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Lettre à Pierre Barbéris sur Balzac et le mal du siècle

Author(s): Bernard Guyon


Source: Esprit , Juillet-Août 1971, Nouvelle série, No. 405 (7/8) (Juillet-Août 1971), pp.
154-165
Published by: Editions Esprit

Stable URL: http://www.jstor.com/stable/24261473

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Lettre à Pierre Barbéris
sur Balzac et le mal du siècle

téressée que me donne la contemplation de ce monument


Je ne critique1.
saurais trop
J'y vous dire, mon
reviendrai. Mais cher ami,
d'abord joielaintéressée,
joie désin
personnelle ; car, pour la première fois depuis plus de qua
rante ans, j'ai rencontré un lecteur de Balzac qui l'interrogeait
de la même manière que moi. Je me suis (enfin) senti reconnu.
Lorsqu'en 1928, je décidai de m'engager dans l'élaboration
d'une thèse sur la pensée politique et sociale de Balzac, je
trouvai des guides, des « parrains », des « patrons » pleins
de science, de sollicitude et même d'amitié : Paul Hazard,
Marcel Bouteron, Fernand Baldensperger, plus tard Jean Pom
mier. Cependant, à mesure que j'avançais dans mon enquête,
je compris combien j'étais seul. Depuis Sainte-Beuve, relayé
par Faguet et Lebreton et même Bellessort, — peu nuancés par
Taine et Brunetière — deux dogmes régnaient. André Gide
s'accordait avec Gustave Lanson et Célestin Bougie pour décla
rer que Balzac écrivait mai ce qu'il ne pensait pas. Bour
geoise, laïque, conservatrice, comment l'Université des années
20, 30, 40 eût-elle pu prendre au sérieux un écrivain
constamment invoqué, exalté même par Barbey d'Aurevilly,
Paul Bourget, Jacques Bain ville ou Charles Maurras ? Alain ?
Thibaudet ? C'étaient des francs-tireurs, des hérétiques. Nous
les lisions en cachette. Le bruit courait qu'un certain
Marx, un certain Engels auraient déclaré avoir « beaucoup

1. Pierre Babbehis, Balzac et le mal da siècle, 2 volumes in 8°


en tout 1970 pages, Gallimard 1970, Coll. « Idées ».

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CHRONIQUES
appris » dans La Comédie humaine. Mais qui les connais
sait ? Qui, dans la Sorbonne où régnaient Brunschwig,
iLalande... ou Fauconnet, eût osé proférer leur nom ? Les
« chiens de garde » veillaient. On disait aussi qu'un certain
Baudelaire avait passionnément admiré l'auteur de La fille
aux yeux d'or, qu'il avait découvert en ce soi-disant collec
tionneur de documents, un « visionnaire ». Mais, en 1925,
l'auteur des Fleurs du Mal sortait là peine du Purgatoire. On
savait aussi, bien sûr, que Victor Hugo avait traité Balzac
d'écrivain « révolutionnaire ». Mais comment prendre au
sérieux un écrivain que les critiques les plus » distingués »
avaient classé parmi les imbéciles et qui n'arrachait des
lèvres minces du Souverain Pontife de la littérature la plus
« avancée » qu'un sarcastique « hélas » !
Mais voici que l'austère Sorbonne, en vous accueillant,
« applaudit à grands cris ». Voici que l'illustre maison où
régnaient naguère le purisme gidien et le terrorisme du jar
dinier de Tarbes, après avoir publié l'énorme Comédie inhu
maine d'André 'Wurmser, met en circulation, dans un
large public, les deux mille pages que vous avez consacrées
aux réactions politiques et sociales de Balzac en face de son
« siècle ».

Que s'est-il passé ?


