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FRAGMENTS VERS

LA DESTRUCTION DU
SUJET POÉTIQUE ET
D’AUTRES POÈMES
-
FRAGMENTOS HACIA
LA DESTRUCCIÓN DEL
SUJETO POÉTICO Y
OTROS POEMAS
Alberto Julián Pérez
Édition bilingue
Traduction française de Michel Napolitano et
Charlotte Coing avec l´ auteur

FRAGMENTS VERS
LA DESTRUCTION DU
SUJET POÉTIQUE ET
D’AUTRES POÈMES
-
FRAGMENTOS HACIA
LA DESTRUCCIÓN DEL
SUJETO POÉTICO Y
OTROS POEMAS
Première édition: mars 2023
ISBN: 978-84-19705-61-7
Copyright © 2023 Alberto Julián Pérez
Traduction: Michel Napolitano et Charlotte Coing avec l’auteur
Edité par Editorial Letra Minúscula
Ville de publication : Barcelone, Espagne
www.letraminuscula.com
contacto@letraminuscula.com

Tous droits réservés. Toute représentation ou reproduction


intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans
le consentement propriétaire des droits est illicite et constitue une
contrefaçon du Code de la propriété intellectuelle.

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Primera edición: marzo de 2023


ISBN: 978-84-19705-61-7
Copyright © 2023 Alberto Julián Pérez
Traducción: Michel Napolitano y Charlotte Coing con el autor
Editado por Editorial Letra Minúscula
Ciudad de edición: Barcelona, España
www.letraminuscula.com
contacto@letraminuscula.com

Todos los derechos reservados. Bajo las sanciones establecidas


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FRAGMENTS VERS
LA DESTRUCTION DU
SUJET POÉTIQUE ET
D’AUTRES POÈMES
Table

Fragments vers la destruction du sujet poétique


L’identité et la folie ........................................................... 13
Prologue-confession .................................................... 15
Le cube bleu ................................................................ 18
Retour éternel ............................................................. 24
Histoire des mots ........................................................ 29
Un torse classique ....................................................... 33
Le théâtre de la folie.................................................... 36
Mon bureau ................................................................ 39
Les voix et le silence .................................................... 41
L’identité et les miroirs ................................................ 45
L’abject ....................................................................... 49
Autres poèmes .................................................................. 51
Le bar des vielles vedettes............................................ 53
La Sybille .................................................................... 57
Les suicidés ................................................................. 61
Le poète maudit .......................................................... 75
Les pauvres ................................................................. 78
Le poète et la peste ...................................................... 80
Nos morts ................................................................... 82
Les vérités du poète ..................................................... 84
Les maudits ................................................................. 91
FRAGMENTS VERS LA
DESTRUCTION DU SUJET
POÉTIQUE

L’IDENTITÉ ET LA FOLIE

Les antichambres se confondent


avec les miroirs,
le masque est sous le visage,
plus personne ne sait
qui est le vrai homme
et quelles sont ses idoles.
Et rien de tout cela n’a d’importance;
ce trouble est trivial et acceptable
comme les inventions du rêve.

Les traducteurs des 1001 nuits,


Jorge Luis Borges
PROLOGUE-CONFESSION

Les images des Rêves


sont fatiguées de m’attendre
dans un lieu hostile.
Cette histoire de mon Ego
s’est épuisée
avec un gémissement méconnaissable.
Les tyrannies de la Raison
veulent prévaloir
sur l’intuition des Désirs différés.
Banni de mes Instincts,
la Parole est blanche et vide
et sa pureté me dégoûte.
Mais la force de l’Amour
m’entraîne dans cette
Communication désespérée:
c’ est un Besoin doux comme
le doux délire d’une ivresse
qui a honte d’elle-même,
parce que j’ai besoin
d’alcool ou de folie
pour dire ma Vérité.
Dans cette crise,
mon moral est la défense ultime
devant l’Avenir qui m’appelle.

15
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

Le Temps presse
et il me rend fiévreux
et je vois les instants dédoublés
dans les miroirs de l’agonie,
où l’Ennemi triomphant
s’arrache ses Masques un par un.
J’ai la certitude qu’il n’y a
fondamentalement aucun Sujet:
le Thème, avec le Sens
qui l’accompagne
est devenu impossible;
cette Confession
est mon dernier refuge
avant de tomber, annulé
par mon Imagination,
épuisé dans ma Création,
comme une mère
qui a accouché et qui voit qu’elle
a donné naissance à des démons.
La Logique me brouille
dans le piège de sa Vérité:
un homme ne peut pas
être son Identité
au-delà de son Rêve.
C’est précisément cette Identité
qui nous rend malades,
ce changement forcé de Pronoms
qui nous fait mal,
ce Désir de Déchiffrer
quelque chose,
ce que ces Pronoms veulent être

16
Alberto Julián Pérez

dans la Fantaisie tourmentée


de ceux qui désespèrent
de jour en jour
sans devenir ce qu’ils sont,
sans atteindre cet avenir
qui s’arrête au Présent
et les condamne
à la chambre du Temps,
incapables de trouver une sortie,
parce que toute cette Culture
s’est transformée
en un Labyrinthe
laborieux de Mots
où l’unique chose qu’on désire,
c’est la Mort.

17
LE CUBE BLEU

Je pousse fort
le cube bleu d’un rêve

J’y entre
je me lève
bords sensuels
cristal intime

Je vois mon reflet


je suis différent
Je suis celui que je voudrais
Roi pour un rêve

Le désir est consommé


Satisfait
je dors
je rêve
rêve de rêve

Je mets ma tête entre mes genoux


Je dors dans mon élément
Je nage dans une eau sèche
Je respire des bulles de poussière

18
Alberto Julián Pérez

Voix. Non. Geste? À peine


Lenteur absorbée
Frémissement

Le cube commence à tourner


à une vitesse inhabituelle

Rêve:
Je prends mon petit déjeuner
dans une maison au bord d’une forêt
Dans la forêt il y a un monstre
Les femmes disent qu’elles s’y rendent
pour perdre leur pureté

Ma mère entre dans la forêt


—Où vas-tu maman?
—Tu rêvais depuis cent ans, fils;
allez, grandis!
—Je ne peux pas
—Prisonnier d’un rêve
—D’un rêve, de la peur, du désir

Je bois le café
pour le petit déjeuner
Je me nourris de mort
avec les mains liées
cheval prisonnier
Les cafards marchent dans la tasse
en mangeant le pain du rêve

19
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

Le temps passe,
mes cheveux poussent,
la peau se ride
Je suis un vieil homme,
le vieil homme
cherche l’innocence
et il boit le même café amer
encore et encore

Je ne peux pas je n’ai pas pu


Je ne pourrai pas

Ma mère revient de la forêt


pleine de lumière,
peau dorée, nue,
elle me surprend,
me reconnaît, a honte:
découvre qu’elle a donné naissance
à un homme qui est son père

Je meurs, le vieil homme meurt,


mon corps / son corps est corrompu
ma mère le serre dans ses bras

les vers dans mon corps sucent


la vie des membres sans défense,
impuissants, de ma mère,
qui ne se sépare pas de mon cadavre

Elle étend un bras, le laisse immobile


et une tige naît de sa main

20
Alberto Julián Pérez

Il sera difficile de boire mon café


si l’homme-enfant se réveille
on avale nos langues
et on s’étouffe petit à petit
comme le serpent qui se dévore

Les images tournent,


tournent dans le cube bleu
Autour, matériau de rêve
Lumière du vent
Poussière ventrale fertilisée

Je me réveille
Je sors du cube de l’espace calme
Je suis l’autre Celui que je suis

Celui que je ne veux pas


Celui que je cherche
est parti avec mon rêve
Rêver de mon être
n’est pas possible

Qui suis-je? à peine Ça


l’identité du vent
qui gonfle dans n’importe quel
cœur endormi

Si je ne suis pas,
comment puis-je mourir?
Pourquoi vieillis-je?

21
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

Quand le rêve qui vit en moi


ne m’aime pas
il me jette
hors de son royaume d’écume
et de grenades parfumées ouvertes
pénétrées par un éclat de soleil
semblable à la glace qui me traverse
lumière pour clous,
si fragile, si vain, si truqué
mais ... comment puis-je
l’accuser de moi-même?

Mon destin me suffit


pour ne pas arriver
et rester à mourir ici, entre tous
prisonnier de ce labyrinthe,
rose pour fruit

Quelle sera l’épée?


Quel sera le sang de la balance?
Pourquoi ma mort?

Ombre, silhouette, c’est moi, flou


Je couvre honteusement mon visage
avec mes mains
Je bois un baiser

Ai-je besoin d’un enfer?


D’un paradis? D’un ciel?
Le Bleu Cube est là

22
Alberto Julián Pérez

Voyage
Je rentre dedans pour changer ma vie
je reviens plus tard
Je vais et viens

Les mots ne portent pas


mais ils apportent
ce sont des limbes de paresse
ils indiquent le mauvais chemin
ils construisent un monde
qui n’est pas vrai
Nous vivons là
et nous nous trompons

23
RETOUR ÉTERNEL

Un matin je me suis réveillé


et le monde n’était plus
ce qu’il était, les oiseaux
n’étaient plus les oiseaux,
l’air n’était plus l’air, naturel?
Qui dirait! Magique? Non plus.
La magie ne devine pas la vie
qui nourrit les épines.
Un matin, tout était consommé
et tout recommençait.
L’histoire était la synthèse
et le passé le futur,
Œdipe s’est lié à sa mère
pour toujours
et les hommes
ne cesseront jamais de s’aimer.
Nous entendons
le son final de l’apocalypse,
le mot de toutes les langues,
moitié lumière,
moitié musique inimitable;

24
Alberto Julián Pérez

avec elle, le monde, Dieu,


la signification seront enterrés,
mais sachez le tous:
le monde renaîtra.

II

L’histoire nous submerge


par ses citations
et elle est présente
dans tous nos actes:
oublions les dates,
l’homme est son produit.

Apothéotique l’homme
avec ses signes mathématiques,
ses figures géométriques,
ses rêves décimaux.
Énorme dans sa malédiction
cet animal fantastique,
l’homme,
un rêve commun
qui traverse l’histoire,
un rêve transmis
de génération en génération
comme un chant,
comme une musique,
un hymne.

25
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

III

Floue la mémoire collective


avec la précision du diamantaire
qui relie les os du défunt
avec des fils bénis et éternels,
Dieu est mort! mais il est vivant,
absolu l’Un,
au début était la fin,
et l’Homme, corde unique,
vibration parcourue par une infinité
d’âmes différentes mais une seule,
appartenant au même lutte de sons
pour conquérir
l’air enflammé de lumière
qui avance vers la nuit.
Entre le début et la fin,
il y a eu un rêve de mort,
guerre, folie, consommation, destin;
la passion–ils ont enseigné–se répète,
elle naît et meurt toujours,
et plus tard elle renait
avec la même force.
La passion c’est la vie.
Un homme voulait
avec sa panoplie de signes
se raconter ce qui s’était passé
et les signes se sont multipliés,
l’homme est mort enterré.
Il s’est réveillé
comme un oiseau léger

26
Alberto Julián Pérez

capable de profiter
de la lumière, d’un air pur,
de trouver Dieu, le verbe unique,
par sa simple foi
d’ animal sincère.
Pensif ou éphémère,
c’ était au milieu
la fatalité du destin écrit:
il devait trouver
sa pierre de interrogations.
Donc, le mythe enseigne.
Le mythe est infini.
Le mythe
est généré par l’histoire.
Expliqués: systèmes métaphysiques,
paraboles philosophiques.
Cependant au début
c’était le verbe;
c’est ce que nous étions:
un signe intelligent
devant un Univers inutile.
Que reste-t-il
à la raison dévastée?
L’ordre de la matière
dans l’instinct,
la passion de la fièvre,
le rêve que j’ai fait
que je m’éveillais d’un rêve
et le monde n’était pas,
n’avait pas été et ne serait pas,
il est né juste là et il était clair:

27
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

juste un point
qui n’était pas un point
mais le monde,
l’éternité, l’histoire,
tous les hommes;
ce point était l’infini,
l’origine de l’air,
celle de la lumière,
de l’oxygène enflammé,
un temps voyageant
chargé de sons
comme un secret
pour les générations inhabitables
peut-être pour l’amour.
La mémoire nous lie
et nous délie
et nous avons besoin d’elle
comme nous avons besoin
de nous mêmes,
aujourd’hui c’est hier,
demain sera aujourd’hui
et donc un jour Dieu sera mort
et j’aurai grandi
et je serai un homme
parmi les hommes
et aimer sera bon.

28
HISTOIRE DES MOTS

Dans ma bouche se balancent,


mon os,
les paroles, doux phonèmes,
les anciens et les miens,
les sons utérins
qui poussent la clé du sens
dans le signe rigide
qui s’ est perdu, âme verte,
dans une mer de je-sais-tout et de soldats
pleurant pour leur pain ensanglanté,
Facta est! Est
c’est le même être
qui vivait dans la beauté,
sans Dieu, mais heureux ...
Et puis la langue paysanne ...
se développant parmi les barbares
qui ignorent
le plaisir que les dames
prenaient dans les villas romaines,
rosae alba; dans le fief, le château,
la légende de la croix réconfortée
par tant de canaille agenouillée
pour faire un couplet à la paysanne…
et ils jouent dans les bouches,

29
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

ils buvaient la salive de leurs gencives


comme des oiseaux
et ces pneumas
sautent de la molaire à la langue
avec ses trilles, découverte
du monde, soleil de l’homme.
Et la langue moderne!
La figure du langage élevé,
geste dans l’air la voix fatiguée,
l’empire de Dieu tombe
et la langue impériale
sombre fait naufrage
sur les côtes de l’Amérique
et enseigne aux Indiens
le "miracle" de l’esclavage.

(L’empire étend ses tentacules,


c’est une pieuvre qui noie
tout ce qu’elle touche.
Des années passent,
des siècles de servitude passent,
la langue s’affranchit,
les héros naissent,
les saints meurent,
les provinces de l’empire
se confessent le jour
et font l’amour la nuit.
Les Indiens et les Noirs
donnent au castillan
son flux sensuel
et doux, son rythme américain.

