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2019 / Volume 32 / Numéro 2

DANS CE NUMÉRO
85 Numéro spécial « De grands défis et des solutions 233 Quelles performances pour les animaux
pour l’élevage » : Avant-propos. de demain ? Objectifs et méthodes de sélection.
P. Mauguin P. Le Roy, A. Ducos, F. Phocas
87 La revue INRA Productions Animales 247 Rôle de l’environnement précoce dans la variabilité
dans la production scientifique en élevage
et sciences animales.
des phénotypes et l’adaptation des animaux
d’élevage à leur milieu.
2019
R. Baumont, A. Girard F. Pitel, F. Calenge, N. Aigueperse,
Volume 32 – Numéro 2

Numéro spécial 30 ans    De grands défis et des solutions pour l’élevage


J. Estellé-Fabrellas, V. Coustham, L. Calandreau,
95 Productions animales, usage des terres et sécurité
M. Morisson, P. Chavatte-Palmer, C. Ginane
alimentaire en 2050 : l’éclairage de la prospective
­Agrimonde-Terra.
C. Le Mouël, O. Mora
263 Gérer la diversité animale dans les systèmes
d’élevage : laquelle, comment et pour quels
bénéfices ?
Numéro spécial
111 L’internationalisation des marchés en productions
M.-A. Magne, M.-O. Nozières-Petit,
animales.
S. Cournut, É. Ollion, L. Puillet, D. Renaudeau,
V. Chatellier
L. Fortun-Lamothe
131 L’évolution de la consommation de produits
281 Élevage de précision et bien-être en élevage :
animaux en France : de multiples enjeux.
la révolution numérique de l’agriculture
F. Caillavet, A. Fadhuile, V. Michèle
permettra-t-elle de prendre en compte les besoins
147 Quelle place pour les produits animaux des animaux et des éleveurs ?
dans l’alimentation de demain ? I. Veissier, F. Kling-Eveillard, M.-M. Mialon,
D. Rémond M. Silberberg, A. De Boyer des Roches, C. Terlouw,
159 Les effets du processus d’intensification D. Ledoux, B. Meunier, N. Hostiou

ans
de l’élevage dans les territoires. 291 Évolution de l’usage des antibiotiques en filières
J.P. Domingues, T. Bonaudo, B. Gabrielle, C. Perrot, bovines : état d’avancement et perspectives.
Y. Trégaro, M. Tichit V. David, F. Beaugrand, É. Gay, J. Bastien, C. Ducrot
171 Les performances économiques 305 Intégrer les changements d’échelle
de l’élevage européen : de la « compétitivité coût » pour améliorer l’efficience des productions
à la « compétitivité hors coût ». animales et réduire les rejets.
V. Chatellier, P. Dupraz P. Faverdin, J. Van Milgen
189 Élevage et territoires : quelles interactions 323 Quelle science pour les élevages de demain ?
et quelles questions ? Une réflexion prospective conduite à l’INRA.
J. Lasseur, T. Bonaudo, J.-P. Choisis, M. Houdart, M. J.-L. Peyraud, J. Aubin, M. Barbier, R. Baumont,
Napoléone, M. Tichit, B. Dedieu C. Berri, J.-P. Bidanel, C. Citti, C. Cotinot, C. Ducrot,
205 Les productions animales dans la bioéconomie. P. Dupraz, P. Faverdin, N. Friggens, S. Houot,
J.-Y. Dourmad, T. Guilbaud, M. Tichit, T. ­Bonaudo M.-O. Nozières-Petit, C. Rogel-Gaillard,
V. Santé-Lhoutellier
221 Évolution de la place de l’animal et des points

De grands défis
de vue sur son élevage dans la société française :
quels enjeux pour la recherche agronomique ?
A. Fostier

30 €
ISBN : 978-2-7380-1433-7
et des solutions
-:HSMHNI=UVYXX\:
pour l’élevage
2019
Volume 32 – Numéro 2

Contents

Major challenges and solutions


for livestock farming
Special issue “Major challenges and solutions for livestock farming”:
Foreword. P. MAUGUIN 85
The journal “INRA Productions Animales” in the scientific production
in the animal sciences and husbandry. R. BAUMONT, A. GIRARD 87
Livestock, land use and food security in 2050: Insights from the Agrimonde-
Terra foresight. C. LE MOUËL, O. MORA 95
Revue éditée par l’INRA Secrétariat d’Édition
Internationalization of markets in animal production. V. CHATELLIER 111
4 numéros par an Administration du site web
https://productions-animales.org/ Pascale Béraud The evolution of consumption of animal products in France: F. CAILLAVET, A. FADHUILE,
INRA multiple challenges. V. MICHÈLE 131
Hébergée par l’Université de Bordeaux : Unité Mixte de Recherche sur les Herbivores
Portail de revues scientifiques en libre accès 63122 Saint-Genès-Champanelle What role for animal products in tomorrow’s human diet? D. RÉMOND 147
https://open.u-bordeaux.fr/journals/ e-mail : paurh-ara@inra.fr Livestock intensification in rural areas and the provision
of socio-environmental and cultural services. J.P. DOMINGUES et al. 159
Directeur de la publication Maquette
Christian Huyghe DESK The economic performance of European livestock farming: From the “cost
INRA Paris, Directeur Scientifique « Agriculture » 25 Boulevard de la Vannerie competitiveness” to the “non-cost competitiveness”. V. CHATELLIER, P. DUPRAZ 171
53940 Saint-Berthevin
Livestock and territory: which interactions and what questions? J. LASSEUR et al. 189
Directeur scientifique http://www.desk53.com.fr/
Rédacteur en chef J.-Y. DOURMAD, T. GUILBAUD,
René Baumont Composition, photogravure, impression Animal production in a circular bioeconomy. M. TICHIT, T. BONAUDO 205
INRA DESK
Unité Mixte de Recherche sur les Herbivores 25 Boulevard de la Vannerie Evolution of animal status and point of views on animal farming in French
63122 Saint-Genès-Champanelle 53940 Saint-Berthevin society: what challenges for agricultural research? A. FOSTIER 221
e-mail : rene.baumont@inra.fr http://www.desk53.com.fr/ What performance for tomorrow’s animals? Breeding goals and selection
methods. P. LE ROY, A. DUCOS, F. PHOCAS 233
Role of the early environment in phenotypic variability and adaptation
of animals to their environment. F. PITEL et al. 247
N° ISSN : 2273-774X (édition papier) 2273-7766 (édition électronique)
Managing animal diversity in livestock farming systems: which diversity?
N° ISBN : 978-2-7380-1433-7 (édition papier) 978-2-7380-1434-4 (édition électronique) Which forms of management practices? For which benefits? M.-A. MAGNE et al. 263

Copyright © 2019 Precision Livestock Farming and animal welfare: is the numerical revolution
Reproduction même partielle interdite sans l’autorisation des auteurs et de l’INRA of agriculture able to take into account animals’ and farmers’ needs? I. VEISSIER et al. 281
Evolution of antimicrobial usages in dairy and beef cattle industries:
Comité de rédaction state of progress and prospects. V. DAVID et al. 291
Élisabeth Baéza (INRA Tours), Nathalie Bareille (Oniris Nantes), Denis Bastianelli (CIRAD Montpellier), Isabelle Cassar-Malek
(INRA Clermont-Theix), Élodie Chaillou (INRA Tours), Vincent Chatellier (INRA Nantes), Luc Delaby (INRA Rennes), Anne Farruggia Integrate scale changes to improve the efficiency of livestock production
(INRA Saint Laurent de la Prée), Laurence Fortun-Lamothe (INRA Toulouse), Bénédicte Lebret (INRA Rennes), Sophie Lemosquet (systems?) and reduce emissions. P. FAVERDIN, J. VAN MILGEN 305
(INRA Rennes), Pascale Le Roy (INRA Rennes), Philippe Lescoat (AgroParis Tech), Marie-Odile Nozières (INRA Montpellier),
Science for tomorrow’s livestock farming: A forward thinking conducted
Edwige Quillet (INRA Jouy-en-Josas), Daniel Sauvant (AgroParis Tech)
at INRA. J.-L. PEYRAUD et al. 323

Institut National de la Recherche Agronomique – 147 rue de l’Université – 75338 Paris Cedex 07
2019
Volume 32 – Numéro 2

Sommaire

2019
Volume 32 – Num
éro 2
NUMÉRO SPÉCIAL
ial
Numéro spéc
De grands défis et des solutions
ans pour l’élevage
Coordonnateur :
éfis
D e grands d R. Baumont
ti ons
et des solu
ge
pour l’éleva

Numéro spécial « De grands défis et des solutions pour l’élevage » :


Avant-propos. P. MAUGUIN 85
La revue INRA Productions Animales dans la production scientifique
en élevage et sciences animales. R. BAUMONT, A. GIRARD 87
Productions animales, usage des terres et sécurité alimentaire en 2050 :
l’éclairage de la prospective Agrimonde-Terra. C. LE MOUËL, O. MORA 95
L’internationalisation des marchés en productions animales. V. CHATELLIER 111
L’évolution de la consommation de produits animaux en France : F. CAILLAVET, A. FADHUILE,
de multiples enjeux. V. MICHÈLE 131
Quelle place pour les produits animaux dans l’alimentation de demain ? D. RÉMOND 147
Les effets du processus d’intensification de l’élevage dans les territoires. J.P. DOMINGUES et al. 159
Les performances économiques de l’élevage européen :
de la « compétitivité coût » à la « compétitivité hors coût ». V. CHATELLIER, P. DUPRAZ 171
Élevage et territoires : quelles interactions et quelles questions ? J. LASSEUR et al. 189
J.-Y. DOURMAD, T. GUILBAUD,
Les productions animales dans la bioéconomie. M. TICHIT, T. BONAUDO 205
Évolution de la place de l’animal et des points de vue sur son élevage
dans la société française : quels enjeux pour la recherche agronomique ? A. FOSTIER 221
Quelles performances pour les animaux de demain ? Objectifs et méthodes
de sélection. P. LE ROY, A. DUCOS, F. PHOCAS 233
Rôle de l’environnement précoce dans la variabilité des phénotypes
et l’adaptation des animaux d’élevage à leur milieu. F. PITEL et al. 247
Gérer la diversité animale dans les systèmes d’élevage : laquelle, comment
et pour quels bénéfices ? M.-A. MAGNE et al. 263

i
2019
Volume 32 – Numéro 2

Sommaire

Élevage de précision et bien-être en élevage : la révolution numérique


de l’agriculture permettra-t-elle de prendre en compte les besoins
des animaux et des éleveurs ? I. VEISSIER et al. 281
Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines :
état d’avancement et perspectives. V. DAVID et al. 291
Intégrer les changements d’échelle pour améliorer l’efficience
des productions animales et réduire les rejets. P. FAVERDIN, J. VAN MILGEN 305
Quelle science pour les élevages de demain ? Une réflexion prospective
conduite à l’INRA. J.-L. PEYRAUD et al. 323

Illustration de couverture : Desk et Pascale Béraud

ii
Numéro spécial « De grands défis INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 85-86

et des solutions pour l’élevage » :
avant-propos
Philippe MAUGUIN
INRA Paris, Siège, 147 rue de l’Université, 75338, Paris, France
Courriel : philippe.mauguin@inra.fr

„„ Pour marquer le passage des 30 ans de la revue, ce numéro spécial contribue à la mise en débat des grands défis
auxquels l’élevage est confronté aujourd’hui et sans doute demain, et à la recherche de solutions pour son avenir,
dans une agriculture qui devra produire, améliorer l’état de l’environnement aujourd’hui largement dégradé, et
répondre aux attentes d’une société plus urbanisée et plus éloignée de la réalité agricole et biologique.

Avant-Propos et des industries agro-­alimentaires. difficilement substituables en totalité


Aujourd’hui lorsqu’on entend parler dans l’alimentation de l’Homme, et l’éle-
d’élevage dans les médias européens, vage contribue au patrimoine culturel
La revue INRA Productions Animales c’est le plus souvent pour pointer du de l’Humanité notamment à travers les
est entrée dans sa quatrième décen- doigt des aspects négatifs : contribution paysages qu’il façonne et par l’utilisation
nie. Créée en 1988, elle a publié plus de l’élevage au réchauffement clima- des produits animaux dans les gastrono-
de 1 200 articles pour transférer des tique via les gaz à effets de serre émis, mies de toutes les régions du monde.
synthèses scientifiques issues des tra- concurrence pour l’utilisation des terres
vaux de l’INRA et de ses partenaires dans un contexte où il faut nourrir une Dans ce contexte et pour marquer le
en sciences animales et sur l’élevage. population croissante, perte de biodi- passage des 30 ans de la revue, la rédac-
L’ambition de la revue est de produire versité, pathologies nutritionnelles liées tion a souhaité contribuer par ce numéro
des articles accessibles à un large à des consommations trop élevées de spécial à la mise en débat des grands
public d’utilisateurs des résultats de la produits animaux dans les pays occiden- défis auxquels l’élevage est confronté
recherche, depuis les chercheurs eux- taux, conditions d’élevage « intensives » aujourd’hui et sans doute demain et à
mêmes, les enseignants et les étudiants, pouvant entraîner des souffrances ani- la recherche de solutions pour son ave-
jusqu’aux professionnels de l’élevage et males. C’est aussi une demande voire nir, dans une production agricole et ali-
les décideurs publics. un plébiscite des produits, y compris mentaire qui devra produire, améliorer
animaux issus de l’agriculture biolo- l’état de l’environnement aujourd’hui
En trois décennies, le contexte et gique et plus généralement de systèmes largement dégradé, et répondre aux
les enjeux des productions animales plus extensifs. Mais, de façon partagée attentes d’une société plus urbanisée
ont considérablement évolué. Il y a 30 entre ces deux périodes éloignées et plus éloignée de la réalité agricole
ans, l’élevage et son intensification en d’une génération humaine, l’élevage et biologique. C’est aussi l’occasion de
France, en Europe et dans le monde permet la subsistance des populations réaffirmer la ligne éditoriale de la revue
étaient synonymes d’une meilleure pauvres dans de nombreuses régions du qui veut aborder les thématiques rela-
productivité permettant de couvrir les monde, les animaux peuvent valoriser tives aux sciences animales et à l’éle-
besoins alimentaires des populations de nombreuses ressources alimentaires vage dans toutes leurs dimensions, des
humaines, une plus grande efficacité non directement consommables par sciences biologiques et agronomiques
de la production avec une moindre l’Homme, l’élevage est le premier pro- aux sciences économiques et sociales.
consommation de ressources pour ducteur de fertilisants pour les cultures,
chaque unité de viande, de lait ou d’œuf les protéines animales sont des nutri- La construction de ce numéro
produite, une meilleure performance ments de haute qualité et les vecteurs est le fruit d’une réflexion croisée
économique des exploitations agricoles de nombre de micronutriments et sont entre le comité de rédaction de la

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2919 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


86 / Philippe mauguin

revue, les d ­ irections des départe- ment une meilleure intégration des en élevage. Valérie David et al. font
ments de recherche « Physiologie dimensions territoriales de l’élevage le point sur la mise en œuvre réussie
Animale et Systèmes d’Élevage », peut contribuer à redéfinir un éle- du plan « EcoAntibio » et la réduction
« Génétique Animale », « Santé vage durable, et Jean-Yves Dourmad effective de l’usage des antibiotiques
Animale », « Sciences pour l’Action et le et al. comment l’élevage en tant que et proposent des perspectives d’ordre
Développement » et « Sciences sociales, transformateur et producteur de technique, sociologique et organisa-
Agriculture et Alimentation, Espaces et bioressources peut être un important tionnel pour poursuivre cette réduction
Environnement », et la direction scien- moteur de la bioéconomie. Enfin, un et un usage raisonné et responsable
tifique « Agriculture » de l’INRA. Après défi majeur pour l’élevage est l’évo- des antibiotiques en élevage. Enfin,
un article introductif qui analyse le lution de la place de l’animal et des Philippe Faverdin et Jaap van Milgen
positionnement de la revue dans la pro- points de vue sur son élevage dans proposent une réflexion sur l’amélio-
duction scientifique internationale, ce la société. C’est ce qu’aborde l’article ration de l’efficience des productions
numéro propose une série de 15 articles d’Alexis Fostier en cherchant à en iden- animales et la réduction des rejets en
partant des aspects globaux – écono- tifier les enjeux pour la recherche. mettant en lumière l’importance d’in-
miques, territoriaux et sociétaux – pour tégrer les changements d’échelle de
aller vers les questions relatives aux ani- De quels animaux les systèmes d’éle- l’animal au système d’élevage dans les
maux de demain et à leur conduite. vage auront-ils besoin demain et com- solutions proposées pour en garantir
ment les conduire ? Pascale Leroy et al. les bénéfices espérés.
Pour ouvrir cette série d’articles, analysent comment les programmes
Chantal Le Mouël et Olivier Mora d’amélioration génétique s’enrichissent Il n’était pas possible d’être exhaus-
apportent l’éclairage de la prospective et doivent encore s’enrichir de nou- tif et bien d’autres sujets auraient pu
Agrimonde-Terra sur les productions veaux caractères pour répondre à la aussi être traités. Aussi pour conclure
animales à l’horizon 2050 et Vincent diversification attendue des perfor- ce numéro, Jean-Louis Peyraud et al.
Chatellier analyse les conséquences mances animales. Frédérique Pitel et al. proposent une synthèse de la réflexion
de l’internationalisation des marchés montrent l’importance de l’environne- scientifique prospective « Science pour
en productions animales. Puis, France ment d’élevage dans le jeune âge dans les élevages de demain » conduite
Caillavet et al. proposent une réflexion la construction des phénotypes des par l’INRA qui permet de mettre en
sur les enjeux socio-économiques animaux adultes et de leurs capacités perspective l’ensemble des priorités
posés par l’évolution de la consom- d’adaptation. Marie-Angelina Magne de recherche en sciences animales et
mation de produits animaux en France et al. proposent des pistes pour mieux élevage.
et Didier Rémond une réflexion sur gérer et valoriser la diversité animale
la place des produits animaux dans dans les systèmes d’élevage dans le Je remercie chaleureusement tous les
l’alimentation de demain. Joao Pedro cadre de la transition agro-écologique auteurs et les relecteurs des articles, et
Domingues et al. reviennent sur les de l’agriculture. Isabelle Veissier et al. je ne doute pas que ce numéro sera
effets du processus d’intensification de s’interrogent sur les conséquences de largement utilisé et fera date dans l’his-
l’élevage depuis plusieurs décennies, la révolution numérique en agriculture toire de la revue.
et Vincent Chatellier et Pierre Dupraz et montrent comment les techniques
analysent comment l’élevage euro- d’élevage de précision peuvent être uti- Bonne lecture à toutes et à tous !
péen peut développer des stratégies lisées pour mieux prendre en compte à
de compétitivité hors coût à l’avenir. la fois les besoins des animaux et des Philippe MAUGUIN
Jacques Lasseur et al. montrent com- éleveurs afin d’améliorer le bien-être Président-Directeur Général de l’INRA

Résumé
Pour marquer le passage des 30 ans de la revue, ce numéro spécial contribue à la mise en débat des grands défis auxquels l’élevage est
confronté aujourd’hui et sans doute demain, et à la recherche de solutions pour son avenir, dans une agriculture qui devra produire, amé-
liorer l’état de l’environnement aujourd’hui largement dégradé, et répondre aux attentes d’une société plus urbanisée et plus éloignée de
la réalité agricole et biologique.

Abstract
Special issue “Major challenges and solutions for livestock farming”: Foreword
To mark the 30th anniversary of the journal, this special issue contributes to the debate on the major challenges facing livestock farming today and
probably in the future, and to the search for solutions for its future, in an agriculture that will have to produce, improve the state of the environment,
which is now largely degraded, and meet the expectations of a more urbanized society that is further away from agricultural and biological reality.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


La revue INRA Productions INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 87-94

Animales dans la production
scientifique en élevage
et sciences animales
René BAUMONT1, Agnès GIRARD2
1
Université Clermont Auvergne, INRA, Vetagro Sup, UMR Herbivores, 63122, Saint-Genès-Champanelle, France
2
INRA, UR1037 Laboratoire de Physiologie et Génomique des Poissons, 35042, Rennes, France
Courriel : rene.baumont@inra.fr

„„ Éditée depuis 30 ans, la revue INRA Productions Animales se positionne en tant que revue de transfert dans
ce domaine. Comment se situe-t-elle par rapport à la production scientifique de l’INRA et de la communauté
internationale ? Dans quelle mesure les thématiques qu’elle traite reflètent-t-elles l’évolution des recherches
conduites en France et en Europe ?

Introduction rigueur de l’information scientifique et des avancées scientifiques majeures et


exigence de l’écriture dans un langage à des questions d’actualité. Ainsi le pre-
accessible à un large public. C’est une mier numéro spécial de la revue a été
Prenant la suite du « Bulletin technique revue francophone, dont certains de publié en 1991 et s’intitulait « Préparer
du Centre de Recherches Zootechniques ses articles peuvent être repris pour l’élevage de demain » ; le premier dos-
et Vétérinaires de Theix », la revue « INRA publication en anglais, et qui reprend sier publié en 1993 était consacré à la
Productions Animales » a vu le jour en également des articles publiés dans des réforme de la Pac. La revue a publié au
1988 en tant que revue de transfert du revues anglophones, notamment dans total 24 numéros spéciaux, 26 dossiers
secteur animal de l’INRA. Depuis plus la revue « Animal ». et 4 numéros hors-série. Pour illustrer
de 30 ans maintenant, cet objectif a été la diversité des thèmes abordés et la
maintenu (Perez et al., 2008). Il s’agit Depuis la création de la revue, le volonté de répondre aux grands enjeux
de publier des articles de synthèse sur contexte et les enjeux des productions de l’élevage, citons à titre d’exemple,
tous les sujets concernant les produc- animales ont considérablement évolué : le numéro hors-série consacré aux
tions animales, à destination de l’en- mondialisation et ouverture progressive « Encéphalopathies spongiformes trans-
semble des utilisateurs des résultats de des marchés avec les réformes succes- missibles animales » (2004) ; les numéros
la recherche (étudiants, enseignants, sives de la Politique agricole commune spéciaux sur les « Biotechnologies ani-
conseillers, chercheurs, décideurs…) (Pac), révolutions technologiques avec males » (1998), le « Bien-être animal »
pour mieux faire connaître les travaux l’arrivée de la sélection génomique et (2007), « Quelles innovations pour quels
et les réflexions menés par l’INRA et ses maintenant des techniques de préci- systèmes d’élevage ? » et sur « L’élevage
collaborateurs. sion, prise en compte croissante des en Europe : une diversité de services
impacts environnementaux de l’éle- et d’impacts » (2017) ; ainsi que les
La revue n’a donc pas vocation à vage (positifs et négatifs) et du bien- dossiers consacrés aux « Gaz à effets
publier des résultats primaires de être animal, remise en cause par la de serre en élevage bovin » (2011), au
la recherche, mais des synthèses de société de certaines formes d’élevage, « Phénotypage animal » (2014) et der-
résultats scientifiques permettant une voire de l’activité d’élevage en tant que nièrement aux « Ressources alimentaires
prise de recul et une mise en perspec- telle, etc. Dès ses débuts, les éditeurs pour les animaux d’élevage » (2018).
tive devant faciliter leur appropriation ont cherché à inscrire la revue dans ces
et leur mise en œuvre par les lecteurs. évolutions et à éclairer ses lecteurs par Pour introduire ce numéro spécial
L’ambition de la revue est de conjuguer des numéros thématiques consacrés à consacré à « De grands défis et des

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2543 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


88 / René baumont, Agnès girard

s­ olutions pour l’élevage », nous avons Figure 1. Évolution entre 1997 et 2017 du nombre total de publications référen-
analysé la place occupée par la revue cées dans le WOS (courbe rouge) et dans la catégorie « Agriculture, dairy and
animal sciences » du WOS (A), et au sein de cette catégorie les publications de
INRA Productions Animales dans la
l’INRA (B) et de la revue INRA Productions Animales (C).
production scientifique de l’INRA et
plus largement de la communauté A) Total du WOS et de la catégorie « Agriculture, Dairy, Animal Sciences »

scientifique internationale en sciences 10000 3500000


animales et en élevage, à partir d’une 9000
3000000
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analyse bibliométrique. Nous avons

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(catégorie du WOS)
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aussi étudié l’évolution des théma- 6000 2000000
tiques abordées dans la revue, par rap- 5000
4000 1500000
port à celles des publications de l’INRA
3000 1000000
et celles de l’ensemble de la catégorie 2000
500000
« Agriculture, dairy and animal sciences » 1000

du « Web of Science™» et évalué dans 0 0

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l’évolution des enjeux liés à l’élevage. B) INRA dans la catégorie du WOS étudiée

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1. Les données et les outils 250

d’analyse utilisés 200


Publications/an

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„„1.1. Les données 100


du « Web of Science™ » 50

Le « Web of Science™ Core Collection » 0

(WOS) est une base de données docu-

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mentaire internationale et multi-


C) INRA Productions Animales dans la catégorie du WOS étudiée
disciplinaire produite par la société
80
Clarivate Analytics. Elle recense les
70
principales revues scientifiques, livres 60
et actes scientifiques depuis 1956.
Publications/an

50
Chaque référence indexée dans le WOS 40
contient les auteurs, leurs affiliations 30
et la revue dans laquelle l’article est 20
publié ainsi que son titre, son résumé 10
et des mots-clés. Les revues sont répar- 0
ties dans des groupes (« WOS catego-
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20
20

20

20
20
20

20

20

20
20
19

ries ») correspondant à des champs


thématiques ou disciplinaires, par
exemple pour ce qui nous concerne période allant de 1997 jusqu’à 2017, „„1.2. L’analyse lexicale des
« Agriculture, dairy and animal sciences » qui était la dernière année complète- titres, mots-clés et résumés
et « Veterinary Sciences ». Le WOS réper- ment référencée, en août 2018, lorsque
torie aussi les citations des références l’analyse a été réalisée. Elle a concerné L’analyse lexicale a été réalisée sur
indexées ce qui permet de calculer un la catégorie « Agriculture, dairy and ani- la plateforme CorTexT (https://mana-
certain nombre d’indicateurs, comme mal sciences » du WOS, qui constitue le gerv2.cortext.net), développée par le
par exemple le facteur d’impact d’une cœur de la revue. Sur cette période, en Laboratoire Interdisciplinaire Sciences
revue (ratio entre le nombre de cita- se limitant aux articles de recherche, Innovations Sociétés (LISIS). Cette plate-
tions en année n des articles publiés de synthèse et éditoriaux (les types forme vise à renforcer les capacités
en années n-1 et n-2 et le nombre d’ar- de documents que l’on retrouve dans de recherche et d’études sur la dyna-
ticles publiés en années n-1 et n-2 dans la revue INRA Productions Animales), mique de la science, de la technologie,
cette revue) ou le facteur h d’un auteur cette catégorie du WOS contient 781 de l’innovation et de la production de
(nombre h de publications citées plus références de la revue, 4 831 références connaissances.
de h fois). publiées dans différents journaux par
des auteurs affiliés à l’INRA et un total Dans un premier temps, nous avons
La revue INRA Productions Animales de 125 425 références. Une analyse constitué la liste des termes décrivant le
est référencée dans le WOS en inté- de l’évolution annuelle du nombre de corpus des références analysées à ­partir
gralité depuis 1997 dans les deux publications, de leur nombre de cita- de l’extraction lexicale des mots et
c atégories citées précédemment.
­ tions et de la répartition par pays et par termes présents dans le titre, le résumé
Notre analyse a donc porté sur la organisation a été conduite. et les mots-clés. La plateforme CorText

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


La revue INRA Productions Animales dans la production scientifique en élevage et sciences animales / 89

permet une extraction automatique Tableau 1. Les 15 premiers pays contribuant à la production scientifique de la
des termes que nous avons complé- catégorie « Agriculture, dairy, and animal sciences » du WOS.
tée par un travail de regroupement en
concepts afin d’éviter le plus possible Pays Nombre de références % du Total
les termes redondants. Une liste de
152 concepts ou termes décrivant le USA 25 697 20,49
corpus des références indexées dans la
catégorie « Agriculture, dairy and animal Inde 11 130 8,87
science » du WOS a été ainsi constituée.
Brésil 9 377 7,48
Dans un deuxième temps, nous avons
analysé l’évolution entre 1997 à 2017 de Chine 6 914 5,51
l’occurrence des termes de la liste afin
Allemagne 6 727 5,36
d’identifier les thèmes dominants, en
régression ou en émergence. Les résul-
Canada 6 541 5,22
tats de cette analyse sont représentés
sous forme de graphique permettant
France 5 957 4,75
de visualiser l’évolution de la hiérarchie dont INRA 4 831 3,85
entre les termes les plus utilisés au cours dont INRA Productions Animales 731 0,62
du temps.
Italie 5 802 4,63
Dans un troisième temps, nous avons
isolé dans le corpus des références les Espagne 5 279 4,21
publications avec au moins un auteur
affilié à un laboratoire européen. Nous Japon 5 003 3,99
avons ensuite réalisé une cartographie
des termes afin d’identifier les asso- Australie 4 428 3,53
ciations de termes ou de concepts
les plus fréquentes dans les différents Angleterre 3 862 3,08
corpus de références. Nous présentons
ici la cartographie obtenue sur les cor- Pologne 3 842 3,06
pus des références publiées par i) les
auteurs européens, ii) l’INRA et iii) INRA Pays-Bas 3 474 2,77
Productions Animales.
Corée du Sud 2 857 2,28

2. La place
de la revue dans les s’explique très vraisemblablement par respectivement aux 4e, 5e et 6e places,
publications de l’INRA la montée en puissance au cours des «  Wageningen University Research »,
et de la communauté 20 dernières années de l’Inde, du Brésil «  Agriculture Agri Food Canada », et
internationale et de la Chine qui se classent respecti- l’« Universidade Estadual Paulista ».
vement aux 2e, 3e et 4e places derrière
les USA parmi les pays contribuant le Les 781 références d’INRA Productions
Le nombre total de publications réfé- plus à la production scientifique dans Animales (sur un total de 1 204 articles
rencées dans le WOS entre 1997 et 2017 a cette catégorie du WOS (tableau 1). publiés par la revue depuis 1988) repré-
été multiplié par 2,4. Le nombre de publi- La France, avec 5 957 références, soit sentent 16,2 % de la production totale
cations dans la catégorie « Agriculture, 4,75 % du total mondial, se classe au de l’INRA dans cette catégorie du WOS
dairy and animal sciences » a suivi glo- 7e rang et est le 2e pays européen der- depuis 1997. La revue INRA Productions
balement cette progression en passant rière l’Allemagne. Animales est la deuxième revue de
de 4 500 à près de 9 000 références par cette catégorie dans laquelle les cher-
an (figure 1). En revanche sur la même Avec 4 831 références, l’INRA repré- cheurs de l’INRA publient, ­derrière
période, la production de l’INRA dans sente plus de 80 % de la production la revue « Animal » si on lui ajoute les
cette catégorie est restée stable entre française dans cette catégorie et un revues lui ayant précédées (Animal
200 et 260 publications par an, comme peu moins de 4 % de la production Research, Animal Science et les Annales
celle de la revue qui a été en moyenne mondiale. L’INRA se classe à la 2e place de Zootechnie) pour tenir compte du fait
de 39 articles référencés par an. des organisations les plus représentées, qu’elle n’a été créée qu’en 2008. Suivent
derrière l’« Indian Council of Agricultural par ordre décroissant du nombre de
L’évolution contrastée de la produc- Research » et devant l’« United States publications issues de l’INRA, les deux
tion mondiale et de celle de l’INRA Department of Agriculture ». Suivent revues américaines Journal of Dairy

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


90 / René baumont, Agnès girard

Science et Journal of Animal Science Figure 2. Évolution entre 1997 et 2017 de la fréquence des termes sur les corpus
la revue de l’INRA Génétique Sélection de publications de la catégorie « Agriculture, dairy and animal sciences » du WOS
(A) des publications de l’INRA au sein de cette catégorie (B) et de celles de la revue
Évolution et une autre revue de trans-
INRA Productions Animales (C).
fert, la revue Fourrages.

Ces quelques chiffres montrent le


fort investissement des chercheurs en
productions animales de l’INRA à la
fois pour produire des résultats scien-
tifiques et pour les synthétiser dans les
publications de synthèse et de transfert,
activité indispensable pour atteindre les
utilisateurs finaux des recherches et qui
prend tout son sens dans un organisme
de recherche finalisée dont la devise est
« Science et Impact ».

En termes de citations, les articles


de l’INRA publiés dans la catégorie
« Agriculture, dairy and animal sciences »
sont cités en moyenne 18,05 fois avec
un nombre de citations annuel qui
croît régulièrement et qui a atteint
les 9 000 citations en 2017. Pour ce
qui est des articles publiés dans INRA
Productions Animales, le taux moyen
de citation s’élève à 4,83. Cette relative
faiblesse peut s’expliquer d’une part,
par la langue de publication de la revue,
le français, qui ne représente que 1,0 %
des publications de la catégorie derrière
l’Anglais (93,2 %), le Portugais (3,2 %) et
l’Allemand (1,1 %), et d’autre part, par
le fait que les lecteurs d’une revue de
transfert n’ont pas forcément vocation
à écrire eux-mêmes des articles scienti-
fiques. Toutefois, ce nombre de citations,
ainsi que le facteur d’impact de la revue,
qui est d’environ 0,75 depuis plusieurs
années, attestent d’une pénétration de
la revue dans le monde de la recherche.

3. L’évolution
des thématiques abordées
en sciences animales
et élevage

„„3.1. Évolution des termes


utilisés dans les publications
internationales, de l’INRA
et de la revue depuis 20 ans
Sur l’ensemble des références de la
catégorie du WOS étudiée, on constate
une grande stabilité des termes les plus « pigs ») l’étaient déjà 20 ans auparavant Au total, les termes « milk » et « growth »
fréquents (figure 2a). Les quatre termes et dans le même ordre. On note égale- sont présents dans plus de 16 % des
les plus fréquents à la fin de la période ment que l’importance relative de ces 4 publications. Le terme « lambs » n’était
analysée (« milk », « lambs », « growth » et termes se renforce au cours du temps. pas attendu aussi fréquemment utilisé

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


La revue INRA Productions Animales dans la production scientifique en élevage et sciences animales / 91

compte-tenu de l’importance moindre analysée alors que le terme « growth », restent importants en 2e et 3e position
de cette production. Sa fréquence éle- en net recul, se retrouve en 7e position à respectivement. Comme pour les publi-
vée, que l’on retrouve dans tous les la fin de la période. En termes d’espèces cations de la catégorie du WOS étudiée
corpus analysés (cf. ci-dessous) pour- animales, l’importance de « lambs » et de on observe un recul du terme « forage ».
rait s’expliquer par l’utilisation des « pigs » est comparable dans le corpus L’ensemble des termes caractérisant les
agneaux et plus largement de l’espèce INRA à celle observée dans le corpus total espèces animales se retrouve dans le
ovine comme espèce modèle dans un de la catégorie du WOS. En revanche, les classement, mais avec des fréquences
certain nombre d’études. Les termes termes « chickens » et « broiler chickens », moindres que dans les publications de
caractérisant la production de volailles qui caractérisent les volailles sont relati- la catégorie du WOS et dans celles de
(«  chickens » et « broiler chickens ») vement moins importants dans le corpus l’INRA. Cela peut s’expliquer par le fait
montrent également une grande sta- INRA. Enfin, le corpus des publications que la revue publiant des articles de
bilité à l’exception du terme « eggs » de l’INRA se caractérise par une forte fré- synthèses, ceux-ci traitent moins fré-
dont la fréquence décroit au cours des quence du terme « fat lipids » en 5e ou 6e quemment d’une espèce en particulier.
dernières années. En revanche, on note position selon les périodes considérées En termes de thématiques émergentes
un recul du terme « forage » qui passe et par la montée en puissance du terme on note une forte montée en puissance
de la cinquième à la neuvième place du « livestock system », quasiment absent il du terme « welfare » dans les publica-
classement, bien qu’étant présent dans y a 20 ans et qui devient le 6e terme le tions de la revue à partir du milieu des
11,9 % des publications. plus fréquent dans les dernières années. années 2000, celui-ci se classant à la 8e
position des termes les plus fréquem-
Dans l’ensemble des publications de Le profil de fréquence des termes ment utilisés, et plus récemment du
la catégorie du WOS étudiée, le terme utilisés dans les publications de la terme « genomic selection », ce dernier
« livestock system » est en croissance ; il revue INRA Productions Animales et se classant à la 14e position en fin de
se classe en 17e position en termes de son évolution se démarquent encore période analysée. Notons aussi que sur
fréquence et est présent dans 6,9 % des plus de celui de la catégorie du WOS, un corpus de références de taille plus
publications. En revanche, les termes mais aussi de celui des publications de limitée comme celui de la revue INRA
relatifs à des enjeux de société comme l’INRA (figure 2c). Le terme le plus fré- Productions Animales, des fluctuations
le bien-être animal et les émissions de quemment utilisé dans la revue INRA importantes peuvent être liées à des
méthane demeurent plus loin dans le Productions Animales est « livestock numéros thématiques, comme par
classement des fréquences d’utilisation : system » depuis plus de cinq ans. Les exemple l’importance du terme « eggs »
ainsi « welfare » apparaît en 27e position termes « milk » et « meat » qui étaient en 2010 associé à un dossier sur l’œuf
et est présent dans 3,9 % des publica- les premiers au début de la période paru cette année-là.
tions et « methane production » seu-
lement en 91e position et est présent Figure 3. Cartographie des termes utilisés dans les publications comprenant au
dans 0,5 % des publications. Il est vrai- moins un auteur affilié à un laboratoire européen dans la catégorie « Agriculture,
semblable qu’une partie des recherches dairy and animal sciences » du WOS.
sur ces thématiques sont publiées dans
des journaux appartenant à d’autres
catégories du WOS. Pour la production
de méthane, cela peut aussi s’expliquer
par le fait qu’il s’agit d’un domaine de
recherche qui ne concerne principale-
ment que les ruminants et pas toutes
les productions animales

Le profil de fréquence des termes


utilisés dans les publications de l’INRA
et son évolution présente des diffé-
rences nettes avec celui de la catégorie
du WOS étudiée (figure 2b). Ainsi, si le
classement des cinq termes les plus fré-
quents était identique à celui de la caté-
gorie au début de la période analysée, il
a fortement évolué au cours des 20 der-
nières années et s’en démarque assez
nettement aujourd’hui. Le terme le plus
fréquent dans les publications de l’INRA
est également « milk », le terme « forage »
n’a pas reculé au contraire et se retrouve
le 2e le plus fréquent à la fin de la période

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


92 / René baumont, Agnès girard

Figure 4. Cartographie des termes utilisés dans les publications de l’INRA (A) et „„3.2. Cartographie
de la revue INRA Productions Animales (B) dans la catégorie « Agriculture, dairy des associations de termes
and animal sciences » du WOS.
dans les publications
européennes, de l’INRA
et de la revue

La cartographie des termes utilisés


dans les publications des « auteurs euro-
péens » (affiliés à un laboratoire euro-
péen) fait apparaître de nombreuses
communautés de termes (ou clusters),
mais également de nombreux termes
attachés à un cluster qui pointent éga-
lement sur un autre (figure 3). Le cluster
centré sur « milk » comprend les thèmes
liés à la lactation, à la qualité du lait et à
la santé de la mamelle. Il présente des
liens avec les clusters centrés sur « fat
lipids », « livestock systems », « forage »
et « genetics ». Le cluster centré sur les
mots « meat » et « growth » comprend
le thème qualité de la viande et est en
forte relation avec les clusters carac-
térisant les espèces monogastriques
(porcs et volailles). Le terme « welfare »
fait partie du cluster « livestock system »,
mais en position excentrée car il est
aussi en forte relation avec les espèces
monogastriques. Le cluster centré sur la
génétique et la reproduction est princi-
palement relié au terme « milk », ce qui
atteste d’un poids important des publi-
cations sur la génétique des animaux
producteurs de lait. Le cluster centré sur
« fat lipid » est à égale distance des deux
principaux groupes « milk » et « meat –
growth ». Enfin le cluster centré sur la
nutrition est plus proche de ceux des
animaux producteurs de viande, « pigs »
en particulier, à l’exception des mots
« forage » et « DM intake » qui sont éga-
lement fortement liés aux groupes de
termes caractérisant les animaux pro-
ducteurs de lait et aux aspects concer-
nant le rumen et les émissions de gaz.

On retrouve globalement les mêmes


associations de termes dans les
­cartographies des termes utilisés dans
les publications de l’INRA et de la revue
INRA Productions Animales que dans
celle des publications européennes
(figure 4a et 4b). On peut identifier
toutefois quelques spécificités, avec
par exemple les termes « milk » et « fat
lipids » qui sont dans le même clus-
ter sur la carte de la revue, ce qui tra-
duit une association plus forte qu’aux
Voir figure 3 pour description des algorithmes utilisés et la signification des clusters et des liens. niveaux européens et de l’INRA. On

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


La revue INRA Productions Animales dans la production scientifique en élevage et sciences animales / 93

peut noter aussi que la position et le Dans une littérature scientifique en meat… »). Cette stabilité est cohérente
contenu du cluster « livestock system » sciences animales et sur l’élevage en avec la forte augmentation des contri-
diffèrent selon la carte considérée. Au forte expansion, en particulier du fait de butions de pays comme l’Inde, la Chine
niveau européen, il se trouve proche du la montée en puissance de l’Inde, de la et le Brésil. Au-delà de cette stabilité on
cluster centré sur « milk », alors qu’au Chine et du Brésil, le nombre de publi- observe des évolutions spécifiques aux
niveau de l’INRA il est proche du terme cations de l’INRA et de la revue dans la publications de l’INRA et de la revue,
« lambs » et que sur la carte de la revue catégorie du WOS étudiée sont stables. que l’on retrouve également au niveau
«  livestock system » et « lambs » sont L’impact international des publications européen. Ces spécificités concernent
dans le même cluster. Au niveau euro- de l’INRA dans le WOS est notable avec la montée en puissance des publica-
péen « livestock system » et « welfare » 18 citations par article publié. Celui de tions sur les systèmes d’élevage et sur
se retrouvent dans le même cluster la revue INRA Productions Animales est des thématiques comme le bien-être
alors que le terme « welfare » se trouve plus modeste, notamment du fait qu’elle animal ou la sélection génomique par
dans d’autres clusters sur les cartes de est publiée en français, et le public scien- exemple. L’analyse des associations
l’INRA et de la revue. Mais sur les trois tifique n’est pas le public prioritairement de termes montre une grande simili-
cartes le terme « welfare » se trouve visé par la revue. Celui-ci est en large tude entre les trois niveaux analysés :
proche du terme « housing system » et partie constitué de professionnels de Europe, INRA et la revue. Au cours de
des termes caractérisant les espèces l’élevage, d’étudiants et d’enseignants à 20 dernières années, la revue INRA
monogastriques. Malgré ces quelques différents niveaux de formation qui pour Productions Animales a donc su renou-
nuances, il apparaît que les recherches la plupart n’ont pas vocation à écrire veler ses thèmes en cohérence avec les
conduites par l’INRA dans le domaine eux-mêmes des articles scientifiques. évolutions des recherches conduites
des productions animales, et en parti- Aussi nous semble-t-il indispensable à l’INRA et en Europe, et produire des
culier celles diffusées par la revue INRA pour le lectorat du secteur de la forma- articles de synthèse scientifique sur les
Productions Animales, se positionnent tion et de la recherche-développement nouveaux fronts de science et les enjeux
clairement sur les axes de recherches de conserver la publication en français sociétaux pour l’élevage. Le présent
que l’on retrouve dans les publications des articles de la revue, ce qui permet numéro spécial consacré aux grands
des chercheurs européens. aussi d’atteindre les pays francophones défis pour les productions animales de
d’Afrique, d’une partie de l’Europe et de demain s’inscrit dans cette dynamique.
l’Amérique du Nord. Néanmoins, une
Conclusion formule de publication à la fois en fran-
çais et en anglais permettrait certaine- Remerciements
La revue INRA Productions Animales ment d’augmenter l’impact de la revue
existe depuis plus de 30 ans et a acquis au niveau international. Les progrès des
une place spécifique dans le monde techniques de traduction automatique Les auteurs de l’article remercient
des sciences animales par la publica- laissent espérer que la mise en œuvre de vivement Hughes Leiser pour l’appui
tion d’articles de synthèse issus des publications bilingues sera facilitée dans technique dans les analyses réalisées
travaux de l’INRA. La publication de la un proche avenir. sur la plateforme CorText. Le rédacteur
revue depuis 2018 en « open access » en chef de la revue remercie la Direction
sur le portail de revues scientifiques en L’analyse lexicale du corpus de réfé- Scientifique de l’INRA et les départe-
libre accès de l’université de Bordeaux rences dans la catégorie « Agriculture, ments de recherches Phase, GA, Sad, SA
(http://open.u-bordeaux.fr/journals/) dairy and animal science » du WOS et SAE2 pour leur soutien continu à la
est en adéquation avec sa vocation de montre une grande stabilité des revue. Enfin la revue ne pourrait exister
revue de transfert destinée à un large termes les plus fréquemment utilisés sans le travail assidu de Pascale Béraud,
public et a pour objectif d’en augmen- qui restent dominés par les probléma- sa secrétaire de rédaction. Qu’elle en
ter la visibilité. tiques de production (« milk, growth, soit tout particulièrement remerciée ici !

Références
Perez J.M., Farce M.H., Caste D., 2008. La revue INRA Productions Animales a 20 ans. INRA Prod. Anim., 2008, 21, 5-10.

Résumé
Depuis 30 ans, la revue INRA Productions Animales publie principalement des articles de synthèse sur tous les sujets concernant les produc-
tions animales à destination d’un large public d’utilisateurs des résultats de la recherche. À partir de la base de données « Web of Science™ »
(WOS) et dans le périmètre limité à la catégorie « Agriculture, dairy and animal sciences » dans laquelle la revue est indexée depuis 1997, cet
article propose une analyse du positionnement de la revue dans la littérature scientifique internationale, européenne et de l’INRA. Dans
une production scientifique multipliée par deux entre 1997 et 2017 dans cette WOS catégorie (9 000 articles en 2017), le nombre d’articles
publiés chaque année par l’INRA (environ 250) et par la revue (entre 30 et 35) est stable. La France est le 7e pays contributeur derrière les
USA, l’Inde, la Chine, le Brésil, l’Allemagne et le Canada. L’analyse lexicale de l’ensemble des références du WOS montre une grande stabilité
des termes les plus fréquemment utilisés qui restent dominés par les problématiques de production. En revanche, l’analyse de l’évolution

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


94 / René baumont, Agnès girard

des publications montre clairement l’émergence et la montée en puissance des recherches menées sur les systèmes d’élevage, le bien-
être animal et la sélection génomique, à la fois en Europe et à l’INRA. Au final, les recherches conduites par l’INRA dans le domaine des
productions animales, et en particulier celles diffusées par la revue INRA Productions Animales, sont au diapason des recherches conduites
à l’échelle européenne.

Abstract
The journal “INRA Productions Animales” in the scientific production in the animal sciences and husbandry
For 30 years, the journal “INRA Productions Animales” has published mainly review articles on all subjects concerning animal production to a broad
audience of users of research results. This article proposes an analysis of the position of the journal and its evolution in the scientific literature
at the international, European and INRA level using data from the “Web of Science™” (WOS) database and the category “Agriculture, dairy and
animal sciences” in which the journal has been indexed since 1997. Between 1997 and 2017, scientific production in this WOS category (9 000
articles in 2017) has been multiplied by two. During this period, the number of articles published each year by INRA (about 250) and by the journal
(between 30 and 35) has been stable. France is the seventh largest contributor to the WOS category behind the US, India, China, Brazil, Germany
and Canada. The lexical analysis of all the references of the WOS category shows a great stability of the most frequently used terms, which remain
dominated by production issues. However, the analysis of the evolution of the publications clearly shows the emergence and the rise of research
carried out on livestock production systems, animal welfare and genomic selection, both in Europe and at INRA. In the end, the research conducted
by INRA in the field of animal production, and in particular those disseminated by the journal INRA Productions Animales, correspond to research
conducted at the European level.

BAUMONT R., GIRARD A., 2019. La revue INRA Productions Animales dans la production scientifique en élevage et sciences animales. In :
Numéro spécial, De grands défis et des solutions pour l’élevage. Baumont R. (Éd). INRA Prod. Anim., 32, 87-94.
https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2543

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Productions animales, INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 95-110

usage des terres et sécurité


alimentaire en 2050 : l’éclairage
de la prospective Agrimonde-Terra
Chantal LE MOUËL1, Olivier MORA2
1
UMR 1302, SMART-LERECO, INRA, 35000, Rennes, France
2
UAR 1241, DEPE, INRA, 75000, Paris, France
Courriel : chantal.le-mouel@inra.fr

„„ La prospective Agrimonde-Terra propose cinq scénarios d’usage des terres et de sécurité alimentaire à l’horizon
2050. Les productions animales sont un élément clé de ces scénarios et de leurs conséquences sur l’usage des
terres et pour la sécurité alimentaire. La prospective Agrimonde-Terra n’apporte pas un message uniforme et
globalisé sur la consommation de produits animaux, et notamment sur sa réduction, mais un message différencié
en fonction des enjeux régionaux de la sécurité alimentaire.

Introduction de viande et plus spécifiquement de consommation de produits animaux


viande de ruminant, fait toujours par- au regard de l’usage des terres et de la
tie des leviers invoqués (Stehfest et al., sécurité alimentaire. Ils montrent éga-
L’élevage et la consommation de pro- 2009 ; Popp et al., 2010 ; Wirsenius et al., lement que l’évolution des régimes ali-
duits animaux sont au cœur des débats 2010 ; Bajželj et al., 2014 ; Springmann mentaires vers une diète, en moyenne
sur l’avenir des systèmes alimentaires et al., 2016 ; Röös et al., 2017 ; Weindl mondiale, moins riche en énergie, plus
à l’échelle globale. D’un côté, la crois- et al., 2017 ; Springmann et al., 2018). diversifiée et contenant moins de pro-
sance de la consommation de produits duits d’origine animale est nécessaire
animaux est une tendance de long On retrouve le même consensus dans pour assurer la sécurité alimentaire
terme qui résulte de la transformation les travaux de prospective qui s’inté- mondiale à l’horizon 2050.
des régimes alimentaires liée à l’aug- ressent à la sécurité alimentaire mon-
mentation des revenus, à l’urbanisa- diale et qui proposent des scénarios Les scénarios d’Agrimonde-Terra
tion et aux changements de style de globaux d’évolution des systèmes ali- reposent sur quatre hypothèses d’évo-
vie (Kearney, 2010 ; Alexandratos et mentaires mondiaux : la transition vers lution alternative des régimes alimen-
Bruisma, 2012 ; Popkin et al., 2012 ; Zhai des régimes alimentaires moins riches taires à 2050, qui donnent une place
et al., 2014). D’un autre côté, l’élevage en énergie et moins riches en produits contrastée aux produits animaux, dans
est source d’impacts négatifs significa- d’origine animale fait partie des options le temps mais aussi dans l’espace. En
tifs sur l’environnement et sur la santé avancées pour nourrir une popula- particulier, dans un souci de sécurité
humaine (FAO, 2006 ; Tilman et Clark, tion mondiale croissante de manière alimentaire régionale, Agrimonde-
2014 ; Godfray et al., 2018). Il en résulte durable (pour une revue, voir Le Mouël Terra fait l’hypothèse que les régimes
que dans les travaux qui s’interrogent et Forslund, 2017, par exemple). alimentaires des régions en développe-
sur les leviers qui permettraient de ment (Afrique sub-Saharienne et Inde)
réduire les impacts négatifs sur l’envi- La prospective Agrimonde-Terra (Le voient leur contenu en énergie et leur
ronnement et/ou la santé des systèmes Mouël et al., 2018a) fait partie de ces tra- contenu en produits animaux augmen-
alimentaires mondiaux, la limitation vaux. Ses scénarios d’usage des terres et ter à 2050, même lorsque la trajectoire
de la croissance de la consommation de sécurité alimentaire en 2050 confir- générale d’évolution conduit ces conte-
de produits animaux, en particulier ment le rôle clé de l’élevage et de la nus à diminuer en moyenne mondiale.

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2508 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


96 / Chantal le mouël, Olivier mora

Cette hypothèse se révèle cruciale Agrimonde-Terra se définit comme temps : systèmes de culture, systèmes
au regard de l’équilibre global entre un exercice à visée exploratoire dont d’élevage, structures de production,
l’offre et la demande de biomasse et le but est de préparer les acteurs et la relations entre les zones urbaines
en termes d’usage des terres au niveau recherche à différents futurs possibles, et rurales ; changement climatique,
mondial et régional, car, dans les scéna- en leur fournissant des éléments de régimes alimentaires et contexte global.
rios d’Agrimonde-Terra, ces régions en compréhension et d’anticipation des En s’appuyant sur une analyse rétros-
développement très peuplées connaî- enjeux à venir sous la forme de scéna- pective et prospective de ces détermi-
tront une croissance démographique rios. La méthode des scénarios basée nants, menée avec l’appui de groupes
très rapide, tandis que leurs systèmes sur une analyse morphologique permet d’experts, des hypothèses d’évolution
d’élevage peu performants en termes d’envisager un grand nombre de scé- alternative d’ici 2050 de chaque déter-
de rendements à l’hectare verront leur narios alternatifs à partir d’une analyse minant ont été élaborées. Sur cette
productivité s’améliorer à 2050, mais commune des dynamiques du système, base, cinq scénarios contrastés ont été
dans une mesure limitée comme l’en- tout en prenant en compte un degré construits, en recherchant les combi-
semble des autres régions du monde. élevé d’incertitude (Zurek et Henrichs, naisons plausibles et pertinentes de
2007). ces hypothèses, et en s’appuyant sur un
Au total, si les résultats d’Agri- comité d’experts internationaux.
monde-Terra permettent de différen- Dans l’approche systémique
cier clairement entre les scénarios qui Agrimonde-Terra, les principaux déter- Les figures 1 et 2 permettent de
ne seraient pas capables et ceux qui minants des changements d’usage des visualiser la méthode de construction
seraient susceptibles d’assurer la sécu- terres ont été analysés dans un premier des scénarios. Le tableau morpholo-
rité alimentaire mondiale en 2050, les
résultats au niveau régional sont plus Figure 1. Combinaisons alternatives d’hypothèses d’évolution à 2050 des déter-
ambigus : pour les régions en dévelop- minants constituant les scénarios « Métropolisation », « Régionalisation » et
pement, en particulier pour l’Afrique « Ménages » (Conception graphique : Élodie Carle).
sub-saharienne, tous les scénarios
conduisent à une expansion de la sur-
face agricole difficilement soutenable.

L’objectif de cet article est double :


après avoir décrit la méthode utilisée
(partie 1) il s’agit tout d’abord de pré-
senter les scénarios d’Agrimonde-Terra,
en mettant en évidence le rôle des pro-
ductions animales dans ces scénarios
(partie 2) ; puis, dans un second temps,
d’éclairer les enjeux des scénarios
pour les productions animales dans le
monde de demain (partie 3).

1. La méthode
d’Agrimonde-Terra

Pour penser les futurs de l’usage


des terres et de la sécurité alimentaire
mondiale à l’horizon 2050, la méthode
adoptée dans Agrimonde-Terra com-
bine diverses approches : une analyse
systémique, une méthode des scé-
narios basée sur l’analyse morpholo-
gique (Ritchey, 2011) et mobilisée à
différentes échelles du système, la mise
en œuvre de « forums prospectifs » où
sont débattues les hypothèses d’évo-
lution du système (de Jouvenel, 1972 ;
Mermet, 2009), et la construction et
l’utilisation d’un outil de modélisation
et de simulation GlobAgri-AgT.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Productions animales, usage des terres et sécurité alimentaire en 2050 : l’éclairage de la prospective Agrimonde-Terra / 97

gique, sous-jacent dans ces graphiques, Figure 2. Combinaisons alternatives d’hypothèses d’évolution à 2050 des détermi-
rapporte pour chaque déterminant nants constituant les scénarios « Régimes sains » et « Communautés » (Conception
du système (en ligne) les hypothèses graphique : Élodie Carle).
d’évolution alternative à 2050 retenues
(en colonne). Les cinq scénarios d’Agri-
monde-Terra sont construits en com-
binant une ou plusieurs hypothèses
d’évolution par déterminant (flèches
de couleur sur les graphiques). Les
trois premiers scénarios sont basés sur
des tendances concurrentes actuelles
identifiées dans la plupart des régions
du monde (figure 1). Les deux derniers
scénarios impliquent des ruptures
potentielles qui pourraient changer
radicalement le système « usage des
terres et sécurité alimentaire » dans son
ensemble (partie 2).

Dans une deuxième étape, les impacts


des scénarios en termes d’usage des
terres ont été évalués à l’aide du modèle
GlobAgri-AgT (cf. encadré). Pour ce faire,
chaque hypothèse d’évolution alterna-
tive à 2050 des différents déterminants
du système a d’abord été quantifiée
pour disposer, pour chaque hypothèse
et pour chacune des 14 régions consi-
dérées, de valeurs pour les variables
d’entrée du modèle1. Puis quatre des
cinq scénarios ont été simulés, fournis-
sant ainsi des résultats quantitatifs sur
leurs impacts en termes d’usage des
terres, de production agricole et de
commerce international par région et
pour le monde dans son ensemble.

1  La quantification des hypothèses d’évolution


alternative à 2050 consiste, par exemple dans le Enfin, dans une dernière étape, arti- jectoires vers 2050 des cinq scénarios ;
cas des régimes alimentaires, à établir des règles culant analyse qualitative et analyse un second temps centré sur leur image
de projections à 2050 (communes aux 14 régions
du monde considérées mais différentes selon
quantitative, un récit a été élaboré pour en termes d’usage des terres puis en
l’hypothèse d’évolution) du contenu énergétique chaque scénario. Chaque récit fournit termes de sécurité alimentaire en 2050.
et de la composition du régime alimentaire une image des usages des terres et de la
initial (2010) de chaque région. Combinées à sécurité alimentaire en 2050, et détaille „„2.1. Moteur et trajectoire
une hypothèse de projection démographique à le moteur du scénario et la trajectoire des scénarios
2050, ces projections des régimes alimentaires
fournissent la variation de la consommation
du système vers son image en 2050.
humaine de chaque produit entre 2010 et 2050 a. Métropolisation :
dans chaque région. Ce sont ces variations qui, en des usages des terres pilotés
même temps que toute une série d’autres variables
2. Les récits par la métropolisation
d’entrée (comme les rendements végétaux, les des cinq scénarios En 2050, deux tiers de la popula-
efficiences animales, les surfaces cultivables d’Agrimonde-Terra tion mondiale vivent dans des villes et
maximales), sont introduites dans le modèle de
bilans de biomasse, ce dernier fournissant en plus de 15 % de la population urbaine
sortie les surfaces cultivées et les surfaces en réside dans des mégapoles (de plus de
prairies et pâtures permanentes, les productions, Les récits détaillés des scénarios 10 millions d’habitants). S’appuyant
les importations et les exportations de chaque sont disponibles dans Mora (2018a). sur l’émergence d’une large classe
produit pour chaque région. La quantification
des hypothèses d’évolution alternative à 2050 des
Dans cette section nous synthétisons moyenne, ces mégapoles sont le cœur
déterminants du système est décrite en détail dans ces récits en deux temps : un premier d’une économie mondiale qui s’orga-
Le Mouël et Marajo-Petitzon (2018). temps consacré aux moteurs et aux tra- nise autour d’un réseau mondial de

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


98 / Chantal le mouël, Olivier mora

sif, une agriculture pratiquée par des


Encadré. La plateforme GlobAgri et son application GlobAgri-AgT
paysans pauvres se maintient dans des
GlobAgri est une plateforme quantitative permettant de produire des bases de données cohérentes et des conditions économiques et environne-
modèles de bilans ressources – utilisations de produits agricoles et agroalimentaires à partir de données mentales difficiles (sols dégradés, dif-
FAOStat et de données complémentaires partagées par des scientifiques de plusieurs institutions. Les ficulté d’accès à l’eau). Les évolutions
bases de données générées sont équilibrées et tiennent compte des liens entre produits (via l’alimentation des régimes alimentaires ont conduit à
animale ou les produits joints huiles-tourteaux d’oléagineux ou lait-viande par exemple). Les modèles de un développement des maladies chro-
bilans équilibrent les ressources (production domestique plus importations moins exportations) d’une niques liées à l’alimentation ; la crois-
sance des inégalités intra-urbaines et
part, et les utilisations (consommation humaine, consommation animale et autres utilisations) d’autre
entre zones urbaines et rurales a engen-
part, pour chaque produit dans chaque région. Ils permettent de simuler les changements d’usages des
dré des problèmes de sous-nutrition ;
terres induits par des modifications des utilisations de produits dans les différentes régions, étant donné
l’impact fort du changement climatique
un ensemble d’hypothèses d’évolution des autres variables du système (rendements végétaux et animaux, sur la production agricole a provoqué
contrainte de terres disponibles pour l’agriculture, contrainte de terres cultivables, conditions du commerce une fragilité du système alimentaire
international…). L’outil GlobAgri a été utilisé pour générer une base de données et un modèle de bilans qui génère ponctuellement des crises
spécialement spécifiés pour Agrimonde- Terra : GlobAgri-AgT. alimentaires dans les zones et pour les
GlobAgri-AgT comporte 33 agrégats de produits (26 agrégats de produits végétaux et 7 agrégats de pro- populations les plus vulnérables.
duits animaux) et couvre 14 régions du monde. L’élevage y est représenté par 5 secteurs (lait, bovin viande,
petits ruminants, porc et volaille) qui produisent 6 produits (lait, viande bovine, de petits ruminants, de b. Régionalisation : des usages
des terres pour des systèmes
porc, de volaille et œufs). Dans chaque secteur, plusieurs systèmes d’élevage co-existent : mixte, pastoral,
alimentaires régionaux
urbain et autre pour les ruminants, mixte et autre pour les monogastriques, tels que définis dans Herrero
En 2050, les États se sont organisés
et al. (2013). Les coefficients inputs/outputs entre les quantités des divers produits végétaux consommées
au sein de blocs régionaux supra-éta-
par les animaux, (y compris l’herbe) et les quantités produites de produits animaux sont calibrés par sys- tiques. Une gouvernance à l’échelle
tème à partir des données sur les rations et les rendements animaux de Herrero et al. (2013), complétées de blocs régionaux, à la fois politique
par des données de Bouwman et al. (2005) et de Monfreda et al. (2008). et économique, s’est développée pour
L’outil générique GlobAgri et son application GlobAgri-AgT sont décrits en détail dans Le Mouël et al. traiter des enjeux globaux, dans une
(2018b). situation marquée par l’impossibilité
d’instituer une gouvernance globale
et l’échec d’une gouvernance par les
seules forces du marché. Ces blocs
« villes globales » où se localisent l’es- styles de vie, dans un contexte global régionaux ont reconfiguré les systèmes
sentiel des activités et des emplois. La de développement porté par les forces alimentaires et organisé la transition
création de valeur au sein des méga- du marché et marqué par des change- énergétique. Ils ont mis en œuvre un
poles s’appuie principalement sur la ments climatiques rapides. L’agriculture principe de « subsidiarité alimentaire »
concentration des activités, et concerne intensive s’est développée grâce à des selon lequel tout ce qu’il est possible de
les secteurs des services, de l’industrie, investissements privés (fonds d’inves- produire à l’échelle régionale y est pro-
de la connaissance et de la finance. C’est tissement, firmes, bourgeoisie urbaine) duit, et lorsque la production régionale
la croissance économique et le maintien dans des bassins de production éloi- est insuffisante, les produits nécessaires
d’une trajectoire de développement gnés des villes mais connectés aux sont importés. Au sein des régions,
conventionnelle qui sont privilégiées, marchés alimentaires. Cette agriculture, les États visent également à une plus
et les préoccupations environnemen- qui ne prend en compte qu’a posteriori grande souveraineté énergétique via
tales ont été reléguées au second plan. les problèmes environnementaux, a un accroissement de la production
conduit à une forte dégradation des d’énergies renouvelables et le recours
Les firmes transnationales de l’agro­ sols et à un déplacement des zones aux ressources fossiles disponibles
alimentaire, de la distribution et de cultivées (avec notamment une sélec- régionalement.
la logistique contrôlent désormais la tion des terres les plus aptes à ce mode
majeure partie des marchés alimen- d’intensification). L’ensemble constitué La régionalisation des systèmes
taires, et mettent en relation des sites par l’agriculture intensive et les filières alimentaires s’est traduite par une
de production ruraux et des bassins associées contribue désormais de façon reconfiguration de l’approvisionne-
de consommation majoritairement importante aux émissions de gaz à effet ment alimentaire et des chaînes de
urbains. Depuis 50 ans, il y a eu une de serre. De plus, l’affirmation d’une valeurs à l’échelle régionale, ainsi que
convergence globale des régimes ali- économie reliant des archipels urbains par un retour à des régimes alimentaires
mentaires, caractérisée par l’augmen- à l’échelle mondiale a laissé de vastes régionaux plus traditionnels. Les firmes
tation de la consommation d’aliments zones à l’écart de la croissance écono- de la logistique, de l’agroalimentaire et
ultra-transformés, commercialisés par mique. Dans les zones rurales éloignées de la distribution se sont coordonnées
de grandes firmes agroalimentaires, et des métropoles, non connectées à elles, au sein des réseaux qui articulent des
de produits d’origine animale, en rela- et considérées comme inaptes à une lieux de production ruraux, des acti-
tion avec l’évolution des revenus et des mise en valeur selon le modèle inten- vités de collecte et de transformation

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Productions animales, usage des terres et sécurité alimentaire en 2050 : l’éclairage de la prospective Agrimonde-Terra / 99

localisées dans des villes intermédiaires, des revendications de santé, de bio- alimentaires et le climat à l’échelle
et une diversité de systèmes de distri- diversité, d’environnement, de lutte globale. Ainsi, des politiques globales
bution aussi bien ruraux qu’urbains. En contre le changement climatique, etc. d’amélioration des sols ont permis de
2050, chaque région a élargi sa palette Ces revendications ont engendré une restaurer des terres dégradées pour
d’offre alimentaire, en développant une forte visibilité des pratiques et des l’agriculture et d’améliorer le stockage
diversité de filières s’appuyant sur les groupes d’agriculteurs. La multi-activité du carbone dans les sols agricoles.
cultures culinaires régionales. Selon les des ménages agricoles se généralise,
régions, la production et la consomma- grâce au développement d’activités Une réorientation des systèmes d’ap-
tion de racines et de tubercules, ou bien agricoles et non-agricoles, rurales ou provisionnement alimentaire basée à la
de céréales secondaires et de légumi- urbaines, multi-localisées ; ces activi- fois sur l’organisation des agriculteurs et
neuses, ou bien de fruits et légumes tés s’inscrivent dans des organisations la structuration des chaînes de valeur
se sont accrues. Ce développement en réseau. Le déploiement de ces modernes a facilité l’accès à des ali-
des filières agroalimentaires a un effet réseaux s’est appuyé sur le développe- ments de qualité et diversifiés, tout en
d’entraînement sur l’agriculture et sur ment des infrastructures de transport, limitant la consommation de produits
le développement rural en général. des plateformes numériques, et plus ultra-transformés, aussi bien pour les
La re-diversification des productions généralement, sur un mouvement de populations rurales qu’urbaines. Par
a transformé les systèmes de culture désintermédiation dans les chaînes de rapport à 2010, les régimes alimentaires
et d’élevage. Ainsi, l’alimentation des valeur. Les structures d’exploitation qui comportent en 2050 moins de produits
animaux provient spécifiquement de s’insèrent dans ces réseaux sont diversi- animaux (dans les pays développés),
productions végétales régionales, et fiées ; elles vont de la petite exploitation de graisses, de sucres et d’édulcorants
des échanges de fertilisants organiques basée sur une main-d’œuvre familiale à et de produits ultra-transformés, et
entre l’élevage et les cultures sont la grande exploitation fortement capi- plus de fruits et légumes, de céréales
organisés sur des courtes et moyennes talisée. Les réseaux d’acteurs publics et secondaires et de légumineuses. Dans
distances. En 2050, la transition nutri- privés qui organisent la commercialisa- certains pays en développement, la
tionnelle vers la consommation de tion des produits définissent des finali- part des produits animaux dans le
produits ultra-transformés, largement tés aux activités agricoles et participent régime alimentaire s’est accrue pour
amorcée dans les années 2000, a été aussi à la reconfiguration des pratiques répondre aux enjeux de sous-nutrition.
limitée, tout comme ses impacts poten- agricoles et du type d’intensification, en Pour répondre aux enjeux de sur- et
tiels sur la santé. fonction du lien qu’ils entretiennent à sous-nutrition, les systèmes de culture
l’opinion publique. et les cultures se sont diversifiés, en
c. Ménages : des usages intégrant des techniques d’agroécolo-
des terres pour des ménages d. Régimes sains : gie, tandis que les systèmes d’élevage,
mobiles et multi-actifs des usages des terres dont le développement a été limité, se
Dans un monde ultra-globalisé, pour une alimentation saine sont re-couplés avec des productions
mobile et hybride, les acteurs non-éta- et de qualité végétales. Par ailleurs, une meilleure
tiques (ONG internationales, collectifs Dans la décennie 2020-2030, le organisation des systèmes alimentaires
locaux, firmes multinationales, ins- poids économique considérable des a réduit les pertes et les gaspillages, en
titutions académiques, fondations, maladies chroniques liées à l’alimenta- particulier en améliorant les capacités
collectivités, villes) dominent les trans- tion dans les systèmes de santé et, de de stockage et de conservation des
formations sociales, économiques et façon plus générale, les conséquences denrées alimentaires dans les pays du
géopolitiques. Ils s’organisent, forment socioéconomiques de l’état de malnu- Sud. Le commerce international conti-
des réseaux ad-hoc qui ont un rôle trition des populations ont conduit la nue de jouer un rôle important mais
moteur dans les échanges, et sup- plupart des États à mettre en place un il est à présent régulé par des normes
plantent progressivement les gouver- ensemble de politiques afin d’orienter nutritionnelles.
nements souverains. Dans un contexte la consommation rurale et urbaine vers
économique dynamique mais relative- des régimes alimentaires sains. Ces poli- e. Communautés : des usages
ment instable, les mobilités réversibles tiques ont convergé avec des dispositifs de la terre comme commun
et temporaires de courte et de longue de gouvernance internationale de lutte des communautés rurales
distance entre villes et campagnes, sai- contre le changement climatique qui dans un monde fragmenté
sonnières ou transnationales, se déve- concernent l’énergie, les transports et En 2050, de multiples crises conco-
loppent, permettant aux individus de le bâtiment, le système alimentaire et mitantes (crises financières, énergé-
diversifier leurs revenus. le stockage du carbone. Dans ce cadre, tiques, géopolitiques et écologiques)
des synergies multi-scalaires (territo- ont conduit à une situation mondiale
Les chaînes de valeur sont désormais riales, nationales et internationales) fragmentée aussi bien politiquement
fortement liées aux débats publics entre politiques alimentaires, agricoles qu’économiquement. Ces crises ont
portant sur les caractéristiques des et climatiques ont été mises en œuvre, enrayé la croissance urbaine, ralentis-
produits. Celles-ci sont co-définies afin que les politiques agricoles et ali- sant le processus de concentration de la
avec des groupes concernés (citoyens, mentaires génèrent simultanément des population urbaine et des activités éco-
consommateurs, résidents…) ayant effets massifs et positifs sur les régimes nomiques dans de grandes métropoles.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


100 / Chantal le mouël, Olivier mora

La réduction des migrations rurales un même scénario. Par exemple, dans le alimentaires (+ 1,3 milliard d’hectares
vers les grandes villes a engendré une scénario Régimes sains, les systèmes de ou + 27 % par rapport à la situation
fragmentation et une diffusion urbaine culture peuvent adopter une trajectoire initiale pour Métropolisation_Animp),
(avec un développement des petites d’intensification durable dans certains soit une stagnation ou une détério-
villes), mais aussi une augmentation endroits et de transition vers l’agroé- ration générale des performances
des populations rurales dans certaines cologie dans d’autres 2. Dans l’analyse des systèmes de production agricole
régions où la natalité reste élevée (Asie, quantitative néanmoins, par souci de (+ 2 milliards d’hectares ou + 41 %
Afrique sub-Saharienne). simplicité, nous avons considéré des pour Communautés_EFF). Elle est
scénarios constitués d’une seule hypo- beaucoup plus faible pour les scéna-
Dans certaines régions, pour faire thèse d’évolution par déterminant, rios impliquant soit une réduction du
face à une situation de crises multiples, s’appliquant partout dans le monde. niveau calorique des régimes alimen-
les agriculteurs s’organisent collective- Certains scénarios ont par conséquent taires (+ 142 millions d’hectares ou
ment à l’échelle des communautés et été simulés sous différentes variantes, + 3  % pour Communautés_AE), soit
des territoires pour mettre en place chaque variante correspondant à une une augmentation limitée du niveau
des systèmes agroécologiques. Des hypothèse d’évolution possible d’un des calories d’origine animale dans ces
dispositifs de coopération, définissant déterminant (tableau 1). Enfin, les spé- régimes, accompagnée d’un mouve-
des règles de gestion collective, per- cificités du scénario Ménages (réseaux, ment de substitution significatif des
mettent de co-construire et de gérer mobilité, pluriactivité, agilité) étant plu- viandes de ruminants par des viandes
les biens communs pour assurer une tôt liées aux structures agricoles et au de monogastriques (+  29 millions
production durable d’aliments, d’éner- modèle de développement rural, elles d’hectares ou + 0,6  % pour Régimes
gie et de services environnementaux. sont difficiles à prendre en compte sains_C et – 54 millions d’hectares ou
Des synergies territoriales entre les dans le modèle, et nous ne fournissons – 1 % pour Métropolisation_Ultrap).
systèmes d’élevage et les systèmes de pas de résultats quantitatifs pour ce
culture se sont construites permet- scénario. L’expansion des terres agricoles
tant à la fois d’améliorer la gestion de résulte de l’ajustement simultané des
la fertilité des sols, et d’assurer l’au- a. Une expansion des terres surfaces cultivées et des surfaces en
tonomie de l’alimentation animale. agricoles au niveau mondial prairies et pâtures permanentes. La
Dans d’autres régions, l’agriculture de dans la plupart des scénarios surface mondiale en cultures arables
survie se développe dans un contexte Presque tous les scénarios et leurs et permanentes s’accroît dans tous les
de réduction de la taille des structures variantes conduisent à une expan- scénarios, excepté Régimes sains_C. Là
résultant de la croissance de la popu- sion des terres agricoles au niveau encore, ce sont les scénarios présen-
lation rurale et agricole et de l’absence mondial (tableau 2). L’expansion des tant les régimes alimentaires les plus
d’un développement économique terres agricoles mondiales varie néan- riches en calories d’origine animale
urbain. Les processus d’intensification moins très fortement d’un scénario à ou les perspectives les plus sombres
conventionnelle des cultures mis en l’autre et, pour chaque scénario, d’une pour les rendements des cultures et
place rencontrent deux types d’écueil variante à l’autre. L’expansion est parti- la productivité des systèmes de pro-
suivant les régions et en fonction de culièrement élevée pour les scénarios duction animale qui induisent les
l’accès aux intrants : une exploita- impliquant soit une augmentation expansions de terre cultivée les plus
tion minière des sols, mais aussi une significative du niveau des calories larges au niveau mondial (respecti-
sur-intensification de la petite agricul- d’origine animale dans les régimes vement, + 620 millions d’hectares ou
ture qui génère des impacts forts sur + 40 % pour Metropolisation_Animp
l‘environnement. 2  Les hypothèses d’évolution des systèmes
et + 555 millions d’hectares ou + 36 %
de culture sont présentées dans Réchauchère pour Communautés_EFF). On peut
„„2.2. Les conséquences et al. (2018), leur traduction quantitative dans noter l’expansion assez importante de
des scénarios d’Agrimonde- Le Mouël et Marajo-Petitzon (2018). Dans terre cultivée induite par le scénario
Terra en termes d’usage Agrimonde-Terra, l’intensification durable des Metropolisation_Ultrap (+ 243 mil-
des terres systèmes de culture est entendue comme une
intensification de la production combinée à une
lions d’hectares ou + 16 %). Outre
réduction des impacts environnementaux, via les régimes alimentaires riches en
Les conséquences des scénarios sur la substitution d’intrants et la maximisation de calories embarqués dans ce scénario,
l’usage des terres ont été simulées à leur efficacité grâce aux nouvelles technologies. l’hypothèse qui y est adoptée d’une
l’aide du modèle de bilans de biomasse L’évolution des systèmes de culture vers substitution marquée entre viandes
l’agroécologie implique en revanche une refonte
GlobAgri-AgT. Bien que le modèle four- totale des systèmes : diversification des cultures,
de ruminants et viandes de mono-
nisse des résultats pour 14 grandes agroforesterie, polycultures-élevage reposant gastriques (essentiellement de volaille)
régions du monde, dans ce qui suit nous sur les régulations biologiques qu’ils produisent explique une large part de ce résultat
ne considérons que les résultats pour eux-mêmes et sur des intrants locaux dans une (cf. partie 3). De la même façon, on
le monde dans son ensemble. Les gra- recherche d’autonomie. Les règles générales de peut souligner le caractère économe
quantification des hypothèses d’évolution des
phiques 1 et 2 indiquent que plusieurs systèmes de culture aboutissent en moyenne à
en terre cultivée du scénario Régimes
hypothèses d’évolution à 2050 d’un des rendements à l’hectare en 2050 plus faibles sains (– 56 millions d’hectares dans sa
déterminant peuvent coexister dans en agroécologie qu’en intensification durable. variante C et + 50 millions ­d’hectares

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Productions animales, usage des terres et sécurité alimentaire en 2050 : l’éclairage de la prospective Agrimonde-Terra / 101

Tableau 1. Les scénarios et leurs variantes simulés avec le modèle GlobAgri-AgT.

