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Revue des Études Grecques

La « conversion » de Synésios
Henri Irénée Marrou

Citer ce document / Cite this document :

Marrou Henri Irénée. La « conversion » de Synésios. In: Revue des Études Grecques, tome 65, fascicule 306-308, Juillet-
décembre 1952. pp. 474-484;

doi : https://doi.org/10.3406/reg.1952.3297

https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1952_num_65_306_3297

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LA "CONVERSION" DE SYNES1OS

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LA « CONVERSION » DE SYNÉSIOS 475

Maires : trop souvent incapables ou vénaux, et, si d'aventure il s'en trouve un de


toon, trop vite déplacés. Comme dans tous les régimes totalitaires, l'instabilité
des situations, des fortunes, est de règle, qu'elles soient publiques ou privées :
-à l'échelon de la petite Cyrénaïque, l'ascension et la chute du praeses Andronicos
répètent celles, sur la scène de Constantinople, du grand chambellan Eutrope;
■quant à Synésios lui-même, nous le voyons à deïix reprises, une fois dans sa
jeunesse, une autre fois vers 408, obligé de α s'exiler » pour des raisons qui
demeurent assez mystérieuses, mais qui ne peuvent être que d'ordre politique
ou fiscal. .
Car cet Empire, qui remplit si mal ses fonctions, coûte cher et pèse lourd :
c'est pour obtenir, pour sa province, un allégement des impôts, et-
accessoirement pour lui-même, l'exemption dee charges de curiale, que Synésios s'en va
passer trois ans à Constantinople, en ambassade auprès de l'empereur Arcadius
et de ses bureaux. Dans les textes relatifs à ce séjour, que de révélations sur les
mteurs du temps ! Relisez entre autres la Lettre 61, où noue voyons Synésios,
pour mieux faire la queue à la porte des puissants, passer la nuit dans les
antichambres et ae munir à cette fin d'un confortable tapis d'Egypte, — qu'un commis
-du corps des « tachygraphes » remarque et se fait offrir, en guise, sans doute,
-de « pot de vin ». · .
Témoignages aussi sur la grande histoire : pour son heur et sa peine, notre
héros trouve la capitale en pleine révolution. Il voit d'abord au pouvoir le parti
-anti-barbare animé par le préfet du prétoire Aurelianus; au bout de quelques
mois, coup d'état du goth Gainai qui le renverse et annule du même coup les
-exemptions fiscales obtenues par Synésios ; celui-ci se voit obligé de se
morfondre dans la grande ville, en attendant la contre-révolution qui ramène
Aurelianus au pouvoir... De ces événements, le Récit Égyptien nous offre, sous une
forme allégorique, mais devenue transparente, un exposé de première main : on
peut le mesurer en voyant l'utilisation qu'en a faite, dans le cadre d'une histoire
générale de la 'période, Mlle Éin. Demougeot (De Vunité à la division de tempire
romain, 395-410, Paris, 1951, p. 237-246); il est intéressant de confronter son
commentaire à celui de M. Lacombrade : Mlle Demougeot, qui présente
volontiers les choses du point de vue « occidental » (son héros est Stilicon, le tout
puissant ministre d'flonorius), souligne avec justesse le caractère partiel,. sinon
partial, du témoignage de Synésios, qui apparaît comme le porte-parole d'un
parti, celui des nationalistes de l'empire d'Orient.
Mais, si c'est là un point de vue particulier, c'est, historiquement, un point de
-vue privilégié. On sait que Louis Bréhier fait commencer l'histoire byzantine au
■moment où, à la différence de l'Occident de plus en plus pénétré par les Barbares,
la Pars Orienlis échappe à leur mainmise : la chute de Gainas marque ce
tournant décisif, et dès lors Synésios apparaît comme le premier interprète du
sentiment national, du patrietisme, proprement byzantin.
De l'idéal oriental de l'Empire, le même Synésios s'est fait d'autre part le
théoricien dans son discours Περί Βασιλείας, écrit, sinon prononcé, dès 399, auquel
M. Lacombrade a consacré par ailleurs sa thèse complémentaire (Le discours sur
la Royauté de Synésios de Gyrène à Vempereur Arcadios, traduction nouvelle
avec introduction, notes et commentaire, Paris, Les Belles Lettres, 1951). Ici,
j'aimerais peut-être souligner davantage l'analogie foncière qui se manifeste entre
ces conceptions politiques de Synésios et la théologie impériale déjà formulée,
dès le règne de Constantin, par Eusèbe de Césarée, — théologie dont vivra toute
la tradition byzantine.
Ainsi, lorsque M.'L. analyse le comportemeni de l'évêque de Ptolémaïs, dans
476 HENRI 1RÉNÉE MARROU
les dernières années de sa vie, à l'égard du méchant gouverneur Andronicos,
qu'il unira par excommunier, mais non sans Ta voir longtemps ménagé, M. L.
évoque le souvenir du Gorgias et du Chiton : je pense, pour ma part, moins à
Platon qu'à Eusèbe et à Byzance ; la prudence révérentielle dont l'évêque Syné-
sios use à l'égard du pouvoir civil me paratt très caractéristique de la théologie
politique orientale, par opposition à celle de l'Occident (telle que l'incarne par
exemple un saint Ambroise), beaucoup moins sensible, celle-ci, au caractère
sacré de l'Empereur et beaucoup plus consciente de la transcendance du pouvoir
spirituel, du pouvoir de l'Église.
Très caractéristique aussi de la civilisation frûhbyzantinische, si antique encore,
par cet aspect, est l'importance politique reconnue, en Synésios, à l'orateur
éloquent et lettré (sa 1* Catastase, discours de remerciement à un gouverneur
sortant de charge, est dans la grande tradition des Assemblées provinciales du
Haut-Empire). C'est ce qui explique, il n'en faut pas douter, l'élection
surprenante de Synésios à l'épiscopat (L. p. 217) : le suffrage du clergé de Cyrénaïque et
des fidèles est allé à l'ancien ambassadeur, à l'homme éloquent capable de se