30
Alberto Julián Pérez

La liberté vient et les provinces


de l’empire se battent
dans les champs d’Amérique
et s’arrachent leurs chaînes.)

Travail travail travail!


Production, les champs sont aveugles,
mais regardez cette machine
comment elle respire,
comment elle rugit,
soufflant de la vapeur,
toute la puissance
qui ravive son énergie!
Quel langage
de technique et de silence,
quelle merveille que la vie dégage
de la canine à la molaire,
les mots portent l’histoire!
Ces mots ne se suicident pas,
ils sont fait de sueur et de sang,
de roues et de lances,
d’épées et de moulins à vent;
ils transportent l’atome invisible
avec son explosion de vie;
ces mots ont grandi,
continuent à grandir,
ils portent en eux
l’émotion mesurée
des hommes et les hommes,
la lumière des objets, des couleurs
et des objets.

31
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

Oh miracle de synthèse
dans ces ondulations
douces et transparentes…!

Une bouffée d’air tiède


vient du plus profond
de l’intérieur, les cordes
des guitares vocales vibrent
et les mots sortent, formes
exactes et répétées, contenant
l’histoire de la vie, l’histoire
des hommes et des hommes,
chaque homme,
chaque fleur,
chaque rêve,
chaque blessure.

32
UN TORSE CLASSIQUE

Le piédestal tourne
et le torse en marbre blanc
nous envoie
son message de beauté.
Ce torse tronqué
c’ est presque l’auteur
de notre amour pour la vie:
il nous enseigne
à découvrir le soi,
à lire dans la proportion
l’harmonie
qui est un jeu,
à comprendre la dynamique
comme une mélodie.
La matière ne s’arrête jamais
- il nous enseigne -
l’idée génère
le rêve ou vice versa,
le rêve crée de la magie
et rend possible le mythe.
Le mythe (oh bonheur) rendre l’homme
à nouveau fils de ses passions,
avec queue de cochon,
mordant la tripe de son nombril

33
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

et suçant l’escargot de sa mère.


Le mythe
ce n’est pas une fumée
derrière le temps:
l’histoire parle à l’unisson
avec toutes les voix.
Devant ce torse en marbre blanc
je sens que nous avons
tous été faits ensemble
d’ une seule fois pour toujours
dans le système
du mouvement éternel.
La perfection de la forme
qui chérit le diamant,
caresse la lumière,
mord la musique.
Tout cela dans l’histoire,
moule parfait des générations.
L’Homme fait l’homme
que par instinct,
qui a appris à interpréter
le rêve pour créer le soi
transsubstantié,
de seconde en seconde,
décrit dans l’ amour,
cette autre sculpture,
cette autre langue que nous parlons
et avance comme un fleuve.
Au début, nous étions un,
lumière informe
au milieu de l’ombre,

34
Alberto Julián Pérez

univoque le son blanc,


l’orbite parfaite.
Éclats brisés du même aérolite,
l’homme et la femme
se sont blottis ensemble,
l’ovule tourne
et en un instant
l’identité dissoute
rêvé d’une nouvelle identité,
le jeu sensuel et crépitant du langage,
la proportion entre les parties,
la beauté,
la pensée abstraite.

35
LE THÉÂTRE DE LA FOLIE

Sur les cônes célestes


une lumière sans musique vacille,
les volumes projettent
des ombres bleuâtres,
plusieurs plans inclinés
sont insérés dans les cônes.
Un homme marche
dans l’un des plans,
on le voit par derrière,
découpé sur un fond sombre.
L’encre de la mort grandit
et l’homme perd, petit à petit,
son contour et sa forme.
Une femme va le chercher,
elle voit comment
la tache dévore
progressivement l’homme,
elle embrasse
ses seins et son ventre,
elle rit
avec voix et cri entremêlés.

La femme mâche des rasoirs


et ses seins grandissent et grandissent,

36
Alberto Julián Pérez

ce sont deux serpents mous inutiles,


il leur pousse des feuilles vertes.
Elle pleure et le masque glisse
de ses paupières et de ses joues.
La plante grimpante de ses seins
se colle à son corps.
Je tire le rideau du théâtre imaginaire,
derrière tout ce spectacle
je soupçonne un grand vide.
Un manteau de lumière
s’infiltrant comme l’eau
de corpuscules vibrants qui picotent
couvre la fenêtre de la grande salle;
maintenant, à l’intérieur de ma maison
et seulement à l’intérieur
le soleil se couche.
Je sors de la maison
dans la forêt qui l’entoure,
j’entends des bois
taper sur des cordes
et des échos intemporels
qui connaissent
un cercle sans centre
qui est la perfection sacrée ;
les rayons de lumière
sont droits et sans nuit,
sans mort.
Comment je peux m’expliquer
cet homme imaginaire
qui disparaît
dans une tache d’encre,

37
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

et cette femme fantastique


lentement dévorée par sa passion,
masque d’argile molle se décolorant,
tandis que le liseron-serpent
de ses seins grandit
dans le théâtre
de la maison de rêve,
qui est peut-être déjà inhabitable
pour l’Amour,
pendant que moi, dehors,
dans ce cauchemar de lumière,
je perds totalement
la notion du temps et de l’espace,
et jusqu’à mon moi innocent ?

38
MON BUREAU

Mon bureau s’est soudainement épanoui:


bourgeons sur les veines claires
de son corps habité par des papiers
et des souvenirs d’âmes blanches;
murmures d’eau dans ses tiroirs
où mes mains enferment
des répliques de mains;
réveil d’invisibles
consciences oubliées qui jouent
au jeu de l’identité du signe
qui correspond simultanément
à la Parole, au rayon de lumière,
à la mélodie de cinq notes
dans l’œil géométrique,
lié à la perfection du désir
et a la pensée sans récepteur
qui parle avec un geste vide.
Mon bureau navigue
secrètement en arrière
à l’abondance, à la naissance
pleine de souhaits satisfaits
qui défient la folie
(oh, la peur de la folie
comme ça, avec toutes ses lettres,

39
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

et à l’eau bleue qui coule


et lave l’âme échouée à l’intérieur,
instinct noir).
Dans le corps de mon bureau
et dans ses tiroirs
il y a aussi des papiers morts
d’enfants qui ne sont pas nés
et ils attendent pour toujours
dans l’ obscurité,
pensées et eau
et poisson dans l’eau,
vagues transformées
en soie de sons
qui parlent la douce langue
du fleuve
qui vient de l’oubli
pour m’ apporter
son miel enchaîné.

40
LES VOIX ET LE SILENCE

Ma voix nourrie
de cris d’animaux noirs
qui s’échappent
nuit nuit nuit
la musique de violon
coupe le son
en bandes bandes bandes
qui tombent sur le côté de la ligne.
Ma voix, comme je disais,
alimentée par des cris
d’animaux noirs
qui grandissent autour d’une forme
et les cris la couvrent de noir
et cette essence gonflée de mort
s’habille avec des mots
qui sont sont sont
dit un clown sur un piédestal
en sortant la langue
enflammée et germée,
instrument de charlatan
pour des messages

41
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

dénués de sens
(Je sais que la parole
ne vaut rien
et que je mourrai un jour
en inhalant le parfum
de gouttelettes d’eau
voyageant dans l’air
de saison en saison
avec leur message
de fraîcheur et de printemps;
pendant que l’espace
est plein d’ombres étranges,
et mon rêve révèle des signes,
souhaits, paroles, peur ... en tout ...).

II

En jeu rapide, les voix mêlées


dessinent dans l’air
un confinement sans murs.
Elles se touchent comme des lèvres.
Dans cet espace étrange,
fenêtre palpitante,
impactent des astérisques,
des fragments d’air écrit.
Les syllabes détachées
se sont brisées en accords.
D’autres voix
créent des merveilles sémantiques,
ou des formes libres
de points et d’espaces.

42
Alberto Julián Pérez

Le son est vivant. Mais


l’eau de l’origine
bientôt coupe l’écho de la voix;
le rythme est déformé
et le silence rejoint la noyade.

III

C’est une question de langage


exilé dans sa LETTRE,
désespéré dans sa peur,
un peu d’eau sans reflet,
miroir mort
dans son épaisseur noire
où le Corps glisse
pour ne pas imaginer
les tournures et les secousses
et le rythme sourd et le creux
Hurlement Ouvert.
Quel jour
si le soleil se levait
dans la chambre
et le mur se couchait
à l’horizon,
si le rideau de lettres tombait
fermant les interstices
mécaniques
du discours perturbé!

43
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

IV

En moi, le langage historique


qui traverse le temps
chevauchant
les signes de son tout,
prévient les noms
avec des adjectifs illusoires
et permet un ordre pronominal
compulsif et stérile.
Mon cœur est prêt
dans l’horloge de l’ombre.
Les jours sont les tropes
de ma subsistance.
Je marche, ombre dans l’ombre,
enfermé dans ce visage haineux
avec son masque de dieu ancien.

44
L’IDENTITÉ ET LES MIROIRS

La dernière fois que je me suis vu,


quand l’âme de la lumière
se développait autour de moi
et à mes pieds glissait
une eau sanglante ;
mon reflet la dernière fois
que je me suis vu
dans un miroir brisé.
Je pouvais cruellement m’éclater
et terminer là
le jeu labyrinthique du temps.
Tout le reste serait cercle,
geste parfait enveloppé de passion.
J’ai été empêché par l’homme que je suis
et ceux que j’étais,
et les hommes qui attendent près de moi
avec un geste nu en face de la mort.
Et aussi l’autre que je ne serai pas, car ...
où vais-je chercher plus tard
la béatitude du non-chant?

45
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

II

L’identité malade se balance


sur la crémaillère du suicide-voie ;
espace, pont, saut ...
La destruction est à l’affut
derrière mes autres visages
qui ont besoin de moi
pour prendre ma place.
Quand je grandis vers le bas
les racines font un effort
mais elles n’arrivent pas
à me soutenir…

III

Si nous nous rencontrons


dans le même miroir
et ouvrons la porte et la porte,
en étant toujours nous,
chacun avec la somme,
la somme avec le tout,
nous gagnerions l’eau
qui a grandi sous la terre,
nous nous réveillerions
avec des poussées
de lumière nouvelle
dans nos yeux.
Si nous ouvrons les portes
de l’un et de l’un et de l’un
et nous entrons et entrons

46
Alberto Julián Pérez

sans perdre une seconde


on trouverait la dissolution
où est l’amour.

IV

Dans le miroir s’est caché


un autre homme
qui me cherche
sur la surface mouillée,
mon identité semi-liquide
laisse les ombres descendre
dans mes veines
et se planquer dans les espaces
où la conscience raisonne faussement
les mots détournés de leur cours.
La fleur vivante
de l’inconscient menacé
ressuscite dans le rêve ce qui était
avant d’être un nom,
quand il n’y avait pas de mots,
pas de douleur,
pas de solitude dans le monde,
pas de reconnaissance de la mère,
pas de différence,
et tout était présence sensible,
similitude sans pronoms.
Clartés anciennes,
scintillements isolés,
illuminent maintenant ces moments
qui étaient à jamais scellés

47
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

avec tous mes secrets,


et sans lesquels
je ne suis qu’une substance
de la logique,
témoin douloureux
du torrent de l’amour interrompu.

48
L’ABJECT

Je ne suis pas un animal malade


qui dérange ses désirs fragiles;
dans le plaisir habite l’harmonie perdue;
les miroirs vivent habités…
Dans la surface baignée
il n’y a pas d’absence,
je suis là, fragmenté, semi-liquide ...
Mon avenir a été enfermé dans le présent,
je me perds dans l’eau du rêve,
représentation, masques, équivalences,
chaque vérité est une fausse analogie,
inepte les moyens de la connaissance.
L’horizon accumulé se développe
ou l’inconscient s’affirme héroïque,
langue royale, lumière et obscurité ...

1981
Traduit par Michel Napolitano avec l’auteur

49
AUTRES POÈMES
LE BAR DES VIELLES VEDETTES

Dans ce bar du centre


où je viens me cacher
arrivent, au soir,
les vielles vedettes.
Elles travaillent près d’ici,
dans un théâtre mal famé.
Une fois, curieux,
je suis allé les voir jouer.
Elles étaient radieuses,
sur la scène, vêtues
de paillettes et plumes.
Leurs chairs débordaient
leurs costumes.
Le public, moqueur,
se riait de leurs corps déformés.
Elles, déesses hystériques,
souffraient les humiliations
et regardaient avec mépris
le parterre
d’ adolescents imberbes
et d’ hommes seuls.
Elles ne renonçaient à rien.
Elles s’ accrochaient à leur corps,
avant glorieux

53
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

et continuaient en représentant
leur rôle invraisemblable.
Elles dansèrent, chantèrent,
montrèrent leur cul,
et exposèrent leurs mamelles flasques.
Après le show elles rentrèrent au bar,
cette étrange école des condamnés.
Ici les vedettes qui une fois ont tout eu:
amour, beauté, argent,
restèrent sans défense, buvant leur verre
hors de la scène et des lumières.
Ces pauvres femmes, m’ont fait penser
à la poésie démunie de notre temps.
Aux poètes grotesques
qui chantent et célèbrent
la laideur du monde
avec une expression grossière,
et ils sont la risée de beaucoup.
Ils n’ont pas honte de s’exhiber.
Autrefois ils rêvèrent
d’ un monde parfait, lyrique, élevé,
sans limitations.
Mais le temps a passé
et la parole illuminée
n’est jamais arrivée.
Maintenant ils rendent un culte à la vie
et ils se repentent
de leurs rêves réactionnaires.
Aussi j’ai pensé aux autres, ces ennemis
qui, à la différence des vielles cocottes,
ne savent pas vivre dans la cruelle réalité

54
Alberto Julián Pérez

et qui se réfugient dans un paradis imaginé.


