NUMÉRO DOUBLE

MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020

76EANNÉE - NO 23486
2,80 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR -
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

SCIENCE & MÉDECINE – 4 PAGES APRÈS LE CONFINEMENT, L’INQUIÉTUDE DES MÉDECINS TROIS MISSIONS VERS MARS

TRANSPORTS,
LOGEMENT,
LES PROPOSITIONS
ALIMENTATION… POUR LE CLIMAT
PASSÉES AU CRIBLE
▶ « Le Monde » revient, ▶ Ces propositions, parfois ▶ Les « 150 », qui ont plan- ▶ Emmanuel Macron ▶ Thierry Pech, coprési-
dans un cahier spécial, sur radicales, sont analysées ché durant neuf mois, veu- devrait s’exprimer sur ces dent du comité de gouver-
57 des actions préconisées en détail pour voir ce qui lent notamment instaurer propositions et la suite nance de la convention,
en juin par les 150 mem- est faisable ou pas dans une journée de télétravail à leur donner, lors de son dresse le bilan de cette
bres de la convention le contexte actuel de crise par semaine, afin de limi- intervention télévisée expérience inédite
citoyenne pour le climat économique ter les déplacements du mardi 14 juillet SUPPLÉMENT ET PAGES 28-29

DÉFENSE Covid-19 Pologne

L’ARMÉE FACE Des indices Le conservateur
AUX ATTENTES de légère reprise Duda réélu à la
SOCIALES de l’épidémie présidence après
DE SES SOLDATS en France un duel serré
Les épidémiologistes ont Après dépouillement dans
Une enquête inédite noté, ces derniers jours, la quasi-totalité des bu-
montre une vive impa- une reprise, limitée mais reaux de vote, la commis-
tience des militaires réelle, du nombre sion électorale annonçait,
quant à l’amélioration de de personnes infectées lundi matin, un score de
leurs conditions de vie et PAG ES 6 ET 11 51,21 % pour le président
de travail. Le sujet est pris sortant, contre 48,79 %
très au sérieux par le mi- À NOS LECTEURS pour Rafal Trzaskowski,
nistère qui a engagé un En raison du 14-Juillet, ce journal est candidat de l’opposition li-
« plan familles » un numéro double daté des 14 et 15 bérale et maire de Varsovie
P. 8 ET EN TRE TIE N P. 3 Répétition du défilé de la fête nationale, à Paris, le 12 juillet. THOMAS SAMSON/AFP juillet. Merci de votre confiance P. 2 ET ÉDITORIAL P. 30

Economie
Disneyland Paris
Algérie
Les médecins
Enquête
Le gazoduc Nord
Dossier
rouvre ses portes, de plus en plus Stream 2 au cœur Les transports
mais s’inquiète désarmés face d’une âpre bataille publics français
pour l’avenir au coronavirus en mer Baltique
PAGE 12 PAGE 5 PAGE 16
en « crise
de modèle » 2 rentrées par an: septembre et janvier

LE REGARD DE PLANTU Deux mois après la fin du

confinement, ils pâtissent
de la méfiance du public.
Trains et métros n’ont pas
retrouvé leurs niveaux de
fréquentation antérieurs
PAGES 14-15

Sports
Le mercato
perturbé du
football français
La crise sanitaire Juill
et les aménagements de
calendrier ont fortement
changé la donne
du marché des transferts
PAGES 18-19
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
2|
INTERNATIONAL
Le président
polonais,
Andrzej
Duda,
dimanche
12 juillet,
à Pultusk,
dans
le centre
du pays.
CZAREK
SOKOLOWSKI/AP
Pologne : un président réélu, un pays fracturé
Andrzej Duda, du parti nationaliste au pouvoir, l’emporte à l’issue d’un duel tendu contre Rafal Trzaskowski
varsovie - envoyés spéciaux
L
e face-à-face de deux Po-
logne, rurale et conserva-
trice d’un côté, libérale et
citadine de l’autre, a at-
teint son paroxysme, dimanche
12 juillet, lorsque les premières
estimations de vote, au soir du
second tour de l’élection prési-
dentielle, ont abouti à une éga-
lité presque parfaite entre les
deux finalistes. A 21 heures, dans
un parc situé au pied de la vieille
ville de Varsovie, sur les bords de
la Vistule, les partisans de Rafal
Trzaskowski sautillaient de joie :
« On va gagner ! On va gagner ! ».
Selon les sondages à la sortie des
urnes, le score du candidat de
LE PROFIL
Andrzej Duda
Au terme d’une campagne élec-
torale perturbée par l’épidémie
de Covid-19, le président con-
servateur Andrzej Duda, 48 ans,
représentant du parti au pou-
voir Droit et justice (PiS), a été
réélu de justesse, dimanche
12 juillet. L’homme de la « révo-
lution conservatrice » va faire
face à un pays déchiré entre
l’est et l’ouest, les villes et les
campagnes, les jeunes et les
plus âgés. Son rival, Rafal Trzas-
kowski, promettait d’apaiser les
relations avec l’Union euro-
péenne, qui a multiplié les criti-
ques sur la reprise en main de
la justice, opérée par la majorité
nationaliste et eurosceptique
au pouvoir. Andrzej Duda, ju-
riste de formation qui n’avait
occupé que des postes subal-
ternes avant son élection,
en 2015, est considéré comme
un subordonné de Jaroslaw
Kaczynski, le chef du PiS et véri-
table homme fort de la politi-
que polonaise.
l’opposition libérale et maire de
Varsovie s’élevait alors à 49,6 %,
contre 50,4 % pour le président
sortant, Andrzej Duda, représen-
tant du parti au pouvoir Droit et
Justice (PiS). Chacun sait, à ce mo-
ment-là, que la marge d’erreur
autorise tous les scénarios. Une
nuit fébrile commence pour les
deux camps.
« J’espère me réveiller demain
dans une Pologne normale »,
exulte Filip, 19 ans, en quittant la
soirée électorale de la Plate-
forme civique (PO, centre droit),
le parti de M. Trzaskowski. « L’es-
poir renaît alors que, depuis cinq
ans, la tendance autoritaire pa-
raissait impossible à arrêter »,
ajoute-t-il, enroulé dans un dra-
peau européen au milieu d’une
assistance particulièrement
jeune. Mais lundi matin, sur la
base de 99,97 % des bureaux de
vote, la Commission électorale
annonce 51,21 % pour Andrzej
Duda, contre 48,79 % à son rival.
A 48 ans, le même âge que son
concurrent, le président sortant
obtient donc un second mandat.
Un fossé générationnel
Sans attendre, dès le début de la
soirée, ce dernier avait convié
son adversaire à venir au palais
présidentiel pour une « poignée
de main » censée clore une cam-
pagne particulièrement dure,
durant laquelle le parti au pou-
voir n’a cessé de multiplier les at-
taques et les invectives. « Merci, a
répondu Rafal Trzaskowski, mais
pas avant les résultats officiels… »
Pour Andrzej Duda, il s’agit
maintenant de réconcilier le
pays. Non seulement le PiS n’a
pas obtenu le plébiscite qu’il es-
pérait après cinq années de « ré-
volution conservatrice » et de re-
distribution sociale d’une am-
pleur sans précédent, mais la
fracture entre deux Pologne n’a
jamais été aussi visible. La carte
électorale de dimanche soir ré-
vèle un fossé générationnel –
64,4 % des 18-29 ans ont voté
pour M. Trzaskowski, 61,7 % des
plus de 60 ans pour M. Duda – et
une division profonde entre les
villes (66,5 % pour le premier
dans les métropoles) et les cam-
pagnes (63,2 % pour le second). Le
clivage entre l’ouest et l’est du
pays est réapparu avec force lors
de ce scrutin marqué par une
mobilisation record, 68,12 %, en
augmentation par rapport au
premier tour du 28 juin (64,51 %).
Même les Polonais de l’étranger
se sont rués vers leurs consulats.
A Split, en Croatie, ils étaient des
centaines de vacanciers à faire la
queue jusque tard pour déposer
leur bulletin de vote.
C’est avec ce tableau en tête que
le président sortant, qui avait or-
ganisé sa soirée électorale à Pul-
tusk, une ville de 20 000 habi-
tants au centre du pays, s’est
lancé dans un discours pacifica-
teur auquel il n’avait plus accou-
tumé les Polonais. « Si quelqu’un
s’est senti offensé par mes actions
ou par mes mots, pas seulement
durant la campagne, mais durant
les cinq dernières années, qu’il ac-
cepte mes excuses », a-t-il déclaré,
en proposant une commission
d’unité nationale sur les grands
sujets intérieurs. « Il sait qu’il a
50 % de la société contre lui et qu’il
M. Duda a
déclaré qu’il ne
regrettait
« aucun mot »
prononcé durant
la campagne. Il
avait affirmé que
les LGBT ne sont
« pas des
hommes », mais
une « idéologie »
lui faut la désarmer, mais la posi-
tion de force qu’il a adoptée en-
suite pour “convoquer” son rival
paraît tout à fait contraire, relève
le sociologue franco-polonais
Georges Mink. Pour qu’il y ait ré-
conciliation, il faut des actes. Or
là, ça apparaissait déjà comme un
piège. »
De fait, quelques instants plus
tard, Andrzej Duda affirmait de-
vant les caméras qu’il ne regret-
tait « aucun mot » prononcé du-
rant la campagne au cours de la-
quelle il a, entre autres, affirmé
que les LGBT ne sont « pas des
hommes » mais une « idéologie ».
Quant à Jaroslaw Kaczynski, chef
de la majorité et véritable
homme fort du pays, il n’a pas
hésité, lui, peu avant le scrutin, à
refuser de reconnaître « une âme
polonaise » à Rafal Trzaskowski.
« Adoucir le conflit »
« La Pologne s’est cassée en deux,
et indépendamment de qui sera le
président, il lui faudra ressouder
la nation. Ce devra être sa pre-
mière priorité car, aujourd’hui,
nous ressemblons plus à deux
clans qu’à un pays uni », com-
mentait sur les plateaux de télé-
vision Jaroslaw Gowin, ancien vi-
ce-premier ministre et représen-
tant de l’aile modérée de la majo-
rité. Dur parmi les durs, Adam
Bielan, directeur de campagne de
M. Duda, admettait, de son côté,
la nécessité « d’adoucir le conflit
dans une Pologne trop divisée ».
Ce n’est sans doute pas pour
tout de suite. Après un scrutin
aussi serré, une avalanche de
contestations pourrait submer-
ger la Commission électorale.
« L’opposition ira dans ce sens,
concernant surtout les Polonais
qui ont voté depuis l’étranger »,
estime Antoni Dudek, politolo-
gue de l’université Cardinal-
Wyszynski de Varsovie. Lors du
premier tour, nombre de ces vo-
tants s’étaient déjà plaints de dif-
ficultés à voter par correspon-
Même battue sur
le fil, l’opposition
libérale sait
qu’elle s’est
désormais enfin
trouvé un leader,
à trois ans des
élections
législatives
dance, et près de 40 000 de leurs
bulletins n’étaient pas arrivés à
temps. Or le nombre d’inscrits à
l’étranger, dans leur grande ma-
jorité acquis au maire de Varso-
vie, a augmenté entre les deux
tours, passant de 380 000 à
520 000 – un autre record. Di-
manche soir, sitôt après l’an-
nonce des premiers résultats, Ce-
zary Tomczyk, le directeur de
campagne de M. Trzaskowski, a
réclamé la démission du minis-
tre des affaires étrangères, en dé-
nonçant de « nombreuses irrégu-
larités » dans l’organisation de
ces votes.
Même battue sur le fil, l’opposi-
tion libérale sait qu’elle s’est en-
fin trouvé un leader, à trois ans
des prochaines élections législa-
tives. « Indépendamment du ré-
sultat, nous avons gagné car nous
avons donné de l’espoir aux gens,
nous avions contre nous tout l’ap-
pareil d’Etat, ses manipulations et
sa propagande, et nous avons de
notre côté la société civile… Ce
n’est qu’un début ! », a lancé di-
manche soir M. Trzaskowski à ses
partisans. Candidat sur la ligne
de départ un mois seulement
avant le scrutin, repoussé en
raison de la pandémie de
Covid-19, le maire de Varsovie a
su s’imposer dans un parti
cruellement en manque de chef
de file ces cinq dernières années,
depuis le départ à Bruxelles de
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
l’ancien premier ministre Do-
nald Tusk. Dans la dernière ligne
droite de la campagne, la pré-
sence constante de sa femme et
de ses jeunes enfants à ses côtés a
notamment poussé Andrzej
Duda à impliquer son épouse et
sa fille, jusqu’ici absentes dans
ses meetings.
« Le facteur-clé à travers lequel il
faut évaluer le résultat de cette
élection repose sur l’inégalité
drastique des chances dans la fa-
çon dont a été menée cette cam-
pagne dans les médias publics,
favorisant le président et atta-
quant en permanence son concur-
rent. Quel aurait été le résultat si
l’équilibre avait été respecté ? »,
souligne le professeur de droit
constitutionnel Marcin Matczak,
sur son compte Twitter. « Un
combat de David contre Goliath »,
résume pour sa part Jaroslaw
Kurski, rédacteur en chef du prin-
cipal journal d’opposition Gazeta
Wyborcza.
Besoin de renouveau
Le candidat libéral, qui a su atti-
rer des électeurs insatisfaits de
tout bord, a en outre bénéficié
d’un très bon report de voix, y
compris parmi les jeunes d’ex-
trême droite, hostiles à l’étatisme
du PiS. La politique polonaise a
besoin de renouveau, faisait-il
valoir quelques jours avant le se-
cond tour de l’élection. « Les
temps ont changé, prévenait-il.
Donald Tusk n’est plus présent sur
la scène politique polonaise, il est
grand temps que Jaroslaw Kac-
zynski la quitte également. »
Façon de mettre à la retraite les
acteurs d’un conflit qui rythme le
pays depuis quinze ans. La
bataille entre une Pologne libé-
rale proeuropéenne et une Polo-
gne nationale conservatrice, dis-
posée à consolider un système
institutionnel autoritaire, n’est
toutefois pas près de s’éteindre. p
jakub iwaniuk
et isabelle mandraud
 international | 3
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020

« Une armée
n’est pas faite que
pour la gestion
de crise »
Pour le général François
Lecointre, chef d’état-major,
l’armée « intègre l’hypothèse
d’un engagement majeur »

ENTRETIEN ses armées. C’est aussi la France

E
qui, de façon assumée, montre sa
pidémie de coronavirus puissance, sa force, la volonté de
oblige, c’est un défilé du défendre ses intérêts et les causes
14-Juillet amputé de ses qu’elle porte.
blindés, avec deux fois
moins de participants et sans son Le président a salué l’apport
public que devait présider Emma- « des militaires lors de la crise
nuel Macron, place de la Con- sanitaire – « Cela rassure » –, Le général François Lecointre, le 20 mai, à Paris. ROMAIN GAILLARD-POOL/SIPA
corde. La France a pourtant, cette tout en disant : « N’oublions
année, continué de déployer in- pas nos opex, la France est re-
tensément ses armées : au Sahel, gardée partout ». Qu’est-ce qui Le cas de la Libye est significatif réactions. Mais l’intérêt de l’esca- trine de « lutte information-
où sa principale opération exté- est regardé ?
« C’est aux de ces conflits entre Etats, avec lade est d’obtenir une désesca- nelle dans le cyberespace »,
rieure, « Barkhane », a été poussée Il était important que les armées Européens d’agir, un risque d’escalade et de conta- lade. Il faut que les Européens après celle de la lutte informa-
à 5 100 hommes face à l’organisa- soient engagées dans la lutte con- gion important. Le pourrisse- manifestent un front uni et ob- tique. Jusqu’où aller en matière
tion Etat islamique dans le grand tre le Covid. Mais notre première
s’ils ne veulent ment de la situation amène une tiennent à l’OTAN un positionne- de contre-propagande ?
Sahara, en Méditerranée, où les obsession a été de poursuivre nos pas donner aux « syrianisation » du conflit, avec ment sans ambiguïté, des Etats- Nous travaillons sur une doc-
tensions ont explosé sous le jeu missions de combat. Au moment l’intervention massive d’acteurs Unis notamment, et que les Turcs trine pour mettre en cohérence
des puissances, ou dans l’espace où d’autres nations et des organi-
Russes et aux étatiques extérieurs et le recours mesurent cette détermination et tous nos outils, entre la direction
de l’OTAN, pour face aux pres- sations internationales gelaient Turcs la clé du à des combattants étrangers. La en tirent les conséquences. du renseignement militaire, le
sions russes. Le général François leur action pour affronter la crise situation nous fait mesurer que centre des actions sur l’environ-
Lecointre, chef d’état-major des sanitaire, le président voulait que
verrou de l’important est d’abord l’exis- Quel est le bilan d’un an de dia- nement de Lyon, le commande-
armées, répond au Monde. la France reste plus que jamais l’immigration tence d’un Etat. C’est aux Euro- logue militaire renoué avec les ment cyber, etc. L’objectif est de
présente, pour manifester qu’elle péens d’agir et d’entraîner des Russes, qui n’ont rien changé, ni lutter contre les tentatives de
Ce 14-Juillet exceptionnel ho- est un partenaire fiable. Nous
depuis l’Afrique partenaires à l’ONU, s’ils ne veu- de leur guerre informationnelle déstabilisation de l’information
nore les militaires qui ont par- avons continué sur le tempo subsaharienne » lent pas donner aux Russes et ni de leur position en Crimée ? sur notre espace. Nous assu-
ticipé à la lutte contre le coro- prévu, or celui-ci augmentait déjà aux Turcs la clé du verrou de l’im- Nous avons des échanges d’in- mons d’utiliser des armes cyber
navirus, pas ceux des opéra- face à l’aggravation de la situation migration depuis l’Afrique subsa- formation directs importants comme des armes du champ de
tions extérieures malgré une internationale. La rapidité de la intégrant notamment des capaci- harienne, donc un moyen de sur le terrorisme et la situation bataille sur nos théâtres d’opéra-
année très dense. Est-ce un dégradation est frappante. tés de commandement, une com- chantage. La première étape est au Levant. Nous avons mis en tions, pour attaquer des réseaux
problème ? Nous avons renforcé nos enga- posante terrestre autour de deux d’obtenir un cessez-le-feu et une œuvre des canaux de déconflic- de combat ennemis comme des
La mise en avant de ceux qui ont gements dans nos zones d’inté- brigades interarmes – environ reprise des discussions. tion efficaces, notamment mari- centres de propagande. Les ar-
été en « opex » n’est pas systéma- rêt immédiat, en Afrique, au 15 000 soldats –, une force aé- times. Pour le reste, nous som- mées mènent la guerre informa-
tique, même si toutes les forma- large de la Libye avec l’opération rienne et maritime. Nous n’agi- Avec la Turquie, alliée dans mes part de l’Alliance atlantique tionnelle sur les théâtres exté-
tions des armées participent dé- « Irini », dans le canal de Syrie [le rions pas seuls, mais en coalition, l’OTAN, mais dont l’activisme dans laquelle nous affirmons no- rieurs. Elles ne font pas de con-
sormais en permanence aux en- long des côtes syriennes] et au Le- le cas échéant dans le cadre des militaire en Libye ou au large tre présence de partenaire fiable tre-propagande auprès de l’opi-
gagements maritimes, aériens, vant, où des frappes importantes plans gradués de l’OTAN. de Chypre est vertement criti- qui ne joue pas double jeu. nion publique française.
terrestres, extérieurs. Pour moi, ont eu lieu ces dernières semai- Cet engagement est différent qué par Paris, quels sont les
les opex ne sont pas la finalité du nes, dans le détroit d’Ormuz avec des guerres que nous menons ac- scénarios d’escalade ? Dans ces conflits entre Etats, L’armée française est-elle
14-Juillet, dont les thèmes varient la mission de surveillance Age- tuellement – même si le combat S’il n’y a pas de risque de déra- les manipulations de l’infor- vraiment en mesure d’avoir
selon les années. La cérémonie nor. En Afrique, cela a été l’occa- peut y être de très haute inten- pages avec les Turcs, en revanche, mation deviennent primordia- la masse et la réactivité
marque un hommage du pays à sion de marquer des points. sité au niveau tactique, avec des on est très clairement dans une les. Vous préparez une doc- nécessaires dans des conflits
pertes importantes. Pour autant, escalade, tant les sujets de désac- étatiques ?
Il faut, selon vous, se préparer il ne sera pas forcément un con- cord sont nombreux. Après l’inci- L’engagement majeur néces-
au retour des conflits de flit de haute intensité, au sens dent du Courbet [visé par une fré- site en réalité six mois de montée
« Nous avons « haute intensité » entre Etats. d’une alliance entière qui se réor- gate turque, le 10 juin] en Méditer-
« Les armées en puissance. Nous avons un
renforcé nos Qu’est-ce que cela implique ganise complètement pour la ranée, la France essaie, avec les ne font pas effectif d’urgence prêt –
exactement pour les armées ? grande guerre. Toutes les grada- Européens, d’avoir une posture 5 000 hommes. Le volume maxi-
engagements Le contrat opérationnel de nos tions sont possibles. plus ferme face aux violations du
de contre- mal d’avions, de transports, de
dans nos zones armées intègre l’hypothèse d’un droit international par les Turcs, propagande frégates, etc., sera atteint pro-
engagement stratégique majeur. Le partage russo-turc de la et la Turquie va sans doute réagir. gressivement. Toute la difficulté
d’intérêt Tel que nous le prévoyons, il Libye est-il un exemple de ces Notre demande pour fixer des rè-
auprès de est de détecter chez notre adver-
immédiat, en s’ajoutera à nos autres missions – affrontements ? S’il n’est pas gles strictes d’utilisation des co- l’opinion saire ce qui va nous décider de
qu’il faudrait en ce cas moduler –, question aujourd’hui d’une des d’identification OTAN met les lancer une opération dans six
Afrique et au en mobilisant une force interar- nouvelle intervention mili- Alliés face à leurs responsabilités
publique mois, en espérant qu’on n’arri-
Levant » mées d’environ 27 000 militaires, taire française, comment agir ? et provoquera forcément des française » vera pas à l’affrontement final.
Parler de haute intensité permet
de rappeler qu’on a besoin de
« Au Sahel, il est clair qu’il faudra lâcher » moyens en masse. Une armée
n’est pas faite uniquement pour
la gestion de crise, et cela requiert
Au Sahel, vous avez affaibli l’organisa- armées éreintées ne soient tentées de se l’opération « Barkhane », en Ce n’est pas un conflit dans lequel l’ar- des savoir-faire qu’on a perdus.
tion Etat islamique dans le grand Sa- retourner contre leurs Etats respectifs. attendant toujours d’hypothétiques mée française s’entretient pour le plaisir. Cela fait très longtemps, par
hara (EIGS), ce qui a redonné de la force progrès politiques et économiques… On pourrait penser qu’une armée pro- exemple, qu’on n’a pas déployé
à Al-Qaida – le Rassemblement pour la Iyad Ag Ghali reste-t-il l’ennemi de la Ne craignez-vous pas une « fatigue » fessionnelle a besoin de s’éprouver, et un régiment d’artillerie complet !
victoire de l’islam et des musulmans France ? de cette guerre sans fin, à l’image de qu’il y aurait une sorte de vertige à s’ima- Nos armées ont encore des la-
(RVIM) du Touareg Iyad Ag Ghali, dont Oui ! C’est clair. la « war fatigue » des Américains giner ne plus être engagé. Nous sommes cunes que la loi de programma-
la katiba Macina… Est-ce mieux ? après l’Irak ? d’autant moins dans cet état d’esprit que tion militaire (LPM) 2019-2025
Je ne vois pas les choses comme cela. L’élimination de l’émir d’Al-Qaida au J’ai toujours dit que l’engagement au nous voyons arriver des occasions de se doit combler. Nous n’atteindrons
L’objectif d’affaiblir l’EIGS a été atteint. Maghreb islamique, Abdelmalek Sahel était une action de longue ha- réengager ailleurs, et que nous devons pas les moyens nécessaires tant
Que cela ait été saisi comme une oppor- Droukdel, est un vrai succès pour leine. Elle dépend pour une part impor- pour cela constituer des réserves. que tous ses effets ne seront pas
tunité par la katiba Macina pour éviter la l’armée française, même s’il a été peu tante d’autres que nous. Donc nous Le président a fixé un rendez-vous dé- produits. Les dernières réformes
captation de ses effectifs par l’EIGS, oui. mis en avant par le gouvernement. sommes toujours face à la question que but 2021 pour un nouveau sommet du et les économies budgétaires des
Mais la guerre entre le RVIM et l’EIGS ne Qu’avez-vous appris de sa présence se pose celui qui apprend à quelqu’un à G5 Sahel. D’ici là, nous allons maintenir LPM précédentes nous ont fait
résoudra rien. En 2013, l’opération « Ser- au Mali ? faire de la bicyclette : quand dois-je lâ- l’effort militaire. Nous avons fait com- perdre de la réactivité. En pen-
val » visait à empêcher l’installation Droukdel venait remobiliser ses trou- cher le porte-bagages ? Et où ? Pas dans prendre à nos partenaires que le Sahel sant que le territoire national
d’un califat territorial dans le nord du pes, réaffirmer son leadership et es- une pente bien sûr, mais en le laissant n’était pas un sujet franco-français, mais était définitivement protégé de
Mali. Début 2020, le sommet de Pau a sayer de remettre de la cohérence glo- en situation d’assumer son risque. Il est européen. Même si le processus parle- la guerre, on a mis en œuvre des
été l’occasion d’un constat partagé : le bale dans l’action des différentes kati- clair dans l’esprit du président, de la mi- mentaire chez les Européens prend du méthodes civiles dans un souci
même phénomène se produisait dans le bas du RVIM sur le territoire malien, nistre des armées, comme dans le mien, temps, nous arrivons à constituer la task de rentabilité. On s’est mis en dé-
Liptako malien. Nous avons relancé un jusqu’au centre du pays. Il y a une rela- qu’il faudra lâcher. Toute la question est force Takuba [à terme, 300 forces spécia- pendance. On a renoncé à des ré-
effort contre un sanctuaire en cours de tion directe entre sa présence et l’affai- de le faire au bon moment, en mesurant les françaises et européennes, pour ac- serves. En régiment, les bases ou
constitution par d’autres acteurs du ter- blissement de toutes les positions ter- les risques. Mais soyez persuadés que compagner l’armée malienne] : elle va les ports, le lien d’autorité entre
rorisme islamiste international. roristes – par l’armée française, qui a nous pensons à ce moment et à la ma- créer une obligation de résultat chez no- les commandants d’unité et
En outre, les revers répétés des armées continué de neutraliser les cadres d’im- nière de le faire. A ce stade, nous obser- tre partenaire malien. leurs unités de soutien a été
malienne, nigérienne et burkinabée portance du RVIM, mais aussi par les vons quand même des progrès et plus Après, mettrons-nous nos moyens au rompu. Nous avons commencé à
dans ces zones hors de contrôle condui- forces africaines dans le nord du Mali. d’assurance chez nos partenaires. Les Tchad ? Au Niger ? Ou ailleurs ? Nous corriger cela, avec l’appui de la
saient au risque d’un coup d’Etat succès réels de la force conjointe du G5 continuerons quoi qu’il arrive à faire du ministre des armées. p
comme celui du capitaine Sanogo au Un rendez-vous est de nouveau fixé, Sahel sont encourageants, comme les conseil et de l’appui. p propos recueillis par
Mali, en 2012. Il était à craindre que ces à la fin de l’année, pour réviser efforts réalisés par les armées locales. propos recueillis par n. g. nathalie guibert
4 | international
Roger Stone, condamné
pour avoir menti au
Congrès, gracié par Trump
L’ami et ex-conseiller du président a été
impliqué dans l’affaire des ingérences russes
san francisco - correspondante
R A
obert Mueller en est sorti
de sa réserve. Moins de
vingt-quatre heures après
l’annonce par la Maison Blanche
que Donald Trump avait commué
la peine de son ami Roger Stone,
l’ancien procureur indépendant
chargé de l’enquête sur les ingé-
rences russes dans la campagne
présidentielle de 2016, a publié, sa-
medi 11 juillet, un texte dans le
Washington Post pour défendre
son investigation. Roger Stone a
été reconnu coupable, rappelle-
t-il. « Il reste un criminel condamné
et à juste titre. » L’ex-conseiller
privé du président américain de-
vait être incarcéré le 14 juillet pour
purger la peine de quarante mois
de prison à laquelle il a été con-
damné en février, pour avoir
menti à cinq reprises au Congrès
et pour subornation de témoin. En
défendant samedi sa décision,
M. Trump a déclaré que la peine
était « injuste » et que Roger Stone
était victime d’une « chasse aux
sorcières illégale ».
Une figure centrale de l’enquête
Robert Mueller, qui est connu
pour sa réserve à commenter les
conclusions de son rapport
d’avril 2019, explique dans sa tri-
bune que Roger Stone a été l’une
des figures centrales de son en-
quête pour deux raisons. « Il est
entré en communication en 2016
avec des individus que nous avons
identifiés comme des officiers du
renseignement russe et il a reven-
diqué avoir eu connaissance préa-
lablement de la diffusion par Wiki-
Leaks des e-mails volés par ces offi-
ciers russes. » Les e-mails étaient
ceux du Parti démocrate et
d’Hillary Clinton. Leur divulga-
tion a porté tort à la campagne de
la candidate démocrate.
L’enquête, qui a duré vingt-
deux mois, a montré que Roger
Stone, un ami de plus de vingt ans
de M. Trump, avait « menti au
Congrès, poursuit le procureur
Mueller. Menti sur l’existence de
communications écrites avec son
intermédiaire. Menti en niant
avoir communiqué avec [l’équipe
de] campagne de Trump sur le ca-
lendrier des révélations de Wiki-
Leaks. En fait, il en a constamment
tenu au courant de hauts respon-
sables de la campagne. Et il a ex-
horté un témoin à faire obstruc-
tion » aux demandes du Congrès.
En novembre 2019, le jury avait
prononcé la culpabilité de Roger
Stone, un homme qui s’est dit lui-
même spécialiste des coups tor-
dus et porte sur le dos un ta-
touage à l’effigie de Richard
Nixon qu’il ne craint pas de mon-
trer aux caméras. Immédiate-
ment, M. Trump avait fait part de
son intention de le tirer d’affaire,
au mépris du principe de sépara-
tion des pouvoirs. Après le ver-
dict, il avait publié Tweet sur
Tweet pour dénoncer les recom-
mandations des procureurs (en-
tre sept et neuf ans de prison).
Quand le ministre de la justice,
William Barr, a requis une peine
plus légère (entre trois et qua-
tre ans), il l’a félicité. Les quatre
procureurs chargés du dossier
ont préféré démissionner.
Mi-février, la juge fédérale, Amy
Berman Jackson, a suivi l’attorney
« Roger Stone
reste un criminel
condamné
et à juste titre »
ROBERT MUELLER
procureur chargé
de l’enquête sur
les ingérences russes
M. Trump, même s’il
est battu à l’élection
de novembre, aura
le temps de
se comporter
à sa guise jusqu’au
20 janvier
général et décidé d’une peine de
trois ans et quatre mois. Ven-
dredi, la décision de clémence
présidentielle est intervenue une
heure après le rejet par la Cour de
la demande de surseoir à l’incar-
cération du condamné, âgé de
67 ans, en raison du coronavirus.
Les démocrates se sont étran-
glés d’indignation. « Aucun prési-
dent n’a jamais usé de son pouvoir
de clémence pour une raison aussi
clairement personnelle et intéres-
sée », ont dénoncé les présidents
des commissions judiciaire et de
supervision de la Chambre des re-
présentants, Jerry Nadler et Caro-
lyn Maloney. Du côté républicain,
Mitt Romney a été le seul à inter-
venir avec quelque force : « Un
président américain commue la
peine de quelqu’un qui est con-
damné par un jury pour avoir
menti aux fins de protéger ce
même président. Une corruption
historique, sans précédent », a
tweeté le sénateur de l’Utah. Son
collègue de Pennsylvanie, Pat
Toomey, s’est borné à qualifier
« d’erreur » le traitement offert à
Roger Stone.
Les politologues se sont interro-
gés sur le moment choisi pour
cette faveur présidentielle : à
moins de quatre mois de l’élec-
tion, alors que M. Trump, même
s’il est battu, aura le temps de se
comporter à sa guise jusqu’au
20 janvier. Six associés de sa cam-
pagne de 2016 ont été inculpés
dans l’enquête russe. Le rapport
Mueller a établi qu’il n’y a pas eu
de collusion avérée entre la cam-
pagne du candidat républicain
en 2016 et la Russie, mais sans
exonérer le président du chef
d’obstruction de justice. Il a con-
clu, en laissant au Congrès le soin
d’en tirer les conséquences, que
M. Trump et sa campagne avaient
encouragé l’interférence de la
Russie à leur profit et que le prési-
dent et ses aides avaient menti
pour se couvrir.
Donald Trump avait aussi indi-
qué songer à gracier d’autres asso-
ciés, dont son ancien conseiller à la
sécurité nationale, Michael Flynn,
et le président de sa campagne,
Paul Manafort. Pour ce qui est du
premier, ce ne devrait pas être né-
cessaire : le département de la jus-
tice a recommandé l’abandon des
poursuites début mai, bien que
l’intéressé ait dans un premier
temps plaidé coupable. Paul
Manafort, 71 ans, condamné à
sept ans et demi de prison en 2018,
a, lui, bénéficié d’une mesure hu-
manitaire mi-mai en raison du co-
ronavirus, bien qu’il n’ait pas rem-
pli les critères établis par l’admi-
nistration carcérale pour renvoyer
les détenus chez eux.
L’avocat Michael Cohen, con-
damné à trois ans de prison, avait
bénéficié de la même mesure mé-
dicale en mai, mais il y a été re-
conduit le 8 juillet après avoir re-
fusé de signer un engagement à
ne pas publier le livre qu’il
compte mettre sur le marché en
septembre. De Fort Lauderdale
(Floride), où il fêtait l’événement,
Roger Stone, qui fut l’assistant de
Nixon, a indiqué à l’agence Asso-
ciated Press qu’il avait téléphoné
à M. Trump pour le remercier. « Il
a un grand sens de l’équité », a-t-il
déclaré. p
corine lesnes
La Russie force l’ONU à réduire
l’accès humanitaire en Syrie
Seul un point de passage à la frontière turco-syrienne reste ouvert
new york (nations unies) -
correspondante
l’ONU, la Russie a rem-
porté une victoire
pour son allié Bachar
Al-Assad samedi
11 juillet, à l’issue d’une semaine
de négociations, forçant le
Conseil de sécurité à limiter les li-
vraisons d’aide humanitaire
dans le nord-ouest de la Syrie,
tenu par les rebelles.
Pourtant, plusieurs diplomates
des Nations unies, différentes
ONG, et la grande majorité du
Conseil lui-même, avaient répété
que les deux points de passage à
ce jour situés sur la frontière
turco-syrienne étaient essentiels
pour apporter le soutien dont
ont besoin les 4,3 millions de ré-
fugiés – et ce, alors qu’un pre-
mier cas de Covid-19 aurait été
dépisté dans la région.
De l’herbe pour nourriture
Mais pour la deuxième fois de
l’année, Moscou n’a absolument
pas transigé, et continue à
expliquer que l’aide humanitaire
doit transiter par Damas, pour
« respecter sa souveraineté ». En
janvier déjà, sous pression russe,
le Conseil avait été contraint de
revoir le dispositif onusien à la
baisse, passant de quatre points
de passage, avec la Turquie, à
deux.
Le Conseil a été briefé sur l’état
catastrophique de la situation.
« Les mères expliquent qu’elles ne
trouvent ni nourriture ni médica-
ments dans les marchés, et qu’el-
les dépendent entièrement des
paquets de nourriture distribués à
la frontière, a exposé le secrétaire
général adjoint des Nations
unies chargé des affaires huma-
En Bulgarie, le premier ministre, Boïko
Borissov, accusé de « dérive mafieuse »
Le chef de l’Etat, Roumen Radev, soutient les manifestations contre le chef du gouvernement
vienne - correspondant régional
C’
est une petite plage au
bord de la mer Noire
qui a déclenché une
crise institutionnelle inédite en
Bulgarie. Samedi 11 juillet, le pré-
sident socialiste, Roumen Radev,
a appelé le gouvernement du pre-
mier ministre conservateur,
Boïko Borissov, à démissionner
en l’accusant de « dérive ma-
fieuse », après que des manifes-
tants ont de nouveau été empê-
chés de protester contre l’accapa-
rement de ces quelques dizaines
de mètres de galets par un des
personnages les plus puissants et
les plus troubles de la vie publi-
que de ce pays de 7 millions d’ha-
bitants, rongé par la corruption.
Située dans la baie de Burgas, la
plage se trouve sous les fenêtres
du tout nouveau palais d’Ahmed
Dogan, 66 ans, prospère ancien
leader du Mouvement pour les
droits et libertés, parti de la mino-
rité turque, et accusé par de nom-
breux activistes d’avoir discrète-
ment mis la main sur des pans en-
tiers de l’économie et de l’Etat
bulgare. En théorie public,
comme pour toutes les plages de
Bulgarie, son accès a été barré par
ces imposantes constructions à la
légalité douteuse. « La demeure
n’a officiellement même pas
encore le droit d’être habitée »,
dénonce Hristo Ivanov, leader du
parti anticorruption Bulgarie
démocratique, à l’origine de ces
nitaires (OCHA), Mark Lowcock,
lundi 29 juin, lors d’un compte
rendu régulier. Certaines cuisi-
nent de l’herbe pour agrémenter
les portions de nourriture. Tel est
le niveau de désespoir. » Mark
Lowcock avait alors émis le sou-
hait que le mécanisme onusien
conserve les deux points de pas-
sage à la frontière turque, et
qu’on réactive également le
point de Yaroubiya à la frontière
syro-irakienne, pour pouvoir
faire face à une éventuelle pro-
gression de la pandémie.
Cette semaine, une majorité
écrasante du Conseil (13 mem-
bres sur 15) a voté deux fois le
maintien de ce système de points
de passage transfrontaliers, mais
la Russie ainsi que la Chine ont
mis leur veto à deux textes suc-
cessifs – les 15e et 16e vetos russes
depuis le début du conflit syrien,
en 2011. Les points de Bab Al-
Hawa (à proximité d’Idlib) et de
Bab Al-Salamah (près d’Alep) ont
justement dû être fermés quel-
ques heures samedi 11 juillet,
faute d’avoir été de nouveau
autorisés à temps par les diplo-
mates : les treize membres du
Conseil en faveur d’un dispositif
maximal ont osé risquer la fer-
meture du dispositif quelques
TURQUIE
Yaroubiya
Bab Al-Hawa
Bab Al-Salamah
Alep
Idlib
SYRIE IRAK
LIBAN
Damas
JORDANIE 100 km
protestations. Selon lui, « elle est
le symbole de la façon dont les ins-
titutions ferment les yeux sur la
corruption ».
Le 7 juillet, cet ancien ministre
de la justice de M. Borissov a tenté
de se rendre une première fois en
bateau sur le rivage, pour y mener
une action consistant à planter
un drapeau bulgare en direct sur
Facebook. Il a été accueilli par des
gros bras armés qui l’ont rejeté à
l’eau devant les caméras et dont il
s’est révélé plus tard qu’ils étaient
des membres du service de pro-
tection des hautes personnalités.
« Alors même qu’il n’a plus aucune
fonction politique depuis 2013,
Dogan est protégé par un service
d’Etat qui se comporte comme des
mafieux », dénonce M. Ivanov.
Négociation électrique
Samedi, une nouvelle tentative de
manifestation a été repoussée par
la police, qui disait, cette fois, vou-
loir empêcher les affrontements
avec des militants du parti de
M. Dogan, accourus par dizaines
sur la plage. Il a fallu plusieurs heu-
res de négociation électrique pour
que M. Ivanov et ses partisans par-
viennent finalement à y accéder.
Dans un contexte de cohabita-
tion politique très tendue, le pré-
sident Roumen Radev a systéma-
tiquement pris le parti des mani-
festants, accusant Boïko Borissov
de vouloir protéger M. Dogan,
dont l’ex-parti soutient sa majo-
rité. « La colère est profonde,
heures, le temps de tenter une ul-
time négociation. Le dernier
texte, voté par 12 membres du
Conseil, réinstalle Bab Al-Hawa,
reconduit pour un an.
Ironiquement, cette bataille
autour de la résolution 2504 in-
tervient onze jours à peine après
le vote du texte établissant une
trêve humanitaire mondiale de
quatre-vingt-dix jours en raison
de la pandémie de Covid-19.
« Nous avons finalement proposé
un compromis pour préserver le
mécanisme transfrontalier onu-
sien, a expliqué le ministre alle-
mand des affaires étrangères,
Heiko Maas, souvent en contact
direct avec Moscou lors de ces
négociations. Mais nous sommes
convaincus que plus de points
sont nécessaires. Nous restons en-
gagés auprès des victimes de la
guerre en Syrie. »
Ne pas « provoquer » la Russie
Le secrétaire général, Antonio
Guterres, a rappelé qu’il fallait as-
surer un accès à l’aide, selon le
droit international humanitaire.
« L’ONU et les Etats membres doi-
vent explorer de nouveaux ache-
minements pour assurer que le
plus d’aide possible atteigne ceux
qui en ont besoin, au nord-est et
au nord-ouest du pays », a dé-
claré, à l’issue du vote, Louis
Charbonneau, directeur de Hu-
man Rights Watch (HRW) pour
l’ONU.
« Les négociateurs auraient pu
offrir d’autres garanties aux Rus-
ses pour tenter un compromis,
peut-être par une médiation tur-
que », avance un observateur.
Difficile de savoir si l’Allemagne
et la Belgique auraient pu con-
tourner la volonté de la Russie et
de son veto.
accumulée pendant des années, et
ne peut pas être réprimée avec
peur et force », a expliqué le prési-
dent socialiste, samedi, en de-
mandant sa démission ainsi que
celle du procureur général.
Bien que déjà fragilisé par la pu-
blication, en juin, de photos vo-
lées le montrant dormir à côté
d’une arme à feu, M. Borissov, qui
gouverne de manière quasi conti-
nue depuis 2009, a refusé de
s’exécuter. « Nous restons parce
que les dégâts seront beaucoup
plus importants s’ils viennent au
pouvoir », a-t-il déclaré en met-
tant en garde contre une « effu-
sion de sang » et en rappelant que
des élections législatives sont pré-
vues en 2021. « Des mois horribles
sont devant nous : à cause du coro-
navirus, une baisse du PIB de 10 %
est attendue, les revenus vont di-
minuer », a-t-il ajouté.
A ce contexte sont venues
s’ajouter, jeudi 9 juillet, l’arresta-
tion spectaculaire de deux con-
seillers de M. Radev et les perqui-
sitions menées dans leurs bu-
reaux à la présidence, dans le ca-
dre d’enquêtes pour « trafic
d’influence ». Survenues en plein
milieu de cette crise, ces arresta-
tions sont vues par de nombreux
opposants et activistes comme
une contre-attaque dans un pays
où aucun responsable politique
majeur n’a jamais été condamné
pour corruption et où le parquet
manque cruellement d’indépen-
dance. « Ces enquêtes posent
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
D’autant que les corédacteurs
du texte ont essayé au contraire
de la ménager : alors qu’ils avaient
le projet de demander la réouver-
ture du troisième point de Yarou-
biya, ils ont préféré uniquement
demander le simple renouvelle-
ment des deux points encore en
activité la semaine dernière, pour
que la Russie ne se sente pas « pro-
voquée ». « L’Allemagne et la Belgi-
que ont essayé de montrer du
doigt la Russie le moins directe-
ment possible, analyse Richard
Gowan, directeur ONU d’Interna-
tional Crisis Group. En janvier, el-
les l’avaient attaquée frontale-
ment, et avaient dû capituler. » Les
corédacteurs du texte ont dû se
défendre sur un autre front égale-
ment : diplomates russes et chi-
nois ont tenté à plusieurs reprises
de faire inscrire dans le texte que
les sanctions américaines et euro-
péennes empêchaient un bon ac-
cès à l’aide humanitaire. Le Con-
seil ne les a pas laissés faire.
Depuis janvier, 8 486 camions
ont traversé la frontière turque
pour apporter de l’aide à 4,3 mil-
lions de personnes dans le nord-
ouest, en grande majorité des
personnes déplacées. A en croire
un responsable d’ONG souhai-
tant rester anonyme, et qui tra-
vaille régulièrement avec le ré-
gime de Bachar Al-Assad, « pour
l’instant, le transit exclusif par Da-
mas ne fonctionne pas du tout ».
« Certains chuchotent qu’un
“gentleman agreement” [accord
informel] a été passé au cas où
l’épidémie de Covid-19 s’étendrait
en Syrie – ce qui n’est pour l’ins-
tant pas le cas, confie l’observa-
teur. Ils pensent pouvoir alors re-
demander l’ouverture de Bab Al-
Salamah en urgence. » p
carrie nooten
question, le procureur reproche
par exemple à un des conseillers
d’avoir simplement transmis des
dépêches d’agences de presse », es-
time ainsi le journaliste d’investi-
gation Atanas Tchobanov.
Plusieurs milliers de manifes-
tants de gauche et de droite sont
de nouveau descendus dans les
rues de Sofia, dimanche soir, pour
protester contre le gouverne-
ment. « Nous ne sommes pas der-
rière le président, mais derrière
l’Etat de droit. Nous avons un par-
quet qui mène des enquêtes dans
un but purement politique, sans
respecter le code de procédure pé-
nale », dénonce M. Ivanov, pour
justifier ce mouvement de sou-
tien inédit à un président socia-
liste venant d’une formation de
droite comme la sienne.
De son côté, le procureur géné-
ral Ivan Geshev a fermement re-
jeté les accusations de la rue, et
vivement attaqué le président.
« Avec ses déclarations contre le
pouvoir judiciaire indépendant et
défendant ses proches accusés, le
politicien Radev a rejoint les
oligarques de la transition qui ont
volé la vie de toute une génération
de Bulgares. Nous, les procureurs,
restons du côté du peuple ! », a-t-il
tweeté. Face à la polémique,
Ahmed Dogan s’est toutefois vu
retirer sa protection policière. Il
doit désormais employer lui-
même les gardes chargés de le
protéger. p
jean-baptiste chastand

