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Merlin Hélène. La « scène publique » dans L’Illusion comique et dans Le Cid : fanfaronnades et bravades. In: Littératures 45,
automne 2001. pp. 49-68;
doi : https://doi.org/10.3406/litts.2001.2164
https://www.persee.fr/doc/litts_0563-9751_2001_num_45_1_2164
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l.Sur le sens de ces inscriptions génériques, cf. la précieuse mise au point de Geor¬
ges Forestier dans son introduction du Cid de l’édition au programme : Corneille
(Pierre), Le Cid (1637-1660). L’Illusion comique, textes établis et annotés par Georges
Forestier et par Robert Garapon, Paris, STFM, 2001, p. XVII sq.
2.«En prêtant à son bravache des paroles héroïques qui ne recouvrent aucune réa¬
lité, Corneille ne se prépare pas à faire parler Rodrigue, il lui fait place nette : il discré¬
dite l’héroïsme tout extérieur des héros de roman et de tragi-comédies, dont les mille
prouesses ne coûtent rien qu’à raconter. » (Garapon (Robert), « Introduction », dans
Corneille (Pierre), Le Cid (1637-1660). L’Illusion comique, op. cit., p. XLIX).
50 HÉLÈNE MERLIN-KAJMAN
1 - LA « PEAU ET LA CHEMISE »
En janvier 1637, l’acteur Mondory écrit une lettre qui évoque le succès
des premières représentations du Cid :
Il est si beau, qu’il a donné de l’amour aux Dames les plus continentes, dont la
passion a, même, plusieurs fois éclaté au théâtre public.1
xvi
relatifs
f siècle,
2.
1 .Lettre
Sur
à Corneille,
laGenève,
citée
question,
dansParis,
Droz,
cf.Mongrédien
Forestier
CNRS,
1981. (Georges),
(Georges),
1972, p. Le
61
Recueil
théâtredesdans
textes
le théâtre
et des documents
sur la scène
dufrançaise
XVIIe siècle
du
3.11 faut entendre ici le mot à la fois au sens étroit : le public des spectateurs ; et au
sens large de « communauté », « peuple », que le mot présente au XVIIe siècle et qui se
trouve évidemment impliqué dans la condamnation platonicienne. (Sur la question, cf.
mon livre : Public et littérature en France au xvif siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1994.
Toute une partie est consacrée au théâtre cornélien et à la querelle du Cid : je reprends ici
un certain nombre de conclusions, ainsi que les analyses que j’ai développées plus
récemment dans : L’absolutisme dans les lettres et la théorie des deux corps. Passions et
politique, Paris, Champion, 2000, livre également très largement consacré à Corneille en
général et au Cid en particulier. J’ajoute que je reviens, encore sur la querelle du Cid
dans mon dernier livre, L’excentricité académique. Institutions, littérature, société,
Paris, Les Belles Lettres, 2001, dans une perspective différente de celle que j’avais adop¬
tée dans Public et littérature)
LA « SCÈNE PUBLIQUE » DANS L’ILLUSION COMIQUE ET DANS LE CID 51
l.V, 6, 1753-1760.
2.Lettre citée, loc. cit.
52 HÉLÈNE MERLIN-KAJMAN
capter un peu les effets, bref, de partager avec les acteurs l’espace d’une fiction
si intense qu’elle réussit à déclencher des passions elles bien réelles.
Le succès du Cid achève donc de prouver ce dont L’Illusion comique se
donnait comme la démonstration dramatique. L’enthousiasme de Mondory
semble en effet faire écho à cette leçon qu’ Alcandre donnait à Pridamant, effon¬
dré de découvrir que son fils était comédien :
[. . .] à présent le théâtre
Est en un point si haut qu’un chacun l’idolâtre,
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits,
L’entretien de Paris, le souhait des provinces,
Le divertissement le plus doux de nos princes,
Les délices du peuple, et le plaisir des grands [. . - ]1
Mais Pridamant s’était vu interdire par Alcandre de franchir la limite de la
scène, sous peine de mort2. Il est vrai que, père de Clindor, et en ce sens, pris
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Les guerres civiles de religion, dont la menace est encore bien présente en
cette première moitié du XVIIe siècle qui a vu la reddition de La Rochelle en
1627, se sont alimentées de la composante sacrificielle des actions violentes des
protagonistes. Le zèle, défini par une passion du bien public et du salut com¬
mun, repose sur la certitude selon laquelle tout individu est défini par sa partici¬
pation à une communauté - famille, corporation, ordre, royaume - laquelle
n’est-elle même qu’une partie organiquement cimentée au Tout - la chrétienté.
