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TRENTE ANNÉES D'ÉTUDES CANADIENNES SUR LA PARODIE

Jean Leclerc

Presses Universitaires de France | « Dix-septième siècle »

2011/3 n° 252 | pages 501 à 509


ISSN 0012-4273
ISBN 9782130587132
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Trente années d’études canadiennes sur la parodie

Ma thèse de doctorat1 proposait d’étudier le travestissement littéraire des mythes


antiques au xviie siècle2 et de revisiter les poncifs historiographiques rattachés à ces
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œuvres le plus souvent condamnées par la critique. L’un des premiers problèmes
qui s’est posé a été d’attribuer des valeurs fixes aux mots « burlesque » et « traves-
tissement » desquels les œuvres se revendiquaient explicitement, de savoir à quel
genre appartenaient ces textes et de définir des termes connexes comme « satire »,
« parodie » et « pastiche », termes ambivalents qui s’avèrent souvent interchangea-
bles dans les meilleurs dictionnaires. Certes3, l’ouvrage Palimpsestes. La littérature au
second degré de Gérard Genette4 me fournissait d’entrée plusieurs pistes de réflexion,
des définitions précises qui évitaient les confusions, un système cohérent qui per-
mettait d’appréhender les différentes relations intertextuelles entre un modèle et sa
réécriture. Les « travestissements burlesques » occupaient une part importante de son
schéma des pratiques hypertextuelles, et il consacrait tout un chapitre à analyser le
Virgile travesti de Paul Scarron dans ses rapports avec l’Énéide de Virgile5.
Or, en raison de mon approche délibérément orientée vers l’histoire littéraire,
et surtout devant la variété de la trentaine de textes burlesques que les recherches
bibliographiques m’avaient fait intégrer à cette étude6, qui comprenait autant des tra-
vestissements d’épopées latines et grecques, de mythes isolés tirés des Métamorphoses
d’Ovide, de satires ou d’œuvres didactiques comme l’Art d’aimer d’Ovide, le « Tableau
général des pratiques hypertextuelles »7 de Genette s’est vite révélé lacunaire, voire

1.  Publiée en 2008 aux Presses de l’Université Laval, dans les « Collections de la République des
Lettres, Études », sous le titre L’Antiquité travestie et la vogue du burlesque en France (1643-1661).
2. Les mieux connus sont le Virgile travesti de Paul Scarron, L’Ovide en belle humeur de Charles
Dassoucy, Les Murs de Troie ou L’Origine du burlesque des frères Perrault et le Voyage de Mercure
d’Antoine Furetière.
3. C’était avant que ne paraissent les livres de Claudine Nédelec, Les États et empires du burlesque,
Paris, Honoré Champion, 2004, de Daniel Sangsue, La Relation parodique, Paris, José Corti, 2007 et de
Paul Aron, Histoire du pastiche. Le pastiche littéraire français de la Renaissance à nos jours, Paris, Presses
universitaires de France, 2008.
4.  Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, « Poétique », 1982.
5.  Ibid., p. 77-88.
6.  Au contraire de l’Allemand Thomas Stauder, qui s’est contenté d’un corpus un peu plus étroit
dans son ouvrage Die Literarische Travestie : terminologische systematik und paradigmatische Analyse
(Deutschland, England, Frankreich, Italien), Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 1993.
7.  Palimpsestes, op. cit., p. 45 et la discussion qui entoure ce tableau.
XVIIe siècle, n° 252, 63e année, n° 3-2011
502 Trente années d’études canadiennes sur la parodie

incompatible avec le corpus. En effet, la rigidité de son système excluait l’appartenance


