 ou 215 sq. des Atâr). Mais cette lu-
minosité de l'expression répond plus aux normes de la culture moderne qu'à celle des
contemporains de BIrûnî : a-t-il alors jamais été exalté, comme prosateur, à l'égal des
maîtres que se donne l'adab : Ibn al-Muqaffa', Gâhi? et, exactement à la même époque
que BIrûnî, Badï' az-Zamân al-Hamadànï ?
2. On rappellera à ce propos l'anecdote célèbre, qui veut que Birûni ait refusé la
récompense offerte pour le Canon Masudicus : une charge d'éléphant de pièces d'argent :
cf. Yâqût, cité par D. J. Boilot, op. cit.
3. « A phenomenon» (Sachau, introd. à la traduction des Âtâr, op. cit., p. X), « AI-
beruni is phenomenal in the history of Eastern civilization» (Sachau, introd. à l'Inde,
op. cit., p. XIV). Il est si isolé en effet qu'on pourra bien lui emprunter (cf. Kratch-
kovsky, p. 251 [250] et passim), mais sans qu'il soit jamais réellement imité ou re-
produit, échappant ainsi à cette règle fondamentale de la littérature d'alors, l'intiftâl,
défini plus h a u t à propos d'Ibn al-Faqîh (chap. V, p. 163, note 6).
les limites de notre étude : car on pourrait, après tout, nous reprocher
comme une pétition de principe, en vertu de laquelle Bïrûnï, situé a
contrario par rapport à l'adab, ne serait incompatible avec une certaine
géographie que parce qu'on aurait défini celle-ci, de façon préalable,
comme impliquant précisément une relation avec ce même adab. Conve-
nons, de fait, que l'originalité de Bïrûnï ne constitue pas, par elle-même,
un argument ; mais à tout le moins est-elle un indice, le signe d'autres
raisons, plus sérieuses, qu'il importe maintenant d'élucider.
Que Bïrûnï se situe à une époque-charnière de la pensée arabo-musul-
mane est un fait reconnu. 1 Mais reste à savoir où placer exactement la
coupure : certains voient dans les écrits de Bïrûnï comme le couronnement
et la fin tout ensemble des œuvres antérieures, d'autres, au contraire,
estiment qu'avec lui commence une époque nouvelle. a Pour trancher le
débat, revenons un instant sur l'originalité de notre auteur : si celle-ci
nous frappe tant, n'est-ce pas parce qu'elle se situe décidément en dehors
d'un cadre national strictement délimité ? Bïrûnï fut, écrit R. Blachère,
« le type de ces chercheurs qui, jusqu'à la fin de leur vie, font une perpétuelle
mise au point de leur savoir, une de ces claires intelligences aptes à com-
prendre les notions les plus disparates, les plus irritantes pour leurs ten-
dances naturelles, un de ces esprits universels et troublants comme ceux
d'un Vinci ou d'un Gœthe». 3 Qu'est-ce à dire, sinon que la connaissance
trouve ici sa fin en elle-même, et non plus dans la défense ou illustration
d'exigences nationales et religieuses ? On a pu noter que Bïrûnï, s'il est
évidemment musulman, ne pose jamais l'Islam comme une des données de
sa recherche 4 ; or, la distance que son œuvre prend ainsi vis-à-vis du siècle
n'est peut-être pas tout entière réductible au seul génie de Bïrûnï, ni la
recherche pure sans aucun rapport avec les conditions historiques de son
exercice.
C'est un fait que le souvenir de Bïrûnï reste historiquement lié aux débuts
de l'hégémonie turque, qu'inaugure le règne du conquérant Mahmûd de
Les polygraphes
1. Tous les thèmes (historiques, littéraires ou autres) étant présentés, dans l'esprit
général ainsi défini, sous la forme de couples antithétiques : péril-salut, prison-liberté,
passion-calme reconquis, etc. Mais les données elles-mêmes puisent à un fonds inchangé :
traditions sur l'histoire biblique et celle de l'Islam, éthique, médecine, etc.
2. Cf. le tailleur et le calife (p. 218-221) ; l'homme, l'esclave et les brigands (p. 269-
271) ; l'homme échappant au lion (p. 290-291) ; l'homme, la femme et le singe (p. 294-
295) ; les fauves qui se vengent de la mort d'un lionceau (p. 297), etc.
3. Moins que dans les thèmes, qui sont ceux qu'on a déjà indiqués, c'est dans leur
formulation que Bayhaqï se montre normatif, ainsi que le suggère d'ailleurs le titre de
son œuvre : « qualités et défauts », « avantages et inconvénients » (al-mahâsin wa l-
masâwi'), les divers thèmes abordés ne l'étant pas en tant que thèmes de connaissances
ou de recherches, mais en t a n t qu'occasion de ces sentences, dictons et apophtegmes
qui relèvent du fonds, désormais traditionnel, de l'éthique arabo-musulmane d'alors.
4. Ce dernier considérant toutefois l'éthique comme le couronnement de cette ré-
flexion : c f . M. Arkoun, « D e u x épltres de Miskawayh», dans BEO, X V I I , 1962, p. 8.
5. Point de vue souligné par M. Arkoun, op. cit., p. 14, 17.
6. Dont il n'est pas besoin de souligner qu'ils interfèrent, les trois tendances indi-
quées n'étant que des dominantes. Citons, comme exemple de cette utilisation des
thèmes dans l'esprit signalé : WaSSâ', p. 169 : thème indien (érémitisme) pour illustrer
1. On peut dire, d'une autre façon, que deux thèmes peuvent être semblables et
pourtant relever du concept d'extraordinaire, tandis que, pour la géographie d'Ibn
'Abd Rabbih, deux thèmes ne sauraient être extraordinaires que s'ils sont, d'abord,
dissemblables.
abondamment cité l . Aux données prises à ôâhiz, qui intéressent les produc-
tions des divers pays et les particularités de leurs climats ou des êtres vi-
vants qui les peuplent, viennent s'ajouter les traditions (ahbâr) relatives
à leurs monuments et à quelques traits essentiels de leur histoire. 2 Le
composé obtenu à partir de ces divers éléments n'est rien d'autre que la
géographie à la manière d'Ibn al-Faqîh, c'est-à-dire une géographie
humaine, dans le sens déjà défini 3 : humaine parce qu'elle répudie la
géographie purement astronomique ou physique au profit d'un tableau plus
général du monde où l'homme reste la pièce essentielle : tableau qui pro-
cède lui-même, on l'a dit, par la systématisation de cas exemplaires et qui
s'exprime dans les formes littéraires accréditées par le prestige d'un Gâhiz. 4
On dira peut-être que le nom d'Ibnal-Faqïh n'apparaît pas dans lesLatâ'if ;
mais l'esprit est identique, et parfois la leçon même du t e x t e . 6 Ainsi donc,
au point extrême de la chronologie imposée à cette étude, on constatera,
d'une part, que la géographie de l'adab ne fait que reprendre, auteur après
auteur, les mêmes thèmes au mépris de l'évolution des contextes historique
et géographique 6, mais, d'autre part, que cette géographie, fondamentale-
selon laquelle les crocodiles seraient spécifiques de l'Egypte et les singes du Yémen),
101 (citation d'une source orale à propos d'un trait de mœurs égyptien : l'attachement
au pays natal), 107-108 (deux précisions apportées à la notice de Gâhi? sur al-Ahwàz,
citée supra, p. 234, note 1).
1. Citons par exemple l'œuvre du faqlh Ibn ai-Qâjç at-Tabarï al-Àmulï (Abu l-'Abbâs
Aljmad), mort en 335 /946, encore inédite (cf. Kratchkovsky, p. 236-237 [230-232] et
tableau des auteurs), et dont la connaissance s'avérerait précieuse pour une étude des
rapports de la science de la qibla avec la description de la terre.
2. On ne peut évidemment ranger sous l'étiquette de la géographie la simple locali-
sation toponymique des faits rapportés, dans ces divers ouvrages, par la voie des tra-
ditions (atbâr).
3. Un des exemples les plus célèbres en est Ibn Yûnus, mort en 399/1009, qui main-
tient en Égypte la grande tradition de vérification des données de l'astronomie mathé-
matique qui fit la gloire de la science arabe à l'époque d'al-Ma'mûn. Le mouvement se
poursuivra jusqu'à Ulug Beg, mort en 853/1449.
4. La question du style des auteurs sera reprise plus loin, au chap. IX. On a déjà noté,
au chap. II, l'influence des modèles d'expression donnés par un Gâhiz : cf. p. 53-56.
q u e de montrer qu'on peut faire de beau style à propos d'eux tout aussi bien
qu'à propos d'autres. Ainsi n'y a-t-il pas présence effective de la géographie
dans la stylistique : plutôt confirmation, à travers elle, que la géographie
fait bien partie du bagage intellectuel de l'honnête homme.
T o u t autre est le cas de la bibliographie, illustrée par la riche personna-
lité d'Ibn a n - N a d ï m . 1 Discipline technique, et de propos spécialisé dans
u n ordre autre que la géographie, la bibliographie illustre bien, en matière
de littérature arabe, la difficulté des classements : car le célèbre Fihrist
(Index)* aurait pu lout aussi bien t r o u v e r sa place avec les encyclopédies,
étant à lui seul une véritable somme des préoccupations intellectuelles qui
alimentent le marché du livre dans la Bagdad des années 390/1000. Ce
répertoire des livres en circulation, classés par matières, émane d'un fils de
libraire, sans doute libraire lui-même, et préfigure, par son exhaustivité
e t son sérieux, les catalogues de ce genre que nous connaissons aujourd'hui.
Il est, on le pressent, précieux à plus d'un titre : livrant des noms d'auteurs
et d'oeuvres qui sans lui resteraient inconnus, détaillant l'ensemble des
disciplines, techniques ou littéraires, arabes ou étrangères, donnant enfin,
à l'occasion, un aperçu de la vie des écrivains et du contenu de leurs livres,
il nécessiterait une étude approfondie de la part du sociologue de la litté-
rature, qui pourrait, à son sujet, poser un certain nombre de questions
passionnantes : quels sont, par exemple, les volumes respectifs des œ u v r e s
scientifiques et littéraires ? quelle catégorie éventuelle de lecteurs vise la
présentation du contenu des ouvrages, cette « prière d'insérer» de l'époque?
peut-on, à travers Ibn an-Nadîm, sa formation et ses goûts, esquisser une
typologie de la profession de libraire en Orient aux alentours de l'an mil ?
Sans s'attaquer à un tel programme de recherches, qui excède le sujet
de notre étude, on essaiera du moins de préciser les rapports de la géogra-
phie et du Fihrist. On constatera donc que la géographie, en tant que dis-
cipline particulière, n'est guère signalée que par le biais de l'astronomie
mathématique, laquelle relève de la septième rubrique (maqâla) réservée
a u x disciplines dites « antiques » : philosophie, mathématiques, musique et
m é d e c i n e . 2 Mais bien des thèmes, dont nous savons l'importance pour la
géographie humaine, sont consignés, à travers les œuvres, dans le Fihrist :
notions sur les diverses langues et écritures, recueils de merveilles Çagâ'ib)
sur la terre et la mer, ouvrages sur les peuples étrangers, enfin exposés sur
les religions du globe et les écoles spirituelles. 3 Matériaux abondants, on le
étoiles (p. 396-400 [en vers], 750-751, 767-768), la nostalgie du pays natal (p. 681 sq.),
les pays (p. 687 sq.), les palais et forteresses (p. 688-689). L'intention littéraire est
surabondamment prouvée par la fréquence des citations des MaqOmât de Hamadânï ;
p. 261, 391, 315, 361, 462 sq., 566, 635, 1082 sq. et passim.
1. Sur lui, cf. J. Fûck, dans El, t. III, p. 863-865.
2. P. 238-303.
3. Cf. respectivement p. 4-21, 308, 314-315 et 318-351.
1. Cf. K r a t c h k o v s k y , p. 2 3 9 (233).
2. E t cela m ê m e lorsque l'information est, e n soi, personnelle e t originale : les d o n -
n é e s fournies par e x e m p l e sur la Chine p a r u n moine nestorien r e v e n u (le ee p a y s e n
3 7 7 / 9 8 7 (cf. Fihrist, p. 3 4 9 - 3 5 0 ) ressortissent, à quelques détails près, au f o n d s c o m -
m u n des t h è m e s et d e s préoccupations t o u c h a n t ce p a y s : cf. S a u v a g e t , Relation,
p. X X V I I I , n o t e 3, q u i souligne cette i d e n t i t é .
3. Cf. r e s p e c t i v e m e n t p. 275, 255-261, 261-262, 138, 138 et 130.
4. A b s e n c e é t o n n a n t e q u e celle de Y a ' q û b ï , p o u r t a n t c o n n u aussi c o m m e h i s t o r i e n
et qui p a r t a g e a v e c Ibn a n - N a d ï m (cf. K r a t c h k o v s k y e t F i i c k , op. cit.) de solides c o n v i c -
t i o n s Sï'ites. L ' a b s e n c e d e Muqaddasï t r o u v e sa raison dans la d a t e de son œ u v r e , c o m p o s é e
en 3 7 5 / 9 8 5 , mais corrigée par la suite et s a n s d o u t e non p u b l i é e a v a n t les années 3 8 0 / 9 9 0 ,
le Fihrist é t a n t , lui, de 3 7 7 / 9 8 8 . I,a première édition de l ' œ u v r e d'Ibn H a w q a l e s t , e n
r e v a n c h e , antérieure à 3 5 6 / 9 6 7 .
5. Contre lequel p l a i d e n t le sérieux e t l ' e x h a u s l i v i t é m a n i f e s t é s par Ibn a n - N a d ï m ,
qui enregistre j u s q u ' a u x recueils de contes, fables, légendes ou m y t h e s ( b u r â f â t ) : cf.
p. 3 0 4 - 3 0 8 .
fi. Chap. V, p. 188.
une preuve a contrario : la géographie qui s'exerce dans les règles du système,
je veux dire celle d'Ibn al-Faqïh, est, elle, enregistrée dans le Fihrist.1
La géographie et l'histoire
1. P. 154 ; cf. également supra, chap. V, loc. cit., note 3, Autre confirmation : la cita-
tion d'un auteur des masâlik wa l-mamâlik, lorsqu'elle intervient chez un anthologue de
Vadab (cf. supra, p. 233, note 5), est tout à fait accessoire et ne renvoie, ici encore, qu'à un
thème isolé de l'adab, non à une œuvre d'ensemble.
2. Cf. supra, p. 235, note 2.
3. P. 28-31.
André MIQUEL. 19
1. Miskawayh était, ne l'oublions pas, au service d'un vizir bûyide et l'on a vu, en
ce qui concerne BalâtJurï, quelle a été son influence sur un administrateur comme Qudâ-
ma : supra, chap. III, p. 97. Sur cette tendance de l'histoire arabe, cf. Pellat, Langue et
littérature, p. 143.
2. Le procédé est systématique dans l'histoire de Ya'qûbî, les sources essentielles en
la matière paraissant être Mâ 53' AUâh et Muhammad b. Mûsâ al-tJuwârizmï (cf. t. II,
p. 7. et passim).
3. On retrouve ainsi, à propos de l'Extrême-Orient, d'une part les différentes mers
et les sept climats, mais aussi des indications sur les peuples de l'Asie centrale : cf.
Histoire, t. I, p. 84-85,182-183. Le même esprit préside à toute la partie anté-islamique de
l'histoire de Ya'qûbî (t. I, p. 5-271) : pour l'Arabie traditionnelle, en particulier, on
relèvera le passage sur les marchés de la péninsule (t. I, p. 270-271).
4. On retrouve un peu ainsi un processus de même ordre que celui qui a été signalé
pour la géographie : cf. supra, p. 131-132, 185-186.
5. Cf. supra, p. 102-104.
cation régulière d'une histoire 1 ainsi considérée comme une des conditions
mêmes du milieu où ces hommes vivent, mais il n'opère pas le mouvement
inverse : car, historien, il pressent, mais pressent seulement, et par simples
touches, que la géographie peut, en retour, expliquer certains traits de cette
histoire. » La raison dernière de cette différence de traitement, selon le sens
que l'on adopte de l'une à l'autre de ces deux disciplines fondamentales
de la science de l'homme, tient sans doute, on l'a dit, à la puissante spécifi-
cité qui est celle de l'histoire arabo-musulmane. Pièce essentielle d'un sys-
tème culturel dont on a déjà éprouvé la rigueur et même la rigidité, elle ne
sera, en son esprit et en ses formes, remise en question qu'autant que ledit
système aura subi l'impact de changements intervenus dans le contexte
historique ; il n'est donc pas étonnant, de ce point de vue, que la véritable
ouverture de l'histoire à la géographie humaine s'opère seulement avec
Ibn Baldûn, à la faveur des conditions nouvelles que le vm e /xiv e siècle,
dans la ruine consommée de l'hégémonie arabe, impose à la société comme
à la réflexion islamiques.
Les monographies
et les dictionnaires
1. Et, bien entendu, des masâlik iva l-mamâlik, dont le cas sera traité au chapitre
suivant.
2. C'est si vrai que ces notions générales sur le monde occuperont à peine deux mai-
gres chapitres d'introduction dans le Mu'jam de Yâqût, qui constitue pourtant, par
son ampleur et sa distribution alphabétique, comme le modèle achevé de ces dictionnai-
res. Le cas-limite est offert par l'ouvrage d'Ishâq b. al-Husayn al-Munaggim, dont il
sera question plus loin : les rubriques ne sont ici précédées d'aucune introduction. On
nous objectera sans doute la taille de certaines rubriques, par exemple de celles qui
portent sur une province, voire sur un pays tout entier. Mais, mime ainsi, la rubrique
ne participe pas — ce qui est le fait essentiel — d'un ensemble ordonné. Elle est à elle
seule un tout, coupé de toute relation avec les autres composantes de l'ensemble terre.
3. Cf. les articles de C. Pellat dans Arabica, II, 1955, p. 17-41 (« Dictons rimés,
anwâ' et mansions lunaires chez les Arabes »), et dans El (2), t. I, p. 538-540.
4. On fait abstraction ici du traitement purement mathématique des anwG' dans
lequel s'illustrèrent notamment Tâbit b. Qurra, Ibn Uurdâdbeh etBIrûnï:ef. Arabica,op.
cit., p. 38.
1. Autres noms dans Arabica, op. cit., p. 36-37 ; cf. aussi Kratchkovsky, p. 118-119
(124-125).
2. Elles sont faussées, notamment, par le jeu de la précession des équinoxes.
3. Arabica, op. cit., p. 36.
4. Sur cette littérature, cf. Kratchkovsky, p. 118-123 (124-128).
1. Compléter, sur ce point, l'aperçu de Kratchkovsky avec les noms d'Abû ' U b a y d
as-Sakûnï, d'Abû 1-A5'at al- Kindï (qu'on ne confondra pas avec le savant cité au
chap. III, ni avec les historiens cités infra, p. 254, notes 3, 4, 5), de Muhammad al-
Kalbï (mort en 146/763) et d'Abu Muhammad al-Aswad al-Gundiganî (mort en 433/
1041) : cf. Yâqût, Mu'gam al-buldân, t. I, p. 11 (références bibliographiques dans
W. Jwaideh, The inlroductory chapters of Yâqùt's Mu 'jam al-buldâti, Leyde, 1959, p. 11-
12).
2. Ne pas confondre ce célèbre philologue avec Abu Zayd as-Sïrâfi, l'auteur du Sup-
plément à la Relation, étudié au chap. IV. Sur cet aspect lexicographique arabique,
mais élargi à d'autres sujets que la toponymie, cf. la note de la p. 127 de la traduction
en arabe de l'ouvrage de Kratchkovsky. On rectifiera par ailleurs le lapsus du traducteur
de Kratchkovsky, qui donne Abu 'Ubayda et non Abu 'Ubayd : op. cit., p. 120 (126).
3. Notamment avec ses deux Livres des pays ( Kitâb al-buldân al-kabir et Kilâb
al-buldân as-sajir). Il faudrait citer ici également le cadi Wakï', mort en 330/941,
par ailleurs auteur d'un livre d'anwâ', mais dont l'œuvre principale semble avoir été
un livre de traditions (ahbâr) sur les routes (luruq) et les pays (buldân). Malheureuse-
ment, ce livre, resté d'ailleurs inachevé (cf. Fihrist, p. 114), ne nous est pas parvenu.
4. Supra, p. 73-74, 167 et passim.
5. Cf. supra, p. 29 sq.
Le peu que l'on sait de Hamdânï 2 nous met en présence d'un Arabe de
souche, vivant dans la Péninsule 3 , plus précisément en ses régions méridio-
nales, et engagé à plein dans des intrigues, sans doute d'inspiration ismaé-
lienne, menées contre le pouvoir zaydite local : vie relativement sédentaire,
donc, mais politiquement agitée et placée parfois sous le signe de la prison,
où Hamdânï, selon certaines traditions, serait mort en 334/945-946. 4
C'est, au fond, avec les engagements sentimentaux, politiques, mais aussi
religieux que le mot recouvre alors, une manière de patriote 5 : on le voit à
son œuvre, qu'il consacre en effet, de façon prioritaire, à l'Arabie. Les
deux livres majeurs, l'un d'histoire et l'autre de géographie, que sont le
Diadème des généalogies (al-Iklïl f l l-ansâb) e t la Description de l'Arabie
(Sifat gazïral al-Arab)* sont même beaucoup plus qu'arabes : Yéménites,
pourrait-on dire, puisque Ylklïl rassemble des traditions sur les régions
méridionales de la Péninsule et que la Description, à son tour, réserve à ces
mêmes régions une place éminente 6, indice d'un particularisme jaloux,
allant de pair avec une indifférence marquée, voire une franche hostilité,
pour la tradition higâzienne. 1 Toutefois, cette communauté d'inspiration
ne rend pas les deux ouvrages semblables, tant s'en faut. Loin de faire
double emploi, ils ont chacun, dans la pensée de Hamdânï, leur domaine
réservé : leur définition va nous permettre, chemin faisant, de préciser les
traits fondamentaux de la géographie de la Description.
E t d'abord, celle-ci s'éclaire, précisément, par référence à Ylklll. En
plus d'un passage, Hamdânï récuse, dans la Description, tout le domaine
des traditions (ahbâr), qu'il déclare réserver, expressément et exclusivement,
à Vlklïl.2 II entend, du reste, le mot A'ahbâr en un sens très large, puisqu'il
dépouille la Description non seulement de tout ce qui est tradition histo-
rique, mais aussi, bien souvent, des données littéraires de convention : il y
a, au propre, dans la Description, une manière allusive de traiter l'adab 3
qui n'est pas un des traits les moins originaux de l'œuvre, un peu comme si
l'auteur, supposant connus ces thèmes, entendait réserver son livre à des
renseignements plus intéressants et surtout moins rebattus.
Ainsi débarrassée de l'histoire et de l'adab, la Description sera celle « des
lieux habités, des routes, des eaux, des montagnes, des pâturages et des
vallées » 4 : programme, on le voit, très précis, et non moins précisément
exécuté dans le corps même de l'œuvre. Mais prenons garde que les rubri-
ques qui constituent ainsi la géographie de Hamdânï sont traitées selon
les techniques chères à la tradition péninsulaire, je veux dire dans le même
esprit lexicographique déjà étudié. Par là, et quel que soit le terrain qu'elle
aborde à la faveur de ce programme la Description prend tout naturelle-
ment place dans une lignée d'oeuvres soucieuses de mots plus que de réalités
1. La seule exception notable (p. 55-67) est une monographie consacrée à San'â',
ville natale de l'auteur.
2. P. 1-46.
3. Dont le nom apparaît p. 10, 28, 31.
4. J'entends par là : sans autre intermédiaire que le traducteur éventuel. A remarquer
en particulier l'absence de tout cliché littéraire (par exemple du thème du « jaune dans
l'œuf », si en faveur alors pour symboliser la position centrale de la terre dans l'univers :
cf. Ibn Hurdâdbeh, p. 4 ; Ibn al-Faqîh, p. 4-5 ; Ibn Rusteh, p. 8 ; Mas'ûdï, Prairies,
§ 1326, Muqaddasî, trad., § 96) et la forme grecque sous laquelle sont livrés les princi-
paux noms de la fûrat al-ard (p. 10 sq. ; on se contentera ici d'un exemple particulière-
ment significatif : Ceylan est indiquée sous son nom de la géographie grecque [Tapro-
bane, Tabrûbânâ], et non sous celui de Sarandïb). Autres auteurs cités : Hermès (p. 6) et
Dioscoride (p. 37).
5. Aux sources indiennes également : le Sindhind est cité p. 27.
6. Ils interviennent p. 24-26.
7. P. 10 sq. Le même esprit est étendu à l'étude de l'Arabie : Hamdânï ne se contente
pas d'en situer approximativement les villes, par référence aux « climats • ou aux paral-
lèles, par exemple, mais il en donne les latitudes et longitudes : p. 44-46.
1. P. 28-44.
2. P. 28.
3. P. 28-44, déjà citées.
4. P. 46.
5. Référence p. 248, note 4.
6. P. 155-156.
les puits, les vallées, les roches, les pluies, tous ces à-côté de la lexico-
graphie 1 qui, nés à son ombre, la prolongent et surtout la dépassent en
fait, magiquement, par ce qu'ils évoquent. E t cette terre, enfin, est partout
animée d'hommes, puisque aussi bien les noms de ces lieux qui la composent
s'accompagnent toujours de la mention des tribus qui les hantent. ' Au
point extrême de ce glissement de la lexicographie à une manière de géogra-
phie 3, Hamdânï serre de très près, en quelques passages *, une présentation
générale des lieux qui sera celle des masâlik wa l-mamâlik.5
E t pourtant, il ne s'agit, en tout cela, que de réussites partielles, de
promesses avortées ; dès qu'il traite de l'Arabie, tout se passe comme si
Hamdânï, par ailleurs si remarquable dès qu'il est question de la terre
entière, s'enfermait dans un esprit et des techniques qui l'éloignent de la
géographie véritable : quoi qu'il fasse et quelque prolongement qu'il
donne à la lexicographie, sa description de la Péninsule, si riche par t a n t
de traits, ne sort jamais de la méthode de la nomenclature commentée : en
d'autres termes, la science grecque s'arrête aux portes de l'Arabie, qui lui
substitue ses propres modes de pensée. Là n'est certes pas le moindre para-
doxe de cette Description : nous disions tout à l'heure que la présentation
de la Péninsule était directement liée à celle de la terre, qui la précède.