faire écouter et de défendre les intérêts de son peuple en face des gouverneurs
locaux, des bureaux d'Alexandrie ou de Constantinople; et de fait, un excellent
chapitre de M. L. le montre bien (« Au service de la patrie »), c'est bien ce rôle
de defensor plebis qu'au cours des trois années, de son ministère l'Évêque —
malgré lui — a su jouer avec dévouement, intelligence et efficacité.
On pourrait prolonger indéfiniment le commentaire : l'historien de l'éducation
et de la culture antique ramène de cette lecture une belle moisson de fiches!
Sait-on par exemple qu'une lettre de Synésios, mentionnant un pédotribe, est
un des plus récents témoignages concernant la persistance de la culture
physique au Bas-Empire ? Et que dire du Dion, ce discours qui prolonge le vieux débat,
ouvert depuis Socrate et les Sophistes, depuis Platon et Isocrate, le débat entre
Philosophie et Art oratoire? Synésios, sous le patronage de Dion de Pruse, — ce
rhéteur converti À la pensée, — y défend les droits de la philosophie, mais d'une
philosophie qui ne consent pas à se passer des Muses ni des Grâces (Dion, i,
1125 A)... Ce n'est pas seulement sur le pian politique que l'Orient byzantin se
sépare de l'Occident latin : le temps est proche où Boèce nous montrera la
Philosophie chassant impitoyablement de son chevet les « Muses de la poésie », kas
scenicas meretriculas, ces Sirènes... *
Mais je voudrais surtout intéresser le lecteur aux espects religieux du cas
de Synésios, qui sont évidemment, les plus significatifs. L'étude si poussée de
M. L. me paraît apporter assez de lumières sur un ensemble de faits, désormais-
bien précisés, ordonnés dans le temps et correctement interprétés, pour qu'il
devienne possible de proposer des solutions raisonnables aux problèmes posés
par la « conversion » de Synésios, sur laquelle (bien qu'on eût déjà beaucoup
écrit à son sujet) l'historien demeurait jusqu'ici hésitant (on ne trouve rien sur
Synésios dans les deux livres classiques de A. D. Nock, Conversion, the old and
the new in religion, from Alexander the Great to Augustine of Hippo, Oxford,
1923, et de G. Bardy, La conversion au christianisme durant les premiers siècles,
Paris, 1949).
Pour y voir clair, il me semble nécessaire de distinguer, dans ce phénomène
complexe, trois ordres de questions, logiquement distinctes quoique, bien
entendu, psychologiquement mêlées : conversion et vocation, — religion et
philosophie, — foi et sainteté.
LA «CONVERSION» DE SYNÉSIOS 477
I. On commencera par observer qu'il n'est nulle part question de conversion
au sens propre du mot, du passage de Synésios du paganisme au christianisme,
de son entrée dans l'Église. Aucun texte n'y fait allusion, pas même la longue
Lettre 105, lettre ouverte destinée à être mise sous les yeux du patriarche
Théophile d'Alexandrie et de ses conseillers ecclésiastiques (de ce texte, justement
fameux, P. G., t. 66, c. 1481C-1488D, M. L. nous fournit une excellente traduction,
p. 220-223) : Synésios y oppose bien des difficultés à son admission dans le clergé,
mais non à son baptême. De celui-ci, pas un mot, ni là ni ailleurs. Je n'en conclus
pas qu'en 410 Synésios est déjà* baptisé (le fameux 2e Canon du concile de Nicée,
interdisant l'élection d'un néophyte, a été trop souvent violé, de saint Ambroise
à Photius, pour qu'on puisse en faire état ici), mais il faut admettre qu'il était
au moins catéchumène (Lac. p. 218, n. 16).
J'en tire l'assurance d'un passage de la même Lettre 105 (c. 1485A) : la première
raison que Synésios objecte à son ordination est qu'il ne veut pas se séparer
■de sa femme, dont il souhaite et espère avoir encore de nombreux enfants (il est
en effet marié depuis 403 et a déjà trois fils, un aîné et deux jumeaux nés dans
les deux premières années du mariage : tous ces points ont été élucidés avec
beaucoup de bonheur par M. L.). Pesons les termes dont se sert Synésios : « Dieu,
dit-il, la loi et la main sacrée de Théophile m'ont donné une épouse », έμοι τοι-
γαροΰν δ τε θ*ος δ τε νόμος ή τε 'ιερά Θεοφίλου χειρ γυναίκα επιδέδω*ε. Il s'agit
évidemment d'un mariage religieux, chrétien. On objectera que nous ne
connaissons pas avec précision la discipline suivie, à cette date précise, par l'église
d'Egypte en matière matrimoniale. Sans doute, l'union d'un païen avec une
chrétienne n'est pas inconcevable,, mais de tels mariages mixtes ont toujours été
très sévèrement blâmés par l'Église, qui infligeait au coupable une sanction
pénitentielle, comme on peut le voir par Tertullien {Ad tixorem, 11, 3) et les canons
*i précis des conciles d'Elvire (c. 15) ou d'Arles (c. 11 : on trouvera les textes
rassemblés dans le Dictionnaire de Théologie catholique, t. IX, 2, c. 2110 2113).
"Vu le caractère impérieux et rigoriste du patriarche Théophile, on conçoit mal
qu'il ait prêté la main, sa « main sacrée », au mariage <le Synésios, si celui-ci ne
lui donnait pas, au minimum, la garantie qu'exigera en 451 le concile de Chalcé-
doine, dont le canen 14 n'accorde dispense pour cause de disparité de culte que
*i le conjoint païen promet de se faire baptiser.
Un esprit romanesque suggérera peut-êtreque l'amour a pu décider Synésios,
à défaut d'une conviction profonde, à faire une telle concession (une femme
vaut bien une messe !). Je note que Γ « amour », au sens où nous prenons le
mot en Occident depuis le xii· siècle, ne paraît jouer aucun rôle dans la
psychologie de notre héros : autant il nous donne d'émouvants témoignages de son
affection passionnée pour ses enfants, autant sa femme n'apparaît, à ses yeux,
que comme la mère de ses fils (voyez le ton assez froid dont il prie Dieu pour
«Ile, — et pour qu'elle lui soit fidèle, — dans Y Hymne VIII, v. 32-41). De cette
,

