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QUESTION 3: QU'EST-CE QUE LA BÉATITUDE?

1. La béatitude est-elle une réalité incréée? - 2. Si elle est une réalité créée,
est-elle une activité? - 3. Est-elle une activité de la partie sensible de l'âme,
ou seulement de sa partie intellectuelle? - 4. Si elle est une activité de la
partie intellectuelle, est-elle une activité de l'intellect ou bien de la volonté?
- 5. Est-elle une opération de l'intellect spéculatif ou de l'intellect pratique? -
6. Si elle est une activité de l'intellect spéculatif, consiste-t-elle dans l'étude
des sciences spéculatives? - 7. Consiste-t-elle dans la connaissance des substances
séparées, c'est-à-dire des anges? - 8. Consiste-t-elle en la seule contemplation de
Dieu, par laquelle il est vu dans son essence?

ARTICLE 1: La béatitude est-elle une réalité incréée?

Objections:

1. Il semble que oui, puisque Boèce a écrit: "Il faut nécessairement reconnaître
que Dieu est la béatitude même."

2. La béatitude est le souverain bien. Or être le souverain bien, cela convient à


Dieu, et puisqu'il ne peut y avoir plusieurs souverains biens, il semble que la
béatitude soit identique à Dieu.

3. La béatitude est la fin ultime à laquelle la volonté humaine tend naturellement


comme à sa fin. Mais la volonté humaine ne doit tendre comme à sa fin à rien
d'autre que Dieu, de qui seul nous devons jouir, dit S. Augustin. Donc la béatitude
est identique à Dieu.

Cependant:

rien de ce qui est fait est incréé. Or la béatitude de l'homme est quelque chose
qui se fait, comme on le voit dans ces paroles de S. Augustin: "Nous devons jouir
de ces choses qui nous font bienheureux." Donc la béatitude n'est pas quelque chose
d'incréé.

Conclusion:

Comme on l'a dit plus haut, le mot "fin" se prend en deux sens. On peut entendre
par là l'objet même que nous souhaitons obtenir; ainsi l'argent est une fin pour
l'avare; et d'autre part ce mot peut désigner l'atteinte ou la possession, l'usage
ou la jouissance de l'objet désiré, comme si l'on dit que la possession de l'argent
est la fin de l'avare, et la jouissance d'un objet voluptueux la fin de
l'intempérant. Dans le premier sens, la fin dernière de l'homme est un bien incréé,
puisque c'est Dieu, qui seul, par sa bonté infinie, peut combler parfaitement la
volonté de l'homme. Dans le second sens, la béatitude de l'homme est quelque chose
de créé qui existe en lui, qui n'est autre chose que l'acquisition ou la jouissance
de la fin ultime. Or, c'est la fin ultime qui est appelée béatitude. Donc, si la
béatitude de l'homme est considérée dans sa cause ou son objet, elle est quelque
chose d'incréé; si au contraire on l'envisage quant à son essence même de
béatitude, elle est quelque chose de créé.

Solutions:

1. Dieu est béatitude par son essence même; et en effet il n'est pas heureux par
l'acquisition ou la participation de quelque chose d'autre, il l'est par son
essence. Mais les hommes, comme Boèce le dit dans le même passage, sont heureux par
participation, comme ils sont dits des dieux par participation. Or, cette
participation même de la béatitude, selon laquelle l'homme est déclaré heureux, est
bien quelque chose de créé.
2. La béatitude est appelée souverain bien de l'homme parce qu'elle consiste en
l'acquisition ou la jouissance du souverain bien.

3. On dit que la béatitude est fin ultime en entendant par là l'obtention de la


fin.

ARTICLE 2: Si la béatitude est une réalité créée, est-elle une activité?

Objections:

1. Il ne semble pas que la béatitude soit une activité, car l'Apôtre dit (Rm 6,
22): "Vous avez pour fruit la sainteté, et pour fin la vie éternelle." Or la vie
n'est pas une activité, mais l'être même des vivants.

2. Boèce appelle la béatitude "un état parfait grâce au rassemblement de tous les
biens"; or un état ne désigne pas une activité.

3. La béatitude étant l'ultime perfection de l'homme, on doit entendre par là


quelque chose qui existe dans l'homme heureux. Or une activité ne signifie pas
quelque chose qui existe dans le sujet qui opère, mais plutôt quelque chose qui en
procède.

4. La béatitude est en permanence dans le bienheureux, tandis que l'activité est


passagère.