C'est vrai, sans doute, mais au sens où se tiennent les deux volets d'un
diptyque, ou les deux faces d'un miroir : l'Arabie est bien unie au reste de
la terre, mais elle lui est en même temps irréductible. 6 Cette distinction,
qui isole l'Arabie du monde tout comme elle juxtapose, sans les fondre, la
ment arabe elle garde ses caractères originaux, mais est traitée comme
un produit d'importation culturelle non incorporable à ce contexte. Elle
n'a donc le choix, en définitive, selon l'arabicité plus ou moins estompée de
la culture à laquelle on la confronte, qu'entre un accueil qui implique alié-
nation et une sauvegarde qui vaut exclusion. Par voie de conséquence, si
la géographie humaine véritable, celle des masâlik wa l-mamâlik, peut être
considérée, sous un certain angle, comme la remise en cause, par l'expé-
rience personnelle, des théories grecques touchant à la fois et la situation
des terres sur la carte et les relations des hommes à ces terres, on voit que
cette remise en cause pourra s'opérer seulement dans un milieu où des
contestations de ce genre ont quelque chance d'aboutir : non pas, donc,
dans une culture monolithique comme l'est celle de la Péninsule, où les
apports extérieurs, lorsqu'ils y parviennent, restent étrangers et plaqués,
mais au sein d'une culture composite, qui, parce qu'elle est née de la ren-
contre de traditions différentes, ne peut précisément s'élaborer, en tant
que telle, qu'au prix de concessions réciproques de ces cultures les unes vis-
à-vis des autres. En dernière analyse, c'est dans le contexte de la culture
non pas arabe, mais arabo-musulmane, telle qu'elle se compose, en Irak
surtout, avec le concours de l'Arabie, mais aussi de la Perse, de la Grèce et
de l'Inde, et en tout cas hors du sol même de la Péninsule, que le genre des
masâlik wa l-mamâlik, par bien des côtés héritier de cette culture, aura
chance de voir le jour. La leçon de la Description est ainsi très claire : c'est
la preuve, pour l'époque, et même avec toutes les chances d'une personna-
lité exceptionnelle comme celle de Hamdânî, de l'échec d'une géographie
humaine en milieu arabe pur.
1. Ce qui implique, compte tenu de ce qu'on vient de dire à ce propos, qu'il est dé-
pouillé des thèmes de l'adab, dont le caractère composite altérerait sa pureté ; on a vu
plus haut (p. 248, note 3) que tel était bien le cas.
2. Dès le i n » / i x e siècle, selon les plus anciens témoignages ou documents parvenus
jusqu'à nous. Aperçus sur cette littérature dans Kratchkovsky, p. 163-165 (167-169) ;
Cahen, < Mouvements populaires... », dans Arabica, VI, 1959, p. 250-251 (avec référence
(cf. K r a t c h k o v s k y , p. 165 [169] ; GAL, Suppl, t . I, p. 230), a u t e u r d ' u n livre sur les
fadâ'il de l ' É g y p t e , et I b n Zûlâq, m o r t en 387/997, a u t e u r , p o u r l ' E g y p t e encore,
d ' u n ouvrage à cheval sur le genre des fadâ'il et celui des bitat (cf. K r a t c h k o v s k y ,
ibid. ; GAL, ibid).). Les fadâ' il inspirent des poésies entières : cf. la Risâla fi mahâsin
Içfahân (Epttre sur les charmes d'Ispahan), d'al-Mufaddal b. Sa'ïd al-Mâfarrubî,
écrite, en vers pour sa plus grande p a r t i e , en 421 /1030 (cf. GAL, Suppl., t . I, p. 875).
1. Sur l ' o r t h o g r a p h e de ce n o m et la discussion relative à la d a t e de composition
de l'Abrégé, voir références au t a b l e a u des a u t e u r s .
2. P. 124, 130.
3. P. 3-157 de la t r a d . de Carra de V a u x , op. cit. Cf. p a r exemple l'accélération d u
f a n t a s t i q u e dans les récits de marins (p. 31-32, 38-39) et le cycle des îles f a n t a s t i q u e s
(p. 45-54, 67-74).
4. Cf. Carra de V a u x , op. cit., p. X X I I I - X X I V .
5. Cf. l'eulogie qui ouvre cette deuxième p a r t i e (p. 161) et d o n n e le ton à t o u t e c e t t e
histoire égyptienne ; sur les m o n u m e n t s , cf. i n d e x , s.v. « Memphis », « O c h m o u n », « P y r a m i -
des», etc. ; sur le Nil, passim et p. 343-350 (sur l'origine divine du fleuve).
6. T e x t e perdus, ou connus seulement p a r des citations éparses où le visage originel
des œ u v r e s se dégage mal, ou encore m a n u s c r i t s , ou encore mal ou partiellement édités,
les lacunes sont décidément immenses : cf. K r a t c h k o v s k y , loc. cit. et a n n o t a t i o n .
7. P. 239-241.
A n d r é MIQUEL. 20
1. Un exemple typique nous est donné par al-Hatïb al-Bagdâdï, trad. Salmon,
p. 132-133 : la seule évocation des rues de Bagdad — non pas celles du Bagdad monu-
mental qui fait le sujet de cette introduction topographique, mais les rues vivantes,
avec le peuple qui les hante — intervient à l'occasion d'un événement : la réception
d'un ambassadeur byzantin sous le règne d'al-Muqtadir.
2. Cf. trad. Salmon, p. 26-27.
voit le jour. 1 Terre d'Espagne, seule ou presque, et saisie dans sa vie quoti-
dienne, d'un bout de l'an à l'autre : on pressent que le traitement d'un
pareil thème s'identifie à une véritable étude de géographie humaine :
étude d'autant mieux conduite que l'auteur, visiblement éloigné des préoc-
cupations de l'adab et exempt de toute ambition littéraire ou sociale
s'efface, jusqu'à l'anonymat 3 , derrière son sujet, qui seul compte.
Bien des traits apparentent ainsi le Calendrier aux œuvres des masâlik
wa l-mamâlik, comme lui attentives aux réalités de la terre. J e sais bien que
cette attention opère, dans les masâlik, sur un plan beaucoup plus vaste
qu'elle ne le fait avec ce Calendrier presque exclusivement espagnol4 ; et
puis, les masâlik connaissent, toujours dans l'ordre strict de la géographie
humaine, d'autres préoccupations que l'art des champs, les fctes ou l'ob-
servation du temps. Mais, si les masâlik débordent ainsi largement le cadre
de l'almanach, il n'en reste pas moins que les thèmes de celui-ci s'intègrent
le plus naturellement du monde à la description de la terre dans les masâlik.
On respire, en certains de leurs passages, notamment chez Muqaddasï, une
fraîcheur puisée, comme celle du Calendrier, aux mêmes sources populaires,
à la même expérience, quotidienne et sensible, du terroir et du temps. 5 Si
les almanachs ou, de façon plus générale, les traditions populaires qu'ils
reflètent assurent ainsi une part non négligeable de ces données concrètes
qui font, on le verra, le prix des masâlik wa l-mamâlik, on peut à bon droit
se demander si ces influences s'exercent en vertu des tempéraments singu-
liers des auteurs 6 ou des conditions mêmes de la circulation de cette litté-
rature folklorique. Car la diffusion de ce genre de textes a pu être beaucoup
plus vaste et intense que nous ne serions tentés de le supposer. Il n'est pas
interdit de penser en effet que la rareté des échantillons parvenus jusqu'à
nous est en raison directe du peu de soin qu'on a manifesté pour conserver
une littérature à la fois aussi spécialisée, utilitaire et populaire, une litté-
rature, par conséquent, dont les soucis, les thèmes et le public s'éloignaient
à ce point des canons de l'art d'écrire. L'écran de la littérature consacrée
1. Sur ces influences et cette originalité, cf. Pellat, op. cit., p. 39 (et notes 4, 6), 41 i.f.
2. On comptera pour rien les toutes premières pages, de ton plus ample et plus r y t h m é ,
c o m m e il semble de règle pour une prélace, et les quelques allusions dont il est fait
é t a t infra, note 4.
3. Puisque l'ouvrage conjugue deux sources d'information, sans citer le nom du
compilateur : cf. Pellat, introd. au Calendrier, p. V I I I - X .
4. Très accessoirement tributaire de la tradition bédouine, dont il reproduit quelques
noms ou thèmes fondamentaux.
5. Cf. exemple pour Muqaddasï : trad., § 148, 2 1 2 , 2 3 2 . Au sens large, on rapportera
à cette inspiration les innombrables passages où les auteurs des masâlik donnent des
indications sur les fêtes, les coutumes, les productions et les pratiques agricoles.
6. E t n o t a m m e n t de leur connaissance plus complète de telle ou telle terre, par
exemple de leur pays natal : tel est le cas pour le Palestinien Muqaddasï, aux passages
cités à la note précédente.
par là ses sympathies. Par parenthèse, constatons que sa description du Magrib est
celle d'un connaisseur, ce qui en explique la valeur, à la fois pour les buts que pour-
suivaient les Umayyades d'Espagne et par ses qualités intrinsèques : d'où la large
utilisation qu'en a faite Bakrî.
1. Celui de l'œuvre de Warrâq, éparpillée dans l'ouvrage de Bakrï, nous demeure
inconnu. Pour Râzï, la description de l'Espagne s'ordonne de la façon suivante : géné-
ralités et eulogie (p. 59-63), Cordoue (p. 64-65), autres districts (p. 65-99), nouveau
retour à des généralités (montagnes et cours d'eau de l'Espagne : p. 100-104).
2. Le trait dominant est la conjonction de données traditionnelles avec l'expérience
vécue et personnelle. Relèvent des premières : l'étymologie des toponymes (Warrâq,
p. 63), l'histoire des villes (Warrâq, p. 140, 178 ; Râzï, p. 73, 76, 82 et passim), les abbâr
et traditions légendaires (Warrâq, p. 12-13, 23, 113, 126, 301 ; Râzï, p. 81-82, 84-86
et passim), les merveilles (Râzï, p. 73, 79, 81, 90 et passim). Relèvent de la part per-
sonnelle des auteurs : la localisation des lieux (Warrâq, p. 24, 30,231,272 ; Râzï, p. 65,66,
etc.), la description des villes (Warrâq, p. 12,25-26, 280 ; Râzï, p. 64 sq.), celle des cours
d'eau (Warrâq, p. 210 ; Râzï, p. 101-104), des montagnes (Warrâq, p. 304 ; Râzï, p. 66,
76, 100-101), des itinéraires (Warrâq, p. 206-209 [itinéraire marin de Tanger à Ceuta],
217, 280, 281, 289 ; Râzï, p. 68, 74, 75, etc.), des coutumes (Warrâq, p. 292), des pro-
ductions (Râzï, p. 62-63, 64, 66, etc.).
3. Le talent de l'observation directe, de la notation précise, va de pair avec une
incontestable aptitude à la remarque générale : on comparera, sur ce plan, la distinc-
tion des deux Espagnes, chez Râzï (p. 60-61), à celle des quatre zones de Palestine
chez Muqaddasî (trad., § 225-226).
4. Citons, pour Warrâq : p. 79 (Monastir), 108-109 (Tobna), 122 (Bizerte) ; pour
Râzï : p. 64-65 (Cordoue), 66 (Elvira), 97 (Algésiras), 74, 76 et passim (divers paysages :
vignes, vergers, verdure), 65, 76, 83 (moulins), 91 (pinèdes et eaux vives), et, plus si-
gnificatif encore, p. 76 : <... deux châteaux excellents, celui de Sen e t celui de Men,
qui se dressent sur deux pitons qui dominent la chaîne d'Aragon et entre lesquels
court le rio Flumen. »
d'Istaforî et d'Ibn Hawqal 1 , que, d'autre part, ils écrivent sous 'Abd ar-
Ratimàn III, soit pendant un règne où les échanges avec l'Orient, considéré,
sur bien des points encore, comme la source fondamentale de la culture,
sont particulièrement florissants 2 , on peut être tenté de conclure à une
influence des masâlik wa l-mamâlik sur la géographie occidentale. Une telle
interprétation, toutefois, ne tiendrait pas compte du décalage chronolo-
gique nécessaire pour le transfert en Espagne des ouvrages et des thèmes
orientaux. On s'expliquerait mal, par ailleurs, dans un contexte d'imitation,
qu'on ait renié, au profit de la description de la seule Espagne, ce qui est
un des traits les plus caractéristiques des masâlik, à savoir la peinture du
monde musulman en son ensemble, sans parler de quelques échappées vers
l'extérieur. La preuve en est, a contrario, que, lorsque les conditions tenant
à la chronologie seront remplies, les adaptations occidentales des masâlik,
bien que réservant leur meilleure part à l'Espagne et au Magrib, respec-
teront néanmoins le cadre général de la description du monde : mais ce qui
est ainsi valable pour Bakrî, mort en 487/1091, ou Idrïsï, mort en 560/1166,
ne l'est pas encore, semble-t-il, pour Râzï ou Warrâq. Mieux vaut penser
ici à l'élaboration, à partir, peut-être, d'éléments orientaux 3 , mais repensés,
en tout état de cause, dans un contexte local, d'un genre nouveau qui serait,
à une partie du monde islamique, ce que les masâlik wa l-mamâlik ont eu
l'ambition d'être à sa totalité. Les raisons de cette originalité seraient à
chercher, sans doute, dans les constantes de la production littéraire espa-
gnole, imitatrice, certes, mais non esclave de la tradition irakienne 4,
à condition, toutefois de préciser, pour la géographie, que cette indépen-
dance littéraire s'est renforcée au sentiment et aux nécessités de l'indépen-
dance politique : c'est cette dernière qui donne en définitive, par son inten-
sité ou par les thèmes qu'elle inspire, sa marque propre 0 à une production
peuvent répondre à ceux du Yémen, l'égalité du climat (p. 59) à celle du climat de
l'Irak ; d'autres fois enfin, la référence ou la comparaison sont explicites : p. 59 (compa-
raison avec la flore indienne), 66 (avec la Gûta de Damas), 70 (avec le Nil ; reprise im-
plicite p. 88), 84-86 (relations historiques entre Jérusalem et Merida), 91 (ambre espagnol
égal à l'ambre indien). Tout cela revient, on le voit, à doter l'Espagne, qui ne tient q u ' u n
rôle très effacé dans les thèmes de l'adab tel qu'il s'est élaboré en Orient, ni plus ni moins
que d'un adab à elle.
1. D'un certain point de vue en effet, tout se passe comme si la géographie espagnole
conjuguait l'esprit de la géographie topographique et historique (exaltation d'un patrio-
tisme local) avec les méthodes et le style des masâlik.
2. E t après lui, sous une forme plus condensée, ZamabSari (mort en 538/1144) :
cf. M. Reinaud, « Notice sur les dictionnaires géographiques arabes », dans J. As.,
5« série, X V I , août-septembre 1860, p. 65 sq.
3. Plus que d'un principe alphabétique, c'est de trois qu'il faudrait parler : celui
de l'alphabet rationalisé d'al-tjalîl, qui range les lettres selon les catégories des phonè-
mes qu'elles transcrivent, et celui de l'alphabet traditionnel, lui-même décomposable
en deux systèmes, selon que l'on prend pour base du classement la première ou la
dernière des trois consonnes qui composent la racine : cf. L. Kopf, « Djawharl », dans
El (2), t. II, p. 509 (avec bibliographie).
4. Reposant sur deux critères : distinction entre pays musulmans (p. 427-452) et
é t r a n g e r s (p. 452-462 ; Espagne intercalée, p. 453-456) et, surtout, célébrité des lieux :
exemples typiques avec l'Irak, où ne sont traitées que Bagdad, Sâmarrâ, Baçra, Kûfa et
Wasit, avec l'Aqûr (Mossoul), le Magrib (Tripoli, Cairouan, Tâhart), etc.
1. L'ouvrage d'Ishâq b. al-Husayn n'était certainement pas le seul en son genre :
Ibn Mardûya, mort en 352/963, aurait composé un Mu'§am al-buldân (cf. tableau des
auteurs). Quant à Ya'qûbï, je ne suis pas si sûr que le « dictionnaire géographique»
(Kitâb asmâ' al-buldân), auquel pense G. Wiet (Les pays, p. IX i.f. ; sur la foi de Yâqût :
UdabS', t. V, p. 153-154), ne soit pas tout simplement le Kitâb al-buldân de cet auteur,
dont il serait fort étrange que Yâqût ne l'eût pas cité, alors que Ya'qûbï constitue une de
ses sources essentielles en géographie (cf. Mu'jam al-buldân, t. I, p. 11, sous le nom
d'Afimad b. Wâdilj).
2. Et notamment de celles qui traitent de la péninsule arabique et représentent la
quatrième et dernière des relations possibles entre les différents types de donnés et de
classements : ici, contexte fondamentalement arabe, mais traité par la thématique :
points d'eau, montagnes, etc. Cf. les œuvres, indiquées au tableau des auteurs, de Muljam-
mad al-Kalbï, 'Arrâm b. al-Açbag, Abu 1-AS'at al-Kindi, Abu 'Ubayd as-Sakûnl et
al-fiundigàm.
3. Le classement alphabétique change ainsi de sens : de technique lexicographique,
11 devient moyen d'information et critère essentiel, par les fiches qu'il permet de cons-
tituer et de reproduire, de l'exhaustivité recherchée.
4. Cf. É. Lévi-Provençal, dans El, (2), t. I, p. 160 (2).
5. Il s'agit, à la vérité, de listes, à l'occasion commentées, des maîtres et des ensei-
gnements dispensés par eux : nous dirions une « programmatique ». Cf. C. Pellat, dans
El (2), t. II, p. 762.
6. Cf. EGA, 253, et, au tableau des auteurs : Dàraqufnl (306/918-385/995) et al-
Uatlb al-Bagdâdï, déjà cité.
1. Quatre auteurs paraissent bien connus, encore qu'Ishâq ne cite jamais ses sources
(cf. éd. A. Codazzi, p. 375) : l'astronome Uuwârizmï, Ya'qûbî, Ibn Uurdâdbeh et
Ibn Rusteh (cf. éd. Codazzi, p. 377-378). Une information originale (pour mieux dire,
empruntée à des auteurs par ailleurs inconnus) se fait jour par exemple dans certains
détails de la description de Rome (p. 458) ou du pays des Noirs (452).
2. La principale étant l'indication des latitudes et longitudes, qualifiée de « grande
science < (p. 428) et systématiquement pratiquée. Viennent ensuite : les productions
(exemples p. 433, 435, 446), les lieux de culte (p. 430, 438, 439, 448-449), l'histoire
(p. 432, 433, 438, 439, 440, 442), l'impôt foncier (p. 440, 441, 442) ; en tous ces passages,
en tous ces thèmes désormais assimilés par l'adab, rien qui fasse penser à autre chose
qu'à la compilation, rien qui rappelle le souvenir d'une observation vécue et person-
nelle.
3. Cf. éd. Codazzi, p. 380 ; cela expliquerait l'absence, signalée à la note précédente,
d'information personnelle pour la quasi-totalité de l'ouvrage.
4. Même si la mode du répertoire, comme on l'a dit, est dans l'air, l'application de
cette idée à la géographie, afin d'en classer les données essentielles, est du moins une
nouveauté. C'est un trait, parmi d'autres, de l'originalité d'Ishâq, qui, pour être,
fondamentalement, un homme de lectures et d'érudition, n'en est pas moins un esprit
curieux, original justement dans ses lectures (cf. supra, note 1) et sérieux : cf. par
exemple, pour la description de Rome déjà signalée, une évocation, concise mais exacte,
du rôle du vin dans le sacrifice de la messe (p. 458, 1. 8-9, texte p. 416, 1. 1).
5. Ibn Hurdàdbeh, qui est une des sources d'Ishâq, n'appartient pas, malgré le
titre de son œuvre géographique, au genre des masâlik wa l-mamâlik : cf. la distinction
établie à ce propos au début du chapitre suivant.
6. Ishâq b. al-Husayn compose, selon toute vraisemblance, vers le milieu du iv«/x">
siècle (cf. A. Codazzi, op. cit., p. 380, et Kratchkovsky, p. 233 [229], qui fait le point de
la question), ce qui exclut toute influence d ' I b n Hawqal, qui compose après 340/951,
et de Muqaddasï, qui compose au plus t ô t en 375/985.
1. Sur Marwazï, dont le cas est mal connu, et Sarabsï, cf. chap. III, p. 78, note 2.
Le même titre de masâlik wa l-mamâlik a pu être utilisé aussi par Hamdânî (cf. chap.
VII, p. 247, note 6 : orientation vers la sûrat al-ard 1) et par Râzï (cf. tableau des auteurs).
2. A noter que l'ouvrage de Muqaddasï, dont il sera question plus loin, semble par-
fois connu sous le titre de Kitâb al-masâfât wa l-wilâyât (Livre des distances et des
gouvernements), qui est un démarquage du titre plus classique : cf. Muqaddasï, trad.,
p. X X V I I .
3. Au moins pour la version définitive : cf. trad., p. X I I I ; autre titre (ibid., p. X V I ) :
Kitâb al-buldân (Les pays).
1. Leur véritable survivance sera à chercher dans la permanence d'un souci d'obser-
vation concrète et personnelle ('iyân) dont, après eux, la relation de voyage (rihla)
prend la relève. Quant au genre lui-même, il ne se survit que sous la forme d'une « re-
lance » occidentale : Bakrî et Idrïsï ne font guère que compléter les données des masâlik
pour l'Espagne et le Magrib, se contentant, pour l'Orient, de compiler leurs prédéces-
seurs (cf. EGA, p. 184-185, 191). U n indice du caractère archaïsant que le genre revêt
après l'an mil : le retour d'Idrîsï à la vieille division en « climats» de la sûra. Pour ce
qui touche à la chronologie, indiquons qu'en vertu des critères énoncés au tableau des
auteurs, on ne retient, dans la présente étude, ni Bakrî (vers 411/1020-487/1094), lequel
achève son Kitâb al-mamdlik wa l-masâlik en 460/1068, ni son maître 'Udrî, spécia-
liste des 'ajjâ'ib (merveilles), qui vit de 393/1003 à 478/1085 et dont l'âge mûr se
situe par conséquent, comme celui de Bakrî, plutôt dans la deuxième moitié du v e / x i »
siècle. Sur ces deux auteurs, cf. É. Lévi-Provençal, dans El (2), t . I, p. 160-161 ; du
même, La péninsule ibérique, op. cit., p. X X I I I - X X I V ; Kratchkovsky, p. 273 sq.
(273 sq) ; 'Udrî, éd. 'A. 'A. al-Ahwânï, Madrid, 1965, p. bâ' et passim.
A n d r é MIQUEL. 21
m e n t p a s . M a i s q u ' e n e s t - i l d e la r é a l i t é v i v a n t e d e c e t E m p i r e , à s a v o i r ,
e n c o r e u n e f o i s , d e s o n c o m m e r c e , d e s e s a c t i v i t é s , d e sa c u l t u r e ? A serrer
l e s c h o s e s d e p r è s , o n s ' a p e r ç o i t q u ' a u f o n d , le t a b l e a u d e l ' E m p i r e q u i n o u s
e s t d o n n é p a r l e s a u t e u r s d e s masâlik, s'il e s t i n c o n t e s t a b l e m e n t pris, d a n s
l e s d é t a i l s , à l a r é a l i t é d e l e u r siècle, e s t t r a i t é n é a n m o i n s , l o r s q u ' o n l e j u g e
s u r l ' e n s e m b l e , d a n s u n e s p r i t q u i e û t é t é à sa p l a c e q u e l q u e c e n t a n s
a u p a r a v a n t . 1 J e v e u x dire p a r là q u e le m o n d e m u s u l m a n p r é s e n t é p a r l e s
masâlik e s t e n c o r e celui de l'apogée a b b a s s i d e saisie d a n s t o u t e la v i t a l i t é
d e s o n c o m m e r c e e t d e sa c u l t u r e . 2 II n e s ' a g i t p a s là, a u v r a i , d ' u n e q u e l -
c o n q u e cécité, que viendraient i m m é d i a t e m e n t contredire et l'observation
d u détail, q u e l'on é v o q u a i t à l'instant, et, de f a ç o n plus générale, ce t é -
m o i g n a g e d i r e c t (' iyân) q u i e s t u n d e s t r a i t s e s s e n t i e l s d e s masâlik : de fait,
Ibn H a w q a l et Muqaddasï n o t e n t bien t o u t ce que nous savons, nous, a v e c
le r e c u l d e l ' h i s t o i r e , ê t r e , d è s l e u r é p o q u e , les s i g n e s d e m o r t d e c e t t e g r a n d e
mamlaka : un e s s o u f f l e m e n t du r y t h m e urbain, du m o i n s e n Orient, indice
de graves difficultés économiques et sociales3, l'expansion turque4, le
5
r é v e i l de l ' O c c i d e n t , l ' a m o r c e d ' u n f r a c t i o n n e m e n t é c o n o m i q u e d u m o n d e
1. Y a ' q u b î é t a n t une fois de plus mis à p a r t , on délimite ainsi deux époques : 820-880
et 920-980 de J.-C.
2. On ne reviendra pas sur le rayonnement intellectuel, en langue arabe, d u règne
d ' a l - M a ' m û n (813-833 de J.-C.). Pour l'activité économique des trois derniers q u a r t s
d u i x e siècle, il suffit de penser au Kitâb at-tabassur bi t-titjâra, d u pseudo-Gâlii?,
étudié à la fin d u chap. I I I .
3. Essoufflement causé par les désordres, sans doute, mais ceux-ci sont eux-mêmes,
p o u r une large p a r t , explicables p a r les crises nées du brusque enrichissement du m o n d e
m u s u l m a n , puis de son appauvrissement progressif en or, drainé p a r le commerce
lointain. Cet essoufflement touche surtout les grandes métropoles irakiennes, m o t e u r s
du commerce et de l'activité économique : cf. p a r exemple p o u r Bagdad, I b n H a w q a l ,
p. 241-242, et Muqaddasï, éd. de Goeje, p. 120, et, pour Baçra, ibid., p. 118. Ce déclin
c o m p r o m e t t r a , à long terme, l'activité d u grand commerce et la richesse des villes
marchandes, encore en pleine vitalité au x " siècle, p a r exemple les centres de Transo-
xiane : S a m a r q a n d et B u b â r â (cf. Ibn Hawqal,¡p. 472-473,492-493 ; à noter, p. 482 i.f.,
487 i.f., l'insistance avec laquelle l'auteur revient sur le f a i t que le périmètre de B u b â r â
n'enferme aucun espace en friche ou en ruines : s u j e t d ' é t o n n e m e n t admiratif q u i en dit
long, par sous-entendu, sur la fréquence, dans les villes de cette fin du x.e siècle, de
quartiers sans vie). L'Ouest est, dans l'ensemble, mieux partagé, soit pour les villes
commerçantes (Sigilmâsa : cf. Ibn Hawqal, p. 99), soit pour les centres m o t e u r s de
l'économie : je pense a u x métropoles (Alexandrie et Le Caire) de l ' Ë g y p t e fâtimide,
relancées p a r le nouveau califat, qui d é t o u r n e n t à leur profit, p a r la mer Rouge, une
p a r t i e du trafic de l'océan Indien jadis assurée p a r le golfe Persique, e t qui se t r o u v e n t
à u n e croisée essentielle de routes maritimes e t terrestres à l'échelle mondiale : cf. M.
Canard, dans El (2), t . II, p. 880.
4. Cf. I b n H a w q a l , p. 467-468.
5. Militaire, avec les entreprises de Nicéphore Phocas en Syrie du nord (aveu p a r
Muqaddasï, trad., § 123 ; autres preuves des initiatives byzantines chez Ibn H a w q a l ,
p. 203-205), commercial, avec l'essor des ports italiens, Venise et Amalfi s u r t o u t :
c f . H e y d , op. cit., t . I, p. 99,104-106, cité p a r M. Canard, op. cit. ; industrie et commerce
napolitains et amalfitains évoqués par I b n Hawqal, p. 202-203.
