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Le poétique de l’amour

Maurizio Balsamo

La théorisation des séries complémentaires – un concept qui permet à Freud de résoudre


brillamment la question des rapports réciproques entre l’endogène et l’exogène dans la causalité
psychique – établit une sorte de courbe de Gauss au centre de laquelle se trouve la majorité des
phénomènes cliniques, causés par des facteurs infantiles et par tous les événements qui sont
survenus au cours de l’histoire et qui ont déterminé leur reprise, leur surinscription et leur fixation
définitive. À l’extrémité de la courbe – comme l’écrit Freud au chapitre XXIII de l’Introduction à la
psychanalyse –, il y a des individus qui seraient tombés malades de toute façon, quelles qu’aient été
leurs expériences, à la suite du développement particulier de leur libido ; tandis qu’à l’autre
extrémité, il y a des individus qui ne seraient pas tombés malades si la vie leur avait épargné
certaines vicissitudes. Au centre de la courbe, donc, la somme des rencontres infinies et des
temporalités multiples, responsables du sens global d’une vie. La première série complémentaire est
donnée par la « disposition par fixation de la libido » et par l’ « événement accidentel ». La
deuxième, à l’intérieur de cette première série, est donnée par le rapport entre « constitution
sexuelle et événement infantile », qui se révèle être, à son tour, pluridéterminé par la conjonction de
la mémoire et de la reconstruction, du vrai et du faux. Si les conditions de réalisation devaient
manquer, la série des fantasmes phylogénétiques s’ajoute à tous ces facteurs, comme
complément/support… La somme de cette multiplication de plans où l’intérieur et l’extérieur, la
réalité et l’imagination, l’événement qui advient et le fantasme phylogénétique s’entremêlent pour
définir les multiples plans de construction du psychique, est à un certain niveau hyperbolique et elle
rend compte de la nécessité de prendre en compte les innombrables causalités qui sont à l’œuvre
dans la production de n’importe quelle forme de vie, qu’elle soit saine ou souffrante, des processus
de transcription psychique qui la caractérisent, de l’impossibilité d’établir un déterminisme linéaire
et de définir avec certitude l’incipit d’une histoire humaine. De multiples « détroits », de multiples
réponses – qu’elles aient eu une issue positive ou qu’elles aient été des échecs – sont nécessaires
pour qu’un destin se réalise. De sorte que nous pourrions penser à bon droit que les extrémités de la
courbe ne sont que des points idéaux : elles expriment les tendances vers lesquelles les processus
réels peuvent converger, en prenant comme fond la réalité, et la complexité, de l’histoire effective.

Il pourrait donc paraître extrêmement curieux que dans les configurations amoureuses
examinées par Freud dans Un type particulier de choix d’objet chez l’homme, rien de tout cela ne
semble se réaliser. L’amour se présente – surtout dans ses déclinaisons névrotiques – comme la
réplique infinie d’une relation originelle qui persiste en dépit de tous les événements qui se
produisent, des déviations historiques et du caractère fortuit des rencontres. On pourrait même
arriver à la conclusion que le sujet de ce texte, avant la question amoureuse, c’est le rapport entre la
fixité et la variation, l’invariance d’un thème et sa modulation infinie, le caractère unique de l’objet
« irremplaçable » et sa décomposition, sa dissimulation, sa diffraction dans le réel d’une histoire qui
se révèle être, après coup, une sorte de pantomime, la transposition inconsciente d’un destin tracé
ab origine. En suivant cette piste, nous pourrions alors reconsidérer l’évocation des poètes que
Freud propose au début de son texte, en l’interprétant non pas comme un renvoi purement littéraire
à l’amour, mais comme la prise en compte d’une question essentielle : la présence d’un travail
psychique capable de transformer et de voiler. L’alternative, en ce sens, n’est pas entre le normal et
le pathologique, mais entre la transcription et la fixation, entre l’illusion et la vérité. Certes, le poète
construit un mythe, et c’est de ces mythes que se nourrit notre vie psychique ; ou pour mieux dire,
le poète reconnaît les mythes qui agissent en chacun de nous et il leur donne une forme, une valeur
esthétique, il les remodèle et il les nourrit en mentant sur le sens de cette illusion. Mais l’essentiel,