compagne, nous n'entendrons plus parler après cette Lettre 105; Synésios. qui
n'aura plus d'autres enfants, n'en dit jamais plus rien : faut-il conjecturer qu'elle
est morte, assez opportunément, peu après l'élection à Pépiscopat ?
Mais nous avons mieux à faire que d'émettre des hypothèses en l'air :
l'œuvre de Synésios atteste bien avant 410 non seulement une attirance profonde
pour le christianisme mais bel et bien une adhésion formelle. J'oserai pour ma
part être plus nettement afflrmatif que M. L. ne s'est cru autorisé à l'être.
J'observe, pour commencer, que nous ne trouvons, de fait, aucun indice positif du
paganisme de Synésios. Sans doute, comme M. L. l'observe finement, il n'était
pas très facile de se montrer païen dans ces années 391 et suivantes qui avaient vu
478 HENRI 1RÉNÉE MARROU
la destruction du Serapeum et l'impitoyable législation de Théodose, interdisant:
les sacrifices, même privés. Mais les convictions restaient libre*, et je ne voie
pas de témoignage net attestant les convictions proprement païennes de
Synésios (ne mêlons pas à cette question religieuse les problèmes philosophiques).
Tout au plus vois-je à signaler l'emploi, dans les Hymnes, du mot « dieux »,.
au pluriel, ainsi Hymne III, v. 164, 168, 268Terzaghi; mais on sait (depuis,
l'étude bien connue de Harnack à ce sujet) combien l'abus qu'en avaient fait les
païens avait eu pour résultat de démonétiser le mot θεός, et surtout, dirai:je^
le pluriel θεοί, dont les Chrétiens pouvaient eux aussi user en un sens dérivé. —
surtout en vers; Synésios s'en sert encore dans Γ Hymne IX, qui, lui, est authen-
tiquement chrétieu d'inspiration et d'affabulation, hymne au Christ-Roi, « enfant
d'une vierge de Solymes » : au v. 48, la lune est appelée « pasteur des dieu»
nocturnes », ποιμήν νυχιών θεών.
En contre-partie, que d'indices très nets de christianisme t et cela dans les
œuvres certainement antérieures au mariage; je ne parle pas seulement de-
témoignages de sympathie, comme celle qu'il manifeste volontiers à l'égard des
moines, mais d'une prise de position personnelle. Négligeons le témoignage
ambigu des Discaurs de Constantinople (si dans le Récit égyptien Synésios parle-
du christianisme comme de « notre religion » et condamne l'arianisme des-
Goths, 1, 1256C, 1257A, ce peut Hve par diplomatie; le De Regno est beaucoup-
moins affirmatif, 1068B : cf. Lacombrade, Thèse complém., p. 43, n. 43). Celui
des Hymnes est devenu décisif, depuis que l'effort de M. L. nous a permis de
voir net dans leur chronologie; un accident typographique ayant troublé le-
tableau qu'il nous donne p. 175, n. 21 (où il faut lire» Terz. » au lieu de « Por-
tus», transcrire les chiffres romains en chiffres arabes, et réciproquement),,
je crois utile de le présenter à nouveau pour ia commodité du lecteur :
Ordre reçu (éd. Portus) I II 111 IV V VI VU VIII IX
Ed. Terzaghi Θ' s' α' β' γ' S' ς' ζ' -η'
Lacombrade 142 3658 79
M. Lacombrade en effet nous propose non pas une numérotation nouvelle, ce
qui bouleverserait inutilement le système reçu de référence (il continue, et nous
l'imitons, à citer les Hymnes d'après le numéro de l'édition Portus;, mais un ordre
de lecture, les rangeant en tine série continue selon leur degré croissant de·
christianisme, depuis YHymne /, encore tout philosophique, jusqu'aux
Hymnes Vll-lX, d'un ton déjà tout « ecclésiastique ». Le critique doit souligner qu'il·
s'agit là d'une progression logique, qui ne devient chronologique qu'à la
condition «l'admettre le postulat d'une évolution régulière de la pensée religieuse de
Synésios, dans le sens d'un approfondissement progressif de son christianisme,
— postulat vraisemblable, postulat cependant. Deux Hymnes seulement peuvent-
être datés avec certitude : YH. Ill, écrit à Cyrène nu retour de l'ambassade, soit
en 402, 17/. VIII, qui se place après la naissance des trois fils de Synésios et
avant l'épiscopat, soit entre 405 et 410.
Ne retenons ici que le témoignage sûr de Y Hymne III : il est, en fait, très précis.
Évoquant devant Dieu les tourments de ses longs mois de. démarches et d'attente-
à Constantinople, le p'oète décrit' ainsi les loisir» forcés de son ambassade :
« Tous ceux des temples, δ Roi, qui ont été construits pour ton culte sacré, je
les ai visités! Suppliant, je me prosternais, imbibant le sol des pleurs de me»
paupières. Et, pour que mon voyage ne fût pas inutile, je conjurais ces divins
Serviteurs, tous ceux qui protègent le sol fécond de Thrace et tous ceux_ojui
régissent, sur la rive opposée, les champs Chalcédoniens, serviteurs, ô Roi, que
tu as couronnés d'angéliques rayons, et dont tu as fait tes ministres sacrés... »-
LA « CONVERSION » DE STNÉSIOS 479
(V. 450-470 Terzaghi; je cite la traduction de M. Mario Meunier, Hymnes de
Synésius de Cyrène, Paris, 1941, p. 154). L'affabulation poétique ne peut
