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01:00 - 20 septembre 2010 par Martine Maelschalck

L’homme le plus riche de Belgique a-t-il vendu les plus beaux fleurons de notre économie ? Accepte-
t-il le surnom de "Warren Buffett belge"? Et comment a-t-il préparé sa succession?

Aujourd’hui, Albert Frère est chez lui partout, de Saint-Tropez à Courchevel, en passant par
Marrakech et bien sûr par Paris… Mais c’est à Gerpinnes, dans ce Hainaut qui l’a vu naître, qu’il a
décidé d’installer ses pénates, et celles de son groupe. Son histoire a commencé à une vingtaine de
kilomètres de là, à Fontaine-l’Evêque… "Ma mère s’est retrouvée veuve à 40 ans avec trois enfants en
bas âge. Elle a dû mener de front notre éducation et la gestion de l’entreprise familiale. À l’époque, il
n’y avait presque pas de femme chef d’entreprise, surtout dans l’industrie manufacturière. Les
Établissements Frère-Bourgeois fabriquaient des clous, des chaînes et des articles de ferronnerie. J’ai
donc été très tôt en contact avec l’obligation de gagner de l’argent. Et je pense que cela m’a influencé
pour le restant de ma vie."

Vous avez fait fortune en Wallonie. C’était encore possible à l’époque?

Albert Frère: Au début de ma carrière, dans les années 50, la Wallonie était prospère et elle l’est
encore restée pendant plusieurs décennies. On pouvait y réaliser ses ambitions et même ses rêves… Il
y avait un certain orgueil à être Wallon et à montrer ce que les Wallons pouvaient faire. Le contexte
économique qui a suivi la fin de la guerre était particulièrement favorable.

Dans notre entreprise, la matière première était l’acier. Pour m’approvisionner, j’étais en contact avec
des producteurs comme Les Laminoirs du Ruau. (Qu’il a finalement rachetés à l’Arbed, Ndlr.) Ces
entreprises exportaient la majeure partie de leurs produits vers des destinations lointaines comme
l’Amérique latine, le Proche-Orient, l’URSS. C’était un marché immense. Et comme j’étais toujours à
la recherche de débouchés commerciaux, je devais nécessairement tabler sur des sources
d’approvisionnement fiables. C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à la production
d’acier. C’est l’occasion qui fait le larron, c’est le cas de le dire.

Trente ans plus tard, vous êtes devenu un baron de l’acier. Et en pleine crise, vous revendez
votre empire. Vous changez votre fusil d’épaule pour la finance et l’énergie: BBL, Petrofina…
d’autres participations importantes aujourd’hui revendues. C’est alors que naît une réputation
qui vous colle à la peau, celle d’avoir vendu des pans entiers de l’économie belge?

Frère: Mais je n’ai pas vendu la Belgique à l’étranger! Je sais bien ce qui se dit, que j’ai vendu les
bijoux de famille nationaux. Mais on oublie qu’au début des années 80, c’est nous qui avons sauvé
GBL, le deuxième holding belge. Nous avons aussi plaidé, au début des années 90, pour que nos
entreprises disposent de moyens pour grandir, pour se développer. Sans succès, d’ailleurs.

Après le raid sur la Générale de Belgique, en 1988, des commissions se sont réunies à l’initiative du
ministre des Finances Philippe Maystadt, pour réfléchir à une réforme des marchés financiers et à la
gestion du capital de nos sociétés. Nous avons plaidé pour que la Belgique se dote, comme d’autres
pays, de moyens de protection du capital de ses entreprises, comme les actions à droits de vote
multiples. Nous n’avons pas été suivis.

Que serait-il arrivé à GBL si vous n’y étiez pas entré?

Frère: Eh bien, il est hautement probable que GBL aurait été racheté par un groupe canadien… Un
autre groupe que celui de mes amis Desmarais, je précise. C’est grâce à notre offre que GBL est resté
belge.