d’une œuvre à plus d’une catégorie, tandis qu’il n’est pas toujours clair à quel moment
les auteurs burlesques parodient, pastichent ou travestissent soit leur modèle antique,
soit le jargon du Palais, soit la littérature contemporaine dont ils se moquent ou qu’ils
imitent pour plaire à leur public. Quand sa définition du travestissement comme la
transcription en style bas d’une matière noble cadrait avec des œuvres qui reprenaient
des épopées, elle devenait inopérante pour appréhender des œuvres déjà écrites en
style moyen ou simple comme les Odes d’Horace ou les Satires de Juvénal. Toute la
question des régimes posait d’ailleurs problème, dans la mesure où les auteurs ne
s’avouent pas eux-mêmes « ludiques », « satiriques » ou « humoristiques », sans parler
du fait qu’à l’intérieur d’une œuvre de vingt mille vers comme le Virgile travesti8,
dont la publication s’étire sur une décennie complète, ces régimes varient et se succè-
dent selon l’humeur du poète et la matière qui l’occupe. Finalement, il apparaissait
que le travestissement des Anciens au xviie siècle n’était pas simplement une question
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d’hypertextualité, mais qu’il impliquait des enjeux plus vastes, des questions culturelles
rattachées à l’enseignement, au partage des connaissances parmi les lettrés, aux rap-
ports entre l’auteur, son public et une attitude ludique envers des modèles connus de
tous. La réception de ces textes qui dépendent de la compétence culturelle des lecteurs
pour que jaillisse leur potentiel comique devait donc jouer un rôle dans l’invention de
cet humour hautement codifié et demandait en retour une enquête plus poussée dans
le but d’en arriver à une meilleure compréhension du phénomène.
Il faut bien avouer que ces réserves, qui formeront les différentes articulations de
la présente contribution, ne m’étaient pas toutes personnelles9. Elles m’étaient en
fait dictées par une série de travaux canadiens sur la parodie publiés dans les mêmes
années que Palimpsestes. Alors que Gérard Genette a longtemps été l’un des rares cri-
tiques français à s’intéresser à la parodie et aux autres modes de réécriture10, il existait
au Canada des chercheurs et des groupes de recherche qui faisaient de cette question
le centre de leurs préoccupations. Dès les années 1978 et 1981, Linda Hutcheon11 a
publié dans la revue Poétique deux articles fondateurs sur notre compréhension de cette
pratique intertextuelle, en proposant un modèle souple et dynamique montrant les inte-
ractions entre la parodie, la satire et l’ironie12. Au début des années 1980 en Ontario, et
particulièrement à l’université Queen’s à Kingston, Max Vernet, Jean-Jacques Hamm,

8.  Voir Paul Scarron, Le Virgile travesti, éd. Jean Serroy, Paris, Garnier, 1988.
9.  On lit par exemple cette réserve sur l’emploi que fait Genette de la parodie dans le livre de
Linda Hutcheon : «  [He] wants to limit parody to such short texts as poems, proverbs, puns, and titles,
but modern parody discounts this limitation, as it does Genette’s restricted definition of parody as a
minimal transformation of another text »  (A Theory of Parody. The Teachings of Twentieth-Century Art
Forms, New York - Londres, Methuen, 1985, p. 10). Voir aussi l’introduction de Max Vernet au collectif
Le Singe à la porte. Vers une théorie de la parodie, Groupar, New York - Berne - Francfort-sur-le-Main,
Peter Lang, 1984, p. VIII-XI.
10.  Du moins jusqu’en  1994 avec la parution du livre de Daniel  Sangsue, La Parodie, Paris,
Hachette, 1994. Il faut toutefois mentionner le livre de Lionel Duisit, qui a été publié aux États-Unis,
Satire, parodie, calembour. Esquisse d’une théorie des modes dévalués, Sarratoga, Anna Libri, 1978.
11.  À cette époque, elle était en poste à l’université McMaster à Hamilton en Ontario.
12. Linda Hutcheon, « Ironie et parodie : stratégie et structure », Poétique, no 36, 1978, p. 467-
477, et « Ironie, satire et parodie : Une approche pragmatique de l’ironie », Poétique, no  46, 1981,
p. 141-155. Ses réflexions ont fait par la suite l’objet d’un livre en anglais, déjà cité.
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Clive Thomson et d’autres professeurs ont fondé Groupar, un groupe de recherche


sur la parodie qui a publié de 1984 à 1989 plusieurs collectifs et actes de colloques13.
C’est dans l’une de ces publications que l’on doit retenir l’article de Bernard Beugnot
intitulé « L’invention parodique au xviie siècle »14, une contribution extrêmement
pertinente pour les études dix-septiémistes par l’attention portée aux définitions, aux
œuvres et aux débats de cette époque. En plus de revaloriser des textes qui avaient
longtemps souffert de jugements de valeur et de condamnations sous prétexte d’ennui
et de mauvais goût15, ces travaux ont rénové un champ de recherche essentiel pour les
études littéraires et m’ont été d’une aide inestimable dans le développement de mes
propres travaux sur la littérature burlesque. Cet article sera donc l’occasion de rendre
hommage à ces pionniers de la recherche et de mesurer l’impact de leur contribution
aux études littéraires d’Ancien Régime16.
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1. L’apport des définitions contemporaines