5. Il n'y a pour un homme qu'une seule béatitude, mais ses activités sont
multiples.

6. La béatitude est inhérente au sujet heureux sans interruption. Mais l'activité


humaine est fréquemment interrompue, que ce soit par le sommeil, par une occupation
différente ou par le repos. La béatitude n'est donc pas une activité.

Cependant:

le Philosophe assure que "la félicité est une activité procédant d'une vertu
parfaite".

Conclusion:

Puisque la béatitude de l'homme est quelque chose de créé qui existe en lui, il
faut nécessairement dire que la béatitude est une activité. Elle est en effet
l'ultime perfection de l'homme. Or une chose est parfaite dans la mesure où elle
est en acte; car une puissance privée de son acte est imparfaite. Il faut donc que
la béatitude de l'homme consiste dans son acte ultime. Or il est manifeste que
l'activité est l'acte ultime d'un être actif, en raison de quoi Aristote l'appelle
son acte second. En effet, l'être en possession de sa forme active peut n'être
encore opérant qu'en puissance, comme l'homme qui possède la science est en
puissance par rapport à la considération de ce qu'il sait. De là vient qu'en ce qui
concerne toutes les autres choses, Aristote dit que "chacune existe en vue de sa
propre opération". Il est donc nécessaire que la béatitude de l'homme soit une
activité.

Solutions:

1. Le mot vie a deux sens. On dit la vie, pour désigner l'existence même du vivant,
et dans ce sens la béatitude n'est pas une vie, puisqu'il a été démontrée que
l'existence d'un homme, quelle qu'elle soit, ne saurait être sa béatitude. Chez
Dieu seul la béatitude est identique à l'existence. Mais dans un autre sens, le mot
vie désigne l'activité par laquelle le principe de vie qui existe dans le vivant
passe à l'acte. C'est dans ce sens que nous parlons de vie active, de vie
contemplative, de vie voluptueuse. C'est ainsi que la fin ultime est appelée vie
éternelle. On le voit à ces paroles du Christ en S. Jean (17, 3): "La vie
éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu."

2. Boèce, dans la définition qu'on rappelle, n'a considéré que la notion générale
de béatitude. Prise ainsi en général, elle désigne le bien commun parfait, et c'est
ce que Boèce a exprimé en disant que la béatitude est "un état parfait grâce au
rassemblement de tous les biens", ce qui ne dit rien d'autre que ceci: le
bienheureux est dans un état de bien parfait. Mais Aristote a exprimé l'essence
même de la béatitude, montrant par quoi l'homme est dans cet état: par une certaine
activité. Aussi montre-t-il lui-même que "la béatitude est le bien parfait".

3. Il faut se rappeler qu'il y a, selon Aristote deux sortes d'action. L'une passe
du sujet opérant dans une matière extérieure, comme brûler ou couper. Et la
béatitude ne peut être une activité de ce genre, car une telle opération n'est pas
l'acte et la perfection de l'agent, mais plutôt du patient, comme on le voit au
même endroit. Mais il est une autre action qui demeure dans l'agent lui-même, comme
sentir, comprendre ou vouloir. Une telle action est la perfection et l'acte de
l'agent, et la béatitude peut donc être une activité de cette sorte.

4. La béatitude impliquant une certaine perfection ultime, selon les degrés divers
auxquels peuvent parvenir les êtres capables de béatitude, la béatitude aussi
présente divers caractères. En Dieu se trouve la béatitude par essence, car son
être même est identique à son activité, par laquelle il jouit de lui-même et non
d'un autre. Chez les anges, la béatitude est la perfection ultime réalisée par une
activité qui les unit au bien incréé; et en eux cette activité est unique et
perpétuelle. Chez les hommes, dans l'état de la vie présente, la perfection ultime
est acquise par une activité qui unit l'homme à Dieu; mais cette activité ne peut
être ni continue, ni par conséquent unique, car l'activité se multiplie par ses
interruptions. Pour ce motif, dans l'état de vie présente, la béatitude parfaite ne
saurait être possédée par l'homme. Aussi le Philosophe-, plaçant la béatitude de
l'homme en cette vie, la dit-il imparfaite, concluant après de longs
développements: "Nous les appelons bienheureux, comme le sont des hommes." Mais
Dieu nous promet la béatitude parfaite, quand nous serons, selon l'Évangile (Mt 22,
30) "comme des anges dans le ciel".