Scénarios Variantes Noms

Avec hypothèse de transition des régimes


Métropolisation_Ultrap
vers les produits ultra-transformés
Métropolisation
Avec hypothèse de transition des régimes
Métropolisation_Animp
vers les produits animaux

Avec technologie A : intensification durable pour systèmes


Régionalisation_A
de culture ; intensification conventionnelle avec ressources
Régionalisation locales pour systèmes d’élevage
Avec technologie B : agroécologie pour systèmes de culture
Régionalisation_B
et systèmes d’élevage

Avec technologie C : intensification durable pour systèmes


Régimes sains_C
de culture ; agroécologie pour systèmes d’élevage
Régimes sains
Avec technologie D : agroécologie pour systèmes de culture
Régimes sains_D
et systèmes d’élevage

Avec agroécologie : agroécologie pour systèmes de culture


et systèmes d’élevage Communauté_AE
Communautés
Avec effondrement : effondrement des systèmes de culture Communauté_EFF
et élevage de basse-cour

dans sa variante D), qui provient des productions animales entre 2010 et qui sont à la base de ce scénario,
essentiellement du contenu calorique 2050. Elle s’étend de manière substan- ­comportent une part importante de
réduit et de la part limitée des calories tielle dans le scénario Métropolisation_ viande de petits ruminants, en particu-
d’origine animale dans les régimes Animp (+ 698 millions d’hectares ou lier dans certaines régions à la démogra-
­alimentaires de ce scénario. + 21 %), du fait de la forte consomma- phie très dynamique (Afrique du Nord
tion de produits animaux, notamment et Afrique sub-Saharienne, cf. partie 3).
Le tableau 2 indique que la surface de ruminants, qui caractérise ce scé- L’expansion des prairies et pâtures per-
mondiale en prairies et pâtures per- nario. La surface mondiale en prairies manentes sur la planète est en revanche
manentes augmente également dans et pâtures permanentes augmente beaucoup plus limitée dans le scénario
la plupart des scénarios. Cette dernière également significativement dans le Régimes sains, notamment dans sa
s’accroît considérablement dans le scé- scénario Régionalisation, notamment variante C (+ 85 millions d’hectares ou
nario Communautés_EFF (+ 1,5 milliard dans sa variante B (+ 517 millions d’hec- + 2,5 %), tandis que leur surface dimi-
d’hectares ou + 43,5 %), qui implique tares ou + 15,5 %), en partie parce que nue dans les scénarios Métropolisation_
une détérioration de la productivité les régimes alimentaires ­traditionnels, Ultrap et Communautés_AE.

Tableau 2. Conséquences des scénarios sur l’usage des terres au niveau mondial (Millions d’hectares).

Surface en cultures
Surface agricole Surface en prairies
arables et
totale et pâtures permanentes
permanentes

Métropolisation
Métropolisation_Ultrap – 54 (– 1 %) + 243 (+ 16 %) – 297 (– 9 %)
Métropolisation_Animp + 1 318 (+ 27  %) + 620 (+ 40  %)  + 698 (+  21 %)

Régionalisation
Régionalisation_A + 249 (+ 5 %) + 70 (+ 4,5 %) + 179 (+ 5,5 %)
Régionalisation_B + 691 (+ 14 %) + 174 (+ 11 %) + 517 (+ 15,5 %)

Régimes sains
Régimes sains_C + 29 (+ 0,6) – 56 (– 4 %) + 85 (+ 2,5 %)
Régimes sains_D + 269 (+ 5,5 %) + 50 (+ 3 %) + 219 (+ 6,5 %)

Communautés
Communautés_AE + 142 (+ 3 %) + 277 (+ 18 %) – 135 (– 4 %)
Communautés_EFF + 2 013 (+ 41 %) + 555 (+ 36 %) + 1 458 (+ 43,5 %)

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


102 / Chantal le mouël, Olivier mora

b. Une voie étroite pour cet objectif : Régionalisation et Ménages. Le scénario Régionalisation remet en
assurer l’approvisionnement Seul le scénario Régimes sains pourrait cause la dynamique actuelle de conver-
d’une population mondiale permettre d’assurer durablement la gence des régimes alimentaires de par
grandissante sans pressions sécurité alimentaire mondiale en 2050. le monde vers le régime dit occidental,
supplémentaires sur la forêt i.e. riche en énergie, en calories d’ori-
Au total, seuls les scénarios Le scénario Métropolisation est celui gine animale, en huiles végétales et en
Métropolisation_Ultrap et Régimes qui contribue le plus à la surnutrition sucre, et laissant une part décroissante
sains_C permettraient de produire et à l’accroissement de la prévalence aux céréales, légumineuses et racines
suffisamment de biomasse agricole des maladies liées à l’alimentation (dia- et tubercules. De ce point de vue,
pour nourrir une population mondiale bètes de type 2, maladies cardio-vas- Régionalisation contribue à accroître
croissante sans étendre la surface agri- culaires, certains cancers) et à l’obésité. la diversité inter-régionale des régimes
cole mondiale au détriment de la forêt. Concernant la sous-nutrition, bien alimentaires, à lutter contre la diffusion
Dans tous les autres scénarios, assurer que le scénario Métropolisation soit des produits ultra-transformés, condui-
la disponibilité alimentaire mondiale porté par une croissance économique sant ainsi à réduire la surnutrition et la
nécessite d’étendre la surface agricole soutenue favorable aux revenus des prévalence des maladies liées à l’alimen-
au niveau mondial, augmentant ainsi ménages, ce qui peut améliorer leur tation. De plus, les interactions étroites
le risque de déforestation. Dans cer- accès à l’alimentation et contribuer à entre campagnes et villes peuvent per-
tains cas, l’expansion des terres agri- réduire la sous-nutrition, ce scénario mettre de développer l’emploi et les
coles estimée en 2050 est telle que les conduit à une augmentation des iné- revenus dans les zones rurales et d’amé-
scénarios correspondants semblent galités économiques et spatiales et à la liorer l’accès à l’alimentation des popu-
difficilement soutenables. C’est le cas marginalisation d’une large frange de lations rurales. Cependant, les effets de
des scénarios Métropolisation_Animp la population rurale et urbaine ayant ce scénario sont variables suivant les
et Communautés_EFF. Mais l’on peut un accès limité à l’alimentation. Ceci est régions du monde, certaines régions
s’interroger également sur la soutena- amplifié par une instabilité des condi- restant très dépendantes des marchés
bilité du scénario Régionalisation qui tions de production agricole liée au fort internationaux pour leur approvision-
implique d’étendre significativement changement climatique, caractérisant nement alimentaire.
la surface agricole mondiale à l’horizon ce scénario, et au processus de spécia-
2050 : de + 249 (+ 5 %) à + 691 (+ 14 %) lisation et de concentration régionale Du point de vue de la sécurité ali-
millions d’hectares pour les variantes des agricultures, qui joue dans le sens mentaire et nutritionnelle, le scéna-
technologiques A et B respectivement. d’un accroissement de la volatilité des rio Ménages emprunte des éléments
Bien que moins exigeant que le scéna- prix sur les marchés mondiaux agri- aux deux scénarios Régimes sains et
rio Régionalisation_B en termes d’ex- coles, allant à l’encontre de la dimen- Régionalisation. Mais, tandis que dans
pansion des terres agricoles au niveau sion stabilité de la sécurité alimentaire. Régimes sains et Régionalisation, les
mondial, le scénario Régimes sains dans changements sont accompagnés par
sa variante technologique D (+ 269 mil- À l’opposé, Régimes sains est le scé- une régulation étatique forte, dans le
lions d’hectares ou + 5,5 %) pose éga- nario qui contribue le plus à la sécurité scénario Ménages, ils sont impulsés par
lement question dans la mesure où il alimentaire et nutritionnelle en rédui- des groupes de consommateurs et de
porte des objectifs ambitieux d’atté- sant la surnutrition, la sous-nutrition citoyens. Du point de vue de l’accès à
nuation du changement climatique. et les carences nutritionnelles par l’alimentation, la dynamique portée par
une diversification des aliments. Dans le scénario Ménages d’accentuation de
„„2.3. Les conséquences ce scénario en effet, les régimes ali- la mobilité facilitant la pluriactivité et
des scénarios d’Agrimonde- mentaires des régions développées et la diversification des sources de revenu
Terra en termes de sécurité émergentes tendent à être moins riches (emplois agricoles et non-agricoles dans
alimentaire en calories, moins riches en calories les zones rurales et urbaines) joue dans
d’origine animale, en sucres, en huiles le sens d’une amélioration de l’accès à
Pour compléter l’image des usages végétales et en produits ultra-transfor- l’alimentation. Cependant le risque n’est
des terres en 2050, une analyse quali- més et plus diversifiés, avec une part pas exclu, dans ce scénario de mobi-
tative des conséquences des scénarios plus importantes de fruits et légumes, lité et de transformation des styles de
en termes de sécurité alimentaire a été de légumineuses et de céréales secon- vie, que les produits ultra-transformés
menée. L’image de la sécurité alimen- daires. Dans les régions en développe- continuent de se diffuser et finissent
taire en 2050 des scénarios est détaillée ment où les régimes alimentaires sont par compter pour une part significative
ci-dessous. initialement les plus pauvres en éner- des régimes alimentaires, générant un
gie (Inde et Afrique de l’Est, du Centre développement des maladies liées à
Deux scénarios sont clairement inca- et du Sud), le scénario Régimes sains l’alimentation.
pables d’assurer durablement la sécu- implique une augmentation de leur
rité alimentaire mondiale à l’horizon contenu calorique et un accroissement La sécurité alimentaire et nutrition-
2050. Il s’agit de Métropolisation et de la part des calories d’origine animale nelle dans le scénario Communautés est
Communautés. Deux autres scénarios pour atteindre une sécurité alimentaire tributaire de crises multiples et d’une
ont des résultats ambigus vis-à-vis de et nutritionnelle. croissance économique faible et défa-

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Productions animales, usage des terres et sécurité alimentaire en 2050 : l’éclairage de la prospective Agrimonde-Terra / 103

vorable aux revenus des ménages. Ces l’évolution des systèmes d’élevage et de (figure 3.b illustrant le cas de l’Afrique
derniers voient, en moyenne, leur accès leur productivité. de l’Est, du Centre et du Sud -ECS).
à l’alimentation se dégrader. En outre,
le contexte de crise environnementale „„3.1. Une consommation De manière très générale, et en
et climatique entraîne une stagnation mondiale de produits accord avec les évolutions des régimes
voire une instabilité des performances animaux qui augmente alimentaires et des chaînes de valeur
des systèmes de production agricoles dans tous les scénarios telles que décrites dans les récits des
de par le monde. Dans ce contexte, les scénarios, l’hypothèse Ultrap conduit
régimes alimentaires deviennent moins a. Quatre hypothèses à un régime en 2050 riche en kcal par
riches en énergie, ce qui va dans le sens d’évolution des régimes habitant et par jour, présentant des
d’une réduction de la surnutrition et de alimentaires à 2050 parts élevées d’huiles végétales et de
la prévalence des maladies liées à l’ali- qui contrastent la place sucre et intégrant, au sein des viandes,
mentation dans les pays développés des produits animaux, dans un mouvement significatif de subs-
et certains pays émergents, mais joue le temps et dans l’espace titution de la viande de volaille aux
surtout à l’inverse dans le sens d’une Les scénarios d’Agrimonde-Terra uti- viandes de ruminants. L’hypothèse
accentuation de la sous-nutrition dans lisent quatre hypothèses d’évolution Animp conduit également à un régime
les pays en développement. alternative à 2050 des régimes alimen- à haute teneur en énergie, mais cette
taires : Transition vers des régimes à base fois avec une part très élevée de calo-
de produits ultra-transformés (Ultrap) ; ries d’origine animale, en particulier de
3. Les enjeux des scénarios Transition vers des régimes à base de viande. Au sein des viandes, la volaille
d’Agrimonde-Terra produits animaux (Animp) ; Diversité se substitue également aux viandes de
pour les productions régionale des régimes et des systèmes ruminants mais dans une bien moindre
animales au travers alimentaires (Régional) ; Régimes sains mesure que sous l’hypothèse précé-
de l’analyse quantitative basés sur une diversité alimentaires dente. L’hypothèse Régional marque
(Sain)3. Pour simuler les conséquences un retour vers les régimes alimentaires
des scénarios d’Agrimonde-Terra en traditionnels des différentes régions.
La quantification des hypothèses termes d’usage des terres, ces quatre Globalement, ceci se traduit par des
d’évolution à 2050 des déterminants du hypothèses ont été quantifiées selon régimes alimentaires un peu moins
système, réalisée dans le cadre de l’ana- des règles générales appliquées à riches en énergie, avec une part élevée
lyse quantitative d’Agrimonde-Terra, toutes les régions considérées. Il en de racines et tubercules et une part plu-
permet d’éclairer plus spécifiquement résulte quatre régimes alimentaires tôt faible d’huiles végétales. Au sein des
les enjeux des scénarios pour les pro- en 2050, contrastés en moyenne mon- viandes, l’hypothèse Régional se traduit
ductions animales. diale4. Le contraste entre les régimes par une place réduite de la viande de
en 2050 s’atténue nettement lorsque volaille au profit des viandes de rumi-
Les hypothèses d’évolution des les règles générales sont appliquées nants. Pour les régions traditionnelle-
régimes alimentaires combinées aux aux régions développées et émer- ment tournées vers la viande de petits
hypothèses d’évolution démogra- gentes, qui se situent dans des phases ruminants (comme l’Afrique du Nord
phique, adoptées dans les différents avancées de la transition alimentaire et par exemple), l’hypothèse Régional
scénarios d’Agrimonde-Terra, déter- nutritionnelle (cf. figure 3.a illustrant le marque le retour de cette viande qui
minent la consommation de produits cas de l’UE). Dans ce cas, seule l’hypo- tendait à disparaître progressivement
agricoles et alimentaires en 2050 au thèse Sain conduit à un régime signifi- des régimes. Enfin, sous l’hypothèse
niveau global et dans les différentes cativement différent de ceux résultant Sain, les régimes en 2050 sont signi-
régions du monde. Dans un premier des trois autres hypothèses d’évolu- ficativement moins riches en kcal par
temps nous analysons les enjeux des tion. En revanche le contraste entre les habitant et par jour, ils contiennent des
scénarios du point de vue de la consom- régimes en 2050 est très fortement mar- parts élevées de céréales secondaires,
mation mondiale et régionale de pro- qué lorsque les règles générales sont de fruits et légumes et de légumineuses
duits animaux en 2050. Les hypothèses appliquées aux régions en développe- et des parts faibles d’huiles végétales
d’évolution des systèmes d’élevage ment, qui en sont au tout début de la et de sucre. Au sein des viandes, l’hy-
combinées aux hypothèses d’évolu- transition alimentaire et nutritionnelle pothèse Sain implique une substitution
tion des systèmes de culture, adoptées partielle de la viande par des protéines
dans les différents scénarios d’Agri- végétales (légumineuses) et une subs-
monde-Terra, déterminent la capacité titution de la viande de volaille aux
des systèmes de production agricoles 3  Ces hypothèses sont décrites en détail dans viandes de ruminants, pour répondre
à répondre aux besoins alimentaires Mora (2018b). au double-objectif d’amélioration de
mondiaux et régionaux, étant donné les 4 Les règles de quantification des régimes la nutrition et de réduction des émis-
terres disponibles dans les différentes alimentaires sous les quatre hypothèses d’évolution sions de gaz à effet de serre porté par le
alternative sont présentées dans Le Mouël et
régions. Dans un second temps, nous Marajo-Petitzon (2018), ainsi que les régimes
scénario Régimes sains qui utilise cette
examinons les enjeux des scénarios correspondants en 2050, en moyenne mondiale hypothèse d’évolution des régimes
d’Agrimonde-Terra du point de vue de et dans les différentes régions du monde. alimentaires.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


104 / Chantal le mouël, Olivier mora

Figure 3. Les régimes alimentaires dans la situation initiale de 2010 et en 2050 voient leurs régimes devenir plus riches
dans l’UE27 (a) et en Afrique de l’Est, du Centre et du Sud (b) sous les quatre en produits animaux, ces derniers
hypothèses d’évolution alternative (kcal/hab/j) (Source : Le Mouël et al., 2018a).
occupant initialement une part parti-
a) 3336 3336 3336 3000
culièrement faible. En d’autres termes,
3 500 3336
Agrimonde-Terra suppose que des
régimes sains et diversifiés requièrent,
3 000 dans certaines régions en développe-
ment, une augmentation du contenu
énergétique et du contenu en produits
2 500
animaux des régimes actuels.
kcal/hab/jour

2 000 b. Des niveaux


de consommation mondiale
1 500 et régionale de produits
animaux très différenciés
d’un scénario à l’autre
1 000 Dans chaque scénario d’Agri-
monde-Terra l’hypothèse d’évolution
500
des régimes alimentaires est combinée
à une hypothèse d’évolution démo-
graphique5. Il en résulte un niveau de
0
consommation humaine en 2050 de
Initial Ultrap Animap Régional Sain
chaque produit, pour chacune des 14
b)
régions considérées et pour le monde
3 500 dans son ensemble, propre à chaque
2225 3000 3000 2500 2750
scénario. Le graphique 4 rapporte les
3 000 niveaux de consommation mondiale
en 2050 des viandes (4.a) et de l’agré-
gat lait/œufs (4.b) correspondant à
2 500
chaque scénario6. À titre de comparai-
kcal/hab/jour

son, le graphique 4 fournit également


2 000 les quantités correspondantes proje-
tées par la FAO, issues de Alexandratos
et Bruinsma (2012), projections qui
1 500
supposent la poursuite des tendances
actuelles et qui sont largement utili-
1 000 sées et citées dans les travaux centrés
sur des scénarios globaux (Le Mouël et
500 Forslund, 2017).

0 5  Les scénarios d’Agrimonde-Terra utilisent une


Initial Ultrap Animap Régional Sain seule hypothèse d’évolution démographique
à 2050 : la projection médiane de l’ONU
(Organisation des Nations-Unies, révision 2015).
Viande Lait et oeufs Produits animaux aquatiques Légumineuses Selon cette projection, la population mondiale
Maïs, Riz, Blé Autres céréales Fruits et légumes Racines et Tubercules s’établirait à 9,7 milliards d’individus en 2050,
avec des évolutions régionales allant d’une quasi-
Sucre et édulcorants Huiles végétales Autres
stabilité dans l’Union européenne (UE), l’ex-URSS
et en Chine, à une croissance très rapide en Afrique
de l’Ouest, en Afrique ECS (+ 192 % et + 155 %,
La comparaison des figures 3.a et 3.b la part des calories d’origine animale respectivement, entre 2010 et 2050), en Afrique
fait apparaître une différence essen- dans les régimes des régions dévelop- du Nord et au Proche et Moyen-Orient (+ 72 et
+ 70 %, respectivement) et, dans une moindre
tielle sur l’évolution de la place des pées et émergentes, elles aboutissent mesure, en Inde (+ 45 %).
produits animaux dans les régimes à une augmentation de cette part dans 6  Seules les variantes Ultrap et Animp du scénario
alimentaires entre les régions déve- les régimes des régions en développe- Métropolisation sont différenciées en termes de
loppées et émergentes et les régions ment. Ainsi, même sous l’hypothèse régime alimentaire. Les variantes A, B, C, D, EFF et
en développement : tandis que les Sain, qui limite la part des calories ani- AE étant des variantes technologiques, elles ne
différencient pas les scénarios Régionalisation,
quatre hypothèses d’évolution alter- males, mais en garantissant une part Régimes sains et Communautés auxquels elles
native des régimes conduisent à une minimum de produits riches en pro- sont accolées du point de vue de la consommation
stabilisation ou à une diminution de téines, les régions en ­développement de produits animaux.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Productions animales, usage des terres et sécurité alimentaire en 2050 : l’éclairage de la prospective Agrimonde-Terra / 105

Figure 4. Consommation humaine mondiale de produits animaux en 2010 et dans les scénarios Régimes sains et
en 2050 dans les projections de la FAO et dans les différents scénarios d’Agri- Communautés. Le contraste entre scé-
monde-Terra (millions de tonnes) (Source : GlobAgri-AgT et de Alexandratos et
narios est particulièrement marqué
Bruinsma (2012) pour les projections de la FAO).
pour la viande de volaille, en partie du
300 fait du processus de substitution de ce
Millions tonnes

250 type de viande aux viandes de rumi-


nants, qui vient s’ajouter aux autres
200
facteurs d’évolution, dans les scénarios
150 Métropolisation et Régimes sains.
100
50 Les projections de la FAO se placent
0 entre nos deux variantes du scénario
Viande bovine Viande Viande Viande Métropolisation et bien au-dessus de
de petits ruminants de porc de volaille nos trois autres scénarios. Ceci suggère
1400 que notre scénario Métropolisation
Millions tonnes

1200 se situe bien dans une optique de


poursuite des tendances actuelles en
1000
termes de transition nutritionnelle et
800
alimentaire, avec une variante Animp
600 qui constitue une hypothèse notable-
400 ment haute pour la place des produits
200 animaux dans les régimes.
0
Lait et œufs
Au total, la consommation de pro-
duits animaux augmentant signi-
Initial FAO Métropolisation_Ultrap Régionalisation_A ficativement dans les régions en
Métropolisation_Animp Régimes sains_C Communautés_AE développement pour tous les scéna-
rios d’Agrimonde-Terra, c’est l’un des
facteurs qui conduit à une expansion
Sous nos hypothèses, la consomma- des régimes alimentaires en kcal par de la surface agricole mondiale dans la
tion mondiale de viande et de lait et habitant et par jour et en produits ani- plupart de ces scénarios, d’autant que
œufs augmente entre 2010 et 2050 dans maux, allié à la croissance démogra- la productivité de l’élevage est parti-
tous les scénarios, y compris dans le scé- phique très rapide dans les régions en culièrement faible dans ces régions en
nario Régimes sains. L’hypothèse que développement, compense largement développement.
nous avons posée selon laquelle des la stagnation ou l’appauvrissement des
régimes sains et diversifiés requièrent régimes en kcal par habitant et par jour „„3.2. Des systèmes
une augmentation du contenu éner- et en produits animaux, associée à la de production animale
gétique et du contenu en produits quasi-stagnation de la population dans qui restent gourmands
animaux des régimes actuels dans les les régions développées et émergentes. en terre dans les régions
régions en développement, alliée à Il est à noter qu’au sein du groupe des en développement
l’hypothèse démographique, révèle viandes, la viande de porc fait excep-
ici toute son importance. En effet, les tion puisque sa consommation mon- a. Trois hypothèses d’évolution
régions dont les régimes alimentaires diale diminue dans le scénario Régimes des systèmes d’élevage
sont actuellement les plus pauvres en sains : la viande de porc étant absente à 2050 qui contrastent peu
produits animaux (Afrique de l’Ouest, des régimes alimentaires dans les pays les évolutions des efficiences
Afrique ECS et Inde) sont les régions du musulmans, sa consommation ne réa- des rations animales
monde qui vont connaître la plus forte git pas à la croissance démographique dans le temps
croissance de population d’ici 2050, de d’une part significative de la population Les scénarios d’Agrimonde-Terra
+ 1,9 milliard (ce qui représente 64 % mondiale. utilisent cinq hypothèses d’évolution
de la croissance de la population mon- alternative à 2050 des systèmes d’éle-
diale). À l’inverse, les régions dévelop- Les scénarios d’Agrimonde-Terra vage : Élevage conventionnel intensif
pées et émergentes (Canada/USA, UE impliquent des niveaux de consom- (Intensif) ; Élevage conventionnel inten-
27, Océanie, ex-URSS, Brésil/Argentine mation mondiale de produits animaux sif avec ressources locales (Intensif_
et Chine), dont les régimes actuels sont en 2050 très contrastés. La consom- Local) ; Élevage agroécologique en
les plus riches en produits animaux, ne mation mondiale est particulièrement synergie avec l’agriculture ou l’urba-
verraient leur population augmenter élevée dans le scénario Métropolisation_ nisation (Agroécologique) ; Élevage
que de 180 millions d’individus au total. Animp, elle est intermédiaire dans les de Basse-cour (Basse-cour) ; Élevage
Le graphique 4 suggère que dans le scé- scénarios Métropolisation_Ultrap et minimisant la concurrence pour la
nario Régimes sains ­l’enrichissement Régionalisation, et elle est plus faible terre avec l’agriculture (Élevage sur

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


106 / Chantal le mouël, Olivier mora

­ arginales ou Rationalisation)7.
terres m Figure 5. Coefficients inputs/outputs en 2010 et en 2050 pour la viande bovine
L’analyse quantitative n’a retenu que (a)*, le lait (b) et la viande de volaille (c) sous les trois hypothèses d’évolution
alternative (kg de matière sèche d’aliment par kg de produit animal produit, poids
les quatre premières hypothèses, qui se
équivalent carcasse pour les viandes) (Source : calculé à partir de GlobAgri-AgT).
réduisent à trois si l’on considère que
l’hypothèse Intensif-local n’est qu’une a)*
variante de l’hypothèse Intensif où l’on 160

kg matière sèche ingérée/kg


remplace, dans la mesure du possible, 140

output produit animal


les ingrédients importés par des ingré-
120
dients domestiques dans les rations.
100
Comme dans le cas précédent des 80
régimes alimentaires, les trois hypo-
60
thèses d’évolution des systèmes d’éle-
vage ont été quantifiées selon des 40
règles générales appliquées à toutes 20
les régions considérées8. Il en résulte
trois profils d’évolution des perfor- 0
mances techniques (ici mesurées par

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27

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les coefficients inputs/outputs, quan-

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tité d’aliments ingérée par quantité de

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Ca

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Re
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produit animal produit) peu contras-


tés dans chaque région et assez peu
différenciés entre régions, exception b) 20
faite de certaines régions en déve- 18
kg matière sèche ingérée/kg

loppement, notamment l’Afrique de 16


output produit animal

l’Ouest et l’Afrique ECS qui présentent 14


des élevages peu efficients pour trans- 12
former les rations animales. La figure 5 10
présente les coefficients « inputs/out- 8
puts » par secteur dans la situation 6
initiale 2010 et en 2050 sous les trois 4
hypothèses d’évolution des systèmes 2
d’élevage, pour la viande bovine (5.a), 0
le lait (5.b) et la viande de volaille (5.c).

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graphique. Tout d’abord, il existe en


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Af

2010 des écarts importants de per-


c)
formance technique des systèmes
d’élevage entre régions, en particulier 25
entre régions développées et régions
kg matière sèche ingérée/kg

en développement. En second lieu, 20


output produit animal

les règles générales adoptées pour


quantifier les hypothèses d’évolution 15
à 2050 différencient assez peu les
coefficients inputs/outputs des sec- 10
teurs de l’élevage, obtenus en 2050
sous chaque hypothèse dans chaque
5

7  Ces hypothèses sont décrites en détail dans 0


st

Manceron et al. (2018).


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8 Les règles de quantification concernent


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pour chaque secteur de production animale,


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l’évolution des parts des différents systèmes en


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présence dans la production totale du secteur et


l’évolution des coefficients inputs/outputs de ces Initial Intensif conventionnel Agroécologique Basse-cour
différents systèmes, sous chacune des hypothèses
d’évolution à 2050. Ces règles sont décrites en * Inde et Afrique de l’Ouest absentes du fait du niveau initial élevé de leurs coefficients inputs/outputs
détail, ainsi que les données initiales, dans Le (respectivement, 639 et 369) qui posent un problème d’échelle pour le graphique.
Mouël et Marajo-Petitzon (2018).

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Productions animales, usage des terres et sécurité alimentaire en 2050 : l’éclairage de la prospective Agrimonde-Terra / 107

région : les élevages sont plus perfor- Figure 6. Surface agricole totale des différentes régions en 2010 et en 2050 à
mants techniquement en 2050 sous l’issue des scénarios d’Agrimonde-Terra (millions d’hectares) (Source : Le Mouël
et al., 2018a).
l’hypothèse d’intensification conven-
tionnelle, tandis que les performances 1600
tendent plutôt à stagner sous l’hy-
1400

Millions d’hectares
pothèse d’élevage agroécologique
et à stagner ou à se détériorer sous 1200
l’hypothèse d’élevage en basse-cour. 1000
Enfin, nos règles générales de quan- 800
tification, qui s’appuient sur les pro- 600
jections de Bouwman et al. (2005)9,
400
prolongées à 2050, conduisent à des
perspectives d’amélioration assez 200
limitée des performances techniques 0

st
riq e
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des élevages, excepté pour l’Afrique

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de l’Ouest, l’Afrique ECS, l’Inde et le

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Reste de l’Asie en ce qui concerne les

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secteurs de ruminants. Soulignons

Af
que pour l’Afrique de l’Ouest (respec- Initial Métropolisation_Ultrap Métropolisation_Animp
tivement, l’Inde), nos données initiales Régionalisation_A Régionalisation_B Régimes sains_C
conduisent à des coefficients inputs/
Régimes sains_D Communautés_AE Communautés_EFF
outputs particulièrement élevés pour
les secteurs des ruminants (respec-
tivement, le secteur de la viande gain de productivité des systèmes de cette région parvenait à accroître plus
bovine), ce qui pose question et nous production agricole n’est jamais suffi- rapidement la productivité de ses sys-
a conduits à amplifier la réduction des sant pour compenser le supplément tèmes de production agricole, en par-
coefficients inputs/outputs correspon- de surface qu’induit la croissance de ticulier de ses systèmes d’élevage. La
dants par rapport aux projections de la consommation alimentaire. Ainsi, la marge et le rythme possibles de cette
Bouwman, pour tenter de corriger ce figure 6 montre que la surface agricole productivité reste toutefois une ques-
biais potentiel initial. Le même ajus- s’étend significativement en Afrique tion ouverte.
tement a été appliqué à l’Afrique ECS ECS, en Afrique de l’Ouest et en Inde
(respectivement, au Reste de l’Asie) quel que soit le scénario, ce qui n’est c. Des hypothèses fragiles :
pour ne pas générer en 2050 un écart pas le cas dans les autres régions. En données initiales
artificiel entre les performances tech- outre, l’Afrique de l’Ouest et plus encore et potentiel de productivité
niques d’un secteur dans deux régions l’Afrique ECS sont, de loin, les premières des productions animales
d’un même continent. régions contributrices à l’expansion de incertaines dans les régions
la surface agricole mondiale en 2050. en développement
b. Accroître la productivité Si cette expansion des surfaces agri- L’analyse quantitative des scénarios
des productions animales coles se fait au détriment de la forêt, d’Agrimonde-Terra s’est heurtée à deux
en Afrique sub-Saharienne nos résultats suggèrent que, sous nos difficultés majeures en ce qui concerne
constituerait un levier hypothèses, la plupart des scénarios les systèmes d’élevage : la disponibi-
important pour réduire d’Agrimonde-Terra ne sont pas sou- lité et la qualité des données initiales
l’expansion de la surface tenables pour l’ensemble de l’Afrique d’une part, la traduction des hypo-
agricole mondiale en 2050 sub-Saharienne. thèses d’évolution à 2050 des systèmes
Dans la plupart des scénarios d’Agri- d’élevage en hypothèses quantitatives
monde-Terra, les performances tech- Même le scénario Régimes sains pouvant être traitées par le modèle
niques des systèmes d’élevage (et des entraînerait une expansion significa- GlobAgri-AgT, d’autre part.
systèmes de culture) s’améliorent dans tive de la surface agricole en Afrique
les régions en développement à l’ho- sub-Saharienne. Cette expansion serait GlobAgri-AgT utilise les données
rizon 2050. Dans le cas de l’Inde, de compensée par une diminution de la FAOStat. Cette base de données ne
l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique ECS, surface agricole dans d’autres parties fournit que les quantités totales des
sous nos hypothèses quantitatives, du globe si bien qu’au niveau global le différents ingrédients consommés
l’économie de surface que permet le scénario Régimes sains serait en mesure par les animaux. Or, pour GlobAgri-
d’assurer la disponibilité alimentaire AgT nous avons besoin de répartir les
globale en 2050 sans accroître la surface quantités totales consommées entre
9 Bouwman et al. (2005) fournit des projections agricole mondiale. Toutefois, même espèces, puis pour chaque espèce,
sur la période 1995-2005. A. Bouwman a actualisé
ce travail sur la période 2000-2030 et nous a
dans ce scénario, les risques de défo- entre systèmes d’élevage. Il existe
aimablement fourni ses nouvelles projections. restation en Afrique sub-Saharienne peu de travaux permettant de réaliser
Qu’il en soit ici sincèrement remercié. existent. Ils pourraient être atténués si cette répartition à l’échelle mondiale.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


108 / Chantal le mouël, Olivier mora

Pour ­GlobAgri-AgT, nous avons utilisé « pâtures et prairies permanentes » de maux et du côté de l’offre de produits
les travaux de Bouwman et al. (2005) FAOStat recouvre des types de pâture végétaux et animaux, mais en appor-
et Herrero et al. (2013). L’aggrégation très différentes d’une région à l’autre : tant quelques nuances, notamment en
des rations animales par système et des zones désertiques jusqu’aux prai- insistant sur le rôle de la production
par espèce, issues de ces travaux ne ries les plus fertiles. Il y a là également animale pour la sécurité alimentaire
concorde pas toujours avec les quan- une source de biais et d’incertitude dans certaines régions en développe-
tités correspondantes fournies par dans les données initiales. ment où les apports protéiques quo-
la base de données FAOStat. Et il est tidiens sont particulièrement faibles
nécessaire de procéder à différents Enfin, nous avons rencontré une aujourd’hui. Ainsi, les hypothèses
types d’ajustements et de rééchelon- grande difficulté à quantifier les hypo- d’Agrimonde-Terra conduisent, quel
nements pour harmoniser les diffé- thèses d’évolution alternative à 2050 que soit le scénario, à une expansion
rentes sources. Ce faisant, on introduit des systèmes d’élevage. Il existe peu significative de la surface agricole dans
des biais et de l’incertitude sur les don- de littérature fournissant, sur une large certaines régions en développement,
nées initiales utilisées. Comme men- échelle géographique, des indications en particulier en Afrique sub-saha-
tionné précédemment, nous avons quantitatives sur les performances rienne. Une évolution plus optimiste
constaté par exemple un niveau très techniques comparées de différents de la productivité des systèmes de
élevé des coefficients inputs/outputs systèmes d’élevage dans les différents production agricole dans cette région
pour le secteur de la viande bovine secteurs de production animale et sur du monde permettrait d’atténuer cette
en Inde et pour les secteurs de rumi- leurs potentialités d’évolution dans le expansion. L’accroissement des impor-
nants en Afrique de l’Ouest. Dans les futur. Ceci est particulièrement vrai tations de produits animaux en prove-
deux cas, ces niveaux élevés peuvent pour les régions en développement nance de régions qui les produisent
provenir d’un biais dans les données pour lesquelles nous faisons face à en utilisant moins de terre constitue
initiales et/ou résulter des traitements des données et des connaissances limi- un autre levier possible. Un tel levier
visant à harmoniser les différentes tées sur les systèmes d’élevage. C’est modifierait les perspectives d’évo-
sources. Mais dans les deux cas éga- un enjeu fort pour l’avenir de l’usage lution des marchés à l’exportation
lement, ils peuvent aussi révéler des des terres et de la sécurité alimen- pour les régions développées, comme
finalités des activités d’élevage qui taire globale car les résultats d’Agri- l’Union européenne, pour lesquelles la
sont différentes dans ces régions rela- monde-Terra montrent clairement que transition vers des systèmes alimen-
tivement à d’autres régions du monde ces régions présentent un potentiel taires plus durables se traduit, dans les
qui cantonnent l’animal à sa fonction fort de croissance de la consomma- scénarios d’Agrimonde-Terra, par une
de rente. En Afrique sub-Saharienne tion de produits animaux alors que contraction des débouchés intérieurs.
par exemple, l’élevage a fréquemment leurs systèmes d’élevage semblent très
une fonction d’épargne ; il a aussi une gourmands en terre. Les résultats quantitatifs d’Agri-
dimension sociale, culturelle, symbo- monde-Terra doivent être considérés
lique (Alary et al., 2011). Bien sûr, l’incertitude sur les données avec prudence car ils sont contingents
et sur les performances futures des à un certain nombre de limites de l’ana-
Par ailleurs, il n’y a pas de données systèmes d’élevage dans les régions en lyse. Parmi celles-ci, la première porte
sur les quantités d’herbe consommées développement militent pour la mise sur la fragilité des hypothèses d’évolu-
par les animaux dans la base FAOStat, en œuvre d’une analyse de sensibilité tion des performances des systèmes
cette dernière ne fournissant que la des résultats d’Agrimonde-Terra aux d’élevage à l’horizon 2050, particuliè-
surface en prairies et pâtures perma- hypothèses d’évolution des produc- rement dans les régions en développe-
nentes par pays. Pour GlobAgri-AgT, tions animales dans les différents scé- ment. Les systèmes d’élevage et leurs
nous avons donc utilisé les quantités narios. Une telle analyse de sensibilité performances actuelles et potentielles
d’herbe figurant dans les rations par reste à mener. sont mal connus dans ces régions et
système et par espèce des travaux de des travaux complémentaires sur ce
Bouwman et al. (2005) et Herrero et al. thème sont clairement nécessaires. La
(2013). Toutefois, lorsque l’on agrège
Conclusion seconde limite résulte du choix d’Agri-
ces quantités et qu’on les rapporte aux monde-Terra de ne pas faire d’hypo-
surfaces classées comme « pâtures et Les résultats d’Agrimonde-Terra thèse sur l’évolution à 2050 de la place
prairies permanente » dans la base de confirment le rôle majeur des produc- des produits animaux aquatiques dans
données FAOStat, on s’aperçoit que la tions animales pour l’usage des terres les régimes alimentaires d’une part,
productivité en herbe révélée de ces et la sécurité alimentaire en 2050. Ils des performances de leurs systèmes
surfaces est très hétérogène dans l’es- montrent qu’une transition vers des de production de par le monde d’autre
pace. Outre le fait que cette producti- systèmes alimentaires plus durables part. Des travaux complémentaires sur
vité est très mal connue à une échelle nécessitera d’agir simultanément du ce point enrichiraient certainement
globale, ceci suggère que la catégorie côté de la demande de produits ani- l’analyse.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Productions animales, usage des terres et sécurité alimentaire en 2050 : l’éclairage de la prospective Agrimonde-Terra / 109

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Résumé
Les scénarios d’usage des terres et de sécurité alimentaire en 2050, issus de la prospective Agrimonde-Terra, offrent l’opportunité de
réexaminer les termes du débat sur la place des productions animales dans l’usage des terres et la sécurité alimentaire, et par suite
sur leur rôle au regard de l’avenir des systèmes alimentaires globaux. Les résultats d’Agrimonde-Terra confirment le rôle majeur des
productions animales pour l’usage des terres et la sécurité alimentaire en 2050. Agrimonde-Terra conclut qu’une transition vers des
systèmes alimentaires plus durables nécessitera d’agir simultanément du côté de la demande de produits animaux et du côté de
l’offre de produits végétaux et animaux, mais en apportant quelques nuances, notamment en insistant sur le rôle de la production
animale pour la sécurité alimentaire dans les pays en développement. Ainsi, les hypothèses d’Agrimonde-Terra conduisent, quel
que soit le scénario, à une expansion significative de la surface agricole dans certaines régions en développement, en particulier en
Afrique sub-saharienne.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


110 / Chantal le mouël, Olivier mora

Abstract
Livestock, land use and food security in 2050: Insights from the Agrimonde-Terra foresight
Agrimonde-Terra scenarios of land use and food security in 2050 offer the opportunity to re-examine the on-going debate on the place of animal
production in land use and food security, and as a result, of their role in the future of global food systems. The results of Agrimonde-Terra confirm
the major role of animal production for land use and food security in 2050. Agrimonde-Terra concludes that a transition to more sustainable
food systems will require simultaneous action on the demand side of animal products and on the supply side of plant and animal products, but
with some nuances notably the role of animal production for food security in developing countries. Thus, under Agrimonde-Terra’s hypotheses all
scenarios lead to a significant expansion of agricultural land area in developing regions, especially in Sub-Saharan Africa.

LE MOUËL C., MORA O., 2019. Productions animales, usage des terres et sécurité alimentaire en 2050 : l’éclairage de la prospective
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https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2508

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’internationalisation des marchés INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 111-130

en productions animales
Vincent Chatellier
UMR SMART-LERECO, INRA, 44000, Nantes, France
Courriel : vincent.chatellier@inra.fr

„„ L’internationalisation des marchés de productions animales a pris récemment une nouvelle dimension avec
l’augmentation rapide des importations des pays asiatiques, surtout de la Chine. La concurrence entre les grands
pays exportateurs est certes rude, mais l’UE parvient à tirer son épingle du jeu dans les secteurs des produits
laitiers et de la viande porcine.

Introduction 2008 (Bricongne et al., 2010), le taux dont les prix sont plus élevés que les
annuel de croissance du commerce produits bruts correspondants. Dans
de marchandises a été plus élevé que de nombreux pays, richement dotés
Le commerce international s’est celui du produit intérieur brut mondial, en ressources naturelles et peu peu-
fortement développé au cours des avec cependant une plus forte volatilité plés, les exportations agroalimentaires
dernières décennies, tant en volume interannuelle. Depuis 2010, le taux de contribuent activement à la balance
qu’en valeur (Bureau et Jean, 2013 ; croissance du commerce de marchan- commerciale et permettent une entrée
Pouch, 2015 ; OMC, 2018). Les innova- dises est cependant devenu plus faible massive de devises. Dans d’autres pays
tions technologiques, la diffusion des (Jean, 2015) que ce qui a prévalu tout au très peuplés et où le potentiel productif
savoirs et les progrès considérables long de la période 1980-2010 (environ est limité par les conditions du milieu,
accomplis en termes d’infrastructures, 4,7 % par an). les exportations agroalimentaires sont
de logistique et de conditions de stoc- faibles et les importations sont parfois
kage ont favorisé ce développement, Les produits agricoles et agroalimen- indispensables pour assurer la sécu-
dans un contexte mondial caractérisé taires représentent aujourd’hui environ rité alimentaire locale. L’hétérogénéité
par une ouverture croissante des éco- 8 % du commerce mondial de mar- des situations est sur ce point grande
nomies, un développement des firmes chandises. Cette part relative s’inscrit à (Rastoin et Ghersi, 2010), ce d’autant
transnationales et un essor démogra- la baisse en raison du développement qu’un pays donné peut parfois béné-
phique (ONU, 2017 ; Centre d’études encore plus rapide des échanges dans ficier de certains atouts pour produire
et de prospective, 2017). En effet, d’autres secteurs d’activité. En mon- tel ou tel bien et inversement être dans
le commerce mondial de marchan- naie constante, les exportations mon- une plus grande difficulté pour en pro-
dises, qui résulte à 98 % des 164 États diales de produits agroalimentaires duire d’autres.
membres de l’Organisation Mondiale ont été multipliées par sept au cours
du Commerce (OMC), a doublé en des cinquante dernières années, ce qui En raison du caractère stratégique que
monnaie courante entre 2003 et 2016. correspond à un rythme de croissance revêt la question alimentaire (Guillou et
Les flux commerciaux sont géographi- moyen annuel de 3,8 % (Claquin, 2017). Matheron, 2011) et de la persistance de
quement concentrés dans la mesure La hausse des échanges agroalimen- la faim dans certains pays pauvres (FAO,
où les dix principaux importateurs et taires a permis de mettre à la disposi- 2017), de nombreux débats ont trait aux
exportateurs regroupent un peu plus tion de consommateurs, toujours plus politiques publiques à privilégier en
de la moitié du commerce mondial nombreux, une alimentation qui soit agriculture. Les tensions existantes au
de marchandises. Depuis 1980, et à à la fois plus abondante, plus variée, sein de l’OMC ou qui apparaissent lors
l’exception notoire de 2009 marquée de meilleure qualité et souvent moins de la préparation des accords bilatéraux
par une récession dans de nombreux coûteuse. La structure des échanges suffisent à le rappeler. À l’échelle inter-
pays industrialisés fragilisés par la crise a, elle aussi, évolué vers des produits nationale, les productions animales
bancaire et financière de l’automne plus élaborés, plus transformés et sont souvent placées au cœur de vives

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2463 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


112 / Vincent chatellier

polémiques, ce pour différentes rai- d’Eurostat pour la période 2000 à 2017. Les sections suivantes abordent les
sons : les coûts unitaires de production Cette base permet de distinguer le com- principaux grands flux pour les produits
varient fortement d’un pays à l’autre, merce extra-UE du commence intra-UE. laitiers ; la viande bovine ; la viande por-
en fonction notamment du coût de Les flux commerciaux (exportations, cine ; la viande de volailles.
la main-d’œuvre et des normes appli- importations et solde) sont exprimés soit
quées ; les modèles productifs sont en valeur (euros), soit en volume (avec „„1.1. L’évolution des
très hétérogènes en termes d’organi- l’application de coefficients permettant échanges entre 2000 et 2016
sation sociale (exploitations familiales de raisonner en tonnes équivalent lait ou
versus structures plus industrialisées), en tonnes équivalent carcasse). Pour évi- D’après la base de données BACI, les
d’empreintes environnementales (gaz à ter une démultiplication trop grande des échanges agroalimentaires internatio-
effet de serre, utilisation des ressources informations, trois périodes sont consi- naux (hors commerce intra-UE) sont
en eau) et d’intégration des questions dérées : la moyenne de la période 2000 passés, en monnaie courante, de 351 mil-
relatives à la santé humaine (utilisation à 2009 ; la moyenne de la période 2010 liards d’euros en 2000 à 912 ­milliards
ou non des hormones de croissance, à 2015 ; les données de 2016. d’euros en 2016. De manière assez stable
recours aux antibiotiques…) ou au tout au long de cette période, les pro-
bien-être animal (exemple : les petits Cet article est structuré en trois par- ductions animales ont représenté envi-
élevages européens comparativement ties. La première présente l’évolution du ron 16 % des échanges agroalimentaires.
aux « feedlots » américains) ; la prove- commerce international en « produc- Les principaux autres produits agroali-
nance géographique des produits issus tions animales »1 entre 2000 et 2016, mentaires échangés sont les céréales et
des animaux, dont ceux transformés, ce en distinguant successivement plu- produits de la minoterie (13 % en 2016),
est plus ou moins transparente et pro- sieurs filières. La deuxième discute du les fruits et préparations (11 %), les pois-
tégée. Comme le soulevait à juste titre commerce en productions animales sons (10 %), les légumes et préparations
un ancien Commissaire européen au de plusieurs pays (hors UE, zone traitée (8 %), les oléagineux (8 %), le café, thé
Commerce devenu plus tard Directeur en partie 3) qui comptent sur la scène et cacao (6 %), les boissons, vins et spi-
Général de l’OMC (Lamy, 2004), toutes internationale, dont trois pays défici- ritueux (6 %) et le sucre (4 %). Pour cer-
les collectivités humaines ne forment taires (Chine, Japon et Russie) et cinq tains grands pays exportateurs, comme
évidemment pas les mêmes préfé- pays excédentaires (Inde, Australie, par exemple le Brésil, une concurrence
rences collectives. L’étendue même du Nouvelle-Zélande, Brésil et États-Unis). entre productions agricoles peut avoir
champ des préférences collectives n’est La troisième et dernière partie est lieu dans l’occupation des sols d’une
pas identique partout et varie en fonc- dédiée au commerce en productions région donnée en fonction des gains
tion des valeurs, des repères culturels et animales de l’UE et de la France, avec économiques espérés sur les marchés
religieux auxquels adhèrent les pays où dans ce dernier cas une distinction d’exportations.
elles ont été formées, mais aussi de leur entre le commerce intra-UE et extra-UE.
vécu politique, de leur histoire longue Le poids des productions animales
ou courte et de leur niveau de dévelop- dans les exportations agroalimentaires
pement. Ces préférences collectives ne
1. Le commerce varie d’un pays à l’autre en fonction
sont pas toujours faciles à appréhender international principalement des caractéristiques
car elles évoluent dans le temps, ne sont en productions animales du milieu naturel (terres cultivables ou
pas toujours rationnelles et donnent selon les filières non) et de l’orientation productive des
lieu souvent à des contestations plus territoires. Il atteint des niveaux élevés
ou moins bien formalisées. dans plusieurs pays dont la Biélorussie
Cette première partie présente l’évolu- (68 %), la Nouvelle-Zélande (66 %),
L’objectif de cet article est de présenter tion du commerce international en pro- l’Uruguay (62 %) ou l’Australie (41 %).
une analyse portant sur les principales ductions animales entre 2000 et 2016. Plus proche de la moyenne mondiale
tendances récentes du commerce inter- La première section met en évidence la pour l’UE (23 %), le Brésil (21 %) et
national, européen et français en produc- montée en puissance de ces échanges, les États-Unis (18 %), ce taux est en
tions animales. Cette analyse s’appuie tout en soulignant la contribution res- revanche très faible dans d’autres pays
sur deux bases de données issues des pective des différents types de produits. tels que la Chine (9 %) et la Russie (4 %).
douanes. À l’échelle internationale, il Au niveau des importations, rares sont
s’agit de la base BACI développée par le les pays pour lesquels les productions
CEPII (Centre de recherche français dans 1 En utilisant la nomenclature douanière animales représentent plus du quart
disponible, un agrégat intitulé «  productions
le domaine de l’économie internatio- animales » est constitué. Celui-ci concerne toutes
des importations agroalimentaires. Ce
nale) à partir des données primaires de les espèces animales (bovins, ovins, caprins, taux est, par exemple, de 22 % en Chine,
la base COMTRADE produite par la divi- porcins, volailles, lapins…) y compris celles peu 12 % aux États-Unis et seulement 7 %
sion statistique des nations Unies (les présentes au sein de l’UE (bufflonnes, chamelles, dans l’UE. Pour des raisons de stockage,
données utilisées couvrent ici la période yaks…) et toutes les catégories de produits (le de sécurité sanitaire et de coûts liés, le
lait, les viandes, les abats, les œufs, les cuirs…). Il
2000 à 2016). À l’échelle française, les s’agit donc des productions animales au sens très
commerce en productions animales est
données utilisées sont celles issues de la large du terme, en incluant les animaux vivants, les souvent moins facile qu’en productions
base COMEXT produite par les services produits bruts et les produits transformés. végétales.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’internationalisation des marchés en productions animales / 113

Figure 1. Les échanges internationaux en productions animales selon les types de être animal. Les exportations de bovins
produits (milliards d’euros courants entre 2000 et 2016) (Source : INRA, SMART- depuis l’Uruguay jusqu’en Turquie sont
LERECO d’après BACI).
un exemple parmi d’autres de ces flux.
150
„„1.2. Le lait et les produits
140 laitiers
130
Le commerce international (hors
120
intra-UE) de produits laitiers porte,
110 d’après nos estimations2, sur 68 millions
Milliards d’euros courants

100 de tonnes en équivalent lait en 2016. Ce


volume équivaut à 8 % de la production
90 laitière mondiale, laquelle progresse à
80 un rythme moyen annuel d’environ 2 %.
Compte tenu du caractère périssable des
70
produits laitiers frais, d’une structuration
60 d’une partie du marché autour de bas-
50 sins régionaux et d’un faible nombre de
pays exportateurs, ce taux est plus faible
40 que celui observé dans d’autres filières,
30 dont les céréales, les viandes ou le soja.
Les échanges de produits laitiers ont
20
augmenté tout au long de la période
10 étudiée, tant en volume (+ 31 millions de
0 tonnes en équivalent lait depuis 2000)
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 qu’en valeur (+ 29,6 milliards d’euros
entre 2000 et 2016).
Produits laitiers Viande bovine Viande porcine Viande de volailles
Bovins vivants Viande ovine et caprine Œufs Porcs vivants Le commerce international des pro-
Ovins-caprins vivants Volailles vivantes Autres duits laitiers se décline en différentes
catégories de produits, dont les fro-
mages (20 % du total des échanges en
Les échanges internationaux (hors tiers, la viande porcine et la viande de valeur en 2016), la poudre grasse (15 %),
commerce intra-UE) en productions volailles, il est plus élevé pour les œufs la poudre de lait infantile (14 %), les laits
animales sont passés de 58 milliards (2,5) et la viande bovine (2,4) et moins aromatisés (14 %), la poudre maigre
d’euros en 2000 à 142 milliards d’euros élevé pour les ovins-caprins vivants et (9 %), le beurre (7 %), le lait liquide (3 %),
en 2016, avec une accélération des flux pour les porcs vivants (1,1). le lactosérum (3 %), les laits concentrés
depuis 2008-09 (figure 1). Si la tendance (3 %), les caséines (3 %), les yaourts (3 %)
haussière est incontestable (OCDE-FAO, En 2016, les échanges internationaux et la crème (2 %). La structure des impor-
2018), il convient néanmoins de pon- en productions animales (en valeur) tations ou des exportations selon ces dif-
dérer celle-ci par le fait que les valeurs concernent, par ordre décroissant, le férentes catégories de produits diffère
sont exprimées ici en monnaie cou- lait et les produits laitiers (33 %), la beaucoup d’un pays à l’autre. Ainsi, par
rante. Une partie de la croissance mise viande bovine (22 %), la viande porcine exemple, les États-Unis sont des importa-
en évidence tient donc à la hausse (14 %) et la viande de volailles (13 %). teurs importants de fromages alors que
des prix induite par l’inflation, laquelle Ces quatre produits cumulent 82 % du les chinois sont davantage acheteurs de
varie d’un pays à l’autre. En France, par total des échanges en productions ani- poudre grasse et de laits infantiles. De
exemple, 100 euros de janvier 2000 males. Les sommes résiduelles de l’agré- même, les exportations de la Nouvelle-
correspondent à 128 euros en jan- gat « productions animales » sont les
vier 2017. Outre l’inflation, l’évolution bovins vivants (3,4 %), la viande ovine et
des exportations exprimées en valeur caprine (3,1 %), les œufs (1,4 %), les ovins 2  Des coefficients de conversion des produits
est plus ou moins influencée par le prix et caprins vivants (0,7 %), les volailles laitiers en équivalents lait ont été appliqués à
la base BACI de façon à remplacer une quantité
de vente des biens et par les types de vivantes (0,7 %), les porcs vivants (0,7 %) donnée de produits laitiers par une quantité de
biens vendus (part relative de produits et l’ensemble des autres produits non lait équivalente. Le principe consiste à évaluer la
bruts versus de produits transformés). classés ci-dessus (8,5 %). Si le commerce quantité de lait ayant été nécessaire à la fabrication
Entre 2000-09 et 2016, les échanges d’animaux vivants est fréquent entre des produits considérés. Les coefficients de
mondiaux en productions animales pays voisins, tels que c’est le cas dans conversion s’appliquent non seulement au lait
liquide, mais aussi aux différents produits laitiers
ont été multipliés par 2,2 en monnaie l’UE, il reste plus complexe à organiser tels que la crème, le beurre, les fromages, les
courante. Si ce coefficient est proche sur longue distance et suscite des cri- poudres de lait écrémé, les poudres de lait entier
de celui observé pour les produits lai- tiques relativement au respect du bien- et le lactosérum.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


114 / Vincent chatellier

Figure 2. Les principaux exportateurs de produits laitiers entre 2000 et 2016 les États-Unis (+ 2 milliards d’euros), la
(­milliards d’euros courants) (Source : INRA, SMART-LERECO d’après BACI). Russie (+ 1 milliard d’euros) et les Émirats
50 arabes unis (+ 907 millions d’euros).

45
„„1.3. La viande bovine

40
Les échanges internationaux (hors
intra-UE) de viande bovine portent sur
Milliards d’euros courants

10,1 millions de tonnes en équivalent


35
carcasse (tec) en 2016, soit environ 13 %
de la production mondiale (Institut
30
de l­’Élevage, 2018a). La viande bovine
occupe le premier rang des viandes
25
échangées en valeur (31,1 milliards
d’euros), mais le deuxième en volume
20
derrière la viande de volailles et devant
la viande porcine. Les échanges interna-
15
tionaux de viande bovine, qui ont forte-
ment progressé entre 2000-09 et 2016
10
(+ 3,2 millions de tec et + 17,9 millions
d’euros), sont influencés par un ensemble
5
de facteurs, dont des questions d’ordre
économique (cours du pétrole, taux de
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 croissance dans les pays importateurs,
dévaluation monétaire…) ou d’ordre
UE-28 Nouvelle-Zélande États-Unis Suisse Australie sanitaire (fièvre aphteuse, encéphalopa-
Biélorussie Thaïlande Arabie Saoudite Émirats Arabes Unis
thie spongiforme bovine). La fermeture
soudaine du marché japonais aux expor-
Argentine Autres pays tations américaines en 2002-03 est un
exemple souvent cité pour évoquer cette
sensibilité (Chatellier, 2017).
Zélande sont plus orientées vers la pays importateurs et une organisation
poudre grasse que vers les fromages, économique dédiée à l’exportation Les échanges internationaux de
contrairement à l’UE (Chatellier, 2016). (5 % du lait produit dans ce pays sont viande bovine, qui relèvent à 60 % de
consommés localement). Les États-Unis, viandes congelées, 35 % de viandes
En 2016, le marché mondial des qui exportaient historiquement peu de fraîches et réfrigérées et 5 % de viandes
produits laitiers est dominé à l’ex- produits laitiers, ont développé leurs transformées, sont dominés à l’expor-
port par un nombre restreint de pays exportations, à destination d’abord des tation par quatre pays qui cumulent
(figure 2), dont surtout l’UE (34 % des pays voisins, dont le Mexique (Institut environ les deux tiers des exportations
exportations mondiales en valeur), la de l’Élevage, 2018b). L’UE a également mondiales (figure 3). Il s’agit du Brésil
Nouvelle-Zélande (18 %) et les États- amélioré ses performances, surtout (18 % des volumes et 16 % de la valeur
Unis (10 %). Les pays qui viennent depuis quelques années car l’offre en 2016), de l’Inde (respectivement 17
ensuite sont la Suisse (5 %), l’Australie ­intérieure de lait a été dynamisée dans et 11 %), de l’Australie (17 et 19 %) et
(4 %) et la Biélorussie (4 %). Lorsque la perspective d’un abandon des quotas des États-Unis (14 et 18 %). Les pays
les échanges sont exprimés en équiva- laitiers à compter de 2015. qui arrivent ensuite sont la Nouvelle-
lent lait, la Nouvelle-Zélande devance, Zélande (6 % des volumes), l’UE (5 %),
en revanche, légèrement l’UE ; cela Les principaux pays importateurs de le Canada (5 %), l’Uruguay (5 %), le
signifie que, compte tenu des types de produits laitiers sont, en valeur, la Chine Paraguay (4 %), l’Argentine (4 %) et le
spécialisation, le prix à la tonne des pro- (7,9 milliards d’euros en 2016 contre Mexique (3 %). Les modèles productifs
duits exportés par la Nouvelle-Zélande seulement 950 millions en 2000), les adoptés dans les quatre pays leader dif-
est nettement inférieur. Entre 2000 et États-Unis (3,8 milliards d’euros), la fèrent les uns des autres (en termes de
2016, la croissance des exportations Russie (2,1 milliards d’euros), le Mexique races, de rations, de structuration des
a été très importante en Nouvelle- (1,6 milliard d’euros), l’Arabie Saoudite exploitations…) et les types de produits
Zélande (+ 11,4 millions de tonnes en (1,5 milliard d’euros) et le Japon (1,4 mil- issus de la filière bovine ne sont pas non
équivalent lait, soit environ le tiers de liard d’euros). Entre 2000-09 et 2016, la plus identiques, avec des prix de vente
la croissance mondiale), ce pays étant croissance des importations de produits eux aussi variables. Le développement
favorisé par un coût de production du laitiers de la Chine (+ 6,9 milliards d’eu- des exportations de l’Inde en viande
lait parmi les plus bas du monde, une ros) n’a pas d’équivalent à l’échelle mon- bovine est l’un des éléments les plus
proximité géographique des grands diale, les pays qui arrivent ensuite étant marquants des dernières années. Dans

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’internationalisation des marchés en productions animales / 115

Figure 3. Les principaux exportateurs de viande bovine entre 2000 et 2016 pays est, il est vrai, moins favorable que
(­milliards d’euros courants) (Source : INRA, SMART-LERECO d’après BACI). celle des pays asiatiques.
35
„„1.4. La viande porcine

30 Les échanges internationaux (hors


intra-UE) de viande porcine portent sur
Milliards d’euros courants

7 % de la production mondiale, laquelle


25 est concentrée pour l’essentiel en Chine
(47 % du total mondial), en UE (19 %) et
aux États-Unis (10 %). Les ­exportations
20
de viande porcine ont augmenté
tout au long de la période étudiée
15 (+ 5,1 ­millions de tec et + 11,4 milliards
d’euros entre 2000-09 et 2016), avec
une accélération depuis 2010 (figure 4).
10
En 2016, les trois premiers exporta-
teurs de viande porcine sont l’UE (40 %
5
de la valeur), les États-Unis (28 %) et
le Canada (13 %)3. Ces trois pays qui
0 cumulent 81 % des exportations mon-
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 diales, sont suivis, loin derrière, par le

Australie États-Unis Brésil Inde Nouvelle-Zélande Canada 3 Pour les trois pays membres de l’Accord
de Libre-Échange Nord-Américain (ALENA), à
Uruguay Argentine Mexique Paraguay UE-28 Autres pays savoir le Canada, les États-Unis et le Mexique, les
échanges intra-zones sont inclus dans les calculs,
contrairement à la situation de l’UE (qui est une
ce pays où la consommation de viande bovine ont baissé en Russie (– 290 000 Union douanière) où ils sont exclus. L’existence
de droits de douane nuls ou très bas entre ces
bovine par habitant est très faible tec), en UE (– 190 000 tec), au Mexique trois pays est de nature à favoriser les courants
(moins de 2 kg par an) et où la produc- (– 178 000 tec) et au Japon (– 24 000 tec). d’échanges, ce d’autant qu’il existe une proximité
tion laitière augmente rapidement, les La dynamique d ­ émographique de ces géographique.
exportations concernent des produits
vendus à bas prix et destinés princi- Figure 4. Les principaux exportateurs de viande porcine entre 2000 et 2016 (mil-
liards d’euros courants) (Source : INRA, SMART-LERECO d’après BACI).
palement aux pays asiatiques, dont le
Vietnam et la Chine. 22

En 2016, les principaux importateurs 20


de viande bovine sont la Chine (15 % des
18
Milliards d’euros courants

importations mondiales en volume), les


États-Unis (13 %), le Japon (7 %) et la Russie 16
(6 %). Avec une contribution à hauteur
de 10 %, le Vietnam est un pays impor- 14
tateur assez atypique dans la mesure où
une partie de ses importations corres- 12
pondent à des produits qui sont ensuite
10
réexpédiés vers le marché chinois (Landes
et al., 2016). Avec un peu moins de 4 % 8
des importations mondiales, l’UE importe
moins de viande bovine que la Corée du 6
Sud ou l’Égypte. Au cours des dernières
4
années, ce sont principalement les pays
asiatiques, surtout la Chine (+ 1,3 million 2
de tec d’importations entre 2000-09 et
2016) et le Vietnam, qui ont contribué à 0
la croissance des échanges internatio- 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

naux de viande bovine. Entre ces deux


périodes, les importations de viande UE-28 États-Unis Canada Brésil Chine Autres pays

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


116 / Vincent chatellier

Brésil (7 %), la Chine (3 %) et le Mexique est reconnue ; le prix de vente de la ­ éveloppement des exportations est
d
(2 %). Les jeux concurrentiels entre les viande de volailles est compétitif par fondé sur une compétitivité par les coûts
trois pays leaders ne dépendent pas rapport à d’autres sources de protéines et l’adaptation de l’offre aux demandes
seulement des écarts de coûts de pro- animales (ceci résultant de l’excellence spécifiques des clients (exemples : filets
duction au stade des élevages et des de l’indice de consommation) ; cette de poulet vers l’Europe, cuisses désos-
industries de la transformation. Ils sont viande ne souffre pas des interdits reli- sées pour le Japon…). Avec 18 % des
également influencés par la situation gieux auxquels est soumise la viande exportations mondiales en valeur, les
sanitaire interne, les accords bilatéraux porcine (Islam et Judaïsme) ou bovine États-Unis occupent le deuxième rang.
passés entre les États et l’évolution de la (Inde) ; la production étant moins direc- Les produits étasuniens ont une valeur
parité entre l’euro et le dollar. De plus, tement liée au sol que les productions unitaire nettement plus faible qu’au
les pays clients de ces pays ne sont pas de ruminants, son développement à Brésil et sont commercialisés d’abord
toujours les mêmes. Ainsi, par exemple, proximité des zones urbaines en forte au Mexique (24 % des exportations de
le premier client des États-Unis en croissance démographique est plus 2016, avec des produits à faible valeur
viande porcine est le Mexique (24 % des aisée. Les échanges internationaux de ajoutée) et au Canada (13 %). Avec 15 %
exportations en valeur en 2016) alors viande de volailles ont fortement aug- des exportations mondiales, dont une
que la Chine arrive en première place menté en passant de 8,5 milliards d’eu- part importante de découpes désossées
dans le cas de l’UE (44 % des exporta- ros en 2000-09 à 18,7 milliards d’euros et de viandes cuites, la Thaïlande est pla-
tions en valeur en 2016) et les États-Unis en 2016 (dont 45 % de poulets en mor- cée devant la Chine (9 %) et l’UE (9 %).
dans le cas du Canada (37 %). ceaux congelés, 22 % de préparations et
14 % de poulets entiers congelés). En 2016, les principaux importateurs
En dépit de son statut de premier de viande de volailles sont le Japon
producteur de viande porcine, la Chine Troisième pays producteur de volailles (15 % des importations mondiales en
est également le premier importateur, au monde derrière les États-Unis et la valeur), l’UE (12 %), la Chine (11 %), l’Ara-
avec 28 % des importations mondiales Chine, le Brésil est le premier exporta- bie Saoudite (7 %), le Mexique (5 %) et
en valeur en 2016. Les fournisseurs de teur, avec 35 % des flux internationaux les Émirats arabes unis (4 %). Entre 2000-
ce marché stratégique sont l’UE (63 % exprimés en valeur (figure 5). Les expor- 09 et 2016, les achats ont augmenté
du total), les États-Unis (16 %), le Brésil tations brésiliennes, qui ont augmenté dans tous les principaux pays ache-
(8 %) et le Canada (8 %). Entre 2000-09 de 3,7 milliards d’euros entre 2000-09 teurs. La Thaïlande est le fournisseur
et 2016, les importations chinoises de et 2016, sont destinées pour 17 % à privilégié du Japon (50 % de ses appro-
viande porcine ont considérablement la Chine (en 2016), 16 % à l’UE, 16 % à visionnements) devant le Brésil (24 %).
augmenté (+ 5,1 milliards d’euros), y l’Arabie Saoudite et 10 % au Japon. Ce En Chine, les importations proviennent
compris par rapport à l’autre grand
pays importateur qu’est le Japon (21 % Figure 5. Les principaux exportateurs de viande de volailles entre 2000 et 2016
des importations mondiales en 2016 (milliards d’euros courants) (Source : INRA, SMART-LERECO d’après BACI).
et + 1 milliard d’euros entre les deux
20
périodes). Les États-Unis, le Canada et
le Mexique sont également bien placés
18
dans la hiérarchie des pays importateurs
(entre 6 et 7 % des importations mon-
Milliards d’euros courants

16
diales pour chaque pays). Les pays qui
arrivent ensuite sont la Corée du Sud 14
(6 %), la Russie (5 %) et l’Australie (3 %) ;
les importations de l’UE en viande por- 12
cine sont, de leur côté, insignifiantes.
10
„„1.5. La viande de volailles
8
Les échanges internationaux (hors
intra-UE) en viande de volailles portent, 6
en 2016, sur 13,1 millions de tec, soit
11 % de la production mondiale, 4
laquelle a connu un développement
rapide au cours des dernières décen- 2
nies au point de devenir la première
0
viande produite dans le monde, devant 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
la viande porcine. Plusieurs facteurs
contribuent à soutenir le développe- Brésil États-Unis Thaïlande Chine UE-28 Chili Canada
ment de cette filière : la qualité nutri-
tionnelle des produits (viande maigre) Turquie Émirats Arabes Unis Argentine Autres pays

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’internationalisation des marchés en productions animales / 117

surtout du Brésil (55 %) et des États-Unis production domestique ; dans un cadre d’euros en 2000-09. Une situation défici-
(20 %). Avec la fin des restitutions aux réglementaire de plus en plus strict, les taire prévaut aussi dans plusieurs autres
exportations en 2013, les exportations problèmes sanitaires rencontrés ne per- filières agricoles, de sorte que la balance
européennes à destination des pays du mettent pas à ces pays de trouver des agroalimentaire globale de la Chine est
Moyen-Orient sont devenues beaucoup clients. de – 52 milliards d’euros en 2016.
plus difficiles face à la concurrence bré-
silienne. En volume, près de 80 % des En considérant les importations et La dégradation du solde commercial
importations de viande de volailles sont non plus les exportations, le niveau de en productions animales doit être mise
le fait des pays en développement. Elles concentration des acteurs est moins en parallèle avec les faibles disponibi-
concernent surtout de la viande de pou- élevé : les dix premiers pays importa- lités en terres agricoles du pays (9 %
let vendue de moins en moins sous une teurs rassemblent 62 % des flux à l’im- des terres labourables au monde pour
forme entière. En effet, les échanges de portation. En 2016, la Chine occupe 20 % de la population) ; les difficultés
pièces se développent pour répondre la première position, avec 16 % des productives (faibles ressources en eau,
à la demande et par nécessité pour les importations totales, devant les États- rendements limités, restructuration
entreprises afin d’écouler au mieux l’en- Unis (11 %), le Japon (9 %), l’UE (6 %) rapide des petites exploitations…) ; l’ar-
semble des pièces. et le Mexique (4 %). Les cinq pays qui bitrage parfois donné aux productions
suivent (Vietnam, Russie, Corée du Sud, végétales, dont le riz, par rapport aux
Canada et Arabie Saoudite) comptent, productions animales dans l’utilisation
2. Les principaux pays chacun, pour environ 3 % des impor- de la terre ; la défiance de nombreux
acteurs du commerce tations mondiales. Sachant que cinq consommateurs chinois vis-à-vis des
international pays se retrouvent à la fois dans les dix produits locaux, principalement suite
premiers exportateurs et importateurs, à la crise du lait frelaté à la mélamine
le tableau 1 fait référence à seulement en 2008 ; et, naturellement, la crois-
Le commerce mondial en produc- 15 pays. sance rapide des besoins intérieurs
tions animales est concentré géogra- liée à une modification progressive
phiquement. Les dix premiers pays Parmi les quinze pays identifiés dans du régime alimentaire, surtout dans
e xportateurs (en considérant l’UE
­ le tableau 1 comme étant les principaux les grandes agglomérations (Chaumet
comme une seule entité et sans prendre acteurs du commerce international en et Pouch, 2017). La consommation
en compte le commerce intra-UE) ras- productions animales, une analyse syn- de viandes d’un chinois a quadruplé
semblent, en effet, 83 % des expor- thétique est proposée ci-après pour trois depuis le début des années quatre-
tations en 2016. De façon constante pays déficitaires en productions ani- vingt (Chaumet, 2017 ; Guanghong et
depuis 2000, l’UE est le premier expor- males (Chine, Japon et Russie) et six pays al., 2012) et celle de produits laitiers
tateur mondial dans le domaine des excédentaires (Inde, Australie, Nouvelle- connaît une progression d’autant plus
productions animales. Ses exporta- Zélande, États-Unis, Brésil et UE). rapide que le niveau reste modeste
tions atteignent 31,2 milliards d’euros (40 kg par habitant et par an contre
en 2016, soit 22 % du total mondial. 2.1. La Chine 280 kg pour les européens).
L’UE devance ainsi les États-Unis (15 %), En 2016, la Chine4 est le pays du
le Brésil (10 %), la Nouvelle-Zélande monde qui présente le plus lourd défi- En dépit d’un niveau élevé de produc-
(9 %), l’Australie (8 %), la Chine (5 %), le cit en productions animales, avec un tion (25 % de la production mondiale
Canada (5 %), la Thaïlande (3 %), l’Inde solde de – 18 milliards d’euros, dont de viandes, mais seulement 5 % de la
(3 %) et le Mexique (2 %). – 7,8 milliards d’euros en produits lai- production laitière), les exportations
tiers et – 5 milliards d’euros en viande de la Chine en productions animales
Les exportations en productions porcine. En dépit des efforts déployés sont faibles et relativement stables au
animales dépassent le seuil du mil- pour développer les filières animales, le cours des dernières années (FAO, 2018).
liard d’euros dans vingt pays. Elles ne déficit s’est creusé au cours de la période Elles atteignent 4,8 milliards d’euros
dépassent pas, en revanche, les 100 mil- récente. Il était de – 10,2 ­milliards en 2016, soit environ sept fois moins
lions d’euros dans 150 autres, en rai- ­d’euros en 2010-15 et de – 1,2 milliard que celles de l’UE. Les exportations
son de la combinaison de plusieurs concernent principalement des pro-
facteurs : la production locale de pro- duits issus de la filière avicole et sont
duits animaux est limitée par un faible 4  Tout au long de cet article, il a été considéré que destinées d’abord aux pays asiatiques
potentiel pédoclimatique, un manque les échanges dit de la Chine tenaient également (Japon, Vietnam). La Chine est devenue
compte de ceux de Hong-Kong. Colonie britannique
d’investissement dans la structuration à partir du traité de Nankin (1842), Hong-Kong a été
le premier importateur mondial en pro-
des filières et/ou une concurrence pour rétrocédée à la Chine en 1997. Selon les termes de ductions animales (16 % du total). Après
l’occupation des sols avec les produc- la déclaration sino-britannique commune, la Chine avoir représenté 3,6 milliards d’euros
tions végétales ; la demande intérieure, a promis que Hong-Kong garderait une relative en moyenne annuelle sur la période
stimulée par la croissance démogra- autonomie jusqu’à au moins 2047. Le port de Hong- 2000-09, les importations chinoises
Kong étant classé au cinquième rang mondial pour
phique et l’augmentation de la part de son trafic, une part importante des importations de
ont considérablement augmenté pour
protéines animales dans les régimes cette zone (7 millions d’habitants) est destinée, in atteindre 22,8 milliards d’euros en 2016.
alimentaires, utilise l’intégralité de la fine, à la Chine. À cette dernière date, les importations

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


118 / Vincent chatellier

Tableau 1. Les échanges en productions animales pour les principaux pays impliqués (milliards d’euros courants par an entre
2000 et 2016) – Classement par ordre décroissant du solde 2016 (Source : INRA, SMART-LERECO d’après BACI).

