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|| A tt } Sa é A ss a) r ~~ ‘ + i NS a e 5 an TaN See aaa pasar 3 Wt sis leze- M 07952 .298- F:5,90€-AD « Enfin un atlas historique pour les lecteurs du XXI° siécle ! » Delphine Papin - Se Monde Depuis 40 ans, aucun grand projet d’atlas historique généraliste niavait été réalisé. En 515 CARTES INEDITES Christian Grataloup et la revue L'Histoire nous racontent la marche du monde, des origines de l'Humanité a aujourd'hui. HISTORIQUE Unatlasalafoisalapointedela MONDIAL recherche historique et accessible au plus grand nombre. Avec une introduction de Patrick Boucheron. 670 pages - 29,90€ Des renvois vers Des cartes de grande taille " d’autres cartes, et trés lisibles a = Des chronologies détaillées Des commentaires historiques Des cartes téléchargeables en PDF surle site wwwihistoire.fr/atlas Wfiistoire - Les Arénes édito Pour quels « jours heureux >... Par Nicolas Domenach ¢ livre avaiedisparu. Labibliothéque n’en soulfaic pas, apparemment. Maisily avait tun manque. Commande fue done passée et Vouvrage livré le 16 mars, comme pour entamer le confinement du lendemain. Il Sagissait du... Retour du tragique de Jean- Maric Domenach, ex dircereur de la re vue Esprit, et mon pére par ailleurs. Louvrage, publié en 1967, avait fait quelque bruit car, dans Finsouciance des Trente Glorieuses, il rappelait, enrevenantau théétreet la littérature, qu'il n'est pasde « bonheur innocent », que « tout homme heureuxestcoupable », comme’ éerivait Charles Péguy. Mais lorgueilleux veut toujours oublier Jes avertissements, s’écourdir d'un présent sans muage qui lui fait négliger les orages. Alors commene fabriquons-nous aujourd’ hui notre propre épidémie meurtriére? Pour nous éclairer, des lamiéres intellectuelless'allument parcout dans ces nuits de tragédie, Ceraines $ éteignent,ilestvrai, qui ont balisé nos chemins de vie, Par exemple Luis Sepilveda, I’écrivain chilien, merveilleux conteur di Views qui lisait des romans d ‘amour. Dans sa dématche, 'écri- ture était un acte de justice, de résistance, la lec- fraternité, Albert Uderzo sen est allé aussi. Ce ne fut pas du Covid 19. Tour de méme, 'inventeur de la potion magique... C'est. Je coeur qui alaché, Mais Astérix, Obelix, Idéfix, Bonemine et Falbala ne nous quittent pas. autres déboulent des planches d'Uderzo, tel le rage de Massilia, le professcur Raoult. Irréduc- tibles Gaulois... De partout sortent des penseurs pour comprendre I’épreuve que nous traversons etsaisirles moyens de sen sortirau mieux. I nest certes pas acquis que laprés ne recommence pas comme lavant. On sait la tyrannie du statu quo, Ialogique del ordre cedesineéxéts éeablis que ren- forcent la peur de ."inconnu, le soulagement avoir évité le pire cla force des puissants vou lane retrouver leur monde d’hier. Aprés 2008, tout déji devait étre refondé; et tout a recor ‘meneé, quasi comme i de rien n' était. La batalle du progrisn’éeaie mime plus liveée par des pro gressistes qui abandennaientlechamp de batalle puisque le capitalisme mondialisé avangait son train, Un traind’eni Ex voila que cette bataille reprend. Au moins avons-nousen Frane: « progressé >» surlessiécls 6 II n’est pas acquis que Paprés ne recommence pas comme Pavant. e@ passés, Nous ne nous perdons plus dans « fa fie reur des dicux et le: fautes & expier ». Voltaire nous ena vaccinés, qui avait refusé de voir dans Je tremblement de :erre de Lisbonne en 1755 < un chitimene divin ». Ee gare aux eollapso- Jogues qui voudraient nous faire croite qu’apres Ia punition de Dieu viendrait celle de la Narure. Tl nous faudra progresser davantage encore vers plus de scence sant doute, mais ps d-hurnain d'abord. Un progréspour quoi? Pour qui? Pour duels « jours heureux », puisqu'est reprise Ia bition du Conseil national de la résistance qui avait ainsi baptisé son programme d'espérance ? Pour répondre cs interrogations, nousavons appelé la science-ficton, ses univers ses eréatures de métal et de chair,de matiére immatérelle, es extraterrestres, ses contre-sociétés de réve. Liex- tension du domaine de la lutte pour un autre ‘monde passe par expansion de imaginaire. aAooaIwe Découvrez la collection Magazine Nouveaux REGARDS Tisteralze ‘ette collection de poche pose un ceil neuf sur les grands auteurs de la littérature ‘et de la philosophie. Sont ainsi rassemblés des syntheses de référence, des analyses imprévues et des points de vue d'une grande variété. = Montaigne fang ued I = = La fin - certitudes plaisi ipennemnenremennnrennnee nent nn ett! ‘Sophia Boutique - 4 rue de Mouchy - 60438 Noailles Cedex opt We 1 cal @ accept recov ga mal, des infomation de Sophia Publeatons ee es partenaires. one chs err cig inked op Pesto Cl care bree a. wLLL LiL LiL LE cure tooefa LLL oan big i ee 3s tepaue Siew TE a ot le anv ae at aan at Ae Tom Ha coMMUNDE | Seas HPSS 207088” Era Z Stee actors nr enced peaees Staion bp ncenaan con fants ness bias cc strips paar apa 5 sommaire dito par Nicolas Domenach 5 Chroniques 8 Dénuement aux morts par Robert Maggior! 10 Rites de passage entretienavec Thomas Laqueur Journaux de confinement bar Amaud Viviant ‘Ave Uderzo! par Stephane Audeguy 16 Liu Xiaobo bar Pierre Haski Ouest le progres? 20 Livresen phrases ascendantes par Alexandre Gefen 22 Lascience, un conte de falts par Patrice Bollon 24 La machine infernale ‘entretien ovee Achile Mbembe 26 Tomber vers le haut par Yves Citton 29. Economie : a politique «du PIB par Patrice Ballon 31. Sortir des bulles bar Francois Morin 32. Agauche, un débat ming par Stéphanie Roza Le vert est dans le fruit par Hervé Aubron 35 loge de Iindisponibitité lentretion avec Hartmut Rosa 37. Prenez votre temps par Manon Houtart 38 Cristina Comencini, lamessagére du désort par Marie-Dominique Leliévre Gels cecsver canes ater Serums eS os eu. Lectures en differé ‘Adam Johnson ar Alexis Brocas Mia Couto par Manon Houtart Eric Chauvier par Marie Fouquet et Manon Houtart Gabrielle Wittkop ar Bernard Quiriny Roberto Bolafio or Gabriela Tilo Chansons de gestes entretien avec Anne Dubos Guy Debord par Hervé ‘Aubron et Alexandre Gefen Jacques Ranclere ar Alexandre Gefen Didier Blonde par Olivier Cariguel Eric Chevillard par Piorre-Edouard Peillon lakovos Kambanellis, ar Fabrice Colin Science-fiction 68 70 2 16 78 a0 2 a4 86 88 Issues de secours ar Alexis Brocas Herbert, Asimov, Bradbury Narrés au décollage par Hubert Profongeau Do you speak globish? ar Frédéric Landragin Alain Damasio par Marie Fouquet lis nous Favaient bien dit! par Jean-Francois Paillard Galaxies africaines par Hubert Prolongeau UVinvention de nouveaux sgenres par Sandrine Sami Humains, plus trop humains ar Alexis Brocas ‘Au cinéma, Nodyssée de rimpasse ar Herve Aubron . —_lachronique philo_ oe == e J lachronique de Marylin Maeso ey de Franz-Olivier - SF Giesbere a§ Des milliers d’yeux me regardent! La drdle de guerre ‘actrice Arielle Dombasle, qui est vegétarienne comme moi. mia dit un jour pour defini pn ussommesenquerre.» _reane de rhypotypose au. dans Voyage son régime :« Je ne mange jamais, Cemantra solenne, » des mores, comme ils ne voient plus les animaurxde la ferme ou les poissons. dé sormais wus comme de petits rectangles Philosophe, cofondateur des Rencontres philesophiques de Monaco (Philomenaco. Com), Robert Magglor! a notamment pubs, ‘avec Charlotte Casiraghi, Archipel des passions (Soul, 2018). Par Robert Maggiori dechairroulésdans|a panure. Laguerre clle-méme avaicréussi parla technologie Arendrela more « intel » Ase mace clle-méme en quelque chose qui « n/a paslicu » ~ qu’on se souvienne desana Iysesde Jean Baudrillard -. se cransfor- ier en jeu vidéo ott des erajetoires de boules vertes se croisaiene dans le ciel ‘opaque de Bagdad. ‘Mais 'anonymat messied 3 la mort. Aussi a-telle brutalement été tous ses voiles, se montrant dans son obscéne nnudité: des millers de silhouettes hu- maines tombant dans la poussiére du haut de gratte-ciels, des corpsagenouil lésdécapités dans le désert, descadavres jonchant le sol d'une salle de concert, dune rédaction de presse, dune terrasse de café, d'une voie de promenade lon- geant la mer... « Me revoila! », rica nait-lle, montrant chaque jour son ceuvre,surlesterrainsdes guerresceiviles ou lesrivesd’une Méditerranée devenue fosse commune. Pour lui faire fice, on <« retenait » ceux et edles quelle avait cemporté-c-s:on floguaitleurs nomssur nos tshirts, on déposaicdes bougies, des flrs et des dessins d enfants a de ‘meuraient encore, indélébiles, les traces, de leur sang, on chantai, on se réunis- sait, on défilait dans les rues serrés les ‘unsaux autres, on faisat « humanité > contre la barbarie, on organisait des ob- seques nationales ~ nous impliquant tous, done on commémorait,on com: MISE EN BIERE INMEDIATE A présent, elle revere de nouveau ses voiles et ses masques, imitant ainsi le vecteur invisible qui Pa portée, de Wu- han a Codogno, de Mulhouse & Paris, Madrid, Londres, New York... Aussi ne -oit-on méme pas les corps sur les- fuckelle seatjetée En raison dela peur de la contagion, des mesures de procec- tion nécessaires prises pares soignants, des exigences therapeutigues, is di raissent, comme ceux des médecins, sous les appareils respiratoires, les masques,lescharlottes, lesblouseset es surblouses, escombinaisons les housses en plastique, les scaphandres.. Evils dis paraissent encore davantage lorsque le virus le dessus — car ils ne deviennent pas cadavres, appelane une eérémonie 4quelesvivants organisent pour saluerce guid’euxdemeure jamais, Asavoirleur sumanité, mais des « pointillés » qui prolongent unecourbe de morealit; les chiffres d'une série, des numéros. Wu'une personne soit réduite & un nu ee eve url avant bas, evoqu des mauvais souvenirs. Mais, 4 V’ére du vid-19, il n'y aucun « bourreau ». Cres la « situation », l’émergence sa- nicaire, dont personne ne contestelalé- sgitimité, qui, de fait, entraine la dé- personalisation : hors de la stricte ee Des corps pointillés, inscrits dans une courbe de mortalité. @ intimieé, Arousles mortson aarraché le nom, oté le « visage ». Les familles et les proches ont perdu « quelqu'a » —unétre singulier, une partie unique et irremplacable de Phumanité, une voix, tune démarche, un regard, une his- toire-, maislasociéeé elle, n’aura perdu « personne », et saura seulement que, dans les dernitres vinge quatre heures, ilyacu 562 décés. Le temps du soin et de la cure est presque toujours le emps de lurgence, quill affronte un AVC ou une crise car- diague. Maiscelui dune pandémie, qui oblige rourla fois’ sauver ceux quisone acteints ev protéger ceux qui ne le sone pas mais risquent de I’étre, est un ‘« temps global », tout entier fixe surle présent, qui laisse en suspens ou écarte toutle reste, Delachambre d’hépital ou d’Ehpad & la chambre mortuaire, le « lapsde temps » doit étrele plus rapide possible, afind éviter tout contact, toute possibilitéde contagion. C'est méme par déeret (Journal oficie du 2 avril 2020) puisque laloiérablie deja que lecadavre est lui-mémesa propre sépuleure — que Yon dispose l'interdiction de pratiquer sures personnes décédées|es « soinsde eS Thomas Laqueur RITES DE PASSAGE Entretien avec Phistorien américain, spécialiste du corps dans tous ses états, sur les disparités des cultes accompagnant ceux qui ne sont plus. ‘Thomas Laqueur est un historien ‘américain qui étudie les representations et les pratiques du corps. Apres avoir révolutionné la aifférence des genres (La Fabrique du sere), i est intéressé au traitement des corps et des personnes disparues dans Le Travail des morts. Une histoire cutturelle des dépouilles ‘mortuaires (en francais chez Gallimard). i éclaire pour nous le traitement que la pandémie fait subir aux mourants, ‘ux corps morts et leurs proches. Dans les Ehpad francais totalement contfinés, les personnes Agées meurent seules. A "hopital, cette situation est devenue courante. Comment le fait de pes pouvolr accompagner ses proches ou en étre accompagné touche notre sensibilité? ‘Thomas Laqueur.~ Mourir dans son it entouré d'une famille aimante est un Iidéal qui date de la fin du xu siecle et se développe au xn'. Cest un aspect de ce que Philippe Aries a apoelé « la mort sentimentale », Les images des ars moriendi que nous avons de la fin du Moyen Age montrent le mourant ordinaire isle, entouré uniquement de démons et clanges, parfois sous le regard de Dieu et des saints. Dans les fats, nous ne savons pas combien de personnes sont mortes seules ou entourées de proches dans le passé Mais, avec faugmentation des déces dans les hépitaux depuis le début du rot siecle, cette imagerie du lit de mort idéal fabriquée dans les romans et les images du xo siécle a reculé, Néanmoins, aux Etats-Unis, la tendance sest de nouveau inversée, car les décés ’ domicile sous soins pallatits sont devenus plus courants, bien quils ne représentent encore que 20 % des cas ‘Au-dela de son aspect sociologiaue, ja uestion du moment de mourir souleve tune peur trés profonde: colle de mourir gnoré. Je crois que mourir comme si fon Lnietoren mdriain Tomas Lagueut ‘avait jamais vécu est un objet fanatheme depuss tres longtemps. Le fait qu'on sonne les eloches pour annoncer un décés dans les communautés chrétiennes témoigne de cette peur. « Ne demandez pas pour ui sonne le glas il sonne pour vous » =e vers de John Donne exprime la volonté ce mourir au sain d'un groupe. La pandémie exciut toute cérémonie aprasla mort Cette situation a-t-elle des précédents ? Pendant es guerres, la capacité de sSioccuper rituellement des morts~ civils ct militares ~ s'effondre, et les cadavres sont abandonnés ou jetés dans les fossés, Pourtant, ai note les efforts développés dans Farmée au début du xe¢ siale, et dans la vie civile beaucoup plus tot, pour maintenir un certain niveau d'attention aux défunts, méme dans les circonstances extrémes, Bien sOr, cela dépend de ce quion entend paar cérémonie funéraire, car les normes different énormément selon les endroit. Je soupconne quia Paris, ou 45 % des morts sont incinérés, un enterrement signifie quelque chose de trés différent de ce qui se passe en Haute-Marme = 0u8 Madagascar. ‘Comment le réle des employés funéraires a-tllévolué dans Phistolre? LLindustre funeraire telle que nous la Connaissons est une création du x siecle, et elle a toujours été critique ‘pour sos prix élovés, sos strategies de vente contrainte et ses employes indifférents. Dans presque toutes les cultures, ceux qui soccupent des ccadavres sont mis 8 'écart. Dans "industrie funéraire moderne, Une entreprise se trouve autorisée par "état a disposer des morts de maniére réglementée, En ce sens, ses employés ne sont pas différents de ceux ‘ui traltent des déchets dangereux ou _méme des ordures. Sauf que les corps ‘humains (part peut-étre dans les circonstances les plus horribles comme la Shoah, par exemple) ne sont jamais, ‘yus seulement comme des déchets: ils doivent étre éliminés et étre trates avec soin, Si l'on éargit la question ‘aux communautes religieuses qui sfoccupent des morts = confréries catholiques d'autrefois, ou hevra kadlcha juives aujourd'hui qui préparent les corps selon la tradition rtuelle-, leur présence signifie quelque chose qui n'a rien 8 voir avec calle des employes des pompes funebres. Les corps des victimes du Covid-19 sont lalssés sans aucun soin funéraire ou ‘cosmétique. Ce soin est-il dispensable? ‘auf dans des citconstances tout a fait ‘exceptionnelles, un embaumement qui ppermette & un corps davoir Iai décent est une création de la fin du xo siete ‘A vrai dire, ‘augmentation des soins Ccosmétiques pour les morts est en ‘grande partie une histoire du x¢ siécle ct doit a la coutume des funérailes a cercuell ouvert Le stockage des corps a Rungis provoque beaucoup d'émot. ‘Quels sont les précédents de morgues Improvisées? Et quelle est "économie dos cadavres dans histoire ? En temps normal, la nécessité de stocker les cadavres est fonction de la durée impartie par 'Etat - ou par le droit ccoutumier ~ entre la mort et finhumation ‘ou incinération, En France, je crois que le déla est de six jours, ce qui stanifie ‘uil existe des installations payantes, plus ou moins cheres, pour conserver les morts durant cet intervalle. Au Royaume-Uni et plus encore en Suede, le temps autorisé est plus long, et donc ily a plus despace de stockage disponible. Lorsque la Prusse, premier pays @ leaiferer sures delais entre lamortet 'inhumation, lintevalle état, de trois jours et la capacité des maisons ‘mortuaires a di étre ajustée fen conséquence. Aujourd'nul, avec le nombre de décts et les diffcultés 8 faire disparate les morts en temps ‘opportun en raison de la pénurie de fossoyeurs, d'employés de ccématoriums et autres travailleurs de Vindustrie funéraire, la demande de ‘morgues @ bien sur augmente jusqu’a saturer les dispositifs Il tait normal de recourir aux capacites supplémentaires fournies dans toutes sortes installations destinées au stockage {rigorifique comme on en trouve ‘aux Etats-Unis - ou & Runeis. I faut savoir quill arrive souvent, apres des catastrophes comme les tsunamis, que les habitants de régions sans morgue préferentlaisser les morts non enterrés, jusqu’a ce que des soins rituels puissent tre organisés. Les travailleurs de la santé trouvent cela inacceptable, et ils centerrent parfois 8 la hte les morts, en dépit d'un fait bien connu :les cadavres sont en général moins dangereux pour la santé que les vivants! Lorsqu'ls sont enterrés ou incinérés sans que personne ne pulsse les voir ou les toucher pour leur dire au revolt, les corps sont-ils déshumanisés? Prendre soin des morts, comme le it ‘Antigone, rest pas seulement une ccouturne pour "homme, mais une clare cexigence des dieux. Je ne suis pas str {que le comps soit déshumanisé. ‘On peut considérer, comme je lal dit, ‘que mourirignoré est une chose ignominieuse; mais un cadavre nest de toute faron plus humain. Lenjeu est donc ailleurs il 'agit de nous, des vivants ~ et bien sir de la personne ‘ui habitait autrefois ce corps. Vola ‘ceux qui peuvent se sentir diminués. Les familles improvisent des centerrements sur Facebook ‘ou WhatsApp. Cela peut-ilfonctionner? Jai trés peu dexpérience sur ce point. Cependant, dans mes études, {ai été impressionné par le fait que notre espéce, pour soigner et ‘pour se souvenir des morts, est capable lune ingéniosité infinio. ropes recuelis par Maxime Rovere eee conservation », [a toilette mor ttaire, et qu’on oblige & la « mise en bitre immédiate ». On meute seul, il estvrai, mais nl étre humain ne peut ~« partir » dune fagon aussi landes tine, sans recevoir un adieu, une ca- resse, un regard embrumé de larmes. Lanécessaire urgence sanitaire aétéap- pliquée pour sauver des vies: elle passauvéles morts,cllen’apassauveéla mort. Or, sauver la mort, tenir les ‘mores pour sacrés, est le fondement ‘méme dela culeure. UN HANGAR A RUNGIS Sans méme consulter des traités d'ethnologie et d’anthropologie, on peut simplement imaginer que, & Paube deI"humanité, les hommes, ré- unis au sein de lvikos (Ia « maison- nde », le « foyer », espace de vie construit autour du feu enfin mai- tisé), one fai preuve de mille ruses et expédients pour assurer leur survie et leur subsistance : ils ont tué des ani ‘maux et ont artaché des racines pour se nourris, ont fair fair d’autces hommes qui les menacaient, ont construit des murs, crouse et fertilisé la terre, et, pour amadouer des forces plus fortes qu'eux — qu’ils voyaient comme responsables des vents, des corages ou des incendies destructeurs -, les ont implorées, leur ont offert des sacrifices, espérantrecevoirde leur di vine bonté la préservation de ce qu’ils éeaiene, de ce qu’ils avaient et de ce wilsfaisaient.Telleestla « culture »: ensemble des procédés réels et sym- boliques ~ une palissade et un chane, un semis et une danse propitiatoire — qui visent, comme des mains entou- rant a bougie pour la protégerdu cou- ranca air, Faire que « cela pousse >, grandisse, miirisse,s'épanouisse en sécurité, Or, dans la culture ainsi congue, le « geste » le plusimportant est celui de la sépulture. La encore il faut imaginer un homme ou une femme qui, pour la premiére fois, voyant au sol le corps sans vie d'une secur, d'un pére, d'un fils, n'a pas voulu qu'il soit mangé parla terre ou dévoré par un animal, ea pensé len sevelir, en marquant l’espace tombal Punsigne une pieresune branche — quien significrat le caractére sacré, & savoir :nolitangere! Ne toucher. pas, ne profanez pas la terre ot git un des miens, Geste fondateus, assurément, carlecadavre d'un humain n'est plus, dis lors, destiné 4 se eonfondre avec la poussiére, ise fixe dansla mémoire de ceuxqui lui survivent, ou, plusexacte- ‘ment, eréent la mémoire : en faisant que soit sacrée a sépulture, que nul ne Ia profane, que le disparu ne s'éva- nouisse pas dans oubli et demeure, Phomme,de « point » qu'il ait, de- vient « ligne », ou lignée il garde der rire lui ceux qui ont précédé, et en transmet le souvenir 4 ceux qui vont venir. Ainsi apparait!"humanité, ainsi I'hommes‘inseritil dans une culture ec une histoire. Juela peur d une contagion (« hu- empéché ou réduit au minimum Por ganisacon des eéemonies funda, parlesquelles eetee culture et cette his- toirese perpécuent, devraicouvrir une réflexion collective, comme devrait alerter le fait que dans un hangar de Rungis ouune église de Bergameaiene été alignés des cercucils numérotés préts& étre emportés par un camion, qu’a Wuhan on ait fait la queue comme devant un supermarché pour aller tour a tour querir ks cendresdun parent perdu, que du edté de New York un bulldozer ait creusé dans la terre nue une sorte de tranchée oii dé- poser les bires en bois blane de ceux et celles done personne ne s'éeait en- quis. Car il sagit non d’un crime = personne ne I’'a perpétré — mais dune atteinte &l’humanité méme de Thome, d'une atteinte au « culte des morts » par lequel les hommes sont devenus humains. . SUR NOTRE SITE A Deulls bouleversés : que peut la littérature? Entretien avec Myriam Watthee-Delmotte, professeur 3 FUCLouvain, autrice de Dépasser la ‘mort. LAgir dea littérature (Actes Sud, 2019) et membre de l’Académie royale de Belgique, pays oi les écrivains se proposent, sur demande, de donner tun texte pour chaque défunt : www. ppoetenational.be/fleurs-de-funeralles/ les ide Ecrivains cloitrés Bonne confinuation ! Les auteurs qui ont récemment publié dans la presse leurs