Les poètes bourgeois,
qui chantent l’ amour salvateur
et les sentiments nobles en vers élevés.
Ceux qui ignorent l’enfer,
qui ne connaissent pas la chute
et ne sentent pas de compassion
pour la fragilité humaine.
L’ esprit, finalement, je me suis dit,
serait ce qui nous guide
dans ce désert, seuls face au doute.
L’esprit poétique, cette aura immatérielle
qui voyage dans le temps,
et arrive dans la langue et nous élève,
et c’est l’esprit saint.
J’ ai regardé autour de moi,
élevé mon verre et trinqué aux vedettes.
Elles m’ont rendu la politesse.
Après nous sommes restés à boire en silence.
La discipline de l’alcool
m’ a aidé à me replier sur moi-même.
Je me souvins d’un rêve récurrent que j’ai
où je me plonge au plus profond
et j’émerge dans un miroir.
Là, désespéré, je me regarde
et m’arrache par morceaux
la peau du visage.
C’ était seulement un masque,
je découvre, et derrière
j’en trouve un autre et un autre…
Nous vivons en échappant à nous mêmes

55
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

et peu à peu, sans le savoir,


nous approchons ce que nous sommes.
Nous bûmes la dernière tournée
d’alcool suicide.
Le bar ferma et nous sortîmes dans la rue,
déjà baptisés.
L’obscurité nous accueillit,
dans son anonymat généreux.
Nous nous séparâmes sans dire adieu.
Seuls dans notre loi
les incorrigibles. Héros aussi
de la solitude et de l’échec.
Le monde me heurtait moins
et étaient prêtes à s’ouvrir pour moi
les portes du songe et de l’oubli.

56
LA SYBILLE

Au coin de la rue habite une indigente.


La pauvre est déséquilibrée.
Renfermée sur elle-même,
elle parle seule.
On dirait qu’elle
a un peu plus de trente ans.
Nous, les voisins,
passons à ses côtés sans rien dire.

Arrivée au quartier il y a un an,


elle a tendu ses couvertures sur le trottoir,
près d’un égout.
Cet endroit est sa demeure.
Là, elle mange, dort et passe ses journées.

C’est une femme moderne:


elle a une radio et une calculatrice cassées.
Elle tourne ou presse les boutons et leur parle.
Peut-être qu’ils la comprennent et lui
répondent des choses.

Nous l’avons acceptée


comme une partie de notre quotidien.
Les enfants la regardent avec curiosité.

57
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

Elle vit dans son propre monde.

Sale, couverte de vieux manteaux, en hiver


et en été, elle dort avec un vieux chien
qui est devenu son ami;
il est le seul être qui lui offre
sa chaleur, son affection.
Chaque midi elle donne à manger aux pigeons
les restes des restes qu’elle reçoit.

Elle ne nous prête pas attention,


ignore tout ce qui se passe autour d’elle.
« Elle a perdu la raison »,
nous nous disons,
mais nous ne savons pas bien
ce qu’est la raison.

On dirait qu’elle entend des voix.


Qui peut savoir ce qu’elles lui disent.
Je la vois comme une Sybille
qui reçoit des messages de l’au- delà.

Les voisins essayent de ne pas trop


l’approcher.
Elle sent mauvais et elle a surement des poux.
Ils ne veulent pas se contaminer.
Qu’est-ce qui arriverait si nous traversions,
avec elle, le mur invisible
et si nous passions de cet autre côté, inconnu ?

58
Alberto Julián Pérez

Nous en profitons pour faire notre catharsis.


Nous nous servons de cette femme sale pour
nous nettoyer
et purger notre peur de l’abandon et du fracas.

Oh indigente, oh innocente Sybille,


pardonne nos dettes !
Nous sommes une partie de ta misère !

C’est peut-être une preuve


que dieu nous envoie
et nous sommes les observés.
Dans ce labyrinthe sans sortie
je garde un certain espoir de résurrection.

Elle parait habiter


dans un rêve récurrent.
Je crois que les voix qu’elle écoute
sont les mêmes qui parlent aux poètes.

Il y a en elle une certaine beauté tragique.


Sa vie ressemble à une métaphore
du purgatoire ou de l’enfer.

Dans sa vie je vois réfléchi


le destin fatal de beaucoup d’artistes;
face à la réalité, impotents,
prisonniers de leurs rêves.

Je sens qu’elle exprime quelque chose


qui va au-delà de ce que nous voyons.

59
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

Son silence est une énigme


pleine de questions.

Oh innocente Sybille !
Accorde-moi un souhait !
Fais disparaitre la distance
entre dieu et nous.

Regarde-moi dans les yeux pour une fois.


Prends mes deux mains.
Confie-moi les secrets de tes voix
et dis-moi, si tu peux, qui nous sommes.

60
LES SUICIDÉS

Nous habitions dans le pays de la vie.


La poésie était notre refuge.
Nous cherchions la jouissance
mutuelle avec désespoir.
Nous étions cruels et puis avions honte
de nos jeux d’amants terribles.

Il ne s’agissait pas seulement


d’être heureux
mais de risquer et de se perdre
et de jouir intensément dans la chute.
Nous soumettions nos sens
à des situations extrêmes,
et descendions, fiévreux,
dans l’intensité de l’orgasme.

Nous tissions notre guirlande de secrets.


Emportés par l’alcool et l’extase
nous voyagions
vers des paradis imaginaires.

61
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

Nous désirions être déjà


dans cet autre monde
pareil à notre poème
où nous créions des images
exaltées et atroces,
métaphores douloureuses de l’amour.

Nous regrettions notre exil,


nous ressentions de la peur
et même de la terreur.
Nous nous regardions
dans le cristal de nos rêves
pour voir si nous découvrions
le secret de la folie.

Nous allions marcher dans la ville


emmenés par l’anxiété et l’angoisse.
Nous jouions avec l’idée d’une fin.
Nous imaginions
de belles formes du suicide.

Quelle manière de mourir


était la plus pathétique?
Allions-nous choisir le poison,
comme Romeo et Juliette?
Ou une balle dans une chambre d’hôtel
comme Enrique et Delmira Agustini?

Nous connaissions le vertige, la rapidité


qui remue notre temps.
Nous rêvions d’une avalanche d’amour

62
Alberto Julián Pérez

et de la libération des sens.


Nous croyions à la mort violente
qui scelle avec du sang
le dernier pacte des amants.

Un jour nous nous sommes arrêtés


au passage à niveau
avec l’idée de nous jeter sous le train.
Nous avons juré
de couronner ainsi notre amour
en offrant les bois de la croix
au fer des clous.

Je me souviens encore du vertige


quand le train est passé
à quelques centimètres de nos corps
et nous nous sommes serrés
tremblants dans les bras
avec l’espoir que l’autre aurait le courage
de faire le dernier saut, ensemble.

Nous voulions échapper


au vide de l’existence
pour sauver l’amour et la jeunesse.
Nous défendions nos symboles :
le plaisir, le désir de l’autre et la poésie.
Nous cherchions l’éternité et le martyre.
Nous refusions de vivre sans héroïsme.

Je me souviens de ce jour
où nous étions nus dans ta chambre

63
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

près de la jouissance,
presque suffoqués par l’effort,
quand soudain, terrestre et ridicule,
la porte s’est ouverte et ta mère est entrée.
Je me souviens de notre surprise
et de ta déclaration solennelle:
“Nous ne nous marierons pas.”

Comme nous avons ri


plus tard de tout ça,
bien sûr que nous
ne pouvions pas nous marier.

Nous voulions descendre la nuit


dans les tunnels souterrains
de Buenos Aires
et découvrir le plus monstrueux,
le plus abject.

Nous voulions tuer la médiocrité


qui détruit le sacré, qui hait dieu.

Nous voulions nous promener


dans les égouts de l’éternité
et voir déchus nos frères, les anges.
Nous savions que le haut et le bas
se joignent dans le cœur des amants.

Il n’y a pas d’amour ni de poésie


sans rituel.
Il faut allumer les autels du sacrifice.

64
Alberto Julián Pérez

Comment séparer l’amour,


du mal et de la mort?
Comment renoncer à l’égoïsme,
qui sauve tout
et sans lequel la vie n’est pas possible?

Perdus dans notre labyrinthe


nous essayions de lacérer
l’espace qui nous encerclait
et de l’ouvrir avec notre sexe.
Nous cherchions à soumettre la ville,
la posséder, la dégrader,
la corrompre et l’aimer.
Nous voulions un amour beau et terrible
qui nous ressemble.
Nous n’acceptions
ni falsifications ni copies.

Comment pouvions nous nous marier


et abandonner notre révolte,
notre amour pour la révolution universelle?
Nous cherchions à consacrer le monde,
et pas le reproduire. Nous cherchions
à être les seuls et les derniers,
et ne laisser dans le temps
personne qui nous ressemble.

Nous voulions être immortels


et briser le cycle de la vie et la mort.

65
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

Nous voulions que notre poème


soit le dernier
avant que la vie n’éclate dans l’éternité
et que nous nous incorporions au soleil
ou aux étoiles de la nuit.

Nous voulions imposer notre loi


et tous les défier.
Nous nous moquions de la société
consommatrice et vulgaire qui nous encerclait.
Nous la jugions avec mépris
parce que nous nous croyions hors de ça.
Nous voulions nous élever à l’instant
le plus sublime de la poésie
et nous confondre
avec les symboles de la totalité désirée.

Nous étions les rebelles, les amants,


et n’avions peur de rien.

Ça a été le moment le plus proche


de l’immortalité que nous avons connu.
Je me souviens d’une nuit
où nous nous sommes piqués
avec de l’acide
et nous avons prié
notre folie d’amour aux étoiles.
Je me souviens de ton rêve,
où tu chevauchais dans un fleuve
qui descendait dans l’abime,
t’emportait au plus sacré de l’orgasme

66
Alberto Julián Pérez

et te jetait dans une pluie d’étoiles


au petit matin.

Nous rêvions d’être morts


et contempler l’univers
depuis le paradis
immortel des amants.

Nous voulions que la vie


se confonde avec notre jouissance
et être cruels comme elle est cruelle.
Nous écoutions les moqueries
et la condamnation des autres
et ça nous plaisait. Ils nous blessaient
avec leur méchanceté.
Qui pouvait nous comprendre ?
Qui pouvait sauter
dans l’abime de la poésie?

Secrètement nous savions


que nous marchions sans défense
dans un labyrinthe
duquel nous ne pouvions pas échapper.
Seuls les illusions des métaphores
et les symboles
qui transcendent les limites du corps
pouvaient nous donner
une sensation d’éternité.

67
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

II

Le temps mortel est passé


et de tous ces sublimes moments d’amour
seuls les souvenirs sont restés.
Ce qui a disparu est la réalité de la vie,
le corps, la solidité de la langue.

Alors je garde ce manque,


cette grande absence
qui grandit de jour en jour
et c’est l’absence d’amour
et l’absence de poésie.

Je sens que les images ne transportent plus


et nous ne pouvons pas, comme avant,
trouver de nouvelles sensations
dans cette merveilleuse chute
dans laquelle notre amour nous plongeait.

Si un jour, par hasard, nous nous retrouvions,


combien il serait difficile de mettre en mots
la prose de nos vies,
quelle poésie différente nous écririons
face à la réalité des choses.

Comme l’évidence nous frapperait au visage.


Que pourrions-nous dire de ces gestes, de ce
parfum,
comment pourrions-nous courtiser la fin.

68
Alberto Julián Pérez

Où sont passés l’au-delà et l’éternité.


L’idée de Dieu et l’image de l’amour
sont devenus si différentes pour nous.

Il n’y a personne pour nous sauver.


Nous sommes tombés indéfiniment
et nous avons perdu
ce que nous aimions le plus dans la vie.

Ce grand poème
c’était un poème d’amour
écrit dans le paradis des amants.

Rien que nous pourrions sauver


au-delà de la mémoire et des mots.
N’ayant pas su mourir à temps
nous sommes condamnés à mourir seuls.

Nous n’avons pas compris l’immortalité.


Comme nous étions près d’être des dieux.

Comme notre poème n’était pas loin


d’être la somme et la fin de la poésie.

Je ne sais pas si ce que nous recherchions


avec notre sacrifice
était de sauver l’amour ou sauver la poésie.
Dans notre mémoire, ils sont inséparables.

69
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

III

Oh mon Dieu, permettez,


au moins comme un jeu,
que notre histoire se répète!
Permettez que la littérature
habille de sang
l’espace bleu de nos espoirs!
Faites un miracle.
Redonnez-nous l’occasion
de mourir d’amour
et vivre à jamais !
Laissez-nous visiter le paradis
où les amoureux
rêvent la poésie et l’amour ensemble.
La nôtre était une poésie de la vie.

Imaginez, mon amie,


si Dieu y consentait,
dans notre morne vieillesse
nous nous retrouverions un jour,
et serions de nouveau
jeunes et amoureux!
Nous retrouverions l’extase
ressentie quand nous étions ensemble!
Tu te rappelles? L’amour peut,
comme la métaphore,
associer des êtres
dans une nouvelle unité.

70
Alberto Julián Pérez

Nous savons que la vie


est prête à tout emporter
et l’amour à nous donner
la vie éternelle.
Dans notre existence condamnée
on tourne la page du livre.

Comme dans les histoires


merveilleuses
le temps s’est arrêté.
Notre aventure se répète.
Les lumières de l’art la renouvellent.
Nous attendons encore,
comme cette fois,
à côté de la barrière, le train de la mort.

Nous rêvons qu’il arrive


avec la force d’un torrent.
Nous sentons que cela
va unir notre matière au divin.
Sa fureur sublime nous arrache du sol
et nous propulse dans le vide.
Enlacés, nous nous élevons
dans l’espace sidéral.

Le train doré se lève, comme un symbole,


avec nous, vers le soleil.
La machine brillante vole vertigineusement.
Nous nous regardons
dans le miroir des choses magiques
qui sont autour de nous

71
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

et nous transmettent leur beauté.


Nous nous savons jeunes pour toujours.

Le train arrive
au paradis des amants suicidaires.
Ceux qui ont cherché, avant nous,
dans la mort, l’éternité de l’amour,
nous attendent.

Leurs beaux corps, suspendus,


entre les nuages, flottent,
délicates sculptures de formes pleines.
Comme dans les images sacrées,
nous voyons,
dans la partie supérieure de la scène,
Dieu entouré d’anges.

Nous nous allongeons


dans la prairie de nuages
à côté des autres amoureux
et nous tendons nos mains vers Dieu
jusqu’ à toucher, sensuels,
du bout des doigts les anges.

Un rayon de lumière divine nous traverse.

