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PSYCHOLOGIE ET EXPÉRIENCE SPIRITUELLE, LIEU DE RENCONTRE

En quoi la spiritualité peut-elle éclairer la psychologie ?


Par Stéfan Thériault1

Introduction

Josiane vient en accompagnement spirituel. À l’âge de huit ans, elle a été abusée par
son père. Ce mal subi l’empêche de cheminer spirituellement, de croire à un Dieu
amour, de s’attarder même un instant à une relation avec un Dieu Père. Son mal crie
au cœur de toutes les relations qu’elle essaie d’établir, même avec Dieu. En quoi la
spiritualité peut-elle éclairer sa blessure ou l’aider à cheminer ? Dit autrement, en quoi
la spiritualité peut-elle éclairer la psychologie ?

Cette question fort importante est des plus complexes dans un monde où les mots
spiritualité et spirituel recoupent des sens très variés et où nos critères de lecture de la
réalité renvoient à une grille moderne qui ne répond pas à la profondeur de ce rapport.
Dans cette optique, il apparaît essentiel, avant de répondre à la question posée, de
préciser la difficulté de notre grille moderne dans l’étude de ce rapport et de définir ce
que nous entendons par spirituel, et par spiritualité chrétienne. Ainsi. il nous sera
possible de dégager ce que la spiritualité chrétienne peut apporter à la psychologie et
quel rapport elles entretiennent l’une avec l’autre.

Sur un problème de vision moderne

L’étude du rapport entre la psychologie et la spiritualité ou entre le spirituel et le


psychologique varie selon les allégeances de chacun aux plans psychologique et
spirituel et selon la prépondérance que chacun accorde à un champ ou à l’autre.
Toutefois, on retrouve habituellement quatre possibilités: l’opposition, l’indépendance,
1
Stéfan Thériault est directeur du Pèlerin, centre d’accompagnement de la recherche spirituelle, situé à Montréal. La
mission du centre est d’offrir un programme de formation universitaire en accompagnement spirituel, un service
d’accompagnement spirituel et une formation continue dans le domaine de l’accompagnement. (www.lepelerin.org)

1
la mutualité et la fusion. En termes d’opposition, le psychologique et le spirituel sont
perçus comme deux univers séparés et opposés : ce qui est psychologique devient un
empêchement pour la croissance spirituelle et, ce qui est spirituel, un succédané pour
les gens aux prises avec des problèmes psychologiques. En ce qui a trait à
l’indépendance, ils sont souvent perçus comme deux ordres de grandeurs différents,
deux univers parallèles. Sous l’angle de la mutualité, on est prêt à admettre qu’il puisse
exister une influence entre les deux champs mais, après réflexion, on finit
invariablement par affirmer leur indépendance. Enfin, pour les tenants d’un rapport
fusionnel grandir psychologiquement c’est grandir spirituellement, et vice-versa.

Ces types de rapport entre le psychologique et le spirituel me semblent aboutir à une


impasse. Pourquoi? Une première réponse vient du statut scientifique que l’un et
l’autre champ ont voulu se donner ou, dis plus clairement, sur une vision du monde
empruntée à la modernité qui sous-tend cette démarche scientifique. Le but de la
modernité, disons-le, consistait à se libérer de la vision enchantée du monde de la pré-
modernité, à se dégager d’une interprétation religieuse et, souvent, magique du monde,
au profit de la rationalité (de la vérité objective, mesurable, quantifiable, vérifiable).

De Copernic jusqu’à Newton en passant par Kepler, Galilée, Bacon et Descartes, on a


posé les bases de tout le développement scientifique subséquent, et ce, en ayant
comme vision du monde celle d’un univers-machine. Il y a cette conviction que tout peut
être expliqué en réduisant chaque corps à ses plus simples constituants et en saisissant
les forces et les lois mécaniques qui les régissent et les unissent. Cette conception
mécaniste et analytique du monde a servi de grille à l’élaboration des différentes
disciplines scientifiques2 , de même qu’elle sert actuellement à analyser le rapport
existant entre le psychologique et le spirituel.

Selon cette grille, le psychologique et le spirituel sont posés comme deux composantes
de l’univers objectif. Quelles sont alors les forces et les lois qui les régissent et les

2
Même la psychologie s’est développée sur cette base : après l’univers extérieur, c’est l’univers intérieur qui a été
décortiqué, analysé et mesuré. La bible des psychologues, le DSM IV, n’a-t-elle pas un nom évocateur :
« Diagnostic and statistical Manual of mental Disorders ».