1. On s'en tiendra à un point chaud de cette rivalité : la lutte pour l'or du Soudan,
donc pour la possession de Siéilmâsa (cf. G. S. Colin, dans El, t. IV, p. 419-421), qui
en est un des principaux débouchés au nord : en 347/958-959, la ville est prise par
ûawhar, pour le compte des Fâtimides; en 366/976-977, elle passe, pour un temps,
sous la suzeraineté des Umayyades d'Espagne ; enfin, Ibn Hawqal, qui s'y trouve en
340/951 et achève de réviser son livre en 378/988, signale la présence, dans la ville, de
marchands de Baçra, de Kûfa et de Bagdad, dont on peut penser qu'ils étaient là pour
leurs intérêts sans doute, mais aussi pour rappeler les droits du calife abbasside : cf.
Ibn Hawqal, p. 61 i.f.
2. Particulièrement dans les territoires soumis à l'autorité sâmânide.
3. Surtout chez les Sâmânides du Hurâsân, maîtres des routes de l'Asie centrale,
chez les Fâtimides et chez les Umayyades de Cordoue.
4. Cf. Griinebaum, op. cit., p. 263-265. La tradition se résigne, devant les divisions
de la communauté musulmane, en les déclarant au moins conformes aux prédictions du
Prophète : cf. références dans A.J. Wensinck, A handbook of early Muhammadan tra-
ditions, Leyde, 1960, p. 47.
5. Une phrase comme celle de Muqaddasï à propos de Bagdad (éd. de Goeje, p. 120) :
«Je crains qu'elle ne soit un jour une nouvelle Sâmarrâ» (entendez : un champ de
ruines), fait figure d'exception. On ne peut tenir en effet pour des considérations véri-
tables de simples v œ u x pieux : ceux, par exemple, qu'Ibn Hawqal formule pour une
extension du pouvoir fâtimide en Afrique du Nord (p. 79), v œ u x qui seront du reste
démentis par la réalité.
1. Maître des routes de l'Asie centrale (cf. les références données supra, p. 272, note 3),
et politiquement assez fort pour que les ûaznévides, qui le supplanteront à l'extrême
fin du siècle, respectent encore sa suzeraineté.
2. La première sous les califats d'al-Mu'izz et al-'Azïz (358/969-386/996), la seconde
sous les califes 'Abd ar-Rahmân III et al-Hakam II et sous le « maire du palais » Ibn
Abï 'Âmir al-Mançur (300/912-392/1002).
3. Cf. les deux versions du Ahsan at-taqâslm, trad., p. X X V - X X V I I I et § 23.
4. Cf. supra, p. 273, note 1. La question des sympathies fàtimides d'Ibn Hawqal
sera reprise plus bas, à propos de cet auteur. On rapprochera ces préoccupations de la
politique inverse, umayyade celle-là, qui s'incarne en Râzl et Warrâq (cf. chap. VII).
5. Chap. III, passim.
1. Cf. Istatjrt, p. 15,1. 6-7 ; Ibn Hawqal, trad., p. 3 i.f., et surtout Muqaddasï, trad.,
§ 10 sq.
2. E t peut-être la seule, avec le grand dictionnaire à la Yâqut et l'encyclopédie
géographique à la manière d'un Qazwînï ou d'un Abu 1-Fidà'.
3. Cf. supra, p. 139 sq. ; sur la littérature populaire, cf. p y exemple les références
données supra, p. 258, note 5.
aurons ainsi fait table rase de tout ce qui peut, sur ce point encore, avoir
été légué ou suggéré aux auteurs des masâlik, l'essentiel tout de même
restera debout, à savoir la systématisation de l'enregistrement de la chose
vue, si fiévreusement mené \ si constant qu'il laisse loin derrière toutes les
ébauches antérieures : par rapport à la Relation ou au récit d ' I b n F a d l â n ,
la page nouvelle qui s'ouvre avec les masâlik a pour titre le voyage chez
soi, entamé dès les portes et même à l'intérieur des murs de la ville natale,
substitué au voyage à l'étranger, et qui revient donc à poser, soit que le
monde de l'Islam est encore à découvrir, soit que, si on l'estime déjà
connu, ce connu, sous la forme du quotidien, de l'habituel et du sédentaire,
n'est pas moins digne de l'enregistrement écrit que le merveilleux Çagîb)
demandé à l'étranger. 2 Par rapport, maintenant, à la deuxième Risâla
d'Abû Dulaf Mis'ar, qui pratique une méthode d'investigation convenable,
mais à l'échelon limité de quelques provinces, l'esprit des masâlik, c'est
précisément l'incapacité à se satisfaire d'un échelon aussi modeste : noter,
oui, et noter chez soi, mais alors noter tout ce qui constitue ce chez-soi.
C'est donc cette observation directe, ce 'iyân, déjà pratiqué au moment où
s'élaborent les masâlik, mais amplifié par eux de toute la distance qui sépare
à la fois la province de l'ensemble qui l'englobe et l'essai ou la monogra-
phie de l'œuvre totale, systématisé, par conséquent, en méthode fonda-
mentale d'investigation et agrandi aux dimensions d'un empire, c'est donc
ce 'iyân qui va définir la nouvelle géographie des masâlik, et cela si sûre-
ment qu'on peut écrire le phénomène en quelques équations fonda-
mentales : géographie administrative + 'iyân = Ya'qûbi, sûrat al-ard +
'iyân = Istahrï, ou encore, sous la forme d'une condition nécessaire sinon
suffisante, masâlik = 'iyân. Tous les auteurs le diront en propres termes :
pour être géographe, il faut, d'abord, prendre le bâton du voyageur. 3
1. On a dit déjà (supra, p. 144) que ce désir de tout noter était peut-être à l'origine
de ces coq-à-l'âne qui caractérisent tant de passages des masâlik : on reviendra plus
loin, à propos du style, sur cette manière d'écrire.
2. Où l'on voit, une fois de plus, se dessiner la conviction que la peinture du monde
entier s'assimile, d'abord, à celle du monde que l'on habite. Sur les rapports, déjà évoqués,
du v o y a g e à l'étranger et du voyage chez soi, cf. supra, p. 115, 131-132.
:î. Cf. Ya'qubl, trad., p. 1-2 ; Ibn Hawqal, trad., p. 2-3, 321-322 ; Muqaddasï, trad.,
§ 5-7, 82-87.
Mais ces thèmes restaient occasionnels et ce qui nous était jeté là, au pas-
sage, c'étaient des bribes d'une présence humaine inconsciente d'elle-même.
Les masâlik, au contraire et une fois de plus, systématisent ces notations,
qui du reste vont de soi : car, dès l'instant qu'ils font de l'observation
directe ('iyâri) le pivot de leur méthode, ils se trouvent tout naturellement
donner l'essentiel de leur attention aux faits mêmes que le 'iyân trouve
toujours au centre de ses investigations, à savoir les faits humains.
E t d'abord, on donne à cette observation un cadre approprié : sensibles
aux leçons de l'histoire comme aux particularités des contrées, les masâlik
abandonnent le vieux classement grec en « climats ». 1 S'ils conservent le
terme d'iqlïm, ils lui donnent, à lui aussi, un sens nouveau : celui d'entité
provinciale, facilement isolable par ses limites naturelles, sa configuration
physique et ses traditions. Peut-être, du reste, l'innovation des masâlik
est-elle ici moins nette qu'en d'autres domaines, puisqu'ils ne font pas autre
chose que développer la leçon de Balhî : une leçon, on l'a v u i n s p i r é e
de l'Iran et non de la Grèce, géopolitique beaucoup plus que mathématique,
mais réadaptée, en tous les cas, au cadre de la géographie nouvelle : car, si
la répartition en « provinces » s'inscrit dans la tradition des keswar-s, le
nombre de ces divisions territoriales passe, avec Balhî, de sept à vingt 3 et,
surtout, c'est à l'intérieur même de l'Islam qu'on applique le principe d'un
classement géopolitique jusque là réservé à la présentation du monde en-
tier. Mais une fois rendu à la sûra, en la personne de Balhî, ce qui
lui revient 4 , reste encore à décider si les masâlik n'ont fait que recevoir cet
héritage, que se contenter de le transmettre à leur tour d'un auteur à
l'autre, sans souci de l'améliorer. Or, il n'en est rien : d'Istahrï à Ibn Haw-
qal et à Muqaddasï, on assiste à une interrogation de plus en plus exigeante
1. E t ce dès Ya'qûbï ; c'est Istabrï (p. 15) et., après lui, Ibn H a w q a l (p. 2 i.f.) qui
proclament le plus n e t t e m e n t cet abandon. Les climats ne subsistent plus, au m i e u x ,
que c o m m e introduction générale à l'ouvrage : cf. Muqaddasï, trad., § 95 sq.
2. Supra, p. 81-83.
3. Si l'on s'en rapporte au plan d'Istabrï, on t r o u v e 16 p r o v i n c e s : Arabie, Magrib,
E g y p t e , Syrie, Haute-Mésopotamie, Irak, t j û z i s t â n , Fàrs, Kirmân, Sind, ensemble Ar-
ménie-ar-Rân-Àdarbaygân (groupés en fonction du principe énoncé par Istabrï, p. 107),
Gibàl, D a y l e m , Sigistan, tjurâsân, ensemble Transoxiane-tJuwârizm (ibid., p. 166,1. 7) :
à quoi il faut ajouter les quatre ensembles que constituent la mer du Fàrs, la mer d u
R u m , la mer des Uazars et le désert entre Fârs et tjurâsân : chiffre total de 20 q u e
c o n f í r m e l a distribution des cartes, lesquelles s u i v e n t ces rubriques (la 21 e étant consacrée
à la mappemonde). Ibn H a w q a l reprend la m ê m e disposition d'ensemble. Muqaddasï
a d o p t e u n classement en 14 provinces : 6 arabes : Arabie, Irak, H a u t e - M é s o p o t a m i e ,
Syrie, É g y p t e , Magrib ; 8 n o n arabes : MaSriq (possessions sâmânides), D a y l e m , R i h â b
( c'est-à-dire À d a r b a y g â n , ar-Rân et Arménie), Gibâl, H u z i s t â n , Fârs, Kirmân et
Sind. Sur les rapports entre ces divisions et l'atlas de Balbï, cf. J . H. Kramers, « L a
q u e s t i o n Balbï-Içtabrï », dans Acta Orientatia, op. cit.
4. Sans parler de la révolution correspondante en cartographie : cf. Kramers, op.
cit., et S. Maqbul A h m a d , op. cit., dans El (2), t . II, p. 596.
de la carte, à un souci de plus en plus net de préciser les contours des divi-
sions territoriales retenues, d'isoler au plus près, et qu'elles cadrent ou non
avec les limites du classement théorique, les provinces réelles. D'où, chez
un Ibn Hawqal, une remise en question, entre tant d'autres, du concept
de Magrib, l'Espagne et la Sicile y occupant une position à part dont la
singularité est soulignée \ d'où, chez MuqaddasI, des discussions infinies
pour fixer les noms et les limites des provinces 3 , mais, plus encore, la
recherche d'une adéquation aussi rigoureuse que possible entre les divisions
territoriales et le champ d'extension des différents pouvoirs politiques. 3
C'est dans le cadre de cette province, définie à la fois par sa configuration
et son histoire, que les masâlik wa l-mamâlik vont étudier la condition, les
traditions et les activités des hommes : en rapportant ainsi aux lieux dans
lesquels ils se déroulent la manifestation des phénomènes humains, les
masâlik se conforment, on le voit, aux vieilles théories gàhiziennes
héritées de la Grèce 4, théories une fois encore confrontées à l'épreuve des
1. Cela semble aller de soi pour Ya'qubï, grand fontionnaire et donc représentant
parfait, comme Ibn Hurdâdbeh, de ce technicien au savoir encyclopédique qu'on a
étudié au chapitre III. Ibn Hawqal, outre sa culture géographique (cf. trad., index,
s.v. «Djaihani», «Qudâma», « Istakhri», «Ibn Khurdadhbeh »)> cite Ibn Durayd,
Kindî, Gâhi?, Ibn Qutayba (s.v. « Muhammad Abd-AUah »), Dïnawarî (s.v. « Abu
Hanifa »), etc. Pour Muqaddasï, il suffira de signaler et ses prétentions à la poésie et sa
forte culture juridique.
2. Appréciation flatteuse chez Ibn Hawqal (trad., p. 363). La critique de Muqaddasï,
dont on a fait état plus haut (p. 58, 59) et selon laquelle Gâhi? a écrit un opuscule
géographique par trop avare de renseignements précis, montre bien que, si Muqaddasï
est empêché, par une certaine idée reçue à propos de Gâhi?, de saisir le sens profond
de l'ensemble de la construction gàhi?ienne et la véritable personnalité de cet auteur,
une fois de plus t a x é ainsi de désinvolture, il sent d'instinct que l'esprit du Livre des
métropoles n'est pas à condamner, mais seulement ses dimensions : comparer cette
attitude avec celle que Muqaddasï adopte (trad., § 11-13 bis) vis-à-vis d'Ibn al-Faqïh,
de Balbï et même de ô a y h â n ï , attaqués sur l'esprit même dans lequel ils envisagent la
connaissance.
3. Cf. supra, p. 238-239.
1. Même réflexion pour les autres géographes enregistrés par le Fihrist, lesquels
sont des polygraphes, donc inscrits à plusieurs titres (à noter du reste, pour Qudâma,
que le Kitâb al-barâg ne se présente pas comme un livre de géographie). On concédera
que nous manquons singulièrement de preuves pour apprécier le degré d'estime dans
lequel une conscience de lettré arabo-musulman du i v e / x e siècle tenait la géographie
par rapport aux autres disciplines. Trancher hardiment du problème friserait le viol de
conscience. J e me borne à constater qu'aucun des auteurs cités par le Fihrist n'est
consigné au seul titre d'une œuvre géographique, et je m'interroge toujours sur l'étrange
absence de Ya'qûbï, comme si ce pionnier des mas&lik, né trop tôt, avait porté jusqu'en
son histoire le péché d'être un géographe de tempérament, comme il le dit lui-même,
à peu de choses près, dans la préface des Pays.
2. Les conseils de Qudâma en cette matière sont strictement inspirés, comme on
l'a dit au chap. III, de son souci très précis de formation du fonctionnaire : écrire
clairement et pertinemment, beaucoup plus que bien écrire, telle pourrait être la devise
de Qudâma lui-même, chez qui le style, loin d'être cultivé pour lui-même, est toujours
asservi à l'expression d'une pensée.
3. L'ambition littéraire est affirmée p. 8 de l'éd. de Goeje (trad., § 20) ; exemple de
style noble p. 113. Sur l'alternance du sérieux et du plaisant, cf. § 13 bis : « H m'arrive
de composer de ci de là en prose rimée pour que le lecteur ordinaire y trouve une dé-
tente ».
4. On reviendra sur ces procédés un peu plus loin, lors de l'étude du style des auteurs.
5. Trad., § 13, 13 bis.
sion nécessaire. 1 Or, sur ce dernier point, il prouve un sens très exact des
impératifs auxquels le goût de son époque plie tout candidat à ladite
consécration. Il sait très bien que l'adab, prodigieusement ouvert et
capable d'assimiler tous les thèmes a pourvu qu'ils lui soient présentés dans
les formes, est opposé, non pas, dans le principe, à la constitution en disci-
pline autonome et de plein droit, sous la forme des masâlik, des divers
thèmes géographiques jusque là éparpillés dans des œuvres tenues pour
mineures, mais bien au traitement de ces thèmes dans un esprit non
«orthodoxe». D'où l'indispensable référence aux aînés. E t comme un
examen impartial de leurs œuvres fait assez voir que ces aînés n'ont pas
trouvé l'équation idéale entre les nécessités de l'information savante et
celles de l'expression 3 , c'est convenir qu'il reste, sur ce point essentiel
de la communication avec le public, à innover, et donc que le genre n'a,
dans la réalité, aucune tradition derrière lui.
Concluons, sans trancher pour l'instant du problème de leur réussite en
ce domaine 4 , que l'originalité des auteurs des masâlik fut au moins de
saisir toute l'importance des questions d'expression. Soucieux d'adapter
leur production aux goûts du public de leur temps, ils rompent avec la
géographie des cénacles de techniciens ou de savants et, tout en se définis-
sant eux-mêmes comme savants, entendent que leur œuvre, après celle
d'Ibn al-Faqïh, se modèle suffisamment aux normes du système pour béné-
ficier de ce réseau de diffusion que mettent à sa disposition les milieux litté-
raires de Vadab. La géographie des masâlik peut maintenant se définir
par tous ses traits fondamentaux : c'est une géographie réfléchie, en ce
sens qu'elle est consciente d'elle-même et de son sujet, qui est l'Islam;
une géographie humaine totale, parce qu'elle traite de tout ce qu'elle
estime intéresser l'étude de l'homme sur son sol ; une géographie concrète,
vécue dans l'aventure et rapportant en définitive la majeure part de ses
données à l'observation directe ; et enfin, comme elle ne sépare pas l'enre-
gistrement de ces données de la possibilité de les transmettre, une géogra-
phie rédigée.
1. La volonté de faire œuvre accessible et utile est constante dans l'ouvrage : cf.
trad., § 2, 5, 13 bis i.f., 20, etc.
2. Cf. supra, p. 100, 161, 164, 171 et passim.
3. Ibn al-Faqïh péchant par excès littéraire et Gayhânl par excès de méticulosité
scientifique : trad., § 11, 13 bis.
4. Cf. infra, étude sur le style.
d'autres — d'un personnage qui, sans elle, ne disparaîtrait pas pour autant :
le fonctionnaire. Qualité sans doute immense et révolutionnaire, puisque,
en créant le type du fonctionnaire voyageur à côté de celui, plus classique,
du fonctionnaire sédentaire, en remplaçant une littérature théorique par la
science concrète des pays \ elle bouleverse et rajeunit la géographie tra-
ditionnelle. 2 Mais il reste que le voyage de Ya'qûbï, par les préoccupations
qu'il révèle et, tout autant, par ce qu'il ne révèle pas, se situe encore assez
loin de la méthode des masâlik.
E t d'abord, l'organisation même du propos de Ya'qubï apparaît terri-
blement imparfaite, rapportée aux raffinements d'un Muqaddasï. C'est
qu'elle hésite encore à franchir le pas décisif : Ya'qûbï pressent l'importance,
pour une saine géographie, de la délimitation de grands ensembles à la fois
naturels, économiques et politiques 8, mais ce pressentiment, duquel naîtra
la méthode d'investigation d'un Ibn Hawqal ou d'un Muqaddasï, n'arrive
pas à la formulation définitive, entravé qu'il est par un respect excessif
de la tradition mésopotamienne 4 , qui distribue le monde en quatre quar-
tiers autour du foyer Bagdad-Sâmarrâ B, nombril du monde : tradition
centrifuge, au vrai sens du terme, puisqu'elle fait éclater, autour des capi-
tales irakiennes, les pays et les provinces. Heureuses les contrées lointaines,
qui doivent à cette enviable position de relever entièrement d'un seul
et même quartier ! Mais que dire de l'Arabie, coupée en deux pour les
besoins de cette distribution 6, et, plus encore, de l'Irak écartelé ? 7 E t si
l'on trouve que, décidément, l'irréparable n'est pas commis, puisque les
dégâts se limitent aux régions centrales, qu'on se reporte aux effets de ce
découpage sur la mappemonde : une zone méridionale étique, réduite
au quart de l'Irak et à la moitié de l'Arabie, écrasée par le poids des trois
autres secteurs, les pays voisins séparés par le trait tiré arbitrairement
sur la carte 8 , une confusion inévitable qui finit par s'instaurer entre des
divisions aussi conventionnelles l'absence, enfin, sur cette rose des vents
qui l'éparpillé aux quatre points cardinaux 3 , de l'Islam conçu comme en-
semble, tel qu'il le sera par les masâlik, autant d'imperfections qu'on peut
chaque fois rapporter au schématisme excessif d'un même a priori
méthodologique.
En cela, donc, Ya'qûbï montre qu'il reste tributaire d'une culture
trop théorique. Fonctionnaire voyageur, il n'arrive pourtant pas à remettre
en cause jusqu'au bout, par la réflexion personnelle née du spectacle
du monde, la formation stéréotypée qu'il a reçue à l'égal de ses collègues
restés sédentaires. Ainsi promène-t-il un peu partout l'œil du pré-
f e t 3 , notant systématiquement le montant de l'impôt foncier (harâg)
et dessinant avec soin les contours de la carte politique. Il n'est pas
jusqu'au détail de la description des provinces qui ne démontre qu'elles
sont vues sous l'angle administratif, puisqu'on juge essentiellement, par
les détails qu'on enregistre et qu'on note, de leur aptitude à satisfaire
et les appétits de la fiscalité et les exigences de l'ordre public. * Une telle
analyse pourrait par exemple être appliquée aux détails ethnographiques
et surtout économiques de la description de l'Égypte, pays que Ya'qûbï,
avant que d'aller y voir lui-même, se trouvait connaître parfaitement
bien, et dans cette optique, par tradition familiale. 1 Mais même en dehors
de cas aussi privilégiés, on sent partout courir, derrière les notations de
Ya'qubï, une conception véritablement préfectorale, comme nous le
disions, de la vie de chaque province : en effet, l'administration, en la
personne de Ya'qubï, laisse percer sa recherche inquiète de ce point idéal
et fragile d'équilibre entre les deux cauchemars du pouvoir central :
la crise économique, source de désordres, et la trop grande aisance, qui
incite à secouer le joug et à se faire son propre maître. 2
Autre signe distinctif de l'œuvre de Ya'qubï par rapport aux masâlik ;
le rôle de l'histoire, qui, non contente de constituer par ailleurs, sous la
plume du même Ya'qubï, un livre entièrement à elle s , se taille aussi
une place de choix dans le Kitâb al-buldân, notamment à travers la géo-
graphie politique 4 ou la topographie des hitat. ' L'originalité de Ya'qubï
vient, ici encore, de ce qu'il occupe une position intermédiaire entre la
géographie administrative et les masâlik. Pour un homme engagé à plein
dans la formation du kâtib, comme Qudâma, il n'y avait, on l'a vu «,
de description et d'histoire de la terre que globales ; pour un Muqaddasï
au contraire, le seul passé concevable est celui de tel ou tel milieu humain
déterminé, dont il est une composante spécifique : ici, il n'existe pas
d'histoire en général, mais seulement des histoires particulières aux divers
pays, chacune faisant corps avec le sien, dans la réalité des choses comme
dans la description que l'on en donne. Ya'qubï, quant à lui, intègre bien,
comme un véritable auteur de masâlik, l'évocation des principaux points
de l'histoire locale à la description des régions mais, parfois incapable
de tenir rigoureusement la méthode et donnant à l'histoire un poids
excessif, il rompt en sa faveur l'équilibre de l'ouvrage et restitue au passé
1
d o n t nous ignorons tout, sauf qu'il fut voyageur e t , il f a u t y i n s i s t e r ,
p e r s a n : o r i g i n a i r e , si l ' o n e n c r o i t s o n n o m , d e P e r s é p o l i s ( I s t a h r ) , il a
p u c o m p o s e r d a n s sa l a n g u e m a t e r n e l l e la première v e r s i o n de s o n œ u v r e 2 ;
e n t o u t c a s , il n e c a c h e g u è r e s o n a t t a c h e m e n t à l ' h i s t o i r e e t a u x t r a d i t i o n s
i r a n i e n n e s 3 , a t t a c h e m e n t q u i v a d e p a i r a v e c u n i n t é r ê t t r è s n e t p o u r le
ài'isme.4
L e p r e m i e r , I s t a h r ï e n g a g e la sûrat al-ard à la m o d e d e B a l h ï s u r d e s
voies résolument nouvelles : s a i s i s s a n t t o u t e la p o r t é e d u changement
o p é r é p a r c e g é o g r a p h e d a n s la c o n c e p t i o n d e Viqlïm, il r é p u d i e , comme
son prédécesseur, la d i v i s i o n g r e c q u e e n s e p t c l i m a t s l o n g i t u d i n a u x au
profit de vingt entités territoriales, mais, différence essentielle, libère
c e l l e s - c i d e l ' e x c l u s i v i t é d e la t u t e l l e p o l i t i q u e o ù l e s t e n a i t s a n s doute
5
B a l h ï , sur ce p o i n t héritier, o n l'a dit, d ' u n e t r a d i t i o n iranienne. Inau-
gurant une méthode que Muqaddasï p o r t e r a à s a p e r f e c t i o n , il définit
s a n s d o u t e Viqlïm (province) c o m m e le p a y s ressortissant à un même
pouvoir, dynastique ou préfectoral6, mais en m ê m e t e m p s souligne bien,
l e c a s é c h é a n t , l e s é c a r t s q u i p e u v e n t s é p a r e r , ici o u là, l e s frontières
7
politiques et les limites naturelles. En d'autres termes, il i m p o s e , à
à l ' a u t e u r lui-même, non à l'histoire, qui n ' a pas retenu, alors qu'elle le faisait pour un
h o m m e c o m m e Y a ' q û b î , le nom de ces personnages, t r o p modestes dans le cas présent :
cf. Muqaddasï, t r a d . , p. X V .
1. T r o p rares sont les n o t a t i o n s précises c o n c e r n a n t ces voyages (cf., pour l'Arabie,
p. 24, 25, p o u r le D a y l e m , p. 123, pour la Transoxiane, p. 178) ; c o m p t e t e n u , toutefois,
de l'origine d ' I ç t a i j r î et des détails de ses notations, on p e u t , avec K r a t c h k o v s k y (p.197
[199]), estimer que ces voyages se sont situés dans la p a r t i e orientale de l'Islam : Ë g y p t e ,
Syrie, Arabie, I r a k , Iran, H u r â s à n et Transoxiane. J ' i g n o r e sur quoi se f o n d e G. W i e t
(introd. à la t r a d u c t i o n d ' I b n H a w q a l , p . X) pour affirmer q u ' I s t a b r ï a v o y a g é dans le
Sind : sur ce p o i n t , cf. infra, p. 299, n o t e 1.
2. Cf. GAL, Suppl., t. I, p. 408.
3. Cf. p. 60, 61 (évocation des Sassanides et de leurs m o n u m e n t s ) , 65 (sur Mânî), 67
(temples du feu), 83 (éthique des rois de Perse), 84 sg. (long développement, unique en
son genre chez I s t a b r ï , sur l'histoire de la Perse).