Donc, si l'on parle de cette béatitude parfaite, l'objection tombe; car dans cet
état bienheureux, l'esprit de l'homme sera uni à Dieu par une activité unique,
continue et perpétuelle. En ce qui concerne la vie présente, autant nous y sommes
éloignés de la béatitude parfaite, autant nous sommes loin de l'unité et de la
continuité d'une telle activité. Toutefois, il nous reste une certaine
participation de la béatitude, et d'autant mieux que notre activité pourra être
plus continue et plus une. C'est pourquoi la vie active, qui comporte de nombreuses
occupations, est moins apparentée à la béatitude que la vie contemplative, tournée
vers un seul objet, qui est la contemplation de la vérité. Si parfois l'homme
n'exerce pas en acte une telle activité, il est toujours à même de l'accomplir; et
comme il ordonne à elle cela même qui l'interrompt, comme le sommeil ou une
quelconque occupation de la nature, l'activité semble être continuelle.

5. 6. Cela donne la réponse aux dernières objections.

ARTICLE 3: La béatitude est-elle une activité de la partie sensible de l'âme, ou


seulement de sa partie intellectuelle?

Objections:

1. Il semble que la béatitude doive consister aussi en une activité des sens. En
effet, aucune activité de l'homme n'est plus noble que celle des sens, sauf
l'activité intellectuelle. Mais celle-ci dépend en nous de l'activité des sens,
puisque nous ne pouvons penser sans images, selon Aristote. Donc la béatitude
consiste aussi en une activité sensible.

2. La béatitude est, définie par Boèce, "un état parfait grâce au rassemblement de
tous les biens". Or il y a des biens sensibles que nous atteignons par l'activité
des sens. Il semble donc que celle-ci soit requise pour la béatitude.

3. La béatitude est un bien parfait, comme le prouve Aristote. Or cela ne serait


pas si l'homme n'était perfectionné par elle selon toutes les parties de son être.
Or les activités de l'ordre sensible perfectionnent certaines parties de l'âme.
Donc l'activité sensible est requise pour la béatitude.

Cependant:

les bêtes ont en commun avec nous les activités sensibles, et non la béatitude.
Donc la béatitude ne consiste pas en de telles opérations.

Conclusion:

Une chose peut avoir rapport à la béatitude de trois manières - essentiellement, à


titre d'antécédent, et à titre de conséquent. En ce qui concerne l'essence,
l'opération sensitive ne peut appartenir à la béatitude; car la béatitude de
l'homme consiste essentiellement dans son union avec le bien incréé, qui est sa fin
ultime, nous l'avons montré, et à ce bien-là l'homme ne peut être uni par une
activité des sens. De même, nous savons que la béatitude humaine ne consiste pas
dans les biens corporels, les seuls pourtant que nous puissions atteindre par les
sens.

Mais les activités sensibles peuvent avoir rapport à la béatitude soit comme
antécédents, soit à titre de conséquence. Comme antécédents, en ce qui concerne la
béatitude imparfaite telle qu'on peut la posséder en cette vie, pour cette raison
que l'activité de l'intellect exige celle des sens. A titre de conséquence, dans la
parfaite béatitude qui est attendue dans le ciel, parce que, après la résurrection,
ainsi que l'explique S. Augustin, la béatitude de l'âme refluera pour ainsi dire
sur le corps et sur les sens corporels pour rendre leurs activités plus parfaites.
C'est ce qu'on verra plus clairement quand nous traiterons de la résurrection. Mais
dans cet état, l'activité par laquelle l'esprit de l'homme sera uni à Dieu ne
dépendra pas des sens.

Solutions:

1. Cette objection prouve que l'activité des sens est nécessaire, à titre
d'antécédent, à la béatitude imparfaite telle qu'on peut la posséder en ce monde.

2. La béatitude parfaite, telle que les anges la possèdent, réalise la plénitude de


tous les biens par l'union à leur source de tout bien, sans qu'il soit besoin de
biens singuliers. Mais dans notre béatitude imparfaite nous avons besoin d'un
ensemble de biens qui nous suffisent pour l'activité la plus parfaite de cette vie.

3. La béatitude parfaite doit parfaire tout l'homme; mais ce sera grâce à une
répercussion de la partie supérieure sur l'inférieure. Dans la béatitude imparfaite
de la vie présente, c'est l'inverse qui a lieu: le perfectionnement de la partie
inférieure contribue à celui de la partie supérieure.

ARTICLE 4: Si la béatitude est une activité de la partie intellectuelle, est-elle


une activité de l'intellect ou de la volonté?

Objections:
1. Il semble que la béatitude consiste en un acte de la volonté. En effet, S.
Augustin écrit: "La béatitude de l'homme consiste dans la paix", selon ces mots du
Psaume (147, 14): "Il a fait de tes frontières un séjour de paix." Or la paix
relève de la volonté.