obscurcir l'allusion : nous sommes dans la Constantinople et la Ghalcédoine du temps
d'Arca.iius, ces temples (νηοί sont des églises ce culte (τελιττ,φορίαι) le culte
chrétien, ces « serviteurs » les martyrs. Plus loin, implorant de Dieu la délivrance
suprême, Synésios s'écrie : «Que mon âme suppliante porte enfin le sceau du
Père » σφραγίδα πατρός (ν 620 621). Expression technique pour désigner le
baptême chrétien : M. L. nous renvoie avec raison à l'étude classique de F. J. Dol-
ger, Sphragis (Paderborn, 1914) ; mais je ne puis imiter sa « circonspection »
<p. 189) à admettre cette interprétation : la suite de V Hymne, v. 622-636, montre
bien que de la réception de ce sceau Synésios attend les effets qu'un chrétien
attend du baptême, — la vie éternelle :
« Épouvantait pour les Génies hostiles qui, bondissant des gouffres.de la terre,
soufflent aux mortels des impulsions impies, que cette empreinte (sic, Meunier;
gr«*c : σύνθημα, « signe de reconnaissance ») nie fasse reconnaître tes saints
ministres qui, dans les profondeurs du radieux univers, gardent les clefs des
montées flamboyantes, afin qu'ils m'ouvrent les portes de la lumière I » (trad.
Meunier,
Je' p. 162).
m'en tiens à ce texte (on retrouve ailleurs dans le même hymne,
v. 537-540, les mêmes termes, σφραγίς. σύνθημα, mais on peut estimer que leur
portée y est moins claire) : il établit à mon sens que dès 399-401 Synésios se
comporte en chrétien, prie dans les églises chrétiennes le Dieu et les martyrs des
chrétiens et demande la Kfâce du baptême. Qu'il ait- retardé la réception de ce
sacrement ne saurait étonner : c'était là pratique courante de son temps, non
certes, comme l'imagine volontiers la malignité des modernes, qu'on spéculât
sur l'intérêt pratique qu'un pécheur avait à recevoir le plus tard possible le
sacrement merveilleux qui d'un coup liquide toutes les fautes, mais parce qu'on
prenait très au sérieux les engagements contractés au baptême, et nul ne
s'avisait de les contracter avant d'être sûr de pouvoir, avec une générosité totale,
conformer sa vie à l'idéal austère et difficile de la véritable vie chrétienne.
On comprend dès lors que, si Synésios ne s'était toujours pas senti le courage
de faire le pas, ce soit a fortiori avee la plus grande répugnance qu'il ait
accueilli les responsabilités, plus lourdes encore, de l'épiscopat. Relisons encore
une fois la lettre 105 : il est clair que notre « gentleman-farmer », ce lettré
délicat, attaché à ses chères habitudes, à une vie douillette de loisirs élégants, est
bien loin de se sentir prêt à se charger d'un fardeau si lourd, à consommer un
sacrifice à ses yeux héroïque \Ep. 10S, 1484A; L. p. 220). Mais il n'avait pas
stricto sensu à se « convertir » au christianisme : catéchumène depuis des
années, et peut-être depuis toujours (encore une fois, on ne peut signaler aucune
décision formelle à ce sujet et les faits concernant son frère Evoptios,
rassemblés p. 19-20 par M. L., peuvent donner à penser que leur famille était
chrétienne), Synésios était déjà chrétien.
Tiède sans doute, — mais peut-être ne mesurait-il pas lui-même les ressources
insoupçonnées que renfermait son âme; plus que les paroles comptent les actes,
et le véritable Synésios est celui que va révéler son comportement effectif en
face du problème de la « vocation ». Pour beaucoup d'entre nous, et cela sous
l'influence de la tradition issue du χ vu· siècle français, disons la tradition sulpi-
cienne pour faire court, la vocation à l'état ecclésiastique appàratt comme la
prise de conscience, subjective, d'une grace de sanctification personnelle; mais,
«n saine théologie, la « -vocation ■ sacerdotale est tout autre chose : c'est d'abord
Γ « appel », objectif, que Dieu, par la voix de l'Église, adresse à un de ses.
480 HENRI IRÉNÉE MARROU
fidèles pour qu'il se consacre au service du peuple chrétien; elle implique certes
un aspect intérieur, mais ne suppose pas nécessairement le désir du sacerdoce,
l'acceptation suffit.
11 n'y a pas de douté qu'en dépit de ses répugnances Synésios n'ait toujours
été décidé à accepter, si l'Église l'exigeait, le sacerdoce (Ep. Î05.4488C, L. p. 223)
«t qu'il l'ait finalement accepté ; ce faisant il avait bien conscience d'obéir à la
volonté souveraine de Dieu, comme il Ta exprimé, en termes émouvants, dans
sa première lettre à ses prêtres (Ep. 11, 1348C, L. p. 227); sa vie tout entière,
dans les- années qui vont suivre, prouve assez avec quelle sincérité profonde,
<quel don de soi entier et sans, retour, il a compris et pratiqué ses devoirs de
pasteur. Son acceptation du sacerdoce a donc bien été pour lui l'occasion d'une
« conversion », mais au sens spirituel, pascalien du mot; en 410 il en était plus
près, plus capable, qu'il ne l'a dit, qu'il ne pouvait le penser.