Tout ce que nous pouvons dire (car ce demi-siècle fut notre
vie) c'est que ce changement ne s'est fait ni tout seul, ni
très vite ; qu'en 1947 encore, quand j'ai soutenu et publié
ma thèse -, si j'ai trouvé des juges favorables, des lecteurs
nombreux, attentifs, je n'ai guère rencontré de véritables
« partenaires ». Le « dialogue » ne s'est pas vraiment engagé
sur le terrain où je m'étais placé.
Avec vous, brusquement, tout a changé. A mesure que je
progressais dans la lecture de votre livre, il me semblait
qu'une fée s'était emparée de mon livre pour le reprendre
page à page, l'enrichissant prodigieusement certes, mais choi
sissant le même objet d'étude, utilisant les mêmes méthodes
d'analyse, s'attardant aux mêmes étapes, marquant les mêmes
articulations, valorisant les mêmes expériences et les mêmes
oeuvres ; portant, pour finir, sur la pensée balzacienne, un
jugement très proche du mien. Non ! je ne vais pas vous
« annexer »! Je ne vous accuserai pas non plus d'avoir répété

2. B. Guyok, La pensée politique et sociale de Balzac, A. Colin,


1947 (2" éd. revue et augmentée d'une post-face « Vingt ans
après », 1967, 1 vol. 8° 829 pages).

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ce que j'ai dit : rien ne serait plus faux, ni plus ridicule. Mais
enfin, avant de marquer nos divergences, je me devais de dire
notre accord profond sur la méthode et sur les conclusions.
Sur la méthode ? Je vais peut-être vous déplaire : vous
êtes un traditionaliste. Vous pensez, comme moi et avec beau
coup d'autres, que les œuvres d'art s'inscrivent dans l'histoire,
et dans une histoire singulière, celle de leur auteur ; qu'il est
donc important de savoir si celui-ci a fait du droit ou des
lettres et s'il est né à Tours ou à Castelnaudary ; que, pour
Balzac en particulier, il n'est pas sans intérêt de savoir qu'il
est né pendant les guerres révolutionnaires, qu'il a eu vingt
ans en 1819, trente au moment des « trois glorieuses », qu'il
fut l'imprimeur d'une revue saint-simonienne, et l'ami de
ceux qui la rédigeaient ; qu'il était fils d'un paysan par
venu sous l'Ancien Régime et sous l'Empire ; qu'il a eu pour
beau-frère un de ces jeunes technocrates, les polytechniciens,
que la Restauration décevait et aussi qu'il a désiré les « femmes
sans cœur » qui régnaient sur le « Faubourg Saint-Germain ».
Vous avez donc pensé (comme moi) que la meilleure méthode
pour comprendre cet « enfant du siècle » (n'est-il pas né
en 1799 ?) était de le replacer dans son siècle. Je sais, je
sais, d'autres pensent autrement et voudraient nous faire
croire qu'avec quelques « lexies » arbitrairement découpées
dans un récit, plus quelques considérations sur le « complexe
de castration », ils nous feront entrer dans l'intime de
l'œuvre balzacienne. Je crois leur prétention excessive, leurs
méthodes d'approche insuffisantes. Vous aussi. C'est un premier
point d'accord entre nous.
Il en est d'autres, plus importants. Avant tout celui-ci :
Vous prenez (enfin !) Balzac au sérieux. Vous le prenez
au sérieux pour l'analyse qu'il nous a proposée de la société
de son temps ; pour le jugement qu'elle lui a inspiré. « Stendhal
et Balzac ont été des révélateurs ; ils ont aidé à des prises
de conscience ; ils continuent à nous aider à comprendre un
réel qui s'est éloigné de nous, mais d'où est sorti le
nôtre (...) (Balzac) a été réaliste en peignant le vrai, et
critique en faisant sourdre du vrai une problématique » (p.
16). Vous n'adoptez pas, il est vrai, toutes les conclusions :
Trône et Autel, Religion et Monarchie (et peut-être dictature)
qu'il a tirées de sa critique, ou du moins vous les nuancez.
A la fin de votre chapitre sur le Médecin, vous indiquez
leur valeur provisoire. Personne ne saurait vous en faire
grief. Pour moi l'essentiel est de vous entendre procla
mer que l'œuvre balzacienne a un sens, qu'on en peut tirer
des leçons. Il y a dans cette attitude une forme de fidélité