- Petrofina: les jeux étaient faits

Et que serait-il arrivé à Petrofina?

Frère: Mais je n’ai pas vendu Petrofina! J’ai adossé cette société à un acteur plus puissant et ses
usines sont aujourd’hui un élément clé du raffinage et de la pétrochimie de Total. Ensuite, Total s’est
rapproché de Elf pour former TotalFinaElf… Quel aurait été le destin de Petrofina si elle n’avait pas
été arrimée à un grand groupe? Peut-on aujourd’hui imaginer Petrofina vivant seule?

Petrofina aurait-elle pu racheter Total (l’inverse du deal qui s’est finalement réalisé)?

Frère: Laissez-moi rire! Le marché n’accordait pas un crédit suffisant à Petrofina. En réalité, les jeux
étaient quasiment faits lors de notre entrée dans la société. Le groupe avait fait un choix stratégique
qui n’a pas été payant, celui du raffinage et de la chimie, et n’avait conservé qu’une part modeste dans
la production. Alors que Total misait à fond sur l’exploration et la production. Et c’est ce dernier
modèle qui l’a emporté. Les investisseurs avaient d’ailleurs largement boudé l’augmentation de capital
de Petrofina (14,8 milliards de francs belges, Ndlr) que nous avions lancée début 1989.

Pour quelle raison?

Frère: Vous savez, en Belgique, quand il s’agit de trouver de l’argent pour les entreprises… Au
moment de l’OPA sur la Générale de Belgique, dites-moi quels Belges ont mis de l’argent sur la table?
Les Flamands qui avaient des titres se sont empressés de les vendre. Je ne critique pas cela, mais le fait
est que nous ne sommes pas comme nos voisins hollandais, ou comme les Suisses, qui ont su garder
leurs champions, Nestlé, Unilever, Philips, Royal Dutch Shell… Ou comme la France, qui ne s’est pas
contentée de fusionner Total avec Petrofina. Immédiatement après, Total a fusionné avec Elf pour
donner naissance à un véritable champion.

Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas en Belgique? Par manque de patriotisme?

Frère: Appelez ça comme vous voulez. Je n’ose pas me prononcer. Le fait est qu’en Belgique, on a
tout vendu…

Et ce n’est pas seulement Albert Frère qui a vendu, c’est cela que vous voulez dire?

Frère: Il faut vous rafraîchir la mémoire? Rappelez-vous Glaberbel, CBR ou Côte d’Or, qui a été un
véritable traumatisme en Belgique! Vous voulez la liste? (Il appelle une assistante pour qu’elle nous
apporte la liste des sociétés belges vendues à des groupes étrangers depuis les années 70: Godiva,
Marie Thumas, Callebaut, Jacques, Jacquemotte, la Raffinerie Tirlemontoise, la Société Générale de
Belgique… Il brandit devant nos yeux, avant de nous la confier, une liste qui compte pas moins de 71
noms d’entreprises). Ce n’est pas moi qui ai initié le processus, rendez-moi cette justice! On peut
parler de la Sabena aussi, et de Cockerill Sambre, des entreprises dans lesquelles les pouvoirs publics
étaient grands actionnaires. Ceci dit, je ne me fais pas d’illusions: dans cette affaire, je joue le rôle du
bouc émissaire. Je peux dire ce que je veux, cela ne me dédouanera pas. C’est un sujet qui finit
vraiment par me fatiguer.

Pourquoi? Ce sont des reproches qui vous font mal? On dit que vous aviez promis au Roi
Baudouin de ne jamais vendre Petrofina…

Frère: Ce n’est pas l’usage de dévoiler la teneur de ses conversations avec le chef de l’État, comme
vous le savez. Je me souviens, par contre, très bien de la visite que le Roi Baudouin avait rendue au
site pétrochimique de Feluy, début 1993, quelques mois avant sa disparition. Il avait effectivement
abordé le thème que vous évoquez et avait posé beaucoup de questions aux dirigeants. Mais je ne me
suis jamais engagé, auprès de lui, à maintenir le "stand alone" de Petrofina. J’étais quand même
conscient de la réalité. Et je ne perdais pas de vue qu’en affaires, comme en amour, "jamais" et
"toujours" sont des mots qu’il faut rayer de son vocabulaire…

On sent que Petrofina vous reste en travers de la gorge. Est-ce parce que le management de
l’époque vous a snobé quand vous êtes arrivé?