4. Voilé sans d o u t e par l'objectivité de l ' a u t e u r (sur le mâlikisme en A f r i q u e du Nord,
p. 37 ; s u r le Jjârigisme ibàdite, p. 26, 34 ; sur les U m a y y a d e s d ' E s p a g n e , p. 35, 37, etc.),
m a i s les s y m p a t h i e s sont évidentes : cf. p. 64, 65, 84 (sur le mu'tazilisme, avec mention
d ' A b û 'Ali a l - ô u b b â ' ï , d o n t on sait l'influence qu'il exerça, p a r son fils, A b u HâSim,
sur le Sï'isme des milieux buyides), 33-35 (où se lit u n e très vive a t t e n t i o n a u x possi-
bilités et a u x difficultés d u f â t i m i s m e au Magrib), et s u r t o u t p. 90, où, après les pré-
cautions verbales d'usage (on rectifiera sur ce p o i n t les assertions de l ' é d i t e u r , p. 10),
Istabrï se livre à u n long exposé sur le q a r m a t i s m e à t r a v e r s d e u x de ses plus grandes
figures, H a l l â g (sur l'aspect de da l q a r m a t e sous lequel l ' o n t vu ses c o n t e m p o r a i n s , cf.
L. Massignon, dans El, t . II, p. 254, et L. G a r d e t , d a n s El [2], t. I I I , p. 102) et Abu
S a ' ï d al-Gannâbï.
5. Cf. supra, p. 81-84.
6. On a i n d i q u é plus h a u t (p. 280, note 3) la r é p a r t i t i o n suivie p a r Muqaddasï.
7. Cf. p. 97 : sur la ville de R û y i n (et non R u b ï n : cf. Ibn H a w q a l , p. 315) et son
a p p a r t e n a n c e au K i r m â n ; ibid., plus bas, exemple (plus net) de la ville de Sanïg,
« a u milieu d u désert et donc en dehors des frontières du K i r m â n , m ê m e si elle lui a été
lieu à des notations éparses, qui n'arrivent pas à se constituer en une rubri-
que complète et cohérente 1 ; toujours, ils le cèdent en importance, et de
très loin, à cette autre rubrique essentielle de la sûra qu'est la mention des
villes principales. 8 Car, à la vérité, il ne s'agit pas désormais que d'égrener
des noms, mais de dire tout ce qu'ils évoquent : et que serait-ce, sinon les
caractères, la vie, les traditions et les activités des hommes à qui ces noms
renvoient ? Quand il annonce son intention de parler villes, c'est en réalité
tout le chapitre de la géographie humaine qu'Istabrï entame par ce mot,
si grand, si ambitieux que l'ensemble de la description de la province
vient se regrouper autour de lui, et notamment les vieux thèmes de la
géographie physique de la sûra, qui, lorsqu'ils interviennent, n'ont ainsi
d'autre but que de donner un cadre et une explication aux comportements
des hommes. 3 Nous connaissons déjà les grandes rubriques ainsi ouvertes,
qui reprennent celles qu'on a vues à propos de Ya'qûbï *, mais ici, comme
elles sont rigoureusement cernées dans le cadre strict de l'iqlîm et qu'en
même temps, par leur ampleur et leur systématisation, elles accaparent
l'essentiel de l'exposé, on voit que la révolution opérée par Istabrï sur
la cartographie de la sura revient à faire de la province, à partir de ses
villes, le pivot d'une géographie humaine qui règne enfin sans partage.
E t surtout, l'intégration, dans une sûra élargië, de toutes les données
de la géographie humaine jusque là éparses dans les différentes œuvres
où cette géographie, au mieux, n'apparaissait que comme une composante
parmi d'autres, cette intégration, donc, témoigne d'une méthode d'infor-
mation résolument nouvelle qui revient, en définitive, à rompre avec
le système culturel de l'adab. L'idée même des thèmes à exploiter, Istabrï
a pu la trouver dans les encyclopédies ou chez les polygraphes, dans les
plus bas, sur la marée : révision des données de la tradition par l'observation person-
nelle Çiyân) ; p. 61 : contestation d'une tradition faisant mourir Alexandre à Ctésiphon ;
p. 64 : réserve sur une information orale, et, ibid., sur une montagne « de feu», plus
modestement ramenée à un gisement de naphte ; p. 119,123 : la présence du géant dans
les entrailles du Dunbâwand est qualifiée de mythe (6urâ/a) et de sottise (hamâqa), etc.
1. Exemples, p. 64, 90. La racine 'gb semble décidément ne pas faire partie du voca-
bulaire d'Içtabrï.
2. P. 17 : « La terre est ronde et l'Océan l'entoure comme un collier.
3. P. 29.
4. P. 57.
5. P. 34.
6. P. 57.
7. P. 119. Cf. également p. 63 (Hûzistân), 105 (Makrân), etc.
1. Dans le chapitre qu'il intitule, pour chaque province, « traits généraux». A noter
du reste qu'il a pu en trouver l'ébauche chez Istahrï à propos de la province du Fârs
(p. 68) : « Je mettrai à part toutes les généralités que j'ai notées, après avoir commencé
par mentionner, pour chaque district, les régions et les villages qu'elles comprennent».
Suivent la description des districts (p. 68-78), puis l'énoncé des faits d'ensemble (p. 78-
96). Cette organisation reste toutefois exceptionnelle, au moins sous cette forme déli-
bérée et rigoureuse : encore faut-il noter, sur ce dernier point, qu'après la nomenclature
des districts (p. 68-71) et avant la description des villes importantes (76-78), vient
prendre place un premier exposé sur des faits d'ensemble (p. 71-76 : populations kurdes,
monuments, fleuves et mers) : rien, par conséquent, qui s'approche véritablement de la
rigueur d'un Muqaddasï.
1. J'ignore ce qui la fait situer à Bagdad, en 340/951 (cf. R. Blachère, EGA, p. 135),
puisque Ibn Hawqal est, cette année-là, à l'autre bout du monde musulman, très exacte-
ment à Sigilmâsa : cf. p. 83, 99. Même réserve pour le Sind (Carra de Vaux, Penseurs,
t. II, p. 8, repris par G. Wiet, op. cit., p. X) : rien n'indique que ce soit là le lieu de la
rencontre, ni même qu'Ibn Hawqal ait visité le Sind. La formule (p. 328 ; trad., p. 321) :
«J'ai atteint la limite des territoires de l'Islam du côté de l'Orient» (intahaytu min
haddi 1-maSriq ilà âbiri htidûdi l-Islâm) ne doit pas s'entendre au pied de la lettre, mais
seulement du simple point de vue de la rédaction du livre : elle est d'ailleurs empruntée
textuellement à Iç^abrî (p. 107). La contre-épreuve de ce que j'avance me parait fournie
par un passage de la p. 320 (trad., p. 313), où, à propos d'un fait d'institution indien,
l'auteur déclare avoir observé « cette coutume dans de nombreuses régions des fron-
tières»; et de citer les steppes de la Caspienne et le Soudan, mais pas l'Inde : imagine-
t-on ce silence si Ibn Hawqal l'eût visitée ? La vérité est sans doute que, pour ces régions
extrêmes du côté de l'est, Ibn Hawqal a dû exploiter, outre Iç^abri, ces grands voya-
geurs de Slrâf qu'il met si bien en scène p. 290-291 (trad., p. 284-285).
2. Cf. p. 1 (intitulé de l'œuvre) ; Kratchkovsky, p. 198 (l'ethnique d'an-Najîbï ou
Niçïbï [GAL, Suppl., t. I, p. 408], qui renvoie à Naçïbln [Nisibis], a été oublié dans la
traduction arabe, qui devient incompréhensible pour ce passage, p. 200).
3. Sans parler de celles qui sont indiquées, mais sans date : exemple de la Nubie, p. 57.
4. P . 79. Semblablement, félicitations pour les succès passés (p. 71-72) e t intérêt
p o r t é à une extension du p o u v o i r fâtimide vers l'est : v o i r n o t a m m e n t , pour le H u r à s â n ,
p. 310, et, pour l ' A r a b i e , p. 24, 27 (sur A b u Z a k a r i y y à ' a t - T a m â m ï , propagandiste
f â t i m i d e e x é c u t é par les Qarmates : p. 295 i.f.).
5. Il a sans doute glissé du mu'tazilisme au Sï'isme : f o r m é par un disciple d ' A b u
HàSim a l - ô u b b à ' I (p. 267 i.f.), il conserve ensuite un v i f intérêt pour la m ê m e école
(p.96, 257, 291-292, 369 i.f. ; la critique de la doctrine de la promesse et de la menace
[al-wa'd ma l-wa'id], p. 70, est sans doute une précaution : car la m ê m e doctrine est
rappelée p. 255, 291 i.f., et ouvertement défendue p. 128). Chez Ibn Hawqal, donc, le
Sî'isme ne coupera jamais les ponts avec le mu'tazilisme contigu : attitude intellectuelle
alors assez courante et qu'illustre l'anecdote des p. 102-103, qui montre des Mu'tazilites
trouvant l'oreille d'un groupe de Sï'ites. Conçu dans ce climat, le Sî'isme d'Ibn Hawqal
ne me paraît pas témoigner d'un engouement fanatique et exclusif pour telle ou telle
tendance : ici aussi, on peut déceler des glissements, depuis la dédicace de la première
version du livre au Hamdânide Sayf ad-Dawla jusqu'aux critiques adressées à la dy-
nastie (p. 179 sq.) : mais il est vrai qu'il semble s'agir surtout des frères et des succes-
seurs de Sayf ad-Dawla (cf. p. 180, 220) et que les critiques adressées au gouvernement
de Sayd ad-Dawla lui-même (ibid.) sont inspirées de motifs analogues à ceux qu'on
a étudiés, deux notes avant celle-ci, à propos des Fâtimides : en particulier, la p. 213
cumule curieusement, à propos de l'implantation de cultures nouvelles en Haute-
Mésopotamie, les notations objectives et des critiques qu'on peut, sans trop d'invrai-
semblance, estimer recueillies dans la paysannerie traditionnelle, par définition hostile
à toute innovation de cette nature. A noter, en tout cas, des sympathies idrissides
(p. 104), des accointances avec les milieux qarmates (p. 96 i.f. ; les contacts, suivis
de déboires, entre Qarmates et Fâtimides, sont indiqués p. 295 i.f.), et même un intérêt
pour certaines formes du Sî'isme extrémiste issu de l'imâmisme : cf. infra, ce qui est dit
à propos de Salmagânï.
1. Du premier, on note sans parti pris la présence (p. 37, 95, 312, 439), mais on en
stigmatise les violences ou les excès (sur la révolte d'Abû Yazîd et le triomphe des
Fâtimides : p. 71-72, 94). Même attitude envers le sunnisme (on opposera par exemple
les simples notations des p. 292, 312 et 349 à l'invective lancée p. 91 contre les Mâlikites
d'Afrique du Nord, qualifiés de « grossiers anthropomorphistes »).
2. Supra, p. 293, note 4.
3. P. 296-297.
4. Cf. Sourdel, Vizirat, p. 486, 560 ; Laoust, Schismes, p. 154.
5. Même en dehors de l'Islam : évidentes sympathies, par exemple, pour les Zoroas-
triens : p. 273-274, 289, 292, 365, 404, 493 (la critique de la p. 310 porte, ici encore,
sur des violences commises).
A n d r é MIQUEL. 23
1. Comme exemples de ces passages où Ibn Hawqal fait le point d'une situation
historico-politique, avec les mots « aujourd'hui », « jusqu'à nos jours », etc., citons : p. 79
(rivalités entre Umayyades et Fâtimides), 108 i.f., 109 i.f. (Umayyades), 104 (Idris-
sides). Esprit résumé, pour l'Islam en son ensemble, par la redondance « à notre époque
et de nos jours», ajoutée au texte d'Istaljri : cf. appendice I (Içtabri, XIX, 15-23,
Ibn Hawqal, XVI, 22 — XVII, 12).
2. Cf. p. 30 (sur la distribution de l'eau à La Mekke), 42 (navigation en mer Rouge),
et, pour sortir des six chapitres retenus pour la comparaison IstaJjri-Ibn Hawqal, p. 51
(pratiques religieuses des Bedja), 161 (situation des Chrétiens coptes), 289 (vêtements
du Fârs), 343 (situation socio-religieuse des Arméniens), etc.
3. P. 70 i.f., 74 i.f., 78, 153, 337 i.f.
4. Il ne s'agit ici, évidemment, ni d'invoquer des statistiques ou toute autre esti-
mation rigoureuse de ces mouvements, ni d'assigner à ceux-ci les mêmes tranches de
temps que le font aujourd'hui les spécialistes, mais de constater la présence du sentiment,
toujours exact, d'une différence entre les constantes et les péripéties. J'emprunte
mes exemples à la description de l'Occident musulman, et commence par un passage
de la p. 101 (trad., p. 99), qui donne les lignes de force du commerce transsaharien,
fondé sur les produits-clés que sont l'or et les esclaves dans un sens, le sel dans l'autre :
aux fluctuations politico-économiques des marges sahariennes, Ibn Hawqal oppose
la permanence et la sécurité du relais d'Awdagost : « tous [ces princes, au-delà des vicis-
situdes de leur situation,] ont besoin d'entretenir des rapports cordiaux avec le prince
d'Awdaghost. » Pour les productions et le commerce, exemple de « longue durée» p. 67
(monopole du goudron à la Cyrénalque), 69 (Tripoli et le commerce méditerranéen), 75
(commerce du corail), 94 (Qastïliya, premier marché de dattes pour l'Ifrlqlya), etc.;
pour la « courte durée », p. 70 (déjà citée : sur les mouvements du marché des huiles),
77 i.f. (sur la construction récente de Qasr al-Fulûs : création suscitée par le développe-
ment du commerce entre l'Espagne et l'Oranais), 74 i.f., 77 (autres conséquences du
même trafic), 85 (déclin du cheptel algérien), etc. Pour les prix et la situation économique
d'ensemble, cf., pour la « longue durée », p. 97-98 (théorie économique des prix maghré-
bins), 108, 112 (essor économique de l'Espagne umayyade), 114 (prix des denrées en
Espagne), 130 (évolution économique de la Sicile), etc. ; pour la «courte durée», p. 84
(cas d'extension urbaine), 96-97 (impôts et taxes perçus au Magrib en 336/947, jugés
inférieurs de moitié à la norme), 114 (prix des feutres d'Espagne), 131 (prix comparés
de Sicile et d'Égypte), etc.
1. Cf. ce joli passage relatif à la Haute-Mésopotamie : «Dans la banlieue de Balad,
au nord-ouest, un endroit appelé Ausal était plaisant, plein d'arbres, d'arbres fruitiers,
de verdures, de fruits, de vignes. Ce sinistre maudit (Nâsir ad-Dawla) y a jeté son dévolu
comme à Mossoul : c'est aujourd'hui un terrain désolé au lieu de la splendide condition
d'Ausal, de sa vive végétation lorsqu'on le cultivait. Dans sa partie haute, il y a une
roue hydraulique qui déverse sur un coin de terrain un peu d'eau bourbeuse » (trad., p. 213-
214, souligné par nous).
2. P. 470, 505-506 (emprunté à Içtatjri, p. 184, mais avec adjonction correspondant
à trad., p. 484, 1. 15-19), 492, 90, 225.
3. Cf. Blachère, EGA, p. 136, avec quelque excès ; point de vue plus modéré chez
Kratchkovsky, p. 199 (201). Point de vue qui, quelque nuance qu'on y apporte, se
justifie à la compétence proclamée par Ibn Hawqal lui-même, lequel affirme avoir écrit
un livre sur la Sicile, en dix chapitres (p. 129). Il est à noter, du reste, que cet intérêt
porté à l'Occident n'empêche pas qu'on maintienne strictement la règle de la supério-
rité intellectuelle de l'Orient : elle est lisible derrière les sarcasmes adressés aux Espa-
gnols et aux Siciliens, et la plus belle qualité (p. 98) dont on puisse louer des Maghrébins
est leur désir de venir se cultiver en Orient.
forces dont on parlait ? Sans doute cet intérêt vient-il, on l'a dit, de ce que
ces régions sont alors les plus vivantes d'un Islam dont le centre est en
train de se vider peu à peu de sa substance, et donc les plus aptes à retenir
l'attention d'un personnage aussi prodigieusement actif q u ' I b n Hawqal :
en un sens, la vie va à la vie, mais peut-être le géographe pressent-il
aussi, sans que le fait affleure à la conscience claire, derrrière la Transo-
xiane le f u t u r Orient touranien, et derrière le Magrib la nouvelle chrétienté
d'Occident. Du premier, il ne peut pas, sans doute, prédire l'essor, fondé
sur l'hégémonie politique d'une oligarchie, d'abord, sur l'invasion ensuite ;
mais comme il consigne t o u t ce qui le frappe, à t o u t le moins insiste-t-il
sur ce que nous connaissons, nous, comme les signes avant-coureurs du
triomphe turco-mongol, à savoir l'infiltration servile, marchande ou préto-
rienne jusqu'au cœur du califat. 1 Semblablement, à l'autre bout des terres
musulmanes, là où s'amorce le choc en retour du monde chrétien à
l'impact de l'Islam, Ibn Hawqal est obnubilé par la forme militaire et
byzantine de ce contre-coup 2 , mais il nous laisse lire, à nous, d'autres
prémices, plus graves à long terme : la fortune de la Garde-Freinet 3 ou
la puissance de l'Espagne umayyade n'empêchent pas que se profilent,
lourds de conséquences, les débuts du réveil économique de l'Occident
chrétien, en partie suscité, pour reprendre les thèses chères à Maurice Lom-
bard, par l'appel des grands centres musulmans de consommation ur-
baine 4 vers les produits de luxe venus de l'Europe, esclaves au premier
r a n g . s A l'époque d'Ibn Hawqal, trois noms méritent d'être retenus :
celui de la Narbonnaise, symbole, aux mains des marchands juifs, d'une
prospérité constante depuis l'époque d'Ibn Hurdâdbeh, soit environ depuis
un siècle 6 , et ceux d'Amalfi et de Naples, annonce des grandes cités
marchandes de demain. 7
Mais il n'y a pas que le temps — celui qu'Ibn Hawqal introduit sciem-
ment dans son œuvre par la référence au passé et celui que nous y lisons
aujourd'hui par la référence aux phénomènes qui suivirent cette fin du
i v / x e siècle — il n'y a pas que le temps pour donner à la géographie humaine
du Kitâb sûrat al-ard ce caractère dynamique qui fait sa singularité.
L'espace en effet n'est pas traité différemment. La province (iqlîm), telle
que l'isolent la géographie observée et la géographie écrite, ne fonctionne
pas pour a u t a n t en vase clos. Ni dans la nature des choses, ni dans l'exposé
qu'on en fait, l'Islam ne peut apparaître comme un agrégat de territoires
juxtaposés ; de l'un à l'autre, la vie circule, sous la forme des impulsions
ou convulsions politiques et des échanges économiques et culturels. On ne
peut donc se contenter, sur ce point, des usages de la sûra, qui situe
l'iqlïm de façon statique, en indiquant, sous forme d'une brève introduction,
sa position par rapport aux autres. Ici, la province est présentée comme le
centre d'un faisceau de relations qui l'unissent à ses voisines : symptomatique
à cet égard est le glissement d'une géographie des productions et des
spécialités, encore dans la ligne de l'adab, vers une géographie des échanges.
Sans doute Ibn Hawqal n'est-il pas, en cela, radicalement novateur,
venant après Ya'qûbï, Istahrî et t a n t d'autres, mais, une fois de plus,
c'est la systématisation d'un procédé jusque là employé sans plan pré-
conçu, presque au hasard, qui est l'indice des changements véritables. 1
De ces échanges, constamment mis en lumière dans le Kitâb sûrat al-
ard, on trouvera une illustration exemplaire à propos du Magrib, que toute
la description d'Ibn Hawqal tend à présenter, en parfaite concordance
avec les faits, comme une plaque tournante des relations nord-sud et
ouest-est. Ce rôle est évidemment lié au trafic de l'or et des esclaves
du Soudan, que se disputent, par la personne interposée du Berbère
maître des routes du désert et des débouchés sub-sahariens 2 , les Umayya-
des d'Espagne s , les Fâtimides d'Ëgypte 4 et, peut-être, les Abbassides de
Un mal-connu : Muhallabï
1. Qui peuvent avoir agi, comme on l'a déjà signalé (supra, p. 273, note 1), par
l'intermédiaire de ces commerçants irakiens qu'Ibn Hawqal signale comme installés
à Sigilmâsa.
2. P. 58, 83, 91, 92, 99, 101-102. Le cas de Sigilmása, déjà évoqué (cf. note précé-
dente), est exemplaire et demande à être développé : sans doute antique, mais ruinée,
elle est refondée en 140/757 par des Berbères bârigites (çufrites). A partir de 155/771,
elle est gouvernée par une dynastie berbère locale, indépendante et qui bat monnaie,
les Banü Midrâr. Intermède fâtimide avec la conquête de la ville, en 347/958, par Gaw-
har : la raison de ce raid est que le Midrâride Muhammad b. al-Fath est revenu à l'ortho-
doxie (traduisons : qu'il a tenté de rester en dehors de l'hégémonie fâtimide). A partir
de 366/976 apparaissent d'autres Berbères, les Banü Hazrûn, ceux-là clients des Umay-
yades de Cordoue. Redevenue indépendante par la suite, Sigilmâsa tombe aux mains
des Almorávides en 445/1053. Histoire exemplaire, on le voit, des luttes politiques et
économiques pour un poste-clé du commerce (à noter également que Sigilmâsa est,
avec Fès, un des deux centres de rassemblement pour le pèlerinage à La Mekke).
Sur Sigilmása, cf. l'art, de G.S. Colin, déjà cité (supra, p. 273, note 1). On rectifiera
par ailleurs l'assertion de R . Cornevin (« Ghana », dans El [2], t. II, p. 1025), quant aux
informations données par Ibn Hawqal sur le Ghana, assertion tout de même trop
péremptoire (cf. Ibn Hawqal, p. 101).
1. Sauf erreur, je relève 55 rubriques de Yâqût où il est cité ; Abu 1-Fidâ' le cite au
moins 135 fois. Muhallabï est cité aussi par Ibn al-'Adïm (cf. M. Canard, cité dans S. Mu-
naggid, op. cit., p. 46).
2. Cf. Yâqût, t. I, p. 195 ; t. III, p. 454 ; t. V, p. 18, 418, 419. Rectifier l'affirmation
de S. Munaggid, op. cit., p. 46, renvoyant à Yâqût, t. I, p. 84 (art. « Abhar ») : confusion
entre al-Hasan b. Ahmad (ou Muljammad) al-Muhallabî et Muhammad b. al-Hasan b.
al-Muhallab.
3. A en juger par des détails indéniablement pris sur le vif et parfois indiqués comme
tels : cf. Yâqut, t. II, p. 51, 473 ; t. III, p. 5 4 , 1 7 6 ; t. IV, p. 255 ; Munaggid, p. 50, 64-65.
4. Cf. Yâqût, t. I, p. 277, qui donne à la suite l'un de l'autre les deux textes d'Ibn
Hawqal et de Muhallabï (ce dernier également chez Abû 1-Fidâ', t. I, p. 174-175).
5. La dédicace du livre est évidemment une preuve suffisante des sympathies de
Muhallabï. On les mettra en rapport avec de solides préventions à l'encontre de la
dynastie umayyade de Damas : cf. Munaggid, p. 48, 54. Sur l'intérêt porté à l'Afrique,
cf. Yâqût, t. I, p. 277, déjà cité ; t. III, p. 142 ; t. IV, p. 495.
6. Comme exceptions, je ne vois guère que t. I, p. 26 (route maritime de la Chine),
174-175 (Awdagost), 282 (« canal» de Constantinople) ; t. II, p. 116 (Tibet), 120 (Inde),
128 (Socotra), 131 ( Kalah), sur un total de 76 citations, lequel ne comprend pas, du
reste, les simples notations de distances.
7. Cas de l'Afrique, déjà cité, et qui, joint a u x exemples, eux aussi cités, d'Abù
1-Fidâ', confirme notre présomption.
1. Je relève, pour l'ensemble des thèmes indiqués, 35 citations chez Yâqût et 47 chez
Abu 1-Fidâ'. Pour les climats, en particulier, cf. Yàqut, t. III, p. 69, 142, 406 ; t. IV,
p. 202, 495 ; t. V, p. 395, 442 ; Munagji'd, p. 62.
2. Cf. Yâqût, t. I, p. 196 ; t. V, p. 315 ; Abû 1-Fidâ', t. I, p. 60, 69,196,282 ; t. II, p. 63.
3. Cf. Abû 1-Fidâ', t. II, p. 23, 30, 31, 41, 55, 59, 68, 90, 91, 94, 110, 150, 153, 155,
162, 179, 197, 219.
4. Cf. Yâqût, t. II, p. 51, 473 ; t. III, p. 54 ; t. IV, p. 255 ; Munaggid, p. 50, 64-65
(perte compensée, pour Jérusalem et Damas, par les descriptions de Muqaddasï).
5. Yâqût, t. III, p. 176. Plus condensé chez Abû 1-Fidâ', t. II, p. 75.
6. Exemples de descriptions de villes :Yâqut, t. III, p. 54 ; t. IV, p. 255 ; t. V, p. 211 ;
Abû 1-Fidâ', t. I, p. 130 ; t. II, p. 17, etc. Pour l'histoire et les traditions, cf. Yâqût,
t. II, p. 100 (sources de bitume du Fârs), 119-120 (costus, bambou, pierres précieuses,
or et éléphants de l'Inde), 163 (safran du ôibàl), 197 (soie et coton de la région de
Merv, « proverbiaux »). Les seules notations moins conventionnelles me paraissent être
Yâqut, t. IV, p. 114 (sur l'exportation des dattes d'al-'Arî5) et Abu 1-Fidâ', t. II, p. 113
(palmier et canne à sucre du Sind, cette dernière reprise p. 119).
1. Nous conservons conventionnellement, en place de Maqdisï, cette forme agréée
par l'usage, peut-être par l'auteur lui-même (cf. Kratchkovsky, p. 210 [209]), et qui a
en tous cas l'avantage de distinguer le géographe d'autres écrivains, notamment de
l'auteur du Livre de la création et de l'histoire, déjà étudié et auquel on a réservé le nom
de Maqdisï.
2. P. 1, 498. Pour plus de commodité, nous unifions, sauf exception justifiant un
renvoi à la traduction, les références sur la base de l'éd. de Goeje.
3. P. 127, 166-167, 256, 313, 421, 440, etc.
4. P. 161, 173, 175-176, 182, 187-188, 322.
5. Trad., § 164.
1. P. 440.
2. Sur la famille de Muqaddasï, c f . p. 162-163, 188, 3 5 7 , 3 6 7 ; j'infère la p r o f e s s i o n
d u grand-père m a t e r n e l de ce qui n o u s est d i t (p. 357, 367) à la fois sur sa c o m p é t e n c e en
c e t t e matière, sur le plaisir qu'il prenait, m a l g r é u n e s i t u a t i o n matérielle e n v i a b l e , à
m a n i e r les o u t i l s du m a ç o n , sur le f a i t qu'il émigra à J é r u s a l e m • a v e c d i x - h u i t h o m m e s »,
sur le fait e n f i n q u e le mariage d u père de Muqaddasï, c o n c l u a v e c u n e étrangère au
p a y s , s'explique m i e u x , de la part des pères respectifs des é p o u x , s'il e s t u n e décision
prise de maître à m a î t r e d'une m ê m e corporation.