0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
En Algérie, les médecins face à l’inertie du pouvoir
Les soignants, alarmés par la progression rapide de l’épidémie, jugent les bilans officiels sous-estimés
L’
épidémie pourrait-elle
échapper au contrôle
des autorités sanitaires
en Algérie, où le bilan
du Covid-19 poursuit inexorable-
ment sa progression ? Depuis le
début du mois de juillet, le nom-
bre officiel de contaminations
frôle les 500 cas par jour, contre
250 fin juin. Un nombre sous-es-
timé, selon les médecins, qui
multiplient les appels de détresse
sur les réseaux sociaux, s’alar-
mant d’une situation catastro-
phique dans plusieurs hôpitaux.
Le gouvernement algérien, qui
tenait jusqu’ici un discours rassu-
rant, a pris jeudi 9 juillet dans la
soirée de nouvelles mesures pour
enrayer cette flambée, dont l’in-
terdiction de la circulation auto-
mobile entre les 29 wilayas (dé-
partements) les « plus affectées »
pendant une semaine et des re-
confinements partiels dans près
de 25 communes du pays.
« Plus aucune marge »
Au total, 19 195 contaminations
ont été enregistrées dans le pays,
et 1 011 décès depuis le début de
l’épidémie, selon les chiffres offi-
ciels. Un décompte ramené à la
baisse depuis que les cas détectés
présumés positifs par radio des
poumons, une méthode long-
temps utilisée faute de tests dis-
ponibles, ne sont plus pris en
compte. « C’est l’émergence de plu-
sieurs foyers simultanément qui
est très inquiétante, avec le risque
de débordements sur les régions li-
mitrophes. Et les bilans annoncés
par les autorités ne veulent plus
rien dire », souligne un médecin
algérois. « Le problème, c’est que
nous n’avons aucune marge. Les
hôpitaux sont saturés, sans
moyens et, surtout, il n’y a pas as-
sez de tests. » L’Institut Pasteur ne
teste que 2 000 personnes par
jour.
La réalité des chiffres officiels
est régulièrement mise à mal par
les remontées du terrain, malgré
la volonté des autorités de centra-
liser les bilans au niveau national
– en interdisant leur publication
au niveau local et en poursuivant
en justice les lanceurs d’alerte au
nom de la lutte contre la « diffu-
sion de fausses nouvelles ». A Bis-
kra (nord-est du Sahara), le socio-
Le président malien, « IBK », confronté à l’extension de la contestation
La bataille se durcit entre le président, Ibrahim Boubacar Keïta, et l’opposition menée par l’imam Mahmoud Dicko
bamako - correspondance
I
l a des gestes maladroits d’en-
fant agitant son soda pour en
vider les dernières gouttes.
Agenouillé dans la poussière,
l’adolescent remplit la bouteille
d’essence et de sable. Sous le re-
gard de grands frères attentifs, il
prépare un cocktail Molotov. Un
peu plus loin, un camarade com-
pose le même mélange dans un
bocal de mayonnaise. Autour de
lui, des adultes en qamis arra-
chent des pavés à la pioche, scient
des branches d’arbre, dégondent
des panneaux de circulation
qu’ils amassent en barricades.
Il est 18 heures dans le quartier
de Badalabougou à Bamako ce sa-
medi 11 juillet. Des volutes de fu-
mée noire masquent le soleil cou-
chant. Les remparts de bric et de
broc qui ont été dressés par les
manifestants doivent protéger la
mosquée de l’imam Mahmoud
Dicko, principal chef de file du
mouvement politico-religieux
qui conteste, depuis le 5 juin, le
pouvoir du président, Ibrahim
Boubacar Keïta, dit « IBK ». Les ru-
meurs d’un assaut de la police
pour arrêter le prédicateur dans
sa résidence ont mis ses disciples
Devant un centre de dépistage du Covid-19, à Alger, le 30 juin. FATEH GUIDOUM/AP
logue et écrivain Farès Cherfed-
dine Choukri, qui dénonce la si-
tuation « déplorable » de la prise
en charge des malades à l’hôpital,
a été interpellé et placé sous con-
trôle judiciaire, son procès ren-
voyé au 12 juillet.
Faisant état d’une situation épi-
démiologique « détériorée » et
« préoccupante », le préfet de Sétif
(dans l’est) a pourtant révélé à
« L’épidémie
flambe », « les
patients dorment
à même le sol »,
« il n’y a plus
de service Covid,
tout l’hôpital est
Covid », s’alarme
le corps médical
en ébullition. L’ambiance est in-
surrectionnelle. Les journalistes
sont violemment repoussés, ac-
cusés d’être des espions.
Une heure auparavant, des
coups de feu ont retenti dans cet
arrondissement central et rési-
dentiel de la capitale malienne.
Quatre manifestants qui jetaient
des pierres sur la maison de Ma-
nassa Danioko, la présidente de la
Cour constitutionnelle, ont été
tués par les balles de la police.
Deux étaient mineurs.
La colère déborde
Durant ce week-end marqué par
un durcissement de la confronta-
tion entre le gouvernement et
l’opposition, onze manifestants
sont morts, et 124 blessés. Di-
manche, les Nations unies,
l’Union africaine et l’Union euro-
péenne, dans un communi-
qué commun, ont condamné
« l’usage de la force létale dans le
cadre du maintien de l’ordre ».
Une mission de la Commu-
nauté économique des Etats
d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est
attendue pour servir d’intermé-
diaire dans les négociations, afin
de dégager une issue à cette crise
qui pourrait passer par des légis-
l’agence de presse officielle mer-
credi 8 juillet que « la wilaya enre-
gistre une moyenne quotidienne
d’environ 10 décès ». A l’en croire,
donc, le bilan quotidien de cette
préfecture de 1,5 million d’habi-
tants dépasserait celui avancé par
le comité national de suivi de
l’épidémie à l’échelle du pays –
42 millions d’habitants –, soit
9 morts… Dans une enquête pu-
bliée le 11 juillet, le quotidien Li-
berté a de son côté comptabilisé
51 morts en quarante-huit heures
dans les hôpitaux du départe-
ment. Le lendemain, le journal,
accusé de « désinformation », a été
menacé de poursuites judiciaires
par le ministre de la communica-
tion et porte-parole du gouverne-
ment. A Constantine, les person-
nels médicaux estiment à près de
4 000 le nombre de contaminés,
contre 600 selon le bilan officiel.
Les médecins, qui payent au
prix fort leur combat contre la
maladie, sont de plus en plus
latives partielles dans les circons-
criptions contestées.
En attendant, la colère déborde.
Aux violences du Nord, où les
djihadistes, chaque mois, ôtent
la vie à des dizaines de civils
et de soldats maliens, à celles
du centre, où la raréfaction des
ressources alimente des con-
flits intercommunautaires, s’est
ajoutée l’exaspération face à
une corruption persistante et à
l’inertie d’une économie frei-
née par l’état d’urgence sanitaire
lié au Covid-19.
Finalement, ce sont les élec-
tions d’avril qui ont fait exploser
la poudrière. La Cour constitu-
tionnelle est soupçonnée d’avoir
favorisé le parti présidentiel, le
Rassemblement pour le Mali
(RPM), en lui accordant plus de
sièges de députés que ce que lais-
saient présager les premiers ré-
sultats, notamment dans la capi-
tale. La colère s’est muée en mani-
festation de masse, agrégeant les
frustrations. Depuis, une impro-
bable coalition s’est constituée, le
M5-RFP (Rassemblement des for-
ces patriotiques) mêlant anciens
ministres, militants anticorrup-
tion et sympathisants de l’imam
rigoriste Mahmoud Dicko.
nombreux à lancer l’alerte :
« L’épidémie flambe », « les pa-
tients dorment à même le sol », « il
n’y a plus de service Covid, tout
l’hôpital est Covid »…
Dimanche 12 juillet, le directeur
d’un hôpital de Laghouat, à
400 kilomètres d’Alger, est mort
en soins intensifs quatre jours
après avoir été testé positif. Mardi
7 juillet, Anissa Laissaoui, 25 ans,
infirmière dans un hôpital de la
préfecture de Bouira (à 100 km au
sud-est d’Alger) et enceinte, a elle
aussi succombé après avoir con-
tracté le virus sur son lieu de tra-
vail, provoquant la colère de ses
collègues, qui ont manifesté leur
ras-le-bol à l’entrée de l’hôpital de
Sour El-Ghozlane.
« On n’a rien »
Le 15 mai, la mort d’une médecin
de 28 ans et de l’enfant qu’elle por-
tait depuis huit mois avait déjà ré-
volté de nombreux Algériens.
« On n’a rien, il n’y a pas assez
C’est vendredi 10 juillet, après le
troisième grand rassemblement
de cette opposition éclectique sur
la place de l’indépendance, que la
situation a basculé. Les organisa-
teurs ont décidé de déborder
l’autorisation de manifester. Or-
dre est donné d’occuper les prin-
cipaux ronds-points et ponts qui
relient les deux rives de la capi-
tale. Un acte de « désobéissance ci-
vile pacifique », justifie le mouve-
ment dans une déclaration.
Chauffée par les discours d’Issa
Kaou Djim, bras droit politique de
l’imam Dicko, une foule s’est mas-
sée devant l’Assemblée nationale.
Le bâtiment est caillassé. Les pro-
testataires incendient des pneus
et des planches. L’Office de radio
et télévision du Mali est pris pour
cible, accusé d’être la voix d’un
Etat oppresseur. Sur les ponts, des
gamins montent des barrages.
L’opportunisme du moment con-
duit certains à réclamer quelques
dizaines de milliers de francs CFA
(dizaines d’euros) comme « droit
de passage ».
Ce jour-là, la police, débordée,
mal équipée en matériel antié-
meute, fait usage de munitions
létales. Trois jeunes sont tués, en-
traînant une radicalisation du
international | 5
d’oxygène. Ils ne nous donnent pas
de masques. Les appareils respira-
toires sont branchés à tour de rôle
sur les patients. Ils tuent les gens
par négligence », s’indignait
mardi un infirmier de l’hôpital de
Biskra, où trois médecins ont suc-
combé à la maladie. Désemparé,
un médecin appelait le même
jour ses confrères du « public » et
du « privé » à porter secours aux
équipes du CHU, complètement
dépassées.
Mercredi, c’est le chef de service
de radiologie des urgences du
CHU de Sétif qui est mort après
avoir été contaminé par le coro-
navirus. Selon les syndicats de
médecins, ils sont une quaran-
taine, au total, à avoir été victime
de la pandémie, dont quatre mé-
decins et une infirmière en l’es-
pace de vingt-quatre heures, la se-
maine passée.
Quelque 1 700 personnels de
santé ont été touchés par la pan-
démie, selon le professeur Ab-
mouvement qu’amplifie encore
l’arrestation de quatre leaders po-
litiques : Issa Kaou Djim et Clé-
ment Dembélé sont interpellés
vendredi, les anciens ministres
Choguel Kokala Maïga et Moun-
taga Tall le lendemain, au siège du
M5. Les locaux sont saccagés, les
téléphones des militants saisis.
Alors que Bamako étouffe dans
les vapeurs de lacrymogène et de
pneus brûlés, les réseaux sociaux
et la messagerie WhatsApp tour-
nent au ralenti. Un test sur place
conduit par l’ONG NetBlocks a
permis de déterminer que les
opérateurs de téléphonie, notam-
ment Orange, ont volontaire-
ment freiné le trafic sur plusieurs
plates-formes numériques. Mu-
nis de VPN, de nombreux Maliens
ont toutefois réussi à contourner
ces blocages, comme en témoi-
gnent les vidéos postées tout le
week-end sur les réseaux sociaux.
Samedi, peu avant minuit, il ne
restait que des ombres à Badala-
bougou, lorsque le président s’est
adressé – pour la quatrième fois
en un mois – à une nation en
deuil. Barbe blanche, traits tirés
par des semaines de conflits so-
ciaux, Ibrahim Boubacar Keïta a
affirmé « s’incliner devant les victi-
« Beaucoup
de patients
ne croient pas
en la réalité
de la maladie »,
souligne un
médecin algérois
delkrim Soukhal, membre du co-
mité scientifique chargé du suivi
de l’évolution de l’épidémie. « Le
jour où l’ensemble des médecins
qui sont au front seront dans l’im-
possibilité de faire leur travail pour
cause d’épuisement, il n’y aura
plus personne pour soigner les ma-
lades », avertit le docteur Moha-
med Yousfi, chef du service d’in-
fectiologie de l’hôpital de Boufa-
rik, près d’Alger, joint par l’Agence
France-Presse.
Théories du complot
« Beaucoup de patients ne croient
pas en la réalité de la maladie, qui
ne serait qu’un énième mensonge
du gouvernement », souligne
aussi un médecin algérois. Il dé-
crit des professions médicales
aux prises, en plus, avec les théo-
ries du complot qui prospèrent
sur les réseaux sociaux, et à ce
qu’ils qualifient d’inconscience,
de déni et de relâchement.
« Il y a une absence de prise en
compte de la dimension sociologi-
que dans la gestion de la crise. Avec
l’été qui s’installe, il est impossible
de faire des enquêtes épidémiolo-
giques et de dire aux gens de rester
confinés chez eux », abonde le vi-
rologue Hakim Djaballah, ancien
président de l’Institut Pasteur de
Corée du Sud. Dans un entretien
accordé au média 24HDZ, il dé-
plore la marginalisation des épi-
démiologistes algériens par « une
administration qui n’a pas
changé ». « La commission scienti-
fique [mise en place pour suivre
l’évolution du Covid-19] n’a
aucune idée de comment gérer
une pandémie. » p
madjid zerrouky
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
mes », se posant en père de fa-
mille protecteur mais fustigeant
« des actes de vandalisme à nul
autre pareil ! Le pillage des biens
d’honnêtes citoyens ! »
Il a promis une « dissolution de
fait » de la Cour constitutionnelle,
abrogeant les décrets de nomina-
tion des juges, pour « trouver les
solutions aux contentieux issus
des élections législatives ». Une
mesure que les opposants du M5
ont vu comme « un progrès mais
pas encore suffisant » : les oppo-
sants réclament la dissolution de
l’Assemblée nationale et la for-
mation d’un gouvernement de
transition dont ils choisiraient le
premier ministre.
Les protestataires prévoient de
maintenir « les dix commande-
ments de la désobéissance civile »
qui passent notamment par des
blocages pacifiques des rues, des
ponts, des bâtiments d’Etat, pré-
vus tout au long de la semaine.
Dimanche soir, l’imam Dicko a,
lui, appelé les Maliens au « calme
et à la retenue », en précisant que
« la lutte continue ». Aux abords
de sa mosquée, les douilles de la
veille brillaient encore dans la
terre détrempée. p
matteo maillard
6 | planète
La circulation
du coronavirus
frémit à nouveau
Dans plusieurs régions de France,
les signaux d’alerte se multiplient
A
lors que le seuil symbo-
lique des 30 000 morts
dues au Covid-19 vient
d’être dépassé en
France, les signaux se multiplient
montrant une légère reprise du
nombre de personnes infectées
par le coronavirus. Si « la circula-
tion virale reste faible, le virus mon-
tre des frémissements », avertit
l’épidémiologiste Daniel Lévy-
Bruhl, responsable de l’unité des
infections respiratoires de Santé
publique France (SPF). Dans son
dernier bulletin épidémiologique
hebdomadaire, dont les données
sont rapportées jusqu’au 7 juillet,
l’agence sanitaire a noté une « nou-
velle tendance à l’augmentation de
la circulation du virus SARS-
CoV-2 ». « Nous sommes préoccu-
pés, le risque est que cette hausse se
poursuive », avertit M. Lévy-Bruhl.
« Les consultations pour suspi-
cion de Covid-19 augmentent de-
puis une dizaine de jours », précise
Serge Smadja, secrétaire général
de SOS-Médecins France, réseau
qui compte 1 300 praticiens. Elles
se sont accrues de 41 % dans la se-
maine du 29 juin au 5 juillet, soit
1 523 dans la semaine (environ
220 par jour). Et le docteur Smadja
mentionne « 360 consultations
pour Covid » vendredi 10 juillet. A
titre de comparaison, il y en avait
2 500 par jour dans ce réseau au pic
de l’épidémie. Le nombre d’hospi-
talisations, lui, reste stable.
Fait préoccupant, outre la
Guyane et Mayotte, où la situation
est très inquiétante, « on ne peut
pas dire aujourd’hui que tous les
foyers de contamination soient
maîtrisés en métropole », constate
Daniel Lévy-Bruhl. Sur tout le terri-
toire, 333 clusters (hors Ehpad et
milieu familial restreint) ont été
rapportés au 8 juillet, cela depuis le
9 mai, fait savoir SPF, dont 68 clus-
ters étaient toujours en cours d’in-
vestigation dimanche 12 juillet. En
France métropolitaine, deux clus-
ters sont en diffusion communau-
taire – cela signifie que les gens tes-
tés positifs n’ont pas de lien direct
avec les premiers cas –, un en Nor-
mandie et un en Mayenne (Pays de
la Loire), avec plus de 200 person-
nes diagnostiquées positives dans
ce département. « Le risque est que
cela se produise ailleurs, la crainte
étant que des petites flambées loca-
les ne soient plus maîtrisées », aver-
tit Daniel Lévy-Bruhl.
En Ile-de-France, « les courbes
sont très basses, mais elles bougent.
Même si ce n’est pas une reprise
massive, le niveau de risque a aug-
menté », constate Aurélien Rous-
seau, directeur de l’agence régio-
nale de santé (ARS), dont l’obses-
sion est de ne pas passer à côté
d’un cluster, dans une région qui
en compte 30 actifs.
« Beaucoup de cas importés »
En outre, le nombre de reproduc-
tion R (nombre moyen de person-
nes infectées par un cas) est rede-
venu supérieur à 1, ce qui favorise
une tendance à l’augmentation du
nombre de cas, en Provence-Al-
pes-Côte d’Azur, Pays de la Loire et
Nouvelle-Aquitaine. L’ARS Nouvel-
le-Aquitaine évoque, « depuis dé-
but juillet, des frémissements au ni-
veau des indicateurs », dans un
communiqué du 10 juillet. Le
nombre de cas positifs y est ainsi
passé de 47 (semaine du 24 au
30 juin) à 82 la semaine du 1er au
7 juillet, et « sept clusters non fami-
liaux ont été identifiés dans plu-
sieurs départements de la région,
dont trois dans la Gironde ». Les
exemples de foyers épidémiques
dans plusieurs autres pays, avec le
Opération
de dépistage,
à Laval,
le 9 juillet.
JEAN-FRANÇOIS
MONIER/AFP
reconfinement de certaines ré-
gions, notamment en Europe, in-
citent aussi à la prudence, tout
comme la situation dans le
monde, où le virus a causé la mort
de plus de 566 075 personnes de-
puis décembre 2019.
Autre motif d’inquiétude, selon
les données de la cohorte Covid-
net, « seulement 17 % des personnes
ayant présenté des symptômes évo-
cateurs de l’épidémie ont bénéficié
d’une prescription pour un test dia-
gnostique ». Conséquence : « Les
nombres de cas confirmés et les
augmentations observées pour-
raient être fortement sous-esti-
més », précise SPF.
Du côté des services français
d’urgence, certains médecins
constatent eux aussi une hausse.
« Nous voyons environ un patient
infecté par le Covid par jour pris en
charge dans le service des maladies
infectieuses de l’hôpital Bichat,
alors que c’était un par semaine
après le déconfinement », avance le
professeur Yazdan Yazdanpanah,
chef du service des maladies infec-
tieuses et tropicales de l’hôpital Bi-
chat (AP-HP), membre du conseil
scientifique et du comité analyse
recherche et expertise (CARE). « Le
niveau de circulation de virus reste
faible – moins de 2 % de tests posi-
Vaste campagne de dépistage en Mayenne
L’agence régionale de santé entend réaliser 300 000 tests après la découverte de six clusters
laval - correspondance
O
n ne sait si c’est la peur du
Covid-19 ou, simplement,
ce long week-end enso-
leillé d’avant 14-Juillet : samedi
11 juillet, le traditionnel marché du
centre historique de Laval affi-
chait une fréquentation en berne.
« Avant, les gens se demandaient
où se trouvait Laval sur une carte »,
constate, mi-amusée, mi-amère,
Jessica, Lavalloise de 35 ans.
Mais c’était avant. Avant que la
Mayenne ne se fasse remarquer, à
son corps défendant, par l’agence
régionale de santé (ARS) des Pays
de la Loire. Celle-ci avait compta-
bilisé, tout début juillet, six clus-
ters – foyers géographiques de
Covid-19 avec au moins trois cas,
confirmés ou probables, sur une
période de sept jours – dans le dé-
partement. Quatre à Laval, dont
un dans un établissement d’hé-
bergement pour personnes
âgées, un dans un abattoir, et
deux dans le sud de la Mayenne :
à Craon – un abattoir – et à Châ-
teau-Gontier-sur-Mayenne.
Dans son bulletin hebdoma-
daire du jeudi 9 juillet, Santé pu-
blique France, l’agence nationale
de santé publique, a désigné la
Mayenne comme étant « en si-
tuation de vulnérabilité modé-
rée ». Il s’agit, à ce jour, du seul dé-
partement de France métropoli-
taine à être classé de la sorte de-
puis la mi-juin.
tifs –, mais il faut être vigilant », pré-
cise le professeur. Les symptômes
sont très polymorphes mais
« nous avons beaucoup de cas im-
portés de pays étrangers ». Même
constat pour le professeur Eric
Caumes, chef du service des mala-
dies infectieuses à l’hôpital de la
Pitié-Salpêtrière (AP-HP) : « Alors
qu’il n’y avait quasiment aucun
malade atteint du Covid en juin,
nous voyons à nouveau arriver de-
puis début juillet des personnes in-
fectées. Nous avons rouvert une
unité de six lits. »
Tests dans les aéroports
Les alertes des autorités sanitai-
res se multiplient depuis quel-
ques jours. Le virus continue à
circuler. « Nous sommes à la merci
d’une reprise en France. On le sait
maintenant : il suffit qu’il y ait un
supercontaminateur dans une as-
semblée, et ça repart comme à
Mulhouse », a ainsi souligné dans
nos colonnes Jean-François Del-
fraissy, qui préside le conseil
scientifique. Les prises de parole
se sont multipliées. « Une reprise
de l’épidémie, voire une deuxième
vague, est possible cet automne
ou cet hiver », a aussi déclaré Jé-
rôme Salomon, directeur général
de la santé, le 8 juillet au Figaro.
ATLANTIQUE
Paris
OCÉAN
MAYENNE
MAYENNE
Rennes
Laval
Le Mans
Craon
Château-Gontier
PAYS DE LA LOIRE
20 km Angers
Selon l’agence régionale de
santé, il y avait, vendredi 10 juil-
let, 255 cas confirmés de coro-
navirus en Mayenne. Avec dix
personnes hospitalisées, dont
deux en réanimation. Deux jours
auparavant, il y en avait 219, après
un doublement spectaculaire du
nombre de personnes infectées
en six jours. Le taux de personnes
affectées par la maladie pour
100 000 habitants était quant à
lui de 5,07 en date du 10 juillet
(sur la moyenne des sept derniers
jours). Ce taux de personnes in-
fectées en faisait la lanterne
rouge des Pays de la Loire, dont la
moyenne régionale était de 0,75
pour 100 000 habitants.
Pour lutter contre la pandémie,
les services de l’Etat ont décidé de
lancer une campagne massive de
dépistage en Mayenne. Des cour-
riers sont envoyés à tous les assu-
Sur les gestes
barrières, le
relâchement est
constaté partout,
y compris parmi
les responsables
politiques
Les autorités appellent donc à la
vigilance et au respect des gestes
barrières, alors même que le relâ-
chement est constaté partout, y
compris parmi les responsables
politiques – députés, ministres,
maires fraîchement élus – et que
les déplacements vont se multi-
plier lors des vacances. Face à ce
constat, quatorze médecins, dont
le psychiatre Antoine Pelissolo et
le généraliste Jimmy Mohamed,
également chroniqueur sur Eu-
rope 1, ont publié une tribune in-
titulée « Masqués mais en li-
berté ! » dans Le Parisien samedi
11 juillet. Ils rappellent le respect
des gestes barrières et deman-
dent le port obligatoire du mas-
que dans tous les lieux publics
clos. « Le masque est aux infec-
tions respiratoires ce que le préser-
rés sociaux pour les inviter à se
faire dépister gratuitement. L’am-
bition ? Réaliser 300 000 tests.
Un objectif jugé très difficile à
réaliser en l’état pour certains
professionnels de santé, au pre-
mier rang desquels Jean-Paul Ha-
mon, président de la Fédération
des médecins de France.
Sur le marché de Laval, on est
loin de ces considérations. Chris-
tine vend des accessoires de cui-
sine près de la cathédrale. Les af-
faires ne sont pas bonnes. Elle se
dit « très remontée » contre cer-
tains médias, « qui ne parlent en
boucle de la Mayenne qu’à cause
du Covid. Pour nous, commer-
çants, tout cela entraîne une ca-
tastrophe financière. En temps
normal, une partie de ma clien-
tèle, ce sont les touristes… ».
Mesures « disproportionnées »
Sarah, 52 ans, est infirmière à La-
val. Elle travaille dans un établis-
sement d’hébergement pour
personnes âgées. En profession-
nelle de santé, elle ne peut s’em-
pêcher de relever le comporte-
ment des autres clients sur le
marché. « J’ai remarqué au fil des
semaines que les gens portent
beaucoup plus leur masque
qu’avant. Mais ils ne respectent
pas assez les règles de distancia-
tion sociale. Ce n’est pas entré
dans les habitudes. » Sarah n’est
pas inquiète, mais se dit « très vi-
gilante ». « On parle beaucoup de
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
vatif est aux IST [infections
sexuellement transmissibles] »,
insiste Eric Caumes, également si-
gnataire de cette tribune. Un col-
lectif de médecins et chercheurs
appelle également, dans une tri-
bune publiée par Libération, au
port obligatoire du masque en
lieu clos, à l’instar d’autres pays,
ce d’autant plus que le risque de
transmission par aérosol a été re-
connu par l’Organisation mon-
diale de la santé, jeudi 9 juillet.
Interrogé par la presse en
Guyane, dimanche 12 juillet, le
premier ministre, Jean Castex, a
déclaré que « la question de déve-
lopper le port du masque est à
l’étude », notamment pour les
lieux clos. Le ministre de la santé,
Olivier Véran, avait quant à lui ap-
pelé, vendredi sur BFM-TV/RMC,
les Français à la « vigilance au quo-
tidien », même si la circulation du
virus est à ce stade « maîtrisée ».
« Les tests virologiques pour dé-
tecter le Covid-19 seront “systémati-
sés” dans les prochains jours dans
les aéroports de France pour les
voyageurs provenant de pays clas-
sés “rouge”, des pays où le virus cir-
cule le plus », a annoncé le porte-
parole du gouvernement, Gabriel
Attal, dimanche sur BFM-TV. p
pascale santi
la Mayenne en ce moment avec le
Covid. Mais la situation n’est pas
forcément meilleure ailleurs ! »,
avance-t-elle.
Pour Odile, Lavalloise de 55 ans
et professeure des écoles, porter
un masque dans les lieux publics
est une « évidence ». Si elle s’in-
quiète, c’est surtout pour ses pe-
tits de maternelle, qu’elle retrou-
vera à la rentrée.
Samedi, quelque 200 Lavallois
se sont rendus dans l’un des
deux « drive tests » mis en place
dans la ville par les pouvoirs pu-
blics, avec la mobilisation d’infir-
miers de la réserve sanitaire et de
personnel du centre hospitalier
de Laval. L’opération devrait se
poursuivre « encore plusieurs
jours, voire semaines, selon l’éva-
luation de la fréquentation »,
avance-t-on à la préfecture.
L’agence régionale de santé en
fait-elle trop en Mayenne ? Dans
un communiqué de presse, le
jeudi 9 juillet, le président du
conseil départemental de la
Mayenne, Olivier Richefou,
estimait que le dépistage massif
souhaité par l’ARS était « dispro-
portionné au regard de l’état
sanitaire réel [du département] ».
Et Olivier Richefou d’interpel-
ler l’Etat dans les colonnes du
quotidien Ouest-France : « Ne
sommes-nous pas en train d’utili-
ser un Canadair pour éteindre un
feu de paille ? » p
mikaël pichard
8|
FRANCE
Les nouvelles attentes sociales des soldats
Une enquête exprime une forte critique du « plan familles » de la ministre des armées, Florence Parly
L
e chiffre vaut avertisse-
ment : 68 % des militaires
se disent « pas satisfaits »
du plan sur lequel le mi-
nistère des armées s’investit de-
puis deux ans pour améliorer
leurs conditions de vie. Pour 82 %,
il est « urgent » de traduire dans les
faits ce « plan familles ». Ce mau-
vais score est issu d’une enquête
réalisée à l’initiative des nouvelles
associations professionnelles re-
présentatives des militaires. Har-
ris Interactive a interrogé 1 688
professionnels des trois armées et
de la gendarmerie du 24 février au
26 mars. Une première du genre.
Même si l’échantillon n’est pas
vraiment représentatif car il sous-
estime les militaires du rang face
aux sous-officiers et officiers, le ré-
sultat témoigne d’une humeur et
n’a pas manqué d’alerter le cabi-
net de la ministre de la défense,
Florence Parly. « Car quand on dit
Parly, les gens pensent “loi de pro-
grammation militaire à hauteur
d’homme” et “plan familles” », sou-
ligne un conseiller au ministère
des armées, à la veille du 14-Juillet.
En 2017, Emmanuel Macron de-
vait faire oublier la crise de con-
fiance provoquée par la démission
surprise du chef d’état-major
Pierre de Villiers. Il promettait que
les crédits allaient enfin remonter
avec la programmation 2019-2025
et que les milliards n’oublieraient
pas la condition militaire, sacrifiée
au profit des programmes d’arme-
ment depuis la professionnalisa-
tion des armées.
Les résultats tardent
La ministre joue son crédit sur
cette politique « à hauteur
d’homme », destinée à rendre
concrètes les déclarations de res-
pect que le président, depuis, for-
mule sans relâche aux militaires.
« La tentation habituelle lors des
arbitrages budgétaires est de sa-
crifier ces sujets. Mais quand on lui
propose de couper 20 millions
dans les infrastructures pour les
mettre sur la maintenance des aé-
ronefs, Florence Parly dit non », as-
sure la même source.
Le plan familles porte sur 2018-
2022, avec des dizaines de mesu-
res. Le général François Lecointre,
successeur de Villiers, a appelé la
troupe à la « patience » sachant le
chantier de longue haleine.
Aujourd’hui, à l’unisson du reste
de la société, les 200 000 militai-
res expriment des attentes socia-
les d’autant plus élevées que les
résultats tardent. « On fait con-
fiance à nos chefs, mais il arrive un
moment où il faut nous montrer
Macron et Castex tentent de baliser le « nouveau chemin »
Le président s’exprimera lors d’un entretien télévisé, mardi 14 juillet, un jour avant la déclaration de politique générale du premier ministre
I l a beau réfuter le terme de
« collaborateur », le nouveau
premier ministre, Jean
Castex, laissera tout de même la
priorité à Emmanuel Macron.
Après une cérémonie militaire ré-
duite à cause du coronavirus, le
chef de l’Etat s’exprimera de l’Ely-
sée, mardi 14 juillet, dans le cadre
d’un entretien télévisé diffusé en
direct sur France 2 et TF1. L’occa-
sion de préciser les grandes lignes
du « nouveau chemin » qu’il en-
tend emprunter pour relancer le
pays. L’occasion, également, de
donner le coup d’envoi de la
dernière partie du quinquennat,
tout en se projetant vers la prési-
dentielle de 2022.
Outre la situation sanitaire, avec
la crainte d’une deuxième vague
de l’épidémie, le chef de l’Etat de-
vrait dévoiler le contenu du plan
de relance économique promis
pour septembre. L’emploi, et en
Lors d’une
répétition
pour
le défilé
du 14-Juillet,
sur la base
militaire
d’Orléans-
Bricy
(Loiret),
le 9 juillet.
LAURENCE GEAI
POUR « LE MONDE »
Dans les six
premiers mois,
le taux
de dénonciations
de contrat
est important, de
20 % à 28 % dans
l’armée de terre
quelque chose », résume le capi-
taine de vaisseau Dominique de
Lorgeril, président de l’associa-
tion de la marine.
Les problèmes de logement arri-
vent en tête des priorités, suivis
de la mobilité professionnelle, de
l’emploi des conjoints et de la
garde d’enfant. L’enquête Harris
confirme que les contraintes in-
hérentes au métier de soldat – dis-
ponibilité totale, déplacements,
mutations – sont de moins en
moins supportées. Seule une
courte majorité, 53 %, estime con-
cilier correctement vie person-
particulier celui des jeunes, sera
un des axes principaux de son in-
tervention. « Les jeunes sont la
priorité des priorités », a souligné
le ministre de l’économie, Bruno
Le Maire, dimanche, en annon-
çant que l’exécutif allait présenter
« des dispositifs » la semaine pro-
chaine « pour permettre aux jeu-
nes de trouver une place dès la ren-
trée prochaine ». Une manière de
répondre au président (ex-Les Ré-
publicains) de la région Hauts-de-
France, Xavier Bertrand, qui
presse l’exécutif, dans le Journal
du dimanche, d’« aller beaucoup
plus vite » dans la relance.
Ce n’est qu’après la prise de
parole présidentielle que Jean
Castex pourra prononcer sa dé-
claration de politique générale
aux parlementaires, mercredi
15 juillet à l’Assemblée nationale,
et le lendemain au Sénat. En s’ex-
primant après, il ne fera que décli-
nelle et vie professionnelle. L’ar-
mée a entrepris de réduire les mu-
tations. Et le ministère a fait en
sorte que plus de 80 % des chan-
gements de poste soient annon-
cés au moins cinq mois à l’avance.
En moyenne, « les militaires de
l’armée de terre sont engagés cent
quatre-vingts jours par an dans
des activités ouvrant droit à l’in-
demnité d’absence cumulée, les
marins autour de cent soixante-
quatorze jours, rappelle le colonel
Michel Pesqueur, qui décrypte
l’enjeu des ressources humaines
dans une étude publiée le 30 juin
par l’Institut français des rela-
tions internationales (IFRI). La
marine décrit cette situation
comme l’institutionnalisation de
familles quasi monoparentales ».
Depuis trois ans, dans l’armée,
les célibataires sont plus nom-
breux que les couples mariés, dont
un tiers sont divorcés. Les pacsés
sont 15 % et ne bénéficient tou-
jours pas des mêmes droits que les
autres agents de l’Etat. Toujours at-
tirés par le métier des armes, les
jeunes ont de nouvelles exigences.
ner la feuille de route du chef de
l’Etat. Dans l’opposition, et même
au sein de la majorité, des députés
déplorent « un effacement » du lo-
cataire de Matignon. « Macron un
jour, Macron toujours : voici votre
seul mot d’ordre ! », lui a asséné la
députée « insoumise », Mathilde
Panot, le 8 juillet, à l’Assemblée,
en lui reprochant de « ne rien dire
avant que le monarque de l’Elysée
daigne parler ».
Obtenir la confiance des députés
La plupart des macronistes se ré-
jouissent, au contraire, que la pri-
mauté de l’Elysée soit respectée.
« En parlant avant son premier mi-
nistre, le président s’inscrit dans
une lecture classique des institu-
tions, fait valoir le député La Répu-
blique en marche (LRM) de l’Eure,
Bruno Questel. La logique de la
Ve République n’est pas de mettre en
concurrence le président et son pre-
Ils veulent un régiment près de
chez eux et espèrent aller vite sur
le terrain. « Pour attirer cette géné-
ration pressée d’exercer un métier,
l’armée de l’air modernise profon-
dément ses formations – le but est
de gagner douze mois de formation
sur quatre ans », illustre l’IFRI.
Réel effort budgétaire
Cette population jeune est deve-
nue « volatile », poursuit l’auteur
de cette étude. Dans les six pre-
miers mois, le taux de dénoncia-
tions de contrat est important, de
20 % à 28 % dans l’armée de terre
depuis plusieurs années. « Chacun
entend être accompagné et con-
seillé dans sa carrière », mais tous
butent sur les « lourdeurs » de la
gestion des ressources humaines.
Les réductions d’emplois massives
des années passées ont laissé des
traces. « Certains disent que, faute
de pouvoir fidéliser nos meilleurs
éléments, on n’a gardé que les chefs
de la catégorie “idiots travailleurs”
persuadés d’avoir raison et qui
n’écoutent pas leurs hommes », ra-
conte un colonel.
mier ministre. » Sa collègue des
Bouches-du-Rhône, Claire Pitollat,
juge également « positif » qu’il n’y
ait qu’« une seule ligne », dictée par
le chef de l’Etat. « Pour la fin du
mandat, il ne faut pas plusieurs
sons de cloche », juge-t-elle.
Réfutant catégoriquement une
tentation de M. Macron de re-
nouer avec « l’hyperprésidence »
du début de son quinquennat,
l’Elysée explique, par exemple, que
ce dernier a « délégué » au premier
ministre le dossier de la réforme
des retraites. « Le président lui fait
confiance pour trouver un consen-
sus avec les syndicats », expliquer
un conseiller de l’exécutif. Un sujet
miné sur lequel M. Castex dit vou-
loir « avancer vite », malgré l’oppo-
sition des partenaires sociaux.
Son principal défi, à court
terme, sera d’obtenir la confiance
des députés, mercredi, lors du
vote à l’Assemblée, qui suivra son
Le sursaut patriotique qui a suivi
les attentats après 2015 est re-
tombé. L’armée française doit re-
cruter beaucoup pour conserver
sa jeunesse (26 000 entrées et dé-
parts en 2020), alors que son effec-
tif total doit peu augmenter (+
6 000) d’ici à 2025. Les généraux
cherchent tous les moyens de fidé-
liser davantage. Ces défis se pré-
sentent au moment où l’état-ma-
jor veut accroître les compétences
pour affronter de futurs conflits
de « haute intensité » face à la Rus-
sie et à la Chine. Dans l’armée de
terre, où il manque des milliers
d’officiers et de sous-officiers,
combler le déficit d’encadrement
est devenu un effort majeur.
Le ministère a offert du Wi-Fi
gratuit couvrant 135 000 cham-
bres dans les casernes, une carte
SNCF étendue à toute la famille,
400 places de crèche. Les autres
mesures butent sur des difficul-
tés structurelles. Une prime d’un
montant total de 12 millions
d’euros en 2020 a été créée pour
garder des spécialistes, mécani-
ciens ou informaticiens, mais,
discours. Vu le poids de la majo-
rité, qui compte près de 350 élus,
le oui devrait facilement l’empor-
ter. Reste à savoir le nombre de
voix qu’obtiendra le nouveau
chef du gouvernement. Son score
sera inévitablement comparé à
celui de son prédécesseur, en
juillet 2017 (370 députés pour,
67 contre et 129 abstentions). « Ce
sera son crash test », résume un fi-
dèle du chef de l’Etat.
Or, M. Castex n’est pas assuré de
faire le plein dans la majorité,
après un remaniement qui a sus-
cité de nombreuses déceptions
chez les députés LRM et créé « des
étincelles » avec le MoDem –
comme l’a reconnu le chef de file
des députés centristes, Patrick Mi-
gnola. « Le premier ministre assène
qu’il est le chef de la majorité mais
la confiance, ça ne se décrète pas, ça
se construit ! », prévient un député
macroniste de l’aile droite, « nos-
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
individuellement, son « montant
est encore trop faible pour couvrir
le gain salarial obtenu par un dé-
part dans le civil », note l’expert
de l’IFRI. Pour rénover les loge-
ments militaires, de Brest (Finis-
tère) à Castres (Tarn), un réel ef-
fort budgétaire est consenti
(1 milliard d’euros sur sept ans).
Mais le retard est tel que certains
se découragent.
Le Haut Comité d’évaluation de
la condition militaire, qui a la vi-
sion la plus complète du sujet, a
salué dans son rapport 2019 « les
efforts engagés pour mieux ac-
compagner les contraintes que
l’état militaire fait peser sur la vie
quotidienne ». Il a aussi expressé-
ment demandé à les « poursuivre
dans la durée ». Le sujet, notam-
ment pour ce qui concerne le lo-
gement, est « suivi comme le lait
sur le feu et des résultats vont com-
mencer à être vraiment visibles »,
assure-t-on au ministère. Un ac-
cord-cadre a été signé avec le BTP
pendant le confinement pour ac-
célérer les chantiers. p
nathalie guibert
talgique d’Edouard Philippe ». A
l’Assemblée, de nombreux élus
n’attendent qu’une chose : la no-
mination de la dizaine de secrétai-
res d’Etat, qui viendra compléter
l’équipe ministérielle. Cette
deuxième vague du remaniement
ne devrait intervenir qu’en fin de
semaine, après le discours de
M. Castex. Un agenda perçu par
des députés LRM comme un
moyen de les contraindre à lui vo-
ter la confiance.
En attendant, M. Castex précise
sa méthode. Samedi, lors d’un pre-
mier séminaire de travail, il a
pressé ses ministres d’aller « sur le
terrain » pour « entendre les de-
mandes des Français », tout en
veillant à la concrétisation des dé-
cisions du gouvernement.
Comme s’il s’agissait de retisser les
liens avec l’opinion, afin de pou-
voir continuer à réformer. p
alexandre lemarié
 france | 9
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020

Une fraude très organisée au chômage partiel

Le parquet de Paris a ouvert, vendredi, une enquête pour « escroqueries et blanchiment en bande organisée »

L
es milliards d’euros déblo-
qués par les pouvoirs pu-
blics pour soutenir l’éco-
nomie ont ouvert l’appé-
tit d’aigrefins. Vendredi 10 juillet,
le procureur de la République de
Paris, Rémy Heitz, a annoncé,
dans un communiqué de presse,
que ses services enquêtaient sur
des fraudes à l’activité partielle
(ou chômage partiel). Ce disposi-
tif, mis en place à très grande
échelle depuis la mi-mars pour
prévenir les licenciements en cas-
cade, s’est traduit par l’octroi
d’aides financières massives, dont
une partie – semble-t-il infime, à
ce stade – a été détournée.
Les incriminations retenues par
le parquet portent sur des chefs
« d’escroqueries en bande organi-
sée » et « de blanchiment en
bande organisée de ces escroque-
ries ». Précision importante : ces
infractions ne concernent pas des
employeurs qui auraient touché
des subsides tout en faisant tra-
vailler leurs salariés, théorique-
ment placés en chômage partiel.
Elles renvoient, en l’espèce, à
des « demandes frauduleuses de
versement d’indemnités », qui ont
été déposées en usurpant « la
raison sociale et le numéro d’iden-
tification » d’entreprises existan-
tes – alors même que celles-ci
n’avaient jamais effectué une
telle démarche.
Ces pratiques avaient été détec-
tées, récemment, de deux façons
différentes. En Occitanie, ce sont
les services déconcentrés du mi-
nistère du travail et de l’emploi
qui les avaient mises au jour :
dans cette région, quelque
160 sociétés, au moins, ont été
victimes d’une usurpation de
leur raison sociale. Parallèlement,
l’Agence de services et de paie-
ment (ASP), qui octroie l’argent
aux employeurs, avait constaté
l’existence d’« une fraude massive
au versement des indemnités »
dans treize régions, selon le com-
muniqué de M. Heitz. Les agisse-
ments, similaires dans les deux
cas, avaient été signalés aux pro-
cureurs de la République de Tou-
louse, le chef-lieu de l’Occitanie,
et de Limoges – la ville où se situe
le siège de l’ASP. Deux enquêtes
distinctes avaient été ouvertes.
Principe de confiance
Le parquet de Paris a finalement
décidé de se saisir de ces procédu-
res, « au titre de sa compétence na-
tionale en matière de la lutte con-
tre la criminalité organisée de très
grande complexité » (Junalco). Un
choix motivé par le fait que les es-
croqueries ont été commises sur
la quasi-totalité du territoire, se-
lon un mode opératoire qui va
nécessiter « une forte coopération
internationale », une partie des
fonds indûment captés s’étant
évaporée au-delà de nos frontiè-
res. D’après une source judiciaire
contactée par Le Monde, les inves-
tigations ont permis d’identifier
l’existence de « comptes bancaires
à l’étranger », sur lesquels ont été
déposées des sommes obtenues
illégalement. Mais il est encore
« trop tôt » pour en dire plus sur le
profil des protagonistes, confie
un enquêteur : « Nous ne savons
pas si nous avons affaire à une
seule et même équipe. »
Le préjudice serait, pour le mo-
ment, un peu supérieur à 1,7 mil-
lion d’euros, un montant très li-
mité au regard des crédits déblo-
qués pour financer le chômage
partiel – 13,6 milliards d’euros
ayant été effectivement dépensés
à cette fin depuis le début de la
crise, selon le ministère du travail.
Au total, « plus de 1 740 opérations
frauduleuses » ont été recensées
en France ; les utilisations abusi-
ves de numéro d’identification
ont touché 1 069 sociétés. Des
chiffres susceptibles d’évoluer à la
hausse, à mesure que les investi-
gations progresseront. M. Heitz a
précisé, vendredi, que plusieurs
infractions avaient été repérées
suffisamment tôt pour suspen-
dre « le versement de plus de
6 millions d’euros ».
Les utilisations
abusives
de numéros
d’identification
ont touché
1 069 sociétés
Ces détournements ont été faci-
lités par la procédure qui « est to-
talement dématérialisée » et « pu-
rement déclarative, sur l’honneur,
sans aucun contrôle a priori », ob-
serve Hervé Guichaoua, un an-
cien haut cadre de la direction gé-
nérale du travail. Il suffit, expli-
que-t-il, de communiquer le
numéro d’identification de l’en-
treprise, « qui est public et accessi-
ble à tous. Ensuite, vous déclarez
ce que vous voulez depuis votre sa-
lon en France, au Brésil ou au Ja-
pon. Les allocations vous sont ver-
sées sur le compte bancaire que
vous choisissez et mentionnez ».
Le gouvernement avait tenu à
ce que les patrons puissent trans-
mettre leur requête aussi simple-
ment que possible, selon un
principe de confiance. « Nous as-
sumons ce choix, qui visait à inter-
venir promptement en faveur des
employeurs et des salariés », indi-
que-t-on au ministère du travail.
« Nous ne pouvions pas faire
autrement, les entreprises étaient
à l’agonie », complète le responsa-
ble régional d’un service décon-
centré de l’Etat.
A la fin juin, Muriel Pénicaud,
alors ministre du travail, avait
déclaré, dans un entretien au
magazine Challenges que
3 000 contrôles, lancés a poste-
riori sur des demandes de chô-
mage partiel, avaient été menés à
leur terme, débouchant sur
« 850 suspicions de fraude ». A ce
jour, 21 000 vérifications ont été
engagées, selon le ministère du
travail – l’objectif étant d’en réali-
ser 50 000 d’ici à la fin de l’été. p
bertrand bissuel