II. N'est-ce' pas faire bon marché des « objections contre la foi » que
Synésios formule d'autre part dans là lettre 105 ? Je n'oublie pas que,
spirituellement autant que philosophiquement, il a été formé par l'école païenne d'Hy-
patie. Si, pour reprendre une période fameuse de Péguy, « si la mémoire
d'Hypatie demeure une des plus hautement honorées entre toutes les mémoires
humaines », — c'est parce qu à nos yeux elle est devenue le symbole de la
fidélité de lame païenne à la vieille religion hellénique : c'est bien comme symbole
de la résistance païenne quelle a trouvé la mort, en mars 415, sous les coups
de partisans fanatisés de saint Cyrille ; mais ce qui confère à cette mort atroce
un caractère particulièrement dou'oureux, c'est qu'elle était bien imméritée : on
■commettrait en effet le pins grave contresens sur l'école néoplatonicienne
d'Alexandrie au temps de Synésios en l'imaginant comme un centre de
propagande anti-chrétienne. Il ne faut pas se faire une image trop simpliste, trop
linéaire, de l'évolution du néoplatonisme et de ses implications religieuses.
De Plotin à Porphyre puis a Jamblique, de là (en passant par Julien) à l'école
d'Athènes, de Plutarque et Proclus à Damascins. puis aux « Sabéens » de Har-
ran, nous voyons le néoplatonisme resserrer toujours davantage les liens qui
l'unissent au paganisme et spécialement aux aspects les plus troubles de cette
religion : divination, magie, théurgie, occultisme de tout genre. Mais cette δια-
■δοχή n'épuise pas tout le néoplatonisme ; en Occident, celui de Marius Victori-
nus. du milieu philosophique milanais autour de saint Atnbroise que les belles
recherches de P. Courcelle viennent de remettre en pleine lumière), de, saint
Augustin enfin, pour ne rien dire de ses épigones jusqu'à Claudien Maunert, le
néoplatonisme d'expression latine sera un néoplatonisme chrétien qui, au prix
-de tout un travail d'adaptation et de transposition, mettra la tradition issue de
Plotin au service de la Foi.
En Orient, l'école d'Alexandrie occupe une position intermédiaire ; sans doute,
pour longtemps encore ses maîtres seront personnellement des païens; mais
ils réagissent contre le mysticisme effréné où sombrent leurs confrères
d'Athènes, cherchent à purifier leur doctrine de ces compromissions avec
l'irrationnel, insistant, dans leur pédagogie, sur les strictes disciplines de la logique
«t des mathématiques. Leur enseignement n'est animé d'aucun prosélytisme
religieux et accueille avec sympathie et respect de nombreux élèves chrétiens.
Tous les historiens de la philosophie antique sont d'accord pour souligner la
parfaite neutralité religieuse de leur école, entre la fin du iv siècle et le début
LA « CONVERSION » DE SYNÉSIOS 484
du vie (où avec Jean Philopou la direction passe aux mains de chrétiens) : à
l'autorité de J. Bidez, qu'invoque à juste titre M. L., je joindrais celle de
K. Prâchter, dans le classique Gnindriss d'Ueberweg (I1*, p. 635, 638-9), qui
caractérise fort justement l'école de Théon et Hypatie comme une neutral philo-
sophtsche Ans tait.
Entre autres intérêts majeurs, l'œuvre de Synésios offre celui d'apporter un
témoignage sur une étape précoce de cette évolution. Une de ses lettres de
jeunesse, écrite d'Athènes, exprime avec une naïve simplicité la rivalité des deux
écoles : à ses yeux les mai très d'Athènes ne comptent plus en face de sa chère
Hypatie (Ep. 135, 1524 G, L. p. 76). A Alexandrie, il a eu comme condisciple un
diacre chrétien, que M. L. croit pouvoir identifier avec Isidore de Péluse,, qui
restera le conseiller spirituel et théologique de Synésios (p. 54-5). Mieux encore,
nous saisissons, en train de s'effectuer, le redressement doctrinal qui va. de
plus en plus, opposer les Alexandrins à Athènes: M. L. a su souligner, avec
beaucoup de bonheur, les textes qui nous montrent Synésios, fidèle interprète
de l'enseignement qu'il a reçu, rompant avec Jamblique et se rapprochant de
Porphyre, — et non pas du Porphyre de VAdversus Christianos ou de V Antre des
Nymphes, non pas de l'apologiste païen : sa sympathie va, chez Porphyre, à ce
qu'il y a en lui de saine rationalité, et de plus acceptable pour un chrétien, de
plus facile à « infléchir vers la doctrine chrétienne » (L. p. 49, 148, 165 6, 168,