3. E n particulier dans le d o m a i n e du droit ( f i q h ) (p. 32), sur lequel on reviendra.
4. P a r t i e l l e m e n t traduit supra, p. 52. On p e u t esquisser q u e l q u e s t h è m e s pour u n
p o r t r a i t moral : passion (p. 126), h u m o u r (p. 358), h u m a n i t é (p. 3 6 8 - 3 6 9 ) , etc.
5. P. 45, 136, 186, 188, 368, 4 1 2 , 413, 415, 449, 469, 488-489, etc.
6. Sa d e s c r i p t i o n est au d e m e u r a n t pleine d'intérêt ; je c o n s t a t e s e u l e m e n t qu'on n ' y
r e l è v e a u c u n e des formules « j'ai v u à... », « j'ai e n t e n d u dire à... », si f r é q u e n t e s par ail-
leurs. Pour l ' E s p a g n e , Muqaddasï a v o u e ne l'avoir j a m a i s v i s i t é e : p. 2 2 2 , 223, n o t e i.
Il a p e u t - ê t r e , e n r e v a n c h e , c o n n u la Sicile : c f . K r a t c h k o v s k y , p. 2 0 9 (211). Le Sind
n ' e s t c o n n u , lui, que sur ses m a r g e s (p. 475, 477). K r a t c h k o v s k y , loc. cit., p o s e le cas
d u S i g i s t â n : mais cf. p. 304, où Muqaddasï c i t e u n faqih du p a y s , et s u r t o u t p. 4 8 8 et 4 9 2
( c o n n a i s s a n c e d u désert oriental, laquelle, j o i n t e à ce qui e s t dit p. 4 7 5 e t 4 7 7 , q u e l'on
v i e n t de citer, d o n n e à penser q u e notre a u t e u r c o n n a î t é g a l e m e n t ce p a y s ) .
7. P. 357.
Mais enfin, ce ne peut être là qu'un épisode, une occasion fournie par
le voyage, dont les raisons véritables, a u t r e m e n t puissantes, sont sans
doute ailleurs. Alors ? L a curiosité ? Le plaisir de voir et de savoir ? 1 Ah 1
sans doute, nul n'a noté avec plus de joie, sauf Ibn Hawqal peut-être,
les t a b l e a u x offerts par le monde, réalisant pour son compte, de façon
personnelle et non plus littéraire, le grand thème de l'exil (igtirâb) c h a n t é
par les écrivains du temps ! Muqaddasï a tout vu : les maisons du Caire
hautes « c o m m e des phares », les foules tumultueuses de Sïrâz, les paysages
lacustres de l ' Ë g y p t e noyée par le Nil, la poésie du cimetière du Qarâfa,
les passeurs de B a g d a d , la magie des eaux vives du Hûzistân, et t a n t et
t a n t d'autres e n c h a n t e m e n t s . 2 Mais comment retrouver la trame m ê m e
de ces voyages, qui sont plaisir, mais non fin en soi, source d'information,
mais non but du livre qu'on écrit ? L e journal (rihla), une fois de plus,
se rompt, s'égrène au hasard des provinces, subordonné qu'il est à leur
présentation. Qui pis est, les dates m a n q u e n t le plus souvent, et nous en
savons ici moins encore que sur Ibn Hawqal. Muqaddasï a accompli
trois pèlerinages à la Mekke, en 356/967, 367/977-978 et 377/987.3 II
visite Sïrâf après les tremblements de terre de 366-367/976-978, et il
entreprend la première rédaction de son livre, âgé d'au moins q u a r a n t e
ans, à Sïrâz, en 3 7 5 / 9 8 5 . 4 Ces dates mises à part, encore quelques repères
chronologiques, mais seulement de durée : un an au Y é m e n , un j o u r à
' A s k a r Mukram, dans le Hûzistân, quatre mois au D a y l e m . 5 A B a s r a ,
il a sans doute fait de nombreux et longs séjours, puisque, revenant de
Susiane, il y retrouve des a m i s . 6 A plusieurs reprises, il traverse le grand
désert de Syrie 7 et parcourt deux mille parasanges, soit à peu près onze
mille cinq cents kilomètres, sur la mer R o u g e et le golfe Persique, ce qui
peut représenter deux fois environ « le tour de l'Arabie entière, depuis
al-Qulzum j u s q u ' à ' A b b â d â n » . 8 Voilà pour les renseignements les plus
précis ; au-delà, il n ' y a plus qu'un fourmillement de notations, qui nous
p e r m e t t e n t de saisir, en tel pays ou en tel autre, la présence de notre
voyageur. Mais quand e x a c t e m e n t ? E t combien de fois ici, ailleurs ?
L a réponse, si elle est possible, ne saurait venir que d'une étude patiente
et minutieuse de tous les détails fournis par le t e x t e : descriptions de monu-
ments, é t a t des provinces ou des villes, événements historiques, noms de
1. J'ai cru pouvoir par exemple (dans Arabica, VII, 1960, p. 60 sq), avec les réserves
d'usage, déduire de la description d'Alep que Muqaddasï était passé, très vite, en cette
ville, dans les années 965-975. Je livre ci-après les références de base à partir desquelles
devrait être menée l'étude de la chronologie des voyages (sans préjudice des isnâd-s,
détails historiques ou descriptions signalés) : p. 6, 7, 9, 11, 15, 21, 36, 44, 45, 86, 88,
95, 96, 97, 98, 100, 101, 117, 120, 124, 136, 139, 142, 156, 157, 165, 166, 183, 186, 195,
196, 198, 199, 200, 203, 205, 207, 208, 213, 223, 248, 271, 274, 281, 304, 305, 310, 314,
315, 316, 321 (et note g), 322, 327, 328, 331, 332, 359, 366, 368-369, 370, 379, 381, 388,
390, 391, 394, 395, 403, 406, 408, 410, 413, 415, 418, 426, 429, 433, 434, 438, 440, 445,
449, 468, 469, 470, 475, 485, 488, 492.
2. Chap. IV, p. 115.
3. Contre 9 ethniques, 7 qualificatifs religieux ou intellectuels, 4 indicatifs de posi-
tion sociale (ivâll, ustâd, Sayh, niSâslah) et 4 de voyage (sayyâh, jarib, râkib, rasûl) :
p. 43.
4. P. 44, 126, 256, 399.
du reste, qu'il lui réserve au passage selon les règles de l'adab il la présente
c o m m e une ville dont le destin est consommé, au profit du Caire fâtimide,
nouveau relais de la gloire et du califat. 2 On comprend, dès lors, que Mu-
qaddasï n'aime guère, de ce point de vue, le Daylem et ceux qui en sont
issus : ces Bûyides, sï'ites certes, mais traîtres eux aussi, puisque politi-
quement duodécimains et surtout parce que, protecteurs du califat
abbasside, ils en perpétuent le m y t h e et s'opposent aux progrès du message
fâtimide vers l ' e s t . 3 Qu'on leur ajoute les U m a y y a d e s 4 et, face à la
légitimité fâtimide, le camp des usurpateurs est au complet.
Reste le cas des Sâmânides du Hurâsân, tolérants, certes, mais non
Sï'ites, et pourtant incontestablement estimés par Muqaddasï. 5 A u
problème ainsi posé, on a voulu trouver une réponse en retournant a u x
manuscrits du Ahsan at-taqâsïm, les versions de Constantinople et de
Berlin représentant, dans l'ordre chronologique, respectivement deux
tendances « hurâsânienne » et « égyptienne ». Cette réponse apparaît
trop schématique, car il est clair que les Sâmânides conservent intégra-
lement leur prestige même dans la version berlinoise réputée favorable
a u x Fâtimides. C'est, en particulier, sur leurs territoires que cette version
— la seule précisément à donner ce chapitre — fixe la majorité des lieux
saints, et c'est au Hurâsân que les deux manuscrits, avec un bel ensemble,
attribuent la palme du meilleur langage. « Il faut donc trouver, entre les
dasï ont été recueillis chez les maçons, les marins, les domestiques, dans
la rue et à la mosquée, bref dans les replis des corporations artisanales
et le petit peuple 1 : indice d'un travail souterrain, qui opère en profondeur,
dans une semi-clandestinité : car l'administration, hors de portée d'une
telle propagande, est hostile, encline aux contrôles et peu tendre pour les
opposants. 2 Chez les Sâmânides au contraire, les explications s'étalent en
h a u t lieu, où elles trouvent des oreilles complaisantes : Muqaddasï ne cite
ainsi, comme ses interlocuteurs, pas moins de quinze personnages en vue,
voire t o u t à fait officiels 3 , confirmant une solide tradition hurâsânienne :
après avoir été le foyer d'une propagande 'alide que les Abbassides, trahis-
sant la cause, détournèrent peu à peu à leurs fins personnelles, l'Orient
de l'Islam est toujours resté perméable à ces doctrines, et il est clair que
les Sâmânides, même s'ils ne prennent pas officiellement position dans le
conflit qui oppose Le Caire et Bagdad, sont au moins assez habiles pour
ne pas se couper — sauf peut-être aux cas d'excès ou de violences — de
gens ou d'idées tout aussi hostiles qu'eux-mêmes aux Bûyides protecteurs
du califat. 4
Concluons : plus qu' Ibn Hawqal peut-être, Muqaddasï s'est engagé dans
cette propagande §ï'ite qui a été le signe essentiel du « siècle ismaélien
de l'Islam». Pro-fâtimide, notre homme l'est sans conteste. Mais est-ce
à dire qu'il en est fanatique ? Rien de moins sûr. Comme pour Ibn Hawqal,
j'ai tendance à penser que, sur un fond de sï'isme entendu au sens large,
les préférences de Muqaddasï, au moins en matière politique, ont pris peu
à peu, à proportion des victoires fâtimides, la forme d'une sympathie de
plus en plus nette à l'endroit du nouveau califat cairote, l'ismaélisme triom-
p h a n t en Ëgypte fixant les aspirations d'un sï'isme en mal de succès
temporel. Mais ces préférences n'entraînent, sur le plan doctrinal et peut-
être même aussi en politique, aucune exclusive, et c'est sans doute, en
dernière analyse, ce qui expliquerait la bienveillance de l'auteur pour ceux
qui, t o u t en échappant, dans les faits ou spirituellement, à l'obédience
fâtimide, refusent toutefois, comme les Sâmânides, de s'engager ouverte-
1. P. 429, 440, 445, 449. Je ne trouve que deux personnages jugés socialement assez
importants pour être cités par leur nom : p. 95, 124.
2. « Un sauf-conduit est nécessaire pour quitter le pays, et la prison attend qui y
arrive ou qui y passe » : p. 429. L'amabilité envers les étrangers (p. 429-430), qui atténue
ce fâcheux effet, est sans doute une allusion à l'accueil reçu par l'auteur au sein du
petit peuple.
3. Notre raisonnement se fonde sur la méthode même de Muqaddasï, lequel déclare
ne citer nommément que des gens éminents, faisant autorité : p. 8 (trad., § 22). Réfé-
rences pour ces personnages burâsâniens : p. 5 (note a), 6 (note a), 8 (et note [), 21, 136,
155, 304 (il s'agit d'un faqih du Sigistân, mais cette région fait partie de l'obédience
sâmânide : MaSriq), 313, 315 (2 citations), 317, 328 (note f ) , 332, 334, 335-336. Y ajouter
des lettrés (udabd') cités p. 332. Le peuple anonyme n'intervient que trois fois : p. 327,
328 et 336.
4. Cf. Laoust, Schismes, p. 145.
A n d r é MIQUEL. 24
1. P. 126. 146, 182-183, 193, 201, 202, 323, 361, 376-377, 381, 421, 427, 439 et passim.
2. P. 74, 126, 130, 142, 202, 236-238, 243-244 (Idrissides), 269, 273 i.f., 283, 306, 316,
318, 323, 333, 359, 395, 403, 407, 408, 412-413, 415, 438, 441 (note a), 464, 481 et passim.
E x p o s é d'ensemble, pour l'Islam, p. 37 sq., et exposé-résumé à propos de chaque pro-
vince. Il faudrait joindre à ces références celles des modes de lecture coranique utili-
sés, que l'auteur note selon les mêmes principes : p. 39, 128, 142-143, 180, 202, 395, etc.,
avec une estime assez marquée pour la lecture d'Ibn Mas'ûd, dont on sait en quel hon-
neur la tenaient les milieux 'alides : p. 127, 403 et passim.
3. P. 188 (couvent de disciples de Sufyân at-Tawrl, dans le Gawlân, cités immédiate-
m e n t après les ermites de la montagne libanaise), 379, 415.
4. P. 238 : opinion péremptoire, selon laquelle Mu'tazilites et Fàtimides sont d'ac-
cord sur les principes du droit (usûl). Même si elle doit être nuancée, sinon rectifiée,
c'est l'affirmation, en elle-même, qui importe, la vérité vécue de l'intérieur, qui témoi-
gne des affinités ressenties.
5. P. 126, 179, 182, 202, 238, 316, 323, 357, 371, etc., qui confirment la réalité du
programme de vie et d'information tracé dans la préface, p. 44 : « J'ai partagé le pâté
des mystiques, le potage des moines..., mangé le pain et les pois dans les monastères. »
dasï. 1 Bienheureux les Sàmânides et les Karrâmites, qui lui vouent leurs
s y m p a t h i e s e t bienheureux Abu Hanïfa, qui s'appuie à son tour sur la
parole de 'Alï 1 3 On le voit, c'est par 1'« imam » que passe l'unité du système,
si système il y a. Exalté dans un rôle de médiateur, l'apôtre du jugement
personnel que revendique Muqaddasï 4 apparaît comme le symbole d'un
syncrétisme qui se définit, fondamentalement, par la répudiation de tous
les excès de l'un et l'autre bord. 6 Aux frontières d'un sunnisme et d'un
sï'isme tous deux modérés, il y a place pour toute une famille spirituelle
qui se reconnaît dans l'acceptation conjuguée de la légitimité des trois
premiers califes et du rôle privilégié de 'Alï. 6 Comme on condamne, par
conséquent, au plan de la théologie, les excès mu'tazilites ou naggârites 7 ,
on proscrira, du côté sï'ite, les outrances de la dévotion à 'Alï. 8 Quant au
sunnisme, qui a visiblement sa place, même sous ses formes rigides,
dans le tableau de l'Islam que nous présente Muqaddasï, on en répudiera
l'attachement excessif qu'il voue, lui, à Mu'âwiya. 9 De tous côtés, donc,
ce sï'isme au sens large, teinté de religiosité quiétiste, revendique pour
l'ensemble des écoles, loin des outrances qui empêchent l'unité, leur place
1. « Le prince des jurisconsultes» (faqlh al-fuqahâ') : p. 113. Sur Abu Hanïfa et les
Hanafites, cf. p. 37, 38,39,40,41,75,113,116,121,128,130,180,182,282,311,323,327,
357,359,415,439,481 (à noter en particulier que Muqaddasï retourne contre les « gens du
hadlt » leurs arguments : il fait [p. 127] d'Abu Hanïfa un modèle de fidélité aux exem-
ples des premiers temps de l'Islam). Un des surnoms de Muqaddasï (p. 43) est hanlfi :
non pas même « hanafite », mais « zélateur d'Abü Hanïfa » (plus vraisemblablement que
purus irt lege : Dozy, t. I, p. 332).
2. P. 339, 365.
3. P. 127.
4. P. 32, 156, 270 et passim.
5. Répudiation formulée en principe général : p. 374, 392, 403 et passim.
6. Théorie définie par Muqaddasï lui-même, face à un opposant : p. 399.
7. P. 384, 410 (formule typique : « dans leur mu'tazilisme, ils vont à contre-courant
de l'Islam tout entier ») ; d'où les préventions qui, ici ou là, percent contre le mu'tazi-
lisme : cf. p. 464, où sa mention est introduite par la formule restrictive illâ arma.
8. Les Gàliya ou ûulât, qualifiés de « païens » (guhhâl) : p. 128, 395.
9. On opposera ainsi, sur les Hanbalites, les Dàwudites ou les «gens du hadlt',
les notations dépourvues de critiques (p. 365 [sur les Sunnites qui ne commettent pas
d'excès dans leur attachement au hadlt], 415, 439, 469 [note S], 481), voire élogieuses
(p. 126 [?], 278, 481), aux critiques : critique globale des outrances sunnites (p. 41 ;
en rapprocher ce qui est dit p. 367 sur le zèle intempestif des sermonnaires [qusfâ$])
et critiques plus précises : Màlikites attaqués pour leur intransigeance (p. 236), Hanba-
lites pour leur soumission aux pouvoirs en place (p. 152 : cf. trad., § 120, note 53),
pour leurs pratiques (p. 388), pour leurs tendances anthropomorphistes (taSbih : p. 126,
qui critique sur ce point les Barbahârites : sur Barbahârî, cf. Laoust, dan El [2], t. I,
p. 1070-1072), pour leur attachement quasi idolâtre à Mu'âwiya (p. 365, 384, avec
injure de rdfidl [ scissionniste] adressée en retour à Muqaddasï par ses opposants : p.
126, 399). Vue sous cet angle, la présence des Hanbalites est à ranger au nombre des
désagréments d'une province, desquels la liste est introduite par les formules conces-
sives ou restrictives illâ anna ou jayra anna.
1. L'idée est exprimée sans détours p. 366-367 ; elle est latente p. 37 (trad., § 68,
note 16).
2. Cité p. 152, 164.
3. P. 37 sq. et passim.
4. P. 497.
5. P. 238.
6. P. 121, 125, 301, 313. SimSâtî, cité ici comme auteur d'une histoire, doit être
Abu 1-Hasan 'Ali b. Muhammad, lettré de la cour hamdânide, qui vivait encore en
377/987 : cf. GAL, Suppl., t. I, p. 251 ; Kaljhâla, t. V I I , p. 203. Abu 1-Qâsim al-'Akkï
n'étant cité qu'à propos de Balb, j'ai tendance à penser qu'il s'agit de l'auteur d'une
chronique locale ; cet auteur m'est par ailleurs inconnu.
7. P. 4, 5 (note a), 14, 66, 210, 211, 212, 241, 293, 403 (ce dernier passage, sur al-
Ahwâz, s'inspirant, à l'évidence, du texte de fiàhi? cité au chap. II). Le Livre des
talismans est peut-être celui de l'auteur de l'Agriculture nabatéenne, Ibn WahSiyya :
cf. GAL, t. I, p. 279-281.
8. P . 3, 4, 5 (note a), 6 (note a) (qui citent Içtabri sous le nom de Fârisï), 16 (et note e),
20, 57, 64, 105, 189, 212, 241, 260, 269, 305, 307, 362, 468, 475 sq.
9. P . 39, 128, 142-143, 180, 202, 395 et passim.
10. Citation du neveu d'Açma'ï p. 33 ; remarques philologiques ou linguistiques p. 6-7,
17, 47, etc.
dasï connaît pour ainsi dire par osmose familiale \ mais aussi les innom-
brables livres consultés dans les bibliothèques, privées ou publiques 3 ,
et tous ceux-là enfin qui ne font qu'affleurer dans le texte, sous la mention
« j ' a i lu », « j ' a i trouvé dans un livre », et que nous ne connaîtrons jamais. '
Voilà au moins un auteur qui ne cache pas qu'il arrive après bien d'au-
tres : ses lectures, souvent, lui tiennent lieu d'yeux et d'oreilles. On dira,
avec raison, qu'il est passionné de voyages et que l'observation directe
Çiyân) est toujours, en réalité, dès qu'elle peut intervenir pour procurer
une information ou corriger les données livresques, le critère de base. *
Mais ici non plus, il n'y a guère d'originalité : à l'époque de MuqaddasI,
et même avant lui, bien des auteurs ont vécu moins « douillettement ins-
tallés» qu'il ne le dit » : par exemple, pour ne parler que d'eux, Ibn Hawqal
et, avant lui, Ya'qûbï, ce précurseur que Muqaddasï ne paraît pas connaître.
L e style lui-même, en admettant — ce qui est vrai, comme on le verra
plus loin — qu'il accuse, plus que les autres, une recherche des effets
littéraires et phoniques, ne fait que poursuivre un mouvement déjà engagé.
Il n'est pas jusqu'au sujet qui ne s'inscrive rigoureusement dans des
cadres préparés ; la peinture du monde se borne, plus strictement encore
que chez les prédécesseurs, à l'Islam : l'étranger n'intervient même plus
ici au titre du voisinage, mais seulement en tant qu'abritant, le cas
échéant, des colonies musulmanes exilées par les hasards de la guerre ou
les nécessités du commerce. 6
Où réside donc l'apport de Muqaddasï ? Selon nous, non pas tellement
dans l'originalité de la recherche que dans la maîtrise, parfaitement
contrôlée, du genre de la géographie humaine telle qu'elle s'est élaborée,
par héritages successifs, avant lui et notamment avec IstaJjri et Ibn
Hawqal. Cette maîtrise est déjà perceptible rien qu'à la façon dont Muqad-
1. P. 163, 440. Cf. également la précision des détails de la description des mosquées
de Damas et de Jérusalem, p. 157-159, 168-171.
2. Notamment celles que fondèrent les Sâmânides et les Bûyides. Cf. p. 4 (note /),
5 (note a), 6 (et note a), 159, 258, 294, 448.
3. Parfois décelables : Muqaddasï ne cite pas Hamdânî, mais il me parait hors de
doute qu'il le connaît : cf. Hamdâni, p. 127 et MuqaddasI, p. 11-13 (sur les parages
dangereux de la mer Rouge).
4. Le « gros œuvre », comme il le dit p. 3 ; cf. aussi p. 6 i.f. et passim.
5. P. 45.
6. Même si les pays extérieurs retenus sont toujours finalement un peu les mêmes
dans tous les masûlik, il reste que le critère invoqué ici pour leur mention est différent.
Le principe d'une peinture limitée à l'Islam est énoncé p. 1, 9 ; la ?ûra est donc réduite
aux seuls pays de l'Islam : exemples : mers « de l'Islam » et cours d'eau « de l'Islam »,
p. 10, 19. La seule concession aux ambitions universelles de la sûra est la présentation
des climats, p. 58 sq. Quant aux excursions étrangères, citons : p. 13-14 (mers de l'Inde),
147-148 (Constantinople), 241-243 (Afrique noire), 355, 360-361 (Bazars et Bulgares).
Seule concession à l'adab en ce domaine : le récit de Sallâm l'Interprète sur le mur de
Gog et Magog, p. 362-365.
1. Sur l'emploi de cette expression par Qudâma, cf. chap. III, p. 99, note 3.
2. L'Égypte est considérée comme province de transition entre Magrib et Arabie :
p. 197, 201.
3. Supra, p. 280, note 3.
4. Je donne ici, globalement, pour l'ensemble des divisions (provinces, districts, etc.),
quelques exemples de ce souci de préciser les limites : p. 156,179, 260, 290, 297, 305, 310,
312-313, 353, 373, 375, 384, 404, 412, 423. Au passage, réfutation d'un absurde classe-
ment des provinces par la «rime» (entendez : la finale de leur nom) : p. 412-413.
5. Muqaddasï parle, dans le même sens, de « piétaille », de « chambellans » et de
« rois •, mais l'intervention du concept administratif de qafaba (chef-lieu administratif,
en général) brouille un peu la rigueur de ce classement : p. 56.
6. P. 260 i.f.
7. P. 56.
8. P. 270. En fait, le thème du takwlr (création ou répartition de districts) est un
thème d'adab (cf. Ibn al-Faqïh, p. 73-74, 105, 199-201, etc.), à l'égal d'autres termes
comme rustâq, tassûg, etc. (ibid., p. 264-265, 303 ; Ibn Rusteh, p. 107, 171 ; Abu D u l a l
Mis'ar, Risûla II, p. 37, etc.), mais c'est, ici encore, l'organisation et la systématisation
du propos qui sont la marque de Muqaddasï.
1. Le principe retenu pour isoler ces deux ensembles territoriaux est, ici encore,
l'originalité naturelle conjuguée à une certaine autonomie politique : p. 307 i.f., 3 1 0 ;
la kûra et la nâhiya sont de dimensions sensiblement identiques, et seule les sépare la
différence de nature signalée : p. 312. Exemples de nâhiya-s : la région de Médine, le
Gargistân, le Tubâristân, etc. : p. 80, 262, 295, 421, 460, etc. Exemples de ruslâq-s :
la Gflta (oasis) de Damas ou les cantons de Sogdiane : p. 154, 266, etc. A noter, d'après
Muqaddasï, que les Espagnols confondent iqllm et rustâq : p. 222.
2. On renverra, pour la définition de ces termes, à la trad., § 4 (notes 11, 12, 13), 6
(note 20), 9 (note 5), 36 (note 43). Ici encore, c'est l'intervention d'un ordre rigoureux
dans la nomenclature qui est le signe de Muqaddasï : le tassûg et le 'amal se trouvent déjà,
par exemple, chez Ibn al-Faqïh (p. 161-162, 264-265) ou Ibn Rusteh (p. 107, 171);
les surûd et les tfurûm sont développés par Içtabri, passim, notamment à propos du
Fars : p. 78, 82. Le gund (de Syrie-Palestine surtout), le tagr (pluriel tutjûr : place-
frontière), le mihlâf et le ramm sont de véritables thèmes d'adab.
3. P. 57, 174, 175, 222, 286, 411, 421, 425, 430, 431, 433, 434, 459, 468, etc. La pré-
sentation des déserts s'inspire du même souci : ce sont des plaques tournantes, des
traits d'union plus que des obstacles : cf. p. 10, 248 sq., 487 sq. ; de façon générale,
d'ailleurs, le thème de la communication entre les provinces, de l'itinéraire revu dans
une optique de voyageur, intéressé à l'état des relais et des citernes, des passes monta-
gneuses ou des gués, ce thème est constant chez Muqaddasï : exemples p. 159, 253 i.f.,
292, 304.
1. P. 270, 289.
2. Cf. par exemple les thèmes paradisiaques (paradis ou merveilles de ce bas-monde,
opposés à ses « poubelles » ou « latrines » : p. 23, 35, 137, 141, 147, 193, 196, 210,
graphie totale de l'homme. Mais déjà aussi, dans la même préface, s'exprime
un autre dessein : donner, à cette science nouvelle, un vocabulaire à sa
mesure. On l'a vu pour les. divisions territoriales, mais ce n'est là qu'un
panneau de l'attirail du lexique technique du parfait géographe. Le cadre
naturel de la vie des hommes, les mesures qu'ils utilisent, leurs relations
même, font l'objet d'un vocabulaire particulier, et particulier à Mu-
qaddasï.1 Semblablement, des locutions du langage commun sont
spécialisées par lui en un sens bien défini, « sans pareil », par exemple,
qualifiant une spécialité absolument unique, tandis que « suprême »
se rapporte au plus haut degré dans l'ordre d'une espèce par ailleurs
connue. 2 Enfin, les distinctions descendent, ici encore, jusqu'au plus
bas degré de l'échelle locale : Muqaddasï est le premier géographe à
faire systématiquement leur place aux vocables villageois ou régio-
naux 3, et il pousse le scrupule jusqu'à donner, dans sa préface, un
chapitre entier d'homonymes et synonymes, dont il est à peine besoin
de souligner l'intérêt pour le linguiste.