Perpignan : Louis Aliot

battu à la présidence
de la métropole
Le député RN et maire de Perpignan a été
défait, samedi, par une alliance des droites
à la communauté d’agglomération

L ouis Aliot, le nouveau

maire Rassemblement na-
tional (RN) de Perpignan,
n’a pas pu obtenir, samedi 11 juil-
let, la présidence de la commu-
nauté d’agglomération Perpi-
gnan Méditerranée Métropole
(PMM), battu par une alliance des
droites. Il s’agissait d’un enjeu
majeur pour les 36 petites com-
munes et sa ville-centre, Perpi-
gnan, qui concentre à elle seule
46 % de la population de la mé-
tropole. Le député, candidat aux
quinze vice-présidences, a même
dû se contenter d’une modeste
cinquième vice-présidence. « Les
conciliabules avant le scrutin ont
bien démontré qu’il y avait une
volonté d’écarter les élus de Perpi-
gnan, a déclaré amèrement Louis
Aliot. Les électeurs jugeront, ces
élections ne sont qu’une étape. »
Ils étaient trois candidats en lice :
Louis Aliot, donc, fort de son élec-
tion avec 53,09 % aux municipales
contre l’ancien maire de la ville,
Jean-Marc Pujol – qui était aussi le
président de Perpignan Méditer-
ranée Métropole – ; Robert Vila
(Les Républicains), le maire de la
petite ville de Saint-Estève, et
Alain Ferrand, le maire (divers
droite) du Barcarès, la deuxième
ville de l’agglomération.
Un personnage, cet Alain
Ferrand. Condamné à trois
reprises pour abus de biens
sociaux, prise illégale d’intérêts
et fraude fiscale, il s’est partagé
la mairie depuis 1995 avec son
épouse, à chaque fois qu’il était
déclaré inéligible (ou lorsqu’elle
l’était à son tour). On les surnom-
me dans la région « les Balkany
du Sud ». L’homme, aimable et
rond, est dans les affaires, no-
Louis Aliot,
candidat
aux quinze
vice-présidences,
a dû se contenter
d’une modeste
cinquième
vice-présidence
tamment les casinos et les jeux
en Afrique, dans le sulfureux
groupe Pefaco (le « fa » est pour
Ferrand Alain), et a été conforta-
blement réélu, le 15 mars au pre-
mier tour, au Barcarès.
« Querelles d’ego »
L’ambiance, à la communauté
d’agglomération, était fraîche. La
présidente (Parti socialiste) de la
région, Carole Delga, avait la
veille déclaré au quotidien L’In-
dépendant vouloir « un président
qui défende les valeurs de la Répu-
blique et pas le camp de l’extrême
droite », et dénoncé « les querelles
d’ego, de petits coqs, les attitudes
irresponsables qui sont légion
dans les Pyrénées-Orientales ».
Louis Aliot a, quant à lui, jugé sa-
medi que Carole Delga avait « in-
sulté les électeurs », et s’était dé-
claré « choqué par certains pro-
pos qui visent à exclure la ville-
centre de l’agglomération ».
Au premier tour de scrutin,
Louis Aliot a obtenu 30 voix,
Alain Ferrand 18, Robert Vila 38
– la majorité absolue était à 45.
Après deux suspensions de
séance, Alain Ferrand s’est retiré
avec quelques mots aimables
pour Louis Aliot (« le cadre des
partis doit rester au vestiaire, il
faut qu’on démontre qu’on peut
travailler ensemble »), et a fait sa-
voir qu’il « accepterait d’être pre-
mier vice-président ». Le maire de
Perpignan a alors compris qu’il
avait perdu contre l’alliance Vila-
Ferrand. Robert Vila l’a effecti-
vement emporté par 49 voix au
second tour – Louis Aliot en a
obtenu 33. Ravi, Alain Ferrand a
effectivement obtenu, pour ser-
vices rendus, la première vice-
présidence. Et pour chacun des
autres postes, Robert Vila a sys-
tématiquement présenté des
candidats, afin de repousser
Louis Aliot dans les profondeurs
du classement.
Le nouveau maire de Perpignan
a quand même un motif de satis-
faction : une semaine après son
élection, il a fait voter, vendredi
10 juillet, par son conseil munici-
pal, une augmentation de son in-
demnité de 17 %. p
franck johannès
10 | france
Faure renforcé à la tête du PS avec sa stratégie unitaire
Les municipales ont donné raison au premier secrétaire socialiste, qui prône l’union à gauche avec les écologistes
C
e 28 mars au soir, sur
l’estrade du local loué
pour la soirée près de
Beaubourg, à Paris, Oli-
vier Faure déroule son discours
sur l’unité retrouvée à gauche
avec les écologistes. Une fois de
plus, le premier secrétaire du
Parti socialiste (PS) dit sa convic-
tion que c’est une « addition ga-
gnante ». C’est devenu son leit-
motiv depuis des mois, mais ce
soir-là, il a enfin la démonstra-
tion qu’il a eu raison. La preuve
par les urnes municipales.
Toute la soirée, les dirigeants
socialistes avaient noté fébrile-
ment les villes qui tombaient de
leur côté, mais aussi celles ga-
gnées par les écologistes qu’ils
soutenaient. Et on pouvait lire
un vrai soulagement sur les visa-
ges des militants réunis comme
sur ceux des élus qui défilaient
sur les plateaux de télévision. Le
premier secrétaire, lui, n’arrêtait
pas de sourire, délaissant la va-
poteuse sur laquelle il tire si sou-
vent. Celui qu’on avait présenté
comme le fossoyeur du parti de
Jaurès tenait sa revanche.
Olivier Faure revient en effet de
loin. Quand il est élu à la tête du
PS, en avril 2018, avec l’appui des
« quadras » – Carole Delga, Jo-
hanna Rolland, Nathalie Appéré,
Mathieu Klein et Olivier Bian-
chi –, il apparaît bien affaibli. Sor-
tis essorés de la présidentielle, les
socialistes sont réduits à peau de
chagrin à l’Assemblée nationale
et doivent déménager leur siège
à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne)
après la vente de Solférino. Honni
à gauche, boudé dans les urnes, le
parti dont hérite le député de Sei-
ne-et-Marne semble en voie de
marginalisation sans retour.
En interne, l’ambiance n’est
guère plus prometteuse. « Il a été
challengé dès son arrivée », se
souvient Maxime des Gayets,
conseiller régional d’Ile-de-
France, un de ses proches. Re-
gardé avec mépris par les barons
qui le qualifient d’« accident de
l’histoire », il voit son parti dé-
serté par les cadres partant qui
vers La République en marche,
qui vers le privé où l’herbe est
plus verte. Le numéro un a man-
dat de transformer le PS et de
tenter de sauver ce qu’il en reste
avant les échéances électorales
qui s’annoncent périlleuses pour
G O UV E R N E M E N T
Gérald Darmanin
démissionnera de la
mairie de Tourcoing
Le nouveau ministre de l’inté-
rieur, Gérald Darmanin, a an-
noncé, dimanche 12 juillet,
dans un entretien à Nice-Ma-
tin, qu’il démissionnera de
son poste de maire de Tour-
coing, le 14 juillet. « Je suis
conscient que ce qu’on attend
d’un ministre de l’intérieur, c’est
d’être présent vingt-quatre heu-
res sur vingt-quatre et disponi-
ble. Je mentirais aux Français si
je leur disais que j’étais capable
de faire les deux », dit-il.
J UST I C E
Affaire Squarcini :
l’enquête élargie après
une plainte de Ruffin
La justice a élargi, en octo-
bre 2019, l’enquête qui vise
Bernard Squarcini, l’ex-patron
de la direction centrale du
renseignement intérieur. La
procédure, ouverte notam-
ment pour trafic d’influence,
porte désormais aussi sur des
faits de « vol » et de « recel de
vol » après une plainte de
François Ruffin, député LFI de
la Somme, et du journal Fakir
(fondé par celui-ci), a-t-on ap-
pris, dimanche, de source pro-
che du dossier, confirmant
des informations de L’Obs
et de Mediapart. – (AFP.)
« C’est vrai
qu’on a arrêté
l’hémorragie
avec sa ligne »
PATRICK KANNER
président du groupe
socialiste au Sénat
des socialistes devenus inau-
dibles. Le « camarade Olivier »
prend d’abord le temps de solder
le quinquennat Hollande dans
un inventaire public sévère en
janvier 2019. Puis fait désigner
Raphaël Glucksmann, un non-
socialiste, intellectuel connu
mais peu politique, en tête d’une
liste de rassemblement aux élec-
tions européennes.
« Le droit d’y croire »
Le piètre résultat – 6,3 % et cinq
eurodéputés élus, dont seule-
ment deux socialistes – fait tiquer
les vieux caciques, qui commen-
cent à donner de la voix, accusant
le chef du parti de « baisser le ri-
deau et d’éteindre la lumière ». Le
patron du PS a cependant un
atout : la base militante qui ap-
plaudit à sa volonté de rénova-
tion, soulagée de pouvoir de nou-
veau faire campagne sans être
conspuée. Il continue donc à prê-
cher l’unité et entame un travail
de réflexion interne en audition-
nant intellectuels et chercheurs.
Les contacts sont renoués avec
les autres forces de gauche et les
écologistes. Les batailles commu-
nes contre la privatisation d’ADP
(ex-Aéroports de Paris) puis con-
tre la réforme des retraites redon-
nent au PS un peu de crédibilité
aux yeux de ses partenaires. La
préparation des municipales sera
son crash-test, le moment de
prouver que le PS en a fini avec ses
pratiques hégémonistes, comme
il ne cesse de le clamer. Olivier
Faure pousse donc aux listes
communes, enjoint les candidats
socialistes à se ranger derrière
Europe Ecologie-Les Verts (EELV)
dans des villes comme Besançon,
Bordeaux, Marseille, Tours.
Même si les écologistes, de leur
côté, continuent à défier le PS
dans ses bastions. Résultat : au
soir du premier tour, le rapport de
forces s’équilibre. Et le 28 juin, le
EELV veut réunir son camp autour de l’écologie
Après le succès aux municipales, les écologistes visent les élections régionales de 2021 et la présidentielle de 2022
A
près l’euphorie, les éco-
logistes planifient la
suite de leur calendrier
politique. Alors que les conseils
municipaux des villes qu’ils ont
gagnées se sont réunis ces der-
niers jours pour élire leurs mai-
res, les dirigeants d’Europe Eco-
logie-Les Verts (EELV) ont dé-
roulé leur stratégie des pro-
chains mois, lors d’un conseil
fédéral par visioconférence, sa-
medi 11 juillet. Avec une volonté
affichée que la séquence de l’été
soit d’abord celle du rassemble-
ment des leurs, mais en laissant
une ouverture à gauche.
La satisfaction se lisait dans
tous les regards quand le secré-
taire national du parti, Julien
Bayou, a pris la parole pour dessi-
ner leur avenir. Dans la séquence
qui s’achève, les écologistes se
sont aussi montrés capables de
nouer des alliances victorieuses.
Fini, les vaches maigres et les
combats nobles mais solitaires :
ils peuvent désormais parler
d’égal à égal avec les autres forces
politiques, notamment le Parti
socialiste (PS). Egrenant une nou-
velle fois la liste des métropoles
La maire de Marseille, Michèle Rubirola, avec les leaders d’EELV et du PS, Julien Bayou et Olivier Faure, le 22 juin. FRANCE KEYSER POUR «LE MONDE»
député de Seine-et-Marne peut se
targuer d’avoir non seulement ar-
rêté l’hémorragie, mais même
d’avoir redonné de l’air aux socia-
listes, en gardant toutes leurs
grandes villes (sauf Poitiers, rem-
portée par EELV), et en en gagnant
de nouvelles. « Cela nous a donné
le droit de continuer à jouer et d’y
croire », sourit un cadre.
Coudées franches
En interne, les critiques se sont
tues. La plupart des élus suivent
le député, comprenant que la
survie du PS passe par sa ligne.
« Tout le monde est convaincu
que l’union est la seule option
possible », reconnaît Valérie Ra-
bault, présidente du groupe PS à
l’Assemblée, qui n’a pas été tou-
jours tendre avec son collègue.
Même Patrick Kanner, farouche
partisan de l’affirmation socia-
liste, est obligé d’en convenir :
« D’abord,
on rassemble
son camp pour
être le plus lisible
possible,
et ensuite
on ouvre »
DAVID CORMAND
député (EELV) européen
tout comme celle des petites vil-
les gagnées le 28 juin, Julien
Bayou a répété qu’il s’agissait
d’un jour « historique ». « C’est
l’écologie des villes et des champs
qui a gagné, et une responsabilité
pèse sur notre mouvement », a
lancé le quadragénaire. Il s’agit
dorénavant de compter sur cha-
que élection pour affirmer leurs
idées, a-t-il expliqué.
Premier objectif, le scrutin ré-
gional, programmé pour 2021. Fi-
dèle à sa stratégie d’autonomie,
EELV veut réussir à conquérir des
régions. « C’est la voie pour passer
du contre-pouvoir à l’exercice du
« C’est vrai qu’on a arrêté l’hémor-
ragie avec sa ligne », lâche le pa-
tron des sénateurs socialistes.
Ses alliés sont presque admira-
tifs. « Olivier Faure a fait un très
gros travail depuis qu’il a récupéré
un parti qui n’était plus audible. Il
en a refait patiemment les bases
avec une ligne crédible », remar-
que David Cormand, député vert
européen et ancien secrétaire na-
tional d’EELV. « Il a une vraie vo-
lonté de reconstruire la gauche
sur des bases saines. Et il a réalisé
des progrès énormes sur la ques-
tion environnementale », souli-
gne de son côté Sophie Taillé-Po-
lian, coordonnatrice de Généra-
tion.s. Les préventions ne sont
cependant pas toutes levées et sa
proposition d’université d’été
commune entre toutes les diffé-
rentes forces n’a pas trouvé écho.
Les écologistes entendent bien
garder leur autonomie et prépa-
pouvoir », a insisté M. Bayou.
Ajoutant : « Nous ne le ferons pas
seuls, mais c’est à nous d’initier le
chantier. » Le message est clair :
après avoir montré leur capacité à
prendre des municipalités à la
droite, le parti entend faire la dé-
monstration que cet ancrage lo-
cal lui permettra d’arracher des
conseils régionaux. Cette étape
est indispensable pour asseoir la
« centralité » de l’écologie comme
projet politique.
La crainte du « baiser qui tue »
Pas question pour le moment,
donc, de répondre à l’invitation du
PS de sceller, au plus vite, des al-
liances pour le scrutin à venir. Ce
seront les instances régionales du
mouvement qui se décideront, et
il y a fort à parier qu’elles voudront
des listes écolos au premier tour :
« Nos critères seront de voir les prio-
rités, comme la centralité du climat
et le zéro artificialisation des sols »,
précise Julien Bayou.
Viendra ensuite le temps de la
présidentielle, en 2022. Devant les
piques échangées par Yannick
Jadot, candidat déclaré, et Eric
Piolle, le maire de Grenoble, qui
« Faure a bien
joué. Même si le
PS est déclassé,
il est à nouveau
une force
qui compte »
RÉMI LEFEBVRE
politiste
rer seuls les prochaines régiona-
les. Le numéro un du PS se sent
pourtant les coudées franches.
Ces derniers jours, il a poussé,
l’air de rien, un peu plus loin sa
proposition de candidature uni-
taire à la présidentielle, se disant
« prêt » à se ranger derrière « celui
qui incarnera la social-écologie »,
quelle que soit son « origine » po-
litique. En clair, cela pourrait être
ne cache plus ses envies, le secré-
taire national a rappelé que le
choix de leur candidat passerait
par une primaire, dont les moda-
lités seront discutées par les ad-
hérents. « Aucune ambition indivi-
duelle ne peut s’épanouir sans un
cadre d’ambition collective », a
rappelé le numéro un des Verts.
Le cap est donc fixé, il faut le te-
nir sans se précipiter dans les coa-
litions et les initiatives qui rappel-
lent trop la gauche plurielle, a fait
comprendre la direction. Les éco-
logistes craignent en effet « le bai-
ser qui tue des injonctions unitai-
res », selon l’expression de l’un
des leurs : s’allier dès maintenant,
comme le souhaitent les socialis-
tes, serait avouer qu’ils ne sont
pas capables de gagner seuls une
région. « D’abord, on rassemble
son camp pour être le plus lisible
possible, et ensuite on ouvre », se-
lon David Cormand, député euro-
péen, qui rappelle la maxime mit-
terrandienne. « Le temps où nous
sommes derrière les autres est fini.
Nous avons la volonté de présen-
ter un projet dont le cœur est le pa-
radigme écolo. Aux autres forces
politiques de déterminer s’ils nous
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
un candidat d’EELV. « Je ne sais
pas qui ce sera et je m’en fous : il se
dégagera quand quelqu’un appa-
raîtra comme plus évident que
d’autres. Mais ce doit être sur une
plate-forme commune, discutée et
travaillée ensemble. On ne peut
pas avoir créé un espoir et dire
maintenant “on n’y arrivera
pas” », répète-t-il.
Le congrès du PS, qui se profile à
la fin de l’année, ne devrait guère
le contrarier. « Faure a bien joué.
Même si le PS est déclassé, il est à
nouveau une force qui compte »,
remarque le politiste Rémi Lefeb-
vre. Ses opposants le savent et
ceux qui osent le contester, tels
Luc Carvounas, député du Val-de-
Marne, et Rachid Temal, sénateur
du Val-d’Oise, semblent bien iso-
lés. Un proche confie : « Ce n’est
pas tous les jours qu’on prend du
plaisir au PS, alors on savoure. » p
sylvia zappi
rejoignent ou pas », appuie Sandra
Regol, numéro 2 d’EELV. En clair :
c’est au PS de faire mouvement,
pas l’inverse.
La proposition d’organiser une
université commune, faite par le
premier secrétaire socialiste, Oli-
vier Faure, est donc prématurée.
Cela n’empêche pas EELV de se
montrer unitaire, à condition que
le socle soit le leur. C’est le sens de
l’annonce que le secrétaire natio-
nal a faite devant le conseil fédé-
ral : les journées d’été d’EELV, qui
auront lieu à Pantin (Seine-Saint-
Denis) du 20 au 22 août, seront
coorganisées par plusieurs petites
structures écologistes – l’Alliance
écologiste indépendante, Généra-
tion écologie, Cap 21 et le Mouve-
ment des progressistes –, mais
aussi par Génération.s. Si les initia-
tives communes avec les premiers
avaient commencé après les élec-
tions européennes, l’ouverture au
mouvement créé par Benoît Ha-
mon est une première. Une ma-
nière de se placer au centre du
nouvel espace politique pour 2022
et de montrer qu’EELV sait donner
des signes à gauche. p
s. z.

0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
Covid-19 : laisser les enfants aux
grands-parents, un vrai dilemme
Le choix de solliciter les aînés alors qu’ils sont vulnérables face au virus
est devenu une source de stress et d’âpres négociations dans les familles
L D
a question tiraille des
milliers de parents de-
puis des semaines : peu-
vent-ils confier leurs en-
fants aux grands-parents pen-
dant les vacances d’été malgré les
risques liés au coronavirus ? Pen-
dant le confinement, les consi-
gnes étaient claires : pas de re-
groupement, pas de contact. Les
personnes âgées, les plus à risque
face au Covid-19 – neuf person-
nes sur dix qui en meurent ont
plus de 65 ans –, étaient priées
d’observer un isolement strict.
Depuis le déconfinement, et
alors qu’une deuxième vague
épidémique menace, le risque lié
aux retrouvailles repose sur le
choix et la responsabilité de cha-
cun. Alors que les vacances sco-
laires ont commencé, le di-
lemme est devenu plus pressant :
de nombreux parents ont en ef-
fet l’habitude de compter sur ce
mode de garde, plébiscité car
jugé fiable et gratuit.
« La crise sanitaire révèle le rôle
fondamental mais souvent invisi-
ble que jouent les grands-parents
dans le fonctionnement économi-
que d’un pays », souligne Corne-
lia Hummel, sociologue et mem-
bre de l’Institut de recherches so-
ciologiques (IRS) de l’université
de Genève. Selon une enquête de
la direction de la recherche, des
études, de l’évaluation et des sta-
tistiques (Drees) réalisée en 2013,
49 % des enfants de moins de six
ans sont ainsi gardés par leurs
grands-parents pendant les va-
cances ou les week-ends.
L’épidémie de Covid-19 vient
bousculer ces pratiques. La peur
de la mort, diffuse, a semé la mé-
fiance au cœur même de l’inti-
mité familiale, perçue d’ordinaire
comme un lieu sûr et de récon-
fort. Pauline Colin, employée
dans l’enseignement supérieur,
se souvient de la réaction de sa
mère, à la santé fragile, lorsqu’elle
a revu ses petits-enfants pour la
première fois après le confine-
ment : « Elle était déchirée entre la
joie de nous voir et la peur. Elle
La nomination d’Eric Dupond-Moretti
à la justice passe mal chez les magistrats
Le procureur de Basse-Terre, à la Guadeloupe, Jean-Luc Lennon, ne « souhaite pas travailler
sous l’autorité » du nouveau ministre. Il a demandé à être déchargé de ses fonctions
L a nomination, lundi
6 juillet, d’Eric Dupond-
Moretti au poste de minis-
tre de la justice a provoqué un
très vif émoi dans la magistra-
ture, allant jusqu’à pousser
l’Union syndicale des magistrats
(USM) à parler de « déclaration de
guerre ». Pour la première fois
depuis l’arrivée de l’ancien avo-
cat à l’hôtel de Bourvallais, cet
émoi s’est exprimé de façon plus
concrète.
Le procureur de la République
de Basse-Terre, à la Guadeloupe,
Jean-Luc Lennon, 55 ans, a fait
part dès le 7 juillet à sa supé-
rieure hiérarchique, la procu-
reure générale de la République
de Basse-Terre, de son souhait
d’être déchargé de ses fonctions.
Il a ensuite informé la direction
des services judiciaires de son
souhait. Une démarche prévue
par les textes encadrant les car-
rières de procureurs et qui ne
nécessite pas d’être justifiée.
Contacté, M. Lennon a confirmé
les informations du Monde. Inter-
tremblait. J’ai cru qu’elle allait tom-
ber dans les pommes. » Alors,
avant de choisir si elle allait lui
confier ses enfants cet été, elle a
« mouliné pendant tout le mois de
juin », à n’en plus dormir la nuit.
Et puis, après discussion avec
ses frères, l’épidémie se tassant,
et le rôle contaminant des en-
fants étant revu à la baisse, elle a
fini par trancher : c’est oui. « Mes
parents ont récupéré ma fille et
mon fils. Ma mère est super heu-
reuse. Avec mon père, ils ont mal
vécu le fait d’être éloignés, et pour
mes enfants, il était inconcevable
de ne pas les voir. »
« C’est culpabilisant »
L’insouciance des étés précé-
dents a toutefois disparu. Quand
elle a déposé ses enfants, Pauline
avait en tête les spots publicitai-
res diffusés par le ministère de la
santé, mettant en scène une
grand-mère et son petit-fils mas-
qués, et ce slogan, martelé d’une
voix grave : « Le virus circule tou-
jours. Quand on aime ses proches,
on ne s’approche pas trop. » « On a
entendu ça partout à la télé et à la
radio. Ça fait peur et c’est culpabi-
lisant, reconnaît la jeune femme.
On se dit que, potentiellement,
l’enfant peut tuer. »
Lui-même inquiet à l’idée de
contaminer ses grands-parents,
son fils, âgé de 9 ans, a tourné la
tête quand son grand-père s’est
avancé vers lui pour l’embrasser.
Trois jours plus tôt, sa fille de
6 ans était, elle aussi, tracassée :
« Maman, tu es sûre qu’on va chez
Des grands-
parents
revendiquent
leur liberté
de choix
et dénoncent
une forme
d’infantilisation
rogé sur les raisons de son choix,
celui-ci a simplement indiqué
que sa demande de décharge de
fonction « est directement liée à la
nomination de M. Dupond-Mo-
retti au poste de garde des sceaux
et à l’inquiétude que je ressens sur
l’indépendance du parquet que je
vois s’éloigner ». Il a précisé qu’il
n’avait « aucune casquette syndi-
cale » et que sa démarche, « tout à
fait personnelle », « pouvait s’ap-
parenter à la clause de conscience
dont peuvent bénéficier les jour-
nalistes ». « Je ne souhaite pas tra-
vailler sous l’autorité de M. Du-
pond-Moretti », a-t-il ajouté.
Ancien policier
L’Union syndicale des magistrats,
principale organisation représen-
tant les juges, voit dans cette déci-
sion « le témoignage d’une forte
inquiétude dans la profession »,
qui s’exprime en raison de décla-
rations passées d’Eric Dupond-
Moretti « contre une partie des
personnels qui relèvent désormais
de son autorité ».
papi et mamie ? Parce que si on y
va, on risque de leur transmettre
le coronavirus. » Depuis le début
des vacances, c’est elle qui rap-
pelle ses grands-parents à l’ordre
quand ils oublient les gestes bar-
rières dans un élan d’affection.
D’autres familles ont quant à
elles décidé de baisser la garde.
« On a eu une grande discussion
avec les grands-parents pour sa-
voir s’ils avaient le droit de faire
des câlins et des bisous. Tous ont
répondu qu’il était inenvisagea-
ble de les garder sans avoir de con-
tacts », témoigne une mère.
La question de confier ou non
les petits-enfants aux aînés cet
été fait parfois l’objet d’âpres né-
gociations entre les générations.
Les médecins sont consultés, les
recommandations sanitaires
étudiées, les arguments des uns
et des autres longuement soupe-
sés. Des grands-parents hésitent,
craignant pour leur santé.
D’autres insistent pour voir leur
descendance après ces longs
mois de séparation, revendi-
quent leur liberté de choix, et dé-
noncent une forme d’infantilisa-
tion lorsque leurs enfants, sou-
cieux de les protéger, se mon-
trent récalcitrants.
« Mon père coche toutes les ca-
ses concernant les risques, mais il
a l’impression d’être entravé dans
sa liberté, soupire Laëtitia (le pré-
nom a été changé), urbaniste. Il
est un peu contestataire dans
l’âme, c’est la génération Mai 68. »
Après de longues tergiversa-
tions, elle s’est résignée à ne pas
lui confier la garde de ses en-
fants. Un choix douloureux. « Je
ne suis pas certaine d’avoir pris la
bonne décision, mais je ne veux
pas être responsable d’une conta-
mination », dit-elle. A la place, les
enfants iront quatre semaines en
centre de loisirs. Encore faut-il
pouvoir bénéficier de cette alter-
native. Ceux qui n’ont pas eu de
place dans ces structures et les
foyers modestes n’auront sou-
vent d’autre choix que de sollici-
ter les grands-parents.
Toutefois, si les démarches que
Jean-Luc Lennon a entamées
auprès de la direction des
services judiciaires devaient être
suivies d’effet, le magistrat
retournerait alors dans un
premier temps au parquet
général de Basse-Terre, qui est,
lui aussi, placé sous l’autorité
hiérarchique du ministre de la
justice. S’agit-il d’une première
étape avant une éventuelle
mise en disponibilité ou un pas-
sage vers le siège où les magis-
trats sont statutairement
indépendants ?
L’Union syndicale
des magistrats
y voit
« le témoignage
d’une forte
inquiétude dans
la profession »
Le souci de protéger les person-
nes âgées de la maladie et les
choix qui en découlent instau-
rent une hiérarchie au sein
même des familles. L’âge et l’état
de santé de chacun sont passés
au crible. Tel grand-père, atteint
d’un cancer, se voit refuser la
possibilité de voir ses petits-en-
fants cet été. Tel autre, plus ro-
buste, obtient un feu vert.
« Poches d’isolement »
« Cela crée un ordre de priorité. La
crise du Covid favorise les rela-
tions entre proches qui vont plu-
tôt bien, et éloigne ceux qui ont
des problèmes de santé, qu’on va
voir moins souvent », relève Fran-
çoise Le Borgne-Uguen, profes-
seure de sociologie à l’université
de Bretagne occidentale, à Brest
(Finistère). Non seulement la
pandémie crée des « seuils
d’âge », mais elle renforce aussi le
sentiment de « relégation et d’in-
visibilisation » des personnes
âgées. « Des poches d’isolement
sont en train de s’installer », cons-
tate la sociologue. Avec l’impres-
sion, chez ces aînés, d’être dé-
nués de toute utilité sociale.
C’est justement pour éviter que
ses parents se retrouvent seuls et
déprimés que Véronique Parisot,
une mère de famille installée à
Bièvres (Essonne), a choisi de
leur laisser ses trois enfants, avec
l’aval du cancérologue de son
père, en pleine chimiothérapie.
« On se dit que c’est important
pour son moral, et qu’il faut pren-
dre tout ce qu’il y a à prendre tant
que c’est encore possible. »
Elle reconnaît que, pour elle
aussi, cette décision a été un « im-
mense soulagement » après des
semaines épuisantes à jongler
entre les enfants, l’école à la mai-
son et le télétravail : « Je suis arri-
vée lundi au bureau en me disant :
ça y est, les vacances commen-
cent ! » Elle espère désormais
qu’il ne s’agit pas d’une simple
trêve estivale avant une
deuxième vague. p
faustine vincent
Avant d’être nommé procureur
de la République de Basse-Terre
en 2019, le magistrat Jean-Luc
Lennon avait été notamment
procureur de la République de
Lons-le-Saunier (Jura). Un poste
où il avait croisé l’avocat
Dupond-Moretti lors d’un procès
d’assises. M. Lennon, ancien po-
licier, avait aussi été auparavant
en poste à Bastia comme procu-
reur adjoint.
La chancellerie précise auprès
du Monde que le ministre « rece-
vra prochainement les organisa-
tions représentatives des magis-
trats afin d’engager un dialogue
constructif et apaisé ».
A l’occasion de son premier
discours de ministre, lors de la
passation des pouvoirs avec
Nicole Belloubet, mardi 7 juillet,
Eric Dupond-Moretti avait af-
firmé qu’il voulait être le « gar-
de des sceaux du dialogue ».
Avec au moins un procureur de
la République, celui-ci paraît
déjà rompu. p
simon piel
A la rentrée, la priorité sera
de réduire les inégalités
de niveau entre élèves
Tests du CP à la 3e, heures supplémentaires
en mathématiques et en français… les élèves
en difficulté seront particulièrement suivis
ans quelles conditions se
passera la rentrée ? Au
terme d’une année
scolaire perturbée par la crise due
au Covid-19, la traditionnelle cir-
culaire de rentrée a été mise en li-
gne, vendredi 10 juillet, sur le site
du ministère de l’éducation
nationale. Le texte détaille cette
année la politique de « consolida-
tion » des apprentissages et de ré-
duction des écarts de niveau
après la crise sanitaire, annoncée
depuis plusieurs semaines par
Jean-Michel Blanquer, le ministre
de l’éducation nationale. Selon les
chiffres officiels, 4 % des élèves
– soit 500 000 enfants et adoles-
cents – auraient « décroché » pen-
dant la période du confinement.
Pour « identifier les besoins des
élèves et y remédier », une batterie
de tests sera possible à différents
niveaux de la scolarité. Outre
ceux déjà existants en CP, CE1, 6e
et 2de, les enseignants disposeront
« d’outils de positionnement » du
CP à la 3e. Ils doivent servir à
identifier les écarts et organiser
un soutien adapté. En 6e, un test
de « fluence » – qui évalue la rapi-
dité de lecture – sera ajouté aux
évaluations existantes, et pro-
posé à tous les élèves « dans les
premiers jours de l’année ».
Des dispositions sont prévues
pour ceux qui révéleraient des
difficultés à lire ou à calculer à
l’entrée au collège. Ils pourront
bénéficier d’un accompagne-
ment personnalisé ou même
d’un renforcement des heures de
lecture, écriture ou calcul, jusqu’à
cinq heures par semaine « en pe-
tits groupes » sur les vingt-
six heures d’enseignement
obligatoire. Ces heures de renfor-
cement doivent « diminuer » à
mesure que les difficultés se ré-
sorbent, précise le texte.
Un « effort inédit »
Le début d’année devra être con-
sacré à la « consolidation » des ap-
prentissages pour « réduire les
éventuels écarts constatés entre la
rentrée et les vacances de la Tous-
saint ». Les enseignants sont invi-
tés à s’assurer que les compéten-
ces de l’année précédentes sont
acquises. L’éducation nationale a
mis en ligne des fiches « d’objec-
tifs pédagogiques » du CP à la 3e,
avec des « priorités » en français et
en mathématiques pour la pé-
riode de septembre à octobre.
A l’école primaire, les heures
« d’activités pédagogiques com-
plémentaires » doivent être desti-
nées « en priorité aux élèves qui
maîtrisent le moins les compéten-
ces de l’année précédente ». Au ly-
MI GRANTS
A Calais, une cellule
franco-britannique
de renseignements
Le ministre de l’intérieur,
Gérald Darmanin, a signé,
dimanche 12 juillet à Calais
(Pas-de-Calais), avec son
homologue britannique, Priti
Patel, une convention créant
une cellule franco-britanni-
que de renseignement dans
la lutte contre les passeurs de
migrants. « Pour la première
fois, six policiers britanniques
puis six policiers français, à
Coquelles, pourront travailler
en amont sur la lutte contre
les passeurs », a affirmé le mi-
nistre. Cette convention « per-
mettra à nos services respec-
tifs de partager de manière
opérationnelle les informa-
tions qu’ils détiennent,
en particulier sur les filières de
passeurs », a précisé Gérald
Darmanin sur Twitter. – (AFP.)
france | 11
En 6e, un test
de « fluence »
– qui évalue
la rapidité
de lecture –
sera ajouté
aux évaluations
existantes
cée, les enseignants sont invités à
organiser un « accompagnement
renforcé » dans les disciplines de
spécialité que les élèves ont gar-
dées entre la 1re et la terminale.
Pour financer l’aide particulière
apportée aux élèves en cette ren-
trée, le ministère annonce un « ef-
fort inédit » de 1,5 million d’heures
supplémentaires pour les ensei-
gnants et 130 000 heures pour les
assistants d’éducation, en général
mis à contribution dans l’aide
aux devoirs (dispositif « Devoirs
faits »). Des heures qui seront
« vite écoulées », prévient Sophie
Venetitay, du SNES-FSU. « La circu-
laire n’est pas très claire sur ce qui
sera pris dans ces heures supplé-
mentaires, précise-t-elle. Les heu-
res d’orientation, l’accompagne-
ment personnalisé, le renforce-
ment en spécialité au lycée… Cela
fait beaucoup. »
Différentes marches à suivre
En revanche, la circulaire de ren-
trée ne donne pas le détail des
« scénarios » sanitaires à suivre
en cas de reprise épidémique. Le
texte rappelle simplement les
consignes d’hygiène qui seront
toujours en vigueur : « gestes
barrières, hygiène des mains, port
du masque pour les adultes et les
élèves de plus de 11 ans lorsque les
règles de distanciation ne peuvent
être respectées dans les espaces
clos ainsi que dans les transports
scolaires, nettoyage et aération
des locaux ». Le déplacement des
enseignants d’une classe à
l’autre, plutôt que des élèves,
reste conseillé.
Un « plan de continuité pédago-
gique », dans l’hypothèse d’une
seconde vague, devrait être mis
en ligne « dans les prochains
jours », précise la circulaire. Ce
document devrait détailler les
différentes marches à suivre à
l’école et dans la mise en place de
l’enseignement à distance, « en
fonction d’une circulation plus ou
moins haute du virus », précise-
t-on au ministère de l’éducation
nationale. p
violaine morin
FAI T DI VE RS
Lyon : un homme blessé
par balle en menaçant
la police avec une hache
Un homme, « connu pour
des troubles psychiatriques »,
a été légèrement blessé di-
manche 12 juillet à Lyon par
des coups de feu de policiers,
qu’il a menacés avec une ha-
che lors d’un contrôle rou-
tier, a indiqué le parquet de
la ville. Ce dernier a ouvert
deux enquêtes : la première
confiée à la sûreté du Rhône
pour « tentative d’homicide
volontaire sur personnes dé-
positaires de l’autorité publi-
que, refus d’obtempérer
aggravé et port d’arme prohi-
bée » ; la seconde confiée
à l’inspection générale
de la police nationale (IGPN),
« comme il est d’usage, sur les
conditions et circonstances
de l’usage de leurs armes par
les policiers ». – (AFP.)
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
12 |
Disneyland Paris, le royaume désenchanté
Fermé depuis quatre mois, le parc d’attractions, en difficulté financière, rouvre ses portes mercredi 15 juillet
S
i Disneyland Paris espère
survivre à la crise liée au
Covid-19, il trouvera dans
son histoire matière à ré-
confort : en 1918, un adolescent de
Chicago prénommé Walt Disney
tomba malade de la grippe espa-
gnole. Il en réchappa après un
traitement à la quinine et put em-
brasser une carrière prometteuse
de dessinateur.
Un siècle plus tard, la division
parcs d’attractions de l’empire
Walt Disney a été durement frap-
pée par la crise sanitaire. A la fin
mars, alors que ses quatorze parcs
n’étaient fermés que depuis quel-
ques semaines, le groupe évaluait
la perte de revenus à un milliard
de dollars (environ 885 millions
d’euros). Si la filiale française
garde jalousement le secret sur
ses chiffres, chaque jour de ferme-
ture équivaut à plusieurs millions
d’euros de recettes envolés.
Mercredi 15 juillet, une semaine
après les parcs floridiens – rou-
verts malgré la résurgence de la
pandémie –, les deux parcs de
Disneyland Paris pourront à nou-
veau accueillir les amateurs de
Mickey et du looping vertical, né-
cessairement masqués. Redresser
la barre prendra du temps. En rai-
son des règles de distanciation
physique, seule une fraction des
80 000 personnes qui visitent les
parcs chaque jour au plus fort de
l’année, en été ou à Noël, pourra y
pénétrer (24 000, selon les syndi-
cats). Le groupe ne donne pas d’in-
dications sur la reprise des réser-
vations. Mais, souffle une source
syndicale, « c’est mal parti ».
Crainte d’un plan social
La clientèle française, qui est sus-
ceptible de revenir le plus rapide-
ment, comptait pour 44 %
en 2016. Toutefois, elle est moins
dépensière dans les hôtels et res-
taurants que les étrangers. Dans
un premier temps, un seul des six
hôtels de Disneyland sera ouvert.
« On a peu de visibilité », com-
mente l’entreprise.
En manque de liquidités,
Disneyland Paris a procédé, fin
Le parc
d’attractions
Disneyland
Paris,
à Marne-
la-Vallée
(Seine-et-
Marne),
le 9 juillet.
CHARLES
PLATIAU/REUTERS
mai, à une augmentation de capi-
tal d’un montant de 350 millions
d’euros, souscrite par sa maison
mère américaine. Malgré cet ap-
port, la direction a présenté aux
représentations syndicales, mer-
credi 8 juillet, une situation finan-
cière très dégradée.
Après une négociation qui a
duré plusieurs semaines, trois or-
ganisations syndicales ont validé
un avenant valable deux ans sur
la flexibilité du temps de travail
pour les salariés, une réduction
du nombre de RTT pour les ca-
dres et une baisse de rémunéra-
tion de 30 % pour les vice-prési-
dents du groupe.
Objectif avoué : garantir le
maintien dans l’emploi des quel-
que 15 000 salariés en CDI, qui
font de Disney le premier em-
ployeur monosite en France.
« Beaucoup d’employés ont
trente ans d’entreprise et n’ont ja-
mais travaillé ailleurs, expose Dja-
mila Ouaz, délégué CFDT (majori-
taire), qui a passé vingt-six ans
chez Disney. Derrière ces CDI, il y a
des familles entières. On devait
faire ce sacrifice pour les sauver. »
La crainte d’un plan social est
dans tous les esprits, même si
aucun n’a été entrepris depuis
1993 – à peine un an après l’ouver-
ture du parc –, malgré de nom-
breuses déconvenues financiè-
res. « On n’a aucun engagement
sur l’emploi, déplore Ahmed
Masrour, délégué UNSA. Mieux
aurait valu négocier un accord de
performance collective pour obte-
nir des garanties. La direction
laisse entendre que d’autres mesu-
res pourraient être prises si la si-
tuation financière ne s’améliorait
pas. » Interrogé sur cette hypo-
thèse, le directeur des ressources
humaines de Disneyland Paris,
Guillaume Da Cunha, laisse pla-
ner un long silence. Avant de lâ-
cher : « Alors… On n’a pas du tout
communiqué sur un éventuel plan
social. Tous les efforts sont focali-
sés sur la réouverture. »
Baisse annoncée de l’activité
Dans l’immédiat, l’impact de la
crise sur l’emploi a été faible.
Après avoir envisagé de se séparer
des intermittents engagés pour
les spectacles, le parc a tenu ses
promesses d’embauche et mis
CDD et intermittents au chômage
partiel. « Nous y tenions », souli-
gne M. Da Cunha. Le geste n’a pas
coûté trop cher : l’Etat prend en
charge l’indemnité et, mi-avril,
Disney a cessé de compenser la
perte de salaire pour les em-
ployés. La quasi-totalité des CDD
resteront au chômage partiel jus-
qu’à la fin de l’été.
La baisse annoncée de l’activité
empêche en revanche le recrute-
ment des saisonniers et des CDD
pour surcroît d’activité – au nom-
bre de 5 000 au total chaque an-
née. « Pour nous, c’est une catas-
trophe, explique Maria Ferreira,
directrice de la mission locale
Boucles de la Marne, qui s’occupe
de l’insertion des moins de 25 ans.
Normalement, nos jeunes tra-
vaillent sur le parc deux mois l’été.
Pour beaucoup d’étudiants, ce
sont des économies pour l’année. »
Jusqu’au 15 mars, la mission lo-
cale recevait de Disney deux of-
fres de recrutement par jour. De-
puis, pas une. « Ah si, une seule :
quatre jeunes pour l’entretien des
espaces verts », se reprend aussi-
tôt la directrice.
Disneyland revendique 500 mé-
tiers, qui couvrent un large panel
de qualifications, du non-di-
plômé au bac + 5. « Du balayeur au
responsable RH, on trouve de tout :
Disney, c’est vraiment un pays »,
relève Mme Ferreira. Autant d’op-
portunités pour les jeunes du ter-
ritoire, notamment les apprentis,
même si Disney recrute aussi
ailleurs en France et en Europe.
« A la rentrée, je m’attends au pire…
C’est que le poids de Disney, par
chez nous, est énorme ! »
Une notule apparaissant sur le
site Internet de la communauté
d’agglomération de Val d’Europe
conte ainsi l’histoire du terri-
toire : « Il y a trente ans, cette terre
de Brie, constituée de 5 villages, ne
comptait que 4 000 habitants. La
convention – acte fondateur du
territoire, signé le 24 mars 1987
entre l’Etat, la Walt Disney Com-
pany, le département de Seine-et-
Marne et la région – a changé la
donne à tout jamais… »
Au milieu des champs, le châ-
teau de la Belle au bois dormant
n’a pas poussé seul. Des milliers
de logements et d’emplois sont
sortis de terre avec lui, dynami-
sant un territoire en sommeil.
Sous la forme d’un partenariat
public-privé inédit, grâce auquel
l’Etat a acquis, viabilisé et réservé
à Disney 2 230 hectares de terres
agricoles, le géant du divertisse-
ment s’est mué en aménageur du
Avec quelque
15 000 salariés
en CDI, Disney
est le premier
employeur
monosite
en France
territoire : outre les parcs à thème,
il devait construire jusqu’en 2030
des hôtels, un golf, plus de 14 000
logements, 600 000 mètres car-
rés de bureaux ou 372 000 mètres
carrés de commerces.
Tout n’a pas vu le jour. Mais l’en-
treprise peut se vanter d’avoir
permis de multiplier par neuf la
population locale (35 200 habi-
tants). Le taux de chômage y était
parmi les plus faibles de France
en 2019 (6,5 %). Selon Disney, l’im-
plantation du parc aurait contri-
bué à créer 56 000 emplois di-
rects, indirects, ou induits, grâce à
l’accroissement de l’activité éco-
nomique autour du site.
« Projet majeur »
Pour le trentième anniversaire de
la convention, en 2017, le prési-
dent François Hollande avait sa-
lué les « retombées pour l’écono-
mie régionale et nationale » de ce
complexe, première destination
touristique d’Europe : « Vous re-
présentez 6,2 % des recettes touris-
tiques de la France. C’est considé-
rable », avait-il insisté. C’est dire
combien la réouverture de ce
géant rassure et inquiète à la fois,
la même question étant sur tou-
tes les lèvres : « Les touristes re-
viendront-ils ? »
« Le tourisme, c’est 85 % de nos
ressources, rappelle Thierry Cerri,
maire de Coupvray et vice-prési-
dent de l’agglomération de Val
d’Europe chargé du tourisme et
de l’emploi. La mise à l’arrêt de
Disney, de Villages Nature [un pe-
tit Center Parcs ouvert à proxi-
mité] ainsi que des centres com-
merciaux Val d’Europe et Vallée
Village, c’est 7 millions d’euros de
pertes pour nous. »
L’élu redoute particulièrement
les conséquences sur la cotisation
sur la valeur ajoutée (CVAE) due
par les entreprises et affectée aux
collectivités territoriales. « Cela
aura un effet sur les sommes qui
nous seront reversées en 2021 et
2022 », observe-t-il, espérant des
compensations de l’Etat. En atten-
dant, il concède « quelques arbi-
trages ». La livraison d’un nou-
veau groupe scolaire dans sa ville
a été reportée à 2021.
L’inquiétude porte aussi sur
l’avenir du projet d’extension an-
noncé par Disneyland Paris pour
2025, avec la création de trois nou-
veaux univers consacrés à Star
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
LES CHIFFRES
15,1 MILLIONS
C’est le nombre de visiteurs ve-
nus à Disneyland Paris, en 2018,
sur les deux parcs, selon l’asso-
ciation professionnelle Themed
Entertainment Association.
43,8 %
C’est l’augmentation du nombre
de salariés, entre 2007
et 2017, dans l’agglomération
de Val d’Europe.
10 000
C’est le nombre de chambres
et d’unités d’hébergement
au sein de l’agglomération
de Val d’Europe.
Wars, à Marvel et à La Reine des
neiges. Un programme de 2 mil-
liards d’euros couplé à la cons-
truction de plus de 1 800 loge-
ments. « L’extension est toujours
programmée. On a toujours con-
fiance dans cet investissement et
la première tranche de travaux est
en cours », maintient-on chez
Disney. « Pour “driver” le succès de
Disneyland Paris, on doit nécessai-
rement passer par ce projet ma-
jeur », insiste M. Da Cunha.
La présidente de la région Ile-de-
France suit la situation de très
près. « On voit Mme Pécresse une
fois par semaine », précise le DRH.
Les acteurs du territoire retien-
nent leur souffle. « Nous avons
maintenu nos dispositifs de for-
mation pour que les demandeurs
d’emploi soient prêts dès qu’il y
aura une reprise. Nous sommes
dans l’attente des perspectives de
Disney pour réagir au plus vite »,
résume Caroline Bacchini, direc-
trice territoriale de Pôle Emploi
en Seine-et-Marne.
Les dix maires de Val d’Europe
devaient se rendre sur le site,
lundi 13 juillet, pour constater les
mesures sanitaires mises en place
et « rassurer tout le monde », dit
Thierry Cerri. La peinture neuve
du manège de Dumbo sera, ce
jour-là, le cadet de leurs soucis. p
clément guillou
et aline leclerc
 économie & entreprise | 13
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020