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qui relève de la simple honnêteté : « Les hommes n'ont


pas besoin de maîtres pour douter, a dit Bonald. J'ai
prix de bonne heure pour règle ces grandes paroles qui sont
la loi de l'écrivain monarchique aussi bien que celle de
l'écrivain démocratique. » Je ne crois pas que vous ayez cité
ces lignes fameuses de Y Avant-propos de 1842 ; et je le
regrette ; mais je sais que vous les approuvez. Vous aussi vous
avez adopté cette « loi ». C'est pour cela d'abord que nous
pouvons dialoguer.
Mais notre accord va plus loin. Car je crois, comme vous,
que la « pensée » de Balzac sur les grands problèmes, ce
n'est pas seulement dans ses préfaces, articles, ou excursus
théoriques insérés dans les romans qu'elle s'est exprimée,
mais dans le tissu même de la création. C'est le créateur,
c'est le romancier qui va dégager les perspectives les plus
vraies, non l'analyste ou le théoricien... « Seul le roman
permettra de sortir du guêpier de l'exposé didactique et intel
lectuel » écrivez-vous (p. 1391). Vous avez raison. Raison
aussi d'opposer le « romantisme révolutionnaire » au « réa
lisme critique ». Vous empruntez à Lukacs cette distinction
un peu sommaire en lui donnant d'heureux assouplissements.
Oui, Balzac par ses analyses — sans indulgence, mais sans
rhétorique excessive — a travaillé plus activement pour la
révolution que certains de ses grands contemporains plus
rhéteurs, plus lyriques, plus larmoyants. « Le romantisme
révolutionnaire, dites-vous très justement (p. 15), témoigne.
Il n'est pas connaissance, il n'est pas science. » Et encore
(p. 138, note) : « Un mal qui se connaît est déjà un peu
moins un mal. » Vous avez raison aussi d'opposer le réalisme
critique d'Honoré à l'idéalisme libéral de sa chère Zulma
Carraud. Lorsque les « balzaciens » lisent leur correspon
dance ils sont tentés — pour peu qu'ils aient quelque
générosité — d'accabler l'homme de génie aux dépens de la
femme au noble cœur. Ils ont tort. Merci de l'avoir proclamé.
Un morceau essentiel de votre livre est exposé de la critique
radicale opérée par Balzac au lendemain de juillet (et déjà
deux ou trois ans plus tôt) de cette philosophie libérale opti
miste dont s'était nourrie sa jeunesse. J'applaudis des deux
mains, vous le pensez bien, à votre affirmation de l'influence
exercée sur le romancier, au cours des années 1827-1828, par
la critique du libéralisme alors entreprise conjointement par
des penseurs vigoureux, venus des points les plus opposés de
la philosophie politique : d'une part les saint-simoniens, d'autre
Ballanche et Lamennais.
Dans les pages où vous traitez ces problèmes vous m'avez
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ffff:ffff:ffff:ffff:ffff:ffff:ffff on Thu, 01 Jan 1976 12:34:56 UTC
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procuré l'un des plus vifs plaisirs de ma vie d'intellectuel.


En effet, lorsque je m'étais attaqué à cet énorme « mor
ceau » d'histoire qu'est la pensée politique balzacienne, je ne
pouvais pas ne pas me poser le problème de savoir pourquoi
et comment cet homme « de gauche » libéral, cet opposant
virulent au régime de la Restauration avait finalement adopté
une attitude d' « extrême droite ». Non point monarchisante,
moins encore » légitimiste », malgré les apparences (et cela
encore est un point d'accord essentiel entre nous), mais anti
démocratique, antilibérale et, si j'ose employer des mots aussi
grossiers et anachroniques, à tendance « fasciste » ou en
tout cas « totalitaire ». Or j'avais cru trouver la solution
dans une réflexion sérieuse faite par Balzac, sous la conduite
de ces « penseurs » d'extrcme droite et d'extrême gauche à la
veille et au lendemain de 1830. On avait, en général, accueilli
cette hypothèse avec un aimable sourire ; on m'avait rappelé
avec cette condescendance des hommes qui « connaissent la
vie » qu'Honoré de Balzac, lorsqu'il était devenu € carliste »,
avait furieusement désiré partager la couche aristocratique
de la Marquise de Castries, avant celle de la Comtesse Hanska...
Un peu plus tard, un érudit, très minutieux, avait cru pou
voir démontrer que Balzac n'était pas à coup sûr l'auteur de
tous ces articles (pseudonymes) sur lesquels je m'étais en
partie appuyé pour soutenir ma thèse. Vous m'avez, en ce
débat, magistralement épaulé. Merci !
S'arrêterait-il là, notre accord serait déjà important, mais
il va plus loin encore ; il porte sur l'essentiel de votre thèse, à
savoir que ce qu'on a appelé le « Mal du siècle », crise
essentiellement morale et sentimentale, traditionnellement liée
aux noms de Chateaubriand, Sénancour, Benjamin Constant,
Lamartine, Vigny, Musset, tous plus ou moins aristocrates,
rattachés à l'ancien régime, fut aussi, peut-être surtout, pas une
crise qui s'est produite chez de jeunes bourgeois libéraux
(dont Balzac vous paraît être le plus remarquable représen
tant (au lendemain de 1815 et plus encore au lendemain de
1830), née d'une immense déception politique au lendemain
d'espoirs fous devant l'imposture d'une « classe », devant les
promesses non tenues ; 1' « ordre rétabli », à Varsovie comme
à Paris, au profit des possédants, devant les « pauvres »
repoussés une fois de plus dans leur * « pauvreté » et les
« jeunes » dans leur soumission aux « gérontes ». « Le roman
tisme de Raphaël », dites-vous dans les admirables pages que
vous consacrez [à, La peau de chagrin est un romantisme qui
se « socialise » ; ses revendications, explicites et implicites,
sont à portée politique, mettent en cause l'organisation sociale,