Frère: Au début, je ne suis pas certain que toute la direction de Petrofina voyait mon arrivée d’un bon
œil, en effet. Mais cela a vite été aplani.

- Le grand dessein

Autre vente qui a surpris à l’époque, celle de la BBL. Pourquoi avoir vendu la BBL à ING alors
qu’Étienne Davignon (Générale), vous-même et François Narmon (Crédit Communal) étiez
plutôt d’accord pour créer une grande banque belge?

Frère: Ce projet de création d’une grande banque belge avait été initié dès 1994 par les dirigeants de
la BBL (Daniel Cardon de Lichtbuer et Jacques Moulaert). GBL était devenu l’actionnaire de
référence de la banque. J’étais très favorable à cette idée. Entre nous, nous l’appelions "le grand
dessein". À l’époque, j’ai consacré beaucoup de temps à ce projet. Il bénéficiait aussi du soutien
inconditionnel du ministre Maystadt et du gouverneur Verplaetse. Notre vision à tous était de donner
naissance, en Belgique, à un pôle bancaire suffisamment puissant en termes de fonds propres, de
personnel et de savoir-faire, pour qu’il puisse s’imposer dans le contexte de concurrence et de
mondialisation des institutions financières.

Et un jour, après des mois d’efforts, alors que nous en étions à l’élaboration du projet commun, tout
s’est écroulé. La Générale de Belgique et Fred Chaffart, le président de la Générale de Banque, ont
littéralement coupé les ponts.

Pourquoi ont-ils fait cela?

Frère: Demandez à Daniel Cardon, téléphonez-lui de ma part, il vous donnera la réponse.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Voici la réponse de Daniel Cardon, président de la BBL à l’époque du projet.

"L’idée était bonne… Nous avons été confortés par le fait qu’Albert Frère et Gérard Mestrallet (PDG
de Suez, principal actionnaire de la Générale de Banque via la Générale de Belgique, Ndlr) ont dit
‘oui’ tous les deux et dès les premiers jours. Albert Frère, qui au départ n’était pas si enthousiaste,
s’est dit prêt à s’engager pour longtemps. Et Gérard Mestrallet a étudié le dossier, et il a marché à
fond."

"Quand j’ai quitté la présidence de la banque en 1997, l’affaire était toujours en négociation. Cela
avançait très lentement, de la part des autorités belges et de la Commission bancaire. Et encore plus du
côté du management et de la présidence de la Générale de Banque. Mon successeur a encore eu
quelques injonctions d’Albert Frère sur le sujet au début, c’était oui, non, peut-être… et puis tout s’est
bloqué. Et Albert Frère, qui n’est pas homme à rester en place, a dit à Michel Tilmant : ‘on rouvre le
dossier ING’. Albert Frère et Gérard Mestrallet ont supporté de nombreuses rebuffades. Mais quand
on va à la chasse, on n’attend pas deux ans avec un fusil chargé."

Qui a bloqué ce dossier, selon vous?

Frère: "La Générale de Banque. Elle était hésitante à l’égard du Crédit Communal. A la Générale,
Étienne Davignon, Fred Chaffart, etc, n’ont pas voulu faire le saut. De plus, la Commission bancaire
n’était pas enthousiaste et le pouvoir politique ne bougeait pas, alors que les ministres savaient bien ce
qui risquait d’arriver. La Banque nationale en revanche était pour. Je crois que c’est une grande chance
de perdue pour la Belgique".

