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COUPLES AU SINGULIER

Angelina Harari

L'École de la Cause freudienne | « La Cause freudienne »

2010/2 N° 75 | pages 11 à 18
ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040695
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Couples au singulier
Angelina Harari
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Lalangue et énonciation

M on parcours analytique, sinueux et quelque peu nomade, s’étend sur trente-


deux années, avec trois analystes et deux interruptions, l’une de trois ans et l’autre de
deux ans.
Du fait de la langue qui m’est propre, ma lalangue, il m’a été difficile de choisir
dans quelle langue je ferais mon premier témoignage. Analysante, j’ai choisi le fran-
çais pour mes deux cures dirigées par des analystes de l’ECF ; passante, j’ai parlé en
français dans le dispositif de la passe. C’est avec l’enseignement de Lacan et la lecture
de l’orientation lacanienne que j’ai retrouvé la langue française d’où ma lalangue a
pris corps, et, avec elle, ma singularité. Que je me voue à l’édition brésilienne des
Écrits et des Séminaires de Jacques Lacan n’est donc pas un hasard.
Ma singularité passe par le français. Pourtant, un fait a emporté ma décision de
faire ce premier témoignage en portugais : c’est dans cette langue que je me suis
engagée pour transmettre la psychanalyse dans l’École brésilienne de psychanalyse
[EBP]. La dernière fonction que j’y ai occupée a provoqué le rêve avec lequel j’ai
terminé mon analyse, un rêve de castration et de dévoilement du semblant phal-
lique. C’est le portugais, enfin, qui draine les productions par lesquelles je soutiens
mon énonciation.
Ma décision de faire la passe a mûri lors du passage de l’année 2008 à 2009,
emballée comme je l’étais par les interventions de Jacques-Alain Miller sur le thème
« Quelle politique lacanienne pour 2009 ? »

Angelina Harari est psychanalyste, membre de l’Escola Brasileira de Psicanálise [EBP].


Traduction : Éric Dubuc, Ligia Gorini.

la Cause freudienne no 75 11
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Huit passants considérés

Le présent témoignage se focalise sur ma troisième analyse, effectuée de 2000 à


2009, période au cours de laquelle s’est nettement dégagée la particularité de la solu-
tion sinthomatique trouvée à partir d’une nouvelle alliance avec la jouissance. C’est
au retour d’un voyage « historique » en Égypte, pays de ma naissance, où j’étais allée
en famille, qu’en septembre 2000, j’ai appelé mon contrôleur, décidée à reprendre
une analyse avec lui. Le virage décisif d’un parcours analytique jusque-là tortueux s’est
pris, lors de cette transformation du contrôle en analyse, dans la traversée de la fron-
tière qui les sépare – mon contrôleur ne m’avait-il d’ailleurs pas signalé que celle-ci
était ténue ? Aujourd’hui, dans ce témoignage, troisième temps de la passe qui rétro-
agit sur le deuxième temps, celui de la procédure, je saisis pourquoi les phrases de
mon contrôleur se sont si fortement gravées dans ma mémoire qu’elles y figurent
comme une référence. Dès le début de ce contrôle, en 1987, il y avait du transfert
en jeu. Aux neuf années de cette analyse, il me faut donc ajouter treize ans de
contrôle, période qui coïncide plus ou moins avec le temps de ma deuxième analyse.
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Ces phrases ont été prononcées dans des séances de contrôle d’une grande intensité,
oscillant entre tragique et comique. Je me présentais comme analyste kleinienne, drapée
dans mon infatuation, mais contestataire de l’IPA, auréolée de la grande valeur de mon
analyste, disciple directe de Karl Abraham, selon la lignée promulguée par lui-même,
qui était franco-argentin. J’apportais au contrôleur le récit de l’analyse d’une jeune
femme hystérique et triste, lorsqu’une question jaillit : « Où est le sujet de l’incons-
cient ? » Quelle surprise ! Pour moi, l’inconscient était partout, il suffisait de parler de
quelqu’un ! Face à l’insistance du contrôleur, je commençai à m’inquiéter et à ajouter
des détails. Impatient, il me demanda alors quelle différence il pouvait y avoir entre ma
façon de parler de cette jeune femme et celle qu’aurait pu avoir sa meilleure amie. Était-
il en train d’insinuer qu’il n’y avait pas de différence entre la précieuse formation klei-
nienne sur laquelle j’étais assise et un bavardage amical ? Le coup mortel était encore à
venir : à la fin de la séance, il m’asséna que, décidément, il aimerait mieux écouter la
meilleure amie, car c’est aux amies que l’on fait les plus grandes confidences.