213). Dans une pensée en pleine évolution c'est le mouvement qui compte, la
direction et le sens du mouvement : se séparer de Jambiique (et sur un point
aussi caractéristique que 'la théurgie), revenir & Porphyre,, c'était tourner le dos
au paganisme contemporain et marcher à la rencontre de la pensée chrétienne.
L'enseignement d'Hypatic n'était donc pas de nature à écarter Synésios de la
religion chrétienne ; reste à savoir si la philosophie qu'elle lui avait inculquée
était de nature à lui faciliter l'intelligence des vérités de la foi. C'est là un tout
autre problème, qui n'a pas toujours été vu dans une exacte perspective : il' ne
faut pas poser l'alternative : christianisme ou philosophie ? Synésios est-il
néoplatonicien ou chrétien ? Pour lui, — comme pour tout chrétien cultivé, —
le problème philosophique se pose à l'intérieur de l'âme chrétienne, qui doit
s'efforcer d'accorder, de faire se rejoindre, la raison et la foi. Problème
difficile (mais la Foi, phénomène d'ordre religieux, ne suppose pas qu'on ait résolu
à l'avance toutes les apories d'ordre philosophique : sans quoi, qui pourrait se
dire chrétien ?), que chacun doit résoudre pour son compte ; et il y réussit plus
ou moins, — suivant ses lumière!), suivant le climat où s'est développée sa
pensée : il y a des philosophies totalement incompatibles avec le christianisme,
d'autres qui lui sont plus ou moins favorables...
Il n'y a pas de mérite à reconnaître que, tel qu'il l'avait reçu ejt compris, le
néoplatonisme soulevait, pour Synésios, bien des difficultés. Les textes sont si
nets, que le danger serait plutôt de s'en exagérer la portée. Né confrontons pas
la pensée de Synésios avec l'orthodoxie pointilleuse d'un théologien d
aujourd'hui, solidement retranché derrière les précisions doctrinales que lui ont
léguées les quinze derniers siècles. Il faut replacer les objections de la lettre
105 dans l'atmosphère du temps. Sur trois points, nous dit-il,, ses convictions
rationnelles lui paraissent s'opposer aux doctrines reçues (Ep. 105, 1485 B, L.
p. 222) :
(a) « Je ne pourrai jamais estimer que la naissance de l'âme ait suivi celle du
corps » : mais l'orthodoxie était-elle, en 410, nettement définie sur cette difficil-
lima quaeslio de l'origine de l'âme? Saint Augustin, en 419/420, avoue s'y achop- .
per encore ; en'Oiïent, 1 évêque Nétuésius d'Émèse, qui parait bien avoir écrit
482 HENRI 1RÉNÉK MARROU
vers le temps de Synésios, n'éprouve aucun embarras à professer expressément
la doctrine platonicienne de la préexistence de l'âme dans son traité De la
nature de l'homme, qui, traduit en latin, circulera au moyen âge sous le nom
de saint Grégoire de Nysse et, couvert par cette autorité, causera bien des *
scrupules aux scolastiques.
(b) « Je n'irai pas dire que le monde, dans toutes ses parties, est voué à la
ruine ». Difficulté majeure: oserai-je rappeler qu'en plein xiu* siècle saint
Tbotnas d'Aquin lui même professera « qu on ne peut démontrer avec évidence
qu'une création éternelle soit impossible » ; exigerons-nous plus de Synésios ?
J'observe du moins que la difficulté pour lui se réduit déjà de moitié, puisqu'il
parle seulement de la fin du monde, sans soulever, semble-t-il, difficulté à sa
création dans le temps.
(c) « Quant à la résurrection qu'admet l'opinion courante, c'est là, ce semble»
un mystère ineffable, où je ne m'accorde pas, tant s'en faut, avec le sentiment
du vulgaire ». La résurrection des corps heurtait de front le dualisme
platonicien, pour qui la matière, et donc le corps, avait partie liée avec le Mal. Mais
ici encore je trouve Synésios en bonne voie : il ne s'oppose pas au dogme
chrétien en tant que tel (il paratt bien l'admettre en tant que « mystère »), mais k
l'image, en fait bien souvent grossière et toute matérielle, que le vulgaire s'ea
faisait. Reportons nous à son Traité des Songes publié en 405 : on y trouve une
théorie de Τεϊδωλον, théorie originale où, « sous l'influence accentuée des idées
chrétiennes » (c'est le jugement de M. L, p. 168), il n'hésite pas â corriger la
pensée de son guide Porphyre, et où, avec un peu>de bonne volonté, o» peut
voir comme une esquisse, point trop maladroite, de la doctrine orthodoxe du
« corps glorieux ».
;