Dans le Calvados, le malaise

PERTES & PROFITS | UBISOFT
p ar ph ilipp e e sc ande

Management toxique
social des éboueurs de la Coved au pays des jeux vidéo
Le suicide d’un salarié reflète, selon ses collègues, une « gestion inhumaine »
Le paravent est tombé. Depuis ment masculins, à l’égard de leurs

U
ne décision pleine de
bon sens. » Voilà com-
ment la CGT a salué,
jeudi 8 juillet, le choix
de la communauté de communes
Cœur de Nacre (Calvados) de ne
plus confier la collecte des déchets
à la société Coved à partir du
1er janvier 2021. L’examen des ap-
pels d’offres pour ce marché pu-
blic, renouvelé tous les cinq ans,
est intervenu dans un contexte
tendu dans plusieurs dépôts nor-
mands de l’entreprise. Le 5 juin,
l’un de ses éboueurs, Stéphano
Patry, 47 ans, se donnait la mort
chez ses parents, en tenue de tra-
vail. A ses pieds, la lettre de licen-
ciement reçue la veille. La société
lui reprochait son état d’ébriété
pendant une collecte, mi-mai.
Ses collègues ont dénoncé une
décision inique contre un salarié
qui, en vingt-six ans de métier,
« avait toujours bien fait son bou-
lot ». Symbole pour eux d’une
« gestion inhumaine » chez Coved,
qui a remporté plusieurs marchés
locaux de collecte en 2015. Depuis,
25 salariés sur un effectif de 33 ont
quitté l’entreprise, selon les syn-
dicats, un « turnover » signe d’un
« climat délétère ». Les éboueurs
ont fait une première journée de
grève le 19 juin, une seconde le
3 juillet. Le directeur général de
Coved, Stéphane Leterrier, y a vu
« une récupération lamentable, in-
décente et pathétique » du suicide
de M. Patry, évoquant une mani-
Stéphano Patry
s’est donné
la mort le 5 juin
chez ses parents,
en tenue
de travail
pulation des éboueurs par la CGT
et un conflit très localisé.
Mais le 3 juillet, le père et le frère
de Stéphano Patry sont venus
sans hésiter apporter leur soutien
à ses collègues en grève au dépôt
de Giberville. « S’habiller en tenue
pour s’ôter la vie n’est pas anodin.
Ça dit : vous m’avez poussé à bout
et vous en assumerez les consé-
quences », témoigne Pablito Patry,
dont les parents ont porté plainte
contre Coved pour homicide in-
volontaire – ce que confirme au
Monde la procureure de la Répu-
blique de Caen, Amélie Cladière.
« C’est un message pour nous
dire : réveillez-vous, les gars, ne
vous laissez pas faire », estime
également Donovan, rippeur de
24 ans. En 2017, après le rachat de
Coved par la société Paprec, ses
collègues et lui avaient déjà fait
deux semaines de grève. En vain.
Leurs griefs ? Des équipements
de protection qui font défaut, des
véhicules en panne, des tournées
seul derrière la benne plutôt qu’à
deux : « J’ai fait 11 tonnes de dé-
chets seul, hier, à la main. Quand
tu rentres chez toi, le café n’a
même pas le temps de couler que
tu dors déjà ! » décrit Julien, 32 ans.
Et les tournées qui s’allongent :
« Avant, on faisait 5 h-13 h. Mainte-
nant, même en faisant 5 h-15 h, on
n’arrive pas à boucler les secteurs. »
Les riverains déplorent des pou-
belles non ramassées. « Tout ça
avec seulement vingt minutes de
pause, qui, depuis Coved, ne nous
sont même plus payées ! »
« On leur met la pression »
Toute nouvelle société qui rem-
porte un marché public est cen-
sée reprendre les éboueurs aux
mêmes conditions. « Mais c’est
pas le cas », peste Jean-Pierre,
56 ans, qui a tour à tour été em-
ployé par Veolia, Derichebourg,
puis Coved. « Moi, j’ai jamais
bougé, je suis le marché. » Il ra-
conte la subtilité des « petites pri-
mes » qui ne figurent pas toujours
sur le contrat et réduisent la paye
d’un marché à l’autre. Coved
ayant gagné des lots attribués ja-
dis à Veolia et Derichebourg, ses
éboueurs se retrouvent avec des
avantages distincts, selon leur so-
ciété d’origine et qui diffèrent
aussi de ceux des agents Coved
dans le Nord ou en Ile-de-France.
Une entrave au principe fonda-
mental « à travail égal, salaire
égal », que dix éboueurs, dont Sté-
phano Patry, ont contesté devant
le conseil de prud’hommes de
Caen. Le jugement est attendu
pour septembre.
Cette réalité, tous les éboueurs
de France la connaissent à des de-
grés divers. « Tous les cinq ans, ils
doivent se battre pour maintenir
leurs conditions de travail », expli-
que Denis Ferrandino, coordina-
teur national de l’activité déchets
à la CFDT, qui fait le lien avec le tur-
nover dénoncé à Coved. « Ceux qui
ont le plus d’ancienneté, qui coû-
tent le plus cher, on leur met la pres-
sion, on fait en sorte de les dégoûter
pour qu’ils partent d’eux-mêmes. »
Les éboueurs de Coved s’en sont
ouverts aux élus locaux. « Dans les
appels d’offres, les décideurs doi-
vent regarder l’aspect social, pas
que financier », insiste Franck Mé-
rouze, de l’union locale CGT.
Président de Cœur de Nacre,
Thierry Lefort ne lie pas directe-
ment le conflit à la Coved à la perte
de l’appel d’offres, mais précise :
« L’offre retenue nous a paru nette-
ment plus favorable pour fonction-
ner demain dans un climat apaisé
et respectueux des agents comme
des usagers. » Les éboueurs res-
tent prudents. « Il faudra voir com-
ment ça se passe avec Deriche-
bourg », qui a remporté le marché
de Cœur de Nacre. A Coved, les né-
gociations entre la direction et les
agents ont repris jeudi. p
rémi dupré
et aline leclerc
(envoyée spéciale
à giberville, calvados)
des mois, et dans la foulée du
mouvement #metoo, les ru-
meurs et témoignages se succè-
dent sur les pratiques de harcèle-
ment, sexuel et moral, dans le
petit monde du jeu vidéo. Les té-
moignages, de plus en plus nom-
breux sur Twitter, se font de plus
en plus explicites. Parmi les ci-
bles désignées, Ubisoft, cham-
pion français et dans les tout pre-
miers mondiaux du secteur. A
regret, la firme a dû admettre
l’inadmissible : au-delà des cas
isolés et sanctionnés depuis les
premières accusations de la mi-
juin, c’est tout un management,
qualifié de toxique, qui est en
cause. Le PDG, Yves Guillemot, a
choisi, dimanche 12 juillet, de dé-
capiter lui-même la direction de
son entreprise, en se séparant de
son numéro deux et principal
créatif, Serge Hascöet, de sa di-
rectrice des ressources humai-
nes, du patron de la filiale cana-
dienne et de plusieurs de ses
concepteurs vedettes.
Culture du secret
A tel point que l’on est en droit de
se demander comment l’entre-
prise se sortira de cette affaire.
Car les racines de la crise sont
profondes et touchent à la culture
du secteur. Depuis que les jeux
sont en ligne et que chacun peut
se mesurer à des inconnus du
monde entier, les témoignages
déferlent sur le comportement de
beaucoup de joueurs, majoritaire-
homologues féminines. Si le
monde de la tech est un monde
moderne, cool et machiste, celui
des jeux vidéo l’est encore plus.
Par capillarité, cette ambiance
remonte dans des entreprises
dont les créatifs sont tous des
passionnés. Face à ce phéno-
mène, la complaisance des servi-
ces de ressources humaines in-
terroge. Dans le cas d’Ubisoft, les
témoignages, confortés par l’en-
quête de Libération, le 1er juillet,
décrivent une culture du secret
et de l’étouffement. Celles qui se
plaignent sont poussées vers la
sortie. C’est aussi la limite d’une
entreprise restée très familiale,
peu ouverte à la représentation
syndicale et qui préfère laver son
linge sale en famille. Quand on
emploie près de 20 000 person-
nes dans le monde, la direction
des ressources humaines ne peut
se contenter d’être la courroie de
transmission de la direction,
chargée d’éteindre les affaires gê-
nantes pour protéger ses stars.
D’autant que ces dernières,
comme dans le football, sont
conscientes de leur valeur et du
fait que tout leur sera pardonné
pour peu qu’elles apportent le
succès. Tout cela repose pour
l’instant sur des témoignages
anonymes, aucune affaire n’est
portée en justice. Mais ce soulève-
ment et la réaction violente de la
direction de l’entreprise tradui-
sent un malaise bien plus large, et
un devoir d’exemplarité aussi. p

Bulgarie et Croatie font LOG E ME NT

Entre 4 et 5 milliards
d’euros pour le bâtiment
un pas de plus vers l’euro Dans le cadre du futur plan
de relance, entre 4 et 5 mil-
liards d’euros seront affectés
Les deux pays ont intégré le mécanisme au secteur du bâtiment a an-
noncé, dimanche 12 juillet,
de taux de change européen Emmanuelle Wargon, minis-
tre déléguée auprès de la mi-

E
n plein cœur de la crise éco-
nomique liée à la pandé-
mie de Covid-19, alors que
la solidarité européenne est une
nouvelle fois mise à l’épreuve,
c’est un signal politique fort. Ven-
dredi 10 juillet, la Bulgarie et la
Croatie ont intégré le mécanisme
de taux de change européen, dit
MCE II – l’antichambre de l’euro –,
a annoncé la Banque centrale
européenne (BCE).
« Cela confirme l’attractivité
continue de la monnaie unique »,
s’est félicitée la présidente de la
Commission, Ursula von der
Leyen, dans un communiqué. « En
temps de crise, cela envoie un mes-
sage de confiance dans l’euro, que
la Bulgarie et la Croatie seront les
prochains pays à rejoindre », a dé-
claré de son côté Paolo Gentiloni,
le commissaire à l’économie.
Les deux pays devront patienter
au moins deux ans dans ce méca-
nisme, pendant lesquels leur
monnaie devra rester stable dans
une fourchette de fluctuation par
rapport à l’euro. Ils seront tenus
de respecter une série de critères
permettant à leurs économies de
converger avec celle de l’union
monétaire. Leurs banques seront
supervisées par le gendarme ban-
caire de la BCE dès octobre 2020.
« La monnaie bulgare, le lev, est
déjà ancrée à l’euro depuis 1999, et,
avant cela, elle l’était au mark alle-
mand, depuis 1997 », rappelle Eric
Dor, économiste à l’Iéseg, une
école de commerce. Une mesure
prise à l’époque pour endiguer
l’hyperinflation.
Si la Croatie n’a jamais caché son
souhait d’adopter l’euro depuis
son entrée dans l’Union euro-
péenne, en 2013, le premier minis-
tre bulgare, Boïko Borissov, se
montrait réticent il y a quelques
mois encore. La crise sanitaire et
la possibilité de bénéficier des pa-
re-feu propres à l’union moné-
taire ont, semble-t-il, balayé ses
hésitations. « Accueillir ces deux
pays dans l’euro dans un avenir
proche n’est néanmoins guère
opportun », estime Christopher
Dembik, chez Saxo Bank. « Inté-
grer le MCE II ne signifie pas que le
chemin vers la monnaie unique est
en pilote automatique. Les défis
sont encore importants », confir-
ment Valentin Tataru et Trieu
Pham, économistes chez ING,
dans une note publiée le 10 juillet.
« Décision politique »
D’abord, parce que la route de la
convergence est encore longue :
le niveau de richesse par habitant
de la Bulgarie, le plus pauvre des
Etats membres, équivaut à 53 %
seulement de celle de la moyenne
européenne, selon Eurostat, et
celle de la Croatie, à 65 %. Ensuite,
Sofia peine à remplir certains
des critères, tels que celui de la
stabilité des prix, tandis que la
dette publique croate devrait dé-
passer les 80 % du produit inté-
rieur brut (PIB) cette année, loin
de la barre des 60 % en théorie
exigée par le mécanisme.
« Au reste, la décision de les inté-
grer dans l’euro sera politique,
et prendra probablement en com-
pte d’autres aspects : Etat de
droit, solidité des institutions… »,
concluent les économistes d’ING.
Deux points problématiques en
Bulgarie, régulièrement montrée
du doigt pour l’inefficacité de sa
lutte contre la corruption. Hasard
du calendrier : le jour de l’an-
nonce de la BCE, des milliers de
manifestants défilaient dans les
rues de Sofia pour protester
contre le manque d’indépen-
dance de la justice. p
marie charrel
nistre de la transition écolo-
gique, chargée du logement.
« On sera autour de 4 mil-
liards à 5 milliards rien que
pour le bâtiment et la rénova-
tion », a indiqué Mme Wargon
au micro d’Europe1-Les
Echos-CNews, soulignant
que des discussions sur ces
enveloppes étaient en cours
« avec Bercy ». – (AFP.)
F INA NC E
Dette des entreprises :
vers un record en 2020
L’endettement net des entre-
prises va atteindre un « nou-
veau record » cette année,
dans un contexte de réces-
sion qui va faire chuter les bé-
néfices et flux de trésorerie,
prévoit la société de gestion
d’actifs Janus Henderson,
dans une étude publiée lundi
13 juillet. En 2019, les em-
prunts nets (dettes totales
moins liquidités) ont forte-
ment augmenté pour afficher
« le montant record de
8 300 milliards de dollars
[7 329 milliards d’euros] », soit
une hausse de 8,1 % par rap-
port à 2018. Et cette année, ce
montant pourrait encore
augmenter de 1 000 milliards,
selon l’étude. – (AFP.)
É N ER GI E
Le nouveau directeur
général d’Engie
choisi en septembre
Le nouveau directeur général
d’Engie, en remplacement
d’Isabelle Kocher, partie en
février, sera choisi en sep-
tembre, a déclaré Jean-Pierre
Clamadieu, président du con-
seil d’administration de
l’énergéticien français dans
un entretien au Journal du di-
manche du 12 juillet.
14 | économie & entreprise
Les transports publics
en soins intensifs
DOSSIER
I
l en va ainsi des grands bouleverse-
ments de l’histoire : la pandémie de
Covid-19 fait perdre ses repères et
ses certitudes. Directeur de la pros-
pective pour l’opérateur de trans-
port urbain Keolis (filiale de la
SNCF), Eric Chareyron n’échappe pas à la
règle. « Le problème des transports publics
c’est qu’il y a “public” ou “en commun” dans
le nom, lâche-t-il. L’expression “en commun”,
dans une période où on nous martèle qu’il
faut limiter ce qui est en commun, forcé-
ment, ça nous handicape. »
Le transport public ira-t-il jusqu’à se cher-
cher un nouveau nom moins anxiogène ?
La remarque résume en tout cas à quel
point le secteur a été percuté par la crise, re-
mis en question jusque dans ses fonde-
ments. Espaces clos et collectifs par défini-
tion, le train, le métro, le bus, le tramway
sont des victimes toutes désignées de la vi-
gilance sanitaire. « Très vite, le conseil scien-
tifique, qui n’y connaît rien en mobilité, nous
a pointés du doigt comme le lieu de tous les
dangers, se désole un ponte du transport
public. Lors du déconfinement, il fallait les
entendre annoncer le déchaînement incon-
trôlable de la pandémie si on ne limitait pas
l’accès aux réseaux de transport. »
Conséquence, prendre son train ou son bus
aujourd’hui, c’est osciller entre inconfort et
angoisse : inconfort de devoir, deux heures
d’affilée pendant son voyage en TGV,
transpirer sous son masque de protection
obligatoire ; angoisse de côtoyer, dans le RER
matinal, un voisin sans masque (en réalité as-
sez rare) ou avec le masque sous le nez ou
sous le menton (de plus en plus fréquent). Pas
étonnant, dans ces conditions, que le trans-
port en commun ait du mal à faire recette.
Deux mois après la fin, en France, du confi-
nement, le transport public, qu’il soit sur
longue distance ou qu’il relève de la mobilité
du quotidien, n’a toujours pas retrouvé ses
niveaux de fréquentation d’avant-crise.
D’abord oscillant entre 5 % et 10 % du trafic
normal (avec une offre de trains ou de bus
autour de 30 %) pendant le confinement, la
fréquentation dans les réseaux de transport
Finances exsangues, retour limité de la fréquentation…
confronté au renouveau de la voiture et à la progression du
télétravail, le déplacement collectif vit une crise de modèle
urbain a remonté peu à peu la pente. Elle a
stagné autour de 30 % pendant un mois en-
viron après le déconfinement, à cause des
mesures de distanciation physique impo-
sées par l’Etat (obligation de laisser libre un
siège sur deux dans les trams comme dans
les TGV) et alors que l’offre remontait, elle, à
100 % de la capacité.
Sur certains réseaux, elle retrouve début
juillet des niveaux pas loin des 70 %-80 %
(Besançon, Blois, Cherbourg) et alors même
que, dans les villes universitaires, les
étudiants ne sont toujours pas revenus. « En
France, mais aussi en Europe, il est difficile,
Le vélo est-il vraiment l’ennemi du métro ?
la question est un brin provoca-
trice, mais tous ces nouveaux vélos
ne vont-ils pas, à terme, pénaliser
des transports publics déjà bien à la
peine ? Autrement dit, si l’engoue-
ment pour le vélo se confirme, ce
dernier pourrait-il durablement
affecter la trésorerie des opérateurs
de bus, trams et métros ?
Il est encore trop tôt pour effectuer
une analyse fine du comportement
des Français dans les transports de-
puis le déconfinement. Certes, la fré-
quentation des pistes cyclables est
en hausse, la ruée au rayon cycles est
indéniable, et les lignes n’ont pas
retrouvé leur fréquentation d’avant.
En Ile-de-France, elle ne dépasse pas
50 % alors que l’offre est revenue à la
normale. Pour aller dans le même
sens, l’histoire a montré que les
nouveaux adeptes de la bicyclette
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
Lendemain de déconfinement
en gare de Paris-Nord, mardi 12 mai.
CHRISTOPHE RECOURA/FOTORESO
3,59 millions de résidences secondaires en
France (selon l’Insee) ont fait le plein. Et on a
préféré s’y rendre en voiture.
L’automobile – perçue comme une bulle
de protection sanitaire, un cocon mobile –
est d’ailleurs l’une des grandes gagnantes de
la période. Les ventes de voitures aux ména-
ges ont connu un pic historique en juin, bien
aidées par le coup de fouet donné aux bonus
et primes d’Etat : 720 000 véhicules neufs et
d’occasion ont été vendus aux particuliers
en France en juin 2020, en hausse de 27 %
par rapport à 2019.
ABONNEMENTS ADAPTÉS
Il y a aussi des phénomènes sociologiques
plus structurels qui ne vont pas dans le sens
d’une mobilité accrue. « On constate la réha-
bilitation d’un certain nombre de valeurs liées
à la décélération, indique M. Chareyron. Le
confinement, c’est comme si on avait appuyé
sur la touche pause. Et, selon une étude que
nous avons réalisée sur 4 200 personnes, 73 %
déclarent qu’elles ont aimé ça. » Dans cette lo-
gique, parmi les phénomènes amenés à du-
rer, celui du télétravail figure en bonne place.
« Globalement, 50 % des salariés français et
européens étaient en mesure de télétravailler,
explique Eric Chareyron. Mais la pandémie a
provoqué un déclic. Le nombre de personnes
qui souhaitent recourir au télétravail a plus
que doublé dans la population totale. »
Et ce n’est pas près de s’arrêter. Des entre-
prises, comme PSA, ont fait du télétravail la
règle et non l’exception. De même, la rentrée
pourrait être synonyme de révolution du té-
lé-enseignement dans une université qui n’a
toujours pas vraiment accompli son décon-
finement. Certains réseaux de transport
commencent à réfléchir à des abonnements
adaptés où l’on ne paierait que deux ou trois
jours de déplacement par semaine. Tout se
passe comme si Internet était devenu un
nouveau concurrent du transport public ter-
restre au même titre que l’automobile ou
l’avion. Le télétravail fait en particulier mal à
l’activité TGV, en le privant d’une bonne par-
tie de ses voyageurs d’affaires, qui assurent
une part non négligeable de sa rentabilité. Si
cet été, la clientèle loisirs est revenue à 70 %,
les clients « business » se font rares. A tel
point que les dirigeants de Voyages SNCF en-
visagent une campagne de communication
anti-télétravail, réhabilitant la convivialité
du boulot collectif réel et non virtuel.
Fatalement, cette méfiance envers les
transports a des conséquences sonnantes et
trébuchantes. Le GART estime à 5 milliards
d’euros la perte de recettes globales pour le
transport public subventionné (donc hors
TGV) en France en 2020 : 2,6 milliards en Ile-
de-France, 1,4 milliard dans les réseaux ur-
bains de province, et 1 milliard dans les
trains régionaux. Les deux sources principa-
les de financement sont affectées : la billet-
terie, 60 % du manque à gagner en Ile-de-
France, et le versement mobilité – une taxe
encore aujourd’hui, d’aller au-delà de 60 % de assise sur la masse salariale des entreprises
la normale » note toutefois un porte-parole finançant le transport public – pour 40 %.
LES VENTES du Groupement des autorités responsables L’effet de souffle touche d’abord les opéra-
DE VÉHICULES de transport (GART), une association regrou-
pant l’ensemble des collectivités (commu-
teurs. L’acte le plus spectaculaire est la déci-
sion prise le 8 juillet par Valérie Pécresse, pré-
AUX MÉNAGES nes, métropoles, régions) chargées de finan- sidente (Libres !, ex-Les Républicains) de la ré-
cer et d’organiser le transport public. gion Ile-de-France, de ne plus payer,
ONT CONNU Pour une bonne part, cette désaffection est provisoirement, la RATP et la SNCF, devant le
conjoncturelle. « Par exemple, les jeunes re- manque de ressources auquel doit faire face
UN PIC traités, qui voyageaient souvent en transport Ile-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité or-
HISTORIQUE un peu partout en France et à l’étranger, ne ganisatrice des transports dans la région ca-
sont pas revenus », souligne Yves Crozet, éco- pitale. Selon Thierry Mallet, PDG de Transdev
EN JUIN nomiste des transports, professeur à Scien- et président de l’Union des transports publics
ces-po Lyon. Depuis le mois de mars, les et ferroviaires (UTP), le syndicat patronal du
sont souvent d’anciens habitués des ristes, que les universités et lycées sont « Dans un objectif de politique de mo-
bus et du métro. Ainsi, à Lyon, quand fermés, que les gens sont encore en té- bilité durable et décarbonée, ils répon-
les Vélo’v, les vélos en libre service, létravail, et que la vie tourne au ra- dent aux mêmes objectifs : diminuer
ont été lancés en 2005, « le profil des lenti », décrypte Yves Crozet. la pollution, le bruit, rendre la ville
utilisateurs était, pour beaucoup Surtout, les chercheurs et les opé- plus apaisée », insiste Dominique
d’entre eux, celui des transports rateurs voient le vélo comme un Riou. Enfin, si le vélo a une influence
en commun », se rappelle l’écono- soutien plutôt qu’un concurrent des dans la zone des moins de 10 km,
miste Yves Crozet. transports publics. « Il peut y avoir un pour les longues distances, les trains,
réflexe de protection de la part du TER et RER restent imbattables.
« Bouffée d’oxygène » monde des transports en commun Signe enfin que les opérateurs mi-
« Quand le système vélo a commencé qui a des difficultés pour trouver ses sent sur la bicyclette, ils investissent
à se mettre en place, à Paris et Lyon, les usagers, mais le vélo est plutôt une dedans. C’est Transdev qui, aux côtés
nouveaux cyclistes sont venus en par- bouffée d’oxygène pour des trans- de La Poste, Vélogik et Cyclez, a rem-
tie des transports publics », complète ports publics en voie de saturation », porté l’appel d’offres lancé par Ile-de-
Dominique Riou, chargé d’études à explique Dominique Riou. France Mobilités pour son offre de
l’Institut Paris Region. Mais les pro- Plus de cyclistes dans les rues et sur location longue durée de vélos
portions restent encore faibles. « On les routes, c’est l’espoir de désengor- électriques. Véligo est un franc suc-
ne va pas fermer des lignes de métro ger certaines lignes. « Si cela peut fa- cès. L’objectif des 10 000 abonnés
parce qu’il y a des vélos dans Paris. Le voriser l’utilisation des transports par fixé à septembre a déjà été atteint. Et
vélo ajoute peut-être à la crise actuelle d’autres, alors on a gagné pour la pla- 5 000 nouveaux vélos viennent
des transports, mais la crise, c’est nète », note Edouard Hénaut, direc- d’être commandés. p
avant tout parce qu’il n’y a pas de tou- teur général France de Transdev. émeline cazi
 économie & entreprise | 15
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020

Les transports en commun toujours malades du Covid-19

Après le confinement, un redémarrage au ralenti

L’exemple de l’Ile-de-France

Part des trains en circulation Fréquentation moyenne

Métros à Paris Transilien RER Totalité du réseau dont TER et Intercité

100 % 100 % 100 % 100 %
Février Février Février Février

30 % 25 % 25 % 5%
Plus bas Plus bas Plus bas Plus bas
du confinement du confinement du confinement du confinement
De 30 % à 90 % De 35 % à 70 % De 35 % à 50 % 20 %
Mai Mai Mai Mai

De 90 % à 100 % De 70 % à 100 % De 55 % à 100 % De 20 % à 45 %

Juin Juin Juin Juin

!"#$

Télétravail et vélo : des concurrents sérieux Un impact financier important

Edouard Philippe demande le maintien

du télétravail après le 11 mai, « partout
où c’est possible, au moins dans les trois
Moyenne mensuelle du nombre de cyclistes par heure
devant les points de comptage à Paris 4 C’est l’estimation de la perte de chiffre d’affaires
que devrait connaître la SNCF pour
milliards le premier semestre 2020.
l
ri

85
av

prochaines semaines ». Grève

28

à la SNCF
et à la RATP
Le gouvernement indique
uin

Financement des transports publics urbains en France en 2017,

que le télétravail n’est
j

67,9 66,1 en %
24

plus la norme mais « reste

une solution à privilégier
Edouard Philippe indique
i

dans le cadre d’un retour

ma

que le télétravail doit

progressif à une activité 47 35 17 1
28

toujours être privilégié

présentielle ».
lors de la phase 2 du Collectivités Etat
déconfinement. locales
Entreprises, par le biais Usagers
de versement mobilité La baisse des recettes
Les recettes de cette taxe, des abonnements
84 % payée par les entreprises sur
leur masse salariale, ont diminué
et de la billetterie provoquée
par la baisse du nombre
des personnes ayant télétravaillé durant le confinement du fait du chômage partiel, de voyages fragilise
Avril 2019 Déc. 2019 17 mars Juin 2020
souhaitaient continuer après la fin de celui-ci, 11 mai ce qui grève le budget le financement des transports
partiellement ou complètement. confinement des gestionnaires de transport. publics urbains.

SOURCES : INSEE, CGDD, SNCF, GART, MAIRIE DE PARIS, MALAKOFF HUMANIS. Infographie : Marianne Boyer, Philippe Da Silva, Maxime Mainguet

secteur, 20 000 postes sont directement me-
nacés sur les 100 000 emplois répartis dans
les 148 réseaux français de l’UTP. Les indus-
triels ont aussi de quoi s’inquiéter. La crise
pourrait conduire à des coupes claires dans
les dépenses d’investissement. Mme Pécresse
n’a pas manqué de rappeler ces jours der-
niers qu’elle fait vivre, avec ses commandes
de métros, trains, bus, tramways et vélos, une
quinzaine d’usines en France appartenant à
neuf entreprises (dont Alstom, Bolloré, Bom-
bardier, CAF, Heuliez, Mercedes, Iveco…).
ARTBITRAGES DÉFAVORABLES
« On est bien sur un tremblement de terre
avec des répliques partout, ajoute M. Crozet.
Pour IDFM, pour la RATP, pour la SNCF. Mais
aussi pour les contribuables. Il faudra que les
régions paient. Elle augmenteront la taxe fon-
cière, c’est fatal. Je rappelle que dans le trans-
port subventionné, les usagers ne paient
qu’une petite partie du prix réel : 19 % en Ile-
de-France, et même 12 % dans les TER ! Le
reste, ce sont les impôts. » Face au péril éco-
nomique, tous les acteurs du transport pu-
blic (Mme Pécresse, M. Mallet) ont appelé sur
tous les tons à un plan de soutien gouverne-
mental. Mais, tout en regardant passer les
milliards destinés au tourisme, à l’aérien, à
l’automobile, élus et entreprises avaient du
mal à le voir venir. « On était parti avec quel-
ques illusions, lorsque nous avons entendu le
président dire “quoiqu’il en coûte”, glisse-t-on
au GART. Si bien que nous avons transporté
les soignants gratuitement, nous nous som-
mes pliés aux coûteuses injonctions sanitai-
res de l’Etat. »
Au même moment, ailleurs, l’Allemagne
donne 5 milliards d’euros à ses transports
publics, les Pays-Bas 1,5 milliard, et les Etats-
Unis 25 milliards de dollars. Dans le secteur,
l’idée que le pouvoir est pingre avec les
trams, les trains, les bus fait son chemin.
« Sous Edouard Philippe, Bercy a gagné tous
les arbitrages en notre défaveur », note avec
amertume le ponte du transport cité plus
haut. « Pour l’instant, il est clair qu’il n’y a
pas de ministre du ferroviaire, fulmine
Bruno Gazeau, président de la Fédération
nationale des associations d’usagers des
transports. On parle avion, on parle vélo,
on parle voiture… Le ministère des trans-
ports n’est plus représenté aux conseils
d’administration de la SNCF. Il n’y a plus que
Bercy. Cela dit tout. »
La profession commence à être entendue.
Jeudi 9 juillet, la nouvelle ministre de la
transition écologique, Barbara Pompili, a
promis, au micro de Franceinfo, un « grand
plan de relance pour le ferroviaire » et « tous
ceux qui font du transport en commun ». Du
coté de Jean-Baptiste Djebbari, ministre dé-
légué aux transports, on rappelle également
que le gouvernement compensera en 2020
les baisses de recettes des communes et in-
tercommunalités, notamment la perte sur
le versement mobilité, à hauteur de 750 mil-
lions d’euros.
L’horizon du transport en commun n’est
pourtant pas seulement tapissé de noir.
« En Chine, l’envie de déplacements individuels dope l’automobile »
première touchée par la pandé-
mie, la Chine fait figure de labora-
toire avancé des conséquences éco-
nomiques du Covid-19. Matt Gas-
nier, spécialiste des transports et de
l’automobile dans l’empire du Mi-
lieu et fondateur du site Bestselling-
carsblog.com, décrit l’évolution ré-
cente de la mobilité dans ce pays.
Comment le déconfinement
s’est-il déroulé dans les transports
publics en Chine ?
Massivement et rapidement, les
usagers ont boudé les transports au
profit de l’automobile. A Canton, en
mars, 40 % des usagers d’avant le
confinement ont préféré prendre
leur voiture. On assiste à une inver-
sion des choix prioritaires de modes
de transport. Avant la pandémie,
56 % des Chinois privilégiaient les
transports et 24 % leur voiture. De-
puis le déconfinement, 66 % des
sondés préfèrent conduire, quand
24 % disent vouloir retourner dans
les métros et les bus.
Le phénomène est visible dans les
chiffres de ventes automobiles : le
« Après un choc pareil, il faut du temps pour
que ça revienne – après les attentats à Paris
en 1995, il a fallu deux ans pour que la
fréquentation retrouve son rythme normal,
DANS LE SECTEUR, rappelle le porte-parole du GART. Mais cela
L’IDÉE QUE finit par arriver. »
LE POUVOIR EFFET REBOND
A la SNCF, on se démène pour ramener vers
EST PINGRE AVEC le train les usagers récalcitrants : multiplica-
tion de petits prix dans les TGV, création de
LES TRAMS, LES différentes versions d’abonnement TER uni-
TRAINS, LES BUS que cet été permettant de traverser la France
en trains régionaux. Quant au télétravail, s’il
FAIT SON CHEMIN modifie la mobilité, il ne la fait pas disparaî-
tre. « Une étude du Forum vies mobiles, un
think tank de la SNCF, montre que les télétra-
vailleurs finissent même par faire plus de kilo-
marché a connu sa première hausse toutes les villes chinoises où l’entre-
depuis deux ans en mai (+ 7 %). prise est présente, les trajets dits lon-
Cette embellie – sans mesure de gue distance (plus de 3 kilomètres)
relance gouvernementale – est con- ont doublé depuis avril.
firmée par les premiers chiffres de
juin, qui situent la hausse des ventes Les pouvoirs publics cherchent-ils
entre + 5 et + 10 %. à inverser la tendance ?
Et c’est bien l’envie de transport Ils s’y essaient en jouant la carte de
individuel qui dope l’automobile. la technologie pour redonner con-
Selon un autre sondage réalisé en fiance aux usagers. Les gouverne-
mai, 63 % des Chinois qui envisa- ments municipaux de Pékin et
geaient d’acheter un véhicule avant Shenzhen incitent les voyageurs à
la pandémie déclarent en avoir en- payer avec leur smartphone afin de
core plus l’intention depuis que le tracer tous les déplacements et de
Covid-19 s’est déclaré. prévenir les utilisateurs si une per-
sonne infectée a croisé leur chemin.
Le vélo a-t-il, comme en Europe, Dans le même but, à Shanghaï, les
profité de la méfiance envers usagers du réseau de transport sont
les transports ? encouragés à scanner un code QR en
Oui. A Pékin, les deux principaux entrant dans les bus ou les rames.
opérateurs de vélos partagés en libre A Suzhou, les opérateurs régulent
service (Hellobike et DiDi Bike) ont le trafic selon des critères sanitaires :
respectivement doublé et triplé leur la fréquence des bus est modifiée en
trafic depuis le déconfinement. Il y a temps réel afin de gérer au mieux la
une transformation de l’usage : le distanciation sociale. A Pékin,
vélo partagé devient un mode de 173 nouveaux itinéraires de bus ont
transport unique et non plus can- été créés afin de maîtriser les ni-
tonné au premier ou au dernier kilo- veaux d’affluence. Mais, pour
mètre. Hellobike indique que, dans l’heure, ces mesures n’ont pas suffi à
mètres qu’avant, explique Yves Crozet. Ils ga-
gnent du temps sur leur trajet quotidien et fi-
nalement, par un effet rebond, ils se
déplacent davantage et de façon moins con-
trainte. »
« Cette nouvelle mobilité moins pendulaire
va peut-être enfin permettre de déconges-
tionner l’heure de pointe, qui mobilise des
millions d’euros d’argent public pour trente
ou quarante minutes le soir et le matin, es-
père Eric Chareyron. L’effet peut être considé-
rable. A Rennes, en faisant arriver la moitié
des étudiants à 8 h 15 au lieu de 8 heures, l’ag-
glomération a économisé l’achat de quatre
rames de métro et évité d’agrandir la sta-
tion. » Le « monde d’après » du transport a
finalement des vertus insoupçonnées. p
éric béziat
faire revenir les Chinois en nombre
dans les transports.
Et sur la longue distance ?
Là aussi il y a du retard, même si on
constate une lente reprise. Si on
compare deux longs week-ends pri-
sés des Chinois pour partir en
famille, celui de la Fête du balayage
des tombes, début avril, et celui de la
Fête du travail, début mai, on
est passé, par rapport à 2019, de
– 61 % de voyages en avril à – 53 %
en mai. Les Chinois prennent beau-
coup moins l’avion. La capacité de
sièges disponibles est tombée à
8 millions en mai 2020, contre
14 millions un an plus tôt.
Les deux destinations préférées
des Chinois en 2019, les stations bal-
néaires de Sanya et Xiamen, généra-
lement atteintes en avion, ont
disparu du top 10 cette année. Elles
ont été remplacées par les plus clas-
siques Shanghaï et Canton, accessi-
bles en train. Et les deux tiers des
Chinois ne pensent pas revoyager
avant le mois d’octobre. p
propos recueillis par é. bé.
16 | économie & entreprise
L’« Akademik-Cherskiy », un navire
russe qui pourrait servir à achever la
construction du gazoduc Nord Stream 2,
dans le port de Mukran (nord-est de
l’Allemagne), le 7 juillet. AXEL SCHMIDT/REUTERS
I
l faut apprécier le para-
doxe : 94 % du gazoduc
Nord Stream 2, qui relie la
Russie à l’Allemagne par
la mer Baltique, est désor-
mais construit. Pourtant,
sous la pression américaine, ce-
lui-ci risque de ne jamais entrer
en opération. En juin 2020, qua-
tre sénateurs américains ont pré-
senté un texte de loi censé faire
monter d’un cran les sanctions
contre le projet. Plus de 120 en-
treprises européennes – princi-
palement allemandes, mais
aussi françaises – pourraient être
visées pour leurs activités sur le
Vieux Continent.
Ce gazoduc de 1 200 kilomètres
de long doit acheminer 55 mil-
liards de mètres cubes de gaz par
an en Europe et devait être initia-
lement terminé fin 2019. Le
tuyau sera exploité par le géant
russe Gazprom, mais il est cofi-
nancé par cinq groupes euro-
péens, dont le français Engie,
pour un coût total de 9,5 mil-
liards d’euros.
Depuis son origine, il est sou-
mis à de très vives critiques, à
l’intérieur et à l’extérieur de
l’Union européenne (UE). Plu-
sieurs pays, notamment la Polo-
gne, accusent la Russie de cher-
cher à accentuer sa mainmise ga-
zière sur le continent. Le projet
est aussi perçu comme une me-
sure de rétorsion politique de la
part de Vladimir Poutine vis-à-
vis de l’Ukraine, par où transite
aujourd’hui la majorité du gaz
importé de Russie. Officielle-
ment, c’est pour cette raison que
les Etats-Unis s’y opposent.
En dépit des obstacles, le con-
sortium qui bâtit le gazoduc
avait presque réussi son pari : le
tuyau est quasiment terminé.
C’était compter sans la persévé-
rance des Etats-Unis, qui ont voté
en décembre 2019 un premier
volet de sanctions très précises.
En visant spécifiquement le na-
vire suisso-néerlandais qui pose
les tuyaux, le Congrès a mis un
coup d’arrêt au chantier. Depuis
six mois, les travaux sont blo-
qués, et le géant russe Gazprom a
engagé une course contre la
montre pour trouver un moyen
de contourner ces sanctions.
C’est justement pour éviter une
reprise du chantier que les Etats-
Unis pourraient en venir à durcir
les sanctions, en s’en prenant
cette fois à tous ceux qui y colla-
borent. Pour la toute première
fois, des entreprises européen-
nes œuvrant sur le sol européen
sont susceptibles d’être visées.
« Le premier volet de sanctions a
bien ralenti le projet, mais ne l’a
pas achevé », souligne le géoéco-
nomiste Nicolas Mazzucchi, de la
Fondation pour la recherche
stratégique. « Le deuxième volet
élargit considérablement le péri-
mètre des sanctions, en ne s’atta-
Golfe
de Botnie
NORVÈGE
Nord Stream
SUÈDE
DANEMARK Mer
Baltique
Mukran
Greifswald
ALLEMAGNE
POLOGNE
Berlin
PLEIN CADRE
Nord Stream 2, bataille
gazière en haute mer
Les Etats-Unis se préparent à voter un nouveau volet de sanctions
contre le gazoduc construit sous la mer Baltique. Cela porterait
un coup fatal au projet, qui devait être initialement achevé fin 2019
quant plus seulement aux sociétés vient aux Européens, et non à
participantes, mais aussi aux Washington. Il ne faut pas que
autorités portuaires. On cible le l’Europe abdique », s’agace le dé-
territoire européen. » puté européen français Emma-
Face à ce qui s’apparente à une nuel Maurel, ex-PS élu sur la liste
attaque en règle contre la souve- LFI aux élections européennes de
raineté du Vieux Continent, la ré- 2019, qui a interpellé la Commis-
ponse de la Commission euro- sion sur le sujet.
péenne reste hésitante. Le 25 juin, « Même celui qui apportera un
Josep Borrell, le haut représentant sandwich à l’un des marins russes
de l’UE pour les affaires étrangè- opérant sur le chantier sera passi-
res, a certes qualifié les sanctions ble de sanctions », s’inquiète
américaines d’« inacceptables » et Marc-Antoine Eyl-Mazzega, direc-
« contraires à la loi internatio- teur du centre énergie de l’Insti-
nale ». Cependant, à ce stade, tut français des relations interna-
aucune riposte n’a été lancée. tionales. « Aujourd’hui, les Etats-
Unis s’en prennent à Nord Stream
« POSSIBLES CONTRE-RÉACTIONS » 2, mais demain, ce sera EDF. A un
De fait, l’Union se déchire entre moment, il faudra réagir. » Pour
les pays de l’ex-bloc soviétique, l’heure, la France ne se presse pas
qui considèrent le gazoduc pour faire entendre sa voix. « Pa-
comme le cheval de Troie de la ris est bien content de se cacher
Russie et de ses visées expansion- derrière Berlin sur le sujet pour ne
nistes, et ceux qui, à l’instar de l’Al- pas se fâcher davantage avec
lemagne, le défendent. « Il ne Trump », déplore l’un des promo-
s’agit pas d’être pour ou contre teurs du projet.
Nord Stream 2. Mais la décision re- En Allemagne, le ton est bien
différent. Angela Merkel est inter-
venue, le 1er juillet, devant le Bun-
FINLANDE destag (la Chambre basse du Par-
Vyborg lement) pour réaffirmer son sou-
Saint- tien. « Nous pensons que ce projet
Pétersbourg doit aboutir, et nous agissons dans
Ust-Luga ce sens », a déclaré la chancelière.
ESTONIE La mise en œuvre des sanctions
serait « une grave atteinte à la sou-
Nord Stream 2 RUSSIE veraineté allemande et euro-
péenne sur le plan de la politique
LETTONIE
énergétique », a affirmé, le même
jour, le secrétaire d’Etat allemand
LITUANIE aux affaires étrangères, Niels An-
KALININGRAD nen, devant la Commission de
(RUSSIE) l’économie et de l’énergie.
Preuve de l’importance de l’en-
BIÉLORUSSIE
jeu, l’ancien chancelier social-dé-
100 km
mocrate Gerhard Schröder, par
ailleurs président du conseil de
surveillance de Nord Stream, est
venu lui-même le défendre de-
vant la Commission de l’écono-
mie du Bundestag. M. Schröder a
mis en garde les Etats-Unis, esti-
mant qu’ils devaient s’attendre à
de « possibles contre-réactions pé-
nibles de la part de l’Europe ».
Derrière ce soutien se cache la
nécessité, pour Berlin, d’assurer
sa sécurité d’approvisionnement
en gaz. Alors que le pays s’est en-
gagé dans une sortie progressive
du nucléaire, il prévoit d’arrêter
toutes ses centrales à charbon
d’ici à 2038. Si l’Allemagne espère
développer fortement les éner-
gies renouvelables, elle prévoit de
continuer à importer massive-
ment du gaz, et les ressources rus-
ses sont à la fois peu chères et
abondantes.
A Moscou, après le vote, en dé-
cembre 2019, du premier volet de
sanctions, le pouvoir russe s’est
empressé d’affirmer que le projet
n’était pas compromis. Six mois
plus tard, Gazprom n’a pas été ca-
pable d’assurer la fin des travaux.
Comment contourner les difficul-
tés techniques et politiques po-
sées par les sanctions ?
CONTRETEMPS FÂCHEUX
Un exemple : un navire russe,
l’Akademik-Cherskiy, a com-
mencé à être adapté pour être en
mesure de poser les tuyaux. Pro-
blème : le bateau appartient par-
tiellement à Gazprom, qui pour-
rait, dès lors, être la cible de sanc-
tions directes. Selon la presse
russe, la propriété du navire a été
transférée à une nouvelle compa-
gnie, filiale de Gazprom, mais qui
pourrait être cédée facilement.
Rien ne dit, toutefois, que la jus-
Pour la
première fois,
des entreprises
européennes
œuvrant sur
le continent
pourraient être
visées par
Washington
tice américaine ne contestera pas
un tel montage…
« Il n’y a aucune base à ces sanc-
tions », insistait encore le maître
du Kremlin au mois de juin, ju-
geant que « leur unique objectif »
était de promouvoir le gaz améri-
cain. Autrement dit : les entrepri-
ses russes sont la cible d’une
guerre commerciale conduite
sous couvert d’arguments géopo-
litiques. Les parlementaires amé-
ricains n’ont pas caché, dans leurs
menaces de sanctions, la proposi-
tion faite aux Européens de rem-
placer le gaz russe par le « gaz de la
liberté » américain, comme l’a ap-
pelé Donald Trump. Ces contre-
temps sont fâcheux pour Mos-
cou, non seulement car les hydro-
carbures représentent les joyaux
de la couronne russe (62 % des ex-
portations en 2019), mais aussi
parce que le dossier a un caractère
éminemment politique.
Depuis son accession au pou-
voir, Vladimir Poutine a fait du
gaz un instrument diplomatique,
distribuant ristournes et mena-
ces de cessations d’approvision-
nement au gré des loyautés de ses
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
voisins. C’est d’ailleurs bien ce qui
renforce chez plusieurs Etats
européens la crainte d’une dépen-
dance accrue vis-à-vis de la Rus-
sie. « Pour autant, un coup d’arrêt
définitif n’est pas vécu comme une
catastrophe par les élites russes,
tempère le consultant Mikhaïl
Kroutikhine. Tout l’argent qu’il y
avait à gagner dans la construc-
tion des infrastructures a déjà été
distribué, principalement à des
amis du pouvoir, pour des mon-
tants disproportionnés. »
CAUCHEMAR
En Ukraine, ce nouveau volet de
sanctions est applaudi des deux
mains et l’ingérence américaine,
vue comme une bénédiction.
Pour Kiev, la finalisation de Nord
Stream 2 est un cauchemar. Le
pays perdrait son statut de pas-
sage obligé pour la livraison du
gaz russe à l’Europe et le priverait
d’une partie significative de la
manne perçue pour le transit, de
l’ordre de 2 à 3 milliards de dollars
(entre 1,8 et 2,7 milliards d’euros)
par an. Une somme non négligea-
ble pour un pays aux abois.
Les autorités ukrainiennes re-
doutent que l’accord signé à la fin
de l’année 2019 entre Kiev et Mos-
cou afin d’assurer un transit mi-
nimal via l’Ukraine pour les cinq
prochaines années soit dénoncé
une fois que Nord Stream 2 sera fi-
nalisé. « La valeur d’un contrat si-
gné avec les Russes vaut le prix du
papier sur lequel il a été signé », ré-
sume Oleksandr Kharchenko,
conseiller du gouvernement
ukrainien sur les questions éner-
gétiques. Le pays se fait ainsi le
principal défenseur de la ligne
américaine. « Ce gazoduc n’est pas
seulement un danger pour
l’Ukraine, mais aussi pour l’Eu-
rope ! », assure M. Kharchenko.
Dans son livre The Room Where
It Happened : A White House Me-
moir (Simon & Schuster,
juin 2020, non traduit), John Bol-
ton, ex-conseiller à la sécurité na-
tionale de Donald Trump, raconte
à quel point le locataire de la Mai-
son Blanche est obsédé par Nord
Stream 2 et répète que l’Allema-
gne est « vendue à la Russie ». A
Berlin, comme à Kiev, on attend
l’élection présidentielle améri-
caine du 3 novembre 2020 avec
impatience. p
claire gatinois,
benoît vitkine
(moscou, correspondant),
nabil wakim
et thomas wieder
(berlin, correspondant)
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020 carnet | 17

Jean-Claude Lavie
Le 7 juillet 2020, notre capitaine Pascal Penaud
et son épouse, Vicky Grjebine,
Jérôme FOURQUIN, Dominique Penaud
en vente Le Carnet et son époux, Philippe Jauffret,
est parti naviguer sous d’autres cieux.