Chute du semblant et d’une identification primordiale

Lors de la deuxième séance d’analyse, en septembre 2000, je me suis surprise à


parler d’un personnage du roman familial, ma grand-mère paternelle, comme d’une
figure supportant une identification, un S1, alors que je n’avais jamais rien associé à
son propos. Même si elle avait été un personnage central de l’histoire familiale, elle me
paraissait bien loin de mon propre parcours. Or, voilà que le côté femme phallique se
dévoilait pour moi, identifiée à cette forte femme, d’origine européenne et vivant dans
un pays arabe. Nous portons les mêmes nom et prénom : Angelina Harari.
Pendant des années, le contrôleur avait conservé la dureté dont il avait fait preuve
lors du premier contrôle ; c’était la même position que celle de ma grand-mère pater-
nelle, une femme dure qui préférait les hommes. Pourtant, c’est par le transfert tendre
et affectueux avec lequel l’analyste m’a accueillie – une fois passée la frontière

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contrôle / analyse – que s’est révélée cette identification à la femme dure, puis aux
semblants de dureté qu’elle incarnait.
Les analystes précédents avaient été choisis sur ce trait de la dureté, chose à laquelle
j’aspirais en tant que femme séfarade, timide, habituée à se laisser faire par l’Autre et
toujours prompte à répondre à son attente.
Répondre à l’attente de l’Autre a été une formule avancée par l’analyste : « Vous
êtes le joker de l’attente de l’analyste », la « carte à tout faire » [curinga], entrant en
scène avec un œil fixé sur l’Autre pour répondre à son désir.
Ce transfert électif à la dureté des analystes me portait à être prête à tout. Dans
les années soixante-dix, je prêchais l’indépendance de la femme ou la libération
sexuelle, allant jusqu’à y sacrifier enfants et mari. D’acting out en acting out, je cher-
chais des alternatives à l’analyse. Lors de ma deuxième analyse, libérée du conjungo
– expression latine pour qui aspire au « conjugal » – et cherchant à normaliser ma vie
amoureuse, je rompais, après sept ans de vie commune, avec un mari que j’avais
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choisi distant et dur et dont j’avais deux enfants.
Ma libération du conjungo me laissa à la merci de la figure identificatoire de cette
grand-mère paternelle – je ne le perçus qu’après coup –, qui avait rejeté la coutume du
lévirat1, avec la complicité de sa plus jeune sœur, en refusant de se marier avec son beau-
frère. Toutes deux, encouragées par la famille, quittèrent la Syrie pour devenir professeurs
dans la ville du Caire. J’admirais beaucoup cette femme intraitable qui, devenue veuve,
ne lâchait pas la bride à ses huit enfants (dont six étaient des garçons) et savait se faire obéir.
J’étais donc libérée du conjungo, mais non du semblant d’une femme aspirant au
pouvoir. L’entrée en analyse se présentait comme une fausse sortie : celle d’incarner
l’Autre femme sur laquelle l’homme n’a pas de droit de possession absolue. Je pus
isoler ce point dans un rêve : « C’est la nuit ; je suis dans ma maison au bord de la
mer, dans ma chambre ; soudain, je vois une chauve-souris pendue au plafond. » Cet
animal qui vit la nuit condense une jouissance clandestine dont je retirais du plaisir
et me plaignais en même temps. C’était la jouissance clandestine de cette Autre
femme que je devenais dans ma relation avec les hommes, une façon de ne pas faire
couple et de ne pas me soumettre aux exigences masculines. Ainsi, la soumission à
l’œuvre dans la jouissance clandestine comportait en elle-même une souffrance, puis-
qu’elle mettait en cause l’identification à la femme dure.