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193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 20Thu, 01 Jan 1976 12:34:56 UTC
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la loi des richesses... » (p. 1458). Vous avez raison. Je
vous dirai plus loin que cela n'épuise pas à mes yeux la
signification du roman. Mais il est vrai qu'il est d'abord
le roman d'un jeune homme pauvre.

II

J'aurais encore beaucoup à dire si je voulais entrer dans


le détail de mes approbations ! Mais il est grand temps que
je vous dise ce qui me déçoit dans votre grande œuvre. Vous
me paraissez coupable à la fois d'excès et d'insuffisance.
Je m'explique.
Quand je parle d'excès je ne fais pas seulement allusion au
nombre de vos pages, à l'exubérance de votre érudition. Péché
de jeunesse ! complexe de Sorbonne ! Je pense à une imparfaite
domination par votre « raison » de vos « passions ». Vous
êtes un critique « engagé », Ce n'est pas moi qui vous le
reprocherai. Je fus l'ami de Mounier et, avec lui, l'un des
fondateurs d'Esprit. Seulement il faut prendre garde. Cest
une dangereuse tentation que l'anachronisme : « Mauvais sou
venirs ! et puis les choses reprennent leur place (...) De
vieux comédiens reviennent sur le devant de la scène. Com
ment ne pas penser aux lendemains de 1\944... » Qui écrit
cela ? Maurice Bardèche ? Pas du tout, c'est vous.
Au reste on lit cette page 1 437 avec beaucoup d'émotion,
comme on a lu celles de Bardèche. Seulement ce n'est pas de
la critique exacte. J'ajoute qu'il y a des pages qui ne provo
quent plus d'émotion, mais la gêne. Votre livre, dites-vous dans
le post-criptum II de votre introduction (p. 22) a été écrit
« contre toute une pseudo-critique balzacienne, essayiste
et aventureuse, plus que scientifique de méthode qui s'est
employée depuis un quart de siècle à annexer Balzac à
toute une conception mystique, mystérieuse, absurdiste, pes
simiste, pour tout dire obscurantiste ou réactionnaire... »
Je ne perdrai pas mon temps à faire l'exégèse de ce texte.
Essayez donc avec vos étudiants d'agrégation ; ce ne sera
pas facile d'expliquer les mots que j'ai soulignés, les rapports
qu'ils ont entre eux et comment ils s'appliquent aux écrivains
que vous citez : Bardèche, Béguin, Picon... Ah ! comme j'eusse
préféré ne pas lire ce post-scriptum ! Vous en êtes-vous
aperçu ? Vous énoncez souvent, avec cette force terrible qui
vous habite, des affirmations indéfendables : « Balzac est le
plus fondamentalement opposé au siècle de tous ses contem
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porains ; le seul (à la réserve de Stendhal souvent), qui n'ait
jamais cédé sur rien et dont l'œuvre entière aujourd'hui porte
témoignage, intégralement, contre le siècle et son inhumaine
Comédie. » (p. 1628). Mais voyons, c'est « hénaurme » ce que
vous dites là ! « Cédé sur rien », l'ami du Baron de Rotschild,
le gestionnaire du « trésor Louloup », le spéculateur du parc
Montceau, le « copain » de Girardin ? « Opposé au siècle »,
le créateur de tant d'arrivistes bourrés de désirs, d'appétit de
conquête ; le créateur de Gaudissart, de Popinot, de Nucin
gen ? « Opposé au siècle », l'auteur de ce cantique à la gloire
de Paris qui ouvre Ferragus et de la lettre à Madame Hanska
où il énumère les contemporains qui font la gloire de l'illus
tration de son époque ? Ce siècle, personne peut-être ne l'a
plus aimé que lui. Et n'en a plus joui — jusqu'à en mourir —
comme Raphaël !
Vous exagérez ; vous forcez : quel dommage ! Car il est
vrai — et vous avez raison de l'affirmer contre Bardèche en
particulier, mais aussi contre beaucoup d'autres — que La