Psychanalyste
Marion Penaud,
actuellement Laurence, Ulysse, Mady, Mounette, ses enfants,
Merci de nous adresser ses frères et sœurs, Déborah, Victor, Maxime, Antoine,
K En kiosque vos demandes par mail Sa famille Jules,
Et ses amis, ses petits-enfants,
en précisant impérativement
votre numéro le regrettent tant.
ont la douleur de faire part du décès
UNE VIE, UNE ŒUVRE
de téléphone personnel, de
Bon vent !
votre nom et prénom,
adresse postale et votre Il a été inhumé le 10 juillet, Jeanne PENAUD-REQUIER,
Émile
Zola
L’indigné
éventuelle référence à Venaco (Haute-Corse). ancienne élève de l’ENA,
d’abonnement. présidente
La Louberie,
de l’association rencontres
L’équipe du Carnet 07240 Silhac.
laurence.deray@orange.fr et patrimoine en pays martelais,
Vu par Clemenceau, Jaurès, Aragon, Mendès-France, Taubira...
reviendra vers vous
Hors-série dans les meilleurs délais. Françoise Fong-Franco,
survenu le 4 juillet 2020,
son épouse, dans sa quatre-vingt-huitième année.
Claire Franco,
0123 carnet@mpublicite.fr sa fille, Elle aimait sa famille, le Lot et
HORS-SÉRIE
défendait vigoureusement l’ENA qui
ont la profonde tristesse de faire part a permis à cette fille d’instituteurs
AU CARNET DU «MONDE»
1940 DE GAULLE
du décès, survenu le 9 juillet 2020, de

M. Raoul FRANCO,
lotois de devenir haut fonctionnaire.

LA RÉSISTANCE
PÉTAIN
LA COLLABORATION
Naissance cinéaste, Famille Penaud,
2e promotion de l’IDHEC. 50, rue d’Assas,
75006 Paris.
Norah Une cérémonie aura lieu au
crématorium du cimetière du Père-
est arrivée, le 28 juin 2020, chez Lachaise, 71, rue des Rondeaux,
Paris 20e, le jeudi 16 juillet, à 12 heures. Geneviève PROST-BERTHELLOT
Hors-série David et Laetitia, 1926-2020,
ses parents, Maud de Galard et Romain,
Célène et Sacha, Hector de Galard et Sophie, médecin, militante engagée dans de
MARCEL LE RATAFIA
HORS-SÉRIE JEUX
ses sœurs. Jeanne de Galard et Charles, nombreuses associations, dont :

l’ARGOT
LULU D’ARDIS •

ses enfants, Les éclaireurs, éclaireuses de France,

JEUX ET QUIZZ
POUR TOUS Robert et Mireille, Gilles et Frédérique de Galard, Le planning familial, MLAC,
Laurent et Danièle, et leurs enfants, La Maison des Femmes, AGIRabcd.
Quizz,
mots croisés,
mots cachés,
ses grands-parents, Guy, Philippe et Olivier de Galard,
Lilise, ses cousins,
mots fléchés,
jeux de l’oie,
coloriages et
points reliés,
rebus,
anagrammes,
version, etc.
son arrière-grand-mère, Tous les membres de sa famille Sa famille et ses amis l’ont
ont été heureux de faire sa Gourcuff, accompagnée le 13 juillet, à 10 heures,
connaissance. au crématorium du cimetière du En 2018. FRANCESCA MANTOVANI/ GALLIMARD VIA LEEM
ont la tristesse de faire part du décès Père-Lachaise, Paris 20e.

Norah connaîtra bientôt toute
Hors-série jeux sa famille, en particulier,
Chloé, Oràn et Tili,
Nathan, Jeanne et Noé.
Collections ses cousins et cousines,
Robert et Mireille Nathanson.
Anniversaire de mariage
15 juillet 1980 - 15 juillet 2020.
Du café de la Cigale à Montpellier
à notre maison sur la Côte Bleue
en passant par Ruols, La Levade,
Korissia ansi que d’autres lieux dans
LE VOLUME 1
le monde pour raisons de travail
3 99
LE LIVRET
N
de
Isabelle et Claude Saada é à Paris, le 14 novem- 14 NOVEMBRE 1920 Nais-
Laurent de GALARD,
administrateur général bre 1920, Jean-Claude sance à Paris
ont l’immense tristesse de faire part
du ministère de l’intérieur, Lavie est mort dans 1943 S’engage dans les ser-
survenu à l’âge de soixante-trois ans,
le 7 juillet 2020, à Paris.
du décès de leur père, cette même ville, le
7 juillet. Fervent parisien, il ne
vices secrets britanniques
1964 Fonde l’Association
Maurice SAADA, voyageait guère, sinon pour s’élan- psychanalytique de France
Ils rappellent le souvenir de son cer dans les airs grâce à son trapèze 1985 « L’amour est
père, survenu le 30 juin 2020. volant planté au sommet de sa ter- un crime parfait »
rasse de l’avenue de l’Opéra. 2018 «Pour ou contre l’amour»
Hector de GALARD L’inhumation a eu lieu au cimetière
(1921-1990) Issu d’un milieu juif et laïc, il 7 JUILLET 2020 Mort à Paris
de Pessac (Gironde), 16, avenue Jean
avait été élevé par son père, Pros-
Cordier.
et de sa mère, per Lévy (1977-1943), dans l’amour
de la culture et de la beauté. Toute
Daisy de GALARD, Sa famille fait part avec une
sa vie, il se souviendra de l’atmos- l’Association psychanalytique de
née Marguerite de GOURCUFF grande tristesse du décès de
phère proustienne de ses vacances France (APF, 1964), aux côtés de

€ (1929 -2007).
ou de découverte nous sommes d’enfance à Cabourg (Calvados). Jean Laplanche et de Jean-Ber-
, toujours ensembe. Claude SERMENT,
SEULEMENT La cérémonie religieuse a eu lieu
professeur de lettres, C’est en 1943, à la mort de ce père trand Pontalis, lequel poussera
le 11 juillet, en l’église Notre-Dame- aimé, qu’il s’engage, sous le nom Lavie à écrire. Il publiera tous ses
Geneviève et Alain, des-Champs, Paris 6e. à Sarcelles (1973-2005),
Dès mercredi 8 juillet, de « JC », dans la résistance armée articles dans la Nouvelle Revue de
le volume n° 1 Xpovia Polla. L’inhumation s’est déroulée survenu le 9 juillet 2020. en rejoignant le SOE (Special ope- psychanalyse (1970-1994).
NOTRE-DAME DE PARIS à Courthézon (Vaucluse), le 13 juillet, rations executive), service secret En 1986, ce célibataire endurci
Décès à 11 h 30. Une réunion du souvenir aura lieu britannique chargé des actions de tombe amoureux d’une délicieuse
à Buones Basses (Aveyron) dès que sabotage et du soutien à la Résis- jeune femme, de quarante ans sa
1, rue Cassini,
Mme Paulette-Malvina Desné-Aubert,
75014 Paris. possible. tance intérieure française. Chef cadette, trapéziste comme lui, et
Marianne Desné, Hervé (†), Yann, « Le Montellier », d’un réseau indépendant, le jeune qui deviendra, sous le nom de Ma-
Clara Jouanneau, 84350 Courthezon. jserment@gmail.com homme de 23 ans avait déjà un rie Lavie, une artiste de talent, con-
Anne Abeillé, Nathan, Léo, Max lemontellier@degalard.fr goût prononcé pour le secret au nue pour ses icônes inspirées de
Grinsztajn, point que, plus tard, il ne voudra sœur Olympias, moniale de Pat-
présente
François et Noémie Desné, Jules,
Remerciements
10

Dora Lisoprawski, jamais évoquer ni ses origines, ni mos. Leur entente sera parfaite.
Ludmille, Alexis, Léonie, née Hebenstreit, La Fondation de France
Julie et Bruno Grangier, Louise,
ses actions héroïques, ni la période Auteur de plusieurs livres d’une
LA GRANDE GUERRE sa sœur,
Des taxis de la Marne
à la bataille de Verdun
Arthur, Sylviane Delmas et Laurent de l’Occupation, sauf pour dire rare élégance et d’un style raffiné
1914/1916
exprime toute sa reconnaissance, à qu’il haïssait le maréchal Pétain. – L’amour est un crime parfait
ses enfants et petits-enfants, Hebenstreit,
Jean-Pierre et Lydia Desné, Fabrice, ses enfants, Après avoir fait dérailler des (1985), Pour ou contre l’amour
Maeva, Soliane, Sylvain, Jolan, Cyril Ses petits-enfants trains, Lavie participe à la Libéra- (2018) –, tous publiés chez Galli-
Et ses arrière-petits-enfants, M. Pierre François
Desné, tion de Paris, puis s’engage aussi- mard, Lavie entretenait avec Gra-
son frère et sa famille,
COLLOMBERT,
ont la grande douleur de faire part tôt dans la bataille finale contre le noff une relation fondée sur un
Actuellement en vente, du décès survenu à son domicile, nazisme, en intégrant, comme « désaccord parfait » et sur un art
ont la tristesse de faire part du décès le vendredi 3 juillet 2020, de conducteur de char, la 2e division de l’esquive dont on retrouve la
le volume n° 10 de décédé le 3 juillet 2020, dans l’Isère,
LA GRANDE GUERRE pour son legs généreux qui, selon blindée du général Leclerc. Il ira trace dans sa conception de la
Jacques HEBENSTREIT, jusqu’à Berchtesgaden, afin de dé- cure. Lavie pensait que le patient
Roland DESNÉ, né le 6 mars 1926, son souhait, soutiendra nos actions
élève de l’ENS de Saint-Cloud, à Lvov (Pologne), en faveur de la lutte contre la loger Hitler de son Nid d’aigle. Dé- exprimait une demande fantas-
agrégé de lettres modernes, précarité et l’exclusion. mobilisé en 1945 et décoré de la matique d’amour à laquelle il ne
FEMMES professeur de littérature française docteur ès sciences, croix de guerre, il ne retournera fallait pas répondre, alors que Gra-
D’EXCEPTION du XVIIIe siècle à l’université de Reims,
ingénieur SUPELEC (1949),
chef du service informatique Anniversaire de décès jamais en Allemagne. noff soulignait au contraire la né-
prix de l’Académie française depuis 1961,
cessité d’un affrontement perma-
pour la publication des œuvres professeur à SUPELEC Il y a un an, le 15 juillet 2019, L’amour, un principe de vie nent. Et c’est parce qu’il cultivait
de Jean Meslier, jusqu’en 1991 disparaissait C’est en 1947 qu’il découvre la l’idée que jamais on ne parvient à
cofondateur et directeur lauréat de l’Académie des sciences. psychanalyse en lisant l’autobio- s’entendre avec l’autre, ni à em-
de la revue Dix-huitième siècle, graphie de Freud. Il se dirige alors porter une quelconque adhésion,
cofondateur et membre 277, rue de Vaugirard, Elvire PEREGO.
75015 Paris. vers la Société psychanalytique que Lavie put entretenir avec cet
de la société Voltaire.
de Paris (SPP), où il rencontre Da- ami au long cours une relation
Nous ne l’oublions pas. niel Lagache, qui lui conseille de fondée sur la controverse perpé-
survenu le 9 juillet 2020, Monique Mermaz,
dans sa quatre-vingt-dixième-année. son épouse, poursuivre des études de méde- tuelle, d’où il ressort que nul ne
Jérôme, Arnaud, Benjamin et cine, voie royale à l’époque pour détient jamais la vérité sur l’autre.
En vente actuellement, La cérémonie aura lieu en la salle Florence, devenir psychanalyste. Il entre Lavie a fait de l’amour le principe
ses enfants, en analyse avec Jacques Lacan même de sa vie. Aussi bien a-t-il
le volume n° 13 de la coupole, du cimetière du Père-
Ses petits-enfants,
CAMILLE CLAUDEL Lachaise, Paris 20e, le 16 juillet, à 13 h 30. Louis et Annie, (1901-1981), qui réunit autour de soutenu que l’amour ne s’autorise
son frère et sa belle-sœur, lui les plus brillants freudiens de que de lui-même en anoblissant
Mme Nabia Diab, son époque, et c’est au séminaire ce qui fait souffrir. Quant à l’ami-
Nos services son épouse,
Chafik, Habib, Samy,
ont la tristesse d’annoncer la mort,
survenue dans sa quatre-vingt-
de celui-ci qu’il croise Wladimir
Granoff (1924-2000), qui sera son
tié, il l’a toujours définie comme
une alchimie échappant à toute
ses fils, troisième année, de
ami le plus cher. explication. Pour son dernier
Lecteurs ont la tristesse de faire part du décès Michel MERMAZ, Elevé en Alsace dans le sérail de ouvrage, recueil de huit essais à
K Abonnements de ancien membre du Commissariat l’intelligentsia juive émigrée de paraître fin août (PUF), il a choisi
à l’énergie atomique de Saclay, Saint-Pétersbourg, Granoff, sur- un titre pour le moins transgres-
Sur abo.lemonde.fr docteur en physique nucléaire,
Par tél. au 03 28 25 71 71 M. Mohamed DIAB, nommé « Wova », était un aristo- sif : Le Sexe dans la bouche. Une
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) dirigeant d’entreprise, à Antony, le mardi 2 juin 2020. crate de la pensée freudienne, po- fois de plus, il y manifeste son art
lyglotte et lacanien de la première de l’esquive en inventant un dialo-
K Le Carnet du Monde survenu à Nogent-sur-Vernisson, Les obsèques religieuses ont eu heure, passionné autant de voitu- gue impossible entre des protago-
carnet@mpublicite.fr le 5 juillet 2020, lieu en la paroisse Saint-Maxime et
à l’âge de soixante-dix-sept ans. res anciennes que de psychana- nistes qui parlent chacun de
l’inhumation au cimetière d’Antony,
dans la stricte intimité, du fait des lyse. En 1963, les deux amis, trop sexualité à pleine bouche. p
Selon sa volonté, les obsèques circonstances sanitaires. indépendants pour suivre un elisabeth roudinesco
ont eu lieu dans la stricte intimité maître qui exigeait leur soumis- (historienne et collabora-
familiale. l.mermaz@outlook.fr sion, participent à la fondation de trice du « monde des livres »)
18 | sports 0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020

FOOTBALL

Le coronavirus prend
le mercato à contre-pied
Entre des dates décalées, une économie
fragilisée et des acheteurs étrangers
encore absents, les clubs de Ligue 1
et de Ligue 2 vivent un marché des transferts
bien différent de celui des étés précédents

L
a pratique est devenue courante
au sein des services de communi-
cation des clubs. Jusqu’à la ferme-
ture du marché des transferts, il
faut souvent retoucher en ur-
gence la photo officielle de
l’équipe afin d’incorporer le petit nouveau ou
enlever le dernier parti. Avec le Covid-19, ce
cliché risque de refléter encore moins la réa-
lité d’effectifs déjà susceptibles de varier jus-
qu’à l’ultime minute, alors que la saison avait
débuté. Habituellement fixée au 31 août, la
clôture du marché des transferts devrait,
cette année, être reportée au 5 octobre.
Au-delà d’une simple retouche photo, le
coronavirus touche en profondeur le mer-
cato du football français. A commencer par
un décalage de fait avec ses voisins et
concurrents. Quand la Ligue 1 et la Ligue 2
ont annulé leur fin de saison, fin avril, les
grands championnats étrangers ont tous
repris après deux à trois mois d’arrêt forcé.
Pour tenir compte de cette dissonance, la
Ligue de football professionnel (LFP) a, dans
un premier temps, ouvert un mercato hexa-
gonal à partir du 8 juin. Une décision unilaté-
rale, qui a provoqué une situation ubuesque
pour l’ensemble du football tricolore. A cause
de cette ouverture anticipée, la France a été
sommée par la FIFA de mettre son marché en
pause entre le 10 juillet et le 10 août. Ses clubs
pourront continuer les négociations, enregis-
trer la signature de nouveaux joueurs, mais
ceux-ci n’obtiendront leur licence qu’à la
réouverture des pourparlers.
RETARD À L’ALLUMAGE
Agent de footballeur depuis 2015, Jérôme Lan-
cery observe déjà les effets de ce décalage par
rapport aux autres championnats. « Le mar-
ché ne bouge pas encore beaucoup. Je m’oc-
cupe d’un attaquant de Ligue 2 jeune et pro-
metteur, Moussa Djitté, qui devrait être très de-
mandé en Espagne ou en Allemagne. Comme
ces championnats ont repris, ils attendent de
finir leur saison, donne-t-il en exemple. La
France a un gros temps d’avance en ayant ter-
miné plus tôt, mais ne peut pas en profiter. »
« LE PRÉSIDENT,
FRANCIS GRAILLE,
M’A DIT : “C’EST PAS
COMPLIQUÉ,
ON FERME TOUT.
ON SIGNE LE MOINS
DE JOUEURS
POSSIBLE, ET DES
JOUEURS LIBRES” »
JEAN-MARC FURLAN
entraîneur de l’AJ Auxerre
Son collègue Frédéric Guerra, plus expéri-
menté, dresse le même constat sur l’apathie
de la période, même s’il se montre optimiste
à moyen terme. « L’économie a pris du retard,
mais ne s’arrête pas pour autant. J’étais à
Rennes et je sais par exemple que le club a des
offres importantes pour Eduardo Camavinga.
Lorsque les gros clubs vont bouger sur de gros
transferts, les choses se feront. »
LA SUPERSTITION DU MILIEU
Au sein des clubs, le discours est identique.
« On va être sur un mercato plus long que
prévu. On va devoir s’adapter à des cham-
pionnats qui n’ont pas les mêmes dates », pré-
vient Grégory Lorenzi, directeur sportif du
Stade brestois. L’homme fort du recrute-
ment breton refuse pour autant de subir ce
rapport de force. Et entend résister aux
pièges des ventes trop tardives, facilitées par
la puissance financière des grosses cylin-
drées étrangères. « Le club reste seul décision-
naire pour vendre ou non, même si certains
en ont plus besoin que d’autres. On peut fixer
une date butoir après laquelle un joueur ne ALE+ALE
peut plus partir », affirme-t-il.
Durement touché par les conséquences
économiques de l’arrêt des championnats
(les coût est estimé entre 500 millions et
800 millions d’euros), notamment à cause Au sein d’une majorité de clubs, le message Monaco pour 12 millions d’euros. « “Jean-
des pertes liées aux droits TV, le football en interne est assez similaire. La saison Marc, c’est la main de Dieu qui nous a proté-
français sait, à l’occasion, transformer le 2020-2021 ne sera pas celle des dépenses gés”, répète son entraîneur, amusé. Je le com-
coronavirus en argument commercial pour somptuaires. C’est encore plus le cas pour les prends, car cette vente nous permet d’avoir
négocier à la baisse les nouveaux contrats, formations de Ligue 2 au budget contraint. l’esprit plus tranquille. Imaginez les autres… »
et même en profiter pour réaliser des L’entraîneur de l’AJ Auxerre, Jean-Marc
économies. Furlan, a été tout de suite mis dans le bain DES PRIX ORIENTÉS À LA BAISSE
« Je discutais un contrat avec l’OM et, dans par le discours de son président, Francis Sur la vitalité du mercato français, les avis
la conversation, forcément, le coronavirus re- Graille. « Il m’a dit : “C’est pas compliqué, on divergent. Pour certains, trop d’incertitudes,
vient. Le discours des clubs se résume à : “Pro- ferme tout. On signe le moins de joueurs à commencer par la probabilité d’entamer la
fitez de ce que l’on vous propose parce que la possible, et des joueurs libres”, raconte-t-il. Tu saison à huis clos ou à jauge très réduite,
situation financière va être compliquée.” te rends compte que les présidents sont très risquent de refroidir les envies d’achat.
C’est l’excuse pour une négociation vers le tendus sur l’aspect financier. » L’agent Jerôme Lancery l’a constaté lors de
bas », confie Frédéric Guerra. Les joueurs ne Le coronavirus renforce même la légen- ses contacts de terrain, au Havre, à Rodez ou à
sont pas les seuls à en pâtir, les agents égale- daire superstition du milieu. A l’image de Pau, pensionnaires de Ligue 2. « Les clubs
ment, selon Jérôme Lancery : « Plusieurs celle du président bourguignon, qui s’est cherchent la stabilité, quitte à puiser dans le
clubs m’ont déjà demandé s’ils pouvaient dé- senti rétroactivement soulagé, au moment centre de formation ou à s’appuyer sur l’équipe
caler le paiement de mes 10 % sur les contrats où la crise a démarré, d’avoir vendu cet hiver de la montée, comme dans le cas du vice-prési-
en cours de mes footballeurs. » son jeune défenseur Harisson Marcelin à dent palois, Joël Lopez », observe-t-il.

« L’économie du football professionnel ne va pas s’effondrer »

Spécialiste du mercato, Bastien Drut prévoit un marché de transferts plus calme, mais pas un net recul des prix des transactions

ENTRETIEN tenir pour les prochaines années. Il n’y a pas eu d’excès, et c’est cela hausse des indemnités de trans- On dit souvent que, pour Je pense que des prêts peuvent

A
uteur de Mercato : l’éco-
nomie du football au
XXIe siècle (Bréal, 2018),
l’économiste Bastien Drut ne s’at-
tend pas à une révolution sur le
marché des transferts cet été,
malgré l’impact de la crise sani-
taire sur l’industrie du football. Il
estime néanmoins que la situa-
tion actuelle est plutôt défavora-
ble aux clubs français.
Faut-il s’attendre à un marché
des transferts déflationniste
en raison des conséquences
de la crise sanitaire sur les
différents championnats ?
Le marché sera plus sage que les
années précédentes. Le manque à
gagner pour cette saison est évi-
dent, mais surtout, les clubs ne
savent pas forcément à quoi s’en
Les matchs vont-ils continuer à se
dérouler à huis clos ? Dans quel
état les sponsors sortiront-ils de
la crise ? Les contrats seront-ils
renouvelés et dans quelles
conditions ? L’incertitude sur les
revenus futurs va inciter à la
modération et à la prudence.
En 2018, vous assuriez
qu’il n’existait pas de « bulle
spéculative attachée au
mercato », que les clubs
réalisaient de gros transferts
car ils avaient les moyens de
le faire. Est-ce toujours le cas ?
Selon moi, il n’y a pas de
« bulle ». Je pense que les clubs
européens ont été « sérieux » ces
dix dernières années, les dépen-
ses (salaires, indemnités de
transfert) ont progressé globa-
lement en ligne avec les recettes.
qui permettra au foot de repartir
sans trop de dégâts.
Les joueurs de Ligue 1
ne jouent plus depuis mars.
Cela peut-il entraîner
une baisse de leur valeur ?
Oui, très clairement. Les clubs
de Ligue 1 n’ont pas de vitrine
pour vendre leurs joueurs, alors
que quasiment tous les autres
championnats « vendeurs » ont
repris. Cela complique forcé-
ment les choses.
Cette situation peut-elle re-
mettre en cause la stratégie de
« trading » de certains clubs ?
Quelques clubs en Europe [Lille,
Monaco ou encore le Sporting Por-
tugal] se sont lancés à fond dans
des stratégies de trading ces der-
nières années, appâtés par la forte
fert (et pas seulement pour les su-
perstars). Le fait que les prix bais-
sent va peut-être constituer une
douche froide à court terme. Mais
je ne pense pas que l’on s’oriente
vers une baisse forte et prolongée
des prix pour les transferts, parce
que l’économie du football pro-
fessionnel ne va pas s’effondrer et
que les grands clubs européens
devraient continuer à croître éco-
nomiquement.
« LES CLUBS DE LIGUE 1
SONT GÉNÉRALEMENT
VENDEURS. LA SITUATION
ACTUELLE LEUR EST
DONC DÉFAVORABLE »
un joueur, il existe le « prix »
et le « prix anglais ». Les clubs
français pourraient-ils souffrir
si les clubs anglais se mon-
traient plus prudents dans
leurs investissements cet été ?
Les clubs de Ligue 1 sont généra-
lement vendeurs. La situation ac-
tuelle leur est donc complètement
défavorable si les grands cham-
pionnats (Angleterre, Espagne, Al-
lemagne) dépensent moins. Cela
dit, changer de modèle ne se fait
pas en un été et peut requérir de
lourds investissements.
Les transferts croisés de Mira-
lem Pjanic et d’Artur entre la
Juventus Turin et le FC Barce-
lone ressemblent à un échange
qui ne dit pas son nom. La si-
tuation actuelle pourrait-elle
favoriser ces échanges ?
surtout se mettre en place entre
clubs de stature équivalente… Le
problème est que les petits clubs
ont besoin des indemnités de
transfert versées par les grands
clubs. La vraie question est celle
de la solidarité entre grands et
petits clubs : on n’avance pas suf-
fisamment sur ce sujet.
Le « salary cap » est-il
un instrument intéressant
(et réaliste) si on souhaite
davantage de régulation sur
le marché des transferts ?
Le salary cap n’est intéressant
que s’il est appliqué au niveau
européen. Ce qui n’est pas le cas
actuellement. Or on sent encore
très (trop ?) peu d’empressement
des autorités européennes à
soutenir ce type d’initiative. p
propos recueillis par a. p.
 sports | 19
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020

Les «joueurs d’en bas»

fragilisés
A cause de la pandémie de Covid-19,
des jeunes issus des centres de formation
se retrouvent sans club depuis le 30 juin

C’ est l’autre réalité du mer-

cato. Loin des joueurs qui
s’arrachent à coups de
millions sur le marché des trans-
POUR LA PREMIÈRE FOIS
DEPUIS SA CRÉATION,
ferts ou de ceux, attendant volon- EN 1990, L’UNFP A ANNULÉ
tairement la fin de leur contrat, qui
usent de leur réputation pour né- SON STAGE ESTIVAL,
gocier d’énormes primes à la signa-
ture, d’autres footballeurs, moins
PENDANT LEQUEL CES
connus, sont confrontés à des diffi- JOUEURS SANS CLUB
cultés, aggravées par la crise due au
coronavirus. PEUVENT SE PRÉPARER ET
Cette situation concerne aussi
bien les jeunes issus des centres de SE METTRE EN ÉVIDENCE
formation, qui bénéficiaient d’un
contrat aspirant ou stagiaire,
que les professionnels inscrits à solution pour deux autres. Quand
Pôle emploi. Les premiers repré- certains voient leur vocation
sentent une cohorte d’espoirs de retardée, d’autres rament pour
18 à 20 ans, qui ont tous appris, en rester dans le monde profes-
plein confinement, qu’ils ne sionnel. « Cette année, ça me
seraient pas conservés par leur frappe ! Il est 10 heures du matin, et
club au 30 juin. L’Union nationale j’ai déjà reçu trois coups de fil
des footballeurs professionnels d’agents qui m’appellent pour des
(UNFP) en a dénombré entre 100 et joueurs délaissés, des jeunes des
120 cette saison. centres de formation, mais aussi
Ces ex-aspirants et ces ex-stagiai- des jeunes pros qui n’ont pas pu
res vivent une drôle d’année. faire d’essais : “S’il vous plaît,
« Comme les bacheliers 2020, nous prenez-le trois ou quatre jours !” »,
n’avons pas de chance. C’est plus raconte Jean-Marc Furlan,
difficile en ce moment de rebondir entraîneur de l’AJ Auxerre.
quand tu n’es pas conservé par un Et pour ces joueurs au chômage
centre de formation. Il faut garder depuis le 30 juin, le Covid-19 a
espoir », confie Zacharie Iscaye, semé des embûches supplémen-
19 ans, à qui l’Olympique de taires. Pour la première fois de-
Marseille a annoncé, il y a deux puis sa création, en 1990, l’UNFP a
mois, qu’il ne signerait pas son annulé son stage estival, pendant
premier contrat professionnel. lequel ces joueurs sans club
peuvent se préparer physique-
L’importance du « double projet » ment et se mettre en évidence en
En dernière année de son contrat disputant des matchs amicaux.
En Ligue 1, Mathieu Lacour, le directeur annonçait, fin juin, Grégory Lorenzi, dont le de stagiaire, ce latéral de forma- « La décision a été prise après une
général du Stade de Reims (surprenant 6e de « J’AVAIS PRÉVU club était intéressé par le buteur autrichien. tion évoluait avec la réserve sans consultation de l’ensemble des
la saison écoulée), ne croit pas en une forte
diminution du nombre de transferts, en
D’ALLER OBSERVER « En France, des clubs en difficulté calent leur
prix comme si les acheteurs anglais, espa-
avoir eu l’opportunité d’intégrer le
groupe pro. La situation sanitaire
joueurs en fin de contrat », tient à
préciser Philippe Lafon. Pour
particulier en ce qui concerne « le marché CERTAINS JOUEURS gnols ou allemands étaient déjà là, poursui- l’a privé de la possibilité d’effec- Pascal Bollini, directeur de l’UNFP
très concurrentiel des jeunes talents » ou vait le dirigeant brestois. La bonne stratégie tuer des essais dans d’autres clubs FC, « la raison a été plus forte que
celui « des grands joueurs au niveau natio- À L’ÉTRANGER. J’AI est d’être patient pour des joueurs dont le prix de Ligue 1, de Ligue 2 ou de Natio- tout car le protocole sanitaire était
nal ou européen » qui continuent de susci- est trop haut pour l’instant. » Dans le dossier nal 1. Pour rebondir, c’est sur son trop compliqué à mettre en place ».
ter la même convoitise. « En revanche, il
DÛ M’ADAPTER EN Grbic, la patience n’a pas payé. Le 8 juillet, agent, Frédéric Guerra, qu’il a dû Celui qui travaille à l’organisation
risque d’y avoir une stagnation sur ce qu’on REVOYANT DES MATCHS l’attaquant rejoignait Lorient (promu en plus que jamais compter. Ce der- du stage depuis des mois a appris
appelle les bons joueurs de championnat, Ligue 1) pour un transfert estimé autour de… nier, qui s’occupe de plusieurs la mauvaise nouvelle à la soixan-
les garçons déjà installés avec un salaire EN VIDÉO ET EN 10 millions d’euros, pour le plus grand bon- joueurs dans le même cas, taine de joueurs désireux d’y par-
confortable », nuance-t-il. heur du vendeur. confirme : « A cause du Covid-19, ils ticiper (sur environ 180 en fin de
Le dirigeant rémois et Frédéric Guerra DISCUTANT PAR ZOOM » n’ont pas eu la possibilité de se contrat).
s’accordent sur la question. Une autre ten- GRÉGORY LORENZI DISTANCIATION FOOTBALLISTIQUE montrer. Je n’ai pas pu leur dire : “Va
dance depuis quelques années est appelée à directeur sportif L’annulation des dix derniers matchs de la en essai au Havre ou à Troyes.” « On aurait dû tester sans arrêt »
s’accentuer : celle « des prêts avec option du Stade brestois saison et le confinement, qui a paralysé le D’habitude, ils peuvent rebondir Outre la question de l’héberge-
d’achat obligatoire » ou « des prêts pays du 17 mars au 11 mai, ont aussi sur des contrats d’un an dans des ment, l’enchaînement de matchs
payants ». Idéal pour permettre de différer compliqué le travail des cellules de recru- réserves de Ligue 2… » de préparation tous les trois jours
le paiement et aussi pour échanger une par- tement. A Auxerre, la liste des joueurs Peu souvent inscrits dans un cur- aurait forcé à multiplier les tests
tie de la trésorerie. Les échanges pourraient ciblés s’est ainsi raccourcie. « Cette crise a sus scolaire solide, ces jeunes adul- du Covid-19. « Il y a les nouveaux
être aussi à la mode dans un sport qui y posé un problème pour l’observation des tes doivent alors décider s’ils per- joueurs qui intègrent au fur et à
était historiquement réticent à la diffé- joueurs. A part celui que tu suis depuis deux sévèrent ou s’ils abandonnent mesure le stage, ceux qui font des
rence, par exemple, de la NBA en basket. ou trois ans, être resté en stand-by a un leurs espoirs de carrière profes- allers-retours pour partir à l’essai.
Le nombre de mouvements ne sera pas le impact. On a engagé un joueur [Kévin sionnelle. « On ne leur dira jamais On aurait dû tester sans arrêt et
seul indicateur à la baisse. Le prix des transac- Fortuné] libre et confirmé, qui arrive d’Iran assez que le double projet est les isoler vingt-quatre heures en
tions pourrait aussi diminuer. Une étude du mais qui a déjà beaucoup d’expérience en important. Ils peuvent reprendre attendant les résultats », explique
cabinet KPMG chiffrait à 20 % de moyenne Ligue 2 », détaille Jean-Marc Furlan. des études et revenir dans le club Pascal Bollini.
environ la décote de la valeur des vingt A l’étage au-dessus, Reims et Brest, réputés d’origine de leur région en N1, N2 ou Le syndicat tente de maintenir
joueurs les plus chers en cas de fin de saison pour leurs bonnes pioches ces dernières sai- N3. Leur entrée vers le monde pro coûte que coûte le lien avec ces
annulée, et à 13 % si elle était allée à son terme. sons, ont dû aussi modifier un peu leurs mé- peut se faire plus tard », conseille footballeurs en difficulté : contacts
Mais coronavirus ou pas, le mercato fonc- thodes de travail. S’ils ont en général déjà Philippe Lafon, directeur général téléphoniques, informations sur
tionne toujours selon la loi immuable de l’of- identifié leurs futures recrues dès mars et de l’UNFP. Viré du centre de for- les inscriptions à Pôle emploi,
fre et de la demande. « Clermont peut deman- avril, la finalisation des recrutements a né- mation de Lille en 1998, un certain programme maison élaboré par
der 10 millions pour Adrian Grbic, si les ache- cessité quelques concessions. « Le confine- Franck Ribéry a suivi ce chemin en un préparateur physique, et
teurs font des propositions autour de 7 mil- ment a coïncidé avec une période où l’on in- se relançant à Boulogne-sur-Mer, accompagnement mental grâce à
lions, c’est qu’ils estiment que c’est son prix », tensifie nos relations. Je me déplace pour dé- sa ville d’origine. Thomas Aupic, un spécialiste lui-
jeuner avec le joueur et son agent. Il est crucial Zacharie Iscaye vient de lever même ex-professionnel.
de passer du temps pour voir son comporte- – en partie – le flou concernant Dans ce sombre tableau, il existe
Un volume de transferts limité ment. En visioconférence, ce n’est pas la même son avenir proche. Le Stade bres- peut-être une porte de sortie pour
chose », fait valoir Mathieu Lacour. Même tois (Ligue 1) a décidé de le faire ces footballeurs chômeurs. « De-
Suspendu entre le 10 juillet et le 10 août par la FIFA, le mercato chose pour Grégory Lorenzi : « J’avais prévu évoluer avec sa réserve. Mais pas puis cinq ans, on constate que les
franco-français, ouvert depuis le 8 juin, a connu un volume de d’aller encore observer certains joueurs à question d’un contrat pro, c’est clubs attendent avant de complé-
transactions limité. Selon une comptabilisation de L’Equipe, les l’étranger. J’ai dû m’adapter en revoyant des sous le statut d’amateur, à des ter leur effectif. Le contexte va ac-
transferts ont atteint 60 millions d’euros pour 19 ventes, dont 17 matchs en vidéo et en discutant par Zoom [un conditions modestes, qu’il a centuer cette tendance, annonce
entre clubs de Ligue 1 et deux de L2 vers la L1, traditionnel vivier logiciel de visioconférence] avec les joueurs accepté de faire ses preuves. « Sans Philippe Lafon, mais l’avantage de
pour les pensionnaires de l’élite. L’arrivée à Rennes du Lyonnais et leurs représentants. » l’avoir eu à l’essai, Brest a accepté ces joueurs est de pouvoir signer
Martin Terrier pour 12 millions d’euros (+ 3 millions de bonus) et Malgré l’augmentation importante des de prendre un risque. Zacharie aura après la fermeture du mercato.
celle à Lorient de l’Autrichien Adrian Grbic, en provenance de droits TV avec le nouvel entrant Mediapro, le un défraiement et il va avoir une C’est dur à dire, mais ils vont peut-
Clermont (L2) pour un montant estimé à une dizaine de millions football français n’a donc pas prévu de faire chance de poursuivre son rêve », être devoir attendre plus long-
d’euros, ont été les principales transactions d’un marché qui sa cigale. Au temps du coronavirus, il s’est détaille Frédéric Guerra, qui a temps cette saison. » La patience
attend la fin des grands championnats étrangers et l’ouverture transformé en fourmi. p aussi placé un de ses jeunes clients est une vertu. p
du mercato international (autour du 15 août) pour s’animer. anthony hernandez et alexandre pedro à Sochaux et tente de trouver une an. h.
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SCIENCE & MÉDECINE
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MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020

DOSSIER

Les médecins inquiets des séquelles du confinement

La crise sanitaire et le stress subi par les systèmes de soins ont engendré des retards de diagnostic, de prise en charge,
de traitement, de vaccination, qu’on commence juste à évaluer. Ils auront un impact à long terme

J’
ai des difficultés à marcher, je n’ai
plus de force, je m’affaisse… », décrit
Simone Bessin, venue, ce matin du Santé : les dégâts collatéraux du Covid-19
mardi 30 juin, en consultation au ca-
binet du docteur Fabien Quedeville,
à Chilly-Mazarin (Essonne). Avec son mari, ils
Une chute du recours aux soins
sont rentrés d’Espagne, la veille, où ils étaient Evolution des dépenses des soins de ville, Médecins spécialistes : remboursements Médecins généralistes : remboursements
confinés dans leur résidence secondaire de- en millions d’euros hebdomadaires, en milliers d’euros, par semaine hebdomadaires, en milliers d’euros, par semaine
puis début février. Cette dame de 83 ans n’est
pas sortie pendant cette période. « Je n’avais
début du
pas le moral du tout, j’avais peur de ne plus re- 200 250 120
déconfinement
voir mes enfants et petits-enfants, j’étais in- pendant début du début du
quiète de ne pas avoir suffisamment de médi- le confinement 200 confinement 100 confinement
0
caments », explique Mme Bessin. Depuis, elle 80
ressort faire ses courses, mais n’a pas re- 150
trouvé toutes ses capacités motrices. – 200 60
Nous avions interrogé le docteur Quede- 100
40
ville fin mars. Il était alors très inquiet pour – 400 Ile-de-France
ses malades chroniques, diabétiques, insuf- 50 20
en zone orange
fisants cardiaques… Trois mois plus tard, les
– 600 0 0
faits sont là, avec, en plus, le sentiment
d’avoir « été déconsidéré, inutile ». Pendant le sem. 10 sem. 24 sem. 10 sem. 24 sem. 10 sem. 24 sem. 10 sem. 24
confinement, il a vu une trentaine de pa- 2019 2020 2019 2020
tients par semaine, alors qu’il en reçoit entre
cent et cent vingt en temps normal.
Ce jour-là, d’autres personnes âgées vien-
Le dépistage du cancer colorectal Une baisse de la vaccination Des traitements en baisse
nent le consulter, qui ont souffert de cette Evolution du nombre de tests de dépistage de cancer Nombre de vaccins non réalisés durant Ecart des initiations de traitement
période si particulière. Agé de 77 ans, colorectal lus, par semaine, en 2020 les huit semaines de confinement selon Epi-Phare par rapport aux années précédentes
M. Bourgois se plaint d’une forte douleur
sur le côté qui « l’empêche, certains jours, de
début du début du 123 000 44 000 – 49 %
bouger ». « Avec mon épouse, nous ne sor- pour le ROR (rougeole, vaccins penta pour les statines
confinement déconfinement
tions plus, n’avions plus de relations sociales. oreillons, rubéole), soit et hexavalents (médicaments contre
J’ai dû arrêter toutes les activités, la faïence, le une baisse de 16 % par pour les nourissons le cholestérol), soit 70 000
cynodrome où j’amenais mes chiens », confie 100 000 patients non traités
rapport aux années de 3 à 18 mois
cet homme jusqu’ici très actif. précédentes
80 000
DES PATIENTS « TENDUS ET ÉPUISÉS » confinement
– 48,5 %
Le généraliste voit aussi beaucoup de pa- 60 000 pour les antidiabétiques
tients en état d’épuisement. Comme cette oraux, soit 36 500
jeune mère qui vient pour son petit garçon 40 000 diabétiques non traités
de 5 ans, asthmatique. Il n’est pas sorti, sa 450 000 90 000
20 000 vaccins anti-HPV (human
mère craignait le Covid-19. Alors qu’elle avait
décidé il y a quelques mois, après plusieurs
vaccins
antitétaniques papillomavirus), soit une baisse – 39 %
0 de 43 % par rapport aux années pour les traitements
consultations, de perdre du poids et d’arrê-
précédentes antihypertenseurs,
ter de fumer, le confinement a mis à mal ses semaine 1 semaine 12 semaine 21
soit 100 000 patients
efforts, elle a repris des kilos, la cigarette :
hypertendus non traités
« Ç’a été compliqué. » Source : Système national des données de santé Infographie : Le Monde
« Une politique de santé publique ne se li-
mite pas à une pathologie. Fallait-il tout stop-
per pour cela ? » questionne le docteur Que- Il n’y a pas que dans les cabinets des méde- tains risquant de contracter une forme grave baisse qui a même atteint 95 % chez les chi-
deville, qui craint aussi les conséquences cins de ville que la situation inquiète. Pour de Covid-19 du fait de leur pathologie. rurgiens-dentistes ou les kinésithérapeutes.
psychologiques qu’on ne pourra pas chiffrer. faire face à la pandémie et pouvoir accueillir « UNE Deux mois après le début du déconfine- « Le renoncement aux soins est évident, il y
Même constat pour Xavier Marc-Tudor, gé- les patients touchés par le Covid-19, qui a à ment, l’impact de la pandémie de Covid-19 aura forcément des pertes de chance », pré-
néraliste à Nantes : « Personne n’est sorti in- ce jour causé la mort de plus de 30 000 per- POLITIQUE sur la prise en charge d’autres pathologies voit Stanislas Niox-Chateau, cofondateur de
demne du confinement. Je pose la question sonnes en France – près de 100 000 patients DE SANTÉ est encore difficile à estimer, mais des pre- Doctolib, même s’il tempère : « Avec 5 mil-
systématiquement à tous mes patients, non ont en outre été hospitalisés, dont un grand mières données commencent à émerger. lions de consultations vidéo réalisées depuis
directement touchés, âgés de 16 à 60 ans. Ils nombre en soins intensifs –, les établisse-
PUBLIQUE Les Français ont peu ou pas consulté. Les début mars (contre 200 000 l’année précé-
sont tendus et épuisés. » En fonction de leurs ments hospitaliers ont dû réorganiser leurs NE SE LIMITE chiffres sont éloquents : dès la mi-mars, le dant l’épidémie), la téléconsultation a connu
manifestations cliniques, il leur prescrit un services, augmenter les capacités de lits de PAS À UNE recours aux soins a connu « une chute ma- une croissance spectaculaire. »
bilan sanguin et, dans environ 10 % des cas, réanimation, déprogrammer des opérations jeure, très rapide et durable », mentionne le
un arrêt de travail. Beaucoup font état de chirurgicales, tout en maintenant un mini- PATHOLOGIE » rapport « Charges et produits 2021 » de l’As- DÉSÉQUILIBRES THÉRAPEUTIQUES
fatigue et/ou faiblesses musculaires, de dou- mum d’activités pour les autres malades. Un FABIEN QUEDEVILLE surance-maladie, dévoilé le 2 juillet. Ce que « On redoute une autre vague, l’explosion
leurs lombaires, d’essoufflement. « Les mus- report qui concerne l’ensemble du territoire. MÉDECIN confirment les chiffres de Doctolib, leader des complications des patients qui n’ont pas
cles ont fondu, leur cœur et leurs poumons Les patients eux-mêmes étaient réticents à GÉNÉRALISTE français de prises de rendez-vous médicaux : été pris en charge », assure Jean-François
ont perdu l’habitude de l’effort, c’est un peu se rendre à l’hôpital ou chez un médecin, le nombre de consultations des médecins Thébaut, vice-président de la Fédération
comme s’ils sortaient d’une longue période voire à la pharmacie. Ils n’osaient pas déran- généralistes a chuté de 44 % et de 71 % pour française des diabétiques, qui a lancé une
d’hibernation », poursuit-il. ger ou craignaient d’être contaminés, cer- les spécialistes entre janvier et avril. Une campagne #revoirsonmedecin avec d’autres
associations.
En France, les malades chroniques (de 15 à
20 millions de personnes), à risque de
forme grave de Covid-19, fortement incités