journaux de confinement ont été moqués, souvent a juste titre, Mais d'autres, bien avant la pandémie, de Xavier de Maistre a Thomas Clerc, s'y sont essayes avec bonheur. « confinement, quelle aubaine pourun éerivain! », sexelame Leila Slimani dans son « Journal de confinement », commande par Le Monde C'est un peu comme si Sade ‘ou Gramsci sexclamaient: « La prison, quelle aubaine pour un derivain ! », 04 Artaud : « Lasile, quelle chance pour un poéte! » Ne parlons pas d’Anne Frank... Bt a romanciére publige chez Gallimard de 'inquiéter d’ores et dg du nombre de « journaux de confine- ment » que son éditeur ne manquera pas de recevoir quand cet épisode sera fini, Lisant cela, on ne peut s'empécher de songer & la sarcastique « mytholo- gie > que Barthes consaere & « I’éeri- vain en vacances ». II suffic de rempla- cer « vacances » par « confinement » pour que cour prenne de nouveau sens. Cequi prouvedoncla merveilleuse sin- gularité del’ écrivain, ese que, pendant son confinemene, qu'il partage frater- nellement avec les ouvries, lescaissitres de supermarché et le personnel soi- gant, necesse, lui aussi, sinon de tra- vailler, du moins de produire. Dans Livres Hebdo, Didier Decoin confesse ainsi : « Grice au confine- ment, je peux travailler sur tous mes projets en retard. Comme mon pro- chain roman. Avec mes déplacements et mon activitéa 'académie Goncourt, je ne voyais pas comment je pourrais avancer. Désormais, objectif me pa- rait atteignable. » S'il ese un faux era- vailleur « Dieu ne veut pas que}'écrive, Par Arnaud Viviane mais moi je dois », disait auteur du Terres, Franz Kafka),l’éerivain anéan- moins des objectifs comme n'importe ‘quel chef de rayon. Er celui qui avoue- rait ne pas profiter de cette occasion pour coucher ses souvenirs, noter ses impressions, mettre en chantier un now vveau livre, passcrait pour un eire-au lane, un non-écrivain, Car ilest « na- turel » que I'écrivain écrive toujours. «en toutes circonstances, Ainsi le direc teur du Theatre national dela Colline, ‘Wajdi Mouawad, tient lui aussi son Joana de confinement quinse nutes chaque jour qu’il entegistre et Giffcesorle ate ducheee « Eneere verie et réflexions sur le monde avec sa verve poétique habituelle >, nous dit-on. Les écrivains sont confinés, « mais leur Muse velle, et accouche sans désemparer », écrit Barthes. DES ECRIVAINS-ATHLETES Si Marie Darrieusseeq et Leila Slimani ‘ont écévertement tancéesdése premier épisode de leurs journaux de confine- ment, Cest qu’elles ont oublié le conseil du jeune Descartes, qui vaur aussi pour tune definition de la littérature: « Lar- tnatuspradeo, » Jemlavance masque. En racontane lune et l'autre, bien ingénu- ‘ment, qu‘llesavaient déserté la capitale pours'isoler dans leur résidence secon- dire, avec mari et enfants, elles ont ré- vélé aux yeux de tous, et dans un mo- ment de crise, un secret de Polichinelle autour duquel une sociéeé sorganise et se batit, a savoir le caractére bourgeois de la liteérature frangaise ainsi que des journaux qui 'accueillene et lui fone la fete. Laprokétarisation del ‘éerivain pris dans les afres d'une offre exeédane lar- zement la demande, ainsi que la dé- Etivent certains appors ofc (leap. port Racine), neconcerne pasle veritable derivain, Lui exe un athléte de ce sport en chambre, toujours en train de s'échauffer sur le banc de touche en at- tendant que l'actualité, cette entrai- neuse, lui offte 'opportunité dentrer sur le terrain, Dans Le Point, Marie Darrieusseeq confiait tout A trac : « Je me dépense avec cet article un peu comin on fai un Foting,» Cela ak songer a une phrase étrange de Paul Va- ley dans un artiele intieulé « Lavenir de la liteérarure » rédigé en 1928 pour “he New York Times Parts e me prends & songer qu'une littéracure sin- guliérement sportive aura place dans Favenis. » Nous y sommes, ly a aussi que, routes 3 leur joie de émoigner de cette inédite robinson- nade qu’ était dans ses premiers joursle Confinement, nes deux romancléres n'ont pas prise temps de réfléchir ce «que pouvaitétre réellement une littéra- ture de confinement. Elle a pourtant seschefi-d’ceuvre, qu'il 'agiede distin- guer des ceuvres d’enfermement ou d’emprisonnement dont le xX" sige, de Primo Levi a Soljenitsyne, n'a pas éé avare. La littérature de confinement nest pas dramatique. Au contraire, dans Poyage autour de ma chambre, le premier chefd euvre du genre écriten 1794, Xavier de Maistre, un officier condamné & quarante-deux jours d’ar- rét de rigueur & la suite d’un duel, se promet « de ne laisser voir que la face riante de son ime » Pastichant les ré cits d’exploration de son temps, lerécit foliere dans une liberté formelle abso Jue, ala maniére d’un Laurence Sterne, entre le fauteuil eta cheminée, avee de nouvelles notions du temps et de V's pace que seul le confinement autorise. ‘«Jerésolus de dineren cet endroit. La matinge éeait fort avaneée : un pas de plus dans ma chambre aurait porté mon diner & la nuit », raconte cet ex- plorateur au ralenti et l'étroit. Méme sil'auteuraffirme avoir eu l’idéede son livre bien avant d’avoir été séquestré, ce qui est possible, il fait paradoxalement monere dune plume en liberté qu’au demeurantillne retrouvera pas orsqu'il donnera une suite en 1825 4 ces tres ‘minces pagesavec Expédition nocturne autour de ma chambre. Il west pas indifférent de constater quele Voyage autourde ma chambre, qui semblaic & pea prés oublié, connaitra a A sa réédition chez, - Le roman de confi- rnement est alors en vogue. En 1985 pa- raitra La Salle de bain, premier roman de Jean-Philippe Toussaint, qui peut se lire comme une histoire drolatique de réclusion volontaite. Surtout, le maitre de la littérature de confinement, Georges Peree, qui entendait « ques: © Sila littérature du confinement a un sens, il est la: dans Pinfraordinaire. e@ tionner ses petites cuilléres », vient de mourir (en 1982), Méme si ce confine- mentsedéroule'airlibre comme dans Tentative d’épuisement d'un lieu pari sien, quand I écrivain passe trois jours place Saint Sulpiceen sfforgant de cap- ter « ce guise passe quand ilnese passe rien ». Plus encore que dans les récits neurasthéniques de claustration, comme Oblomov d’Ivan Gontcharov (1859), ouencore Un homme quidortde Perec, sila littérature de confinement a un sens, i est sans doute i: dans le ba- nal, lequotidien, ’évidene,’infra-ordi- naire, que l'arrét soudain de nos activi- ‘téshumaines,'obligation de rester chez soi, semble parer dune nouvelle épais- seur. C'est ee programme que va suivre “Thomas Clercavec Intériewr, oi, durant trois ans, ilarpente et raconte son appar tement de piéce en pitce : entrée, cui- sine, salle de bain, salon, bureau et chambre dans un double hommage & Xavier de Maistre et au Georges Peree de « Still Life/Style Leaf » qui, surune douzaine de pages. décrit trés précisé- ment le bureau sur lequel il travaille, [Néanmoins, si cette « description sur fasciste »,commel écrit Thomas Clerc, netourne pasau simple exercice de style, est qu’il parvient 4 ineroduire une forme de romanesque indirect. Ainsi «quand il écrit & propos de son entrée : -« Certains jours, jela trouve touchante, dans l’efore qu'elle fait pour exister; certains autres, sa petitesse m’agace comme I bourgeoise inguiéte. » Alors, onconfine & lalitcérature . les idées. Albert Udorz0 59 table de tava, 8 Neully-sur-Seine, Astérix 2 octenre 2012 Ave Uderzo! La disparition du dessinateur met un point final a un mythe netional. Retour sur un dréle de génie, qui maitrisait la perfection la syntaxe du mouvement. es Aventuresd‘Astérixle Gaulois, on a surtout commenté les seéna- tis, les invention: suistiques, Pidéologi Cesededi le ealen de René Goscinny. Dans toutes ces ap- proches logocentriques ddstérix; le dessin va sans dire. Cette omission est Vhommage paradoxal d’une nation qui reste plus littéraire qu’elle ne le croicau genie d’Albert Uderzo. N'a-til pas créé des figures inoubliables dont hedlébrité occulte ecluiquil’acongue? Romancier, Stéphane Audeguy vient e publer Histoire amour (Seul. 4 Lexis Nop Li Par Stéphane Audeguy Crest certe fausse évidence qu'il faut interroger, au moment oi vient de dis- pavaitee celui quia donne des gests, des corps, des paysages 4 l’un des mythes frangais les plus symproma- tiques du xx siécle. Un dessinatcur, done. Plus habile, plus labile que beau- coupde ses conféres; qui reconnaitrait laméme main dans Tanguy et Laver- dure et dans Astérix? Plus taleneueux, aussi, ce qui suffiraie a expliquer la hainerancie de certains de ses contem- porains et confréres. Mais, pour le ‘comprendee, i fu entrer un peu dans les logiques propres au neuvitme art. Ty a dans In bande dessinge une science du découpage technique qui doit bien entendu quelque chose au cinéma : les vues en plongée et contre-plongée, parcxemple dont Uderzo fie tn usage fréquenc et magistral (sa meilleure lanche de contre-plongée, cesta-dire Ti pons Gomis dae Blade et les Normands). IL fauc se souvenir ce- pendant que le cinéma dispose de 24 images par seconde, et de 300 & 2.000 plans pour s'exprimer; Ii oit la bande dessinée classique compte 48 planches d'une douzaine de dessins chacune. Dessiner, c'est done choisir avec soin un angle, une échelle, ména- +-d'innombrables ellipses, avec dau- fant pls de soin que lespectateurlee- teur doit étre conduit de péripétie en péripétie sans avoir 8 fournir d'efforts. Ouvtez Astérix et Cleopatre: dans une seule planchede cette ceuvre,on compte 8 dessins mettant en scéne trois per- sonnages (Cléopitre, son guépard, Par- chiteete Numérobis) selon huit points de vue. Jamais la varieté ne nuit &'in- telligence du récit, au contraire, Cette virtuosicé-2 suffi’ moncrer qu’Uderzo niest pas le simple exécutant graphique un seénario bien enlevé (AT’dlabora- ton initiale duquel, on Poublie trop sou- vent, il participait) Voila pour la gram- 1S imsisenan on place 8 Pine rieur de l'image, on s'apercoit qu Uderzo maitrise parfaitement la syntaxe du mouvement, comme Hergé ailleurs : Astérix, a'instar de Tintin, se définit par un extraordinaire dont la potion magique est él secret visible et imperceptible du des- sin d’Uderzo se manifeste notamment dans le domaine de ce quion pourrait appeler les idéogrammes cinétiques : petits nuages sous les picds de Bone- mine pour figurer une démarche primesautiére; cercles tracés autour du. bras levé d’'Obdlix, ete. Voyez aussi les innombrables graphismes de ce type dans la grandiose partie de rugby d45- tris et les Bretons. Ce cinétisme géné- ralisé—ne diraiton pas que le bord des «cases est presque toujours sur le point etre franchi? — posséde son pendant seénaristique : le Gaulois Astérix voyage beaucoup. N’oublions pas quil ist nd au debur de Page du tourism, cen un temps out l’Angleterre et PEs- pagne sont encore exotiques. Le moins casanier des Gaulois est aussi le plasex- pressif: un trait de génie d’Uderzo est avoir doté les ailes du casque de son héros d'une vie émotive, de sorte quion les voit tour a tour interloquées, abat- tues par un découragement passager, Ten va de meme de la paire doreilles d'Idefix, ve ritable sémaphore de ses sentiments. Sur une planche d'une dizaine de des- ins, Astérix sil apparait neuf fois, le fera neuf fois dans une attitude corpo- relle différente. Son visage lui-méme est éonnamment expressif, surtout si on le compare & celui de son grand rival, plus iconique, plus styl: Tintin. Car zr Ja fois pour des raisons de fo- n (on woit ce que Tintin voit), Ala fois, peut-étre, pour ne pas lasser le lecteur avec un visage somme toute assez pauvre, le représente tres souvent dedos: sans compter qu'il use et abuse deidéogramme des gourtes autour de Ja ete, qui figure toutes sortes affects (urprise, peur, soulagement, etc), Fol Témotion engage le corps tout entier des héros d’'Uderzo. En somme, ily a une geste du corps uderzien, Corps qui se dépense sans comprer,travaille,nage, danse, sculpte, escalade, court, bate fait de la (Cotte dernire extraordinairement dé- dramatisée dans Astérix, certainement plus inquiétante dans Tintin)? Le se- ret de lunivers d'Uderzo, cest quill tient dans un cercle, comme la courbe est la marque de son coup de crayon. Car tout commence, toujours, par cette loupe sur la carte du village gau- lois entourée des fameuses gamnisons Aquarium, de Babaorum, de Lau- danum et Petibonum; et tout s'achéve par un festin villageois, autour d'une table en fer & cheval. Univers répéti- tif? Oui et non : ily a toujours un ban- quet, mais il ny a pas deux ban- luge, du bateau, du sport, de e quets identiques. Les voyages, la chasse, et bien sir bifre, ps eux, sont théoriquement sebagarte ct vescaffe. WPUMivers 72°" rencontre de Crsscaussi, pour parodier = G?UMerZO Autre; mais Astérix ne Ia célebre formule des tlemt dams ncontrejamaisuneaké- Fleurs bleues de Raymond yy @pele,, és comme en témoigne ueneau, un corps qui ne + Je rapport de la série aux BS Sie eo femmes, qui ext calamiteuxs baise guére: quinebaiseméme pas da coun Crest la regle des bandes dessinées, destinées,aumoinsen principe, aux enfants (de 7477 ans). 11 nese pout dere pas txts ineéressane de pousser sur ce sujet plus loin I’analyse ~etpuisil ne faucpasvexer les Frangais, qui se croient toujours les rois de la gaudriole, Tour de méme, Astérix est tn vieux gars; Obélix, un grand niais blogué au stade oral: pour le reste, il régne dans Astérix une conjugalité petite-bourgeoise bien frangaise. Preurtese Manivers d’Asréring comme celui de Tintin, estil fondésur deus forclusions fondamen- tales : celle du désir et celle dela mort rien que des petites différences, rien que des Voisins, de sorte que autre revient toujours & peu prés aut méme (doit la réussite de Valbuum ts teri: chez les Belges). ‘Une France replete et prosaique, fon- cigrement allergique & la poésie (haro sur Assurancetourix), vaguement ra iste, franchement sexiste, sempiternel- Iement franchouillarde? Sans doute. ‘Mais dans le crayonné d’Uderzo une alacrité, une euphoric rondouillarde qui affecte les hommes, les femmes et les sangliers, tandis que les maigres sont souvent suspects (devin, architecte ja- loux). Ee ajar cers fre enaine dela pure dépense énergie qui éclate dans les scénes de combats contre les Romains, contre 'ordonnancement trop orthogonal de leu armée, pour le désordre dela vie civil, et dela vie tout court. Uderzo, ce fils d'immigrés ita liens qui collectionnait les voicures rouges rapides, pensait vivre centenaite: ilmeure 92 ansaumomentoit,en dé pit des apparences, la France fermée doneila figurélafin Sesedéfinitivement volatilisée ~ et je ne suis certainement pas de ccux qui la regrettent. On ne comprendra bientot plus grand-chose & Astérix de Goscinny, asesjeuxde mots, A son rapport aux pages roses du dic- tionnaite reser le cetin dUderso, allegre, vif rapide : heureux. . let les écrivains face au pouvoir. a Liu Xiaobo Parce que c était Liu Nobel de la paix en 2012, héros de Tiananmen, ce trublion mort en 2017 reste l'inspirateur des Chinois en lutte contre un régime qu anesthésie la pensée. Pécé 2008, alors que Pékin se préparait & accueillir les Jeux olympiques, Liu Xiaobo rencontrait A discrteement, dans Varrire-salled ‘un restaurant populaire, des avocats, des universitaires, des activistes de tous poils, et meme des ‘membres du Parti communiste chinois (PCC). I consultait pour produire un texte qu’il compeait rendre public quelques mois plustard,le 10 décembre, journée internationale des droits hur mains, Cetexte, Cestla « Charte 08 », un programme de changement démo- cratique pour la Chine ~ ainsi nommé cnirencela« Charie77 » desde: sidents tchéques done faisait partie Vaclav Havel -,traduisousle mantean au sein de l'intelligentsiachinoise. Une fois cette laboration collective achevée, Liu Xiaobo se miten quéte de signatures, avec un suecés inespéré : 315 citoyens chinois acceptérent de le suivre, conscients des conséquences pour leur liberté, leur sécurité ou leur position sociale, Parmi eux, les éternels dissidents de la « génération Tian- anmen », mais aussi des universitaires, des intellectuels, des avocats, et méme desmembresdu PCC. Est-ce pour cette raison que I’Erat a réagi aussi brutale- ment? Laveille de ladiffusion du texte, Liu Xiaobo est arréeé chez lui. On nele reverra plus ivant. Liu Xizobo est mort 1 LeNent Maguine Lit Par Pierre Haski ierivain t militant des droits humaine sor one ‘photo de sa compagne, rtite Liu Xi, 'uncancerle 13 juillet 2017, alors qu'il purgeait une peine de onze années de prison pour « subversion >. Cette issue fatale était-elle inévi- table? Peutoon étre un intelleceuel en- gagé, dans un pays comme la Chine @aujourd hui sans entrer en collision avec un parti-Ftat surpuissant, obsédé parla tabilie sociale et la perp tuation de son propre pouvoir ? Liu ‘Xiaobo savait qu'il en paierait le prix, et Cest tout a faitconscient des risques qu'il sest engagé sur cette voie. Son parcoursa, de ce fait, valeurd'exemple, jusque dans la mort. Dans les années 1980, cette trajee- toiren' était pasencore écrite. La Chine de'immédiat aprés-Mao souvraitaux idées et aux modes de vie longtemps interdies et réprimés. Les livres, les films, les arts duu monde entier étaient soudain accessibles, et les jeunes Chinois comme Liu Xiaobo, fils d'un enseignant communiste du nord-estde la Chine, fraichemene débarqué dans la capitale pour suivre les cours de la prestigicuse Ecole normale. plongeaient avecivresse dans ce nouvel univers. Dif- eile &eroire, mais la Chine du début desannées 1980 était plas libre, plusto- Irante, que celle d’aujourd "hui, méme sile « moule » maoiste continuait marquer les esprits, et sil’ rouge Wei Jingshengeroupis son pour avoir réclaméla « einquitme ‘modernisation @ », ladémocratic. iu Xiaobo se fit ees vite connaitre dans le monde intellectuel renais- sant de Pékin, En 1986, jeune maitre de conférences A1'Feole normale de la capitale et critique litéraire & la dene dure, il prt la parole lors d'une confé- rence officielle organisée pour célébrer la littérature contemporaine chinoise post-maoiste. Les paroles de Liu Xiaobo firent l'effet d'une bombe : «La littérature chinoise contempo- raine comme a culture traditionnelle sont un tas de détritus! » Cette inso- lence fit la une de certains journaux et assura un statut de star montante de la vie intellectuelle au jeune effronté, alors qu’aujourd'hui lle le condamne- rait ala trappe de la censure. Devenu un intellectuel courtisé ~ on. faisat la queue pour aceéder ses cours dansles amphis de Pékin -, Liu Xiaobo nen était pas pour autant devenu un dissident; plutoe un dandy anar, volon- tiers arroganeetcassant. Le gournant de savie,cestle « printempsde Pékin » et safin tragique, danslesang, dansla nuit du 4 juin 1989. Liu Xiaobo est A New Te 15 aveil 1989, ancien secrétaire général du Parti com. muniste chinois, Hu Yaobang, un réfor miste écarté du pouvoir deux ans plus tot. Aussit6t les écudiants rendent hom. mage Ace dirigeant maltraité par 'app2- reil du Parti, et trés vite 'hommage tourne & la contestation, avec pour épi centre la place Tiananmen, & deux pas du sigge du pouvoir a nouvelle « Cité interdite », Zhongnanhai A New York, oit vit une petite com- munauté chinoise exilée, Liu Xiaobo York lorsque me suites événements la télévision et dé cide c retourner Pekin. dé Darque dans la capitale lejour ot parait ee La Chine du début des années 1980 était en fait plus libre que celle d@’aujourd’hui. « un édiorial da Quotidien du peuple, Vor gane central du PCC, inspiné par Deng Xiaoping, qui qualifie le mouvement ézudiantde « contre-révolutionnaire > Auréoléd’unesolide réputation de forte te, le jeune professeur se plonge dans aa Rassemblement 3 Hong Kong sept jours aprés la mort en prison du dsident chino, le 15 jullet 2017 effervescence dela place Tiananmen et devient le mentorde certains dirigeants écudiants Il sort parfois de sa réserve tune archive vidéole montre, micro ala main, sermonner les étudiants en leur disane qu'il leur fae faire encore un of fort pour devenir des démocrates: car, si une dictacure écudiante edu Parti, la Chinen'y g ggnera pas. II se révéle Al'approche de Pepilogue sanglant qu'il voit venir: il entame une gréve de la faim avec trois autres personnalités, pour inviter les deux parties la non-violence. M: vieux Deng a tranch¢ : l'armée est en- voyée pour éeraserle « printemps >. onsidéré comme la « main noire» derrigre le mouvement, Liu obo sera arrété et condamné, pre- rier sour en prison, mais pas le ler- niet. Uhomme est transform, il sore de cette épreuve avec une profonde culpabilité, & Pégard des victimes du massacre, quill appelle les « ames er- rantes» du4 juin, auxquelles il dédiera plus tard son Nobel dela paix: al'égard des familles des victimes qui se sont senties trahies par I's autocritique » quil concede & ses gedliers & un mo- ment de faiblesses & l'égard de sa fa- mille, sa ferme, qui demande le di- vorce alors qu'il est en prison, et son fils, quill ne reverra plus jamais... Des lors, Liu Xiaobo sera ce quion appelle aujourd'hui un « activiste », de tous les combats, serial-pétitionnaire, habitué des camps de « rééducation » comme des cellules froides, de la surveillance permanente et de impossibilité d'une la potte Liu Xia, Cha rismatique, brillant, infatigable, il sus- citeI'engagement et sentoure de fides. Profondément attaché la non-violence et aT idée démocratique, il observe avec un esprit critique teinté de mépris la transformation de la société chinoise gagnée par le matérialisme, par le « Enrichissez-vous! » de Deng Xiaoping, qui tente de noyer les aspirations dé= moeratiques dans le confort de la classe moyenne. Ce sera La Philosophie du ors, un texte impitoyable sur Panes- thésie de la société ca. Par son action, ses écrits, et son sa cific, Liu Xiaobo sera une inspiration sans doute différente, continueront le combat pour la démocratie en Chine. A condition que le pouvoir chinois ne mémoire collective, un hommage in- volontaire 4 un homme toujours aussi « dangereux »,méme apres sa mort. ( Reterence aux x quatre modernsations» prénées par Dena Xiaoping esuccesseur de Mags latte dela Cine, excuan le formes (@)Lo Philosophie du parce utes esa, ar Jean-Philipe Béla, rétace de Vaclav Have ‘de Chine/Galimard 201, —Depuis les Lumiéres, nous sommes élevés au grain du progrés, sans === = ~ = —que nous ne soyons jamais d’accord sur son sens. Sciences, société, économie, politique, philosophie, arts...Entre chaque camp, et en leur sein, on bataillat. = = -Etbien des voix considéraient qu'l s'agissait d'une croyance d'un autre temps, instrumentalisée par un ultralibéralisme sans téte mas avec beaucoup — ‘de dents. Et tout d'un coup: tout sarréte. Alors quoi?