2
relient ? Cette perspective constitue, à mon point de vue, la difficulté et ne saurait nous
conduire à une réponse satisfaisante3. Une citation de Michel Henry est éclairante à ce
propos:

« La situation de la science dans la culture moderne, ou pour mieux dire la


culture moderne elle-même en tant que culture scientifique, se découvre alors
à nous sous l’aspect d’un paradoxe. D’une part la science est un mode de la
vie de la subjectivité absolue et lui appartient proprement. D’autre part,
cependant, chacune des opérations de la subjectivité scientifique s’accomplit
comme la mise hors circuit de cette subjectivité, de telle manière que, se
concentrant sur l’être qui est là-devant et le tenant pour le seul être « réel » et
« vrai », écartant et rejetant dans le néant tout ce qui n’est pas lui, elle ne
méconnaît pas seulement cette essence de la vie qui est la sienne, mais la
nie proprement. Voilà donc une forme de vie qui se tourne contre la vie, lui
refusant toute valeur, contestant jusqu’à son existence. Une vie qui se nie
elle-même, l’auto-négation de la vie, tel est l’événement crucial qui détermine
la culture moderne en tant que culture scientifique. »4

Michel Henry rappelle de manière admirable comment, dans la modernité, seul est vrai
ce qui est démontrable, ce qui est objectif.5 Toutefois cette seule vision moderne ne
tient plus la route, car la mesure ne peut jamais rendre compte de la vie, mais
seulement parler de sa manifestation ou de sa forme extérieure. Elle ne touche pas la
vie, -au contraire, en se posant comme seule vérité elle la nie-, ni ne l’éprouve, ni ne sait
d’où elle origine et ce qu’elle révèle. Le monde visible, mesuré par la science, n’est pas
seulement un « corps étendu » comme le soulignait Descartes. Il traduit en figures une
réalité cachée, celle de la vie. Dès lors surgissent bien des questions. Pourquoi il y a là,
dans le monde, de la vie ? Comment cette vie est-elle apparue ? D’où vient-elle ?
Suffit-il de décoder le code génétique humain pour expliquer l’existence de ce code, de
son extraordinaire complexité, de l’émergence du fait humain avec son intelligence, sa
liberté, sa volonté, son imagination, etc. ? Autant de questions auxquelles la science ne
peut répondre et qui dépassent les frontières du mesurable. Ce domaine du non-
mesurable, du sens caché sous la surface des choses, a été l’objet d’une recherche
incessante depuis les débuts de l’aventure humaine.

3
Nommément, les quatre rapports présentés précédemment.
4
Michel Henry, La Barbarie, PUF, 1987, p.113.
5
L’existence de neuro-apôtres modernes qui cherchent à « trouver » Dieu dans le cerveau ou à susciter l’extase par
une stimulation neuronale en sont un exemple frappant.

3
Sur le sens du spirituel

Les religions, les philosophies, les mythes, les poètes, les dramaturges… ont parlé,
chacun à leur manière, du mystère de cette vie cachée, de cette insoutenable
profondeur de l’être. Le mot « spirituel » désigne justement le côté mystérieux,
insaisissable, insondable, de cette vie, de ce qui n’est pas quantifiable, mesurable,
visible par les yeux; et qui n’est donc pas accessible par la science moderne ni
atteignable par la technique. « Spir » (dans le mot spir-ituel ou spir-itualité) signifie
« souffle», symbole, selon les traditions anciennes, de la vie insufflée à l’humain, un
souffle mystérieux qui donne vie et qui n’est pas réductible à la vie biologique, à la vie
dans sa manifestation physique mais qui porte avec lui une conscience, une
intelligence, une liberté… un mystère.

C’est devant cette facette de la vie, de la gratuité et du don, que l’humain est placé en
humilité car il ne peut jamais prétendre s’être donné la vie. Il est engagé
fondamentalement dans une relation à cette vie qui lui donne la vie, et à postuler
l’existence d’un Quelqu’un ou d’un quelque chose qui lui donne la vie. En fait, la
tension fondamentale qui traverse tout le cosmos, et dont l’humain ne peut se
détourner malgré ses refus ou ses fuites, est celle de cette relation à la vie qui lui
est donnée et, conséquemment, à la source de cette vie.