En vertu de cette définition, chaque particulier n’est particulier que parce qu’il
constitue une partie du Tout, non parce qu’il aurait une singularité qui lui appar¬
tiendrait en propre. Au contraire, le zèle exigé de chacun impose d’engager
toute sa conscience et tous ses actes, toute son énergie, pour l’intérêt de tous :
seul l’intérêt de tous détermine la responsabilité de chacun. Or, durant le
XVIe siècle où les membres du corps politique ont cessé de partager la même
définition du (bien) public et du salut commun, cette "passion pour le public"
censée garantir l’union indivisible de tous dans un même corps politique, ce
"zèle" pour le salut collectif, se sont révélés au contraire de terribles démultipli¬
cateurs de violence et de division.
Au paraître, aux gestes visibles, est donc confiée une charge sans précé¬
dent, à la fois fictive et effective. D’où l’importance prise par le vieux motif
stoïcien du theatrum mundi, qu’on peut exemplifier par le commentaire de
Montaigne affirmant que « Le maire et Montaigne ont toujours été deux, d’une
séparation bien claire » :
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effet en retour dans le monde social, et, dans ce mouvement de feed-back, supprimant sa
LA « SCÈNE PUBLIQUE » DANS L’ILLUSION COMIQUE ET DANS LE CID 55
peut seul fictivement montrer la conscience privée dans sa discordance avec les
gestes publics ; ensuite parce que le comédien est celui dont la profession
emblématisé le problème de cette nouvelle subjectivation. La phrase d’Alcan-
dre concernant le désintérêt des comédiens pour leur rôle est la transposition
dans l’art dramatique de la proposition de Montaigne. Et Alcandre associe très
clairement ce désengagement à l’évitement de la mort et à la paix : de même
que Pridamant doit garder la bonne distance pour ne pas mourir, de même c’est
en jouant la passion tragique - non en la prenant « au foie » - que l’on évite la
dissension et les fins véritablement tragiques : c’est en étant comédiens ensem¬
ble que l’on se retrouve « amis comme devant ». Le message, qui semble à pre¬
mière vue ne concerner qu’une troupe de théâtre, pourrait bien s’entendre
comme une métaphore adéquate de la nouvelle subjectivation civile non zélée.
Qu’est-ce qu’un fanfaron au XVIIe siècle ? Pour Furetière, c’est un « homme qui
fait vanité de sa bravoure, de sa naissance, de ses richesses, encore que le plus
souvent il n’ait rien de tout cela. » Le domaine de la fanfaronnade ne concerne
donc pas seulement la fausse bravoure : le vrai brave, s’il fait vanité de sa
LA « SCÈNE PUBLIQUE » DANS L’ILLUSION COMIQUE ET DANS LE CID 57
vaillance comme le Comte dans Le Cid est également un fanfaron - ce que les
adversaires de Corneille lors de la querelle ont très bien repéré. Car il jette son
être dans le paraître sans savoir les distinguer, demandant aux signes, à tous les
signes (la charge de gouverneur par exemple), de manifester son exception. Le
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58 HÉLÈNE MERLIN-KAJMAN
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Tandis que les aventures de Clindor ne nous offraient qu’un simulacre, les exploits
de Rodrigue nous transportent au lieu même de la réalité héroïque. Si l’on veut,
Matamore, c’est le fantôme que Rodrigue incarnera par l’affrontement de la mort.
La norme de vérité trouvée, le « Meurs ou Tue » de Don Diègue ayant enfin éclaté
dans le désert spirituel, en un mot, l’être de l’homme étant reconquis sur le
paraître, le théâtre se supprime en tant que conscience d’être théâtre, il adhère de
nouveau pleinement à lui-même. C’est l’instant où la comédie se consomme et
s’accomplit dans la tragédie.2
Tandis que les enthousiastes montent sur le théâtre, la querelle du Cid fait
rage à partir du mois de mars : double « fracas3 » qui s’inaugure, on va le voir,
par un « fracas » interne à la fable dramatique.