peau de chagrin est étroitement liée à la Révolution de juillet ;
qu'elle en fait un bilan sévère, qu'elle exprime l'amère décep
tion de la « jeunesse » qui y avait cru. Et que ce roman « phi
losophique » pose des problèmes proprement politiques. Mais
avez-vous le droit d'écrire que « ce livre, écrit au moment
où l'on compte les morts, est une véritable somme poli
tique » ? Vous savez qu'il est bien autre chose qu'une
« somme politique ». Et qu'il a été publié en août 1831, à une
date où les morts de juillet 1830 étaient depuis longtemps comp
tés... (et oubliés !). Mais, direz-vous, le cloître Saint Merry, les
funérailles du général Lamarque, la révolte des Canuts lyon
nais n'étaient pas loin ! Certes. Mais c'est autre chose. A
cette date, La peau de chagrin était déjà loin en arrière...
Autre forme d'excès : à juste titre vous vous êtes arrêté lon
guement à ce « bilan » de l'année 1830, où dans une de ses
Lettres sur Paris, Balzac a énuméré quelques ouvrages signi
ficatifs à ses yeux de la « crise » que traversait alors la
société française. Nous pourrions dialoguer longuement sur
cette page. Mais il faut avoir pitié des non balzaciens !
Je m'arrête seulement aux lignes fameuses consacrées au
Rouge et le noir. Que disent-elles exactement ? C'est une
« conception d'une sinistre et froide philosophie (...) M. de
Stendhal nous arrache le dernier lambeau d'humanité et de
croyance qui nous restait : il essaie de nous prouver que la
reconnaissance est un mot comme Amour, Dieu, Monarque... »
Franchement n'êtes-vous pas déçu ? Trouvez-vous que ce que
dit Balzac correspond à ce que vous lui faites dire ? J'ai lu,

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et commenté, bien avant vous, ces lignes étranges, et je
sens bien que le jeune maître flaire le chef-d'œuvre, mais l'inter
prète mal. Il ne voit pas alors (comment l'aurait-il pu ?) que
Julien Sorel est le frère aîné de Rastignac, ou plutôt un
curieux combiné de Vautrin et de Rastignac. Relisez les bril
lantes pages que vous avez consacrées à ce passage (1417
1422), vous verrez combien vous avez « forcé » une intuition
juste. Inconsciemment ? pas sûr. Car vous avez essayé d'atté
nuer, de nuancer. Et, vous ne l'avez pas fait seulement par
prudence, mais par honnêteté. Ayant globalement appelé
« plébéiens » les écrivains que cite Balzac, vous introduisez
brusquement une réserve au sujet de Nodier, notoirement roya
liste, ou encore, vous signalez en note qu'ils sont tous des
amis de Balzac et qu'il y a là peut-être un peu de « charlata
nisme », de « camaraderie ». (A propos, vous excluez Sten
dhal ; je crois que vous avez tort, il était de la bande, voyez
les Contes bruns...).
Un dernier mot sur ce que j'appellerai le « coup de
pouce » du théoricien politique. Page 1636, vous résumez les
idées de Bûchez où vous voyez — après plusieurs autres,
mais vous le montrez mieux qu'on ne l'avait fait avant
vous — un des « maîtres » de Balzac (Buchez-d'Arthez !),
« les croyances n'étant plus que des opinions, l'analyse —
chère ;à Balzac — est reine et tout se divise. Sacrifice et
dévouement disparaissent... on n'a plus, etc. » Cela c'est
l'exposé objectif. Mais il ne vous suffit pas. Et vous ajoutez
après « disparaissent » ces mots « avec les conditions maté
rielles, faudrait-il dire, qui leur donnaient un sens ». Ce « fau
drait-il dire » m'enchante ! Vous vous y révélez tout entier.
Comme vous êtes honnête, vous mettez tout cet ajout entre
parenthèses. Mais comme vous êtes un militant, un doctri
naire, vous donnez à votre lecteur la vérité explicative, ce
qu'il faudrait dire.