Exportations Importations Solde commercial

2000-09 2010-15 2016 2000-09 2010-15 2016 2000-09 2010-15 2016

UE-28 13,8 25,4 31,2 7,2 9,3 9,1 6,6 16,1 22,1

N.-Zélande 6,4 12,6 13,2 0,2 0,4 0,5 6,2 12,2 12,7

Brésil 6,2 13,1 13,8 0,4 1,0 1,2 5,8 12,1 12,6

Australie 6,2 9,8 11,6 0,6 1,3 1,8 5,6 8,5 9,8

États-Unis 10,8 19,8 21,5 8,6 11,3 15,4 2,2 8,5 6,1

Inde 0,8 2,3 4,1 0,1 0,2 0,3 0,7 2,1 3,8

Thaïlande 1,3 3,0 4,5 0,5 1,0 0,9 0,8 2,0 3,6

Canada 4,9 6,0 6,9 2,0 3,6 4,2 2,9 2,4 2,7

Arabie Saoudite 0,5 1,0 1,4 2,2 4,2 3,8 – 1,7 – 3,2 – 2,4

Mexique 1,0 2,0 2,7 3,4 5,2 5,9 – 2,4 – 3,2 – 3,2

Corée du Sud 0,1 0,4 0,6 1,7 3,4 4,7 – 1,6 – 3,0 – 4,1

Russie 0,3 0,5 0,7 4,6 8,5 4,8 – 4,3 – 8,0 – 4,1

Vietnam 0,2 0,2 0,3 0,4 2,1 4,8 – 0,2 – 1,9 – 4,5

Japon 0,1 0,3 0,4 8,8 11,4 12,7 – 8,7 – 11,1 – 12,3

Chine 2,4 4,3 4,8 3,6 14,5 22,8 – 1,2 – 10,2 – 18,0

Monde 65,7 123,0 142,2 65,7 123,0 142,2 0,0 0,0 0,0

concernent surtout des produits laitiers n’offre pas non plus toutes les garanties et la mise en œuvre de réformes de la
(33 %), de la viande porcine (26 %), de de stabilité (Trégaro, 2016). Les incerti- politique agricole (OCDE, 2009), l’agri-
la viande bovine (17 %) et de la viande tudes qui pèsent sur le niveau de l’offre culture japonaise ne parvient à cou-
de volailles (10 %). En Chine, les impor- intérieure, la signature d’accords bila- vrir que 40 % des besoins alimentaires
tations représentent un tiers de la pro- téraux plus ou moins avantageux avec nationaux. En productions animales, le
duction domestique en lait, 20 % en d’autres pays concurrents, les change- déficit atteint 12,3 milliards d’euros en
viande bovine et seulement 4 % en ments de réglementation sanitaire, la 2016, dont 5 milliards d’euros de viande
viande porcine. variabilité des taux de change, les ten- porcine, 3 milliards d’euros de viande
sions politiques entre pays sont autant bovine, 2,7 milliards d’euros de viande
L’UE est le premier fournisseur de la de facteurs qui peuvent modifier, de volailles et 1,3 milliard d’euros de
Chine en productions animales avec parfois soudainement, les équilibres lait et de produits laitiers. Le déficit
un tiers de ses importations en 2016. escomptés. du Japon en productions animales ne
Principalement exportatrice de pro- s’est guère creusé au cours de la période
duits laitiers et de viande porcine, elle „„2.2. Le Japon récente. Non seulement la population
devance le Brésil, la Nouvelle-Zélande japonaise est aujourd’hui décroissante
et les États-Unis. Si le marché chinois Le Japon est le quatrième impor- mais le niveau individuel de consom-
constitue une opportunité pour de tateur mondial de produits agroali- mation est désormais plus stabilisé. Les
nombreuses entreprises à la recherche mentaires et l’un des plus déficitaires volumes importés représentent 175 %
de nouveaux débouchés, force est aussi (– 43 milliards d’euros en 2016). Malgré de la production domestique en viande
de bien considérer que ce débouché un soutien important du gouvernement bovine, 116 % en viande porcine, 54 %

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’internationalisation des marchés en productions animales / 119

en volailles et 30 % en lait et produits nombreux fromages comme le gouda et où les prix sont parfois jugés élevés (fro-
laitiers. le cheddar (fixés actuellement à 29 %). mages, viande bovine).
Pour la viande de porc, les échanges se
La situation déficitaire du Japon est feront en franchise de droits pour les En productions animales, le solde
largement imputable à l’insuffisance de viandes transformées, tandis que les commercial de la Russie est de
ses ressources foncières exploitables. Le viandes fraîches seront presque exemp- – 4,1 milliards d’euros en 2016 (contre
pays compte 127 millions d’habitants tées. Cet accord prévoit également de – 8 milliards d’euros en 2010-15), dont
pour seulement 4,5 millions d’hec- protéger plus de 200 produits agricoles – 1,8 milliard d’euros pour le lait et les
tares de surface agricole ; le territoire européens de qualité (reconnaissance produits laitiers et – 1,1 milliard d’euros
japonais regroupant de larges zones des indications géographiques) sur le pour la viande bovine. Les investisse-
montagneuses recouvertes de forêts. marché japonais. ments réalisés dans les filières avicole
À ces conditions territoriales difficiles et porcine devraient prochainement
s’ajoutent un vieillissement préoccu- „„2.3. La Russie permettre à la Russie d’atteindre l’auto-
pant des actifs agricoles (77 % des agri- suffisance. La situation semble plus dif-
culteurs japonais ont plus de 60 ans) Le solde agroalimentaire de la Russie ficile dans le secteur bovin (tableau 2)
et un très fort morcellement des terres demeure négatif en 2016 (– 4,8 mil- où les investissements ont été d’au-
agricoles. Dans le secteur de l’élevage, liards d’euros), malgré une amélioration tant plus limités que la rentabilité des
la production a peu évolué au cours des substantielle de celui-ci par rapport à la capitaux investis est souvent moindre
dix dernières années (Japan Statistic période 2010-15 (– 15,2 milliards d’eu- et que le cycle de production est long
Bureau, 2017). Elle s’élève à 7,3 millions ros). Trois facteurs ont contribué à cette (FranceAgriMer, 2013).
de tonnes de lait (soit quatre fois moins amélioration :
que l’Allemagne), 1,9 million de tonnes En Russie, les productions animales
de volailles, 1,2 million de tonnes de i) l’augmentation de la production ont toujours représenté une part
porcs et 480 000 tonnes de viande agricole intérieure, du moins dans cer- minime des exportations agroalimen-
bovine. tains secteurs productifs tels que les taires du pays (entre 4 et 6 % toute
céréales, les volailles et les porcs, suite au long de la période 2000 à 2015).
Les exportations du Japon en pro- à l’adoption de mesures favorables à En 2016, les exportations de produc-
ductions animales, qui sont de fait his- l’investissement et à la mise en place tions animales (692 millions d’euros)
toriquement marginales (414 millions de complexes agro-industriels où le sont destinées essentiellement au
d’euros en 2016), concernent principa- modèle de l’intégration est dominant ; Kazakhstan (30 %), à l’Ukraine (16 %), à
lement des produits laitiers (39 % du la Chine (14 %) et à la Biélorussie (12 %).
total) et de la viande bovine (26 %) des- ii) la baisse drastique des importa- Suite à la mise en œuvre de l’embargo,
tinés surtout aux pays asiatiques voi- tions depuis l’application en 2014 d’un les importations russes en productions
sins. Les importations en productions embargo sur une sélection de produits animales ont été divisées par près de
animales (12,7 milliards d’euros) pro- agroalimentaires (dont les produits ani- deux (Chatellier et al., 2018). D’un mon-
viennent quant à elles principalement maux) en provenance de ses principaux tant de 4,8 milliards d’euros en 2016,
des États-Unis (16 %), de l’UE (15 %), fournisseurs historiques (Pouch, 2014)5 ; elles se font surtout en provenance de
de l’Australie (12 %) et de la Thaïlande la Biélorussie (50 %) et du Brésil (20 %).
(8 %). iii) la détérioration du pouvoir d’achat
des ménages au cours de la période En représentant 6 % des importations
Les exportations européennes vers récente (forte dévaluation du rouble) de la Russie en productions animales
le marché japonais concernent surtout qui entraîne un recul de la consomma- en 2016 contre 45 % en 2000, l’UE n’est
de la viande porcine (34 % des impor- tion, notamment en produits animaux clairement plus un partenaire privilégié
tations du pays) et des produits laitiers de ce pays. Avec ou sans le maintien
(28 %). En viande bovine et en viande de de l’embargo, il semble peu probable
volailles, les exportations européennes 5  Le 18 mars 2014, à la suite d’un référendum, le que l’UE soit en capacité de retrouver
gouvernement russe annonce que la République
sont, en revanche, insignifiantes pour de Crimée et la ville de Sébastopol deviennent
à l’avenir ses parts de marché d’antan,
des raisons de moindre compétitivité-­ deux nouveaux «  sujets de la fédération de ce pour plusieurs raisons : les pers-
prix. Les relations commerciales de l’UE Russie ». Moscou évoque alors un « retour » de la pectives démographiques de ce pays
avec le Japon devraient se renforcer région offerte à la République soviétique socialiste ne sont pas prometteuses ; le déve-
suite à l’entrée en vigueur prochaine d’Ukraine par Nikita Khrouchtchev en 1954. Face à loppement des productions animales
ce qu’ils qualifient « d’annexion illégale », les États
de l’accord de partenariat économique. membres de l’UE décident à l’unanimité de mettre
(surtout en volailles et porcs) pourrait
Cet accord supprimera la grande majo- en œuvre une série de sanctions économiques à se poursuivre compte tenu du volonta-
rité des droits payés par les entreprises l’encontre de la Russie. À peine un mois après risme politique adopté ; les fournisseurs
de l’UE qui exportent vers le Japon ainsi l’instauration de ces sanctions par l’UE, soit le actuels (Biélorussie et Brésil) sont com-
qu’un certain nombre d’obstacles régle- 7 août 2014, Moscou a décrété un embargo sur pétitifs au niveau des prix et rares sont
les importations de certains produits agricoles et
mentaires en place depuis longtemps. alimentaires en provenance de l’UE, des États-Unis,
les ménages russes qui ont les moyens
Pour le secteur laitier, cet accord envi- du Canada, de l’Australie et de la Norvège. Depuis de payer davantage pour des biens qui
sage la suppression des droits sur de lors, cet embargo a été prorogé régulièrement. seraient démarqués par leur qualité.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


120 / Vincent chatellier

Tableau 2. Le solde commercial en productions animales des principaux pays impliqués (millions d’euros par an) – Classement
par ordre décroissant du solde 2016 (Source : INRA, SMART-LERECO d’après BACI).

Lait et produits laitiers Viande bovine Viande porcine Viande de volailles

2000- 2010- 2000- 2010- 2000- 2010- 2000- 2010-


2016 2016 2016 2016
2009 2015 2009 2015 2009 2015 2009 2015

UE-28 6 207 11 787 14 320 – 971 – 915 – 1 025 2 796 5 645 8 153 – 527 – 745 – 685

N.-Zélande 3 621 8 137 8 175 959 1 542 1 979 – 48 – 90 – 125 5 52 70

Brésil – 70 – 323 – 552 2 069 4 122 4 634 701 1 176 1 429 2 799 6 307 6 524

Australie 1 283 1 189 939 2 805 4 728 5 768 – 47 – 292 – 322 17 – 14 – 12

États- Unis – 209 1 911 627 – 267 748 490 1 513 3 696 4 054 2 268 3 465 2 865

Inde 99 89 3 472 1 692 3 456 1 – l – 3 3 8 10

Thaïlande – 140 78 840 – 7 – 65 – 92 30 79 80 932 1 917 2 722

Canada – 304 – 617 – 911 658 190 634 1 345 1 633 1 675 – 127 – 180 – 155

Arabie
– 627 – 963 – 454 – 119 – 346 – 442 – 2 – 12 – 11 – 432 – 1 166 – 1 150
Saoudite

Mexique – 755 – 1 086 – 1 173 – 822 – 260 226 – 366 – 909 – 1 117 – 408 – 872 – 953

Corée du Sud – 205 – 393 – 347 – 718 – 1 240 – 2 059 – 386 – 927 – 1 267 – 92 – 207 – 238

Russie – 960 – 2 699 – 1 889 – 1 140 – 2 211 – 1 179 – 1 077 – 1 682 – 489 – 754 – 568 – 201

Vietnam – 184 – 612 – 1 109 – 43 – 469 – 2 230 9 – 115 – 96 – 52 – 493 – 529

Japon – 991 – 1 359 – 1 308 – 2 122 – 2 439 – 3 005 – 3 197 – 3 855 – 4 213 – 1 483 – 2 505 – 2 779

Chine – 862 – 5 204 – 7 794 – 227 – 2 066 – 4 126 – 309 – 2 186 – 4 990 – 133 – 273 – 372

„„2.4. L’Inde du monde), les échanges commer- viande bovine (3,4 milliards d’euros de
ciaux de ce pays sont historiquement solde en 2016) qui connaît un essor
Avec 18 % de la population mon- faibles dans le secteur agroalimentaire. rapide de ses exportations à destina-
diale pour 4 % des terres agricoles, soit La recherche d’une indépendance ali- tion surtout de la Chine et du Vietnam.
180 millions d’hectares, la question ali- mentaire est depuis longtemps une Dans ce pays où la consommation de
mentaire est un enjeu majeur en Inde, stratégie privilégiée par les pouvoirs viande bovine est l’une des plus faibles
ce d’autant que 15 % de la population publics qui appliquent des droits de du monde (1,7 kg par habitant et par
souffre de sous-alimentation. En dépit douane élevés sur les produits agricoles an), l’offre intérieure, tirée aussi par le
de ses nombreux handicaps (dispersion et mettent en place de nombreuses développement rapide de la produc-
de la production dans d’innombrables restrictions à l’importation (Pouch et tion laitière, dépasse aujourd’hui de
petites exploitations, faible recours à la Kheraief, 2016 ; Dorin, 2001). En 2016, loin les besoins. Les hindous (80 % de
mécanisation, rendements modestes la balance agroalimentaire de l’Inde la population) considèrent, en effet,
des cultures, développement limité des s’élève à 9,5 milliards d’euros. que les femelles zébus (vaches) sont
activités de transformation…), l’Inde « sacrées » et, de fait, s’opposent à leur
est le troisième producteur agricole au En productions animales, la balance abattage et à leur consommation. Les
monde et le premier producteur de lait. commerciale de l’Inde s’est nettement exportations concernent surtout des
La production agricole étant d’abord améliorée en passant de 0,7 milliard bufflonnes laitières de réforme âgées
destinée à nourrir une population tou- d’euros en 2000-09 à 3,8 milliards de plus de dix ans et des buffles mâles
jours plus nombreuse (l’Inde deviendra d’euros en 2016. Cette amélioration utilisés pour la traction. Les bovins sont
prochainement le pays le plus peuplé tient essentiellement au secteur de la abattus selon le rite hallal et la viande

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’internationalisation des marchés en productions animales / 121

est exportée sous une forme désossée dans le cadre du Groupe de Cairns, elle ros). Le déficit avec l’UE se vérifie pour
et congelée à des prix exceptionnelle- souhaite que les accords multilatéraux les produits laitiers (– 302 millions d’eu-
ment bas. La balance commerciale de aillent dans le sens d’une élimination ros) et la viande porcine (– 231 millions
l’Inde est proche de l’équilibre en pro- du soutien interne, d’une forte réduc- d’euros), mais la situation est inverse en
duits laitiers, en viande de volailles et en tion des barrières douanières et d’une viande bovine (+ 180 millions d’euros)
viande porcine. suppression totale des restitutions aux et en viande ovine (+ 77 millions d’eu-
exportations. D’après les estimations ros). Les relations commerciales entre
Les exportations de l’Inde en pro- de l’OCDE, les soutiens publics accor- ces deux zones pourraient s’accentuer
ductions animales (4,1 milliards d’euros dés aux exploitations australiennes dans la mesure où des négociations
dont 84 % de viande bovine et 5 % de seraient dix fois inférieurs à ceux des sont lancées depuis juin 2018 pour par-
produits laitiers) sont destinées d’abord exploitations européennes (OCDE, venir, si possible en 2019, à la signature
à la Chine (via parfois par le Vietnam 2017). Comme dans l’UE, les questions d’un accord commercial global.
dans le cas de la viande bovine), à de bien-être animal, d’innovation tech-
l’Égypte, à la Malaisie et aux Émirats nologique, d’intensification productive „„2.6. La Nouvelle-Zélande
Arabes Unis. Les relations commerciales (utilisation des ressources en eau) et de
de l’UE avec l’Inde dans le secteur des qualité nutritionnelle ont pris beaucoup En dépit d’une surface modeste
productions animales ont toujours été de place dans les débats publics aus- (11,6 millions d’hectares de surface
très faibles. En 2016, l’UE a été destina- traliens et ont obligé certains acteurs agricole) comparativement aux autres
taire de seulement 1 % des exportations à modifier leurs stratégies (Potard-Hay, grands exportateurs, la Nouvelle-
indiennes ; l’UE est certes le deuxième 2016). L’accès au marché australien n’est Zélande occupe une place importante
fournisseur de l’Inde en productions pas toujours simple en raison la dis- dans le commerce international de
animales derrière le Népal, mais cela tance géographique et l’existence de productions animales. Dans ce pays où
concerne des montants, eux aussi, très certains obstacles non tarifaires dans les les surfaces en herbe occupent près de
limités (58 millions d’euros en 2016). domaines sanitaires et phytosanitaires. 90 % de la surface agricole, la produc-
Compte tenu de l’essor démographique tion agricole est dominée par le sec-
attendu en Inde, de la faiblesse du pou- Les exportations australiennes en teur laitier et le secteur ovin (Institut
voir d’achat des indiens, des exigences productions animales s’élèvent à de l’Élevage, 2017a). En raison de l’exi-
sanitaires imposées par l’UE sur les 11,6 milliards d’euros en 2016 (cin- guïté du marché intérieur (4,7 millions
produits importés, de la politique com- quième rang mondial), soit 41 % des d’habitants) et moyennant une organi-
merciale appliquée par les autorités exportations agroalimentaires. Elles sation politique et économique tournée
indiennes et du développement de la ont pratiquement doublé entre 2000- depuis longtemps vers l’extérieur, ce
production laitière dans les deux zones, 09 et 2016 et concernent essentiel- pays occupe le deuxième rang mondial
les relations commerciales entre l’UE et lement de la viande bovine (50 % du en termes de balance commerciale pour
l’Inde devraient rester modestes dans montant de 2016), des produits laitiers les productions animales (12,7 milliards
le domaine des productions animales, (17 %) et de la viande ovine et caprine d’euros en 2016, avec un doublement
du moins comparativement à d’autres (17 %). Elles sont destinées surtout aux de ce montant en monnaie courante
secteurs. États-Unis (17 %), au Japon (16 %), à la par rapport à la période 2000-09).
Chine (10 %), à la Corée du Sud (8 %) et
„„2.5. L’Australie à l’Indonésie (8 %). Si les importations Les exportations néo-zélandaises en
de l’Australie en productions animales productions animales (13,2 milliards
Peu peuplée (24 millions d’habitants), sont limitées, elles ont augmenté en d’euros en 2016), qui représentent les
mais richement doté en terres agricoles passant de 618 millions d’euros en deux tiers des exportations agroalimen-
(412 millions d’hectares, dont « seule- 2000-09 à 1,8 milliard d’euros en 2016. taires, relèvent à 64 % des produits lai-
ment » 48 millions de terres arables), Elles concernent surtout des produits tiers, 15 % de la viande bovine (surtout
l’Australie est un pays largement excé- laitiers (55 % du total en 2016) et de la de vaches laitières de réforme) et 14 %
dentaire dans le domaine agroalimen- viande porcine (24 %). Trois fournisseurs de la viande ovine. En 2016, les prin-
taire. Les exportations (28,1 milliards assurent l’essentiel de ses approvision- cipaux clients de la Nouvelle-Zélande
d’euros en 2016) représentent près de nements : la Nouvelle-Zélande (41 %), en productions animales sont la Chine
60 % de la production agricole inté- l’UE (34 %) et les États-Unis (16 %). (23 % du total), les États-Unis (12 %), l’UE
rieure (33 % en lait et 57 % en viande (10 %), l’Australie (6 %), le Japon (4 %)
bovine) et la balance agroalimentaire L’Australie bénéficie d’une balance et l’Algérie (3 %). Les exportations vers
atteint 15,8 milliards d’euros en 2016 commerciale positive en productions la Chine ont augmenté rapidement,
(dont 9,8 milliards pour les productions animales avec le Japon (+ 1,9 mil- en passant de 434 millions d’euros en
animales, surtout de la viande bovine et liard d’euros en 2016), les États-Unis 2000-09 à 3,1 milliards d’euros en 2016.
ovine). Comme en témoignent ses posi- (+ 1,8 milliard d’euros), la Chine
tions dans le cadre des négociations de (+ 1,2 milliard d’euros) et la Corée du La Nouvelle-Zélande exporte plus
l’OMC, l’Australie est depuis longtemps Sud (1,1 milliard d’euros), mais négative de 90 % de sa production intérieure
un pays partisan de la libéralisation des avec la Nouvelle-Zélande (– 565 mil- de lait et 80 % de sa production de
échanges. Avec les autres pays réunis lions d’euros) et l’UE (– 275 millions d’eu- viande bovine. Dynamisées par le

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


122 / Vincent chatellier

­ éveloppement des achats de la


d marché chinois ; les besoins de l’UE en en productions animales sont la Chine
Chine, les exportations de produits lai- viande ovine diminuent parallèlement (24 % du total en 2016), l’UE (13 %),
tiers concernent surtout de la poudre au recul de la consommation. l’Arabie Saoudite (8 %), la Russie (7 %)
de lait entier (37 % du total en valeur) et le Japon (7 %). Les États-Unis, pour-
et du beurre (21 %) ; les exportations „„2.7. Le Brésil tant moins éloignés géographique-
de fromages sont quant à elles plus ment, ne comptent que pour 3 % des
modestes, de même que celles de Grâce à ses 240 millions d’hectares exportations brésiliennes. Après avoir
poudre de lait infantile, ceci offrant des de surface agricole utile et aux efforts progressé, en passant de 2,4 milliards
opportunités de développement pour déployés pour moderniser son com- d’euros en 2000 à 13,1 milliards d’euros
l’UE. La Nouvelle-Zélande est le pre- plexe agroalimentaire, le Brésil est l’un en 2012, les exportations du Brésil en
mier exportateur mondial en volume des tous premiers producteurs agricoles productions animales sont plus stables
de produits laitiers (en équivalent lait) au monde et le troisième exportateur depuis cinq années. Non seulement la
et le deuxième en valeur (derrière de biens agroalimentaires (OCDE-FAO, baisse des prix internationaux influe
l’UE). Cette position de leader tient à 2015). Ce pays se distingue par ses sur le niveau des exportations de pro-
plusieurs facteurs : une abondance de performances dans les productions de duits animaux en valeur, mais le Brésil
surfaces herbagères de qualité ; des res- sucre, de jus d’orange, de soja, d’étha- est également un grand exportateur
sources abondantes en eau ; une forte nol, mais aussi de viande bovine et de de produits végétaux (effet de concur-
concentration des outils industriels, viande de volailles. Si les exportations rence entre productions), dont le soja.
avec une seule entreprise (la coopéra- agroalimentaires brésiliennes (64 mil- Le Brésil reste le premier exportateur
tive Fonterra) qui assure l’essentiel de liards d’euros en 2016) sont inférieures à mondial de viande de volailles et de
la commercialisation ; un savoir-faire celles de l’UE-28 (135 milliards d’euros) viande bovine (Institut de l’Élevage,
en technologie laitière (Institut de et des États-Unis (123 milliards d’euros), 2014).
l’Élevage, 2010) ; un volontarisme des le solde agroalimentaire est, lui, nette-
acteurs politiques et économiques pour ment supérieur (54 milliards d’euros En dépit d’une population nom-
dynamiser les exportations. Après une dont 12,6 milliards d’euros au titre des breuse (207 millions d’habitants) et
très forte croissance de la production productions animales). Cet essor ne doit d’une consommation individuelle de
laitière entre 2000 et 2015, un ralentis- cependant pas occulter l’existence de viandes qui a progressé au cours des
sement de la dynamique de l’offre est controverses portant sur la dualité des dernières décennies, les importations
cependant observé depuis quelques formes d’agriculture qui prévaut dans du Brésil en productions animales
années, dans un contexte sociétal où les ce pays (exploitations dédiées à l’ex- concernent toujours des montants
dommages causés à l’environnement port versus petites structures familiales limités (1,2 milliard d’euros en 2016,
par l’élevage laitier (forte utilisation orientées vers le marché domestique) ; dont 60 % de produits laitiers et 18 %
d’eau d’irrigation, niveaux de fertilisa- les fortes inégalités dans l’accès au fon- de bovins vivants). Les principaux
tion…), notamment dans l’Île du sud, cier ; le niveau élevé d’endettement du fournisseurs sont les pays voisins du
suscitent de croissantes contestations secteur ; les imperfections d’un système Mercosur, dont l’Uruguay (32 % du total
locales (Institut de l’Élevage, 2017b). sanitaire non homogène entre les pro- des importations de 2016), l’Argentine
duits destinés à l’exportation (où les (27 %), le Paraguay (12 %) et l’UE (11 %).
Les importations de la Nouvelle- contrôles sont élevés) et ceux commer- La balance commerciale de l’UE avec le
Zélande en productions animales cialisés sur le marché domestique (où il Brésil est nettement déficitaire tant en
sont globalement très faibles (501 mil- sont plus souples) ; et, surtout, les pro- agroalimentaire (– 10,3 milliards d’euros
lions d’euros en 2016). Ses principaux blèmes environnementaux importants en 2016) que pour les productions ani-
fournisseurs sont l’Australie (35 %), induits par la déforestation, l’utilisation males (– 1,6 milliard d’euros en 2016).
l’UE (35 %) et les États-Unis (18 %). La massive d’engrais minéraux, l’érosion Le déficit est conséquent en viande
Nouvelle-Zélande est non seulement des sols et les émissions de gaz à effet de volailles (– 1,1 milliard d’euros en
un sérieux concurrent de l’UE sur le de serre (Sabourin, 2014). 2016) et en viande bovine (– 650 mil-
marché international, mais les rela- lions d’euros), où les brésiliens sont
tions commerciales entre ces deux Les exportations brésiliennes en pro- très compétitifs (Champion et al., 2013 ;
zones sont déséquilibrées. La Nouvelle- ductions animales s’élèvent à 13,8 mil- FranceAgriMer, 2011).
Zélande représente, en effet, 0,5 % des liards d’euros en 2016, soit 21 % du total
débouchés de l’UE en productions des exportations agroalimentaires. Elles „„2.8. Les États-Unis
animales, mais 15 % de ses approvi- sont dominées par la viande de volailles
sionnements. Le déficit de l’UE avec la (47 %), la viande bovine (35 %) et, loin Avec une superficie agricole de
Nouvelle-Zélande (– 1,1 milliard d’euros derrière, la viande porcine (10 %). Le 408 millions d’hectares (dont 155 mil-
en 2016 dont – 867 millions d’euros de Brésil est légèrement déficitaire en pro- lions d’hectares de terres arables), les
viande ovine) est cependant moindre duits laitiers. Le Brésil exporte l’équiva- États-Unis occupent le premier rang
que par le passé (– 1,3 milliard d’euros lent de 31 % de sa production de viande mondial en termes de production agri-
en 2000-09) pour deux raisons : ce pays de volailles, 23 % de celle de viande cole. Ce pays est fortement engagé
a bénéficié de sérieuses opportunités porcine et 20 % de celle de viande dans les productions de maïs grain, de
commerciales suite à l’ouverture du bovine. Les principaux clients du Brésil soja, de viande de volailles, de viande

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’internationalisation des marchés en productions animales / 123

bovine et de lait (USDA, 2017). Plus que d’euros) et la Chine (+ 2,3 milliards d’une zone à l’autre (Hercule et al., 2017)
dans d’autres pays concurrents précités d’euros). En termes de production, le selon les disponibilités foncières (qui
(Australie, Nouvelle-Zélande et Brésil), solde positif tient surtout aux filières impose plus ou moins d’intensification),
le soutien apporté par les pouvoirs porcine (4 milliards d’euros, avec une le relief (dans certains pays les zones
publics à son agriculture est, au travers forte progression au cours de la période de montagnes contribuent de façon
du « Farm Bill », important et laisse une récente) et avicole (+ 2,8 milliards d’eu- importante aux activités d’élevage), le
place croissante aux mécanismes assu- ros). La situation est plus proche de potentiel agronomique des sols (zones
rantiels. Au plan commercial, l’accord l’équilibre en viande bovine et dans le labourables ou non), les disponibilités
de libre-échange nord-américain, qui secteur laitier, où les flux croisés entre en main-d’œuvre, l’organisation éco-
est entré en vigueur en 1994, a favo- les importations et les exportations, nomique (plus ou moins d’intégration
risé les flux de marchandises entre les sont importants. L’UE bénéficie d’un verticale), etc.
trois pays signataires que sont les États- solde positif avec les États-Unis, tant
Unis, le Mexique et le Canada. Ainsi, dans le domaine agroalimentaire pris Le développement des activités euro-
les États-Unis se placent au deuxième dans son ensemble (+ 9,9 milliards péennes d’élevage a longtemps été
rang mondial en termes d’exportations d’euros en 2016) que pour les produc- favorisé par la protection apportée par
agroalimentaires (123 milliards d’euros tions animales (1,7 milliard d’euros en les instruments de la Politique Agricole
en 2016), lesquelles sont destinées sur- 2016 contre 900 millions d’euros sur la Commune (PAC) au travers principale-
tout à la Chine (18 %), au Canada (15 %), période 2000-09). Cet excédent tient ment des droits de douane, des sub-
au Mexique (13 %) et à l’UE (10 %). surtout aux produits laitiers (1,3 milliard ventions aux exportations et du soutien
d’euros, dont surtout des fromages) et à interne. Les réformes successives de la
En productions animales, les exporta- la viande porcine (510 millions d’euros). PAC ont certes profondément modifié la
tions étatsuniennes s’élèvent à 21,5 mil- manière dont les soutiens publics sont
liards d’euros en 2016 (deuxième rang alloués au secteur agricole (conver-
mondial derrière l’UE), soit 17 % des
3. Les échanges de l’UE gence progressive des prix européens
exportations agroalimentaires. Elles et de la France sur les prix mondiaux, abandon des
sont assez équilibrées entre les dif- en productions animales restitutions aux exportations, limita-
férentes filières de production : 26 % tion du recours au stockage public…),
relèvent de la viande porcine, 25 % de mais force est de constater que les aides
la viande bovine, 21 % des produits lai- Cette troisième et dernière partie pré- directes représentent aujourd’hui une
tiers et 15 % de la viande de volailles. sente les principales tendances du com- part significative du revenu de très
Au prorata de la production intérieure, merce extérieur de l’UE et de la France nombreux éleveurs européens (Bureau
les exportations représentent 10 % en productions animales. et Thoyer, 2014). Les soutiens budgé-
des volumes en lait, 12 % en viande taires accordés dans le cadre de la PAC
bovine, 17 % en viande de volailles et „„3.1. Le commerce de l’UE contribuent donc à soutenir les perfor-
21 % en viande porcine. Les exporta- en productions animales mances à l’export de l’agriculture euro-
tions sont destinées en premier lieu péenne, du moins pour les productions
aux deux autres États membres de En 2016, l’UE est le premier expor- agricoles les plus soutenues, telles que
l’ALENA (22 % pour le Mexique et 15 % tateur mondial tant dans le domaine les productions de ruminants et de
pour le Canada), puis au Japon (14 %), agroalimentaire (135 milliards d’euros céréales.
à la Chine (12 %) et à la Corée du sud en 2016) qu’en productions animales
(7 %). Derrière la Chine, les États-Unis (31,2 milliards d’euros, soit 23 % des Après une longue période où l’UE était
occupent le deuxième rang mondial en exportations agroalimentaires). Si l’agri- déficitaire en productions animales,
importations de productions animales culture européenne est moins dotée en la situation est devenue excédentaire
(15,5 milliards d’euros en 2016). Celles-ci surface agricole (178 millions d’hectares dès la fin des années soixante-dix, du
proviennent principalement du Canada dont 60 % de terres arables) que dans moins pour la plupart des productions
(18 %), de l’UE (18 %) et du Mexique d’autres pays (États-Unis, Brésil…), les (à l’exception par exemple de la viande
(17 %). Elles concernent surtout de la rendements à l’hectare sont supérieurs ovine), dont la production laitière où les
viande bovine (33 % dont 0,4 % en pro- en raison d’un climat souvent propice et coûts de l’intervention publique allaient
venance de l’UE), des produits laitiers d’un potentiel agronomique élevé. Les croissants et ont conduit à la mise en
(25 % dont 35 % en provenance de l’UE) productions animales, qui sont inégale- œuvre des quotas à compter de 1984.
et de la viande porcine (10 % dont 33 % ment réparties entre les États membres L’UE occupe actuellement le premier
en provenance de l’UE). (Roguet et al., 2015), représentent envi- rang mondial en termes de balance
ron 40 % de la production agricole finale commerciale dans ce domaine. Cette
Au total, les États-Unis dégagent un de l’UE. Elles résultent essentiellement dernière est passée de 6,6 milliards
solde commercial positif en produc- d’exploitations agricoles familiales de d’euros en moyenne annuelle sur la
tions animales (6,1 milliards d’euros taille plus modeste que dans la plupart période 2000-09 à 16,1 milliards d’euros
en 2016), grâce surtout aux relations des autres pays concurrents. Au sein de sur la période 2010-15 et 22,1 milliards
bilatérales avec le Japon (+ 3 milliards l’UE, les modèles productifs adoptés d’euros en 2016. Cette amélioration
d’euros), le Mexique (+ 2,8 milliards sont, au demeurant, très hétérogènes du solde tient à la conjugaison de

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


124 / Vincent chatellier

plusieurs facteurs : une augmentation les exportations représentent environ 2016 (2,3 milliards d’euros, dont 57 %
sensible de la production dans certains 12 % de la production laitière intérieure, de produits laitiers et 24 % de viande
secteurs, dont le lait où les quotas ont 12 % de celle de viande porcine, 10 % porcine), cette hausse reste modérée
été abandonnés en 2015 ; une satu- de celle de viande de volailles et 5 % de comparativement à celle de la Chine. Le
ration, voire une baisse dans certains celle de viande bovine. troisième client de l’UE est le Japon (6 %
États membres, de la consommation des exportations de l’UE) qui s’approvi-
de protéines animales ; une ouverture Les exportations de l’UE en produc- sionne surtout en viande porcine (70 %)
croissante de plusieurs marchés, dont tions animales sont destinées pour un et en produits laitiers (20 %). Derrière
la Chine et la Russie (du moins avant la peu plus des deux tiers à quinze pays. ce trio de tête, les pays qui suivent sont
mise en œuvre de l’embargo en 2014) ; La Chine est devenue, et de loin, le pre- la Suisse, l’Arabie Saoudite, la Corée
une exigence qualitative de certains mier client, avec des importations qui du sud, l’Algérie, l’Australie, les Émirats
pays acheteurs (exemple : Japon, États- ont été multipliées par dix entre 2000- arabes unis, la Turquie, les Philippines, la
Unis) en termes de sûreté sanitaire. 09 (805 millions d’euros par an) et 2016 Lybie et le Liban. La Russie, qui a long-
L’UE est excédentaire en produits lai- (8,6 milliards d’euros). Ainsi, l’Empire temps occupé une place importante
tiers (14,1 milliards d’euros en 2016) et du Milieu capte, à lui seul, 28 % des dans les exportations européennes, est
en viande porcine (8,1 milliards d’eu- exportations de l’UE en 2016. Cetaux désormais classée derrière ces pays. Le
ros), mais déficitaire en viande bovine est de 44 % pour la viande porcine, recul des importations russes a méca-
(– 1 milliard d’euros) et en viande de 26 % pour les produits laitiers, 14 % niquement eu un impact positif sur le
volailles (– 685 millions d’euros). pour la viande de volailles et 15 % pour poids relatif des pays clients de l’UE,
la viande bovine (Commission euro- notamment ceux situés en Asie.
Les exportations de l’UE en produc- péenne, 2016). Le développement des
tions animales concernent surtout des importations chinoises en productions Les importations de l’UE en produc-
produits laitiers (50 % du total en 2016) animales a largement profité à l’UE qui tions animales ont faiblement aug-
et la viande porcine (26 % du total), assure 38 % des approvisionnements menté au cours de la période étudiée. En
deux secteurs où l’UE est structurelle- (en valeur) de la Chine en 2016 contre effet, elles sont passées de 7,2 milliards
ment excédentaire (figure 6). Les expor- 22 % au cours de la période 2000-09. d’euros en 2000-09 à 9,1 milliards d’eu-
tations de viande de volailles (5 %), de En représentant 8 % des exportations ros en 2016. La stabilité démographique
bovins vivants (4 %) et de viande bovine de l’UE en productions animales, les de l’UE, le recul de la consommation
(3 %) sont, quant à elles, moins dévelop- États-Unis occupent la seconde place individuelle de protéines animales, le
pées, surtout en raison de prix plus éle- des pays clients. Si les exportations de développement récent des productions
vés que ceux de la concurrence. Dans l’UE vers les États-Unis ont augmenté animales dans plusieurs États membres,
l’UE, et d’après les données de la FAO, entre 2000-09 (1,4 milliard d’euros) et surtout l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-
Bas et la Pologne (mais pas la France) et
les exigences qualitatives de l’UE à l’im-
Figure 6. Les principaux clients de l’UE en productions animales selon les types
port, sont les principaux facteurs expli-
de produits entre 2000 et 2016 (milliards d’euros courants par an) (Source : INRA,
SMART-LERECO d’après BACI). quant cette évolution. Les importations
européennes en productions animales
9 s’inscrivent pour une large part dans le
cadre de contingents d’importations à
8
droits nuls ou réduits consentis dans
Milliards d’euros courants

7 le cadre des accords de l’OMC et de


panels perdus tels que ceux sur le soja,
6 les viandes saumurées pour la volaille
5 et les hormones pour la viande bovine,
etc. Les importations européennes
4 concernent surtout de la viande de
volailles (25 % du total en provenance
3
à 45 % du Brésil et 40 % de la Thaïlande)
2 et de la viande bovine (23 % du total
en provenance à 32 % du Brésil, 19 %
1
de l’Argentine et 17 % de l’Uruguay).
0 Les importations de produits laitiers
2000-09
2010-15

2000-09
2010-15

2000-09
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2016

2016

2016

2016

2016

2016

2016

2016

sont quant à elles plus modestes (14 %


en provenance à 53 % de la Suisse et
Chine États Japon Suisse Arabie Corée Algérie Australie Émirats Turquie
-Unis Saoudite du Sud Arabes
19 % de la Nouvelle-Zélande) et repré-
Unis sentent environ 1 % de la consomma-
tion intérieure. Ce taux est nettement
Produits laitiers Viande bovine Viande porcine
supérieur (environ 20 %) pour la viande
Viande de volailles Autres ovine qui compte pour 11 % du total

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’internationalisation des marchés en productions animales / 125

des i­mportations (cette viande étant Figure 7. Le solde commercial intra-UE et extra-UE de la France en productions
achetée à 87 % en Nouvelle-Zélande et animales entre 2000 et 2017 (milliards d’euros courants) (Source : INRA, SMART-
8 % en Australie). LERECO d’après COMEXT).

5,5
„„3.2. Le commerce
de la France 5,0
en productions animales 4,5

Milliards d’euros courants


4,0
Dans le cas de la France, les données
utilisées sont celles issues de la base 3,5
COMEXT car elles présentent deux 3,0
avantages : elles donnent la possibilité
de distinguer le commerce extra-UE du 2,5
commerce intra-UE ; elles sont actuali- 2,0
sées à l’année 2017. 1,5

Les exportations de la France en pro- 1,0


ductions animales s’élèvent à 15,1 mil- 0,5
liards d’euros en 2017 (dont un tiers
0,0
à destination de pays tiers), contre 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
10,9 milliards d’euros en 2000-09 (dont – 0,5
20 % à destination de pays tiers). Cette –1,0 Intra-UE Extra-UE Total
croissance des exportations est liée
pour les deux tiers aux pays tiers et pour
60 % aux produits laitiers. En 2017, les Les cinq pays avec lesquels la France La France est excédentaire en pro-
exportations en productions animales a le plus amélioré son solde en produc- duits laitiers en 2017 (3,30 milliards
vers les pays tiers s’élèvent à 5 milliards tions animales entre 2000-09 et 2016 d’euros) grâce plus aux pays tiers
d’euros, soit 16 % du total de l’UE. Les sont tous non membres de l’UE. Il s’agit (2,73 milliards d’euros) qu’aux États
exportations de la France en produc- de la Chine (+ 922 millions d’euros), de membres de l’UE (570 millions d’euros)
tions animales relèvent à 42 % des pro- l’Algérie (+ 169 millions d’euros), des avec lesquels sa balance commerciale
duits laitiers, 11 % de la viande porcine, États-Unis (+ 124 millions d’euros), de s’est détériorée (Perrot et al., 2018).
11 % des bovins vivants, 10 % de la l’Arabie Saoudite (+ 109 millions d’eu- Dans le secteur bovin, la France est
viande de volailles et 8 % de la viande ros) et de l’Indonésie (+ 88 millions également excédentaire (998 millions
bovine. Les importations de la France d’euros). Inversement, les cinq pays avec d’euros), mais uniquement grâce à son
en productions animales s’élèvent à lesquels la France a le plus détérioré sa commerce de bovins vivants, composé
10,9 milliards d’euros en 2017 (dont balance commerciale entre 2000-09 et surtout de broutards commercialisés
96 % en provenance de l’UE), contre 2016 sont tous européens. Il s’agit des vers l’Italie (tableau 3). La situation
6,9 milliards d’euros en 2000-09 (dont Pays-Bas (– 646 millions d’euros), de l’Es- est, en revanche, déficitaire en viande
93 % en provenance de l’UE). La hausse pagne (– 487 millions d’euros), de l’Italie bovine (– 317 millions d’euros), avec des
des importations entre ces deux (– 347 millions d’euros), de la Pologne approvisionnements qui se font princi-
périodes résulte à 41 % des produits (– 280 millions d’euros) et de l’Alle- palement dans les pays voisins du nord
laitiers, 22 % de la viande de volailles et magne (– 254 millions d’euros). Cette de l’UE. Dans le secteur porcin, la France
18 % de la viande de porcs. dégradation du solde de la France avec est déficitaire en valeur (– 392 millions
les pays européens peut s’expliquer de d’euros en 2017), avec un solde posi-
Ainsi, la balance commerciale de différentes façons : le faible essor démo- tif en porcs vivants (73 millions d’eu-
la France en productions animales graphique de ces pays et la baisse de ros) mais négatif en viande porcine
s’élève à 4,3 milliards d’euros en 2017. la consommation individuelle limite les (– 466 millions d’euros). Ce solde négatif
Contrairement aux évolutions positives besoins alimentaires ; plusieurs de ces tient surtout aux relations commerciales
observées à l’échelle de l’UE, ce solde pays ont développé leur production en défavorables avec l’Espagne et l’Alle-
français est resté finalement assez interne et sont parfois plus compétitifs magne ; un solde positif et en légère
stable au cours des quinze dernières sur les marchés extérieurs que la France amélioration est en revanche observé
années (figure 7). Cette situation cache (exemple : la filière porcine en Espagne avec les pays tiers, dont la Chine. Dans
néanmoins un double mouvement, et en Allemagne, la filière volaille en le secteur avicole, le solde de la France
avec d’un côté une nette dégradation Pologne, la filière laitière aux Pays-Bas et est tout juste à l’équilibre (+ 38 millions
du solde avec les États membres de l’UE en Allemagne…) ; une partie des expor- d’euros en 2017), avec un solde négatif
(– 2,49 milliards d’euros entre 2000-09 tations issues de ces pays correspond (– 380 millions d’euros) et en détério-
et 2017) et, de l’autre, une amélioration en fait à des approvisionnements réali- ration avec les pays européens, dont la
de celui-ci avec les pays tiers (+ 2,79 mil- sés initialement sur le marché mondial Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas et
liards d’euros entre 2000-09 et 2017). (réexpédition de produits importés). la Pologne. Le solde avec les pays tiers

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


126 / Vincent chatellier

Tableau 3. L’évolution du solde commercial de la France en productions animales selon les types de produits et les principaux
pays partenaires entre 2000-09 et 2017 (millions d’euros) (Source : INRA, SMART-LERECO d’après COMEXT).

Productions
Secteur laitier Secteur bovin Secteur porcin Secteur avicole
animales

2017 2017 2017 2017 2017


  2017 2017 2017 2017 2017
/2000-09 /2000-09 /2000-09 /2000-09 /2000-09

UE-28 570 – 764 874 – 37 – 838 – 721 – 380 – 866 – 281 – 2 491

Danemark – 21 – 10 – 1 8 – 49 17 21 – 11 – 30 33

Royaume-Uni 442 108 – 35 – 34 91 – 47 57 – 70 467 – 24

Grèce 20 – 38 172 – 77 43 – 36 7 – 8 257 – 163

Irlande – 143 – 74 – 208 – 89 0 – 10 – 7 – 12 – 490 – 170

Allemagne 302 21 – 7 132 – 224 – 166 – 32 – 206 – 112 – 254

Pologne – 3 – 7 – 82 – 72 19 16 – 200 – 195 – 297 – 280

Italie 78 – 204 1 249 93 – 71 – 211 9 – 25 1 421 – 347

Espagne 227 – 111 173 57 – 797 – 417 5 – 47 – 290 – 487

Pays-Bas – 641 – 466 – 311 – 23 – 5 44 – 182 – 119 – 1 402 – 646

Pays tiers 2 737 1 664 124 102 446 228 417 60 4 576 2 798

Chine 663 613 4 4 218 195 37 24 1 022 922

Algérie 246 110 57 51 0 0 6 – 5 326 169

États-Unis 198 63 0 0 1 3 1 4 245 124

Arabie Saoudite 134 69 0 0 7 4 123 32 275 109

Indonésie 91 79 0 0 0 0 1 – 1 103 88

Corée du Sud 69 55 0 0 30 – 4 0 – 2 133 72

Australie 43 39 – 1 – 1 0 0 0 0 47 59

Japon 75 25 1 1 60 29 2 – 10 170 53

N.-Zélande 1 1 0 0 0 0 0 0 – 53 45

Brésil 14 6 – 3 9 0 0 – 1 9 16 40

Argentine 1 1 0 7 0 0 0 0 – 7 18

Suisse 64 20 – 20 – 14 4 0 48 1 123 13

Inde 10 9 0 0 0 0 0 0 9 12

Canada 37 3 0 2 1 1 – 7 – 7 26 4

Monde 3 307 899 998 65 – 392 – 492 38 – 806 4 295 307

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’internationalisation des marchés en productions animales / 127

reste positif, mais l’abandon des restitu- « compétitivité prix » alors que d’autres, géographique des pays (qui limite les
tions sur le poulet entier congelé est de dont les États membres de l’UE (Bas et coûts de transport) ont, depuis de nom-
nature à fragiliser les exportations vers al., 2015 ; Bureau et al., 2015), cherchent breuses décennies déjà, contribué à
les pays du Moyen-Orient, dont l’Arabie à faire-valoir davantage la « compétiti- structurer certains courants d’échanges
Saoudite (Chatellier et al., 2015). vité hors prix » (qualité ou typicité des internes, tels que par exemple les
produits, haut degré de transformation exportations de bovins vivants de la
Entre 2000-09 et 2016, la détériora- des produits…). Au niveau des impor- France vers l’Italie ou les exportations
tion du solde commercial de la France tations, la Chine est clairement le pays de produits animaux de l’Irlande vers
avec les États membres de l’UE est qui a le plus contribué à la dynamisa- le Royaume-Uni. À ce titre, les condi-
particulièrement forte dans le secteur tion récente des échanges internatio- tions commerciales futures qui seront
avicole (– 866 millions d’euros), en pro- naux. Premier importateur mondial en appliquées entre l’UE et le Royaume-
duits laitiers (– 764 millions d’euros) et productions animales, ce pays devance Uni, un pays lourdement déficitaire en
dans le secteur porcin (– 721 millions désormais les États-Unis (où les biens agroalimentaires, auront de l’im-
d’euros). Les seuls créneaux où le solde échanges se font pour une part impor- portance. Non seulement le Royaume-
a enregistré une hausse sont les bovins tante dans le cadre de l’ALENA), le Japon Uni deviendra un pays tiers dans les
vivants (+ 110 millions d’euros), les (où les importations sont désormais analyses statistiques, mais il deviendra
volailles vivantes (+ 50 millions d’eu- freinées par la baisse de population) et aussi plus libre quant à la structura-
ros) et les porcs vivants (+ 23 millions l’UE (zone où les importations restent tion de ses relations bilatérales. S’il est
d’euros). L’amélioration du solde com- limitées au prorata de la consomma- encore trop tôt pour en mesurer tous les
mercial de la France avec les pays tiers tion intérieure). De manière inverse à la impacts économiques, il est certain que
est, de son côté, confirmée pour tous Chine, et suite à son embargo, la Russie le Brexit suscitera de larges débats sur
les produits identifiés dans le tableau 3, a fortement baissé ses importations en les stratégies d’approvisionnement du
dont surtout les produits laitiers et la productions animales au cours des der- marché alimentaire britannique.
viande porcine. La concurrence intra-UE nières années, au détriment surtout des
semble donc plus déstabilisante pour États membres de l’UE, dont les expor- Dans le domaine des productions
l’élevage français que la pression exer- tations se sont réorientées vers les pays animales, le commerce international a
cée par les pays tiers. asiatiques. beaucoup évolué au fil des dernières
décennies. Quelques grandes entre-
Pour l’UE, et dans un contexte mar- prises multinationales, privées ou
Conclusion qué par une saturation progressive de coopératives, telles que par exemple
la consommation globale en produits JBS, Tyson Foods, Cargill, Dairy Farmers
Dans de très nombreux pays, notam- animaux (faible croissance démogra- of America, Smithfied, Fonterra, Nestlé,
ment ceux en développement, les phique, recul du niveau individuel de Lactalis, Arla, Campina-Friesland,
échanges en productions animales ne consommation pour certains biens…), Yili, Danish Crown, Vion ou Saputo
représentent finalement qu’une part l’essor des échanges internationaux occupent désormais une place cen-
limitée de la production intérieure. La constitue une opportunité pour amé- trale. Ces entreprises, qui entrent en
consommation domestique s’adapte liorer la balance commerciale et écouler concurrence les unes avec les autres
ainsi aux capacités productives (ou (voire développer) la production inté- et qui cherchent à se singulariser par
inversement) et les échanges sont rieure. Force est cependant de constater l’innovation, sont aujourd’hui placées
d’autant plus faibles qu’ils se heurtent que l’accès aux marchés internationaux au cœur d’un commerce qui s’oriente
souvent à des problèmes économiques n’est pas chose facile, certains États de plus en plus vers des produits
et/ou sanitaires. Ainsi, les pays du conti- membres ayant plus d’atouts que élaborés, transformés et assemblés
nent africain sont historiquement peu d’autres pour s’y engager. Ainsi, les (produits finis pour les consomma-
présents dans les échanges interna- Pays-Bas assurent, à eux seuls, 20 % teurs ou produits ingrédients pour les
tionaux de productions animales. La des exportations de l’UE en produc- industries agroalimentaires). Ainsi, par
concentration des pays exportateurs est tions animales vers les pays tiers, soit exemple, les échanges de carcasses et
forte, la moitié des exportations mon- l’équivalent des vingt États membres de beurre ont aujourd’hui beaucoup
diales de productions animales résul- les moins concernés. Ils devancent ainsi moins le « vent en poupe » que ceux
tant de l’UE, des États-Unis, du Brésil, nettement l’Allemagne (14 %), la France de pièces ou de lait infantile. Les pro-
de la Nouvelle-Zélande et de l’Austra- (13 %), l’Espagne (9 %), le Danemark duits sont de plus en plus « crackés »
lie. Si les jeux concurrentiels entre ces (8 %), l’Irlande (7 %) et la Pologne (5 %). et réassemblés, ce qui donne lieu à
pays jouent pleinement à destination Les échanges extra-UE sont nettement des courants d’échanges parfois com-
de certaines cibles stratégiques comme moins importants en valeur que les plexes, comme les citoyens français
par exemple la Chine ou le Japon, les flux internes entre les États membres. en avaient par exemple pris acte au
stratégies empruntées pour dynamiser L’absence de droits de douanes entre moment de l’affaire dite de « la fraude
les exportations varient entre ces pays. les pays de l’Union douanière, la libre à la viande de cheval ». Ce cracking
Certains d’entre eux, comme le Brésil circulation des marchandises, l’harmo- des produits concerne aussi bien le
ou la Nouvelle-Zélande, sont particu- nisation progressive des normes dans lait (séparation des différents compo-
lièrement performants au niveau de la de nombreux domaines et la proximité sants y compris en jouant sur le poids

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


128 / Vincent chatellier

moléculaire), les viandes (séparation de certains grands dirigeants de ce terre). Le commerce pourrait aussi être
et désossage des pièces) que les œufs monde, dont Donald Trump. Depuis un moyen de rapprocher la demande
(poudre de jaune, poudre de blanc). Ce son élection sous la bannière America et l’offre en permettant aux pays où le
type de commerce se développe alors First, le Président américain a retiré son changement climatique crée des pénu-
que, parallèlement, nombreux sont les pays de l’accord de Paris sur le climat ries de se procurer les biens et services
citoyens qui, pour des raisons diverses, et a renforcé les mesures protection- dont ils ont besoin dans les pays où
souhaitent donner une plus grande nistes. Les États-Unis sont entrés dans ceux-ci sont encore disponibles (OMC,
place à la proximité et aux produits une guerre commerciale avec la Chine 2009). Les filières animales françaises
bruts dans leurs actes d’achats. Par ail- en surtaxant de 25 % une centaine de et européennes doivent s’emparer de
leurs, l’attention croissante portée par produits chinois ce qui a donné lieu ces différents éléments et faire-valoir
les citoyens au bien-être animal pour- à une réplique sous la forme d’une leurs atouts pour bâtir une stratégie
rait, demain, avoir une influence sur la taxation du soja américain importé gagnante tant au plan domestique que
manière dont le commerce d’animaux en Chine. Si ces changements de cap sur les marchés extérieurs.
vivants est organisé. dans les politiques commerciales ne
sont pas neutres sur la dynamique du
Les accords bilatéraux, les normes commerce mondial, il reste bien difficile
Remerciements
publiques et privées, les règles sani- d’en connaître les dénouements futurs.
taires et les conditions techniques De plus, qu’en sera-t-il demain, avec L’auteur remercie Cécile Le Roy (INRA,
d’accès aux marchés extérieurs (habili- toutes les questions, aussi cruciales que UMR SMART-LERECO) pour son appui
tation des entreprises exportatrices) ont complexes, soulevées par l’environne- efficace dans le traitement des don-
une influence de plus en plus forte sur ment (Fontagné et Mimouni, 2001) et nées des douanes. Ce travail, qui s’ins-
la sélection des acteurs du commerce. le réchauffement climatique ? Si le com- crit dans le cadre du projet COMPANI
Outre la volatilité accrue du prix des merce de marchandises génère de la (COMPétitivité des filières ANImales
matières premières et de l’énergie qui pollution, certains modes de transport françaises) coordonné par Stéphane
pèse sur l’évolution de la rentabilité des ont des émissions de dioxyde de car- Turolla (INRA), a bénéficié de l’appui
entreprises exportatrices, ces dernières bone plus faibles (le transport par mer) financier du Ministère en charge de
doivent aussi faire face à la versatilité que d’autres (le transport par air et par l’Agriculture.

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Résumé
Les productions animales représentent 16 % du commerce agroalimentaire international. Le déséquilibre croissant entre l’offre et la demande
de produits animaux dans les pays asiatiques où la consommation progresse, surtout en Chine, stimule les échanges au bénéfice des grands
pays exportateurs que sont l’Union Européenne (UE), les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, le Brésil et l’Australie. Si cette évolution offre des
opportunités commerciales pour les pays structurellement excédentaires, les achats ne sont pas toujours réguliers d’une année à l’autre et la
concurrence par les prix est très forte, même si certains pays ont des exigences qualitatives. L’UE, qui est excédentaire en produits laitiers et
en viande porcine, mais déficitaire (en valeur) en viande bovine et en viande de volailles, est le premier exportateur mondial de productions
animales (avec 22 % du total, hors commerce intra-UE en 2016). En utilisant les données statistiques des douanes (BACI et COMEXT) de
2000 à 2016, cet article traite de l’évolution du commerce en productions animales. Il présente l’évolution du commerce international pour
différents types de biens (produits laitiers, viande bovine, viande porcine, viande de volailles) et met en évidence les trajectoires commer-
ciales des principaux pays déficitaires (Chine, Japon et Russie) et excédentaires (Inde, Australie, Nouvelle-Zélande, Brésil, États-Unis et UE).

Abstract
Internationalization of markets in animal production
Animal production accounts for 16 % of the international agri-food trade. The growing imbalance between supply and demand for animal pro-
ducts in Asian countries, where consumption is growing, particularly in China, is boosting trade for the benefit of the major exporting countries:
the European Union (EU), the United States, New Zealand, Brazil and Australia. While this development offers trade opportunities for structurally
surplus countries, purchases are not always consistent from year to year and price competition is very strong, although some countries have
qualitative requirements. The EU, which has a surplus in dairy products and pig meat, but is deficient (in value) in beef and poultry meat, is the
world’s largest exporter of animal products (with 22 % of the total, excluding intra-EU trade in 2016). This article deals with the evolution of trade in
animal products using customs statistics data (BACI and COMEXT) from 2000 to 2016. It presents the evolution of international trade for different
types of goods (dairy products, beef, pig meat, poultry meat) and highlights the trade trajectories of the main deficit countries (China, Japan and
Russia) and the main surplus countries (India, Australia, New Zealand, Brazil, the United States and the EU).

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INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’évolution de la consommation INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 131-146

de produits animaux en France :


de multiples enjeux
France CAILLAVET1, Adélaïde FADHUILE1,2, Véronique NICHÈLE1
1
ALISS, UR1303, INRA Paris-Saclay, Ivry-sur-Seine, France
2
Université de Grenoble Alpes, CNRS, INRA, INP, GAEL, 38000, Grenoble, France
Courriel : france.caillavet@inra.fr

„„ La consommation élevée de protéines animales en France est désormais au cœur des enjeux de la durabilité,
confrontée à des recommandations publiques moins favorables, après avoir suivi lors des décennies passées une
trajectoire croissante. Dans un contexte de durabilité et de saturation des besoins en protéines, et en particulier
de source animale, les ménages sont amenés à réorienter leurs modes de consommation.

Introduction l’urbanisation et les changements de ne peuvent désormais plus être ignorés


régime alimentaire dans les pays plus par les consommateurs.
pauvres. En 2011, dans les pays de
La croissance de la consommation de revenu bas et moyen, la consommation En ce qui concerne l’environnement,
produits animaux est supérieure au taux par tête de protéines animales repré- l’urgence de réduction des émissions
de croissance de la population (Steinfeld sente moins de 40 % de celle des pays de Gaz à Effet de Serre (GES) est relayée
et al., 2006). Ces deux facteurs conjugués à haut revenu (FAO, 2017). L’élévation par la presse, qui diffuse les appels des
renouvellent le débat traditionnel sur la du niveau de vie permettant l’accès scientifiques (IPCC, 2018 ; Ripple et al.,
couverture des besoins nutritionnels de aux sources de protéines animales et 2017). Les institutions publiques ont
la population. La transition nutrition- l’occidentalisation des préférences depuis longtemps fixé des objectifs
nelle, jusqu’ici consistant en la substi- constituent les leviers de la transition chiffrés en la matière, par exemple
tution de protéines végétales par les nutritionnelle. Les projections s’avèrent l’Union Européenne avec un objectif
protéines animales, aborde une nouvelle très contrastées selon les zones géogra- de réduction de 40 % des émissions en
étape. La production de viande est parti- phiques. En ce qui concerne la viande, 2030 par rapport à 1990 (Commission
culièrement concernée par ces tensions, les besoins futurs conduisent à un dou- Européenne, 2007). L’agriculture est
la consommation des ressources végé- blement de la consommation actuelle un important émetteur de GES après
tales nécessaire à l’élevage se trouvant d’ici 2050, soit 200 millions de tonnes l’énergie (I4CE, 2018). Les ordres de
en concurrence avec celle de la popula- supplémentaires (FAO, 2009). Ils se grandeur sont variables selon les
tion. En effet, selon la FAO, la production répartissent entre l’Asie en premier lieu méthodes d’estimation qui reposent sur
mondiale de protéines végétales avait (46 %), la Chine seule ayant un poids de nombreuses hypothèses (Dumont et
atteint 555 millions de tonnes en 2013. supérieur (28 %) à l’Europe (20 %) et Dupraz, 2016 ; Rosner et al., 2016). Dans
80 % ont été consacrées à l’alimentation à l’Amérique du Nord (14 %). Le poids le cas français, la méthode d’inventaire
animale pour produire 89 millions de encore faible de l’Amérique du Sud de production, limitée aux portes de la
tonnes de protéines animales. (10 %), et de l’Afrique (5 %) montrent ferme, attribue 17,1 % des émissions de
les enjeux du XXIe siècle et la pression GES à l’agriculture (hors énergie et hors
Face à la moindre augmentation de qui s’exerce sur la répartition des res- changements d’utilisation des sols), plus
la population dans les pays les plus sources. Les enjeux environnemen- que la moyenne européenne (10,1 %),
développés et à la saturation de leurs taux, nutritionnels et sociaux associés en 2015 (Ministère de l’environnement,
besoins en protéines, la croissance de à cette forte croissance de la demande 2017). Au sein du secteur agricole, l’éle-
la demande de produits animaux est de protéines animales, sont de plus en vage et en particulier les ruminants
désormais tirée par la démographie, plus présents dans le débat public, et sont les principaux ­émetteurs (Gerber

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2502 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


132 / France caillavet, Adélaïde fadhuile, Véronique nichèle

et al., 2013 ; Wellesley et al., 2015). En santé et d’environnement, un autre a. Les apports en produits
ce qui concerne l’alimentation, à partir type de transition nutritionnelle est animaux
d’analyses de cycle de vie menées de à l’œuvre au sein de la plupart des Les enquêtes « Individuelles Nationales
la « fourche à la fourchette », de nom- sociétés développées, dont la France. des Consommations Alimentaires »
breuses études ont montré que les ali- L’inflexion de la consommation à un (INCA) sont la source la plus complète
ments de sources animales étaient liés niveau de revenu élevé se traduit par sur la consommation car elles couvrent
à de plus fortes émissions que la plupart un retournement de tendance, et la l’ensemble des prises alimentaires (cf.
des aliments de source végétale (Briggs consommation de viande n’est plus encadré). L’enquête la plus récente
et al., 2013 ; Masset et al., 2014 dans le le marqueur social traditionnel, liée réalisée en 2014-15 (INCA3) indique
cas français). L’ADEME estime ainsi l’em- positivement au statut social : elle une grande hétérogénéité des taux de
preinte carbone d’un repas (en équiva- marque le pas pour les populations les consommation et des quantités selon les
lent CO2 : CO2eq) avec de la viande de plus éduquées et est désormais plus produits considérés (tableau 1). En effet,
bœuf à 4,52 kg CO2eq, celle d’un repas importante, pour certaines catégories on constate que pour certains produits,
avec de la viande de poulet à 1,11 kg de produits, pour les populations de la majorité de la population n’est pas
CO2eq et celle d’un repas végétarien à faible statut socioéconomique. consommatrice sur les trois jours de rele-
0,45 kg CO2eq (I4CE, 2018). vés. Cela concerne le lait, les œufs et pro-
Cet article vise à inscrire la consom- duits dérivés, les volailles, les abats, les
Du point de vue nutritionnel, la surcons- mation française face à ces nouveaux produits de la mer et les plats préparés à
ommation de protéines est connue au enjeux. Une première partie présente base de viandes ou poissons. En termes
niveau des pays développés et en parti- les résultats des enquêtes actuelles de de quantités, les produits animaux repré-
culier européens. Elle représente 150 % consommation de produits animaux à sentent 26,2 % des apports caloriques,
des apports recommandés, sur la base partir des données recueillies auprès soit une stabilisation de la contribution
des bilans de la FAO (Aiking, 2014). Les des ménages, et propose un éclairage des protéines dans la dernière décennie
protéines animales y sont prépondé- rétrospectif de l’évolution des sources par-rapport à la précédente enquête
rantes. Au sein des pays européens, la de protéines sur quatre décennies. Une INCA2 (pour les adultes : 16,9 % en 2006-
France occupe la première place (avec deuxième partie expose les objectifs 07 et 16,8 % en 2014-15).
la Finlande) par l’importance des proté- publics de consommation, et suggère
ines animales dans les apports totaux en des pistes d’incitation à la réorientation b. Les produits animaux
protéines (67 %) (EFSA, 2011). Dans un de la consommation via des simulations dans le budget alimentaire
contexte global de développement des de hausses de prix correspondant à l’in- Les enquêtes Budget des Familles,
pathologies liées à la nutrition, telles que corporation du coût environnemental contrairement aux enquêtes INCA, enre-
les maladies cardiovasculaires ou l’obé- dont on examine les conséquences en gistrent les dépenses alimentaires et les
sité (WHO, 2009), les risques associés à termes de durabilité environnementale, budgets des ménages (BDF, cf. encadré).
une alimentation riche en viande rouge nutritionnelle et d’équité. Comparés aux apports caloriques, les
et charcuterie ont été l’objet d’études produits animaux représentent une part
épidémiologiques (Friel et al., 2009 ; importante du budget. Cette part attei-
Godfray et al., 2018). Plusieurs orga-
1. L’évolution gnait en 2011 44,7 % du budget alloué à
nismes, et notamment le Fonds Mondial de la consommation l’ensemble des produits alimentaires et
de Recherche sur le Cancer (WCRF, 2007) de produits animaux boissons non alcoolisées par les ménages
ont édité des recommandations fixant (Enquête Budget des Familles 2011,
un seuil de consommation de viande INSEE), (tableau 2). Les viandes en consti-
„„1.1. Appréhender
rouge à 300 g par semaine dès 2007. tuent la part prédominante (51,9 %). Au
la consommation
sein de ce groupe, la consommation de
de produits animaux
Enfin, les enjeux d’inégalités sociales charcuterie et abats (30,8 %), puis celle de
accompagnent cette problématique, Les données de consommation bœuf (27,6 %) sont les plus importantes.
en raison de la grande disparité de peuvent provenir de plusieurs sources : Les produits de la mer sont devancés par
consommation de produits animaux. La bilans FAO ou relevés directs auprès les produits laitiers.
relation avec le niveau de revenu joue des consommateurs, individus ou
d’une part entre pays à l’échelle mon- ménages. Chaque source possède ses En revanche, ramené en termes de
diale (Sans et Combris, 2015). Selon un limites (encadré). Nous nous appuyons dépense par Unité de Consommation1,
modèle en U inversé, la consomma- ici sur les données d’enquêtes directes. soit une méthodologie visant à com-
tion de viande s’infléchit à un niveau Concernant les produits animaux, parer des ménages de composition
de revenu élevé (Vranken et al., 2014). elles permettent de mesurer les quan-
Parallèlement, cette association avec tités consommées, ou les dépenses
le revenu est vraie également au sein au sein de l’alimentation à domicile. 1  L’échelle actuellement la plus utilisée (dite de
des pays, entre populations plus ou En outre, la disponibilité de variables l’OCDE), utilisée par l’INSEE, retient la pondération
suivante : 1’Unité de Consommation (UC) pour le
moins favorisées. Cependant, dans un s ociodémographiques dans les
­ premier adulte du ménage, 0,5 UC pour les autres
contexte de saturation des besoins enquêtes rend possible l’étude des dis- personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC pour les
protéiques et de préoccupations de parités sociales. enfants de moins de 14 ans.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’évolution de la consommation de produits animaux en France : de multiples enjeux / 133

Encadré. Sources de données sur la consommation de produits animaux.