Comme je l’ai dit, le transfert tendre et affectueux de l’analyste – qui contrastait


avec sa dureté en tant que contrôleur et avec celle des deux précédents analystes – aura
permis la chute de ce signifiant-maître après que j’eus aperçu cette identification à
une femme forte et la raison pour laquelle je ne l’avais pas évoquée dans les analyses
précédentes.
La version fantasmatique du se laisser faire par l’Autre avait été ébranlée par la
formule joker de l’attente de l’analyste, qui mettait en scène le regard assidu que je

1. La loi judaïque du lévirat prescrit à une veuve d’épouser son beau-frère.

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portais sur l’Autre. Cette formule s’était mise en série avec une interprétation qui, elle,
visait surtout, plutôt que le fantasme, la logique de la vie amoureuse : « Vous entrez
volontiers dans les jeux de l’amour : c’est vous qui choisissez, vous n’êtes pas choisie. »

Déclinaisons du non-rapport dans la vie amoureuse

Cet accent mis sur ma position hystérique a déstabilisé la défense du « se laisser


faire », produisant un bougé dans ma relation avec mes partenaires amoureux. J’avais
toujours cru être choisie… mais si c’est moi qui choisissais, comment faire alors ?
L’interprétation visait ma manière de faire avec le partenaire-symptôme.
Cela changeait la donne de mes relations avec mes partenaires ; jusque-là, dans
l’impasse du binaire clandestin / officiel où je piétinais, la sortie se présentait sous les
auspices d’une normalisation de ma vie amoureuse – solution attendue pour la jouis-
sance clandestine, comme si solution il y avait. Avec ce déplacement, le « tout ou
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rien », ou me marier, ou embrasser la cause célibataire, tombait. La pression de l’aspi-
ration au conjungo se relâchant, l’étau du binaire clandestin / officiel se desserrait, me
permettant dès lors d’assouplir mon rapport à la jouissance.
À la suite de ce renoncement à faire couple au sens de faire Un, une autre façon de
faire couple, de faire Un, vit le jour. Qu’est-ce à dire ? De la singularité s’introduisit
dans ma manière de faire couple ; un faire couple singulier se profilait. L’impasse avait
érigé le « ne pas faire couple » en condition d’amour : si c’était le mariage ou rien, alors
rien. La direction de la cure de ma seconde analyse avait accrédité la fiction que la
jouissance clandestine pouvait devenir permise si on l’« officialisait » ; une voie norma-
tive de la vie amoureuse s’offrait comme une solution à l’impasse de la jouissance.
Cette impasse, je l’entends comme un espoir entretenu, avec l’attente que la jouis-
sance opaque du symptôme soit éradiquée : du clandestin à l’officiel, l’officiel se
confondant avec la jouissance que j’espérais permise à la fin d’une analyse. La jouis-
sance officialisée s’était faufilée dans la jouissance du mariage. C’était donc ça le sens
d’une analyse, et le progrès que l’on pouvait en attendre ?!
Dans les entretiens préliminaires avec le troisième analyste, je soulevai donc la question
du mariage comme celle d’un bien à obtenir. Impossible d’oublier la réponse qui fusa :
« Nous sommes mariés avec l’objet a. » Ma question pointait bien l’attente où j’étais de
rendre transparente la jouissance opaque du symptôme et d’en finir avec les restes sympto-
matiques. Je confondais le symptôme et le sinthome, qui, lui, échappe à toute liquidation2.

Rêve de castration et chute du semblant phallique

Comme je l’ai évoqué, ma demande de passe a été mise à jour dans un rêve, que j’ai
qualifié de « rêve de castration ». La nuit du nouvel an, à l’aube de l’année 2009, où l’on

2. Cf. notamment Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement pro-
noncé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 12 novembre 2008, inédit.