Ainsi chercher, selon la vision scientifique, un spirituel observable, mesurable,


quantifiable dans cet horizon du perceptible, c’est chercher le spirituel et la vie, comme
le disait Michel Henry, là où ils ne se trouvent pas. Le spirituel, le « spir », est le souffle
même de la vie qui nous fait exister à chaque instant et qui, de par sa nature même,
échappe au monde de notre représentation mais appartient, dirait Denis Vasse, au Réel
de la vie. Nous sommes devant une première difficulté ou une première solution à la
question du rapport entre le spirituel et le psychologique. Mais avant il est important de
saisir quelle compréhension la tradition chrétienne propose de ce spirituel, et ce, selon
une vision trinitaire.

4
Le spirituel chrétien

Nous le croyons, le Dieu des chrétiens est saisi comme Père, Fils et Esprit Saint. Entre
ces trois Personnes divines, c’est l’Esprit qui est le spir de Dieu, qui est spiré dans la
relation du Père et du Fils. C’est à cet Esprit que le spir de la création tire son souffle et
c’est cet Esprit que Jésus souffle sur ses disciples dans le mystère de la Rédemption.
Le souffle de vie qui nous est donné vient donc de l’Esprit divin. En tant que spiré par le
Père et le Fils, il est un souffle qui inscrit la vie humaine, le spir de chacun de nous,
dans la relation fondamentale à la V(v)ie.6 La première caractéristique du souffle est
ainsi de poser l’être dans une relation fondatrice à Celui qui lui donne la vie dans toutes
ses dimensions : relation à soi, aux autres, à la création et à Dieu..

Cette relation n’est pas une relation impersonnelle. Bien au contraire. L’Esprit participe
de la relation du Père avec le Fils et, en ce sens, notre être est, dans sa nature la plus
profonde, un être de relation, appelé à la filiation. Notre identité la plus profonde et
unique est d’être fils. Toute la mystique chrétienne est ce lent cheminement où l’humain
devient fils dans le Fils, parole dans l’unique Parole. Plus l’humain devient fils, plus sa
vie participe de celle du Fils, plus « ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en
moi » (Gal 2, 20), et plus il transparaît de la vie même du Père, de laquelle le Fils reçoit
tout ; lui faisant dire : « qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14, 9). Autrement dit, plus la
personne grandit dans la relation à Dieu, plus elle grandit dans sa filiation et plus elle
exerce en ce monde sa paternité-maternité, sa fécondité.

Cette identité filiale, donc relationnelle, porteuse de fécondité (paternité-maternité) n’est


possible que dans l’amour, c’est-à-dire dans le consentement, dans le oui que la
personne doit donner et qui trouve son archétype et sa source dans le oui du Fils au
Père7, dans ce oui qui est un oui à sa réalité de fils. 8
La personne croît dans sa
filiation dans la mesure où elle consent à sa vie donnée au quotidien. Tout refus, qui est

6
Ce grand et petit « V » renvoient à cette double profondeur du spirituel en l’humain, celle qui appartient à son être
créé et celle qui s’ouvre, par le Christ, dans la Trinité.
7
« Toutes les promesses de Dieu ont en effet leur oui en lui ; aussi bien est-ce par lui que nous disons l’ «Amen » à
Dieu pour sa gloire » 2 Cor 1, 20.
8
Il n’est pas anodin que le sacrement du mariage se scelle dans le oui mutuel des époux comme signe sacramentel de
l’alliance avec, en et par Dieu et de sa fécondité.

5
possible dans la liberté, brise cette relation fondamentale à la V(v)ie et l’empêche de
réaliser sa nature de fils et, conséquemment, sa paternité-maternité.

Pour bien se comprendre, le spirituel chrétien est donc un souffle –spir- de vie qui est
donné à chaque humain9 à sa conception et qui le constitue comme personne unique,
dans une identité filiale qui se fonde, se déploie et s’accomplit dans la relation
fondamentale à la Vie. C’est au cœur même de cette relation, mais aussi de tout le
monde relationnel créé, que la personne découvre et consent à son identité, devient qui
elle est et exerce sa fécondité. Par le Christ toutefois, et c’est là la révélation
chrétienne, le spir de l’humain s’ouvre au Souffle divin, son identité filiale trouve sa
source et son accomplissement dans la filiation du Fils et sa paternité-maternité dans
celle du Père. Ce souffle de vie révèle ainsi dans le Fils toute sa profondeur trinitaire.
Comment concevoir alors le rapport entre le psychologique et le spirituel ?