Electrabel, la mal-aimée

On a aussi dit qu’en sortant du capital de Tractebel, vous aviez "livré" l’électricité belge à Suez.
En échange d’une participation dans Suez?

Frère: J’ai déjà répondu à votre journal sur le chapitre électrique (voir L’Echo du 14 août 2010), mais
je veux bien y revenir. Avec GDF Suez, nous avons cherché à construire un grand groupe "utility"
(services aux collectivités, Ndlr) avec une gouvernance réellement binationale. Le tir de barrage
constant de certains milieux belges à l’encontre de l’actionnaire français a eu pour effet de réduire
l’influence et l’attrait de la Belgique au sein du groupe. C’est regrettable, mais c’est ainsi.

Quand Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez dit qu’il n’investira plus en Belgique si le groupe
n’y est pas mieux traité, ce ne sont donc pas des menaces en l’air?

Frère: GDF Suez a d’énormes ambitions à l’international et il y réussit bien. Il est certain que
l’influence de la Belgique au sein du groupe s’amenuise au fur et à mesure qu’il investit à l’étranger.
C’est mathématique. Mais au lieu de se demander ce que Suez a en tête à l’international, demandons-
nous ce que l’État belge a en tête à propos d’Electrabel et du sort des centrales nucléaires en Belgique!
Un domaine où nous étions des précurseurs… (Il soupire.) A l’heure actuelle, le sort des centrales
nucléaires belges n’est pas fixé. Et cela, au moment où la France et la Finlande construisent de
nouvelles installations, où l’Italie et l’Allemagne prolongent la vie des centrales nucléaires…

En Belgique, Electrabel apparaît comme une mal-aimée. Chaque fois qu’on peut casser du sucre sur le
dos de cette entreprise, on y va de gaieté de cœur. Eh bien, si on ne nous aime pas, nous chercherons
notre bonheur ailleurs.

On ne prête qu’aux riches mais… Étant donné vos relations historiques avec Paribas, avez-vous
joué un rôle dans la reprise de Fortis Banque par BNP Paribas?

Frère: Non, je n’y ai joué aucun rôle. Mais j’ai toujours été, depuis le début, en faveur de cette
opération parce que je pense que la Belgique a besoin de banques fortes. Et BNP Paribas, ce n’est pas
"les Français", comme certains n’ont cessé de le répéter. Contrairement à une opinion répandue, c’est
l’un des seuls groupes bancaires dont la culture et le projet sont authentiquement européens.
N’oublions pas qu’en 2008, Fortis Banque s’est retrouvée en grave danger. La décision de l’État belge
d’arrimer Fortis à BNP Paribas avait pour premier objectif de résoudre ce problème. Or je constate
aujourd’hui que Fortis a déjà retrouvé la confiance des déposants. Regardez autour de nous, de
nombreuses banques en Europe sont encore en situation instable, alors que Fortis rejoue pleinement
son rôle au service de l’économie belge.
Comment jugez-vous, avec le recul, votre investissement dans Lafarge? (Une part importante
des actions de GBL a été achetée autour de 80 euros, et le cours est aujourd’hui à environ 40
euros.)

Frère: Il est un peu trop tôt pour parler de "recul". Il s’agit d’un investissement récent. Si on regarde
la situation d’un point de vue boursier, bien sûr le cours est déprimé en raison des effets de la crise. On
pourrait donc se reprocher d’avoir investi un peu trop vite. Cependant, notre analyse de fond de la
société ne change pas. Nous pensons que c’est un groupe de grande qualité dont les perspectives à
moyen terme restent excellentes.

Après toutes ces années, quel est votre investissement préféré? Votre "chouchou"?