Il va de soi aujourd’hui d’interroger les dictionnaires de l’époque avant d’entre-


prendre des recherches sur des notions littéraires employées au xviie siècle, mais ce
souci d’historicisation n’était pas toujours présent dans les études sur la parodie. Il
n’est donc pas inutile de souligner comment Bernard Beugnot ouvre son étude17 en
citant les dictionnaires de Pierre Richelet et d’Antoine Furetière, qui contiennent des
définitions pertinentes non seulement de la parodie, mais également du burlesque.
Furetière n’est pas un auteur anodin dans ce contexte puisqu’il a fait des parodies
burlesques et écrit des satires entre 1648 et 1655, avant de publier son Roman bour-
geois et son Dictionnaire universel. Bernard Beugnot s’intéresse aussi aux Arts poétiques
des xvie et xviie siècles, notamment à celui de Jules César Scaliger (1561), qui donne

13. Leurs principales contributions sont : Le Singe à la porte, op. cit., Essays on Parody, Clive Thomson
(éd.), Toronto, Victoria University, 1986, un numéro de la revue Études littéraires, vol. XIX, no 1, prin-
temps  1986, et Dire la parodie. Colloque de Cerisy, Clive  Thomson et Alain  Pagès (éd.), New York
- Berne - Francfort-sur-le-Main - Paris, Peter Lang, 1989.
14.  Inséré plus tard avec un titre écourté dans La Mémoire du texte. Essais de poétique classique, Paris,
Honoré Champion, 1994, p. 333-347. C’est cette dernière édition que je citerai.
15.  Telles qu’on les retrouve encore dans la première moitié du xxe siècle, notamment chez
Ferdinand  Brunetière, « La maladie du Burlesque », Revue des deux mondes, 1906, p.  667-691,
Gustave Lanson, Histoire de la littérature française, Paris, Hachette, 1985 [1re éd. 1905], et Antoine Adam,
Histoire de la littérature française du xvii  e siècle, Paris, Albin Michel, 3 vol., 1997 [1re éd. 1948-1956].
16.  Il faut préciser, avant de commencer, que ces chercheurs n’étaient pas tous nés au Canada,
mais ils avaient tous un ancrage institutionnel en Ontario ou au Québec. Le phénomène n’était
pas entièrement local non plus, ces chercheurs étant en contact et en dialogue avec le reste du
monde comme en témoignent leurs échanges et leurs bibliographies, où l’on retrouve des Français
(Geneviève Idt, « La parodie : rhétorique ou lecture ? », 1973 et Claude Abastado, « Situation de la
parodie », 1976), des Allemands (Wolfgang Karrer, Parodie, travestie, pastiche, 1977), des Américains
(Sanda Golopentia-Eretescu, « Grammaire de la parodie », 1969), des Australiens (Margaret A. Rose,
Parody  //  Meta-fiction, 1979), et d’autres sémioticiens et structuralistes européens. Il ne faut pas
oublier non plus les formalistes russes publiés et traduits par Tzvetan Todorov (Théorie de la littéra-
ture, 1965), en particulier Mikhaïl Bakhtine dont les travaux sur Rabelais et Dostoïevski étaient une
source constante d’inspiration.
17.  « L’invention parodique », art. cité, p. 334-337.
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une définition succincte qu’il traduit : « La parodie est la rhapsodie renversée qui, par
changement des termes, ravale le sérieux au niveau du plaisant » (p. 335). Cette défi-
nition éclaire en perspective celles de Richelet et de Furetière puisque les deux traits
fondamentaux que constituent la reprise textuelle et le ravalement vers le comique se
maintiendront dans leurs propres définitions. Une recherche respectant l’approche
historique se devait donc de maintenir ces traits définitoires.
J’ai poursuivi cette piste dans mes travaux en interrogeant d’autres définitions
contemporaines afin d’en arriver à un portrait plus représentatif et sensible aux
conceptions littéraires de l’époque. Il s’est avéré que pour Furetière, le burlesque
et le travestissement constituaient deux réalités très différentes, complémentaires
certes, mais assez distinctes pour éviter le fâcheux rapprochement qu’occasionnait le
syntagme « travestissement burlesque », ou cette double définition d’un burlesque
générique – toute forme de comique outré – et d’un burlesque spécifique – celui des
travestissements d’œuvres antiques au xviie siècle18. Cette constatation m’a permis
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de restreindre le burlesque à une sorte d’humour ayant connu une vogue au milieu
du siècle, de même qu’à un style cultivant la trivialité et la variété du vocabulaire,
l’artifice, le décalage et les ruptures de ton. Travestir devenait alors un mode de réé-
criture qui transformait le style de l’original, ayant des caractéristiques communes
avec la parodie évidemment, mais avec la catégorie encore plus large de traduction.
Cette distinction permettait ultimement d’envisager un burlesque qui ne soit pas
parodique au même titre que le Virgile travesti, celui notamment des poésies mon-
daines de Scarron, ou les pamphlets politiques de la Fronde.