Le rapport entre le psychologique et le spirituel

Notre tendance newtonienne à délimiter les choses de manière fixe dans un espace-
temps, dans notre cas, celui de l’univers intérieur humain, et de présupposer ainsi un
niveau psychologique et un niveau spirituel, s’évanouit. Le spir-ituel, de par l’univers
relationnel d’amour, de gratuité, de liberté et de V(v)ie duquel il surgit appartient à
l’invisible, à ce qui échappe à la conceptualisation humaine, au Réel, à ce qui ne peut
être délimité. En tant qu’il est ce qui donne vie à l’humain, il est présent à tous les
niveaux de l’être, corps, structure psychique et cœur.10 Le spirituel est à ce titre tout
autant corporel, psychique que du domaine du cœur et implique que le oui à la
V(v)ie s’incarne, prenne forme, trouve sa réalité concrète, à chaque niveau de
l’être. Il n’y a pas, en ce sens, de niveau spirituel dans l’être, sinon que chaque

9
Dans la théologie catholique, cet acte de création de Dieu n’est pas seulement à la conception mais Dieu nous
donne la vie à chaque instant, faisant que notre identité filiale, Dieu nous la donne « nouvelle » à chaque instant.
Cette source de vie de l’être est, à ce titre, inviolable.
10
L’anthropologie développée au centre le Pèlerin suit la tradition chrétienne qui propose une structure tripartite
(conscient qu’une autre branche de la tradition propose plutôt deux termes : corps et esprit).

6
niveau vit et incarne ce spirituel de manière différente, et que tout doit devenir
spir-ituel dans l’accroissement de la relation à la V(v)ie.

Devenir humain signifie donc devenir spir-ituel, habiter de plus en plus la V(v)ie donnée
(filiation) et de la donner (paternité). Devenir humain signifie grandir dans la relation, ou
oser dire oui à la vie et relationner son être aux plans du corps, de la structure
psychique et du cœur. 11 Devenir humain signifie devenir sacrement, c’est-à-dire signe
fécond de cette V(v)ie donnée.

Dans cette optique, la spiritualité chrétienne est le guide pratique pour déployer le spir-
ituel, le souffle de vie qui habite la personne et l’aider à devenir qui elle est, en relation à
la V(v)ie, dans la fécondité de sa mission. Elle rassemble au cœur de la Tradition, donc
de l’histoire, toute la sagesse expérientielle de tous ceux qui ont pris, à la suite du
Christ, le chemin de la V(v)ie et qui ont désiré être des vivants, des êtres spirituels,
entièrement saisis par la V(v)ie.

Ceci dit, nous pouvons maintenant répondre à notre question de départ : En quoi la
spiritualité peut-elle éclairer la psychologie ? Ou en quoi le spirituel peut-il éclairer le
psychologique ?

En quoi le spirituel peut-il éclairer le psychologique ?

Quatre éléments de réponse me semblent importants.

Une vision anthropologique

Le spirituel, en tant que souffle constitutif de l’être dans son identité profonde et
inviolable, donne à la dimension psychologique toute sa profondeur ontologique. Le

11
Deux précisions. La première est de bien saisir que seul le spir-ituel en l’humain est source de l’unité de l’être.
C’est dans la mesure où il s’ouvre à lui qu’il devient qui il est appelé à être et que, conséquemment, tout s’unifie en
lui. La seconde précision est de saisir que le cœur, la structure psychique et le corps ne peuvent être mis sur le même
pied, car c’est le cœur qui est, au plus profond de la personne, l’instance qui dit oui. Si le corps et la structure
psychique ont à consentir également c’est dans la foulée de ce premier oui. Dans cette optique, le « poids » de l’être
peut être déplacé vers le corps ou la structure psychique et créer une désunion, une non-vie chez la personne.

7
spirituel resitue le psychologique dans toute sa profondeur d’humanité. Une telle
affirmation n’est pas anodine dans un contexte où la psychologie est fille de la
modernité et qu’on reproche justement à cette modernité d’avoir abandonné toute
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ontologie et toute transcendance.

L’identité personnelle n’a donc pas comme seul héritage un code génétique, des traits
familiaux, culturels et sociaux mais aussi une identité unique donnée par Dieu à la
conception de l’être et redonnée à chaque instant de la vie. Au-delà des déterminismes
ou des circonstances de la vie –qui ne sont pas toujours justes-, il existe une source
profonde de l’identité, comme un projet d’être dans le monde.