2. La béatitude est le souverain bien. Or le bien est l'objet de la volonté.

3. Au premier moteur correspond la fin ultime, de même que la victoire, fin


dernière de toute l'armée, est la fin du chef qui meut l'armée tout entière. Or le
premier moteur de toute l'opération est en nous la volonté, car c'est elle qui
actionne nos autres facultés, comme on le dira par la suite. Donc la béatitude
relève de la volonté.

4. Si la béatitude est une opération, ce doit être l'opération humaine la plus


noble. Or l'amour de Dieu, qui est un acte de la volonté, est plus noble que la
connaissance, opération intellectuelle, comme le montre l'Apôtre dans sa première
épître aux Corinthiens (chap. 13).

5. S. Augustin écrit: "Celui-là est bienheureux qui a tout ce qu'il veut, et ne


veut rien pour le mal." Et peu après: "Celui-là est proche d'être heureux qui veut
selon le bien tout ce qu'il veut; car ce sont des biens qui rendent heureux, et un
tel homme a déjà une part de ces biens, qui est sa propre bonne volonté. Donc la
béatitude consiste en un acte de volonté."

Cependant:

le Seigneur dit (Jn 17, 3) "La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le
seul vrai Dieu." Or la vie éternelle est notre fin ultime, nous l'avons dit. Donc
la béatitude de l'homme consiste dans la connaissance de Dieu, qui est un acte
intellectuel.

Conclusion:

Nous l'avons dit plus haut, deux choses sont requises pour la béatitude: l'une qui
est son essence même, l'autre qui est en quelque sorte son accident propre: la
délectation qui s'y ajoute. Je dis donc qu'en ce qui concerne l'essence même de la
béatitude, il est impossible qu'elle consiste en un acte de volonté. Il est clair
en effet, d'après ce qui précède, que la béatitude est l'entrée en possession de
notre fin ultime. Or l'entrée en possession de la fin ne consiste pas dans un acte
de volonté. Car la volonté se porte vers la fin, soit absente lorsqu'elle la
désire, soit présente lorsque s'y reposant elle y trouve son plaisir. Or il est
évident que le désir de la fin n'en est pas l'acquisition, c'est un mouvement vers
la fin. Quant au plaisir, il échoit à la volonté lorsque la fin est présente; mais
on ne peut pas dire, réciproquement, que quelque chose soit rendu présent du fait
que la volonté y prend plaisir. Il faut donc qu'il y ait quelque chose d'autre, en
dehors de l'acte de la volonté, par quoi la fin elle-même soit rendue présente à la
volonté.

Cela apparaît clairement quand on l'applique à des fins sensibles. Si l'on pouvait
acquérir de l'argent par un acte de volonté, le cupide serait en possession de cet
argent dès le moment où il veut l'avoir. Mais au départ l'argent lui manque; il
l'acquiert en y portant la main ou autrement, et alors il trouve son plaisir dans
l'argent qu'il possède. Ainsi en est-il en ce qui concerne notre fm intelligible.
Au départ, nous voulons obtenir cette fin intelligible; nous l'obtenons du fait
qu'elle nous devient présente par un acte intellectuel; et alors notre volonté se
repose avec plaisir dans la fin maintenant possédée.

Ainsi donc, l'essence de la béatitude consiste en un acte intellectuel; mais la


délectation consécutive à la béatitude appartient à la volonté; ce qui fait dire à
S. Augustin: "La béatitude est la joie de la vérité". Parce que la joie est la
consommation de la béatitude.

Solutions:

1. La paix ressortit à la fin dernière de l'homme; mais elle n'en est pas
l'essence; elle n'est à son égard qu'un antécédent et une conséquence. Un
antécédent en ce que tout élément perturbateur et tout obstacle sont écartés de la
fin ultime. Une conséquence, parce que désormais l'homme en possession de sa fin
ultime demeure apaisé, son désir ayant trouvé le repos.

2. Le premier objet de la volonté n'est pas son acte à elle, comme le premier objet
de la vue n'est pas la vision, mais le visible. Ainsi, du fait que la béatitude
concerne la volonté comme son premier objet, il résulte qu'elle ne se confond pas
avec son acte même.

3. Si la fin est appréhendée d'abord par l'intelligence, le mouvement vers la fin


commence dans la volonté. Et c'est pour cela que nous attribuons à la volonté le
dernier effet produit par l'acquisition de la fin, qui est la délectation ou
jouissance.