Les bilans alimentaires de la FAO : les disponibilités


Collectés au niveau national chaque année, ils donnent une photographie détaillée de l’approvisionnement alimentaire. Le bilan alimentaire fait apparaître, pour
chaque produit (de base ou transformé), les sources d’approvisionnement et leur utilisation. On évalue l’approvisionnement disponible au cours d’une période en
calculant la quantité totale de denrées alimentaires produites ou importées dans un pays, corrigée en fonction des variations de stocks au cours de cette période.
Concernant l’utilisation, on distingue les quantités exportées, celles destinées à l’alimentation animale, utilisées comme semences ou transformées par l’industrie.
L’utilisation tient compte également des pertes au cours du stockage et du transport. Les bilans fournissent la disponibilité pour la consommation d’un produit
alimentaire donné par habitant, obtenue en divisant la quantité de ce produit par la population qui le consomme. Les données sur les disponibilités par habitant
sont exprimées en volume. En appliquant les coefficients pertinents relatifs à la composition des aliments, pour tous les produits (de base ou transformés) les
quantités consommées sont également exprimées en calories, protéines et lipides. La consommation estimée par la méthode des bilans concerne donc l’ensemble
de la consommation des ménages ordinaires (à domicile et hors domicile) et la consommation des institutions (pensionnats, hôpitaux…). Les bilans alimentaires
sont disponibles annuellement depuis 1961 pour 22 groupes de produits animaux.
L’enquête « Consommation Alimentaire » de l’INSEE : la consommation au domicile
Réalisée auprès des ménages chaque année de 1965 à 1983, sauf en 1975 en raison du recensement de la population et une année sur deux de 1985 à 1991,
date de l’arrêt définitif de l’enquête. Il s’agit d’enquêtes représentatives de la population des ménages ordinaires résidents en France métropolitaine. Elles ont été
réalisées selon la même méthodologie permettant de recueillir, outre les caractéristiques sociodémographiques des ménages, l’ensemble des approvisionnements
en produits alimentaires pour le domicile, qu’ils proviennent d’un achat, d’un cadeau reçu, d’un prélèvement sur la production du ménage (autoconsommation)
ou sur le stock du magasin (autofourniture). Ceux-ci sont consignés manuellement dans un carnet de compte pendant sept jours consécutifs et sont classés selon
une nomenclature de 330 produits alimentaires dont 117 sont consacrés aux produits animaux (hors plats préparés).
L’enquête « Budget des Familles » (BDF) de l’INSEE : l’ensemble des dépenses de consommation
Couvrant l’ensemble du budget des ménages, cette enquête à peu près quinquennale recueille les dépenses depuis 1978-1979 et également les quantités ali-
mentaires depuis 2005. La taille de l’échantillon représentatif est de l’ordre de 10 000 ménages. Le recueil est effectué par un carnet de compte. Les dépenses de
consommation alimentaire sont enregistrées pendant 14 jours consécutifs jusqu’en 2006, puis sur 7 jours consécutifs en 2010-2011 par chaque membre du ménage.
Le panel de consommateurs KANTAR « Worldpanel » : les achats pour le domicile
Mis en place depuis la fin des années 1960, c’est un panel annuel qui porte sur les achats des ménages pour le domicile (l’autoconsommation et l’autofourniture ne
sont pas prises en compte). Les méthodes d’échantillonnage et de recueil des données ont évolué, notamment en 1996 avec l’abandon des relevés d’achats manuels
et le passage à la lecture optique à domicile pour les produits avec un code-barres. Les caractéristiques des produits sans codes-barres sont relevées à l’aide de codes
spécifiques figurant dans un livret. Parallèlement à cette évolution, la taille des échantillons a augmenté permettant une amélioration de la représentativité de la
population des ménages ordinaires résidents en France métropolitaine continentale, et dépasse actuellement 30 000 ménages. La nomenclature est caractérisée
par un niveau de produits très désagrégé. En prenant l’exemple de la viande, on dispose des informations telles que l’animal, le type de préparation (à bouillir,
braiser ou à rôtir, griller, poêler), le morceau (carré, côte, épaule, gigot…), le taux de matière grasse, le conditionnement…
L’enquête « Individuelle Nationale des Consommations Alimentaires » (INCA) : l’ensemble des prises alimentaires
Réalisée par l’ANSES tous les sept ans : en 1998-1999, 2006-2007 et 2014-2015, la troisième édition de cette enquête (INCA3) a été menée sur un échantillon de
3 157 adultes de 18 à 79 ans et un échantillon d’enfants de 0 à 17 ans assurant la représentativité de l’ensemble des individus résidant en France métropolitaine
continentale et vivant dans un ménage ordinaire. Cette enquête vise à connaître les consommations alimentaires individuelles effectives quels que soient les
occasions et les lieux de consommation et à quantifier les apports nutritionnels correspondants. À la différence d’INCA2 basée sur un carnet de consommation
de 7 jours consécutifs, l’enquête INCA3 repose sur 3 rappels de 24 h dans un souci d’harmonisation méthodologique avec les autres enquêtes européennes. Cette
enquête génère des données de consommation sur 320 000 aliments regroupés selon une nomenclature de 44 postes dont 11 sont consacrés aux produits animaux.
L’enquête « Comportements et Consommations Alimentaires en France » (CCAF)
Réalisée par le CREDOC tous les trois ans de 2004 à 2016, la dernière édition de cette enquête a été menée durant 10 mois, d’octobre 2015 à juillet 2016 sur un
échantillon représentatif de 1 500 ménages domiciliés en France métropolitaine, 2 500 adultes de 20 ans et plus et 1 500 enfants et adolescents de 3 à 19 ans. Elle
comporte deux volets complémentaires : un volet comportements et attitudes et un volet consommation. Elle repose sur un questionnaire de plus de 120 questions
et un relevé quotidien des consommations individuelles pendant 7 jours consécutifs (carnet papier et outil en ligne). Elle enregistre 1 300 produits regroupés en
38 groupes alimentaires dont 10 sont consacrés aux produits animaux.

f­amiliale différente selon une échelle et non alimentaires, échelle de l’OCDE), recule légèrement entre 2000 et 2011
de structure de consommation estimée le poids budgétaire des produits ani- (Sans et de Fontguyon, 2008 ; Sans et
pour les dépenses totales (­alimentaires maux s’avère moins important et Nichèle, 2015).

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


134 / France caillavet, Adélaïde fadhuile, Véronique nichèle

Tableau 1. Taux de consommateurs, consommations journalières moyennes de produits animaux, contributions moyennes
des groupes d’aliments aux apports en énergie (Apports Énergétiques Totaux) chez les adultes de 18 à 79 ans (INCA3, n = 2121,
2014-15) (Source : ANSES, 2017).

Consommation
Taux % Apports
(seuls consommateurs)
de consommateurs % énergétiques totaux
g/jour

Produits laitiers

Laits 43,7 172,3 1,5

Yaourts et fromages blancs 68,6 111,8 3,1

Fromages 80,4 38,5 4,8

Viandes

Œufs et plats à base d’œufs 31,1 40,6 1,1

Viandes hors volailles 68,3 69,2 4,2

Volailles 49,1 52,9 2,2

Charcuterie 66,9 40,9 3,3

Abats 8,0 33,7 0,3

Produits de la mer

Poissons 42,5 54,0 1,7

Crustacés et mollusques 13,8 26,9 0,2

Matières grasses animales 67,6 13,3 2,2

Plats préparés

À base de viandes 19,5 74,1 1,0

À base de poissons 13,7 67,9 0,6

c. Disparités socioéconomiques consomment en plus grande quantité Les enjeux sociaux autour de la
de la consommation les yaourts et fromages blancs alors que consommation de produits animaux
de produits animaux les hommes consomment davantage ont longtemps été importants (Grignon,
À partir des données INCA, les de fromages, de viandes hors volaille, 1996) mais se transforment. La démo-
quantités consommées illustrent les de charcuterie et de poisson. Les effets cratisation récente de cette consom-
différences significatives2 sur les prin- de l’âge sont également significatifs. À mation constitue un trait marquant.
cipales variables socioéconomiques. partir de l’étude de 3 tranches d’âges En ce qui concerne la viande, les caté-
Le genre influe à la fois sur le taux de (18-44 ans ; 45-64 ans ; 65-79 ans), on gories sociales moins favorisées sont à
consommateurs, car fromages et char- constate que les fromages, œufs, pois- l’heure actuelle les plus fortes consom-
cuterie sont consommés par une plus sons, et abats sont de plus en plus matrices de certains produits carnés.
forte proportion d’Hommes, et sur la consommés avec l’âge. Les viandes Dans l’enquête INCA3, en 2014-15, le
­quantité moyenne. En effet, les femmes hors volailles montrent un pic chez les niveau d’éducation est discriminant
45-64 ans. En termes de consommation sur la consommation de viande hors
moyenne, on observe des quantités volailles. Un niveau d’éducation élevé
2  À partir de tests de différence statistique
menés sur les apports (INCA3  ; ANSES, 2017),
supérieures de fromages et inférieures est associé à une plus faible proportion
ou de travaux de modélisation de la demande de plats à base de poisson avec l’âge. de consommateurs de viande (65,1 %
alimentaire réalisés sur les achats. de consommateurs chez les Bac + 4,

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’évolution de la consommation de produits animaux en France : de multiples enjeux / 135

Tableau 2. Coefficients budgétaires des produits animaux (enquête Budget des Familles 2011) (Source : INSEE, calcul des
auteurs). https://www.insee.fr/fr/statistiques/2015662?sommaire=2015691#titre-bloc-5,2014

1er Décile
Groupes de produits Ensemble
de niveau de vie

Tous produits animaux 44,7 42,4

Viande 51,9 51,8

Viande bovine fraîche ou surgelée 27,6 28,3

Viande porcine fraîche ou surgelée 7,9 7,4

Viande ovine ou caprine fraîche ou surgelée 4,0 4,1

Viande de volaille fraîche ou surgelée 17,3 16,9

Viande séchée salée ou fumée, charcuterie et abats 30,8 31,1

Conserve de viande, produit de transformation des viandes 10,8 10,7

Autres viandes fraîches ou surgelées (cheval, lapin, gibier) 1,8 1,3

Total viande 100 100

Poissons et fruits de mer 15,7 12,7

Poissons frais 33,6 33,6

Poissons surgelés ou congelés (hors poissons panés ou cuisinés) 5,9 4,5

Fruits de mer frais ou surgelés (y compris cuits, non compris cuisinés) 22,5 18,1

Poissons et fruits de mer salés, fumés, séchés et surgelés 9,1 9,0

Conserves de poisson et de fruits de mer et plats préparés 28,7 35,5

Total poissons et fruits de mer 100 100

Lait, fromages et œufs 30,3 33,2

Fromage et lait caillé 45,0 42,4

Œufs 7,1 7,4

Lait frais, condensé, en poudre 13,9 17,2

Yaourts et produits laitiers 34,0 33,0

Total lait, fromages, œufs 100 100

Beurre 2,1 2,3

Total produits animaux 100 100

Tous produits alimentaires et boissons non alcoolisées 100 100

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


136 / France caillavet, Adélaïde fadhuile, Véronique nichèle

contre 72,1 % chez les Primaire/collège), lors des décennies précédentes. Un ramènent les quantités à la ration stan-
et à des quantités consommées infé- travail fin sur les achats pour le domi- dard de 2 000 kcal. On mesure ainsi la
rieures (37,1 g/jour, contre 52,8 g/jour). cile éclaire les enjeux nutritionnels contribution des produits animaux à la
Dans l’enquête INCA2, réalisée en 2006- portés par le rôle des protéines dans ration calorique, indépendamment de
07 avec une méthodologie différente, l’alimentation. la variation en quantité de cette ration.
on relevait des quantités supérieures3
de « volaille et gibier » et de « charcute- „„1.2. Achats de produits D’une manière générale, depuis les
rie » pour les niveaux d’éducation plus animaux et apports années 2000 on assiste à la forte éro-
faibles. Quant à la PCS, elle n’induit pas en protéines : une analyse sion de nombreux produits et à l’essor
de disparités dans l’enquête INCA3, à la en longue période de nouvelles catégories. Au niveau des
différence des enquêtes CCAF (cf. enca- produits animaux, les évolutions sont
dré et Laisney, 2013). En ce qui concerne Étudier l’évolution de longue période synthétisées dans la figure 1 présen-
les produits laitiers, le niveau d’éduca- de la consommation nécessite des tant les quantités achetées par tête par
tion est associé positivement au taux de séries de données homogènes. Les grand groupe de produits (exprimées
consommation chez les adultes, et aux bilans alimentaires de la FAO couvrent en g pour 2 000 kcal achetées) : viande,
quantités consommées pour les caté- plusieurs décennies et ont donné lieu à poisson, œufs (A) ; charcuterie, plats
gories de yaourts et fromages blancs et des analyses agrégées (cf. chapitre 1 de préparés (B) ; lait (C) ; yaourts, fromage,
pour les fromages. En revanche le lait Dumont et Dupraz, 2016). En revanche, desserts lactés (D) ; beurre, crème et
est davantage consommé par les per- des données continues de relevés de margarine (E).
sonnes ayant un niveau d’étude faible. consommation n’existent pas à l’heure
actuelle en France sur plus de 20 ans (cf. • Viandes
À partir des données BDF qui couvrent encadré). Un travail original a été mené
les achats pour la consommation au pour harmoniser les deux principales La principale contribution aux
domicile, les travaux soulignent l’in- sources de données d’achat (Enquêtes achats provient des viandes fraîches.
fluence du niveau de revenu par Unité de Consommation Alimentaire de l’IN- Globalement, celles-ci ont forte-
de Consommation (UC) du ménage, sa SEE et Kantar Worldpanel, cf. encadré), ment décru depuis 40 ans (de 106,8
composition, l’âge du chef de ménage et constituer des séries de 1969 à 2010 à 76,4 g/2 000 kcal) (figure 1-A).
et le niveau d’éducation. Revenu et âge (Létoile et al., 2014). À partir des décla- Inversement, l’augmentation des achats
ont un effet positif sur les quantités rations des ménages, on peut observer de charcuterie (20,0-22,9 g/2 000 kcal)
achetées et les dépenses. En revanche les évolutions de la consommation au et l’apparition des plats préparés (0,5-
l’effet de l’éducation est plus fluctuant domicile de différents produits ani- 47,3 g/2 000 kcal entre 1973 et 2010)
selon les produits : il peut être négatif maux sur quatre décennies sur la base sont observées (figure 1-B).
ou non significatif sur la viande, et éga- des moyennes/tête, puis calculer leur
lement non significatif sur les fromages contenu nutritionnel grâce à la table • Produits laitiers
(Combris, 2003 ; Sans et al., 2015). de conversion CIQUAL. On mesure ainsi
dans un premier temps l’évolution de la Globalement on constate une
Cependant, les données BDF contribution des produits animaux au croissance de cette catégorie sur la
montrent que, si le montant en valeur niveau moyen. Dans un second temps, période. Relevées seulement à partir
absolue des dépenses suit l’élévation du les déviations des quantités/tête sont de 1976, les quantités achetées de lait
niveau de vie, la structure des dépenses présentées d’une part selon le revenu, et entier ont très fortement décru (114,0-
varie peu. Les 10 % de ménages les plus d’autre part selon le niveau d’éducation. 7,5 g/2 000 kcal), alors que celles de
pauvres (1er décile de niveau de vie) lait demi-écrémé et de lait écrémé ont
ont une structure du budget similaire a. Évolution de la contribution augmenté (26,8-113,2 g/2 000 kcal)
à l’ensemble de la population en ce calorique des produits (figure 1-C). Tous les autres produits
qui concerne les viandes. En revanche, animaux laitiers ont progressé. Les achats de fro-
la part supérieure accordée aux pro- Globalement, les quantités achetées mage, et en particulier ceux de yaourts,
duits laitiers est compensée par le ont évolué fortement depuis plusieurs ont progressé (29,2-53,7 g/2 000 kcal et
poids moindre des produits de la mer décennies, et ce pour l’ensemble des 19,3-50,0 g/2 000 kcal, respectivement)
(tableau 2) produits alimentaires (Nichèle et al., (figure 1-D).
2008). Parallèlement la ration calorique
Ces caractéristiques et disparités de a elle-même évolué. Sur la période 1969- • Graisses animales
la consommation sont à replacer dans 2010, elle est d’abord décroissante,
l’évolution de la structure des achats puis une tendance à l’augmentation Dans un contexte global de diminu-
est observée à partir de 2003 (Caillavet tion des achats de graisses (végétales et
et al., 2018). Afin de corriger l’évolu- animales) depuis 1969, le beurre a for-
3 Différences statistiquement significatives, tion de la consommation des produits tement diminué (21,9-9,1 g/2 000 kcal),
ajustées sur l’âge et le sexe. La consommation
de « viande » (hors volaille et abats) montre aussi
animaux de l’effet de la variation de la alors que pour la crème et la marga-
des quantités supérieures mais le test n’est pas quantité globale de l’alimentation au rine la tendance est croissante (6,2-
significatif. domicile, les indicateurs nutritionnels 13,6 g/2 000 kcal) (figure 1-E).

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’évolution de la consommation de produits animaux en France : de multiples enjeux / 137

Figure 1. Évolution des achats de produits animaux 1969-2010 (en g/2 000 kcal) (Sources : Enquêtes de consommation
alimentaire de 1969 à 1991 et Kantar « Worldpanel » de 1989 à 2010 incluant des changements de méthodologies).

A- Viande, poisson, oeufs B- Charcuterie, plats préparés


50
160 45
140 40

g/2000 kcal
35
g/2000 kcal

120
30
100
25
80
20
60 15
40 10
20 5
0 0

1969
1971
1973
1976
1978
1980
1982
1985
1989
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
1969
1971
1973
1976
1978
1980
1982
1985
1989
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
Viande Poisson Œufs Charcuterie Plats préparés

C- Lait D- Yaourts, fromage, desserts lactés


200 70
180 60
160
g/2000 kcal

50
g/2000 kcal

140
120 40
100
30
80
60 20
40
10
20
0 0
1969
1971
1973
1976
1978
1980
1982
1985
1989
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
1969
1971
1973
1976
1978
1980
1982
1985
1989
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010

Lait entier Lait écrémé et demi-écrémé Yaourts Fromage Desserts lactés

E- Matières grasses
35
30
g/2000 kcal

25
20
15
10
5
0
1969
1971
1973
1976
1978
1980
1982
1985
1989
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010

Huile Beurre Crème fraîche et margarine

Chaque graphique utilise les deux sources de données. Chaque source de données et changement de méthodologie sont restés identifiables, d’où la représentation
de plusieurs segments pour chaque groupe d’aliments considéré (pour les aspects techniques de convergence des séries, se reporter à Létoile et al., 2014).

Ainsi on observe un transfert des Hemmingsson, 2015). Cette tendance moins c­ hargés en graisses. Le lait entier
aliments entre produits bruts et trans- se traduit, en ce qui concerne les pro- représentait la principale catégorie de
formés, qui est une tendance de fond duits animaux, par des mouvements lait acheté jusqu’en 1981 puis a été
visible sur l’ensemble de l’alimenta- de substitution à l’intérieur de ces caté- remplacé par les laits écrémé et demi-
tion française (Caillavet et al., 2018) gories (viandes fraîches vs charcuterie écrémé (passant de 58,6 % des achats
ainsi que dans les études concernant et plats préparés ; lait vs yaourts, fro- en 1981 à 6,2 % en 2010).
d’autres pays (sur le Canada Moubarac mage et desserts lactés), et ce y com-
et al., 2014) ; (sur le Brésil Monteiro pris à des niveaux de désagrégation Ces variations importantes dans
et al., 2013) ; (sur la Suède Juul et assez fins, comme le lait entier vs laits la structure des achats de produits

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


138 / France caillavet, Adélaïde fadhuile, Véronique nichèle

Figure 2. Déviations par rapport à la moyenne de la contribution des protéines aux apports énergétiques selon le revenu
(A) et l’éducation (B).

A- Par quartiles de revenu B- Par niveau d'éducation


25 25

15 15
Déviations %

Déviations %
5 5

–5 1971 1981 1991 2002 2010 –5 1978 1981 1991 2002 2010

– 15 – 15

– 25 Q1 Q2 Q3 Q4 – 25 L1 L2 L3 L4
Niveau de revenu : Q1 : 1er quartile de revenu familial par unité de consommation, Q2 : 2e quartile, Q3 : 3e quartile, Q4 : 4e quartile.
Niveau d’éducation de la personne de référence du ménage : L1 : niveau primaire (école primaire, certificat d’étude primaire) ; L2 : niveau d’études secondaires
(collège, BEPC, BE, BEPS, CEP, CAP BEP, lycée sans obtention du baccalauréat) ; L3 : niveau BAC (baccalauréat général, technique et professionnel, brevet supérieur,
brevet de technicien, brevet de maîtrise) ; L4 : niveau d’étude supérieur au BA.
Exemple de lecture pour le 1er quartile de revenu en 1971 : la contribution des protéines aux apports énergétiques du 1er quartile de revenu est inférieure à
la moyenne de 6 %.

Figure 3. Déviations par rapport à la moyenne de la densité nutritionnelle en protéines animales selon le revenu (A) et
l’éducation (B). (Voir légende figure 2).

A- Par quartiles de revenu B- Par niveau d'éducation


25 25
Déviations %

Déviations %

15 15

5 5

–5 1971 1981 1991 2002 2010 –5 1978 1981 1991 2002 2010

– 15 –15

– 25 – 25
Q1 Q2 Q3 Q4 L1 L2 L3 L4

a­ nimaux ont affecté les apports en 4 décennies : la contribution des proté- pour la contribution des protéines
protéines sur la période. La contribu- ines à la ration calorique (figure 2) et la (– 6,3 %) comme pour les protéines ani-
tion calorique des protéines dans l’ali- densité nutritionnelle en protéines ani- males (– 12,2 %) (figure 2-A et figure 3-A).
mentation au domicile a crû (passant males (figure 3), soit la teneur en nutri-
de 13,6 à 15,7 %). En outre, au sein des ments ramenée à la ration standard de Ces disparités s’amenuisent avec le
protéines, la prédominance des proté- 2 000 kcal/jour. temps, notamment pour les protéines
ines animales s’est renforcée (64,3 % en totales (+ 3,3 % et – 2,9 %), mais on
1970 ; 67,6 % en 2010), soit un passage • Selon le revenu (1971-2010) constate qu’elles demeurent pour les
de 48 g à 53 g/2 000 kcal. protéines animales en 2010 supérieures
On trouve des disparités importantes à la moyenne pour le quartile de revenu
b. Apports en protéines : selon le revenu. Il s’agit ici du revenu du le plus élevé (+ 4,4 %) et inférieures à la
évolution des disparités ménage, corrigé par unité de consom- moyenne pour le quartile de revenu le
socioéconomiques mation, pour permettre la comparaison plus faible (– 4,1 %).
Pour appréhender les disparités, les entre ménages de composition familiale
déviations à la moyenne des quanti- différente. Ces disparités concernent les • Selon l’éducation (1978-2010)
tés achetées ont été calculées d’une apports en protéines, mais plus encore
part selon le revenu du ménage, et les apports en protéines animales. En Cette variable n’est disponible dans
d’autre part selon le niveau d’éduca- 1971, les ménages les plus riches (quar- les séries qu’à partir de 1978. Il s’agit du
tion de la personne de référence du tile de revenu le plus élevé) sont au-des- niveau d’éducation de la personne de
ménage (Caillavet et al., 2017). Les sus de la moyenne en ce qui concerne référence du ménage, découpé en plu-
disparités entre niveaux de revenu ou la contribution des protéines totales sieurs tranches : niveau primaire (école
entre niveaux d’éducation sont ainsi (+ 11,2 %) mais cet écart est encore primaire, certificat d’études primaires) ;
observées sans prendre en compte supérieur pour les p ­ rotéines animales niveau d’études secondaires (collège,
les interactions entre ces 2 variables. (+ 20,1 %), alors que les ménages les BEPC, BE, BEPS, CEP, CAP, BEP, lycée sans
L’évolution de long terme est appré- plus pauvres (quartile de revenu le plus obtention du baccalauréat) ; niveau
hendée par les indicateurs suivants sur faible) sont au-dessous de la moyenne BAC (baccalauréat général, technique

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’évolution de la consommation de produits animaux en France : de multiples enjeux / 139

et ­professionnel, brevet supérieur, bre- évolution n’est favorable ni sur le plan plus forte pour les ménages les plus
vet de technicien, brevet de maîtrise) ; nutritionnel au-delà d’un certain seuil, pauvres, puisque ceux-ci consacrent
niveau d’études supérieur au BAC. ni sur le plan environnemental. D’où la une part supérieure de leurs dépenses
nécessité de modifier les comporte- à l’alimentation. En outre, ils peuvent se
Les disparités observées en 1978 ments des consommateurs face à l’im- montrer plus sensibles aux variations de
vont dans le même sens que selon la portance des enjeux. Outre l’éducation prix (Green et al., 2013). Les effets néga-
variable de revenu, avec une amplitude et la diffusion des recommandations tifs de telles mesures sur le bien-être de
plus grande. Les ménages dans lequel nutritionnelles et environnementales, ces consommateurs doivent donc être
le chef de famille est plus éduqué ont les recherches technologiques et la pris en compte.
une contribution des protéines totales science des aliments s’orientent vers
supérieure à la moyenne (+ 8,8 %) mais le développement de produits alimen- Pour éclairer les interrelations entre
l’écart est plus marqué (+ 16,1 %) pour taires avec des protéines de substitu- ces différentes dimensions et la com-
la densité nutritionnelle en protéines tion. Enfin, les mesures budgétaires plexité des arbitrages, nous présentons
animales, alors que les ménages dans sont un moyen parmi d’autres pour ici une simulation de l’impact de hausses
lequel le chef de famille est le moins privilégier des options durables. À l’ins- de prix sur différents groupes de pro-
éduqué sont en-dessous de la moyenne tar d’autres secteurs, la réallocation du duits animaux en utilisant des données
pour les protéines (– 6,6 %) et pour les budget vers des régimes alimentaires françaises. Les conséquences sont
protéines animales (– 11,5 %).(figure 2-B plus vertueux peut être favorisée par estimées dans les trois domaines qui
et figure 3-B). Cependant l’évolution des taxes carbone4. Le r­ enchérissement fondent la durabilité. L’environnement
temporelle se distingue complètement du coût de certains produits peut est appréhendé par les pollutions de
de celle selon le revenu, car on observe constituer un signal et une incitation l’air et de l’eau, la santé par l’adéquation
la disparition des écarts concernant les pour les consommateurs, en modifiant aux recommandations nutritionnelles,
protéines, et on décèle même un ren- les prix relatifs des différents biens. le bien-être par la variation du pouvoir
versement de tendance pour les proté- d’achat. En outre, les calculs sont menés
ines animales dans les séries récentes Dans ce but, de nombreuses études pour différents niveaux de revenu fami-
à partir de 2002 avec un écart inférieur scientifiques simulent l’impact de taxes lial et classes d’âge du chef de ménage.
à la moyenne pour les plus éduqués sur l’alimentation pour répondre en par- On sait en effet que l’incidence des
(– 2,9 %) et en 2010 (– 2,6 %), alors que ticulier aux objectifs de consommation pathologies liées à la nutrition est supé-
pour les moins éduqués, on observe prônés par les recommandations nutri- rieure chez les populations plus défavo-
respectivement + 5,1 % et + 1,9 % tionnelles et/ou environnementales. risées (Mackenbach et al., 2008).
par-rapport à la moyenne. Certains produits animaux sont parti-
culièrement concernés par l’application „„2.1. Recommandations
Les produits animaux ont été une d’une taxe carbone, visant à incorporer nutritionnelles
source de différentiation sociale forte le coût environnemental de l’alimen- et environnementales
comme le montrent les écarts par tation, dans la mesure où ils sont plus sur les produits animaux
niveau de revenu ou d’éducation. émetteurs de gaz à effet de serre que et les sources de protéines
On assiste cependant à une certaine la moyenne (par exemple Wirsenius
convergence des comportements de et al., 2011 ; Briggs et al., 2013 ; Sall La prise de conscience des instances
consommation au début du XXIe siècle. et Gren, 2015 ; Caillavet et al., 2016 ; publiques en France de ces grands
Ce résultat préfigure bien l’inversion Chalmers et al., 2016 ; Bonnet et al., enjeux s’est traduite par la diffusion
de tendance qui s’exprime à l’heure 2018 ; Caillavet et al., 2019). Ces travaux d’objectifs pour la consommation, en
actuelle par la moindre consommation montrent des effets positifs de réduc- particulier pour les produits animaux.
des catégories les plus éduquées pour tion des émissions environnementales.
certains types de produits carnés. En revanche, la compatibilité avec les Les recommandations nutritionnelles
objectifs nutritionnels n’est pas toujours font partie des politiques publiques
appréhendée ou obtenue. En effet, les depuis plusieurs décennies. Le Plan
2. Réorienter produits carnés apportent aussi des National Nutrition-Santé (PNNS), éma-
la consommation nutriments intéressants (Tomé, 2009). nant du Ministère de la Santé et en
de produits animaux Enfin, une hausse de prix affecte le vigueur depuis 2000, établit des objec-
et les sources budget alimentaire et ce, de manière tifs chiffrés de consommation par grand
de protéines : perspectives groupe d’aliments. Ces repères sont
les supports des messages qui sont
4  L’approche méthodologique présentée dans déclinés dans différents supports de
Les chiffres actuels montrent l’im- cet article se différencie des modèles d’équilibre communication.
portance des produits animaux dans général, développés notamment dans le secteur
la consommation et l’évolution des de l’énergie. Ceux-ci considèrent les interactions Il faut souligner que la dernière édi-
entre les différents secteurs en amont ainsi que
apports en protéines sur les dernières les échanges internationaux mais ne peuvent tenir
tion de ce programme comporte une
décennies attestent la croissance compte des effets individuels sur les ménages des révision à la baisse des objectifs de
continue des protéines animales. Cette politiques (Dumont et al., 2016). consommation de produits animaux.

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140 / France caillavet, Adélaïde fadhuile, Véronique nichèle

Tableau 3. Repères nutritionnels du PNNS, 2017 pour les produits d’origine animale et les sources de protéines (Source :
HCSP, 2017).

Groupe alimentaire Repère principal Données complémentaires

– Les tailles de portion recommandées sont :


150 mL de lait, 125 g de yaourt, 30 g de fromage.
Produits laitiers : – Le nombre de produits laitiers pourra s’élever
Lait, yaourts, à trois par jour lorsque les tailles de portions sont
fromages et produits Deux produits laitiers par jour plus faibles
laitiers présents dans – Privilégier les fromages les plus riches en
les produits cuisinés calcium et les moins gras
– Compte tenu des risques liés aux contaminants,
veiller à varier les produits laitiers

Limiter la consommation de viande « rouge »* et Pour les amateurs de viande « rouge »*, limiter
Viande et volaille
privilégier la consommation de volaille la consommation à 500 g/semaine maximum

– Dont un poisson gras


Poisson – Varier les espèces et les lieux
Deux fois par semaine d’approvisionnement (en particulier pour
et fruits de mer
les grands consommateurs), afin de limiter
l’exposition aux contaminants

– Pour les amateurs, ne pas dépasser


Charcuterie Limiter la consommation 150 g/semaine
– Au sein de ce groupe, privilégier le jambon blanc

– Éviter les consommations excessives.


– Par rapport aux huiles pauvres en ALA (dont les
Matières grasses – Privilégier les huiles de colza et de noix (riches huiles de tournesol, arachide)
ajoutées en acide alpha-linolénique) et l’huile d’olive sans
– Les matières grasses animales sont à réserver
augmenter la quantité habituelle de matières
à un usage cru ou tartinable et en quantité limitée
grasses ajoutées

Les légumineuses peuvent être considérées


Légumineuses Au moins deux fois par semaine
comme des substituts des viandes et volailles

* boeuf, porc, veau, mouton, chèvre, cheval, sanglier, biche.

En effet le plan en cours (PNNS, 2017) de Recherche sur le Cancer à 300 g/ 2030 (ADEME (Agence de l’Environ-
(HCSP, 2017) inscrit dans ses choix semaine par personne (poids cuit). Cela nement et de la Maîtrise de l’Énergie),
d’« apporter une vigilance particulière à concerne les viandes de bœuf, mouton, 2014).
la convergence entre les dimensions nutri- chèvre, cheval.
tionnelles et environnementales de l’ali- „„2.2. Le poids
mentation lors de l’établissement définitif Par ailleurs, le PNNS recommande environnemental
des repères de consommation ». Pour les désormais la consommation de deux et nutritionnel des achats
produits animaux et les légumineuses produits laitiers par jour (vs trois dans de produits animaux
sources de protéines végétales, il s’agit les PNNS précédents). Enfin, il intro-
des repères présentés dans le tableau 3. duit pour la première fois un objectif Les quantités achetées issues des
Pour la première fois par-rapport aux de consommation de légumineuses panels Kantar sont converties en équi-
plans précédents apparaît une limita- sources de protéines végétales (au valents nutritionnels par le biais de
tion pour la viande : un seuil maximal moins deux portions par semaine, soit tables de conversion CIQUAL, et en
de 500 g/semaine par personne pour 200 g). potentiel d’émissions. Les achats des
la viande hors volaille, et de 150 g/ ménages ont ainsi pu être exprimés en
semaine pour la charcuterie. Par rap- Dans une optique environnementale, poids selon divers indicateurs.
port aux standards internationaux, ces le Ministère de l’Environnement a fixé
objectifs sont très en deçà de la limite un objectif de réduction de la consom- L’impact environnemental a été éva-
fixée dès 2007 par le Fonds Mondial mation de viande de 10 % à l’horizon lué selon 3 critères – émissions de GES

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’évolution de la consommation de produits animaux en France : de multiples enjeux / 141

Tableau 4. Part représentée par les produits animaux dans l’alimentation à domicile : budget, indicateurs environnemen-
taux et nutritionnels (Les dessert pouvant contenir des protéines animales ne sont pas inclus) (Source : Kantar, 1998-2010 ;
Caillavet et al., 2016).

Part Protéines
Catégories CO2eq SO2eq Neq Calories Protéines
Budgétaire animales

Bœuf 8,7 % 21,6 % 39,2 % 16,0 % 3,3 % 13,5 % 16,9 %

Autres viandes fraiches 5,9 % 5,2 % 9,8 % 10,9 % 3,6 % 11,8 % 15,5 %

Charcuteries 4,7 % 4,5 % 7,3 % 8,4 % 2,5 % 5,9 % 7,6 %

Graisses d’origine animales 2,7 % 6,3 % 9,9 % 4,1 % 7,1 % 1,0 % 1,4 %

Fromage 7,9 % 0,8 % 1,2 % 0,4 % 7,9 % 15,6 % 19,6 %

Yaourt, autres produits laitiers 6,2 % 0,2 % 0,2 % 0,1 % 8,5 % 16,9 % 22,1 %

Poissons et produits de la mer 5,6 % 2,0 % 0,9 % 0,6 % 1,2 % 6,5 % 8,6 %

Total produits animaux 41,7 % 40,6 % 68,5 % 40,5 % 34,1 % 71,3 % 91,7 %

et changement climatique (CO2eq), En termes de dépenses pour l’ali- Les scénarios sont évalués au regard de
acidification de l’air (SO2eq) et eutro- mentation au domicile, les produits la compatibilité des résultats environ-
phisation (eqN). Les évaluations sont animaux représentent une part budgé- nementaux (réduction des émissions),
fondées sur une analyse de cycle de taire de 41,7 % pour 34,1 % des calories nutritionnels (amélioration ou absence
vie (Greenext, avec la méthodologie de et 71,3 % des protéines. Le poids dans de dégradation de la qualité de l’ali-
Goedkoop et al., 2008)5. les émissions de GES et dans l’eutrophi- mentation globale) et de l’incidence sur
sation est proche (respectivement 40,6 le pouvoir d’achat et sur les inégalités
Le contenu en caractéristiques nutri- et 40,5 %). En revanche la contribution sociales.
tionnelles comprend notamment l’éner- des produits animaux à l’acidification
gie (calories), les protéines animales, et atteint 68,5 % (tableau 4). Une première approche simule une
un score d’adéquation à la recomman- augmentation de 20 % du prix des ali-
dation nutritionnelle : le MAR (« Mean „„2.3. Effet d’une hausse ments à base de produits animaux (scé-
Adequacy Ratio »). Ce dernier indicateur des prix des produits narios 1A et 1B). Cette valeur, issue de la
est calculé pour une consommation animaux littérature nutritionnelle, a été montrée
normalisée de 2 000 kcal/jour, en utili- comme nécessaire pour obtenir des
sant 18 nutriments6, la valeur théorique Sous les hypothèses de la micro-éco- effets favorables sur la santé (Mytton
de 100 % illustre une alimentation de nométrie de la demande (voir Deaton, et al., 2012).
haute qualité. Il est associé positive- 2016 pour une récente revue de cette
ment à d’autres indices de qualité ali- littérature), un système de demande Le scénario 1A privilégie les aspects
mentaire et à des indicateurs de santé prenant en compte l’ensemble des environnementaux de la durabilité des
(Madden et al., 1976). achats pour l’alimentation au domi- aliments. Ainsi tous les produits à base
cile est modélisé (Caillavet et al., 2016). de produits animaux sont concernés.
Cette méthode permet de simuler les L’augmentation concerne les viandes,
5 Ces données permettent de prendre en effets d’une variation de prix sur cer- les poissons, les graisses animales, les
compte les différents stades de production tains produits en tenant compte d’éven- fromages et autres produits laitiers ainsi
dans l’évaluation de l’impact environnemental tuels reports de consommation entre que les plats préparés.
des aliments, afin d’évaluer les émissions « de la groupes, et notamment entre produits
fourche à la fourchette ». Les données d’Agribalyse
ne couvrent pas encore la partie « consommation »
animaux et produits végétaux (Caillavet Le scénario 1B tient également
et s’arrêtent à la sortie de ferme, ne permettant pas et al., 2016, 2019). compte des aspects nutritionnels de
de couvrir l’intégralité des aliments. ces produits et l’augmentation exclut
6  Les nutriments pris en compte dans le calcul Plusieurs scénarios sont étudiés, fai- poissons et les produits laitiers autres
du MAR sont les suivants : protéines, fibres, retinol, sant varier le principe de taxation selon que les fromages, plus vertueux en
beta-carotène, vitamine B1, vitamine B2, vitamine
B3, vitamine B5, vitamine B6, vitamine B9, vitamine
que le taux de taxe est proportionnel ou termes nutritionnels, en particulier en
B12, vitamine C, vitamine D, vitamine E, calcium, non aux émissions de GES, ainsi que le ce qui concerne leur teneur en matières
potassium, fer et magnésium. périmètre des produits visés par la taxe. grasses.

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142 / France caillavet, Adélaïde fadhuile, Véronique nichèle

Une deuxième approche simule les Figure 4. Impact de la hausse des prix des produits par scénario sur les indicateurs
effets d’une taxe carbone sur l’alimenta- environnementaux, nutritionnels et le coût de l’alimentation (en % de variation
par rapport à la situation initiale).
tion (scénarios 2A et 2B), i.e. des taux de
taxation proportionnels aux émissions – 7,5
CO2eq –7
de GES (en CO2eq), Caillavet et al., 2019. – 5,5
– 1,8
Le taux de taxe est obtenu sur la base – 14,5
– 13,2
des émissions de chaque catégorie de SO2eq – 9,8
– 8,2
produits, et le coût du carbone retenu. – 8,4
– 6,6
Dans le cas français, il a été évalué par Neq – 6,9
– 4,8
le rapport Quinet (2009) pour répondre
– 16,2
aux objectifs de neutralité carbone à Protéines – 8,0
– 6,9
l’horizon 2050 fixés par la Communauté – 5,8

Européenne. Deux scénarios visant les ali- – 20,5


Protéines – 9,3
– 9,3
ments sources de protéines comme levier animales – 9,2
d’action sont concernés : l’un de taxation – 0,3
1,2
MAR
pure, l’autre de taxation/subvention dans – 0,2
0,3
une optique de neutralité budgétaire du – 7,6
Pouvoir d'achat – 4,0
point de vue de l’État. Pour chacun de ces – 4,0
0
scénarios, on utilise deux coûts carbone 1,0
– 21,0 – 19,0 – 17,0 – 15,0 – 13,0 – 11,0 – 9,0 – 7,0 – 5,0 – 3,0 – 1,0 3,0
(56 et 140 euros/tCO2eq) correspondant
à des horizons temporels différents de Scénario 1A Scénario 1B Scénario 2A Scénario 2B
réduction des GES. Les résultats d’une
taxe de140€/t eqCO2 sont présentés dans
la section suivante. variations de prix des produits d’ori- au contraire, que la qualité de
gine animale, et une augmenta- ­l’alimentation s’améliore via le MAR
Le scénario 2A vise les mêmes caté- tion de prix les inciterait à limiter la tandis que l’impact environnemental
gories que le scénario 1A (viande de consommation de ces produits. Ces des produits animaux est toujours à
bœuf, autres viandes, charcuterie, fro- modifications des achats alimentaires la baisse (– 7,0 % pour CO2, – 13,2 %
mage7). Les taux de taxation varient influencent le niveau des émissions pour SO2 et – 6,6 % pour N).
entre 19,4 % pour la viande de bœuf de GES mais aussi la teneur de l’ali-
et 10,7 % pour le fromage avec un coût mentation en nutriments essentiels. Avec une taxe carbone sur l’alimen-
carbone de 140 euros/t. L’adéquation aux recommandations tation proportionnelle aux émissions
nutritionnelles a été évaluée en fonc- (scénarios 2A et 2B), logiquement,
Le scénario 2B redistribue le revenu tion de la proximité ou de l’éloigne- nous confirmons les tendances des
généré par la taxation du scénario 2A ment des comportements par rapport scénarios 1A et 1B. Néanmoins nous
par des subventions visant deux caté- aux recommandations du PNNS pour trouvons des effets moindres sur les
gories de produits riches en protéines juger des variations concomitantes réductions des émissions si la taxe
végétales. Ce choix est motivé par une de la qualité nutritionnelle. Les varia- porte uniquement sur les produits
double optique, nutritionnelle (com- tions de la dépense alimentaire des d’origine animale les plus émetteurs
pensation protéinique) et de bien-être ménages sont également mesurées. de GES (– 5,5 %, scénario 2A).
du consommateur (compensation bud-
gétaire). Cela induit une subvention de Lorsque les prix de tous les produits Si dans tous les scénarios l’alimenta-
14,9 % pour les fruits et légumes frais à base de produits animaux enre- tion pollue moins, dans deux situations
et 4,5 % pour les féculents (respective- gistrent une hausse de 20 % (scénario la qualité nutritionnelle est dégradée
ment 15,3 % et 28,9 % des apports en 1A), on observe une réduction des (1A et 1B) mais peut être améliorée en
protéines végétales). émissions de CO2 de 7,5 %, soit 99 kg excluant de la taxation les produits ani-
équivalent CO 2 / an et par ménage maux les plus intéressants sur le plan
„„2.4. Résultats : impacts (figure 4). Cette valeur est proche des nutritionnel (1B), ou en subvention-
environnementaux, émissions produites par un trajet de nant les produits sources de protéines
nutritionnels 700 km avec une berline de cylindrée ­végétales (2B).
et distributionnels moyenne. Les indicateurs relatifs à
l’acidification de l’air (– 14,5 % pour L’impact sur le pouvoir d’achat
Les résultats mettent en évidence SO2) et à l’eutrophisation (– 8,4 % pour dépend notamment du nombre de
que, d’une manière générale, les N) diminuent également. Cependant, catégories visées par la taxe. Au sein
consommateurs sont sensibles aux le score nutritionnel MAR s’en trouve des scénarios de taxation à taux fixe,
dégradé. Lorsque les poissons et les le scénario 1B limite la perte dans le
produits laitiers autres que le fro- budget alimentation à 4 %, soit l’équi-
7 Le scénario 2A, contrairement au scénario 1A, ne mage sont exclus de cette hausse valent de 61 euros/an et par ménage.
concerne pas les plats préparés. des prix (scénario 1B), on constate, C’est aussi l’ordre de grandeur de la

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


L’évolution de la consommation de produits animaux en France : de multiples enjeux / 143

taxe proportionnelle aux émissions Tableau 5. Effets d’une hausse de prix de 20 % dans différentes classes de revenu
(2A). Les résultats de nos simulations et d’âge dans le scénario 1B (en %).
peuvent être mis en perspective avec
une autre étude de simulation sur don- Classes de revenu*
nées françaises avec une approche
méthodologique différente. Dans Effets Modestes Aisés
Bonnet et al. (2018), la compatibilité
environnement/nutrition est évaluée 31-45 ans 46-60 ans 31-45 ans 46-60 ans
positivement à travers les réduc-
tions d’émissions et les variations CO2 – 7,41 – 6,74 – 7,05 – 6,59
de quelques nutriments comme la
diminution du cholestérol, et la perte SO2 – 13,54 – 12,98 – 13,40 – 12,74
de bien-être du consommateur est
confirmée. N – 6,85 – 6,30 – 6,87 – 6,41

Enfin, les effets sur les inégalités « Mean Adequacy Ratio » + 1,12 + 1,14 + 1,10 + 1,12
peuvent être appréhendés à travers les
effets d’âge et de revenu (scénarios 1A Protéines – 7,30 – 7,79 – 8,23 – 8,79
et 1B) et dans le scénario de taxation/
subvention (2B). Protéines animales – 8,36 – 9,16 – 9,70 – 10,47

Pouvoir d’achat alimentaire – 2,76 – 2,03 – 1,65 – 1,88


Les effets d’âge et de revenu ont été
étudiés dans le scénario à taux fixe *Les classes de revenu sont définies par Kantar selon des critères de revenu et de composition familiale
(tableau 5). (Caillavet et al., 2016, Kantar « Worldpanel »).

Les mêmes indicateurs ont été


calculés selon 4 classes de revenu inégalités nutritionnelles entre les maux en première ligne. Cependant,
et 4 classes d’âge de la personne de ménages. Dans le cas des scénarios à il est important de souligner que la
­référence (Caillavet et al., 2016). Le taxation proportionnelle, ce n’est pas réorganisation du budget alimentaire
tableau 5 présente les résultats de non plus le cas. Calculés à partir d’ef- utilisant la taxation différenciée des
la classe la plus riche (Aisés) et de la fets individuels, les résultats montrent aliments sources de protéines (sub-
plus pauvre (Modestes) pour les deux que l’incidence de la taxation (en % par vention sur les aliments sources de
classes d’âge intermédiaires, les 31-45 rapport au revenu) est plus forte pour protéines végétales vs taxes sur les ali-
et 46-60 ans, correspondant à l’essen- les ménages les plus pauvres. Plus inat- ments sources de protéines animales),
tiel de la population active. En ce qui tendu, si la subvention (scénario 2B) est favorable pour la compatibilité
concerne les effets d’âge, on observe n’influence pas le budget alimentaire environnement/nutrition, peut être
pour les deux classes de revenu les des ménages en moyenne, ce scénario menée à coût constant pour l’État,
mêmes tendances à la moindre réduc- met pourtant en évidence des effets mais pénalise une partie des ménages.
tion des émissions et à un gain supé- indésirables pour les ménages les plus De ce fait, elle ne peut être conçue sans
rieur de qualité nutritionnelle avec modestes avec une augmentation un rééquilibrage du budget pour les
l’âge, accompagné d’une plus forte de la part de la dépense alimentaire ménages défavorisés par des mesures
réduction des protéines animales. Ces par rapport à leur revenu, alors que ciblées, telles que des coupons fruits et
résultats confirment les disparités de cette part diminue pour les ménages légumes et légumineuses par exemple.
comportements alimentaires consta- les plus aisés. Ainsi, ce type d’instru- Par ailleurs, elle doit être soutenue par
tées dans l’étude INCA3. ment ne permet pas de neutraliser des politiques d’information utilisant
les effets régressifs d’une politique prioritairement l’éducation nutri-
En ce qui concerne les effets de fiscale à revenu neutre sur l’alimen- tionnelle à l’école, dès le processus
revenu, on observe que la taxe à taux tation. Cela suggère d’accompagner de formation des ­p références des
fixe est régressive dans la mesure où cette politique publique de mesures. consommateurs et dans un cadre non
elle montre que cette taxe induit des Concrètement, des mesures ciblant les stigmatisant.
pertes en pouvoir d’achat alimentaire ménages défavorisés, par exemple par
plus élevées pour les ménages à faible la distribution de coupons concernant Les études simulant différentes
revenu, en particulier ceux dont la per- les aliments sources de protéines végé- politiques fiscales impactant directe-
sonne de référence est âgée de 31 à tales iraient dans le bon sens. ment les consommateurs supposent
45 ans. On notera que la diminution des structures de consommation et
des protéines animales est plus faible Au vu des enjeux actuels, l’incorpora- d’offre données. Or, les politiques
chez les ménages modestes. Ainsi les tion des coûts environnementaux des d’offre, telles que la reformulation des
scénarios à taux fixes ne permettent aliments paraît un signal incontour- produits, ont un rôle à jouer, dont les
pas d’obtenir une réelle réduction des nable, et concerne les produits ani- enjeux sont présentés en particulier

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


144 / France caillavet, Adélaïde fadhuile, Véronique nichèle

dans Réquillart et Soler (2014). Par amenés à réorienter leurs modes de signal fort à l’attention des consom-
­ailleurs, dans les é­ valuations françaises, consommation, comme les invitent mateurs pour les inciter à modifier leur
l’alimentation hors domicile n’est pas les recommandations nutritionnelles régime alimentaire.
prise en compte, ce qui entraîne une et environnementales.
sous-estimation des effets et ­suggère Cependant, en explorant sa dimen-
que nos résultats représentent une En particulier, les objectifs de durabi- sion socioéconomique par une analyse
borne inférieure des effets des poli- lité peuvent inciter les gouvernements détaillée en fonction du revenu et de
tiques fiscales simulées. Enfin, les à susciter un changement d’environ- l’âge, on montre les limites de telles
évaluations par analyse de cycle de nement économique, en incorporant politiques en termes d’équité sociale.
vie de la consommation alimentaire les externalités environnementales Dans cette perspective, il paraît incon-
sont en cours d’amélioration (ADEME, des produits animaux. La simula- tournable de compléter ces scénarios
EcoInvent) et laissent entrevoir des tion de hausses de prix montre que de taxation environnementale et nutri-
gains de précision dans les travaux de tels scénarios peuvent avoir des tionnelle par des subventions ciblées
futurs. effets favorables au-delà de la réduc- à même de compenser la perte du
tion des émissions. Certes, la prise en pouvoir d’achat pour les ménages les
compte des dimensions environne- plus pauvres, notamment en utilisant
Conclusion mentales, nutritionnelles et sociales de les recettes de la taxe. Par ailleurs, l’im-
la durabilité appelle à de nécessaires portance des enjeux incite à faire appel
La consommation de produits ani- compromis, entre bénéfices environ- à un ensemble plus large de mesures,
maux en France est désormais au nementaux et qualité nutritionnelle, au et l’impact de l’information, au vu des
cœur des enjeux de la durabilité, après prix d’un coût supplémentaire pour le tendances favorables déjà enregistrées
avoir suivi lors des décennies passées consommateur. D’une manière géné- auprès des catégories les plus édu-
une trajectoire croissante. Désormais rale, une politique fiscale permettrait quées, ne saurait être négligé. Autant
dans un contexte de saturation des d’atteindre simultanément des objec- de réflexions à même d’éclairer les déci-
besoins en protéines, et en particulier tifs d’amélioration de l’environnement deurs publics en matière d’alimentation
de source animale, les ménages sont et de la nutrition, et constituerait un durable.

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L’évolution de la consommation de produits animaux en France : de multiples enjeux / 145

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Résumé
La consommation de produits animaux est un enjeu crucial de la sécurité alimentaire mondiale. La consommation élevée de protéines
animales en France est désormais au cœur des enjeux de la durabilité, confrontée à des recommandations publiques moins favorables,
après avoir suivi lors des décennies passées une trajectoire croissante. Cependant de profonds changements ont eu lieu derrière cette
évolution, aussi bien entre grandes catégories d’aliments qu’en leur sein, comme le montre l’analyse des données d’achat sur quatre décen-
nies. Désormais dans un contexte de saturation des besoins en protéines, et en particulier d’origine animale, les ménages sont amenés à
réorienter leurs modes de consommation. Des pistes d’incitation sont proposées via des simulations de hausses de prix dont on examine
les conséquences en termes de durabilité, au niveau de la réduction des émissions environnementales, de la qualité nutritionnelle de l’ali-
mentation, et des inégalités sociales. La combinaison de ces trois dimensions permet d’éclairer le débat sur la mise en place de politiques
publiques durables.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


146 / France caillavet, Adélaïde fadhuile, Véronique nichèle

Abstract
The evolution of consumption of animal products in France: multiple challenges
The consumption of animal products is a crucial issue for global food security. The high consumption of animal proteins in France is now at the
heart of sustainability issues, faced with less favourable public recommendations, after having followed an increasing trend over the past decades.
Major changes have taken place behind this evolution, both between and within major food categories, as shown by the analysis of purchasing
data over 4 decades. Now in a context of saturation of protein needs, and in particular from animal sources, households have to consider re-orien-
tating their consumption patterns. Incentives are proposed via price increase simulations, the consequences of which are examined in terms of
sustainability: reduction of environmental emissions, nutritional quality of food, and equity. The compatibility of these three dimensions provides
the terms of trade-off for decision-makers.

CAILLAVET F., FADHUILE A., NICHÈLE V., 2019. L’évolution de la consommation de produits animaux en France : de multiples enjeux.
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https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2502

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelle place pour les produits INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 147-158

animaux dans l’alimentation
de demain ?
Didier RÉMOND
Université Clermont Auvergne, INRA, UNH, Unité de Nutrition Humaine, F-63000 Clermont-Ferrand, France
Courriel : didier.remond@inra.fr

„„ Omnivore, flexitarien, végétarien, végétalien ? Sur quelle base choisir notre alimentation ? Les nutritionnistes
recommandent de n’exclure aucun aliment, mais de limiter la consommation de certains, dont la viande
de boucherie. Par rapport aux services rendus – production nette de protéines consommables par l’Homme,
services écosystémiques et socioéconomiques –, l’impact environnemental est-il aussi défavorable qu’on nous le
présente dans les médias, pour aller jusqu’à une remise en cause totale des productions animales ?

Introduction associées à la surconsommation de pro- 1. Intérêt des produits


duits animaux, ce qui a commencé à ter- animaux en nutrition
nir leur image. Cette image s’est ensuite humaine
Les produits animaux ont pendant progressivement dégradée au fil des dif-
longtemps été perçus comme des ali- férentes crises sanitaires qui ont secoué
ments d’excellence. L’étymologie du les productions animales (encéphalopa- „„1.1. Spécificités
mot viande (du latin vivenda devenu en thie spongiforme bovine, dioxine, grippe des produits animaux
latin tardif vivanda, « ce qui sert à la vie ») aviaire…), de l’émergence de pollutions
en dit long sur cette perception. Ce mot des sols et de l’eau par une agriculture a. La fraction protéique
s’appliquait originellement à toute sorte devenue très intensive, et plus récem- Bien que les produits animaux
de nourriture (et l’origine étymologique ment avec une remise en cause éthique regroupent un nombre très important
persiste dans l’expression « les vivres ») des systèmes de production. Bien qu’en- d’aliments, une des caractéristiques
puis s’est progressivement spécialisé core minoritaires, de nombreux modes majeures de ces produits (au moins en
pour ne plus désigner aujourd’hui que de consommations « alternatifs » appa- ce qui concerne les matières premières :
la chair des mammifères et des oiseaux, raissent ou se développent en réponse à viande, lait, œuf ), est leur teneur éle-
l’introduction ou l’augmentation de cette perte d’image : flexitarisme, végé- vée en protéines de bonne qualité
la consommation de viande dans des tarisme, végétalisme, etc. On peut ainsi nutritionnelle.
populations dénutries s’accompagnant légitimement s’interroger sur la place
généralement d’une amélioration de qu’occuperont les produits animaux Les protéines animales bénéficient
l’état nutritionnel. Cette image très posi- dans l’alimentation de demain. Cette en effet d’un bon équilibre en acides
tive, associée à un essor considérable place sera en grande partie déterminée aminés (cf. § 1.2), ce qui n’est pas tou-
des productions animales, a participé par leur coût et leur disponibilité, mais jours le cas des protéines végétales
au développement de déséquilibres aussi par l’influence médiatique des (céréales pauvres en lysine, graines de
alimentaires à l’origine de pathologies, mouvements anti-élevage. Pour éclai- légumineuses pauvres en méthionine).
induites directement ou indirectement rer le débat, il est nécessaire de revenir De plus, la biodisponibilité des acides
par une consommation excessive de pro- sur l’intérêt des produits animaux dans aminés des protéines animales est
duits animaux. Depuis plus de 50 ans, les notre ­alimentation, leur rôle dans la sécu- généralement supérieure à celle des
études épidémiologiques ont ainsi attiré rité alimentaire mondiale, et l’équilibre à protéines végétales (en raison d’une
l’attention sur un certain nombre de trouver entre bienfaits nutritionnels et digestibilité plus élevée). La présence
pathologies chroniques potentiellement impacts environnementaux. de produits animaux dans l’alimen-

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2500 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


148 / Didier rémond

tation permet ainsi de faciliter la cou- observations, des stratégies nutrition- des propriétés anti-hypertensives
verture des besoins pour les différents nelles sont aujourd’hui développées basées sur l’inhibition de l’enzyme de
acides ­aminés, et de limiter les risques pour lutter contre la fonte musculaire conversion de l’angiotensine (ACE).
d’apport inadéquat. Cet atout nutri- liée à l’âge (sarcopénie) Dardevet et al., Cette activité semble pouvoir se mani-
tionnel doit cependant objectivement 2012. Les viandes et poissons sont dans fester dans des conditions normales
être modulé. D’une part, il existe des ce cadre des aliments très intéressants, d’alimentation, des études menées
produits végétaux, tels que le soja ou d’une part en raison de leur forte teneur chez l’Homme ayant montré une baisse
le quinoa, qui présentent un bon équi- en protéines très digestibles qui permet significative de la pression artérielle
libre en acides aminés, et d’autre part, de concentrer l’apport protéique sur un par rapport à un groupe témoin, suite
la combinaison de différentes sources repas, et d’autre part, en raison de leur à l’ingestion répétée de lait fermenté
de protéines végétales peut permettre vitesse de digestion élevée (Rémond contenant naturellement des peptides
d’atteindre un équilibre satisfaisant et al., 2007), même si celle-ci peut antihypertenseurs (Seppo et al., 2003).
en acides aminés (cf. § 1.2). De plus, la être affectée par le mode de cuisson Par ailleurs, une substitution partielle
digestibilité des produits végétaux peut (Buffière et al., 2017). des glucides alimentaires par de la
être notablement améliorée par leur viande rouge maigre permettait éga-
mode de préparation avant consom- De plus en plus de résultats lement d’abaisser la pression sanguine
mation. En effet, la plus faible digesti- démontrent les effets physiologiques chez des personnes hypertensives
bilité des protéines végétales s’explique de certains peptides présents dans (Hodgson et al., 2006).
en grande partie par la structure des l’aliment, ou produits par la digestion
végétaux qui protège les protéines de des protéines alimentaires, sur l’activité Bien que le domaine des peptides
l’attaque des enzymes digestives (pro- du tractus digestif ou d’autres fonctions bioactifs ait été exploré plus récem-
téases), et par la présence de composés physiologiques (activité antihyperten- ment dans le cas des produits végétaux,
qui inhibent l’activité protéolytique de sive, opioïde, immunomodulatrice, il semble que les protéines végétales
ces enzymes (facteurs antitrypsiques, anxiolytique). Parmi les peptides pré- puissent également être des sources
tannins…). La cuisson entraîne une fra- sents dans les aliments certains sont intéressantes de peptides bioactifs
gilisation de la structure de la graine, préformés et abondants dans le subs- (Pihlanto et al., 2017). Il est donc diffi-
et une inactivation des inhibiteurs de trat alimentaire originel ; ce sont, par cile de conclure à une supériorité des
protéase, améliorant ainsi la digestibi- exemple, pour les viandes et poissons, produits animaux dans ce domaine.
lité des protéines. La fermentation des les dipeptides de l’histidine (carnosine,
graines avant cuisson permet égale- ansérine) ou le glutathion. D’autres sont b. La fraction lipidique
ment de réduire sensiblement l’activité présents à l’intérieur des protéines et Cette fraction est très variable en
de ces enzymes. peuvent être libérés lors des procédés quantité et qualité dans les différents
de transformation des aliments ou lors produits d’origine animale. Les teneurs
Outre la composition en acides ami- de la digestion intestinale. La biodis- en lipides des viandes et des poissons
nés et leur biodisponibilité, d’autres ponibilité de ces peptides fait toujours sont globalement peu importantes,
paramètres peuvent être pris en débat. Dans le cas des dipeptides de 1-10 % pour les poissons, 4-15 % pour
compte pour caractériser la valeur l’histidine, elle est mesurable et plutôt les viandes. Selon la viande et le mor-
nutritionnelle des protéines. Il s’agit élevée (environ un quart de l’apport par ceau considéré, les lipides sont consti-
notamment de leur vitesse de diges- la viande, (Bauchart et al., 2007)), ce qui tués de 30 à 51 % d’acides gras saturés,
tion et de leur potentialité à libérer des peut présenter un intérêt non négli- 38 à 51 % d’acides gras monoinsaturés
peptides (enchaînement de quelques geable pour la santé du consommateur et 6 à 30 % d’acides gras polyinsaturés.
acides aminés) présentant des activités en raison de leurs nombreuses activités La viande de volaille possède la teneur
biologiques intéressantes pour la santé biologiques : pouvoir tampon, activité la plus basse en acides gras saturés et
humaine (peptides bioactifs). antioxydante, réduction des aldéhydes se situe dans les valeurs supérieures
formés à partir des acides gras insatu- pour les acides gras polyinsaturés. La
Il a été clairement montré que la rés lors d’un stress oxydant, protection spécificité de la chair de poisson com-
cinétique de digestion des protéines contre la glycation et la réticulation des parée à celle des viandes réside dans
alimentaires conditionne l’efficacité de protéines. Ces dernières propriétés sont sa richesse en acides gras polyinsatu-
leur assimilation, la cinétique optimale particulièrement intéressantes pour la rés (AGPI, 70 % des lipides totaux), avec
n’étant pas nécessairement la même prévention des complications secon- une proportion élevée d’AGPI n-3. La
pour tous les sujets. Par exemple, pour daires liées au diabète, et la protection chair de poisson constitue également
les personnes âgées, il semble pré- contre les désordres neurodégénératifs une très bonne source d’AGPI à longue
férable d’ingérer des protéines rapi- tels que la maladie d’Alzheimer Hipkiss, chaîne (DHA et EPA), intéressants pour
dement digérées ou de concentrer 2006. la prévention des maladies cardiovas-
l’apport journalier de protéines ali- culaires. Elle combine ainsi l’avantage
mentaires sur un seul repas, de façon En ce qui concerne les peptides libé- d’un apport protéique de qualité avec
à accentuer l’augmentation de l’ami- rés lors de la digestion (Rémond et al., celui d’un apport de lipides de qualité,
noacidémie postprandiale et relancer 2016), de nombreuses études ont été en apportant à la fois des acides ami-
la synthèse protéique. À partir de ces réalisées sur des peptides possédant nés et des acides gras indispensables.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelle place pour les produits animaux dans l’alimentation de demain ? / 149

Pour cette raison, il est généralement que celui des végétaux. De plus la pré- acides aminés indispensables (histidine,
conseillé d’en manger deux fois par sence de viande dans les repas permet isoleucine, leucine, lysine, méthionine,
semaine. Les limites à la consommation d’augmenter la biodisponibilité du fer phénylalanine, thréonine, tryptophane,
de cet aliment résident essentiellement non héminique des végétaux. Dans le valine) qui va être le premier facteur de
dans sa disponibilité, mais aussi dans cadre d’une alimentation équilibrée, qualité des protéines alimentaires.
le risque de sa contamination par des riche en produits végétaux non purifiés,
polluants de l’environnement (dioxine, l’apport de viande n’est pas en soi indis- L’ANC de 0,8 g de protéines/kg de
PCB, methyl-mercure…). On peut aussi pensable pour disposer d’un bon sta- poids corporel/j pour des adultes en
trouver du DHA dans les œufs, le lait ou tut en fer, un apport modéré de viande bonne santé est ainsi établi pour des
le fromage si les animaux ont été nour- rouge permettra cependant de limiter protéines dont la composition assure un
ris avec des produits riches en DHA. Le le risque de déficience d’apport. apport suffisant en chacun des acides
DHA (de même que l’EPA) peut être aminés indispensables et présentant
synthétisé par le foie à partir de l’acide La viande apporte également des une forte digestibilité dans l’intestin
alphalinolénique végétal, contenu par quantités importantes de zinc (2,7 à AFSSA, 2007. C’est généralement le cas
exemple dans les huiles de noix, lin, 6,8 mg/100 g de viande de bœuf ) et de des protéines des produits animaux
colza, germe de blé, soja. Cette conver- sélénium (9,8 à 14,6 µg/100 g de viande mais pas toujours de celles des produits
sion est cependant très limitée, surtout de bœuf ) Bauchart et al., 2008. végétaux. La combinaison des sources
chez l’Homme. végétales entre elles, peut permettre
„„1.2. La couverture d’améliorer le profil en acides aminés
c. La fraction non énergétique des besoins nutritionnels indispensables (par exemple en combi-
Synthétisée uniquement par les dans des régimes nant céréales et légumineuses), mais la
microorganismes, la vitamine B12 est plus ou moins riches complémentarité n’étant pas parfaite et
spécifique des produits animaux. C’est en produits animaux la digestibilité des protéines végétales
le seul nutriment qui rend indispen- étant généralement inférieure, la quan-
sable la consommation de produits ani- Les Apports Nutritionnels Conseillés tité de protéine végétale à consommer
maux si on ne veut pas avoir recours à (ANC), représentent la quantité pour couvrir les besoins de l’ensemble
des supplémentations. moyenne d’énergie ou de nutriments des acides aminés indispensable est
dont la consommation est nécessaire généralement supérieure à celle de pro-
Les produits laitiers constituent une pour satisfaire les besoins de la plus téines animales (tableau 1). Même en
source importante de calcium (de grande partie de la population (97,5 %) incorporant du soja, la source végétale
115 g/100 mL de lait, à 1 000 mg/100 g et lui assurer un bon état de nutrition, la plus proche de la protéine de réfé-
de fromages à pâte pressée cuite) en limitant les risques de carence, de rence, un régime ne comprenant pas
avec une biodisponibilité élevée déséquilibre et de surcharge pondérale. de protéines animales, devrait a minima
(30-40 %). On trouve également des contenir 10 % de plus de protéines
quantités importantes de calcium (80- Les protéines sont impliquées dans qu’un régime omnivore comprenant
200 mg/100 g) dans certains végétaux de nombreuses fonctions de notre 50 % de protéines animales. Plus ce
tels que le chou, le brocoli, les épi- organisme : la structure des tissus type de régime incorpore de céréales,
nards et les haricots-sec. Cependant en (ex : collagène), la contraction mus- plus ce pourcentage augmente en rai-
dehors des brassicacés (chou, brocoli) la culaire (ex : actine), le transport de son de leur très faible teneur en lysine.
biodisponibilité du calcium est généra- molécules (ex : albumine), l’immunité Ainsi au-delà de 50 % de protéines
lement bien plus faible, notamment en (ex : immunoglobulines), les réactions végétales dans le régime, le risque
raison de la présence d’acide oxalique biochimiques (ex : enzymes), la régu- d’inadéquation de l’apport protéique
qui insolubilise le calcium, comme dans lation du métabolisme (ex : hormones, est en premier lieu lié à la quantité de
les épinards. À titre de comparaison un récepteurs). Chaque protéine a une protéines consommées, puis au-delà de
apport de 100 mg de calcium absor- composition particulière en acides 70 % la nature des protéines consom-
bable peut être assuré par 30 g de fro- aminés, dictée par le code génétique. Le mées devient importante, et le pour-
mage (type emmental), 500 g de chou, renouvellement permanent de toutes centage de légumineuses, noix et
ou 2 kg d’épinard. L’éviction complète les protéines (à des taux variables) est graines consommé doit augmenter
des produits laitiers du régime ali- ainsi à l’origine de besoins spécifiques pour prévenir notamment une défi-
mentaire augmente ainsi largement le pour l’organisme. Parmi les 20 acides cience en lysine (de Gavelle et al., 2017).
risque de déficit de déficience d’apport aminés qui constituent les protéines,
en calcium. 9 d’entre eux, appelés acides aminés Ainsi, pour les pays occidentaux
indispensables, ne sont pas synthéti- comme la France, dans lesquels la
Les viandes et abats constituent d’ex- sés par l’organisme, et doivent donc consommation journalière de proté-
cellentes sources en minéraux tels que obligatoirement être apportés dans ines excède généralement les ANC, le
le fer, le zinc et le sélénium. Le fer hémi- l’alimentation. L’absence ou la quantité risque d’inadéquation des apports en
nique présent dans les viandes (40-70 % insuffisante d’un de ces acides aminés acides aminés indispensables demeure
du fer total selon l’espèce animal) béné- suffit à perturber la synthèse protéique. faible, même pour les populations
ficie d’une meilleure biodisponibilité C’est donc l’équilibre entre les différents consommant peu ou pas de protéines

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


150 / Didier rémond

Tableau 1. Teneur en Acides Aminés Indispensables (AAI) digestibles (mg/g de protéiques. Ainsi, une corrélation a été
protéines. mise en évidence entre le pourcentage
de protéines animales dans le régime

pois 35/15/30/20
Viande/lait/blé/
Blé/pois 50/50

Riz/pois 50/50

Riz/pois /soja
de référencea
alimentaire et la préservation de la
Protéine

30/30/40
masse musculaire chez les sujets âgés
Viandec

Poisb

Sojab
Laitb

Bléd

Rizb
(Aubertin-Leheudre et Adlercreutz,
2009 ; Landi et al., 2017).