Frère: (Il hésite, parle de l’ensemble de sa carrière. Puis se décide.) La réalisation dont je suis sans
doute le plus fier est la création, il y a dix ans, du Fonds Charles-Albert Frère, du nom de mon jeune
fils décédé accidentellement. Ce Fonds s’occupe d’aider les handicapés physiques ou mentaux par
l’hippothérapie, ainsi que les handicapés sociaux, c’est-à-dire les victimes de la pauvreté. Il dispense
aussi des soins palliatifs aux enfants. Cette association est dotée d’un fonds social alimenté par des
dons effectués par ma famille. Elle peut également compter sur la générosité et la solidarité d’amis, de
proches.

- Au pays des cascades

L’une des spécialités de l’organigramme "à la Frère" est sa cascade de holdings (voir
infographie ci-contre): cette structure se justifie-t-elle encore?

Frère: Bien sûr! Je le dis souvent, je n’aime pas l’endettement. C’est pour cela que nous avons
procédé à des effets de levier en fonds propres (ce que vous appelez les holdings en cascade) plutôt
que de charger nos holdings d’un endettement trop important.

Récemment, votre holding de contrôle Frère-Bourgeois a racheté des actions CNP. Et la CNP
elle-même rachète ses propres actions, de sorte que son "flottant" diminue lentement mais
sûrement. Va-t-on vers une simplification de structure?

Frère: Il n’y a pas de plans concrets en ce sens. Frère-Bourgeois a profité de la baisse du cours de
Bourse. La CNP achète ses propres actions et les annule, de sorte que tous ses actionnaires puissent en
profiter, puisque le bénéfice est réparti sur moins d’actions.

Il y a 20 ou 25 ans, vous investissiez dans les plus grandes entreprises belges. Aujourd’hui, vous
semblez préférer les plus grandes entreprises européennes. Selon vous, la taille a son importance
pour la prospérité d’une entreprise?

Frère: La taille est importante, évidemment, mais elle ne fait pas tout. Il y a des entreprises de taille
moins importante qui réussissent à merveille. Voyez Solvay ou Bekaert. Et la CNP investit dans de
plus petites entreprises, comme Quick, Flo ou IJsboerke.

L’un des clés de la "méthode Frère" semble être le partenariat. Et le partenariat qui dure: 40
ans avec Paribas, 25 ans avec les Desmarais, autant avec Bernard Arnault, et combien avec Luc
Bertrand (Ackermans & van Haaren)?

Frère: L’alliance avec BNP Paribas date même de plus de 40 ans maintenant. À l’époque, dans mes
relations bancaires, j’avais de très bons contacts avec la Banque de Paris et des Pays-Bas Belgique et
avec son président Maurits Naessens. J’ai été amené à le rencontrer de temps en temps d’abord, puis
plus souvent, et nous avons sympathisé. Le Groupe Paribas détenait une participation dans le capital
d’Hainaut Sambre (dont Albert Frère était actionnaire de contrôle, Ndlr) et c’est le même Maurits
Naessens qui m’a demandé de prendre la présidence de cette entreprise.

Aujourd’hui encore, j’ai d’excellents contacts avec les dirigeants de BNP Paribas. Je rencontre
d’ailleurs régulièrement son président Michel Pebereau, et au cours de ces entrevues, nous avons
l’habitude de faire un tour d’horizon. Mon fils Gérald, Gilles Samyn et moi avons des rapports suivis
avec le management de la banque. Selon moi, c’est un partenariat qui me survivra.

Les autres partenariats remarquables que vous avez noués sont plutôt des partenariats
familiaux…

Frère: Oui, et tout d’abord notre partenariat avec les Desmarais. Les liens tissés avec nos associés
canadiens remontent à près de 32 ans. Comment cela a commencé? Simplement parce que Paul
Desmarais senior et moi-même siégions au conseil d’administration de Paribas. Moi au conseil de la
banque, et Paul au conseil de la Compagnie financière. Après chaque conseil, il y avait un déjeuner
commun des administrateurs, et nous avons tout de suite sympathisé. Il faut dire que nous apportions
une certaine touche d’exotisme, moi avec mon accent wallon, et lui avec son accent et ses expressions
québécois… Cela faisait beaucoup sourire nos collègues français, tous membres de l’establishment. Je
les soupçonne même de s’être de temps en temps posé la question, au moins au début, "mais qu’est-ce
que c’est que ces énergumènes?"