Nous avons gagné notre place au paradis.


Nous demeurons enlacés
sous le regard rédempteur de Dieu le père.

72
Alberto Julián Pérez

Des nuages aux formes capricieuses


nous survolent, célestes et roses.
Les chérubins y sont perchés
et nous lancent leurs flèches magiques.
Flotte devant nous, comme un petit bateau,
l’urne en ivoire de notre alliance.
Rien ne peut nous séparer.

Dans notre rêve rédempteur


Dieu nous a pardonné.
Il a sauvé notre amour
et nous ne devrons jamais
faire face à la vieillesse,
à la douleur et à la mort.

Baignés d’éternité, dans l’espace


nous marchons, jeunes d’amour,
anges pour toujours.

Imaginez que, comme


dans une histoire merveilleuse,
ceci est vraiment arrivé
et nous sommes ses personnages.

Ayez de la compassion, Seigneur,


pour ces amants repentis
d’avoir vécu une longue vie séparés.

La nostalgie du péché
a tourmenté mon âme.
Il aurait été préférable

73
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

de mourir ensemble.
L’éternité était à notre porte.

Le paradis est un terrain fertile pour ceux


qui meurent d’amour
et apportent leur petit poème à Dieu.
Laurier que le pigeon
ne pouvait pas porter dans son bec
et qu’ils transportent
dans leur esprit transparent.

Saint, saint, est le Seigneur,


roi des cieux et de la terre,
puisse son nom
être loué pour toujours.

ÉPILOGUE

Cher lecteur,
notre voyage est terminé.
Pèlerins nous sommes
d’un monde transitoire.

Dis-moi, s’il te plait,


nous garderas-tu en mémoire?
Embrasse et protège nos ombres.
Nous restons avec toi
ensemble dans l’amour
et dans l’horreur de la littérature.

74
LE POÈTE MAUDIT

Halluciné je remonte Florida,


fils de l’acide et du poison.

L’acide s’appelle la poésie,


le poison c’est la vie.

Toute la poésie rentre dans un poème.

Je traverse une avenue de fleurs,


la poésie m’éclaire.
Les fleurs de chair ont besoin de chair
parce qu’elles ont faim de vie.

Fruit de cette chair je suis


et de sa chair je me nourris,
sur cette île de la faim
où nous dévorons
et nous sommes dévorés.

Dans cette jungle de frères


nous avons faim.

75
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

Horreur de la faim.

Toute la poésie rentre dans un poème.

II

Dieu viendra nous chercher un jour


et nous donnera des morceaux
de sa propre chair.

Nous mangerons tous ensemble


le fils de l’homme
et ensuite nous boirons son sang.

Sa chair, fruit nécessaire,


et son sang, vin nouveau.

Toute la poésie rentre dans un poème.

III

Oh ville, ma ville,
aie pitié de tes orphelins.

Tout passe par notre bouche


et notre estomac
et s’en va à l’égout du monde.

76
Alberto Julián Pérez

Misère de la chair.

Dans notre vie criminelle


qui se souvient de l’amour
sinon pour dévorer les baisers.

Nous sommes en vie contre les autres


et toute la poésie rentre dans un poème.

Par ici, on n’arrive pas au Paradis,


c’est une avenue de l’Enfer.

77
LES PAUVRES

Les pauvres nous inquiètent


parce qu’en eux
plus pauvres ou plus riches
nous nous reconnaissons

Pauvre est la condition


d’être un et d’être en vie

Lestés du moi
nous souffrons en silence

L’éternité nous manque,


l’oubli nous fait peur

Ce moi insuffisant
languit et s’en plaint

La mémoire du temps
se perd dans nos rêves

Nous nous croyons différents


et nous ne sommes qu’un

78
Alberto Julián Pérez

Celui qui a rêvé


un sujet sans nom,
qui était lui
et tout le monde,
a deviné le destin

Sans résoudre le doute


le temps nous accable

Est-ce que le Néant nous attend


au bout de la route?

Traduit par Charlotte Coing avec l’auteur

79
LE POÈTE ET LA PESTE

Muse amie: tu sais bien


les visions qui peuplent les rêves des poètes ;
invite, je t’en prie, chez moi
les doux esprits de ces sublimes déesses
qui peuvent calmer l’angoisse et la douleur.

Il y a déjà trop de misère,


trop de morts. Il faut que l’ espoir réveille
les chansons bleus des chants antiques,
et emporte dans la nouvelle mystique
le rire de Darío et les soleils d’Horace.

(Du fleuve Paraná descendent , indigène


et paysan, le travail de l’homme
et la faim consommée; épuisé d’effort,
d’incompréhension blessé,
nos ancêtres demandent leur revanche.)

Moi, à genoux, dans l’Hôpital du temps,


pose mes yeux fiévreux sur le Christ ;
écoute, Muse, ce poète malade
ou les anges déchus seront en deuil.

80
Alberto Julián Pérez

(Que fera dans cet enfer la sainte poésie?


Consentira Erató, dans son limbe
de nuages, que les sirènes
du chant reviennent à El Plata?)

Entends ma prière. Miroir


de tous les êtres, chacun
devant soi-même s’abîme. S’approche
de la peur d’être et sent qu’ il n’est rien.

Muse miraculeuse, prends ma main;


promets-moi, si tu veux, le paradis.
(L’immortalité est proche.)

Je veux habiter dans le Jardin


des Lettres, un pays de poètes,
où la parole et la musique recréent
l’amour et le sens, et les rêveurs,
avec notre don, faisons
la douceur du monde et la joie de vivre.

81
NOS MORTS

Coupables ou innocents, nous portons dans


notre sang
d’anciens ennemis en quête de pardon;
les femmes et les hommes de ces temps
nouveaux
veulent vivre ensemble sur la terre sacrée.

Mais la faim fait mal, le loup ne pardonne pas,


les petits affamés demandent leur nourriture,
et ce pauvre esclave, exilé dans son pays,
garde sa haine vivante pour le jour du
jugement.

Du Paraná il descend, indigène et paysan,


dans son canot de boue, avec sa douleur de
martyr.
Épuisés d’effort, d’incompréhension blessés,
nos ancêtres nous demandent leur vengeance.

Ce sont des spectres dansants, des figures


dessalées
qui prétendent être quelqu’un, mais qui
n’existent plus,
et ils peuplent nos rêves et enfilent nos

82
Alberto Julián Pérez

journées
avec des minutes sanglantes de souvenirs
interdits.

Réalités ou illusions, vivent dans nos peines


recherches douloureuses de plaisirs disparus,
comme la vie était belle si quelquefois elle était
pleine,
quelle saveur qu’elle nous laisse dans la
bouche et l’âme.

Nostalgies des éternités que nous avons


présentes
dans nos cœurs trempés de rêves;
le sang qui circule, universel, désireux,
nous conduit béatement dans le monde des
morts.

Ah fleuve du sang, frère de l’Agneau !

83
LES VÉRITÉS DU POÈTE

Je dis

Frères poètes
navigateurs des ténèbres,
porteurs de lampes à feu
qui éclaireront le chemin des anges
quand le ciel se ferme
et viens la dernière nuit,
mes frères, mes parents,
mes esclaves, mes maîtres,
mes morts favoris ,
nous tous enfants du même esprit
dont on ne connait pas vraiment le nom
et nous l’appelons poésie.

II

Je veux dire, je contredis.

Qui ne sent pas Dieu en lui-même


ne peut pas vivre dans la poésie,

84
Alberto Julián Pérez

qui ne se sait pas immortel n’est pas poète,


qui ne sent pas que la langue est l’origine
ne comprend pas la vie.
Qui ne s’ aperçoit que la poésie est un
manteau
dormira nu et seul dans le vide
abandonné des dieux.
Qui n’épouse pas la poésie
pleure inconsolable dans le ciel froid.
Le soleil regarde avec envie le poète.

III

Frères anges

a.
Je dis, je contredis
Les vérités ne sont pas éternelles,
comme une pièce changeante
le monde est en métamorphose

b.
La poésie est un jeu
L’homme est son propre dieu
Les dieux sont descendus de l’Olympe

c.
Le poète vit dans l’histoire
Sans histoire, il n’y a pas de poésie

85
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

d.
Il y a une poésie pour les réactionnaires
Une autre pour les colonisés
Une autre pour ceux qui cherchent Dieu
Une autre pour ceux qui le craignent
et écrivent en prose

e.
Le réel
Le surréel
La poésie
Ses contradictions

IV

Je joue

1.
Comment ne pas être moi
comment être mort
et continuer d’écrire
depuis l’ombres

2.
Je dis, je contredis

3.
La poésie cherche des poètes
et Dieu ses enfants

86
Alberto Julián Pérez

4.
Les livres sacrés
ont été écrits par les poètes

5.
La poésie est un acte involontaire
La muse guide la main
du poète. Le poète
obéit à son appel

6.
Qui est la muse?
Marquez d’une croix:
la mort
l’éternité
le voisin du coin
ma mère
l’éditeur de Planeta.

7.
Erato, Calimnia, Calliope
mes mères
celui qui va mourir vous salue

Je pense

i.
Quand la parole du poète
s’est détachée de soi

87
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

la prose est née


et la littérature a commencé
La Divinité a cessé d’être en elle
Expulsés de Dieu
les poètes depuis parcourent la terre
et écrivent, éternellement,
un même poème sans fin

ii.
La poésie, mortelle, pèlerine,
vivre dans la nostalgie constante
de sa propre divinité,
expulsée de l’Olympe
pour être trop humaine

iii.
Je veux dire, je contredis
L’homme est un projet inachevé
La cruauté est commune
à tous les animaux
Darwin croit en l’évolution
Socrate cherche la vérité

iv.
Poètes errants
mes frères
levez vous de la poussière
laissez que le jour vienne
la lumière éternelle
la poésie du soleil
Laissez l’Autre entrer

88
Alberto Julián Pérez

laissez la passion arriver


Quittez votre île
remplacez le verset par le dialogue
le monologue par la politique

v.
Le moi souhaite une place
dans le monde

vi.
La vie
Le jeu
Nous poètes
perdu dans les ténèbres
cherchons dans les étoiles
l’immortalité de l’âme

vii.
Que la lumière soit faite
et vive
la poésie du jour
la poésie de l’amour
la poésie du peuple
la poésie de demain

viii.
La vérité
Le destin
La révolution
L’homme
Retour à soi

89
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

ix.
Je dis, je contredis

Nous vivons dans un monde d’apparences


Nous vivons dans un monde d’illusions

2021
Traduit par Michel Napolitano avec l’auteur.

90
LES MAUDITS

Je vis plongé dans la riche et séductrice


baroque décadence qui m’enlace;
prisonnier du temps, comme tous,
je profite comme je peux
de ce qui m’est donné.
Bénéficiaires nous sommes et débiteurs
de cette pluie généreuse d’étoiles.

De ma ferme terre je suis le fruit.


Comment ne pas la remercier,
mon agonisante et belle patrie
bien-aimée, si ma muse d’or
est la fille de son don exquis.
Parce que ma terre est poète.

Vous et moi partageons la même


culture malade. Nous tente,
avec ses promesses, l’espoir infernal.
Tirez, si vous le pouvez, mes amis,
vos conclusions. Les choses
vont si bien que nous ne dormons pas.

91
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

Écoutez mon chant charnel et intéressé,


anti-chant aussi, métissé de voix diverses,
fils de la rue, qui se réfugie où il peut:
je viens du peuple
et l’homme vit de pain.
De ce coté, nous, les déchus, combattons.
Bien que je ne demande pas beaucoup,
du plaisir, il en faut.

Une aventure picaresque


m’attend ce soir
(c’est ainsi que nous vénérons l’amour,
nous, le peuple).
Je vais me glisser dans un lit de mousse
avec la femme que je désire le plus,
le corps bien armé et positif.
Je demanderai de l’aide
à mon âme pervertie :
mon art poétique a besoin de frénésie.

Je nagerai lentement
sur ses courbes dorées
en buvant ses doux parfums pénétrants;
je chevaucherai, agile,
entre ses jambes divines
cherchant dans sa jouissance
mon centre;
je parcourrai, tour en feu,
avec passion, son corps,
temple profane des amours interdits;
je descendrai dans son nid abrité

92
Alberto Julián Pérez

qui, chaud et assoiffé,


cherche mes baisers;
possessif, je caresserai
ses cuisses impétueuses
avec une obscène, voluptueuse
délectation;
je vénérerai ses fesses sculptées
de vampiresse
et élèverai une ode sublime à son cul,
soleil de notre drapeau. L’Argentine
vivra dans son corps
sculpté et magnifique.
Le savoir faire de ma déesse,
sera un excellent exemple
de la perfection sensuelle
de notre peuple.

Plus tard, moi, poète,


je reposerai ma tête céleste
hallucinée sur ses doux seins blancs
d’Hétaire. Enlacé, satisfait,
à son être fatigué,
je la payerai richement
pour tant de plaisir reçu.
Et je lui offrirai, reconnaissant,
pour qu’elle s’y contemple
et se souvienne de moi
un délicieux bouquet de rimes décadentes.

Je ne suis pas et je ne serai jamais


le centre présomptueux.

93
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

Satellite de l’orbe féminin,


je m’y consacre,
amoureux de sa lumière
et de son trou noir.
Je découvre, extasié, tant de beaux vers,
dans les plis irrévérencieux
de leurs corps tatoués. Elles me gâtent,
je n’arrête pas de boire
leurs flux stellaires.

II

Nous devons lutter pour notre art.


Nous n’habitons pas, nous le savons,
une époque sincère.
Nous héritons des rêves bannis
des vieux automnes délirants.
Nous vivons et tombons, héroïques,
pour nos passions.

Mon vers lyrique-antilyrique,


vulgaire et raffiné,
essaie d’être un dialogue agile et fervent
qui avance sans cesse; s’ouvre, généreux,
et enlace et bénit la matière impure.
Il cherche à vaincre l’ombre menaçante
de la voix creuse idéalisée,
qui, malicieusement, attend,
et dans un miroir, se regarde,
amoureuse d’elle,
et confond son écho avec le monde.