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va se coucher après le dernier coup de minuit, je rêvais que j’étais dans une réunion du
Conseil ; dans un chuchotement, je parlais de ma gestion à la présidence du Conseil
comme d’un échec et j’interprétais la présence d’un collègue, qui ne faisait pas partie du
Conseil, comme la présence de la mort, car il venait de perdre son père.
Ce rêve survenait trois mois après une interprétation de l’analyste – mais, dans une
analyse « transocéanique » comme la mienne, c’était comme si elle avait été faite la veille.
L’analyste signalait un point de satisfaction, d’autosatisfaction au sens freudien du terme.
De quoi parlais-je dans cette séance ? Du renoncement au couple au sens de « faire Un »,
me partageant entre deux amants – avec des rencontres sporadiques en des lieux très diffé-
rents – et j’ajoutai cette phrase épinglée par l’analyste : « Avec chacun d’eux, je fais couple
de façon différente ». Ceci donne à penser – en ce sens l’analyse devient Une comme le
notait J.-A. Miller au forum du 11 avril 2010 –, que le déplacement sinthomatique de
ma position hystérique était de faire couple d’une autre façon, en acceptant la légèreté et
la contingence, à l’image du « couple » analytique qui se constitue et se défait. La langue
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française permet ici une heureuse homophonie : « faire couple qui peut se faire et se
défaire ». J’ai éprouvé les bienfaits de cette liberté dans ma pratique analytique.
Mais cela n’a pas suffi pour que je sois nommée ; ma passe fut relancée par le
cartel et les deux passeurs3 me demandèrent des précisions, ce qui me permit de
prendre date pour des entretiens juste après les Journées « historiques » de l’ECF.
J’ajournai de deux mois la reprise de la passe, me faisant ainsi attendre pour pouvoir
assister aux 38es Journées de l’ECF.
Le cartel avait pleinement raison : cette habitude d’en garder pour moi, de ne pas
tout livrer – effet d’une forte inhibition et de l’immersion dans cette jouissance clan-
destine dont j’ai pâti de longues années durant – était à mettre au compte de mes
restes symptomatiques. Or, seul le passant pouvant décider d’y mettre un terme,
comme on dit en castillan, me quedé corta 4, le compte n’y était pas.
Il était alors beaucoup question de l’interprétation que le cartel de la passe avait
faite de la fonction du passeur ; des textes publiés dans le Journal des Jour-
nées alléguaient une inhibition de la curiosité chez les passeurs, qui, submergés par
leurs propres notes, transmettaient souvent au cartel des textes écrits par les passants.
Dans ma passe, la relance a été essentielle, sachant que j’ai une forte tendance à
ne lâcher ce que j’ai à dire que lorsque je suis au pied du mur. Il y a une expression
française que j’aime bien : « pressé comme un citron » ; le « se laisser faire » par
l’Autre laisse des restes et des traces.
Le cartel a voulu en savoir davantage sur la particularité de la solution sinthoma-
tique que j’avais trouvée en analyse, sur le nouvel arrangement de ma vie affective,
sur des détails que je n’avais pas mis en avant quant au style de mes relations, ma
nouvelle alliance ou ma réconciliation avec la jouissance, le type de partenaire
choisi… Pourquoi jamais un homme ?

3. J’aimerais remercier les passeurs, P. P* et F. F*, pour la délicatesse, la fermeté et la rigueur dont ils ont fait preuve
dans les quatre entretiens que j’ai eus avec chacun d’eux.
4. [NDT] Quedarse corto : être en-dessous du compte, calculer trop juste, ou bien ne pas exagérer.