1
c’est que le poète – observe Freud – peut modifier, transformer et choisir ce qui lui plaît, et qu’il
n’éprouve que peu d’intérêt pour l’origine et pour le développement des processus psychiques qu’il
peut décrire de manière achevée. Cela n’implique évidemment pas que le poète ne s’intéresse pas à
l’origine et qu’il n’essaie pas constamment de l’accueillir/de s’en distancier/de la recréer. Au
contraire, on pourrait même dire, en reprenant les observations d’Harold Bloom sur l’angoisse
qu’éprouvent les poètes à l’idée d’être influencés par un acte poétique antérieur, qu’ils n’existent
que grâce à ce fond vers lequel ils sont constamment rejetés et repoussés. En ce sens, l’origine, ou
plutôt « le peu d’intérêt », est seulement le pendant et l’opposé de la fixité et de la viscosité
auxquelles tendent les figures amoureuses pathologiques dont Freud parle dans son texte. Et l’on
pourrait même ajouter que ce « peu d’intérêt » est aussi le résultat d’un processus d’immersion dans
le mouvement autoérotique du rapport avec le corps maternel et sa mise à distance à travers la
discontinuité qui produit l’œuvre. Chez chaque auteur, observe André Green 1, il y a une double
identification avec l’œuvre : maternelle, pour accéder à ce noyau originel, en se laissant envahir par
lui, en contactant l’incréable, le corps maternel, condition et prémisse nécessaire pour donner vie à
du nouveau ; paternelle, pour créer un objet et se séparer, momentanément, du fond originel.

Non que cette question ne se pose pas aussi dans la dimension psychanalytique : comme
recherche du sujet et du désir qui l’a généré, comme tentative d’explication de la manière dont se
définissent les processus psychiques, de la découverte des événements et des fantasmes qui leur
sont liés et qui ont marqué leur vie ; la découverte des invariants à l’intérieur de la série historique,
des éléments qui reviennent incessamment dans l’existence d’un sujet, des séries, petites et infinies,
d’infimes détails qui décident d’un destin. Mais surtout, dans les cas cliniques qui sont pris ici en
examen, comme la persistance d’une trace qui se trouve dans l’impossibilité d’être métabolisée,
d’une forme de mémoire qui abolit toute possibilité de nouvelles perceptions, de nouvelles
configurations, une dimension intraitable à laquelle le sujet s’accroche, en déterminant une mémoire
résistant au temps, pour éviter de tomber dans l’historicité et, avec cette forme de mémoire qui
résiste au temps, pour retrouver des conditions qu’il cultive en fait secrètement et qu’il voudrait
délimiter, tout aussi secrètement. Si le poète est – ici – l’alter ego de la réflexion psychanalytique
(en attendant que se réalisent les conditions permettant à l’analyse de se confondre avec l’acte
poétique, avec la création de l’origine et l’abandon de la répétition, avec l’invention du langage et
de l’histoire de couple qui recrée l’histoire), ce n’est pas seulement parce que c’est dans la poésie
que l’amour trouve peut-être sa dicibilité, mais aussi en raison du défi que la psychanalyse lance à
l’illusion, à toute illusion, y compris celle de l’unicité et de la pure actualité historique de ce que le
couple analytique est en train de vivre, dans la tentative de retrouver les racines, les fils et les
trajectoires complexes qui ont conduit le sujet dans cette catastrophe ou dans ce paradis.

J’ajouterais à cela que la poésie arrive à s’interroger sur la manière de transformer la


persistance, sur la manière de créer du nouveau dans la répétition d’un discours qui se présente, en
principe, comme éternellement égal à lui-même ; et tel est certainement le pôle d’intérêt vers lequel
tend Freud. Comme il l’écrit en 1908 dans Le créateurs littéraire et la fantaisie« on peut dire que
tout enfant occupé à jouer se comporte comme un poète : en cela qu’il se construit son propre
monde ». Son propre monde, une propre forme de vie et d’expression. C’est ce que Freud pose au
début de son texte à travers la référence à la dimension poétique (ce monde est recréé), et c’est ce
qui doit nous rappeler la différence entre le monde privé du névrosé et le monde propre. De sorte
qu’il pourrait s’agir aussi d’une alternative entre ceux qui arrivent à construire leur propre monde, et
ceux qui sont obligés de revivre, éternellement, les réminiscences d’un temps qui ne passe pas,
d’une origine qui ne se plie pas dans le souvenir et qui insiste sous forme d’acte, de comportement,
d’attitude et de choix amoureux. Autrement dit : ceux qui vivent le monde de l’autre. Le choix :
voilà le véritable enjeu dans l’amour. Dans quelle mesure nos choix semblent-ils être dictés par le
hasard, par la rencontre, et non par l’automaton ? Dans quelle mesure la rencontre permet-elle de
1
La Déliaison, Les Belles Lettres, Paris, 1992.