-, On jette le progrés avec reau du bain ou pas? Stcp ou encore? Dossier coordonné par Hervé Aubron couverture. littérature En phrases ascendantes Lyriques ou positivistes, des écrivains ont pu chanter la religion du progrés et relire & cette aune leur propre art. Par Alexandre Gefen @ |eisxeupeableande Klee gui stintitule Angelus Novus, erie Walter Benjamin dans sa neuvigme thése sur lhis- toire, II représente un ange qui semble sur le point de Féloigner de quelque chose qu'll fixe du regard. Ses yeux sone écarquillés, sa bouche ouverte sesailesdéployées. C'est cela que doit ressembler I'Ange de T Histoire, Son visage est courné vers le passé [..] Du paradis souffle une tem- péte qui ses prise dans ses ailes, si vio- Jemment que I’ange ne peut plus les re- fermer. Cette tempéte le pousse irrésistiblement vers Favenir auquel il tourne le dos, andis quele monceau de ruines devane lui s'éleve jusqu’au ciel Cette tempéte est ce que nous appelons le progrés. » Benjamin écric cette allé- gorie en 1939, au lendemain du pacte germano-soviétique : elle hante notre frodernité, comme s elle mete un terme la foi dans un progrés de l’hu- ‘manité, néeavec la science moderne ila fin du xvir sigele. Et sila religion da progrés nousprivait dela seule rédemp- tion possible, celle de l'espoir messia- nique? Etsilecoursdel histoire n’était quiun champ de ruines, celles des vain- cusde a moderité delascience, del’ dustrialisation, ainsi que le suggére Walter Benjamin? Lexx" stele n'acessé de sonnerleglas de Voptimisme né avec Bacon, en BD Leda Sage “Angelus novus, de Paul Kl (1920), regrectant, comme Ortega y Gasset, le écalage entre le progrés technologique «cla conscience humaine : « L’homme échone parce qu'il ne peut rester au ni- vveau du progrés de sa propre civ thon» Al heuneod i coyence proms théenne dans la science fait place aux dyscopies écologiques er la fascination collapsologique, on serait en peine dlécrire, comme le comte de Saint- Simon que «I'age d’ordu genre humain nest point derriere nous ilestau-devant, ilese dans|a perfection de ordre social; 1nos péres ne ‘ont point vu, nos enfants yyarriverontun jour:. En 1870, Leconte de Lisle faisait pour- tantencore du progrés « laloi naturelle, constante, nécessaire, par laquelle V'hommeagit, s éléve, déploie ses forces ccagranditson “shasnecuansodichece sans terme », et Camille Flammarion rromettait que le « soleil se leve sur PhruranicéGveilée » sans se rendee compte que ce qui avaicété une religion de Vavenir était déja devenu un scien- tisme intenable et oublieux des souf- frances sociales. « Dompter la matitre, est le premier pas; réaliser ideal, c'est lesecond. RéAéchissez dee qu’a déja ait le progrés », avait écrit Hugo dans Les “Misérables : il fat un temps lointain oft les écrivains avaient cru &la marche de esprit et des belles-leteses comme la poursuite nécessaire du progres tech- nigue. Lascience et 'artauraient deere « les deux roues du progrés », proclame encore Hugo : l'art aurait été la fois beau et utile, il serait allé de pair avee le progrés industriel (un des chapitres des Misérables s'appelle « Histoire d'un progres dans les verroteries noites ») et Ie progrés dela science ~ Hugo propose deremplacerau Panthéon les Figures des chefs militaires par celles des hommes de sciences et desprit. EXTASE DE GOBE-MOUCHES Du Tableau del espritdenos erivainsde Sabatier de Castresen 1772.au Tableau dela littérature frangaise de La NRF en 1939, de L’Enguéte sur!" évolution litté- rairede Jules Huret de 1891 4 lacélabre enquéte de la revue Littérature de 1919, tableau, bilans, enquétes, panoramas jalonnentce moment optimiste del’ his- tire littéraire, du Siécle des humires au débue du xx° sigcle, et cherchent & prendre la mesure de son progrés. Le Re- ‘ceil de rapports sur les progrés des lettres et des sciences en France de Silvestre de Sacy auguel collaborérent aussi bien ‘Théophile Gautier que Paul Féval est exemplaire de ce projet : imaginé en 1868, « parallélement & l'Exposition universelledel’industee »,il promet de décrire « la marche et [Iles progrés des sciences et des lettres en France depuis, vingt-cingans ». Hesteontemporain de Vambition de Brunetigre de faire de Vhistoire littéraire une science en la ‘Ode au progres indusre en e XX sible commencant. ealquane sur I’évolutionnisme de Darwin, Prudentes les Lumiresavaient ‘yu des formes multiples de progrés sans forcément les assimiler & la marche inexorable de I’histoire ni en faire comme Guizot « I'idée fondamentale contenue sous le mot de civilisation ». ‘Mais méme le trés modéré Fontenelle avait inscrit 'humanité dans un opti- ‘misme qui nous semble, al'ére de toutes les déceprions ayant suivi la supposée «fin de l'histoire », quelque peu dé suet: « Un bon esprit culivé ese, pour ainsi dire, composé de touslesespritsdes siteles précédents.{..] Les hommes ne dégénéreront jamais. » Pourfendeur mig de la modernité, Ch dlaire fur ’un des premiers tournerle ds cette puissante foi dans un sens de Phistoire et dans I'idée dune « per- fectibilité continue et indéfinie de homme » dont Tocqueville avait tot pressenti quielle était un trait constitu- tif de la mythologie de ’ Occidene mo: derne : la croyance au progrés n'est rien guiune « extase de gobe-mouches », une « erreur fort la mode ». Le mot est dit. Face al’éxernité de sa condition gue seule I'eschatologie chrétienne les Bau- échaire, « I"homme civi- lisé invente la philoso- phie du progrés pour se consoler de son abdica- tionetdesadéchéance », estime le poéte. Lorsque Flaubert écrit & Louise Colet en 1853: « O lu- mire! O progrts! O hu- manité! [..] Quelle éeer- nelle horloge de betises que lecours des ges », i rolonge ce pessimisme Frecrirectlespleen baw delairien apres I'échec des révolutions sociales dux1x‘sidele, La notion d’avane- garde est lige & celle de rogrés, et le mot nait préeisemene dans la bouche de Saint-Simon « Unissons-nous », dit artiste ses interlocu- teurs, le savant et l'in- dustriel; « et, pour par- venir au méme but, nous avons ehacun une tiche différente & remplir. C'est nous, artistes, qui vous servirons avant garde : la puissance des arts est en effet la plus immédiate et Ia plus rapide, » Mais ilesurréalismesoriente, derritre Breton, vers un progrésinearné par les miracles dela technique, 'idéal communiste et le rejet de l'ancien 6 lumiére! 6 progres! © humanité! Quelle éternelle horloge de bétises... monde, ila maille& partiravec d'autres avantgardes, paradoxalement antimo- dernes, celle des dadaisces, qui se procla- ment « décidément contre le futur », ou celle d’Antonin Artaud, pour qui « la revolution la plus urgente aaccom- plir est dans une sorte de régression dans le temps ». Parallelement aux doutes sur lidéologie mélioriste, une certaine religion dela littérature a fait de celle-ci non une dynamique qui ac- compagnerait le cours de I’histoire et s'ajusterait cant au progres spirituel qu’au progrés technologique, mais plutét un espace idéal et supérieur, pré- cisément opposé aux illusions positi- vistes et sieué hors du temps et de la vie ‘matérielle. La littérature a sa propre temporalité, sa doctrine ne prometd'es Poi rn poder Insite octal celledes marges, son panthéon est hors, decemonde. Ce systeme de valeurs es- thétiques, inventé du temps de Pare pour 'art, peut perdurer aujourd’hui, dans des figures d’écrivains en retrait des affaires de ce monde, sinon en rup- ‘ture avec lui, dans des perspectives néo- classiques ou heideggeriennes. Bref, il nly apas de progrés en lictérature, pas de grandes et de petites époques, juste a perpétuation dune quete infinie de sens et I’éternel recommencement dune activité socialement improduc- tive et €conomiquement inutile, VISION EVOLUTIONNISTE Levéritable déluge de discours surla fin de Ia liteérature qui sest abartu depuis le début du xr siécle ~ de Jean Bes- sitre, qui se demande Qu es-il arrive ins fangs ? (2006), & Wil liam Marx, qui fait tain Adieu a la littérature (2005), en passant par Dominique Maingueneau (2006) ec Tzvetan Todorov (2007) qui «en prophétisent la « fin >» ~ manifeste au fond eretourd’une vision évolution- nite de la littérature, de maniére inver- sée. Lhhistoire se remet en marche, au. prix d'une supposée dé- générescence des leeres, que margueraient I’hy- perinflacion d nombre d’eeuvres, la dissolution des frontiéres entre -« haute et basse littérature », l'acomi- sation des préoccupations du roman dans des querelles microscopiques ou desécritures quiseraientde simples pro- ductions médiatiques avangant mas- «quées (témoignages, autofictions, biofic- tions, chroniques étirée..). Telle est la econ paradoxale de deux siclesdespé- ranee : alors que tant d’Anciens sin «quiéeentde!'ajustementde a vieille pra- tique des belleslettresau moment etaut ‘monde contemporain, telle qu'enfin ’eernitéla change, ouvenons-nousdes, illusions de son progres. . sxsoe eri encouverture. Sciences Un conte de faits En science aussi, le progrés n’est pas une notion monolithique et rectiligne : chaque théorie et découverte remodéle sa discipline et le monde. Par Patrice Bollon ne des pices mai- tresses de notre idéologie ou sens ‘commun moderne ~quiaaux yeuxde certainsune valeur d's évidence > quasi morale impossible Acontester —esteelle de'existence d'un progres scientifique ininterrompu, duneavancée continue dessciences vers Ia « vérité », acquise grice & une dé- marche rationnelle, appuyée sur des << faits » objectfs et des expériences & leur propos permettant de forger des théoriesde phusen plus « justes ». Cette vision posséde une pertinence 4 priori totale. Comment nier ainsi que la mé decine aie faiedes progrés? ~ quoiquelles événements actuels montrenc qu'il en reste encore & accompli... Comment ner également que nousayons progressé dans nos mithodes de transport, de communication, de production ? Sauf gue ces arguments sont en grande par- tichorssujet- On doiten effet distinguer le progrés technique du progres scien fique — la machine & vapeur est apparue bien avant qu'on ne dispose d'une théo- rie qui l'explique. Quant’ la médecine, elesappuchorlsScene clenenes pas formellement une elle est une pra- tique, oi1 nombre de traitements ou de :médicaments nouveaux se révélene plas efficaces queles anciens sans que cela ait toujours fait progresser notre connais- sancedu fonetionnement de notre corps. Parler de « progrés scientifique » doit done sentendre en son sens « cogni tif », oi il serait acquis que les theories nouvelles posstdene un plus grand contenu de savoir et un savoir plus achevé que les précédentes. Etc’est hoi les difficultés commencent. SUCCESSION DE PARADIGMES Comparer deux choses afin de pouvoir affirmer que l'une est supéricure & autre demande que l'on dispose dune référence commune ces deux choseset indépendante d’elles ~ ce que, en ma- thématique, on appelle une « mé trique » objective. Or, dans les années 1960-1970, plusieurs réflexions one jeté le doute sur cette possibilité dans les sciences : en particulier, "analyse par Phistorien des sciences amérieain Tho mas Kuhn (1922-1996) des grandes re résentations scientifiques successives Attmonde dans sts influence Sire ture desrévolutions scientifiques paruc en 1962, et la critique de I’épistémologue ¢t philosophe d'origine autrichienne Paul Feyerabend (1924-1994) de la conception empiriste de la science, en- taméc,en 1962, parson article « Expla- nation, Reduction and Empiricism », cee reprise en 1975 dans son eélébre essai « anarchiste >», Contre la méthode. Bien qu élaborées sansconcertation, ces deux réflexions se rejoignaient sur un _méme constat, formalisé par lutilisa- tion da terme d'« incommensurabi- lité ». Kuhn analyse les tournants dela science, els que les passages de la conception prolémaique de I’ Univers celle de Copernic, delamécaniquearis- totélicienne & celle de Galilée, de la chimie du « phlogistique » de Stahl (Vidée, qui dominait au xvrt sitele,se- lon laquelle la combustion s‘explique parlaprésencedanstouslescorpsd’une substance incolore, inodore et impon- dérable qui la provoque et disparait avec elle) 4 la chimie organique de Lavoi- sier, etc. Pour Kuhn, cestournantsfone- tionnene 4 la maniére de changements complets de monde. Chacune de ces conceptionsa redéfinila nature des pro- blémes raités, eur cadre conceptuel, et les « fats » surlesquelselless’appuient, si tant est que théorie et expérience ne forment pas des entités indépendantes, liges par des régles de correspondance ‘maisun tour indivisible, C'est 'idée, dé yeloppée par I'épistémologue anglais Karl Popper (1902-1994) et partagée aussi par Feyerabend, ducaractére « ho- listique » de la connaissance scienti- figue. Dans ces conditions, Kuhn concluait & impossibilité de traduire une théorie nouvelle dans es termesdes précédentes et d’introduire entre elles une relation d’ordreindiscutable. On se trouve, selon lui, avec l'histoire des sciences, en présence dune succession de « paradigmes » le terme a fait For- ‘tune— disjoints, sans commune mesure centre cus. Feyerabend allae plus loin en core: pour niles grandes théoriesscien- tifiques n’ont pas de référent commun, parce qu'il n'y a jamais eu, de « mé thode scientifique » universelle ‘Chague grand innovateuraagi selon ses propres normes, a eréé sa propre dé ‘marche, en vertu du principe que, dans Ia pratique, « tout est bon », pourvu que lerésultatsoitla La « Science » est, de ce fait, une abstraction vide. EeI’his- toire des sciences resemble, d’aprés Feyerabend, i celle des arts, oft rien ne petmec d’affirmer, en dehors de préfé- rences personnelles, que la représenta- ion perspectiviste ese supericure laf guration plane, ’areabstraitau figu Ta musique atonale Ala tonale, ete ‘On comprend & ces énoncés la levée de boucliers quien résulta de la part de la communauté institutionnelle des scientifiques. A leurs yeux, Kuhn et Feyerabend étaient « les pires ennemis, dela Science »,desirrationalistessinon desnihilistes. En méme temps, ces scien- tifiques ne pouvaient guére contester certains de leursarguments. On sai bien ainsi que le mot « plandte » n'a pas le ‘méme sens pour Ptolémée, pour qui il désigne le Soleil, que pour Copernic. qui a fait de ce dernier une étoile autour de laquelle gravieene des plandtes, done notre Terre. Le terme de « mouve mene » n'a pas non plus la méme déf- nition chez Aristote que chez Newton: etlesnotionsde « masse » etde ‘« temps » ont connu, entre ce demnier et Einstei transformation radicale Ce qui modifie la nature des questions traitées par ces théories : certaines apparaissene, tandis que autres s*évanouissent. opposition que suscita au dé but Newton vint ainsi de ce que, contrairement 3 Aristote et a Descartes illne cherchait pas donner un contenu, son hypothése centrale de attraction entre les matitres — « je n’avance pas A hypothise > (@ ce propos) —maisiten explorer les eonséquences. Bref, Pidée que chaque grande repre sentation scientifique du monde bicit son propre univers est indiscutable. Comme est aussi celle que chaque théorie crée ~ en partic, du moins ~ sa ee Comme s’il suffisait d’observer le monde pour le comprendre. ee reéalité, si tant est quvaucune ra jamais émanéd une pure « induction du réel » Pidée, spontanée, selon laquelle les thesrcs Lene iss et con Silsuffisaicd’observerle monde pour le comprendre), ainsi que le croient ou veulent le faire croire es empiristes. A partirdela, impose la question de savoirce qui permetd’affirmer que telle ou telle théorie est supérieure & une autre. $'ily adiscontinuité entre nos re- présentations scientifiquesdu monde, la connaissance ne dit pas plus sur les :mémes choses elle nonce des proposi- tions différentes sur des choses qui le sont anssi. Les nouvelles découvertes ne Saddicionnenepasiun stockde connais- sances préexistantes, Elles modifient la seructure méme de la connaissance. ly a donc bien un développement de la science, mais pas de « progrés » au sens rigoureux du terme, Dire que la science avance malgré tour versa « vérité > na pasde senson plus. C'est une pure pé- tition de principe, car, sles « ontolo- gies » (les descriptions des éléments du monde) se modifient avec les théo- ries, le « réel » ne fonetionne plus comme un référent neutre. UN BRICOLAGE PERMANENT Le débae pour savoir sily a progrés ou non dans les sciences n'a rien de ce -« seandale contre la pensée » que dé- rnoncentles prétendus (souventbien peu éclainés) heritiers desdites « Lumizres ». I souléve une question rationnelle im- parable qu’Albert Einstein a abordée dans ses « Notes antobiographiques » ‘Certains empiristes ont ainsi cherché & Eablirdes protocoles sophistiqués apres Aassurerla traduction entre desthéories, divergentes. Ily en a parfois, mais pas toujours... Deleur cété, si Feyerabend opéré un tournant relativiste, Kuhn a précisé qu’incommensurabilité ne si- gnifiaie pas incomparabilité. La mé- canique galiléenne est sans conteste su- péricure dans ses applications & la mécanique aristotdicienne, car elle ala capacitéderésoudre plusde problémes... sauf qu'elle n’abolit pas cette dernitre, qui reste sur certains enjeux une source de questions ql fone pas x « dpa De tout cela, il sest dégagé en fin de compte une maniére de consensus sur unc idéede progrés moins unilatérale et plus ouverte que Vancienne conception. naive. A rebours du schéma en « trois éaats » de l'histoire de la connaissance (Pétacthéologique,|"étac métaphysique eel'eeescientfiqu ou « posits) pro: pose par Auguste Comte, es sciences ne sedirigent pasen droite ligne versa rai- son en se deégageant du mythe et de la métaphysique. Méme les plus ration- nelles d’entre elles conservent un socle de ces derniers types. ‘Comme avait noté déja Popperdans ses Conjectures et réftations, plusieurs avancées scientifiques incontestables proviennent de la reprise de mythes antédiluviens, tele cette « dérive des continents » devenue science de la couverture. ‘ese tectonique des plaques. Et l'on saitce que notre conceptd’ atome >, central dans notre physique, doit la :métaphysique grecque. Sousce regard, la « Science » ne progresse pas ers un butfixéd’avance qui seratla verité Ia ‘< chose en soi » de Kant, que jamais hous ne sauvions attendees elle se comporterait plutor a la fagon des es péves chez Darwin. Comme celles-c, alle « avance », mais peutaussi régres- ser. Dénude de « téléologie », elle ré- agit & son environnement changeant. Elle apparait, selon Lévi-Strauss dans La Pensée sauvage, comme un « bri- colage »adaptatif permanent. C'est une spécification certes moins glo- ricuse que celle de « progres », mais plus proche de l'histoire effective des sciences, celle qu'elle sest produite et non telle qu’on Va reconstituée. Ft cette définition plus problématique et plus humblen’est pas ans garantiraux hommes une plus grande liberté que ce Grand Récit moderned une Raison ‘majuscule, devant s'appliquer en tout tempact en tout lieu 4 cous, mais dont nul rationaliste « humaniste » nedoit ‘ublier les catastrophes politiques et morales que, via les utopies dc hommes nouveaux » ou d’« éres nouvelles » qui en ont résulté, elle a engendrées dans histoire. . AURE LaStructure des evolutions scientifiques, ‘Thomas § Kun tradi ce rangi (tas Uns) DorLoure Meyer (ct Champs since, 520,96 Contre la méthode, Paul Feyerabend, radu ce angi por Boudouin dart et Ags Schumberge Pots sciences, 8520, 9506, Autobiographical Notes: ‘A Centennial Edition, Albert Einstein, (pen Court Publishing Co, 96 n. Achille Mbembe LA MACHINE INFERNALE Selon le philosophe camerounais, nous voici a I'ére du « brutalisme », ou progrés et démocratie ne sont plus nécessairement liés. Est.l encore possible de décrire la ou les directions vers lesquelles se irige le monde ¢’aujourd’hul? Achille Mbembe. ~ Ce probleme a pris, ne forme radicalement nouvelle par rapport aux siécles passes, et nous té ‘moignent des intrications — des plis et desreplis— qui superposent et opposent différentes conceptions du progrés, puisque cst le plus souvent contre les progrés économiques, impulsés par et pour certains « Humains », que cer- tains « Terrestres » se battent pour des és €cologiques (en reprenant ii les sacampeentipurBrano seat ou Edouardo Viveitos de Castro & Pheure des « guerres de Gaia »). ‘O- Profiter de « Varrét de monde » causé par le Covid-19 pour sortir des omigres du progres économiste, en substituant a la baudruche de la croissance expansive une conception intensive des expériences sensibles individuelles et collectives. Leconfinement actuel a été étonnam- ment prophétisé par le sociologue Gabriel Tarde dans tn ie de 1884 n- sivulé Fragment d’ histoire future. Ala suite d'un déréglement climatique, les ine or @gbaou, en Cate vor, exploe par a compagnie canadienne Endeavour. populations humaines senterrene dans des cavernes oit sont descendus tous les, trésors des cultures humaines passées et présentes. IIsagit d'un renversement des valeurs qui troque la moneée verse rogrés pour un effondrisme collap- Sonauce «Ine faue plus dive : Le haut! Mais: En bas! » (ch. mt). Isagit d'une sorte de confinement, qui enjoint nos « humanitésa se blottir dansle sein de leur globe, [oi] le bonheur vie ea- ché » (ch. v1). Ce néotroglodytisme est pensé par Gabriel Tarde comme un dépassement del’ économie productiviste rice Lune nouvelle écologiede nos attentions mu- tuelles: « Des sophistes qu’on appelaie économistes [..] avaient accrédité, ilest vrai, cette erreur que la société consiste «ssentiellementdans un échange de ser viees; A ce poine de vue, tour 3 fait dé- smodé du rest, le lien social ne ser maisplusétroie qu'entre|aneetI"anier, Iebeeufetlebouvier,lemouton etlaber agere. La société, nous le savons mainte- nant, consiste dans un échange de re- flets. Se singer mutuellementset,& force de singeries accumulées, différemment ccombinées, se faireunc originalité: voila, le principal. Se servir réciproquement fest que I'accessoire » (ch. v). Enarticulane ces gestes, le progres- sisme collapsonaute se revendique des muleiples proge’s eonquis contre la contamination virale qui a répandu le capitalisme extractiviste sur la planéte ‘Terre. Il est prét A se battre pour que Pépidémie de Covid-19 constieue « la catastrophe inattendued oi procédent les temps nouveaux, "heurcux désastre quia forcé le fleuve débordé de la civi- lisation A s'engloutir pour le bien de V'homme > (ch.1). Ine prone une cer- taine décroissanee de nos consomma- tions écocidaires que pour favoriser intensification de nos socialités mul- ticulturelles. Ecoutons la voix des col- lapsonautes quidéfient nos conceptions communes du temps en nous parlant Iafois depuis 1884er2479: « Sil nous a été possible, A nous, de réaliser la vie sociale la plus pureetla plusintense qui se soit jamais vue, cest grice la sim- plification exeréme de nos besoins pro- prement dies » (ch. v). . AURE nro Sree a Festina in ao went nee er Economie La politique du PIB La croissance a d’autant moins vocation a se confondre avec le progrés qu'elle est tout aussi difficile a définir et a évaluer. Par Patrice Bollon @ | peut sembler indée sance » atu momentoit le corona: rus aicbasculer noséconomies dans une dépression. Son ampleur est pour! heureimpossible value. Moins 6%, 10%, 20%, voire moins 30% 2 Per- sonne non plus ne peut en prédire les conséquences, Nos économies sont des systdmes pris dans des effets dominos et des bouicles les problimes d's offre » cengendrés par 'arrét des productions se ‘raduisent,viale chomage tla baisse des salaires, sur la « demande », et vice- a, en des processus cumulatifs, s'écartant de plus en plus des « équi- libres » supposés par la théorie éco- nomique régnante. Eliminer toute inte rogation sur la croissance pour des Impératifs de conjonceure rev claquestion. Sile nt « exogéne > il sat @@ Les milliards déversés n’ont rien d’une action humanitaire. ee tague un corps depuis longtemps trés malade, Lerythme de croissance denos économies dites développées a ralenti des deux tiers depuis la fin des années 1960 et le début des années 1970, ce qui améne des historiens tell’ Américain Ro- bert Gordon 4 parler de entrée dans es traders New York, en mars 2020 fi >» J prticlens tel Larry Summers roquet Pidte d'une « sagnation séeulie » Selon le FMI, noséconomiesontconna, depuis ceee epoque, pas moins de 208 crises financiéres, 145 bancaires et Quant A celle de 2007-2008, quel’on, peste 8 appeler « des subprimes » alors qu’elle fut la premiere de la finan- résolue mais noyée sous des tombereaux de liquidités, avec tous les effets se- condaires qu’impliquent ces « taux Tide nega» done dans un petit Ninet retrace la genése. Cette « inv tion » en rupture radicale avec la théo: Tevenie n'a plus de valeur, pus exe tence. Flle a engendré tune inflation gi- gantesque d’actifs peu productifs, comme les actions d’une Bourse deve- ues outils de spéculation pure, voire to- falemeneimproductifa Sans oublie ven h coup dcoredieswewlong, pout financer des crédits anciens, et dont seuls sexistentencore, permertentq ‘TROUS NOIRS DU PIB Les centaines de milliards de dollars, deuros, de yens, etc, de soutien annon- eées quasi quotidiennement par les Etats etles banques centrales n’ont rien d'une action « humanitaire ». Is'agie avant tout d’éviter le « collapsus » du yriine nancies er bancdiae wer, at bout, une possible déroue monécaire. Dans ces conditions, les taux d’intérét ne peuvent que poursuivre leur avancée en territoire négarif (ans comprer ceux qui dérivene du rachar des dectes Era cetdes dettesprivées par les banquescen- trales, devenues de veritables bad banks, descimetigres de dettes qui ne serontja maisremboursées:lefameux « quanti- tative easing »). Jusqu’oit cela peutil aller? Nul ne le sait.. Sice nvest que le « monde d’aprés » a toutes les chances de ressembler sur ce point ~ et, si c'est concevable, en pire ~ a celui d’avant. ‘Comment, déslors, non pas « rebitir > Féconomie (on se trouve 4 des couverture. annéestumiére d'un tel objectif) is, plus humblement, deja la con prendre? Or qui ne voie que la science économique régnante ne nous en offre que trés peu de moyens? Lévaluation delacroissance.d'abord, parle PIB, leproduitintévieur brut, créé én 1934 lors de la Grande Dépression, estaffectée par des biaisen tous genres. Le PIB mesure les consommation gui ontun prix surlemarché,ce quilimine demblée tous ees « biens communs » non marchands,comme ai, l'eau, etc, supposésétreen quantitésinépuisables, éttoutun pand actvtesinformellesou sociales pourtant indispensables (telles que, entre autres, le travail ménager ou education des enfants qu'assurent les parents restés au foyer, quasi exclusive- ‘ment des femmes). A Voppoxé il agrége toutes les productions et eonsomma- tions sans nuance de nature, les plus es- sentielles tle plus futils, les morteles (les armes 4 feu) et les purs gaspllages. A chaque embouteillage, quand les vo tures font du surplace avec leurs m scursallumnds, le PIB, ainsi, augmente! Ces distorsions sont connues depuis Jongtemps et ont suscité des indices al- ternatifs mais parce quiles global simple, le PIB ese resté la mesure indé tronable dela croissance, Si celle-ci est ’indiee de ce « pro- grés » des laudatenrs dela « mondial sation heureuse > et autres prétendus héritiers des Lumidres,ilest Kegitime de se demander ce qui peut la faire naitre ou la renforcer. On ne compte pas les travaux accumulés depuis le débue du xx" sitcle & ce propos par les écono- mistes. Mais, [8 aussi, on ne se trouve Sans un chapitee enlevé de leur somme récente, Economie utile pour des tempsdificies,lecouple nobslisé Esther Duflo-Abhijic Banerjee peut ainsi constater que méme les plus grands ex pritsdela science économique ont di re- connaitre qu’ils ne détenaient pas la moindre elé apte & expliquer pourquoi tel pays s'est développe, et non un autre... Le plus grand spécialiste de la question, Américain Robert Solow (né en 1925), adi ainsiinventer une notion (quiil a lui-méme présentée comme « une mesure de notre ignorance ») pourrendre compte dela croissance des Economies: la « productivité orale des facteurs » (PTF), utilisée depuis dans routes les analyses « PAUVRETE DANS L'ABONDANCE » On ne trouvera gure d’éelaircis- sements dans le pavé disproportionné (600p,) del'économiste américain Joel Mokyr sur La Culture de la croissance ~ celle qui est censée la favoriser..On apprend certes dans ce livre derniére- trent traduit beaucoup de choses, mais de detail. On n'y trouve, en revanche, aucune pensée neuye ou sculement vraie. Sous couvert d'une enquéte «« empirique », c'est une interminable défense de « Lumiéres > jamais défi- nies et ressassées ad nauseam. La com- paraison des parcours del” Europe de la révolution industrielle et de la Chine apris le xvir sgcle — pour expliquer ce quion a appelé la « grande diver- gence » —aun peu plus de relief: mais AURE ad ins nai Tethounoieda Csplaiame nance, Sues net cre ai Seep e Economie utile pour verge | dessempe dite tcoforae | ADDIE Banerce ct Bie | eer Dune, fours | tadecerigi atu) DIFFICILES | par Christophe Jaquet, ill Ere ES | Lacatmedetacroisance EEE | ican = | eda ni tunis tr paren oe . (eatin rope Le Triomphe de injustice, Emmanuil Saez ot Gabriel Zucman, tract oe angi (tats Uns) ar Géole Denar, Seal 304, 22€ ‘Sur un marche & Lagos, ou Niger elle est faussée par un « priori disons «« occidentalo-centriste ». Toutes ces réflexions font I’impasse sur deux questions essentielles :& qui prof cr kul ver cee die « cre sance » ? Quelle ese sa viaie réalité » dale cramer premier point, a question, longtemps éearée, est revenue au premier plan grice aux travaux de ‘Thomas Piketty et de ses émules. Le probleme est que, comme le montre le sécont bestseller américain des deux Frangais Emmanuel Saez et Gabriel Zacman, Le Triomphe del’injustic, on cn tire beaucoup de chiffres —essentiels «en économie ~ mais pas la moindre ex- plication — ce qui est plus utile encore, puisque, sans elle, on ne débouche que surde redondantes mesures fiscales. De ce point de vue, une page bien choisie de ‘Marx oude Keynesa plusde valeur pra tique que des millers de rableaux Excel ou d'études « randomisées » & la ma- nigre des expérimentations actuelles sur les traitements du Covid-19. C'est une chose d’érablir desconstats:c’en estune tout autre que d’élaborer des hypo- théses tester pardesexpériences. Dans le premier cas, on titonne comme le Pr Raoult, en recyclantau petitbonheur anciennes moiécules; dans le second, ‘on tente de comprendre & quel phéno- mine on a affaire ~ ce qui, sul, devrait avoir le nom de « scientifique ». Cela est encore plus sensible sur la question du jagement de la qualité ct, plus large- ‘ment, du « contenu » de la croissance. Car A quoi sert un objectf de ce genre s'il n’est qu'une « gonflette » en trompe-ail, assise sur un chateau de Marchés financiers SORTIR DES BULLES Depuis un demi-siacle, la finance mondiale produit des crises qui semblent incontrélables. Propositions pour reprendre la main et démocratiser économie. La pandémie a réduit & néant les prévisions de croissance pour 2020. I reste cependant clair que le Covid-19 na été ‘qu'un facteur, certes puissant, une multicrise deja planétaire.Le virus a mis 8 nu le degré de décomposition des modéles économiques et politiques. Dans cette déroute, leréle de a finance a été ‘majeur depuis un demi-siécle, Eneffet, quatre cycles financiers se sont succédé et cont engendré de trés graves cchocs systemiques, ‘Au cours des années 1971- 1984, une premiere déréglementation de lo sphere financiére s'achéve par Je violent krach obligataire de 1987, En 1996, la libéralsation des mouvements de capitaux pprovogue une crise systémique frappant es pays du Sud-Est asiatique. Professeur émérite &Funiversité de Toulouse, Francols Morin, 2 été membre du Conseil général de la Banque de France. cartes de dettes, multipliane les Faux bien-écre cour en se révélane incapable de résoudre des questions aussi vitales gpk sone pou chacun un logement décentet/'accés a une nourrieure saine? ‘On en revient ici & I’étonnement de Keynes sur « la pauvreté dans l'abon- dance» : comment peutil yavoirdans des sociétés ditesrationnelles autant de sggnsinemployéset de besoins non satis- faits? Jamais les chiffres ne pourront peteer cette énigme, qui n’a quiune ex plication possible: celle, commel'a écrit En 2008, les grandes banques sont Incontrolée de produits financiers dérivés toxiques. Issus en partie de cet épisode, les surendettements ont forme des bulles financieres 4clatant aujourd'hui avec la crise du Covid19, Lleffet de ces cycles a été considérable :& chaque crise, les Etats ont di palier les pertes du privé par des ‘dépenses publiques done augmenter leur dette, ‘en contraignant leurs finances publiques & des ~toutleresten'estquebabillage. encouverture. A gauche Débat miné Le progressisme a longtemps caboté entre « doux commerce » et émancipation sociale. Un compromis désormais clivant. Par Stéphanie Roza ‘endantlongtemps,la gauche fur identifige comme le camp pro- _gtessiste, Les philo- sophesdes Lumizres, qui peuvent étre considérés comme ses anederes, préfié- raient parler « des > progrésau pluriel auxViir sieleilsinterrogtrent les rap ports entre progres matérels (dévelop- pement du commerce, duluxe), progres culturels(essor des arts, des sciences) et progrés moraux ou politiques (moeurs plus douces, acces de tous aux connais- sances, te.) Sil'optimisme, soit 'espoir dans Famélioration de la condition des humains, les meteait presque tous d’2c- cord, du moins les liens entre ces diff rents progrés n’allaiencils pas de soi parmi eux. II n'était notamment pas évidene que l'amélioration du sore du euple dat passer par l’accroissement des relations commerciales et de la consommation de produits de luxe par ceux qui pouvaient se les offi. ‘TOUT EST LOIN D'ETRE ATTEINT On trouve dans ces débats la source de deux grandscourants dela pensée poli- tique moderne. Les fervents défenseurs du « doux commerce »,quel’on devait libérer de toute entrave. de toute régle- ‘mentation contraignante afin qu'il en- trainit la prospérité universelle (Adam Smith, Montesquieu, Turgot....sontles Charge de recherches au CNRS, Stephanie Roza ost spécialiste des Lumibres de la Revolution francaise AURE LaGauche conere ea Lnmidres?, Stéphanie R029, (6, yard « son deus, 2088. 186 précurscursdu « libéralisme >, compo: santeessentielle dela gauche aprésla Ré- ‘olution frangaise. En effet, sont consi- dérés an x1%" siécle comme de gauche ‘ceux qui s'inscrivent dans le sillage des acquis de la Révolution : émaneipation dela tutelle de lEglise, abolition de la monarchic absolue, destruction du féo- dalisme. A partirde ce fonds commun, tun autre courant plus radical 'afirme dés 1789 : ses représentants se divisent centre les partisans d'une certaine égali- sation des conditions (autour de 1840, Pierre Leroux les baptise « socialites >) ‘et ccux qui prénent lacommunauté des Biens, des ava et des ouisances, et ‘quel’on appellerabient6r les « commu- nistes >. Socialistes et communistes combattent eux aussi au nom du pro- sgrés, méme s‘ils ne donnent pas 3 ce terme la méme signification que les ibé- aux : Ie progrés social est fait & leurs yeux d’une meilleure protection du peuple contre la misére: il comprend extension & tousdu droit l'éducation ‘et des droits politiques: il concerne 'ac- «eds duplus grand nombre auxbiens pro- dduies par l'industrie moderne. Auxrx siéele, denombreux socialistes, et communistes partagent done avec les ibéraux la convietion selon laquelle accroissement de la production maté- tielle ese la base de Pamélioration de Vordinaire de toute 'humanité; ils n’en différent que surce point —essen- tiel - de la méthode par laquelle les biens produits peuvent proficer routes, ec 4 tous. Sil’on trouve, chez Marx et Engels, chez Kropotkine et chez quelques autres, des indices de P'ineui- tion selon laquelle I'amélioration continue de la productivité du travail hhumain devra sarréter aux limites des ressources naturelles de la Terre, force est de constater que cette préoccupa tion est secondaite. Rien d’étonnant, A une époque oit Pobjectif de fournir tne alimentation suffbante & tous ext loin d’éere ateeine, méme dans les pays capitalistes les plus avaneés. Au tour nant du siéele, le progressisme désigne ainsi un ensemble de convictions so- ciales et politiques ancrées dans la confiance dans lavaneée des conn, sances scientifiques ct techniques. quifaitdebar, cesta propriété (indivi duclle ou collective ?) des moyens, tla distribution (inégalitaire ou égali- taire?) des fruits de ces progres. ENJEUX DU PROGRESSISME Face & ces courants, le conservatisme Saffire trés tot comme réaction anti- ‘moderne et contre-révolutionnaire. Ses représentants s/accordene sur l’inter- prétation de la modernité comme dé- cadence, sur le développement de ladé- ‘marche scientifique et de l'industrie comme négations de la nature authen- tigque de I"homme et du monde, sur Vessor de la démocratie et du socia- lisme comme graves menaces de nivel- Jement d'une humanité fonciérement inégalitaire. Aujourd’ hui, ces repéres politiques semblent passablement brouillés. Ala faveur du déclin des par- tis incarnant le progrés social et de 'ag- gravation de la menace éeologique ont émergé la fin du sigcle dernier des ten- dances antiprogressistes chez certains auteurs et groupes venant de la gauche. Dansla mouvance déeroissante se mul- tiplient désormaisles anathémes, moins TICIDES PULVERISES, ENFANTS EXPOSES, SANTE MENACE ! Manifestation 8 Bordeaux pour dénonce contre le capitalisme ou le libéralisme que contre la technologie et la science elles-mémes, rendues directement res- ponsables des pires atrocités du Xx’ sidele : dérives eugénistes, rcisme biologique, génocide juif, ete Le « scientisme > ou la « tech- no-science » désignent pour leurs dé- tracteurs alliance entre les seienti- fiquesetle complexe militaro-industriel Une part de la gauche rejette la religion du progrés. conduisant indluceablement la dépos- session dela société, 3 la destruction de environnement naturel et Ia dislo- cation de I’humanité, menacée des pires manipulations génétiques par les apprentis sorciers de la « technocra- tie ». Danslaméme veine, les représen- tants d’un anarchisme « néo-orwel lien » nhésitent pasa revendiquerleur conservatisme contre ce qu'ils consi- brent comme la religion du progres et ses conséquences :le réved’une huma- nité émancipée de tout ancrage, aussi bien naturel queculturel,lancée plein regime dans une course flle anno vation tous azimuts et & la transgres- sion de toutes les limites connues. ‘Ces réactions sone compréhensibles, tout comme sont légitimes les inter- rogations sur le modele productiviste et la nature artificielle des besoins générés ce nos pote epilse contro. rain, Toutefois, la grave crise sanitaire ‘mondiale que nous traversons, dont le déclenchement est déxéglements de Vordre mondial, a le mérite de remeccre les pendules & Pheure. Il ese presque certain que les technologies modernes ont rendu pos- sible le franchissement parle Covid-19 de la barriére des espéces, puis sa pro- pagation rapide aux quatre coins du globe; mais il ese tour aussi clair que la Communauté scientifique mondiale, mobilisée pour la recherche ctla mise au pointde tests de dépistage, devaccinset de remédes, coneenere aujourd hui les espoirs del’ humanité tout entire pour 5 patiques de Monsanto. cenrayerI’hécatombe en cours. Au-dela de cette pandémie, que certains inter- prétent comme un avertissement, il rest pas sérieux de prétendre qu'il st firaie de porter un coup d’arrée aux progrés scientifiques et techniques, ni méme la production de marchandises inutiles, pour éviter la catastrophe éco- logique. Le veritable enjeu du progres- sisme du xx0" sigcle consiste & trouver les moyens politiques de réorienterradi- calement la recherche ec innovation, en les soustrayant & la loi du marché yur les mettre au service du nectoya {es polhitions, dela regeneration des écosystémes, dela miseau point de tech- niques de production respectucuses de environnement. Du x1X¢ sigele & nos jours, c'est Pappropriation privée des moyensde conception, de production et déchange des biens quiesten cause, De ce point de vue, sila science a contribué a endommager la planéte, cst égale- ment elle qui peut nous permectre de la réparer. II n'y a pas d'avenir pour la gauche (ni pour la planéte) & moins de renouer avec un tel progressisme. rn Virus et virage LE VERT EST DANS LE FRUIT Protection et progrés étaient jusqu’ici jugés incompatibles, avec des conséquences incommensurables sur la plan écologique. Du point de vue européen, ily ala un carrefour fatidique. A droite comme & gauche, le « progressisme » a, ala fin du sidcle dernier, dévalue la notion de protection. (Que liable! Il faut prendre des risques! Des risques économiques & droite pour créer dela richosse - mais, ainsi ue le rappelait Bruno Latour dans son. essai Ou atteri?, ceux qui appellent 8 prendre un maximum de risques assurent leurs propres parachutes. Sila ‘gauche a défendu la protection social, elle a pu avoir tendance & considérer les autres demandes de protection comme des conservatismes avangant masqués Bon sang, soyez ouverts et sans frontieres! Par-deta les clvages, le progrés ne semblait devoir étre que «global », sans quoi fon devenait réactionnaire : Emmanuel Macron a bien réussi a se faire élre en se targuant de rassembler tous les « progressistes » face aux supposes conservatismes. La protection de environnement en a fat les frais, Incommensurables. opposition entre écologie et progres est une vielle breve de comptoir. On connait fantienne : vous voulez revenir aux torches, aux carioles et a Yeau froide? Mauvais sketch qui repoint aisément quand on invoque la « décroissance », tant progrés et croissance sont historiquement et intellectuelle ment devenus siamois, sous légide de Lumigres lointaines et discutables. Cest vai a droite, mais cela Ta été aussi longtemps a gauche : les ordres « naturels »rvendiguent-is pas les émancipations? A juste ttre, Bruno Latour a remis en cause la notion méme de « nature », responsable selon lui du rendez-vous manque entre écologie et politique : si fon estime que fon peut parfaitement distinguer et séparer humain du non-humain, ce dernier devient ce qui nest pas politique. Pour Latour, cet impensé a enfermé Iécologie politique dans l'ilisibilité et incantation, A Theure de notre grande paralysie pandéemique, la question est brilante ‘comment coneilier développement, democratie et écologie? A révidence as en repartant dans la turbine de la globalisation tous azimuts. Miracle ‘on peut parler de « relocalsation » e Quelle direction pour un progres encore vivable? ee économique sans se faire taxer de fossile « conservateur », souverainiste ‘ou cryptosoviétique. Mais ce terme est tun euphémisme pour ne pas utilser un ‘autre mot encore alergéne, voire tabou::le protectionnisme. Celui-ci ne ouvait étre « progressiste »: une entrave & la «liberté » économique & droite, un repli sur soi égoiste 8 gauche. La desertification industrielle de Europe (et les pénuries actuelles ‘qvelle cause) tient a cette concorde ~antiprotectionniste, ui explique aussi lessor des votes dits populistes, pour qui "Europe ne protége pas les Européens. Et cest vrai sure plan des mmarchandises: elle concentre tistement la protection, du moins son spectacle, sur les hommes :le rpfoulement violent et sans discetnement des migrants. Est-ce la un progres? Une Europe plus prospere, quitable et accveilante, le serait. Sans protectionnisme économique, (ela rvadviendra jamais : "Europe re peut que se racomir, dépenser ses rantes ou voler en éclats Pourquoi ne pourrat-ilexister un. protectionnisme « progressiste »? Un protectionnisme non & échelle rationale mais continentale, et surtout rnégocié entre zones géographiques, vec des accords spécifiques sur les ressources dont certaines auraient lexclusive : autrement dit, un coprotectionnisme (exact inverse des traits de lbre-échange en cours de négociation), La voie est etrote et «scarpée, mais quelle autre direction pour un progres encore vivable, humainement et écologiquement? Non seulement cela redonnerait du travail, rnais cela permettrait de privilégier des industries « vertes » (Cest le Green New Deal défendu par l'aile gauche des «démocrates américains), de développer des biens, savoirs et technologies qui vont devenirvitaux. Au début de son mandat, Macron nargua Trump en inventant le slogan « Make