Ceci signifie que chaque personne, malgré les blessures infligées par la vie ou ses
handicaps, trouve en elle une source de vie, une parole et un souffle qui la constituent
en un être unique et dont Dieu est le gardien. Il n’y a pas d’être inférieur. Chacun est
appelé à la même promesse filiale. C’est une espérance essentielle dans un processus
thérapeutique de croissance et de transformation. Cette identité donne ainsi sens.13

À ce niveau spirituel, la personne se définit pour ce qu’elle est et ce qu’elle est appelée
à être et non à partir de sa blessure ni encore de ses dons ou de ses talents, de son rôle
ou de son travail, de ce qu’elle possède ou ne possède pas, etc. Toutes ces choses
peuvent être atteintes, limitées ou brisées par la vie mais cette identité reste inviolable.
Cette identité est de l’ordre de la révélation, de l’accueil de son mystère et de la
promesse de vie qu’elle contient et dont elle est la seule à pouvoir consentir. Elle est le
point de référence de l’être et le lieu le plus juste pour discerner son appel particulier.
C’est le lieu également, à partir duquel, dans un processus de désidentification des

12
« Les avocats de l’irréductible humanité de l’homme ne sont que des idéalistes hors course, des nostalgiques de
l’ontologie ou, pire, les guerriers cachés d’on ne sait quel obscurantisme religieux » (Le principe d’humanité, Points,
Seuil, p. 92). « Autrement dit, l’humanisme des Lumières débouche in fine sur une folle victoire contre… lui-
même. Ce n’est plus la nature qu’il est en mesure d’asservir en la désenchantant, c’est le sujet lui-même. (…)
Parachevant sa maîtrise du réel, l’homme devient possesseur et manipulateur de lui-même. Autrement dit, il
triomphe en s’abolissant comme personne. » p. 412
13
« Mais, tout en dévorant le livre de Frankl, je compris qu’il ne parlait que d’un sens parmi tous ceux que l’homme
peut donner à sa vie, qu’il parlait au niveau psychologique. Ce que j’avais appris de Dieu se situait au niveau
spirituel : non pas un sens parmi tous ceux que l’homme donne à sa vie, mais le sens absolument unique que Dieu
donne à la vie de quelqu’un ». Herbert Alphonso, Tu m’as appelé par mon nom, Éditions Saint-Paul , 1993, p.25.

8
fausses images de soi (et des fausses images de l’autre et de Dieu), la personne se
recentre et consent de manière nouvelle à son identité donnée.14

La transformation de l’être se fait à partir de la vie, du souffle

Ce souffle, s’il est donné, se déploie au quotidien dans le consentement. Autrement dit,
tout l’être doit devenir (incarner ce) spirituel, c’est-à-dire être en accord avec ce souffle,
cette identité profonde. Une telle affirmation signifie qu’au plan psychologique, il est
possible de regarder la blessure d’une personne pour y découvrir ce qui empêche la vie
en elle et regarder ce qui, dans le comportement de la personne, serait à changer. Si
un tel travail de disposition est essentiel, l’apport du spirituel ou des approches de la
spiritualité nous rappellent que la source première de transformation de la personne est
la dimension spirituelle. Ce que nous voulons dire, et le mystère de la Croix en est la
démonstration éloquente, est que le mal en nous est d’abord vaincu par la V(v)ie.

La psychologie aide à comprendre les blocages de la personne, ses compulsions, ses


résistances, ses mécanismes de défense, etc. mais, en aidant la personne à se
reconnecter à sa source de V(v)ie, c’est la V(v)ie elle-même dans son surgissement, au
cœur des relations, qui transforme la vie de la personne. C’est l’expérience de la
samaritaine au puits de Jacob. Elle cherche de l’eau à l’heure du midi, l’heure la plus
chaude du jour car, de par sa blessure même, elle ne peut chercher qu’à cette heure.15
Mais ici, à la place d’une eau qui ne comble pas la soif, Jésus l’ouvre à une autre soif,
une soif qui la conduira à la source même de son être : « Si tu savais le don de Dieu et
qui est Celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de
l’eau vive.» (Jn 4, 10)