4. L'amour surpasse la connaissance quand il s'agit d'imprimer le mouvement. Mais


la connaissance précède l'amour quant au fait d'atteindre la fin; car ainsi que
l'observe S. Augustin, on n'aime que ce qui est déjà connu. Pour cette raison, nous
atteignons d'abord notre fin intelligible par une action de l'intellect, de même
que nous atteignons d'abord par les sens une fin de l'ordre sensible.

5. Celui qui a tout ce qu'il veut est bienheureux du fait même qu'il a ce qu'il
veut; mais s'il l'a, c'est par autre chose qu'un acte de volonté. Quant à ne
vouloir rien de mal, c'est là une prédisposition nécessaire à la béatitude. Enfin
la bonne volonté est placée par S. Augustin au rang des biens qui rendent
bienheureux, en ce sens qu'elle est une sorte d'inclination vers ces biens. C'est
ainsi que le mouvement rentre dans le genre auquel appartient son terme, et
l'altération dans le genre de la qualité qui en sera le résultat.

ARTICLE 5: La béatitude est-elle une activité de l'intellect spéculatif ou de


l'intellect pratique?

Objections:

1. Il semble que la béatitude consiste en une activité de l'intellect pratique. En


effet, la fin ultime de toute créature consiste dans son assimilation à Dieu. Or
l'homme ressemble plus à Dieu par l'intellect pratique, cause des choses qu'il
connaît, que par l'intellect spéculatif, qui reçoit sa connaissance des choses.

2. La béatitude est le bien parfait de l'homme, et l'intellect pratique s'ordonne


davantage au bien que l'intellect spéculatif, qui s'ordonne au vrai. Aussi est-ce
pour la perfection de notre intellect pratique que nous sommes appelés bons, et non
pour la perfection de notre intellect spéculatif, qui nous fait appeler savants ou
intelligents.

3. La béatitude est un bien de l'homme lui-même; or l'intellect spéculatif s'occupe


surtout de ce qui est extérieur à l'homme, et l'intellect pratique de ce qui
concerne l'homme, comme ses activités et ses passions. Donc la béatitude de l'homme
consiste davantage en l'activité de l'intellect pratique qu'en celle de l'intellect
spéculatif.

Cependant:
S. Augustin écrit: "Une contemplation nous est promise, qui est la fin de toutes
les actions et l'éternelle perfection des joies."

Conclusion:

La béatitude consiste dans l'activité de l'intellect spéculatif plus que dans celle
de l'intellect pratique, et cela se prouve de trois façons.

1° Si la béatitude de l'homme est une activité, il faut qu'elle soit son activité
la plus parfaite. Or l'activité heureuse la plus parfaite est celle de la faculté
la plus élevée s'appliquant à l'objet le plus élevé. Mais la faculté la plus élevée
de l'homme est l'intellect, et son objet le plus élevé est le bien divin, objet de
l'intellect spéculatif, non de l'intellect pratique. C'est donc dans une activité
de ce genre, dans la contemplation du divin, que consiste surtout la béatitude. Et
comme, selon Aristote, "chaque être paraît s'identifier à ce qu'il y a en lui de
meilleur", une telle activité est éminemment propre à l'homme, et la plus
délectable.

2° La contemplation est recherchée avant tout pour elle-même. Or l'acte de


l'intellect pratique n'est pas recherché pour lui-même, mais en vue de l'action, et
les actions à leur tour sont ordonnées vers quelque fin. Il est donc manifeste que
la fin dernière ne peut pas consister dans la vie active, qui ressortit à
l'intellect pratique.

3° Par la vie contemplative, l'homme entre en communication avec ce qui le dépasse,


avec Dieu et les anges, auxquels il est assimilé par la béatitude. Mais ce qui
regarde la vie active, les autres animaux l'ont en commun avec l'homme, bien
qu'imparfaitement.

Voilà pourquoi l'ultime et parfaite béatitude qui nous est promise dans la vie
future consiste tout entière dans la contemplation comme dans son principe. Quant à
la béatitude imparfaite, telle qu'on peut l'avoir ici-bas, elle consiste d'abord et
principalement dans la contemplation, mais aussi, secondairement, dans l'opération
de l'intellect pratique dirigeant les actions et les passions humaines, comme dit
Aristote.

Solutions:

1. On dit que l'activité de l'intellect pratique nous assimile à Dieu créateur.


Oui; mais cette assimilation a un caractère de pure proportionnalité; elle signifie
que l'intellect pratique est avec son oeuvre dans le même rapport que Dieu avec la
sienne. Au contraire, l'assimilation réalisée par l'intellect spéculatif se fait
par union ou par information, ce qui est une assimilation beaucoup plus parfaite.
Cependant, on peut observer qu'à l'égard de son objet principal de connaissance,
qui est son essence même, Dieu n'a pas de connaissance pratique, mais seulement
spéculatives.