Our Planet Great Again » et en appelant les, chercheurs du monde &ralier la France. Cest peu de dire aue sa politique de la recherche et ses signaux économiques re sont nullementallés dans cesens ~ et que le « Great » du slogan re désignait qu'une globalisation 2 ancienne. Est-ce donc cela le progrtessisme? Sil en reste fa, cest plutot une vieile bagnole aiscardienne, déguisée en start-up. Hervé Aubron Hartmut Rosa Eloge de lindisponibilité Entretien avec le sociologue et philosophe, qui, aprés Vaccélération, s‘attaque au démon Votre livre, Résonance, a profondément transformé le paradigme & partir dduquel la sociologie aborde la question des inégalités et dela vie bonne = précisément en inversantla notion de progrés. Comment avez-vous fait? Hartmut Rosa, ~ Partons d'un constat simple en tant qu’ individu, nous cher- chons toujours & augmenter nos rer sources. Bien sir, avoir de 'argent vaut mieux qu’ tre pauvre, recevoir et entre tenir un bon niveau culturel et de bons amisvautmieax qu’ étre ignorant tisolé = sans parler de nos préoccupations gpenisntespooenoer cpl expe toutdoitétresain et nous rendre attrac- tif. Chacun selon ses preferences, nous sommes tous engagés dans eette course aux ressources, a maniéze donton fait de la sociologie y a participé, en posant par exemple la question de savoir com- ment une éducation consciente des di ferences sociales pourrait permectre acetdera des nivenuxsupérteursde chesse, oude santé, etc. Celaestévidem- ment central! Les ressources jouent un role important dansnos vis,car leur ab- sencenouslarend difficile. Maisaisou- hraité revenir & la question de l'expé- rience : comment puis-je faire Vexpérience de ma vie comme dune Pus jeune représentant de la théorie critaue allemande, Martmut Rosa saieme, entre philosophie et sociolosie, ‘comme run des grands penseurs de 'époque contemporaine. de optimisation, bonne vie? Une bonne vie n'est pas une chose que Von peut avoir ou pas, mais tun processus dynamique; et il faut convenir queI'aspect vibrant dela vie ne dépend pas directementdu niveau de re- vvenu, ni méme de la santé, car certains individus, méme malades, conservent tune relation intense avee le monde. Les poychologues observent, par exemple, que certaines personnes ont une ten- dance & louer les avantages de la cam- pagne tant qu'ils y vivent, puis & loner ceuxde la grandevillesils doiventyem- énaget. C'est done le type de relation stissent avee leur propre vie qui fhicleur bonheur: le monde leur patie. elles en sont affectées et, quel que soit le contexte, elles Sengagent toujours dans tun processus de transformation mu tuclleavec le monde. On s‘apergoitalors >» guel’on atrop valorisé Pavoir au liew du faire, La capacité d’entret en résonance avec le monde est plus décisive. Il ne Sagic pas d'une métaphore, mais d'une relation entre deus termes qui sedploe en plusieurs dimensions - laffection, émotion, latransformation, et!" incon- ‘rolabilité. En définitive,larésonance ne peut ni étre fabriquée ni acherée. ans ces conditions, quelle prise ppeut-on avoir sur notre relation subjective au monde pour 'améliorer? Eh bien, a résonance suppose que le sujet soit ouvert au résultat de la erans- formation. Dans mon dernier livre, Rendrele monde indisponible,jai voula explorer cette dimension que j'appelle Vincontrélabilité, ou Vindisponibilité du monde. Les impératifs néolibéraux noussuggérent que nousdevrions cher- cher et trouver de la résonance partout dansnos vies, Lamodernité se fonde sur un effort permanent pour rendre les choses disponibles, prévisibles, tc. Mais ily aun aspect d’indisponibilité du ‘monde quirésiste cetteapproche d’op- simisation paraméerique, Lalogique de la résonance est ainsi dans un subril conflit avec le néolibéralisme, car elle suppose un élément de surprise, en par ticulier dansla transformation : vousne savez pas en quoi telle ou telle expé- rience va vous transformer. Ee cest la surprise dece que vous devene qui Fait larésonance. ‘Vous désignez notre effort pour agit sures choses et les contrdler en termes de « points dagression ». Cette attitude est-elle lige aux mécanismes de raccélération décrits dans vos précédents livres, Accélération, puis Aliénation et accélération? ‘Absolumene ! Prenez Vexemple du sommeil, Pour s'endormir il faut se ais- ser aller. Si votre relation an monde est troublée, cela va étre difficile. Mais pen- sez au réveil : rares sont ceux qui s'évcillene lorsque leur corps a assez ddormi — le révelle-matin les attaque et leur impose de défendre leur terrain. Cette logique de l'agression va définir pour chaque journée une fo-do-lis qui figure comme une suite de points dlagression. Or le problime de a to-do- list est quielle explose et ne cesse Ture. dTexcéder le temps disponible. De on ressent une frustration perma- nente lige au fait de défendre une cause perdue en permanence. Et cela vaut 8 grande échelle: a société néolibérale ne peut se stabiliser que de maniére dyna- migue, par la croissance, l'innova- tion, etc., qui lui sont indispensables pour maincenir le statu quo. Or cette forme de stabilisation nous conduit au- jourd’hui & une crise écologique ma- jeure,oit nous sommes litedralementen- ‘és en guerre contre la nature ‘Comment renwerser cette tendance, ‘quand toutes les institutions tendent vers cette accélération? Pourcommencer,il faut comprendre que notre peur d’épuiser les ressources naturelles, d’étre plus pauvres que les sgénérations prévédentes, etc. es prison- nidre d’un cadre de pensée qui aggrave ces situations. Dans le cas de Paccélera- tion, jai souligné que la décélération n'écaicpasune solution, puisqu‘lle par- ticipe de la méme logique. C'est Ia méme chose pour relever les détis so- ciaux ot Leologiques. La question nest pas d’avoir ou de faire plus ou moins, ais d'avoir et de faire différemment. J'insiste: pour ceux qui ne mangent pas 2 leur faim, qui sont sans foyer ou sans ‘emploi, les ressources économiques et sociales sone fondamentales. Mais un chémeur maltraité perd sescapacités de xésonance: méme l'aide inanciére qu'il regoit peut étre un acte symbolique t's brutal; l faue doneen envisager tousles aspects. Noussommes trop obsédés par Pidée qu’en retrouvant des ressources tout sarrangera, si ben que nous dési- rons toujours plus de ressources et plas de sécurité si bien que l'effore a surer la disponibilieé du monde nous fac vite retomber dans son cercle infer- nal. Cette obsession nous tue tout au Jong de notre vi. Comment sortr de cette circularté? Lallucidité ne suffit pas. Nous avons beau dire « On devrait se calmer » ou « Lannée prochaine, j’en ferai ‘moins », cela reste sans effet. La méme chose vaut pour l'environnement. Nous nous mentons & nous-mémes en. pensant que nous avons commencé & réagir. Tant que noussommesdans un 8 Le Nina Magu Lie ¥N°29 M3080 q } y Rendre le monde indisponible, Hartmut Rosa, trad demand ar Ovier Mannan rapport agressif au monde, nous ne pouvons que détruire la planéte, C'est le méme processus qu/avee le temps : tous les outils technologiques pro- mettent de nous faire gagnerdu temps, @ Tant que nous sommes dans un rapport agressif au monde, nous ne pouvons que détruire la planéte. ee cet cest vrai (la voiture, le smartphone, Femail sone erésrapides), mais ce n'est jamais assez. De la meme maniére, is au poine des énergies vertes; mais la demande en énergie ne fait qu’augmenter! Ainsi, pettimportentles valeurs, pew importe lalucidieé. Ce qui doit éere réforméest letissu institutionnel dans lequel nous vivons. Les optimistes tombene dans le pitge de la disponibilité: il suffiraic deprandreconstenc des fas, pulse les comprendre, puis de saisir la prise que nous avons dessus, pour enfin pas- seral'action, Mais le monde ne répond. pas de maniere si fluide. Au contraire, effort pour rendre le monde dispo- nible& notre action ne cesse de faire re- venir son indisponibilité sous des formes monstrueuses et destructrices. Voila pourquoi mes travaux actuels, sont consacrés Ala « troi- sidme voix », celle qui sex- rime entrel actif etle pas- HtiCercains interpre (en danse ou en musique, par ‘exemple dans esimprovisa- tions d’un jazz-band) sont parfois incapables de discriminer ce quills regoivent et ce qu’ils émettent. Crestdans ect esprie qu'll nous faut eaisonner. Propos recueilis par Maxime Rovere Le développement de énergie vert atface a des besoins toujours plus grands. Flux PRENEZ VOTRE TEMPS Et si la lenteur, opposée aux rythmes imposés, était la clé pour se prémunir des ravages affectant un monde épris de vitesse? Dans sa legon « Comment vivre ensemble? », Barthes imagine un idal de vie collective qui permettrat 8 chacun de vivre selon son propre rythme. Ce fantasme dx idiorrythmie » s@ trouve, selon lui, empéché par la « dystythmie » qu'impose le pouvoir. La classification sociale serait ainsi avant ‘tout une affaire de rythme : d'un cote, ily a ceux qui maitrisent et dictent la cadence; de autre, ceux qui paraissent ddominés par ce rythme.Erigée en vertu, , dite sexagénaire Piero, qui réved aimer avec passion, comme Tris ean. Lapphilia des Grecs, cette veillanteetdouce quest Que peut-on attendre d’autre du ma ment difficile », répondait Stendhal. s Pamitié entre gens mariés tient méme trop de la passion « Le bonheur da pour étre une base stire de bonheur. Ce ‘quilie les amitiés dans le monde, c'est la possibilité de se séparer & chaque ins tant >, ajoutaitil Solitude choisic ou subic, Cristina ‘Comencini suit ses personna delicavesse, et regarde le sort se jouer deuxavec ironie, Seulsaveceux-mi ils se découvrent avec étonnemer Contrairement a Eva Ilouz, dont la ortrait grille d’analyse sociologique en me dans une lecture univoque (La Fin de l'amour; Seuil, 2020), la oman- ciére lisselelecteur conjeccurer. Laura, par exemple, la parfaite vietime, la femme dévouée & sa famille et plaquée par Piero, prend enfin oindelle-méme «tsansle chercher, rencontre un tendre amout. Piero, leraitre, sefaitrogner des ailes toutes neuves par samaitress, Jui impose sa grossesse. Andrea, plaque par Maes tq een sce pas ot enedediatroe ‘SEXAGENAIRES TRAGICOMIQUES Marta est sans doute le personage le plusdéconcereant, le plusénigmarique, et le plus... contemporain de cette co- médie & Iitalienne. Elle a quitté son mari sans raison. Ses enfants la som- ment de se justfier : pourquoi quitre- elle leur pire? « Parce que javais be- soind’étre seule », répond-clle. Elle est a plus égoiste, la plus individualiste,la plus déterminée & user de sa liberté Ne dépendze de personne. Une #é jonse peu intelligible. « Quel age etusntman?eidmandeson ls incrédule, Tragicomiques, les sexage naires de Cristina Comencini sont de vieux adolescents qui se séparent avant avoir appris 3 aimer ou en ignorant quills saiment. « C’est ’amour que nous avons partagé qui me mangue parce que lui est unique », dit un per- sonnage secondaire, veuf, seul A avoir compris de quoi il retourne. s Ctisins Comencin! posside un talencd’observation rae, dirson éditrice frangaise Raphaélle Licbaert. Elle capte tout. Attentive, elle observe les inter- actions entre les gens. On dineavec elle, fon sapergoitla fin du repas qu'on lui tout raconté de notre vie. C'est un des ares auteursqui's'intéressent vraiment aux autres, » La curiosité, une qualité familiale Un jour, & Rome, ’édierice dine chez Cristina Comencini, avec sa sceur Francesca, elle aussi seénariste et realisatrice. Cette demnire a cosigné la alisation dela série Gomorra. « C'était étonnant. Elles sexpriment toutes dans un frangais incroyable, sont présentes sur tous les fronts, ne sen laissent pas conter. Er gentilles en méme temps », relate Raphaélle Liebaert Decouples,ilestquestion aussi dans a lettre adressée aux «< Chers cousins frangais » que Cristina Comencini a publige dans Libération le lendemain du confinement décrété en France le mardi 17 mars. 12 heures. Destiné au « Libé des écrivains » et commandé par Claire Devarrieux, ala téte du ser vice Livres du quotidien, ce texte, pré- publié surle ste du journal, aconnuun ‘grand succts, Plusieursjournaux étran- {gers en ont acheré les droits. « Nous avons en face de nous la vie que nous nous sommes choisie, ou que le sore nousadonnée, notre “foyer” ~ non ce- lui de la maladie mais celui que nous avons construiitau cours des années. Je nommerais cela une épreuve de vé- rité », écritelle Savie est parfois aussi malicicuse que son roman, Juste avant le confinement, tune de ses amies lui annonce son inten- tion de divorcer, avane de se retrouver confinée avec le futur ex-conjoine. Au téléphone, Cristina Comencini lui de mande des nouvelles. « Superbien. Now avons déerdeé un cesserle-fou. 3° Cristina Comencini, elle, dit avoir raté ses relations conjugales. Elleestnée A Rome le 8 mai 1956 sur la tres chic colline des Parioli, celle de la bour- _geoisiepatricienne, acteurs, industriel, foorballeurs. Son pare est le cinéaste lombard Luigi Comencini, sa mére la princesse Giulia Grifeo di Partanna, née Naples. Une greffe entre le Nord cet le Sud, en somme. Lui est un pere strict elle une mére solaire. « Mamére appartenait joycusement & une famille toire rocambolesque. Dans cette fa- mille trés ancien régime, aux origines silennes smb grec une modernise absolue, avaic eu sept enfants sans se REPERES 78 mai 1956, Naissance & Rome. 711973. Naissance de son fils, Carlo. 711988. Premier film réalisé, Z00. A991. Les Pages arrachées (Feltrinell. ‘7.2020. Quatre amours (Stock). rmarier...» Avec Giulia, Luigi Comen- ini épouse done une grande famille de femmes, laquelle ls ajoueerone quatre filles, Paola, Cristina, Francesca, Eleo- nora, « Dans notre maison de vacances A Ischia, il présidaie parfois une tablée de trente femmes. Un harem. Il n’en était pas mécontent, lai qui avait été édugqué par une mére suisse trésstricte, tune Vaudoise protestante. » ELLE S‘INVENTE UN AUTRE MONDE Lenfance de Cristina Comencini est singuliére. Peu « scolaire », elle gean- dit dans une maison pourvue d'un parcavec des arbres. Les parents vivent au premier étage, les enfantsau second. Un refuge pour eetee fillette hyper- active quise révéle cancre l'école. « Je ne comprenais pas ce qu’on atcendaic de moi. ]’éeais trés physique, alors ’a1 ggandi dan I jardin dans un monde le sensations et d’odeurs. » Dans le jardin surabondane quelle habite, elle s'invente un autre monde, avec pour compagnon un chien, elle grimpe aux arbres, vole des fraises dans le porager. Elley cultive une intelligence intuitive, sensuelle, curicuse. Et peut-étre une certaine acuité qui est sa marque. Cet univers trés sensoriel est dépeine dans Eare en vie (Stock, 2018), dont I'hé- roine Caterina est sans doute inspirée de son enfance. Un jour, Cristina grimpe sur une chaise, escalade le mur denceinte et senfuit. Dehors, la cam- pagne 4 perte de vue. Elle prend peur. La fugue est bréve. « Je suis rentrée bien vite. » Jusqu’s 10.0u 11 ans, elle ne lit que des livres pour enfants. « J’éraisun peu “tardive” », dice. Lorsqu'en quatriémeelle redouble; la ‘main du pére sonne la fin de la récréa- tion, Lenfance sauvage, ¢a assez duré, rappel au réglement. « Ta vas aller ré- fléchir dans la solitude. » Intraitable, il Venvoie terminer Pannée scolaire danslamaison de vacancesavecune do- ‘mestique pour seule compagne. Ischia nest pas une colonie pénitentiaire, ‘ais lle yest seule. Da sola, dja. Face A sosméme. « Un exil humiliant. » Elle a transposé cet épisode ruguewx dans Etre en vie. « A chacune de nous juatre, mon pére a infligé ce genre de choses parfots assez durement, Il vou. lait que nous devenions des femmes autonomes, y compris vis-a-vis des hommes. Tous les parentsse trompent. Mais nous avons appris de lui une chose : faire les choses jusqu’au bout. » La statue du commandeut a finale- mene engendré quatre femmes indé pendantes et féministes qui exercent dans le cinéma. Luigi Comencini est aussi un pére attentionné. II prépare TOvomaltine du matin et, aux gotiters danniversaire, projette des films. « Un jour, les parents one retrouvé leurs enfants en larmes. » Luigi Co- mencini avait diffusé son film L'Tr- compris (1966), consacré & un jeune gatcon qui, lademandede son pere et our préserver son cadet, doit porter eal le deuil de a mere. Alors qrellea 13 ans, Comencini offie safille le rle d’Angela, dans Casanoua, un adoles- cent é Venise (1969), Le 9 avril 1973, « lorsquese né mon enfant, alors que}’érais moi-méme une enfant », a petite « tardive » grandit d'un coup. Elle n'a que 17 ans lorsque nat Catlo, fils de Tabio Calenda, Famoureuxde ses 15 ans. Le pére sévere en fait un mini-drame, la mere joyeuse conseille de garder l'enfant, « parce guiun enfant cest bien », mais de ne passe marier sansamour. Cristina pro- teste, elle aime Calenda et Iépouse «« J’ézais entrée dans la macurité d'un coup. » Un choc, la vie de grande per- sonne. « Le premier enfant, une sur- prise torale. Surtout quand on a été Lula Comencin avec sa femme, la princess Gila Gee di Partann, et trols de leurs files, en 1974 éduqué pour la liberté. » Une méta- morphose, aussi. La vie soudain est li- mitée,confinée, solitaire: « Aucunede mes amies ne faisait Ia méme expé- rience, » Néanmoins elle s'inscrit la fac, avce l'enfant. Dans lTealie du dé but des années 1970, l'économie poli- tique est dans le vent. « Jeme suis ins- crite a la Sapienza, deivceiee de ee L’enfance sauvage, ¢’a assez duré. « Tu vas aller réfléchir dans la solitude. » @ Rome. » Comme avant elle Mario Draghi, le patron de la BCE, elle sui les cours du fameux économiste Fede- rico Caffe, « Un mystique de lensei- ‘gnement, qui deviendea plus tard e&- [bre pour sa mystérieuse disparition. » Engagée, Cristina Comencini devient féministe s‘exprime sur la maternité, donne naissance sa fille Giulia. Et,son diplome d’économie politique en poche, elle divorce. Pour élever ses enfants, elle travaille avec son péreen tant que scénariste. En 1982, lle cosigne le scénario du Ma- riage de Catherine, sous le nom de sa mire, Grifeo. Mieux, son pirelui assure tun apprentissage d’ lite auprés delalé- nariste mais aussi celle de Visconti, Antonioni, de Vittorio De Sica. Lion dlorala Mostra de Venise en 1994 pour ensemble de sa carriére, cette lionne du scénario a coécrit, entre autres, Le Voleur de bcycletteet Le Guépard. Cxis tina se forme A ses cotés sur Les Belles Années (1984, Lapres Cuore, le roman d’Edmondo De Amicis) et La Storia (1985, d’aprésle livre d’Elsa Morante), deux films de son pére, En 1988, elle réalise son premier film, Zoo. Depuis, elle en a signé une quinzaine UNE FAMILLE FORMIDABLE Alafin desannées 1980,elle fait une se- conde rencontre décerminante. AI'écri- vain Natalia Ginzburg, elle adresse un texteen lui demandant son avis. Celle- lui conseille d’attendre pour publi «« Elle écait un monument de la lictéra- ture italienne, ’ai suivison conseil. » Ellea envoyé le premier texte sous son nom de jeune fille, elle lui en envoie un second sous pscudonyme, employant le nom de son second mari, le producteur Riccardo Tozzi. Ginzburg, qui lui ré pond cn quarante-huie heures, s¢ ‘montre enthousiaste. « J’étais si heu- reuse... Elle appartenait au groupe his- torigue quia onde Einaudh ee Teo Calvino, Primo Levi, Pavese. » Son pre ier roman, Les Pages arrachées (Le pa- gine strappate), ese publié en Tealie en 1991 chez Felcrinelli,l'éditeur d’Erri De Luca, un copain de toujours : lui aussi passait ses vacances dans I'éden. d'Ischia, dans le golfe de Naples. La petite tardive a rattrapé son re- tard t mire 317 ang, divorcée 3 23, sgrand-mérea 33 (son filsCarloayanceu une fille, Tay. 16ans),l'annéesuivante mére pour la troisiéme de fois de Luigi, coneu avee Riccardo Tozzi... Laing, Carlo Calenda, est aujourd’hui dépuré européen de centre gauche, parfois com- paré a Emmanuel Macron pour la rapi- dité de sa trajectoire politique. sa jeu- nesse, sa naissance de bonne famille. Sa fille, Giulia Calenda, elle, estsénariste, cele pre dere, Lg Tom DY dela scéne techno, Quant & Tay Calenda, petite-file, wise Dates ce photo- sgraphe, Ah! au fait, Cristina Comen- ini n’est pas confinée seule. Mais avee son fiancé. Ga se passe bien. Le fiancé? Un cingaste frangais done le prénom commence par. . | lachronique 2, ‘Alexis Brocas » Tournons la page t vous, qu’avez-vous Iu durant le confinement? Ou quaver-vous écrt, puisque les éditeurs redoutent un raz-de-marée de textes dauteurs cloitrés? La floraison de rmanuscrits sera-t-elle désormais comptée parmi es symptémes classiques des épidémies? Lapeste de 1358 avait donné un Décaméron, le Covid-19 donnera~ lun milion dautofictions? Le coronavirus a eu d'autres effets secondaires notables sur le miliew Itteraire, dont celui dexacerber las différences de classes : pour avoir raconté leur confinement ten résidence secondaire ou en station balnéaire ~en toute inconscience?