2. L’entrelacement des catégories

Tandis que le système de Genette admettait une certaine porosité entre les caté-
gories hypertextuelles, celui de Linda Hutcheon a l’avantage de penser des zones
où se superposent la satire, la parodie et l’ironie : « L’état pour ainsi dire “pur” dans
lequel on a tenté de décrire chacun des trois ethos du schéma se présente rarement
dans des textes littéraires. Il y a presque toujours interférence d’un cercle avec les
autres : d’où les entrelacements (et les déplacements constants) des cercles. »19 En
d’autres termes, alors que Gérard Genette semblait formuler des règles d’exclusion
(la parodie n’est pas pastiche, le travestissement n’est pas charge, etc.), le schéma
de Linda Hutcheon prévoit une part de chevauchement de ces mêmes catégories,
des frontières gommées où la parodie pourra partager des traits avec le satirique
et l’ironie. Bernard Beugnot affirmait pour sa part que le burlesque est « souvent
considéré comme la forme privilégiée, sinon unique, de la parodie classique »20, ce
qui m’incitait à ne pas conceptualiser une distinction trop étanche entre parodie,
travestissement et burlesque.

18.  Que l’on retrouve notamment dans l’introduction de Dominique Bertrand au collectif Poétiques
du burlesque, Dominique Bertrand (éd.), Paris, Honoré Champion, 1998, p. 9-24.
19.  « Ironie, satire et parodie : une approche pragmatique de l’ironie », art. cité, p. 148. Voir aussi
ses deux schémas p. 145 et 149.
20.  « L’invention parodique », art. cité, p. 337.
Jean Leclerc 505

Mes analyses ont grandement bénéficié de ces indications : au lieu d’envisager mon
corpus d’une manière monolithique et restreinte (par exemple : « ils appartiennent
tous au genre du travestissement burlesque »), j’ai pu montrer en quoi ici Scarron
était ironique, là Furetière faisait la satire des mœurs, ici Dassoucy empruntait à la
chanson populaire, là Perrault pastichait le style galant des romans. Cet assouplisse-
ment des catégories esthétiques a aussi permis de tracer des degrés d’intensité dans
le burlesque lui-même, allant de la vulgarité des invectives présentes dans certains
pamphlets de la Fronde, jusqu’à un enjouement tout mondain qui se permet à peine
le mot bas, celui des poésies de Scarron ou de Dassoucy, voire les derniers travestis-
sements en vers burlesques après la Fronde. Il a même été possible de déceler dans
les œuvres burlesques des passages qui intégraient une esthétique de la laideur propre
au grotesque ou un mélange de l’héroïsme et d’un style élevé plus représentatif de
ce qu’on a l’habitude de nommer l’héroï-comique. Ainsi, après avoir été en mesure
de dissocier le travestissement du burlesque pour mieux appliquer les catégories à
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l’analyse des textes, on pouvait se servir d’autres termes connexes pour mettre en
valeur toute la richesse et la complexité de ces œuvres, de voir à quel moment les
œuvres faisaient la parodie des textes antiques ou des œuvres modernes, pastichaient
les auteurs à la mode, satirisaient les vices des contemporains.