La lumière dont rayonne ainsi l'œuvre de Muqaddasï, c'est celle de la
vie et de la vérité. Bien sûr, il y a d'abord le côté personnel de la vision
Çiyân) et, plus encore peut-être, de l'enregistrement de cette vision. Ibn
Hawqal était aussi passionné de ce contact avec les hommes et le monde,
mais son œuvre respirait infiniment moins cette vie collective qui est un
des grands charmes du Ahsan at-laqâsïm, tout émaillé de dictons, de
folklore et de fêtes. 5 Pourtant, ce n'est pas cette palme-là que j'accor-
derais à Muqaddasï. Son grand, son incomparable mérite par rapport à
ses prédécesseurs, Ibn Hawqal compris, est d'avoir su soumettre même la
vision personnelle à l'ordre de la raison. Les innombrables explications
ou discussions dans le style juridique et philologique d'alors ne sont pas
là seulement «pour la galerie», mais bien parce qu'il s'agit, selon une
maïeutique d'un nouveau genre, d'accéder à la définition la plus précise,
au tracé le plus vrai, à l'image la plus naturelle. ' Le critère suprême,
c'est donc, au bout du compte, la nature des choses, le bon sens, ce que
Muqaddasï appelle l'usage commun (ta'âruf), auquel revient toujours le
dernier m o t 1 ; et la sérénité du jugement, la loyauté profonde de
l'auteur 3 , sont à la mesure d'une œuvre qui donne, par son équilibre 3
et son ordre, l'image définitive du genre des masâlik enfin porté à sa
perfection.
A ce monument, il fallait donner la sanction de l'art. Par la recherche
constante des échos et du rythme, par les images 4, voire par la poé-
sie " ou la reprise de tournures coraniques », le Ahsan at-taqâslm
revendique le titre d'oeuvre littéraire. Le traducteur a parfois quelque
peine à suivre, soit que le thème se révèle inapproprié, par sa modestie,
aux moyens mis en œuvre pour l'exprimer, soit que, dans la description
elle-même, la recherche d'une prose cadencée et assonancée prime le dérou-
lement normal de l'exposé, ainsi transformé en une prodigieuse suite de
coq-à-1'àne. ' Le reproche de désordre ou de sécheresse adressé aux
prédécesseurs 8 ne porte pas seulement, au vrai, sur le contenu de leurs
livres, mais, tout autant, sur leur mise en forme. Ici encore, c'est sur une
voie moyenne que la géographie réalise sa destinée : face aux devanciers,
aussi peu soucieux de style que de préciser les contours de leur sujet,
Muqaddasï, renversant cette attitude, enferme la science de la terre dans
une méthode et un programme rigoureux, mais lui tolère, lui impose même,
une mise en forme élaborée selon les lois de la production littéraire.
De cela aussi, il a conscience : le plaidoyer de sa préface 9 annonce
ces nombreux passages de l'œuvre où l'auteur exalte son travail d'écrivain
et qui rendaient la lecture du Ahsan at-taqâslm parfois désagréable à
K r a m e r s . 1 0 Mais quoi ! Il s'agit ici d'une vocation, presque d'un
apostolat : car la géographie ainsi conçue « publie les bienfaits que le Dieu
de clémence déverse sur les hommes de mérite ; elle est œuvre de renom-
mée et la gloire du bien remonte ainsi jusqu'à son auteur, portée par la
voix du héraut ». 1 L'ambition de se rendre utile à tous, nobles et petit
peuple \ et le « désir d'éternité » trouvent ici des accents sincères et
émouvants jusque dans leur naïveté. 3 Cette conscience d'une vocation
originale, jointe à l'effort soutenu que l'auteur déploie pour la justi-
fier, donne à l'œuvre sa couleur pour les siècles. Muqaddasï n'a pas été
le seul géographe, ni, t a n t s'en faut, un des très grands écrivains de la
littérature arabe du Moyen Age. Sa culture est puisée, comme celle de
Hugo l'était au Moreri, à un encyclopédisme éprouvé. Le désir de science
totale, qu'exprime à sa manière le Ahsan at-taqâsïm, n'est pas, lui non
plus, une nouveauté : au mieux, il ne fait que reprendre la tradition du
m e / i x e siècle mu'tazilite. Le canevas des descriptions de villes, Muqaddasï
l'a trouvé dans la sûra, le goût des particularités, monumentales, ethno-
graphiques ou économiques, dans l'adab, certains types d'eulogies dans une
habitude littéraire déjà ancienne. * On pourrait allonger ainsi l'inven-
taire de l'héritage recueilli par Muqaddasï. Mais on ne réussirait pas, si
longue que soit la liste, à compromettre la qualité unique de cette œuvre,
admirablement représentative — et ce d'autant plus qu'elle sait qu'elle
l'est — d'un siècle et d'une culture. Pour avoir voulu être cette somme, pour
avoir réussi à l'être en nous livrant, avec cette limpidité, le trésor d'un
monde et d'une conscience, le Ahsan at-taqâsïm nous invite, à mille ans ou
presque de distance, au plus passionnant des dialogues.
1. P. 498.
2. P. 2, 8 et passim.
3. P. 1, 359 i.f., 498 et passim.
4. Cf. ¿afciî, Amfâr, p. 178. Tradition vivace : cf. Ta'âlibI, Lafû'if, p. 104-105.
La géographie
dans son environnement
1. Les conclusions de G. Cahen dans St. Isl., III, 1955, p. 93 sq., sont à étendre
au-delà du domaine de l'histoire économique et sociale de l'Orient médiéval : notam-
m e n t à l'histoire de sa culture, elle aussi à peine inventoriée.
2. Son élaboration remonte, certes, à l'époque du califat umayyade, qui est encore,
sur bien des points, une période de conquêtes. Mais même si les lignes principales de
ce qui sera plus tard le grand commerce mondial se dessinent déjà avant le califat
abbasside, il reste qu'à défaut de mise en route, l'impulsion véritable donnée à ce com-
merce et son essor restent liés, comme l'a montré Maurice Lombard ( même point de
vue, mais spécialement pour le commerce maritime, chez Sauvaget, Relation,
p. X X X V I I ) , au déplacement vers la Mésopotamie du centre de l'Empire musulman.
3. Cf. X. de Planhol, Le monde islamique, Paris, 1957.
Zayd as-Sïràfï, traduit, pour s'en tenir à cet exemple, les changements
profonds intervenus sur une route maritime désormais tronçonnée.
L'intérêt des marchands, sans abandonner tout à fait les mers de
l'Inde, se reporte désormais, avec le iv e /x e siècle, ailleurs, vers des routes
terrestres : routes dont les itinéraires maritimes, lorsqu'ils existent, ne
sont au mieux que l'indispensable prolongement, routes dont la géographie,
avec Gazai, Ibn Fadlân, Abu Dulaf Mis'ar, Uswânï et les masâlik, souligne
successivement la découverte, l'apprentissage et enfin l'exploitation régu-
lière. Ces routes sont avant tout celles de l'or et des esclaves : esclaves du
Soudan, venus, par le Sahara ou le Nil, renforcer les contingents bantous
exportés par la côte orientale de l'Afrique, esclaves de l'Europe centrale,
acheminés surtout par le couloir rhodanien, Narbonne et, de là, par
l'Espagne ou la Méditerrannée, esclaves, enfin, de l'Europe orientale,
qui transitent par les plaines ponto-caspiennes et par les steppes de la
mer d'Aral, où ils retrouvent la soie et les autres produits venus de la
Chine par la piste traditionnelle de l'Asie centrale. La création, au Hurâsân,
de l'état esclavagiste des Sàmânides et, à l'ouest, l'essor des califats
rivaux de Cordoue et du Caire, en conflit ouvert sur les débouchés nord-
africains des routes de l'or et des esclaves soudanais, traduisent ainsi un
fait important, à savoir le transfert d'une partie au moins de l'activité
économique de l'Islam depuis le centre jusqu'aux postes essentiels de
contrôle du commerce extérieur. On ne veut pas dire, certes, que l'Espagne,
l'Égypte ou les pays du nord-est aient attendu le iv e /x e siècle pour jouer
ce rôle : les itinéraires des marchands juifs râdânites d'Ibn Hurdâdbeh
disent le contraire. Mais force est de constater que, tout comme le IJurâsân
connaît sa pleine expansion sous les Sâmânides, Le Caire sous ces Fâtimides
qui en font une ville nouvelle, avec un nom nouveau, l'Espagne sous
'Abd ar-Rahmân III qui étrenne pour son propre compte le titre symbo-
lique de calife, de même il faut attendre le iv/x e siècle pour que la géographie
traduise l'ensemble de ces phénomènes, avec les Espagnols Râzï et Warrâq,
avec, surtout, Ibn Hawqal, Muhallabï et Muqaddasï, dont les préférences
se fixent sur Buhârâ ou Le Caire, en négligeant résolument une Bagdad
déchue.
Sans prétendre trancher entre les thèses de Sauvaget et de C. Cahen,
signalées plus haut, et pour revenir, une fois encore, à ce personnage
essentiel qu'est Muqaddasï, je constate que la mer joue chez lui un rôle
minime : la seule qu'il connaisse bien est celle qui baigne les côtes d'Arabie.
Au-delà ? Paroles révélatrices : Socotra est « comme une tour dans la mer
des Ténèbres», et l'itinéraire de l'Extrême-Orient, réduit à quelques
lignes s est une récitation désespérément plate des thèmes mis à la mode
par la Relation : encore n'occupent-ils ici qu'un volume tout à fait modeste.
1. Au moins au-delà du Sind. Sur ces passages relatifs à l'océan Indien, cf. éd. de
Goejc, p. 13-14 ; trad., § 33-34.
des noms variables, l'exercice d'une tutelle trop lointaineet jugée étrangère.
Or, pour qui lit ce que C. Cahen a écrit au sujet de ces mouvements
ils paraissent attestés surtout à partir du iv e /x e siècle. Sans doute
sont-ils antérieurs, puisque constituant une structure essentielle des
sociétés orientales pré-islamiques et non, comme on l'avait longtemps
pensé, un phénomène marginal de ces sociétés. Mais s'ils se manifestent
surtout à partir du iv e /xe siècle, une raison au moins peut en être cherchée
dans ce relâchement de l'autorité qu'on constate sans doute à Bagdad,
mais aussi de proche en proche, à l'échelon des provinces. Il n'est donc pas
étonnant, ici non plus, que la géographie du iv e /x e siècle, masalik en tête,
soit la première à se faire l'écho de réalités de ce genre, alors que les
textes antérieurs sont muets ou presque sur ce point. a C. Cahen a
lui-même indiqué, pour l'étude de ces mouvements, quelques passages
essentiels de Mas'ûdï, d'Ibn Hawqal et surtout de Muqaddasï 3 :
à propos de ce dernier, je me demande, pour compléter ce qui a été dit,
au chapitre précédent, sur ses opinions politico-religieuses, si nous ne
sommes pas en présence d'un de ces fityân dont les associations devaient
connaître une impulsion décisive à partir du v e /xi e siècle. Bien des choses
en effet, dans le Ahsan at-taqâslm, me paraissent indiquer une partici-
pation active à ces groupements fondés sur une solidarité sui generis,
sans doute renforcée, à l'occasion, par des affinités professionnelles, sociales
ou religieuses, mais débordant, par définition, ces cadres traditionnels.
D'une appartenance à de tels mouvements, je crois avoir pour preuve et
l'abondance, déjà signalée, de la documentation que Muqaddasï nous
fournit à ce sujet, et la présence, dans son œuvre, de ce personnage essen-
tiel qu'est le ra' Fs, ce « chef » qui représente, dans le cadre de pareils
groupements, une autorité locale de fait, parfois tacitement reconnue
ou tolérée par l'autorité officielle.4 II n'est pas jusqu'au syncrétisme
1. Qui facilite d'autant plus la solidarité de ses membres que l'esprit de ces asso-
ciations, étant < au-dessus des sectes, prédispose au syncrétisme » (Cahen, op. cit.,
t. VI, p. 236, note 2) : syncrétisme qu'exploitera plus tard le calife an-Nâçir (mort
en 620/1223), soucieux, à partir des associations de futuwwa, « de regrouper sous l'égide
du califat toutes les familles spirituelles, toutes les organisations se réclamant de
l'Islam• (Cahen, «Futuwwa», dans El [2], t, II, p. 986 [1]).
2. Ces considérations s'appuient sur deux articles de C. Cahen, déjà cités, dans Annales
E.S.C., VIII, 1953, p. 25-52, et St. Isl, III, 1955, p. 111.
lier, vienne tempérer la prédisposition aux excès qu'on attend d'un pareil
système. Force est dès lors de constater que la géographie des masâlik,
dans la mesure où elle se désintéresse des régions centrales, qu'elle nous
présente en état de stagnation ou de récession, pour nous peindre comme
des îlots de richesse et de paix le Hurâsân sâmânide et l'Ëgypte fâtimide,
se conforme, assez bien à cette image d'ensemble. Est-ce à dire qu'il y a
véritablement, avec les masâlik, une géographie des campagnes ? Certai-
nement pas. Ils peuvent bien laisser percer, à l'occasion, la présence des
masses qui vivent de la terre, en s'ouvrant çà et là à quelques détails de
la vie ou de la mentalité paysannes, il reste que l'existence de cette géo-
graphie n'est pas liée, ni son attention intéressée, à une quelconque condi-
tion sociale de la glèbe.
Elle est à première vue beaucoup plus sensible à la vie des masses ur-
baines ; mais qu'en est-il exactement ? Certes, on peut déceler ici, plus
facilement qu'on ne peut le faire pour les campagnes, l'existence de cer-
tains mouvements, qu'on lit au moins en filigrane et notamment à travers
leurs expressions religieuses, sï'ites notamment. Surtout, le soin apporté
par cette géographie, masâlik au premier rang, à l'étude de la configuration
des villes, de leurs quartiers, des prix qu'on y pratique, des possibilités
d'approvisionnement fournies par la campagne avoisinante, témoigne
d'une attention à certains menus aspects de la condition citadine dont
on ne trouve pas, tant s'en faut, l'équivalent pour les campagnes. Fonda-
mentalement, la géographie arabo-musulmane reste donc une géographie
des villes, peut-être parce qu'elle est avant tout une géographie de fonc-
tionnaires, de lettrés ou de marchands. Mais quant à la coloration sociale
qu'elle peut prendre, à l'occasion des villes, dans le contexte des préoccu-
pations particulières propres à ces trois personnages ou dans celui des
attitudes individuelles des auteurs, soucieux par exemple d'action poli-
tique ou religieuse, elle me paraît en définitive un phénomène accessoire,
subordonné à cette nécessité prioritaire qu'est la connaissance de la ville :
rien en soi, donc, qui témoigne de ce que nous appellerions aujourd'hui
inquiétude sociale, attention aux problèmes des masses. Pour tous, la
ville est un champ d'action possible, qu'il faut connaître comme tel, et
rien de plus. Si l'on ajoute que cette géographie, comme on le verra bientôt,
émane de gens que leur niveau d'instruction et de culture suffit à placer
loin au-dessus du menu peuple, on conviendra qu'elle n'a, socialement,
rien à voir avec une espèce de géographie des déshérités.
Ce qui la caractérise davantage, c'est, au plan des ethnies, qu'elle
appartient, pour une écrasante majorité, à des non Arabes de souche,
Persans surtout. Avant que le iv e /x e siècle apporte, avec la première version
de l'œuvre d'Istabrï et les Hudûd al-'âlam, les premiers signes de ce qui
sera un des grands changements culturels d'après l'an mil, je veux dire
la contestation du monopole linguistique de l'arabe par les idiomes
1. J e renvoie, sur ce point, à ce qui a été dit à propos des auteurs et me contente ici
do quelques compléments. Pour Saratjsî, dont les sympathies semblent-aller au mu'tazi-
lisme e t au Sl'isme, cf. Rosenthal, op. cit., p. 15. A propos de Ya'qûbï, il n'est pas inin-
téressant de noter qu'il conservait une recension du Coran par 'Ali (cf. Blachère, Coran,
t. I, p. 41 et note 44, p. 39). Sur Ôayhânl, cf. Tawhldï, Imlâ', p. 78-79 et Barthold,
Hudud al-'âlam, p. 16. Sur les rapports de Balbï et de l'imamisme, cf. D.M. Dunlop,
dans El (2), t. I, p. 1033-1034, et Barthold, toc. cit. Sur Ibn Abi 'Awn (Ibn an-Nâgim),
cf. tableau des auteurs. Sur Qudâma, cf. Makkï, op. cit., p. 160 (sympathies Sï'ites) ;
compléter avec Kitâb al-barâg, M 122-123, 175 (connaissance évidente de la pensée
mu'tazilite et notamment, semble-t-il, des Hayawân de fiâhi?). Sur Abu Dulaf Mis'ar,
noter ses relations avec les Bûyides, son attention aux lieux saints du 51'isme (Hisâla II,
p. 32, 39, 42-43) et aux implantations de sectes en marge de l'orthodoxie (ibid., p. 13,
19, 32, 35). Sur le Si'isme d'Ibn an-Nadïm, cf. Kratchkovsky, p. 238 (232). Sur Uswânï,
cf. tableau des auteurs. Sur Ibrahim b. Waçîf Sâh, cf. C. F. Seybold dans Orientalis-
tische Literalurzeitung, I, 1898, p. 147-148. En face, dans le camp de la stricte ortho-
doxie, on rappellera ce qui a été dit à propos d'Ibn al-Faqlh (chap. V) et on notera le
cas d'Ishâq b. al-Husayn : composant dans l'Espagne umayyade, il ne peut pas ne pas
faire une place au culte de 'Utmân (cf. Àkdm, p. 442), mais reste éclairé, fait une
place aux thèses Sï'ites (p. 436) et a quelque aperçu du sens sacrificiel de la messe
chrétienne (p. 458).
1. La géographie des merveilles, dont Ibn al-Faqïh offre, en plus d'une page, le type
parfait, est plus suspecte : même s'il s'agit de thèmes populaires, ils sont élaborés,
rebrassés dans un contexte et une méthode (celle des abbâr) sanctionnés par les lettrés.
2. J'aurais pu, certes, trouver nombre de documents plus anciens à lui comparer,
à l'appendice I I ; si j'ai choisi des témoignages contemporains, c'est pour montrer,
dans le temps comme dans l'espace, la permanence de ce genre de littérature. A propos
des calendriers, on peut noter, en restant cette fois dans le cadre de la littérature arabe,
divers degrés dans la connaissance qu'ils livrent : celui de Sinân b. Tàbit devait sans
doute représenter une forme plus savante, plus soucieuse, notamment pour l'astronomie,
de données scientifiques, d'où son exploitation systématique par Bîrûnî.
1. Je renvoie à celui que Muqaddasi nous campe en train d'« officier» : éd. de Goeje,
p. 126.
2. Cf. A. Dupront, « Livre et culture dans la société française au x v m e siècle», dans
Annales E.S.C., X X , 1965, p. 884. Le t y p e même de ce conteur peut être cherché, pour
la littérature arabe, dans le héros des Maqâmât de H a m a j â n ï , dont H. Laoust pense
avec raison qu'il est représentatif d'un propagandiste sunnite : mais un héros, ici encore,
revu et corrigé par l'art traditionnel, celui, en l'occurrence, de la prose rimée et rythmée.
3. R. Blachère et P. Masnou, dans l'introduction à leur Choix de séances de Hama-
dânî, Paris, 1957, mettent bien en lumière et l'origine populaire de ce type de héros
et les formes littéraires dans lesquelles le font s'exprimer les textes. Ici encore, ôâhi?,
soucieux de la vérité du langage de ses personnages, fait figure de franc-tireur. Quant à
l'emploi, par le héros du Conte d'Abù l-Qâsim, de terminologies spéciales (cf. J. Fiick,
'Arabiya, trad. C. Denizeau, Paris, 1955, p. 166, et J. Horovitz, dans El [2], t. I,
p. 137), il s'inscrit dans un contexte général de prouesse linguistique et littéraire
et ne compromet pas le ton de l'ensemble, qui est celui d'un homme rompu aux connais-
sances et à la langue classiques de l'adab.
cela ne leur vient du peuple. A celui-ci, ils s'intéressent pour des motifs
extérieurs — politique, géographie, commerce — , mais sont incapables
de trouver en lui ce qu'on appelle une inspiration 1 : en un mot comme en
cent, ils n'en sont pas.
Ces conclusions concordent avec ce qu'on a dit plus haut, à propos
d'une inattention fondamentale aux difficultés des masses citadines ou
rurales. De toutes parts, cette littérature échappe au peuple, et l'origina-
lité des masâlik, qui le laissent au moins entrevoir, ne brise pas l'unité
que la géographie retire de son appartenance à ce qu'on pourrait appeler
une bourgeoisie de l'intellect, au sens où on l'a définie quand on a traité
d'Ibn al-Faqïh. On dira, certes, que les masâlik, par la révolution qu'ils
introduisent sous la forme du voyage, rompent avec la géographie anté-
rieure, celle des fonctionnaires ou des savants, qui était véritablement une
littérature de cénacle et ne meurt d'ailleurs pas pour autant avec l'appa-
rition des masâlik. Mais on a vu que tous les efforts des géographes du
i v e / x e siècle tendent, alors même qu'ils sont conscients de leur originalité,
non pas tant à la revendiquer comme telle qu'à la faire admettre par la
tradition : d'où l'invocation de l'autorité des prédécesseurs qui, même
critiqués, représentent l'indispensable référence à ladite tradition, d'où
aussi, la fidélité aux formes consacrées de l'art d'écrire. S'il fallait à toute
force trouver, sur ce plan-là, une différence entre les masâlik et la géo-
graphie antérieure, on pourrait dire, en tablant sur l'attitude du Fihrist,
que la géographie d ' a v a n t les masâlik est une géographie dûment sanc-
tionnée par la tradition littéraire qui l'enregistre avec le Fihrist, tandis
que la géographie des masâlik, assez originale, certes, pour que le Fihrist
sursoie à son admission, joue néanmoins toutes les règles du jeu pour
s'assurer, à plus ou moins long terme, une consécration de ce genre.
Les auteurs de masâlik peuvent donc, pour un temps, payer le prix de leur
vie errante et de la nouveauté de leur œuvre, ils appartiennent d'instinct,
et ne s'y trompent pas, à cette bourgeoisie de l'intellect dont on parlait
plus haut.
L a preuve en est que, l'information par le voyage mise à part, on peut
les peindre sous les mêmes traits essentiels qui caractérisent les lettrés
(udabâ') des m e / i x e et i v e / x e siècles. Tous, d'abord, sont tributaires, ne
serait-ce que par leurs lectures, de cette culture composite qui s'est élabo-
rée, en Irak et Iran surtout, par la rencontre de la tradition arabe et des
héritages étrangers. Culture, du reste, peu à peu figée, normalisée en forme
d'encyclopédie profane : au 1 v e / x e siècle, la terre insensiblement se f i x e 2
1. Sans invoquer ce qui n'est pas comparable (roman social, poésie populiste), on
pourrait songer, comme exemple d'une de ces inspirations, à l'exploitation littéraire
du thème du calendrier avec Le temps qu'il fait, d'Henri P o u r r a t .
2. J u s q u ' a u i v e / x e siècle, on discute de « la possibilité que la terre tourne autour de
son a x e ; mais dans les siècles suivants l'immobilité absolue est universellement accep-
tée • (C. A. Nallino, «Astronomie», dans El, t . I, p. 507).
1. Qui prend d'autant plus de relief ici qu'on n'oubliera pas que c'est au Fârs qu'il
semble avoir eu le plus de contacts avec le petit peuple (cf. supra, p. 318-319). Confirmation
supplémentaire, donc, de notre analyse des rapports entre la géographie des masâlik
et les masses. Malgré les aperçus que cette culture peut avoir sur d'autres milieux que
celui où elle natt, elle reste en vase clos, en ce sens qu'elle émane d'uneclasseetyretourne.
2. Éd. de Goeje, p. 449. Autres indications de bibliothèques, trad., § 11, 12 bis, 14
( a v e c reprise § 26).
elle est ainsi l'un des groupes : culture d'élite, donc, parce que, comme les
autres formes du pouvoir social, le savoir permet d'échapper à la condition
vulgaire, mais en même temps culture bourgeoise, dans la mesure où
l'idéal qu'elle propose reste, à l'égal de l'argent et à la différence du
sang ou du rang, accessible à tout homme m o y e n 1 doté des qualités
suffisantes : l'invitation à la culture et le célèbre « enrichissez-vous ! »
rendent un peu le même son.
les choses qu'on trouve dans une ville à l'exclusion d'une autre. Ce fait
apparent est constaté dans les diverses régions et les principales villes ;
au point qu'on rencontre ces divergences entre des localités très proches
l'une de l'autre ». 1
Ce tableau séduisant 2 appelle toutefois quelques remarques : d'abord,
la science ainsi revendiquée pèche au moins sur un point. Elle hésite
en effet entre la spécialisation — corollaire de la relativité puisque celle-ci
se réduit d'autant plus qu'on limite le champ de la recherche 3 — et le
désir passionné d'éclectisme qu'impose le siècle et que l'adab résume
avec sa devise du tout un peu. Cette contradiction est perceptible dans
toutes les œuvres, même dans celles dont le propos se veut spécialisé
dans un ordre strictement géographique : sans même en appeler à ce
modèle qu'est Ibn al-Faqïh, on renverra par exemple aux thèmes des
merveilles du monde qu'on trouve, on l'a vu, jusque dans la sûrat al-ard,
aux ambitions d'une histoire partout présente et, pour résumer cette
oscillation d'ensemble du savoir, à la préface de Ya'qûbl : celui-ci annonce
bien une limitation de sa recherche à la géographie : « nous considérons
ce livre comme un sommaire de documentation sur les pays » ; mais, tout
aussitôt, il invoque la parole, extrêmement révélatrice, d'un « sage » :
« mon ambition ne va pas jusqu'à convoiter le summum de chaque science
ni jusqu'à en posséder la perfection, je me borne à connaître les faits
qu'il n'est pas permis d'ignorer et qu'un homme raisonnable ne peut
décemment contester » * : d'où il apparaît clairement qu'ayant à choisir
entre l'approfondissement d'une discipline spécialisée et l'élaboration,
à partir d'un noyau central constitué par cette discipline, d'une sorte de
panorama général de la connaissance, la géographie, tout comme les autres
sciences, essaie de faire la part aux deux : hésitation dont le contenu
du Kitâb al-buldân témoigne en effet amplement.
Si l'on considère, maintenant, les fins assignées à la connaissance, on
peut, en ce domaine, poser a priori deux options possibles. Ou bien la
science trouve sa justification en elle-même, elle est alors recherche,
comme telle ouverte, libre et désintéressée, mais aussi, du même coup,
difficile, et l'effort qu'elle suppose en fait le lot d'une élite, assez armée
intellectuellement pour s'y adonner : telle était la position d'un Gâhiz. '
1. Encore que défensive, au moins avec Gâhiï, sur le plan des valeurs.
2. J'entends par là qu'elle se meut dans les limites de la perception courante, qu'elle
n'est donc pas recherche, mais consignation.