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jouer par petits indices, ou au contraire, comme dans les cas observés par Freud, par grands indices,
par séries d’événements qui possèdent une reconnaissabilité inéluctable et, pour cette raison, un
caractère de nécessité ? Certes, à la fin, le « propre » n’est qu’une illusion, ou alors c’est seulement
le combat entre différentes poussées appropriatives, un espace conquis sur la force des mots
d’autrui, de ses pensées, de ses intentions, et qui oblige évidemment, dans cette lutte, à nommer,
dire et redire ces mêmes pensées, ces mêmes intentions et ces mêmes mots, en nous laissant
nécessairement traverser.

Le poétique qui dit de l’amour, dit toutefois en même temps qu’il y a une altérité, que je suis
le destinataire et l’interprète de cette altérité, que quelque chose se donne afin que je le répète, que
je le mémorise, que je le cite et que je l’évoque en me laissant surprendre par une émotion, par un
sens qui me réapparaît obscur ou dévoilé à la énième citation, qui m’accompagne et qui donne du
goût à ce que je vis.

Dans cet effort de mémoire de l’autre, il se crée alors un espace complexe où,
tendanciellement, des citations infinies luttent pour la survie, renvoient les unes aux autres et
s’observent, en déterminant donc mille autres mémoires, mille autres oublis et mille autres
poétiques. Autrement dit, le poétique est l’unique et le multiple, l’absolument singulier et le
différent : « Le poétique, a écrit Derrida, serait-ce que tu désires apprendre, mais de l’autre, grâce à
l’autre et sous dictée, par cœur : imparare a memoria »2 ; et aussi : « J’appelle poème cela même
qui apprend le cœur, ce qui invente le cœur, enfin ce que le mot de cœur semble vouloir dire et que
dans ma langue je discerne mal du mot cœur. » Altérité, attente, don, invention, inscription,
mémoire : les offrandes du poétique (du « poématique », dit Derrida) désignent un parcours dans
lequel la création – même si celle-ci laisse sur le fond quelque chose d’intouchable, d’incréé ou
d’incréable (cf. Green) – reconnaît pour ce même geste une antériorité, une antécédence et une
différence qui s’ouvre à l’événement, à l’événement qui advient.

Il n’y a rien de tout cela dans les figures amoureuses évoquées par Freud : la fidélité des
traces originelles et des impressions reçues se révèle être rien de plus qu’une machine pour faire le
vide du sujet, lequel est contraint de répéter sans répit, dans ses vicissitudes amoureuses, une
empreinte originelle, un moule maternel trop fortement imprimé ou trop fortement fixé dans
l’identification du sujet à l’injonction maternelle : « Avant tout, l’homme est en quête de l’image
mnésique de sa mère, image qui le domine depuis le début de son enfance », écrit Freud dans ses
Trois Essais.

En ce sens, la science, la psychanalyse, se révèle en elle-même prise entre deux feux : d’une
part, la nécessité du poétique, la nostalgie de la liberté qui vit en lui, sa capacité de se dégager de la
fidélité à l’origine, dans cette disponibilité à la transmission et à la coïncidence affective du
« cœur » avec le « mot » cœur, comme pour indiquer un effet d’immédiateté, une prise de la parole
qui produit en nommant et qui tient la promesse de ce qu’elle indique. En un certain sens, c’est le
Freud de la remémoration, de la libération à l’égard de l’amnésie infantile, à l’égard de la
réminiscence qui persiste dans la vie psychique. D’autre part, la nécessité de réunir et d’indiquer,
d’accuser – pourrions-nous ajouter – les impressions reçues par les malades dans un redoublement
mimétique entre les impressions pathologiques et les objets sur lesquels réfléchir. Mais s’il s’agit
d’impressions – auxquelles se référer comme à des traces originelles qui persistent, intactes, à
l’usure du temps, des marques indélébiles qui restent des traces perceptives, des traces mémorielles
et qui ne deviendront jamais des souvenirs, dans ce qui apparaît tout à fait comme une véritable
névrose de destin –, il conviendrait alors de se demander pourquoi elles sont de cette nature :

2
J. Derrida, Che cos’è la poesia ?, in Ferraris (sous la direction de), Postille a Derrida, Turin, Rosenberg e Sellier,
1990, p. 242, repris dans Point de suspension, Entretiens, Paris, Galilée, 1992.

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autrement dit, pourquoi le temps ne modifie rien, pourquoi il les laisse s’écouler, indifférentes aux
singularités des rencontres, aux différences des occasions et des lieux.