2. Il est vrai que l'intellect pratique vise un bien qui est en dehors de lui; mais
l'intellect spéculatif porte son bien en lui-même, par la contemplation de la
vérité. Et si ce bien est parfait, par lui tout homme est rendu parfait et en
devient bon, ce qu'on ne peut pas dire de l'intellect pratique, qui ne fait
qu'ordonner à ce but.

3. Cet argument serait valable si l'homme lui-même était sa fin ultim; car alors la
considération et la mise en ordre de ses actions et de ses passions serait sa
béatitude. Mais puisque la fin ultime de l'homme est un bien différent et
extrinsèque, à savoir Dieu même, que nous atteignons par l'activité de l'intellect
spéculatif, il en résulte que la béatitude de l'homme consiste davantage dans
l'opération de l'intellect spéculatif que dans celle de l'intellect pratique.

ARTICLE 6: La béatitude consiste-t-elle dans la considération des sciences


spéculatives?

Objections:

1. Il semble bien. En effet, d'après Aristote "la félicité est une opération
procédant d'une vertu parfaite". Puis, lorsqu'il distingue les vertus, il n'en
reconnaîtg que trois spéculatives: la science, la sagesse et l'intellect, qui
toutes trois ont rapport à l'étude des sciences spéculatives. Donc la béatitude
dernière de l'homme consiste dans l'étude des sciences spéculatives.

2. La béatitude ultime de l'homme doit être un objet que tous désirent


naturellement, et désirent pour lui-même. Or telle est l'étude des sciences
spéci.ilatives, car, selon Aristote, "tous les hommes désirent naturellement
savoir", et il ajoute que les sciences spéculatives sont recherchées pour elles-
mêmes. Donc la béatitude consiste dans l'exercice de ces sciences.

3. La béatitude est la perfection ultime de l'homme, et chaque être se perfectionne


selon qu'il passe de la puissance à l'acte. Or l'intellect humain passe de la
puissance à l'acte par l'étude des sciences spéculatives. C'est donc dans cette
étude que consiste la béatitude ultime de l'homme.

Cependant:

on lit dans Jérémie (9, 22) "Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse", et le
prophète parle de la sagesse des sciences spéculatives. Ce n'est donc pas dans
l'étude de ces sciences que consiste la béatitude ultime de l'homme.

Conclusion:

Comme nous l'avons dit récemment, on distingue deux sortes de béatitude, l'une
parfaite et l'autre imparfaite. Il faut entendre par béatitude parfaite celle qui
atteint à la vraie et pleine notion de la béatitude, alors que la béatitude
imparfaite ne va pas jusque-là, mais participe seulement d'une certaine
ressemblance partielle de la béatitude. C'est ainsi que la prudence parfaite se
trouve chez l'homme qui possède la claire notion de ses actes, tandis que la
prudence imparfaite est le fait de ces animaux qui sont régis par des instincts
spécialisés pour accomplir des actions qui ressemblent à celles de la prudence.

Donc la béatitude parfaite ne saurait consister en l'étude des sciences


spéculatives. Pour l'établir, il faut observer que l'étude d'une science
spéculative ne s'étend pas plus loin que la portée de ses principes; car dans les
principes d'une science la science tout entière est virtuellement contenue. Or les
premiers principes des sciences spéculatives sont reçus par les sens, comme le
démontre le Philosophe. Il s'ensuit que toute l'étude des sciences spéculatives ne
peut s'étendre au-delà de ce que nous apprend la connaissance sensible. Or, la
connaissance des choses sensibles ne peut pas constituer la béatitude ultime de
l'homme, qui est sa perfection suprême. En effet, rien n'est perfectionné par ce
qui lui est inférieur, à moins que cela ne participe d'une réalité supérieure. Or
il est bien évident que la forme d'une pierre, par exemple, ou de toute autre
réalité accessible aux sens, est inférieure à l'homme. Il s'ensuit que la forme de
la pierre ne perfectionne pas l'intellect par le fait qu'il s'agit d'une pierre,
mais parce qu'il y a dans cette forme une participation de quelque chose qui est
au-dessus de l'intelligence, à savoir la lumière intelligible ou quelque chose de
semblable.