94
Alberto Julián Pérez

Je ne veux pas être un chanteur guindé


d’opérette lyrique,
faux génie d’airs mélodieux,
vain orateur de prétendue grandeur.
Je préfère me voir en autrui, déformé,
(cet autre sera mon cher compagnon),
et sentir que je suis un poète, grotesque,
enchaîné aux aléas du hasard,
artisan laborieux.

Nous sommes entourés


de fausses apparences.
Tout ce que j’ai dans la vie, je l’ai gagné.
Avec patience je modèle
mes désirs illustrés
qui, forts, s’élèvent, sculptures du temps,
et sont la source sonore
de mon chant baroque.

Je suis fier de mes œuvres cultivées.


Voici ma plume incisive, en plaqué or,
voyez comme elle brille.
Je l’ai achetée sur le marché.
Aiguille démocratique
de notre nouvelle époque.
Bienheureux 21ème siècle,
avec quelle impatience
nous, les maudits, t’attendions! Ensemble
nous allons coudre tous les côtés.

95
FRAGMENTS VERS LA DESTRUCTION DU SUJET POÉTIQUE ET D’AUTRES POÈMES

J’habite dans le royaume


de la littérature,
mais tout n’est pas rose.
Nous le savons bien.
J’ai appris à lutter contre le lyrisme
parce que le chant
a besoin de son anti-chant
pour que la poésie vive en harmonie
(Darío me l’a enseigné. Tout ce
qu’il aimait, il l’a détruit par la suite,
fondant notre vraie poésie).

Je préfère l’amour plébéien


à l’hymen opulent :
chez le peuple se trouve
l’être véritable.
Je rends hommage seulement
au sexe pur, qui s’exprime
dans la fécondité charnelle des idées.
Pour ce que nous faisons,
Dieu nous reconnaît.
Mes travaux avec lui
communient et s’enlacent,
ils ont besoin
de sa générosité et de la vôtre.

III

Le but de notre monde n’est pas clair.


Nous doutons de tout, et à juste titre.
Libres, nous croyons être,

96
Alberto Julián Pérez

devant Erato et sa lyre.


Frères désespérés et agonisants
nous sommes,
prêts à naviguer sur tous les chaos.
Charles Baudelaire
est le gourou moderne,
avec lui nous avons appris
à entrer en enfer.

Notre malédiction
demande sa propre vérité.
Le chemin du moi est semé d’épines.

Angoissant est le retard des heures


qui nous parviennent, silencieuses,
des lendemains.

Sans labourer en mer,


nous n’aurons pas de destin.
Étant déjà des étoiles,
nous cherchons l’univers.

Que les métaphores s’ouvrent à l’infini.


Nous avons besoin de sentir
que nous sommes en vie.

Traduit par Charlotte Coing avec l’auteur

97
FRAGMENTOS HACIA LA
DESTRUCCIÓN DEL SUJETO
POÉTICO Y OTROS POEMAS
Índice

Fragmentos hacia la destrucción del sujeto poético


La identidad y la locura.................................................. 103
Prólogo-confesión ..................................................... 105
El cubo azul .............................................................. 108
Eterno retorno .......................................................... 113
Historia de las palabras............................................. 117
Un torso clásico ........................................................ 121
El teatro de la locura ................................................. 124
Mi escritorio ............................................................. 127
Las voces y el silencio................................................ 129
La identidad y los espejos.......................................... 133
El abyecto ................................................................. 136
Otros poemas ................................................................. 139
El bar de las viejas vedettes ....................................... 141
La Sibila .................................................................... 144
Los suicidas............................................................... 148
El poeta maldito........................................................ 160
Los pobres ................................................................ 163
El poeta y la peste ..................................................... 165
Nuestros muertos ...................................................... 167
Las verdades del poeta .............................................. 169
Los malditos ............................................................. 175
FRAGMENTOS HACIA
LA DESTRUCCIÓN DEL
SUJETO POÉTICO

LA IDENTIDAD Y
LA LOCURA

Las antesalas se confunden


con los espejos,
la máscara está debajo del rostro,
ya nadie sabe
cuál es el hombre verdadero
y cuáles sus ídolos.
Y nada de eso importa;
ese desorden es trivial y aceptable
como las invenciones del entresueño.

Los traductores de las 1001 Noches,


Jorge Luis Borges

103
PRÓLOGO-CONFESIÓN

Las imágenes de los Sueños


se han cansado de esperarme
en un punto enemigo.
Esta historia de mi Yo
se agota con un vagido irreconocible.
Las tiranías de la Razón
quieren imponerse
sobre la Intuición
de los Deseos aplazados.
Desterrado de mis Instintos,
la Palabra está blanca y vacía
y siento asco de su pureza.
Pero la fuerza del Amor
me arrastra
a esta Comunicación desesperada:
es una Necesidad dulce
como el suave delirio de una borrachera
que se avergüenza de sí misma,
porque me hace falta el alcohol
o la Locura
para decir mi Verdad.
En esta crisis,
mi moral es la defensa última
ante el Futuro que me llama.

105
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

El Tiempo se agota y me afiebra


y veo desdoblados los instantes
en los espejos de la agonía,
donde el Enemigo triunfante
se arranca las Máscaras una a una.
Tengo la certidumbre
de que en el fondo no hay Tema:
el Tema, con el Significado
que lo acompaña,
se ha hecho imposible;
esta Confesión es el último refugio
antes de caer anulado por mi Fantasía,
agotado en mi Creación,
como una madre después de dar a luz
y ver que ha parido demonios.
La Lógica me desdibuja
en la trampa de su Verdad:
un hombre no puede ser su Identidad
más allá de su Sueño.
Es esa Identidad precisamente
la que nos enferma,
ese cambio obligado de Pronombres
lo que nos duele,
ese Deseo por Descifrar algo,
lo que esos Pronombres quieren Ser
en la Fantasía atormentada
de los que desesperan día a día
sin llegar a ser lo que son,
sin alcanzar ese Futuro
que se detiene en el Presente
y los condena a la cámara del Tiempo,

106
Alberto Julián Pérez

incapaces de hallar una salida,


porque toda esta Cultura se transforma
en un Laberinto laborioso de Palabras
donde lo único que deseamos es la Muerte.

107
EL CUBO AZUL

Empujo con fuerza


el cubo azul de un sueño
Entro en él
me incorporo
aristas sensuales
cristal íntimo
Veo mi reflejo
estoy distinto
soy lo que quisiera
Rey por un sueño
Se consuma el deseo
satisfecho
duermo
sueño
sueño de sueño
Pongo la cabeza entre las rodillas
duermo en mi elemento
Nado por un agua seca
respiro burbujas de polvo
Voz. No. ¿Gesto? Apenas
Lentitud absorta
Estremecimiento
El cubo empieza a girar
a una velocidad inusitada

108
Alberto Julián Pérez

Sueño:
Estoy tomando mi desayuno en una casa
a la vera de un bosque
En el bosque hay un monstruo
Dicen las mujeres que van allí
para perder su pureza
Mi madre entra en el bosque
—¿Adónde vas madre?
—¡Has estado cien años soñando, hijo;
vamos, crece!
—No puedo
—Prisionero de un sueño
—De un sueño, del miedo, del deseo
Yo bebo el café del desayuno
me alimento de muerte
con las manos atadas
caballo preso
En la taza caminan cucarachas
que comen el pan del sueño
Pasa el tiempo, mis cabellos crecen,
la piel se aja
soy un viejo,
el viejo busca la inocencia
y bebe el mismo café amargo
una vez y otra
No puedo No pude No podré
Mi madre vuelve del bosque
llena de luz, tacto dorado
desnuda, me sorprende,
me reconoce, se avergüenza:
descubre que ha dado a luz

109
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

a un hombre que es su padre


Yo muero, el viejo muere,
mi cuerpo/su cuerpo se corrompe
mi madre se abraza a él
los gusanos de mi cuerpo
chupan la vida
de los miembros indefensos
impotentes, de mi madre,
que no se separa de mi cadáver
Ella extiende un brazo, lo deja inmóvil
y un tallo nace de su mano
Será difícil beber mi café
si el niño-hombre se despierta
Nos tragamos la lengua y nos ahogamos
poco a poco
como la serpiente
que se devora a sí misma

Giran, giran las imágenes en el cubo azul


Alrededor, material de sueño
Luz de viento Polvo ventral fertilizado
Despierto
Salgo del cubo del espacio quieto
Soy el otro El que soy
El que no quiero
El que busco se ha ido con mi sueño
Soñar mi mismo ser es imposible
¿Quién soy? Apenas Esa
la identidad del viento que se infla
en cualquier corazón dormido
Si no soy, ¿cómo muero?,

110
Alberto Julián Pérez

¿por qué envejezco?


Cuando el sueño que vive en mí
no me ama
me echa de su reino de espuma
y granadas fragantes abiertas
penetradas por una astilla de sol
parecida al hielo que me atraviesa
luz por clavos,
tan frágil, tan vano, tan fingido
pero…¿cómo puedo acusarlo
de mí mismo?
Mi destino me alcanza para no llegar
y quedarme a morir aquí, entre todos
prisionero de este laberinto,
rosa por fruto
¿Cuál será la espada?,
¿cuál la sangre de la balanza?,
¿para qué mi muerte?
Sombra, bulto, éste soy, desdibujado
me cubro avergonzado
la cara con mis manos
bebo un beso
¿Me hace falta un Infierno?,
¿un Paraíso?, ¿un Cielo?
Allí está el Cubo Azul
Viaje
Entro en él para cambiar de vida
luego vuelvo
Voy y vengo
Las palabras no llevan pero traen
Son limbos de pereza

111
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

Indican el camino equivocado


Construyen un mundo
que no es cierto
En él vivimos
y estamos engañados

112
ETERNO RETORNO

Una mañana desperté


y el mundo no era el que había sido,
los pájaros ya no eran los pájaros,
el aire no era más el aire, ¿natural?,
¡quién diría!, ¿mágico?, tampoco.
La magia no adivina
la vida que alimenta a las espinas.

Una mañana
todo se estaba consumiendo
y empezando de nuevo.
La historia fue síntesis
y el pasado futuro,
Edipo se ató a su madre para siempre
y los hombres nunca dejarán
de amarse a sí mismos.
Escuchamos
el sonido final del Apocalipsis,
la palabra de todos los lenguajes,
mitad luz, mitad música inimitable
con ella se enterrará al mundo,

113
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

a Dios, al significado,
pero sépanlo todos:
el mundo nacerá de nuevo.

II

La historia nos agobia con sus citas


y está presente en todos nuestros actos:
olvidemos las fechas,
el hombre es su producto.
Apoteótico el hombre
y sus signos matemáticos
sus figuras geométricas
sus sueños decimales.
Enorme en su maldición
este animal fantástico,
el hombre,
un sueño común
que recorre la historia,
un sueño transmitido
de generación en generación
como un canto,
como una música, un himno.

III

Difusa memoria colectiva


con la precisión del artesano de diamantes
que engarza los huesos del difunto
con alambres bendecidos y eternos,
¡se ha muerto Dios! pero está vivo,

114
Alberto Julián Pérez

absoluto el Uno, en el principio era el fin,


y el Hombre , cuerda sola, vibración recorrida
por infinitas almas distintas pero una,
pertenecientes a la misma lucha de sonidos por
conquistar el aire
inflamado de luz
que avanza hacia la noche.

Entre el principio y el fin


ha habido un sueño de muerte,
guerra, locura, consumación, destino;
la pasión —enseñaban— se repite,
nace y termina siempre,
rebrota con la misma fuerza.
La pasión es la vida.
Un hombre quería
con su ejército de signos
contarse lo que había pasado
y los signos crecían y crecían,
el hombre moría sepultado.
Amanecía en pájaro ligero
capaz de disfrutar la luz, el aire puro,
de encontrar a Dios, el verbo único,
por simple fe de animal sincero.
Pensativo o fugaz, estaba en medio
la fatalidad del destino escrito:
debía encontrar su piedra de preguntas.
Así lo enseña el mito. El mito es infinito.
El mito es engendrado por la historia.
Explicados: sistemas metafísicos,
parábolas filosóficas.

115
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

Sin embargo, en el principio era el verbo;


eso fuimos: un signo inteligente ante un
Universo inútil.
¿Qué le queda a la razón desolada?
el orden de la materia en el instinto,
la pasión de la fiebre,
el sueño que yo tuve que despertaba de un
sueño
y el mundo no era ni había sido ni sería,
nacía allí mismo y era claro:
simplemente un punto que no era un punto
sino el mundo,
la eternidad, la historia, todos los hombres;
ese punto era el infinito,
el origen del aire, el de la luz,
oxígeno inflamado, tiempo viajando cargado
de sonidos
como un secreto para generaciones
inhabitables
tal vez por el amor.
La memoria nos ata y nos desata
y la necesitamos como nos necesitamos,
hoy es ayer, mañana será hoy
y así un día Dios estará muerto
y yo habré crecido
y seré un hombre entre los hombres
y amar será bueno.

116
HISTORIA DE LAS PALABRAS

En la boca se mecen, hueso mío,


las palabras, fonemas bondadosos,
los viejos y los míos,
los sonidos uterinos que manejan
la clave del sentido
en el signo acartonado que se pierde,
alma verde,
en un mar de leguleyos y soldados
clamando por su pan ensangrentado,
¡facta est!, est siendo el mismo ser
que habitaba en la hermosura,
sin Dios, pero riendo…
Y después la lengua campesina…
desarrollándose entre bárbaros
que ignoran el placer
de que gozaban las señoras
en las villas romanas, rosae alba;
en el feudo, el castillo, la leyenda
de la cruz consolada
por tanta canalla arrodillada
para facer una copla a la serrana…
y jugaban en las bocas,
se bebían como pájaros
la saliva de las encías

117
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

y saltaban esos pneumas


del molar a la lengua con sus trinos,
descubrimiento del mundo,
sol del hombre.
¡Y la lengua moderna!
La figura del lenguaje levantada,
gesto en el aire la voz cansada,
el imperio de Dios se está cayendo
y la lengua imperial
naufraga en las costas de América
y enseña a los Indios
el “milagro” de la esclavitud.