En ce qui concerne les lipides, le prin-


cipal intérêt des produits animaux est
Thr 25 48 66 21 23 35 35 28 29 31 43
la présence des acides gras polyinsa-
turés à longue chaîne apportés par
Val 40 67 45 30 40 38 44 34 39 41 43
les produits de la mer (notamment
le DHA considéré comme un acide
Ile 30 58 44 25 35 40 44 32 38 40 40
gras indispensable). Sans consomma-
tion de ces produits il est impossible
Leu 61 117 80 48 65 69 74 58 67 70 75
de couvrir les ANC en DHA (250 mg/j
His 16 32 32 17 22 20 24 19 21 22 26
ANSES, 2011). Les études épidémiolo-
giques mettent systématiquement en
Trp 7 16 24 8 16 12 14 10 14 14 16 évidence des proportions plus faibles
de DHA dans les lipides sanguins des
Lys 48 101 88 20 34 57 56 38 45 50 63 végétariens et végétaliens Sanders,
2009. Bien que l’EPA et le DHA puissent
AASe 23 32 45 30 28 16 24 23 22 23 34 être produits de façon endogène, pour
ces populations la question d’une défi-
AAAf 41 124 72 50 93 67 86 58 80 82 76 cience se pose de façon aigüe pour la
femme enceinte et pour les très jeunes
AAIlimg AAS Val Lys Lys AAS AAS Lys AAS AAS Val enfants, ces acides gras étant indispen-
sables au bon développement du sys-
Quantité de protéines nécessaire pour couvrir l’ensemble des besoins en AAI d’un tème nerveux central et de la fonction
adulte de 70 kgh, en g cognitive chez l’enfant Burdge et al.,
2017. Elle est également pertinente
56 40 50 136 79 83 53 70 59 56 52 pour les séniors avec la prévention
par le DHA des maladies neurodégé-
a
Protéine de référence pour un individu de plus de 3 ans FAO, 2013. nératives telles que la démence sénile
b
Rutherfurd et al., 2015.
ou la maladie d’Alzheimer Shahidi et
c
Viande de bœuf cuite 30 min à 75 °C, digestibilité iléale réelle mesurée sur des miniporcs (données
personnelles en cours de publication). Ambigaipalan, 2018.
d
Cervantes-Pahm et al., 2014.
e
Acides aminés soufrés : Cys + Met. Même si certains produits végétaux
f
Acides aminés aromatiques : Phe + Tyr. sont de très bonnes sources de cal-
g
Acide aminé indispensable limitant : celui présentant le plus faible ratio protéine alimentaire/ protéine
cium, la richesse des produits laitiers
de référence.
h
Pour l’acide aminé limitant : concentration dans la protéine se référence (mg d’acide aminé digestible/g en calcium les rend indispensables
de protéine de référence) × 0,8 (besoin, en g de protéine/kg) × 70 kg/concentration dans la protéine pour couvrir facilement les besoins
étudiée (mg d’acide aminé digestible/g de protéine). avec une alimentation courante (sans
supplément). Leur éviction complète
animales, à condition de combiner les lesquelles des besoins spécifiques en du régime alimentaire augmente large-
sources de protéines végétales entre certains acides aminés apparaissent : ment le risque de déficience d’apport
elles. Le problème se pose en revanche leucine pour stimuler la synthèse pro- en calcium. Ainsi, comparées aux omni-
clairement pour les pays en voie de téique (Dardevet et al., 2012), acides vores ou aux végétariens, les personnes
développement où les apports en aminés soufrés pour détoxifier les végétaliennes ont généralement un
énergie et protéines sont faibles (en médicaments tels que le paracétamol moins bon statut calcique (lié à des
dessous des recommandations) et où et lutter contre le stress oxydatif Mast apports faibles), associé à un moins bon
les ressources végétales disponibles et al., 2018. Pour cette population en statut en vitamine D, ce qui se traduit
sont peu variées et souvent peu diges- augmentation (on estime qu’en 2050 par un risque accru de fracture osseuse
tibles. Le problème peut également se une personne sur 5 au niveau mondial, (Appleby et al., 2007 ; Crowe et al., 2011 ;
poser pour les personnes âgées, chez et une personne sur 3 au niveau fran- Hansen et al., 2018). Chez les personnes
lesquelles les besoins en protéines ont çais, aura plus de 60 ans), la présence âgées, la consommation régulière de
tendance à augmenter alors que leurs de produits animaux dans l’alimenta- yogourt a été associée à une densité
apports spontanés diminuent, et pour tion facilite la couverture des besoins minérale osseuse plus élevée et de meil-

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Quelle place pour les produits animaux dans l’alimentation de demain ? / 151

leures performances physiques (Laird Le poisson, les produits de la mer, couverture de l’ensemble des besoins, la
et al., 2017). et les produits laitiers constituent la présence de produits animaux dans l’ali-
principale source d’iode de notre ali- mentation reste donc recommandée.
Bien que les études de consomma- mentation. L’éviction de ces aliments Basés sur un processus d’optimisation
tion (comme Nutrinet-Santé) montrent augmente ainsi le risque de déficience. incluant les critères de couverture des
que le risque d’apport inadéquat en fer Cette déficience en iode est d’autant besoins nutritionnels, sans trop s’éloi-
n’est pas plus élevé chez les végétariens plus critique chez les femmes enceintes gner des habitudes de consommation
et végétaliens que chez les consomma- et allaitante dans la mesure où elle se actuelle, mais en imposant des limites
teurs de viande (Allès et al., 2017), les traduit par des retards de développe- de consommation supérieurs pour la
études épidémiologiques mettent géné- ment intellectuel de l’enfant (Bath et al., viande de boucherie et la charcuterie,
ralement en évidence des réserves cor- 2013 ; Abel et al., 2017). Les études les travaux de l’ANSES ANSES, 2016
porelles en fer (estimées par la ferritine épidémiologiques (basées sur l’iode montrent clairement qu’en raison des
sérique) plus faibles chez les végétariens urinaire) montrent systématiquement contraintes nutritionnelles à satisfaire
et végétaliens que chez les consomma- un apport en iode plus faible chez les (notamment en fer), si il est possible
teurs de produits carnés Haider et al., végétaliens, comparé aux végétariens de fortement réduire la consomma-
2018. La différence de biodisponibilité et omnivores, avec des niveaux moyens tion de charcuterie (au moins pour les
des formes de fer ainsi que la présence nettement inférieurs aux recommanda- Hommes), il est plus difficile de réduire
dans les produits végétaux de compo- tions (Krajcovicova-Kudlackova et al., celle de viande de boucherie par rap-
sés inhibant l’absorption du fer (acide 2003 ; Leung et al., 2011 ; Schupbach port aux consommations actuelles. La
phytique, tanins) expliquent en grande et al., 2017 ; Brantsaeter et al., 2018). simulation montre également qu’il est
partie cette divergence entre apports très difficile de se passer de la consom-
et statut en fer (Perignon et al., 2018). La vitamine B12 n’étant pas présente mation de produits laitiers.
L’anémie ferriprive est la forme sévère dans les végétaux, la prévalence d’ap-
de la déficience en fer (diagnostiquée port insuffisant est supérieure chez „„1.3. Les relations
par une chute du taux d’hémoglobine) ; les végétaliens et dans une moindre entre la consommation
sa prévalence ne semble pas supérieure mesure chez les végétariens par rap- de produits animaux
chez les végétariens Hunt, 2002. Pour les port aux omnivores (Pawlak et al., 2014 ; et la santé
personnes à risque d’anémie ferriprive, Allès et al., 2017). La prise de supplé-
femmes en âge de procréer ou enceintes, ments ou la consommation d’aliments a. Les viandes et produits carnés
enfant de 6 mois à 4 ans, ou personnes enrichis en vitamine B12 peut cepen- Si la viande de volaille semble avoir
âgées, la présence dans le régime ali- dant permettre de couvrir les besoins un effet neutre sur la santé (en dehors
mentaire de viandes et produits carnés de ces populations (Schupbach et al., de son intérêt pour satisfaire les besoins
permettra cependant un meilleur main- 2017). Ces supplémentations sont par- en nutriments), ce n’est pas le cas des
tien du statut martial (Jackson et al., ticulièrement critiques chez la femme viandes de boucherie (bovine, ovine,
2016). Il faut également noter que la enceinte et allaitante, une carence en porcine et chevaline) et des produits
déficience en fer sans anémie (ferritine vitamine B12 pendant cette période transformés (charcuterie), dont la
sérique basse sans diminution du taux pouvant avoir des répercussions graves consommation a été associée à une aug-
d’hémoglobine) peut entraîner de mul- sur le développement du fœtus, et le mentation du risque de maladies car-
tiples symptômes comme de la fatigue développement des fonctions cogni- dio-vasculaires, de diabète de type 2 et
ou une fonction cognitive diminuée, à ne tives Black, 2008. Des déficiences en de cancer. Les plus récentes méta-ana-
pas négliger Clenin, 2017. vitamine B12 sont également souvent lyses des données de la littérature
observées chez les personnes âgées (Bechthold et al., 2017 ; Schwingshackl
Le zinc est présent dans les produits soit par défaut d’apport, ces personnes et al., 2017a ; Schwingshackl et al.,
végétaux et animaux, mais la présence ayant tendance à consommer moins 2017b ; Schwingshackl et al., 2018)
d’acide phytique dans les produits végé- de viande, soit par défaut d’absorption montrent en effet que pour chaque
taux, comme pour le fer, limite fortement (Rémond et al., 2015). Elles peuvent augmentation de consommation de
sa biodisponibilité. Les études épidémio- avoir pour conséquences des troubles 100 g/j de viande boucherie, le risque
logiques mettent ainsi en évidence, à la hématologiques (anémie), mais elles d’hypertension augmente de 14 %, de
fois une plus faible consommation de semblent également impliquées dans maladie coronarienne de 15 %, d’ac-
zinc et des concentrations sériques en les complications neurologiques de cident vasculaire cérébral de 12 %, de
zinc plus faibles chez les végétariens, et type Alzheimer (Politis et al., 2010), ou défaillance cardiaque de 8 %, de dia-
encore plus chez les végétaliens, que chez dans le développement de syndrome bète de type 2 de 17 % et de cancer
les omnivores Foster et al., 2013. Le zinc dépressif (Hibbeln et al., 2018). La colorectal de 12 %. De même pour une
est impliqué dans de nombreuses fonc- consommation de produits animaux augmentation de consommation de
tions biologiques, et les carences en zinc demeure la meilleure solution pour la 50 g/j de viande transformée, le risque
constituent une préoccupation de santé prévention de ces carences. d’hypertension augmente de 12 %, de
publique mondiale WHO, 2002, notam- maladie coronarienne de 27 %, d’ac-
ment en raison des liens entre le zinc et le Dans le domaine de la prévention cident vasculaire cérébral de 17 %,
système immunitaire (Sanna et al., 2018). nutritionnelle, et dans l’optique d’une de défaillance cardiaque de 12 %, de

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


152 / Didier rémond

­ iabète de type 2 de 37 % et de cancer


d ne concerne donc pas l’ensemble des Les produits laitiers ont parfois été
colorectal de 17 %. français, mais uniquement cette popu- accusés de favoriser le développement
lation de gros mangeurs de viande de de l’arthrite rhumatoïde, les études d’in-
Les études épidémiologiques sont boucherie. La consommation moyenne tervention ne semblent cependant pas
des études d’association et le lien de de charcuterie en France est de 36,4/j montrer d’effet positif de leur éviction
causalité n’est pas toujours clairement (34,2 pour les Hommes et 20,9 pour les (Smedslund et al., 2010). L’éviction est
établi (Klurfeld, 2015 ; Rohrmann et femmes). Sachant que chaque portion de plus déconseillée lors que l’arthrite
Linseisen, 2016). Aussi le lien entre de 50 grammes de viande transformée rhumatoïde est déclarée (Gossec et al.,
consommation de viande de boucherie consommée tous les jours augmente 2006). Une étude épidémiologique sug-
et le cancer colorectal, qui a fait beau- le risque de cancer colorectal de 18 % gère au contraire un effet protecteur de
coup de bruit médiatique, est consi- environ, des efforts doivent être faits la consommation de lait et yogourt vis-
déré comme probable, mais le niveau pour limiter cette consommation à-vis de cette pathologie (He et al., 2016).
de preuve n’est pas jugé convaincant et/ou proposer des produits moins
WCRF, 2017. La raison étant souvent le cancérogènes. c. Les œufs et le poisson
manque d’explications mécanistiques La consommation d’œufs ou de pois-
démontrées, bien que le rôle central du b. Les produits laitiers son n’est généralement pas considérée
fer héminique dans la carcinogénèse Bien que ce soit toujours sujet à débat, comme un facteur de risque vis-à-vis
soit maintenant établi (Bastide et al., les récentes méta-analyses d’études des maladies chroniques non trans-
2015), compliquée par le fait que les épidémiologiques ne montrent pas missibles. La consommation de poisson,
niveaux d’ingestion de viande dans les d’association entre la consommation en raison de la présence d’AGPI n-3 à
expérimentations animales excédent de produits laitiers et les maladies longue chaîne, pourrait même avoir un
largement ceux observés chez l’Homme cardio-vasculaires (Bechthold et al., effet protecteur sur la maladie d’Alzhei-
Turner et Lloyd, 2017. Les choses sont 2017 ; Guo et al., 2017). Les produits mer, mais les études épidémiologiques
beaucoup plus claires pour les « pro- laitiers, et plus particulièrement les dans ce domaine semblent contradic-
cessed foods », parfois traduit par charcu- yogourts, pourraient même avoir un toires (Solfrizzi et al., 2017). La présence
terie (catégorie à l’intérieur de laquelle effet protecteur contre le diabète de dans le poisson de contaminants neu-
il faudrait probablement distinguer les type 2 (Schwingshackl et al., 2017a ; rotoxiques tels que le methyl-mercure
produits), pour lesquels le niveau de Gille et al., 2018) et le cancer colorectal pourrait en partie expliquer la variabi-
preuve est souvent considéré comme (Schwingshackl et al., 2018), ainsi qu’un lité des résultats observés.
convaincant. Quoiqu’il en soit, par effet anti-inflammatoire (Bordoni et al.,
mesure de précaution il est préconisé 2017). À l’intérieur des produits laitiers,
de limiter la consommation de viande même la consommation de beurre,
2. La place des produits
de boucherie (telle que consommée) à longtemps décriée, ne semble pas animaux dans
500 g (cuit) par semaine (soit environ être associée aux maladies cardio-vas- une alimentation saine
700 g de viande crue), et de limiter culaires et au diabète (Pimpin et al., et durable
fortement voire d’éviter la consomma- 2016), et le fromage pourrait même
tion de charcuterie WCRF, 2018. Il faut avoir un effet protecteur contre les
noter que pour la viande de boucherie, maladies cardiovasculaires (Guo et al., Pour la FAO (2010), « les régimes ali-
aussi bien que pour la charcuterie des 2017). L’ensemble de ces résultats est mentaires durables sont des régimes ali-
stratégies de formulation (avec incor- conforté par une récente étude longi- mentaires ayant de faibles conséquences
poration d’antioxidants végétaux) sont tudinale sur une cohorte regroupant sur l’environnement, qui contribuent à la
actuellement développées avec succès des individus (n = 136384) de 21 pays sécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi
pour limiter la peroxydation lipidique répartis sur 5 continents (Dehghan qu’à une vie saine pour les générations
induite par le fer héminique et préve- et al., 2018). actuelles et futures. Les régimes alimen-
nir le risque de cancer colorectal (Martin taires durables contribuent à protéger et
et al., 2018). L’intolérance au lactose (lié à un défi- à respecter la biodiversité et les écosys-
cit en lactase digestive) est à l’origine tèmes, sont culturellement acceptables,
En France selon l’enquête INCA3 de de troubles digestifs divers (ballonne- économiquement équitables et acces-
l’ANSES (2017), la quantité moyenne ment, douleur abdominale, flatulence, sibles, abordables, nutritionnellement
consommée de viandes hors volaille est diarrhée). Elle ne justifie cependant pas sûrs et sains, et permettent d’optimiser
de 47,3 g/j (61,2 g/j chez les Hommes l’éviction complète des produits laitiers, les ressources naturelles et humaines ».
et 34,1 g/j chez les femmes) soit 330 g/ d’une part parce que les personnes
semaine, ce qui est nettement inférieur intolérantes peuvent généralement „„2.1. Sécurité alimentaire
à la limite des 500 g/semaine. Seuls consommer un verre de lait sans symp-
28 % des adultes Français consomment tôme (Savaiano et al., 2006), d’autre part Avec l’augmentation annoncée de la
plus de 500 g par semaine de viande parce que dans les produits laitiers fer- population mondiale, la question de la
de boucherie (enquête CCAF, 2013 du mentés, type yogourt ou fromage, le disponibilité en protéines alimentaires
Crédoc). Le message de limitation de la lactose est prédigéré par les ferments pour nourrir correctement l’ensemble
consommation à des fins de prévention lactiques (Savaiano, 2014). de la population se pose de façon cru-

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Quelle place pour les produits animaux dans l’alimentation de demain ? / 153

ciale. La réduction des gaspillages nés indispensables digestibles, cf. § 1.2), végétaux (Gonzalez-Garcia et al., 2018),
alimentaires, et la redistribution des on observe ­généralement un incrément une modification de nos comportements
sources de protéines au niveau mondial de qualité (Ertl et al., 2016 ; Patel et al., alimentaires vers des régimes incorpo-
sont les premiers leviers pour satisfaire 2017), qui permet de limiter la quan- rant plus de produits végétaux semble
cette demande. On considère en effet tité totale de protéines consommée également indispensable pour limiter
qu’un tiers des aliments produits dans le par l’Homme pour couvrir ses besoins l’augmentation de la production de gaz
monde pour la consommation humaine (cf. § 1.2). La clé pour des productions à effet de serre du secteur agricole. Des
est perdu ou gaspillé (environ 20 % pour animales efficiente est donc la maxi- modèles prédictifs montrent ainsi que,
la production de lait et de viande, 35 % misation de l’utilisation des protéines en Europe, un remplacement de 50 %
pour les poissons et fruits de la mer). non-consommables par l’Homme (four- des protéines animales par des protéines
Ces pertes sont très probablement com- rages, coproduits, grains déclassés…) végétales dans l’alimentation entraînerait
pressibles à tous les niveaux de la chaîne dans les systèmes d’élevage. Basé sur une réduction de 40 % de la production
alimentaire. De plus, si un milliard de un concept d’économie circulaire, la de gaz à effet de serre, et permettrait éga-
personnes sur la terre ont des apports suppression totale de l’utilisation d’ali- lement de réduire de 40 % les émissions
protéiques inadéquats, dans les pays ments consommables par l’Homme d’azote (Westhoek et al., 2014). Dans les
développés la consommation de proté- pour l’élevage permettrait de libérer pays occidentaux la consommation de
ines excède largement les recommanda- environ un quart des terres arables uti- protéines d’origine animale représente
tions alimentaires. Par exemple en France lisés pour la production d’aliment pour en moyenne 65 à 70 % de la consomma-
la consommation moyenne de protéine bétail (actuellement 40 % de la totalité tion protéique totale, alors que pour cou-
par habitant est de 1,4 g/kg/j, pour un des terres arables), pour la production vrir l’ensemble des besoins en macro et
ANC de 0,8 g/kg/j. Une redistribution des de graines consommables directe- micronutriments un équilibre entre pro-
ressources de protéines est donc envisa- ment par l’Homme, tout en assurant téines animales et protéines végétales
geable sans dommages nutritionnels un apport protéique d’origine animal dans le régime est généralement recom-
pour les populations les plus riches. couvrant 20 à 40 % de l’apport total en mandé. La réduction de la consomma-
protéines (Van Zanten et al., 2018). tion de viande (notamment celle des
Basée sur des calculs d’efficience de ruminants en raison des productions
conversion de protéines végétales en „„2.2. Alimentation entériques de méthane) a été identifiée
protéines animales (en moyenne 4 pro- saine dans un contexte comme le principal levier permettant de
téines végétales pour faire une protéine de durabilité réduire les émissions de gaz à effet de
animale), la suppression de l’élevage a serre (Perignon et al., 2017). Une réduc-
été proposée pour, de facto, augmenter L’élevage dans sa globalité émet tion de la consommation de viande serait
la disponibilité en protéines alimen- 14,5 % des émissions de gaz à effet de bénéfique à la fois sur le plan de l’environ-
taires. Les choses ne sont évidemment serre d’origine humaine (60 % des émis- nement et sur celui de la santé (cf. § 1.3.a).
pas si simples. L’élevage de ruminant sions de l’ensemble de l’agriculture), la L’étude de modélisation la plus complète,
est par exemple la seule solution pour plus grosse part de ses émissions (75 %) intégrant notamment la biodisponibilité
valoriser les protéines des fourrages. De étant liée aux ruminants FAO, 2014. De des nutriments, montre qu’en France,
plus les ruminants comme les animaux plus, même si elle a été revue à la baisse, une diminution de 30 % de l’impact envi-
monogastriques recyclent une grosse la part de l’élevage dans la consomma- ronnemental (gaz à effets de serre, eutro-
partie des coproduits protéiques issus tion d’eau potable reste très importante. phisation, acidification), peut être atteint
de la première transformation des végé- L’empreinte hydrique est en moyenne en faisant passer la part des protéines
taux (production d’huile, d’amidon, de de 54 L d’eau par gramme de protéines animales dans la consommation totale
bière…) qui ne sont actuellement pas animales produite, contre en moyenne de protéines de 65 % (actuellement) à
consommables par l’Homme. Si on 42 L par gramme de protéines végétales 50 %, tout en satisfaisant l’ensemble des
exprime la production de protéines (Mekonnen et Hoekstra, 2012). besoins nutritionnels (Barre et al., 2018).
animales par rapport à la quantité de Cette diminution se faisant principale-
protéines végétales qui auraient pu être De nombreux travaux sont réalisés ment par une réduction de la quantité
directement consommées par l’Homme, par les différentes filières de produc- totale de viande consommée (– 32 %
le ratio est ainsi en moyenne de 1 pour 1 tions animales pour diminuer à l’échelle pour les femmes et – 62 % pour les
(Ertl et al., 2015). Les ruminants nourris de l’exploitation la production de gaz à Hommes). Outre ce réajustement entre
à l’herbe sont ainsi des producteurs effet de serre, et montrent que des solu- la consommation de produits d’origine
nets de protéines consommables par tions existent (FAO, 2014). Mais ce ne sera animale et végétale dans notre alimen-
l’Homme, s’ils sont élevés dans des zones probablement pas suffisant, l’augmen- tation, il ne faut pas oublier que dans les
impropres aux cultures, ou intégrés dans tation de la population mondiale et de pays occidentaux un des leviers majeurs
un processus de recyclage des matières son niveau de vie entraînant un accrois- pour diminuer la production de gaz à
premières agricoles (Laisse et al., 2018). sement continu de la demande en pro- effet de serre par l’agriculture et de dimi-
De plus si on compare la qualité nutri- duits animaux. L’empreinte ­carbone des nuer globalement notre consommation
tionnelle des protéines consommées régimes alimentaires riches en produits ­alimentaire, simplement pour respecter
par les animaux à celle qu’ils produisent animaux étant généralement plus élevée les recommandations en terme d’apport
(basée sur la composition en acides ami- que celle des régimes riches en produits énergétique (Perignon et al., 2017).

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154 / Didier rémond

Les régimes végétariens qui apportent azotés, mais une perte de biodiversité lié représente une réduction significative de
20 à 30 % de protéines d’origine animale à l’abandon des pâturages) et un impact la consommation de viande, pour une
(produits laitiers, œufs), présentent socioéconomique négatif (désertifi- part importante des occidentaux. Cette
généralement un plus faible impact envi- cation des campagnes) ne semble pas transition vers un rééquilibrage de la pré-
ronnemental que les régimes omnivores satisfaire aux critères de la durabilité. sence de produits animaux et végétaux
(Rosi et al., 2017 ; Gonzalez-Garcia et al., L’adhérence à ce type de régime ne se dans notre alimentation sera probable-
2018). Mais il ne faut pas oublier que la justifie aujourd’hui que par des consi- ment facilitée dans les années à venir par
production de lait et d’œufs entraîne dérations éthiques sur l’élevage des ani- le développement de nouveaux aliments
de facto la production de viande (veaux, maux, et demeure un choix personnel. protéiques à base de protéines végétales,
vaches, poules), impliquant une coha- attractifs sur le plan gustatif, et de qualité
bitation entre consommateurs et non nutritionnelle optimisée.
consommateurs de viande.
Conclusion
L’élevage est souvent remis en ques-
Jusqu’à quel point peut-on réduire La consommation de produits ani- tion en raison de potentiels effets néga-
notre consommation de produits ani- maux, dans la limite des recomman- tifs sur l’environnement, mais il ne faut
maux pour satisfaire aux contraintes dations actuelles (50 % de l’apport pas oublier qu’un milliard de personnes,
environnementales sans pénaliser protéique), améliore la qualité de notre qui vivent en dessous du seuil de pau-
l’équilibre alimentaire ? La ques- alimentation en assurant une meilleure vreté dans le monde, dépendent de
tion reste à ce jour ouverte. À titre couverture de l’ensemble des besoins l’élevage pour leur apport en protéines,
d’exemple, deux études américaines nutritionnels. Les études épidémiolo- pour se nourrir et pour gagner leur vie.
récentes conduisent à des résultats giques mettent cependant en évidence Sa suppression est donc essentielle-
divergents selon les critères de modéli- un potentiel lien entre une consom- ment un questionnement de pays riches.
sation retenus. Une étude conclue que mation excessive de produits animaux, Certes, il produit environ 15 % des gaz
l’élimination totale de l’élevage rédui- notamment de viande et la survenue de à effet de serre dont on connaît l’impact
rait effectivement la production de gaz maladies chroniques non transmissibles. sur le réchauffement climatique. C’est
à effet de serre, mais conduirait à une À ce titre, les gros consommateurs de à la fois beaucoup et peu par rapport
offre alimentaire incapable de satisfaire viande de boucherie (plus de 500 g par à l’ensemble des services rendus sur le
les besoins nutritionnels de la popula- semaine, environ un tiers de la popula- plan nutritionnel et socioéconomique.
tion (White et Hall, 2017). L’autre conclut tion) doivent en modérer leur consom- Les animaux valorisent non seulement
qu’un remplacement dans l’alimenta- mation. Pour les autres une réduction les surfaces non-arables mais aussi les
tion de la totalité des produits animaux de consommation ne s’impose pas, mais coproduits de la transformation des
par des produits végétaux adaptés per- reste possible en veillant à maintenir la produits végétaux, qui sont à ce jour
mettrait aux États-Unis de nourrir de qualité de l’apport protéique, et en assu- non-consommables par l’Homme. L’arrêt
manière satisfaisante 350 millions de rant des apports suffisants en vitamines de la consommation de produits ani-
personnes supplémentaires Shepon B12, calcium, fer et zinc essentiellement. maux, donc la suppression de l’élevage,
et al., 2018. Dans ces modèles le choix La diminution actuelle très significa- entraînerait ainsi inéluctablement une
des produits végétaux pour rempla- tive de la consommation de viande par diminution de la disponibilité en proté-
cer les produits animaux est crucial à habitant en France (– 12 % en 10 ans – ines consommables par l’Homme, alors
la fois pour maximiser la réduction de enquête CREDOC) va ainsi dans le bon même que la demande augmente sous
la production de gaz à effet de serre sens. L’alimentation végétarienne est dif- la pression démographique. Elle précipi-
(Perignon et al., 2017), et pour per- ficilement recommandable à l’ensemble terait la désertification rurale notamment
mettre la couverture de l’ensemble des de la population dans la mesure où elle en zone de montagne, et entraînerait une
besoins nutritionnels (Cifelli et al., 2016). augmente le risque de déficience d’ap- profonde modification des paysages.
port (dont les conséquences peuvent Contrairement à ce qu’on veut bien nous
L’élevage rendant de nombreux ser- être très dommageables lors de la gesta- faire croire, le végétalisme n’est donc pas
vices (écosystémiques et sociaux-éco- tion, chez le jeune enfant, ou chez les per- la solution miracle à tous nos problèmes.
nomiques) Duru et al., 2017, s’il était sonnes âgées), sans apporter de bénéfice Son positionnement purement éthique
supprimé il faudrait trouver des alter- santé évident par rapport à une consom- n’en demeure pas moins respectable.
natives à son rôle dans le maintien des mation modérée de viande. Elle pose
paysages et des populations rurales, également une question de durabilité Un élevage respectueux des animaux,
la séquestration de carbone par les en raison des liens entre la ­production de minimisant les émissions de gaz à effet
prairies, et la valorisation des végé- lait et d’œufs et la production de viande. de serre et les rejets azotés tout en
taux non consommables par l’Homme Sur le plan nutrition/santé, la présence optimisant le recyclage des matières
(cf. § 2.1), etc. Ainsi, le régime végétalien de produits animaux (à raison de 40 à premières dans une économie circulaire
étant potentiellement inadéquat sur le 50 % de l’apport protéique), combinant (Van Zanten et al., 2018), associé à une
plan nutritionnel, n’apportant pas de viande, poisson, lait et œufs, demeure consommation raisonnable (limitée)
bénéfice particulier pour la santé, ayant la meilleure garantie pour couvrir l’en- de produits animaux, est ainsi proba-
un bilan environnemental contrasté semble des besoins nutritionnels et blement la clé pour une alimentation
(moins de gaz à effet de serre et de rejet maintenir un état de santé optimal. Cela humaine saine, et durable.

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Quelle place pour les produits animaux dans l’alimentation de demain ? / 155

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Résumé
L’image de l’élevage et des produits alimentaires d’origine animale n’a cessé de se dégrader suite aux crises sanitaires successives, aux
problèmes de pollution, et plus récemment à la dénonciation de pratiques d’élevage et d’abattage ne respectant pas le bien-être animal.
En réponse à cette détérioration d’image, des modes de consommation « alternatifs » se développent, allant du flexitarisme au végéta-
lisme. Il faut cependant rappeler que sur le plan nutritionnel, en raison de la qualité de leur apport en protéines et minéraux (calcium,
fer, zinc), et de leur spécificité dans l’apport en vitamine B12 et en acides gras polyinsaturés à longue chaîne, la présence de produits
animaux dans l’alimentation garantit une couverture optimale des besoins de notre organisme. Bien que souvent attaqués sur le plan
de la santé, il faut également rappeler que les études épidémiologiques ne mettent pas en évidence d’effet négatif de leur consomma-
tion lorsque celle-ci est modérée (moins de 50 % de l’apport protéique journalier, moins de 500 g de viande rouge par semaine). Il est
clair cependant que dans les pays occidentaux, une consommation excessive de produits animaux a pu déséquilibrer l’alimentation et
favoriser l’émergence de pathologies non transmissibles. Aussi, pour les gros consommateurs de produits animaux, une réduction de
consommation s’impose. Celle-ci entraînerait une importante réduction (– 30 %) de l’impact environnemental des productions animales.
Un élevage respectueux des animaux, minimisant les émissions de gaz à effet de serre et les rejets azotés et maximisant l’utilisation
de produits végétaux non consommables par l’Homme, associé à une consommation humaine raisonnable, garantira le maintien des
produits animaux dans l’alimentation de demain.

Abstract
What role for animal products in tomorrow’s human diet?
The image of livestock production, and animal food products, has steadily deteriorated following successive health crises, pollution problems, and
more recently the denunciation of practices of breeding/slaughter not respecting animal welfare. “Alternative” modes of consumption are thereby
developing, ranging from flexitarism to veganism. However, it must be remembered that because of the quality of their protein and mineral supply,
and their specificity in the supply of vitamin B12 and long chain polyunsaturated fatty acids, the presence of animal products in the diet secures
an optimal coverage of our nutritional requirements. Although often attacked in terms of public health issues, it should also be remembered that
epidemiological studies do not show any negative effect of their consumption when it is moderate (less than 50 % of the daily protein intake,
less than 500 g of red meat per week). It is clear, however, that in Western countries, excessive consumption of animal products may have led to
unbalanced diets, and favored the emergence of non-communicable diseases. Thus, for those consuming the largest amountsof animal products,
a reduction in consumption is necessary. This would lead to a significant reduction (– 30 %) in the environmental impact of livestock production.
Animal-friendly livestock farming, minimizing greenhouse gas emissions and nitrogen emissions and maximizing the use of non-edible plant
products, coupled with reasonable eating behaviors, will ensure the maintenance of animal products in tomorrow’s diet.

RÉMOND D., 2019. Quelle place pour les produits animaux dans l’alimentation de demain ? In : Numéro spécial. De grands défis et des
solutions pour l’élevage. Baumont R. (Éd). INRA Prod. Anim., 32, 147-158.
https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2500

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les effets du processus INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 159-170

d’intensification de l’élevage
dans les territoires
Joao Pedro DOMINGUES1, Thierry BONAUDO1, Benoit GABRIELLE2, Christophe PERROT3, Yves TRÉGARO4, Muriel TICHIT†1
1
UMR SAD-APT, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, 75005, Paris, France
2
UMR ÉcoSys, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, 75005, Paris, France
3
Institut de l’Élevage, Département Économie, 75012, Paris, France
4
Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 75007, Paris, France
Courriel : domi.joaopedro@gmail.com

„„ L’intensification de l’élevage peut être appréhendée comme un processus de transformation des territoires en
termes de cheptels et de productions animales, d’usage des sols et de paramètres socioéconomiques. Nous proposons
cette lecture au niveau français entre 1938 et 2010. Nous montrons que la transformation des territoires a divergé
assez rapidement et induit des effets de différentes natures. Les bouquets de services actuellement présents sur les
territoires d’élevage sont une des conséquences des niveaux d’intensification atteints bien avant 2010.

Introduction reproduction, nutrition, santé animale, que l’extensification se caractérise par


Thornton, 2010) ou encore une entrée une combinaison d’un des facteurs à
sur les changements d’utilisation des des doses moindres d’autres facteurs.
Au cours du XXe siècle, l’augmen- sols (Alexander et al., 2015). Cependant, L’intensification peut être considérée
tation de la production agricole a été la dynamique d’intensification de l’éle- comme un processus qui augmente la
obtenue grâce à deux processus, une vage et ses déclinaisons territoriales productivité des terres en augmentant
intensification et une spécialisation des sont engendrées par des combinaisons l’utilisation des facteurs de production
systèmes de production, engendrant de de déterminants et sur des pas de temps par unité de surface (Shriar, 2000), ou
nombreux impacts environnementaux relativement longs. Peu de travaux à ce comme l’ensemble des combinaisons
et socioéconomiques. L’élevage est jour ont apporté une vision dynamique, possibles des facteurs de production
désormais confronté au double défi multi-déterminants et territorialisée de qui permettent d’atteindre une pro-
de maintenir un niveau élevé de pro- l’intensification. duction plus élevée par unité de sur-
duction tout en diminuant ses impacts face. Par conséquent, l’intensification
(Godfray et al., 2012 ; Gerber et al., Les processus d’intensification sont peut être mesurée par la quantité de
2014). Dans un contexte où le carac- multiples et complexes. La notion d’in- produits animaux par unité de surface
tère durable de l’élevage est remis en tensification englobe celle d’intensité ou par animal ainsi que par la quantité
question dans certains territoires, il est agricole qui se réfère à une production de facteurs de production mobilisée par
important de comprendre les trans- par unité de temps (i.e. une produc- unité de surface.
formations passées, leurs déclinaisons tivité) en fonction d’un ou plusieurs
territoriales et leurs effets notamment facteurs de production (Teillard et al., En France, l’élevage couvre un large
en termes de services rendus. 2012 ; Douillet et Girard, 2013). La pro- gradient d’intensité, est encore très
ductivité mesure l’efficacité du proces- diversifié et influence fortement l’utili-
De nombreuses études ont analysé sus de production quant à l’utilisation sation des terres. Grace à cette diversité
les déterminants de l’intensification des facteurs de production tels que la de situation, la France a joué un rôle
de l’élevage, en privilégiant une entrée terre, le travail et le capital. Tirel (1991) a pionnier pour proposer une lecture des
économique (demande croissante de défini l’intensification comme la combi- contributions positives de l’élevage en
produits animaux, politique agricole…), naison d’un de ces facteurs à des quan- termes de services rendus à la société
ou technique (progrès en génétique et tités accrues d’autres facteurs, alors (Ryschawy et al., 2015 ; Ryschawy et al.,

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2508 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


160 / Joao pedro domingues et al.

2017). Dans le prolongement de ce tra- des ­recensements de l’agriculture entre fourragère est multipliée par 2,4 pas-
vail, l’expertise scientifique collective 1938 et 1988. Cette base a été étendue sant de 758 à 1 856 kg de lait/ha entre
réalisée par l’INRA (Dumont et al., 2016) jusqu’en 2010 dans le cadre de la thèse 1938 et 2010. La production de viande
a apporté un vue panoramique des rôles, de doctorat de l’auteur (Domingues, herbivore par hectare de surface four-
impacts et services issus de l’élevage 2017). Elle rassemble pour 88 départe- ragère a pratiquement doublé, passant
européen et de ses produits. Suite à cet ments français une batterie d’indicateurs de 60 à 118 kg viande/ha entre 1938 et
expertise plusieurs auteurs ont proposé que nous avons classés en trois catégo- 2010. Ces accroissements de produc-
des cadres conceptuels pour analyser ries : socioéconomique, utilisation des tivité au niveau national résultent de
conjointement les contributions posi- terres et productivité (tableau 1). l’amélioration des performances des
tives et négatives de l’élevage au sein animaux en termes de lait et de viande
des territoires (Duru et al., 2017 ; Dumont „„1.1. Intensification couplée à une surface fourragère inten-
et al., 2017). L’expertise a également per- au niveau national sifiée et plus réduite. L’intensification de
mis d’analyser les liens entre fourniture la surface fourragère est notamment
de services et caractéristiques structu- Les changements les plus impor- due à l’introduction du maïs ensilage,
relles des zones d’élevage (Hercule et al., tants du processus d’intensification de inexistant dans l’avant-guerre, et qui
2017) et d’explorer les caractéristiques l’élevage concernent les indicateurs occupe en 2010 11 % de la surface
des bouquets de services des territoires socioéconomiques. L’indicateur de la fourragère (Institut de l’Élevage, 2013).
herbagers au regard des facteurs histo- productivité du travail a plus que qua- Les accroissements de productivité sont
riques de transformation de ces terri- druplé entre 1938 et 2010 (tableau 1). également couplés à une augmentation
toires (Vollet et al., 2017). La densité de tracteurs, mesurée à par- des chargements, + 50 et + 170 % pour
tir du nombre d’immatriculations de les herbivores et les monogastriques,
En privilégiant une analyse historique tracteurs agricoles par ha de SAU est respectivement.
pour étudier la transformation des acti- passée de 0,0020 à 0,0053 entre 1955
vités d’élevage dans le temps et dans et 2010. En revanche, le parc de trac- Après un maximum historique au
l’espace, l’objectif de cet article est teurs a été multiplié par 30, passant de début des années 1970 (60 % de sur-
d’analyser le processus d’intensification 35 646 en 1941 à 1 058 755 tracteurs faces fourragères dans la SAU dont
à l’échelle nationale et départementale agricoles en 2013 ; soit un tracteur pour 41 % pour les seules surfaces toujours
pour expliquer la configuration actuelle 833 ha de SAU en 1941 et un tracteur en herbe), la place des surfaces four-
des territoires d’élevage et la diversité pour 26 ha de SAU en 2013. Le nombre ragères est en repli. Mais ce repli a été
des services rendus à la société. Dans d’immatriculation par an capture l’évo- beaucoup plus rapide dans les années
une première partie, nous illustrons les lution des investissements en méca- 1970-1980 avec le développement
trajectoires d’intensification de l’éle- nisation agricole ; celle-ci n’a pas été du maïs ensilage ou dans les années
vage français de 1938 à 2010 en hiérar- homogène sur la période analysée (pic 1990 avec la conversion des prairies
chisant les déterminants techniques, d’investissement en 1970). Ces investis- en cultures suite à la réforme de la PAC
socioéconomiques et d’usage des sols. sements en mécanisation ont contribué de 1992, qu’entre 2000 et 2010 où la
Dans une deuxième partie, nous mon- à ce que la productivité du travail de place relative des surfaces fourragères
trons les conséquences de ces trajec- passe de 8,6 à 35,9 hectares par Unité n’a pratiquement pas bougé au niveau
toires sur la fourniture de services au de Travail Annuel (UTA). Le tableau 1 national (– 0,2 point de SAU à 46,5 %).
sein des deux principales trajectoires souligne l’importante réduction du
d’intensification. Nous discutons ces nombre d’exploitations agricoles, qui Comparativement à 1938, les éle-
trajectoires et ces bouquets à l’aune passe de 2 millions en 1938 à 500 000 veurs de 2010 dépendent fortement des
des facteurs historiques, techniques et en 2010, associée à un agrandissement intrants, ce que reflète le ratio de dépen-
politiques qui ont piloté ces transforma- de leur surface. Ces changements tra- dance (part des dépenses en alimenta-
tions des territoires d’élevage. duisent l’exode rural de la seconde moi- tion animale dans la production animale
tié du XXe siècle et la substitution de la finale) qui augmente de 78 % sur la
traction animale par la mécanisation période. Cette augmentation est pour
1. Le processus (Allaire, 1988 ; Gambino, 2014). partie tirée par les UGB monogastriques,
d’intensification plus consommateurs d’intrants, et dont
de l’élevage entre 1938 Des progrès considérables sont éga- la proportion dans le cheptel français
et 2010 lement réalisés sur la productivité. Les passe de 18 à 28 %. Cette augmenta-
évolutions les plus fortes concernent la tion est aussi pour partie tirée par un
productivité laitière (par vache et par ha) accroissement des importations des
Notre analyse s’appuie sur une base et la productivité et densité des mono- protéines pour l’alimentation animale,
de données décrivant les caractères gastriques. Cette dernière augmente qui passent de 350 000 tonnes en 1938
régionaux de l’élevage français. Elle a de 170 %, en raison du développement à 2,386 millions de tonnes en 2010, tra-
été construite par des économistes et des effectifs monogastriques (+ 130 %) duisant ainsi une baisse d’autonomie
des zootechniciens (Cavailhès et al., combiné à une légère contraction de protéique de 94 à 77 %, respectivement
1987) à partir d’un travail méthodolo- la surface agricole (– 15 %). La pro- (Commission de modernisation de la
gique de réconciliation des données duction laitière par ­hectare de surface production ­animale, 1946).

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les effets du processus d’intensification de l’élevage dans les territoires / 161

Tableau 1. Évolution nationale de la productivité, de l’usage des sols et des indicateurs socioéconomiques entre 1938 et
2010 (adapté de Domingues et al., 2018 à partir des données Cavailhès et al., 1987 ; Agreste, 2015). Pour chaque catégorie,
les indicateurs sont présentés par ordre décroissant de variation 1938-2010.

% de variation
1938 2010
entre 1938 et 2010

Densité de monogastriques (UGB/ha SAU) 0,10 0,28 + 170

Productivité laitière (litre/ha SFP)* 758 1 856 + 145


Productivité de la terre

Effectifs de monogastriques (1 000 UGB) 3 292 7 582 + 130

Productivité de la viande (kg/ha SFP)* 60 118 + 95

Densité d’herbivores (UGB/ha SAU) 0,47 0,70 + 50%

Effectifs d’animaux (1 000 UGB1) 17 916 26 368 + 47

Effectifs d’herbivores (1 000 UGB1) 14 624 18 787 + 28

Surface fourragère principale (1 000 ha) 18 806 12 380 – 34


Utilisation sol

SFP/SAU 0,60 0,46 – 23

Surface agricole utile dans surface du département* 0,58 0,49 – 15

Surface agricole utile (1 000 ha) 31 359 26 795 – 15

Densité de tracteurs (nb tracteurs2/ha SAU)* 0,00203 0,0053 + 165

Productivité du travail (ha/UTH) 8,6 35,9 + 316


Socioéconomique

Superficie moyenne des exploitations (ha) 15,2 55,0 + 263

Unités de travail annuel (1 000 UTA) 3 637 747 – 79

Ratio de dépendance aux intrants4* 0,15 0,28 + 78

Nombre d’exploitations 2 067 487 – 76

1
UGB = Unité Gros Bovins ; il s’agit des UGB « alimentation totale » qui permettent de sommer herbivores et monogastriques (cheptel pris en compte : bovin,
ovin, caprin, équin, porcin, volaille) ;
2
nombre de tracteurs immatriculés au cours de l’année n ;
3
pour cette valeur l’année de référence est 1955 ;
4
part des dépenses en alimentation animale sur la production animale finale ;
* moyenne des 88 départements métropolitains.

Malgré une légère réduction de la tain, ils sont aussi permis par des impor- de viande herbivore. Celle-ci atteint son
surface agricole utile (– 15%) et de la tations de concentrés (e.g. des produits maximum en 2000 (124 kg de viande
surface fourragère principale (– 35 %), de substitution des céréales dans les par hectare de surface fourragère)
l’élevage français double sa production années 1990 et des tourteaux) induisant pour finalement retrouver en 2010 son
entre 1938 et 2010, grâce à une intensi- une externalisation de la demande de niveau de 1980 (118 kg/ha). Les causes
fication de l’usage des sols (révolution terre nécessaire pour nourrir le cheptel sont diverses. D’une part, la recherche
fourragère avec des espèces végétales français (Chatzimpiros et Barles, 2010). d’une augmentation de la densité de
plus productives, intrants), des gains bovins par hectare pour maximiser les
de productivité du travail permis par la En résumé, la tendance globale de primes (PSBM1 et PMTVA-ABA2), et dans
mécanisation et une augmentation des transformation de l’élevage français
densités animales. Ces gains de produc- est celle d’une augmentation continue 1  PSBM : Prime Spéciale Bovin Mâle.
tion ne résultent pas uniquement des de la productivité, avec toutefois une 2  PMTVA-ABA : Prime au Maintien du Troupeau de
transformations du territoire métropoli- exception concernant la productivité Vaches Allaitantes puis Aide aux Bovins Allaitants.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


162 / Joao pedro domingues et al.

une moindre mesure et plus récemment Figure 1. Transformation de l’occupation des sols et du cheptel en France. (a-b)
un moindre intérêt à un alourdissement Occupation des sols en 1938 et 2010 ; (c-d) Effectifs monogastriques et herbivores
en 1938 et 2010 (Source : Domingues et al., 2018 ; d’après Cavailhès et al., 1987).
des carcasses et à une recherche d’une
plus forte autonomie fourragère des
élevages. D’autre part, on observe au
cours du temps des évolutions asyn-
chrones de la SFP et des UGB. Jusqu’en
2000 (notamment de 1988 à 2000), la
SFP se réduit plus vite que les UGB dans
de nombreuses zones ; il s’agit ici d’une
conversion de la SFP pour la production
céréalière dans le contexte de la réforme
de 1992 de la PAC. De 2000 à 2010 c’est
tout l’inverse qui se produit. Des baisses
plus fortes des UGB que dans la SFP dans
un contexte PAC de pression à l’exten-
sification, avec le plafonnement des
aides et du chargement, le complément
extensif, la Prime Herbe, le contrat terri-
torial d’exploitation herbagère. Enfin, la
stagnation de la production est aussi une
conséquence d’évènements difficiles
auxquels les herbivores ont été exposés
(ESB, FA, sécheresse 2003).

Cette évolution nationale masque


Chaque département est décrit par la part de la Surface Agricole Utile (SAU) allouée en Surface fourragère
une forte différenciation des trans-
(SFP) ou en surface en cultures non fourragères permanentes et annuelles (CNF : céréales et oléo-protéagineux,
formations entre départements. En
viticulture, maraichages…). SAU = SFP + CNF.
1938, l’élevage est présent dans tous
les départements : 80 % des départe-
ments ont au moins 50 % de leur SAU central et sa périphérie combinent frontières, soutien interne, aide à l’ex-
allouée à la production de fourrage ­essentiellement des bovins viande, et portation en cas d’excédents) ; pour le
et le cheptel est réparti dans tous les dans une moindre mesure des bovins secteur bovin lait, on peut citer : l’ins-
départements (figure 1a-c). En 2010, lait et des ovins. Cette ségrégation ter- tauration des quotas laitiers, l’importa-
l’élevage a régressé dans la majorité ritoriale où les cultures se concentrent tion de la race Holstein, l’introduction
des départements et l’usage des sols sur les meilleures terres et l’élevage massive du maïs ensilage, les progrès
s’est spécialisé vers les grandes cultures herbivore valorise les surfaces de du machinisme agricole. Chaque ter-
(CNF = Cultures Non Fourragères) avec moindre potentiel agronomique est ritoire selon ses spécificités naturelles,
une part importante de la surface four- observée dans de nombreux pays productives et sociales du moment a
ragère qui a été transformée en terres européens (par exemple Krausmann composé une réponse technique et
arables. Le tiers du territoire national et al., 2003). organisationnelle à ces facteurs (ibid.).
se vide inexorablement de ses activi- Cette différenciation des transforma-
tés d’élevages (Perrot et al., 2015). En Les stratégies des groupes sociaux et tions entre territoires invite à examiner
2010, seuls 50 % des départements ont leur réponse aux facteurs externes four- les processus d’intensification au niveau
au moins 50 % de leur SAU allouée à nissent une clé de compréhension des des départements.
la surface fourragère (figure 1-b) et différenciations des transformations
les effectifs animaux sont concentrés entre départements (Bonnemaire et „„1.2. Intensification
dans un nombre limité de départe- Raichon, 1990). Ces auteurs soulignent au niveau des départements
ments localisés dans le Grand Ouest l’importance des facteurs externes aux
et le Massif central et sa périphé- territoires, et voire même externes au Les transformations au niveau natio-
rie ; ces deux zones hébergeant res- secteur agricole, tels que la révolution nal ne se sont pas déployées de façon
pectivement 50 % (essentiellement des transports à la fin du XIXe siècle, les homogène sur l’ensemble des départe-
monogastrique) et 30 % (essentielle- besoins de main-d’œuvre dans l’indus- ments. Le processus d’intensification de
ment herbivore) du cheptel national trie à partir de 1950, l’augmentation l’élevage s’est spatialement différencié
(figure 1-d). La distribution des effectifs de l’offre de produits agricoles et de au cours du temps (Domingues et al.,
monogastriques et herbivores en 2010 la demande des consommateurs en 2018). Ces auteurs synthétisent cette
montre une superposition de bovins produits animaux favorisée par l’envi- différenciation spatiale en mobilisant
lait et viande, porcins et volaille dans ronnement économique instauré par une analyse multivariée de données
le Grand Ouest, alors que le Massif la PAC depuis 1957 (protection aux qui permet i) de retirer l’effet absolu

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les effets du processus d’intensification de l’élevage dans les territoires / 163

du ­changement dans le temps, ii) puis Figure 2. Trajectoires des départements métropolitains entre 1938 et 2010 (Source :
d’identifier les divers changements/ Domingues, 2017 d’après les données mise à jour de Cavailhès et al., 1987).
trajectoires des départements et iii) de
classer les groupes de départements
ayant connu une trajectoire d’intensifi-
cation similaire. Pour ce faire, plusieurs
méthodes d’analyse multivariée ont
été utilisées, à savoir une Analyse en
Composantes Principales (intra-classe)
suivi d’une Classification Ascendante
Hiérarchique, ce qui a permis d’identi-
fier quatre types de trajectoires d’inten-
sification. Ces quatre types s’organisent
autour de deux axes (figure 2) : l’axe des
abscisses traduit l’expansion/concentra-
tion des effectifs animaux et l’accrois-
sement de la productivité ; l’axe des
ordonnés traduit l’augmentation de
productivité du travail et de la taille des
exploitations.

La trajectoire à forte intensification


de l’élevage (T1-bleu) rassemble 16
départements du Grand Ouest. Elle
correspond aux gains de producti-
vité animale les plus importants sur
la période 1938-2010. Avant la deu-
xième guerre mondiale, aucune spé-
cialisation ne se dégage sur cet espace La trajectoire de chaque département est décrite à sept dates (1938, 1955, 1970, 1980, 1988, 2000 et
dont le modèle dominant est celui de 2010). Quatre types de trajectoires sont identifiés. T1 (bleu) = trajectoire à forte intensification élevage ;
la polyculture élevage constitué de T2 (vert) = ­trajectoire à forte spécialisation herbivore ; T3 (orange) = trajectoire à spécialisation grandes
nombreuses petites exploitations, cultures ; T4 (gris) = trajectoire de recul de l’élevage et de l’agriculture. Les variables (Productivité de la terre,
souvent en fermage, utilisant une taille des fermes, productivité du travail, surface fourragère) augmentent dans le sens de la flèche.
main-d’œuvre abondante. À partir
de 1965, d’importants changements
techniques transforment les exploita- progrès technique, appuyés par des 1980. Cette dynamique reflète à la fois
tions de polyculture élevage (figure 3). services de vulgarisation et animés la disparition de nombreux élevages
Celles-ci suivent une intensification lai- de la volonté d’atteindre la parité de et l’augmentation de la productivité
tière permise par le maïs fourrage et les revenu avec les autres professions par animal (notamment laitière). La
prairies temporaires, couplée au rem- (Daucé et Perrier-Cornet, 1987). La mécanisation se développe massive-
placement de la race Bretonne par des trajectoire T1 se différencie donc ment (multipliée par 9) pour soutenir
races plus productives. Le rendement par une population monogastrique la demande en concentrés et en four-
laitier le plus élevé de France est ainsi ­multipliée par six, passant de 59 000 à rages annuels. Elle permet ainsi un
atteint en Bretagne en 1970 (1 939 344 000 UGB/département entre 1938 quadruplement de la productivité du
litres par ha de SFP – T1). Le développe- et 2010. En 2010, les départements travail qui passe de 8,8 à 35,6 ha/UTA
ment des élevages hors-sol de volailles classés en T1 hébergent 72 % de la entre 1938 et 2010. Des gains considé-
et des porcins permet de surmonter population monogastrique du pays. rables sont réalisés sur la productivité
la contrainte foncière et se trouve L’augmentation relative de la densité laitière qui passe de 990 à 3 773 litres
facilité par la présence conjointe des de monogastriques (+ 601 %), passant de lait par hectare de surface fourra-
entreprises de fabrication d’aliment du de 0,12 à 0,84 UGB/ha entre 1938 et gère entre 1938 et 2010. Ces gains de
bétail et de l’industrie d’abattage. La 2010, est supérieure à la croissance productivité sont réalisés au prix d’une
proximité des grands ports de Lorient, de la population animale (+ 494 %) en dépendance accrue aux intrants qui
Brest, Roscoff, Saint Malo et le Légué raison du déclin de la surface agricole triple sur la période tant pour les éle-
est en effet un atout considérable pour utile (– 15 %). La densité des mono- vages de monogastriques que laitiers.
l’industrie agroalimentaire d’amont gastriques atteint son maximum dans
et d’aval. Ces transformations sont les années 2000 et se stabilise. Pour La trajectoire à forte spécialisa-
impulsées par de jeunes agriculteurs les herbivores, on observe une den- tion herbivore (T2 – vert) rassemble
encadrés par la Jeunesse Agricole sité croissante jusqu’à 1988 suivie 32 départements localisés dans le
Catholique, guidés par la notion de d’un retour vers les niveaux des années Massif central et les montagnes de

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Figure 3. Trajectoires des départements métropolitains entre 1938 et 2010 (Source : confirmé par le ratio de dépendance
Domingues, 2017 ; d’après les données mises à jour de Cavailhès et al., 1987). aux intrants (part des dépenses en
alimentation ­animale dans la produc-
tion animale finale) (0.23 en 2010) qui
est inférieur de 34 % à celui de T1. Les
élevages herbivores de T2 consom-
ment principalement des ressources
locales. Les gains en productivité du
travail et l’agrandissement de la taille
des exploitations suivent la tendance
nationale, et atteignent en 2010 le
même niveau que les départements
de T1. Les trajectoires du Massif cen-
tral et des montagnes de l’Est bien
que similaires recouvrent des réalités
distinctes. Du côté du Massif juras-
sien, la spécialisation dans l’élevage
laitier est ancienne, construite autour
de la fabrication du gruyère sur des
bases communautaires très fortes
(éleveurs, coopératives, f­romagers,
petit artisans). À la différence de T1,
les exploitations de cette trajectoire
sont engagées dans les rapports mar-
chands depuis la ­première moitié du
XX e siècle. La technicité autour de la
race montbéliarde est facilitée par
la grande qualification des éleveurs
jurassiens ; cette technicité souligne
qu’il n’y a pas de déterminisme inéluc-
table aux conditions naturelles pour-
tant souvent citées pour expliquer les
mécanismes du développement régio-
nal inégal des zones dites défavorisées
(Bonnemaire et Raichon, 1990). À la
différence de la Bretagne, la moderni-
sation se réalise de façon conflictuelle,
à coups de mécanismes d’exclusion et
de sélection sociale (Perrier-Cornet,
1986). Les éleveurs de montbéliardes
démontrent leur efficacité écono-
mique dès les années 1960, même si
le développement agricole produit des
laissés pour compte de la modernisa-
tion (ibid). En ce qui concerne le Massif
central, du côté du contrefort Est, le
Charolais, la spécialisation viande
remonte au début du XIXe siècle avec
l’émergence dans le Nivernais d’un sys-
tème agro-industriel articulant sidérur-
l’Est et Sud-Ouest. Ces départements lation herbivore augmente de 62 % gie / métallurgie et l’élevage des bœufs
se sont spécialisés progressivement entre 1938 et 1988 puis se stabilise, de Charroi (Vigreux, 1970). Début du
sur les herbivores. À la différence alors que celle des monogastriques XX e siècle, ce système se consolide
des trois autres trajectoires qui ont décline de 35 % sur toute la période. avec l’arrivée de céréales du Nouveau
perdu de la surface fourragère (entre Les gains en productivité en lait et en Monde à bas coûts et les crédits d’em-
– 10 et – 30 %), T2 a maintenu sa sur- viande les plus prononcés sont atteints bouche qui vont consolider la vocation
face fourragère (+ 5 % entre 1938 et entre les années 1970-1980. Ils sont herbagère de l’aire charolaise (Labasse,
2010) (figure 3). Elle représente 73 % plus réguliers pour le lait que pour la 1955). Le système charolais s’étend
de la SAU en 2010. Dans T2, la popu- viande. Le caractère herbager de T2 est géographiquement malgré la déloca-

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Les effets du processus d’intensification de l’élevage dans les territoires / 165

lisation de l’industrie vers la Lorraine. La productivité herbivore viande et teurs développés par ces auteurs nous
Après la seconde Guerre mondiale la lait a augmenté de 117 et 138 % sur la permettent de construire le bouquet
région charolaise suit une ­trajectoire période 1938-2010 (atteignant 126 kg moyen de services pour la ­trajectoire
d’extensification en opposition à la viande et 1 736 kg lait par hectare de à forte intensification et celui de la
trajectoire d’intensification observée surface fourragère). trajectoire spécialisation herbivore
pour l’ensemble de la France. Malgré (figure 4).
son avance en termes de génétique, La trajectoire à forte régression de
l’organisation de la sélection de la l’élevage (T4 – gris) rassemble 10 dépar- Le bouquet moyen de la trajectoire
race charolaise n’a pas connu la même tements dont la spécificité est double. spécialisation herbivore (T2) concerne
révolution que celle du troupeau lai- D’une part, un déclin de 28 % de la SAU 27 % de la SAU nationale, 23 % de la
tier (Cavailhès, 1989). À cela s’ajoute qui passe de 2,3 à 1,6 million d’hectares production de protéines animales
le caractère très extensif de l’élevage, et positionne T4 très en dessous de la (viandes, lait et œuf ). Il révèle une
basé sur la prairie naturelle, et des moyenne nationale en 2010 (26 % ver- forte expression des services de qua-
faibles niveaux d’aliments concentrés sus 49 %). D’autre part, le déclin de 48 % lité environnementale combinée à
et maïs fourrage dans les systèmes de la surface fourragère, passant de un bon niveau de services culturels
d’alimentation. C’est pourquoi, on 0,9 à 0,5 million d’hectares entre 1938 mais couplée à un faible niveau de
retrouve une productivité brute du tra- et 2010, ce qui s’accompagne d’une vitalité rurale. Les services de qualité
vail plutôt basse comparée à celle de diminution de moitié de la population environnementale sont particuliè-
T1 où l’intensification s’est consolidée herbivore passant de 67 à 34 000 UGB rement élevés en termes de qualité
autour des forts gains de productivité (figure 3). Au terme de cette transfor- de l’eau, de haute valeur naturelle et
brute du travail. Du côté du contrefort mation, l’élevage devient minoritaire dans une moindre mesure de biodi-
Ouest, le Limousin, le cheptel de la race dans les départements de T4. Le cheptel versité. Les services culturels sont éle-
Limousine, après avoir été un fort recul décroît de 28 % sur la période passant vés en termes de produits sous signes
au début du XXe siècle, a connu un fort de 931 à 669 000 UGB entre 1938 et officiels de qualité, de paysages
développement dans les années 1960. 2010, de sorte que ces départements ­p atrimoniaux et dans une moindre
Enfin, dans les zones de montagne, la n’hébergent plus qu’une proportion mesure d’agrotourisme. Enfin, les
production laitière s’est développée mineure du cheptel national (2,5 %). De services de vitalité rurale sont très
autour des AOP Bleu d’Auvergne, plus, la productivité animale ­diminue faibles en ce qui concerne les emplois
Cantal Fourme d’Ambert, Laguiole, plus fortement pour le lait (616 à dans les industries agroalimentaires,
Saint Nectaire, Salers. 444 litres de lait par hectare de surface et ­légèrement plus élevés pour les
fourragère) que pour la viande (39 à emplois dans les exploitations d’éle-
La trajectoire à forte spécialisation 32 kg de viande par hectare de surface vage et pour la part des emplois
en grandes cultures (T3 – orange) ras- fourragère). totaux liés à l’élevage dans le dépar-
semble 30 départements des grands tement. Le niveau élevé de services de
bassins céréaliers (Parisien et Sud- qualité environnementale du bouquet
Ouest). Cette trajectoire a connu une
2. Les effets du processus moyen de cette trajectoire fait écho
forte évolution de la taille moyenne d’intensification à l’évolution de l’élevage du Massif
des exploitations (passant de 27 à 85 ha de l’élevage jurassien qui combine des caracté-
entre 1938 et 2010) ainsi que la plus ristiques extensives (agrandissement
forte augmentation de productivité des exploitations et production four-
du travail (passant de 12,4 à 55,6 ha/ Ce processus d’intensification spa- ragère issue de la prairie permanente,
UTA entre 1938 et 2010) (figure 3). tialement différencié engendre des interdiction de l’ensilage) et des
L’évolution des effectifs animaux au fil territoires d’élevage contrastés, en caractéristiques intensives (amélio-
du temps est modeste pour les mono- termes de production, productivité ration de la race locale Montbéliarde
gastriques (+ 8 %), voire décline légè- et densité animale, d’utilisation des et recours aux aliments concentrés). Il
rement pour les herbivores (– 6 %). sols. Il génère des niveaux contras- est intéressant de noter que l’impor-
La surface fourragère passe de 229 tés de services et bouquets de ser- tance des services culturels découle
à 102 000 ha entre 1938 et 2010, au vices rendus par l’élevage à la société. aussi de facteurs économiques car
profit des terres arables. Le déclin de Nous remobilisons les travaux du GIS l’appellation d’origine a apporté un
la surface fourragère a été important Élevage Demain qui ont produit la avantage important en compensant
à deux périodes (1955-70 et 1980-88) première photographie instantanée les surcoûts de la production de lait et
et se stabilise depuis 2000 autour de des services rendus par l’élevage au de sa transformation par la qualité du
27 % de la SAU. Cette spécialisation niveau des d ­ épartements (Ryschawy produit final. C’est donc un effort des
grandes cultures est moins accentuée et al., 2017). Cette ­photographie offre éleveurs et des affineurs qui va per-
pour les départements de la périphérie une quantification des contributions mettre de démarquer le plus possible
des deux bassins, de sorte qu’en 2010 positives de l’élevage au sein des terri- le gruyère de Comté de l’emmental
T3 héberge encore 24 % de la surface toires. Ces contributions recouvrent les industriel produit en Bretagne grâce
fourragère nationale avec des élevages dimensions ­environnementale, cultu- à une structure interprofessionnelle
viande ou lait relativement productifs. relle et sociale de l’élevage. Les indica- qui régit les règles de fabrication.

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Figure 4. Bouquets de services rendus par l’élevage. a) Bouquet moyen de la tra- lièrement faibles en termes de qualité
jectoire à forte intensification élevage ; b) Bouquet moyen de la trajectoire à spé- de l’eau, de haute valeur naturelle et de
cialisation herbivore. (Source : Domingues (2017) d’après données de Ryschawy
biodiversité. Malgré la mise en œuvre
et al., 2017).
de subventions aux éleveurs pour la
mise aux normes de leurs installations
(entre 1994 et 2007), le bouquet de
cette trajectoire pointe les problèmes
persistants de qualité de l’eau, 24 ans
après mise en place de la réglementa-
tion et du classement en zones vulné-
rables à la pollution des eaux par les
nitrates.

Ces deux bouquets partagent


comme point commun les services
culturels qui sont rendus à un niveau
modéré sur 52 % de la SAU natio-
nale. Il est intéressant de noter que
les services culturels peuvent être en
synergie aussi bien avec des services
environnementaux qu’avec des ser-
vices de vitalité rurale. La synergie
entre services culturels et services envi-
ronnementaux souligne une stratégie
gagnante entre qualité des produits
et qualité de l’environnement dans les
départements ayant connu une spé-
cialisation herbivore. La synergie entre
services culturels et des services de
Le bouquet moyen est calculé pour l’ensemble des départements de chaque trajectoire. Bouquet moyen T1 vitalité rurale révèle une coexistence
construit à partir de 16 départements du Grand Ouest ; bouquet moyen T2 construit à partir de 32 départements entre production de masse créatrice
du Massif central et des montagnes de l’Est et Sud-Ouest. d’emplois dans les industries agroali-
mentaires et la production sous signe
officiel de qualité soutenant l’emploi
Le bouquet moyen de la trajectoire et des régulations publiques ont des exploitations. Cette synergie est
intensification herbivore et mono- façonné le caractère intensif de cette observée dans les départements
gastrique concerne 25 % de la SAU trajectoire. La concentration des pro- ayant connu une forte intensification
nationale et 57 % de la production de ductions due aux avantages qu’ont les herbivores et monogastriques (T1). En
protéines animales. Il révèle une forte ­exploitations à se localiser à proximité revanche, l’examen conjoint des deux
expression des services de vitalité de leurs clients à l’aval et de leurs four- bouquets révèle un fort antagonisme
rurale combinée à un bon niveau de nisseurs à l’amont a favorisé les éco- entre qualité environnementale et
services culturels associée à un faible nomies d’échelle et d’agglomération emplois. Cet antagonisme est lié à un
niveau de qualité environnementale. (Roguet et al., 2015). Ceci s’observe déterminant commun (concentration
Les services de vitalité rurale sont par- par exemple, au niveau de la proxi- des animaux et des acteurs amont et
ticulièrement élevés en termes d’em- mité des élevages hors-sol aux ports, aval des filières) qui agit positivement
plois créés dans les exploitations et les ou encore au niveau des courtes dis- sur les indicateurs de vitalité rurale
industries agroalimentaires. Ils restent tances entre les producteurs de lait et et négativement sur les indicateurs
faibles en termes de contribution aux les laiteries. Ces facteurs historiques environnementaux. Les politiques
emplois totaux car ces territoires permettent de comprendre les effets publiques ont joué un rôle majeur sur
offrent de nombreuses opportunités acquis de la trajectoire T1 en termes de ces dynamiques de concentrations et
d’emplois en dehors du secteur agri- vitalité rurale, à la fois pour les emplois par conséquent sur la différenciation
cole. Cette forte densité d’emplois liés dans les exploitations et dans l’agro-in- des trajectoires et de leurs bouquets
aux filières animales résulte de fac- dustrie. Un aspect intéressant de ce de services. La concentration d’une
teurs historiques. La faible quantité de bouquet de services concerne les ser- partie de la population des herbivores
terre par actif a initialement orienté vices culturels qui sont plutôt élevés en zone de montagne s’est faite entre
le processus de transformation de en termes de produits et de paysages autres grâce à la prime à la vache allai-
l’agriculture vers une intensification patrimoniaux, l’agrotourisme restant tante et aux aides pour le maintien des
des surfaces. Plus tard, les effets à un très faible niveau. Les services de surfaces en herbe. À certaines périodes,
conjoints des mécanismes de ­marché qualité environnementale sont particu- le développement d’une filière a pu

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Les effets du processus d’intensification de l’élevage dans les territoires / 167

être freiné avec des répercutions sur fisante et pertinente pour extrapoler semble importante à approfondir dans
le niveau de certains services, comme notre analyse au niveau européen. un contexte de changement démogra-
dans le cas de l’imposition du quota phique et de régime nutritionnel.
laitier visant à réguler l’offre laitière „„3.2. Mieux comprendre
et ralentir la concentration (Chatellier, les synergies entre les filières „„3.4. Étudier le paiement
2013). Le développement des filières végétales et animales pour services comme
est aussi contraint par la compéti- levier pour reconnaître
tivité (Roguet et al., 2015). Depuis Nous montrons que le niveau actuel les nombreuses
2000, ces auteurs rapportent pour la de fourniture de service résulte des contributions positives
France, une chute de 20 % des produc- niveaux d’intensification atteints bien de l’élevage
tions de volailles accompagnée d’une avant 2010 et que l’intensification se
décroissance de la densité dans un manifeste par des capacités différentes Notre étude souligne que l’intensi-
contexte de concurrence européenne des territoires à nourrir la population fication de l’élevage a eu des consé-
(Belgique, Pays-Bas et Allemagne), à animale qu’ils hébergent (Jouven et al., quences très diverses sur les services,
laquelle s’ajoute depuis le milieu des 2018). Il serait intéressant d’approfon- autrement dit sur les contributions
années 1990 la baisse des exportations dir le lien entre ces capacités traduisant positives que l’élevage fournit à la
de volailles vers le Proche et Moyen- l’articulation entre végétal et animal, société au-delà de la production de
Orient (exportations de poulet entier et les services rendus par l’élevage à biens alimentaires. Dans un contexte
congelé vers l’Arabie Saoudite). Aux la société. En d’autres termes, les terri- de fragilisation du secteur, le maintien
politiques supra-cités et aux dyna- toires présentant un équilibre végétal/ des services impose de réfléchir aux
miques de marché s’ajoutent d’autres animal sont-ils plus performants sur la instruments de politiques publiques
changements qui ont également joué fourniture de services environnemen- nécessaires pour les internaliser dans
sur la concentration des élevages. La taux et socioéconomiques ? l’économie de l’exploitation et plus lar-
directive « Bien-être » de 2012 a pour gement dans l’économie territoriale.
partie contribué à la réduction des „„3.3. Approfondir les liens Approfondir l’étude d’instruments tels
poules pondeuses élevées en cage avec les autres maillons que les paiements pour services/ou
avec une baisse de 56 % du nombre des filières animales taxation pour dys-services permettrait
d’élevages entre 2010 et 2013 (Roguet et végétales (amont et aval) de comprendre à quel(s) maillon(s) de
et al., 2015). Ces changements d’am- la filière (du producteur au consomma-
plitude considérable, liés aux trans- Le niveau départemental privilégié teur) il serait plus efficace d’internaliser
formations des attentes de la société en raison des bases de données dis- le paiement pour services. Il s’agit ici
vis-à-vis de l’élevage, suggèrent que ponibles, constitue une limite à une d’aller au-delà de l’idée initiale des paie-
les attentes sociétales pourraient faire compréhension fine des processus de ments visant à encourager des modes
émerger de nouvelles configurations transformation des territoires et leur de production plus extensifs, avec des
des bouquets de services au sein des conséquence sur la fourniture de ser- mesures environnementales. En fonc-
territoires. vices. Le niveau départemental gomme tion du ou des niveaux visés dans les
de nombreuses ­hétérogénéités infra filières, ces paiements ­permettraient
département pour les services cultu- de rémunérer les éleveurs pour les pro-
3. Perspectives rels et environnementaux. Des ana- duits et les services qu’ils fournissent à
de recherche lyses conduites au niveau des petites la société, notamment pour la qualité
régions agricoles permettraient de l’eau et des sols, et pour la conser-
„„3.1. Une méthodologie d’identifier des leviers plus pertinents vation de la biodiversité et des pay-
qui peut être appliquée pour renforcer l’offre de services. Le sages (Dumont et al., 2016). De même,
à d’autres filières défi concerne évidemment les bases il convient d’explorer les instruments
et à d’autres territoires de données ainsi que les méthodes ciblant le consommateur tels que la
de réduction d’échelle statistique taxation des produits contribuant à la
Notre étude illustre l’influence des pour obtenir de l’information à haute fourniture de dys-services. Ces instru-
trajectoires d’intensification sur le résolution. Conduire l’analyse à une ments pourraient améliorer l’image
niveau actuel de fourniture de services résolution plus fine permettrait d’ap- de l’élevage, actuellement contesté en
rendus par l’élevage à la société sur un préhender le secteur de l’élevage en raison de ses multiples impacts. Des
large gradient de conditions naturelles tant que composante essentielle du propositions récentes suggèrent de
et socioéconomiques. Les facteurs les système socioécologique formé sur taxer les dys-services dans un système
plus importants expliquant l’état actuel un territoire. Les interactions entre les de bonus-malus (Rieu et al., 2015), leur
des territoires d’élevage sont ainsi iden- différentes composantes du système efficacité reste à quantifier. Les paie-
tifiés. Une extension de cette approche mais également la façon dont les ments pour services ou taxation pour
au niveau européen permettrait de acteurs des filières animales et végé- dys-services sont potentiellement des
confirmer dans quelle mesure la diver- tales pilotent ces interactions seraient outil d’orientation puissants : i) pour
sité des conditions agroécologiques et alors mieux compris en articulant local internaliser des externalités (ici environ-
socioéconomiques française est suf- et national. Cette articulation nous nementales) et inverser la hiérarchisa-

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168 / Joao pedro domingues et al.

tion des systèmes de production en ne Dans le Grand Ouest, le niveau de bouquets de services diversifiés et équi-
la limitant pas au strict coût de produc- fourniture de services se traduit par librés. Ils capitalisent sur l’aptitude des
tion ; ii) pour modifier les préférences une importante vitalité rurale, liée aux herbivores à transformer des ressources
des consommateurs et favoriser les emplois dérivés de l’élevage, et un faible non comestibles pour l’Homme en ali-
systèmes produisant plus de services et niveau de services environnementaux, ments à haute valeur nutritionnelle.
moins de dys-services. Il conviendrait illustrés par l’emprise spatiale très limi- L’activité d’élevage permet également
également d’analyser ces instruments tée des zones à haute valeur naturelle de soutenir une économie locale basée
et leur efficacité dans le contexte euro- et l’absence d’une qualité de l’eau sur la création de valeur à partir des
péen pour éviter de déstabiliser l’éle- conforme aux normes réglementaires. productions, l’entretien des paysages
vage national pendant la période de L’état actuel des services environne- et le développement du tourisme, la
transition vers ces nouvelles modalités mentaux dans le Grand Ouest illustre les protection contre les incendies et les
de paiements. limites de ce modèle d’intensification avalanches, le maintien des espaces
qui a abouti à un surdimensionnement ouverts.
du cheptel animal eu égard aux capa-
Conclusion cités du territoire (Jouven et al., 2018).
Remerciements
Le processus d’intensification a joué Pour le Massif central et les mon-
un rôle essentiel dans la différenciation tagnes de l’Est et Sud-Ouest, les ser- Nous remercions tout particulière-
spatiale des territoires d’élevage. Il a vices rendus par l’élevage concernent ment Muriel Tichit, qui nous a aidé sans
façonné le niveau actuel de services les hauts niveaux de services environ- relâche et jusqu’au dernier moment,
environnementaux, culturels et de vita- nementaux et culturels. Ces derniers toujours à la recherche de l’excellence
lité rurale des territoires d’élevage. Les illustrent les synergies entre qualité des et des réponses face aux enjeux du
deux trajectoires, fortement liées à la produits et qualité de l’environnement. monde des productions animales. Ce
dynamique de l’élevage, se sont struc- Ces synergies démontrent l’intérêt de travail parmi de nombreux autres est
turées selon deux processus distincts : la spécialisation herbivore couplée à un le fruit de son attitude attentive, son
i) une intensification monogastrique/ maintien des surfaces en herbe et un esprit analytique et sa grande capacité à
herbivore pour le Grand Ouest et ii) une niveau de productivité modéré. Ces ter- concilier des thématiques diverses. Ces
spécialisation/extensification herbivore ritoires d’élevage méritent d’être pris en atouts, en plus de ses grandes qualités
pour le Massif central et des montagnes compte dans les politiques d’aménage- humaines, animeront indubitablement
de l’Est et Sud-Ouest. ment du territoire car ils fournissent des nos réalisations futures.