On pourrait prolonger l'examen, reprendre en particulier celui des traits


néoplatoniciens, bien notés par M. L., qui apparaissent dans les Hymnes, même les
plus récents; ce qui précède suffit à autoriser un jugement : nous n'avons pas
le droit d'exiger de Synésios qu'il soit en avance sur le progrès doctrinal de la
pensée chrétienne. Les problèmes sur lesquels nous le voyons buter sont ceux-
là même sur lesquels les docteurs chrétiens hésitent encore autour de lui, sur
lesquels on discute et on discutera encore longtemps dans l'école d'Alexandrie.
M. Laoombrade, qui a bien voulu mentionner mes suggestions à ce sujet
(p. 228. n. 36), cite les éléments de cette vaste bibliographie : Énée de Gaza,
Théophraste ou de l'immortalité de l'âme et de la résurrection des corps ; Zacbarie
de Mitylèu'e, Ammomos (ce dialogue est en effet dirigé contre l'enseignement
du dernier maître païen de l'école d'Alexandrie, Ammonios fils d'Hermias, le
maître de Boèce) ou de lu création du monde; Procope de Gaza, Réfutation
deséléments théologiques de Proclus (qui portait notamment sur l'éternité du
monde) ; Jean Phtlopon, De l'éternité du monde, De la création du monde,
Commentaire du Traité de l'Ame d Vnstote...
.

Les questions soulevées par Synésios étaient encore, de son temps, ce qu oa


appelle des questions « libres », sur lesquelles il avait le droit de garder son·
opinion personnelle ; il paratt donc s'être exagéré les difficultés qu'elles
soulevaient. En cela il m'apparait bien comme un de ces « intellectuels », fort
attach s à leur optique propre, à leurs chères petites idées, et qui ne s'avancent
vers la perfection religieuse, et le renoncement héroïque qu'elle suppose, que-
d'un pas savamment mesuré et non sans compliquer leur trajectoire (saint
Augustin, qui avait eu le temps de s'y connaître, parle quelque part de cet
amor flexuosarum uiàrum), qui nuancent leur adhésion de mille réserves de
détail; à leurs yeux essentielles, et prolongent ainsi indéfiniment leur prélude
LA « CONVERSION » DE SfNÉSIOS 483
sous les portiques du sanctuaire, — comme si les problèmes pouvaient être
résolus, spéculativement, du dehors, avant d'être affrontés dans le réel, dans la,
vie.
De fait, la vie s'est chargée de réduire à néant les inquiétudes a priori de
Synésios : il a pu, sans sacrifices, devenir non seulement un évêque
charitable, mais aussi un évêque parfaitement orthodoxe, car les problèmes
doctrinaux qu'il a été amené à aborder pour sauvegarder la foi de son troupeau
n'ont pas été ceux qu'il redoutait : ils lui furent posés par la renaissance-
de l'arianisme, sous la forme particulièrement aiguë que lui avait redonnée
Eunomios (L., p. 259)·, mais là son platonisme, loin de le handicaper, venait à.
son aide.
Quant à la solution pratique qu'il avait envisagée (Ep. 105, 1485 C), être
« philosophe » dans le privé, « philomythe » pour le public, on peut estimer
qu'elle exprime, à sa manière, avec beaucoup de gaucherie, une idée assez juste
(on ne demande à un évêque que d'enseigner la doctrine reconnue par l'Église;
il peut, dans le privé, tenir à telle ou telle doctrine, à titre d'hypothèse
personnelle), mais elle était évidemment inadmissible sous la forme présentée, qui
étale avec tant de naïve impudence les préjugés'aristocratiques du lettré et son
mépris pour les humbles (que penser de ce recours au « mythe », que dis-je, au,
« mensonge », ψεΰδος, « utile au peuple ». 1485 BC?). Nous ne savons pas avec
précision comment s'y sont pris Théophile et ses conseillers pour le décider à
passer outre à ses scrupules. Sans doute ont-ils cherché à lui montrer qu'il
trouverait la solution de ses antinomies dans l'obéissance à la volonté de Dieu
(la Foi n'est-elle pas d'abord « confiance » ?), car, dans la lettre inaugurale où
il invite son clergé et son peuple à prier poiii lui, nous voyons Synésios-
exprimer l'espérance qu'avec la grâce divine il trouvera dans le sacerdoce non
point l'écroulement, άπόβασις, de la philosophie, mais un nouvel élan, un
nouveau progrès, έπχνάβασις (Ep. 11, 1347 D, L. p. 8, 228 ; ces deux termes lui
paraissent rendre si bien sa pensée qu'il les répète dans une lettre à un ami,
Ep. 96, 1465 À).