Qu’il s’agisse de la femme de mœurs légères qu’il faut sauver, de la condition de la femme
qui est toujours liée durablement à un autre, Freud écrit que  de telles passions se répètent plusieurs
fois, avec les mêmes particularités, l’une étant le décalque exact de l’autre ; et même les objets
d’amour peuvent, sous l’influence de conditions extérieures, par exemple un changement de
résidence ou d’entourage, se substituer si souvent les uns aux autres « qu’ils arrivent à former une
longue série ». Alors que dans la vie amoureuse normale, les objets montrent des permanences et
des invariances, des fidélités relatives et des transcriptions/conservations, ici, dans cette histoire de
fidélités originelles absolues, on pourrait supposer en revanche la persistance indélébile d’une
inscription et d’un désir qui ne laisse aucun espace. « Dans notre type au contraire, la libido s’est
attardée si longtemps chez la mère, même après le début de la puberté, que les objets d’amour
ultérieurement choisis conservent l’empreinte des caractères maternels et deviennent tous des
substituts matériels facilement reconnaissables. La comparaison avec la conformation du crâne du
nouveau-né s’impose ici : après un accouchement prolongé, le crâne de l’enfant doit se présenter
comme un moulage du détroit inférieur du bassin maternel. » Nous devrions nous interroger sur cet
« attardement », sur cette incertitude qui oblige à la fidélité, sur cet accouchement trop prolongé qui
laisse sur le crâne l’empreinte du détroit inférieur du bassin maternel, sur ce temps qui ne décide pas
et que nous pourrions vainement – comme le propose Freud – renvoyer au temps d’un Œdipe non
résolu. Bien au-delà ou bien avant le désir du sujet, la question qui se pose ici est celle d’une forme
transmise, d’un « génital féminin imprimé » sur le crâne du sujet, d’un « détroit » qui définit, pour
toujours, une limitation du champ des possibles, d’une restriction des voies qui peuvent être
parcourues.

Le sujet ne naît jamais, ou alors il naît toujours trop tard, ou bien il refuse tout simplement
de le faire. Il y a des mères, dans certaines analyses, qui refusent de quitter la scène. Séance après
séance, la fascination se répète, dans un corps à corps qui redonne vie, en nourrissant de son (?)
sang des imagos non modifiables, voraces et éternellement en demande. Des mères dont le patient
continue imperturbablement à évoquer – dans sa nostalgie, dans la narration interminable des temps
de son enfance et de la maison où il habitait – des odeurs, des goûts et des regards. Comme Dora
devant la Sixtine, la fascination extatique s’impose à chaque fois sans aucune modification, dans un
défi tragique avec l’analyste, lequel est contraint d’assister à ces accouplements infinis auxquels le
patient se prête volontiers, tout en ajoutant à chaque fois, quand un mot différent est prononcé, qu’il
ne peut qu’en être, qu’il ne pourra qu’en être ainsi. Ou bien ce sont des conditions qui nous
paraissent absolument fulgurantes en raison de leur évidence, mais qui restent opaques pour le sujet,
lequel travaille avec zèle pour reconstruire une autre série après celle qu’il vient tout juste
d’achever. « Formation d’une longue série », écrit Freud. La répétition avance souveraine, sans se
soucier du « détroit » dans lequel le sujet a échoué ; mais ce qui apparaît surtout, c’est que la série
se présente comme étant éternelle, au moins en principe. C’est-à-dire sans qu’un événement, une
rencontre ou un nouveau temps ne parviennent à changer quoi que ce soit à ce fonctionnement sériel
qui s’impose au sujet en manque d’historicité. Une « longue série » à la place de la « série
complémentaire », celle où l’analyste se sentirait tout compte fait plus à son aise, où l’infantile et
l’adulte, l’origine et la succession, l’inscription et la transcription s’entremêlent, en déterminant la
condition qui définit une demande d’analyse.

Des mères qui retiennent (« ma mère – dit un patient – me racontait souvent, quand j’étais
enfant, que l’accouchement avait été très difficile. Les médecins lui disaient de pousser, mais elle
remontait, elle ravalait comme elle disait, presque heureuse de la lutte qu’elle avait menée pendant
deux jours avec les médecins, comme si elle avait voulu me garder toujours en elle »). Des fils qui
s’attardent, des pères assistent à cette scène sans rien dire, des pubertés niées, ou alors rendues