14
Je me souviens du témoignage d’un détenu. Toute son enfance, il avait été abusé physiquement, battu par son père
et son oncle. Devenu adulte, portant une rage incroyable et n’ayant pas découvert la valeur de l’autre en face de lui,
il avait tué. À la prison, il peignait sa cellule avec ses excréments et était la terreur des détenus et des gardiens. Puis
un jour, à travers un cheminement intérieur, il a touché à cette source. Il a goûté à sa dignité et sa valeur profondes.
Il a non seulement découvert sa source de vie mais il a découvert aussi celle des autres si bien qu’il a cherché des
moyens pour aider les victimes de crime, y compris le sien. Son « spir » ayant été découvert, toute sa psychologie en
a été transformée !
15
N’est-ce pas le cas de chacun de nous ? Nous cherchons à puiser à la vie à partir de notre blessure : l’un par son
addiction sexuelle, l’autre par ses relations fusionnelles, etc.

9
Cette eau n’est pas une chose qu’elle peut se donner à elle-même car elle est une
« source d’eau jaillissant en vie éternelle ». (Jn 4, 14) Les différentes spiritualités ont
parlé de cette expérience de libération de sa source16, de ce jaillissement de la vie et
proposé des façons pour s’y disposer. Elles deviennent en ce sens essentielles au
travail psychologique afin de favoriser en la personne tout le jaillissement de la vie et,
donc, de lutter non seulement contre la souffrance qui l’assaille mais aussi de libérer la
vie dans toute sa profondeur.

La profondeur de la blessure

Dans cette perspective, nous saisissons, du point de vue spirituel, qu’il existe une
blessure plus profonde encore dans l’être. Selon notre grille anthropologique, la
blessure n’est pas seulement aux plans corporel et psychique. Cette blessure touche au
cœur profond. Comme l’a écrit Balthasar dans son livre sur la Prière contemplative :

« L'homme est l'être qui a dans son cœur un mystère plus grand que lui-même.
Il est construit, comme un tabernacle, tout autour d'un mystère sacré. Il n'a pas
besoin, lorsque le Verbe de Dieu demande à demeurer en lui, de mettre d'abord
à nu artificiellement son centre. Son cœur le plus intime est disposition, écoute,
perception, volonté de se donner à quelqu'un de plus grand, de laisser s'affirmer
une vérité plus profonde, de rendre les armes à un amour plus patient. À vrai
dire, dans le pécheur, ce sanctuaire est délaissé et oublié, recouvert, devenu un
tombeau et une chambre de débarras, et il faut un effort – celui de la prière
contemplative précisément - pour le désencombrer et le rendre habitable pour
l'hôte sacré. Mais la place libre n'a pas à être ménagée d'abord. Elle est là; elle
est le centre de l'homme depuis toujours. »17

Par le péché et par les blessures, le cœur se voit coupé de la source de V(v)ie qui
l’habite et de la V(v)ie qui veut se donner à lui par les autres, la création et Dieu. Le
cœur obstrué et obscurci n’est point capable de croire en la V(v)ie, en la promesse
(l’espérance) qui s’y attache et aussi à l’amour que cette relation fondamentale à la
V(v)ie produit dans son engendrement. Il y a au cœur même de l’être une résistance à
la promesse de la Vie, promesse qui est l’identité profonde, toujours nouvelle. La V(v)ie

16
C’est l’expérience, à travers tous les évangiles, de ceux qui, pour la première fois, sont reconduits à leur « souffle »
ou, dis autrement, qui sont appelés par leur nom, révélés dans leur nature de fils ou fille.
17
Présence chrétienne, Desclée de Brouwer, 1958, p. 20.

10
est remise en cause dans son accueil même, quand le fondement et la nature
intrinsèques de l’être humain sont de se recevoir : refus de son être-donné.

L’être coupé de sa racine de vie, mais toujours marqué par l’absolu, est conduit à ériger
le mal en absolu. Il s’opère, selon la perspective des Pères18, un détournement de l’être
de la relation fondamentale à Dieu (à la V(v)ie) et, conséquemment, une perversion19 de
toutes les relations. Cela suscite un isolement relationnel mais aussi un isolement dans
le mal, dans le fantasme de ce qui n’est pas la V(v)ie. Dès lors, la personne ne vit plus
dans le Réel de la V(v)ie (la réalité) mais dans le fantasme.20

Ainsi, cette rupture avec le spirituel en l’être, de sa source infinie de V(v)ie, enferme la
personne dans un fantasme absolu du mal où elle se pose non seulement à l’origine de
sa propre vie mais aussi à l’origine de son propre mal. Elle s’enferme dans un
imaginaire où elle est la victime qui expie la faute (des autres) et, aussi, le principe de
son salut, la conduisant à une toute-puissance. Dans cette optique, la spiritualité
appelle un travail sur le cœur profond tout ensemble avec un travail sur l’élaboration
psychique et corporelle de cette blessure.