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INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les effets du processus d’intensification de l’élevage dans les territoires / 169

L’élevage en Europe : une diversité de services et d’im- nationale et « petite région agricole » ? INRA Prod. Ryschawy J., Tichit M., Bertrand S., Allaire G., Aubert
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Résumé
L’intensification de l’élevage a transformé les territoires au cours du temps. Elle a induit des effets susceptibles de persister pendant des
décennies. Ils influencent le niveau actuel de fourniture de services rendus par l’élevage. Nous proposons une analyse de l’intensification
de l’élevage sur le territoire français entre 1938 et 2010 et de ses conséquences sur la fourniture actuelle de services socioéconomiques et
environnementaux. Deux bases de données, construites à la résolution des départements métropolitains, ont été mobilisées. La première
nous sert à caractériser les trajectoires d’intensification de l’élevage sur la période 1938-2010 à partir d’indicateurs socioéconomiques, d’oc-
cupation du sol, et de productivité animale. La seconde mesure le niveau actuel de fourniture de services environnementaux, culturels, et de
vitalité rurale rendus par l’élevage à la société. L’analyse du processus d’intensification débouche sur l’identification de quatre trajectoires,
parmi lesquelles deux correspondent à des territoires où l’élevage joue encore un rôle majeur. La première trajectoire se distingue par une
intensification prononcée des productions de monogastriques et d’herbivores qui a donné lieu à des changements majeurs en termes de
productivité, de densité animale, ainsi que d’intensification de la surface fourragère. Cette trajectoire est associée à un bouquet de services
combinant services de vitalité rurale et culturels. La seconde trajectoire se distingue par une spécialisation de la production d’herbivores
couplée à des niveaux modérés de productivité. Cette trajectoire est associée à un bouquet de services révélant une synergie entre services
environnementaux et services culturels. L’analyse des deux bouquets montre un antagonisme entre certains indicateurs de vitalité rurale et
de services environnementaux, soulignant ainsi une intensification excessive de certains territoires compromettant leur capacité à fournir
des bouquets diversifiés de services. Notre analyse suggère enfin que les services observés actuellement dans les territoires sont le reflet
du niveau d’intensification atteint bien avant 2010.

Abstract
Livestock intensification in rural areas and the provision of socio-environmental and cultural services
The intensification of the livestock sector has shaped France’s landscape, having a lasting influence in livestock areas over time. Past intensification
ultimately determines the actual level of socio-environmental and cultural services provided by livestock. We propose an analysis of the intensi-
fication of French livestock between 1938 and 2010 and its consequences on the current provision of services. We compiled two databases at the
department level. With the first database we characterised the intensification trajectories over the 1938-2010 period, with socio-economic as well as
land use and productivity indicators. With the second database, we measured the current level of provision of three types of services – ­environmental,

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


170 / Joao pedro domingues et al.

cultural and rural vitality. We identified four intensification trajectories, among which two have livestock as a major player. The first trajectory
reflected the highest level of intensification of monogastrics and herbivores, translated into high productivity levels, increased stocking rates and
the intensive use of fodder area. It is associated to a bundle marked by the provision of rural vitality and cultural services. The second trajectory
reflected the grazing specialisation characterised by moderate levels of productivity. It is associated to a bundle marked by a synergy between
environmental and cultural services. Both bundles also revealed a trade-off among some indicators of rural vitality and environmental services,
highlighting the inappropriate intensification of areas that ultimately compromise the possibility of reaching diversified and balanced bundles
of services. Our analysis suggests that the actual level of service provision across livestock areas reflects the intensification levels reached long
before 2010.

DOMINGUES J.P., BONAUDO T., GABRIELLE B., PERROT C., TRÉGARO Y., TICHIT M., 2019. Les effets du processus d’intensification de l’élevage
dans les territoires. In : Numéro spécial. De grands défis et des solutions pour l’élevage. Baumont R. (Éd). INRA Prod. Anim., 32, 159-170.
https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.25

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les performances économiques INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 171-188

de l’élevage européen :
de la « compétitivité coût »
à la « compétitivité hors coût »
Vincent CHATELLIER1, Pierre DUPRAZ2
1
UMR SMART-LERECO, INRA, 44300, Nantes, France
2
UMR SMART-LERECO, INRA, 35000, Rennes, France
Courriel : vincent.chatellier@inra.fr

„„ L’élevage européen résulte d’une grande diversité de systèmes productifs aux performances économiques et
environnementales hétérogènes. Si les États membres de l’Union Européenne (UE) ne bénéficient pas toujours
de la meilleure compétitivité coût à l’échelle internationale, le développement de stratégies hors coût est utile
pour séduire les consommateurs européens et parfois exporter vers certains pays exigeants.

Introduction croissance, reflètent une combinaison c­ arnée traverse tous les régimes occi-
de stratégies industrielles différenciées, dentaux et se traduit par une substitu-
en interaction avec les politiques éco- tion des viandes rouges par des viandes
L’élevage est une des activités les nomiques et environnementales locales blanches (et poissons), par un poids
plus structurantes des territoires ruraux ou nationales, certaines importations croissant des produits transformés dans
dans l’Union Européenne (UE). Il joue étant réexportées après transformation. lesquels la référence à l’animal est « invi-
un rôle économique, territorial et envi- Quelques grandes entreprises agroali- sibilisée », mais aussi par la progression
ronnemental important dans de très mentaires européennes ont un rayon- des sources protéiques issues de la
nombreuses régions agricoles (Lang et nement mondial, tandis que la grande pêche, de l’aquaculture et des végé-
al., 2015 ; Dumont et al., 2016 ; Hercule majorité des acteurs des filières ani- taux. Par ailleurs, le développement
et al., 2017). En moyenne sur les dix males reste de taille modeste et ancrée des labels et des signes de qualité pour
dernières années, les productions ani- dans des marchés nationaux. les aliments à base de produits animaux
males ont contribué pour 45 % à la montre l’attrait de nombreux consom-
production agricole finale de l’UE. Le Les Européens mangent en moyenne mateurs, notamment Européens, pour
solde commercial de l’UE en produc- deux fois plus de protéines issues les produits à valeur patrimoniale, voire
tions animales (animaux et produits d’animaux terrestres que la moyenne gastronomiques et pour des modes de
d’animaux) est largement positif et mondiale. Cette forte consommation production mieux-disant en termes
atteint 28 milliards d’euros en 2018. Les concerne presque toutes les viandes de qualité, même si les volumes sous
exportations extra-communautaires et les produits laitiers, mais moins les signes de qualité officiels restent faibles
de l’UE, qui concernent surtout les pro- œufs. Comparé à l’Amérique du Nord, et encore mal connus.
ductions laitière et porcine, s’élèvent le régime alimentaire des Européens
à 37,1 milliards d’euros, soit 27 % des est plus riche en viande porcine et en L’UE occupe une place importante
exportations agroalimentaires. Les produits laitiers et deux fois moins riche dans le domaine des productions ani-
importations sont, quant à elles, plus en viande bovine et de volailles. La males mondiales (FAO-OCDE, 2017 ;
limitées ; elles représentent 9,2 mil- consommation de produits alimentaires Commission européenne, 2017). Dans
liards d’euros, soit 7 % des importations d’origine animale au sein de l’UE repose le secteur du lait, l’UE assure près de
agroalimentaires. Les flux d’animaux pour une large part sur la seule produc- 20 % de la production mondiale. Elle
et de produits animaux entre les États tion domestique (FranceAgriMer, 2011). est au premier rang des pays produc-
membres, qui sont nombreux et en Une évolution de la consommation teurs à proximité de l’Inde, et loin

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2479 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


172 / Vincent chatellier, Pierre dupraz

devant les États-Unis ou la Chine. En Dans ce cadre, cet article est centré milieu naturel (climat, sols cultivables
exportant 12 % de sa collecte, elle sur l’élevage européen et les principaux ou non, rendements des cultures four-
est le premier exportateur mondial leviers de ses performances écono- ragères…) et des avantages avérés pour
de produits laitiers (en valeur) devant miques. Il est structuré en deux parties : telles ou telles productions (tableau 1).
la Nouvelle-Zélande et les États-Unis la première, qui utilise les données En Irlande, par exemple, les exploita-
(Chatellier, 2016). Ses importations du Réseau d’Information Comptable tions spécialisées en élevage occupent
de produits laitiers étant historique- Agricole (RICA), met en évidence la une place écrasante dans l’économie
ment très limitées (moins de 1 % de la grande diversité des exploitations d’éle- agricole nationale. La situation est
consommation intérieure), sa balance vage au sein de l’UE. La seconde traite des inverse en Italie où les productions
commerciale est non seulement lar- leviers de la performance économique végétales dominent et en Pologne où la
gement positive (18 milliards de litres des filières animales européennes en dis- polyculture-élevage est historiquement
de lait en 2016), mais en croissance en tinguant successivement deux notions fréquente. En France, où les cultures
raison surtout du développement des complémentaires, la « compétitivité céréalières sont développées, certaines
importations chinoises. Dans le secteur coût » et la « compétitivité hors coût ». exploitations d’élevage relèvent des
de la viande bovine, l’UE assure 11 % OTEX en polyculture-élevage.
de la production mondiale et occupe
le troisième rang des pays produc-
1. Une grande diversité D’après le RICA, les cinq premiers États
teurs derrière les États-Unis et le Brésil. de performances membres de l’UE en termes de cheptel
Pénalisées par un prix plus élevé que la entre les exploitations (mesuré en UGB totales) sont, par ordre
concurrence, les exportations de l’UE européennes d’élevage décroissant, la France (17 % de l’UE),
en viande bovine sont faibles (3 % de l’Allemagne (13 %), l’Espagne (11 %),
l’offre intérieure) en comparaison des le Royaume-Uni (10 %) et l’Italie (8 %).
grands fournisseurs du marché mon- En utilisant les données du RICA de Cette part relative tient, pour une grande
dial que sont le Brésil, l’Inde, l’Austra- l’exercice 2016 (Commission euro- part, à l’ampleur des surfaces agricoles
lie et les États-Unis. Les importations péenne, 2018), et en s’appuyant sur disponibles dans chacun de ces pays.
européennes de viande bovine sont la nomenclature par orientation de Certains autres pays comme l’Irlande
également limitées (environ 4 % des production (OTEX), il est possible de sont certes moins productifs, mais lar-
besoins intérieurs) et en recul depuis rendre compte, de façon simplifiée, gement plus spécialisés en productions
dix ans parallèlement à la baisse de la de la diversité des exploitations euro- animales, notamment de ruminants.
consommation domestique. Dans le péennes spécialisées en élevage (Centre Pour chaque État membre, la répartition
secteur de la viande ovine, et malgré d’Études et de Prospective, 2010). Ici, des UGB totales en fonction des orien-
une forte baisse de la consommation seules les quatre OTEX spécialisées en tations de production permet de témoi-
individuelle, l’UE est toujours défici- élevage sont prises en considération, à gner du type de spécialisation (figure 1).
taire (80 % de taux d’auto-approvi- savoir les OTEX n° 45 (exploitations spé- Ainsi, par exemple, les exploitations en
sionnement), avec des importations cialisées en production de lait), n° 48 granivores occupent une part consé-
qui se font surtout en provenance de (spécialisées en ovins-caprins), n° 49 quente du cheptel total en Espagne, au
la Nouvelle-Zélande et de l’Australie. (spécialisées en viande bovine) et n° 50 Danemark et aux Pays-Bas. Les exploita-
Dans le secteur porcin, l’UE réalise 20 % (spécialisées en granivores, principale- tions en ovins-caprins sont quant à elles
de la production mondiale et occupe le ment en porcs et volailles). davantage représentées au Royaume-
deuxième rang des pays producteurs Uni et dans les pays du Sud.
derrière la Chine. Si les importations Ces quatre OTEX regroupent 1,55 mil-
européennes de viande porcine sont lion d’exploitations spécialisées en éle- Pour contextualiser la réflexion qui
pratiquement inexistantes, ses expor- vage, soit un tiers de l’ensemble des suit sur les leviers de la performance
tations, destinées d’abord à la Chine, exploitations agricoles moyennes et économique de l’élevage européen,
au Japon et à la Corée du Sud, repré- grandes. Du fait de leur spécialisation il est utile de présenter au préalable
sentent près de 17 % de la production productive, elles couvrent une part quelques éléments essentiels sur les
intérieure en 2016. En volaille de chair, déterminante de l’élevage européen exploitations spécialisées. Une focalisa-
secteur le plus dynamique en termes en regroupant 82 % des Unités de Gros tion est faite ici sur les exploitations spé-
de consommation, l’UE produit 12 % Bétail (UGB) totales. Elles rassemblent cialisées en lait, en viande bovine et en
des tonnages mondiaux et se situe 33 % des emplois agricoles (exprimés granivores pour les dix États membres
au quatrième rang des pays produc- en Unité de travail Agricole – UTA), valo- qui contribuent le plus aux productions
teurs derrière les États-Unis, le Brésil risent 38 % de la Superficie Agricole animales européennes ; ces dix pays
et la Chine. Bien qu’excédentaire en Utile (SAU), contribuent pour 42 % à la regroupant 82 % des UGB.
volume, l’UE a un solde commercial production agricole et reçoivent 43 %
négatif en valeur, dans la mesure où des aides directes. Le poids des exploi- „„1.1. Les exploitations
les produits importés, pour une large tations spécialisées d’élevage dans spécialisées en lait de vache
part en provenance du Brésil et de la l’agriculture de chaque État membre et/
Thaïlande, sont plus onéreux à la tonne ou région varie de façon importante en Les 629 970 exploitations spéciali-
que les produits exportés. fonction notamment des conditions du sées en production de lait de vache

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les performances économiques de l’élevage européen : de la « compétitivité coût » à la « compétitivité hors coût » / 173

Tableau 1. Le poids des exploitations spécialisées en élevage dans les États membres de l’UE (%) (Source : Commission
européenne – DGAGRI – RICA UE 2016 ; Traitement INRA SMART-LERECO).

Unité
Exploitations Superficie Superficie UGB Production Aides
de travail
agricoles agricole utile fourragères totales agricole directes
agricole

Allemagne 52 % 43 % 42 % 68 % 76 % 49 % 47 %

Belgique 51 % 39 % 48 % 73 % 74 % 47 % 53 %

Danemark 37 % 46 % 43 % 80 % 91 % 60 % 47 %

Espagne 24 % 22 % 30 % 77 % 92 % 36 % 30 %

France 37 % 31 % 39 % 72 % 74 % 35 % 47 %

Irlande 91 % 91 % 87 % 95 % 89 % 83 % 86 %

Italie 18 % 21 % 34 % 70 % 94 % 36 % 30 %

Pays-Bas 59 % 37 % 60 % 92 % 93 % 45 % 68 %

Pologne 21 % 22 % 24 % 53 % 61 % 34 % 28 %

Royaume-Uni 63 % 54 % 61 % 87 % 88 % 54 % 57 %

UE 33 % 33 % 38 % 74 % 82 % 42 % 43 %

regroupent, à l’échelle européenne, Figure 1. La répartition des UGB (Unité de Gros Bétail) de l’UE selon les États
23 % des UGB totales et réalisent 78 % membres et les orientations de production (OTEX) en 2016 (Source : Commission
européenne – DGAGRI – RICA UE 2016 ; Traitement INRA SMART-LERECO).
des volumes de lait de vache. Les
volumes résiduels résultent pour l’es- France
sentiel des exploitations diversifiées en
polyculture-élevage, structures plus Allemagne
fréquentes en France et en Pologne
que dans les pays du nord de l’UE. Espagne
Ces exploitations emploient 14 % des
actifs agricoles européens, détiennent Royaume-Uni
13 % de la SAU et valorisent 25 % des
Italie
surfaces fourragères. Le poids des
exploitations laitières spécialisées dans Pologne
l’agriculture est élevé en Irlande (35 %
des UGB du pays), en Allemagne (35 %) Pays-Bas
et aux Pays-Bas (32 %). Il est moins
important dans les pays du Sud. Irlande

Danemark
Compte tenu des différentiels impor-
tants existants en termes de taille Belgique
entre les exploitations laitières euro-
péennes (Institut de l’Élevage, 2015), Autres UE
les 3 470 exploitations danoises pro-
duisent, par exemple, plus de lait que 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24
Millions d’UGB
les 223 300 exploitations roumaines. Les
exploitations laitières européennes sont Exploitations spécialisées en production de lait
majoritairement des structures fami- Exploitations spécialisées en viande bovine
liales qui regroupent un nombre limité Exploitations spécialisées en ovins-caprins
d’emplois (1,60 UTA en moyenne euro- Exploitations spécialisées en granivores
péenne). Dans les dix pays ­sélectionnés, Autres OTEX

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


174 / Vincent chatellier, Pierre dupraz

le nombre d’UTA par exploitation est, en européenne, 33 hectares de SAU pour de lait, les structures sont de taille com-
moyenne nationale, inférieur à trois. Il 48 UGB totales (dont 30 vaches lai- parable en moyenne nationale, même si
dépasse rarement le seuil des cinq, à l’ex- tières). Ces niveaux sont très inférieurs des écarts régionaux substantiels sont
ception de quelques cas bien identifiés à ceux observés aux États-Unis (Institut à souligner. Les exploitations du nord
comme les structures collectives dans de l’Élevage, 2016) ou en Nouvelle- de l’Allemagne ont en effet des chep-
les pays de l’Europe de l’Est (République Zélande (Perrot et al., 2018), deux pays tels plus conséquents qu’en Bavière ; de
tchèque et Slovaquie) ; les grandes pro- concurrents sur les marchés internatio- même, les exploitations de Picardie sont
priétés foncières avec une forte présence naux de produits laitiers. Ces moyennes plus productives que celles d’Auvergne.
de salariés au Royaume-Uni ; certains masquent cependant des écarts très Le niveau d’intensification, mesurée ici
Groupements Agricoles d’Exploitation importants entre les États membres, par le volume de production laitière
en Commun (GAEC) multi-associés en certains parmi les derniers entrants à l’hectare de SAU, est très élevé aux
France. Les emplois salariés ne repré- dans l’UE, dont la Bulgarie, la Roumanie Pays-Bas, en Espagne et en Italie. Il est
sentent que 15 % de la main-d’œuvre et aussi la Pologne, contribuant à un plus faible en France en raison de la
des exploitations laitières européennes. abaissement des valeurs moyennes présence des territoires herbagers de
Ce taux varie significativement entre européennes exprimées à l’exploita- montagne et en Irlande du fait de l’im-
les États membres, passant de 2 % en tion ou à l’emploi. Avec en moyenne portance de systèmes laitiers basés sur
Pologne, à 12 % en France, 26 % en nationale 156 hectares et 165 vaches une valorisation de l’herbe.
Allemagne, 41 % au Royaume-Uni et laitières, le Danemark est le pays où les
58 % au Danemark (tableau 2). structures sont les plus conséquentes, Au fil des réformes successives de la
devant le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Politique Agricole Commune (PAC), les
Les exploitations spécialisées en En Allemagne et en France, les deux exploitations laitières sont devenues
production laitière ont, en moyenne premiers pays européens producteurs plus dépendantes des aides directes. Si

Tableau 2. Les caractéristiques structurelles et économiques moyennes des exploitations spécialisées en production laitière
en 2016 (Source : Commission européenne – DGAGRI – RICA UE 2016 ; Traitement INRA SMART-LERECO).

DE BE DK ES FR IE IT NL PL UK UE

Nombre d’exploitations 56 450 3 950 3 470 15 740 42 400 15 640 25 350 16 810 98 910 12 510 629 970

Unité de travail agricole 1,96 1,77 2,88 1,94 1,85 1,63 1,84 1,80 1,75 2,74 1,60
– % UTA salariées 26 % 2 % 58 % 21 % 12 % 14 % 18 % 14 % 2 % 41 % 15 %

Superficie agricole utile (ha) 72 54 156 34 92 60 33 51 21 113 33


– % Surfaces fourragères 75 % 92 % 74 % 78 % 79 % 98 % 84 % 98 % 65 % 91 % 78 %

UGB totales 105 122 259 82 108 125 85 130 25 214 48


– Vaches laitières 63 75 165 59 60 75 55 92 16 133 30

Production de lait (tonnes) 469,3 566,2 1 563,2 459,6 406,7 428,0 335,7 758,0 88,2 945,4 203,5
– par UTA (tonnes) 239,4 319,9 542,8 236,9 219,8 262,6 182,5 421,1 50,4 345,0 127,2
– par ha de SAU (tonnes) 6,5 10,5 10,0 13,7 4,4 7,1 10,0 14,8 4,2 8,4 6,1

Aides directes (K€) 32,3 25,1 69,6 17,7 33,2 20,6 17,6 22,9 7,5 30,7 14,7
– par UTA (K€) 16,5 14,2 24,2 9,1 17,9 12,6 9,6 12,7 4,3 11,2 9,2
– par ha de SAU (€) 449 467 446 528 360 342 528 448 356 271 440

Production agricole – PA (K€) 218 197 768 168 184 173 209 309 32 390 93
– par UTA (K€) 111 111 267 87 99 106 114 172 18 142 58
– par ha de SAU (€) 3 020 3 670 4 920 5 010 2 000 2 880 6 250 6 050 1 500 3 450 2 800

Consommation itd/PA (%) 67 % 66 % 74 % 72 % 73 % 63 % 55 % 69 % 60 % 74 % 69 %
EBE/UTA familiale (K€) 54,6 45,5 135,9 36,0 39,4 51,5 63,4 59,3 11,1 55,2 25,9

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Les performances économiques de l’élevage européen : de la « compétitivité coût » à la « compétitivité hors coût » / 175

le secteur laitier n’a pas été directement tion), ces valeurs moyennes cachent taille des exploitations et le salariat sont
concerné par la réforme de 1992, un de conséquents écarts entre les États plus importants. Les exploitations les
abaissement des prix garantis du beurre membres. À l’hectare, la valeur de la pro- plus performantes selon ce critère sont
et de la poudre de lait est intervenu à duction agricole s’élève, par exemple, à aussi les moins autonomes du point
compter de 2003. Cette baisse de prix, 1 500 euros en Pologne, 2 000 euros en de vue de la propriété des moyens de
qui visait à rendre le secteur laitier euro- France et 6 050 euros aux Pays-Bas. Ces production. En raison des niveaux éle-
péen plus compétitif sur les marchés écarts tiennent aussi à l’existence d’une vés d’endettement dans les grandes
internationaux, a été partiellement com- hétérogénéité dans le prix du lait payé exploitations des pays du Nord, surtout
pensée par l’octroi d’une Aide Directe au producteur. Aux Pays-Bas, le prix du danoises, les écarts de performances
Laitière (ADL). Le montant de cette aide lait est mieux payé qu’en France et sur- économiques sont moins importants en
a été déterminé dans chaque exploita- tout qu’en Pologne en raison de la struc- considérant des indicateurs de revenu2.
tion en multipliant le volume de pro- ture, de l’efficacité et de la politique
duction de lait par un montant unitaire des acteurs industriels (la coopérative „„1.2. Les exploitations
commun (35,50 euros par tonne à partir Friesland-Campina collecte et trans- spécialisées en viande bovine
de 2006). Plus tard, et suite à la mise en forme 80 % du lait néerlandais) et des
œuvre du découplage, l’aide directe lai- excellentes performances obtenues sur Les 378 280 exploitations euro-
tière a été supprimée et les paiements les marchés internationaux ; les Pays- péennes spécialisées en viande bovine
correspondants ont été basculés dans Bas sont ainsi les premiers exportateurs regroupent 16 % des UGB totales de
les aides découplées. Il en résulte que le européens de produits laitiers à desti- l’UE pour 7 % des emplois et 12 % de
montant des aides directes octroyées à nation des pays tiers, devant la France. la SAU. Elles sont bien représentées
une exploitation demeure toujours for- en Irlande (42 % des UGB du pays) et,
tement corrélé à sa taille, tant en cheptel Le montant des consommations inter- dans une moindre mesure, en Belgique
qu’en surface. Outre les aides directes médiaires (terme qui regroupe les frais (22 %), en France (21 %) et au Royaume-
accordées en contrepartie de la réforme en aliments du bétail, en semences et Uni (19 %). Au Danemark, aux Pays-Bas
de l’Organisation Commune de Marché plants, en engrais, en produits phyto­ et en Allemagne, ces exploitations sont
(OCM) du lait et des produits laitiers, les sanitaires, en entretien des bâtiments et peu nombreuses. Dans ces pays où le
exploitations laitières reçoivent parfois du matériel, en énergie et en travaux par prix du foncier est élevé, une priorité
aussi d’autres aides directes liées à leurs tiers) équivaut, en moyenne européenne, est donnée pour affecter les terres aux
autres activités productives (production à 69 % de la valeur de la production productions capables de générer un
de céréales, de viande bovine…), à leur agricole. Bien que d’importants écarts chiffre d’affaires à l’hectare important.
localisation géographique (au travers existent au sein de chaque pays selon À l’échelle européenne, les exploita-
de l’indemnité compensatoire de han- le caractère plus ou moins autonome tions spécialisées en viande bovine sont
dicaps naturels) ou aux modèles pro- et diversifié des exploitations, ce taux hétérogènes en termes de modèles pro-
ductifs adoptés (agriculture biologique, est en moyenne nationale un peu plus ductifs dans la mesure où se retrouvent
mesures agroenvironnementales et cli- élevé dans les deux pays où les exploi- dans cette même OTEX, par exemple,
matiques…). Ainsi, en moyenne euro- tations sont les plus grandes, comme des exploitations intensives de jeunes
péenne (2016), les exploitations laitières au Danemark (74 %) et au Royaume- bovins localisées en plaine (exemple :
reçoivent 14 700 euros d’aides directes, Uni (74 %). Si le ratio « consommations la plaine du Pô en Italie) et des exploi-
soit 9 200 euros par UTA, 440 euros par intermédiaires/production agricole » tations allaitantes extensives situées
hectare de SAU et l’équivalent de 16 % apporte une information intéressante, en zones herbagères de montagne
de leur chiffre d’affaires. En raison de il convient de rester prudent dans les (exemple : les systèmes naisseurs du
leur plus grande taille, les exploitations interprétations. Ainsi, par exemple, le Massif central en France).
laitières danoises captent des montants prix de vente des produits agricoles
beaucoup plus élevés d’aides directes peut avoir, au travers du dénominateur,
(69 600 euros en moyenne nationale) une influence sur le niveau de ce ratio. 2  Si le Résultat Courant Avant Impôt (RCAI) est
que les unités françaises (33 200 euros) Les exploitations laitières italiennes qui un indicateur économique souvent privilégié dans
les analyses comparatives en France, il se révèle
ou, plus encore, polonaises (7 500 euros). obtiennent une bonne valorisation de être beaucoup plus délicat de l’utiliser dans les
Quand ce montant est rapporté à l’em- leur lait par les filières fromagères en comparaisons européennes, ce pour deux raisons
ploi ou à l’hectare, les écarts se réduisent Appellation d’Origine Protégée (AOP) principales : les latitudes laissées dans le calcul des
entre les États membres. ont ainsi un ratio plus faible. dotations aux amortissements sont variables d’un
pays à l’autre ; les modalités de financement de
l’activité agricole (voire du ménage agricole pour
Au niveau des résultats économiques, L’Excédent Brut d’Exploitation (EBE)1 l’acquisition du foncier) ne sont pas identiques
la valeur annuelle de la production agri- par UTA familiale est, en moyenne, net- entre les pays. Il en résulte que cet indicateur est
cole (hors aides directes) s’élève, en tement plus élevé dans les pays où la finalement rarement utilisé dans les travaux issus
moyenne européenne, à 58 000 euros du RICA européen (Commission européenne,
par UTA et 2 800 euros par hectare de 2016 ; Perrot et Chatellier, 2009). Au Danemark, par
1  EBE = Production agricole – Consommations exemple, le RCAI par UTA familiale est, en moyenne
SAU. Pour les raisons examinées dans intermédiaires – Fermages payés + Subventions sur dix ans, plus de dix fois inférieur à l’EBE par
les sections suivantes (substitution d’exploitation – Impôts et taxes + Balance de la UTAF alors qu’en Italie le niveau de l’EBE est très
entre capital et travail et intensifica- taxe sur la valeur ajoutée – Salaires payés. proche du RCAI.

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176 / Vincent chatellier, Pierre dupraz

Les exploitations européennes exploitations sont clairement exten- naturels). En France et en Espagne,
spécialisées en viande bovine sont, sives, surtout en comparaison d’autres mais pas en Irlande, le secteur allaitant
là aussi, essentiellement des struc- pays (« Feedlot » aux États-Unis). Aux perçoit toujours des aides couplées à
tures familiales qui regroupent un Pays-Bas, les exploitations de ce type la tête de bétail, alors que le principe
faible nombre d’emplois (1,33 UTA se distinguent par une intensification du découplage s’est progressivement
en moyenne européenne). Le salariat élevée (4,71 UGB par ha de SAU) en rai- imposé pour la plupart des autres pro-
représente 10 % de la main-d’œuvre à son de leur forte spécialisation pour la ductions agricoles (y compris pour les
l’échelle européenne, soit un des plus production de veaux de boucherie ou bovins mâles). L’octroi d’aides couplées
faibles niveaux des différentes OTEX. de bovins jeunes abattus entre 8 et 12 à la vache allaitante ne constitue pas
Dans certaines structures, l’exploitant mois ; ces productions sont conduites nécessairement un encouragement
bénéficie d’autres sources de revenus d’une manière proche du « hors sol ». à l’amélioration des performances
liées à sa pluriactivité. Les exploitations techniques en élevage (Veysset et al.,
de ce type comptent, en moyenne Les exploitations spécialisées en 2015), ni même un appui au dévelop-
européenne, 50 hectares dont 87 % viande bovine reçoivent, en moyenne pement d’une stratégie pour la filière
de surfaces fourragères (tableau 3). européenne, 20 300 euros d’aides d’aval. En France, les décisions prises
Elles occupent une part importante directes, soit 15 300 euros par emploi au titre de la PAC 2014-2020 vont dans
des surfaces de prairies permanentes à temps plein, 407 euros par hectare le sens d’une réorientation des aides
de certaines zones spécifiques, comme de SAU et l’équivalent de 35 % de leur directes au bénéfice des systèmes allai-
dans le Massif central où les autres chiffre d’affaires. En France, le montant tants bovins et ovins, principalement
alternatives agricoles sont limitées d’aides directes par exploitation est ceux extensifs de type naisseur. Tout
(Cerles et al., 2017). Les exploitations plus élevé (45 500 euros) en raison de en conservant le bénéfice des aides
sont plus grandes en surfaces en la taille des cheptels (127 UGB contre directes couplées, ces exploitations
France (110 hectares en moyenne) et 48 UGB en Irlande et seulement 16 UGB sortent gagnantes de la redistribution
au Royaume-Uni (107 hectares) qu’en en Pologne) et de l’obtention d’aides budgétaire induite par l’application
Irlande (41 hectares) et en Pologne directes au titre du deuxième pilier de d’une convergence, à l’échelle natio-
(23 hectares). Avec 1,08 UGB par ha la PAC (dont principalement les indem- nale, du montant par hectare des aides
de SAU en moyenne européenne, ces nités compensatoires de handicaps directes découplées.

Tableau 3. Les caractéristiques structurelles et économiques moyennes des exploitations spécialisées en viande bovine en
2016 (Source : Commission européenne – DGAGRI – RICA UE 2016 ; Traitement INRA SMART-LERECO).

DE BE DK ES FR IE IT NL PL UK UE

Nombre d’exploitations 20 040 7 820 2 640 35 240 36 900 49 110 30 160 5 970 29 200 21 420 378 280

Unité de travail agricole 1,37 1,50 0,74 1,36 1,47 1,02 1,27 1,26 1,51 1,43 1,33
– % UTA salariées 14 % 1 % 11 % 13 % 7 % 3 % 9 % 12 % 3 % 16 % 10 %

Superficie agricole utile (ha) 67 53 53 69 110 41 38 23 19 107 50


– % Surfaces fourragères 81 % 86 % 62 % 82 % 89 % 99 % 85 % 95 % 71 % 93 % 87 %

UGB totales 78 109 53 63 127 48 54 109 16 121 54


– par ha de SAU 1,16 2,06 1,00 0,92 1,15 1,16 1,44 4,71 0,85 1,14 1,08

Aides directes (K€) 30,6 27,8 28,8 15,8 45,5 16,7 16,7 32,6 6,9 32,1 20,3
– par UTA (K€) 22,4 18,5 38,9 11,6 31,0 16,4 13,1 25,9 4,6 22,4 15,3
– par ha de SAU (€) 458 525 541 229 412 405 444 1 405 367 301 407

Production agricole – PA (K€) 109,4 113,0 98,7 60,2 106,4 36,1 81,0 144,7 13,6 114,9 56,9
– par UTA (K€) 79,8 75,3 133,4 44,3 72,4 35,4 63,7 114,8 9,0 80,4 42,8
– par ha de SAU (K€) 1 640 2 140 1 860 870 960 870 2 150 6 230 720 1 080 1 140

Consommation itd/PA (%) 77 % 77 % 87 % 64 % 81 % 84 % 55 % 75 % 70 % 86 % 76 %
EBE/UTA familiale (K€) 34,7 29,7 46,0 27,5 38,4 19,0 40,7 48,7 6,7 30,7 23,4

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Les performances économiques de l’élevage européen : de la « compétitivité coût » à la « compétitivité hors coût » / 177

La valeur annuelle de la production des UGB du pays), en Espagne (53 %), de SAU) et au Danemark (5 UGB par
agricole (hors aides directes) s’élève, en aux Pays-Bas (49 %) et en Italie (45 %). hectare de SAU). En Espagne, le niveau
moyenne européenne, à 42 800 euros Plus que les productions de ruminants, moyen d’intensification (16 UGB par
par UTA et 1 140 euros par hectare de les productions de porcs et de volailles ha de SAU) résulte d’écarts régionaux
SAU. Ce dernier montant est inférieur de sont davantage concentrées géogra- substantiels entre les grandes struc-
60 % à celui des exploitations laitières phiquement, en raison notamment du tures intégrées de la Catalogne et les
et il est huit fois plus faible que celui fait que ces productions n’impliquent élevages extensifs de porcs ibériques
des exploitations de granivores. Ainsi, pas de valoriser des ressources fourra- des sierras du sud de la péninsule.
en cas de concurrence entre ces diffé- gères, lesquelles sont par nature assez
rentes catégories d’exploitations pour dispersées géographiquement. Ces Les productions de porcs et de
acquérir du foncier, les exploitations exploitations concentrent donc une volailles sont peu dépendantes des
spécialisées en viande bovine sont rare- part conséquente du cheptel sur des aides directes, au prorata de leur
ment en capacité de surenchérir pour surfaces réduites, ce qui ne va pas sans chiffre d’affaires (4 % en moyenne
l’emporter. Avec d’autres facteurs d’in- entraîner des pressions environnemen- européenne). Les aides directes per-
fluence, ces écarts conduisent à ce que tales localisées. La concentration géo- çues ne sont pas liées aux productions
la production allaitante se concentre graphique des productions porcine et principales (porcs et volailles), mais elles
dans les bassins de production jugés avicole s’opère parfois dans des zones résultent des productions associées
moins intéressants pour les autres pro- où les productions de ruminants sont telles que les surfaces de céréales. En
ductions agricoles (Roguet et al., 2015). déjà présentes (Gaigné et Letort, 2017). moyenne européenne, les exploitations
En France, les exploitations sont plus Dans certains bassins de production de ce type perçoivent 14 300 euros
grandes que la moyenne européenne, en fort développement, comme en d’aides directes, soit 6 600 euros par
mais elles sont un peu moins produc- Catalogne (Dourmad et al., 2017), la emploi agricole et 382 euros par hec-
tives à l’hectare (960 euros de produc- production porcine résulte d’une orga- tare. En raison de l’importance de la
tion agricole). Cela s’explique en partie nisation de filière où l’intégration entre SAU dans les exploitations danoises
par le fait qu’une part importante (43 % les différents maillons est forte. de ce type (179 hectares), le montant
en moyenne nationale) des bovins d’aides directes par exploitation atteint
mâles issus des vaches allaitantes ne Les exploitations de granivores 52 900 euros, soit dix fois plus qu’aux
sont pas abattus sur le territoire, mais mobilisent en moyenne un peu plus Pays-Bas où les surfaces sont très limi-
exportés vivants à destination surtout d’emplois agricoles que dans les deux tées (8 hectares). L’influence potentielle
du marché italien. cas précédents (2,18 UTA en moyenne des aides directes de la PAC et de leurs
européenne), avec des moyennes modalités d’octroi sur les choix tech-
Le ratio « consommations intermé- nationales qui dépassent le seuil de niques est donc plutôt limitée dans
diaires/production agricole » atteint trois UTA dans deux pays (Danemark et les élevages de ce type ; les normes et/
76 % en moyenne européenne pour Royaume-Uni). La part de l’emploi sala- ou règles environnementales ont, en
les exploitations de ce type, soit un rié est également plus élevée (40 % des revanche, plus de poids sur les déci-
niveau supérieur à celui des exploita- emplois agricoles), avec un maximum sions stratégiques des éleveurs.
tions laitières. Pour ces exploitations, atteint dans les unités danoises (71 %).
l’EBE par UTA familiale est en moyenne Les types de travaux à conduire dans Au niveau des résultats économiques,
européenne (23 400 euros) plus de trois ces structures sont sûrement davan- la production agricole des exploitations
fois inférieur à celui des unités orientées tage propices à cette forme de partage européennes de granivores s’élève,
vers les productions de granivores. Il des tâches entre emplois familiaux et en moyenne, à 356 700 euros, soit
dépasse le seuil des 40 000 euros dans emplois salariés. Les exploitations de 163 600 euros par UTA et 9 500 euros
seulement trois des dix pays étudiés. La granivores regroupent, en moyenne par hectare de SAU (tableau 4). À titre
rentabilité est, dans de très nombreux européenne, 325 UGB pour 37 hectares d’exemple, la valeur de la produc-
cas, faible par rapport à l’importance du de SAU, soit environ 9 UGB par ha. Les tion agricole dans les exploitations
travail et des capitaux. exploitations de ce type sont parfois danoises de granivores est quatre-
qualifiées de « hors-sol » en ce sens vingt fois plus élevée que celle des
„„1.3. Les exploitations qu’une part importante (parfois même exploitations polonaises de viande
spécialisées en granivores l’intégralité) des aliments consommés bovine ; par ailleurs, la valeur de la
par les animaux n’est pas produite sur production agricole par hectare de
À l’échelle européenne, les 128 260 l’exploitation, mais achetée sur le mar- SAU des exploitations néerlandaises
exploitations spécialisées en produc- ché domestique (dont les céréales) et de granivores est près de quatre-vingt
tion de granivores, c’est-à-dire pour international (dont le soja). De plus, fois supérieure à celle des exploitations
l’essentiel en porcs et en volailles, les déjections animales sont souvent françaises orientées en viande bovine.
regroupent 32 % des UGB totales de valorisées en dehors de l’exploitation. Le montant des consommations inter-
l’UE, avec seulement 4 % des emplois L’application de ce qualificatif de « hors- médiaires représente, en moyenne
agricoles et 3 % de la SAU. La contri- sol » a cependant sûrement plus de sens européenne, 68 % de la valeur de la
bution de ces exploitations au cheptel aux Pays-Bas (79 UGB par hectare de production agricole. En raison surtout
national est forte au Danemark (64 % SAU) qu’en France (9 UGB par hectare des modèles productifs adoptés, et

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


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Tableau 4. Les caractéristiques structurelles et économiques moyennes des exploitations spécialisées en granivores en 2016.
(Source : Commission européenne – DGAGRI – RICA UE 2016 ; Traitement INRA SMART-LERECO).

DE BE DK ES FR IT NL PL UK UE

Nombre d’exploitations 16 880 2 510 2 870 17 500 14 720 7 410 5 110 20 170 3 820 128 260

Unité de travail agricole 2,12 1,54 3,75 2,09 1,92 2,44 1,97 2,19 3,78 2,18
– % UTA salariées 34 % 5 % 71 % 41 % 28 % 33 % 31 % 27 % 70 % 40 %

Superficie agricole utile (ha) 73 26 179 27 47 28 8 32 57 37


UGB totales 301 595 908 437 410 602 661 119 866 325
UGB totales par ha de SAU 4 23 5 16 9 21 79 4 15 9

Aides directes (K€) 28,2 13,7 52,9 6,3 16,0 10,1 5,7 8,7 15,0 14,3
– par UTA (K€) 13,3 8,9 14,1 3,0 8,3 4,1 2,9 4,0 4,0 6,6
– par ha de SAU (€) 388 530 296 235 342 354 675 270 262 382

Production agricole – PA (K€) 457,9 668,0 1 339,8 299,4 407,7 512,2 886,9 146,8 813,9 356,7
– par UTA (K€) 216,0 433,8 357,3 143,2 212,4 209,9 450,2 67,0 215,3 163,6
– par ha de SAU (€) 6 300 25 800 7 500 11 200 8 700 18 000 105 600 4 600 14 300 9 500

Consommation itd / PA (%) 69 % 71 % 68 % 60 % 76 % 48 % 71 % 71 % 70 % 68 %
EBE/UTA familiale (K€) 93,7 133,4 276,9 86,6 64,4 141,8 164,6 28,5 144,4 78,2

moins des écarts existants dans le coût Dans le secteur laitier, plus encore les structures d’exploitations seront
unitaire des intrants (exemple : le prix à que dans d’autres orientations, la res- aussi influencées par l’exigence des
la tonne des aliments), ce taux est plus tructuration des exploitations a été nouvelles générations en termes de
faible en Italie (48 %) et en Espagne particulièrement vive au cours des der- quantité de travail et de vie sociale. Le
(60 %) qu’en France (76 %) et aux nières décennies. Dans le cas français, développement de formes sociétaires
Pays-Bas (71 %). L’EBE par UTA familiale par exemple, le nombre d’exploitations à plusieurs associés et le recours accru
atteint 78 200 euros en moyenne euro- est passé de 380 000 au moment de la à des emplois salariés devrait prendre
péenne. Si ce montant excède celui des mise en œuvre des quotas laitiers en davantage de place. En l’absence d’une
exploitations de ruminants, ces struc- 1984 à 56 000 en 2018. Si le mouvement régulation publique forte, les liens
tures sont aussi plus endettées ; une de concentration de l’activité laitière entre les laiteries et les exploitations
part de cet EBE est donc utilisée pour dans un nombre plus restreint d’ex- devraient aussi se renforcer, de façon à
rembourser le capital des emprunts ploitations devrait se poursuivre dans co-construire les stratégies.
et payer les frais financiers liés. C’est les décennies à venir, grâce notamment
particulièrement le cas au Danemark aux gains de productivité offerts par la Dans le secteur bovins-viande, la
où la taille conséquente des élevages robotisation de la traite, les enjeux de restructuration des exploitations est
(908 UGB en moyenne) a nécessité, en restructuration sont désormais plus également forte, en raison des gains
amont, de lourds investissements. importants (en nombre d’exploitations de productivité et, aussi, de la perte de
concernées et d’emplois) dans les pays débouchés (baisse de la consommation
„„1.4. Quelques perspectives de l’Europe de l’Est. Dans certains pays, intérieure et difficulté à exporter de la
sur la restructuration comme en France où la régulation de viande bovine européenne à l’interna-
des exploitations d’élevage l’offre s’opérait à l’échelle des dépar- tional). Les nombreuses exploitations
tements, l’abandon des quotas laitiers bovines herbagères, extensives et
Fort de cette analyse, au demeurant devrait entraîner une certaine reloca- localisées en zones défavorisées res-
très succincte, sur la situation compa- lisation de l’offre de lait dans les terri- teront, du moins en l’état actuel des
rée des exploitations d’élevage entre toires déjà denses en production de lait. prix, durablement dépendantes de la
les États membres, quelques réflexions Le nombre d’exploitations sera aussi PAC et des aides directes, que celles-ci
prospectives (très partielles) portant sur influencé par la capacité des acteurs soient versées à la tête de bétail ou en
la structuration des exploitations d’éle- de la filière à développer davantage les contrepartie de services territoriaux ou
vage peuvent être mises en débat. exportations. Outre les technologies, environnementaux rendus. En effet, en

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Les performances économiques de l’élevage européen : de la « compétitivité coût » à la « compétitivité hors coût » / 179

l’absence de soutiens directs ciblés, ces qu’internationalement (faible part des Il englobe, en effet, les différents mail-
exploitations auraient d’autant plus de démarches de qualité dans la produc- lons d’une filière, qui vont de l’exploi-
difficultés à se pérenniser et à trans- tion globale, standardisation des bâti- tation aux consommateurs en passant
mettre qu’elles souffrent déjà d’une ments d’élevage, recours croissant à de par les entreprises de la transformation
rentabilité souvent faible au regard la main-d’œuvre salariée…), le devenir et les acteurs de la distribution.
des capitaux mobilisés. Si la pluriacti- des ateliers d’élevage est de plus en plus
vité des éleveurs et la diversification conditionné à l’évolution de leur accep- „„2.1. La compétitivité coût
des activités ont permis le maintien tation au sein de la société (bien-être
d’exploitations de taille parfois modeste animal) et de leur territoire. La concen- La « compétitivité coût » est une
(exemple : 34 % des vaches allaitantes tration géographique des activités est, notion qui désigne la capacité d’une
en France sont localisées dans des éle- en effet, déjà très importante (exemple : entreprise ou d’un pays à tenir des prix
vages ayant moins de 50 têtes), rien ne 58 % des porcs charcutiers français sont plus bas que ceux de ses concurrents
dit que les nouvelles générations d’éle- produits en Bretagne). Ainsi, la construc- (Centre d’Études et de Prospective,
veurs accepteront de prendre le relais tion de nouveaux bâtiments d’élevage 2012). À l’échelle internationale, les
de ces structures, ce dans les mêmes se heurte souvent à des oppositions productions animales européennes
conditions sociales. Dans les systèmes sociétales fortes (Grannec et Ramonet, sont rarement les plus compétitives
bovins-viande intensifs (grands ateliers 2013). Dans le même esprit, le secteur sur le seul vecteur des « prix », même
de jeunes bovins) ou proches parfois des œufs connaît actuellement d’im- si certaines d’entre elles (lait et viande
du hors-sol (veaux de boucherie), l’ac- portantes évolutions, en raison du fait porcine) sont mieux positionnées que
ceptabilité par la société de ces formes que les consommateurs, et derrière eux d’autres (viande bovine, viande ovine
d’élevage ne manquera pas de faire la grande distribution, vont privilégier et viande de volailles). Le constat d’une
l’objet de débats, en lien avec les pré- très prochainement les œufs issus de moindre compétitivité coût de l’UE
occupations sur le bien-être animal ou poules élevées en plein air. Dans les dans les filières animales par rapport à
l’environnement. Le vieillissement de productions standards de porcs et de d’autres pays concurrents, dont ceux du
la population des éleveurs du secteur volailles, l’augmentation de la taille des Mercosur ou d’Amérique du Nord, peut
allaitant peut aussi conduire à s’inter- élevages va, du moins dans certaines s’expliquer par au moins trois facteurs :
roger sur la capacité des pays, dont la zones, de pair avec un mouvement les exigences appliquées au stade de
France qui regroupe un tiers du cheptel croissant d’intégration, comme c’est la production au travers des normes
européen de vaches allaitantes, à main- par exemple le cas de la production sanitaires et environnementales sont
tenir durablement le niveau actuel de porcine en Catalogne. Ces mutations plus fortes dans l’UE ; l’utilisation d’une
production en viande bovine, ce d’au- dans les formes d’organisation (Rieu et main-d’œuvre salariée à bas coût est
tant que la concurrence entre produc- Roguet, 2012 ; Bouamra-Mechemache moins fréquente qu’ailleurs ; le coût de
tions agricoles pour l’acquisition du et al., 2015) sont de nature à s’interroger l’énergie est plus élevé au sein de l’UE
foncier est parfois forte (surtout dans sur la place résiduelle laissée à l’éleveur. que chez d’autres compétiteurs.
les zones de plaine labourable). En effet, la compétitivité de l’éleveur
dépend de plus en plus de l’organisa- a. Les substitutions entre
Dans le secteur porcin, où la produc- tion agro-industrielle locale. facteurs de production
tion est très homogène, la maîtrise des La production de biens et de services
paramètres techniques est souvent une issus de l’élevage repose sur des tech-
condition sine qua non au maintien en
2. Les principaux leviers nologies flexibles (Weiss, 2001). Des
activité des élevages. Le poids croissant de la performance produits identiques peuvent donc être
des normes environnementales (Duflot économique en obtenus en recourant à des combinai-
et Cagnat, 2017) participe, d’une cer- productions animales sons de productions et de facteurs de
taine façon, à la sélection des exploi- production très variées ; ils peuvent éga-
tations. C’est également le cas dans le lement provenir de territoires aux carac-
secteur avicole, secteur où la diversité Cette deuxième partie propose une téristiques très différentes en termes de
des modèles productifs est cependant analyse portant sur les principaux types de sol, de relief, de climat, d’urba-
plus grande, en raison du poids des leviers de la performance économique nisation, d’accès aux réseaux de trans-
filières qualitatives (volailles en label des productions animales européennes, port, etc. Pour une production donnée,
rouge, AOP…). La restructuration des en distinguant successivement la la flexibilité des technologies est d’abord
élevages de porcs et de volailles ayant « compétitivité coût » et la « compéti- utilisée pour choisir les facteurs de pro-
été particulièrement rapide au cours des tivité hors coût ». Ici, la compétitivité duction les moins coûteux. Les évolu-
dernières décennies, les enjeux sociaux fait référence à la capacité d’une entre- tions de prix induisent des substitutions
liés aux seules exploitations (nombre prise (ou d’un pays) à conserver ou à en faveur des facteurs de production
d’entités et emplois) sont globalement augmenter ses parts de marché, ce dont le prix décline le plus, au détriment
moins cruciaux que pour les activités malgré la concurrence (Latruffe, 2010). de ceux dont le prix augmente le plus.
de ruminants. Pour les élevages por- Le spectre couvert par cette analyse est
cins, où l’hétérogénéité des modèles plus large que celui des seules exploita- Ainsi, avec l’élévation progressive du
est limitée, tant à l’échelle européenne tions d’élevage abordé précédemment. niveau de vie, le facteur de production

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180 / Vincent chatellier, Pierre dupraz

qui est devenu assez coûteux, du moins pas uniquement par des facteurs liés à la b. Les économies de taille
dans les pays développés, est le travail. technologie de production. Les grandes dans les industries en amont
Il en a résulté que la recherche-déve- exploitations peuvent parfois payer et en aval des élevages
loppement a été organisée pour pro- moins cher certains biens intermédiaires Si des économies de taille et l’évic-
poser des innovations permettant de en raison de la présence de coûts de tion du travail par la mécanisation, la
réduire, à production égale, le recours à transaction et de transport et d’un plus motorisation et l’automatisation sont
ce facteur, principalement au travers de grand pouvoir de négociation. Les four- observées dans les élevages, elles sont
l’essor de la mécanisation, de la moto- nisseurs peuvent réaliser des économies également présentes dans les indus-
risation et de l’automatisation. Une des lorsqu’ils livrent un éleveur de grande tries d’amont et d’aval. Dans l’industrie,
spécificités de l’agriculture européenne taille plutôt que plusieurs petits éle- le coût unitaire de production décline
est l’accroissement spectaculaire de la veurs. Dans ce sens, certains travaux ont avec le niveau de production, jusqu’à
productivité du travail, sans pour autant montré que le prix d’achat des aliments une valeur optimale qui peut ne jamais
que cela n’induise une modification est par exemple négativement corrélé être atteinte si le marché est trop étroit
majeure du nombre de travailleurs par avec la taille des exploitations porcines pour absorber le niveau de production
exploitation, dont le caractère fami- (Duvaleix-Tréguer et Gaigné, 2016). optimal correspondant.
lial persiste majoritairement (Schmitt,
1991). Depuis le dernier élargissement À surface et capital hors cheptel Les rares études disponibles sur les
de l’UE en 2004, les différentiels de constants, l’accroissement du trou- économies d’échelle ou de taille dans
coût de la main-d’œuvre entre États peau entraine une dépendance accrue l’agroalimentaire européen placent
membres ont augmenté. Parmi tous de la production aux consommations la transformation des viandes et du
les nouveaux entrants, la Pologne est intermédiaires, mais garde une forte lait dans les industries à économies
le pays qui a le plus profité du faible corrélation positive avec l’EBE par UTA d’échelle croissantes (McCorriston et al.,
coût de sa main-d’œuvre pour gagner familiale. L’obtention de coûts uni- 2001). La part du coût du travail dans les
en compétitivité. Cela est particulière- taires de production plus faibles dans coûts de production des firmes agroa-
ment le cas dans le secteur avicole où les exploitations de grande taille n’est limentaires diminue avec la taille de
un quadruplement de la production a absolument pas systématique au sein celles-ci, témoignant d’une plus grande
été observé en quinze ans. de l’UE. Outre la taille de la structure, productivité et d’une moindre sensibi-
de nombreux autres facteurs inter- lité aux variations du coût unitaire du
Dans les pays développés, la substitu- viennent en parallèle tels que le modèle travail des plus grandes entreprises.
tion du capital au travail a souvent été productif (plus ou moins autonome Dans l’industrie des viandes, la valeur
accompagnée d’une accentuation de en intrants), la plus ou moins grande ajoutée rapportée au chiffre d’affaires
la spécialisation productive des exploi- maîtrise technique de l’exploitant ou est souvent faible, notamment dans
tations (Huffman et Evenson, 2001). les choix réalisés en matière d’inves- les abattoirs où le degré de transfor-
Celle-ci permet de mieux exploiter les tissement (certaines innovations sont mation des produits est limité, une
économies de taille3 en monoproduc- certes avantageuses pour améliorer la part très importante des coûts (envi-
tion en tirant le meilleur parti des équi- productivité du travail, mais elles ont ron 70 %) résultant alors des achats
pements, des approvisionnements et aussi un coût initial, de mise au point d’animaux. Cette valeur ajoutée décline
des compétences spécifiques à cette et de maintenance plus élevé). avec la taille des entreprises mesurée en
production (Ahearn et al., 2005). Les emplois. La valeur ajoutée rémunérant
économies de coût pouvant être liées à La spécialisation dans les exploita- le travail et le capital, le déclin de la part
la taille des exploitations ne s­ ’expliquent tions d’élevage ne permet pas d’ex- de la valeur ajoutée avec la taille montre
ploiter certaines économies de coûts que des économies de taille sont asso-
associés aux complémentarités entre ciées à ces deux facteurs et à leur
3  Pour les économies de taille, la définition les productions (les « économies de combinaison. Elles peuvent provenir
utilisée est celle rappelée par Rasmussen (2011) gamme »). Cela concerne particulière- d’économies d’échelle dans la produc-
qui est la réduction du coût moyen en fonction du ment les effluents d’animaux, peu ou tion des installations industrielles et/
volume de production. Cette mesure est souvent
confondue avec les économies d’échelle qui
pas utilisés par les exploitations végé- ou d’une plus grande productivité phy-
découle de l’accroissement plus que proportionnel tales, et dont la gestion devient de sique du travail grâce à une meilleure
de la production quand tous les facteurs de plus en plus coûteuse pour les exploi- organisation ou à sa plus grande subs-
production sont accrus simultanément et se tations spécialisées à mesure qu’ils titution par des équipements matériels.
traduisent aussi par une baisse du coût moyen. excèdent leur propre besoin de ferti- Cette régularité n’est pas observée dans
À la marge, les deux notions se confondent, mais
elles sont très différentes pour des changements
lisation (Peyraud et al., 2014). En effet, l’industrie laitière. Les taux de valeur
de taille significatifs, car en général les économies la spécialisation et l’agrandissement ajoutée selon la taille des entreprises
de taille sont réalisées avec de fortes modifications des exploitations s’accompagnent le sont très différents d’un pays à l’autre.
dans les proportions des différents facteurs de plus souvent d’une utilisation accrue Cette grande hétérogénéité reflète le
production. Les exploitations agricoles offrent de consommations intermédiaires par poids des autres déterminants dans
une bonne illustration de ce phénomène. En
l’absence d’analyse de la structure des coûts de
hectare, donc d’une substitution de la la construction de la valeur ajoutée et
production, les deux notions sont souvent utilisées terre par des consommations intermé- dans sa distribution au sein des filières :
indifféremment. diaires par unité produite. concurrence imparfaite et qualité des

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Les performances économiques de l’élevage européen : de la « compétitivité coût » à la « compétitivité hors coût » / 181

produits. Enfin, l’effet positif de la pro- s’ajoutent des économies d’agglomé- agroalimentaires est à l’œuvre depuis
ductivité et de la taille des entreprises ration de différentes natures. Il s’agit de de nombreuses années déjà (Rouault,
agroalimentaires sur leur capacité réseaux de compétences et de services 2010). Elle s’accompagne d’un renfor-
exportatrice a été clairement mis en concernant notamment la santé ani- cement de la coordination verticale,
évidence (Gaigné et Le Mener, 2014). Il male, la reproduction, l’entraide, l’amé- avec une plus forte implication des
s’explique par l’existence de coûts fixes, lioration et l’entretien des bâtiments, industriels dans les relations entre ces
c’est-à-dire indépendants des volumes mais aussi d’économies de taille et de derniers et les éleveurs, notamment
commercialisés, pour l’accès à des mar- conditions concurrentielles favorables au travers des contrats (Watanabe et
chés lointains. Les économies réalisées aux éleveurs pour l’approvisionnement al., 2017). En réduisant le nombre de
par l’agrandissement des entreprises en aliments du bétail. décideurs et en limitant la concurrence
proviennent également de la capacité entre les entreprises, le niveau de déci-
des grandes entreprises à influencer Dans de nombreuses zones géogra- sion devient de plus en plus centra-
les prix, c’est-à-dire à réduire les prix phiques de l’UE, mais également aux lisé au niveau des industriels. Dans ce
d’achat de la matière première et à États-Unis (MacDonald, 2009), la réa- contexte, la gestion du risque des aléas
imposer des prix de vente plus élevés. lisation des économies de taille dans liés aux variations de production peut
la première transformation et dans les être de moins en moins réalisée au
c. La concentration élevages s’accompagne d’une concen- niveau de l’exploitation agricole, mais
géographique tration géographique des productions. de plus en plus au niveau des industriels
des productions En France, par exemple, la concentration de l’aval. L’incitation pour les exploi-
et des acteurs impliqués géographique des élevages porcins en tants agricoles à se diversifier pour se
La division des tâches et la dépen- Bretagne a été permise en dépit d’un cer- protéger des risques se réduit tandis
dance des élevages spécialisés aux tain éloignement des productions céré- qu’elle augmente chez les industriels
consommations intermédiaires, en alières et des bassins de consommation. qui prennent en charge ces risques.
particulier aux aliments du bétail qui Bien que de fortes disparités régionales Par ailleurs, les industriels sont incités à
sont achetés, sont en interaction forte et nationales des régimes alimentaires réduire le nombre de fournisseurs pour
avec la localisation géographique des persistent, le développement agro-­ minimiser les coûts de transaction et à
élevages et des entreprises de trans- industriel a favorisé, par la modification favoriser la spécialisation des élevages
formation. Si l’élevage est sensible aux des rapports de prix, la substitution des pour exploiter les économies de taille.
conditions des sols et de climat, avec un viandes blanches aux viandes rouges. Ainsi, les industriels peuvent gérer les
avantage certain des plaines tempérées risques en se dotant d’un portefeuille
océaniques par rapport aux montagnes d. La structuration des filières diversifié d’activités constituées d’uni-
ou aux climats arctique et méditerra- La coordination verticale au sein des tés de production très spécialisées. En
néen, ces conditions n’expliquent qu’en filières offre des opportunités de sta- déplaçant la gestion du risque au niveau
partie la localisation des élevages. bilisation des prix et des revenus. Les des industries de l’aval au détriment
contrats de long terme et les contrats des élevages, l’intégration verticale
La concentration ou la dispersion d’intégration permettent d’aller dans le peut favoriser l’émergence d’élevages
géographique d’un même type d’éle- sens de cette mutualisation. Ils accom- spécialisés de grande taille. Cette ana-
vage dépend d’arbitrages multiples pagnent le développement de clus- lyse ne signifie pas, pour autant, que les
entre les coûts de transport des appro- ters agro-industriels comme c’est par éleveurs qui s’engagent dans la voie de
visionnements et des productions, des exemple le cas en Catalogne (Dourmad la contractualisation avec des groupes
économies de taille dans les différents et al., 2017). En effet, l’engagement d’in- industriels puissants ne prennent aucun
maillons de la filière et des économies vestissements non récupérables dans risque économique. Ils deviennent
d’agglomération (Arfa et al., 2011). Ces une activité de production ou de trans- en effet fortement dépendants des
arbitrages diffèrent selon les filières et formation de grande capacité soumet niveaux de prix pratiqués par ces der-
les types d’élevage. Il ressort que les l’investisseur au risque de sous-utiliser niers ; or, ces prix peuvent variés parfois
économies de taille réalisées dans les cette capacité si ses débouchés ou ses de façon importante en fonction des
entreprises de première transformation, approvisionnements sont défaillants. conditions du marché ou des résultats
laiterie et abattoirs, vont de pair avec Ce double lien entre producteurs et techniques obtenus.
la proximité des élevages qui les four- transformateurs est une puissante inci-
nissent, les distances de collecte étant tation à des accords de longue durée, Le partage de la valeur ajoutée entre
prioritaires à minimiser par rapport aux qui, en retour, sont nécessaires au déve- producteurs, transformateurs et dis-
coûts d’approvisionnement en matière loppement de ces clusters (Hobbs et tributeurs est une question fortement
première pour l’alimentation animale Young, 2000). La théorie des contrats débattue, en particulier en France,
ou à ceux d’acheminement des pro- explique alors pourquoi le partenaire apparemment le seul pays européen à
duits issus de la première transforma- qui assure l’autre réalise le plus grand avoir créé un observatoire des coûts et
tion (Chatellier et Gaigné, 2012). Ainsi profit (Worley et McCluskey, 2000). des marges. La structure pyramidale des
la concentration géographique des éle- marchés agroalimentaires, avec encore
vages laitiers et granivores permet-elle Au sein de l’UE, une multiplication des de nombreux producteurs, beaucoup
des gains en termes de coûts auxquels acquisitions et des fusions d ­ ’entreprises moins de transformateurs et très peu de

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182 / Vincent chatellier, Pierre dupraz

distributeurs expose les agriculteurs, et pensation d’une baisse des prix garan- fications de la PAC sont intervenues il y
dans certains cas les industriels, à voir tis (lesquels avaient historiquement été a déjà bien longtemps (1992 et 1999) ;
leurs gains de productivité et leurs éco- fixés à un niveau élevé), les décideurs sans modifier le niveau des prix garan-
nomies de taille captés par la grande européens ont accepté l’idée que le tis, les années récentes ont surtout été
distribution ou un transformateur en coût de la PAC deviendrait davantage l’occasion de renforcer le montant des
position de monopole/monopsone4. supporté par les contribuables (budget aides directes aux producteurs par un
La réforme de la PAC de 2013 cherche de la PAC) et moins par les consomma- transfert de fonds opéré au détriment
à prendre en compte cette réalité en teurs (au travers du prix de marché). Ce d’autres productions (dont surtout les
autorisant la formation d’organisations choix politique, pris sous la contrainte céréales). La capacité de l’UE à exporter
de producteurs, réservées jusqu’alors des négociations de l’Organisation de la viande bovine est limitée et ses
au secteur des fruits et légumes. Ainsi, Mondiale du Commerce (OMC), visait importations sont en baisse en raison
le « Paquet Lait » adopté en 2010 avait à rapprocher les prix communautaires du recul de la consommation et de
ouvert la voie en autorisant les éleveurs des prix mondiaux et, ainsi, à permettre l’attachement supposé des consom-
à négocier collectivement les clauses aux agriculteurs européens de deve- mateurs aux produits domestiques qui
contractuelles de vente de lait au sein nir plus compétitifs sur les marchés motivent les barrières non tarifaires et
d’organisations de producteurs pour extérieurs. Si cet objectif est partielle- les pics de droits de douane imposés
une part de marché limitée au niveau ment atteint, du moins pour certaines par l’UE sur les viandes de ruminants.
national (33 %) et européen (3,5 %). La productions agricoles, la réduction Pour les productions de granivores,
réforme de 2013 ouvre cette possibilité des écarts de « compétitivité - prix » moins soutenues par la PAC, l’aban-
à d’autres productions, dont la viande entre l’UE et les pays tiers tient aussi don des restitutions aux exportations a
bovine et les grandes cultures. Ces à l’augmentation, sur longue période, sûrement été l’élément le plus notable.
organisations peuvent, dans certaines des cours internationaux des matières Il fragilise les exportations européennes
limites, déroger aux règles de la concur- ­premières agricoles. de viande de volailles vers les pays du
rence pour essayer de contrecarrer le Moyen-Orient où les brésiliens sont for-
pouvoir de marché de leurs clients, De très nombreuses exploitations tement présents (Chatellier et al., 2015),
en maîtrisant et en différenciant leur européennes d’élevage (cf. partie 1) mais n’a pas affecté le développement
offre, notamment pour les productions sont aujourd’hui devenues écono- récent des exportations de viande por-
sous signe de qualité. De nombreuses miquement dépendantes des aides cine, stimulé par une demande chinoise
questions se posent sur la forme que directes. Compte tenu des décisions soutenue.
prendront ces organisations et leur dif- prises en 2014, tant à l’échelle com-
férence par rapport aux coopératives munautaire (règlements) que natio- „„2.2. La compétitivité
et autres groupements existants (Van nale (application des dispositifs), il est hors coût
Herck, 2014 ; Bouamra-Mechemache et attendu que cette situation perdurera
Zago, 2015). au moins jusqu’en 2020, date des pro- À l’échelle européenne, la « compé-
chaines négociations budgétaires. Si les titivité hors coût » (Chevassus-Lozza et
e. Le rôle de la Politique dépenses publiques allouées en faveur Gallezot, 1995) renvoie d’une part aux
Agricole Commune (PAC) de l’agriculture européenne sont stabi- exigences de qualité, principalement
Si les aides directes de la PAC peuvent lisées depuis plusieurs années déjà, les sanitaire, relevant de la protection
avoir une influence sur la capacité types de soutiens budgétaires ont évo- des consommateurs et s’imposant par
concurrentielle ou non de l’UE sur les lué. Ceux-ci sont désormais accordés, la réglementation à tous les produits
marchés internationaux, les décisions pour l’essentiel, sous la forme d’aides issus de l’élevage et, d’autre part, à la
prises dans le cadre des mesures de directes découplées avec pour support différenciation des produits. Cette der-
marché (droits de douane, contingents principal le facteur terre. nière vise à s’adapter à l’hétérogénéité
d’importations, encadrement des aides des préférences des consommateurs
à l’export…) ont aussi une importance Pour le secteur laitier, les évolutions et de leurs revenus. Elle repose sur
stratégique. récentes de la PAC se sont manifestées, une organisation des filières s’assurant
pour l’essentiel, par un abaissement d’un contrôle, d’une traçabilité et sou-
La réforme de la PAC de 1992 a marqué des prix d’intervention du beurre et de vent d’une certification de la qualité
un tournant dans les modalités de finan- la poudre de lait (compensé par l’octroi sur les critères différenciés tout au long
cement de l’agriculture européenne et d’aides directes aux producteurs) et de l’élaboration du produit. Des coûts
de son élevage. En entrant dans une la suppression des quotas de produc- supplémentaires sont nécessaires pour
logique qui consistait à octroyer des tion. Il a en résulté une hausse de la faire connaître et reconnaître cette
aides directes aux a­ griculteurs en com- production européenne de lait (envi- qualité différenciée aux consomma-
ron +13 milliards de litres entre 2013 teurs. Ainsi, l’étiquetage, qui a pris une
et 2018), une forte variabilité des prix place centrale dans la vie des consom-
4  Un monopsone est un marché sur lequel un seul payés aux producteurs et une augmen- mateurs et l’organisation des filières,
demandeur se trouve face à un nombre important
d’offreurs. C’est la situation symétrique à celle du
tation des exportations vers les pays se retrouve aujourd’hui au centre de
monopole dans lequel un seul offreur fait face à de tiers, notamment vers la Chine. Pour les préoccupations juridiques qui visent
nombreux demandeurs. productions bovine et ovine, les modi- notamment à rendre compatibles les