Avec les Desmarais, les relations sont étroites entre chaque génération, tant entre Paul Desmarais et
moi-même, qu’entre Paul Desmarais Jr, son frère André, mon fils Gérald et les équipes dirigeantes des
deux groupes. C’est ce qui assure la pérennité de cette alliance.

Le partenariat qui existe entre la Compagnie Nationale à Portefeuille et Ackermans & van Haaren
fonctionne extrêmement bien, lui aussi. Cela me réjouit d’autant plus que Luc Bertrand est devenu un
ami, en plus d’être un partenaire de business. J’aime beaucoup dîner au Zoute avec Luc et son épouse;
l’ambiance est toujours conviviale et détendue. On ne s’ennuie jamais avec lui.

Avec Bernard Arnault aussi, nous nous amusons beaucoup. Notre amitié remonte aux débuts des
années 80. C’est par nos enfants que nous nous sommes rencontrés à Saint-Tropez, où nous sommes
voisins. Bernard travaillait, à l’époque, dans les affaires familiales et n’avait pas encore repris les
éléments de l’empire Boussac (sur lesquels il allait bâtir LVMH, le premier groupe mondial du luxe,
Ndlr). Nous nous sommes rapidement trouvé des affinités. Nous avons beaucoup de sujets de
conversation en commun, notamment l’art. Mais Bernard est un passionné, il sait parler avec
enthousiasme de tout ce qu’il apprécie, comme les affaires, le sport ou la musique.

Pourquoi préférez-vous fonctionner par partenariats?

Frère: Parce que, comme on dit, "mieux vaut la moitié d’une bonne affaire que 100% d’une
mauvaise". Et il y a plus d’idées dans deux têtes que dans une. Toute ma vie, j’ai travaillé en
partenariat et c’est sans doute devenu une seconde nature. D’ailleurs j’ai la preuve qu’en partageant les
compétences, en étant obligés de se convaincre mutuellement entre associés, bien souvent, on se sent
plus fort.

Est-ce une autre sorte d’effet de levier (investir moins et avoir quand même une position
importante)?

Frère: C’est beaucoup plus qu’un effet de levier. Le partenariat est de nature stratégique, alors que les
chaînes de holdings tiennent davantage de l’outil de financement.

- Comme Warren Buffett…


Un investisseur tel que vous a-t-il des secteurs de prédilection?

Frère: Nous n’excluons aucun secteur. Avec de bons gestionnaires, une bonne stratégie et un bon
suivi, on peut créer de la valeur dans tous les secteurs.

Mais il y a tout de même des secteurs dont vous restez à l’écart, comme la technologie de pointe
ou les biotechnologies…

Frère: J’ai pour principe de n’investir que dans ce que je comprends. J’ai peut-être tort mais c’est
ainsi. Alors, je ne suis plutôt pas présent dans les biotech ou la technologie pure, en effet.

C’est un principe de Warren Buffett, ça… Vous aimez qu’on vous compare à lui?

Frère: Ca ne me fait ni chaud ni froid. Mais tant mieux… c’est me faire beaucoup d’honneur.

Vous le connaissez?

Frère: Je l’ai rencontré une fois. Nous avons sympathisé, mais nous n’avons pas de relations suivies.

Un autre principe de Warren Buffett est de détester l’endettement. Vous aussi, vous le fuyez
comme la peste…

Frère: C’est vrai. À peine endetté, ma hantise est de ne plus l’être. Tous les jours, je demande à mes
collaborateurs: "quand est-ce qu’on rembourse?" Les banquiers n’aiment rien tant que de vous
fourguer de l’endettement. C’est leur boulot. Mais c’est vrai ce qu’on dit: les banquiers vous offrent un
parapluie lorsqu’il y a du soleil, et viennent vous le reprendre quand il pleut. Je vous assure que les
banquiers ont essayé de placer beaucoup de parapluies au-dessus de ma tête!

