Archives non-européennes de la philosophie Semestre 1 Mercredi 12h-15h Licence, Master, Doctorat Arracher la philosophie à une géographie qui, aujourd’hui encore, lui fait confondre les limites de son « territoire » avec les frontières, réelles ou fantasmées, de l’Occident : tel est, dans son expression la plus générale et encore négative, le programme poursuivi par plusieurs membres de notre département qui tou.tes partagent l’exigence de potentialisation réciproque entre la relecture critique des traditions philosophiques occidentales et leur décentrement, impliquant la révision de leurs suppositions métaphysiques et anthropologiques non moins que des historiographies dominantes de la philosophie. Ce séminaire vise à rassembler les forces et à confronter des approches hétérogènes, en associant étroitement les étudiant.es à cette entreprise à laquelle nous voudrions prêter une dimension non seulement descriptive mais aussi prescriptive en terme d’enseignement et de recherche philosophiques en France. Explorer les archives non-européennes de la philosophie, tâche indissociable de leur (re)construction, s’entend ici en un triple sens. Il s’agit, premièrement, de réinterroger le canon de la discipline, ses sujets, auteurs et textes de référence, et de mesurer les effets engendrés par sa confrontation à une série de savoirs, et contre- savoirs, produits hors d’Europe, qu’ils se soient donné le nom de philosophie ou non. Il s’agit, deuxièmement, de reconsidérer ses objets en analysant la manière dont la « rencontre » entre l’Europe et les mondes non-européens, sous le signe dominant de la violence (esclavagiste, coloniale, impérialiste) mais aussi de la résistance, a contribué à configurer tout un ensemble de problèmes philosophiques plus ou moins classiques, que de singuliers refoulements ont rendus en apparence étrangers à ces mêmes expériences de violence et de résistance. Il s’agira troisièmement d’interroger l’entreprise même de constitution d’archives non-européennes, en tentant de se déprendre des concepts et des distinctions imposés par la cartographie coloniale de la philosophie, et, partant, de questionner la formation des catégories canoniques de « philosophie européenne/occidentale » et de mesurer les limites de distinctions telles que Europe/non-Europe, Occident/non- Occident. Lieu d’expérimentation et d’élaboration théorique, ce séminaire alternera séances de réflexion collective, exposés de participant.es au séminaire et interventions d’invité.es extérieur.es. Le programme du semestre sera donné lors de la première séance. ————————————————————— KISUKIDI NADIA YALA La bibliothèque coloniale Semestre 1 Jeudi 12h-15h Licence, Master En 1988, Valentin Mudimbe publie The invention of Africa. Dans cet ouvrage, Valentin Mudimbe mobilise la pensée foucaldienne pour montrer comment le contenu du signifiant « Afrique » a été construit par un ensemble de discours coloniaux. Ces différents discours produits par les missionnaires, les ethnologues, les philosophes, les récits de voyageurs etc., forment une partie du corps de la « bibliothèque coloniale ». A travers plusieurs écrits, dont The idea of Africa (1994), Valentin Mudimbe tente de spécifier, de circonscrire le corpus de cette bibliothèque et d’en former le concept ; pour ce faire, il ne s’arrête pas seulement sur les écrits de la période coloniale mais remonte également aux écritures de la Grèce Antique. Les constructions gréco-romaines de l’altérité articulées aux concepts de barbarie ont formé une idée de l’Afrique qui circule, peu altérée, dans les récits européens du XIXe siècle. Ces récits ont contribué à forger la matrice conceptuelle à partir de laquelle une certaine conception de 24 l’Afrique a pu se former : l’Afrique est l’autre absolu, négatif de l’Europe qui, pour être sauvé de lui-même, doit être converti. Altérité et conversion donnent corps à cette idée de l’Afrique construite par la bibliothèque coloniale. L’enjeu de ce séminaire consistera à spécifier le concept de « bibliothèque coloniale » qui structure le projet archéologique de Mudimbe. Quel est son corpus textuel ? Qui a contribué à la construire ? Est-elle strictement européenne ? Sur quels montages temporels repose-t-elle ? Dans le contexte intellectuel contemporain où « Ecrire le monde depuis l’Afrique », comme y invitent les penseurs Sarah Nutall et Achille Mbembe dans « Writing the world from an african metropolis », définit désormais les cadres d’un vaste projet scientifique global, il s’agira également d’examiner les usages, revendiqués ou clandestins, de cette bibliothèque dans les écritures contemporaines africana. Indications bibliographiques : Michel Foucault, Les Mots et les choses (1966), Paris, Gallimard, Tel, 1990 Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, Tel, 1969. Valentin Y. Mudimbe, The Invention of Africa, Bloomington-Indianapolis-London, Indiana University Press - James Currey, 1988. Valentin Y. Mudimbe, The Idea of Africa, Bloomington-Indianapolis-London, Indiana University Press - James Currey, 1994. Valentin Y. Mudimbe, L’odeur du père, Paris, Présence Africaine, 1982. Achille Mbembe Felwine Sarr, Ecrire l’Afrique-Monde, Paris, Philippe Rey, 2017.