III

Je termine par l'essentiel : les manques. Vous avez mis


admirablement en lumière un aspect de la vision balzacienne
de son époque, de la société où il vivait de cette comédie
dont il fut l'un des acteurs. Mais vous l'avez privilégié à un
tel point que vous avez totalement néantisé les autres, non
moins importants, qui correspondent eux aussi à la fois à des
poussées profondes, plus ou moins conscientes, de l'être et à
une réflexion théorique, longuement et sérieusement poursuivie.

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CHRONIQUES
Permetlez-moi de les jeter — un peu rapidement — dans ce
long dialogue.
1) L'un des maux auxquels Balzac est le plus sensible,
vous l'avez bien vu, est le désordre, l'anarchie, la contra
diction, la désliarinonie, la concurrence. Ce « libéral »
d'origine est foncièrement hostile au libéralisme. Or l'auteur
de La Comédie humaine a bien vu et bien dit dès 1825 dans
ce raccourci de son œuvre qui s'appelle le Code des gens
honnêtes, que ce désordre est le fruit d'un universel et immé
morial combat des riches contre les pauvres. Mais il n'a
jamais cru que ce combat pût être supprimé. Il l'appelait
« lutte pour la vie » et non « lutte des classes ». Il faisait partie
pour lui, de la « condition humaine ». Il lui paraît produit
par une surabondance d'énergie. Je vous renvoie ici à E.R.
Curtius qui a le premier bien mis en lumière cet aspect de la
vie balzacienne.
Balzac lui-même débordait d'énergie et Baudelaire (dans le
texte fameux que j'évoquais au début de cet article) parlait
« de tous ces personnages bourrés d'énergie jusqu'à la
gueule ! » Balzac n'est pas seulement un sévère analyste de
la société de son temps, il est un contemplateur de l'homme,
ce monstre d'énergie. Il l'admire à la fois, et il a peur,
Il imagine une énergie déchaînée, en désordre, ou ce qui serait
pire, se concertant pour une subversion radicale de l'ordre
existant. Il aime les hommes d'énergie, tant qu'il est roman
cier : Grandet, Nucingen, Vautrin ou Bénassis ; mais, quand
il donne des conseils politiques, il suggère des moyens de
« canaliser » cette énergie, au profit de l'Ordre, et ces moyens
nous font parfois peur. Relisez les Deux rêves (dont vous
parlez trop peu !). Considéré sous cet angle, le « Mal du
siècle » n'est pas dû pour Balzac, à une révolution manquée,
confisquée par les bourgeois et les puissances d'argent ; le
mal du siècle, c'est l'absence d'ordre, l'anarchie des énergies
sociales, anarchie dont sont responsables des dirigeants dont
l'intelligence est taraudée par le doute. Je vous renvoie aux
conclusions de ma thèse.

2) Le mal pour Balzac vient essentiellement de la société.