3. Ethos, régimes et postures


Selon Gérard Genette, la différence entre la parodie et le travestissement burlesque
résidait dans ce qu’il nommait le « régime » des textes, c’est-à-dire que la parodie
serait une reprise « ludique » d’un texte antérieur, comme dans le Chapelain décoiffé,
où la critique ne porte pas sur les vers du Cid qui sont détournés de leur sens initial
pour représenter une querelle littéraire. Le travestissement comporterait au contraire
un régime « satirique », impliquant une critique assez visible de l’hypotexte. Or,
l’examen des œuvres du corpus et de leurs paratextes, qui présentent souvent des
aveux précieux sur la genèse et l’écriture des textes, montre que ces régimes relèvent
plutôt de postures personnelles que de questions génériques. Il s’avère encore une fois
que les travaux canadiens sur la parodie contenaient une réflexion sur ces matières,
reliées à la difficile question de l’intentionnalité, voire à la moquerie ou aux attaques
envers les cibles. Grâce à l’utilisation de la notion d’« ethos », terme qu’elle emprunte
à la Rhétorique générale du Groupe-µ, Linda Hutcheon propose une solution au pro-
blème des régimes, comme quoi un ethos parodique pourrait contenir à la fois un
marqueur respectueux, contestataire et neutre ou ludique.
Il était donc impératif de remettre une distance entre le procédé intertextuel et la
visée propre à chaque auteur. On retrouve alors des postures très variées dans les tra-
vestissements de l’époque, simplement ludique comme celle de Scarron qui amuse
son public aux dépens de Virgile sans toutefois remettre en question la valeur de son
texte, ou encore didactiques comme dans le Virgile goguenard de Laurent de Laffemas,
qui prétend respecter Virgile et le travestir afin de le rendre accessible à ceux et celles
qui ne l’entendent pas dans la langue originale. À l’inverse, les frères Perrault affir-
ment, à propos des Murs de Troie, que « ce poeme est une satyre contre la poësie des
506 Trente années d’études canadiennes sur la parodie

Anciens ou plustost contre celle des Modernes qui ont affecté d’imiter les Anciens »21.
L’ambivalence de cette formule, qui semble se diriger vers une cible moderne sans pour
autant épargner le statut du texte canonique, prouve bien que le rapport aux textes de
l’Antiquité est, au xviie siècle, une question de culture indissociable de la réception et
qu’il importe de la traiter dans toute sa profondeur historique.

4. Saisir les textes dans une dynamique de communication

Dès  1978, dans son article « Ironie et parodie : stratégie et structure », Linda
Hutcheon marque le rôle actif du lecteur dans la relation parodique : « Comme
tout texte littéraire, une parodie réclame également un lecteur, un collaborateur qui
actualise et appelle à l’existence l’univers des mots. »22 Sans la reconnaissance de la
dimension parodique, l’œuvre perd une grande part de son potentiel de toucher, de
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faire rire, dynamique analysée par Jean-Jacques  Hamm dans « Parodie, pastiche :
de l’écriture à la lecture »23. La tendance des études hypertextuelles était de passer
sous silence cet apport du public, du moins de le prendre pour acquis. Or, travestir
Virgile dans un siècle encore humaniste à bien des égards était un choix motivé par
le partage d’une culture classique apprise à l’école et accessible à presque tous les let-
trés de l’époque. En même temps, le travestir en langue française impliquait simul-
tanément de le rendre accessible à un nouveau public, féminin en grande partie, qui
avait plus difficilement accès à l’éducation transmise dans les collèges.
Cette recherche sur les indices d’une réception m’a également permis de dres-
ser un portrait plus nuancé de la vogue, de ses phases et des débats que cette
littérature a suscités dans les années  1640 à  1660. Il faut bien avouer que cer-
tains témoignages étaient déjà mentionnés par Antoine  Adam dans son article
« Note sur le burlesque »24, les plus significatifs étant ceux de Gabriel Naudé, de
Jean Chapelain, de Mlle de Scudéry ou de Charles Sorel. Mais ici encore, l’article
de Bernard  Beugnot s’est révélé d’un grand secours, notamment par son com-
mentaire sur l’échange entre Balzac et Vavasseur à propos des textes burlesques25,
qui offre un exemple particulièrement éloquent de la critique envers ces textes et
du type de réaction que pouvaient susciter ces œuvres à la frontière d’une culture
savante et d’une culture mondaine. Une recherche dans les bibliothèques françai-
ses a révélé de plus que ce n’était qu’un exemple parmi d’autres témoignant de la
réception des œuvres burlesques, des attentes des auteurs et des fluctuations dans
les réactions des lecteurs parisiens.