(El imperio extiende sus tentáculos,


es un pulpo que ahoga cuanto toca.
Pasan años, pasan siglos
de servidumbre, la lengua se redime,
nacen héroes, mueren santos,
las provincias del imperio
se confiesan de día
y hacen el amor por las noches.
Los indios y los negros
le dan al castellano
su fluencia sensual y dulce,
su ritmo americano.
Llega la libertad
y las provincias del imperio
se baten en los campos de América
y arrancan sus cadenas.)

118
Alberto Julián Pérez

¡Trabajo, trabajo, trabajo!


¡Producción,
están ciegos los campos,
pero mira esa máquina cómo respira,
cómo bufa, vapor bramando,
todo el poder que resucita su energía!

¡Qué lenguaje de técnica y silencio,


qué maravillas desprende la vida
del canino al molar,
llevan historia las palabras!
Estas palabras no se suicidan,
hechas de sudor y sangre,
de ruedas y de lanzas,
de espadas y molinos de viento
transportan el átomo invisible
con su explosión de vida;
estas palabras han crecido,
siguen creciendo,
llevando en ellas contenidas
la emoción de los hombres
y los hombres,
la luz de los objetos, los colores
y los objetos. ¡Oh milagro de síntesis
en estas suaves ondulaciones transparente…!

Viene de muy adentro


una ráfaga de aire cálido,
vibran las cuerdas
de las guitarras vocales
y salen las palabras,

119
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

formas exactas, repetidas,


conteniendo la historia de la vida,
la historia de los hombres
y los hombres,
cada hombre,
cada flor,
cada sueño,
cada herida.

120
UN TORSO CLÁSICO

El pedestal gira
y el torso de mármol blanco
nos lanza su mensaje de belleza.
Este torso trunco
es autor de nuestro amor
por la vida casi:
nos enseña a descubrir el yo,
a leer en la proporción
la armonía que es un juego,
a entender lo dinámico
como una melodía.
La materia nunca se detiene
—nos enseña—
la idea genera el sueño o viceversa,
el sueño crea la magia
y hace posible el mito.
El mito (oh felicidad)
vuelve al hombre otra vez
hijo de sus pasiones,
con cola de cerdo,
mordiendo la tripa de su ombligo
y chupando el caracol de su madre.
El mito no es un humo detrás del tiempo:
la historia habla al unísono

121
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

con todas las voces.


Frente a este torso de mármol blanco
siento que fuimos hechos todos juntos
de una vez para siempre.
En el sistema
del movimiento eterno.
La perfección de la forma
que atesora el diamante,
acaricia la luz, muerde la música.
Todo esto en la historia,
molde perfecto de las generaciones.
Hombre hecho hombre
sólo por instinto
que aprendió a interpretar el sueño
para crear el yo transubstanciado,
segundo a segundo,
descripto en el amor,
esa otra escultura,
ese otro lenguaje que hablamos
y avanza como un río.
En el principio éramos uno solo,
luz sin forma en medio de la sombra,
unívoco el sonido blanco,
la órbita perfecta.
Astillas quebradas
de un mismo aerolito,
el hombre y la mujer se acurrucaron,
giró el óvulo
y en un instante
la identidad disuelta
soñó una nueva identidad,

122
Alberto Julián Pérez

el juego sensual
y crepitante del lenguaje,
la proporción entre las partes,
la belleza,
el pensamiento abstracto.

123
EL TEATRO DE LA LOCURA

Sobre los conos celestes


vacila una luz sin música,
los volúmenes proyectan
sombras azuladas,
varios planos inclinados
se insertan en los conos.
Un hombre camina
por uno de los planos,
está de espaldas,
recortado sobre un fondo oscuro.
La tinta de la muerte crece
y el hombre pierde, poco a poco,
su contorno y su forma.
Una mujer va a buscarlo,
ve como la mancha
devora paulatinamente al hombre,
se abraza los senos y su vientre
ríe con voz y llanto entremezclados.
La mujer mastica navajas
y sus senos crecen y crecen,
son dos serpientes blandas inútiles,
les nacen hojas verdes.
Llora y el rímel resbala
por sus párpados y sus mejillas.

124
Alberto Julián Pérez

La enredadera de sus pechos


se adhiere a su cuerpo.
Cierro el telón del teatro imaginario;
detrás de todo ese espectáculo
sospecho un gran vacío.
Un manto de luz
filtrándose como agua
de corpúsculos vibrantes
que hormiguean
cubre la ventana de la gran sala;
ahora, dentro de mi casa
y sólo en ella se pone el sol.
Salgo de la casa
en el bosque que la rodea
escucho maderas
golpeando contra cuerdas
y ecos atemporales
que conocen un círculo sin centro
que es la perfección sagrada;
los rayos de luz
son rectos y sin noche,
sin muerte.
¿Cómo explicarse
a ese hombre imaginario
que desaparece
en una mancha de tinta,
y a esa mujer fantástica
devorada lentamente por su pasión,
máscara de arcilla blanda decolorándose,
mientras la enredadera-serpiente
de sus pechos

125
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

crece en el teatro de la casa de sueño,


que es tal vez ya inhabitable
para el Amor,
mientras yo, aquí afuera,
en esta pesadilla de luz,
pierdo totalmente la conciencia
del tiempo y del espacio,
y hasta de mi inocente yo?

126
MI ESCRITORIO

Mi escritorio ha florecido de repente:


brotes en las vetas claras de su cuerpo
tripulado por papeles
y recuerdos de almas blancas;
murmullos de agua en sus cajones
donde mis manos
encierran réplicas de manos;
despertar de invisibles
consciencias olvidadas
que juegan al juego
de la identidad del signo
que corresponde simultáneamente
a la Palabra, al rayo de luz,
a la melodía de cinco notas
en el ojo geométrico,
vinculado a la perfección del deseo
y al pensamiento sin receptor
que habla y es gesto vacío.
Mi escritorio secretamente
navega aguas atrás
a la abundancia,
al nacimiento
lleno de deseos satisfechos
que desafían a la locura

127
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

(oh, el miedo a la locura


así сon-todas-sus-letras,
y al agua azul que baja
y lava el alma
encallada adentro,
instinto negro).
En el cuerpo de mi escritorio,
y en sus cajones
hay también papeles muertos
de hijos que no nacieron
y aguardan para siempre
en la oscuridad,
pensamientos y agua
y peces en el agua
olas vueltas seda de sonidos
que hablan la lengua dulce del río
que viene del olvido
a traerme su miel encadenada.

128
LAS VOCES Y EL SILENCIO

Mi voz alimentada de gritos


de animales negros que escapan
noche noche noche
la música de violín
corta el sonido
en tiras tiras tiras
que caen hacia el costado
del renglón.
Mi voz decía alimentada
De gritos de animales negros
que crecen alrededor de una forma
y los gritos la arropan de negro
y esa esencia inflada de muerte
se viste con palabras que
son son son dice un payaso
subido a un pedestal,
sacando la lengua inflamada,
brotada, instrumento de charlatán
de mensajes sin significado
(yo sé que la palabra no vale nada
y que me moriré un día

129
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

aspirando el perfume
de las gotas de agua
que viajan por el aire
de estación en estación
con su mensaje de frescura
y primavera; sin embargo,
el espacio está poblado
de sombras extrañas,
y mi sueño pone signos,
deseos, palabras,
miedo...en todo...).

II

En rápido juego
las voces enlazadas
dibujan en el aire
un encierro sin muros.
Se tocan como labios.
En ese espacio extraño,
ventana palpitante,
impactan asteriscos,
fragmentos de aire escrito.
Las sílabas sueltas
se quiebran en rasguidos.
Otras voces crean
maravillas semánticas,
o formas libres
de puntos y de espacios.
El sonido es vivo.
Pero el agua del origen

130
Alberto Julián Pérez

pronto corta el eco de la voz;


se distorsiona el ritmo
y el silencio
se incorpora al ahogo.

III

Es una cuestión de lenguaje


exiliado en su LETRA,
desesperado en su miedo,
un poco de agua sin reflejo,
espejo muerto en su espesor negro
donde el Cuerpo resbala
para no imaginar
los giros y los tumbos
y el ritmo sordo y el hueco
Aullido Abierto.
¡Qué día
si el sol saliera en el cuarto
y se pusiera el muro
sobre el horizonte,
si cayera la cortina de las letras
cerrando los intersticios mecánicos
del habla desquiciada!

IV

En mí, el lenguaje histórico


atravesando el tiempo
montado en los signos de su todo,
amonesta los sustantivos

131
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

con adjetivos ilusorios


y permite un orden pronominal
compulsivo e infecundo.
Mi corazón está a punto
en el reloj de sombra.
Los días son los tropos
de mi sustento. Camino,
sombra dentro de la sombra,
encerrado en este rostro odioso
con su máscara de dios antiguo.

132
LA IDENTIDAD Y LOS ESPEJOS

La última vez que me vi,


cuando crecía a mi alrededor
el alma de la luz
y a mis pies resbalaba
un agua ensangrentada;
el reflejo de mí la última vez que me vi
en un espejo quebrado.
Podía, cruelmente, hacerme astillas
y terminar allí
el juego laberíntico del tiempo.
Todo lo demás sería círculo,
ademán perfecto
envuelto en pasión.
Me lo impidieron el hombre que soy
y los que fui,
y los hombres que junto a mí esperan
con ademán desnudo ante la muerte.
Y también el otro que no seré,
porque... ¿dónde buscaré después
la beatitud del no-canto?

133
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

II

La identidad enferma
se tambalea en la cremallera
del suicidio-carril;
espacio, puente, salto...
La destrucción acecha
tras los otros rostros que soy yo
y me necesitan para ocupar mi lugar.
Cuando crezco hacia abajo
las raíces hacen fuerza
pero no me sostienen...

III

Si acaso nos encontráramos


en el mismo espejo
y abriéramos la puerta y la puerta,
siendo siempre nosotros,
el uno con la suma,
la suma con el todo,
ganaríamos el agua
crecida bajo la tierra,
amaneceríamos con brotes
de luz nueva en los ojos.
Si abriéramos las puertas
del uno y del uno y del uno
y entráramos y entráramos
sin perder un segundo
encontraríamos la disolución
donde está el amor.

134
Alberto Julián Pérez

IV

En el espejo
se ha escondido otro hombre
que me busca en la superficie mojada,
mi identidad semilíquida
deja a las sombras bajar por mis venas
y ocultarse en los espacios
donde la conciencia
falsamente razona
las palabras desviadas de su cauce.
La flor viva
del inconsciente amenazado
resucita en el sueño a ese que era
antes de ser un nombre,
cuando no había palabras,
ni dolor, ni soledad del mundo,
ni reconocimiento de la madre,
ni diferencia,
y todo era presencia sensitiva,
mismidad sin pronombres.
Claridades antiguas,
aisladas intermitencias,
iluminan ahora esos momentos
que estaban sellados para siempre
con todos mis secretos,
y sin los cuales sólo soy
substancia de la lógica,
testigo doloroso
del torrente de amor interrumpido.

135
EL ABYECTO

No soy un animal enfermo


desquiciando mis frágiles deseos;
en el placer habita la armonía perdida;
los espejos viven habitados,
en la superficie bañada no hay ausencia,
allí estoy, fragmentado, semilíquido...
Mi futuro se ha encerrado en el presente,
me pierdo en el agua del sueño,
representación, máscaras, equivalencias,
cada verdad es una falsa analogía,
ineptos los medios de conocimiento.
Crece el horizonte acumulado
donde se afirma heroico
el inconsciente,
lengua regia, luz y oscuridad...

136
OTROS POEMAS
EL BAR DE LAS VIEJAS VEDETTES

A este bar del centro donde vengo


a ocultarme, llegan, por la noche,
unas viejas vedettes. Trabajan aquí cerca,
en un teatro de mala muerte.
Una vez, curioso, fui a verlas actuar.
Estaban radiantes sobre el escenario
vestidas de lentejuelas y de plumas.
Sus carnes desbordaban sus trajes.
El público, jocoso, se burlaba
de sus cuerpos deformes.
Ellas, diosas histéricas, sufrían
las humillaciones y miraban
con desprecio a la platea
de adolescentes imberbes
y hombres solos. No renunciaban
a nada. Se aferraban a sus cuerpos,
antes gloriosos, y seguían representando
su papel inverosímil. Bailaron, cantaron,
mostraron el culo, exhibieron
sus tetas fofas. Luego del show
vinieron al bar,
esta extraña escuela de condenados.
Aquí, las vedettes, que una vez
lo tuvieron todo: amor, belleza, dinero,

141
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

quedaron, indefensas, bebiendo su copa,


fuera del escenario y de las luces.
Esas pobres mujeres me hicieron pensar
en la poesía desvalida de nuestro tiempo.
En los poetas grotescos, que cantan
y celebran la fealdad del mundo,
con expresión grosera,
y son el hazmerreír de muchos.
No tienen vergüenza de exhibirse.
Otrora soñaron en un mundo perfecto,
lírico, elevado, sin limitaciones.
Pero pasó el tiempo
y nunca llegó la palabra iluminada
ni la inspiración salvadora. Ahora
rinden culto a la vida y se arrepienten
de sus sueños reaccionarios.
También pensé
en los otros, sus enemigos, que,
a diferencia de las viejas cocottes,
no saben vivir en la cruel realidad
y se refugian en un paraíso imaginado.
Los poetas burgueses, que cantan
al amor salvador y los sentimientos nobles
en versos elevados. Esos que ignoran
el infierno, que no conocen la caída
ni sienten compasión por la fragilidad
humana. El espíritu, finalmente, me dije,
será el que nos guíe por este desierto,
solos ante la duda. El espíritu poético,
ese aura inmaterial que viaja por el tiempo,
y llega en el lenguaje y nos eleva, y es

142
Alberto Julián Pérez

el espíritu santo. Miré a mi alrededor,


alcé mi copa y brindé por las vedettes.
Ellas me devolvieron la cortesía.
Luego nos quedamos bebiendo en silencio.
La disciplina del alcohol me ayudó
a ensimismarme. Recordé un sueño
recurrente que tengo, en el que me hundo
en lo más hondo y emerjo en un espejo.
Allí desesperado me contemplo
y me arranco a pedazos la piel del rostro.
Era sólo una máscara, descubro, y detrás
encuentro otra y otra…Vivimos
escapando de nosotros mismos
y poco a poco, sin saberlo,
nos acercamos a eso que somos.
Bebimos la última ronda de alcohol suicida.
Cerró el bar y salimos a la calle, ya
bautizados.
La oscuridad nos acogió, en su anonimato
generoso. Nos alejamos sin despedirnos.
Solos en nuestra ley los incorregibles.
Héroes también de la soledad y del fracaso.
Ya el mundo me dolía menos
y estaban prontas a abrirse
las puertas del sueño y del olvido.