3. On objectera peut-être que l'accès à cette classe, comme on l'a dit à propos d'Ibn
al-Faqîh, est libre à tout postulant. Sans doute, mais à la façon de toute société ini-
tiatique : elle ne s'en ouvre pas pour autant au dehors, n'en change pas pour autant son
esprit ni ses rites.
avec certains de ses thèmes ou par son art d'écrire, tout ce qu'il faut pour
obtenir, d'abord, le satisfecit des lettrés.
Pour ces tenants de Yadab, donc, la connaissance est à la fois un savoir
et un moyen de communication : d'où l'importance que revêtent les ques-
tions de langage et de forme, d'où la contrainte qui lie la science à la litté-
rature, d'où, enfin, les critères auxquels ce savoir est jugé : 011 ne se préoc-
cupe pas tellement de décider s'il est vrai, mais s'il « passe ». 1 II relève
ainsi, en définitive, de critères quasi esthétiques qui muent presque la
communication en complicité : celle que donnent, aux adeptes des mêmes
goûts, les plaisirs de la table", les arts plastiques, ¡la poésie ou la
musique et qui repose à la fois sur une commune sensibilité à la prouesse, à
l'exploit de l'artiste 3 , et, parce qu'il s'agit là de plaisir plus que de
jugement, sur une sorte d'incapacité à analyser cette perfection. Le savoir
bien su, la leçon bien dite, qui portent eux aussi la marque du virtuose,
sont acceptés d'emblée, en une communion tacite, sans qu'on soit capable
d'énoncer autre chose que ce que Mas'udï disait à propos du livre d'Ibn
Hurdâdbeh 4 : c'est beau.
1. Cf. 1'« audience », 1'« attente », 1'« approbation » citées supra, p. 163, note 6. A noter
également, toujours à propos d'Ibn al-Faqîh, que le livre est lait pour « s'attirer les
cœurs » (p. 164, note 1) ; cf. enfin Kitâb al-buldâri, p. 195 i.f., où l'on assigne comme b u t
à l'ouvrage le terme ambigu de fann (« branche de la science », « discipline », mais aussi
« art»), ce qui justifie le mot d'« esthétiques» que nous employons un peu plus loin. L e
climat éminemment subjectif dans lequel est reçu l'art est admirablement rendu dans
la Maqâma êi'rigya de Hamadânï.
2. Par contraste, au nombre des épreuves que lui a values son existence errante,
Muqaddasï parle (trad., § 8 4 ) de potages, de pâtés et de bouillies.
3. Cf. ce que dit Muqaddasï à propos de la décoration de la mosquée de Damas :
trad., § 139 i.f.
4. Cf. supra, p. 347, note 3.
mane est la clé de voûte. La géographie, même quand on sent ses auteurs
très réservés sur certaines formes séculières de la primauté arabe, ne r e m e t
cependant pas en cause la solidité de la foi en l'Islam. Tout se passe en
effet comme si cet attachement à la religion, au-delà des prises de position
ethniques ou politiques, était ressenti d'instinct comme une sauvegarde,
face à cette croyance universellement répandue alors que le monde est en
décadence continue depuis la mort du Prophète : « J e vois, avait dit
celui-ci du haut d'une tour de Médine, les discordes à l'intérieur de vos
demeures comme les points de chute de la pluie » 1 , et Ibn al-Faqïh,
reprenant le thème, d'égrener la litanie des ruines à prévoir, telle ville
ou telle nation suivant telle autre, en une course irrémédiable vers une
apocalypse sans salut. 2
U n pareil pessimisme devant l'histoire explique, d'abord, cette réaction
d'auto-défense, que l'adab traduit, à sa manière, avec un savoir constitué,
codifié, dont on a vu que la géographie, comme les autres disciplines,
est, dans son ensemble, tributaire. On comprend mieux aussi un mouve-
m e n t de repli sur soi, vers les régions centrales de l'Empire, mouvement qui
est, dans l'ordre spatial, la réplique de ce passéisme par lequel on cherche
une perpétuelle référence à la période bénie des commencements de
l'Islam. Ya'qûbï ne fait pas autre chose que réduire la douceur de vivre
au périmètre de Bagdad, lorsqu'il parle de l'Arménie « lointaine », « glacée »,
« entourée d'ennemis», de l'Ifrîqiya toujours déchirée, du ôibâl et de ses
Kurdes, rudes comme leur pays de gel et de neige, de ce ÏJurâsân «qui se
perd vers l'Extrême-Orient et est entouré de tous côtés par des ennemis
farouches et éminemment batailleurs », de ce Hedjaz, enfin, où la vie est
si difficile. 3 Ce thème de la prééminence irakienne, du reste vieux comme
le monde, est constant chez les auteurs. Même ceux qui, en raison de la
décadence abbasside, ont dû tourner leur admiration ailleurs, vers Le
Caire notamment, reprennent à l'envi, fût-ce entre deux critiques, la
louange du pays mésopotamien, berceau du bonheur et de la culture.
Sans doute, avec le temps et la contradiction qu'il implique entre l'idéal
et le réel, ce souvenir devient-il pure convention. Mais il est des conventions
qui ont la vie dure : si on les dit, et même si, pour son propre compte,
on n'y croit guère, c'est bien parce qu'on sait qu'elles répondent, au moins
chez certains, à une attente qui peut n'être pas qu'esthétique : car il
y a des images, et particulièrement celles du bonheur disparu, que leur
infinie répétition sur les lèvres humaines n'arrive pas à priver de leur
charme. Quoi qu'il en soit, et qu'on le croie sincèrement ou qu'on le répète
par jeu, l'Irak est le dépositaire d'un a r t de vivre (adab), tout comme la
André Miquel. 26
Si l'on ajoute à tout ce qui vient d'être dit l'inattention aux problèmes
sociaux, signalée plus haut, et, aussi, la nature et l'impact d'une éducation
qui se définit comme un privilège de fait on sera tenté de conclure à un
égoïsme de classe. Pourtant, si leur culture et, surtout, une assez grande
facilité matérielle permettent incontestablement à ces lettrés de goûter les
charmes d'une vie sans souci 3 dans une sorte d'univers clos, il n'en fau-
drait pas pour autant conclure, pas plus qu'on ne pourrait le faire pour
l'épicurisme grec, au laxisme. La rançon du bonheur, c'est, ici, précisément
la conscience de l'éminente faveur qu'il représente, et l'appartenance à
l'élite qu'il circonscrit implique donc une responsabilité : celle d'incarner,
aux yeux de l'ensemble de la société islamique, ces valeurs dont on est,
par excellence, le dépositaire. Crâlji?, qui, on l'a vu, fait de la recherche
d'une morale le but suprême du savoir, définit celui-ci dans une adjuration :
« Vous qui êtes l'élite, ne raisonnez pas comme le vulgaire, car vous aurez
à répondre de la grâce qui vous a été faite » 3 ; cet appel, la géographie
y répondra, encore que sur un ton plus modeste, par l'allure moralisante
qu'elle se donne volontiers 4 et par sa religiosité d'ensemble : pour tous,
l'exercice de la géographie se confond avec la pratique de la vertu. '
éd. de Goeje, p. 338, 399 (usages alimentaires), 399 (mœurs des femmes), etc. ; cette
référence implicite aux bonnes mœurs, au bon usage, est constante dès qu'il s'agit de
textes consacrés à l'étranger, comme la Relation.
1. La Relation (§ 48) estime sans doute le fait assez exceptionnel pour noter qu'en
Chine, « dans chaque ville il y a une école et un maître d'école pour instruire les pauvres
et leurs enfants », ces maîtres étant « nourris aux frais du Trésor » ; intérêt confirmé par
§ 36 : « Pauvres ou riches, petits ou grands, tous les Chinois apprennent à tracer des
caractères et à écrire. »
2. Ici aussi, on fera peut-être des réserves pour les auteurs de masâlik, et il est bien
vrai que leur existence errante les éloigne de cet idéal de vie. Mais cela reste, précisément,
leur idéal, le voyage étant, à leur yeux, on l'a vu, le tribut qu'on ne peut se dispenser de
payer à la connaissance. Du reste cette vie errante elle-même connaît de larges époques
de bon temps, et le fait même qu'on peut la mener suppose une certaine aisance maté-
rielle : Muqaddasï (trad., § 87) nous dit qu'il a dépensé 10 000 dirhems rien qu'en dépla-
cements : il ne s'agit donc pas de ce point de rupture où la pauvreté, par sa constance
et son intensité, fait, comme ftâhi? le laissait entendre, de l'homme une brute. Il
faudrait ajouter, enfin, que cette fraternité des lettrés, qu'on retrouve de ville à ville,
atténue alors considérablement les effets de ce que nous appellerions le déracinement.
Au bout du compte, on ne peut vraiment pas parler de vie malheureuse.
3. Hayawân, t. III, p. 302 i.f.
4. Par exemple dans les préfaces ou les jugements portés sur les habitants de tel
ou tel pays.
5. Ce qui explique, par contre-coup, les excuses que Muqaddasï se croit obligé d'in-
voquer lorsque les nécessités de la science le forcent à prendre ses aises avec les comman-
dements : encore dit-il qu'il ne s'agit là que de l'utilisation de tolérances légales, non
d'infractions véritables : trad., § 87.
1. Cf. éd. de Goeje, p. 15, 21, 42-43, 74, 78, 81, 95, 105-106, etc.
2. Ce n'est pas un hasard si le Kitâb al-ajâni, cet « admirable instrument de la pro-
pagande Sï'ite » (Laoust, Schismes, p. 139), pratique si délibérément Visnâd. Ce procédé
du retour aux sources est visible, conjointement dans le sunnisme et le Sï'isme, à travers
les œuvres d'Abü Bakr al-Ballâl (mort en 311/924) et de Kulaynï (mort en 329/940) :
cf. Laoust, op. cit., p. 125, 149-150 ; sur l'esprit de ce retour aux sources, cf. ibid., p.
114 sq., 123 sq., 174 sq., 388-390, 393.
3. Schismes, p. 115 i.f. et passim.
4. Trad., § 39 sq. La religion peut être aussi invoquée pour délimiter une province
(éd. de Goeje, p. 115-116, 386 sq.), pour préciser la nature des mers (trad., § 31, 32, 37),
etc.
son temps sont symboles de raison, symboles de bon sens qui étayent sans
cesse les données de l'observation et de la réflexion. Mais, on le voit,
il ne s'agit en aucun cas, pas plus ici que dans le hanbalisme, d'en venir
à une pensée personnelle : la revendication d'un libre jugement ne fait,
au contraire, que substituer une tradition éclairée à une tradition aveugle,
et la victoire de l'esprit de référence sur l'esprit de système ne vise à rien
moins, en définitive, qu'à ériger cette référence en système.
Jamais, ainsi, l'on ne quitte un système de relations avec autrui, jamais
l'on ne se meut dans l'exercice d'une pensée réellement indépendante.
Même si, méthodologiquement parlant, les auteurs peuvent faire preuve,
ici ou là, d'originalité, l'unité du fonds commun auquel ils puisent accuse,
de l'un à l'autre, un relief saisissant. De cette unité, nous tenons, au niveau
de la mise en forme, une preuve de choix : le plagiat. Voyager dans le
texte des autres, voir avec les yeux d'autrui : nous avons, chemin faisant,
employé ces expressions pour traduire un état de choses qui rend difficiles
les études sur tel ou tel écrivain pris en particulier 1 , mais ne gêne pas
le sociologue, soucieux avant tout de thèmes communs, et même rend
de signalés services à l'historien de la littérature. 2 On pourrait jouer à
dresser la liste de ces plagiats : on opposerait ainsi le plagiat scientifique
et le plagiat impudent, que distingue la citation des sources ou son ab-
sence 3, le plagiat littéral et le plagiat élaboré 4, le plagiat de première
1. De cette difficulté d'attribuer à chaque auteur ce qui lui revient, le cas Içtaljrï-Ibn
Hawqal offre une illustration exemplaire.
2. Un exemple : ôayhànï a incorporé dans le sien tout l'ouvrage d'Ibn tJurdâdbeh,
sur une version d'ailleurs plus complète que celle qui nous est parvenue. E t nous
retrouvons ainsi, chez Idrîsï qui a travaillé d'après Gayhânï, des passages d'Ibn B u r -
dâdbch que l'actuelle version du Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik ne comporte pas :
cf. de Goeje, introd., au t. V I de la BGA, p. X V I .
3. On nous dispensera de donner des exemples du premier. Pour le second, cf. Istabrï,
p. 25 (1. 4) — Ibn Hawqal, p. 33 (1. 13-14), avec reprise de l'expression « j'ai vu».
De même, un informateur qu'Içtabrî donne comme un témoin oculaire (p. 26, 1. 2 :
abbarani mari ra'a) est indiqué par Ibn Hawqal (p. 35,1. 8) avec une variante : ahbarani
mari yu'rafu bima'rifati tilka n-nâhiya (« un informateur réputé pour sa connaissance
des lieux »). Cf. également, pour un même texte, la reprise de la même formule : « il
m'est revenu que...» ( b a l a $ a n i ) : p. 26 (I. 16)-37 (1. 5), 26 (20)-37 (16), 27 ( 1 0 - l l ) - 3 9
(5-6), 37 ( 1 5 ) - 3 9 (12-13). Sauvaget (introd. à la Relation, i.f.) cite ainsi un certain
nombre de «coquilles» provenant de démarquages imprudents. J ' e n ai trouvé, pour
mon compte, après de Goeje, une de taille chez Ibn al-Faqïh (p. 84, note e) : cet
auteur parle, à'propos du pays de Tanger, d'un chef nommé Ishâq b. Muhammad b. 'Abd
al-Hamîd, qui y exercerait «actuellement» (al-yawm), dit-il, son autorité. Or, le person-
nage en question est mort en 192/808, soit un siècle environ avant qu'Ibn al-Faqïh
compose.
4. Pour le premier, on se reportera aux exemples d'Içtabrî et d'Ibn Hawqal cités
à la note précédente. Exemples du second : les parages dangereux de la mer Rouge chez
Hamdânï, p. 127, et Muqaddasï, éd. de Goeje, p. 11-12 (trad., § 29-30), qui développe
le texte initial et adopte un cheminement inverse.
1. Cf., pour l'itinéraire de La Mekke à Tâ'if, Ibn Hurdâdbeh, p. 134 ; Ibn Rusteh,
p. 184 ; Qudâma, p. 187-188. Autre exemple avec le thème du poisson avaleur avalé :
Relation, § 2 ; Ibn tJurdâdbeh, p. 61 ; Merveilles de l'Inde, p. 199. Dans son commentaire
de la Relation, Sauvaget donne systématiquement, pour chaque passage, les emprunts
et plagiats postérieurs.
2. On renverra ici à ce qui a été dit pour Ibrahim b. Ya'qûb et ses transmetteurs,
au chap. IV, et, pour Ibn al-Faqïh et Yâqût, au chap. V.
3. Cf. supra, p. 104-106.
4. Cf. Prairies, éd. Pellat, p. 119, note 2, p. 133, note 1, p. 321, note 1, p. 343, note 1.
on ne peut que constater que « ces auteurs », et a fortiori les autres, « sont
préservés d'un glissement complet dans le vulgaire par le fait qu'ils se
tiennent encore dans la tradition vivante de la culture et de l'éducation
linguistique de l'Islam. Rendus familiers, par l'école et l'enseignement,
avec l'ancienne 'Arabïya et ses classiques et s'appuyant dans leur métier,
pour la langue aussi, sur leurs devanciers, ils restent plus ou moins sous
la contrainte de la grammaire normative ».1 Qu'est-ce à dire, sinon que,
le modèle linguistique allant évidemment de pair avec le modèle culturel
d'ensemble, la classe des lettrés adopte, en matière de langage, les mêmes
attitudes qu'en matière de savoir ? De même qu'elle se réfère à une culture
composite sans doute, mais où les traditions arabo-musulmanes jouent
un rôle déterminant, de la même façon elle use d'un langage qui reflète
bien les changements intervenus depuis que l'arabe a débordé son domaine
originel, mais qui reste, néanmoins, étonnamment fidèle aux structures
de ce langage premier.
Si on peut enregistrer ainsi, chez les géographes, l'existence d'une langue
étale à quelques nuances près, le tableau est en revanche tout à fait diffé-
rent pour le style, qui est, lui, en pleine évolution. L'histoire de la prose,
depuis Ibn Hurdâdbeh jusqu'à Muqaddasï, est entièrement dominée
par ce fait majeur qu'est la recherche, toujours plus envahissante, d'une
expression artistique, sous la forme de la prose assonancée et cadencée
(.sag'). Liée finalement aux ambitions des masâlik, qui prétendent au
statut de genre littéraire, cette évolution reflète parfaitement le mouve-
ment d'ensemble de la prose arabe aux m / i x et iv e /x e siècles.
On peut schématiquement distinguer ici trois périodes : la première
est celle des techniciens à la manière d'Ibn Hurdâdbeh 2 , soucieux a v a n t
t o u t de renseignements précis. Pour ces auteurs, on ne peut guère, à
la limite, parler de style, leurs œuvres ayant « la sécheresse du procès-
verbal» 3 ou de la fiche. Au fur et à mesure, toutefois, que la géographie
s'inscrit dans un champ de préoccupations plus vastes en relation avec
la culture générale du temps, on assiste à l'éclosion des recherches for-
melles : l'impulsion décisive en ce sens peut avoir été donnée par les fonc-
tionnaires, qui appliquèrent aux nécessités de leur métier les règles édictées
par l'art de la balâga, c'est-à-dire de la stylistique, mais d'une stylistique
qui ne séparait pas l'art du langage de ses fins primordiales qui sont la
communication, la transmission efficiente de la pensée. Il était normal,
en ce sens, que Qudâma, dont on connaît par ailleurs le rôle comme critique
1. J. Filck, op. cit., p. 174. De la même façon, la Relation, dont Sauvaget (op. cit.,
p. X X I - X X I I I ) souligne qu'elle puise évidemment à la langue parlée, use d'une langue
« correcte dans sa simplicité ».
2. E t aussi de Ya'qübí et de la littérature de « dits » (afrbâr) à la manière de la Rela-
tion : cf. Sauvaget, op. et loc. cit.
3. G. Wiet, Introduction à la littérature arabe, p. 142.
Conclusion ? A la vérité, le moment n'est pas venu d'user d'un tel mot :
on préfère attendre, pour cela, d'être au terme du prochain volume, qui
doit, on l'a dit, nous faire pénétrer plus profondément, par la peinture du
monde tel que l'ont vu les géographes de langue arabe, dans l'univers
mental de l'Orient musulman d'avant l'an mil. Le seul trait qu'on puisse
retenir pour l'instant, c'est celui de l'unité essentielle d'une culture à
laquelle l'Islam donne, au-delà des colorations diverses qu'elle peut tirer
de ses contacts avec l'étranger et des prises de position doctrinales de ses
écoles, une prodigieuse cohérence.
Mais du moins ce thème de l'unité nous encourage-t-il sur la voie à
suivre, qui est celle de l'exploration de ce monde perçu, senti, imaginé
peut-être, que nous évoquions en commençant. Il semble bien, par exem-
ple, qu'on doive évoquer le problème d'une unité plus vaste, qui regrou-
perait toutes les géographies à l'antique : ce problème, on le poserait évi-
demment dans l'histoire, puisque aussi bien la géographie arabe hérite, en
bien des points, de sa devancière grecque ; mais on irait plus loin sans
doute, en constatant, face à certains aspects du monde comme les « mer-
veilles », par exemple, des attitudes identiques 1 que les contacts et les
filiations historiques ne suffisent peut-être pas à expliquer. Et que dire
André Miquel. 27
particulier pour les adjonctions opérées par Ibn Hawqal ; pour les sup-
pressions (rares) faites par le même auteur, plus difficiles à déceler à
première vue, elles sont indiquées, dans le texte d'Istabrï, par des crochets
qui se combinent, le cas échéant, avec la signalisation de base déjà indiquée.
c) L'adjonction de texte pure et simple (sans schéma initial fourni par
Istahrï), ou la suppression, non plus d'un mot ou d'une tournure d'Istabrï,
mais d'un passage entier, apparaîtront au simple vu du tableau :
adjonction : Texte
suppression : Texte
PRÉSENTATION DE LA TERRE
J ' a i mentionné dans ce livre-ci J ' a i fait à son intention (il s'agit
•les climats* (aqâlim) de la terre, du personnage de la dédicace)
en me fondant sur les états ce livre-ci, qui décrit les figures
de la terre, ses dimensions en
longitude et latitude, *les climats
(aqâlïm) des pays*, l'emplacement
des lieux incultes et des lieux habités
et ayant en vue, [entre tous], les qui composent l'ensemble des pays
pays de l'Islam, dont j'ai distingué de l'Islam, dont j'ai distingué les
les villes et, distribués tout autour villes et, distribués tout autour
d'elles, les territoires respectifs qui d'elles, les territoires respectifs qui
leur R E V I E N N E N T en tant que leur A P P A R T I E N N E N T E N PROPRE en
relevant de leur autorité. tant que relevant de leur autorité.
J e n'ai pas eu en vue les sept cli- J e n'ai pas eu en vue les sept cli-
mats entre lesquels se partage la mats entre lesquels se partage la
terre ; terre
j'ai préféré isoler les divisions J ' a i donc isolé des divisions terri-
territoriales, en réservant à cha- toriales, en réservant à chacune
cune une carte qui rende parlante une carte et une figure qui rendent
la position de cette province (iq- parlante la position de cette pro-
lîm) vince (iqlïm),
III, 7-IV, 10
J'ai consacré à la terre en son en- J'ai consacré à la terre en son en-
semble, entourée de la mer Envi- semble, entourée de la mer Environ-
ronnante où personne ne s'aventure, nante où personne ne s'aventure,
une carte : une carte qui tantôt s'accorde et
tantôt s'oppose à celle de Quwa-
dhiyân :
V, 10-18
au Kirmàn, J E P A S S E E N S U I T E A LA R E P R É S E N -
TATION du Kirmân, avec son désert,
SA MER, S E S P L A I N E S , SES MONTA-
GNES, ET TOUTES SES VOIES ET
ROUTES.
(sur les anciens empires et l'Islam : cf. trad. Wiet, IX, 21-X, 18)
Texte identique, sauf les infimes variations suivantes :
les parties DÉSOLÉES (XV, 21) les parties INCULTES (IX, 14)
à l'ouest par l'empire du Rûm et au nord par les pays du Rûm et les
les régions contiguës : Arménie, al- régions contiguës : Arménie, al-
Lân, ar-Rân, as-Sarïr, pays des Lân, ar-Rân, as-Sarïr, pays des
Khazars, des Rûs, des Bulgares, des Khazars, des Rûs, des Bulgares, des
Slaves et d'une fraction des Turcs, Slaves et d'une fraction des Turcs ;
au nord par l'empire de Chine et les et aussi, toujours au nord, par une
régions contiguës du pays turc, partie de l'empire de Chine et les
régions contiguës du pays turc,
au sud, enfin, par la mer du Fârs. au sud, enfin, par la mer du Fârs.
L'empire du Rûm est limité à l'est L'empire du Rûm est limité à l'est
par les pays de l'Islam, à l'ouest par les pays de l'Islam, à l'ouest
et au sud par la mer Environnante, et au sud par la mer Environnante,
au nord par les marges du territoire au nord par les marges du territoire
chinois, car N O U S avons rattaché au chinois, car J'ai rattaché au pays du
pays du R û m les peuples intermé- R û m les peuples intermédiaires
diaires entre lui et les Turcs, à entre lui et les Turcs, à savoir
savoir les Slaves et les autres les Slaves et les autres peuples
peuples. voisins du Rum.
Quant aux mers, les plus grandes Quant aux mers, les plus connues
sont celles du Fârs et du Rûm. Ce sont au nombre de deux : la plus
sont deux golfes opposés qui se dé- grande est celle du Fârs, suivie par
tachent de la mer Environnante. La celle du Rûm. Ce sont deux golfes
mais il reste que la mer du Rûm Mais il reste que la mer du Rûm s'é-
s'étend, au delà d'al-Faramâ [et jus- tend, au delà d'al-Faramâ, sur un
qu'aux places-frontières], sur un peu plus de vingt étapes, I L Y A P O U R
peu plus de quatre-vingts étapes. CELA D E S DÉTAILS QUE NOUS DON-
NOUS DONNONS, A PROPOS DES DIS- NONS A PROPOS DES DISTANCES DU
TANCES DU MAGHRIB, DES DÉTAILS MAGHRIB et qui nous dispensent de
qui nous dispensent de nous répéter nous répéter ici. De l'Égypte aux
ici. De l'Égypte aux extrémités du extrémités du Maghrib, il y a envi-
Maghrib, il y a environ cent quatre- ron cent quatre-vingts étapes. Ainsi
vingts étapes. Ainsi, l'intervalle (corriger ka'anna en kâna), l'inter-
entre les extrémités occidentales et valle entre les extrémités occiden-
orientales de la terre est d'environ tales et orientales de la terre est
quatre cents étapes. d'environ quatre cents étapes.
c'est une mer faite de telle sorte C'est une mer faite de telle sorte
que quiconque voyage sur ses bords que quiconque voyage sur ses bords,
depuis les Khazars vers le Daylam, depuis les Khazars, près du pays
le Tabaristân, le J u r j â n et le dé- d'Adherba'ijân, vers le Daylam, le
sert près de Siyâh-Kuh, revient à Tabaristân, le Jurjân et le désert
son point de départ, sans rencon- près de la montagne de Siyâh-Kuh,
trer d'autre obstacle que les fleu- revient à son point de départ sans
v e s QUI SE J E T T E N T EN CETTE MER. rencontrer aucun obstacle d'eau sa-
lée, mais seulement les fleuves d'eau
douce QUE NOUS VENONS D E CITER.
X V I I I , 2-14 X I I I , 17-XIV, 15
André MIQUEL. 28
CET empire est tout entier dans L'empire D E C H I N E est tout entier
l'obédience du maître de la Chine dans l'obédience du maître de la
qui réside à Khumdân, de même Chine qui réside à K h u m d â n ; de
[QUE] l'empire du Rûm est dans même, l'empire du R û m est dans
l'obédience du roi qui réside à Cons- l'obédience du - roi qui réside à
tantinople, l'empire de l'Islam dans Constantinople, *l'empire de l'Inde
celle du Commandeur des Croyants dans celle du roi qui réside à
à Bagdad, et *l'empire de l'Inde Qannûj*, P A R E I L S E N CELA A
dans celle du roi qui réside à L ' O B É D I E N C E D E l'empire de l'Is-
Qannûj*. l a m PAR R A P P O R T a u roi Q U I R É S I D E
à Bagdad.