Vous avez raison sur ce point. Mais la société que Balzac
accuse n'est pas celle de 1830, la sienne. Plus exactement elle
n'est pas uniquement, essentiellement celle-ci. Je sais bien
que tout votre livre veut démontrer le contraire. Mais relisez
donc les grandes Introductions de Félix Davin (1834 et 1835),
relisez l'Avant-propos (1842). Plus précisément sur La peau de
chagrin et les Contes philosophiques (que vous négligez !),

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CHRONIQUES
utilisez le texte capital qu'a écrit — avec l'accord de Balzac,
j'en suis convaincu, et peut-être sous sa dictée, — Philarète
Chasles (1.831) ; utilisez aussi la lettre à Montalembert (1831)
si bien mise par vous en lumière ! Impossible d'en douter :
si Balzac accuse en effet la société contemporaine, s'il bourre
son œuvre d'allusions à l'actualité et à l'actualité politique, il
ne se contente pas de cela. Le fond de sa pensée vous savez
comme moi, d'où il vient et que c'est la phrase fameuse
de Rousseau : L'homme qui pense est un animal dépravé.
La peau de chagrin est la formule de « La vie humaine ».
La vie humaine en général. Pas la vie à laquelle nous
condamne la « hideuse bourgeoisie » qui s'est emparée du
pouvoir en juillet 30. Ce que je vous dis là est peut-être de
l'humanisme ; mais c'est ce que dit Balzac. Dans La peau de
chagrin il faut entendre les propos amers des journalistes ;
mais il faut écouter aussi le discours de l'Antiquaire. Il faut
accepter le « mythe » tel qu'il nous est proposé : le désir,
la passion, le travail sont destructeurs de la Vie. On peut
vivre cent ans si l'on accepte de vivre comme un crétin ; on
peut être un génie et un amoureux passionné, mais il faut
mourir à vingt ans ! Je sais bien que je ne vous apprends
rien ; mais pourquoi vous obstinez-vous à ne pas faire sa
place à cette « pathologie » sur quoi se fonde toute la peinture
que Balzac nous a donnée de « la vie sociale »? La vie
sociale en général, pas seulement celle de 1830. Cet oubli, ce
« néantissement » me paraissent graves, parce que cette accu
sation radicale de Balzac contre toute société peut seule expli
quer l'apparition dans son œuvre de grands révoltés qui ont
une grandeur, une puissance de conviction bien plus impres
sionnantes que notre cher docteur Bénassis (à demi démocrate
chrétien, à demi radical-socialiste) qui transforme un canton
rural, ou le pâle Curé Bonnet, même s'il est doublé par le
jeune technocrate ingénieur des Ponts Grégoire Gérard. Peut
être Balzac est-il un « mauvais maître » ? comme disaient
naguère les bien-pensants ».
3) Croyez-vous enfin qu'on puisse sérieusement parler du
« mal du siècle » chez Balzac, en évinçant totalement l'an
goisse métaphysique ? « Le xix6 siècle (...) est en ce moment
travaillé par le doute. » Cette phrase capitale de l'auteur de
la Comédie humaine, vous l'avez inscrite en tête de votre
œuvre tout entière. Elle sert d'épigraphe au chapitre I de la
première partie. On ne saurait lui donner une plus grande
valeur. Comment donc avez-vous pu vous en tenir là ? Com
ment avez-vous pu ne rien dire sur ce qu'était ce doute ?