De la guérison à la conversion

Ceci signifie que le spirituel donne en somme la finalité du travail psychologique de


guérison à travers un processus de conversion ou de retournement de la perversion de
l’être. Comme la source d’unité de l’être se trouve au niveau du cœur, le travail
psychologique est enrichi et atteint sa profondeur quand son travail d’interprétation des
symptômes se complète par un travail d’ouverture à la révélation de la V(v)ie. Dans ce

18
Dans le langage des Pères, « est un mal et constitue un péché tout acte qui détourne l’homme de Dieu et de son
devenir divin ». Jean-Claude Larchet, Thérapeutique des maladies spirituelles, Cerf, 1997, p. 42.
19
« Pervertir c’est détourner un mouvement de son accomplissement en vérité, de sa fin réelle.» (…) ». de prêter « à
un « objet » la capacité fantasmatique de combler l’écart entre le besoin et le désir » -se réfugie dans un imaginaire
protecteur-. (Claude Mailloux, thèse de doctorat non-publié sur L’anthropologie psychoreligieuse de Denis Vasse, p.
237.245) Le fantasme de l’absolu, « l’anticorps que nous fabriquons dès notre conception pour nous défendre face à
un mal que nous n’avons pas les moyens de supporter » (Lytta Basset, Guérir du malheur, p. 125).
20
« C’est dans la perte du centre spirituel de son être, la dislocation de son âme, la perte de ses forces initiales, le
bouleversement, la perversion, la détérioration de toutes ses facultés, et dans l’état de maladie et de souffrance que
cela institue », « jusqu’à s’amputer de lui-même et à plonger son être tout entier dans la douleur, le non-être et la
mort ». Thérapeutique des maladies spirituelles, p. 46.

11
cadre, l’angle d’approche est un alignement de l’être, un dépassement d’une dynamique
du besoin vers le désir, de l’émotion vers le sentiment, de l’imaginaire vers le Réel, de
l’unité personnelle vers la communion interpersonnelle, du corps vers le corps ecclésial.
L’explicitation d’un tel travail déborde le propos de cet article mais de l’indiquer est
essentiel pour comprendre en quoi le spirituel et les approches spirituelles peuvent
éclairer le psychologique et les approches psychologiques.

Conclusion

Josiane vient en accompagnement et au cœur même de sa blessure d’abus, elle est


non seulement blessée dans son corps et sa structure psychique mais elle est atteinte
dans son cœur profond, dans la foi même en sa propre vie . S’est insinué à la racine de
son être un doute sur la vérité, la bonté et la beauté de son être-même au point que,
coupée de la vie et enfermée dans un mal absolu, elle entre dans un processus d’auto-
accusation et d’auto-agression, sans compter la rage qu’elle porte pour son agresseur.
Cette relation humaine blessée renvoie à une blessure relationnelle plus profonde, celle
de la relation fondamentale à la V(v)ie, à la nature de son être filial.

Pour y faire face, elle s’est développé tout un système de croyances et de salut, où le
premier article de son credo est « qu’elle est mauvaise ». La prostitution qu’elle aura
mise en acte par la suite se fonde sur ce credo et sur la croyance que le sexe est le
salut pour obtenir l’amour désiré et, à chaque fois qu’elle le fait, elle est confirmée dans
son credo « qu’elle est mauvaise ».

C’est pourquoi nous disons que le spirituel et les approches spirituelles peuvent éclairer
le psychologique et les approches psychologiques. Ils peuvent, dans le cas de Josiane,
l’aider à saisir la grandeur de son humanité, à saisir la profondeur de sa blessure, l’aider
à « vaincre » sa blessure par la vie, à s’engager dans un processus de guérison qui
s’ouvre dans un processus de conversion de l’être dans cette relation fondamentale à la
V(v)ie et la dignité de sa filiation. Ils ouvrent à tout un travail au plan du cœur profond…
« une source d’eau jaillissant en vie éternelle ».

12

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