Mais tout ce qui se produit en vertu d'autre chose se ramène à ce qui existe par
soi. Il faut donc que la perfection ultime de l'homme soit procurée par la
connaissance d'une réalité supérieure à l'intellect humain. Or on a montré
antérieurement que par les choses sensibles on ne peut s'élever à la connaissance
des substances séparées, qui sont au-dessus de l'intelligence humaine. Il reste
donc que la béatitude ultime de l'homme ne saurait consister dans l'étude des
sciences spéculatives. Toutefois, de même que dans les formes sensibles est
participée une certaine similitude des substances séparées, ainsi l'étude des
sciences spéculatives offre une certaine participation de la vraie et parfaite
béatitude.

Solutions:

1. Le Philosophe parle là de la béatitude imparfaite, telle qu'elle peut se


réaliser en cette vie, ainsi que nous venons de le dire.

2. Tout le monde désire savoir; mais il ne s'ensuit pas que le savoir soit la
béatitude parfaite, car le désir ne vise pas uniquement la béatitude parfaite; on
désire naturellement aussi une similitude ou une participation quelconque de cette
béatitude.

3. Par l'étude des sciences spéculatives notre intellect est amené d'une certaine
manière à son acte, mais non pas à son acte ultime et parfait.

ARTICLE 7: La béatitude consiste-t-elle dans la connaissance des substances


séparées, c'est-à-dire des anges?

Objections:

1. Il semble que oui, car S. Grégoire l'a dit dans une homélie: "Il ne sert à rien
d'assister aux fêtes des hommes, si l'on ne peut se mêler à celles des anges", par
quoi il désigne la béatitude finale. Mais nous pouvons participer aux fêtes des
anges en contemplant ceux-ci. Il semble donc que la béatitude ultime de l'homme
consiste dans la contemplation des anges.

2. Chaque être trouve son ultime perfection dans l'union avec son principe, ce qui
a fait appeler le cercle une figure parfaite, parce qu'il a une fin identique à son
principe. Mais le principe de la connaissance humaine vient des anges, s'il est
vrai, comme l'assure Denys, qu'ils nous illuminent. La perfection de l'intellect
humain est donc dans la contemplation des anges.

3. Chaque nature est parfaite quand elle rejoint, pour s'y unir, la nature qui lui
est supérieure; ainsi la perfection ultime de la nature corporelle est de s'unir à
la nature spirituelle. Mais au-dessus de l'intellect humain se trouvent placés les
anges, selon l'ordre de la nature. Donc l'ultime perfection de l'intellect humain
est d'être uni aux anges par la contemplation.

Cependant:

Jérémie nous dit (9, 29) "Celui qui veut se glorifier, qu'il mette sa gloire en
ceci: avoir de l'intelligence et me connaître." Donc la gloire suprême, la
béatitude de l'homme ne consiste que dans la connaissance de Dieu.

Conclusion:

Nous l'avons déjà dit, la parfaite béatitude de l'homme ne consiste pas dans ce qui
est la perfection de l'intellect, selon qu'il participe d'un autre être, mais bien
dans ce qui est tel dans son essence même. Or il est évident qu'une chose ne peut
perfectionner une puissance que dans la mesure où ce qui caractérise l'objet lui
appartient. Mais l'objet propre de l'intellect est le vrai. Ainsi l'objet qui ne
représente qu'une vérité participée ne peut, quand on le contemple, perfectionner
l'intellect en lui donnant sa perfection ultime. Et puisque, selon Aristote, la
condition des choses est la même par rapport à l'être et par rapport à la vérité,
tout ce qui est être par participation est vrai aussi par participation. Or les
anges ont un être participé puisqu'en Dieu seul il y a identité de l'existence et
de l'essence, comme nous l'avons montré dans la première Partie. Il reste donc que
Dieu seul est la vérité par essence et que sa contemplation rend parfaitement
heureux. Rien n'empêche toutefois de trouver quelque béatitude imparfaite dans la
contemplation des anges, et même plus élevée que dans l'étude des sciences
spéculatives.

Solutions:

1. Nous participerons aux fêtes angéliques non seulement en contemplant les anges,
mais en contemplant Dieu avec eux.

2. Dans l'opinion de ceux qui attribuent aux anges la création des âmes humaines,
il est assez logique de dire que la béatitude de l'homme consiste en la
contemplation des anges, puisqu'ainsi l'homme serait uni à son principe. Mais cette
théorie est erronée, comme nous l'avons fait voir dans la première Partie. Il
s'ensuit que l'ultime perfection de l'intellect humain n'est obtenue que par
l'union à Dieu, principe premier à la fois de la création de l'âme et de son
illumination. L'ange illumine seulement comme ministre, nous l'avons reconnu dans
la première Partie, et ainsi, par son ministère, il aide l'homme à conquérir sa
béatitude, mais il n'en est pas l'objet.