LES AVORTEMENTS PERTURBÉS à rester confinés, ont moins eu recours aux

soins. « On a vu arriver des patients en souf-
france avec une peur viscérale de sortir et de

L
a réorganisation du système de
santé pendant l’épidémie de
Covid-19 a-t-elle dégradé l’accès
aux interruptions volontaires de gros-
sesse (IVG) ? Pour prévenir le risque,
les professionnels se sont mobilisés
dès le confinement. Si l’option d’un
allongement de quinze jours du délai
légal d’IVG (pour passer de quatorze à
seize semaines d’aménorrhée) n’a pas
été retenue, les interruptions de gros-
sesse médicamenteuses ont été privi-
légiées, ainsi que les aspirations sous
anesthésie locale. La possibilité d’in-
tervention sous anesthésie générale a
cependant été maintenue, les IVG
étant des urgences chirurgicales.
« Grâce à des procédures accélérées,
nous avons obtenu une autorisation
d’IVG médicamenteuse à domicile jus-
qu’à neuf semaines d’aménorrhée
– contre sept d’habitude –, et la possibi-
lité de téléconsultation, y compris pour
les prescriptions de ces médicaments »,
précise Aubert Agostini (CHU de Mar-
seille), qui préside la commission du
Collège national des gynécologues et
obstétriciens français.
Aucun bilan précis n’est encore dis-
ponible, mais de premières données
communiquées aux professionnels,
lors d’une réunion à la direction géné-
rale de la santé (DGS), le 9 juillet, mon-
trent que les demandes des femmes
ont chuté pendant le confinement.
« Dans les établissements de santé, l’ac-
tivité IVG a baissé dans la plupart des
régions, sauf dans les Pays de la Loire et
en Bretagne. En libéral, les forfaits IVG
sont passés de 4 000-5 000 par mois à
3 000 », indique Adrien Gantois, prési-
dent du Collège national des sages-
femmes de France.
La question principale est désor-
mais celle de la survenue d’IVG au-
delà du délai légal. Une enquête na-
tionale est en cours auprès des qua-
rante-huit centres pluridisciplinaires
de diagnostic prénatal pour évaluer le
nombre d’interruptions médicales de
grossesse pour « motif psychoso-
cial », correspondant en fait à des IVG
hors délai. « Ce bilan ne sera cepen-
dant pas représentatif de la situa-
tion », prévient M. Gantois.
Et après la fin de l’état d’urgence ?
Avec la fin de l’état d’urgence, le
10 juillet, les aménagements pour les
IVG médicamenteuses à domicile de-
vraient s’arrêter. « Nous plaidons pour
leur maintien, parce que l’épidémie n’est
pas finie, et que nous sommes en été, qui
est toujours une période de tension. De
plus, cela permettrait d’avoir des don-
nées solides sur la pertinence de ces nou-
velles modalités », souligne M. Agos-
tini. Selon nos informations, seule
l’autorisation des téléconsultations va
continuer, mais sans possibilité de
prescription médicamenteuse.
Par ailleurs, l’activité d’assistance
médicale à la procréation (AMP), globa-
lement suspendue pendant le confine-
ment, reprend progressivement. Fin
juin, 94 % des centres d’AMP étaient de
nouveau actifs, selon une enquête de
l’Agence de biomédecine auprès des
104 structures du territoire, à laquelle
ont répondu 99 d’entre elles. Entre le
11 mai et le 11 juin, ils ont réalisé envi-
ron la moitié du volume d’activité
habituel pour les inséminations, et le
tiers pour les transferts d’embryons.
La reprise des fécondations in vitro est
plus lente (14 % du volume habituel),
du fait des contraintes sanitaires,
notamment dans les blocs opératoi-
res. « Pour la majorité des couples, ce
décalage de quelques mois sera sans
conséquence, mais il pourrait y avoir
perte de chances dans certaines situa-
tions, selon Claire De Vienne, médecin
référente AMP à l’Agence de la biomé-
decine. C’est pourquoi nous avons prio-
risé les prises en charge, par exemple
chez les femmes avec un âge limite, ou
avec une indication urgente de préser-
vation de fertilité. » p
sandrine cabut
se mettre en danger », précise Anne-Sophie
Joly, présidente du Collectif national des as-
sociations d’obèses. Les généralistes font
part de problèmes de déséquilibres théra-
peutiques parmi leurs patients, dont les
traitements ne sont parfois plus adaptés.
« La grande majorité des diabétiques n’a pas
bougé par peur de sortir, constate Jacques
Battistoni, président de MG France, le pre-
mier syndicat de généralistes, et généraliste
à Ifs (Calvados). Le diabète, c’est un peu un
jeu de l’oie, et ils ont régressé de plusieurs
cases : ils ont pris du poids, ont déséquilibré
leur alimentation, leurs résultats. C’est vala-
ble pour toutes les pathologies chroniques
pour lesquelles l’exercice est un paramètre
important, comme les hypertendus. »
Si l’accès au traitement pour les patients
connus et déjà traités semble avoir été glo-
balement maintenu, les données d’Epi-
Phare font état d’un constat plus inquié-
tant, mettant en évidence un nombre d’ini-
tiations de traitement chronique en très
forte baisse par rapport aux années précé-
dentes, indique le rapport de la Caisse natio-
nale d’assurance-maladie (CNAM), que ce

0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
soit pour les traitements antihyperten-
seurs, les antidiabétiques oraux, ou les sta-
tines (contre le cholestérol).
Dans le domaine du cancer, deux choses
inquiètent le professeur Jean-Yves Blay, pré-
sident de la Fédération nationale des centres
de lutte contre le cancer (Unicancer) : « Les
premiers diagnostics de cancer ont baissé de
36 % dans les dix-huit centres en avril 2020,
par rapport à avril 2019, et l’activité actuelle
ne rattrape pas ce retard. » Egalement direc-
teur du centre d’oncologie Léon-Bérard à
Lyon, le professeur Blay voit aussi des pa-
tients arriver avec des tumeurs plus grosses,
car ils ont attendu. « Les retards de diagnostic
entraînent une surmortalité de 10 % à 15 % par
mois de retard, avec des différences selon le
type et la localisation du cancer », précise
l’oncologue. La Ligue contre le cancer a es-
timé qu’environ 30 000 malades n’auraient
pas été diagnostiqués pendant cette période,
ce qui diminue de moitié le total des dia-
gnostics par rapport à l’année précédente.
Le docteur Thierry Bouillet, oncologue à
l’hôpital Avicenne (Bobigny), estime cepen-
dant que « les pertes de chance devraient être
minimes sur cette courte période, car l’ab-
sence de politique de dépistage ne signifie pas
un impact sur la survie des patients traités. En
revanche, un retard de poursuite de soins
d’un cancer peut être délétère. »
ACTES CHIRURGICAUX REPORTÉS
Très touchées par le Covid-19, les personnes
âgées risquent de souffrir de ce report de
soins, en particulier les plus fragiles résidant
en Ehpad ou bénéficiant d’un accompagne-
ment médico-social à domicile. « Un tel ex-
cès de mortalité des plus de 65 ans – 30 % par
rapport à la normale entre début mars et le
19 avril –, lié au Covid-19, est probablement
dû à d’autres causes et notamment au non-
recours aux soins, surtout sur les patients les
moins âgés », pointe l’Assurance-maladie.
« Beaucoup de personnes âgées éprouvent
des difficultés à retrouver une vie normale, ce
qui contribue au sentiment d’isolement qu’ils
ont déjà beaucoup ressenti durant le confine-
ment », relève le docteur Battistoni. « On cons-
tate par ailleurs une aggravation importante
de l’état clinique des personnes présentant des
maladies neurodégénératives ou des séquelles
d’AVC qui n’ont pas été prises en charge durant
le confinement », décrit Anne Dehêtre, prési-
dente de la Fédération nationale des ortho-
phonistes, qui s’apprête à lancer une étude
sur les effets secondaires du confinement
auprès des 22 000 professionnels en exercice.
Concernant les urgences vitales, les crain-
tes se sont confirmées. Les AVC et les infarc-
tus du myocarde ont été moins pris en
charge dans les services des urgences. Cela
avait été décrit en Chine ou en Italie. Une
étude menée par le chercheur Eloi Marijon
et la docteure Nicole Karam au Centre de re-
cherche cardio-vasculaire de Paris (Inserm/
université de Paris), en collaboration avec
Daniel Jost (Brigade de sapeurs-pompiers de
Paris), publiée dans The Lancet-Public
Health, a montré que le nombre d’arrêts car-
diaques extrahospitaliers a été multiplié par
deux par rapport à la même période les
années précédentes. 521 arrêts cardiaques
hors hôpital ont été identifiés à Paris et dans
la petite couronne, entre le 16 mars et le
26 avril, contre, en moyenne, 380 entre 2012
et 2019, à la même période. Seulement 33 %
des cas sont attribués au SARS-CoV-2. Selon
les chercheurs, les deux tiers restants s’ex-
pliquent par la saturation du système de
soins, la diminution du suivi, et des change-
ments de comportement, voire un mésu-
sage de médicaments. Conséquence, le taux
de patients morts avant leur arrivée à l’hôpi-
tal a augmenté de 12,8 % à 22,8 %.
« Si les urgences vitales ont été maintenues
en chirurgie cardiaque, l’activité a été réduite à
20 % de la normale dans tous les centres fran-
çais. Aujourd’hui, les activités n’ont repris qu’à
80 %, explique le professeur Pascal Leprince,
chef de service de chirurgie cardiaque à la
Pitié-Salpêtrière. Nous voyons des patients qui
n’ont pas consulté pendant le confinement. Un
chiffre le montre, alors que nous prenions en
charge en temps normal deux à trois endocar-
dites, infections des valves du cœur, par mois,
nous en faisons une par jour actuellement. »
Or, ces pathologies sont souvent favorisées
par un mauvais état bucco-dentaire.
L’activité chirurgicale dans son ensemble a
été très touchée. Au total, près de 1,1 million
« J’AI CONSTATÉ
PLUSIEURS CAS DE
TOUT-PETITS QUI SE SONT
MIS À BÉGAYER »
MYLÈNE HUE
ORTHOPHONISTE
d’actes ont été reportés. « Il en résulte des ris-
ques d’aggravation dus au retard de prise en
charge, non seulement en oncologie, mais
également dans les autres disciplines », aler-
taient, dans un communiqué commun, les
académies de médecine et de chirurgie, le
15 mai. « Au-delà de cet aspect sanitaire, la
réduction drastique de l’activité chirurgicale a
également eu un impact économique consi-
dérable. D’où l’urgence d’une reprise rendue
difficile en raison de l’engorgement des pro-
grammes opératoires et des mesures drasti-
ques de désinfection des blocs, nous précise le
professeur Patrice Tran Ba Huy, président de
la division chirurgicale de l’Académie de mé-
decine. Et, en plus de la pénurie de matériel,
de nombreux services ont été confrontés à la
non-disponibilité de médicaments comme les
anesthésiques, les analgésiques (opiacés…) et
les myorelaxants (curares…). »
Les activités de transplantation d’organes
ont, elles aussi, été fortement réduites. Les
greffes rénales (3 640 en 2019) ont quasi-
ment été arrêtées pendant deux mois. Cer-
tains transplanteurs estiment que, si c’était à
refaire, l’activité de greffe devrait être main-
tenue dans certaines conditions. Plus large-
ment, le docteur Alain Weill, responsable du
département d’études en santé publique
auprès de la CNAM, se dit « très inquiet, car ce
sera long pour rattraper ce retard de manque
d’examens, scanners, IRM »…
Outre la fatigue, parmi les symptômes post-
confinement constatés par les généralistes
reviennent essentiellement des problèmes
d’ordre psychologique, avec des manifesta-
tions d’angoisse ou de stress. « Dans au
moins la moitié des consultations, on a quel-
que chose qui se rapporte à la problématique
du confinement ou du déconfinement », es-
time le professeur Serge Gilberg, vice-prési-
dent du Collège de la médecine générale.
Les données recueillies dans le cadre de
l’enquête CoviPrev, lancée en mars par Santé
publique France pour suivre l’évolution de la
santé mentale de la population, montrent
une prévalence importante des troubles du
sommeil (entre 60 % et 65 % des répondants)
pendant le confinement, qui perdure dans
ses suites immédiates. A compter de fin mars
et jusqu’à début mai, entre 18 % et 20 % des
personnes interrogées disaient ressentir des
symptômes d’anxiété et de dépression : au
11 juin, ce taux avait diminué à 10 % pour la
dépression, tandis que l’anxiété restait à des
niveaux de prévalence élevés, autour de 15 %.
RETARDS DE VACCINATION
Chez les psychologues ou les psychiatres li-
béraux, en revanche, le volume des consul-
tations n’a pas nécessairement augmenté
depuis le déconfinement, malgré une baisse
sensible des consultations durant deux
mois. « On aurait pu s’attendre à un rebond
de demandes en mai-juin, mais ça reste
encore timide, ça laisse craindre des effets à
plus long terme », souligne le psychiatre
Maurice Bensoussan, président en Occitanie
de l’Union régionale des professionnels de
santé – qui représente les médecins libé-
raux. Les psychiatres disent redouter un af-
flux de patients à la rentrée. « Il y a sans
doute plus de difficultés avec le déconfine-
ment qu’avec le confinement », suggère Jac-
ques Borgy, psychologue à Levallois-Perret
(Hauts-de-Seine) et membre du Syndicat
national des psychologues.
L’Académie de médecine a aussi mis en
garde sur les effets négatifs du confinement,
notamment sur les comportements addic-
tifs à l’égard du tabac, de l’alcool, de drogues,
d’écrans. Le professeur Didier Houssin, de la
cellule de veille sur le Covid-19 de l’Académie
nationale de médecine, alerte également sur
les retards de vaccination des enfants.
Le confinement ne les a pas toujours
épargnés, y compris les plus jeunes d’entre
eux. Certains parents décrivent par exem-
ple un bégaiement d’apparition brutale.
« J’ai constaté plusieurs cas d’enfants, plutôt
des tout-petits, entre 2 et 4 ans, qui se sont
mis à bégayer, avec des formes allant jus-
qu’au blocage, à savoir une incapacité de
parler », développe Mylène Hue, orthopho-
niste à Nantes, spécialisée dans ce trouble
de la parole. Si, pour certains enfants, le
confinement a pu être profitable, de nom-
breux enfants handicapés se sont retrouvés
sans soins, sans aide extérieure.
Il est désormais nécessaire de tirer des le-
çons de cette période inédite – et d’anticiper
un éventuel rebond. « En cas de nouvelle
vague, il ne faudra pas refaire l’erreur de ren-
voyer systématiquement, en cas de symptô-
mes, sur le 15, qui a été surchargé. Il faudra
conseiller aux personnes d’aller voir leur mé-
decin pour leur suivi », insiste le professeur
Pierre-Louis Druais, membre du conseil
scientifique Covid-19. p
pascale santi
et élisabeth pineau
Trois top départs pour Mars
D’ici à la mi-août, les Emirats arabes unis, la Chine et les Etats-Unis
devraient envoyer chacun une mission vers la Planète rouge
E
lles devaient être quatre
missions à s’élancer vers
Mars cet été mais, après le
forfait de l’européenne ExoMars,
elles ne sont plus que trois sur la
ligne de départ, attendant que la
« fenêtre » du voyage spatial vers la
Planète rouge s’ouvre, ce qui n’ar-
rive que tous les vingt-six mois. La
première à quitter la Terre sera
aussi la plus modeste : la mission
Hope, des Emirats arabes unis, dé-
collera dans la nuit du 14 au
15 juillet depuis le centre spatial
japonais de Tanegashima, à bord
d’une fusée Mitsubishi H-IIA.
Chargé d’étudier la météorologie
martienne, cet orbiteur a aussi une
fonction symbolique puisqu’il arri-
vera à destination en 2021, pour le
cinquantenaire de la naissance des
Emirats, et sera la première mis-
sion arabe à s’aventurer dans le
Système solaire.
Avec le centenaire du Parti com-
muniste chinois, 2021 constituera
également une date symbolique
pour Pékin. Réussite est donc at-
tendue pour la mission Tianwen-1
(nommée Huoxing-1 à l’origine), la-
quelle devrait partir le 23 juillet à
bord d’une fusée Longue Marche-5.
Cette épopée martienne est aussi
une première pour la Chine, et une
première d’autant plus ambitieuse
que la mission comprend non seu-
lement un orbiteur, mais aussi un
atterrisseur et un rover de 240 kg.
Si les Chinois ont déjà réussi, par
deux fois, à poser et à faire rouler
une astromobile sur la Lune, atter-
rir sur Mars s’avère nettement plus
complexe en raison de la présence
d’une atmosphère (notre satellite
en est dépourvu), dont les frotte-
CARTE BLANCHE
Freeman Dyson et la vieille
école du nucléaire civil
Par WIEBKE DRENCKHAN
et JEAN FARAGO
A
vec cet esprit d’indépen-
dance qui le caractérisait,
le physicien Freeman Dy-
son nous a quittés en février, à
96 ans, pour d’autres raisons que
le Covid-19… Ce scientifique fé-
cond aura participé à des avan-
cées majeures en électrodynami-
que quantique, où il contribua de
façon décisive aux succès des
approches révolutionnaires de
Richard Phillips Feynman (1918-
1988). Son activité ultérieure de
théoricien en physique de la ma-
tière condensée et en mathémati-
ques suscite également l’admira-
tion par la diversité et la profon-
deur incroyables dont il fit
preuve. Pour être tout à fait hon-
nête, disons qu’il fut moins heu-
reux quand, tardivement, il s’ex-
prima sur le climat, plus loin de
ses domaines de compétence…
Pourtant, il y eut un de ces pas de
côté où Dyson fit la démonstration
de son génie. A l’été 1956, il accepte
l’invitation à se joindre à un groupe
de chercheurs pendant plusieurs
semaines dans une école abandon-
née de San Diego, pour réfléchir à
des alternatives aux choix techno-
logiques qui commençaient à s’im-
poser dans le nucléaire civil en dé-
veloppement. Avec les moyens du
bord et dans une effervescence qui
n’avait rien à envier aux start-up
d’aujourd’hui, Dyson sera le fer de
lance d’une collaboration qui dé-
science & médecine | 21
L’AMÉRICAINE
MARS 2020
EST LA PLUS
IMPORTANTE
SUR LE PLAN
SCIENTIFIQUE
ments chauffent à blanc les engins
spatiaux quand ils déboulent à
toute vitesse… Si Tianwen-1 par-
vient à surmonter l’obstacle de l’en-
trée dans l’atmosphère, du frei-
nage et de l’atterrissage, il est prévu
que son rover se promène sur Mars
durant trois mois. Ce petit labora-
toire sur roues effectuera des ana-
lyses du sol martien, notamment
grâce à un instrument semblable à
la ChemCam (de fabrication fran-
çaise) qui équipe le rover américain
Curiosity, sur Mars depuis 2012 : cet
appareil tire au laser sur des roches
et analyse par spectroscopie le ma-
tériau vaporisé pour en déduire sa
composition.
Une compétition symbolique
La mission qui partira en dernier
est aussi la plus importante sur le
plan scientifique. L’américaine
Mars 2020 (prononcez « vingt-
vingt ») décollera le 30 juillet du
Centre spatial Kennedy, à Cap Cana-
veral (Floride), à bord d’une fusée
Atlas V. Son passager s’appelle Per-
severance. « C’est une évolution de
Curiosity, a souligné Jean-Yves Le
Gall, président du Centre national
d’études spatiales, lors d’une pré-
sentation de la mission le 30 juin, la
bouchera sur l’invention du réac-
teur Triga, mis sur le marché trois
ans plus tard et encore exploité de
nos jours. La caractéristique essen-
tielle du Triga est sa sécurité intrin-
sèque : quoi qu’il arrive à ce réac-
teur, une réaction d’emballement
avec fusion du cœur est structurel-
lement impossible. Malheureuse-
ment, sa petite taille le réserve
pour des activités de pointe, et les
grosses centrales actuelles produc-
trices d’électricité doivent toutes
encore gérer un risque de dérive
aux conséquences catastrophiques.
« Le fun a disparu »
La genèse du Triga est racontée par
Dyson dans son livre Les Déran-
geurs de l’univers (1979, Payot,
1986). Sa plume est pleine d’hu-
mour et de malice quand il fait le
récit de cet épisode exceptionnel,
mais il en tire également une ré-
flexion profonde sur les dynami-
ques de recherche et d’innovation,
dont la pertinence reste intacte
quarante ans plus tard. En cette fin
des années 1970 où il écrit, l’épuise-
ment de l’enthousiasme et de l’ef-
fort initial d’après-guerre en ma-
tière de nucléaire civil est palpable,
avec l’arrêt de plusieurs program-
mes de recherche et développe-
ment, ce qui lui inspire ce ques-
tionnement rétrospectif : « La fis-
sion nucléaire n’est plus un terrain
de jeu prometteur, ni pour des jeu-
nes scientifiques ni pour des inves-
tisseurs. Qu’est-ce qui n’a pas mar-
ché avec le nucléaire civil ? »
France ayant été sélectionnée par la
NASA pour fournir l’instrument Su-
perCam, qui est lui-même une évo-
lution de ChemCam. Ce rover me-
sure 3 m de long, 3 m de large, 2 m de
haut et il pèse plus d’une tonne. C’est
l’équivalent d’une petite voiture. »
« On sait désormais qu’il y a 4 mil-
liards d’années Mars a été habita-
ble, explique Jean-Yves Le Gall. La
question est : Mars a-t-elle été habi-
tée ? » Perseverance se posera dans
le cratère Jezero, dans une zone qui
a été inondée jadis. Les boues
d’autrefois font d’excellentes can-
didates pour conserver des traces
d’une vie passée. Le rover ne sera
pas en mesure de détecter ces
éventuels reliquats du vivant, mais
il effectuera des mini-carottages
du sol. Il les scellera dans 30 à
40 tubes qu’il déposera le long du
chemin, charge à une future mis-
sion de venir les ramasser, de les
expédier en orbite martienne, où
une sonde les récupérera pour les
rapporter sur Terre, en 2031 si tout
se passe bien.
Mais pour que ce calendrier soit
tenu, il faut déjà que Perseverance
parte cette année. Son décollage, à
l’origine prévu le 17 juillet, a été
décalé plusieurs fois pour des pro-
blèmes sur la fusée. Si on ajoute à
cela l’épidémie de Covid-19, très ac-
tive en Floride, et l’entrée dans la
saison des ouragans sur la côte
Atlantique des Etats-Unis, la situa-
tion risque de se tendre à Cap
Canaveral. La fenêtre de tir se refer-
mera à la mi-août. Si les Chinois ar-
rivaient à lancer leur mission mar-
tienne mais pas les Américains, l’af-
front serait terrible. p
pierre barthélémy
Selon Dyson, le problème majeur
est à chercher dans les temps de
développement très longs qui,
passé une décennie, ont fini par
éloigner les plus brillants physi-
ciens du nucléaire : « Quelque part
entre 1960 et 1970, le fun a disparu
du domaine. Les aventuriers, les
expérimentateurs et les inventeurs
ont été poussés dehors, et les comp-
tables et manageurs ont pris le
contrôle. » Cet épuisement, com-
biné aux coûts faramineux du
domaine, a empêché de garder
vivante cette dynamique contra-
dictoire si essentielle, au cours de
laquelle différentes solutions sont
proposées, testées, rejetées ou sé-
lectionnées d’une manière quasi
darwinienne. Ainsi, selon Dyson,
l’absence de ce processus a fait obs-
tacle à ce que des réacteurs vrai-
ment performants et sûrs voient le
jour : « Peut-être en va-t-il de même
en technologie que dans l’évolution
biologique […]. Dans les deux do-
maines, les petites créatures évo-
luent plus facilement que les gros-
ses, et les oiseaux ont persisté et
évolué alors que leurs cousins les
dinosaures ont disparu. »
Cette analyse lucide semble bien
pertinente pour la France
d’aujourd’hui, à l’heure de la fer-
meture emblématique de Fessen-
heim, et alors que les problèmes
et inquiétudes autour de l’EPR
continuent de s’accumuler. Dans
notre époque si frénétiquement
avide de regroupements et de fu-
sions en des structures toujours
plus grosses (universités, entre-
prises, régions…), Dyson nous rap-
pelle ainsi ce que nous risquons
de perdre dans la fabrication de
ces mastodontes. p
¶
Wiebke Drenckhan et Jean Farago
physicienne et physicien à l’Institut
Charles-Sadron, à Strasbourg,
université de Strasbourg
22 | science & médecine
LE LIVRE
Partager le monde
avec les bêtes
sauvages
Dans leur ouvrage,
les naturalistes de terrain
Gilbert Cochet et Béatrice
Kremer-Cochet décrivent
comment des espèces
sauvages menacées
ont pu être préservées
D
epuis l’introduction de l’élevage
en Europe, il y a neuf mille ans,
Homo sapiens n’a cessé d’impri-
mer sa marque aux écosystèmes, déboi-
sant pour étendre les aires de pâturages et
exploitant les ressources naturelles. Au
cours des derniers siècles, la logique pré-
datrice de l’homme moderne a conduit à
leur épuisement et au massacre des espè-
ces considérées comme gênantes. Alors
qu’elles représentaient 97 % de la biomasse
il y a dix mille ans, les espèces sauvages
n’en représentent aujourd’hui que 2 %,
contre 85 % pour les animaux domesti-
ques, notamment le bétail.
« Pour les prédateurs, le raisonnement
était rationnel, cartésien, mathématique.
On l’utilisait pour justifier le traitement
réservé aux carnassiers : une loutre mange
telle quantité de poissons par jour, tuons-les
toutes et nous aurons une richesse piscicole
sans limites », dénoncent ainsi, dans L’Europe
réensauvagée. Vers un nouveau monde, les
fondateurs de l’association Forêts sauvages,
Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet.
Rompant avec cette approche rationnelle,
leur récit entend rendre justice aux espè-
ces sauvages en inventoriant leur repeu-
plement sous l’effet des programmes de
protection et de réintroduction qui se sont
développés au cours des dernières décen-
nies en Europe.
Car la nature est résiliente, annoncent-ils,
comme en témoigne le développement
rapide du bison d’Europe dans les forêts
d’Europe centrale, du fou de Bassan sur la
façade océanique ou du cygne chanteur en
Suède ou en Norvège. Entre 2013 et 2016, on
dénombrait par exemple à travers l’Europe
392 800 couples nicheurs de fous de
Bassan, contre seulement 50 000 en 1889.
Le livre regorge de connaissances glanées
au fil des années par ces deux passionnés
de la vie sauvage.
Nouveau regard sur le vivant
Le lecteur apprend ainsi que la Ligue pour la
protection des oiseaux a été créée en 1912
afin de lutter contre une pratique consis-
tant à tirer comme au ball-trap les maca-
reux moines, au large de Perros-Guirec
(Côtes-d’Armor), en Bretagne. Avant cela, du
XVIIIe au début du XXe siècle, leurs popula-
tions avaient été entamées par le ramas-
sage des œufs, la chasse et la présence des
chèvres et des moutons, qui détruisaient
leurs habitats. Avant d’être décimées, à
partir des années 1970, par l’épuisement de
leurs ressources dû à la surpêche. Autre
exemple décrit dans l’ouvrage : en Islande,
il a suffi à la pêche industrielle de quel-
ques décennies pour détruire les stocks de
harengs, qui sont aujourd’hui en cours de
reconstitution.
On peut regretter que le ton subjectif
adopté par les deux auteurs, inscrit comme
une alternative à la froideur de la descrip-
tion cartésienne, pâtisse parfois d’un
manque de précision. L’histoire des natu-
ralistes est survolée, alors qu’elle méritait
largement une réflexion critique. Mais,
outre sa richesse, le livre a également le
mérite de contribuer au renouvellement
du regard sur le vivant, comme le souligne,
dans la préface, le philosophe Baptiste
Morizot. « C’est ce que défendent Gilbert et
Béatrice, dans ce tableau d’une Europe
qui se réensauvage : des manières d’être
humains plus riches d’égards ajustés envers
la vie sauvage qui constitue nos milieux de
vie, plus capables de se tisser avec elle, de lui
faire de la place. » p
catherine mary
L’Europe réensauvagée.
Vers un nouveau monde,
de Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet
(Actes Sud, 320 p., 23 €).
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
UNE LUMIÈRE LASER
TRÈS « BRANCHÉE »
Ces méandres verts sont constitués
par la propagation d’un pinceau
laser à la surface d’une bulle de sa-
von gelée. Les variations aléatoires
d’épaisseur du film (perceptibles
par les irisations du fond de
l’image) « cassent » les trajets
lumineux en plusieurs branches.
Ce phénomène, qui apparaît en
présence d’un milieu désordonné,
n’avait jamais été vu avec de
la lumière, mais était déjà connu
pour des faisceaux d’électrons, des
rayonnements micro-ondes, des
ultrasons, voire des vagues. Il a été
présenté dans Nature, le 1er juillet,
par une équipe de l’Institut de
technologie Technion (Israël) et
par l’université de Floride centrale
(Etats-Unis). Ces chercheurs ont
aussi étudié l’effet de la courbure
du film de savon sur le rayon lumi-
neux. Ils envisagent également
de créer ces ramifications, non pas
sur deux, mais sur trois dimen-
sions. Et, comme ils le disent
en conclusion, ils « attendent plein
de résultats surprenants ».
(PHOTO : ISRAEL INSTITUTE OF TECHNOLOGY)
DIX MILLE PAS ET PLUS
LES BÂTONS DE MARCHE, UN OUTIL DE SANTÉ
Par SANDRINE CABUT 10 kg selon les modèles. L’effet ressort – dû en fait à un tests réalisés, en 2012, en laboratoire, auprès de quinze
E
élastique – accroît encore le dynamisme de la marche personnes, comparant une marche de trente minutes
n montagne, en bord de mer, dans les parcs ur- et favorise le redressement du buste tout en amortis- à 6,5 km/h sur tapis roulant sans bâtons, avec bâtons
bains, mais aussi dans les salles de fitness, et sant les chocs. « Cet amortissement est un atout ma- nordiques ou BungyPump. A vitesse égale, ces derniers
même chez les kinésithérapeutes… Compa- jeur chez des seniors avec des douleurs articulaires », induisent une dépense énergétique de 77 % supérieure
gnons de certains sportifs, les bâtons de marche de- souligne Fabien Drougard, coach sportif et formateur à celle de la marche, et 38 % de plus que les bâtons rigi-
viennent de plus en plus des outils au service du pour le distributeur français de ces bâtons. Dans un des. Le gain est de l’ordre de 20 % par rapport à la mar-
sport-santé et de la rééducation. cadre de loisir ou de sport adapté, l’ancien sportif de che simple ou avec bâtons nordiques pour la VO2max,
Les multiples bénéfices de la marche sur la santé phy- haut niveau fait découvrir l’activité à des personnes un indicateur de performance. « Par principe, un sys-
sique et mentale sont largement étayés. Mais certains de 50 à plus de 90 ans. tème de résistance favorise le renforcement musculaire.
effets peuvent être amplifiés par l’usage de bâtons, Les bâtons dynamiques ont donc un intérêt pour renfor-
dont il existe plusieurs types, avec des finalités diffé- Utilisés par des sportifs cer en particulier les muscles du dos, de l’épaule et des
rentes. Ainsi des bâtons de marche nordique, qui per- « Dans cette population, les bâtons dynamiques sont bras, dont les triceps », détaille Sébastien Ratel, ensei-
mettent de dynamiser les mouvements, en sollicitant aussi intéressants pour travailler la proprioception, gnant-chercheur en physiologie de l’exercice à l’univer-
davantage les muscles, y compris ceux du haut du c’est-à-dire la sensibilité profonde et les appuis », pour- sité Clermont-Auvergne, qui plaide pour d’autres étu-
corps, et le système cardio-respiratoire. Cette marche suit Fabien Drougard. Outre le parcours de marche, des, afin de mieux quantifier les effets.
fait dépenser 400 kcal/h, contre 280 pour la marche les séances – en groupe – sont l’occasion d’exercices Quant aux bâtons de randonnée, « ils permettent de
classique. Née il y a plus de cinquante ans en Finlande, ludiques de renforcement musculaire et d’équilibre. faciliter les montées et de contrôler les descentes en
elle est devenue une discipline sportive. C’est aussi une Ces bâtons dynamiques sont aussi utilisés par des réduisant les contraintes musculaires et articulaires »,
activité sport-santé de plus en plus prisée, qui fait l’ob- sportifs (en préparation de trail par exemple) et par résume le chercheur clermontois, qui les recom-
jet de multiples études, suggérant des effets supérieurs des professionnels de la rééducation et du recondi- mande en particulier en cas de surpoids ou de trou-
à la marche sans bâtons pour des personnes en tionnement physique, notamment pour des patients bles de l’équilibre. Pour Fabien Drougard, les bâtons
surpoids, avec des troubles neurodégénératifs… avec des lombalgies, des lésions des membres, des de randonnée sont un outil de prévention, un
Inventés plus récemment en Suède, les BungyPump maladies cardio-vasculaires, des cancers. moyen de préserver plus longtemps ses articula-
sont une variante qui intègre un système de pompe En moins de sept ans, ils ont déjà séduit 25 000 per- tions. Qui veut voyager loin ménage sa monture. Et
de 20 centimètres, avec une résistance allant de 4 à sonnes en France. La firme suédoise met en avant des choisit bien ses bâtons. p
AFFAIRE DE LOGIQUE – N°1154
N° 1154
Solution du problème 1153
Moyennement entiers
1. La hauteur maximale de la table est 252/41 ≈ 6,15 dm.
Bob dessine au tableau un carré de 5 cases sur 5, y inscrit des nombres et dit à Alice : Si A’A” est le premier segment à plier, A
« Tu vois, j’ai placé tous les entiers de 1 à 25 à raison d’un par case, de sorte que la moyenne des nombres situés sur le triangle plié AA’A” sera obtenu à
chaque ligne et sur chaque colonne soit toujours un nombre entier. partir de ABC par une homothétie de A’ A’’
B’
– Il n’y a pas de quoi se vanter. C’est évident. Essaie plutôt de placer les entiers de 1 à 64 sur un échiquier 8 × 8 ou les centre A et de rapport a. De même,
C’’
entiers de 1 à 100 sur un damier 10 × 10 en obtenant la même propriété. » BB’B’” sera obtenu à partir de ABC par B C
B’’’ C’’’
1. Bob y parviendra-t-il ? Si oui, comment ? une homothétie de centre B et de
2. Plus généralement, est-il possible de placer des nombres consécutifs en remplissant n’importe quelle grille rapport b, CC’’C’” par une homothétie de centre C et de
carrée de sorte que la moyenne de chaque ligne et de chaque colonne soit un nombre entier ? rapport c. Les segments ne se coupant pas, a + b, b + c et
c + a sont inférieurs ou égaux à 1.
En appelant h la hauteur maximale de la table à
Certains sites scientifiques sont à nouveau accessibles au public, d’autres proposent des ressources numériques autour de leurs événements. construire, qui est la hauteur commune, issue des som-
L’ÉTÉ CHEZ FERMAT LES VIDÉOS MATHÉMATIQUES VOIR ET REVOIR mets A, B et C, des triangles pliés, on peut obtenir de trois
DEPUIS LE 08/07 DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES LES CONFÉRENCES DE LA SMF façons la valeur de S, aire du triangle ABC, comme produit
La maison de Fermat, à Beaumont-de- L’Académie des Sciences met à la disposi- La Société mathématique de France (SMF) de chaque côté par la hauteur associée, calculée à partir
Lomagne (82), a rouvert depuis le 8 juillet. tion de tous les vidéos de conférences, dont permet à tous, elle aussi, de revoir la plupart de h grâce à l’homothétie correspondante :
Elle propose pour l’été de nombreuses acti- un certain nombre touchent aux mathé- de ses conférences publiques. Dans le cycle
2S = 21 h / a = 13 h / b = 20 h / c.
vités : un « escape game », le cabinet des matiques. Dans le cycle « 5 à 7 de l’Acadé- « Un texte, un mathématicien », régulière-
curiosités, dans la cave de la maison, du mie », on peut voir par exemple « L’apport ment organisé à la BNF, on peut, entre Ainsi, a = 21 h / 2S, b = 13 h / 2S et c = 20 h / 2S.
lundi au vendredi (14 h - 17 h) ; des ateliers du monde arabe à la science », avec Karine autres, retrouver « David Hilbert et son 17e Compte tenu de l’inégalité c + a ≤ 1, on en déduit que la
scientifiques et mathématiques pour les Chemla et Etienne Ghys ; parmi les confé- problème » par Olivier Benoist. Le cycle valeur maximale de h est 2S / 41 (la table est pentagonale).
jeunes tous les jeudis (à 10 h 30) ; une expo- rences « Jeune public », Cédric Villani inter- « Une question, un chercheur » propose, Reste à calculer S, grâce à la formule de Héron :
sition « Voyage en mathématique » du vient dans « Mathématique, comprendre quant à lui, d’écouter « Suprématie quan-
S2 = 27 (27 – 21) (27 – 20) (27 – 13), d’où S = 126 dm2.
lundi au vendredi, de 14 h à 17 h… et prédire » ; quant aux conférences pour tique » avec Julien Bobroff. Citons également
Ce lieu de popularisation des mathéma- lycéens, elles permettent de retrouver avec la série « Mathématiques étonnantes », avec, La valeur maximale de h sera donc, en dm, 252/41.
tiques fait partie des endroits de Tarn-et- plaisir le mathématicien Jean-Pierre par exemple, « Le cœur a ses raisons que la 2. L’aire du plateau sera 84 546/41² ≈ 50,3 dm².
Garonne susceptibles de délivrer aux Kahane, récemment disparu, qui évoque raison adore », par Laurent Pujo-Menjouet Il suffit de remarquer que l’aire P du plateau sera obtenue
visiteurs un « Passeport Vacances Sciences ». « Nombres et figures, définitions et énoncés ». et Clément Viricel. en ôtant de S les aires des trois triangles pliés, soit :
Informations sur www.fermat-science.com Vidéos sur www.academie-sciences.fr Vidéos sur Smf.emath.fr (ressources, niveau 5)
P = S (1 – a2 – b2 – c2).
E. BUSSER, G. COHEN ET J.L. LEGRAND © POLE 2020 affairedelogique@poleditions.com On tire du calcul précédent : a = 21/41, b = 13/41 et c = 20/41.
Il vient P ≈ 50,295 dm2.