143
LA SIBILA

En la esquina de casa
vive una indigente.
La pobre está desequilibrada.
Vuelta hacia adentro, habla sola.
Parece tener algo más de treinta años.
Los vecinos pasamos a su lado
sin decir nada.

Llegó al barrio hace un año.


Tendió sus mantas en la vereda,
cerca de una alcantarilla.
Ese lugar es su morada.
Allí come, duerme y pasa sus días.

Es una mujer moderna:


tiene una radio y una calculadora rotas.
Mueve o aprieta sus botones
y conversa con ellas.
Quizás la entienden
y le responden cosas.

La hemos aceptado
como parte de nuestra realidad.
Los niños la miran con curiosidad.

144
Alberto Julián Pérez

Ella vive en su propio mundo.

Sucia, cubierta de viejos abrigos,


en invierno y en verano,
duerme junto a un perro viejo
que se hizo su amigo
y es el único ser que le brinda
su calor, su cariño.
Cada mediodía
le da de comer a las palomas
las sobras de las sobras que recibe.

No nos presta atención,


ignora lo que pasa a su lado.
“Ha perdido la razón”, nos decimos,
pero no sabemos bien qué es la razón.

Parece que oye voces.


Quién sabe qué le dicen.
Para mí es como una sibila
que recibe mensajes del más allá.

Los vecinos procuran no acercarse mucho.


Huele mal y seguramente tiene piojos.
No quieren contagiarse.
¿Qué nos pasaría si atravesáramos,
con ella, la pared invisible
y cruzáramos a ese otro lado,
que no conocemos?
Aprovechamos para hacer nuestra catarsis.
Esta mujer sucia nos sirve para limpiarnos.

145
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

Purgamos nuestro miedo


al abandono y al fracaso.

¡Oh indigente, oh inocente sibila,


perdona nuestras deudas!
¡Somos parte de tu miseria!

Tal vez sea esta una prueba


que dios nos envía
y somos nosotros los observados.
En este laberinto sin salida
guardo cierta esperanza de resurrección.

Ella parece habitar


dentro de un sueño recurrente.
Yo creo que las voces que oye
son las mismas que hablan a los poetas.

Hay en ella cierta belleza trágica.


Su vida parece una metáfora
del purgatorio o del infierno.

En su suerte veo reflejado


el destino fatal de muchos artistas,
ante la realidad, impotentes,
prisioneros de sus sueños.

Siento que expresa algo


que va más allá de lo que vemos.
Su silencio es un enigma
preñado de interrogantes.

146
Alberto Julián Pérez

¡Oh inocente sibila!


¡Concédeme un deseo!
Haz que desaparezca la distancia
entre dios y nosotros.

Mírame por una vez a los ojos.


Toma mis dos manos.
Confíame los secretos de tus voces,
y dime, si puedes, quiénes somos.

147
LOS SUICIDAS

Estábamos en el país de la vida.


La poesía era nuestro refugio.
Perseguíamos el mutuo goce con
desesperación.
Éramos crueles y después nos avergonzábamos
de nuestros juegos de amantes terribles.

No se trataba tan solo de ser felices


sino de arriesgar y perdernos
y gozar intensamente en la caída.

Buscábamos sensaciones extremas


y descendíamos, afiebrados,
a la intensidad del orgasmo.

Tejíamos nuestra guirnalda de secretos.


Llevados por el alcohol y el éxtasis
viajábamos a paraísos imaginarios.

Deseábamos estar ya en ese otro mundo


parecido a aquel poema nuestro

148
Alberto Julián Pérez

en que creábamos imágenes exaltadas y


atroces,
metáforas dolorosas del amor.

Lamentábamos nuestro exilio


y sentíamos miedo y aún terror.
Nos mirábamos en el cristal de nuestros
sueños
a ver si descubríamos el secreto de la locura.

Salíamos a caminar por la ciudad


llevados por la ansiedad y la angustia.
Jugábamos con la idea del fin.
Imaginábamos bellas formas del suicidio.

¿Qué tipo de muerte era más patética?


¿Quizás el veneno,
como Romeo y Julieta?
¿O un balazo en un cuarto de hotel
como Enrique y Delmira Agustini?

Sabíamos del vértigo, la velocidad,


que mueve a nuestro tiempo.
Soñábamos con una avalancha de amor
y la liberación de los sentidos.
Creíamos en la muerte violenta
que sella con sangre
el pacto final de los amantes.

Un día nos detuvimos


en la barrera del tren

149
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

con la idea de arrojarnos.


Juramos así coronar nuestro amor
ofreciendo los maderos de la cruz
al hierro de los clavos.

Aún recuerdo el vértigo


cuando pasó el tren
a centímetros de nuestros cuerpos
y nos abrazamos palpitantes
creyendo que quizá el otro se animara
a dar el salto final, unidos.

Queríamos escapar del vacío de la existencia


para salvar el amor y la juventud.
Defendíamos nuestros símbolos:
el placer, el deseo del otro y la poesía.
Buscábamos la eternidad y el martirio.
No aceptábamos vivir sin heroísmo.
Recuerdo aquel día en que estábamos
desnudos en tu cuarto cerca del goce,
casi sofocados por el esfuerzo,
cuando de pronto, terrenal y ridícula,
se abrió la puerta y entró tu madre.
Recuerdo nuestra sorpresa y tu declaración
solemne: “No vamos a casarnos”.

Cómo nos reímos de eso luego,


y claro que no podíamos casarnos.

Queríamos descender por la noche


a los túneles subterráneos de Buenos Aires

150
Alberto Julián Pérez

y descubrir lo más monstruoso, lo más


abyecto.

Queríamos matar la mediocridad


que destruye lo sagrado, que odia a dios.

Queríamos pasearnos por las cloacas


de la eternidad y ver caídos a nuestros
hermanos, los ángeles. Sabíamos
que lo más elevado y lo más bajo
se unen en el corazón de los amantes.

No hay amor ni poesía sin ritual.


Había que encender los altares del sacrificio.

¿Cómo separar al amor,


del mal y de la muerte?
¿Cómo renunciar al egoísmo,
que todo lo salva,
y sin el cual la vida no es posible?

Perdidos en nuestro laberinto, tratábamos


de lacerar el espacio que nos circundaba
y abrirlo con nuestro sexo.
Buscábamos someter la ciudad, poseerla,
degradarla, corromperla y amarla.
Queríamos un amor bello y terrible
que se pareciera a nosotros.
No aceptábamos falsificaciones ni substitutos.

151
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

¿Cómo podíamos casarnos


y abandonar nuestra rebeldía,
nuestro amor a la revolución universal?
Buscábamos consagrar el mundo,
no reproducirlo. Buscábamos ser los únicos
y los últimos, y no dejar en el tiempo
a nadie que se nos pareciera.

Queríamos ser inmortales


y cortar el ciclo de la vida y de la muerte.

Queríamos que nuestro poema


fuera el último
antes que la vida estallara en la eternidad
y nos integráramos al sol
o a las estrellas de la noche.

Queríamos imponer nuestra ley


y desafiar a todos. Nos burlábamos
de la sociedad adquisitiva y vulgar
que nos rodeaba. La juzgábamos
con desprecio porque nos creíamos
más allá de todo eso. Queríamos elevarnos
al momento más sublime de la poesía
y confundirnos con los símbolos
de la totalidad deseada.

Éramos los rebeldes, los amantes,


a nada le temíamos.

152
Alberto Julián Pérez

Ese fue el momento más cercano


a la inmortalidad que conocimos.
Recuerdo una noche en que nos inyectamos
ácido y rezamos nuestra locura de amor
a las estrellas. Recuerdo aquel sueño tuyo,
en que cabalgabas en un río que descendía
al abismo, te llevaba a lo más sagrado
del orgasmo y te lanzaba en una lluvia
de estrellas a la mañana.

Soñábamos con estar muertos


y contemplar el universo
desde el paraíso inmortal de los amantes.

Queríamos asimilar la vida a nuestro goce


y ser crueles como ella es cruel.
Sentíamos la burla y la condena de los otros
y eso nos gustaba. Nos lastimaban
con su mezquindad. ¿Quién podía
comprendernos?
¿Quién podía saltar al abismo de la poesía?
Secretamente sabíamos, sin embargo,
que errábamos, indefensos, por un laberinto
del que no podíamos escapar. Sólo la ilusión
de las metáforas y los símbolos que
trascienden
los límites del cuerpo
podían darnos una sensación de eternidad.

153
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

II

El tiempo, mortal, ha pasado


y de todos aquellos momentos
sublimes del amor
solo han quedado los recuerdos.
Lo que se ha ido es la verdad vivida,
la ligereza del cuerpo,
la solidez del lenguaje.

Así guardo esta carencia,


esta gran ausencia que crece día a día
y es ausencia de amor
y ausencia de poesía.

Siento que las imágenes ya no transportan


y no podemos, como antes,
buscar sensaciones nuevas
en aquella caída maravillosa
en que nos hundía nuestro amor.

Si un día, por azar, nos encontráramos


qué difícil sería poner en palabras
la prosa de nuestras vidas,
qué poesía distinta escribiríamos
ante la crudeza de las cosas.

Cómo nos golpearía la realidad el rostro.


Qué podríamos decir de aquellos gestos,
de aquél perfume,
cómo podríamos cortejar el fin.

154
Alberto Julián Pérez

Dónde han quedado el más allá y la eternidad.


Qué distinta se nos presenta ahora
la idea de dios y la imagen del amor.

Ya no hay quien nos salve. Hemos caído


indefinidamente y hemos perdido
lo que más amábamos en la vida.

Aquél gran poema fue poema de amor


y quedó escrito en el paraíso de los amantes.

Nada pudimos guardar


más allá del recuerdo y las palabras.
Quizá porque no supimos morir a tiempo
estamos condenados a morir solos.
No entendimos la inmortalidad.
Qué poco faltaba para ser dioses.

Qué cerca estaba nuestro poema


de ser la suma y el fin de la poesía.

No sé si lo que buscábamos con nuestro


sacrificio
era salvar el amor o salvar la poesía.
En mi recuerdo son inseparables.

III

¡Ay, Dios mío, deja que


al menos como un juego,
se repita nuestra historia!

155
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

¡Permite que la literatura


vista de sangre
el espacio azul de nuestras esperanzas!
Haz el milagro. ¡Danos otra vez la
oportunidad
de morir de amor y vivir para siempre!
Déjanos visitar el paraíso donde los amantes
sueñan unidos la poesía y el amor.
La nuestra era poesía de vida.

¡Mira, amiga, si Dios lo consintiera,


y en nuestra desolada madurez
nos encontráramos un día,
y volviéramos a ser jóvenes y a amarnos!
¡Experimentaríamos otra vez el éxtasis
que sentimos cuando estábamos juntos!
¿Te acuerdas? El amor puede, como la
metáfora,
asociar a los seres en una unidad nueva.

Sabemos que la vida está dispuesta


a quitarnos todo
y el amor a darnos la vida para siempre.
En nuestra existencia condenada
damos vuelta la página del libro.
Como en los relatos maravillosos
se ha detenido el tiempo.
Nuestra aventura se repite.
La renuevan las luces del arte.
Volvemos a esperar, como aquella vez,
junto a la barrera, el tren de la muerte.

156
Alberto Julián Pérez

Soñamos que llega con la fuerza


de un torrente. Sentimos que va a unir
nuestra materia a lo divino. Su furia
sublime nos arranca del suelo
e impulsa hacia el vacío. Abrazados,
nos elevamos al espacio sideral.

El tren de oro sube, como un símbolo,


con nosotros, hacia el sol. Vuela vertiginosa
la máquina refulgente. Nos observamos
en el espejo de las cosas mágicas
que están a nuestro alrededor
y nos transmiten su hermosura.
Nos sabemos por siempre jóvenes.

El tren llega al paraíso de los amantes


suicidas. Nos aguardan aquellos
que buscaron, antes que nosotros,
en la muerte, la eternidad del amor.

Sus cuerpos bellos, expectantes,


entre las nubes flotan,
esculturas delicadas de formas llenas.
Como en los cuadros sagrados, vemos,
en la parte superior de la escena,
a Dios rodeado de ángeles.

Nos reclinamos en el prado de nubes


junto a los otros amantes
y extendemos nuestras manos hacia Dios
hasta tocar, sensuales,

157
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

con las yemas de nuestros dedos


los dedos de las manos de sus ángeles.

Un rayo de luz divina nos atraviesa.

Hemos ganado nuestro lugar en el paraíso.


Permanecemos abrazados
bajo la mirada redentora del Dios padre.

Vuelan sobre nosotros nubecitas


de formas caprichosas, celestes y rosas.
Desde ellas, los Amores nos lanzan
sus dardos mágicos. Flota delante nuestro,
como una pequeña nave,
la urna de marfil de nuestra alianza.
Nada podrá separarnos.
En nuestro sueño redentor
Dios nos ha perdonado. Ha salvado
nuestro amor y ya nunca tendremos
que enfrentar la vejez, el dolor y la muerte.

Bañados de eternidad, en el espacio andamos,


jóvenes de amor, por siempre ángeles.

Imaginemos que, como en los cuentos


maravillosos, esto verdaderamente ha pasado
y somos sus personajes.

Ten compasión, Señor, de estos amantes


arrepentidos de haber vivido
una larga vida separados.

158
Alberto Julián Pérez

La nostalgia del pecado martirizaba mi alma.


Mejor hubiera sido morir juntos.
La eternidad estaba a nuestro alcance.

El paraíso es tierra fértil para aquellos


que mueren por amor y llevan a Dios
su pequeño poema. Laurel que la paloma
no pudo cargar en su pico y ellos
transportan en su espíritu transparente.

Santo, santo, es el señor, rey del cielo


y de la tierra,
que su nombre sea loado para siempre.