- Leila Simani et Marie Darrieussecq se sont fat traiter, sur Internet, de Marie~ Antoinette. Et les confinés dans 8m’, ca vous arrive d'y penser? Etainsi, ces deux bonnes romanciéres sont devenues des objets de décompensation publique, avec ce que cela suppose d'excés et dinjustices. Le confinement vous pése? Pensez & ces dames prenant le soleil dans leur jardin et crachez votre rage dans les réseaux. iis nattendent que ¢a. Etil pratt que la France sortiraunie de épreuve... Pur ma part, je réve qu’ quelque chose malheur soit bon et que le coronavirus relance la maladie dea lecture. Imaginez saoulés de télé et accablés de divertissements virtuels, des millions de Francais rouvrent ces petits objets rectangulaires duils rangent sur leurs étageres et redécouvrent, stupétaits, ce que vous, lecteurs du Nouveau Magazine lttraire, savez bien (on niest jamais mieux confing {ue dans univers d'un bon livre. our supporter un confinement rien ne vaut une biblothéque bien achalandée. Alors tous en libraries, dés leur reouverture, enattendantle prochain black out! w a y eritique Terminator aux pattes de velours Pondérées et d'un humour exquis, six nouvelles alleares sur les monstruosités de la postmodernité numérisée. Par Alesis Brocas nfuncchérideslereres d’honneurs et de prix, professeur d’éerieure’ Stanford, ‘Adam Johnson est de «es erivains vireuoses dontlaleceureré xeillele M. Loyalquisommeileen tout critique lieéraire. Alors, approchez! ‘Venez voir! homme qui jongle avec vos sensibiitéscommed nutes ec des as. sierces! Dans son nouveau spectacle andon trecucil de nouvelles ~il vous fera rire avec le monologue intérieur dun ancien directeur de prison de la Stasinon repentancconfionréal'une de sesvictimes, Vous rconteratineévasion dle Corée dt Nord figon Chatlie Cha- plin,quiseterminera par unc vasion de Corée dua Sud fason Miyazaki. Vous plongera dansla psychéd'tn pedophile ‘ui lite a fagon conere a pédophilie cilbon,eseil aus, vous éxessculs jigcs, mesdames, mesicurs! Ilyachez Adam Johnson uncbté Ter sminator dela subsiieé qui peut effrayer, ‘comme parfois chez les auteurs amr tains formeés en atlirsd”erinure. On sent qu'il n'a pas seulement appris et reépétéleslegonsdes maitre :illesacom- prises et soigneusement appliquées. Dans sa prose, tout est traité pour que rien nesoit univoque. Jamais/ auteur ne se laisse embarquer par l'ivresse de son talent, défaut si commun aux auteurs frangais. Méme quandilracontelaccou- plement d'un homme etdesa femme té- srpligiqu apts une neon or an pare dee pair trise, inspiration surnage peut se voir comme un miracle, Oui mesdames,o _messicurs, sous ces dispositfs narratifs sophistiqués er derrie ees phrases eal bres, ilya, dans chacune deces ix nou- velles, un coeur humain qui bat La premigre nouvelle, « Nirvana », ineerroge, sa fagon, ce qui est humain, Ellemeten scéne,dans.un futur proche, un informaticien qui a ressuscité un Lachance vous souri, ‘Adam Johnson, trad de Fangtls (Grate Unie par Antoine Cans fiction "Adam Johnson a ecu le prix ultzer 2015 pour son deunieme roman, a Ve wale de Jun Do (LOIver) président américain fraichement assas- siné ~ en eéalité, il a congu un pro: sgrammede conversation capable d écu merlenet la recherche de déclarations ceed images du président, et a eréé ainsi un simulaere virtuel du grand homme, capable de répondre 3 n'importe quelle «question. Tousles hommessont mortes, le président éeait un homme, mais que dire de son fantome informatique? Ici la technologie donne un sacté coup de vieux au syllogisme platonicien, Pour creuserle theme ~lavie,la mort, ctles stades intermédiaires installs par Vingénierie humaine - la nouvelle af- flige|'informaticien d'une épouse para [ysée usqu’aucou et obsédée parle chan eur suicidé du groupe Nirvana, Kure ‘Cobain. Installéedansun lit médicalisé A commande vocale elle hésite entre se tuer ou faire un enfant. Des situations, des sentiments extrémes, n'est-ce pas? La encore, rien ne déborde : tout est contenu dans une éeriture remarquable de pondération, ec cependant soutenue ‘e© Installée dans un lit médicalisé, elle hésite entre se tuer ou faire un enfant. eo par des images déchirantes. Climatolo- ‘giques, quand Charlotte, I'épouse, dé- crit es sensations de son corps paralysé entermesde vent, de ncige ou de déhi Médicales ou informatiques: Adam Johnson nous montre ici qu’il peut investi des sais spcilisés pouren t- rerdelapodic. « Elleaun syndromede Guillain-Barré, qui provogue un dére- slement de son systéme immunieaie rcaque la gaine protégeant ses nerf] ‘Au total, cese un milliard de nerfs l- dedansquine serve aren etautant de signaux qui vont partout, null pare,» Tin maladie, la technologie la vie conjugale, evasion : cette premigre nouvelle insalle les thémes qui courent tout le long du recueil. Dans la terrible « Lesaviez vous? »,unefemmemalade fun cancer qui li a dévoré la poierine serute lessens des femmes épargnées spécialement ceux des femmes qui cets'interroge surle temps qu'il faudra celui-ci pour reprendre une vie sexuelle ique fiet aprés sa disparition. Adam John: son parvient ére la fois drdle, boule- versantet postmoderne (lanarratrice est une écrivaine ratée, et son mari lui vole son histoire pouren faireune nouvelle) Ajoutons qu’ la famille unie de « Le La volonté suffit- elle pour échapper ace que la vie ainscrit en nous? 6@ saviez-vous? » fait pendant la famille composite d’« Ouragans anonymes », oivunlivreurUPS sillonne La Nouvelle- (Orléans dévastée par les ouragans dans Je camion qui constitue maintenant sa demeure, en compagnie de son fils de 2ans, et sans aucun signe de la mére de celuicei, Danseesdeux textes, 'existence est envisagée en termes littéraires None le iver, vneereoge sur ls em- branchements narratifs qu’empruntesa vie & chaque décision, Et I'épouse condamnée de « Le saviez-vous? » sait quielle deviendra, pour se3 enfants, << une histoire du temps oit ils éraient petits ». Belles mises en abyme, n'estce pas? Tout ustesion n’entend pasles per sonnages cogner, de l'autre coté de la , pour nous demander notre avs. PX ce seade, ceux quinone pas lule grand roman d’Adam Johnson (La Vie voléede Jun Do, prix Pulitzer 2013) se ront convaincus de son talent. Ils ne sont pas au bout de leurs émois c'est dans les nouvelles suivantes que ce talent donne sa pleine mesure, Toutes trois portent sur des étrangers, au sens large. Un Allemand de l'ex-RDA, an- cien cadre de la Stasi jadis directeur une prison sinistee, qui ne regrette rien. Deux réfugiés de Corée du Nord plusou moins perdus en Coréedu Sud Et un pédophile solitaire qui lucte contre ses pulsions et contre ses sem blables, capable d’accucillir deux pe tices filles en détresse et dalle se mas- ruber dans le jardin pour les protéger de lui-méme. Trois sujets propices aux dissonances et aux projections inap- propriées. Et pourtant, ¢a marche. EMPATHIE A DISTANCE Ge nese pas une question de détails ou effets de réel ~ ils y sont pourtant: ‘quand Adam Johnson évoque la RDA, IDIOT WIND Pete: Kaldhelm rade ali Ets Un) ar Serine Wes Deer, Hp, 22 ROAD TRIPES Lodyssée d'un bousillé lucide a travers une Amérique a la dérive. oA ticse Prenez une carte des Etats-Unis, tracez, d'une main trembiante, une ligne brisé int New York au Mammoth Hot Springs Hotel de Yellow- stone en passant par New Orleans et Portland, Oregon, et vo! histoire; tout le reste est littérature. Nul meilleur endrolt que VAmé= rique pour bousiller son ame et sen forger, &ladure, une nouvelle. La fable autobiographique de Peter Kaldheim, adoubé par McInerney, DeLillo et consorts, est celle d'une chute épique : un chouette boulot d’éditeur 4 Manhattan, un mariage, un divorce, un second mariage, une perte tragique - une longue dégringolade sur fond d'alcool, de coke, de combines foireuses, puis de clochardisation, avec passage obligé par la prison. Seuleissue? La fuite, la ruge vers "Ouest, en stop, en bus ou entrain de marchandises, un Surlaroute version eighties. Le chemin de la rédemption se révéler inueux, cabossé, émailé de mille rencontres : des hommes perdus, avisés, bousillés, inspirants. Lauteur a mis trente ans accoucher de ce roman né de ses notes prises &'époque. Il voulaitécrre, Nua fala vivre e’abord. Son odyssée trébuchante ne révolutionne rien, elle n'a pas cette prétention. Peter Kaldheim est juste ce type qul vous offre un verre et raconte. son truc. Lhonnéteté comme éthique ~ et esthétique ~ du rachat. Fabrice Colin il mentionne marques de cigarettes et ‘noms de rues, quand il parkede pédophi- lie informatique, il cite le intieulés des fichiers que les amateurs s'échangent... Mais une question de projection par Vimaginaire ou d'empathie & distance. ‘Celasejoue parfoisen quelques phrases. Ainsi, dans « La chance vous sourit », nos réfugiéscoréenscroisenc une de leurs semblables, Mina, quiafui le Nord avec son accordéon, non pas pour goaiter la ibereé du Si uur chercher son ‘mari. Ce n'est pas quidlle l'aime, cest tune question d’image: dans la rude Corée du Nord, Mina a grandi en se construisant commela ile quine laisse is impunis les torts qu’on lui a in- Aigés. Du coup, quand son masiest parti avec langent du ménage, elle ‘est lancée Asestrousses,usqu’en Coréedu Sud. La, elle pourrait profiter de la vie et aban- donner le masque de la revancharde quelle porte depuis V'enfance. Mais serais-e alors? », se demande- elle. La méme subtilité est 4 eeuvre dans es rapports entre les deux réfugis, DJ ceson ane ce ex-facrorum Sun Hlo Le premier était un jeune éeudiant sur- dou quele régimeaaffecté a une de ses industries vitales : la contrefagon (de ‘monnaie, de billets de lorerie, de médi- caments). Le deuxiéme, plus igé, moins inseruie et trempantdans les mémes ma- gouilles, aidaie antre setter de divers ‘mauais pas. Mais, en Corée du Sud, es, roles se sont inversés. Et de leurs atti- tudes opposées jaillit une question qui fait écho &celle de Mina : quieter un ré- gime dictatorial ese ne chose, mais re- noncer ce qu’ila faitdenousnienestil paste tout autre? Le pédophile de la nouvelle préc dente porte un questionnement proche + peuton sarracher & so-méme? La vo- Tonté sufficelle pour échapper & ce que laviea inscricen nous? Au fond, outes, ces nouvelles peuvent se lire comme des, variantesd’un theme éternel :aluttede "homme contre ce qui le détermine (maladie, déviance sexuelle, passé) ou sa fagon de sen arranger. commelestasiste non repentant de laquatriéme nouvelle. ‘Ces textes ont valu.’ Adam Johnson,en 2015, un National Book Award 3 nos yewxamplement mérité : quand maitrise étinspiration confluent ce point, onne peut ques'incliner. . soldat, avant d’étre offerte en épouse au roi Ngungunyane. Un glissement Sopére : son allégeance envers sa tribu se muc en soumission ambivalente aux colonisateurs, puis en offrande 4 'en- vahisseur africain vaincu, POUR CEUX QUI NONT PAS D'ECRIT Aucdela de cette docilité apparente, Imani résiste grace & sa maitrise de Pécrie, convaincue que « les paroles écrites sont de grands fétiches, capables, de puissantes magies ». Transerivane les récits de réves de son grand-pére, que les défunts visitent chaque nuit, elle Paysage du Mozambique, pays maraué par cing icles de colonisation prend la plume pour « ceux qui n’ont pasd écrit » evimiteainsison pérequi trace les noms des disparus sur le sable. Puis Cest travers la correspondance de Germano qu'elle découvee la erai- trise des Portugais etalerte les siens du danger imminent. Enfin, elle poursuit sa rebellion tacite contre les puissants en tant que scribe du roi de Gaza, car « l'écrit inverse les hiérarchies : celui qui dicte une leeere a moins de pouvoir que celui qui I’écrit ». Orpheline -« condamnée & marcher toute sa vie parmilescendreset les ruines >, Imani incarne une race, une tribu, un sexe, sans cesse empéchés détre soi. Le lien viseéral qu‘elle entretientaveeles quatre éléments se trouve continuellement mis, Amal: cette terre qu’honorent les au- tochtones avec tant de ferveur est pro- fanée, puis déchiquetée par la guerre, ecenfin délaissée. Crese done une ode ila féminieé, aux traditions tribales ec Pindépendance des peuplesque formuleici Mia Couto, ‘Ce vaste roman historique puise coute sarichesse liteéraire dans sa dimension symbolique et lyrique, ainsi que dans Valternance entre les récits 3 la pre igre personne d'Imani et les lettres des soldats portugais, qui évitene au texte tout manichéisme, Pour Mia ‘Couto, grand écrivain mozambicain nobélisable, éerire semble constituer, comme pour ses personnages, une fa- gon de priet,de faire renaitre les morts, de résister Manon Houtart LES SABLES DE L’EMPEREUR Mia Couto rade da portage (Mocambig) par Elabth Mont Radha Mai 6 Les cendres du Mozambique Lhistoriographie romanceée d'un pays au puissant univers symbolique, saccagé puis délaissé par les conquérants portugais. dex Entre écied’initiation et fresque historique mo- numentale, Les Sables de Tempereur adressent un hommage au Mozam- bique, terre brilée si longtemps occupée, por tant jamais! empreinte du deuil. Alafin dux1 siécle, la Cou- ronne du Poreugal et I’Fear de Gaza oy se disputent ces contrées dA frique du Sud-Est, mus parla méme ambition de bitir un empire et persuadésd'y mener tune mission eivilisatrice. Trois livres rassemblésen un volume content cette guerre qui gronde au loin, puis éclate furieusement,etenfins’ éroulfe lorsque le dernier empereur de Gaza, le toi Ngungunyane, est capture par les Por- ‘tugais et contraint 4 exil aux Agores. ‘Au cacur de cette sage guerritre se tient une adolescente afticaine, Imani Nsambe, splendide figure de femme. ‘Malgre tout ce qui lui est arraché ~ sa virginité, sa famille sa terre natale -, elle demeure fidéle & ce qui se loge au plus profond d’elle-méme — sa langue maternelle, sa déférence envers ses dicuxetses ancétres. Maitrisant parfai- temenele porta ele sere de rade. tice au sergent Germano, chargé de re- présenter les intérérs de la Couronne face al’ennemi. Allgorie de ce peuple autochtone qui a conelu une alliance avec la puissance coloniale, Imani de ‘vient la fois Famante et 'espionne du a Couto, Journalist, écrivain et biologist. (0) Ett indépendant fond pale généeal Soshangane au sud du Mozambique en 1824 "Nuraysau'e 1895, us Tut vane et annexe parles Portugal ¢ fiction CREVE, MON AMOUR Ariana Harwicz rat del parla Gon Sl 208p. 186 eral Argentine ek AK Lapremiere phrase, affirme-telle, est sortie d'une trite allongée dans Pherbe, la rarratrice veut mourie. A deux pas de la, son bébé et son mari brbotent dans une piscine en plastique. Elle les halt, elle se hat, elle aimerait duis cravent, voll. Ariana Harwicz, prodige des lettres argentines ~ 35 ans au moment des fits -, est depressive, «faible et malade », « bestiale », « menteuse. perfide »; bre, sa maternité est une torture. Elle voit la mort partout maudit le male qui ul a infligé ce désastre, vérifie «toutes les minutes si le bebe respire », met le feud des fourmis, fustige a nuit ««maussade ot prétentiouse » On lui promettait le bonheur que toutes les « momans » sont supposées connaitres elle a envie de hurler, de disparaitre, elle est devenue une etrangere, aux autres ft Salle-mame. Quelque part entre Bernanos et Hubert Selby Jr, Crave, mon ‘amour est le journal d'une mere en chute libre, affolée parses affects, écrasée par le poids metaphysiaue do sa charge. Ici tout est vrai (la douleun, et rien ne rest (histoire). Fomenté en neut mois, dans la campagne nivernaise et en cachette des siens, ce roman hautement cathartique est tun gueuloir effrayant ‘4 se deversent, péle-mele, fantasmes toxiques, visions Iynchiennes, cauchemars vibrionnants et pulsisns dantesques, Un accident, tn chien nommé Bloodie léchant « son corps defoncé», du sexe importe-oi-nlimperte- comment, un « déco’ qui stébranle », des monzeaux de colére, des pilules ineffcientes, et la tere, si Vivante, et ce cerf aux Bois de prophéte «ila tcurné la tte ot j'ai vu ses rupilles ‘maintenant je suis aveugle »... Au final, seule Vécriture,ralleuse, Incandescente, sauvera échovelée génitrice 8 deux dotats de la camisole. « Jai éprouvé une trstesse excitante, sauvage » dit-elle ppour clore la thérapie. as mieux. Fabrice Colin PERDUS EN FORET \iclleHclle vals pura latin labs 1, Une sacrée nature On peut faire de belles rencontres lorsque l'on s’égare en forét, surtout quand le quotidien a plusieurs est une jungle. ddok ses Le titre du dernier roman de Helle Helle traduit en frangais résume lessentiel de ce qui s'y passe. Le narrateur, sportif du dimanche, s'égare au coeur d'une nature peu améne en compagnie d'une femme qui passait parla. Entre leurs tenta- tives pour retrouver la route, puis s'abriter et trouver as'alimenter, des bribes de sa vie elle surgissent comme de nouvelles histoires ren- contre et soirées avec les jeunes membres de 2 colocation dans une vaste maison, débolres avec un voisin bruyant, rencontre avec sa belle-famile.. Sous des atours prosaiques, sans boursouflures, la romanciére rapproche la uéte de la civilisation perdue de 'expérience ddu quotidien, dans laquelle ilest possible dese roconnaitre sans avoir jamais quittéle bon che- min au milieu des bois. Eugénie Bourlet Lieervaine danoise Helle Helle LA SEPTIEME CROIX Anna Seghers raul par rami Tale od Meh #48, 22€ ek dH Le roman ganna Seghers, juive et communiste allemande arrétée puis relachée par la Gestapo en 1933, reparalt, si'on peut dire, au bon moment La Septitme Croix, premiere vocation des camps de concentration alors réservés ‘aux opposants politiques, conte lafuite de sept centre eux, dont un seul échappera au supple. Rédigé 8 Meudon oi elle avait trouvé refuge avant de rejoindre en 1941 le Mexique en passant par Marseile(fuite qui fait objet de son récit le plus célebre, Transit, le roman. ’ connu des sa sortie un suceés de librarie mandial Publié chez Gallimard en 1947, Fouvrade niavait pas {6té rééité depuis et reparait aujourd'hui dans une traduction nouvelle, Roman polyphoniaue, cette coupe en strates dela societs allemande dit tout de la mise len place d'un univers de surveillance généralisée, ot la moindre maladresse, un ‘comportement étrange ou tun propos mal place voire mal interprété peuvent tentrainer leur auteur au fond du goutfre, Conduit comme tun thriller, ce roman fait immanquablement chambre diécho avec un présent qui se transforme en champ de mines 2 « la vitesse inoue des catastrophes ». On y croise, du héros 4 Fordure, toute la palette des ‘comportements humains, pris dans 'étau de ce que Georges Perec nommait «Histoire avec sa grande hache ». lain Dreyfus re Chauvier compose des et 7 anthropologiques, entre romans tess LAURA Eric Chauvier la 149.86 Les affinités répulsives Par un anthropologue-écrivain, les amours contrariées d'une prolo et d'un intello qui ne parient pas la méme langue. FAKIK «Parker detoi, Laura, toi qui avais eu ea purain @heure de gloire, toi la plus jolie fille du bled, et assister comme gaa [.] A ea déchéanee. Ga comportait quelque chose de vraiment excitant et de vraimenctragique que la grande ville, avec son anonymat, ne m’offrait pas. Mais ga, bien sir, com- ment pourraisje tele dire? » Lauraest une femme de 45 ans, mére eélibaraire marquée par une rupture amoureuse tree flsd'un che propritare dela petit ville oitellea grandi et quelle n'a jamais quictéc. Elle est de ces Frangais invisiblesjusqu’a ce qu’ ils manifestent leur colére sur les ronds-points; de ceux dont la pean sest fait cuir force de se frocter 4 V'exploication en tous genress de ceux qui ne lésinent pas sur es cubis de rosé sur un parkingde zone commer ciale, insultant la classe dirigeante et sapprétant Abrdler une usine avec leurs camarades. « Ellen’aque caen téte, tout faire briller. » Face a elle, Eric, le nar- rateur, derrigre lequel I’éerivain- anthropologue Eric Chauvier ne se dis- simale pas tant, et qui raconte leur histoire a travers un récent dialogue. Depuis son adolescence, Erie fan- ‘asmesur Laura. Ila réveen romantigue — en fils d’instituteurs devenu intellee- tuel parisien. Ile souvient dll, jeune etsublime, attirane tous les gargons. qui ne lui avaient offere qu'une simple mais tenace reputation de « petite pure du core delle, commeil avait révé, quand ils avaient 10 ans, de prendre sa defense lorsque le maitre aécole lui avait fait remarquer quelle était « belle comme ses fesses >. Laura devient alors incarnation du malaise & 'ceuvre dans les rapports ineersexuels et interelasses. Pour Eric, elle est ce fantasme inaccessible dont le spectacle de la déchéance a quelque Rose juss. Ell est cette femme ee Elle n’a que ¢a en téte, tout faire brdler. ee dont la voix abimée par la clope sur- plombe la conversation, la sorcére sans artifices, hyperprésente au monde, loin de la ~ luxneuse? ~ naiveté mélanco- lique de son ancien camarade. ‘Lauraestleroman d'un malentendu, uneimpossible communication entre deux strates sociales, dont Eric et Laura sone les avatars... Le premier est bibe- ronné aux thématiques dont les grandes villes s'arrogent le monopole - MeToo ula transition éeologique la seconde, cantonnée aux territoires « périur- bains » ee dépendante d'une bagnole qui passe tout juste au controle technique, évolue dans un mondeoit les, violences conjugales ponetuent le quo- tidien, Entre les deux, malgré leurs ten- tatives pour se comprendre, quelque chose d’« irréconciliable » résiste. Car les questions débarruesdans les grandes villes ne trouvent pas spontanément leur écho dans les zones « périphé- riques > : « Lathéorie du ruissellement ne marche pas, constate Eric Chauvier, meme avec les idées, » Cleve ce que monerele langage déployé par 'anteur. Eric sefforce dadapter sa fagon de parler pour ne pas asséner & ‘Laura un langage urbain décontextua lisé, mais il n’en résulte que balbutie~ ments, contradictions et maladresses. ‘Malgré son apparente sérilieé, c'est ce langage-laque revendiquel écrivain sun langage qui pardonneet qui prend au sé- rieux « lessilences, esinsultes les mots quione! airde rien maisqui finalemene endisent beaucoup »,unk roche di tel, comme eh sane derour, de Laura. A reboursdes fagonsde parler des mécropoles, « indexées sur les modéles 1 démotions aussi res- treint que celui des émojis, Erie Cha vier plaide pour un parker précis, en cuit court. « Parler précisément de ce quinous arrive est un acte politique im- portant. » Deméme, souligne le narra- ‘eur: « Quiveut plongerdans!'amede Laura se doit d’entrer, comme dans un temps oublié, dans ses Fagons de parler les plus ordinaires. Toute autre forme dlexpression est nulle etnon avenue, > Marie Fouquet et Manon Houtart critique ficti INTERVALLES DE LOIRE Micho! Jullien i Vendor 126, HE Sujet bateau Une odyssée de marins d'eau douce joliment rehaussée a l'eau-forte. dee kk ya quelques années, dans le film Comme un avion, Bruno Podalydes imaginait 'aventure miniature d’un certain Michel, brusquemene entiché de kayak en pleine crise de la cinguan- taine, Dans Jntervalles de Loire, est un autre ‘Michel (Jullien) qu’appellent essirénes del'eau douce. Cette fois il n'y a pas un mais trois ma- telots, sondés parun sermentd ivrognes ~ des- cendre le fleuve en barque — et prés d’un demisiécle d’am tig. Une fois lesquif acquis, les régles sone formelles : ni ‘moteur ni gite, niaccés Internet. Seul un bardade sommeil pour « roniler imperméable » et un unique livre qui, faute @ écre lu, allumera les feux de camp. Vingt'six jours fond de cale, presque coupé du monde et sansautre distraction que les tours de rame et le vagabondage des pensées, voila de quot faire erembler le confind conerarié. Mais’est sans compter sur la Fantaisie de Michel Jullien, ca- pable de transformer le plus morne et répétitif des paysages en un vivier d’eauxfortes, frappantes et malicieuses. Ici les ‘Quand Michel ten sembaraue pour descend a Loire & frame. bruyantes grenouilles du soir se changent en « internat de técrapodes > ; les péchcurs en « prostituées des berges > dans leurs cuissardes er eaoutchout, et les échelles de crue en « code-barres du 2assé ». Usant du méme ressort héroi- comique que dans sa truculente He aux troncs, Pauteur mé- dice ailleurs sur le apis-lazuli des libellules, 'ouie assourdie delentre-deuxrivesetle sens de ceréve d’enfance: filer son tour « entre les deigts de l'eau » pour finalement sen re- mettre A elle tout entice. D'un fragment de Loire & 'auere, commeautant de poémes en prose, la phrase louvoic, imitant Je délié fuvial et ledoux roulis de la coque pour s'épanouir en une minuscule odyssée de tous lessens. Camille Thomine LES HERITAGES Gabriele Wittkop «Ona Banos10p.17¢ Parlons cru Disparue en 2002, cette écrivaine caustique et noire trouvait, a juste titre, les éclats de cervelles des soldats de 1914 « peu décoratifs ». coupé, « obstacle au grand réve det'accor- , lance, comme a la dérobée, le jeune Juan Garela Ma- ero dans Les Detectives sauvages. Etde faicla plupart deshéros de Bolaiio sont, A son image, des lecteurs compulsifs, érudits et insatiables, Les podtes A Erviledistante, cAmuleto, des Detec- tives savages, les critiques littéraires de Nocturne du Chili er de 2666, ainsi que maints protagonistes des nouvelles, sontanimés par une dévorante palsion, de recherche — des poctesses disparues, des éelats biographiquesdd’Areimboldi, ct surtout d’iine potsie mystérieuse et absolue qui se confondrait avec la lumiére bilieuse ex menagante du dé sertau vide magné Les écrivains auxquels Roberto Bo- lafo rend hommage au cours de son ceuvre romanesque (Marcel Schwob, Jorge Luis Borges, Ezra Pound, James Joyce, Aro Schmide, Nicanor Parral ‘ou poétique (« Ernesto Cardenal et moi », « Dino Campana révise st podsie dans lasile d’alignés de Caste Palei », « Dostoievski Blues Band ») permettent de dresser une cartogra phic sentimentale de l'auteur. Au terme d'une vie souvent nomade et hantée par la pauveeté, Bolafio die: « Lire a été ma souveraineté et mon légance. » ot ique. renégociés et donnent liew & la publication réguligre d’inédits et inachevés, eéeupérés depuis son ordinateur. En France, Amuleto écait para aux Allusifs en 2002, traduit par Emile et Nicole Martel. La méme année chez Christian Bourgois, Robert Amutio (jusqu’a ce qu'il soe dé- savoué par Carolina Lépez) commence les traductions qui consacreront Bolafio comme Pun des grands de la liteéraeure Cominent comprendee cere somme? II y a une enfance chilienne : un pére chauffeur routicretancien boxeur, partic pant a des concours de cule risme sur la e6ce Pacifique. Une vie au gré de déménagements et Je départ, avec sa famille, vers le Mexique en 1968. Bolafio n'a gue ISanslorsque, dans e sillage des révoltes mondiales de cette année, les éeudianes me sont massacrés parl'arméesurla place de Tlateloleo ~ on estime Quill y eut, ce 2 octobre, plus de 300 mores. C'est dans ce contexte violent qu'il stue, beau- coup plus eard, Amuleto, le r0- man halluciné raconté a la Roberto Bo POURQUOI ILS LISENT ROBERTO BOLANO PATTI SMITH ©@© La chose qui m'a d’abord attirée cst le itr: Les Detectives sauvages, C’éraic quelque chose que jaurais youl écrre. 