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menaçantes, évoquées comme des sources de danger et de situations à éviter, des temps qui ne
s’ajoutent pas, des temps qui restent bloqués. Certes, tel pourrait être le panorama à l’origine de ces
répétitions ; mais alors, pourquoi rien, je le répète, rien ne s’est-il ajouté, en modifiant la trajectoire
initiale ? Pourquoi s’est-il ajouté à l’attardement initial un verdict décrétant qu’il est désormais trop
tard pour changer, pour oublier et pour changer les positions de la figure/fond ? Que se passe-t-il,
ou que doit-il se passer pour qu’une empreinte reste telle, soustraite au temps, à l’usure, à
l’effacement des traces ?
Mais sommes-nous vraiment certains que dans cette condition de destin, il n’y ait que la première
fois qui se répète indéfiniment, que rien n’arrive à s’ajouter à cette première fois ? Autrement dit,
sommes-nous absolument certains que cette série se situe dans cette extrémité où rien ne peut
arriver pour changer la trajectoire indiquée ? Ou, plutôt, la répétition est-elle l’effet du regard
particulier de Freud, qui hésite à insérer d’autres séries, parce qu’il est entièrement concentré sur la
démonstration de l’existence de l’inconscient, de sa puissance et de son inaltérabilité ?

C’est pourtant Freud lui-même qui soulignait que « l’élément actif dans l’inconscient,
l’élément irremplaçable, se manifeste à travers la décomposition d’une série infinie ». La
décomposition est certainement le résultat d’opérations de déni, d’évitement, de repoussement dans
le monde extérieur, mais en même temps, c’est aussi la tentative de rendre cette imago moins
puissante, la tentative (ratée) de la décomposer pour la traduire, pour pouvoir passer de
l’inscription/expulsion dans une zone extraégoïque, dans le réel historique auquel le sujet est
soumis, à sa représentabilité. Nous pouvons penser, de ce point de vue, comme l’a proposé Paul
Denis3, à des modalités de fonctionnement psychique qui se situent, à une extrémité, vers la
dimension de l’imago, où celle-ci est traitée comme un corps étranger, non métabolisable, et, à une
autre extrémité, à un fonctionnement en représentation et en association, caractérisé par la fluidité et
par la mobilité des investissements. Si l’alternance peut évidemment prendre une valeur défensive
par rapport à des acquisitions possibles de l’analyse, il semble que ce type de patients – chez qui
l’on peut diagnostiquer une névrose de destin – puissent arriver à l’effacement du temps. Il s’agit,
peut-être, des cas où l’assassinat de l’imago (J. Gillibert) ne peut pas avoir lieu. Mais nous pouvons
aussi supposer que les deux extrémités ne sont pas seulement caractéristiques de deux classes de
patient, mais aussi de deux modalités de fonctionnement qui peuvent alterner selon des rythmes et
des modalités qui sont évidemment différents, y compris chez un même patient. Il s’agirait alors de
comprendre quelles sont les conditions permettant à l’analyste d’échapper lui-même à la fascination
de la série, à son leurre de condition purement anhistorique, de mythe qui se perpétue dans son
intransformabilité. Peut-être faudrait-il revenir à cette décomposition, à cette diffraction, à ce
« voilement » qui permet à chaque fois d’arracher un lambeau de viande à l’imago pour pouvoir la
faire renaître, intacte, au moins dans l’imagination, ailleurs. Il faudrait revenir (différemment, avec
un autre regard) à la répétition, à la recherche du même caché sous l’identique (de M’Uzan), à
l’arrachement, à la tentative (aurait-elle échouée) de neutraliser l’imago, en se méfiant de la
négation du temps ou de son absence infiniment répétée dans ces récits. Car derrière le déni du
temps, de son flux, derrière le « rien ne doit changer », derrière la voix de cette imago qui prend
possession de la scène analytique, nous devons supposer que le poète n’est pas mort. Que le
poématique persiste dans sa condition de possibilité, de promesse manquée et non tenue, mais
néanmoins promise, que l’origine peut être oubliée et que la mémoire n’est pas seulement la
mémoire de ce qui a été, mais, comme le proposait Benjamin, la mémoire de tous les possibles, de
ce qui s’est déposé en elle comme espoir, comme principe – l’espoir (Bloch) de tous les « non ! »
prononcés en silence contre l’obligation de (ne pas) traverser le « détroit ». Il s’agit de retrouver
l’informe assoupi dans l’excès de forme, de la possibilité de se souvenir, au lieu de répéter ces vers,
cette mémoire, en la laissant se faire consumer par le temps et en la confiant aux chocs infinis que la
vie produit dans le flux linéaire des événements (Lucrèce). En transformant peut-être le destin en
histoire et le détroit en une citation, comme celle de nos comptines enfantines : « Larga la foglia,
3
P. Denis, « D’imagos en instances : un aspect de la morphologie du changement », Revue franç. de psych., 4, 1996.

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stretta la via, dite la vostra, che ho detto la mia » [« Large la feuille, étroite la voie, dites la vôtre,
j’ai dit la mienne »].

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