0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
ENTRETIEN
« Les enjeux du consentement éclairé du
patient ne sont pas entièrement compris »
La médecin et bioéthicienne Samia Hurst-Majno évoque les malentendus qui peuvent survenir
lors du recueil de l’accord d’un patient en vue d’un essai clinique, et l’importance de le prévenir
S
amia Hurst-Majno est mé-
decin et bioéthicienne. Elle
dirige l’Institut éthique, his-
toire, humanités à la faculté de
médecine de l’université de Ge-
nève, qui se consacre à l’étude des
enjeux de la médecine contempo-
raine, selon une approche trans-
disciplinaire intégrant les sciences
humaines, sociales et biomédica-
les. Elle a été la première femme
présidente de la Société suisse
d’éthique biomédicale et inter-
vient dans le débat public suisse
sur la réflexion éthique. Elle s’est
notamment intéressée à la notion
de vulnérabilité du patient, et sa
définition de la vulnérabilité a été
reprise dans la révision de 2013 de
la déclaration d’Helsinki de l’Asso-
ciation médicale mondiale, sur les
principes éthiques applicables à la
recherche médicale. Alors que
l’épidémie de Covid-19 a vu une
explosion du nombre d’essais cli-
niques partout dans le monde – le
site Clinical Trials en dénombre
plus de 2 500 à ce jour –, elle re-
vient sur les enjeux du consente-
ment éclairé.
Samia Hurst-Majno. à Genève, en août 2018. FRED MERZ/LUNDI13
Quelle est la fonction
du consentement éclairé ?
Ce principe existe depuis l’Anti-
quité comme une norme médi-
cale. Dans la Grèce antique, la
déontologie médicale exigeait
que le consentement soit de-
mandé à l’homme libre, mais pas
à l’esclave. Il apparaît pour la pre-
mière fois dans une loi, en 1900,
en Prusse. Dans les pays occiden-
taux, le consentement s’est ins-
crit dans la loi à la fin du XXe siè-
cle, en particulier sous l’influence
des débats sur la procréation mé-
dicalement assistée, mais aussi à
la suite d’un ensemble de déclara-
tions de sociétés médicales,
comme la déclaration d’Helsinki
de l’Association médicale mon-
diale, en 1964.
La loi rend obligatoire la signa-
ture d’un formulaire de consente-
ment dans le domaine de la re-
cherche clinique. Ce formulaire
est un simple document. Le con-
sentement est avant tout une dé-
cision, qui doit être informée et
autodéterminée, qui est destiné à
autoriser le médecin à agir sur le
patient dans un but qui bénéfi-
ciera à autrui. Si on le recrutait
contre sa volonté, ce serait un
abus de pouvoir caractérisé. Pour
consentir valablement, il faut
donc que le patient comprenne
que la recherche ne vise pas le
soin thérapeutique, mais le re-
cueil de données fiables permet-
tant d’acquérir des connaissances
qui bénéficieront à d’autres per-
sonnes. Il doit pour cela disposer
de toutes les informations perti-
nentes : celles qui pourraient lui
faire changer d’avis, dans un sens
ou dans l’autre. L’information re-
çue doit pouvoir l’aider à répon-
dre à la question : « Qu’est-ce que
ça change pour moi et pour mon
entourage si je dis oui ou non ? »
Quel est le processus ?
Le cœur du consentement, c’est
la décision du patient et l’entre-
tien préalable avec le médecin. La
bonne issue n’est pas qu’il ac-
cepte ou refuse, mais qu’il décide
en fonction de ses priorités et à la
lumière des connaissances scien-
tifiques. C’est la raison pour la-
quelle il faut être loyal dans l’ex-
plication. Parfois, le médecin
peut se trouver face à une per-
sonne perplexe, ayant du mal à
définir ses priorités, il est alors
nécessaire de l’aider. Cela fait par-
tie de son rôle, même si cela
prend du temps et demande de
l’investissement. De nombreux
médecins ne comprennent pas
entièrement ces enjeux, bien que
les mentalités évoluent, en parti-
culier chez les jeunes. Dans la
pratique, le consentement est
donc souvent réduit à la signature
du formulaire, prévu par la loi. Il
atteste de l’accord du patient et
permet aussi de conserver une
trace des informations qui lui ont
été données.
Comment la formation
des médecins prend-elle
en compte ces difficultés ?
Jusque dans les années 1990, les
compétences de communication
entre le médecin et le patient
étaient enseignées de manière
implicite au chevet du malade,
avec un niveau, disons, très varia-
ble. Elles étaient jugées secondai-
res, passant après la maîtrise des
connaissances et des techniques
purement médicales. Depuis une
dizaine d’années, elles s’intègrent
« LE PATIENT
A TENDANCE À CROIRE
QUE L’ESSAI CLINIQUE
VISE À LE SOIGNER,
ET NON À COLLECTER
DES DONNÉES »
progressivement à l’enseigne-
ment comme une connaissance à
part entière et font également
l’objet de formations continues.
Les médecins y apprennent à être
véridiques avec les patients, à un
moment de leur existence qui est
souvent difficile, et à partager
avec eux les informations dont ils
ont besoin. Ici, la théorique est
complétée par des exercices prati-
ques, car on s’est rendu compte
qu’ils sont nécessaires.
Les étudiants comprennent très
bien l’importance de la commu-
nication. Mais il faut avoir suffi-
samment confiance dans ses
propres capacités pour se lancer.
Un médecin peut être troublé,
confronté à une difficulté émo-
tionnelle au moment d’engager la
conversation et de décider de ne
pas le faire. Cela s’appelle la post-
rationalisation : il estime, pour
justifier sa décision, que cette
conversation n’est pas utile. Il est
donc important de s’exercer. De-
puis 2013, l’université de Genève
s’est associée à la Haute Ecole de
santé de Genève pour créer un
Centre interprofessionnel de si-
mulation, pour la formation des
professionnels de santé à la com-
plexité des situations de soin. Des
acteurs jouent le rôle des patients
lors de consultations médicales
simulées, selon différents scéna-
rios plus ou moins délicats. Les
étudiants, qui sont évalués, se
montrent très volontaires pour
accorder plus d’importance à la
communication.
Comment la perception des
enjeux de l’essai clinique par le
patient peut-elle être faussée ?
Il existe ce qu’on appelle un ma-
lentendu thérapeutique : même
lorsqu’on lui explique claire-
ment les vrais enjeux, le patient a
tendance à croire que l’essai clini-
que vise à le soigner et non à col-
lecter des données qui bénéficie-
ront à d’autres. Il se représente le
médecin comme une personne
de confiance et attend de lui
d’être soigné.
Dans les soins ordinaires, cette
confiance est généralement fon-
dée. Mais, dans le domaine de la re-
cherche, cette confiance peut créer
un malentendu, car l’objectif pre-
mier est d’obtenir des connaissan-
ces généralisables. Evidemment,
on se soucie de l’intérêt du partici-
pant à la recherche, mais son inté-
rêt n’est plus seul en compte. Or, le
simple fait de se retrouver face à
une blouse blanche à l’hôpital
réactive la représentation des
soins ordinaires, si bien que le pa-
tient peut avoir du mal à percevoir
les enjeux de l’essai clinique.
Quand on souhaite recruter quel-
qu’un pour un essai clinique, il y a
une manière très élémentaire de
lever cette ambiguïté, en annon-
çant « ceci est de la recherche ».
Qu’en est-il des attentes en cas
de résultats prometteurs,
comme avec les traitements
testés contre le Covid-19 ?
L’attente peut également résul-
ter d’annonces de résultats pro-
metteurs de certains essais clini-
ques, que les patients interprè-
tent comme une confirmation de
leur efficacité et dont ils veulent
science & médecine | 23
bénéficier. La peur du Covid-19,
notamment, nourrit leurs espoirs
vis-à-vis des traitements poten-
tiels. Or « prometteur » ne signifie
pas « efficace ». En tant que méde-
cin, il est important d’être cons-
cient de ces attentes et de détrom-
per le patient lorsqu’elles sont
infondées. Il faut s’assurer qu’il a
bien compris qu’à ce stade on ne
sait pas si le traitement est vrai-
ment efficace, qu’il y a un vrai ris-
que qu’il ne le soit pas, ou même
que ses effets soient délétères.
Qu’en est-il du consentement
éclairé pour les biobanques ?
Ce consentement concerne la
recherche sur les échantillons
biologiques conservés dans les
biobanques. Le patient est indi-
rectement impliqué. Cela n’exclut
pas la responsabilité du médecin
vis-à-vis du partage des échan-
tillons et des données avec
d’autres partenaires, dont il doit
être garant, ainsi que de leur
usage pour la recherche. Il existe
aussi une incertitude sur l’évolu-
tion des connaissances et des
techniques et sur la capacité
d’anonymiser les données à long
terme, ce qui amplifie le risque de
malentendu thérapeutique.
L’Académie suisse des sciences
médicales a mis au point un mo-
dèle de consentement pour les
biobanques, implémenté dans les
hôpitaux, qui explique claire-
ment ces enjeux, en précisant que
les données peuvent être parta-
gées, y compris avec des partenai-
res privés. La confiance de la po-
pulation envers le système de
santé est élevée en Suisse : 70 % à
80 % des patients du Centre hos-
pitalier universitaire vaudois et
90 % dans les hôpitaux de Genève
acceptent de consentir. Les étu-
des que nous avons menées pour
comprendre ces résultats mon-
trent qu’ils ont confiance dans la
médecine et que leur consente-
ment a une dimension altruiste.
Cela n’exclut pas la possibilité de
malentendus. De nombreux pa-
tients pensent par exemple que
les analyses réalisées sur les
échantillons leur permettront de
tout savoir sur leur santé et qu’ils
seront prévenus au moindre ris-
que. Là aussi, il faut clairement le-
ver ce malentendu. p
propos recueillis par
catherine mary
TÉLESCOPE
b
BI OPH YSI QU E
Le secret de la bioluminescence
révélé
L’océan aussi a ses vers luisants, tel Pyrocystis
lunula, une dinoflagelle qui brille pour faire
fuir ses prédateurs. Le mécanisme de cette
émission de lumière vient d’être élucidé par
une équipe franco-anglaise en titillant avec
une pipette la paroi de cet organisme unicel-
lulaire. Les chercheurs confirment qu’une
pression sur la membrane active une
cascade chimique donnant lieu à l’émission
de lumière. Surtout, ils ont observé que
la réponse dépend de la force mais aussi de
la vitesse de la déformation. Ce qui permet
à la proie de réagir rapidement à un danger.
A l’inverse, des pressions lentes, même in-
tenses, ne déclenchent pas la luminescence.
> Jalaal et al., « Physical Review Letters »,
6 juillet.
PHYSIQU E DE S PART I CU LES
Un nouveau type de particules
au CERN
La collaboration internationale LHCb, dont le
détecteur est installé sur l’accélérateur de
particules LHC de l’Organisation européenne
pour la recherche nucléaire (CERN) a décou-
vert un nouveau type de particules, un tétra-
quark. Comme son nom l’indique, il est fait
de 4 quarks, qui constituent les briques
de bases de particules, comme les neutrons
ou les protons. Ce n’est pas le premier tétra-
quark découvert mais celui-là est fait des
mêmes quarks, parmi les plus lourds. Cepen-
dant les chercheurs doivent encore détermi-
ner si le quatuor est bien parfait ou s’il n’est
en réalité qu’une paire de deux duos de
quarks. L’intérêt de cet assemblage est juste-
ment de mettre à rude épreuve la théorie,
encore mal connue, de l’interaction forte,
qui décrit les liaisons entre quarks.
> LHCb Collaboration, arXiv.org, 30 juin.
PALÉONTOLOGIE
Un dauphin quasi complet
de 25 millions d’années
La capacité des dauphins à atteindre des
vitesses de 50 km/h, propulsés par le batte-
ment de leur queue et dirigés par leurs
nageoires fonctionnant comme des foils, est
le fruit d’une longue évolution. En témoigne
la description dans Current Biology d’un
squelette presque complet d’Ankylorhiza
tiedmani, un odontocète de 4,8 m de long et
vieux de 25 millions d’années. Le fossile avait
été découvert dans les années 1990 en Caro-
line du Sud par un paléontologue privé, alors
que l’animal n’était connu que par des osse-
ments fragmentaires trouvés en 1880 et 1970.
Cela permet de conclure que ce dauphin
archaïque, doté d’une forte dentition, était
un carnivore au sommet de la chaîne ali-
mentaire marine, l’équivalent à l’oligocène
des épaulards actuels – apparus il y a deux
millions d’années. L’étude de son squelette
suggère que les baleines à dents (dont font
partie les dauphins) et celles à fanons ont
évolué indépendamment vers des adapta-
tions similaires à la locomotion sous-marine.
(PHOTO : ROBERT W. BOESSENECKER)
> Boessenecker et al., « Current Biology »,
9 juillet.
77
C’est le nombre d’années écoulées depuis la
publication, par le psychologue britannique
d’origine allemande Hans Eysenck (1916-1997),
d’un article, dans les Proceedings of the Royal
Society of Medicine, et l’expression, le 6 juillet,
par ce journal, d’une mise en garde vis-à-vis
de son contenu. Cela porte à 71 le nombre
d’expressions of concern ciblant ses articles,
dont 14 ont été rétractés à ce jour, selon le site
Retraction Watch. Spécialiste de la personna-
lité et de l’intelligence, Eysenck a fait l’objet
de vives critiques dès les années 1970, notam-
ment après la publication de son ouvrage
De l’inégalité de l’homme (Copernic, 1977).
L’ensemble de ses travaux fait l’objet d’un
réexamen par le King’s College de Londres.
24 |
CULTURE
« J’ai le goût
du débat »
Camélia Jordana, à l’affiche
de « La Nuit venue », polar
sur fond d’esclavage moderne,
revient sur la polémique suscitée
par ses propos sur la violence
policière envers les Noirs
ENTRETIEN
L
e matin de l’entretien, le
24 juin, Camélia Jordana
est arrivée les cheveux
défrisés, coiffure qu’elle
arborait sur le plateau d’On n’est
pas couché, un mois plus tôt, le
23 mai lorsque, dénonçant les
violences policières, elle décla-
rait sur France 2 que des gens « se
font massacrer quotidienne-
ment » en raison de leur couleur
de peau. « Aujourd’hui, j’ai les che-
veux défrisés. Quand j’ai les che-
veux frisés, je ne me sens pas en sé-
curité face à un flic en France »,
lançait-elle au chroniqueur de
l’émission, Philippe Besson.
Le 9 juin, place de la République
à Paris, la chanteuse et comé-
dienne âgée de 27 ans, révélée par
La Nouvelle Star (M6), entonnait
un vieux gospel avec d’autres ar-
tistes (Sandra Nkaké, Pomme…),
We Shall Overcome, en hommage
à l’Américain George Floyd et au
Français Adama Traoré, deux
hommes noirs décédés à la suite
d’une interpellation policière –
respectivement le 25 mai 2020 et
le 19 juillet 2016.
Dans La Nuit venue, premier
long-métrage de Frédéric Far-
rucci, l’actrice au franc-parler
trouve un rôle à sa mesure. Elle y
incarne Naomi, une belle de nuit,
danseuse dans un club et call-girl,
dont la vie bascule lorsqu’elle ren-
contre Jin, chauffeur de VTC et
clandestin chinois, tenu par la
mafia de son pays, interprété par
un acteur non professionnel,
Guang Huo. Un film noir sur l’es-
clavagisme contemporain.
« La Nuit venue » revisite Paris
et sa périphérie, à travers
le regard d’un chauffeur
de VTC. Qu’est-ce qui vous
a touché dans le scénario ?
Plongée dans les faux-semblants de la Ville Lumière
Dans une obscurité splendide, un chauffeur de VTC d’origine chinoise et sans papiers, beau et taiseux, sillonne Paris. Un premier film réussi
LA NUIT VENUE
pppv
A
ux marges, la capitale re-
connaissante. La Nuit ve-
nue, premier long-mé-
trage de Frédéric Farrucci, est
d’abord une belle rencontre entre
le cinéma noir aux codes stylisés
et le réalisme contemporain d’une
grande ville comme Paris, teinté
de faux-semblants mystificateurs.
Capables de transformer les bou-
levards périphériques en éclats de
lumière ou de faire passer un clan-
destin pour un cadre dynamique.
Nous y sommes, et c’est la pre-
mière image du film. Dans un ate-
lier, un tailleur chinois ajuste la
longueur d’un pantalon pour son
client, un jeune homme d’origine
Je suis arrivée à Paris vers l’âge
de 17 ans. Je n’ai pas fait d’études,
je me suis construite politique-
ment avec des artistes : je les ap-
pelle « ma famille de gauchistes »,
je vivais H24 avec eux. En lisant le
scénario de La Nuit venue, avec ses
descriptions et didascalies, j’ai
ressenti tout ce qui me traverse
depuis les attentats en 2015, Nuit
debout en 2016… Frédéric Far-
rucci réussit à décrire l’atmos-
phère de la capitale, la nuit, ce qui
nous crève le cœur, le capitalisme,
l’esclavagisme contemporain. Il y
a aussi cette tension et la solitude
que l’on ressent le jour. Ce sont les
mêmes sensations qui avaient
donné naissance à mon album
Lost (2018), où transpire l’actua-
lité. Je me disais : qui est ce mec
qui a écrit ce film ?
Je ne connais aucun long-
métrage français dans lequel la
communauté chinoise est à
l’écran, sauf quelques comédies
populaires avec un personnage
asiatique. Le fait que la moitié du
film soit en mandarin, qu’on y
parle des conditions de vie des ré-
fugiés chinois, ça m’excitait beau-
coup. C’est nouveau, et c’est fait
avec une intelligence et une fi-
nesse rares. Naomi, mon person-
nage, me faisait assez peur et en
même temps m’attirait…
Comment qualifieriez-vous
votre personnage, Naomi, une
call-girl dont le passé reste
assez mystérieux dans le film ?
C’est un rôle très différent de
ceux que l’on a pu me proposer
jusque-là. Après Le Brio (2017),
d’Yvan Attal, je recevais beaucoup
de scénarios, mais on me propo-
sait exclusivement des rôles de
femme arabe, et pas de femme
tout court. En grande majorité, il
s’agissait d’interpréter la femme
du djihadiste… J’ai dit à mon
chinoise, lui aussi. Celui-ci repart
en costume et chemise blanche
vers son nouveau destin : conduc-
teur de VTC, pour le compte d’une
mafia intracommunautaire. En
échange de son entrée clandestine
en France, il doit travailler pour
rembourser le patron, monsieur
Xié, visage tiré et cernes aussi
longs que les revers de sa veste en
cuir (Tien Shue).
Jin (Guang Huo), le personnage
principal du film, beau et taiseux
comme Alain Delon dans Le Sa-
mouraï (1967) de Jean-Pierre Mel-
ville, n’a plus que trois semaines à
trimer avant d’être libéré du joug
de ses exploiteurs, qui font tour-
ner les taxis la nuit et dormir les
chauffeurs le jour, entassés dans
un appartement de banlieue.
Cette forme d’esclavage moderne,
pppp CHEF-D'ŒUVRE
Le 3 juillet, à Paris. MARTIN COLOMBET POUR « LE MONDE »
agente que je ne voulais plus de ça.
Depuis Curiosa (2019), de Lou Jeu-
net, j’ai pu m’éloigner des rôles ha-
bituels de la femme joviale, so-
laire, avenante, qui apporte du
peps, « pétillante » comme on dit,
un terme que je déteste.
On a beaucoup discuté de mon
personnage avec Frédéric Far-
rucci. On peut imaginer que
Naomi, au départ, était étudiante.
Elle a toujours aimé danser et elle
commence à travailler dans un
club, où elle gagne bien mieux sa
vie que si elle était serveuse. Puis
on lui a proposé des shows privés,
et elle est entrée dans ce réseau de
prostitution. Pour tenter de sortir
de cet esclavagisme qu’ils ont
quand même choisi, Naomi et Jin
vont tenter la fuite à deux.
Votre corps est à la fois
érotisé et tenu à l’écart, dans
la pénombre…
Jin l’a plus ou moins acceptée.
C’était le prix à payer pour ce DJ et
compositeur qui souhaitait quit-
ter la Chine. Mais rien ne se passe
comme prévu, ni au travail ni
dans la vie, et Jin se retrouve à
nouveau piégé, condamné à re-
faire des tours de cadran au vo-
lant de sa berline s’il veut préser-
ver ses chances.
Tandem de solitaires
Pour nourrir le scénario de son
film, coécrit avec Nicolas Journet
et Benjamin Charbit, Frédéric
Farrucci s’est inspiré d’une lé-
gende urbaine selon laquelle des
chauffeurs chinois seraient en
fait de faux taxis sous la coupe de
la mafia. Le cinéaste a choisi d’an-
crer son histoire dans le milieu
des VTC, plus actuel et témoin de
pppv À NE PAS MANQUER
« Même quand
je suis d’accord
avec quelqu’un,
je vais aller
chercher l’endroit
où l’on ne sera
pas tout à fait
en phase »
Antoine Parouty, le chef-opéra-
teur, a une façon de filmer très
érotique et très pudique, sensuelle
et respectueuse. Il y a chez lui,
comme chez Fred [Farrucci], une
intelligence du cœur qui va jus-
qu’à se demander comment fil-
mer les fesses d’une femme. J’ai
été tellement emballée par
l’équipe du film que j’ai piqué plu-
sieurs de ses membres pour réali-
« l’ubérisation » de la société.
Pendant la préparation du tour-
nage, il a fait connaissance avec
un chauffeur nigérian, John, qui
s’est lui-même retrouvé dans les
mailles d’un petit mafieux. La
réalité rejoignait la fiction.
L’équipe du film a réalisé un pod-
cast de huit minutes qui donne la
parole à John, dont le témoignage
crée un lien documentaire avec
La Nuit venue.
Les premières minutes explo-
rent l’esthétique du film de
gangster, avec les portes qui cla-
quent dans le garage et le patron
devant lequel on baisse les yeux.
C’est, ensuite, à travers le regard
de Jin, par la fenêtre de sa voiture,
que La Nuit venue revisite Paris de
manière subliminale. Ses quar-
tiers Nord peuplés de migrants
ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS
ser mon premier documentaire :
il s’intitulera La Peur des hommes.
De quelle peur s’agit-il ?
Depuis #metoo, la peur a changé
de camp, même si elle demeure
chez les femmes. Je voudrais don-
ner la parole à des hommes sur la
peur qu’ils peuvent véhiculer ou
qu’ils peuvent ressentir à l’égard
des femmes. Certains redoutent
que leurs actes soient révélés,
d’autres ont peur des fabulations…
Je veux raconter ça, j’ai le goût du
débat. Même quand je suis d’ac-
cord avec quelqu’un, je vais aller
chercher l’endroit où l’on ne sera
pas tout à fait en phase pour com-
prendre, essayer de faire bouger
l’autre ou bouger moi-même.
Le problème, c’est que, en
France, il n’y a plus d’espace pu-
blic, il y a des mégaphones par-
tout. Tout le monde a la parole,
mais chaque parole prend des
dormant sous la tente. Ses fêtards
qui ne font que passer dans le vé-
hicule, entre deux soirées à ne pas
manquer. Un montage subtil or-
ganise le chassé-croisé des passa-
gers, jusqu’au moment où surgit
Naomi (Camélia Jordana).
Belle ténébreuse, ou Cendrillon
disparaissant du carosse-taxi jus-
qu’au lendemain. Jin devient son
chauffeur attitré pour la raccom-
pagner chaque soir à son domi-
cile, après les strip-teases. Tra-
vailleuse du sexe, émancipée, elle
prend des coups mais ne semble
pas avoir la force, toute seule, de
quitter cette activité lucrative. A
deux, serait-ce possible ? Le tan-
dem de solitaires s’apprivoise lors
d’un concert de l’artiste électro
Rone, filmé in situ dans une pa-
lette mixant le rouge passion et le
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
vvvv ON PEUT ÉVITER
« Le militantisme
donne place
à un mouvement,
ça fait grandir
de manière assez
égale une force
et une colère »
proportions dingues parce que
tout devient violent. En revanche,
il n’y a pas de lieu dans lequel on
peut s’asseoir, échanger, où quel-
qu’un pourrait revenir sur ce qu’il
a dit et exprimer quelque chose
de plus nuancé.
Vos propos sur les gens qui se
font « massacrer » par la police
en raison de leur couleur de
peau ont profondément divisé.
Comment l’avez-vous vécu ?
J’étais contente, cela n’a pas été
dur à vivre. Le militantisme, ça
donne la pêche, on se rend
compte qu’on n’est pas seul(e), ça
donne place à un mouvement, ça
fait grandir de manière assez
égale une force et une colère. C’est
exactement ce que je voulais faire
sur ce plateau : ouvrir un débat.
Certains, pour contester le mou-
vement de soutien à George Floyd
et Adama Traoré, ressortent tou-
jours le même argument : « Les
Etats-Unis, ce n’est pas la France. »
Mais ce n’est pas la question. En
réalité, il y a un peuple blanc qui a
colonisé et/ou esclavagisé et/ou
réduit à néant les autres peuples
qui ne sont pas blancs. Tant que
les plaies n’auront pas été traitées,
pour les peuples de descendants
de décolonisés et pour le système
qui a colonisé, les choses ne pour-
ront pas avancer, le dialogue ne
pourra pas avoir lieu. Je le crois
sincèrement. La décolonisation,
ça a été la fin de quelque chose.
Mais on ne peut pas se contenter
d’avoir ruiné, torturé, massacré
des peuples, puis de dire un jour,
bon, c’est fini, on arrête.
En France, une jeunesse très
diverse a manifesté contre les
violences policières, au côté
de féministes qui abordent les
questions raciales. Selon vous,
est-ce significatif ?
C’est très rassurant et joyeux
que l’on soit aussi nombreuses et
nombreux à prendre la parole, à
se cultiver et à avancer ensemble,
à déconstruire nos erreurs… J’ai
l’impression qu’il y a une prise
de conscience de ce qu’Angela
Davis appelait le « féminisme in-
tersectionnel ». Ce féminisme in-
tersectionnel gagne ma généra-
tion et celle d’après. On est sur la
bonne voie… p
propos recueillis par
clarisse fabre
gris-bleu indécis. La nuit, tous les
amoureux sont grisés.
Parlons de la couleur du film, de
ces néons que le réalisateur est
allé chercher comme un hom-
mage au Taxi Driver (1976) de
Martin Scorsese. De ces ombres
de lumière qui surlignent le corps
de Camélia Jordana, sans lui voler
sa nudité. De la couleur tout
court des acteurs asiatiques qui
peuplent ce film, trop rares dans
le cinéma français. De Jin, inter-
prété par un acteur non profes-
sionnel, qui travaille dans les télé-
coms, on gardera le regard dési-
rant dans le rétroviseur. p
cl. f.
Film français de Frédéric Farrucci.
Avec Guang Huo, Camélia
Jordana, Tien Shue (1 h 35).

0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
Un amour lumineux et tragique
François Ozon a adapté un livre qui l’a bouleversé à l’adolescence
ÉTÉ 85
ppvv
D
ix-neuvième long-
métrage de François
Ozon, Eté 85 nous a
d’abord laissée per-
plexe. Quelque chose ne collait
pas. Une pierre à l’édifice qui, sans
nul doute, lui appartenait, avait
été ajoutée mais placée au mau-
vais endroit. Ce nouveau film du
cinéaste n’avait rien à faire au
dernier étage de sa filmographie.
Sa place était aux fondations. A ce
rang des premiers films où de
jeunes réalisateurs trouvent ins-
piration dans des faits autobio-
graphiques, esquissent les thè-
mes qui occuperont plus tard leur
œuvre et demeurent à faible dis-
tance de cette matière qui les pré-
occupe. Tel que nous est apparu,
en tout point, Eté 85 – transposi-
tion du roman de l’écrivain an-
glais Aidan Chambers, La Danse
du coucou (Dance on my Grave),
paru en France en 1983. Livre que
François Ozon confie avoir lu à
l’âge de 17 ans, et « adoré » au
point d’envisager d’en faire
l’adaptation pour son premier
long-métrage, si d’aventure il se
lançait dans le cinéma.
L’aventure eut lieu, mais débuta
autrement. Par des courts puis des
longs-métrages, qui, s’ils ne cor-
respondaient pas au projet initial,
en comportaient des bribes. Des
scènes et des thèmes du livre se
trouvant en effet dans Une robe
d’été (1996), Sous le sable (2000),
Dans la maison (2012), Une
meilleure amie (2014), Frantz
(2016), comme en a pris cons-
É D IT IO N
Le livre de la nièce de
Donald Trump sortira au
mois d’octobre en français
La version française du livre
de Mary Trump, nièce du pré-
sident américain, qui fait polé-
mique et sort à la mi-juillet
aux Etats-Unis, sera publiée,
chez Albin Michel, « courant
octobre », a indiqué la maison
d’édition. Intitulé Too Much
and Never Enough : How My
Family Created the World’s
Most Dangerous Man (« trop
et jamais assez, comment ma
famille a créé l’homme le plus
dangereux au monde »), titre
devenu, en français, Trop et ja-
mais assez, le livre est déjà nu-
méro un des ventes sur Ama-
zon, aux Etats-Unis. Présenté
par l’éditeur Simon & Schuster
comme un livre révélation, à
cience le cinéaste, lorsque, après
Grâce à Dieu, lui prit l’envie de re-
lire – soit trente-cinq ans après sa
découverte – l’ouvrage d’Aidan
Chambers. Le temps était venu de
satisfaire le désir que la jeunesse
avait exprimé puis réfréné par
crainte et timidité. L’âge et l’expé-
rience autorisaient enfin de filmer
cette histoire d’amour, lumineuse
et tragique, qui, durant quelques
semaines de l’été 1985, unit deux
adolescents, dans une station bal-
néaire ouvrière. Southend-on-Sea
(dans le sud-est de l’Angleterre)
dans le livre. Le Tréport (Seine-Ma-
ritime) dans le film.
Reconstitution méticuleuse
L’histoire d’amour finit mal. Fran-
çois Ozon n’en fait pas mystère,
qui ouvre le film sur son issue,
montrant Alex (Félix Lefebvre),
claquemuré dans un chagrin dont
il pense ne jamais pouvoir sortir,
hanté par le souvenir de celui qu’il
a chéri, qui désormais repose sous
une tombe, David (Benjamin Voi-
sin), à qui il a fait une promesse
folle. Un pacte consenti dont il
s’est acquitté et pour lequel il ris-
que une incarcération dans un
centre d’éducation surveillée. Eté
85 fait alors défiler ce qu’il est ad-
venu, en prenant cependant soin
L’histoire finit
mal. François
Ozon n’en fait
pas mystère,
qui ouvre le film
sur son issue
environ trois mois de la prési-
dentielle américaine, l’ouvrage
de Mary Trump a déclenché
une bataille juridique : un
frère de Donald Trump, Ro-
bert, a essayé, en vain, d’empê-
cher sa sortie. Mary Trump,
psychologue, est la fille de
Fred Trump Jr, frère aîné du
président, mort en 1981. Dans
son livre, celle qui a rompu de-
puis longtemps avec son oncle
devenu président décrit une
famille dysfonctionnelle dans
laquelle a grandi Donald
Trump. – (AFP.)
M US IQ U E
Deux rave-party
clandestines rassemblent
plusieurs milliers
de personnes
Une rave-party non déclarée
et non autorisée a regroupé,
culture | 25
K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr
S E M A I N E
pppv À NE PA S MA NQU ER
Beloved
Film israélien et allemand de Yaron Shani (1 h 48).
Lire la critique dans Le Monde daté du 8 juillet.
ppvv À VOI R
Mon ninja et moi
Film d’animation danois d’Anders Matthesen et Thorbjorn
Christoffersen (1 h 21).
Phénomène au Danemark, où il a cumulé près de 1 million
d’entrées, Mon ninja et moi mérite son succès. Ce film
L A
d’animation réussit une sacrée synthèse entre action, humour
David impertinent, et engagement sur des thèmes contemporains
(Benjamin – l’exploitation au travail des mineurs dans certains pays
Voisin) d’Asie, la famille recomposée, le harcèlement à l’école. Menée
D E
et Alex (Félix tambour battant, l’histoire commence dans les ateliers d’une
Lefebvre). entreprise thaïlandaise de fabrication de poupées ninjas
JEAN-CLAUDE et continue dans le décor propret d’une ville danoise où l’une
MOIREAU/MANDARIN/ de ces poupées est offerte au jeune Alex, complexé et timide.
F I L M S
FOZ/FRANCE 2 Il découvre que le jouet s’anime, parle et possède un courage
CINÉMA/PLAYTIME à toute épreuve dont il va prendre leçon. Ce récit initiatique,
PRODUCTION/SCOPE qui met en scène une flopée de personnages politiquement
PICTURES incorrects, offre un moment de pur divertissement. p v. cau.
pv vv POU RQU OI PAS
Felicita
Film français de Bruno Merle. Avec Pio Marmaï,
Camille Rutherford et Rita Merle (1 h 26).
A U T R E S
Pour Tim et Chloé, la vie est une partie de rigolade. Ils sont
adultes, du moins à l’état civil, et se font des blagues comme
les ados qu’ils sont restés. Celles-ci sont parfois cruelles,
mais ils en rient d’autant plus. Ils n’aiment pas la normalité.
Ils vivent à la cloche de bois. Ils ont une petite fille, Tommy,
qui semble plus raisonnable qu’eux. Quand elle n’en peut plus
de leurs bêtises, elle met son casque. Cette année, Tim et Chloé
se sont fixé un challenge : ils seront à l’heure pour la rentrée
de la petite au collège. On a les défis qu’on peut. Une comédie
n’a pas besoin de bons sentiments pour être réussie. Au
L E S
contraire. En revanche, il lui faut du rythme, des personnages
et des dialogues ciselés. Tout ce qui manque à ce film
médiocrement filmé et paresseusement dialogué. p ph. r.
de ménager le suspense sur la ré-
vélation finale : la nature de la
les personnages. Et les font agir
face à l’expérience ultime de la
À L’AFFI CH E ÉGALEME N T
Divorce Club
promesse faite à David. mort où les conduit le film dans Film français de Michaël Youn (1 h 48).
Avant cela, le récit du film pro- la lumière d’un bel été. p L’Aventure des Marguerite
gresse dans la fraîche allégresse véronique cauhapé Film français de Pierre Coré (1 h 26).
d’une rencontre amoureuse, des La Voix du succès
étreintes qu’elle promet et des Film français de François Ozon. Film américain de Nisha Ganatra (1 h 54).
moments partagés auxquels elle Avec Félix Lefebvre, Benjamin Exit
rend dépendant. Le décor de Voisin, Philippine Velge (1 h 40). Film danois de Rasmus Kloster Bro (1 h 24).
plage et de mer aux reflets miroi-
tant, la lumière douce comme
une caresse, la musique em-
preinte de mélancolie, s’accor-
dant à ce petit miracle de l’attrac-
tion sentimentale, donnent son
caractère d’évidence à l’histoire.
Alex et David s’abandonnent aux
élans de leur jeunesse dans un
environnement à l’unisson de
leurs émotions dont le grain, les
nuances et la sensualité nous
sont rendus par le format pelli-
cule avec lequel le cinéaste, préci-
sément pour ces vertus, a sou-
haité tourner ce film.
Il plaît à François Ozon d’inves-
tir des genres différents, voire
d’en mêler plusieurs au sein d’un
même film. Eté 85 n’a pas cette
DE
prétention qui additionne, de
LM
manière assumée, les codes du
FI
« teen movie ». Territoire auquel
UN
le réalisateur, par une reconstitu-
tion méticuleuse de l’époque, une
écriture dépossédée de l’humour
qui fait tout le sel du roman et
une tendre observation des per-
sonnages, adjoint une nostalgie
sans pondération. Si bien que la
chronique adolescente prend
souvent des airs de bluette, qui
ont pour effet d’amoindrir les as-
pérités souterraines du récit,
sournoisement tapies dans la
part de mystère, les peurs, les fê-
lures par lesquelles se définissent
dans la nuit du samedi 12 au
dimanche 13 juillet, environ
2 000 personnes dans la forêt
de Cazaux, proche d’Arcachon,
sur la commune de La Teste-
de-Buch, a indiqué la préfec-
ture de la Gironde. Depuis plu-
sieurs jours, au moins huit
UN
autres préfectures des régions
FI
Centre-Val de Loire et Nouvel-
LM
le-Aquitaine avaient pris des
DE
mesures pour empêcher l’ins-
tallation illégale d’un possible
teknival en raison de la crise
sanitaire et l’impossibilité d’y
appliquer sérieusement les
gestes barrières. Dimanche
12 juillet, une autre rave-party
a débuté, sans autorisation,
dans la Nièvre, à Saint-Parize-
le-Châtel, où entre 4 000
et 5 000 personnes se sont
installées pour plusieurs
jours. – (AFP.)
26 | culture
Errances sentimentales de jeunesse
Philippe Garrel met en scène un apprenti ébéniste désinvolte qui se laissera surprendre par la douleur d’aimer
LE SEL DES LARMES
pppv
L
es films de Philippe Gar-
rel ont une texture qui
n’appartient qu’à eux.
Cela tient d’abord à l’atta-
chement de longue date du ci-
néaste à la pellicule noir et blanc,
somptueux écrin (ici entre les
mains du formidable chef opéra-
teur Renato Berta) qui inscrit ses
films dans un drôle d’espace-
temps, un Paris suspendu entre
les ombres d’hier et les lumières
d’aujourd’hui, et qui, en ces
temps où le cinéma a achevé sa
mue numérique, fait figure de ré-
sistance. Texture faite aussi de vi-
sages toujours nouveaux, de pré-
sences frémissantes, celles de jeu-
nes acteurs que ses films révèlent,
souvent recrutés parmi ses élèves
du Conservatoire : une jeunesse
qui est restée la grande affaire du
réalisateur depuis ses débuts
(Marie pour mémoire, 1967).
Dernière fibre à tisser : celle des
sentiments, ce roman amoureux
que le réalisateur remet inlassa-
blement sur le métier, depuis la
grâce instantanée des rencontres
jusqu’aux premières secousses
des déliaisons. Le tout pris en-
semble compose un monde
d’une beauté intemporelle, qui
n’est pas tout à fait le nôtre, mais
en est voisin et communique se-
crètement avec lui.
Triangle amoureux
Le Sel des larmes, son vingt-hui-
tième long-métrage, présenté à la
Berlinale 2019, pourrait être le
nom de cette texture, marquée
d’une consistance et d’un goût
particuliers. Cet appel à la matière
n’est pas un hasard pour un film
dont le protagoniste est un arti-
san. Sans doute faut-il voir là une
sorte de profession de foi de la
part de Garrel, qui conçoit le ci-
néma avant tout comme un arti-
sanat, un travail manuel.
Traque paranoïaque dans l’aridité du Sahara Les enfants du divorce
Ce premier long-métrage aborde, façon polar, les traumatismes de la guerre civile algérienne Un premier film argentin qui fait preuve
ABOU LEILA
pppv
T
out bon film devrait res-
sembler à un labyrinthe où
l’on avance à l’aveugle,
sans trop savoir ce qui nous at-
tend, et qu’on ne peut jamais par-
courir deux fois de la même façon.
C’est le cas d’Abou Leila, premier
long-métrage d’Amin Sidi-Bou-
médiène, excellente surprise de la
dernière édition « physique » du
Festival de Cannes, en mai 2019,
où il figurait au programme de la
Semaine de la critique.
Sa proposition ample, son
cours imprévisible, sa détermi-
nation plastique confirment l’ap-
pétit de forme d’un jeune cinéma
algérien, qui, entre l’aîné Tariq Te-
guia et les cadets Karim Mous-
saoui et Hassen Ferhani, convo-
que une variété impressionnante
de stratégies esthétiques pour
dire son pays et prendre son his-
toire à bras-le-corps. Avec Sorti-
lège, du Tunisien Ala Eddine Slim,
sorti en février, et les longs-mé-
trages spectraux du Libanais
Ghassan Salhab, le film s’inscrit
dans un néosymbolisme arabe
qui contourne les discours trop
affirmatifs pour s’en remettre
aux puissances de l’image.
Abou Leila part pourtant d’un
territoire a priori identifié, qui se-
rait celui du polar, de préférence
noir et étouffant. Après un assas-
sinat brutal perpétré dans les
Louise
Chevillotte
(Geneviève)
et Logann
Antuofermo
(Luc).
G. FERRANDIS/
RECTANGLE
PRODUCTIONS/
CLOSE UP FILMS/
ARTE/RTS/SRG SSR
Apprenti ébéniste, Luc (Logann
Antuofermo) marche dans les pas
de son vieux père menuisier (An-
dré Wilms) qui l’a élevé comme la
prunelle de ses yeux. Joli cœur in-
constant, le jeune homme fait le
malheur de deux femmes rencon-
trées en deux endroits différents :
Djemila (Oulaya Amamra), lors
d’un passage éclair à Paris pour
présenter le concours de l’Ecole
Boulle, et Geneviève (Louise Che-
villotte, révélée dans L’Amant d’un
jour, 2017), amie d’enfance retrou-
vée dans sa province natale. Par
lâcheté, par facilité aussi, il lais-
sera l’une et l’autre sur le carreau.
Une déconvenue l’attend toute-
rues d’Alger (époustouflant plan-
séquence), deux hommes rou-
lent incognito à la lisière du
Sahara afin de mettre la main sur
un dangereux terroriste, recher-
ché par les autorités et laissant
sur son passage un sinistre dé-
compte de corps déchiquetés. Un
carton nous l’apprend : nous
sommes en 1994, en plein cœur
de la « décennie noire », d’une
guerre civile faisant rage.
Visions d’horreur
Lotfi (Lyes Salem) tient le volant,
cache une arme à feu et prend
surtout un soin inquiet de son
compère passager, dont il sem-
ble l’auxiliaire précautionneux.
L’autre (Slimane Benouari), jamais
nommé, tient à peine debout :
blême et nauséeux, il chavire en-
tre veille et sommeil, hanté par
des cauchemars intempestifs,
mais tenu malgré tout par une soif
de vengeance qui semble le vérita-
ble moteur du voyage. L’homme
qu’ils recherchent se réduit pour
eux à pas grand-chose : les quatre
syllabes d’un nom vague, Abou
Leila, et une photo en noir et blanc
dévoilant un visage sombre et
buté comme un ciel d’orage.
Dans son premier mouvement,
au fil des routes solitaires et des
villages traversés, le film esquisse
le profil d’une Algérie paranoïa-
que, semée de tenanciers d’hôtel
soupçonneux, de flics inquisi-
teurs, de villageois calfeutrés et
de travailleurs subsahariens gi-
sant çà et là comme un contin-
fois à Paris, où il revient étudier :
sa passion pour l’intrépide Betsy
(Souheila Yacoub) qui l’entraîne
dans un nouveau triangle amou-
reux, cette fois à son désavantage.
Il y apprendra la douleur d’aimer.
Depuis que Garrel écrit ses films
avec Arlette Langmann (la scéna-
riste d’A nos amours de Maurice
Pialat, 1983) et Jean-Claude Car-
rière, ceux-ci ont pris la forme de
petites équations morales dont le
jugement reste suspendu, mais
où ce sont les aléas de la vie, le
renversement des choses, l’ironie
discrète du sort, qui renferment
les motifs d’une leçon ou les stig-
mates d’un apprentissage.
de finesse sur une trame pourtant éculée
Le jeune
cinéma algérien
convoque
d’impressionnantes
stratégies
esthétiques
pour prendre
son histoire
à bras-le-corps
gent silencieux. Amin Sidi-Bou-
médiène distille les informations
au compte-gouttes, moins pour
dérouler une intrigue que pour
nous entraîner avec ses héros aux
confins du pays, sur cette fron-
tière indistincte où les derniers
bastions de la campagne font pro-
gressivement place à l’immensité
nue du désert, comme une sorte
de vortex brouillant la perception
même de la réalité.
Peu à peu, l’argument criminel
de départ (deux hommes aux
trousses d’un troisième) se voit
parasité par une logique adverse :
celle, onirique, des visions d’hor-
reur qui assaillent le malade, pro-
longeant la surface ordinaire des
choses par leur version cauche-
mardesque. Un sens affûté du ca-
dre et de l’espace, ainsi que la sym-
phonie de bruits angoissants que
tresse la bande-son contribuent à
l’incroyable intensité de ces glis-
sements dans le domaine du rêve.
En dressant le portrait d’un enjô-
leur que sa bonne fortune amou-
reuse prédispose à la goujaterie, Le
Sel des larmes ne déroge pas à la rè-
gle. Face aux errements d’une
masculinité puérile et inconsé-
quente, le film oppose un tripty-
que féminin de personnages ac-
cessibles à la souffrance, comme
Luc finira par l’être à son tour.
Intensité du lien filial
Certaines des plus belles scènes
du film concernent la relation en
miroir entre Luc et son père, vieil
homme affable interprété avec
une tendresse bouleversante par
André Wilms – où l’on reconnaît
Plus les personnages croient
s’en rapprocher, et plus Abou
Leila s’estompe, insaisissable,
flottant comme une ombre sur le
paysage désertique, dont le ci-
néaste saisit les angles arides et
les vacillements crépusculaires.
Peut-être Abou Leila n’est-il rien
de plus qu’un nom. Mais alors le
nom de quoi ? De la maladie, jus-
tement : ce venin au cœur du
héros dont Sidi-Boumédiène
étend l’allégorie à l’échelle d’un
pays en proie à la guerre civile, un
mélange de colère et de peur s’en-
roulant comme les serpents d’un
caducée, et générant un cycle de
violences sans fin.
Dans son dernier acte, le film
est aspiré par le désert, qui de-
vient son champ d’action, espace
métaphysique de résolution du
conflit, envers du monde courant
où se résolvent l’un par l’autre le
passé et le présent, le rêve et la
réalité. Le héros sans nom af-
fronte alors, à mains nues, un
bien étrange félin dont il faut ici
conserver le secret : le fauve inté-
rieur qui lui dévorait le cœur. Le
recours au symbole est alors l’ul-
time éloquence d’un film qui se
confronte à l’innommable, au re-
foulé traumatique et sanglant de
tout un peuple. p
ma. mt
Film algérien et français
d’Amin Sidi-Boumédiène.
Avec Slimane Benouari,
Lyes Salem, Azouz Abdelkader,
Fouad Megiraga (2 h 13).
quelque chose du regard que le ci-
néaste a pu porter sur cet autre
père, le comédien Maurice Garrel,
disparu en 2011 (notamment dans
Liberté, la nuit en 1983). L’intensité
du lien filial est, en quelque sorte,
l’envers de la désinvolture dont
Luc fait montre envers les fem-
mes ; c’est d’ailleurs la distance
prise avec le père qui lui permettra
d’aimer pour de bon, c’est-à-dire
de se rendre enfin vulnérable.
Du reste, Garrel n’a pas son pa-
reil pour filmer l’essor du senti-
ment, ses montées frémissantes
et ses descentes ombragées, ses
précipitations soudaines et ses
désertions béantes. Les premiè-
LES MEILLEURES
INTENTIONS
ppvv
P
apa gâteau, mère sévère,
enfants baladés de l’un à
l’autre, passant sans en-
combre apparent d’un modèle à
son contraire. Ce scénario sem-
ble avoir déjà servi, et l’Argentine
Ana Garcia Blaya, 40 ans, qui réa-
lise son premier long-métrage, le
sait sûrement. Mais cette his-
toire, qu’elle raconte avec une fi-
nesse où surnagent quelques cli-
chés, n’est pas simplement un
scénario, c’est aussi la sienne.
N’en subsistent que des prises de
vues au Caméscope, images de
bonheur enfui qu’elle entrelarde
à son film, soulignées par une
bande-son vintage.
Années 1990, Buenos Aires.
Malgré l’âge qui gagne et trois en-
fants, Gustavo continue de mener
la vie qui a été la sienne. Divorcé
de la sérieuse Cecilia, il héberge
ses gosses par intermittence. Son
activité de vendeur de disques ne
lui permet guère mieux qu’un
deux-pièces. Il fume comme un
pompier, cigarettes et joints,
même sous le nez de sa progéni-
ture. Il les emmène voir des
matchs de football du River Plate,
joue des chansons engagées à la
guitare sèche, multiplie les
conquêtes. La crise économique
fait rage, celle de la quarantaine
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
Garrel n’a pas
son pareil pour
filmer l’essor
du sentiment,
ses montées
frémissantes
et ses descentes
ombragées
res scènes en attestent, qui décri-
vent admirablement la brève ren-
contre de Luc et Djemila : trois
jours déclinés par petites touches
pointillistes, comme une délicate
météorologie des états amou-
reux, les visages s’éclaircissant ou
s’assombrissant, les corps s’appe-
lant ou s’aimantant, au gré d’une
marche, d’un trajet en bus ou de
retrouvailles au café.
Si la géographie garrélienne re-
trouve ici certains de ses territoi-
res familiers (cafés, appartements
exigus, nuits et petits matins), elle
s’augmente néanmoins d’une
nouvelle dimension périphéri-
que : celle de la banlieue pari-
sienne, où se replient de plus en
plus les jeunes précaires et les étu-
diants désargentés.
Leurs conditions d’existence,
étroites, fragiles, solitaires, sont
exposées, comme pointent par
moments certains symptômes
d’une violence d’époque (une
agression raciste à la sortie d’une
boîte de nuit). Contrairement à ce
que l’on peut croire, l’intimité gar-
rélienne n’est pas recroquevillée
sur elle-même, coupée de la réalité
du monde. Elle en est au contraire
la traduction intérieure, dans le
langage secret de l’affectivité. p
mathieu macheret
Film français de Philippe Garrel.
Avec Logann Antuofermo,
Oulaya Amamra, André Wilms,
Louise Chevillotte, Souheila
Yacoub (1 h 40).
aussi. Amanda, l’aînée, a pour son
adulescent de père un regard pro-
tecteur et compatissant. Elle pal-
lie ses manques, fait la vaisselle,
range les soutiens-gorge aban-
donnés par ses maîtresses. Tout
le monde semble heureux – y
compris lors du retour chez la
mère réputée moins cool. Entre la
liberté que leur enseigne l’un et
l’ordre que fait régner l’autre, les
enfants ont construit leur équili-
bre, d’autant plus confortable que
leurs parents semblent bien s’en-
tendre. Admettons…
Fissures dans le bonheur
Mais patatras ! L’annonce du pro-
chain départ de Cecilia au Para-
guay avec son nouveau conjoint
fracture cet équilibre. Il ne reste
plus alors que quarante-cinq mi-
nutes au film pour traiter son su-
jet : l’explosion du clan, les fissu-
res dans le bonheur. C’est peu.
Amanda refuse de suivre sa
mère. Le père semble réticent à
recevoir sa fille chez lui à plein
temps. Dernier été ensemble
avant que la fratrie se sépare.
Doutes, chagrin. Amanda grandit
à mesure que les enjeux devien-
nent plus complexes. Le film a
trouvé son sujet. Il reste quinze
minutes. C’est un peu court. p
philippe ridet
Film argentin d’Ana Garcia
Blaya. Avec Javier Drolas,
Amanda Minujin, Ezequiel
Fontenla (1 h 26).
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
La mémoire retrouvée de Joanna Flatau
Filip Flatau accompagne sa mère sur les lieux où, fillette juive, elle passa, cachée par une famille, les années de guerre
FRANCE 3
MERCREDI 15 - 23 H 25
DOCUMENTAIRE
P
arler ou ne pas parler :
telle est, en quelque
sorte, la question que
posent deux documen-
taires connexes que diffuse
France 3. Une question que se po-
sent, au premier chef, des enfants
juifs rescapés – aujourd’hui se-
niors – des rafles nazies de la se-
conde guerre mondiale.
Les Gamins de Ménilmontant,
d’Antarès Bassis et Pascal Auffray,
a pour cadre l’école Julien-Lacroix,
dans le 20e arrondissement à Pa-
ris, où furent d’abord ostracisés
(par une partition de la cour de ré-
création), puis arrêtés et déportés,
avant d’être assassinés, de nom-
breux enfants et adolescents dont
les noms sont gravés sur deux pla-
ques, tant ils étaient nombreux.
Le documentaire propose une
mise en abyme du tournage fait
en partie par les élèves d’une
classe de CM1-CM2 de l’établisse-
ment, et leur confrontation avec
le souvenir d’enfants qui fréquen-
taient la même école au même
âge, mais à la mauvaise période. A
cela s’ajoute la rencontre poi-
gnante avec des survivants et res-
capés qu’interrogent, stupéfiés
mais informés, les écoliers.
Les témoins ont jugé essentiel,
vital, à titre personnel et collectif,
Aux Etats-Unis, l’amour indestructible entre un Blanc et une Noire
Jeff Nichols raconte le combat de Richard et Mildred Loving, un couple mixte condamné par la justice en 1958
FRANCE Ô
MARDI 14 - 22 H 00
FILM
E
n 1958, dans le sud des Etats-
Unis, les mariages « interra-
ciaux » étaient interdits. Ri-
chard et Mildred Loving s’en mo-
quaient, ils s’aimaient. Il était
blanc, elle était noire, ils sont par-
tis pour Washington, sont revenus
mariés. Au milieu de la nuit, la po-
lice a débarqué chez eux, les a jetés
en prison. Jugés coupables d’in-
fraction à la loi sur l’intégrité des
races, Richard et Mildred Loving
GRILLE N° 20 - 163
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
II
III
IV
V des siècles. Romains dans Venise.
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 162
HORIZONTALEMENT I. Milliardaire. II. Eloi. Bain. Un. III. Deb. Miracles.
IV. As. Pâmé. Rire. V. Aria. Ramai. VI. Lavis. Sage. VII. Lois. Laie. On.
VIII. Essorait. Ana. IX. Ut. Néon. Oman. X. Ressentirent.
VERTICALEMENT 1. Médailleur. 2. Iles. Aoste. 3. Lob. Avis. 4. Li. Prisons.
5. Mais. Rée. 6. Abîma. Laon. 7. Rare. Saint. 8. Dia. Rait. 9. Ancrage. Or.
10. Lime. Ame. 11. Ruera. Onan. 12. Enseignant.
Filip et Joanna Flatau, dans « Le Formulaire ». ZADIG PRODUCTIONS
de faire connaître ces terribles
faits, qui seront de moins en
moins transmis par ceux qui les
ont vécus : pendant le tournage,
l’un d’eux meurt avant que les élè-
ves aient pu le rencontrer.
D’autres sont restés mutiques, ra-
valant leur douleur et la mettant à
distance autant qu’il est possible.
C’est le cas de Joanna Flatau,
jeune enfant juive polonaise
furent condamnés à un an de pri-
son avec sursis, assorti de vingt-
cinq ans d’exil hors du territoire de
Virginie. Neuf ans plus tard, dans
un arrêt intitulé « Loving contre
l’Etat de Virginie », la Cour su-
prême des Etats-Unis rendait in-
constitutionnelles toutes les lois
interdisant les unions mixtes.
Révélé avec Shotgun Stories,
néowestern tourné dans les plai-
nes de l’Arkansas, Jeff Nichols n’a
cessé, depuis, de revisiter l’imagi-
naire du sud des Etats-Unis à la lu-
mière des grands genres du ci-
néma, en diluant les codes dans le
7 8 9 10 11 12
sauvée du ghetto de Varsovie, ca-
chée à la campagne jusqu’à la fin
de la guerre par une généreuse et
courageuse famille. Son fils, Filip,
lui consacre un portrait au cours
duquel il insiste pour qu’enfin sa
mère raconte son histoire. Mis-
sion qui paraît d’autant moins
possible qu’on apprend que les
parents de Filip avaient même ca-
ché leur judéité à leur jeune fils :
spectre hanté de sa vision du
monde. Avec l’histoire de Loving, il
s’essaie au biopic, en s’inscrivant
dans la grande tradition classique
du mélodrame.
Sobriété et émotion
Pas de violons, pas de commentai-
res édifiants. La mise en scène
cultive l’ellipse, une belle sobriété
qui n’empêche pas l’émotion dès
le premier plan. Car Jeff Nichols ne
se contente pas de filmer ses ac-
teurs. Sa caméra les enveloppe
d’un tel amour qu’elle les rend im-
médiatement vivants, révélant la
HORIZONTALEMENT
I. Quand le patron confond vie de
l’entreprise et vie familiale. II. A beau-
coup perdu. Reconnaissances libéra-
trices. III. Personnel. Travailleurs en
usine. En bordure du pavillon. IV. As-
sure la liaison. Brusque et âpre à nos
sens. V. Facilite les réparations du
bâtiment. Grosses cochonnes sau-
vages. Dans la lune. VI. L’actinium.
Prennent de la hauteur. Pressés pour
donner. VII. Diurnes et nocturnes ils
font grand bruit. Sur la portée.
VIII. Installés en Andalousie depuis
Un peu de provoc. IX. Le faux se cui-
sine aussi très bien. Celle d’avant.
X. N’iras pas te faire voir ailleurs.
VERTICALEMENT
1. Ne font que tout déprécier.
2. Fendue dans l’émotion. Manière
d’être. 3. Possessif. Introduit les quali-
tés. Mit la pomme à nu. 4. Participa-
tion individuelle. Tortue des mers
chaudes. 5. Plaisirs gourmands. Com-
positeur autrichien, venu de Hongrie.
6. Négation. Porteuses de pois. 7. Ou-
vertures chez les mulets. Repart à
chaque tour. 8. Chantées à l’aurore.
A boire une fois tiré. 9. Ont certaine-
ment trop tiré. Convienne. 10. Pour
des bains revigorants. Des chiffres et
une lettre. Dans la cour. 11. Pour un
solide petit déjeuner. Fait des vagues.
12. Pourront se développer.
« Persuadé d’être catholique, je
voulais être juif, confie, en voix
off, le cinéaste. C’est à contrecœur
qu’ils durent m’avouer que, juifs,
nous l’étions déjà… »
Souvenir d’un lieu
Le sujet, annoncé par le titre du do-
cumentaire, Le Formulaire, con-
cerne un document destiné à faire
valoir la qualification de « Justes
force de leur présence, et leur fra-
gilité face à la violence aveugle.
Imbriquant les registres de l’in-
time et de la grande histoire, la
mise en scène tresse dans un
même tissu les mouvements de
l’amour, de la vie sociale, du com-
bat contre l’Etat… Tout passe par la
peau, par les gestes, par le timbre
des voix, par la manière qu’ont Joel
Edgerton et Ruth Negga, dans les
rôles de Richard et Mildred, de tou-
jours se tenir droits et d’apparaître
ainsi, y compris dans la douleur et
l’humiliation, comme l’incarna-
tion fière de l’histoire en marche.
SUDOKU
N°20-163
NS
LI S AT I O
& CIVI
télévision | 27
parmi les nations » des membres
de la famille polonaise qui avait ac-
cueilli Joanna. Mais il faut le rem-
plir, revenir sur des faits et souve-
nirs. Joanna rechigne, ne veut pas
donner sa date de naissance, dit
qu’elle n’est « pas née », critique
son fils. Et menace de tout lâcher.
Le point de basculement se pro-
duit quand Filip trouve, grâce aux
outils de Google, la maison où sa
mère avait passé ces années,
qu’elle se remémore comme
heureuses, après avoir été exfil-
trée du ghetto, cachée dans une
benne à ordures. Moment extra-
ordinaire, ponctué par les clics de
la souris d’ordinateur, et illuminé
par le visage bouleversé et heu-
reux de celle qui retrouve alors,
intact, le souvenir du lieu.
Suit le voyage de retour vers ce
havre, la visite au cimetière de
ceux qui l’avaient choyée comme
leur propre enfant, la rencontre
d’un fils qui n’était pas né encore
alors et les retrouvailles avec une
amie plus âgée, aujourd’hui nona-
génaire. Tout cela est filmé avec
tact, finesse et simplicité, dans un
heureux mélange d’émotion ter-
rassante et de drôlerie enlevée. p
renaud machart
Le Formulaire, de Filip Flatau
(Fr., 2020, 54 min.), à 23 h 25.
Les Gamins de Ménilmontant,
d’Antarès Bassis et Pascal Auffray
(Fr., 2020, 52 min), à 00 h 15.
Jeff Nichols, qui n’a pas peur des
mélanges, injecte dans son biopic
une tension de thriller psychologi-
que. En recourant aux puissances
du faux, il exprime au plus juste la
violence démente, inimaginable
aujourd’hui (malgré les traces qui
en subsistent), d’une société où les
Noirs finissaient pendus au bout
d’une corde. Et la terreur qu’elle
produisait dans les cœurs. p
isabelle regnier
Loving, de et avec Jeff Nichols,
Joel Edgerton et Ruth Negga
(EU, 2016, 123 min).
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
M AR D I 14 JUILLET
TF1
21.05 Jurassic Park 3
Film de Joe Johnston. Avec Sam
Neill, Téa Leoni (EU, 2001, 110 min).
France 2
21.05 Le Concert de Paris 2020
Présenté en direct par
Stéphane Bern.
France 3
21.05 Meurtres en Cornouaille
Téléfilm de Franck Mancuso.
Avec Sagamore Stévenin, Caroline
Anglade (Fr., 2018, 105 min).
Canal+
21.05 Blanche comme neige
Film d’Anne Fontaine.
Avec Lou de Laâge, Charles Berling
(Fr., 2019, 110 min).
France 5
20.50 Les Avions
du bout du monde
Documentaire de Martin Blanchard,
Pascal Vasselin et Vincent Nguyen
(Fr., 2020, 2017, 105 min).
Arte
20.50 Plastic partout !
Histoires de déchets
Documentaire d’Albert Knechtel
et Nanje Teuscher (All., 2018, 90 min).
M6
21.05 La France a un incroyable
talent : la bataille du jury
Divertissement présenté par
David Ginola.
M ERC R ED I 15 J UILLET
TF1
21.05 Prodigal Son
Série. Avec Tom Payne,
Bellamy Young (EU, 2020).
France 2
21.05 L’Amie prodigieuse
Série. Avec Gaia Girace, Margherita
Mazzucco (It.-EU, 2018,).
France 3
21.05 La Carte aux trésors
Jeu présenté par Cyril Féraud.
Canal+
21.10 Alex Lutz
Spectacle enregistré en 2018
à l’Olympia.
France 5
20.50 Paradis d’artistes !
Documentaire (Fr., 2020, 90 min).
Arte
20.55 La Graine et le Mulet
Film d’Abdellatif Kechiche. Avec
Habib Boufares, Hafsia Herzi
(Fr., 2007, 150 min).
M6
21.05 Zone interdite
Magazine présenté par
Ophélie Meunier.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
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durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
28 |
IDÉES
Thierry Pech
« Pour les conventions
futures, il faut
que la société civile
puisse aussi débattre »
Le coprésident du
comité de gouvernance
de la convention
citoyenne pour
le climat salue le travail
effectué et estime
qu’il faudra à l’avenir
faire une place à cette
forme de démocratie
représentative
d’un nouveau type
ENTRETIEN
T
hierry Pech a coprésidé le comité
de gouvernance de la convention
citoyenne pour le climat avec
Laurence Tubiana. Pendant neuf
mois, il a piloté cette nouvelle
forme de démocratie participa-
tive rassemblant 150 citoyens tirés au
sort, qui a abouti, le 21 juin, à la remise de
quelque 150 propositions au gouverne-
ment visant à réduire les émissions de gaz
à effet de serre d’au moins 40 % d’ici à
2030 dans un esprit de justice sociale.
Thierry Pech est aujourd’hui directeur
général du think tank Terra Nova, proche
du centre gauche. Son dernier livre, Insou-
missions. Portrait de la France qui vient
(Seuil, 2017), dresse le portrait du pacte
social à la française.
Le nouveau gouvernement de Jean
Castex vous paraît-il apte à concréti-
ser les propositions de la convention
citoyenne pour le climat ?
J’attends de voir. Il y a quelques signes
positifs. La grande difficulté, c’est que le
ministère en charge des questions écologi-
ques, à chaque fois, doit traiter d’objets qui
ne sont pas toujours sous sa juridiction :
logements, transports, industrie, agricul-
ture. De nombreuses questions se règlent
alors en réunion interministérielle et en
fonction des rapports de force. Cela ne fait
pas une politique cohérente. Aujourd’hui,
il y a un progrès puisque le ministère
garde les transports mais gagne le loge-
ment. C’est plus cohérent. J’aurais sou-
haité qu’il ait également l’alimentation.
Qu’avez-vous pensé de l’accueil fait
par Emmanuel Macron aux proposi-
tions de la convention, le 29 juin,
et de ses trois « jokers », c’est-à-dire
la possibilité pour lui de ne pas
reprendre certaines mesures ?
Trois sur 149, cela fait 2 % de refus. Donc
le contrat moral est respecté pour plus de
95 % des mesures de la convention [Em-
manuel Macron s’était engagé à transmet-
tre « sans filtre » les propositions « claires et
précises »]. Ces jokers n’ont surpris per-
sonne. En janvier, quand il est venu de-
vant les citoyens, il avait ouvert cette pos-
sibilité de dire non à des choses qu’il
aurait jugées opposées à ses convictions
politiques, comme la taxe de 4 % sur les di-
videndes pour financer la transition éco-
logique. Un deuxième joker a soulagé tout
le monde, celui sur la limitation à 110 km/
h sur les autoroutes. Il a enlevé un caillou
dans la chaussure de la convention.
Le mandat de départ appelait les 150 ci-
toyens dans deux directions. Celle de
l’ambition, de la réduction drastique des
émissions de gaz à effet de serre dans la
décennie. Et celle de la recherche du con-
sensus, dans un esprit de justice sociale,
afin que personne ne soit victime de cette
transition. Ils ont donc été tiraillés cons-
tamment, et sainement, entre la radicalité
de l’ambition et la recherche du consen-
sus. Les 110 km/h en sont l’illustration. Ils
en ont beaucoup discuté. Ne trouvant pas
de chemin d’incitation, qui aurait moins
affecté la liberté individuelle, ils ont dé-
cidé de prendre la voie de l’obligation, en
étant parfaitement conscients du risque.
La crise économique ne va-t-elle pas
reléguer ces préoccupations
écologiques au second plan, y compris
en matière financière?
On a tous été habités par cette peur. En
même temps, il se passe quelque chose de
nouveau. Contrairement à 2008, où on a
fait de la relance « brune », en stimulant
les secteurs très carbonés pour créer de
l’activité économique à très court terme,
j’ai le sentiment qu’aujourd’hui l’impéra-
tif écologique va cohabiter avec l’impéra-
tif économique. Les municipales nous ont
envoyé un signe, les enquêtes d’opinion le
montrent aussi. Certaines politiques pré-
sentent de forts cobénéfices (écologiques,
économiques, sanitaires), comme la
rénovation des bâtiments. Ou encore le
remplacement des voitures thermiques
par des véhicules électriques.
Pensez-vous que la convention
citoyenne soit restée une « petite
France », alors que ses membres ont
voté à 80 % ou 90 % la plupart des
mesures, ce qui ne représente pas
vraiment une société plus clivée ?
D’abord, je veux répondre sur le fait
qu’il y aurait un biais dans la sélection des
conventionnels, qu’on aurait recruté des
« Khmers verts »… Oui, comme on ne peut
rien imposer aux personnes tirées au
sort, le volontariat sélectionne des per-
sonnes un peu plus sensibles aux ques-
tions écologiques, mais un peu plus
seulement. Et quand vous regardez cer-
tains grands choix de la convention, cela
contraste fortement avec les débats habi-
tuels des militants écologistes. Par exem-
ple, l’absence de mesure sur le nucléaire
ou sur la taxe carbone.
De fait, les gens qui viennent dans ce
type d’exercice ne sont pas des militants.
Ils ont beaucoup changé d’avis, ils ont été
affectés par les informations qu’ils ont re-
çues, par les débats, les auditions. Ils ont
pris conscience du phénomène. Et heu-
reusement qu’ils ont changé d’avis, car si-
non ce n’était pas la peine d’organiser tout
cela, on aurait pu se contenter d’un son-
dage. Alors oui, ils restent représentatifs
de ce que des citoyens à l’image de notre
pays peuvent construire quand ils ont le
temps de s’informer et de délibérer.
Donc, si l’on organisait le débat,
si l’on informait mieux la société,
on aurait un large consensus sur les
propositions écologiques ?
Je le crois. Que les propositions ne fas-
sent pas toujours consensus dans la so-
ciété, c’est normal. Mais ce qui ne l’est pas,
c’est que l’on n’arrive pas à organiser dans
la société un débat public de qualité. Nous
avons un espace public largement né-
crosé, incapable de mettre en scène des
controverses utiles et nécessaires. Nous
avons voulu une convention avec les por-
tes et les fenêtres ouvertes. Pour que tout
ce qui se passe dans ses murs puisse ré-
sonner à l’extérieur. Mais cela ne suffit
pas. Pour les conventions futures, il faut
que la société civile puisse débattre en
même temps, qu’il y ait un festival « on » et
un festival « off », d’une certaine manière.
Au-delà de la démocratie participative,
qu’est-ce que ces propositions appor-
tent de plus, sur le fond, que ce que les
ONG disent depuis vingt ans ?
La valeur ajoutée de cet exercice, c’est
que les propositions, même si elles ne
sont pas toujours nouvelles, ont l’assenti-
ment de gens qui ne sont pas des mili-
tants, qui sont à l’image du pays. La con-
vention a démontré que lorsqu’ils pren-
nent le temps de s’informer, des citoyens
tirés au sort arrivent à ces conclusions-là.
C’est ça qui embarrasse les conservateurs.
C’EST L’ORIGINALITÉ
Que pensez-vous de l’idée d’aller
DE CE TRAVAIL : au référendum sur certaines
NE PAS AVOIR des propositions des citoyens ?
J’y suis favorable si cela ne se transforme
ÉPOUSÉ À CHAQUE pas en plébiscite ou contre-plébiscite à
l’égard du président, et si l’on prend le
FOIS LES GRILLES temps d’un débat collectif. Sur les ques-
ET LES CODES tions écologiques, on a besoin que le peu-
ple marque clairement sa préférence.
DES EXPERTS ET
De nombreuses critiques ont porté sur
DE LA TECHNOCRATIE le rôle joué par les experts, le manque
D’ÉTAT de transparence du processus. Ceux-ci
ont-ils influencé les citoyens ?
Il a été demandé aux citoyens de se sai-
sir d’un domaine ayant une très forte den-
sité scientifique, la lutte contre le change-
ment climatique, qui nécessite beaucoup
d’informations et une formation techni-
que et scientifique. On a demandé aux
conventionnels de définir une politique,
de donner à leurs mesures la forme de
propositions de lois et de règlements. En
cela, l’exercice est inédit et diffère de con-
ventions citoyennes ou de jurys citoyens
dans d’autres pays, qui ont dû répondre à
des questions sectorielles ou trancher des
controverses, comme, par exemple, le
droit à l’avortement en Irlande.
Bien sûr, nous étions conscients du ris-
que d’emprise des experts sur les ci-
toyens. C’est pour cela que nous avons
mis en place des garde-fous. En ce qui
concerne les 130 experts auditionnés,
nous avons veillé à leur pluralisme : il y
avait par exemple autant d’entreprises
que d’ONG. On a également organisé une
vingtaine de débats contradictoires,
comme par exemple entre le président du
conseil de surveillance de PSA et une fi-
gure des « gilets jaunes ».
Le groupe d’appui, une quinzaine d’ex-
perts avec des compétences disciplinaires
variées, qui ont été au contact régulier des
citoyens, a vu son travail encadré par des
mandats délivrés par les citoyens eux-mê-
mes, contrôlés par le comité de gouver-
nance et les garants. Enfin, une vingtaine
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020
YANN LEGENDRE
de fact-checkeurs du monde académique
ont répondu aux questions des citoyens,
et ont parfois servi de contre-pouvoir in-
terne quand il leur était demandé de véri-
fier les affirmations d’un expert.
Les citoyens ont peu abordé
le financement de leurs mesures,
la taxe carbone ou encore le modèle
énergétique, et ils n’ont rien dit sur
le nucléaire. Jugez-vous que ce sont
des angles morts ?
Au début, je pensais qu’on n’y arriverait
pas : faire des propositions concrètes,
transcrites, sur l’ensemble des sujets, tout
ça en quatre mois [la convention devait à
l’origine rendre ses travaux fin janvier], cela
ne s’était jamais fait. On y est finalement
arrivés. Néanmoins, on a manqué de
temps pour le financement, un dossier
sur lequel on aurait pu aller plus loin.
Sur la taxe carbone et le nucléaire, ce
n’est pas que les citoyens n’en ont pas
parlé, mais ils ont pris des chemins inat-
tendus. Sur la taxe carbone, ils ne vou-
laient pas être les instruments de la réha-
bilitation politique d’un outil qui avait
plongé la société dans un grand trouble.
En outre, ils ont considéré que cette taxe
n’était pas juste ; or on leur demandait de
travailler dans un esprit de justice sociale.
Néanmoins, ils n’ont pas renoncé au si-
gnal-prix, qui est au cœur de la taxe car-
bone : ils veulent par exemple augmenter
l’écocontribution sur l’aérien et défendent
l’idée d’une taxe carbone européenne.
Les citoyens ont également préféré ne
pas ouvrir un énième débat passionnel
sur le nucléaire, considérant que ce n’est
pas un problème pour le climat. Et effecti-
vement, ils ont peu abordé le modèle
énergétique, ils sont entrés dans le sujet
par les usages, par la demande. C’est aussi
l’originalité de ce travail : ne pas avoir
épousé à chaque fois les grilles et les codes
des experts et de la technocratie d’Etat.
Etes-vous favorable à l’organisation
de nouvelles conventions ?
J’y suis favorable, mais à certaines condi-
tions. Il ne faut pas institutionnaliser trop
vite ce type d’exercice, qui a besoin d’être
rodé et complété. On a besoin de poser
des principes généraux : indépendance du
comité de gouvernance, engagement du
commanditaire (à l’image du fameux
« sans filtre » du président de la Républi-
que), pluralisme des apports d’expertise,
transparence de l’exercice. Je pense qu’il
serait bon de les transcrire dans la loi afin
qu’en cas de contestation, les juges aient
une base pour se prononcer.
Enfin, il faut arrêter de noyer l’exercice
des conventions dans le grand bain des
« consultations publiques ». Il faut faire
une place singulière à cet objet, qui est
une forme de démocratie représentative
d’un nouveau type. De futures conven-
tions pourraient porter sur des sujets un
peu différents, comme par exemple la
question de la relation entre la police et la
population, ou comment être résilients
face à une prochaine catastrophe. p
propos recueillis par
rémi barroux et audrey garric
 idées | 29
0123
MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020