2666 est pour ‘moi le premier chefd'ceuvre du xxxrF siecle, Parfis on se demande peuton encore écrire de bons Fivres? On ressenc un soulagement tune joie découvrir un chef ceuvre moderne, crt parun homme de notre temps, pluseune méme que soi. Cela ma donne tellement d'espoir. eect ed lelisane je me sus sentie comme tin détective, mais cest aussi I manire done il élargie rout le processus d”riture, para création univers qui sétendent etimprignent d'autres livres, ds livres venir. Bolafio-a donné Atous les éerivains un espace decréation infini. @® Hommage § Robert Bolano Mac en 2010 prem pononne par Au acouture, une pote qui survi enseeachant danslestrletesde Poniversite, De i, elleraconce I’hstoire dela bohéme cudiante autres, Arturo Belano, jeune potte chilien alter ego de Faux teur, En 1973, Bolano rerourne ALl Les Detectives PHILIPPE LANCON @@ Peu de romanciers ont comme Jui, avec un sens formidablement Alégane de la détsion et de Vabsurde, éveilé le vonnerre literaite.[.] Roberto Bolaiio ainsi trouvé, en quelques lives Smourirde ire auxsens propre ¢Prvainss donner une forme jouissive et roce son désespoit. Certe forme ne nait pas de rien, La lieérature ese un hommage, une farce, un désaste, une nostalgic : quialu éerira [.]Bolafio semble animé dune étrange modest une ambition comme déprimée parla vie. Les rats, les oubliés, les méconnus demeurene ses ‘meilleurs compagnons de route. Entrer en gloire ne serait pas seulement les erahir ce serait, sans doute, perdre son ceuvre. @@ Dans Libation « Bola, chevalier troubadour » 2 jun 2018) et «69 ratons de donser avec Bolo » (25 juin 2003) imagine le dialogue entre les deux policiers. ly aencore beaucoup d’élé- ments mystérieux, 3 la fois in- fimes et décisifs, dans la biogra- phic de Bolafo. Ilya surtout la fiction qui seme des indicester- restres, C'est le temps du Mexique originel, la « région RE au Chili Lorsdu coup d’Etat, il | sauvages, cristalline » de ses premitrespa- cestfaitprisonnier parlesmilices | Roberto Bolan, | blications poériques, un temps d’Augusto Pinochet, Ilestlibéré | $7727 99¢ | vécuavecla ferveur qui abousit Ala suite d'un heureux hasard : ceux quilesurveillentsoned’an- ciens camarades de classe, comme illerappelledansla now. velle « Enguéteurs », oi il actéation du mouvement « in- fraréalisee », quise veut un pro- Jongement mexicain du da- daisme, dont Bola rédige le premier manifeste en 1976. Il y ENRIQUE VILA-MATAS © arrive qu'une vieisolée et {pre consttue pour un artiste tin apprentissage severe ct assez stimulant, qui se révle en outte utile au moment od il laisse derrite lui les téndbres del 'inditférence des autres pour apparaitre la lamire du jour. Ime fait penser cet aphorisme madriline: « Lecaractée e forme lesdimanches aprés-midi. » Tai conni: Bolan aur moment oil soreait de certe époque dedimanchesinfiis [1 Bolaho ocr eters ten éédépourva d'humouret ilen manquait encore moins cere année, Songeant & note premiére fenconte, je me souviens surtout avoir eu la sensation ou le pressentiment, ds le début dela conversation, dre face un vértableécrivain. @@ «Les cians avant» catalogue de exposition « Archivo Bolafio (1977-2003) », ‘a CCCB de Barcelone en 2018 a, enfin, l'amitié avec Bruno Montané et Mario Santiago Papasquiaro (alias Ulises Lima), routes ces choses qui plus tard inspireront Les Détectives sau- ‘ages, oman virtuose,ducation sentimentale et poétique d'une .génération confrontée & I"im- passe de tous les idéalismes. UN ECRIVAIN SANS LIEU Alk fin desannécs 1970, Bolaio parts'installer en Espagne : Bar- celone, Gérone, puisenfin Blanes, station balnéaire désormais Eeape obligée pour tous les fans del auteur chilien, Pourtant, au début, il vit dans la fruga lite, sinon ke dénuement,encha nant des petits bouloss qui lui permettent decontinuer’ écrie. erée, avee Bruno Montané, la revue Rimbaud vuelve a casa la publication d'Eroile | distante, courtettince- | lant roman congu | comme « approche du | mal absoli ». Alors que son ceuvre est de plus en (« Rimbaud rentre 4 la mai- | BIQ- plus reconnue autour du son>).donel'uniquenuméroest | LAN© | monde, Roberto Bolaio | considéré comme un adieu & | 71953. meurt cn 2003 des com- | Vinfraréalisme. Au cours de | Naissance plications d’une maladie | cette période, il enchaine les | aSantiago | hépatique qui lui avait éxé concours d’écriture (« Sen- | dud diagnostiquée dix ans au- | sini », la nouvelle la plus abou- | 1968 paravant — il attendait une | tie du recucil Appels tdlépho- | Installation | greffe du foie. Lannée qui | niques, voque avec grace cette | & Mexico. Suit, son roman posthume |__ période & travers le portrait de | 71976. 2666 ese publié en Espagne immense auteur argentin An- | « Premier ct progressivement recon tonio di Benedetto) ; il noue | manifeste ‘comnene ne ceva matjeuire'de a fussi de rares mais solides ami- | infaréatistem. | erérature mondiale, le premier tiés avec des auteurs de sa géné- | 711996. chef-d’ceuvre du nouveau siéde. ration : Antoni Garcia Porta | Etolle << Maseulle patrie ce sont mes {avec quiilsigneson premier ro- | ostante, ‘enfants »,a affirmé Bolafio ?la man, Conseils d'un disciple de | 71998. fin desavie,avaned ajouter: «Et Morrison 4 un fanatique de | besDétectives | peut-tere certains instants, cx Joyce), Rodrigo Fresin, Javier | sauvages. taines rues, certains visages ou Cercas. En 1996, il rencontre | 71999, scénes ou livres qui sont en roi Enrique Vila Matas,quirappelle | Amulet. cequiun jour oubliersijenr chat quece fut, pour Bolafio,unean- | 72003. Mort | la meilleure chose que l'on peut née prodigicuse, s'achevant sur | &Barcelone. | faireavec la patre, » Bolaitoest « LARGENT QUE JE N’AURAI JAMAIS » Financiérement pauvres mais sexuellement prodigues : tels sont les ersonnages de Bolafio, qui refletent sa conception de l'art poétique. I parait que les poétes seuls sone incorrupribles. Peut-étre parce guilsn’oncrien, La misére radi- cale se transforme en pureté, en unacte politique vaillant, solide. Bolan érait obsédé par les pottes, parce qu'ils étaient la seule chose qui résistait & argent. Ils n'avaient pas d'argent, les poétes, mais ils avaient la connaissance. Crest le paradoxe qu’aimait l'auteur de 2666. [.] L’éealage de V'argene, quand Cest si peu d’argent, devient a meilleure poésic du monde, Dans un pome, Bo- Iafodit: « Largent que e n’auraijamais e¢ qui par exclusion fait de moi un anachoréte, le personage qui soudain eee eee eee terrane Vanachoréte postmoderne, del éerivain guise saitincapable de gagner de argent alors qu'il sait que C'est tout, ou presque tout, est suggestive. Dans la poésie de Bolafio, comme dans ses técits, le sexe décharné ou physiologique ou explicte a.une grande importance. Les pottes nvavaient pasd’argent, mais ils faisaient Vamous, toujours disponibles pour la promiscuité. Les détectives sauvages sont sauvages parce qu’ils sont aussi pauvres que débauchés, oulubriques, a1- nit dic Dostoievski. Manuel Vies Extralt de « La poésie de Roberto Botafic», ‘dans éition espagnol de la possie complete de Bolaho (Penguin Random House/Aifaguara, 209) ‘Un potmevisuel de CesareaTinajero, "gervane fete recherches dans es Detectives saurages de Bola. sans lieu, floceane des villes du souvenir (Santiago, Mexico), des cités fan- tasmées (Paris, Rome) ou inven tées, telle Santa Teresa, double imaginaire de Ciudad Juarez, cette ville froncalidre entre Mexique ot Exats Unis od, entre droguect prostitution, se démul- tiplienc les meurtres de femmes dans les années 1990-2000. Bo- lao s‘en sais sans y aller, avec pourarmesunatlasetlaprécision aquescul un veritable conteur peut atteindre. C'est autour de ce dé- sertoiitout espoirsabime que se passe l’essentiel de action de Pimmense 2666. Le roman sSouvresur la quétede quatre uni terstaireslarecherehed'un au ‘eur génial mais invisible, Benno von Arcimboldi. Le fil rouge en «st la fois Pamour de la liteéra- tureet une diagonale du mal qui traverselesiéle sous la forme hy. perbolique, absurdejusqu'au dé- goiit, de la violence endémique 4quibbroie les femmes. aurdess FACE A LOUBLI Bolafo est surtout Pauteurd’un siécle oit le temps nous échappe irrémédiablement. Ses person- rages arpentent les rues comme pour épuiser la nuit. Ils one Var nce de la jeunesse, I'innocent Enthousiasme des posts appa tenant une génération sortie des Roberto Bo blessures duu massacre de Tlate- lolco. Il écrit depuisun passé hal- luciné qui reviene sous a forme la plus grotesque et cauche~ mardesque (Monsieur Pain), « Aucentre du textese trouve la lepre », I'éthique perverse des dnd de La Literature nacie en Amérique, la déviance d'une avantgarde qui s'exporte et qui dlégéntre dans Ta fascination morbide de Carlos Wieder (Etoile distante) ou encore dans les féminicides de 2666. Le temps se plie et se déplic,I'infa- mie délirante se reproduic dans Vintempérie latino-américaine ‘oi regne une violence atavique, dans des contrées comme « un cimetiére deT'année 2666, un c- metigre oublié sous une paupigxe morte ou inexistante, les aquosi- tésindifférentes d'un ceil quien voulant oublier quelque chose a fini par cout oublier ». Reste alors V'amitié, « le chant de la bravouse et des miroirs, du dé cc du plaisir ». Face a Foubli ir rémédiable de notre époque, reste le courage de la littérature, ‘ecc'est pourquoi Auxilio Lacou- ture, la mére des podtes dans Amuleto, husle en disane : « Je nai pas permis que le cauchemar ime désarme. » . £9 2005 8 Cuda June atone lente le Mexique ees Etats-Unis, theatre ‘de multines umes non sols ‘cet lnsia Rect Bala ans 2665. 3 ql ee . EXTRAIT Etoile distante Bribes d'un néopolar de 1997, oi1 Roberto Bolafio diffuse ses effets Inquiétants avec la maitrise et la poésie d'un Raymond Chandler. fn se retrouva Romero et ‘moi, tout & coup, dans un pare, petitettouffucomme tun jardin botanique. Ro- mero me désigna un banc que des branches cachaient presque complete- ment. Atendes-moi ici, divil. Tout Pabord, je massis docilement. Puis je cherchai son visage dans l'obscurité Vous allez le tuer? murmurai-e. Ro- mero fit un geste que je ne pus voit. At tendez-moi ici ou allez 4 la gare de Blanes etprenez le premier train. Nous nous verrons plus tard Barcelone. Ce serait mieux si vous ne le tuiez.pas, ai dis je. Ga pourrait nous reeomber des- ‘sus et ruiner nos vies, 4 vous et 4 moi, ‘t puis c'est inutile, ce type ne va plus faire de mal & personne, Moi, ga ne va stirement pas me ruiner, ga va m’enti- hie, Quaned savoir ne peur fired mal A personne, qu’est-ce que je pour- rais vous dire, nous n’en savons rien, la vérité c'est que nous ne lesavons pas, ni ‘yous ni moi ne sommes Dieu, nous ne faisons que ce que nous pouvons. Rien de plus. Je ne pouvais pas apercevoir son visage mais Ala voix (une voix qui émanaitd’un corps absolumentimmo- bile) je sus qu'il s'efforcaie d”éexe cenvaincant. Ga ne vaut pas la peine, areca eee et el 4 personne. Romero me donna une tape al” épaule. Il vaut micux que vous nie vous méliez pas de ¢a, ditil. Je re- viens tout de suite. Je restai assis A observer les arbustes obscurs, les branches, qui s‘entrela- ‘alent et sentrecoupaient tissant un dessin au gré du vent, pendant que j’ecoutaisles pas de Romero quis éoi- {gait Pallumai une cigarette et me mis I penser A des choses sana imporeance. ‘Ax cemps, par exemple, Au réchautffe- ment de la Terre. Aux étoiles chaque fois plus distances. [...] Une demi-heure plus tard, Ro- mero était de retour. II portait sous le byrsuune chemise en carton avec des pa- piers, une chemise comme celles dont seservent les collégiens et qui se fer ment avec des élastiques. Les papiersla diformaient, mais pas énormément. La chemise érait verte, comme lesarbustes ddu parc, et un peu froissée, C’érait tut, Romero ne semblait pas changé. Tine paraissait ni meilleur ni pire vaupararant I reapitais avce dif culté. En Vobservane je lui trouvai un ai:d’Edward G. Robinson. Comme si Edward G. Robinson étaictombé dans tune machine & hacher la viande et en Ene ressorti transformé : plus mince, Japeau plus sombre, la chevelure plus foairnie, mais avec les mémes evres, le mmime nez, et surtout les mémes yeux. Des yeux qui savent. Des yeux qui cepient en toutes les possibiliés mais ‘quien méme temps savent que rien n'a dcsolution. Allons-y, dieil Traduit de espagnol (Chill) Robert Amutio la chronique de Frangois Bazin Main magique ere de com et es WD ee: Preursalae est défraichie, plus is font un usage intensif des grandes ceuvres. Hier en temps de paix, comme con dit désormais, était mst Kantorowicz qu'on servait & toutes les sauces. Ah Les Deux Corps du rol! D'un essai viruose sur la théologie politique au Moyen Age, on tirait un bavardage cuistre sur ce quidistingue vie privée {et vie publique en milieu éiyséen En temps de guerre ~ puisqu'une ppandémie parait-i en est une, est Marc Bloch qui est solicité & son tour, Les ros thaumaturges étaient réputés guérir par apposition des mains. Ce pouvoir était une manifestation de leur nature divine (Le oi te touche, Dieu te quért»).lisest éteint coutre-Manche avec 'émergence au début du xi siécle d'une ‘monarchie constitutionnell et, en France, jusquiau sacre de Charles X Le président Macron en aurait ppourtant conservé quelque chose lorsquil vala rencontre de son peuple: le rote visite, Dieu teguérit. ATheure des gestes barrieres et du confinement ‘9énéral, I falait oser. Mais, comme dit Audiard, ces gens-l, cest 8 cela uon les reconnat.. Le plus curieux est leur capacité 8 ne pas mesurer la portée de pareils emprunts. Pour Marc Bloch, le pouvoir thaumaturge dos monarques était une de ces «fausses nouvelles» (fake news, in english) dont la diffusion massive, 8 certaines périodes, le passionnait. lien parlalt dans Létrange Oefaite, Unlivre quien haut leu, sans vouloir me méler de ce quine me regarde pas, on devrait méalter avant quiline soit trop tard. « y Les Rois z ‘houmararges, E Mare Blot . (4 car i eritique Chansons de gestes Le confinement et I’éloignement nous obligent & repenser notre gestuelle sociale. Entre:ien avec une anthropologue. Propos vecucillis par Alain Dreyfus (@ | suff de descendre dans a rue pour constaterque notre lexique gestuel ya perdu son latin, Dans ce que chacun désigne & présent comme <« sans le sien) et dintrospections erites par un tiers tapi dans 'anonymat. Lautobio, genre mo- notone, Autant appeler lasienne « mo- notobio » ; comme ga on entend dem biée le monologue monomaniague qui jacassera des « moi, moi, moi ». Et puis cela permet d’obtenir « quatre O comme quatre roues bien rondes, car il agit de ne pas trainer ». Ainsiva lavie selon Erie Chevillard, sans temps morts; ainsi devraient donc aller nos autobiographies. En grand maitre de Vironie, I’écrivain pince-s 1s Monotobio avee Samuse cette fois d Pironie du sort: sil n'y a pas de pause dansTexistence, ily a tout de méme des par Vaueeur sont prises dans un grand glissement de terrain eausal. C'est sa doute la troisidme explication du titre jouant sur la Fusion de deux mots. Mo- ‘notobio se présente comme un étonnant ectrésamusant mélange, simultanément fourre-tout et classeur. Erie Chevillard y rappe des copeaux de son existence et les laisse fondre ensemble, opérant des rapprochements logiques ou incongrus Bebe sil oe ele desorde, apres ne siles situations racontées tout, se valaient. Ainsi, le grave et I’ nodin marchent ensemble, comme lorsque : « Pierre Bergé choisit oppor publiguemene de "connard”ct Agathe {sa fille] pour me battre 4 “Saute, petit poney"silyadesjourscomme gaitl'ad- versité Sacharne. > Iyasouvene chez Eric Chevillard ce bt pereequien: sil" éricure cc une boussole indiquant un nord bien précis (un projet annoneé clairement), cen'estque pour micux errer,car lenord est certainement partout. L'intention dans Monotobio est de relict ce qui n'a — semble-til = porte alors si je perdis mes lunettes de plongée dans a vague qui me langa tout en vrac sur la plage de la Perle, puisque detoute éternité m'attendaitle gratin de patates douces de Félicité. » Mais que ‘aut une intention face aux vents du des- tin? Apréstout: « On necomprend pas tout ce qui nous arrive. Le chaos est ordre véritable du monde : Ia pierre brute posséde plusd’angles pourle strict cemboitement des choses quc la brique cu le parpaing. Nous dévalons irrésist- blementla pente avec 'éboulis. » Paro- diant ou imitant la mécanique de laf talité,I écriture expose celle du langage: les conjonctions de coordination et les marqueurslogiques sone versés la pele pourcimenter tant bien que mal cette tani de fats. Mais « estil sage de sen remettre ainsi entiérement & la syntaxe pour assurer la cohérence d'une vie»? D/autant plus qu’on « se repére, on se reper. homophone es le seul paysage familier desmeserrantes ». La maicrise du langage, exercice auquel excelle Fric Chevillard ne pése pas lourd face au poidsdes situations quisagglutinent:la littérature est une légére et éphémére eum omant la vague da destin, sé dont 'ambiion exe zr couse au sol des fits? Surtout quand, méme avec toute l'ardeur du monde, éerire sa vie serait forcément la séécrire. Vieille rengaine: autobiographie est toujours un roman, Rien de dramatique & re- connaitre cela, autant sen amuser avec Eric Chevillard, ear « il y a tour de méme du liant entre les fits, pour ne ci ter justemene que le Fromage Fondu >. Piere-Edouard! ique ess: ae belle, mabbien-aimée, [chante Maria Fa- randouri de son inimitable voix de contralto]/Avee sa robe de tous les jours/Et un petit peigne dans les che- AY &_ veux./Personne ne savait qu'elle éeait si belle. Jeunes filles d’Auschwitz/Jeunes filles de Dachau/N'avez-vous pas vu ma bien-aimée? » AUX CONFINS DE LA FOLIE Damour, ilest beaucoup question dans Mauthausen. De bonheur aussi, de li- = berté retrouvée. « [Les combattants] niallaiene pas éehapper & notre joie. > Les ex-détenus, effarés davoir survécu, pillent, brilent et saccagent. Partout, le scandale de lavieatfleure. « Otan teliosi 0 polemos » (« Quand la guerre se ter- . saine >). Scenics podmed ane cho- J quante beauté, exprime un espoir aux E confins de a folie, la consolation d'une FE victoire paressence illusoire: « Fillette J auxyeux effarouchés/Filletee aux mains Bod elacées/Lorsque la guerre sera finie, ne LUbération da camp de concenvation de Meuthusen on Autrche en 1945, = recit MAUTHAUSEN |akovos Kambanellis wr Sol Fal Linas Alin Mich 384, 2290€ Horreur et espérance Le chef-d’ceuvre d'un Grec qui raconte son calvaire 4 Mauthausen. kk I Publié pour la premitre fois en 1963, alors qu'il semblait 4 son auteur, aprés Vassassinat de Kennedy, que « la paix wallaic pas bien du tout » et que le moment était venudexhumer les manuscritsré- digés aprés son retour, Mauthausen se démarque des autres écrits concentra- tionnaires ence qu'il voque également letempsde'apris, NE& Naxosen 1922, Iakovos Kambanellis, arrété & Inns- bruck alors qu'il tentaic de gagner le ‘Moyen-Orient, at prisonnier da camp autrichien de Mauthausen d’oetobre 1943. 