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Quelle est sa mise ? Quel enjeu pour elle ? – se demande le cartel. Serait-ce, non
pas un homme, mais plutôt une série sous l’emprise gourmande du surmoi de la
grand-mère paternelle ? Un autre, un autre, un autre…
Soulignons que, dans les coulisses de ces réticences à l’amour passionnel, possessif
et exclusif, courait la vie fantasmatique : se laisser faire par l’Autre, avec des épisodes
très précoces dans mon enfance, séduite par des cousins plus âgés au point d’avaler
des pilules dangereuses – un remède de ma grand-mère – que l’un d’eux m’avait
aimablement offertes. Un exil familial « volontaire » s’ensuivit, une sorte de choix
forcé au moment où la communauté juive fut bannie au début du conflit politique
et religieux entre arabes et juifs. Double et même triple traumatisme : jeux sexuels,
exil, maladie du père ; comment cette tresse s’est-elle nouée ?
Faire couple de façon chaque fois différente, telle est ma singularité. Je refuse l’idée de
série, d’autant que cette modalité sinthomatique de faire couple s’exerce aussi en analyse
et avec des partenaires femmes, et non pas seulement dans le jeu de la comédie des sexes.
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Lalangue entre en scène dans la formation du couple, parce que c’est chaque fois
une langue différente, non pas une langue quelconque, mais des langues – pour
lesquelles j’ai des facilités –, et aussi parce que chaque couple a ses raisons singu-
lières. Comme le pointait l’interprétation « C’est vous qui choisissez », je recherche
des relations chaque fois plus enrichissantes, où j’admire et suis admirée, me libérant
du jeu passionnel d’un « se laisser tromper ». Dans ce « faire couple de façon diffé-
rente », la relation sexuelle peut être mise à distance, minimisée, différée. Le vous
choisissez me ramena à mes relations passées, jusqu’à ma culture, même : « parler
d’amour » dans mes langues, l’arabe renvoyant à mes archives, le français et l’espa-
gnol, à ma famille exilée, forcément cosmopolite, étendue : Genève, San Francisco,
New-York, Buenos Aires, Johannesburg, Melbourne.
Dans le choix amoureux, il s’agit d’incarner l’objet pour l’autre, en formant un couple
différent avec chaque un qui me touche pour les résonances singulières de lalangue ; ma
solution particulière a donné à la jouissance une certaine plasticité ; je peux désormais
en faire usage sans débordements, mais pas sans quelques passages à vide et moments
d’inhibition, enfin, sans chercher à la maîtriser.
Le désir de singularité occupe la scène analytique ; avoir la souplesse nécessaire
pour se faire cause du désir de l’autre atteste de la position féminine et de celle de
l’analyste, cherchant la singularité de l’autre.
Le « couple analytique » est quelque chose qui se forme petit à petit : ceci n’a pas
été sans incidences sur une pratique marquée par la psychothérapie des débuts de ma
formation à Paris. Mon contrôleur avait relevé ce trait en me disant qu’il ne lui
semblait pas que j’avais une pratique kleinienne, mais que je maintenais une réserve,
une distance : « Vous n’êtes pas sortie de votre quant-à-soi. » Comme je ne compre-
nais pas cette expression en français, il me l’avait écrite sur un papier qu’il m’a remis,
m’invitant à me reporter au dictionnaire. J’ai conservé le papier jusqu’à aujourd’hui,
espérant – pourquoi pas ? –, le proposer à Judith Miller pour une exposition d’in-
terprétations concrètes à l’occasion d’une manifestation.

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La voie de l’altérité est une façon de sortir de cette réserve, selon la formule de
Lacan : « L’homme sert ici de relais pour que la femme devienne cet Autre pour elle-
même, comme elle l’est pour lui »5. L’orientation vers le singulier était inscrite dans
mon premier contrôle en 1987, et c’est elle qui, treize ans plus tard, causa ma
demande d’analyse.
« L’orientation vers le singulier, pointe J.-A. Miller, ne veut pas dire qu’on ne
déchiffre pas l’inconscient. [Mais] à côté de l’inconscient, où ça parle […], il y a le
singulier du sinthome, où ça ne parle à personne. C’est pourquoi Lacan le qualifie
d’événement de corps. »6
Le sinthome est conditionné par lalangue, nulle sortie n’en est envisageable. Ce
qu’il s’agit d’atteindre (au sens de parvenir à quelque chose), c’est une voie sans issue
où l’on prend en considération les restes symptomatiques et où l’on consent à ce que
« la passe ne soit pas de l’ordre du tout, mais de celui du pas-tout »7.
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Jacques-Alain Miller — Je ferai quelques commentaires sur votre témoignage.
Dans les grandes lignes, on a une mise en tension – Freud eût dit un conflit – entre le
registre de l’identification et la dimension du désir et de la jouissance. C’est un grand
classique.
C’est déjà plus précis quand on reprend vos propres termes : l’identification à la femme
dure et forte – empruntée au registre familial, qui représente une puissance phallique –
et la dimension du désir où il s’agit au contraire de se laisser faire. Vous exprimez très
délicatement en brésilien qu’il y a un coût à se laisser faire par le désir de l’Autre.
À la fin, vous rappelez que la position de l’analyste est une position féminine, et vous
avez ça, tout de suite, dans la poche. Lacan disait que, d’une certaine façon, les femmes
sont des analystes nées. Là est le joker, vous êtes le joker. Vous étiez et le sujet Angelina et
la carte à tout faire qui se laisse capter par le désir de l’Autre, qui se laisse donner une
valeur par le désir de l’Autre.
L’analyste signale alors un décalage supplémentaire : dans ces affaires d’amour, c’est
quand même vous qui choisissez et, à l’intérieur du laisser-faire, vous continuez d’être la
femme dure et forte.