X V I I I , 14-21 X I V , 16-XV, 7
tes de leur territoire se situent des Ghuzz, les limites de leur ter-
entre les Khazars, les Kaymâk, le ritoire se situent entre les Khazars,
pays des Khazlaj et les Bulgares, les Kaymâk, le pays des Khazlaj et
les limites du territoire islamique les Bulgares, les limites du terri-
se situant entre le Jurjân et les toire islamique se situant entre
pays vers Fârâb et Isbïjâb. Q U A N T J u r j â n et les pays vers Bârâb et
AU pays des Kaymâk, il est au delà Isbïjâb. Le pays des Kaymâk est
des Khazlaj, en direction du nord. au-delà des Khazlaj, en direction du
I L S SONT S I T U É S entre les Ghuzz, nord, entre les Ghuzz, les Khirkhïz
les Khirkhïz et le pays slave. Les et le pays slave. Q U A N T A U X Gog,
Gog sont dans les régions du nord, ils sont dans les régions du nord, une
une fois qu'on est passé entre les fois qu'on est passé entre les Slaves
Slaves et les Kaymâk, mais Dieu et les Kaymâk, mais Dieu sait
sait mieux ce qu'il en est de leur mieux quelles S U R F A C E S ils occu-
SITUATION [ET DES AUTRES PAYS] pent ; leur pays consiste en montagnes
qu'ils occupent. élevées, que les bêtes de somme ne
peuvent escalader et qui sont accessi-
bles aux seuls piétons. Je n'ai vu per-
sonne d'aussi bien informé sur eux
qu'Ibrahim b. Alptakln, chambellan
du maître du Khurâsan, qui m'a appris
que les marchandises leur arrivent à
dos d'homme ou sur l'échine des chè-
vres, et que leurs marchands, pour
revenir du Khuwârizm, mettent par-
fois, à gravir ou à descendre une
montagne, une semaine et même
dix jours.
Quant aux Khirkhïz, ils sont entre Quant aux Khirkhïz, ils sont entre
les Tughuzghuz, les Kaymâk, la mer les Tughuzghuz, les Kaymâk, la mer
Environnante et le pays des Khaz- Environnante, le Pays des Kahzlaj
laj. Pour les Tughuzghuz, ils sont et les Ghuzz. Pour les Tughuzghuz,
entre le Tibet, le pays des Khaz- ils constituent une immense peupla-
laj, les Khirkhïz et l'empire de de, largement répandue entre le Ti-
Chine. La Chine, E L L E , est entre la bet, le pays des Khazlaj, les Khir-
mer, les Tughuzghuz et le Tibet. khïz et l'empire de Chine. La Chine
est entre la mer Environnante, les
Tughuzghuz, le Tibet et le golje
Persique.
La Chine proprement dite est cons-
tituée par ta province ainsi déli-
mitée, mais nous lui avons ratta-
Les Rus sont un peuple des régions Les Rûs sont un peuple barbare, QUI
bulgares, entre celles-ci et les Sla- H A B I T E les régions bulgares, entre
ves. Une peuplade T U R Q U E a quitté celles-ci et les Slaves, sur le Nahr
son pays pour venir s'établir entre Itil. Une peuplade D E S TURCS a
les Khazars et le Rûm : on les quitté son pays pour venir s'établir
appelle Petchénègues. La région entre les Khazars et le Rûm : on les
qu'ils occupent n'était pas leur appelle Petchénègues. La région
territoire dans l'antiquité : ils qu'ils occupent n'était pas leur
l'ont envahie et occupée de force. territoire dans l'antiquité : ils
l'ont envahie et occupée de force.
[QUANT AU] pays des Bedja, son bles. Le pays des Bedja a un terri-
territoire est exigu. toire exigu en largeur, mais long,
IL Y A U R A I T B E A U C O U P D E CHOSES
ORIGINALES A D I R E SUR L E N O M B R E
DES HABITANTS, LEUR CONDITION,
L E U R S ROIS, L E U R S CROYANCES, LES
CHANGEMENTS APPORTÉS A LEUR
SITUATION PAR L'ISLAM, MAIS JE
N'AI TROUVÉ SUR EUX AUCUNE
CITATION D A N S LES OUVRAGES B I O -
GRAPHIQUES, ET JE DONNERAI UN
R É S U M É D E L E U R HISTOIRE QUI SERA
A P P R O U V É D E C E U X QUI LE T R O U -
VERONT DEVANT EUX EN CAS DE
BESOIN.
(sur l'Abyssinie)
Texte identique, avec deux variantes minimes,
d'ordre stylistique
l'empire de l'Islam, sa
[ Q U A N T A] L'empire de l'Islam, à notre époque
longueur, depuis les frontières du et de nos jours (sic), a pour longueur,
Ferghâna, puis à travers le Khura- depuis les frontières du Ferghâna,
san, le Jibàl, l'Irak, l'Arabie, et puis à travers le Khurâsân, le
jusqu'aux rivages du Yémen, est Jibâl, l'Irak, l'Arabie et jusqu'aux
d'environ cinq mois de marche. En rivages du Yémen, environ cinq
largeur, depuis le pays du Rüm en mois de marche. En largeur, depuis
passant par le Shâm, la Jazïra, le pays du Rûm en passant par le
l'Irak, le Fârs, le Kirmân, et Shâm, la Jazïra, l'Irak, le Fârs et le
jusqu'au pays d'al-Mançûra sur le Kirmân, et jusqu'au pays d'al-
rivage de la mer du Fârs, on arrive Mançura sur le rivage de la mer du
à environ quatre mois de marche. Fârs, on arrive à environ quatre
A remarquer que N O U S avons négligé mois de marche. A remarquer que
DE PRENDRE EN COMPTE, D A N S la J'ai négligé, D A N S LA P R I S E E N
longueur de l'Islam, les limites du C O M P T E D E la longueur de l'Islam,
Maghrib jusqu'à l'Andalus, P A Y S les limites du Maghrib jusqu'à
QUI sont COMPARABLES A une l'Andalus, QUI sont COMME une
manche par rapport à un vêtement. manche par rapport à un vête-
A l'est comme à l'ouest du Maghrib, ment. A l'est comme à l'ouest du
il n'y a aucun territoire musulman, Maghrib, il n'y a aucun territoire
les villes qui Y sont situées les villes qui sont situées SUR SON
TERRITOIRE
Calendrier de Cordoue, p. 134 sq. (trad. Pellat ; le passage sur les faucons,
les hirondelles et les mouettes est emprunté aux notes de F. Viré dans
Arabica, X I I , 1965, p. 312).
Mois de septembre
Cette saison est contraire à tous les âges et à tous les tempéraments,
dans tous les pays. Le moindre dommage est subi par ce qui, dans sa
nature, est chaud et humide ; elle convient mieux aux enfants et aux
adolescents, ainsi qu'aux complexions naturellement humides.
1 e r . Durée du jour : 12 h. 2/3 ; durée de la nuit : 11 h. 1/3. Hauteur du
soleil à midi : 55° 1 /4. L'ombre de toute chose est égale aux 7/12 de sa
hauteur. Chez les Chrétiens, fête de saint Terentianus l'évêque et de ses
compagnons martyrs. Ils prétendent que ce jour est mort Josué fils de
Noun — sur lui le salut.
3. Égyptiaque.
5. Le crépuscule prend fin 1 h. 1 /2 après le coucher du soleil, et l'aube
commence 1 h. 1 /2 avant son lever.
8. Chez les Chrétiens, fête de la Nativité de la Vierge Marie.
9. Lever d'as-Sarfa à l'aube; voici sa forme : 0 . Coucher d'al-Farg al-
Muqaddam à l'aube ; voici sa forme : 0 0 .
Naw' d'al-Farg al-Muqaddam du Verseau, qui dure trois nuits. C'est
un naw' favorable. Lever d'as-Sarfa, son opposite. Le Nil est en crue. La
chaleur décroît. C'est le dernier des anwâ' de l'été, et sa pluie s'appelle
hamïm ou ramadï.
14. Chez les Chrétiens, fête de saint Cyprien le sage, évêque de Carthage,
mis à mort en Ifrîqiya. Sa fête est célébrée dans l'église de Saint-Cyprien à
Cordoue.
15. Durée du jour : 12 h. 1/5 ; durée de la nuit : 11 h. 4/5. L'ombre de
chaque chose est égale au tiers de sa hauteur. Fête de san Emila.
16. Lever d'as-Simàk ar-RSmiti, qui marque le début de l'automne
d'après Hippocrate, Galien et d'autres médecins savants. Chez les Chrétiens,
fête de sainte Euphémie, vierge mise à mort dans la ville de Chalcédoine.
18. Le Soleil entre dans le signe de la Balance d'après l'observation
courante ; c'est l'équinoxe d'automne.
20. De ce jour à la fin du mois, on prépare du sirop des deux variétés
de grenades, du sirop de fruits divers, du vin de coings et du rob de raisin.
Égyptiaque.
21. Chez les Chrétiens, fête de saint Matthieu apôtre et évangéliste mis
à mort par Ëglippus roi d'Abyssinie. O
22. Lever d'al-'Awwâ' à l'aube; voici sa forme : 0 0 0 . Coucher d'al-
Farg al-Mu'abbar à l'aube ; voici sa forme : 0 0 .
Naw' d'al-Farg al Mu'abbar, qui dure quatre nuits. Lever d'al-'Awwâ'
son opposite. C'est un naw' favorable et très pluvieux ; cette pluie est
Mois de septembre
1. Dans la mesure où, conçu aussi comme construction politique, il est amené à
comprendre en ses limites des religions « nationales » que certains voudraient voir
préserver : on songe au judaïsme et surtout au zoroastrisme.
1. « Extrêmement monotone », écrit G. Lazard (op. cit., p. 54), qui l'estime à ce titre
de peu d'intérêt pour le linguiste.
2. L'ouvrage se distribue comme suit : préface : p. 49 ; présentation de la terre :
p. 50-83 ; Chine, Inde, Tibet : p. 83 i.f.-94 ; Asie centrale : p. 94-101 ; Islam : p. 102-156 ;
Byzance : p. 156-158 ; Slaves, Rûs, Bulgares, etc. : p. 158-163 ; Afrique : p. 163-165 ;
conclusion : p. 166.
3. Dans le style des Hudûd, on peut « surtout étudier la composition du vocabulaire
technique de la géographie et apprécier la place qui y est tenue par l'élément arabe»
(Lazard, op. cit., p. 54).
André MIQUEL. 29
page
xviii A. A. El-Hajji, « The andalusian diplomatie relations with the
Vikings during the Umayyad period », dans Hesperis, VIII,
p. 67-110; D. M. Dunlop, « Bahr Muhlt », dans EI (2), t. I, p. 963.
xxii sur une traduction anglaise de ce récit, voir références dans Hudûd
al-'âlam, p. 419, n. 2.
page
XXXIII Les dates du règne du calife al-'Azîz sont : 365 /975-6 et 386 /996,
ce qui donne l'intervalle de t e m p s d u r a n t lequel l'ouvrage a été
publié (cf. infra, a d d e n d u m à la p. 310).
page.
22 Sur Themistios, cf. G. Dagron, L'Empire romain d'Orient au
i v e siècle ei les traditions politiques de l'hellénisme : le témoignage
de Themistios, Paris ( T r a v a u x et mémoires du Centre de recherche
d'histoire et civilisation byzantines, III), 1968, et « Aux origines
de la civilisation byzantine : L a n g u e de culture et langue d ' É t a t »,
d a n s Revue Historique, fasc. 489 (janvier-mars 1969), p. 23-56.
Sur l'humanisme byzantin en général, voir P. Lemerle, Le premier
humanisme byzantin, Paris, 1971.
page
très p r u d e n t à ce sujet. Il parle d'« hypothesis » (p. 77) et déclare :
« T h e evidence available as to t h e form of Iranian historiography
in t h e seventh century is very slim. This much, however, seems
certain: There is nothing t h a t would permit us to assume t h a t t h e
Persians used an annalistic arrangement... » (p. 74). E t plus loin
(p. 80) : « While all t h e preceding evidence points to the avail-
ability to Muslim scholars of a certain knowledge of Graeco-Syriac
historiography, it is by no m e a n s prove t h a t t h a t knowledge
reached Muslim historians early enough in this way to inspire
their use of t h e annalistic form. The same applies to an even
greater degree to some Christian Arabic historical works... »
page
d'ores et déjà que Kindî est mis à contribution dans le volume
qui doit faire suite à celui-ci.
132 et T a m l m b. B a h r al-Muttawwi'ï.
page
d'Awdagost se reconnaissait débiteur envers un h a b i t a n t de
Sigilmâsa... »; mais N. Levtzion estime qu'il s'agit là de l'inter-
vention fâcheuse d ' u n copiste, lequel a u r a i t extrapolé à partir
d'informations du t y p e de celle que fournit la p. 61 (trad. Wiet,
p. 58) : « j'ai vu une reconnaissance de d e t t e de M u h a m m a d b.
Abl Sa'dûn, d'Awdagost... » (cf. aussi p. 100, trad. p. 98, où l'on
doit a p p a r e m m e n t corriger « Abu Ishâq Ibrahim b. 'Abd Allah,
connu sous le nom de Faraga Sugluh, qui était à Awdagost le
bénéficiaire du chèque dont j'ai parlé », en : « Abu IshBq..., qui
était le bénéficiaire du chèque dont j'ai parlé à propos d'Awdagost »:
sâfiib ad-dayn wa s-sakk alladï qaddamtu dikrahu bi-Awdagost,
dit le t e x t e arabe : il semble bien en effet qu'il s'agisse du créancier
sigilmâsien de Muhammad b. Abl Sa'dûn).
I. Index géographique
Abbassides, 1,|2, 22, 23, 25, 60, Abu 1-Hasan 'Abd al-ûabbâr, 195
85, 87, 102, 184, 245, 268, 269, n. 2.
272, 273 n. 1, 275, 287, 301, 308, Abu I-Hasan 'Alï ar-Raba'ï,
317 319 338. XXXVÏ, 254 n. 4.
•Abd Allah al-Bagdädi, 23, 61, 62, Abu Hayyân at-Tawhïdï, X X X V ,
91. 221 n. 3 229.
'Abd Allah b. Mas'üd, 205, 320 n. 2. Abu I-Hud'ayl (àl-'Allâf), 27 n. 2,
'Abd Allah b. Tähir, XVIII. 195.
'Abdari, 358. Abû 'Isa al-Warrâq, 27 n. 1.
'Abd al-Hakam, X I X , 254 n. 3. Abu Ma'sar (Albumasar), 9, 75
'Abd al-Hamid, 21, 23 n. 2, 24, 36 n. 2, 109 n. 2, 157 n. 3.
n. 3, 61 n. 2, 168 n. 7. Abû Mifcnaf, 29 n. 4.
'Abd ar-Rahmän II, XVII, 145. Abû Muslim an-Naqqâs, 195.
'Abd ar-Rahmän III, 259, 261, 334. Abû Nu'aym, 194 n. 7.
Abraham, 165. Abû Nu'aym (al-Isfahânï), 194 n, 7.
Abu 'Abd Allah Muhammad b. Abû Nu'aym al-Mulâ'î, 29 n. 4.
Ishäq, X X I I , 116 n. 2. Abû Nuwâs, 168.
Abfl 1-As'at al-Kindl, XVII, XX, Abû 1-Qâsim al-'Akkï, 322.
XXVI, X X X , XXXIV, 246 n. 1, Abu 1-Qâsim al-Magribï, 21 n. 2.
263, n. 2. Abû Sa'ïd al-Gannâbï, 293 n. 4.
Abu l-'Atähiya, 168. Abû Tammâm, 168.
Abü Bakr al-Balläl, 196 n. 2, 355 Abû t-Tayyib as-Sawâ, 314.
n. 2. Abû 'U'bayd, XVII, 246.
Abü Bakr Muhammad ar-Räzi, 195. Abû 'Ubayd as-Sakûnï, XVII, XX,
Abü Bakr Muhammad az-Zubayrl, XXV, 246 n. 1, 263 n. 2.
195. Abû 'Ubayda, 29 n. 4, 30 n. 5.
Abü Dulaf al-'Igll, 139 n. 1. Abû Ya'lâ, 21 n. 2.
Abü Dulaf Mis'ar, X X I I , X X I X , Abû Ya'qub an-Nïsâbûrï, X X I V .
132, 139, 140, 141, 142, 143, 144, Abû Ya'qûb Yûsuf b. 'Abd Allah
145, 176, 276 n. 2, 277, 278, 334, b. Isliâq aà-Saljtiâm, 195 n. 2.
335, 340 n. 1. Abû 1-Yaqzân, 29 n. 4.
Abü 1-Farag al-Isfahänl, 149, 194 Abû 1-Yaqzân (Suhaym b. Hafs),
n. 5, 235. 29 n. 4.'
Abü 1-Fidä', X X X I I I , 80 n. 3, 277 Abû Yûsuf Ya'qûb, 23, 85 n. 4, 88
n. 2, 310, 311, 312. n. 1, 97.
Abü Ga'far al-tjäzin, 81 n. 1. Abû Zayd as-Sïrâfî (ou Supplément),
Abü Hamid al-Garnätl, X X V I I I . X X I I I , 119 n. 2, 121, 122, 123
Abü Hanifa, Hanafites, 26 n. 4, (et n. 3), 124, 125, 126 (et n. 5),
27 n. 2, 194, 197 n. 1, 320, 321, 127, 138, 255, 333-334.
322. Aetius, 16.
Agatharcos de Cnide, 271 n. 1. (et n. 6), 107, 188, 238, 244, 270
Ahmad b. Abï Tâhir Tayfür, XX, n. 1, 275, 279, 282 (et n. 2), 293,
254 n. 4, 259! 294, 298, 324, 335, 340 n. 1.
Ahmad b. Mahdï b. Rustem, 194 Barbahârites, 321 n. 9.
n. 7. Barbier de Meynard (C.), 206.
Ahmad (b. Sâlih b. Ahmad b. Bardesane, 71 n. 3.
Hanbal), 196. Barmécides, 153 n. 1.
Aljmad b. Yüsuf, 168 n. 7. Bâtiniyya, 214 n. 3.
Aljnaf, 153. Battânï (Albatenius), 9, 12 n. 1,
Alceste, 105 n. 3. 73 n. 4.
Alexandre, 10, 21, 166, 169, 200, Bayhaqï, XXV, 229.
271. Bible, 19, 26, 38, 165, 210, 312.
Alexandre de Tralles, 16. Birûni, XIV, XV, XXVII, X X X I I I ,
•Ali, "Alides, 165, 199, 200, 205, XXXVI, 2, 126 n. 3, 223, 224,
210, 211, 287, 302, 316, 319, 321, 225, 226, 227, 228, 244 n. 4, 257
341. n. 3, 342 n. 2.
'Ali b. 'Isa, 136. Blachère (R.), 2, 226, 267.
'Ali b. Rabban at-Tabari, 17 n. 2. Bouddhisme, 207.
*Ali as-Sallâmï, X X V I I I , 254 n. 3. Brockelmann (C.), XXVI.
'Alî as-Sayzarl, 154, 155, 157, 158. Bryzon, 17 n. 6.
Almorávides, 309 n. 2. Buhàri, 26, 27 n. 2, 235.
Ammonius, 8. Buhturï, 168.
'Amr b. 'Ubayd : 27 n. 2. Buyides, 139, 143, 194 (et n. 3),
Apollonius de Tyane (Balïnâs), 14, 206, 269, 316, 317, 318, 319, 323
170 n. 1. n. 2, 337, 338.
Aristarque, 8. Buzurg b. Sahriyâr, XXVIII,
Aristote, 14, 17, 19, 20, 21 n. 2, 43 X X I X , 127 n. 1.
n. 5, 45 (et n. 5), 46, 47, 169. Buzurgmihr, 154.
'Arrâm b. al-Asbag, XVII, XX, Cahen (C.), 208, 333, 334, 336.
X X V I , 245, 246, 263 n. 2. Calendrier de Cordoue, XV, X X X ,
Artémidore d'Éphèse, 21 n. 4. 257, 258, 342, 349.
Arthur Gordon Pym, 128. Carra de Vaux (B.), 207.
Asma'ï, XVr, XVII, XXV, XXXVI, Casthos, Costus, 17 n. 6.
'30 n. 5, 245. Caverne (Gens de la Caverne,
Autolycus, 8. Sept Dormants), XVIII, X I X ,
Avicenne, 10 n. 5, 21 n. 2. 89 n. 7, 91 n. 1, 146.
'Awâna b. al-Hakam, 29 n. 4. Cébès, 19.
'Ayyâsï, 358. Chosroès I Anusirwân, 165.
Azdï (Conte d'Abû l-Qâsim), 343. Chosroès II Parvïz (Abarwïz), 165.
'Azïz, X X X I I I , XXXV, 275, 309. Chrétfens, Chrétienté, 3, 24, 71
Azraqï, XVII, XX, 29 n. 4, 246. n. 3, 95, 150, 185, 207, 214 n. 2,
Azraqites, 200 n. 1. 257, 307, 320, 341.
Bâbek, 215 n. 2. Circé, 52 n. 1, 105 n. 3.
Bakrï, XIV, XX, XXV, X X X I I , Compagnons du Prophète, 20, 31,
107 n. 2 et 4, 259, 261, 262, 263, 205 355.
265 n. 4, 269 n. 1. Coran, 10 n. 1, 24, 26, 27 (et n. 2),
Balâdurî, XX, X X I I I , XXXV, 32, 41, 63 n. 5, 109, 168, 17Ô,
3 n. 6, 28 n. 4 et 7, 29 n. 4, 97, 197, 199, 201, 205, 216, 318, 329,
159 n. 3, 168, 239, 240, 322. 340, 346, 355.
Bal'amï, XXIV, 398 n. 2. Croisades, 150, 273, 341.
Balhï, XXIV, XXVI, XXXI, Cyrano, 140 n. 1.
X X X I I I , 12 n. 2, 24 n. 6, 74, 77 Dahabi, 30 n. 5.
n. 3, 79, 80, 81 (et n. 7), 83, 84 Dâraqutnï, X X X I I I , XXXVI, 263
n. 3, 93 n. 6, 94, 101 n. 3, 102 n. 6. '
214, 227 n. 3, 268, 287, 293, 300, 'Utman, 'Utmánides : lb5, 205,
301, 302, 316, 317, 319, 320, 211 n. 1.
_ 321, 339, 340, 341, 343, 355, 398. Vasco de Gama, 116 n. 2.
Simsâtï, 322. Vinci, 226.
Sinân 'b. Tâbit, XV, XXVII, 257 Wahb b. Munabbih, 29 n. 4, 30 n. 5.
n. 3, 342 n. 2. Wakr, XXVII, 246 n. 3.
Sindbad, 113, 114, 117 n. 5, 123, W a k r b. al-Garráh, 322.
129 n. 3 et 8, 130 (et n. 1), 162 WaqidI, 29 n. 4, 31, 32.
n. 3. Warraq, XV, XXXI, 259, 260, 261,
Sïrâfï, X X X I I , 246. 264, 265, 268, 275 n. 4, 276 n. 2,
Strabon, 28 n. 3, 270, 271, 277, 334.
281 n. 2, 364. Wasil b. 'Ata', 27 n. 2.
Sûfïs, Sufisme, 194, 196 n. 2, Wassa', XXVI, 229.
' 215 n.' 2, 320, 337. Watiq, XVIII, XIX, 26, 138 n. 2.
Sufyân at-Tawrï, 194 n. 7, 196 n. 2, Wiet (G.), 104.
320 n. 3. Xénophon, 28 n. 3.
Suhrâb, XXVIII, 79 n. 6. Yahyá b. Adam, 88 n. 1, 97.
Sûlï, XXVI, 117 n. 5. Yahyá b. Bisr al-Arragánl, 195
Sunnisme, Sunnites, 25, 63, 151, n. 2.
207, 227, 301, 316, 320, 321, Yaljyá b. Másawayhi, 8 n. 6.
341, 343, 355, 398.
Ta'âlibi, XV, XXXVI, 49 n. 1, Ya'qübí, XXI, XXX, 24 n. 6 et 7,
228, 232, 233. 28 n. 4 et 7, 52, 54, 57 n. 1, 63, 83
Tabarî, X X I I I , 26, 27 n. 2, 28 (et n. 4), 86, 95, 101 (et n. 5),
(et n. 4 et 6), 29 n. 4, 235, 239. 102, 103, 104, 106 n. 1, 110 n. 3,
Tâbit b. Qurra, XXVII, 8, 9 n. 1, 111, 115, 138, 144 n. 3, 161, 168
12 n. 1, 244 n. 4. n. 3, 188, 238, 239, 240, 263
Tâhirides, 132 n. 5, 194. n. 1, 264 (et n. 1), 267, 268, 272
fanûbi, XXXIII, 228, 229. n. 1, 275, 278, 279 n. 1, 282, 284
Tavernier, 274. n. 1, 285, 286, 287, 288, 289, 290,
Tawaddud, 15 n. 1, 39. 291, 292 (et n. 2), 295, 296, 304,
Themistios, 19, 22, 169 n. 3. 308, 323, 333, 335, 340 n. 1, 347,
Théodose, 8, 17, 169 (et n. 3). 348, 351.
Théon d'Alexandrie, 8. Yáqüt, XVII, XX, X X I I I , XXIV,
Théophile, XVIII. XXV, XXX, X X X I I , X X X I I I ,
Thucydide, 28 n. 3. 2, 49, 80 n. 3, 107 n. 4, 135, 156,
Timosthène, 99 n. 1. 158, 159, 238, 244 n. 2, 262, 263,
'Ubayd b. Sariyya, 29 n. 4, 41. 265, 277 n. 2, 310, 311, 312.
•Udrî, XIV, 269 n. 1. Za'faranisme, 197 n. 1.
Ulug Beg, 235 n. 3. Zaggágl, 172.
Ulysse, 128. Zahirites, voir Dáwudites.
'Umar, 166. Zamahsari, 25 n. 4, 262 n. 2.
'Umâra b. Hamza, XIV, XVI, 145, Zaydites, 206, 214, 247.
148. Ziyadides, 247 n. 4.
•Umarî, XXVIII, 107 n. 4. Ziyarides, 194 n. 3, 227 n. 3.
Umayyades, 22, 126, 132, 211 Zoroastriens, Zoroastrisme, 20, 40,
n. 1, 214 n. 3, 259, 269, 273 320, 341.
n. 1 et 3, 275, 307, 308, 309 n. 2, Zosime, 14.
310 n. 5, 317, 318. Zubayr b. Bakkar, 29 n. 4.
Usâma b. Munqid, 138 n. 3. Zuhayr (b. Sálih b. Ahmad b. Han-
Uswânï, XXXIV, 145, 147, 334. bal), 196.'
•Utbï, 222 n. 5. Zuhri, 29 n. 4.
Pages
Avertissement VII
Tableau des auteurs XIII
Bibliographie XXXIX
Introduction 1
pages
pages
pages
Ya'qûbï : une ébauche réussie des masâlik wa l-mamâlik 285
Istabrï : les masâlik wa l-mamâlik enfin constitués comme
ensemble 292
Ibn Hawqal, légataire d'Istabrï ; la géographie des commerçants
missionnaires 299
Un mal-connu : Muhallabi 309
Muqaddasï et son temps 313
Muqaddasi et son œuvre : l'apogée des masâlik wa l-mamâlik 322
Conclusion 363
Appendice I (comparaison des textes d'Istabrï et d'Ibn Hawqal) 367
Appendice II (calendriers) 391
Appendice III (la littérature géographique iranienne) 397
Addenda loi