III. De la sorte Synésios est devenu un excellent évêqne, — et d'abord un bon


chrétien. Faut-il aller plus loin et faire de lui un saint? La tradition byzantine
(pour qui Synésios, sans cesse recopié et commenté, du v«-vi« au xive siècle,
est un classique) n'a pas hésité à répondre oui : une miniature du m s. Paris,
suppl. Gr. 660, f° 23 ν (xiv· s.), que M. Lacoin brade a très heureusement
publiée, nous montre l'évêque de Ptolémaïs, la tête nimbée... Et cette
vénération remonte haut : deux siècles ne s'étaient pas écoulés depuis sa mort qu'il était
l'objet, dans sa propre patrie, d'anecdotes édifiantes. Dans son Pré spirituel,
ch. 195, Jean Moschos (f 619) nous raconte, d'après un voyageur venu de Cyré-
naïque qu'il a rencontré à Alexandrie, comment l'évêque Synésios aurait
converti un de ses anciens condisciples, demeuré païen et qui, en bon philosophe,
élevait des objections contre la fin du monde et la résurrection. Je m'étonne à
vrai dire un peu de voir notre héros devenu « un adepte enthousiaste d'un
dogme qu'il a longtemps rejeté » (L p. 259), — et surtout de le voir « trouver
beaucoup d'arguments » (comme dit Moschos) pour le démontrer : je voudrais
.être sûr que la tradition n'a pas hypostasié en deux personnages, l'évêque et
le philosophe, les deux tendances entre lesquelles nous avons trouvé si
longtemps partagé l'unique Synésios. Vraie ou imaginaire, l'anecdote atteste
Γ « odeur de sainteté » que conservait sa mémoire.
484 HENRI IKÉNÉE MARROU
Devons-nous ratifier ce jugement ? L'historien n'a pas qualité pour siéger
dans un procès de canonisation; son rôle ne pourrait y être que celui, qui
convient à un critique, d'avocat du diable. J'observerai en ce sens que les
derniers témoignages que nous possédions sur Synésios sont constitués par
quatre lettres qu'il écrivit après la mort du dernier de ses fils (les deux autres
l'avaient déjà précédé dans la tombe) : Ep. <36, 1505 C ; 70, 1433 BC ; */, 1452 D;
16, 1352 BC ; L. p. 269-272. Ces lettres, les deux dernières adressées à sa chère
Hypatie, à laquelle il demeurait très profondément attaché, nous frappent,
la dernière surtout, écrite de son lit de malade et peut-être de son lit de mort,
par l'amertume désenchantée avec laquelle il parle de ce deuil ; il trouve pour
le faire des accents douloureux que ne viennent adoucir, ou du moins
illuminer, aucune espérance chrétienne, ni même aucune référence proprement reli*
gieuse à la toute puissance de Dieu : « Peu à peu je me consume dans le regret
de mes petits disparus... Ah ! que cesse ma vie, ou le souvenir de mes fils mis au
.tombeau ! »
Ce ne sont point là des accents qui conviennent à un saint. Je sais que le
propre des grands épistoliers (et Synésios est un maître en cet art) est de
proportionner très exactement leur prose à ses destinataires : ce n'est pas à Hypatie,
qu'il savait toujours païenne, que l'évêque Synésios devait parler de Dieu ;
faisons la part aussi de la réserve, de la pudeur bien naturelles à cette âme tout
antique. Il n'en reste pas moins que les ultima vevba de Synésios rendent un son
bien humain, trop humain. Mais cela n'est pas pour diminuer les raisons qu'il
nous donne de l'aimer.
Henri Irénée Marrou.'

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