Réserve, pudeur et permission


Dans le registre de la jouissance, il y a ce trait de clandestinité – bien repéré par Freud –
avec ce qui peut s’y attacher de culpabilité, avec ce que la clandestinité comporte de soumis-
sion, et une issue vers la sublimation. Là encore, nous avons un conflit avec l’identifica-
tion à la femme forte, puisqu’il faut se soumettre, se cacher. Il y a une jouissance à se cacher,
mais il y a tout de même une tension. C’est très bien résumé dans une expression que vous

5. Lacan J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 732.
6. Miller J.-A., « L’inconscient et le sinthome », La Cause freudienne, no 71, juin 2009, p. 78.
7. Miller J.-A., « Semblants et sinthome », in Semblants et sinthome, volume Scilicet préparatoire au VIIe congrès de
l’AMP, Paris, École de la Cause freudienne, 2009, p. 24.

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dites aimer beaucoup – pressée comme un citron –, en français dans votre texte. Pressée
comme un citron par l’Autre – comme vous l’êtes d’ailleurs ici en quelque sorte – pressée
par l’Autre de l’AMP. Mais il y a quand même une part où vous ne vous laissez pas totale-
ment presser comme un citron, puisque vous ne commencez votre récit qu’au deuxième
analyste. C’est aussi très bien représenté par le terme quant-à-soi. Ne jamais perdre son
quant-à-soi, c’est la pudeur qu’on réclame dans les récits de passe. Ce n’est pas le voile inté-
gral, mais il reste un voile, et vous n’avez pas perdu le nord à cet égard.
On assiste ainsi aux tribulations d’une célibataire. Vous employez le terme « la cause
célibataire », mais vous ne voulez pas vous en faire le baladin. Il s’agit donc des tribula-
tions d’une célibataire qui n’arrive pas à se satisfaire d’un homme, qui n’arrive pas à faire
couple – ce qui est aussi un grand classique. Le pas-tout féminin de Lacan veut dire
qu’aucune femme ne se satisfait d’un homme. Mais le trait particulier de votre témoignage,
c’est qu’il n’y a pas d’au moins Un. L’amarre phallique masculine n’apparaît pas dans votre
texte. Ce qui y ressemble un peu, c’est l’interprétation qui figure sur ce papier que vous avez
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gardé. Là, vous n’êtes pas sortie de votre quant-à-soi.
Vous appeliez Judith Miller à exposer un jour ce genre d’objets d’interprétation. Je ne
sais pas s’il est d’une pratique très répandue d’écrire des interprétations sur des bouts de
papier ! C’est spécial. Je ne sais pas s’il y a de quoi faire une exposition, certainement pas
un musée, en tout cas.
D’une certaine façon, vous êtes quand même sortie de votre quant-à-soi. Décider de
faire la passe et se mettre à raconter tout ce que vous avez raconté devant tout le monde,
c’est la démonstration en acte de la sortie du quant-à-soi dans une juste mesure.
Qu’en est-il du sinthome ? En lisant votre texte avec la question de savoir ce qui a
changé, la formule lacanienne du passage de l’impuissance à l’impossible m’est revenue
– on n’arrive pas à se déprendre de Lacan et on le presse comme un citron. Il y a un chan-
gement de modalité logique concernant ce que vous expérimentiez et traduisiez par un je
n’y arrive pas et j’en souffre. Je me disais, à propos du mieux dans le sinthome, du mieux
dans le cadre du mode de jouir, qu’au fond c’est bien traduit par ce simple changement
de modalité logique. Modalité logique, ça dit qu’on ne change pas la proposition, que la
proposition reste la même. Ce qui change, c’est le petit signe que l’on met avant et qui est
– ou c’est nécessaire, ou c’est impossible, ou c’est contingent. Ici, on change le signe
impuissance en signe impossible. C’est déjà une façon très simple d’appréhender comment
il peut y avoir du mieux dans quelque chose qui ne change pas.
C’est peut-être un peu réducteur, mais cela ouvre sur ce qui me paraît être présent
dans votre récit : il débouche sur une certaine permission. Bien que vous n’ayez pas dit
le mot interdit, toutes ces difficultés ou ces souffrances s’ordonnent au fait qu’il y a un
interdit que vous transgressez, bien entendu, mais il y a de l’interdit. Et ensuite, vous
faites la même chose, mais c’est permis. Le fait que ce soit permis change le statut de la clan-
destinité, et beaucoup d’autres choses. La permission, finalement, c’est aussi une sorte de
modalité logique. L’énoncé est le même, simplement, devant, il y a ou le signe interdit ou
le signe permis.

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