21. Claude  Perrault, « Mythologie des Murs  de Troye », dans Les Murs de Troie ou L’Origine du
burlesque, manuscrit de l’Arsenal, MS 2956.
22.  « Ironie et parodie : stratégie et structure », art. cité, p. 472. Elle affirmera aussi en 1981 :
« la présence du trope souligne la postulation nécessaire à la fois de l’intention de l’auteur-encodeur
et la reconnaissance du lecteur-récepteur afin de pouvoir affirmer même l’existence de la parodie ou
de la satire » (« Ironie, satire et parodie : une approche pragmatique de l’ironie », art. cité, p. 141).
23.  Voir Le Singe à la porte, op. cit., p. 105-116.
24.  Antoine  Adam, « Note sur le burlesque », xvii  e siècle, Bulletin de la Société d’étude du
xviie siècle, no 4, 1949, p. 81-91.
25.  Voir « L’invention parodique », art. cité, p. 337-340.
Jean Leclerc 507

La dynamique de transmission et de réception entraînait des choix stylistiques qui


avaient en partie échappé à la critique. On connaît la présence de Scarron dans ses
œuvres, l’importance du « je » et les nombreuses allusions à sa maladie, mais d’autres
facteurs avaient peu été travaillés, que cette présence occasionne en retour la mise en
scène du lecteur ou que la construction d’une dynamique de la lecture se fasse par
des marqueurs identifiables. Les transformations subies par le texte original n’étaient
plus simplement intertextuelles, restreintes au déplacement stylistique d’un terme
noble à une réalité triviale, mais participaient d’une refonte complète de la situation
de réception des œuvres, mimant en cela l’oralité d’une veillée et la familiarité du
conteur avec son public. Il était alors possible de mesurer directement dans les traves-
tissements l’effort que faisaient les auteurs burlesques pour attirer l’attention de leur
public, pour développer une relation presque personnelle qui soit favorable à une
attitude ludique et amusée où pourra émerger le rire aux dépens des Anciens et des
pédants ridicules qui les imitent et les enseignent. La formule de Bernard Beugnot
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se trouvait confirmée par les textes eux-mêmes : « Il faut au moins rappeler que la
parodie burlesque n’est pas un genre populaire, mais le divertissement d’une élite qui
joue sur la connivence d’une culture partagée et que, même s’il s’élargit, le public
littéraire ne change pas fondamentalement. »26

5. Appréhension des enjeux idéologiques

D’autres articles canadiens pointaient enfin vers le contenu idéologique de la


parodie, auquel n’échappaient pas les travestissements. Il semblait à cet égard que
travestir Virgile au xviie siècle comportait des enjeux plus larges qui touchaient à
l’éducation et aux croyances, à ce détour gênant pour certains d’enseigner la lec-
ture, l’histoire et la rhétorique à de jeunes chrétiens à travers des textes païens. Cette
question, qui restera au cœur de la querelle des Anciens et des Modernes, était déjà
en gestation dans les avis au lecteur des Murs de Troie des frères Perrault. Ceux-ci,
gardant en mémoire les leçons de Tertullien sur l’héritage païen, ne voyaient dans
le rabaissement des dieux de l’Olympe qu’un traitement normal de ces faux dieux
devenus démons mineurs, alors que Jean Chapelain, plus respectueux de l’autorité
des auteurs de l’Antiquité, percevait une « espece d’impieté » à traiter les poètes latins
de la sorte27. Pour des auteurs plus libertins, le travestissement devenait l’occasion
d’inclure un message hétérodoxe, profitant de ce détour par les Anciens pour dénon-
cer les fausses croyances et les superstitions, prôner la liberté des mœurs et des idées,
voire de critiquer la divinité elle-même en la rabaissant à une trivialité parfois plus
animale qu’humaine.
Le contexte de la Fronde n’était pas négligeable non plus, d’autant que plusieurs
pamphlets étaient écrits en vers burlesques ; même s’ils ne travestissaient pas néces-
sairement les textes antiques, ils étaient souvent truffés d’allusions mythologiques.