Christiane Schmuckle-Mollard
Paris est menacé par l’urbanisme
du dépleuplement
L’essor récent du télétravail a jeté une lumière crue marché, appelle à cette recherche immo-
sur une politique qui encourage la construction de dérée de mètres carrés supplémentaires
que justifient les plus lourds travaux.
bureaux, dont beaucoup sont vides, alors que la ville Quand, à la fin des années 1990, le « faça-
se dépeuple, pointe l’architecte disme » éventrait la ville sous le couvert
d’en préserver les alignements histori-
ques, de nouvelles stratégies sont
aujourd’hui mises en œuvre pour renta-
La crise due au coronavirus rend plus
coupable cette politique urbaine ; si
nombre de bureaux étaient déjà vides
(3,2 millions de m² en 2019 en Ile-de-
France), cette proportion a considérable-
ment augmenté depuis que le télétravail
est devenu momentanément la règle
pour bien des actifs. Vide, le « triangle
définitive, que produire un « Petit Paris ».
Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
En 1914, intra-muros : 2,9 millions d’ha-
bitants. En 2019 : 2,2 millions d’habitants.
En un siècle, des millions de mètres car-
rés supplémentaires ont pourtant été
construits. Pour plus de logements ?
Pour plus d’investissements ! Paris n’est

C
onfinée, à travers mes fenêtres,
je n’ai pu observer, en face de ma
table de travail, qu’un immeuble
de bureaux désespérément vide
et puissamment illuminé. Je l’aperçois
côté cour, il vient d’être rénové. Rien, de
l’autre côté, depuis la rue, ne trahit de
lourds travaux de restructuration. Rien
n’annonce les considérables modifica-
tions apportées à l’arrière de l’édifice : la
façade ancienne a été complètement
détruite pour être, dans une architec-
ture plus contemporaine, avancée de
quelques mètres. Si les propriétaires
gagnent ainsi un peu de surface, ils ré-
duisent de fait un puits de lumière déjà
étroit. Les petits vides de la ville dis-
paraissent tristement. Ils sont, d’une
opération immobilière à l’autre, par-
faitement bouchés. Qui y gagne ? Les in-
vestisseurs. Qui y perd ? Les habitants…
si seulement il en reste.
Paris n’a en effet jamais été aussi dense
en constructions et n’a jamais été aussi
peu habitée. Depuis un an, la ville a
perdu 12 000 habitants. Depuis un an,
elle a gagné 100 000 m² de bureaux
flambant neufs au sein de constructions
nouvelles ou d’adresses transformées si-
non restructurées, parfois vandalisées.
Mais voilà, jamais ce parallèle n’est fait.
D’aucuns, pour évoquer l’exode des
Parisiens vers la banlieue, suggèrent de
prime abord les prix prohibitifs de l’im-
mobilier, qui ne cessent d’augmenter
(10 500 euros/m² en 2020), et, enfin, le
phénomène Airbnb, qui représente dé-
sormais 51 000 logements environ pro-
posés à la location saisonnière autre-
ment plus souple et lucrative qu’une lo-
cation traditionnelle.
Une manne financière
La tertiarisation de la capitale n’est,
quant à elle, jamais ouvertement accu-
sée. A l’hiver 2019, un demi-million de
mètres carrés de bureaux étaient pour-
tant en chantier et, si l’on se réfère au
nombre moyen de mètres carrés dont
bénéficie un Parisien, soit 30 m² environ,
cette masse considérable représenterait
à elle seule autant de logements pour
près de 18 000 habitants. La Ville cherche
tant bien que mal à freiner cette évolu-
tion. Elle s’y prête avec plus ou moins
d’énergie, mais tout l’invite, dans un
exercice schizophrène, à encourager la
construction continuelle de bureaux ;
l’immobilier tertiaire est avant tout une
manne financière. Aussi, la taxe foncière
sur les bureaux augmente régulière-
ment ; rien, pour l’heure, n’est assez dis-
suasif pour que les promoteurs renon-
cent à leurs investissements massifs.
Cela étant écrit, l’évolution de la fis-
calité, tout autant d’ailleurs que celle du
biliser un investissement immobilier :
creusement des sous-sols, densification
des combles, surélévations, doublement
des façades et comblement des cours.
Le plan local d’urbanisme (PLU) est suf-
fisamment bien rédigé pour rendre ces
opérations possibles mais aussi invisi-
bles depuis la rue. Voilà donc l’avène-
ment d’un nouvel urbanisme de façade
qui ne dit pas son nom. Seul Google
Maps trahit, vues du ciel, ces opérations
immobilières couvrant davantage la sur-
face de la ville de constructions nouvel-
les et défigurant, au passage, ses toits que
l’on pensait, il y a peu, pouvoir classer au
Patrimoine mondial de l’humanité.
DEPUIS UN AN,
LA CAPITALE A PERDU
12 000 HABITANTS
ET GAGNÉ
100 000 M2
DE BUREAUX
FLAMBANT NEUFS
d’or » [quartier luxueux du 8e arrondisse-
ment parisien] ! Vide, le quartier central
des affaires [dans le nord-ouest de Paris] !
Quoi qu’il en soit, des adresses entières
ont été inoccupées et continuent de
l’être jusqu’à développer, chez les actifs
qui s’y pressaient du matin au soir, de
nouvelles habitudes de travail. La situa-
tion questionne donc la pertinence d’un
modèle architectural (l’immeuble de bu-
reaux), d’un modèle urbain (le quartier
d’affaires), voire d’un modèle sociétal
dans son entier.
Le Grand Paris pousse à la tertiarisation
L’échelle de l’indignation et celle de la
réflexion doivent donc se mesurer à la
ville entière et cibler davantage l’art et la
manière de concevoir l’urbanité contem-
poraine. En mire de ma critique : l’évolu-
tion de l’immobilier tertiaire.
Le Grand Paris n’est, en la circonstance,
certainement pas la solution. En lieu
d’une construction administrative nou-
velle, il n’en va que d’une structure en
chemin de fer, alignant les kilomètres de
transports souterrains, lesquels repous-
sent encore un peu plus loin la foule des
Parisiens. Le Grand Paris amplifie donc
la spécialisation du centre, encourage sa
tertiarisation et facilite, en consé-
quence, l’exode des habitants plus qu’il
ne le résout. Le Grand Paris ne fait, en
rien moins qu’un bon placement : à l’ar-
gent qui dort correspond aussi un im-
mobilier qui sommeille.
Je travaille alors à mon bureau et ne
cesse de regarder cet immeuble, face à
moi, désespérément vide. Faut-il atten-
dre de Paris intra-muros, de ce Petit Paris,
de n’être qu’une ville de représentation
sociale, d’affaires et de touristes ?
Le défi posé aux architectes et aux ur-
banistes – peut-être même aux politi-
ques – est donc la reconquête de la ville
pour ses habitants. Ce mouvement veut
limiter le nombre de surfaces de bu-
reaux, il ambitionne de réduire cet urba-
nisme envahissant qui comble sans relâ-
che toutes les respirations indispensa-
bles à la circulation de l’air et de la
lumière. Ce mouvement appelle à cesser
le surdimensionnement de Paris. Le gise-
ment d’espaces est déjà là ; il attend sous
nos yeux d’être enfin habité, à condition
de le vouloir politiquement. p
Christiane Schmuckle-Mollard
est architecte, urbaniste, architecte
en chef des Monuments historiques
honoraire, vice-présidente de l’Acadé-
mie d’architecture

Sébastien Clément, Emmanuel Mille et Thierry Paquot Pour

une politique patrimoniale cohérente avec le contexte climatique
Nos logements et villes anciennes seront invivables d’ici à 2050, alertent les architectes du patrimoine et le philosophe, qui plaident
pour une « réhabilitation intelligente » du bâti existant et une reconquête de l’espace public, aujourd’hui sacrifié à la voiture individuelle

L
e mois de juin 2020 a été le
plus chaud jamais enregis-
tré dans le monde. Le re-
cord précédent ne datait
que de… 2019 ! La Sibérie fait face
à une canicule sans précédent,
l’hiver dernier, nous avons
connu des records de douceur, et
ce printemps a été le deuxième
plus chaud jamais enregistré. La
crise sanitaire liée à l’épidémie
de Covid-19 n’a fait que renforcer
la donne. Après plusieurs mois
de confinement en appartement,
la population aspire à plus d’es-
paces verts. L’enjeu actuel et à
venir de la question environne-
mentale a pris une place inédite
dans le débat des municipales. Et
les résultats, notamment dans
les grandes villes, sont éloquents
quant à ce changement attendu
par les électeurs.
Et pourtant des projets farfelus,
voire contradictoires avec l’éco-
logie, inscrits dans les program-
mes, risquent aujourd’hui de voir
le jour, notamment à Paris :
création de forêts sur dalles, de
ponts plantés, de façades végéta-
lisées, de tours écologiques. Cette
écologie-là, cosmétique et oppor-
tuniste, ne répond pourtant en
rien aux enjeux. Les villes ont
tenu compte du climat, des maté-
riaux disponibles localement et
du savoir-faire des artisans, ceci à
chaque époque. Le progrès tech-
nique et le faible coût des éner-
gies fossiles de l’époque producti-
viste ont généralisé un confort
normé pour tous.
Cette amélioration se heurte do-
rénavant au réchauffement cli-
matique et à la raréfaction des
ressources. Nos logements et vil-
les anciennes, qui n’ont pas été
conçus pour des températures ca-
niculaires, seront d’ici à 2050 invi-
vables ! Viser l’habitabilité de ces
villes exige de modifier aussi bien
le bâti que les espaces publics.
Face à l’épuisement des ressour-
ces, au bilan carbone désastreux
de la construction neuve conven-
tionnelle, et au risque d’une accé-
lération de l’étalement urbain, la
réhabilitation du bâti existant
doit être fortement encouragée.
Préférer les isolants biosourcés
Dans un contexte où la rénova-
tion énergétique de masse est
censée être un des piliers de la re-
lance économique d’après-crise,
méfions-nous des solutions les
plus hâtives. L’isolation de bâti-
ments historiques par l’extérieur
est souvent peu heureuse sur un
plan esthétique. En outre, lors-
qu’elle est trop étanche, elle pose
des problèmes de conservation
du bâti : la plupart des matériaux
anciens ont besoin de respirer
L’ABSOLUE
NÉCESSITÉ
DE DIMINUER
L’EMPREINTE
CARBONE
CONDAMNE
LES SOLUTIONS
HIGH-TECH,
ÉCOLOGIQUEMENT
CONTESTABLES
pour perdurer. De la même ma-
nière, préférons les isolants bio-
sourcés aux matériaux synthéti-
ques, certes plus économiques,
mais qui sont très contestables
sur un plan environnemental.
L’absolue nécessité d’arriver à
une diminution de l’empreinte
carbone condamne le recours
aux solutions high-tech qui
s’avèrent coûteuses, peu péren-
nes et écologiquement contesta-
bles. Pour développer des répon-
ses cohérentes avec le nouveau
contexte climatique, les pays
méditerranéens nous offrent
pléthores de principes vernacu-
laires adaptés à l’intelligence
constructive initiale du bâti :
inertie des matériaux, ventila-
tion traversante, captage d’air
frais depuis les caves, etc.
Les premières photographies
du Paris haussmannien mon-
trent des piétons allant et venant
au milieu des places, des boule-
vards, des rues sans être canali-
sés sur les trottoirs exigus et
devenus dangereux, car fréquen-
tés aussi bien par des vélos, des
trottinettes que des scooters.
Depuis longtemps la voirie a été
abandonnée à l’automobile, sou-
vent immobile…
Penser le confort hygrothermique
La création d’ombre devient im-
pérative (création d’ombrelles ur-
baines, plantation d’arbres de
haute tige). Quand les températu-
res auront encore augmenté, il
sera absurde de restaurer des
cours minéralisées des places et
parvis, comme la place du Pan-
théon ou de la Bastille, sans une
réflexion sur l’ombrage et le con-
fort hygrothermique apporté par
une végétation bien choisie et des
sols non imperméabilisés. Il ne
fera de même plus sens de choisir
des revêtements de sols foncés,
captant la chaleur, comme cela
est parfois imposé pour les pistes
cyclables. Les transformations
écologiques seront en partie des
reconquêtes patrimoniales. La
minéralisation des sols est en
partie responsable de la satura-
tion des égouts. Avec des épiso-
des de sécheresses et de crues
plus récurrents, ou de pluie
moins fréquents mais plus vio-
lents, l’infiltration des sols ne
constitue plus un gadget d’« éco-
quartier » mais une nécessité
pour la régulation de l’eau et le
confort hygrothermique.
Restreindre la place de la voi-
ture, c’est redonner la priorité
aux piétons – notamment aux
enfants –, c’est aussi retrouver
des sols filtrants et des emplace-
ments de pleine terre, sources de
fraîcheur. Un patrimoine n’est
jamais mieux préservé que s’il
est occupé, chauffé et aéré, entre-
tenu, vivant ! Il perd tout son
sens si son usage se limite au
tourisme. Les villes anciennes
doivent privilégier des loge-
ments pour leurs habitants, en
incluant les personnes aux
revenus modestes.
A présent principalement
centrée sur les questions esthéti-
ques et formelles, la politique
patrimoniale pourrait s’ouvrir
aux questions des usages et de
leur cohérence avec le nouveau
contexte climatique et sanitaire.
Il convient de mieux protéger ce
bâti ordinaire, et d’encourager
son acclimatation au nouveau
contexte. Les praticiens du sec-
teur, et notamment les architec-
tes des Bâtiments de France se
doivent d’être à la pointe des
transformations à opérer. Face à
cet horizon incertain, le patri-
moine constitue une précieuse
balise, que tout citoyen apprécie.
Le patrimoine fait corps avec
l’écologie, il en est la face histori-
que qui demain témoignera
d’hier. Une société qui perd la
mémoire n’a pas d’avenir. p
Sébastien Clément est
architecte du patrimoine
et professeur à l’IUT d’Evry
Emmanuel Mille est archi-
tecte du patrimoine et docto-
rant au laboratoire CRAterre -
Ecole nationale supérieure
d’architecture de Grenoble
Thierry Paquot est philoso-
phe, professeur émérite à
l’Institut d’urbanisme de Paris,
auteur de « Désastres urbains,
les villes meurent aussi »
(La Découverte, 2019)
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MARDI 14 - MERCREDI 15 JUILLET 2020

ÉCONOMIE | CHRONIQUE UN PRÉSIDENT,

par j ean-mich e l b e z at
DEUX POLOGNE cond tour au président Duda ; il a aussi re- tel déséquilibre n’est pas à l’honneur du
mobilisé les forces démocratiques polonai- président réélu, pas plus que ses attaques

La défense ses de manière spectaculaire. Le taux de

participation de 68 % à l’élection de diman-
contre les homosexuels ni son voyage
éclair à Washington, à quatre jours du pre-

au secours de la relance
che, le plus élevé depuis le scrutin histori-
que de 1989, au moment de la chute du ré-
gime communiste, confirme la vigueur de
l’élan démocratique suscité par la campa-
mier tour, pour aller quémander au prési-
dent Trump les troupes américaines que ce
dernier affirme vouloir retirer d’Allemagne.
L’autre leçon de cette élection est la per-

I
l n’y aura pas de traditionnel
défilé militaire, mardi
14 juillet, sur les Champs-Ely-
sées – du jamais-vu depuis
1945. Pas de chars Leclerc, de cy-
rards coiffés du casoar, de gars de
gne du maire de Varsovie. Son score per-
LES INDUSTRIELS sonnel, 48,79 % des voix, contre 51,21 % à M.
Duda, selon les résultats provisoires ren-
RAPPELLENT QU’ILS dus publics lundi matin, montre qu’il a su
fédérer l’opposition au PiS, éparpillée au
DÉLOCALISENT PEU premier tour. Il confirme aussi la relève
tant attendue à la tête de la PO, qui ne s’était
POUR D’ÉVIDENTES
sistance de la division du pays en deux Po-
logne très distinctes, celle des grandes vil-
les et de l’ouest du pays, qui a voté Trzas-
kowski, et celle des campagnes et de l’est,
qui a réélu Duda. Le parti de M. Kaczynski
aurait tort de sous-estimer ce clivage, dé-
sormais familier en sociologie politique

la navale en grand uniforme, de lé-
gionnaires hache à l’épaule et ta-
blier de cuir fermant la marche. La
Patrouille de France laissera
quand même son panache trico-
lore dans le ciel de Paris… Le spec-
tacle des trois armes en grand ap-
pareil, qui fait le bonheur des mil-
liers d’invités serrés dans les tribu-
nes et de millions de
téléspectateurs, sera remplacé,
place de la Concorde, par une céré-
monie d’hommage au service de
santé des armées et aux agents
hospitaliers engagés au prin-
temps dans la « guerre » contre le
Covid-19.
Ce déploiement minimal, dicté
par les contraintes sanitaires, fera
faire quelques économies. Est-il le
prélude à une période d’austérité
pour les armées et l’industrie de
défense, imposée cette fois par
des impératifs financiers ? Avec
ses priorités économiques et so-
ciales, une récession de 10 %
en 2020 et un déficit budgétaire
de plus de 220 milliards d’euros,
la France a-t-elle les moyens de
ses ambitions : maintenir – seule
en Europe après le Brexit – un
« modèle d’armée complet », ca-
pable à la fois de se projeter hors
des frontières, de lutter contre le
terrorisme dans l’Hexagone et
d’entretenir une coûteuse force
de dissuasion nucléaire ?
La question ne se pose pas qu’en
France. Aux Etats-Unis, les « fau-
cons » défendent les crédits du
Pentagone après les « trillions » de
dollars injectés dans le soutien à
l’économie. Elle inquiète au som-
met de l’OTAN, fragilisée par les
critiques de Donald Trump et la
politique du président turc, Recep
Tayyip Erdogan. « La pandémie va
avoir des conséquences économi-
ques très importantes sur les bud-
gets, mais j’attends des alliés qu’ils
restent engagés dans leurs investis-
sements pour leur défense », aver-
tissait, dès la mi-mars, le secrétaire
général de l’organisation, Jens
Stoltenberg. En France, la « com-
munauté de défense » (militaires,
industriels et parlementaires spé-
cialisés) garde en mémoire les an-
nées de vaches maigres qui ont
suivi la crise financière de 2008.
Un monde plus incertain
Le contexte international s’est dé-
gradé en dix ans. La revue stratégi-
que commandée par Emmanuel
Macron dès son élection décrit un
monde plus incertain. Les zones
d’affrontement se multiplient
près de l’Europe : Turquie et Médi-
terranée orientale, Ukraine, Libye,
Sahel… Le scénario d’un repli du
parapluie américain justifie, selon
Paris, la création d’une défense
européenne assurant l’autono-
mie stratégique du Vieux Conti-
nent… alors que l’UE se déchire sur
une poignée de milliards pour le
Fonds européen de défense. Le
tout, dans un contexte de guerre
technologique exacerbée. Gare au
décrochage face aux « compéti-
teurs stratégiques », Etats-Unis et
Chine en tête, ont prévenu militai-
res et industriels, fin avril, devant
le Parlement.
Le président de la République a
relancé un effort sans précédent
dans le cadre de la loi de program-
LA DÉFENSE ASSURE
13 % DE L’EMPLOI
INDUSTRIEL
ET IRRIGUE
LES TERRITOIRES
O
jamais vraiment remise du départ pour dans de nombreux pays occidentaux : il ne
RAISONS n a connu victoires plus éclatantes Bruxelles de Donald Tusk, alors premier peut en effet continuer à gouverner contre
et défaites plus écrasantes. La réé- ministre, ni de la victoire du parti mené par la moitié de l’électorat polonais et ne doit
STRATÉGIQUES lection d’Andrzej Duda, reconduit, Jaroslaw Kaczynski en 2015. La vieille garde donc pas prendre la victoire de M. Duda
dimanche 12 juillet, pour un second man- a fini par céder la place ; l’opposition démo- comme un encouragement à renforcer le
dat présidentiel, à la tête de la Pologne, est cratique polonaise, après avoir emporté la contrôle du parti sur les médias et le pou-
mation militaire (LPM) 2019-2025 évidemment, d’abord, un succès pour le majorité au Sénat en 2019, est maintenant voir judiciaire.
(soit 298 milliards d’euros), pre- parti conservateur-nationaliste Droit et en ordre de marche, avec, pour objectif, les L’Union européenne, enfin, doit elle
mière étape vers une armée cen- justice (PiS), qui gouverne le pays depuis prochaines élections législatives, en 2023. aussi analyser attentivement le résultat de
sée disposer, en 2030, de capaci- 2015. Le beau score atteint par son adver- Cette énergie démocratique distingue la cette élection. Au moment où se négocie
tés à la hauteur des ambitions saire, le maire libéral de Varsovie Rafal Tr- Pologne d’autres pays, notamment la Hon- un plan de relance exceptionnel pour com-
françaises. « Je veille personnelle- zaskowski, constitue cependant un reten- grie, où les partisans de la « démocratie illi- battre la crise économique due à la pandé-
ment à son application, prévenait tissant avertissement pour le pouvoir. bérale » ont réussi à écraser l’opposition. mie de Covid-19, dont la Pologne sera vrai-
M. Macron en recevant hauts gra- Parti tard dans la course, M. Trzaskowski, Le principal exploit de Rafal Trzaskowski semblablement l’un des grands bénéficiai-
dés et industriels, la veille du dé- au profit duquel la candidate initiale du et de son parti est en effet d’avoir frisé la res, il est impératif que ces nouveaux
filé de 2019. L’effort consenti pour parti d’opposition Plate-forme civique (PO), victoire face à la machine du PiS déployée milliards d’euros ne soient pas attribués
moderniser notre armée n’est pas en grande difficulté dans les sondages, pendant cette campagne, en particulier sur sans que les règles de l’Etat de droit com-
d’intention, mais de fait. » Il devait s’était désistée il y a moins de deux mois, les ondes des médias publics, sur lesquels munes aux Etats-membres soient respec-
confirmer, lundi, lors de la gar- n’a pas seulement réussi à imposer un se- M. Kaczynski exerce un contrôle absolu. Un tées – y compris à Varsovie. p
den-party restreinte, organisée à
l’hôtel de Brienne, siège du minis-
tère des armées, l’augmentation
des crédits de 1,7 milliard en 2021
et la poursuite des grands pro-
grammes d’armement.
Le complexe militaro-industriel
a des craintes plus immédiates :
les dégâts collatéraux de la crise
économique sur son activité –
plus perturbée par le confine-
ment sanitaire que dans la plupart
des autres pays. Des hypothèques
pèsent sur les exportations, qui
représentent de 40 % à 60 % du
chiffre d’affaires des grandes en-
treprises de défense. Faute de bud-
gets, des clients étrangers d’Air-
bus, de Dassault Aviation, Safran,
Thalès, MBDA, Nexter ou Naval
Group, risquent d’annuler ou de
différer des commandes. Avec des
effets dévastateurs sur les PME
sous-traitantes, déjà ébranlées par
la baisse de la demande civile.
Les industriels veulent tirer pro-
fit du plan de relance pour gonfler
la production, en rappelant qu’ils
délocalisent peu pour d’évidentes
raisons stratégiques, en dehors
des grands contrats (Rafale, sous-
marins…). Leur activité assure 13 %
de l’emploi industriel et irrigue les
territoires, notamment des villes
moyennes du littoral et de l’inté-
rieur, frappées par la fermeture
d’usines et par le chômage. A
moyen terme, calculent-ils, 1 euro
investi génère de 1,5 à 2 euros de
PIB. La contre-attaque, pour com-
penser la probable baisse des ex-
portations ? Que les commandes
des armées prennent le relais,
comme l’Etat a montré la voie avec
l’achat d’avions ravitailleurs et
d’hélicoptères Caracal.
Dans quelques jours, Benjamin
Griveaux, député de Paris et ex-
candidat à la Mairie, doit rendre
les conclusions de la discrète mis-
sion que lui a confiée l’Assemblée
nationale : identifier les besoins
de la « base industrielle et techno-
logique de défense ». Il est urgent
de renforcer cet ensemble de ca-
pacités concourant aux missions
des armées, plaident militaires et
patrons. Et d’« accélérer dès à pré-
sent certaines commandes, afin
d’améliorer la charge et [d’] affer-
mir certaines tranches condition-
nelles pour donner davantage de
visibilité », résume le PDG d’un
groupe d’armement parlant au
nom de tout le secteur.
Il faudra aussi, confie-t-il, être
« très vigilant lors des prochaines
échéances budgétaires, et notam-
ment lors de l’actualisation de la
loi de programmation », soumise
à une clause de revoyure en 2021.
Les objectifs 2030 de la program-
mation « pourraient être anticipés
avec les mêmes objectifs », dit-il.
Très à l’aise dans son habit de chef
des armées, M. Macron s’est trop
engagé vis-à-vis d’elles pour relâ-
cher l’effort d’ici à la fin du quin-
quennat. Mais après ? p

Tirage du Monde daté dimanche 12-lundi 13 juillet : 162 407 exemplaires