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CHRONIQUES
Quelles en étaient les causes ? Quelle en était la nature ?
Dans quelle mesure il avait touché Balzac ? Quelle gravité le
phénomène avait à ses yeux ? S'il le considérait comme un
mal ? Si ce n'était pas pour lui le mal du siècle ? S'il pensait
qu'on pût en tirer un bien ? un progrès ? S'il pensait qu'on
pût le guérir ? Et par quels moyens ?
Cela fait beaucoup de questions. Et votre livre est si long !
Mais si par hasard, c'était l'essentiel ? Vous avez rappelé
la mésaventure de l'abbé Bertault, citant, à la date de 1831,
la phrase de l'Eglise : « Nous avons vu passer le convoi
d'une monarchie. Il faut sauver l'Eglise. » alors qu'elle ne
fut ajoutée que beaucoup plus tard. Il avait tort. Mais, en
profondeur, je crois qu'il avait raison. Je veux dire que,
dans ces années post-révolutionnaires 1830-1835, Balzac s'est
posé très sérieusement le problème de la foi religieuse non
seulement pour lui, mais pour toute sa génération.
Vous savez les allusions qu'il y fait dans La peau de chagrin
et dans l'Introduction des Contes, vous savez que parmi ces
Contes, il y a Jésus-Christ en Flandre. Vous savez les confi
dences faites à Montalembert, la place accordée au Curé
Janvier dans le Médecin. Et vous savez aussi que l'étrange
scène de la vie de province qu'est La recherche de l'absolu
est un roman métaphysique.
Faut-il vous rappeler que cette épigraphe de votre chapi
tre I est empruntée au Livre mystique ? Et que ce Livre
mystique lui-même, s'il ne paraît qu'en 1835 (après le Médecin
dont vous nous dites qu'il est une réponse à Louis Lambert,
reprend précisément Louis Lambert en y ajoutant la fameuse
Lettre à l'oncle ? Vraiment, vraiment, ce n'est pas sérieux.
Vous n'avez pas le droit de passer sous silence un texte aussi
important dont vous n'avez détaché qu'une phrase. Il faut
lire cette phrase dans son contexte (je vais être obligé de
« couper », mais j'inscrirai l'essentiel) : « Composé de trois
œuvres éparses dans les trente volumes in-12 des Etudes philo
sophiques, ce livre est destiné à offrir l'expression nette
de la pensée religieuse, jetée comme une âme en ce long
ouvrage (...). Bemarquez bien [que l'auteur] n'a pas l'im
piété de contester l'influence des mathématiques sur le
bonheur de l'humanité prise en masse, thèse soutenue par
Swedenborg et Saint-Martin. Mais trop de gens s'avanceront
à la défense des Saintes Sciences de l'Homme 3 trop peu pren

3. La majuscule est de Balzac. On goûtera l'ironie latente de


tout ce texte. Et son actualité.

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CHRONIQUES
dront intérêt aux lointaines clartés du mysticisme pour que
l'auteur ne soit pas ici du parti le plus faible... »

Je terminerai par un regret et par une confidence. Le


regret c'est de ne pas sentir dans votre œuvre — qui n'est
tout de même pas celle d'un jeune homme — une plus forte
densité d'expérience qui vous rendrait moins sensible aux
« théories » et davantage à la vie. Il y a dans La peau de
chagrin, une réflexion douloureuse de Raphaël que vous citez
je crois, mais que vous ne me paraissez pas sentir justement :
« Je pensais, mes amis, déclare Raphaël, que nous sommes
près de devenir de bien grands coquins. (...). Nous allons
entrer dans ce grand bagne [le monde, la politique] et y perdre
nos illusions. Quand on ne croit plus qu'au diable, il est
permis de regretter le paradis de la jeunesse... » Laissons de
côté le diable et le bon dieu. Ce que je sens ici sous la
plume de ce romancier qui aborde la gloire et la fortune,
c'est un étonnant retour sur le passé. Il n'a que trente-deux ans ;
déjà il regrette sa jeunesse. Je crois qu'il y a là un phénomène
d'une profondeur telle que les révolutions politiques et sociales
ne le concernent pas. C'est ce vieillissement dont Péguy a
parlé dans sa Clio à propos de « l'homme de quarante ans ».
Or chez certains êtres ce phénomène peut être particulièrement
sensible ; il peut se produire beaucoup plus tôt, précisément
vers la trentième année. C'est ici que se place ma confidence.
C'était il y a trente ans ; j'avais trente-cinq ans — un peu
plus peut-être. Un de mes amis les plus chers — il est mort
aujourd'hui — m'écrivit alors : « Ce qui compte le plus dans
l'homme, ce qui est capital, c'est l'âge. L'homme de trente ans,
ajoutait-il — il me savait balzacien —, c'est nous qui jouons
ce personnage et ce personnage triste (...) Crois-moi, c'est
beaucoup plus important que la femme, que la célèbre « femme
de trente ans ». La femme de trente ans, ce peut être le
vieillissement, comme le premier vieillissement de la beauté.
Ce n'est que la première atteinte, et encore !... Mais l'homme
de trente ans, c'est le premier vieillissement de la jeunesse. (...)
Nous sommes si sûrs que nous n'y reviendrons jamais, que
jamais nous ne reboirons aux sources initiales... »

Bernard Guyon.

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