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Les performances économiques de l’élevage européen : de la « compétitivité coût » à la « compétitivité hors coût » / 183

règles i­nternationales du commerce, l­ibre-échange euro-étatsuniens. C’est types d’indications sur les produits
de la santé et de l’environnement. Pour pourtant un domaine où les pays semble aujourd’hui proche de saturer
permettre au consommateur de choi- développés pourraient avoir un inté- les capacités cognitives des consom-
sir, la législation a multiplié les men- rêt à s’entendre et à promouvoir des mateurs (Chryssochoidis, 2000). Face
tions informatives obligatoires et a mis standards élevés vis-à-vis du reste du à ce foisonnement, plus fort dans le
en place des dispositifs spécifiques monde, ce dans l’intérêt de tous les sud de l’Europe et le Royaume-Uni
pour encadrer l’information volontaire consommateurs. qui se distinguent par une multiplicité
(Friant-Perrot, 2016). L’analyse du com- d’indications géographiques, certains
portement du consommateur souligne b. La différenciation auteurs s’alarment de l’incapacité de ces
cependant la complexité des arbitrages des produits et des processus stratégies, coûteuses y compris pour les
à réaliser, les variabilités nationales des de production contribuables, à créer de la valeur ajou-
attentes des consommateurs-citoyens, Les stratégies de différenciation des tée, notamment à l’exportation (Bureau
et par là même les limites de la régula- produits animaux sont très nombreuses, et al., 2015).
tion de la santé et de l’environnement aussi bien pour les produits laitiers que
par la segmentation des marchés. pour les produits carnés. Les stratégies Les produits animaux issus de l’agri-
de marques ne s’appuient que sur des culture biologique, qui ont bénéficié
a. La priorité donnée dans l’UE normes privées, liées à un savoir-faire d’une harmonisation du cahier des
à la qualité sanitaire de l’entreprise de transformation ou de charges par un règlement européen
des produits distribution. L’agriculture biologique, en 1999, font depuis plusieurs années
En raison des risques microbiolo- les indications géographiques et les l’objet d’une demande accentuée de la
giques particuliers qu’elles présentent appellations d’origine, ainsi que cer- part des consommateurs européens. En
au regard de la santé des consomma- tains labels ou indications informatives dépit de la progression incontestable
teurs, les denrées d’origine animale ont une certification qui est garantie par des parts de marchés, le poids de l’agri-
sont soumises à des exigences renfor- l’État et qui est reconnue par l’UE. culture biologique dans la production
cées et plus formalisées que les denrées européenne issue de l’élevage demeure
d’origine végétale. L’objectif de santé Les attributs différenciés peuvent encore faible. En France, par exemple,
publique prime alors sur les autres être très variés, touchant les locali- l’agriculture biologique représente, en
considérations et les règles sanitaires sations et techniques d’élevage, les 2017, 10,1 % des effectifs de poules
s’appliquent de la même manière aux transformations et les commercialisa- pondeuses, 9 % des brebis laitières,
produits nationaux ou importés. À la tions. La plupart des attributs différen- 7,7 % des chèvres, 6,1 % des brebis à
suite des crises liées à l’épizootie d’En- ciés se traduisent par des qualités du viande, 5,4 % des vaches laitières, 4,5 %
céphalopathie Spongiforme Bovine produit repérables et vérifiables par le des vaches allaitantes, 1,4 % des poulets
(ESB), la réglementation européenne et consommateur après l’achat. Dans ce de chair et 1,1 % des truies (AgenceBio,
l’exigence de traçabilité se sont renfor- cas, on parle de « biens d’expérience » 2018). La progression est plus forte dans
cées (Pineau et al., 2016). Ces règles sont (Nelson, 1974). D’autres ne le sont pas les productions et les pays/régions où
associées à des barrières non tarifaires directement, comme les effets environ- les conditions de production préexis-
protégeant les éleveurs européens de nementaux, les qualités nutritionnelles tantes sont plus proches du cahier des
certaines importations, notamment de et sanitaires fines associées à ces pro- charges. Les filières de l’agriculture
viande bovine, et favorisant les expor- duits, ou même l’origine géographique biologique présentent une grande
tations vers des pays où cette qualité dans certains cas. On parle alors de hétérogénéité et une évolution rapide
n’est pas garantie, comme pour le lait « biens de croyance » (Darby et Karni, dans les segments de la transformation
infantile en Chine. Ces normes consti- 1973). Pour ces derniers, la traçabilité, la et de la commercialisation. Bien qu’en-
tuent alors une différenciation des pro- certification et leurs publicités sont des core associée aux nombreuses formes
duits profitables à l’UE sur les marchés opérations fondamentales et coûteuses de vente directe, de circuits courts et
internationaux (Gaigné et Larue, 2016). pour assurer le succès de la différencia- d’autres signes de qualité, l’agriculture
Cependant, et également au nom de tion auprès des consommateurs. biologique est aujourd’hui marquée
considérations sanitaires, plusieurs par la structuration de filières indus-
productions alimentaires pourtant Avec l’élévation du niveau de vie, la trielles et le poids désormais prépon-
présentes sur le marché européen sont préférence des consommateurs pour dérant de la grande distribution dans
interdites à l’exportation vers certains la variété a fait bon accueil à l’accrois- la commercialisation.
pays. C’est le cas des fromages au lait cru sement de la différenciation des pro-
et de certaines salaisons européennes duits. S’y est ajouté une croissance Le Label Rouge, développé en France,
qui sont interdites aux États-Unis. des préférences pour l’environnement, est accessible à tous les agriculteurs.
un souci du bien-être animal et une Il ne repose que sur des contraintes
Les enjeux commerciaux autour crainte suscitée par les crises sani- techniques, en termes de nutrition et
des normes sanitaires sont donc très taires ou les organismes génétique- d’âge des animaux ainsi que sur des
importants, comme le montrent les ment modifiés (Bouamra-Mechelache, tests organoleptiques. Son succès est
débats et les inquiétudes qui ont cours 2016). L’explosion des marques, des manifeste dans la volaille de chair, avec
autour des négociations d’accords de labels et la combinaison de différents un quart des ventes. Devenu un espace

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de concurrence, les opérateurs sur ce La reproductibilité des succès du Comté de consentement à payer des consom-
marché n’ont de cesse d’ajouter des ou du Parmiggiano Reggiano est incer- mateurs ciblés (Combe et Mucchielli,
indications d’origine géographique taine. Elle suppose une adhésion des 2011). Le deuxième arbitrage concerne
ou d’autres informations différenciées consommateurs qui ne se décrète pas le surcoût associé aux études de mar-
plus ou moins réglementées à caractère et une discipline de l’interprofession qui chés, à l’établissement des normes, à
social, environnemental ou sanitaire repose aussi sur des facteurs humains leur vérification par un dispositif dédié
(plein air, fermier, sans OGM). (Dervillé, 2012). et à leur publicité. Ces coûts com-
portent des coûts fixes, indépendants
Les stratégies de terroirs (AOP, Indi­ En dépit de quelques réussites phares, du volume produit, ce qui nécessite une
cation Géographique Protégée – IPG –, surtout en fromages, les signes officiels production minimale pour être amortis.
Spécialité Traditionnelle Garantie d’origine géographique sont surtout
– STG –) sont fondées sur une typicité efficaces dans leur pays d’origine ; les Quand le processus de différencia-
de certains produits provenant de exportations hors UE sont, en effet, très tion peut être maîtrisé par un seul
conditions naturelles et/ou de savoir- faibles ; ceci rappelle que la stratégie à acteur, en général un transformateur
faire locaux spécifiques. Les règles l’export concerne le plus souvent des de grande taille dans une stratégie de
européennes en la matière ont été har- produits standards. Si ces signes de marque, ces arbitrages sont plus faciles
monisées en 1992, avec la reconnais- qualité ont un intérêt crucial pour le (Gaigné et Larue, 2016). Cette démarche
sance et la protection des indications maintien de l’identité culturelle des ter- caractérise par exemple les innovations
géographiques. Les profils nationaux roirs, notamment dans quelques pays multiples des grandes marques sur les
découlent pour une part des appella- (Italie, Grèce et France), leurs parts de produits laitiers frais. En outre, le trans-
tions historiques. Les États membres marché sont encore limitées aux envi- formateur dispose alors d’un certain
de l’UE se sont efforcés depuis de rons de 10 % pour les produits laitiers pouvoir de monopole vis-à-vis des dis-
faire reconnaître un grand nombre de et de moins de 3 % pour les viandes. tributeurs lui permettant de récupérer
spécialités régionales dans tous les À l’exception notable de la France pour une plus grande part du supplément du
types de produits et de recettes. Leur les produits laitiers, les indications prix. Les producteurs ne sont cependant
nombre a doublé en vingt ans. Le suivi d’origine se développent davantage pas nécessairement invités à en béné-
des volumes est cependant déficient dans les pays dont le solde commer- ficier. Dans un contexte où la transfor-
au niveau européen et il est difficile de cial s’est dégradé. Cette démarche est mation du bien différencié est localisée
dire s’ils ont suivi une progression aussi donc surtout de nature défensive et basée sur des investissements diffici-
forte. Les cahiers des charges corres- pour les productions territorialisées lement récupérables, il n’est pas exclu
pondants peuvent être limités à une qui sont concurrencées par l’élargis- qu’une organisation de producteurs de
recette, à un type de transformation sement des marchés. Dans quelques proximité puisse améliorer ce partage
ou à une origine des produits, ou bien cas, elle contribue à la définition de à leur profit, en récupérant au moins la
prescrire un ensemble de contraintes produits haut de gamme dont la noto- valeur des coûts de transport d’appro-
de production, de transformation et riété dépasse les frontières culturelles. visionnements plus lointain.
de commercialisation et packaging. La Cependant, les possibilités d’accroisse-
force et la faiblesse de ces démarches ment des productions sont limitées par La coordination est plus compliquée
résident dans les contraintes histo- l’aire géographique de référence et les pour les stratégies collectives, en parti-
riques et géographiques qui déter- contraintes techniques associées à la culier lorsqu’elles impliquent des pro-
minent la typicité. La force provient définition du produit. Le débat autour cessus de différenciation ancrés dans les
de l’attachement culturel des consom- de la thermisation du lait pour certains exploitations. Sur ce point, il convient de
mateurs de proximité à ces produits. fromages au lait cru illustre bien les bien distinguer les labels de qualité qui
La faiblesse provient des contraintes difficultés techniques d’insertion des sont basés sur des cahiers des charges
techniques imposées et de ses surcoûts signes officiels de qualité et d’origine accessibles à tous et les indications géo-
induits. Les marges de manœuvre sont (SIQO) dans des logiques industrielles. graphiques et appellations d’origine
donc réduites pour élargir les marchés. Les succès de certaines appellations, réservées à des territoires bien délimi-
Ainsi, un certain nombre d’appellations en particulier italiennes, montrent que tés. Il existe une grande diversité de
restent-elles confidentielles et peinent des coordinations verticales peuvent stratégies et de déterminants condui-
à dégager une rente de monopole être conciliables avec des coordinations sant à tel ou tel niveau de contrainte
suffisante pour couvrir ces surcoûts territoriales. sur les processus de production (Yu
inévitables. Les plus connues, comme et Bouamra-Mechemache, 2016). Ces
le Comté, sont celles où la stratégie a c. La captation déterminants sont la flexibilité de la
conservé un noyau dur de contraintes de la valeur ajoutée issue demande relativement à celle de l’offre,
assurant la qualité du produit et sa de la différenciation la structure de la concurrence entre les
régularité tout en intégrant les innova- Du point de vue des producteurs et différents maillons de la filière et les
tions et les opportunités d’économie des transformateurs, le premier arbi- caractéristiques de la technologie agri-
d’échelle, dans l’automatisation de trage concerne le surcoût technique cole. Ces stratégies collectives peuvent
l’affinage et un packaging adapté à la pour atteindre la qualité différenciée être pilotées par un acteur individuel,
grande distribution dans cet exemple. qui doit être inférieure à la différence le plus souvent un transformateur ou

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Les performances économiques de l’élevage européen : de la « compétitivité coût » à la « compétitivité hors coût » / 185

un distributeur qui commande la filière, s­ urtout de la Suisse (achats de fromages progressé au cours de la période récente
ou par un collectif d’acteurs incluant de qualité) et de la Nouvelle-Zélande en raison d’une hausse des achats asia-
ou non une régulation par les pouvoirs (achats de beurre). La très grande diver- tiques (Chine, Japon et Corée du Sud).
publics. sité de produits laitiers existants déjà sur Dans le secteur de la viande de volaille,
le marché domestique, l’exigence des l’UE est excédentaire en volume, mais
Trois conditions sont nécessaires pouvoirs publics européens (exemple : déficitaire en valeur, ce qui indique que
pour qu’une contrainte productive plus interdiction de l’utilisation de l’hormone les produits exportés sont moins chers à
forte soit bénéfique aux agriculteurs, de croissance bovine recombinante), la tonne que les produits importés. Les
au détriment de la marge des transfor- les droits de douanes et la présence importations européennes se font prin-
mateurs : i) une demande rigide, où la de groupes industriels performants à cipalement en provenance de deux pays,
consommation du bien différencié réa- l’échelle internationale constituent des le Brésil (poulets) et la Thaïlande (prépa-
git peu à son propre prix ; ii) l’existence freins au développement des impor- rations à base de volailles), où les coûts
d’un pouvoir de marché du transforma- tations européennes dans ce secteur. de production sont plus avantageux. Les
teur sur le marché final, lui permettant En l’absence de quotas à la production exportations européennes de produits
d’extraire le consentement à payer des depuis 2015, l’offre laitière a progressé de qualité, comme les poulets Label
consommateurs ; iii) la contrainte doit et les exportations européennes de Rouge fréquents en France, sont très
davantage affecter le coût marginal de produits laitiers se sont développées à faibles en raison d’une demande mon-
la production agricole que ses coûts destination surtout de pays asiatiques, diale plus sensible à un bas niveau de
fixes. Lorsqu’ils sont partie prenante des dont la Chine où les consommateurs prix qu’aux modèles productifs adoptés.
stratégies de différenciation comme se sont pour partie détournés de l’offre
c’est le cas pour les SIQO, les pouvoirs intérieure suite au scandale du lait fre- Le positionnement concurrentiel
publics n’ont donc pas seulement un laté à la mélamine. Si l’UE est moins d’une zone géographique n’est pas
rôle pour la protection des consomma- compétitive au niveau des coûts que la guidé exclusivement par le seul niveau
teurs et de l’environnement. Ils peuvent Nouvelle-Zélande pour la poudre de lait de ses coûts de production, même si
aussi influer sur la formation et le par- entier, l’importance de son offre inté- ceux-ci sont souvent déterminants dans
tage de la rente monopolistique entre rieure et son savoir-faire technologique le cas de biens standardisés. Au sein de
les différents maillons de la filière. sont des atouts incontestables. Dans le l’UE, plusieurs facteurs contribuent à ce
secteur de la viande bovine, l’UE pré- que le niveau des coûts de production
sente une balance commerciale proche en élevage ne soit pas toujours compé-
Conclusion de l’équilibre. Elle n’est pas compétitive titif par rapport à ceux de pays concur-
au niveau des coûts par rapport aux rents sur les marchés internationaux :
L’UE occupe une place importante à grands exportateurs que sont le Brésil, les exploitations d’élevage sont des
l’échelle internationale dans le domaine l’Australie, l’Inde et les États-Unis. Les structures familiales de taille modeste
des productions animales. En dépit exportations sont donc historiquement comparativement à certains pays (États-
d’un niveau élevé de consommation limitées et destinées d’abord à des pays Unis, Brésil…) où les économies de taille
de protéines animales par habitant peu éloignés géographiquement et peuvent parfois se manifester sur cer-
et par an, du moins par rapport à de à haut niveau de pouvoir d’achat, tels tains postes de charges ; le coût de la
nombreux pays en développement, que la Suisse, Israël et la Norvège ou main-d’œuvre est souvent plus élevé
l’UE parvient à dégager une balance alors à des bovins vivants vers les pays que dans de nombreux autres pays
commerciale largement positive dans du pourtour méditerranéen. Grâce aux concurrents, dont ceux de l’Amérique
ce secteur. Ce constat global ne doit droits de douanes résiduels appliqués du sud ; le prix d’acquisition du foncier
pas masquer, d’une part, l’existence de aux frontières de l’UE, à l’exigence des agricole atteint des niveaux records
situations contrastées selon les filières pouvoirs publics en matière de règles dans certains États membres (dont aux
productives et, d’autre part, la présence sanitaires sur les produits importés Pays-Bas, en Italie et en Irlande) ; les
d’importants flux d’échanges entre les (opposition aux États-Unis sur le bœuf normes (sanitaires, environnementales,
différents États membres. aux hormones, inspection et habilitation sociales…) appliquées tant à l’amont
des structures exportatrices au Brésil…), qu’à l’aval sont très souvent plus exi-
Dans le secteur du lait et des produits à la réduction des besoins intérieurs en geantes que celles qui prévalent ail-
laitiers, le niveau des prix au sein de l’UE viande bovine et à l’intérêt renforcé de leurs, ceci limitant le potentiel productif
est devenu proche de celui des autres certains consommateurs pour les pro- et/ou influant négativement le niveau
grands pays exportateurs (Nouvelle- ductions locales, les importations euro- des coûts de production.
Zélande et États-Unis), en raison notam- péennes s’inscrivent à la baisse depuis
ment de l’application dans le cadre de la plusieurs années. Dans le secteur por- Dans le domaine des biens alimen-
PAC d’une baisse des prix garantis com- cin, les importations européennes sont, taires, l’obtention de coûts de produc-
pensée par l’octroi d’aides directes aux et depuis longtemps, insignifiantes. En tion plus élevés que la concurrence n’est
agriculteurs. Les importations de pro- dépit d’un revers de fortune lié à l’em- pas systématiquement un handicap
duits laitiers sur le marché européen sont bargo russe, et de la concurrence amé- insurmontable pour le vendeur dans la
très faibles (moins de 1 % de la consom- ricaine et canadienne, les exportations mesure où les produits commercialisés
mation intérieure) et proviennent européennes de viande porcine ont ne sont pas toujours perçus comme

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186 / Vincent chatellier, Pierre dupraz

étant strictement identiques par les le rendement. Cependant les succès mance des entreprises européennes sur
acheteurs/consommateurs. En effet, le observés dans ce domaine tiennent à les marchés extérieurs ;
consentement à payer de ces derniers une adaptation concertée des normes
peut être influencé par des considé- techniques garantissant les qualités iv) comprendre l’influence des normes
rations variées comme la provenance valorisées par les consommateurs, tout privées (par exemple, grande distribu-
géographique du produit (préférence en permettant les économies de taille tion) et publiques (mesures non tari-
pour les productions locales, les pro- aux différents échelons de la filière. faires et signes officiels de qualités) sur
ductions de montagne…) ; le modèle la capacité des entreprises européennes
productif sous-jacent à sa production Pour éclairer davantage le volet de la à conquérir de nouveaux marchés.
(refus de la viande avec hormone et des compétitivité au sein de l’UE et de ses États
produits avec OGM, préférence pour le membres, il semble nécessaire que des
Les recherches conduites autour de ces
Label Rouge ou les AOP, intérêt porté travaux complémentaires soient menés
questions impliquent de faire progresser
au bien-être animal…) ; la pression sur les économies de taille, les économies
les méthodologies existantes et de dis-
environnementale induite (préférence de gamme et les effets d’agglomération
poser de données statistiques fines. Or, à
pour l’agriculture biologique…) ; le dans les filières animales, tant en amont
la lumière de certains débats qui ont lieu
modèle social qui en résulte (préférence qu’en aval. Des investigations doivent être
sur les travaux issus de l’observatoire des
pour des produits issus du commerce envisagées pour notamment :
prix et des marges des produits alimen-
équitable), etc. Si ces considérations
taires, force est de constater que l’accès
ont encore peu d’importance dans de i) appréhender les implications éco-
à des données pertinentes de l’aval n’est
nombreux pays en développement où nomiques des différents modes de
pas toujours simple.
le pouvoir d’achat des consommateurs coordinations verticales et horizontales
est faible et la part de l‘alimentation (intégration, contractualisation, coo-
dans le budget des ménages est écra- pératives et organisations de produc- Remerciements
sante, la situation est différente pour teurs) en termes de création de valeur
une part croissante de la population et de partage de celle-ci ;
des pays industrialisés et émergents. Ce travail, qui s’inscrit dans le cadre
Ainsi la compétitivité coût et la com- ii) analyser l’influence des politiques du projet COMPANI (COMPétitivité
pétitivité hors coût ne doivent pas être publiques (fiscalité, normes et paiements des filières ANImales françaises) coor-
opposées, mais combinées au mieux sanitaires, sociaux et environnementaux) donné par Stéphane Turolla (INRA, UMR
dans chaque situation. La démarcation sur l’investissement, la gestion du risque SMART-LERECO), a bénéficié de l’appui
de certains produits, typiquement les et l’innovation de procédé ; financier du Ministère en charge de
AOP, pose une limite physique à l’ac- l’Agriculture. Nous remercions Carl
croissement de leur production en rai- iii) discuter du rôle de la qualité des Gaigné (INRA, UMR SMART-LERECO)
son d’un bassin de production délimité produits, du coût de sa traçabilité et de pour la relecture constructive d’une
et d’un cahier des charges restreignant l’innovation de produit dans la perfor- première version de ce texte.

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try structure, and welfare in a global economy. Am. la concurrence européenne et mondiale. Econ. Rurale, standards, competition and vertical relationship. Eur.
J. Agricult. Econ., 98, 1432-1449. 364, 109-127. Rev. Agricult. Econ., 43, 79-111.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


188 / Vincent chatellier, Pierre dupraz

Résumé
L’Union Européenne (UE) occupe, et depuis longtemps, une place importante dans les activités d’élevage à l’échelle internationale, tant en
termes de production que de participation aux échanges. En dépit d’un puissant mouvement de restructuration, imputable surtout aux gains
de productivité des facteurs, l’élevage européen rassemble des exploitations agricoles encore très hétérogènes en termes de combinaisons
productives, de taille, de structuration sociale, d’intensification et de performances économiques. Pour en rendre compte, et partant des
données du Réseau d’Information Comptable Agricole (RICA), une analyse de la diversité des situations structurelles et économiques est
conduite pour les exploitations spécialisées dans les productions de lait, de viande bovine et de granivores (porcs et volailles), ce pour les
dix États membres de l’UE les plus productifs en productions animales. Cette étape est un préalable nécessaire à la réflexion qui s’engage
ensuite sur les principaux leviers de la performance économique des productions animales européennes. Deux types de leviers sont alors
distingués. Le premier concerne la « compétitivité coût ». Il aborde successivement les substitutions entre facteurs de production, les
économies d’échelle, la concentration géographique des productions, la structuration des filières et l’influence des politiques agricoles. Le
second concerne la « compétitivité hors coût ». Il traite de la qualité sanitaire des productions animales, de la différenciation des produits
et des processus de production et des conditions de la captation de la valeur induite par les producteurs.

Abstract
The economic performance of European livestock farming: From the “cost competitiveness” to the “non-cost
competitiveness”
The European Union (EU) has, since a long time, an important role in the international livestock industry chains, both in terms of production and
trade. In spite of a strong restructuring movement, mainly due to factor productivity gains, European livestock brings together farms that are still
very heterogeneous in terms of productive combinations, size, social structuring, intensification and economic performance. To report on it, and
based on data issued from the Farm Accountancy Data Network (FADN), an analysis of the diversity of structural and economic situations is conduc-
ted for farms specializing in the production of milk, beef and pigs/poultry, for the ten most productive EU Member States in animal production.
This stage is a prerequisite for reflection, which begins after on the main levers of the economic performance of European animal productions.
Two types of levers are then distinguished. The first concerns “cost competitiveness”. It successively discusses the substitutions between factors
of production, the economies of scale, the geographical concentration of production, the structuring of sectors and the influence of agricultural
policies. The second concerns “non-cost competitiveness”. It deals with the sanitary quality of animal productions, the differentiation of products
and production processes, and the conditions for the capturing of added value induced by producers.

CHATELLIER V., DUPRAZ P., 2019. Les performances économiques de l’élevage européen : de la « compétitivité coût » à la « compétitivité
hors coût ». In : Numéro spécial. De grands défis et des solutions pour l’élevage. Baumont R. (Éd). INRA Prod. Anim., 32, 171-188.
https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2479

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Élevage et territoires : INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 189-204

quelles interactions
et quelles questions ?
Jacques LASSEUR1, Thierry BONAUDO2, Jean-Philippe CHOISIS1, Marie HOUDART3, Martine NAPOLÉONE1, Muriel TICHIT†2,
Benoît DEDIEU4
1
SELMET, Université Montpellier, INRA, Montpellier SupAgro, CIRAD, 34000, Montpellier, France
2
UMR SAD-APT, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, 75000, Paris, France
3
IRSTEA-UMR Territoires, Aubière, cedex, France
4
INRA, Sciences pour l’Action et le Développement, Theix, Saint-Genès-Champanelle, 63122, France
Courriel : jacques.lasseur@inra.fr

„„ Les activités d’élevage sont régulièrement remises en question pour leurs impacts environnementaux mais la
demande mondiale en augmentation régulière nécessiterait de poursuivre le développement des productions
animales. En quoi mieux intégrer les dimensions territoriales des activités d’élevage contribuerait-il à redéfinir
les formes futures d’un élevage durable ?

Introduction Certaines recherches construisent des Pour interroger ce futur de l’élevage,-


argumentaires basés sur des critères Godard et Hubert (2002) ainsi que Zahn
d’efficience, sur la remise en cause et al. (2015) nous invitent à dépasser les
Les activités d’élevage sont régulière- des modalités d’usage de telle ou telle questions de durabilité « interne » des
ment remises en question en regard des ressource ou via l’évaluation multicri- modèles agricoles et à nous intéresser
grands équilibres écologiques de la pla- tères (Lairez et al., 2017). D’autres éta- aussi à la durabilité « étendue » à l’échelle
nète (émissions de Gaz à Effet de Serre, blissent des hiérarchies entre modèles territoriale. Pour ces auteurs, ce qui est
dégradations des terres…) (Steinfeld de production (industriel, à l’herbe) ou en jeu du point de vue de la durabilité
et al., 2006). La production de biens espèces animales (Godfray et al., 2018). interne concerne la capacité du système
animaux est ainsi associée au chan- Les analyses et les explorations des considéré à se maintenir en conservant
gement climatique, au changement leviers d’amélioration de l’efficience ses capacités productives, en renouve-
d’usage des sols, à la perte de biodiver- sont conduites en considérant des sys- lant les ressources dont il dépend et en
sité et à la pollution de l’air et de l’eau tèmes de production qui peuvent être répondant aux enjeux économiques
(Alkemade et al., 2013 ; Garnett, 2017). rattachés à des espaces aux caractéris- et de filières. L’espace d’inscription de
Dans le même temps, il s’agit aussi de tiques propres (potentialités ou handi- ces systèmes de production combine
satisfaire une demande mondiale en caps, liens à l’amont et à l’aval ; part de un ensemble d’éléments relatifs aux
augmentation régulière qui nécessite- l’herbe) et densité d’animaux (Hercule milieux et climats, à ces ressources, à
rait de poursuivre le développement et al., 2017). Ainsi à l’échelle planétaire, ces filières et aux politiques s’appuyant
des productions animales (HLPE, 2016). on pourra étudier les voies d’améliora- sur des zonages (handicap, montagne,
Quelles seront les formes à venir d’un tion des systèmes herbagers intensifs eau). La durabilité étendue porte, elle,
élevage durable ? localisés dans des bassins tropicaux sur la capacité de l’activité considérée à
ou à l’échelle nationale questionner contribuer à « la durabilité territoriale »
Le débat est alimenté par des le devenir des systèmes herbagers du qui implique la relation à d’autres por-
réflexions réalisées à l’échelle plané- Massif central (Cerles et al., 2017) ou teurs d’enjeux et la capacité de l’acti-
taire (HPLE, 2016) ou continentale l’efficacité des politiques de soutien de vité à intégrer les intérêts propres de
(ATF, 2016), autour de modèles tels l’élevage en zones défavorisées via les l’ensemble des porteurs d’enjeux (y
que celui de l’agroécologie ou de l’in- ICHN (Indemnités compensatoires de compris agricoles). Cet élargissement
tensification durable (Gill et al., 2018). handicaps naturels) (Hanus et al., 2018). de point de vue suppose de considérer

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2504 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


190 / Jacques lasseur et al.

les diverses dimensions (sociales, éco- troisième partie ce que ces approches de façon centrale un milieu, des a­ ctivités
logiques, paysagères, identitaires…) amènent de perspectives de recherche et des acteurs (Manoli et al., 2011). Le
impliquées dans les débats et projets sur l’élevage. territoire est envisagé dans cet article à
collectifs locaux portant ou jouant sur la l’échelle locale, c’est-à-dire en lien i) avec
contribution de l’activité à la durabilité des systèmes ­d’interconnexions et d’in-
du territoire Ainsi, les perspectives de
1. Interactions terconnaissances entre acteurs, avec des
l’activité d’élevage seraient, au-delà des « Élevage et Territoire » : valeurs et des savoirs portés dans l’action
dynamiques propres au secteur et des de quoi parle-t-on ? collective, ii) avec des milieux supports
spécificités de milieux, dépendantes de de services écosystémiques, et iii) avec
la capacité à organiser des interactions des acteurs concernés par la contribution
avec d’autres acteurs qui font « commu- Le territoire est une notion du langage de l’élevage au développement durable.
nauté » à l’échelle territoriale, interac- commun. C’est aussi un concept et un Son contour peut être celui d’une entité
tions qui soient porteuses de nouvelles objet de recherche pour plusieurs dis- administrative et politique (par exemple
ressources pour son développement. ciplines de sciences humaines et tech- l’aire d’une communauté de communes,
niques. Nous précisons dans un premier d’un Parc Naturel Régional) ou celui d’un
Sans négliger les recherches por- temps de quelle définition du territoire ou de projets portés par des acteurs
tant sur les conditions d’une dura- nous nous rapprochons en tant que (l’aire d’une appellation d’origine, l’es-
bilité « interne » des systèmes de partie prenante de recherches pluri- pace d’un projet de développement
production dans les espaces ruraux, disciplinaires aux contours définis plus local, ou encore le bassin de collecte
recherches portées notamment par haut. Puis nous listerons les grandes d’un opérateur coopératif).
les zootechniciens et les économistes, questions qui jalonnent le domaine de
c’est cette deuxième acception, de la recherche des « interactions élevage- Le concept de territoire est particu-
durabilité « étendue », des interactions territoire » tel que nous l’avons défini lièrement mobilisé, depuis plusieurs
entre élevage et territoire mettant en en relation avec la notion de durabilité décennies, pour analyser les activités
jeu les acteurs hétérogènes concer- « étendue ». Enfin, nous évoquerons la productives en regard des enjeux de
nés par l’élevage et son devenir, qui question plus spécifique de la contribu- développement local. Il l’est, dans un
fait l’objet de cet article. Pour expli- tion des acteurs de l’élevage à la gou- premier temps, en alternative aux ins-
citer les façons dont ces interactions vernance territoriale. truments de marché comme moteur
sont traitées par les chercheurs, nous du développement lorsque le territoire
nous appuyons sur différents projets „„1.1. Le territoire : est identifié comme « un milieu d’in-
financés notamment le projet MOUVE définition et positionnement novation » (Lamara, 2009). Les acteurs
(Les interactions Élevage et Territoire concernés au sein d’un espace donné
dans la mise en mouvement de l’in- La notion de territoire fait l’objet peuvent impulser des dynamiques de
tensification écologique, Dedieu et al., d’une littérature très abondante dans développement spécifiques en valori-
2010) et les dispositifs d’animation-for- différentes disciplines : c’est un objet sant des ressources territoriales latentes
mation inter-organismes tels que central pour la géographie et essen- (Pecqueur, 2006). Ainsi, les paniers de
l’École Chercheur Élevage et Territoire tiel pour l’économie et les sciences de biens et des services (Dissart et al., 2014)
(Étienne, 2014) et le séminaire per- gestion. L’agronomie des territoires est déconnectent les produits locaux de
manent « Élevage et développement une déclinaison plus récente (Benoit et productions standard vis-à-vis desquels
durable des territoires »1. L’ensemble al., 2009). La zootechnie des systèmes ces acteurs ne disposent pas d’avan-
de ces dispositifs ont mobilisé des d’élevage s’est emparée de l’objet, tages concurrentiels particuliers. Ces
chercheurs de disciplines différentes, depuis les années 1990, avec les travaux démarchent permettent de mettre en
zootechniciens des systèmes d’élevage, sur les indications géographiques et ce exergue certains services spécifiques
agronomes, géographes, écologues qu’elles portent d’interactions avec des (paysage ouvert, identité) liés aux modes
et sociologues et ont mobilisés des lieux, des pratiques et des savoirs faire de production. Plus récemment, les
données issues de régions variées en d’un territoire de projet collectif dans évolutions sociétales renforçant l’hété-
France et à l’étranger. Dans un premier les produits. Plus récemment, l’interac- rogénéité des acteurs (en particulier en
temps, nous spécifierons ce que traiter tion entre élevage et territoire a donné milieu rural) et la volonté d’implication
des interactions entre élevage et terri- lieu à d’autres développements consi- des populations mues par une aspiration
toire signifie lorsqu’il s’agit de rendre dérant les impacts de l’activité d’éle- à la « participation citoyenne », couplées
compte de l’idée de durabilité « élar- vage sur l’espace (Dedieu et al., 2010 ; à la multiplication des échelons de mise
gie ». Puis nous présenterons quatre Balent et al., 2015) ou introduisant les en œuvre des actions publiques, ren-
illustrations de défis actuels de la points de vue des acteurs du territoire forcent l’enjeu d’analyser les activités et
recherche sur les interactions élevage sur cette activité (Dupré et al., 2015). leurs transformations en lien aux dispo-
et territoire et discuterons dans une sitifs de gouvernance territoriale. Cette
La définition que nous retenons de ter- dernière se définit comme un processus
ritoire identifie une « étendue terrestre impliquant les populations, et mouve-
1  https://umr-selmet.cirad.fr/seminaires/ utilisée et aménagée par des sociétés ments les représentant, à l’élaboration
seminaire-permanent-elevage-et-territoires humaines » (Brunet et al., 1992). Il relie de décisions, prises dans une imbrica-

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Élevage et territoires : quelles interactions et quelles questions ? / 191

tion de niveaux du très local au global al. (2018), pour penser le futur des acti- écologiques spécifiques (biodiversité,
(Guiomar, 2011 ; Torre, 2011 ; Rey-Valette vités agricoles impliquant des dimen- dynamiques paysagère) (Shereen et al.,
et al., 2014). Ces auteurs soulignent ainsi sions territoriales, nous avons décliné 2015) ou plus distanciées du fait de la
les enjeux de r­ éappropriation locale des plusieurs axes de recherche nécessaires nature des données à l’échelle Petite
questions agricoles, soit dans le cadre au meilleur traitement des relations Région Agricole (Ryschawy et al., 2017).
du développement des circuits courts élevage et territoire. Nous résumons ici
de produits alimentaires, soit en lien à leur expression générale. b. Analyser la diversité
des objectifs de réaffirmation de l’iden- et la dynamique
tité locale, souvent centrée sur l’activité a. Mobiliser de nouvelles des activités d’élevage
agricole, mené par de nombreuses col- métriques pour mesurer et les complémentarités
lectivités territoriales. les impacts des activités entre modèles d’élevage
d’élevage à l’échelle des et alimentaires pour relier
L’évaluation des dynamiques ter- paysages ou des espaces local et global
ritoriales des activités en regard de continus en vue d’alimenter Dès que l’on se situe à l’échelle terri-
leurs contributions à des processus de le débat entre acteurs toriale, la diversité des systèmes d’éle-
développement inclusif est un enjeu Il s’agit là de mieux identifier et vage est patente. Entre globalisation et
croissant pour l’analyse des actions caractériser, sur un territoire considéré territorialisation, cette diversité est en
publiques. Notamment pour l’UE dont comme un espace support d’activités, partie imputable à la complexité des
les enjeux de cohésion sociale et ter- les impacts des activités d’élevage, facteurs influençant les dynamiques
ritoriale ont été réaffirmés dans les seules ou en association, pour rendre d’élevage, depuis la demande des
accords de Lisbonne, en 2009. Dans le compte de fonctionnalités socioécolo- consommateurs jusqu’aux politiques
domaine scientifique, cinq dimensions giques qui dépassent la seule produc- publiques et lois du marché, en passant
sont proposées par Sanchez-Zamorra et tion de biens alimentaires et associer par les conditions naturelles de produc-
al. (2014) pour évaluer ces dynamiques ces évaluations à des dispositifs per- tion, et enfin par les dynamiques fon-
territoriales : économiques (accès aux mettant d’organiser des interactions cières et l’effet des autres opportunités
ressources, compétitivité, emploi…), sociales et contribuer à l’émergence de d’emploi de la main-d’œuvre familiale
sociales (sentiment d’appartenance à projets collectifs (Barnaud et al., 2018). que la spécialisation vers l’agriculture.
un collectif, inclusion et gestion de la Les contributions positives restent Mais ce qui fait diversité, ce que l’on
diversité), environnementales (gestion difficiles à quantifier. Elles n’ont pas va retenir comme critères de différen-
durable des écosystèmes et des res- de valeur marchande et sont généra- ciation est variable selon les études. Il
sources), institutionnelles (capacité à lement négligées par les décideurs et peut s’agir d’analyser les mécanismes
promouvoir l’agrément entre acteurs et mal appréhendées par les citoyens. La de différenciation des systèmes de pro-
la coopération), enfin la capacité du ter- caractérisation des services et de bou- duction sur des ensembles territoriaux
ritoire à promouvoir un développement quets de services rendus par l’élevage permettant aux acteurs (agricoles et
équilibré. Caron et al (2018) soulignent est alors une voie d’analyse des acti- non agricoles) de disposer d’une vision
le rôle crucial des approches territoriales vités qui peut permettre un état des élaborée de la diversité en lieu et place
pour redéfinir des politiques de déve- lieux plus fourni de ce à quoi contribue d’une approche par le système le plus
loppement permettant d’implémenter l’élevage mais aussi l’expression et la fréquent ou celui qui domine (espace,
des systèmes alimentaires durables. La concrétisation de projets concertés poids économique brut). Ces analyses
prise en compte des enjeux de terri- visant à faire évoluer les bouquets. portent sur les dimensions structurelles
toire élargit ainsi considérablement, en (y compris la pluriactivité), productives,
référence à des approches sectorielles, L’évaluation du degré de couplage économiques et d’insertion dans des
les éléments à considérer pour tracer entre l’activité d’élevage et d’autres dynamiques locales et de filières. Elles
les futurs des activités d’élevage. Trois activités est un autre enjeu de la carac- permettent d’accéder à une mise en
prérequis sont ainsi pointés par ces térisation des interactions auxquelles perspectives de ce qui a marqué les
auteurs pour impulser ces politiques : est associé l’élevage pour analyser sa différenciations entre systèmes d’éle-
l’adoption de nouvelles métriques d’ob- contribution au bouclage des cycles vage dans les territoires en s’intéressant,
servation des activités, une meilleure bio-géo-chimiques. Nous proposerons dans le cadre de diagnostics agraires,
mise en relation du local et du global deux illustrations des défis scientifiques à la transformation des systèmes de
et enfin le développement d’approches actuels dans la partie suivante. D’une production sur le temps long, tout en
territoriales pour conforter l’émergence façon générale, les acteurs sont souvent s’appuyant sur une analyse fine des faits
d’innovation dans les pratiques. peu présents dans la construction des techniques (Cochet et al., 2007).
métriques et la caractérisation des bou-
„„1.2. Interactions quets ou des flux. Mais les démarches Une autre voie d’analyse vise à rendre
élevage – territoire : d’accompagnement de projets de ges- compte des interactions entre local et
quelles questions ? tion concertées multi acteurs y ont de global en analysant les dynamiques des
plus en plus recours. Les métriques systèmes agri-alimentaires à l’échelle
Sur la base de ces trois domaines peuvent être spatialement explicites, ce de bassins. Les questions portent alors
d’investigation, pointés par Caron et qui permet d’explorer des composantes sur ce que produisent la diversité et la

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


192 / Jacques lasseur et al.

coexistence de ces systèmes (ou des L’inscription du territoire dans l’éle- ­ éveloppement des territoires en alter-
d
modèles qui en rendent compte), à vage et dans ses produits a porté depuis native à des interventions publiques
l’échelle du territoire. L’analyse peut être plusieurs décennies des recherches « top down » souvent délégitimées dans
conduite pour rendre compte de l’en- contribuant à ces interactions avec leur promotion de chemins du dévelop-
semble des interactions entre systèmes les acteurs des territoires. Les plus pement pour le futur (Torre, 2018). Elle
techniques et diversité des ressources anciennes renvoient à ce que les signes repose sur un processus de confronta-
mobilisées dans l’espace, notamment de qualité véhiculent de terroirs, savoirs tion de points de vue contrastés et de
celles qui se révèlent socialement faire et ressources spécifiques ou ce que légitimation, conduisant à la définition
sensibles ou porteuses d’enjeux envi- les populations animales locales expri- de nouvelles formes d’activités (Caron,
ronnementaux. Elle peut également ment d’aptitudes en lien très direct 2017). Analyser et modéliser ces dyna-
s’intéresser aux circuits de transforma- avec le milieu, les agroécosystèmes miques non prédéterminées de transi-
tion – distribution et interroger ainsi et les pratiques d’élevage, incluant la tion vers des formes de développement
les modèles de systèmes alimentaires mobilité (Lauvie et al., 2015 ; Casabianca durable des territoires repose sur deux
et la façon dont ils contribuent à l’ap- et Millet, 2018). Ces travaux se pour- familles d’approches systémiques mul-
provisionnement local. Un enjeu fort suivent aujourd’hui notamment sur le ti-échelles, l’une se référant au champ
de ces travaux consiste en la mise en plan des tensions et enjeux d’adapta- sociotechnique, analysant les moda-
œuvre d’analyses comparatives de pro- tion des cahiers des charges des signes lités d’émergence des innovations en
cessus de développement permettant de qualité avec le changement global, privilégiant l’analyse des interactions
de dépasser le caractère éminemment les dynamiques (souvent d‘agrandis- entre société et techniques, tandis que
situé des observations réalisées sur des sement) des exploitations et les inno- l’autre se réfère au champ socio écolo-
études de cas locales. Nous propose- vations que souhaitent mobiliser les gique, privilégiant les interactions entre
rons une illustration de ces recherches agriculteurs (robot, monotraite…). Ils dynamique des activités humaines, des
dans la partie suivante. se renouvellent avec le développement écosystèmes et des ressources (Ollivier
des systèmes alimentaires urbains et les et al., 2018).
c. S’appuyer sur les interactions spécifications que les acteurs des terri-
entre acteurs des territoires toires urbains (collectivités territoriales, L’identification i) de la diversité des
pour favoriser groupes de consommateurs) adressent perceptions des institutions et acteurs
l’émergence d’innovations aux agriculteurs et éleveurs sur ce qui locaux vis-à-vis de l’activité, ii) des
dans les activités d’élevage fait « production locale », à proximité controverses et débats que suscitent
renforçant la durabilité et en relation avec les centres urbains ses évolutions devient alors un enjeu
territoriale (Delfosse et al., 2017). En retour ces pro- fort. Les cadres organisationnels et lieux
Il s’agit d’analyser les activités d’élevage duits spécifiques, ces races ancrées dans d’échanges permettant aux agriculteurs
et leurs inscriptions dans les dynamiques les territoires sont de forts marqueurs de mener un travail de légitimation des
locales pour renforcer les convergences identitaires au service du développe- pratiques pour peser dans ces débats,
aux attentes des acteurs. Celles-ci sont ment local. Ils contribuent aux paniers font souvent défaut (Compagnone et
souvent exposées par des acteurs locaux de biens et services qui supportent les al., 2015). Des questions portent sur
par opposition à des dynamiques des dynamiques économiques notamment l’élaboration des cadres conceptuels et
activités mues par des déterminants en lien avec le tourisme (Angeon et méthodologies permettant de favori-
économiques globaux qui s’impose- Vollet, 2008). ser l’explicitation des points de vue, la
raient sous l’effet de la mondialisation conception de dispositifs favorisant la
des échanges. Face à une fragmentation „„1.3. L’implication gestion concertée entre acteurs hété-
de la profession agricole dans les socié- des acteurs de l’élevage rogènes. Cette gestion concertée peut
tés occidentales et un affaiblissement dans des dispositifs aussi bien concerner i) les « trade offs »
général des communautés rurales vis-à- de gouvernance territoriale entre activités de production et enjeux
vis des décisions portant sur le devenir environnementaux en associant des
des espaces ruraux, la capacité des agri- Au-delà de ces produits, les attentes acteurs agriculteurs, des ONG ou des
culteurs à nouer des alliances locales et des acteurs des territoires envers les collectivités (Parcs Naturels) (Lasseur
à inscrire leurs pratiques, leurs produits activités qui s’y déroulent (l’élevage en et al., 2010), ii) la gestion territoriale
animaux et les impacts de ces pratiques, ce qui concerne notre propos) sont de de la santé animale (Relun et al., 2015)
dans une dynamique associant un large plus en plus invoquées dans l’action en associant différents types d’acteurs
panel d’acteurs, est un gage de durabi- publique. Le territoire émerge ainsi (éleveurs, chasseurs, vétérinaires, méde-
lité de l’activité. Le processus de mise depuis quelques décennies comme lieu cins…) et de représentations spatiales
en œuvre de ces politiques territoriales de redéfinition de l’action publique, en ou la formulation de patrons paysagers
et les instances de gouvernance qu’il lien à l’affaiblissement de modes de pour rendre compte de la progression
instaure apparaissent ainsi comme des coordinations plus hiérarchiques. Il de maladies et progresser dans une épi-
lieux où s’inventent de nouvelles formes devient un espace de gestion concer- démio-surveillance plus participative, iii)
d’agricultures et les modalités d’interac- tée ou apparaissent de nouveaux les conditions de mise en œuvre de poli-
tions entre les acteurs agricoles et le acteurs. La gouvernance territoriale tiques impliquant l’élevage à l’échelle
reste de la société. s’impose alors comme un vecteur de territoriale (Lasseur et Dupré, 2017).

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Élevage et territoires : quelles interactions et quelles questions ? / 193

L’autre versant des questions trai- le développement des ACV (Analyse (Ryschawy et al., 2015). Les services
tées concerne le développement de de Cycle de Vie), s’est intéressée aux écosystémiques sont définis comme
méthodologies d’accompagnement impacts négatifs de l’élevage sur l’en- « les avantages que les Hommes retirent,
des acteurs. La mise en œuvre de vironnement et le changement clima- directement ou indirectement, du fonc-
modélisations dédiées (Étienne, 2012) tique. Un corpus récent mais croissant tionnement des écosystèmes » ( Costanza
ou de jeux sérieux, par exemple le « jeu de littérature scientifique, mais aussi et al., 1997). Plus récemment, de Groot
de territoire » (Lardon, 2013) ont per- issu des différentes filières d’élevage, et al. (2010) élargissent cette définition
mis de grandes avancées dans ce volet cherche à mettre en lumière les nom- pour considérer les services écosys-
de recherches tout comme les renou- breuses contributions positives que témiques comme « les contributions
vellements conceptuels (systèmes l’activité d’élevage fournit aux acteurs directes et indirectes des écosystèmes au
socio-écologiques, sociotechniques, des territoires, et plus largement à la bien-être humain ». Les services environ-
socio-patho-systèmes) permettant société de façon à accéder à une vision nementaux recouvrent une réalité diffé-
de reconnecter espace, diversité des équilibrée des services (positifs) et rente car ils sont rendus par des agents
modèles d’activités d’élevage et des impacts (négatifs) de l’élevage dans économiques ce qui implique une rela-
acteurs dans la conception et la mise les territoires. Les propositions de syn- tion d’intentionnalité entre un com-
en œuvre de projets territoriaux. thèse se développent comme celles de manditaire et un prestataire ou bien
la « grange » (Duru et al., 2017), cadre entre un fournisseur et un usager ou
d’appréhension des bouquets de ser- bénéficiaire (Aznar, 2014). Les services
2. Les défis scientifiques vices et impacts utilisés dans le cadre environnementaux se focalisent sur
actuels de démarches d’accompagnement de les composantes environnementales
transitions territoriales de l’élevage telles que l’eau, l’air et la biodiversité.
(Bergez et al., 2018). Dans la mesure où les Hommes retirent
Nous proposons d’illustrer quelques aussi des biens alimentaires et symbo-
défis actuels de recherches en réfé- Nous détaillerons ici plus spécifique- liques des écosystèmes, les services
rence à ces grandes familles de ques- ment ce qui a trait à l’estimation des écosystémiques relèvent d’un champ
tions traitant des interactions entre contributions positives de l’élevage. plus vaste qui embarque également
élevage et territoire. Le premier défi a Ces contributions vont bien au-delà de des services d’approvisionnement,
trait à la façon d’aborder les services la simple production de biens alimen- des services culturels, des services de
produits par l’élevage. Le deuxième taires et recouvrent les trois piliers de régulation et de soutien. Il n’existe pas
explore comment l’écologie territoriale la durabilité. Les ruminants conduits à ce jour de terminologie pour évoquer
est susceptible d’aider au raisonne- en système herbager convertissent conjointement ces deux catégories de
ment de territoires plus autonomes, en des biomasses non utilisables pour l’ali- services ; la notion de biens et services
partant des modélisations de flux de mentation humaine en produits à haute socio-éco-environnementaux a été
matières à cette échelle et des leviers valeur nutritionnelle. Ils contribuent proposée dans Ryschawy et al. (2017).
d’activités par les différents acteurs. Le à la fourniture de services écosysté- Le terme de « contributions positives »
troisième défi porte sur l’émergence miques et de biens publics hautement englobe ces deux types de services
d’une pensée de la complémentarité appréciés par les citoyens. Ils jouent un tout en étant suffisamment simple et
entre modèles agri-alimentaires et de rôle essentiel dans la préservation de compréhensible par des acteurs non
ce qu’elle implique en termes d’ac- paysages patrimoniaux, et de la bio- académiques.
tion publique et d’organisation visant diversité des milieux agricoles, dans la
à la maintenir. Enfin le quatrième défi prévention des inondations et des feux Appréhender le fonctionnement d’un
concerne les modalités de redéfini- et aussi à la vitalité rurale (Rodríguez- territoire rural en cherchant à expliciter
tion des activités d’élevage qu’impose Ortega et al., 2014). Ces nombreuses et mesurer les contributions positives
l’idée de coévolution entre les attentes contributions positives restent difficiles rendues par les activités d’élevage, c’est
des acteurs des territoires et les dyna- à quantifier. Elles n’ont pas de valeur faire l’hypothèse que l’activité d’élevage
miques des systèmes. marchande et sont généralement négli- est essentielle au bon fonctionnement
gées par les décideurs et mal appréhen- des territoires ruraux. En mesurant la
„„2.1. Caractériser dées par les citoyens. fourniture de contributions jusqu’alors
les bouquets de services peu visibles, on apporte des argu-
rendus par l’élevage Appréhender ces contributions de ments pour le maintien de l’élevage
l’élevage demande un travail interdis- et la reconnaissance de ses multiples
L’élevage européen est sous le feu ciplinaire articulant des connaissances fonctions au-delà de la production de
des projecteurs tant dans la littérature en zootechnie, économie, écologie et biens alimentaires. Expliciter ces contri-
scientifique que dans les médias. Les sciences humaines et sociales. Rendre butions demande en premier lieu de
impacts de l’élevage sont en réalité visible ces contributions pour in fine les définir (i.e. énoncer verbalement)
plus complexes à appréhender. Une les quantifier nécessite d’articuler car on ne peut mesurer que ce qui
abondante littérature, notamment deux approches assez différentes : est clairement défini. Se pose alors la
avec le rapport de la FAO « Livestock celle des services écosystémiques et question de quels sont les acteurs qui
Long Shadow » (Gerber et al., 2013) et celles des services environnementaux définissent les contributions rendues

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194 / Jacques lasseur et al.

par l’activité d’élevage aux acteurs du partir des préférences des acteurs. Un l­’autonomie étant considérée comme
territoire et plus largement à la société. premier type concerne les méthodes un gage de durabilité. L’ET recouvre
Deux approches prédominent actuelle- dites consultatives qui capturent les deux volets, d’une part, l’analyse du
ment dans la littérature : une approche perceptions et les préférences indi- métabolisme territorial, c’est à dire
« externe » ancrée sur l’expertise d’in- viduelles (enquêtes individuelles, le recensement des flux et stocks de
dividus n’appartenant pas au territoire entretien approfondi). Au niveau du matières et d’énergie qui permettent à
et une approche « interne » ancrée territoire, les méthodes délibératives un territoire de fonctionner et, d’autre
sur les perceptions, connaissances et sont particulièrement adaptées en rai- part, l’analyse de la gouvernance de ces
croyances des acteurs des territoires. son de leur dimension collective : focus flux, leur inscription spatiale et socioéco-
group, questionnaire Delphi, évaluation nomique (normes, réseaux d’acteurs…).
L’approche externe est celle mise en participative, etc. Une revue de ces Les dimensions matérielles, sociales et
œuvre lors de la première étude fran- méthodes est proposée par Christie et économiques sont prises en charge
çaise sur les services rendus par l’éle- al. (2012). In fine ces méthodes rendent par une approche interdisciplinaire qui
vage (Ryschawy et al., 2015 ; Ryschawy visibles les arbitrages et les compromis combine sciences de la terre et de la
et al., 2017). L’explicitation verbale des entre contributions, liés à leur inter- vie (écologie, bio-géochimie, agrono-
services rendus par l’élevage au sein des dépendances. Cette mise en visibilité mie…) et sciences humaines et sociales
territoires a été réalisée par une dou- des interdépendances entre différents (gestion, économie, géographie…).
zaine d’experts de l’élevage. L’originalité types de services écosystémiques, par
de ce groupe d’experts est son caractère exemple, peut aider les acteurs à déve- Ainsi des premiers travaux sur les
interdisciplinaire et interprofession- lopper leur réflexivité et à construire un cycles d’azote, de phosphore et de
nel. Ainsi chercheurs zootechniciens, point de vue « partagé » sur ce qu’un potassium liés à l’élevage ont été réali-
agronomes, sociologues, économistes territoire d’élevage peut offrir comme sés à différentes échelles d’organisation
et représentants professionnels des services à la société. (communes, petites régions agricoles,
filières d’élevage (CNIEL, Interbev, départements et pays) en France, en
ITAVI, IDELE, IFIP) définissent une liste „„2.2. L’écologie territoriale : Europe mais aussi au Brésil (Mignolet et
de services à quantifier en confrontant analyser le bouclage des al., 2001 ; Bonaudo et al., 2017 ; Dourmad
leur expertise. Cette liste, appliquée à cycles et le couplage et al., 2017). La figure 1 montre les
l’échelle de chaque département du agriculture-élevage principaux flux calculés. Des analyses
territoire métropolitain, guide le choix pour améliorer l’efficience de flux de l’élevage français montrent
d’indicateurs et la disponibilité des don- des activités une forte intensification de l’élevage
nées conditionne la possibilité de quan- combinée à une bonne autonomie en
tifier ou pas les indicateurs de services. L’Écologie Territoriale (ET) est un fourrage et un déficit en concentrés
Cette batterie d’indicateurs apporte champ de recherche né d’une réflexion principalement en tourteaux (Dourmad
une évaluation ex-post des bouquets sur la nécessité du bouclage des cycles et al., 2017 ; Domingues et al., 2018). À
de services qui montrent les similari- de matières et d’énergie pour améliorer l’échelle des petites régions agricoles
tés ou dissimilarités des départements les performances environnementales ces travaux montrent de fortes hétéro-
en termes de type de service présent et économiques des systèmes anthro- généités des productions animales et
et de niveau de fourniture. Mais pour piques. L’ambition de l’ET est de mieux des autonomies alimentaires suggérant
juger, comparer ces bouquets il faut comprendre et piloter les interactions des échanges nationaux et internatio-
un critère également externe. La multi- entre société et environnement dans naux importants donc une ouverture
fonctionnalité du bouquet est souvent la perspective d’une transition agro­ des cycles de nutriments (Dourmad et
le critère privilégié. On considère alors écologique abordée sous l’angle du al., 2017). Au Brésil, l’étude des flux de N,
qu’un territoire durable est un territoire bouclage des cycles biogéochimiques P, K de l’industrie de l’élevage entre 1993
qui fournit à haut niveau le plus grand (Buclet, 2015). En quantifiant l’exploi- et 2013, montre une production en
nombre de services. tation des ressources, la production hausse accompagnée d’une utilisation
de biens et de déchets, cette approche accrue d’intrants (près de 4 % par an).
L’approche interne met l’accent sur permet d’évaluer simultanément l’effi- Une internationalisation des flux, avec
la demande sociale des acteurs. Elle cience productive et environnementale une augmentation absolue et relative
pose comme postulat que la demande d’un territoire considéré comme un sys- des importations et des exportations, a
sociale diffère en raison d’intérêts tème composé d’acteurs et de flux de aussi été mise en évidence. Entre 1993
divergents des acteurs, de leur moti- matières (figure 1). et 2013, les importations de N, P et K
vation, de leur expérience et de leur sont passées, respectivement de 6 à
connaissance des systèmes d’élevage. La finalité des approches d’ET est 16 %, de 25 à 45 % et de 25 à 37 % du
Dans cette approche la liste des ser- d’identifier des leviers d’action tech- total des intrants. Les exportations de
vices émerge des choix des acteurs. nique (de substitution, de réutilisation, N, P et K ont suivi la même évolution
Différentes études académiques ou de de bouclage de cycle…) et les modes avec une augmentation respective de
terrain utilisent des méthodes d’évalua- de partenariat entre acteurs territo- 12 à 22 %, de 6 à 17 % et de 6 à 11 % de
tion socio-culturelles (Martín-López et riaux (Erkman, 2001) permettant une la production nationale (Gameiro et al.,
al., 2012) pour expliciter les services à plus grande autonomie du système, 2018).

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Élevage et territoires : quelles interactions et quelles questions ? / 195

Figure 1. Représentation des flux de matière mobilisés par l’élevage (Méthodologie du XXe siècle (Correa et al., 2015). Les
GRAFS – Generic Representation of Agro-Food Systems, d’après Billen et al., 2014). conditions territoriales matérielles ont
Import permis le développement du bassin lai-
tier : vastes étendues herbagères favo-
Fixation Symb. rables à l’intensification des pratiques et
Prairies, parcours, Cheptel (UGB) situation du bassin au carrefour d’autres
Déposition atm.
fourrages (ha)

Alimentation
pays ayant favorisé les possibilités d’ex-

Production
Fertilisation
portation du lait en poudre. Dans ces

Production
Fertilisation Export
synth. conditions territoriales favorables, les
politiques publiques nationales ont
impulsé le modèle de production inten-
Volatisation Surplus Population sive en étant à l’origine d’une demande
Sol N
(Pers.) en produit exportable et ont fait émer-
Lexiviation
ger une organisation spécifique du
Cultures (ha)
conseil soutenant son développement.
Fertilisation

Production

En France, la région Poitou-Charentes


pour la production caprine, ou encore la
Export
Volatisation Surplus Bretagne pour le lait de vache, ont connu,
Sol N
Lexiviation
dans la seconde partie du XXe  siècle,
un développement s’inscrivant dans
la même logique d’intensification, de
concentration et de spécialisation de
l’agriculture et de l’agro-industrie. Dans
Des travaux sur l’analyse du couplage dynamiques sectorielles et territoriales, ces situations, le développement est
agriculture-élevage et la coexistence de globales et locales des activités laitières orienté vers la mise en adéquation d’un
différents modèles agricoles mobilisent se côtoient à l’échelle d’un territoire. Le type d’offre (produits standard, commo-
aussi l’écologie territoriale au travers devenir de ces activités peut influencer dité) pour fournir un tel marché (circuits
de l’analyse de flux de matières et de celui du territoire. Pour étudier ces pro- longs nationaux et export vers pays
leur gouvernance (Moraine et al., 2014 ; cessus, nous avons mobilisé la notion de émergents). Ce diagnostic est opéré par
Moraine et al., 2016 ; Madelrieux et al., modèle de développement, vu comme des décideurs, à l’échelle nationale, qui
2017). l’ensemble des interrelations entre les mettent en œuvre les mesures incitatives
systèmes d’élevage, le marché, le ter- pour orienter le développement de l’ac-
„„2.3 Les modèles ritoire et les normes de production. tivité de la production à la distribution,
de développement Après avoir comparé l’évolution, sur le voire à la consommation.
dans les territoires : temps long, d’une dizaine de bassins
de la spécialisation laitiers à travers le monde (Napoléone La deuxième situation archétypique
à la coexistence et al., 2015), nous avons mis en évidence correspond à la permanence d’une
trois situations archétypiques quant au dynamique de territorialisation : un
Les systèmes techniques, les res- modèle de développement (Napoléone produit qui valorise les spécificités du
sources mobilisées (races, aliments…), et Boutonnet, 2015). territoire de production et les acteurs
ou encore le fonctionnement de l’indus- investis dans l’activité laitière, et vendu
trie et les stratégies de ses opérateurs Une première situation archétypique à l’intérieur du bassin laitier pour satis-
sont autant de dimensions condition- correspond à la permanence d’une faire la demande intra-bassin. Le déve-
nant la structuration des activités d’éle- dynamique de globalisation tout au loppement du bassin laitier se fait dans
vage dans un territoire (Delfosse, 2007 ; long de l’histoire du territoire laitier : un ce cas dans une dynamique bottom-up,
Ricard, 2010). Afin de rendre compte de produit générique (poudre ou lait sans reposant sur les normes, valeurs et
la façon dont les processus territoriaux référence au territoire), élaboré dans savoir-faire des éleveurs, qui s’inscrivent
et les mécanismes liés à la globalisation le cadre de systèmes d’élevage inten- dans une culture alimentaire locale, par-
affectent, conjointement, les bassins de sifs inscrits dans un système agro-in- tagée entre les producteurs, les trans-
production, nous utiliserons, comme dustriel, distribué à des échelles de formateurs, les consommateurs. Cette
modèle, la production laitière. En effet, plus en plus larges (région, puis pays, culture commune renforce chemin
les processus de développement du puis continent). Le modèle en place faisant l’ancrage territorial des activi-
secteur laitier peuvent être orientés vers est issu d’une dynamique top-down tés. Le cas brésilien du bassin de Brasil
des enjeux agro-industriels puissants où les pouvoirs publics et l’agro-in- Novo illustre cette situation (Carvalho
d’envergure internationale, ou, a contra- dustrie imposent les normes en place. et Poccard, 2015). Depuis les années
rio, être portés par des acteurs locaux Un cas particulièrement illustratif de 1970, de nombreuses ressources terri-
inscrivant leurs activités dans une pers- cette situation est celui du bassin de toriales y ont été activées pour la mise
pective de développement local. Ces Salto, en Uruguay, depuis le début en place de ce modèle : savoir-faire et

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


196 / Jacques lasseur et al.

culture alimentaire d’éleveurs venus de proximité et de localité gagnent du l’un ou l’autre de ces modèles, ou à
de régions voisines mettant en place terrain et facilitent l’écoulement de ces maintenir leur coexistence sur un terri-
des systèmes techniques rustiques, produits au-delà des consommateurs toire. Le grand changement de ces der-
un marché urbain local captif, une res- locaux ; certaines parties de ces terri- nières années est le sens que donnent
source fourragère riche et abondante, toires ont été plus favorables à l’intensi- les acteurs locaux à l’ancrage territorial
des moyens de transport précaires fication des systèmes de production, à la de leurs activités avec la montée en
pour la collecte ayant favorisé la vente construction d’infrastructures permet- puissance du rôle prescripteur de cer-
directe ou la fabrication de fromages tant le développement industriel pour tains urbains et, de plus en plus, des
artisanaux. Dans cette situation, les la transformation de produits destinés collectivités territoriales. Il est moins
politiques publiques ont soutenu cette aux circuits longs. On assiste alors à une question de savoir-faire ancrés dans les
dynamique d’ancrage par la mise en diversité des normes de productions, systèmes agraires que de proximité (de
place de standards de transformation les unes implicitement partagées entre distance aux centres urbains, mais aussi
et de production ainsi que des normes producteurs et consommateurs dans le de contact avec les producteurs) et de
de qualité. Le modèle de développe- cadre de circuits courts ou valorisant les modèles agroécologiques ou biolo-
ment AOP français se rapproche de cet indications géographiques, les autres giques visant le respect de l’environne-
archétype, avec une valence forte du construites à une échelle plus large ment, du bien-être animal et le recours
côté des savoir-faire (de production, dans le cadre des politiques nationales à un minimum d’intrants domma-
de transformation) issues de traditions et internationales sur des produits plus geables à la santé humaine. En France,
locales, une valorisation forte, identi- standardisés. Ces situations de coexis- les plans d’alimentation territoriaux se
taire, des produits dans le territoire de tence semblent particulièrement favo- développent, donnant d’autres orien-
production mais également d’autres risées par différentes formes d’action tations aux formes de développement
lieux de consommation. collective et de gouvernance locale qui que celles sous-tendues par le secteur.
peuvent se mettre en place. Les terri- Toutefois nous ne pourrions supposer
La troisième situation archétypique toires, présentent des attributs et des le remplacement pur et simple d’un
correspond à la coexistence des deux ressources (sociales, matérielles, orga- modèle sectoriel par un modèle territo-
dynamiques précédemment évoquées nisationnelles) ayant favorisé la diver- rialisé impulsé par la demande urbaine.
(globalisation et territorialisation) et sité des modèles de développement. Une diversité de forme de demandes
des formes de développement qui leur La diversité des formes de demande existe et existera sans doute. La diversité
sont associées. Cette coexistence peut a contribué au développement d’une des agricultures et des circuits de distri-
prendre la forme d’une coprésence diversité de modèles. Notons enfin que bution sont des leviers pour répondre à
des deux modèles sur une période les valeurs accordées, par la société (des la diversité des demandes, ce qui néces-
donnée répartis spatialement, de la producteurs aux consommateurs), site des dispositifs de gouvernance
présence successive de l’un puis de aux modèles évoluent dans le temps croisant des approches sectorielles et
l’autre modèle, ou encore de la pré- et impactent le développement des territoriales. Il n’y a pas de recette uni-
sence de modèles hybridant ces deux territoires. verselle. Nos travaux soulignent l’inté-
dynamiques. Le développement de la rêt de reconnaître et mettre en valeur la
production laitière dans trois bassins Finalement, tout modèle de dévelop- diversité des ressources locales, dans un
français (les Quatres Montagnes, dans le pement d’un bassin de production (ici schéma de développement cohérent.
Vercors ; le Pélardon dans les Cévennes laitier) articule à la fois des attributs spé- Cette orientation nécessite la mise en
Méridionales, le Livradois-Forez en cifiques des territoires de production, place de moyens de suivi, d’analyses
Auvergne) est particulièrement illustra- des filières et des systèmes d’élevage. chemin faisant permettant de réguler
tif de ces dynamiques (Houdart et al., Aucun modèle n’est évidemment géo- la diversité de formes de développe-
2015 ; Madelrieux et Alavoine-Mornas, graphiquement prédéterminé et plu- ment garantissant dans le temps leur
2015 ; Napoléone et Boutonnet, 2015). sieurs composantes majeures rendent évolution harmonieuse.
Dans ces situations, en complément compte des capacités d’un bassin de
des ressources extraterritoriales (finan- production à aller dans une direction „„2.4 Analyser la diversité
cements européens par exemple), une ou une autre : la demande alimen- des activités d’élevage
grande diversité de ressources territo- taire, entre une demande en produits et leur dynamique au prisme
riales a été mobilisée par les acteurs des génériques destinés à l’exportation ou des interactions entre
territoires et des filières, de façon spé- aux circuits longs nationaux et celle de les acteurs du territoire
cifique en fonction de l’orientation du produits qui renvoient à une proximité
modèle de développement. Ainsi, l’en- avec le consommateur (proximité géo- Les remises en cause des activités
clavement du territoire et la présence graphique dans le cas d‘une demande d’élevage sont de plus en plus sou-
d’une forte culture fromagère locale intra-bassin ou proximité cognitive vent abordées dans des travaux de
ont contribué au maintien du savoir- pour des ventes hors bassin qui n’ex- recherche et par des institutions de
faire en lien avec la persistance d’une cluent pas les circuits longs de distri- développement en considérant des
demande de produits traditionnels bution) ; la capacité des acteurs des controverses et des attentes envers
en zone. Avec l’évolution actuelle des filières, des territoires et des pouvoirs ces activités (Delanoue et al., 2015). Si
formes de consommation, les critères publics à l’échelle nationale à soutenir on peut clairement identifier les mises

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Élevage et territoires : quelles interactions et quelles questions ? / 197

en questions adressées aux échelles le territoire du Parc Naturel Régional Ces visions de l’activité sont évolu-
englobantes et aux échelles locales, du Vercors (Dobremez et al., 2015) tives, vectrices de remises en causes
la notion « d’attente des acteurs des montrent une grande diversité de et de transformations futures. Ainsi,
territoires » tend à réifier un processus points de vue sur ce que devrait être les perceptions des activités d’élevage
incertain, dynamique et aux configura- l’élevage dans le territoire du parc. D’une par les acteurs du territoire du Verdon
tions « situées ». En effet, les modalités part, des visions sectorielles opposent i) (Alpes de Haute Provence), sur la base
de mise en débat et de redéfinition des une vision de l’élevage considéré avant d’enquêtes réalisées en 2012, font per-
activités à ces échelles reposent sur des tout comme une activité économique cevoir des clivages proches de ceux
alliances et accords temporaires n’écar- qui doit faire vivre les agriculteurs et observés dans le Vercors (Dupré et al.,
tant pas la subjectivité, s’appuyant sur qui de facto, en montagne, est positive 2017 ; Lasseur et Dupré, 2017). Toutefois
des connaissances partielles et frag- pour l’environnement et les paysages à les oppositions entre conduite de l’ac-
mentaires imparfaitement partagées ii) une vision considérant que cette agri- tivité et protection de l’environnement
entre des acteurs qui mobilisent sou- culture ne se différencie pas fondamen- ainsi que vis-à-vis d’une subordina-
vent comme cadre de référence la mul- talement de l’agriculture de plaine et tion de l’activité d’élevage à l’activité
tifonctionnalité de l’activité agricole, qu’elle doit être encadrée pour ne pas touristique ne se sont pas exprimées
« fruit de constructions sociales mul- permettre la dégradation de la nature. de manière tranchée. Ceci est essen-
tiples et complexes » à cette échelle D’autre part, dans une analyse plus por- tiellement dû aux orientations très
(Barnaud et Couix, 2017). Les espaces tée par des dimensions territoriales se pastorales de l’activité définies en
ruraux et les transformations des acti- distinguent i) une vision considérant convergence avec les acteurs de l’envi-
vités d’élevage sont peu fréquemment l’élevage comme le moteur du déve- ronnement et gestionnaires territoriaux
abordés sous cet angle (Eychenne, loppement économique et culturel du dès les années 1990 (Garde et al., 2014),
2012 ; Grison et al., 2015). territoire et ii) une vision le considé- laissant quelquefois penser que la
rant comme devant accompagner le mutation multifonctionnelle de cet éle-
Dans le cadre du projet ANR vrai moteur économique du dévelop- vage était opérée et la reconnaissance
« mouve », nous avons conduit un pement qu’est le tourisme. Ces quatre sociale acquise. Ces convergences de
ensemble de travaux visant à analyser idéaux types traduisent bien les opposi- vues ont alors elles-mêmes contribué
les enjeux et modalités de redéfinition tions entre des visions d’acteurs du sec- à reconfigurer les systèmes pour aller
des activités d’élevage sous l’effet de teur agricole, une vision portée par des vers une production renforcée de ser-
politiques territoriales dans des ter- acteurs de l’environnement (prônant vices environnementaux en particu-
ritoires d’élevage contrastés. Nous le contrôle d’une activité humaine de lier autour des enjeux de biodiversité
mettons ici en regard les principaux facto destructrice de nature) et enfin, et de maintien des milieux ouverts. Le
résultats publiés concernant deux ter- des visions plus intégrées qui posent développement récent de la population
rains français : Vercors (Dobremez et al., l’élevage comme pilier direct du déve- de loups a remis en cause ces visions
2015) et Haut Verdon (Lasseur et Dupré, loppement territorial voire comme convergentes. D’une part, en remettant
2017). Très globalement dans ces situa- inféodée à une activité touristique en cause l’idée initialement partagée
tions concernant essentiellement l’éle- pour laquelle l’élevage est un vecteur que la forme d’activité d’élevage mise
vage de ruminants, les problématiques d’image et d’identité du territoire. Enfin, en œuvre était « bonne pour l’environ-
impliquant l’élevage dans les politiques la plupart des acteurs décrivent l’éle- nement » alors qu’elle se révèlerait, pour
territoriales concernent explicitement vage comme une activité indifféren- certains, incapable de composer avec
l’usage du territoire, la conduite du ciée qui ne reflète pas la diversité des une espèce emblématique de biodiver-
pâturage et l’intensification fourra- systèmes présents. Ces divergences de sité sauvage. D’autre part, l’idée que cet
gère en lien à des dimensions plus vision et l’absence de représentation élevage confortait de facto l’évolution
implicites d’installation et d’inclusion d’une diversité des formes d’activité de l’économie locale vers la production
sociale. Nous analysons ici les points de d’élevage illustrent bien, d’une part, la d’un espace dédié au tourisme vert et
vue d’acteurs locaux sur l’élevage entre nécessité de formalisation plus poussée aux activités de pleine nature est sévè-
convergences et points en débat ainsi des formes de l’activité et, d’autre part, rement reconsidérée. La mise en place
que les remises en causes et les trans- d’espaces de confrontation de points de mesures de protection des trou-
formations de l’activité. Nous discutons de vues des acteurs. Elles soulignent peaux et la présence massive de chiens
ensuite des dispositifs dans lesquels toute l’importance pour les acteurs de protection déclenche des conflits
s’expriment les acteurs et ceux qu’il de l’élevage d’être présents dans les d’usage et une opposition frontale
conviendrait de mettre en place pour arènes où se tiennent ces débats. Les entre les deux activités. L’élevage n’est
conforter le futur de l’élevage dans le arbitrages réalisés entre des options alors plus seulement le support inerte
cadre des politiques territoriales. de contrôle de l’activité vs libéralisme de l’identité territoriale qui pouvait
économique, d’une part et d’autre part, être perçu par certains mais aussi une
Les points de vue des acteurs des activité vectrice de développement ter- activité qui doit s’assurer du maintien
territoires se distinguent souvent net- ritorial vs simple vecteur d’image iden- de ses capacités productives en s’adap-
tement de ceux des acteurs sectoriels. titaire « inerte » se traduisent, à terme, tant aux évolutions de ses conditions
Ainsi, les enquêtes conduites auprès en modalités d’actions de soutien à d’exercice. Ces dernières conduisent à
d’acteurs non agricoles et agricoles sur l’activité très différentes. une remise en cause d’un consensus