5 mai 1945. Apris sa libération parl'armée américaine, désigné par ses camarades grecs (un millier d’hommes cet peu prés deux cents femmes, routes juives) pourérreleur représentant, il de- ‘meura sur place encore pendant deux mois, Aussi son récit se révele-til fon- damentalement duel. « Pourmoi,siles journées A Mauchausen jusqu’au 5 mai 1945 restent un cauchemar, les autres, jusqu’a notre dépare, sont lumineuses etenyoaitantes. » I faut écouter la sublime Ballade de Mauthausen de Mikis Theodorakis, inspirée des potmes de Kambanellis alors qu'il terminait son récit, pour ‘comprendre a quel point ce dernier dif fre de touslesautres, Dans « Asmaas- ‘maton » (« Cantique des eantiques »), premier aria fortement autobiogra- phique, un jeune risonnier cherche en vain son amour. « Comme elle est = mvoublie pas./Joie du monde, viens la porte/ Pour que nous nous embrassions su la roure,/Que nous nous enlacions sur la place,/Que nous nous aimions Sineld carte Dans es chambres gaz,/Dans l'escalier, les miradors,/ Lamour en plein midi/Dans tous les coins de la mort/Jusqu’a ce que dispa- raisse son ombre. » Poémes, espérances, pour former un barrage au reste, Aces « histoires terti- fiantes », A ces « mythes de la souf- france [..J,dusupplice [..],de la folie » dont on épargnera au lecteur I’épou- vantable recension. La premitre pa suffira :noussommesen avril 1945, es nazis paniquent. Des SS attachent un Polonais 4 quatre mores qu'ils lui Inisene dans les bras quatre jours du rang; il en perd la raison. Sur quoi le narrateur est appelé pour briquer les bocees d'un autre avec sa langue. Lali- bération n’effacera rien. « Ma voix s écouffe », gémit un Grecen son som- meil, On se secoue. On se rappelle. ‘« C'drait habituel entre anciens déve- rus de se “Soigner” les uns les autres en seracontantce qu'ilsavaient vu ou en- tendu de plus effroyable. » Mau- shausen, on le comprend vite, ne dit rien d’autre: ilest impossible de guérir de cela et tout aussi impossible de ne pas essayer. Fabrice Colin S) ie Ecoféminisme Une « arme de déconstruction massive » Entretien avec 'autrice d'une synthése sur ce mouvement, pour qui violences faites aux femmes et destruction de la planéte sont liées. Juarante ans aprés son invention aux BaecUnisTecpkonotne este, «ile cerner ec peine se faire une place dans le débae d’idées frangais. Dans Etre écofeministe,laphilosophe Jeanne Burgart Goutal faicI’histoire et Pana lyse de ce mouvement. Comment définir 'écoféminisme? Jeanne Burgart Goutal. ~ L’écofémi nisme est un mouvement factions et dPidées, né au milieu des années 1970, articulation du féminisme radical et deI’éeologie politique. Le point com- ‘man, cestlaconviction que « Voppres- sion des femmes et la destruction de la planéte ne sont pas deux phénomenes dliseinets, mais deux formes dela méme violence », pour citer Mary Judith Ress, Les évoféministes cherchent done A comprendre ~ et & lutter contre ~ ce qui « fonde les oppressions insépa- rables de race, de sexe, de classe, et la destruction éeologique » (dixie I’éexi- vyaine américaine Starhawk), ce qui les conduit, selon Greta Gaard, & « redé- finir le féminisme comme un mouve- ‘ment destiné &abolir toutes les formes oppression ». ‘Gu’aver-vous découvert en chaussant vos « lunettes » écotéministes, sur histoire, les sciences humaine Lorsqu’on pergoit les discours qui tissent nos représentations collectives travers les lunettes écoféministes, on serend compte quel pointils sontim- prégnés de biais androcentriques, voire sexistes, spécistes, colonialistes. Cela dic, « arme de déconstruction mas- sive » qu’esteette grille de lecture éco- féministe a quelque chose d’enthou- maintenant & (ré)inventer. Lécoféminisme connait un vrai regain, ‘Quels en sont les risques? Jobserve un revival de I’écofémi rnisme depuisla COP21. Mais, par ily aun tel décalage avec l'histoire Le 8 mars 2020, manifestation feminist 3 Pai. radicale, anticapitaliste, altermondia- liseedu mouvement, que cela laisse per- plexe.Lécoféminisme apparaic parfois comme inoffensif, sexy, alors que c'est ‘un mouvement trés politique. quia dé- velop une etgue sant concetsan néocelonialise de économie global sée, de l’intersectionnalicé des domi- nations... Sion le réduit 4 une affaire de « leadership féminin » ow Aun folklore de jeunes « sorciéres » blanches trendy, on le dénacure tocale- ment. Pour étre vigilant face aux pos- sibles récupérations, il ya tout intérét i redécouveir [histoice réelle de Técoféminisme. Proposrecueilispar Aurélie Marcireau Aire en intégraité sure site dus NML ' eve éeofteniniate. “Théories et pratiques, Da Vfl) Scare Burgort Goutal, ec Leooppee, 520p,20€ Onvyog Sfrancecutture LA COMPA GNIE DES GUVRES. Matthieu Garrigou- Lagrange DU LUNDI AU JEUDI 15H-16H Migazine Ltesprit d'ouver- ture. Shixce-Aerion TOUS NOS AVENIRS POSSIBLES Voyager entre les planétes. Parler a d'autres espéces. Réinventer la société, Raconter son anéantissement. Allumer ou éteindre les étoiles. La littérature de science-fiction accomplit tous nos réves et tous nos cauchemars. A I'univers insondable elle oppose un imaginaire humain en perpétuelle expansion. Cent ans apres la naissance de trois de ses maitres (Isaac Asimov, Ray Bradbury et Frank Herbert), retour sur un genre qui rattrape aujourd'hui nos existences confinées. Dossier coordonné par Alexis Brocas ‘Le Voyage dans la Lune, de Georges Nélés (1902). dossier science-fiction. Prenez les issues de secours ! Entre fuite dans le cosmos et récits apocalyptiques, la science-fiction offre bien des scénarios pour dessiner un traité de savoir-survivre a 'usage de toutes les générations. Par Alexis Brocas ccteur, du haut de cette mon- tagne de livres éevée par nos ‘gandent, Tel un voyane préco- ‘gniifdansun roman de Philip K. Dick, eu peux contempler dlans eurs pages linfini des possibilixs qui soffrene 4 notre espice. Ee aussi sil: lonner les frontires sans cesse repous- sea de ienaginaire husnain, Alors sus pendiciton incrédulitét prépare-toiau ‘voyage. Puisque ton actualtésestchan- ge oe aniaavais romain de geen fiction, ileseemps d‘enliredelabonne. Dans un de ees volumes oubliés, Pes sai La Faim dis tigre, le chef de fle controversé dela science-fiction fran- saise René Barjavel envisageaie notre avenir sous la forme d'une alternative : seit nous nous autodéerusions, poussés par notte désir dévorant, cette « faim dutigre » qu'il voyaiten nous; soitnous ‘nous envolions pour exporter ledie désir dlans espace ~ cela tombe bien, notte desir est infin, ec Vanivers également! Barjavel n ait sans doute pas le phis grand des philosophes, mais il semble gu'ilvoyaijuste. Nous quitterons nose berceau ow mourrons dedans, comme les espéces qui nous one précédés, Er la science-fiction illustc ces deux avenirs potentiels. D'un e6té, homme dévo- tant espace, ses trésors, ses mystéesyet y installane de grands empires galze- tiques, comme celui du centenaire Asi mov dansle cycle Fondation, oule Retz de notre contemporain Dan Simmons dans Hyperion, De Vautre, la science- fiction apocalyprique et ses variations sur la solitude poignante des derniers représentantsde 'espécedansun monde cen proie aux feux d'une combustion lente saisis par Cormac McCarthy dans La Route. Mais la SF ne se limite pas 8 ces deux horizons, anéantissement ou épanouissement, elle décline tous les stades intermédiaires,etnotammentvia la « hard science », qui s‘efforce de ra conter la conquiéte de 'espace de fagon éaliste, sans recourie & des tours de ‘magic narratifs. Aisi, Kim Stanley Ro- binson, qui imagine la terraformation de Mars la Rouge en se fondant sur les spéculations de la Nasa, ou le Chinois, Tea Cixin, qui nous montre de lama. nigre a plus crédible possible, les efforts deI'humanicé pout se doter de techno- logies spatiales et répondre la menace d extraterrestres plus avancés, HORS DU PLACENTA DE LA REALITE Un lieu commun prétend que cetee lit- ‘térature, sous couvert de parler du futur, ne raconterait que présene de Pauteur. Certes, les romanciers de science-fiction Sfamusent souvent & pousser a fond les, parametres du monde od ils vivent = voir les innombrables fictions post- apocalyptiquesécrites pendantla guerre froide. Mais! imaginaire a des pouvoirs qui excédent la raison : méme forgées dans|es peurs ou es élans propres’ leur poque ces cuves conducts de nous emporter. Parce que auteur aura su dé passer son inspiration premiére pour créer un univers capable de subsister hors du placenea de réalieé qui l'aura vu & z naitre. Dune de Frank Herbert a beau puiserdansT’Antiquitéetleroman d’es- Bonnage son univers eee ondin teurs humains ses navigantsimmortels, tsttroploin nde pour nous parse tun jour désuet. Ex que dire des créations d’imagi- naires qui doivent Pessentiel de leat substance & l’esthétique personnelle dun artiste? Le temps aura beau fier, océan pensant qu’ étudient les savants du Solaris de Stanislas Lem demeurera insondable, et ses « symeétr deront leur mystére. Les ‘martiennes ont beau avoir été datées par Bradbury —etleurs dates reportéesdans les éditions ultérieures & mesure que ‘nous rattrapions leur chronologic ~, ees textes frappent toujours an coeur. Parce que l'autcur, lui aussi centenaire en 2020, a su encober ses cités martiennes @’un matériau antivieillissement qui Sappelle poésie. Erce que les Chroniques disene sur la propension de l'homme reconnaitre la beauté quand ila voit et Ane pouvoir sempécher de la détruire relive des évieés éeernelles Ex,deméme, Vermilion Sands, de J.G. Ballard ~ qui voyait cette station balnéaire du futur inventée par lui comme sa retraite, la « banlicuede son esprit ». Ces livres la sont des refuges ouverts aux lecteurs issusde tous les espaces-temps, DONNER LA VOIX AUX HUMAINS Refuge! Le mor est iché. Car un autre reproche que l'on adresse & la science- fiction est non plus de rester plaquée au présent rout en feignane de senvoler, mais de chercher & nous exfilerer de la réalité, de favoriser « l'escapisme >, Pévasion, Certes, et alors? L’humain a éxédotéd ‘unimaginaire capable decréer des mondes indépendants si développés que les éléments lesont inspirés Evicnnene Indic cernables. N’eseil pas bon qu'il sen serve? TI mesembleque toutes es ceuvres de science-fiction, méme les plus débri- dées, nous parlent’ la fagon du convec- teur Toynbee, inventé dans la nouvelle du méme nom par Ray Bradbury. argument de ce texte est simple et merveillewx, comme tout ce qui sortait dela plume de cet auteur : un beau jour dune époque de crise qui ressemble la notre, un homme invente une machine voyager dans le temps, sen va dans le furur et en rapporte des images Fantas- tiques d’un monde de tours immenses etd océans ressuscités, oi "humain ast. conjuguer développement technolo- yuect respect dela nature. Cesimages Sttcitene un formidable espe dans population, qui ‘empresse d’accomplir ces visions. Parvenu au bout de sa vie, Pinventeurrévélealorsla supercherie. I n'y ajamais eu de voyage dans le temps Ses images n’éraient que des truquages pour montrer a voie aux humains. Au vu du résultat, ine regrette pas! De thle laSE quand elle rvoie des va seaux dans la galaxic en résolvant. solubles questions physiques: elle nous donne de Vespoir, nous laisse entendre quiun jour peutétre... Mais elle peut aussi bien nous donner des cauchemars et nous montrer la vote 4 ne pas suivre. Bien str, les romans de seience-Fetion parlent souvent, entre autres, du présent. Ce n'est pas une raison pour les lire comme des allegories, Bien sti, is © La science-fiction nous renvoie a nous-mémes. oo favorisent I'évasion. Ce n’est pas pour cela qu'il faut les percevoir comme de vyaineseréationshorssol. Prenezle réeent ui a peur de la mort? de \'Afro-Amé- Seine Nocti Okorion Levoman conte, dans une Afrique postapocalyp- ‘tique initiation et la quéte vengeresse d'une jeune sorciére pour retrouver ce- ui quia violé sa mére er se trouve étre son pére. Son monde est tréséloigné du ‘empssireculé que personne nes‘en sou- vient, les bribes de technologie qui fone- tionnent encore sone trés supérieures 3 celles qu’a produites le xx sic, ex surtout la magic est partout. De la science-fiction « escapiste », donc? Pas ‘exactement tra: vers des scénes de illagc.d excision, Sudesrapporesde Phéroine avec son fiancé, magicien moins doué, Pautrice rnous parle aussi de Afrique daujour- hui. Ce n'est pas que son roman soit ‘une transposition du présent dans un venir loineain, c'est juste que la roman: igre a intégré, & son futur imaginaire, des formes de violenees dont ell ima. gine qu’elles auraient pu perdurer jusqu’ lui. Cela n’en fait pas pour au- tant un roman militant, mais participe dees pore pllgu incre cas son blice dans le domaine de la science. fiction, aujourd’ hui, un roman entiére- ‘ment sisen Afrique, quine nousditrien dece qu ilestadvenu surlesautres conti- nents, dont le seul personnage blane ~ un sorcier ~ ese sans doute albinos. ‘Comme ce n’était pas rien de montrer, «en 1969, une société dont les membres, naviguaiene d’un genrel autre, comme le fit Ursula Le Guin dans La Main gauche dela nuit. elle se serve dans le présent, dans le nee ou dans 'imaginaire, dans es sciences duresou les sciences humaines, lascience-fiction permettoutesles com- positions et recompositions. Elle est cette littérature qui peutenvisager 'ave- nia partir du passé, méler lessaveurset se faire fantastique, ésotérique, mili- tante ou nihiliste... Elle nous renvoie simplement anous-mémes. Mais, entre- fembpsrelle nous aura lasts leslevees tun goittd’infini, . dossier scicnec ion. Avis de réapparitions lls sont tous trois nés en 1920. Cent ans plus tard, les écrivains Isaac Asimov, Ray Bradbury et Frank Herbert offrent plus que jamais des scénarios inestimables aux jeunes générations pour réver et batir un autre monde. k Herber! UN THEME ASTRAL AU ZENITH une... Atrakis... Panéte des tempétes capables d’ar racher la chair des os, aux profondeurs traver- sées de verslongsdece taines de métres, oi la moindre gourte d'eau est un trésor. Maisla pousse aussi hp ‘qui permer, entre autres le voyage interstellaire ~ ce qui cn faic un enjeu essenticl, dans l"Impe jum futuriste inventé par 'Américain Frank Herbert, et un objet de dispute pour ses grandes maisonsféodales. Avec ses mille complots, ses « plans dansles plans dans les plans », son intrigue principale messianique, son cadre mé. Ine Antiquité, féodalité et capicalisme pétrolier, et sa foule de personages agissants et complotants la saga Dinie ese Pune des plus complexes de la science-fiction, Elle fur néanmoins|'une des plus populaires des lors que David Lynchen ficun film ~aprislestentatives de Jodorowski et de Salvador Dali, gui s'y étaient cassé les dents. Certes, bles sillonnée de suse ép En 1984, David Lynch adaptait univers de Dune a de quoi séduire dans ce monde d’aprés 'informatique, ‘on trouvedes hommes éduqués comme ‘es machines (les Mentats).des {qui teavaillent 4 méler les généviques des grandes nirun élu (les membres du Bene Gesserit), des immortels et déformés par Pasage de I épice (les navi gateurs de la Guilde) Crestaussile premier texte de science-fiction large: ment écologique: l'un des enjeux est de transformer Dune la déserte en jardin, Lalégende veut que tour cela soit né dun reportage sur les dunes de I'Ore- ‘gon que réalisa Frank Herbert l'année deses 39 ans. Al’époque, le comancier, issu d'une famille trés modeste, a plu- sieurs vies derriére lui: ancien phoro- ‘graphe de guerre,analyste de formation junguienne et journaliste, il sest dja fait un nom dans le milicu de la Frank Herbert lau (320-386), a science-fiction grice un roman irrigué de psychanalyse, Le Dragon sous la mer. Le premier volume de Dune, racontant lachutedela maison des AtreidesetT'as- cendant, Paul, lui prit six ans de eravail et Fut rejeté par des dizaines d’éditenrs avantdérreaccepté par une petite maison spécialisée dans les manuels de mé canique a lusage des gars gistes en herbe. Publige en 1965, lasaga connut tout de suite un grand succés cri Le succés public, ui, vine progressivement au cours des années 1970-1980, mesure ‘que Frank Herbert ajoutait des tomes : Dune serait aujourd hui le roman de science-fiction le plus vendu au monde. Eril continue a fasciner les cinéastes : le réalisateur Denis Villeneuve en pré- pare une nouvelle adapration, annon- ‘cée pour novembre prochain. ‘Alex Brocas| leaac Asimov (0820-1982), v UN ROBOT DANS LA BOITE A IDEES catéchol », collaborateur de Vécrivain-éditeur John Camp- bollet de arevue Astounding, homme de gauche et oppo- sant farouche & la guerre du Vietnam, isaac Asimoy, styliste médiocre mais source didées Spoustouflantes, aura marqué Iristoire dela science-fiction, et cesurtout grdceaux Robots ‘eta Fondation. Danses Robots, ilimagineles trois tégles dela robotique (un robot ne peut porter atteinte ‘un étre humain, il doit obéir ‘aux ordres qullul sont donnés par un étre humain, ot doit protéger son existence) deve- rues légendaires et les tourne dans tous les sens au long de sept romans et trente-trois nouvelles pour en exprimerles paradoxes jusqu’s la derniére goutte. Fondation, inspiré par les livres de 'historien Edward Gibbon sur Rome, raconte en septromans|a chute d'unem- pire galactique dont la « psy- chohistoire » permet mileans 2 Vavance de prévoir "évolu- tion. Les deux sont marqués par le méme art de la narra- tion, le méme génie pour la construction d'intrigues et ont pposé avant tout le monde des problématiques qui ont large- ment essaimé, Quoi qu'on ense de leur écriture fonc- tlonnelle et de leurs person- ages archétypaus, ils restent des monuments indispen- sables.Laplus grande réussite dlAsimov dans le genre, plus discréte, reste peut-étre La Fin de Wéternité, roman unitaire iben 1955 qui épuise avec ‘une logique implacable le theme du paradoxe temporal Hubert Protongeau Voila le genre de pari qui vous ferait trouver le confinement trop court :lre tout Isaac Asi- mov. Romancier, nouvelliste, vulgarisateur scientifique, ce ‘graphomane aligne plus de 400 titres. Ila écrit sur 8 peu pra tout (Dieu, Shakespeare, la Bible, la physique quan- tique, Sherlock Holmes..),re- prenant plusieurs fois les mémes themes, produisant trente ans plus tard d'inuties suites ses plus grands succes, sfassociant & certains de ses confreres (Robert Silverberg, deux fois) pour étirer en ro- ‘mans certaines de ses nou- velles, s'essayant a d'autres genres comme le polar (Le ‘Qubdes veufsnoirs, amusante série de romans & énigme),tis- santsa propre gloire une au- tobiographie grotesque de suffisance, Mol, Asimov. [Nati de la région de Smolensk. (en 1920), Juif immigré aux Etats-Unis a 'age de 3 ans, lecteur frénétique, docteuren Chimie, auteur d'une these sur Ja.« Cinématique de la réac- tion d'inactivation de la tyro- sinase pendant sa catalysede Voxydation aérobique du Ray Bradbury LE GENIE MELANCOLIQUE I sentie son sourire s'estomper, fondre, se racornir « i comme unepeau desséchée, comme lacire d'une bou- gic Fantastique, quia bralé trop longtemps, se noie ec Goutffe la fmme. Nuie d’encre. Il n'état pas hew reux. I nétait pasheureux. Ilse répécait cette phrase. Elle exprimait un état de fait. I poreait son bonheur comme un masque et cette files’éait sauvée travers la pelouse avec le masque. » Cet extrait de Fahrenheit 451 nest pas une mise en abyme, mais il definit exactement leffec que la prose de Ray Bradbury produic ala premiére leccure elle vous révéle A vous-méme, vous montre votre propre mélancolie, votre inadéquation avecle monde qui vous entoure. Elle arache vvorre masqute, et vols ne voudrez jamais plus le porter. !m- :mense pote en prose ainsi ledefinissait Aklous Huxley -, Bradbury est arrié en lit- térature par deux chef- deeuvee : les Chroniques ¢ ‘martiennes (1950), qui te- F Iacent, en nouvelles enchai nes, le désastre dela coloni- sation de Mara par les Terviens. Et Fabronheit 451 (1953), sa fameuse dystopie sur une société qui proscrit les lives et sur la wajectoire du pompier Guy Montag ui, un jour, en a cuvert un, Bradbury a écrit d’aucres romans et recueils remar quables ~ La Fore des té- nébyes, ’Homme llustré Je chante le corps électrique ~, mais ce sont ces deux textes qui lone assis au firmament des au reurs descience-ficion, oi sesdonsde stylisteet sa préfeérence pour les questions humaines plutox que pour les questions technologiques huivalent une place & par. Bradbury est unenfantdes années 1930, et sa prose porte lh marque de la grande dépression, mais aussi de son émer veillemene pour les divertissements d’'alors ~ cinéma, feces foraines, baseball. Son enfance, trés modeste,sest dérou Ige dans Amérique profonde, au gré des emplois que trou- vaitson pre. Elle: fait de luiun grand lecteur ~ Poe, Verne, Wells -, ct un écrivain de vocation dés ses 1] ans. En 1934, Ia famille déménage& Los Angeles, et Bradbury se passionne pour le monde de: revues de science fiction, et pour ses ve dectes (Robert Hinlein notamment) Il publie sa premiere nouvelle dans unerevue, a 18 ans. Trop pauvre pour s'ins- crire & universe il hante assckiment les bibliothéques de Los Angeles. Ainsi est au sous-sol de labibliothéque Powell que Ray Bradbury écrivit ses deux chefs-d ceuvre, sur une sachine & éerie payante — dix cents les trente minutes. Le prix dela gloire, quand on adu genic. AB. Ray Bredbury (1920-201) dossier scicnce-Siction S'ENVOLER Narrés au décollage, & ae voyages interstellaires et la terraformation des planetes sont deux thémes. res éssentiels-du- genre. Ce sorit aussi deux horizens hors de-portée de la science actuelle, Cond Mea Cue aoe ~Par Hubert Prolongeas Sect reer Rema nreeics Pres eres formers perrattoest Ree em tas aie red meer eres Sy tenet es eee So een Wetec trees ranean et ern ts sourcilleux venus du pee eer Dans Luna (2015 roe prtires eneeett aris eau, le carbone etles données. Le livre BUSES eo de course la surface de laste, ot les a en nr) Sr icuecag Roe ota Rona Nar ener Pereetusr ceric et Sree er ance ete erence eg Bean Sea pee eee rceras permertent d’envisager: Kim Stanley se er eter eo trate eee oe pee ee een mtd ‘pour raconterla traformasion de Mars See ee eas Cees Shc ts keane se divelopper des eyanobactéries peer bor ioe aoa en Pros nee ees oes eset Pome etree tne a Sierra eae aera juisgu’a present eve de quatre joursyen Some ears ern Wer ec ram a Vctee cic at ‘mois. Mais les vaisseaus les plus rapide’ ere Meret cy See ee ay eee eee es ciekeceeney eet peered fot ro ee retreats Pe Oe Lota eevee ee ete oe ECS Suro ce ae ec TE prrectian bers Sea Sa res eaeTra ey etree cerca ates eee ‘soles Beene Une Be UR eo NS eae cara ates eons ie tere ores tetiaty ee tee ge Boats enc BARES GENT ‘embarqués des passagers donc les: es eee reg Piremasetetn aS Beco utere Sree itary

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