3. Le fait, pour une nature inférieure, de rejoindre la supérieure, peut se


réaliser de deux façons. D'abord, par rapport au degré de la faculté participante,
et ainsi la dernière perfection de l'homme consiste en ce qu'il arrive à contempler
comme les anges contemplent. Ensuite, quant à l'objet qui est atteint par la
faculté; et de cette manière la perfection ultime de n'importe quelle puissance
consiste à atteindre ce qui réalise pleinement la raison de son objet.

ARTICLE 8: La béatitude consiste-t-elle dans la vision de l'essence divine?

Objections:

1. Il ne semble pas; car selon Denys, le suprême effort de l'intelligence consiste


à s'unir à Dieu comme à un être totalement inconnu. Or ce qui est vu dans son
essence n'est pas totalement inconnu. Donc, la perfection ultime de l'intelligence,
ou béatitude, ne consiste pas à voir l'essence divine.

2. Ensuite, la perfection d'une nature supérieure est elle-même supérieure. Or


c'est la perfection propre de l'intellect divin de voir sa propre essence. Donc la
perfection ultime de l'intellect humain n'y atteint pas; elle demeure au-dessous.

Cependant:

on lit dans S. Jean (1 Jn 3, 2): "Lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons
semblables à lui et nous le verrons tel qu'il est."

Conclusion:

La béatitude ultime et parfaite ne peut être que dans la vision de l'essence


divine. Pour le prouver, il faut considérer deux choses. La première est que
l'homme ne saurait être parfaitement heureux tant qu'il lui reste quelque chose à
désirer et à chercher. La seconde est que la perfection d'une faculté doit être
appréciée d'après la nature de son objet. Or "l'objet de l'intelligence est "ce
qu'est" la chose, son essence", dit Aristote. D'où il résulte que la perfection de
l'intellect se mesure à sa connaissance de l'essence d'une chose. Donc, si un
intellect connaît dans son essence un certain effet, mais de telle sorte que par
cet effet il ne puisse parvenir à la connaissance de la cause dans son essence même
et savoir d'elle "ce qu'elle est", on ne peut pas dire que cet intellect atteigne
purement et simplement à l'essence de la cause, bien que, par l'effet envisagé, il
sache de cette cause "qu'elle est". Voilà pourquoi l'homme garde naturellement le
désir, quand il connaît un effet et l'existence de sa cause, de savoir en outre, au
sujet de cette cause, "ce qu'elle est". Et c'est là un désir d'admiration ou
d'étonnement qui provoque la recherche, comme dit Aristote au début de sa
Métaphysique. Par exemple quelqu'un, voyant une éclipse de soleil, comprend qu'elle
doit avoir une cause, et parce qu'il ignore ce qu'elle est, s'étonne, et son
étonnement le pousse à chercher. Et son investigation n'aura pas de repos avant
qu'il soit parvenu à connaître l'essence de cette cause.

Donc, si l'intellect humain, connaissant l'essence d'un effet créé, ne connaît de


Dieu rien d'autre que son existence, il n'est pas assez parfait pour atteindre
véritablement à la cause première; mais il garde le désir naturel de découvrir
cette cause. Aussi n'est-il pas encore parfaitement heureux. Il est donc requis
pour la parfaite béatitude que l'intellect atteigne à l'essence même de la cause
première. Et ainsi il possédera la perfection en s'unissant à Dieu comme à son
objet, en qui seul consiste la béatitude, comme nous l'avons dit récemment.

Solutions:

1. Ce texte de Denys concerne la connaissance de Dieu chez ceux qui sont sur le
chemin de cette vie et tendent à la béatitude.

2. Nous l'avons déjà dit, le mot "fin" se prend en deux sens. Il signifie la
réalité même qui est désirée, et en ce cas la fin est la même pour la nature
supérieure et pour la nature inférieure, voire pour tous les êtres, comme on l'a
établi précédemment. Mais la fin se prend aussi pour l'entrée en possession de la
réalité désirée, et alors la fin est différente chez la nature supérieure et chez
la nature inférieure, à cause du rapport différent qu'elles entretiennent avec
cette réalité. C'est ainsi que Dieu, du fait qu'il saisit pleinement sa propre
essence par son intellect, a une béatitude plus haute que l'homme ou l'ange, qui
voit cette essence, mais ne la saisit pas pleinement.

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