26.  Ibid., p. 340. Il affirme ailleurs : l’écrivain « noue avec son public une relation de complicité,
dont le texte de référence implicite ne sort pas totalement indemne » (p. 345).
27.  Jean Chapelain, « Lettre  I, datée du 8  janvier 1649 », Soixante-dix-sept lettres inédites à
Nicolas Heinsius, 1649-1658, éd. Bernard Bray, La Haye, Martinus Nijhoff, 1966, p. 128.
508 Trente années d’études canadiennes sur la parodie

De plus, les travestissements contiennent presque toujours des allusions à la politique


et aux événements historiques, comme c’est le cas d’une traduction du sixième livre
de Virgile intitulée L’Enfer burlesque […] Le tout accommodé à l’histoire du temps, ou
dans les longues digressions du Virgile goguenard sur les événements de la Fronde. De
la subversion des hiérarchies littéraires, qui consistait à réduire l’épopée à une narra-
tion triviale, à descendre le style noble vers le parler quotidien, à rabaisser Virgile par
la parodie, on en venait aisément à la subversion des modèles politiques, où toute la
monarchie avec ses ministres, anciens et modernes, était dévaluée et dépouillée de
la dignité qui inspire le respect propre à son fonctionnement. Il semble donc que
les textes ne soient pas seulement un amusement pris aux dépens des Anciens, mais
qu’ils servent à parler du présent, à le commenter ou encore à y prendre parti pour
influencer l’opinion ou manipuler le public.
Peut-on conclure pour autant à une spécificité canadienne en matière d’études
sur la parodie ? Si cette spécificité a existé, elle a été localisée aux années 1980 et
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isolée au phénomène Groupar, résorbée dans la suite de leurs travaux par des échan-
ges internationaux toujours plus féconds. Il est éloquent de voir à cet égard que
la dernière contribution de Groupar s’avère la publication des actes d’un colloque
tenu à Cerisy et qui faisait intervenir des chercheurs de la France et du Canada.
Ce clivage est encore moins sensible quand il s’agit des recherches sur la parodie
et le burlesque du xviie siècle, dans la mesure où le dialogue est constant et que la
curiosité d’apprendre de l’autre semble mutuelle. Aussi faut-il continuer à nourrir
les possibilités d’échanger et de nourrir en commun nos réflexions, un élan que
concrétise heureusement ce numéro de xvii  e siècle.

Jean Leclerc
University of Western Ontario

Bibliographie (sélection canadienne)


Di Virgilio Paul, « Réflexions sur la parodie à partir du Roman comique de Scarron »,
Colloque de la sator à Fordham, Jean Macary (éd.), Papers on French Seventeenth-
Century Literature, no 8, 1991, p. 181-185.
Groupar (éd.), Le Singe à la porte. Vers une théorie de la parodie, New York - Berne -
Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 1984.
— Essays on Parody, Clive Thomson (éd.), Toronto, Victoria University, 1986.
— Études littéraires, vol. XIX, no 1, printemps 1986.
— Dire la parodie. Colloque de Cerisy, Clive Thomson et Alain Pagès (éds.), New York -
Berne - Francfort-sur-le-Main - Paris, Peter Lang, 1989.
Hodgson Richard, « The Parody of Traditional Narrative Structures in the French
Anti-Novel from Charles  Sorel to Diderot », Neophilologus, vol. LXVI, no  3,
1982, p. 340-348.
Hutcheon Linda, « Ironie et parodie : stratégie et structure », Poétique, no 36, 1978,
p. 467-477.
—  « Ironie, satire et parodie : une approche pragmatique de l’ironie », Poétique,
no 46, 1981, p. 141-155.
Jean Leclerc 509

—  A Theory of Parody. The Teachings of Twentieth-Century Art Forms, New York-


Londres, Methuen, 1985.
Leclerc  Jean, L’Antiquité travestie et la vogue du burlesque en France (1643-1661),
Québec, Presses de l’Université Laval, « Collections de la République des Let-
tres, Études », 2008.
Soare Antoine, « Parodie et catharsis tragi-comique », French Forum, vol. IX, no 3,
1984, p. 276-289.
Vernet Max, « La parodie et le repérage des topoï », Colloque de la sator à Fordham
Jean Macary (éd.), Papers on French Seventeenth-Century Literature, no 8, 1991,
p. 173-179.
Wall Anthony, « La parodie ne se signale pas : le cas de Baudelaire face à Pascal »,
Kodikas/Code/Ars semeiotica, vol. XII, nos 1-2, 1989, p. 125-140.
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