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Rodrigue paraît donc chez Chimène. Nul besoin d’y lire un viol
symbolique1 : car Chimène l’accueille. Il serait pourtant absurde de ne pas
mesurer
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l’épée : cet objet spectaculaire, scintillant, qui traduit en plaisir visuel pour les
spectateurs l’émotion érotique des personnages, solennise l’apparition de
Rodrigue devant Chimène, en maximalise l’événement, et lui présente tout sous
une forme déchirante : la mort, à peine passée, de son père ; et l’amour que lui
porte Rodrigue, non moins apparent, évident, que la mort du Comte.
Par ces phrases portant sur la question des unités, l’Académie affirme
qu’un caractère vertueux vraisemblable ne peut pas se trouver occupé par deux
pensées contradictoires, ne peut pas être double. Même déchirante, la voie de la
vertu est simple, univoque. Or, et c’est, selon l’Académie, toute son invrai¬
semblance, Chimène, « introduite vertueuse3 », change de caractère en cours de
route :
Nous la blâmons seulement de ce que son amour l’emporte sur son devoir [...]
c’est faire bien moins le personnage de fille que d’amante.4
Ainsi, dès les premières scènes, toutes les conditions de L'antithèse parri¬
cide" sont réunies : ce qui est virtuellement "parricide", c’est qu’il y ait du désir
propre qui résiste à l’obéissance ou à la fidélité dues au père. Par la représenta¬
tion théâtrale, les spectateurs jouissent de plonger leur regard dans deux espaces
à la fois, de sentir vibrer leur frontière, d’éprouver leur ligne de friction, et
même, d’apprécier un nouvel héroïsme, l’héroïsme du sentiment privé cher¬
chant à paraître, devenant éclatant - fracassant. Et il en est de même dans
L’Illusion comique : le sentiment privé (privé notamment de la reconnaissance
publique des pères) commande, adéquatement et inadéquatement, le jeu final de
la tragédie, où Clindor et Isabelle rejouent, de façon à la fois métaphorique et
éclatante, leur propre destin. Paraître sur scène, c’est-à-dire publier avec bruit
et risque la liberté des volontés amoureuses en tant que soustraites aux lois
communes et aux volontés paternelles, en manifester l’énergie conquérante et
heureuse qui joue aux limites du tragique et pour en repousser la fin funeste, tel
est l’un des traits qui rapprochent les deux pièces.
Or, ce qui a achevé de faire scandale dans Le Cid, c’est qu’un sentiment
privé aussi condamnable, c’est-à-dire indigne de la représentation théâtrale, non
seulement soit publié comme un sentiment vertueux, mais encore trouve, dans
la fable, un accomplissement public grâce à l’intervention du roi :
[ ___
]la fille consent à ce mariage par la seule violence que lui fait son amour, et le
dénouement de l’intrigue n’est fondé que sur l’injustice inopinée de Fernand qui
vient ordonner un mariage, que par raison il ne devait pas seulement proposer.
Que si le Roi le1 voulait récompenser du grand service qu’il venait d’en recevoir,
il fallait
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ce fût
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et non
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de sa
d’une
puissance.
chose qui n’était point à lui, et que les
Tout autre est la perspective en effet adoptée par Corneille, chez qui la
souveraineté royale, metteur en scène suprême à la scène 5 de l’acte IV, soutient
la souveraineté individuelle, non celle des pères.
Chimène
Dès : l’annonce de la mort du Comte, le roi avait pourtant affirmé à
Le roi, de ce fait, légitime après coup la scène 4 de l’acte III (et, par la
même occasion, Corneille, sa tragi-comédie, et la curiosité frémissante des
spectateurs). On comprend qu’il occupe en fait une fonction analogue à celle
d’Alcandre dans L’Illusion comique : c’est lui qui fait apparaître le
dédoublement de la personne, lui qui, sortant la résistance au père de sa clan¬
destinité mortelle, légitime la théâtralisation intérieure de l’individu.
6 - L’ILLUSION COMIQUE
32,Op.
4.1,
1 .Op.
.Rodrigue.
1,28
cit., ; II,
p.1,2,
388-389
7, 106
681-682.
et II, 5, 497.