Est-ce que les banquiers sont les principaux responsables de la crise, selon vous?

Frère: Cette crise est d’une gravité exceptionnelle. La plus grave depuis 80 ans. On est passé
brutalement d’une situation d’endettement facile à une situation où le système bancaire rationne le
crédit un peu partout. Les banquiers ont une position centrale dans cette crise, mais comme dans tous
les grands chocs, les responsabilités sont multiples. Cela dit, l’assainissement du secteur bancaire est
une condition nécessaire à la reprise économique.

Dans quels domaines faudrait-il surtout porter les efforts? Les bonus? Les actionnaires? Les
agences de notation?

Frère: Vaste sujet! Je peux vous résumer mon point de vue en quelques phrases? Pour les bonus: il
faut garder les pieds sur terre… Les bonus devraient être attribués sur une longue période. Dans le
groupe, nous les avons remplacés par des stock-options d’une durée de dix ans.

Les actionnaires ont leurs responsabilités. Mais ils doivent être respectés. Certains actionnaires en font
leur profession: nous, par exemple.

Les agences de notation ne peuvent pas être les boucs émissaires, mais elles ont aussi leur part de
responsabilité. Leur financement est au cœur du problème.

Est-ce que la sortie de crise est en vue?

Frère: Nous n’y sommes pas encore. Les pays industrialisés vont connaître une croissance
relativement modeste de leur économie domestique. Mais j’ai confiance en l’avenir. D’abord en
voyant l’ampleur de la réaction politique face à la crise, par le biais notamment des banques centrales.
Ensuite, parce que j’observe que, depuis les années 90, le monde connaît une vague d’innovations
technologiques sans précédent, par exemple dans le domaine des technologies de l’information.

Pour en revenir à Warren Buffett, un autre point commun entre lui et vous, c’est qu’il a dit qu’il
travaillerait jusqu’à ses 100 ans…

Frère: (Il rit.) Et moi, j’ai dit que je travaillerais tant que je le pourrais…

Ce qui ne vous empêche pas d’avoir préparé votre succession?

Frère: La question de ma succession n’est pas un sujet tabou, mais elle n’est pas encore à l’ordre du
jour. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir été prévoyant. Vous voulez savoir si le groupe peut me
survivre? J’en suis intimement convaincu. En tout cas, j’ai tout fait pour que la continuité soit assurée.
Ce qui signifie que ma succession est d’ores et déjà réglée.

- Gérald, Ségolène, Cédric…

Qui vous succédera? Votre fils Gérald?

Frère: Mon fils Gérald a été nourri dans le sérail, il travaille à mes côtés depuis 37 ans. Il est à mon
école. Il a acquis une expérience des affaires et il est présent en première ligne dans tous nos grands
dossiers. Nous avons, lui et moi, la chance d’avoir auprès de nous Gilles Samyn qui dirige la CNP et
Thierry de Rudder, qui gère GBL. Ma fille Ségolène s’intéresse de près aux affaires de nos sociétés.
Elle n’y exerce pas de fonctions exécutives mais siège dans les organes de gestion de sociétés
importantes. Tout récemment, elle a fait son entrée au conseil d’administration de notre holding faîtier,
Frère-Bourgeois. Mon petit-fils Cedric est également administrateur de Frère-Bourgeois. Il vient
d’ailleurs de rejoindre les troupes de la CNP.

Un mot sur le montage qui a été préparé pour votre succession?

Frère: Il y a bien longtemps que j’ai mis en place le schéma verrouillant le contrôle que la famille
détient au niveau de Frère-Bourgeois. De plus, une charte familiale assurera l’ancrage, la mission et
les valeurs de mon groupe. J’envisage mon absence avec sérénité.

interview par Martine Maelschalck

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