EPÍLOGO

Lector amigo, ha concluido nuestro viaje.


Peregrinos somos de un mundo transitorio.
Di, por favor, ¿nos guardarás en tu memoria?
Abraza y protege nuestras sombras.
Contigo estamos, en el amor unidos,
y en el horror de la literatura.

159
EL POETA MALDITO

Alucinado voy por Florida,


hijo del ácido y del veneno.

El ácido se llama poesía,


el veneno es la vida.

Toda la poesía cabe en un poema.

Por una Avenida de flores voy,


la poesía me ilumina.

Las flores de carne necesitan carne


porque tienen hambre de vida.

Fruto de esa carne soy


y de su carne me alimento
en esta isla del hambre
donde devoramos y nos devoran.

En esta selva de hermanos


padecemos hambre.

160
Alberto Julián Pérez

Horror del hambre.

Toda la poesía cabe en un poema.

II

Dios vendrá a buscarnos un día


y nos dará
un bocado de su propia carne.

Entre todos nos comeremos


al hijo del hombre
y luego beberemos su sangre.

Su carne, fruto necesario,


y su sangre, vino nuevo.

Toda la poesía cabe en un poema.

III

Oh ciudad, mi ciudad,
compadécete de tus huérfanos.

Todo pasa por nuestra boca


y nuestro estómago
y luego va a la cloaca del mundo.

161
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

Espanto de la carne.

En nuestra vida criminal


quién se acuerda del amor
si no para devorar los besos.

Estamos vivos contra los otros


y toda la poesía cabe en un poema.

Por aquí no se llega al Paraíso,


esta es una Avenida del Infierno.

162
LOS POBRES

Los pobres nos inquietan


porque en ellos
más pobres o más ricos
nos reconocemos

Pobre es la condición
de ser uno y estar vivo

Con el lastre del yo


sufrimos en silencio

La eternidad nos falta,


nos aterra el olvido

Este yo insuficiente
se lamenta por ello

La memoria del tiempo


se pierde en nuestros sueños

Nos creemos distintos


y somos uno solo

163
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

Aquél que soñó


un sujeto sin nombre
que era él y era todos
adivinó el destino

Sin resolver la duda


el tiempo nos agobia

¿Nos aguarda la nada


al final del camino?

164
EL POETA Y LA PESTE

Musa amiga: conoces bien las visiones


que pueblan los sueños de los poetas;
invita, te ruego, a mi cuarto
a esas diosas sublimes
que calmar saben la angustia y la pena.

Ya hay demasiado dolor, demasiada muerte.


Que la esperanza despierte
las canciones azules de los antiguos cantos,
y traiga por igual en la mística nueva
la risa de Darío y los soles de Horacio.

(Del Paraná desciende, indígena y labriego,


el trabajo del hombre y el hambre consumado;
agotados de esfuerzo, de incomprensión
heridos,
nos piden su venganza nuestros antepasados.)

Yo, de rodillas, en el Hospital del tiempo,


poso en el Cristo los ojos afiebrados;
atiende, Musa, a este poeta enfermo
o estarán de duelo los ángeles caídos.

165
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

(¿Qué hará en este infierno la sacra poesía?


¿Consentirá Erató, en su limbo de nubes,
que regresen al Plata las sirenas del canto?)

Musa, escucha mi ruego. Espejo de todos los


seres,
cada uno frente a sí se abisma.
Se asoma al miedo de ser y siente que no es
nada.

Amiga milagrosa, toma mi mano;


prométeme, si te parece, el cielo.
(La inmortalidad está cerca.)

Quiero vivir en el Jardín de las Letras,


un país de poetas,
donde la palabra y la música
recreen el amor y el sentido,
y los soñadores, con nuestro don, hagamos
la dulzura del mundo y el goce de la vida.

166
NUESTROS MUERTOS

Culpables o inocentes, llevamos en la sangre


antiguos enemigos que buscan perdonarse;
las mujeres y hombres de estos tiempos nuevos
vivir quieren hermanados en la tierra sagrada.

Pero el hambre lastima, el lobo no perdona,


los cachorros hambrientos demandan su
alimento,
y el pobre esclavo aquel, exiliado en su tierra,
guarda su odio vivo para el día del juicio.

Del Paraná desciende, indígena y labriego,


en su canoa de barro, con su dolor de mártir.
Agotados de esfuerzo, de incomprensión
heridos,
nos piden su venganza nuestros antepasados.

Son espectros danzantes, figuras desaladas


que fingen que son alguien, pero que ya no
existen,
y pueblan nuestros sueños y enhebran nuestros
días
con minutos sangrantes de recuerdos
prohibidos.

167
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

Reales o ilusorios, viven en nuestras penas


búsquedas dolorosas de placeres difuntos;
qué hermosa fue la vida si alguna vez fue
plena,
qué sabor que nos deja en la boca y el alma.

Nostalgias de eternidades que llevamos


presentes
en nuestros corazones empapados de sueños;
la sangre que circula, universal, anhelante,
nos conduce dichosa al mundo de los muertos.

¡Ah río de la sangre, hermano del Cordero!

168
LAS VERDADES DEL POETA

Yo digo
Hermanos poetas
navegantes de las tinieblas,
portadores de las lámparas de fuego
que iluminarán el camino a los ángeles
cuando se cierre el cielo
y venga la última noche,
mis hermanos, mis padres,
mis esclavos, mis maestros,
mis muertos favoritos,
todos nosotros hijos del mismo espíritu
cuyo nombre no sabemos realmente
y le llamamos poesía.

II

Digo, contradigo.
Quien no siente a dios en sí
no puede vivir la poesía,
quien no se sabe inmortal
no es un poeta,

169
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

quien no siente que el lenguaje


es el origen
no comprende la vida.
Quien no entiende que la poesía es un manto
duerme desnudo y solo en el vacío
abandonado de los dioses.
Quien no se casa con la poesía
llora sin consuelo en el cielo frío.
El sol mira con envidia al poeta.

III

Hermanos ángeles

a.
Digo, contradigo
las verdades no son eternas,
como una moneda cambiante
el mundo está en metamorfosis.

b.
La poesía es un juego.
El hombre es su propio dios.
Los dioses han bajado del Olimpo.

c.
El poeta vive en la historia.
Sin historia no hay poesía.

170
Alberto Julián Pérez

d.
Hay una poesía para los reaccionarios.
Otra para los colonizados.
Otra para los que buscan a dios.
Otra para los que le temen
y escriben en prosa. e.
Lo real
Lo surreal
La poesía
Sus contradicciones

IV

Yo juego

1.
Como no ser yo
como estar muerto
y seguir escribiendo desde las sombras

2.
Digo, contradigo

3.
La poesía busca a los poetas
y dios a sus hijos

4.
Los libros sagrados
fueron escritos por los poetas

171
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

5.
La poesía es un acto involuntario.
La musa guía la mano
del poeta. El poeta
obedece su llamado.

6.
¿Quién es la musa?
Marque con una cruz: la muerte,
la eternidad,
la vecina de la esquina, mi madre,
la editora de Planeta.

7.
Erato, Calimnia, Caliope
mis madres
el que va a morir os saluda

Yo pienso

i.
Cuando la palabra del poeta
se desprendió de sí
nació la prosa
y comenzó la literatura.
La divinidad dejó de ser en ella.
Expulsados de dios
los poetas desde entonces
vagan por la tierra

172
Alberto Julián Pérez

y escriben, eternamente,
un mismo poema interminable.

ii.
La poesía, mortal, peregrina,
vive en la constante nostalgia
de su propia divinidad,
expulsada del Olimpo
por ser demasiado humana.

iii.
Digo, contradigo.
El hombre es un proyecto inconcluso.
La crueldad es común a todos los animales.
Darwin cree en la evolución.
Sócrates busca la verdad.

iv.
Poetas errabundos
mis hermanos
levántense del polvo
dejen que venga el día
la luz eterna
la poesía del sol.
Dejen que entre el otro
que llegue la pasión.
Abandonen su isla
reemplacen el verso por el diálogo
el monólogo por la política.

173
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

v.
El yo desea un lugar en el mundo

vi.
La vida
El juego
Nosotros, los poetas,
perdidos en las tinieblas
buscamos en las estrellas
la inmortalidad del alma.

vii.
Que se haga la luz y viva
la poesía del día
la poesía del amor
la poesía del pueblo
la poesía del mañana.

viii.
La verdad
El destino
La revolución
El hombre
Vuelta a uno mismo

ix.
Yo digo, contradigo.
Vivimos en un mundo de apariencias.
Vivimos en un mundo de ilusiones.

174
LOS MALDITOS

Inmerso vivo en la rica y seductora


barroca decadencia que me abraza;
prisionero del tiempo, como todos,
gozo lo que puedo aquello que me toca.
Beneficiarios somos y deudores
de esta lluvia generosa de estrellas.

De mi rotunda tierra soy fruto.


Cómo no agradecer a esta, mi agónica
y bella patria amada, si mi musa dorada
es hija de su don exquisito.
Porque mi tierra es poeta.

Uds. y yo compartimos la misma


cultura enferma. Nos tienta,
con sus promesas, la infernal esperanza.
Saquen, si pueden, amigos,
sus conclusiones. Las cosas
van tan bien que no dormimos.

175
FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

Escuchen mi canto carnal e interesado,


anticanto también, mestizado de voces
diversas,
chico de la calle que se refugia donde puede:
del pueblo soy, y de pan vive el hombre.
De este lado luchamos los caídos.
Aunque mucho no pido, el placer hace falta.

Me aguarda esta noche una pícara aventura


(así reverenciamos el amor los plebeyos).
Voy a deslizarme en lecho de espuma
con la mujer que más deseo,
bien armado y positivo mi cuerpo.
Le pediré ayuda a mi alma pervertida:
mi arte poética necesita el desenfreno.

Nadaré lentamente por sus doradas curvas


bebiendo sus dulces perfumes penetrantes;
cabalgaré ágil entre sus divinas piernas
buscando en su goce el centro de mí mismo;
recorreré, torre encendida, con pasión su
cuerpo,
templo profano de amores prohibidos;
descenderé hasta su resguardado nido
que, acalorado y sediento, busca mis besos;
posesivo, acariciaré sus muslos impetuosos
con obsceno, voluptuoso, deleite;
reverenciaré sus esculpidas nalgas de
vampiresa
y elevaré una oda sublime a su culo,
sol de nuestra bandera. Argentina vivirá

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Alberto Julián Pérez

en su torneado y bello cuerpo. El sexo


caliente de mi diosa, será ejemplo señero
de la perfección sensual de nuestra criolla
gente.

Más tarde, yo, poeta, descansaré mi celeste


cabeza
alucinada sobre sus suaves y blancos pechos
de Hetaíra. Abrazado, satisfecho, a su ser
fatigado,
le pagaré ricamente por tanto placer recibido.
Y le brindaré, agradecido, para que se
contemple
y me recuerde, un delicioso bouquet
de rimas decadentes.

No soy ni seré nunca el presumido centro.


Satélite del orbe femenino me consagro,
prendado de su luz y negro agujero.
Descubro, extasiado, tantos versos hermosos,
en los pliegues irreverentes
de sus tatuados cuerpos. Consentido por ellas,
no dejo de beber sus flujos estelares.

II

Luchar debemos por nuestro arte amado.


No habitamos, lo sabemos, en una edad
sincera.
Heredamos sueños desterrados
de antiguos otoños delirantes.

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FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

Vivimos y caemos, heroicos, por nuestras


pasiones.

Mi verso lírico-antilírico, vulgar y refinado,


procura ser un diálogo ágil y ferviente
que avanza sin cesar; se abre, generoso,
y abraza y bendice a la materia impura.
Busca vencer a la sombra amenazante
de la ahuecada voz idealizada, que, maliciosa,
espera, y en espejo se mira, de sí misma
enamorada, y confunde su eco con el mundo.

No quiero ser engolado cantor


de lírica opereta, genio fingido
de arias melodiosas, vanidoso altavoz
de pretendida grandeza.
Prefiero verme en el otro, deformado,
(ese otro será un querido compañero),
y sentir que un poeta soy, grotesco,
atado a los imprevistos de la suerte,
laborioso artesano.

Cercados estamos de falsas apariencias.


Todo lo que tengo en la vida lo he ganado.
Con paciencia modelo mis ilustrados deseos
que, fuertes, se levantan, esculturas de tiempo,
y son la sonada fuente de mi barroco canto.
Orgulloso estoy de mis cultos trabajos.
Vean esta mi incisiva pluma, de falso oro,
cómo brilla. La he comprado en el mercado.
Democrática aguja de nuestra nueva época.

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Alberto Julián Pérez

Dichoso siglo XXI, con cuánta ilusión


los malditos te esperábamos. Juntos
coseremos todos los costados.

En el reino de la literatura vivo,


pero no todas son flores. Bien lo sabemos.
Yo he aprendido a luchar contra el lirismo
porque el canto necesita su anticanto
para que la poesía viva en armonía
(esto lo he tomado de Darío,
que todo lo que adoró, destruyó luego,
fundando nuestra verdadera poesía).

Prefiero amor villano a opulento himeneo,


en el pueblo está el ser verdadero.
Pleitesía no rindo excepto al puro sexo,
que se expresa en la fecundidad carnal
de las ideas. Por lo que hacemos, Dios,
nos reconoce. Mis obras con él comulgan,
y se abrazan, necesitadas
de su generosidad y la de Uds.

III

El propósito de nuestro mundo no está claro.


Ante todo dudamos, y con razón.
Libres nos sentimos frente a Erató y su lira.
Agónicos hermanos desesperados
somos, listos a navegar todos los caos.
Charles Baudelaire es el gurú moderno,
con él aprendimos a entrar en el Infierno.

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FRAGMENTOS HACIA LA DESTRUCCIÓN DEL SUJETO POÉTICO Y OTROS POEMAS

Nuestra maldición pide su propia verdad.


El camino del yo está sembrado de espinas.

Angustiosa es la tardanza de las horas


que nos llegan, silenciosas, del mañana.

Sin arar en el mar no tendremos destino.


Siendo ya las estrellas, buscamos el universo.

Qué se abran las metáforas al infinito.


Necesitamos sentir que estamos vivos.

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