LA « SCÈNE PUBLIQUE » DANS L’ILLUSION COMIQUE ET DANS LE CID 65
fils : il ne faut pas sous estimer la valeur de ce verbe qui désigne un châtiment
public d’une étrange sorte. Le banni est celui qui est abandonné par le droit et le
souverain (ici, le père), celui qui ne sera plus protégé par la loi. Le banni devient
« public », au sens d’un être abandonné à tous et de tous : chacun peut en faire
ce qu’il voudra, user de lui librement, sans que son geste, l’homicide par exem¬
ple, tombe sous le coup de la loi.
artiste pour le retrouver. Alcandre occupe face à Pridamant le rôle occupé par le
roi face au Comte. Et si, contrairement au roi pour le Comte, Alcandre rend Pri¬
damant à la vie, c’est, outre d’évidentes contraintes génériques, parce que, con¬
trairement au Comte, Pridamant a « cédé », si bien que lorsqu’il est rendu à la
vie, c’est comme un père entièrement modifié par l’expérience du bannissement
et du théâtre. C’est en effet la singularité de Pridamant, essentielle à la transfor¬
mation dramatique, qui le sauve en faisant de lui un spectateur, - exactement
comme Clindor et Isabelle vont être sauvés en devenant comédiens - : Prida¬
mant a eu le temps de se détacher de sa propre sévérité, d’adopter à son propre
égard une position critique : la tendresse paternelle lui a fait sentir la perte de
Clindor comme une perte qui l’affecte lui-aussi :
l.Ce que résument parfaitement les vers 497-500 de la scène 5 de l’acte II:
« Banni de mon pays par la rigueur d’un père, /Sans support, sans amis, accablé de
misère, /Et réduit à flatter le caprice arrogant/Et les vaines humeurs d’un maître
extravagant [...] »
2.1, 2, 113-116.
66 HÉLÈNE MERLIN-KAJMAN
Pridamant découvrira en effet que son fils paraît en public avec éclat -
mais de l’autre côté de la rampe, jusque-là pour lui frontière de l’infâmie. Mais
le préférerait-il mort ? Il le serait, sans le théâtre. - Clindor paraît-il plus qu’il
n’est, selon la définition réprobatrice du fanfaron, et Pridamant doit-il payer sa
nouvelle fierté d’une fanfaronnade inconsciente ? Il faut plutôt dire, là encore,
que Clindor paraît, absolument, et que c’est même ce paraître qui métaphorise
adéquatement le nouveau public (un public doublé d’un arrière fond - d’un
l.À un niveau microstructural, c’est aussi l’apprentissage que Lise, Clindor et Isa¬
belle doivent faire : ils doivent reconnaître que les relations ne peuvent s’établir sous le
signe de la fusion passionnelle, qu’elles sont sans cesse altérées, et altérantes (cf. sur la
question les magnifiques analyses de Marc Fumaroli dans Héros et orateurs, op. cit.,
chap. IV, p. 262-287). Et L’Illusion comique pose cette question au cœur du mystère de
la différence des sexes : une fois qu’Isabelle a reconnu, dans la fiction tragique, que
Clindor ne peut lui appartenir tout entier, Clindor à son tour fait droit à l’amour souffrant
d’Isabelle, comme à ce qui le contraint à limiter sa propre puissance désirante. Il y a là
une scène exposant de façon vraiment remarquable comment la différence (des sexes)
fait souffrir, et comment seule l’acceptation de cette souffrance - analogue en son genre
à celle d’un père souffrant la désobéissance de son fils ou de sa fille - peut amener cha¬
que protagoniste de la différence à trouver une solution symétrique sur la base d’un
acquiescement à cette dissymétrie. Dans la scène 4 de l’Acte III du Cid, on peut considé¬
rer que l’épée fonctionne de la même manière : à la fois évident attribut masculin, et
cependant devenant équivoque, l’épée est l’objet à partir duquel l’un et l’autre sexe
cèdent l’un devant l’autre, l’un avec l’autre, et finalement, l’un pour l’autre.
2.1, 2, 143-144.
LA « SCÈNE PUBLIQUE » DANS L’ILLUSION COMIQUE ET DANS LE CID 67
1 .V, 6, 1766.
2. On pourrait faire l’hypothèse que le théâtre, dédoublant la figure paternelle, figure
plutôt le pôle maternel, si vertigineusement absent de ces deux pièces : d’où la valeur
prospective, et rétrospective tout à la fois, dans les conflits avec les pères, de la question
de l’amour, c’est-à-dire de la reconnaissance que l’humanité se dédouble en deux sexes.
68 HÉLÈNE MERLIN-KAJMAN