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198 / Jacques lasseur et al.

local et à un travail de redéfinition des handicape l’émergence d’alternatives des transformations de l’activité nous
interactions aux acteurs locaux voire permettant de concilier gestion des semble deux enjeux particuliers pour
de redéfinition des formes futures des questions environnementales et l’affir- les recherches futures.
activités d’élevage. mation d’un secteur d’activité d’élevage
permettant l’inclusion sociale et la lutte „„3.1. Le territoire :
Les capacités à intégrer les intérêts contre la pauvreté (Cialdella et al., 2015). un nouvel horizon
d’un ensemble de porteurs d’enjeux et En effet les alternatives émergentes de pluridisciplinarité
à défendre ses propres intérêts néces- largement promues par les éleveurs les entre zootechnie
sitent donc des lieux d’articulation plus capitalistiques sont basées sur de et sciences sociales
entre les acteurs locaux et les acteurs de fortes capacités d’investissement pour
l’élevage présents, dans leur diversité, relocaliser l’élevage et promouvoir une Les références au « territoire »
pour accompagner l’émergence d’alter- intensification fourragère selon une reposent sur l’identification d’une
natives permettant d’assurer renouvel- stratégie de « land sparing » et pro- nouvelle échelle d’évaluation ou de
lement de l’activité et sa contribution mouvant l’exclusion sociale de petits mesure d’impact des activités (le pay-
au renforcement de la durabilité terri- producteurs. En Uruguay, la mise en sage, l’espace par différence avec les
toriale. Les lieux et conditions de redéfi- œuvre de politiques de décentralisa- échelles plus usuelles en sciences bio-
nition de l’agriculture périurbaine dans tion remettant en question une poli- techniques – comme le système de
le cadre de politiques territoriales sont tique de développement agricole très culture à l’échelle parcellaire ou système
l’objet de travaux nombreux (Jarrige sectorielle basée sur l’agro-industrie et d’élevage à l’échelle du troupeau). Les
et al., 2006 ; Guiomar, 2011 ; Ruault et l’exportation est analysée par Sabourin dimensions territoriales sont dictées par
Vitry, 2017). Ces auteurs insistent, d’une et al. (2015). Cette analyse met en évi- des objets largement initiés et pilotés
part, sur la faible participation des agri- dence la forte opposition entre modèles par la recherche. Les questions portent
culteurs aux processus d’interaction agricoles familiaux et industriels ainsi alors sur la caractérisation des activités
dans les arènes locales liées aux poli- que la nécessité de mettre en place des et de leurs impacts à différentes échelles
tiques publiques de gouvernance et espaces d’échanges entre acteurs terri- spatiales que ce soit sur les émissions
planification territoriale. D’autre part, toriaux et éleveurs permettant d’éviter de GES, la consommation d’énergies
ils soulignent le caractère très fragmen- l’isolement des éleveurs familiaux, leur fossiles, l’érosion de la biodiversité,
taire de la connaissance des acteurs enfermement dans une logique iden- dimensions considérées séparément ou
du territoire des activités agricoles et titaire et de résistance, perçus par une combinées au travers d’analyses multi-
la prééminence d’images de ce que frange des acteurs locaux comme les critères. De tels travaux contribuent à la
devrait être l’agriculture au détriment défenseurs d’un modèle archaïque qui décision publique au travers de l’élabo-
de préoccupations sur les conditions se voit ainsi privé de pistes d’avenir. ration de normes contribuant à fixer les
de la pérennité de l’activité. Enfin, ils modalités des activités en réponse à des
pointent la faible vision d’une diversité problèmes souvent définis en amont de
des formes d’exercice de l’activité agri-
3. Les recherches ces recherches.
cole peu relayée par les acteurs agri- sur les interactions
coles et vectrice au sein de la profession élevage-territoire, Le territoire constitue un espace sur
de divergences de points de vue sur ce quelques perspectives lequel un ensemble d’acteurs, dont
qu’il convient de faire pour la conforter. ceux de l’élevage, définissent les moda-
lités des activités humaines (les res-
Des recherches conduites en S’appuyer sur des échelles intermé- sources sur lesquelles elles s’appuient et
Amazonie brésilienne (Cialdella et diaires entre l’exploitation agricole et les modalités de leur gouvernance). Ces
al., 2015), et en pampa uruguayenne le système terre permet de produire travaux se spécifient d’autant plus qu’ils
(Sabourin et al., 2015), où les enjeux de des argumentaires sur les activités considèrent l’élaboration de projets à
coupler développement de l’activité et d’élevage et accompagner les trans- l’échelle de territoires et que les activités
modèles de développement inclusifs à formations de l’activité dans une pers- des acteurs de l’élevage y sont référées.
l’échelle des territoires s’expriment forte- pective de conforter sa contribution à Les conditions de la convergence entre
ment, illustrent la nécessité de renforcer la durabilité territoriale. Ces approches ces dimensions collectives et transec-
de tel dispositifs concernant l’élevage s’accompagnent d’un élargissement torielles et la contribution des activités
et les conditions de ses redéfinitions du spectre des acteurs, des modalités et acteurs de l’élevage aux « attentes »
en milieu rural. Ainsi, en Amazonie, les de formalisation des connaissances, qui s’expriment dans ces projets sont
remises en cause de l’élevage de bovin des critères d’analyse et des dispositifs centrales. Ces recherches sont résolu-
et de ses interactions avec les espaces observés dans le cours des recherches ment situées. Elles composent avec la
forestiers conduit à la recherche d’al- en regard de ce qui est usuellement pra- subjectivité des acteurs des territoires
ternatives aux formes d’élevage pion- tiqué lorsqu’on se centre sur des enjeux et visent à caractériser diversité et
niers en place. La faiblesse des lieux agronomiques ou de filière. L’incidence transformations des formes d’activités
permettant l’articulation entre les de ce déplacement sur les formes de en regard d’attentes multiformes et
acteurs locaux et la diversité des types connaissances scientifiques produites dynamiques. Elles concourent à la gou-
d’éleveurs présents sur le territoire et les modalités d’accompagnement vernance territoriale en contribuant, à

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Élevage et territoires : quelles interactions et quelles questions ? / 199

différentes échelles, tant à la définition locale). L’adaptation à l’échelle de ter- rassurent les acteurs sur leur capacité
des problèmes à traiter pour l’action ritoires de la démarche de quantifica- de coordination et de gouvernance
publique que des solutions, dans un tion des emplois directs et indirects est sensible. Les transitions territo-
processus dynamique visant à favoriser liés à l’élevage, testée à l’échelle natio- riales, par exemple vers l’agroécologie,
la coévolution entre attendus sociétaux nale (Lang et al., 2015) serait une autre présentent des spécificités en termes
et formes des activités, dimension fon- contribution objectivant l’importance d’acteurs concernés (agriculteurs,
damentale de sa durabilité. du secteur dans l’emploi local et les filières, collectivités territoriales, ONG
perspectives selon le développement environnementales et/ou porteuses
Les recherches conduites sur le ter- de tel ou tel modèle d’élevage. Tous d’innovations alimentaires), de prise
ritoire sont ainsi en tension sur un gra- les modèles n’ont en effet pas le même en compte de la diversité des sys-
dient tiré, d’une part, vers des mesures impact sur l’emploi : l’accroissement tèmes et des rapports à l’espace (proxi-
d’objectivation de l’impact des activités de la productivité du travail permis par mité, distance). Soulignons quelques
humaines dans un contexte de chan- l’agrandissement des exploitations que recherches récentes sur les options de
gement global et, d’autre part, vers l’on observe depuis plusieurs décen- gouvernance de l’intégration des acti-
une compréhension, intégrant toute la nies est associé à une perte régulière vités cultures et élevage qui mettent
subjectivité des acteurs de ce sur quoi de la main d’œuvre. De même, tous les en avant l’intérêt de la gouvernance
l’élevage est attendu à l’avenir. Ces deux modèles agricoles ne requièrent pas polycentrique (Moraine et al., 2017), la
types de recherche coexistent dans le les mêmes compétences et savoir-faire redéfinition du lien entre diversification
département de recherches Sad de (managériaux, technologiques, de rap- des productions agricoles et alimen-
l’INRA, un enjeu pour l’avenir est d’en port à la nature et aux animaux). Enfin, tation locale dans le cadre de « living
conforter les conditions de renforce- les dynamiques territoriales touchent labs » ouverts à des acteurs de la société
ment mutuel pour contribuer avec les les questions de reprise et d’installation civile (Coquil et al., 2018). De nouvelles
acteurs concernés à penser l’avenir de d’une part et de cessations anticipées, propositions conceptuelles émergent
l’élevage dans les territoires. d’autre part, notamment au travers des pour la conception de ce que pourrait
questions de politiques foncières tant être une transition agroécologique à
Un domaine relativement peu urbaines que rurales (Barrière, 2015), l’échelle d’un territoire, visant l’accrois-
exploré par la recherche et pourtant d’infrastructures mais aussi d’opportu- sement de la diversité et de la connec-
présent dans les débats d’acteurs est nités de reconversion professionnelle. tivité entre éléments du système et des
celui des interactions entre élevage, services produits par les écosystèmes
travail et territoire. Le terme travail „„3.2 Accompagner (Duru et al., 2015) avec des proposi-
étant assez large (emploi, organisation, les transitions territoriales : tions d’outillage et d’accompagne-
conditions de travail, attractivité…), un nouveau défi scientifique ment du processus. Ces propositions
nous nous appuyons ici sur la synthèse portent notamment sur la définition
proposée par Servière et al. (2018) pour Si le territoire est une entité abordée collective de la problématique, le
décliner plusieurs pistes de travail. La du point de vue de la conception de choix des partenaires de terrains et des
première porte sur « les réseaux pro- nouveaux projets concertés, un nou- acteurs participants, et la préservation
fessionnels, associatifs, familiaux ou veau courant de recherche s’intéresse de marges d’adaptation du dispositif
de voisinage dans lesquels les agri- aux « transitions territoriales » c’est à chemin faisant (Audouin et al., 2018).
culteurs trouvent une reconnaissance dire aux cadres théoriques et aux outil- Dans certains territoires, la transition
sociale et professionnelle ». Dufour et lages qui permettent d’accompagner agroécologique amène les chercheurs
al. (2016), interrogent leurs propres les acteurs d’un territoire dans un pro- à explorer plus finement la contribution
conditions de travail et les normes de cessus de changement radical quant à de systèmes ou de modèles agricoles
ce qui fait un travail vivable. Mais dans la conduite de l’activité d’élevage et vis- ou alimentaires « négligés » voire consi-
lesquelles ils trouvent également des à-vis des fonctions que doivent assumer dérés comme peu porteurs d’avenir par
ressources pour leur activité notam- l’activité d’élevage pour le développe- le monde socio-technique dominant,
ment pour développer des actions col- ment territorial (qu’il s’agisse de l’en- comme les formes très diversifiées et
lectives qui renouvèlent les formes de vironnement, de l’alimentation, de intégrées d’agriculture et d’élevage
travail en commun (Lucas et al., 2014) l’identité locale ou du développement des petites exploitations familiales aux
ou qui tissent de nouveaux rapports économique). Ce changement radical Antilles. Il s’agit alors de leur donner
entre producteurs et consommateurs est nourri de contributions à l’échelle une visibilité et un rôle dans un pro-
autour des produits locaux et des de l’exploitation agricole (Coquil et al., cessus de changement territorial qui
façons de produire qui conviennent. La 2018), des filières (Magrini et al., 2016) ne saurait reposer uniquement sur la
deuxième renvoie aux caractéristiques et des systèmes d’innovation (Touzard transformation (même vertueuse) d’un
des bassins d’emploi et leur impact et al., 2014). Ces travaux montrent que modèle dominant.
sur les combinaisons d’activités des les processus de changement ne sont
ménages et la nature des collectifs de pas linéaires, qu’ils sont marqués par Ces enjeux à mieux inscrire les acti-
travail (agriculteur seul permanent, le une relative incertitude sur l’effet des vités agricoles et d’élevage dans des
conjoint travaillant à l’extérieur ; oppor- actions et que le travail de reconstruc- territoires de projet, pose aussi des
tunité d’embauche de salariés d’origine tion de nouvelles normes d’action qui questions en termes de dispositifs

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200 / Jacques lasseur et al.

­ ’action publique et de leur évaluation.


d conforter les activités d’élevage dans des modèles précisant le lien à l’aval
Ainsi, la politique agricole commune leurs contributions au développement (transformation distribution, consom-
constitue un soutien très structurant durable des territoires, un intérêt accru mation, ou type de circuits) ou des
des activités d’élevage et de leurs dyna- devrait être porté à l’évaluation des modèles reliant les dimensions tech-
miques. Dans le cadre des mesures de soutiens publics dans leur caractère niques, structurelles et de conception
développement rural, du second pilier incitatif à l’inscription des éleveurs du métier (Ploeg Van der, 1994 ; Lémery,
de la PAC, les dispositifs Leader sont dans des dispositifs de gouvernance 2003). Penser le territoire, c’est renoncer
explicitement orientés vers le soutien territoriale promouvant l’innovation. à considérer une exploitation moyenne,
d’initiatives territoriales, donc non sec- un modèle dominant (qu’on le sou-
torielles, de nature à conforter l’émer- tienne ou l’abhorre) pour s’intéresser
gence d’actions insérées dans des
Conclusion aussi aux modèles alternatifs à leur loca-
projets de territoires. Ces dispositifs lisation, aux ressources qu’ils mobilisent
auxquels ne sont réservés que 5 % de Le développement de l’élevage et aux propriétés que confère, ou non,
l’enveloppe du second pilier sont très peut être pensé en référence aux la coexistence des différents modèles à
marginaux en termes de montants dis- enjeux planétaires (environnement, l’échelle globale.
tribués en regard de dispositifs tels l’In- demande alimentaire) et à la nécessité
demnité Compensatoire de Handicap de renouveler nos modèles de pro- Ainsi « penser global, agir local »
Naturel, qui pour les régions concer- duction y compris en y ajoutant, dans nécessite d’associer, aux grands enjeux
nées est massivement orienté vers les sociétés occidentales, la question mondiaux, la reformulation de ceux-ci
un soutien à l’élevage. Ces dispositifs du bien-être animal. Notre proposi- dans un espace donné en considérant
Leader dans leur configuration actuelle tion est de compléter la réflexion en un système d’acteurs développant dans
restent limités quant à leurs capacités mettant à jour ce qui relie l’élevage son territoire une pensée « autonome »
à enrôler une large gamme d’acteurs. et les territoires, au-delà de l’idée que de la durabilité. Ceci implique aussi
Ils mériteraient d’évoluer pour soute- ce qui se décline de ces modèles en que les acteurs locaux, au-delà de ceux
nir plus efficacement des projets de Amazonie ou en Mongolie, mais aussi des filières, contribuent à la définition
développement local (Chevallier et en Bretagne et dans les Alpes ne sera des trajectoires de développement de
Dedeire, 2014). Ils constituent toute- pas identique. La notion de territoire, l’élevage qui iraient dans le sens de la
fois un des rares supports d’incitations autour du triptyque espace, acteurs et durabilité des territoires. Il y a donc des
financières intégrant spécifiquement activités, mais aussi comme objet de enjeux à intégrer, dans l’approche du
les activités agricoles qui soit explici- l’action publique et comme porteur changement, ce que peuvent appor-
tement dédié à favoriser l’inclusion des d’actions collectives permet d’abor- ter des processus de gestion concer-
activités aux territoires dans lesquelles der d’autres dimensions du futur de tée entre acteurs agricoles, de filière
elles s’inscrivent. Ce dispositif touche l’élevage. Certaines sont désormais et acteurs non agricoles explorant les
toutefois moins les agriculteurs, peu bien étayées comme l’estimation synergies et dépassant les « trade-off »
présents, que d’autres acteurs écono- des services écosystémiques rendus (Cramer et al., 2017). Le territoire est une
miques du monde rural (Berriet-Solliec par l’activité (Dumont et al., 2017) ou échelle d’action publique qui prend de
et Trouvé, 2013). On peut penser que l’incorporation de composantes du plus en plus d’importance, c’est égale-
les déséquilibres financiers entre des territoire dans des signes de qualité ment une échelle d’action collective et
dispositifs sectoriels, tel l’ICHN, relati- différenciés (Marie-Vivien et al., 2017). d’approche des transitions (Geels, 2002)
vement « conservateurs » en visant le entre acteurs du secteur de l’élevage et
maintien de l’activité, soient dissuasifs Mais parler du territoire suppose d’en- avec d’autres catégories d’acteurs qui
de l’investissement d’acteurs agricoles visager la co-construction du futur de semble de plus en plus pertinente à
dans des dispositifs transectoriels, tels l’élevage portée par la confrontation ou considérer.
ceux qu’impulsent les programmes la coordination d’acteurs hétérogènes,
Leader. En effet si l’élevage est claire- de la sphère agricole, des filières mais
ment perçu à l’échelle de nombreux également de la société civile et des
Remerciements
territoires pour son importance cultu- collectivités territoriales qui expriment
relle et comme vecteur d’identité, les ce que serait pour eux une durabilité Une partie des résultats présentés
débats peuvent être vifs sur les pers- élargie de l’élevage, congruente avec dans cet article sont issu du projet
pectives d’évolution de l’activité et les les enjeux de développement territorial. Mouve qui a reçu le soutien de l’ANR
différentes formes que celle-ci pour- C’est aussi intégrer ce qui fait diversité (Mouve : ANR-2010-STRA-005-01). Merci
rait (ou devrait ?) revêtir pour mieux et dynamiques des systèmes d’élevage aux départements SAD de l’INRA et ES
s’inscrire dans un développement ou des modèles qui en rendent compte du CIRAD pour le soutien au séminaire
durable et inclusif des territoires. Pour que ce soit des modèles techniques, permanent « élevage et territoire ».

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Élevage et territoires : quelles interactions et quelles questions ? / 201

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INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Élevage et territoires : quelles interactions et quelles questions ? / 203

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Résumé
Les leviers susceptibles de conforter la durabilité de l’élevage concernent i) la capacité du système considéré à se maintenir en conser-
vant ses capacités productives et en renouvelant les ressources dont il dépend, en répondant aux enjeux économiques et de filières :
l’efficience est alors au centre des évaluations ; ii) la capacité de l’activité d’élevage à intégrer au-delà de ses intérêts propres celle d’un
ensemble des porteurs d’enjeux qui l’environnent : les interactions à l’échelle des territoires sont alors au centre des analyses. À partir de
l’analyse transversale de travaux associant l’agronomie – zootechnie, la géographie et la sociologie sur des terrains français et étrangers
nous identifions trois dimensions particulières pour les recherches concernant les interactions entre élevage et territoire : i) la mesure
des impacts des activités sur des espaces continus, ii) l’analyse de la diversité des activités permettant de relier « local et global », et
iii) l’étude des interactions entre acteurs d’un territoire pour favoriser l’émergence d’innovations renforçant la durabilité territoriale.
Quatre études de cas illustrent ces défis actuels de la recherche sur les interactions entre élevage et territoire en ce que ces approches
amènent aux débats sur le futur des recherches sur l’élevage. Les recherches conduites sur le territoire sont en tension sur un gradient
tiré d’une part, vers des mesures d’objectivation de l’impact des activités humaines dans un contexte de changement global et, d’autre
part, vers une compréhension, intégrant toute la subjectivité des acteurs de ce sur quoi l’élevage est attendu à l’avenir. Il ne s’agit pas
pour nous d’opposer ces orientations de recherche, mais de faire jouer leurs complémentarités en les situant dans un nouveau courant
de recherche qui s’intéresse aux « transitions territoriales », c’est à dire aux cadres théoriques et aux outillages qui permettent d’accom-
pagner les acteurs d’un territoire dans un processus de changement.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


204 / Jacques lasseur et al.

Abstract
Livestock and territory: which interactions and what questions?
Levers to consolidate sustainability deal with the following abilities: i) for the system to maintain its productive abilities and renew its related
resources while responding to expectations from the economic sector: efficiency is thus the question; ii) for the activity to cope, beyond its own
interests, with those concerns of other stakeholders surrounding it: at that time, interaction at the territory scale becomes central. By analyzing
pluridisciplinary research performed in France and abroad, we have identified three main dimensions dealing with livestock and the territory:
measuring the impact of livestock farming on landscape, analyzing diversity and dynamics of activities to connect local and global and, studying
the interactions among actors at the territory scale to foster innovation that will strengthen territorial sustainability. Four case studies highlight
challenges for research on relationships between livestock farming and territories. These studies are split on a gradient between the abilities to
deliver objective measures for the impact of human activities and a comprehensive approach, including the subjectivities of actors which is criti-
cal for livestock farming in the future. The main stake is to be able to bridge these two research perspectives and to include them in a “territorial
transition” research perspective that deals with theoretical frameworks and operating devices that accompany local actors in a changing process.

LASSEUR J., BONAUDO T., CHOISIS J.-P., HOUDART M., NAPOLÉONE M., TICHIT M., DEDIEU B., 2019. Élevage et territoires : quelles interactions
et quelles questions ? In : Numéro spécial. De grands défis et des solutions pour l’élevage. Baumont R. (Éd). INRA Prod. Anim., 32, 189-204.
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INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les productions animales INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 205-220

dans la bioéconomie
Jean-Yves DOURMAD1, Thomas GUILBAUD2, Muriel TICHIT†3, Thierry BONAUDO3
1
PEGASE, INRA, AGROCAMPUS OUEST, 35590, Saint-Gilles, France
2
CEREOPA, 75231, Paris, France
3
SADAPT, INRA, AGROPARISTECH, Université Paris-Saclay, 75005, Paris, France
Courriel : jean-yves.dourmad@inra.fr

„„ Le développement d’une économie fondée sur l’utilisation de biomasse issue de la photosynthèse, ou


bioéconomie, permettrait de répondre aux enjeux de sécurité alimentaire, de changement climatique et de
préservation des ressources naturelles. L’élevage comme élément transformateur et producteur de bioressources
est un important moteur de la bioéconomie.

1. Introduction Le Rapport Interministériel (2016) visant à valoriser les bioressources (ou


« Une stratégie bioéconomie pour biomasses) pour la production d’éner-
la France » définit la bioéconomie gie, de molécules et bioproduits à
„„1.1. La bioéconomie, comme « l’ensemble des activités liées haute valeur ajoutée, ou de matériaux
une réalité ancienne, à la production de bioressources et (Langeveld et al., 2012). Ces définitions
des enjeux nouveaux leur utilisation ou leur transformation correspondent souvent à une approche
pour répondre de façon durable aux plus linéaire de la bioéconomie.
La bioéconomie est la dénomina- besoins alimentaires et à une partie
tion récente d’une économie fondée des besoins en énergie et en matériaux La bioéconomie, dans son acception
sur l’utilisation de biomasse issue de la de la société, tout en préservant les res- globale, permet selon la FAO (Dubois
photosynthèse, plutôt que sur celle des sources naturelles et en garantissant la et Gomez San Juan, 2016), d’envisager
ressources fossiles (Colonna, 2013). En production de services environnemen- une approche intégrée des enjeux de
ce sens, il ne s’agit pas vraiment d’une taux de bonne qualité ». Cette définition la sécurité alimentaire, de changement
nouveauté puisque jusqu’au milieu est très voisine de celle donnée par la climatique et de préservation des res-
du XIXe siècle la survie de l’humanité a Commission Européenne (CE, 2012 ; sources naturelles et de la biodiversité,
essentiellement reposé sur les produits CE, 2018) et par le Comité allemand dans une perspective de développe-
naturels, forestiers, agricoles et aqua- de la bioéconomie (GBC, 2015), lequel ment économique durable. Dans cette
tiques, pour l’alimentation humaine et la englobe dans sa définition aussi bien vision large l’agriculture et l’élevage ont
production de matériaux (Abel et Blanc, la bioéconomie qualifiée de « tradition- toute leur place dans la bioéconomie
2017). Toutefois, le développement nelle » comme l’agriculture, la forêt, la comme élément transformateur de
actuel de la bioéconomie se fait dans un pêche et l’aquaculture, que les bioin- bioressources et producteur de biens
contexte complètement différent avec, dustries de transformation et de service et services (encadré 1).
d’une part, une population mondiale qui comme l’agroalimentaire, le papier, le
a été multipliée par cinq depuis 1850, textile, la construction, la chimie et la „„1.2. La bioéconomie,
une utilisation exacerbée des ressources pharmacie. Cette vision globale inclut l’économie circulaire
de la planète, accompagné d’atteintes dans son champ de réflexion et d’action et, l’écologie industrielle
à la biodiversité et au climat et, d’autre le bouclage des cycles d’énergie et de et territoriale
part, le développement de biotechno- matières, et pour l’attribut de bioéco-
logies innovantes (chimie de l’amidon, nomie circulaire est souvent utilisé. Il La bioéconomie partage de nombreux
synthèse microbienne d’acides aminés, existe aussi des définitions plus restric- points avec l’économie circulaire et l’éco-
de protéines, d’enzymes…) qui offrent tives, qui limitent la bioéconomie au logie industrielle qui proposent une nou-
des perspectives nouvelles. développement de biotechnologies velle vision des rapports entre l­ ’ensemble

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2485 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


206 / Jean-yves dourmad, Thomas guilbaud, Muriel tichit, Thierry BONAUDO

rels (Ehrenfeld, 2004). Elle s’inscrit dans bibliométrique récente, D’Amato et al.
Encadré 1. Quelques définitions.
le concept d’économie circulaire. En (2017) identifient sur la période 1990-
Les bioressources – ou biomasses – constituent France, on parle d’Écologie Industrielle 2016, 464 publications avec la termi-
le « substrat » de la bioéconomie. On y inclut et Territoriale (EIT) pour analyser les inte- nologie «  Bioeconomy », dont plus des
l’ensemble des matières d’origine biologique (à ractions sur les territoires entre les socié- trois quarts sont postérieures à 2010,
l’exclusion de celles d’origine fossile). Les végé- tés industrielles et la biosphère (Barles, indiquant qu’il s’agit bien d’un concept
taux terrestres, les algues, les animaux terrestres 2010 ; Madelrieux et al., 2017 ; Bonaudo récent. Ces publications sont essentiel-
ou aquatiques, les micro-organismes, les bio- et al., 2017). L’ambition de l’EIT est de lement le fait de revues scientifiques
mieux comprendre et piloter les interac- spécialisées dans les biotechnologies,
déchets produisent et constituent des biores-
tions entre société et environnement en l’utilisation de la biomasse, la produc-
sources. Les bioressources sont directement ou
étudiant les flux de matières et d’énergie tion d’énergie, l’économie et l’évalua-
indirectement issues de la photosynthèse et
mobilisés par les systèmes anthropiques tion environnementale. Aucune revue
sont renouvelables. comme les villes, les industries ou les du domaine des sciences animales ne
La bioéconomie dans son acception la plus territoires et les modes de gouvernance figure dans les 25 revues les plus utili-
large englobe l’ensemble des activités liées à la de ces flux. L’EIT vise à découpler la sées pour ces publications. De mêmes,
production, à l’utilisation et à la transformation croissance économique de celle de l’uti- parmi les 30 mots-clefs les plus cités
de bioressources. Ces activités permettent de lisation des ressources en favorisant au dans ces publications aucun ne fait
répondre de façon durable aux besoins alimen- niveau territorial le bouclage des flux de référence aux productions animales.
taires et à une partie des besoins en matériaux matière et d’énergie. Les leviers actionnés Cette situation peut paraître surpre-
et en énergie de la société. Elle contribue égale- peuvent consister en une réorganisation nante dans la mesure où les systèmes
ment à lui fournir des services écosystémiques. des activités humaines et l’émergence de d’élevage sont, à l’échelle de la planète,
Les produits biosourcés sont définis comme nouvelles formes de coopération entre parmi les principaux utilisateurs de
étant entièrement ou partiellement issus de acteurs sur les territoires ; ils renvoient biomasse et les principaux utilisateurs
bioressources. On peut aussi les qualifier de également à une optimisation des pro- des surfaces agricoles (cultures, pâtu-
bioproduits. cessus et à la mobilisation de technolo- rages, parcours), et qu’ils contribuent
gies, afin d’économiser les ressources et largement à la fertilisation des sols et
de diminuer les pollutions par exemple aux apports alimentaires de l’Homme
dans les systèmes d’élevage ayant un (Steinfeld et al., 2006). En fait la réfé-
des êtres vivants, les techniques, et la faible lien au sol (Dumont et al., 2013 ; rence à l’élevage dans les publications
biosphère. L’économie circulaire se déve- Thomas et al., 2014). Ce concept, appli- relatives à la bioéconomie concerne
loppe dans les années 1970, en particu- qué à l’agriculture, mobilise à la fois des principalement l’utilisation des
lier avec la publication du rapport «  The processus industriels (via les technolo- effluents d’élevage pour la production
Limits to Growth » (Meadows et al., 1972). gies) et des processus biologiques, mar- d’énergie par méthanisation.
Elle se définit comme un système éco- quant ainsi sa spécificité.
nomique d’échanges et de production De la même manière, les schémas de
qui, à tous les stades du cycle de vie des Abel et Blanc (2017)suggèrent que représentation de la bioéconomie font
produits, vise à augmenter l’efficience de le développement d’une bioécono- toujours référence aux bioressources
l’utilisation des ressources et à diminuer mie durable implique qu’elle adopte végétales et rarement aux bioressources
l’impact sur l’environnement tout en les principes de l’économie circulaire animales. Ceci ne permet donc pas de
développant le bien-être des individus. et que l’agriculture, qu’ils considèrent représenter finement les interactions
Pour cela, l’économie circulaire promeut comme l’un des éléments clés d’une entre ces différents bioressources, alors
un approvisionnement durable en res- bioéconomie durable, adopte les prin- que l’élevage est un moteur majeur des
sources, une consommation responsable, cipes de l’agroécologie. C’est un aspect flux de biomasse au sein des territoires.
une gestion des déchets favorisant leur qui est également souligné dans la der- Sur la base du schéma figurant dans le
recyclage et, le cas échéant, leur valorisa- nière version de document décrivant rapport interministériel « Une stratégie
tion énergétique. Dans cette logique de la stratégie bioéconomique de l’Union bioéconomie pour la France » (2016)
progrès, le rapport de l'Animal Task Force Européenne (EC, 2018). nous proposons une modification pour
(2016)souligne les nombreux atouts et le mieux prendre en compte les produc-
rôle à jouer par l’élevage. Dans le reste de cette publication tions animales dans la bioéconomie
nous considérerons que le terme bioé- (figure 1). Sur ce schéma figurent sépa-
L’écologie industrielle est née d’une conomie se réfère à cette vision circu- rément les bioressources végétales et
réflexion sur la nécessité d’un bou- laire de la bioéconomie. animales et leurs interrelations, ce qui
clage des cycles pour améliorer les permet de représenter leurs contribu-
performances économiques et environ­ „„1.3. La bioéconomie tions respectives à la couverture des
nementales des systèmes anthropiques. et l’élevage besoins humains, alimentaires et non
À la différence d’autres domaines de alimentaires. Les flux de « déchets »
recherche, son point de départ est une Les travaux scientifiques relatifs à la d’origine animale, végétale ou autres
métaphore qui associe les systèmes bioéconomie se réfèrent assez peu aux sont également représentés, avec leur
industriels et les écosystèmes natu- productions animales. Dans une a­ nalyse contribution possible à la couverture de

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les productions animales dans la bioéconomie / 207

Figure 1. Schéma de la bioéconomie avec représentation de l’élevage (adapté du de prairies permanentes), 1,5 M ha de
rapport « Une stratégie bioéconomie pour la France, enjeux et vision », 2016). fourrages issus de plantes annuelles et
1,5 M ha de céréales (Agreste, 2018).
Toutefois l’estimation précise des sur-
faces mobilisées est difficile car elle
nécessite de prendre également en
compte la contribution des coproduits
utilisés en alimentation animale et des
matières premières végétales impor-
tées. Ceci pose la question de l’allo-
cation des surfaces utilisées pour une
même culture qui produit différents
coproduits. Par exemple, le tournesol
produira de l’huile destinée à la consom-
mation humaine ou à la production de
carburant et des tourteaux destinés à
l’alimentation animale. Cette compta-
bilité est réalisée dans les approches
d’analyse de cycle de vie qui permettent
de calculer l’occupation de surface agri-
cole associée aux différents produits ani-
maux. En combinant ces valeurs avec les
statistiques de production on peut alors
estimer l’occupation de la SAU associée
aux différentes filières animales en
France. L’utilisation totale de surface
calculée de cette manière (52 % de la
SAU) est voisine de la valeur de 55 %
rapportée ci-dessus (Agreste, 2018). Les
productions bovines contribuent ainsi
besoins humains et au final leur retour Plus spécifiquement, nous abordons directement et indirectement à 82,4 %
vers la biosphère, principalement le sol. l’amélioration de l’efficacité productive de l’occupation de surface par les pro-
En plus des flux de biomasse figurent en favorisant la fermeture des cycles de ductions animales, dont 43,2 % pour la
également différents compartiments nutriments, la valorisation de MPV non production de viande issue du troupeau
de la biosphère dont l’« état » est sus- consommable par l’Homme, le recy- allaitant, 13,3 % pour la production de
ceptible d’être amélioré ou dégradé clage de coproduits, et la valorisation viande issue du troupeau laitier, 23,7 %
selon la nature et l’importance des flux des effluents. Pour organiser les syner- pour la production de lait et 2,2 % pour
qu’ils reçoivent. L’état de la « biosphère » gies territoriales entre bioressources la production de veaux de boucherie.
conditionne aussi la nature et l’impor- végétale et animale il est en effet néces- Les productions d’agneau, de porc, de
tance des services écosystémiques qui saire de mieux connaître la nature et volailles et d’œufs contribuent à res-
peuvent être rendus à la société. l’importance des flux de bioressources pectivement 3,7, 5,6, 6,1 et 1,9 % de
mobilisés et générés par l’élevage, leur l’occupation de surface par les animaux
Dans la suite de cet article nous allons variation spatiale et temporelle à diffé- (d’après Agribalyse, ADEME, 2014).
décrire plus précisément les flux de bio- rent niveau d’organisation (de l’animal
masses associés aux activités d’élevage au territoire national). Billen et al. (2014) estiment que plus de
et leurs contributions à la couverture 70 % des matières azotées des cultures
des besoins humains. Ceci permettra agricoles mondiales sont destinés à
d’explorer les défis et les opportunités
2. L’élevage et l’utilisation l’alimentation animale ; pourcentage
d’une meilleure intégration de l’élevage de surface agricole qui atteint 80 % pour l’Europe selon
dans la bioéconomie. En effet, l’éle- Sutton et al. (2011). Cette consommation
vage par son utilisation des sols, ses d’azote pour les productions animales
consommations de Matières Premières Selon Steinfeld et al. (2006), le chep- est à l’origine d’importants échanges
Végétales (MPV) et ses déjections est un tel mondial utilise directement ou indi- internationaux. Même si l’élevage valo-
facteur majeur d’équilibre ou de pertur- rectement 70 % des terres agricoles. rise en grande partie des ressources non
bation des cycles biogéochimiques, des Le cheptel français utilise directement consommables par l’Homme comme
services écosystémiques et de la biodi- (pâturages et fourrages) ou indirecte- les pâturages, les fourrages conser-
versité. Il a un rôle majeur dans l’utilisa- ment (concentrés) environ 55 % de la vés, les coproduits ou sous-produits, il
tion, la transformation et la fourniture SAU, avec 12,5 M ha de prairies (3,2 M peut aussi rentrer en concurrence avec
de bioressources. ha de prairies temporaires et 9,3 M ha ­l’alimentation humaine.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


208 / Jean-yves dourmad, Thomas guilbaud, Muriel tichit, Thierry BONAUDO

La forte contribution des ruminants recyclage de leurs déjections comme de m­ onogastriques, les élevages de
à l’occupation de surfaces est principa- fertilisants. Les aliments et les déjections ruminants restant plus liés au sol par la
lement liée à l’utilisation des prairies peuvent être stockés avant d’être utili- production de fourrages et le pâturage,
qui représentent à l’échelle nationale sés ou directement prélevés et épandus ce qui favorise une meilleure valorisa-
environ 45 % de la SAU. À l’échelle des par les animaux au pâturage. L’élevage tion des effluents.
parcelles les prairies sont le support joue un rôle important dans le maintien
d’une biodiversité floristique et fau- de la fertilité des terres agricoles, sur- À l’échelle du système d’élevage, l’ef-
nistique qui peut être favorisée par tout en l’absence de fertilisation miné- ficience globale d’utilisation des nutri-
des conduites spécifiques de fauche rale, l’apport de matières organiques ments dépend à la fois de l’efficience
et de pâturage (Dumont et al., 2016). issues de l’élevage étant alors le prin- des différents processus (élevage des
Les prairies augmentent également cipal fertilisant. Les déjections sont la animaux, gestion des effluents, rota-
la diversité des paysages agricoles et deuxième source d’azote en France avec tion des cultures…) et de la cohérence
de ce fait influencent positivement la 1,82 Tg N/an (1 Tg = 1012 g = 1 million globale du système ; cette dernière
biodiversité à l’échelle des territoires de tonnes) juste derrière les 2,11 Tg N/ conditionne l’importance des intrants
(Dumont et al., 2016). Plus générale- an d’engrais (Peyraud et al., 2012). Cet (aliment, engrais), les besoins en sur-
ment, les systèmes d’élevage contri- azote est essentiel au maintien de la fer- face et les possibilités de recyclage des
buent également à accroître la diversité tilité des sols mais il est aussi à l’origine éléments. Un système peu efficient à
des assolements dans les exploitations de pollutions diffuses. l’échelle de l’animal (rétention faible)
et dans certaines régions à préserver le peut être efficient à l’échelle globale
bocage (Dourmad et al., 2017). Les prai- Au cours du XXe siècle, la spécialisa- lorsque les effluents sont bien valorisés
ries contribuent aussi à l’atténuation du tion des exploitations et des territoires et que les pertes vers l’environnement
changement climatique par la fixation a conduit à la dissociation progres- sont faibles. À l’inverse des animaux
de carbone. En Europe la séquestration sive des pôles végétal et animal. Les efficients ne suffisent pas à garantir
de carbone des prairies permanentes éleveurs font désormais appel à des l’efficience à l’échelle du système si les
est estimée à 500 à 1 200 kg C/ha/an intrants, principalement des aliments nutriments sont mal recyclés du fait de
(Soussana et Lüscher, 2007 ; Dollé et al., concentrés, mais aussi des médica- pertes importantes par volatilisation ou
2013). ments, des engrais, des produits phy- épandus en excès sur les cultures.
tosanitaires et de l’énergie. Le corollaire
de cette spécialisation est un excé- „„3.1. Utilisation de l’azote,
3. Les flux dent et une mauvaise valorisation des du phosphore et du carbone
de bioressources associés effluents dans les exploitations et ter- par les animaux
ou générés par l’élevage ritoires d’élevage et l’appauvrissement
en matière organique des sols des Le pourcentage de rétention azotée
exploitations et territoires céréaliers. La est très variable, de 10 à 55 % selon
Dans les exploitations de poly- régionalisation des productions rend l’espèce animale (figure 3). La quantité
culture-élevage les nutriments s’in- plus difficile les échanges d’effluents d’azote excrété varie entre 45 et 90 %
sèrent dans des cycles qui associent entre exploitations, alors que le déve- de l’azote ingéré. Toutefois, seule une
les pôles végétal et animal (figure 2  ; loppement de l’industrie de l’alimen- fraction de l’azote excrété est réelle-
Petersen et al., 2007 ; Bonaudo et al., tation animale organise le transport ment valorisable pour la fertilisation,
2014). Les échanges entre ces deux des céréales, des oléo-protéagineux et compte tenu des émissions gazeuses
pôles sont assurés par l’utilisation de des coproduits agroalimentaires sur de dans le bâtiment, au stockage et à
cultures, de pâturages et de parcours longues distances. Ce constat est par- l’épandage. Dans le cas des vaches allai-
pour l’alimentation des animaux et le ticulièrement avéré pour les élevages tantes conduites à l’herbe et dans une
moindre mesure dans le cas des vaches
Figure 2. Représentation des flux de nutriments dans une exploitation d’élevage laitières, les émissions gazeuses sont
(d’après Bonaudo et al., 2014). relativement faibles, une part impor-
tante des déjections étant excrétée au
Pertes vers
pâturage avec peu de pertes gazeuses.
l'environnement À l’inverse, dans le cas des volailles et
des porcs élevés sur litières les pertes
Intrants Produits animaux
Cultures
Céréales, fourrages,
Animaux gazeuses sont plus importantes. Les
Aliment du bétail,
Fertilisation,
Prairies coproduits... Lait, œuf, viande porcs élevés sur caillebotis avec pro-
Porcs, volailles,
Mécanisation... Légumineuses ruminants duction de lisier se trouvent en situa-
Fumier, lisier, tion intermédiaire.
Céréales compost...
Services
Services
Écosystémiques
Écosystémiques La réduction des émissions gazeuses
dans les différents systèmes d’élevage
Flux (matière et énergie) Agroécosystème constitue un objectif prioritaire dans la
Interactions (temps / espace) Écosystème mesure où une part de ces émissions

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les productions animales dans la bioéconomie / 209

se fait sous des formes polluantes de l’ingéré (10 à 20 %). Les émissions FAB et FAF) constituent la part principale
(NH3, N2O et NOx) et que ces émissions gazeuses constituent de loin le flux le des aliments concentrés. Sur les 53,8 Mt
doivent être compensées à l’échelle plus important (figure 3). Il s’agit prin- de céréales produites en France (hors riz
du système par des apports exogènes cipalement du CO2 émis lors de la res- et maïs ensilage), 37,8 Mt sont exportées
d’azote (engrais minéraux, fixation sym- piration et dans une moindre mesure sous la forme de grains ou de produits
biotique). Par ailleurs, la volatilisation du CH4 entérique (surtout chez les rumi- transformés, 5,7 Mt sont utilisées en
totale de composés azotés et leur forme nants) ou émis pendant le stockage des alimentation humaine après transfor-
peuvent fortement varier selon le mode effluents. Le carbone excrété, qui corres- mation et 16,7 Mt sont utilisées en ali-
de gestion des effluents. Elle dépasse pond à la fraction non digestible de l’ali- mentation animale, soit directement à
ainsi 60 % de l’azote excrété pour les ment, se retrouve principalement dans la ferme (6,9 Mt) soit dans les aliments
modes de gestion solides (fumier, les fèces. Cette part est faible pour les concentrés (9,3 Mt) sous forme de grains
compost) et avec traitement aérobie. animaux monogastriques qui reçoivent ou de coproduits. L’alimentation animale
Le mode de gestion des effluents asso- des aliments dont la digestibilité de la utilise trois fois plus de céréales que la
ciant collecte de lisier frais, couverture matière organique est élevée. Toutefois consommation humaine, soit l’équiva-
des fosses et injection de lisier est celui elle peut varier significativement selon lent de 31 % de la production nationale,
qui permet le mieux de recycler l’azote la nature du régime, en particulier chez pour partie sous forme de coproduits.
(25 % d’émission gazeuses et 75 % de les ruminants et chez le porc. À titre
recyclage) (Bonneau et al., 2008). Une d’exemple, un enrichissement même La composition et la destination
fois épandu, la partie de l’azote des modéré en fibres du régime d’un porc des aliments issus de la FAB sont bien
effluents, à l’instar de l’azote des engrais à l’engrais peut s’accompagner d’une connues (Agreste, 2018) alors que
minéraux, peur être lessivée dans des augmentation de plus de 50 % de l’ex- celles des fourrages est des aliments
proportions qui dépendent de l’équi- crétion de matière organique (Jarret FAF le sont moins. Les aliments FAB
libre entre les apports et les besoins et al., 2011) accroissant ainsi largement sont consommés principalement par
des plantes, ce qui affecte également le potentiel de production de CH4. les volailles (42 %), les bovins (26 %)
l’efficacité du recyclage réel (Peyraud et les porcs (24 %). Ils contiennent en
et al., 2012). „„3.2. Les bioressources moyenne 48 % de céréales, principale-
pour l’alimentation ment du blé et du maïs, 42 % de copro-
L’efficience de rétention du phos- des animaux duits et 1,5 % de protéagineux. Parmi
phore par les animaux est la plus élevée les coproduits, les tourteaux d’oléo-pro-
pour le poulet standard, suivi du porc, a. Flux de matières premières téagineux sont les plus importants
du poulet label rouge et de la vache lai- La consommation totale d’aliments (32 % de tourteau de soja, 21 % de
tière (figure 3) ; les poules pondeuses par les animaux élevés en France s’élève à tourteau de colza et 15 % de tourteau
et les vaches allaitantes présentant les 113 Millions de tonnes (Mt) en 2015 ; c’est de tournesol), suivi des coproduits de
efficiences les plus faibles. La quantité le flux de bioressources le plus important transformation des céréales (26 % de
de phosphore recyclable représente à l’échelle nationale. Avec environ 70 % sons, remoulages, drèches, solubles…)
entre 85 et 48 % du phosphore ingéré. du total, les fourrages représentent la (Agreste, 2018).
Compte tenu de l’absence de volatilisa- part principale de ces aliments, suivis des
tion, elle est peu sensible aux modalités aliments produits par l’industrie de fabri- L’utilisation du tourteau de soja (pro-
d’élevage et de gestion des effluents. cation d’aliments du bétail (FAB) (19 %) téagineux) est en baisse (3,5 Mt en 2015,
et des matières premières utilisées à la – 19 % en dix ans). Il est remplacé par du
Pour toutes les espèces, le carbone ferme (FAF) (11 %) (Agreste, 2018). Les tourteau d’oléagineux comme le tour-
retenu représente une faible fraction céréales et leurs coproduits (utilisés en teau de colza (2,7 Mt en 2015, + 75 % en
dix ans) et de tournesol (1,5 Mt en 2015,
Figure 3. Efficience d’utilisation de l’azote (N), du phosphore (P) et du carbone (C) + 115 % en dix ans). Les autres protéa-
par différentes espèces et productions animales (d’après Corpen 1999, 2001 ; gineux (hors soja) ayant actuellement
Faverdin et al., 2006 ; Giovanni et Dulphy, 2008 ; Rigolot et al., 2008 ; ITAVI, 2013 ; une contribution négligeable alors
Dourmad et al., 2016).
que dans les années 90 on en utilisait
100 environ 2 Mt en alimentation animale
en France, en particulier du pois, de la
80
% de l'ingéré

féverole et du lupin (Marouby, 2016).


60 L’accroissement de l’utilisation de tour-
40 teau de colza a été largement favorisé
par le développement de la production
20
de biocarburants. Par ailleurs le recours
0 aux acides-aminés produits par les
N P C N P C N P C N P C N P C N P C N P C
vache vache porc porc poulet poulet poule bio-industries a également beaucoup
laitière allaitante « lisier » « litière » standard label pondeuse contribué à la réduction de la teneur en
protéines des rations, et au remplace-
Retenu Épandable Gaz
ment d’une partie du tourteau de soja

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


210 / Jean-yves dourmad, Thomas guilbaud, Muriel tichit, Thierry BONAUDO

Figure 4. Contribution de l’alimentation animale à la valorisation des coproduits représentent en quantité environ 11 %
de différentes bioindustries (Reseda, 2017). des aliments concentrés, hors fourrage.
Cette valeur est aussi plus faible que
Oléo-protéagineux
pour la moyenne de l’UE estimée à 18 %
Sucrerie
(d’après Dumont et al., 2016).
Amidonnerie
Meunerie
b. Flux de matières azotées
Industrie Laitière
À l’échelle nationale, le cheptel (rumi-
Distillerie
nants et monogastriques) consomme
Abattage-découpe
d’importantes quantités de protéines
Brasserie
(tableau 1). Il s’agit principalement de
Semoulerie de maïs fourrages (7,91 Mt de MAT), suivis par
Malterie des tourteaux (3,31 Mt de MAT), des
0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500 4000 4500 céréales (1,80 Mt de MAT), des copro-
duits (0,52 Mt de MAT) et des oléo-pro-
Industrie de l’alimentation des animaux de rente (1 000 T brutes)
Direct en élevage (1 000 T brutes) téagineux (0,22 Mt de MAT ). Les
ruminants sont les plus gros consom-
mateurs de protéines (100 % des four-
par des céréales et des acides aminés, sucrerie, des oléagineux, de la brasserie rages et plus de 49 % des concentrés).
en particulier pour le porc. et de l’industrie laitière (figure 4). Ils consomment 54 % des tourteaux
et valorisent fortement les coproduits
La majorité des coproduits sont valo- Le taux de couverture national des (75 % des coproduits). Les mono-
risés sous forme sèche et pour la plu- besoins en matières premières riches gastriques consomment deux fois plus
part en FAB. Il existe toutefois une part en protéines (tourteaux, protéagineux, de céréales que les ruminants (67 % des
des coproduits qui est valorisée direc- drèches) pour l’alimentation animale céréales), peu de coproduits et presque
tement sous forme humide à proxi- s’élève environ à 55 % (Marouby, 2016). autant de tourteaux que les ruminants.
mité et en partenariat avec l’industrie Cette valeur est supérieure à la moyenne
agroalimentaire. Les coproduits utilisés de l’UE dont le taux de couverture est de Si on compare cette consomma-
directement en élevage proviennent seulement 30 %. En moyenne les incor- tion à l’offre nationale de Matières
principalement des industries de la porations de tourteaux importés, y com- Premières Végétales (MPV) disponibles
pris sous forme de graines oléagineuses, pour l’alimentation animale, la France

Tableau 1. Bilan annuel moyen d’utilisation des matières premières végétales (MPV), en millions de tonnes de protéines
(Mt MAT), pour l’ensemble du cheptel métropolitain (ruminants et monogastriques). (Moyenne des années 2010-2011-2012,
d’après Therond et al., 2017).

Concentrés
Total
Flux en Mt MAT Fourragesf
Oléo- Total Aliments
Céréalesb Tourteauxd Coproduitse
protéagineuxc concentrés

Disponibilité de MPVa
pour l’alimentation 1,910 0,164 0,699 0,628 3,401 8,255 11,656
animale

Consommation totale
1,805 0,226 3,312 0,527 5,870 7,916 13,786
de MPV

Par les monogastriques 1,214 0,115 1,528 0,129 2,986 0 2,986

Par les ruminants 0,591 0,111 1,784 0,398 2,884 7,916 10,800

Bilan : Disponibilité –
0,105 – 0,062 – 2,613 0,101 – 2,471 0,339 – 2,132
Consommation
a
MPV : Matière Première Végétale ;
b
blé, orge, triticale, maïs grain, seigle, avoine, sorgho, mélanges et autres céréales ;
c
colza, tournesol, soja, lin, pois, fèves et fèveroles, lupin ;
d
colza, tournesol, soja ;
e
pulpes de betterave, mélasse de betterave, issues de meunerie, luzerne déshydratée, corn gluten feed, gluten 60 ;
f
maïs fourrage, autres fourrages annuels, prairies permanentes et prairies temporaires.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les productions animales dans la bioéconomie / 211

est excédentaire pour les fourrages Figure 5. Répartition de la consommation de matières azotées par les ruminants et
(104 % d’autonomie), les céréales les monogastriques et contribution des différentes sources de matières premières
végétales (d’après Therond et al., 2017).
(106 % d’autonomie) et les coproduits
(119 % d’autonomie). Elle est défici-
taire en tourteaux (seulement 21 % 21 % 79 %

d’autonomie) et en oléo-protéagineux Co-produits Oléoprotéagineux


4% 4%
(72 % d’autonomie). Ces deux dernières
catégories de MPV sont importées
Tourteaux
pour combler le déficit en protéines. Tourteaux
Fourrages Concentrés 16 %
73%
Ceci correspond à une importation de 51 % 27 %

l’équivalent de 45 % des protéines des Céréales


6%
aliments concentrés (tableau 1). Si l’on Céréales
Co-produits
41 %
tient compte de l’ensemble des sources 4%
Oléoprotéa-
de protéines, y compris les fourrages, gineux 1 %
le bilan est beaucoup moins déficitaire
avec une autonomie protéique natio- cette étude indique de fortes dispari- qu’environ 37 % de ces importations
nale pour l’alimentation des animaux tés spatiales dans la capacité des PRA correspondent à des cultures situées en
de 81 % (Jouven et al., 2018). à nourrir les animaux qu’ils hébergent. dehors de l’UE (­principalement du soja
Ainsi 18 % des PRA présentent une très au Brésil et en l’Argentine et du tourne-
La consommation totale de MPV faible (< 70 %) ou une faible autonomie sol dans la région de la Mer Noire) ;
s’élève à 13,8 Mt de MAT (figure 5). Les (70 et 90 %), 35 % présentent un très
fourrages représentent 58 % de cette fort excédent (> 130 % d’autonomie) et ii) dans les montagnes humides du
consommation et les concentrés 42 %. 47 % ont un niveau d’autonomie proche Massif central et le piémont intensif
Les deux principaux concentrés consom- de 100 % ou modérément excédentaire avec d’importantes surfaces en prai-
més sont les tourteaux (24 %) et les (Jouven et al., 2018). ries permanentes et une orientation
céréales (13 %). Les coproduits repré- lait-viande ;
sentent 4 % de la consommation de MAT. Les PRA à autonomie faible et très
Les ruminants, du fait de leur nombre faible sont concentrées au cœur des iii) dans les montagnes laitières
important, consomment 79 % de la bassins de production animale : (Vosges, Franche Comté, Alpes) ainsi
totalité de la MAT des MPV contre 21 % que dans le Nord-Pas de Calais et la
pour les monogastriques. Les ruminants i) dans la zone intensive du Grand- zone pastorale méditerranéenne.
consomment majoritairement des MAT Ouest (Bretagne, Pays de Loire et
issues des fourrages (73 %) suivis des Nord-Ouest du Poitou) où se combine Les PRA autonomes sont localisées
tourteaux (16 %), des céréales (6 %), des élevage de vaches laitières hautes pro- dans les zones herbagères produc-
coproduits (4 %), des oléo-protéagineux ductrices et de monogastriques. Les tives du Nord-Ouest et du Nord Est à
(1 %). Les monogastriques consomment surfaces cultivées le sont essentielle- dominante laitière (Basse Normandie,
principalement des protéines issues des ment pour l’alimentation des animaux. Lorraine) et sur la bordure Nord et
tourteaux (51 %) et des céréales (41 %), En Bretagne par exemple elles sont Ouest du Massif central à dominante
suivi de coproduits (4 %) et d’oléo-­ dominées par les céréales et oléo-pro- allaitante.
protéagineux (4 %). téagineux (35 %), le maïs fourrage
(19 %) et les prairies temporaires (31 %) Les PRA très excédentaires sont
c. Importance de la diversité (Dourmad et al., 2017). Dans cette localisées dans les zones polyculture-­
régionale région, avec le plus faible niveau d’au- élevages du bassin aquitain et en bor-
Dans le cadre de la bioéconomie tonomie à l’échelle nationale, le déficit dure du bassin parisien. Les cultures y
circulaire il est également important en MPV premières pour l’alimentation sont dominantes et l’élevage est en forte
de prendre en compte les interactions animale était estimé à 5,6 millions de régression. On pourrait y adjoindre les
entre élevages et cultures à des échelles tonnes en 2013 soit un peu plus l’équi- PRA céréalières qui représentent envi-
plus fines que l’échelle nationale, valent de la totalité de la production ron 15 % des PRA non prise en compte
puisque les complémentarités entre régionale de MPV qui s’élevait à 5 mil- dans cette étude.
les différentes activités se construisent lions de tonnes (cité par Dourmad et
plus facilement lorsqu’elles se trouvent al., 2017). Les céréales représentent la „„3.3. Les flux vers
à proximité et elles nécessitent moins part principale de ce déficit (40 %), suivi l’alimentation humaine
de transports. Ce travail a été réalisé à du tourteau de soja (18 %), du tourteau
l’échelle des petites régions agricoles de colza (14 %), des coproduits (10 %) Dans le cadre de la bioéconomie,
(PRA) françaises, où l’élevage est signi- et du tourteau de tournesol (7 %). Les l’élevage est considéré comme une
ficativement présent, dans le cadre matières premières végétales « impor- « bioactivité » ou une « bioindustrie »
de l’étude INRA « EFESE-Écosystèmes tées » correspondent à une SAU d’en- permettant de transformer des biores-
Agricoles » (Jouven et al., 2018). L’analyse viron 670 000 ha, soit l’équivalent de sources végétales, consommables ou
de la variabilité entre PRA réalisée dans 40 % de la SAU régionale. On estime non par l’Homme, en aliments à haute

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


212 / Jean-yves dourmad, Thomas guilbaud, Muriel tichit, Thierry BONAUDO

Figure 6. Répartition des protéines corporelles des animaux, ou de leurs produits, forme liquide (lisier) ou solide (fumier,
entre les parties consommables ou non (d’après Laisse et al., 2017). fientes). Les effluents sont en majorité
épandus comme fertilisant sur les terres
Bovins - élevage naisseur-engraisseur
de l’exploitation ou dans des exploita-
Vache laitière de réforme tions voisines, dans le cadre d’un plan
Ovins viande d’épandage. En moyenne à l’échelle
nationale les effluents d’élevages repré-
Porc conventionnel
sentent un peu plus de 1/3 des apports
Poulet de chair standard totaux azotés et la moitié des apports
Lait en phosphore. Leur contribution est
cependant très dépendante de la den-
Œufs
sité animale (Peyraud et al., 2012). Avec
0 20 40 60 80 100 en moyenne 130 kg N/ha SAU, elle est la
Répartition des protéines (%) plus élevée en Bretagne où les effluents
Viande, lait, œufs
d’élevage contribuent à environ 75 %
Abats consommables des apports totaux azotés (Dourmad et
Coproduits alimentaires (gélatine, graisses...) al., 2017). Malgré des apports faibles par
Coproduits à autres usages ou pertes ha (< 50 kg/ha) les effluents d’élevages
ont également une contribution majori-
taire aux apports d’azote dans les zones
valeur nutritionnelle pour l’Homme, en les premiers contributeurs des apports extensives d’élevage où les apports de
particulier des protéines très digestibles en calcium (58 %) et en iode (44 %) d’azote minéral sont quasi nuls. Leur
et bien équilibrées en acides a­ minés, ainsi qu’en vitamine D (63 %). Depuis contribution est par contre très faible
des minéraux, des oligoéléments et des quelques années, on observe en France dans les zones céréalières.
vitamines. Toutefois, seule une part des comme en Europe une réduction de la
animaux ou de leurs productions est consommation de produits animaux, Toutefois, dans les zones à forte den-
consommable par l’Homme, de sorte en particulier celle de viande bovine et sité animale les possibilités d’épandages
que des coproduits animaux sont éga- ovine et dans une moindre mesure celle des effluents sont parfois inférieures
lement générés (figure 6, Laisse et al., de porc et de produits laitiers alors que aux quantités produites. Les effluents
2017). Pour le lait et les œufs la part des la consommation de viande de volailles subissent alors différents traitements
protéines consommables est voisine de et de produits de la mer s’accroît. visant le plus souvent à réduire leur
100 % alors qu’elle est plus faible et très charge en azote ou en phosphore et
variable selon les espèces pour la produc- „„ 3.4. Les flux d’effluents à produire des fractions mieux maî-
tion de viande, avec des valeurs extrêmes trisables (séparation de phase, diges-
variant au niveau de l’animal entre 39 % La quasi-totalité des effluents pro- tats), hygiénisées (composts, effluents
pour les ovins et 87 % pour le porc. duits par les animaux sont utilisés pour séchés), désodorisées (composts, diges-
la fertilisation des sols, soit directement tats) ou plus facilement transportables
Selon les résultats de la dernière lorsque les animaux sont élevés au (composts, effluents solides ou séchés).
étude de l'Anses (2017), l’ensemble des pâturage soit après un stockage sous Les principaux traitements réalisés
produits animaux (produits laitiers et
viandes, poissons, œufs) contribuent
Figure 7. Contribution des produits animaux aux apports moyens d’énergie,
à environ 60 % des apports protéiques
de protéines, de lipides, de calcium et de vitamines D et B12, chez les jeunes
des français, quel que soit l’âge, avec une (J < 18 ans) et les adultes (A) (d’après Anses, 2017).
contribution décroissante des produits
laitiers avec l’âge (figure 7). La contribu- 100
tion des produits animaux aux apports 90
Contribution des produits

lipidiques est plus faible que pour les 80


protéines et s’élève à environ 40 %, avec 70
animaux (%)

comme pour les protéines une part des 60


produits laitiers qui diminue avec l’âge. 50
La contribution des produits animaux 40
aux Apports Énergétiques Totaux (AET), 30
21 % en moyenne, est plus faible que 20
pour les protéines et les lipides. Ceci 10
s’explique par le fait que 46 % des AET 0
sont assurés par les glucides d’origines J A J A J A J A J A J A
végétales (amidon et sucre) qui sont Énergie Protéines Lipides Calcium Vit. D Vit. B12
absents des produits animaux. Chez
Autres Viandes - Poissons - Œufs Lait - Produits laitiers
les enfants, les produits laitiers sont

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les productions animales dans la bioéconomie / 213

concernent la séparation de phase et du temps de présence des animaux en nisées en 2016, soit environ 2 % de la
l’épuration biologique par digestion bâtiments. La contribution de la paille quantité totale disponible. Dans la même
aérobie pour les lisiers, le compostage ajoutée pour la constitution des litières étude, 236 unités de méthanisation en
pour les fumiers (éventuellement pour est également prise en compte. Sur cette service à la ferme et 31 unités centralisées
les lisiers en ajoutant de la paille ou base les effluents d’élevage représentent ont été recensées en France au 1er janvier
d’autres produits végétaux), la diges- environ 120 Millions de tonnes (Mt) de 2016, pour une puissance électrique ins-
tion anaérobie majoritairement pour matière brute, 24,2 Mt de matière sèche tallée de 78 MW équivalente. Cette situa-
les lisiers mais possible également et 19,4 Mt de matière organique. Les tion contraste avec celle de l’Allemagne
pour les fumiers. La digestion aérobie effluents liquides (lisier) représentent où l’on comptait 9 300 unités de biogaz
et le compostage entraînent des pertes 30 % de la masse pondérale totale mais pour une puissance électrique instal-
d’azote, qui même si elles se font majo- seulement 8 % de la matière organique. lée de 4 500 MW équivalente fin 2016
ritairement sous forme non polluante Au total le potentiel de production de (Fachverband Biogas, 2017).
(N2), constituent des pertes à l’échelle méthane de la matière organique des
du système. Un peu plus de 2 millions effluents d’élevage correspondrait à Les perspectives de développement
de m3 de lisier de porcs sont ainsi trai- 45 TWh d’énergie primaire (Elba, 2018) de la méthanisation des effluents d’éle-
tés en Bretagne, surtout par digestion issue pour 76 % de la filière ruminants vages pour la production de gaz ou
aérobie, pour un abattement d’envi- (bovins, ovins, caprin), 10 % de la filière d’électricité sont donc très importantes.
ron 5 600 tonnes d’azote (Levasseur et équine, 9 % de la filière avicole et 5 % de L'ADEME (2016) prévoit une mobilisa-
Lemaire, 2006) ce qui correspond à près la filière porcine. Ceci correspond à une tion de 30 % des effluents d’élevage à
de 10 % de l’azote des effluents porcins. valeur proche de la production hydroé- l’horizon 2030 et 50 % à l’horizon 2050.
La production d’engrais organiques lectrique française qui s’élève à 54 TWh. Avec les technologies actuelles l’IFIP
transportables sur de longues distances Les régions du Grand-Ouest (Bretagne, (in ADEME, 2016) considère qu’il serait
permet aussi de réduire la pression en Pays de Loire, Basse Normandie) contri- possible de mobiliser 30 % des lisiers de
azote et en phosphore sur des zones buent à elles seules 34 % du potentiel porc à horizon 2030 et 80 % à horizon
à forte concentration d’élevage et de total (figure 8). À titre de comparaison 2050. Une mobilisation de 25-30 % est
trouver de nouvelles complémentarités la biomasse végétale (pailles, menues également envisagée pour les effluents
entre exploitations porcines ou avicoles pailles, rafles…) disponible (production bovins par l’IDELE à horizon 2030, mais
et d’autres exploitations (céréalières, techniquement récoltable moins usages de nouvelles technologies seront
maraîchères…), tout en assurant un actuels) s’élève à 6,6 Mt de matière sèche. nécessaires pour aller au-delà.
bon recyclage des éléments. Le traite-
ment par méthanisation des effluents L’ADEME estime que seulement Malgré un pouvoir méthanogène rela-
d’élevage, souvent en association avec 2,4 Mt de matière brute d’effluents, tivement limité les effluents ­d’élevage
d’autres substrats organiques d’origine ­principalement du lisier, étaient métha- par leur quantité et ­ d isponibilité
végétale ou issus de l’industrie agro­
alimentaire, peut aussi être utilisé pour Figure 8. Répartition du potentiel de production de biométhane (barres ­verticales,
produire de l’énergie (biogaz, électri- millions Nm3 CH4 ) des effluents d’élevages selon les régions et les espèces ­animales
cité, chaleur). Cette voie est intéres- (d’après Elba, 2018).
sante car elle permet de contribuer à la
couverture des besoins énergétiques
sans affecter la valeur fertilisante des 189

effluents. Elle s’accompagne toutefois


d’une réduction de la teneur en matière 136 148
organique de l’effluent qui pourrait à 314
terme entraîner des effets sur la teneur 38 140 225
583 55
en matière organique des sols.
619
Les Instituts Techniques en collabora- 583 136
tion avec l’ADEME ont développé un outil 234
10 %
informatisé (Elba, 2018) qui permet d’es- 9%
timer à l’échelle des régions, des dépar- 5% 232
tements ou des cantons, la bioressource 146
279 242
agricole, d’origine végétale ou animale, 76 %
potentiellement utilisable pour la pro-
duction d’énergie par méthanisation. 207
Ruminants
Pour les effluents d’élevage cette biores- 58
Porcins 314 61
source est calculée pour les différentes Volailles
espèces animales en tenant compte des Équidés
effectifs concernés, des modalités de 6
collecte des effluents (lisier, fumier…) et

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


214 / Jean-yves dourmad, Thomas guilbaud, Muriel tichit, Thierry BONAUDO

s’avèrent être des bioressources par- i) la Catégorie 1 est destinée à la des- La diversité des utilisations des bio-
ticulièrement intéressantes pour la truction, elle concerne les sous-produits produits issus des animaux est en fait
méthanisation. Ils apportent aussi l’en- suspects de maladies transmissibles à très grande et concerne de nombreux
semble des nutriments et micronutri- l’homme ou aux animaux ou pouvant secteurs d’activités.Meindertsma
ments nécessaires au développement contenir des contaminants dangereux ; (2007)a ainsi identifié près de 200 uti-
des micro-­organismes responsables de lisations différentes. Les bioproduits
la digestion anaérobie ; du fait de leur ii) la Catégorie 2 est interdite en ali- animaux sont ainsi utilisés dans l’indus-
fort pouvoir tampon ils permettent de mentation animale. Elle est constituée trie pharmaceutique, l’habillement, la
stabiliser le pH du digesteur, ce qui de sous-produits animaux issus d’un cosmétique, la joaillerie, la production
est un atout majeur de stabilité du animal mort en dehors d’un abattoir, ou de détergents, la décoration et le maté-
procédé (Béline et al., 2010 ; Weiland, contenant des résidus de médicaments ; riel d’art, les transports, la production
2013). Toutefois pour accroître l’effi- d’énergie, de fertilisant, etc.
cience des digesteurs, les effluents iii) la Catégorie 3 est valorisable en
d’élevage sont souvent associés à alimentation animale, en particulier
d’autre bioressources, en particulier de pour l’alimentation des animaux fami-
4. Un exemple
la biomasse végétale et des coproduits liers et des poissons. Elle comporte des de bioéconomie circulaire
issus de l’industrie agroalimentaire. sous-produits issus d’animaux sains dans un territoire à forte
Un travail d’inventaire similaire à celui abattus en abattoirs et déclarés propres empreinte animale
réalisé pour la bioressource agricole à la consommation humaine.
est en cours pour les résidus et copro-
duits organiques des agro-industries Les coproduits animaux sont trans- Après avoir décrit les différents flux de
(www.valormap.fr/). formés dans des unités de production bioressources utilisées et générées par
dédiées en fonction de leur catégorie et les activités d’élevage (bioéconomie),
„„ 3.5. Les coproduits leur valorisation potentielle, en Protéines nous allons illustrer comment des sys-
animaux issus Animales Transformées (PAT) et graisses tèmes peuvent être conçus dans l’ob-
de ­l’agro-industrie (SIFCO, 2010). Les graisses et PAT de caté- jectif de mettre ces flux en relation les
gorie 1-2 sont majoritairement brûlées uns avec les autres, pour accroître l’effi-
Il existe de nombreux coproduits et produisent de l’énergie et une autre cience globale, en réduisant les pertes
et sous-produits animaux non-­ partie sert de fertilisant. Pour la catégorie dans l’environnement. Ce processus
consommables par l’Homme. Une large 3, les graisses sont valorisées pour 55 % relève de la bioéconomie circulaire,
partie de ces bioressources est tout en savonnerie et oléo chimie et pour associant la bioéconomie au concept
de même valorisée (figure 9). Chaque 40 % elles intègrent les aliments pour d’économie circulaire, dans une pers-
sous-produit animal a des usages dif- animaux familiers et l’aliment du bétail. pective de bouclage des cycles.
férents en fonction du risque sanitaire Les PAT sont valorisés à 80 % dans les
qu’il peut représenter. On distingue aliments pour animaux familiers et les Nous proposons de l’illustrer par une
trois catégories de produits : aliments pour les poissons. étude de cas la stratégie de bioécono-
mie circulaire adoptée par une coopé-
Figure 9. Flux de sous-produits animaux et leur valorisation (France, tonnes de rative porcine de l’Ouest de la France
matières brutes, d’après SIFCO, 2010). (Cooperl Arc Atlantique). Celle-ci asso-
cie sur un même site des activités de
Tonnes de matières brutes
production de chaleur, de production
59 751 de biogaz, d’abattage et de découpe
Cuir
Alimentation Humaine 322 641 Petfood de porc, de traitement et de recyclage
280
de l’eau, de traitement d’effluents et de
28 638
FAB
coproduits animaux et de production
Viande 75 472
d’engrais organiques (figure 10).
PAT
1 854 743
442 672 Oléochimie-
Cat 3 193 496 Savonnerie Le site où sont implantés la majo-
Graisses rité des activités est à l’origine un site
Industrie de
Abattoir 2 459 573
transformation 362 648 65
Autres/Stock
d’abattage et de découpe de porcs.
12 809
Différents équipements y ont été
604 830
implantés progressivement afin d’as-
PAT
ATM
250 074
19 306 Os/Gélatine
surer une production renouvelable
Équarrissage Cat 1/2
d’énergie thermique, le traitement et
433 413 (3 % équin,1 % autre)
Graisses 21 442
Fertilisant
le recyclage de l’eau, la valorisation des
106 348 70 037
coproduits animaux, la production de
228 632
fertilisants organiques et à court terme
1 700 Énergie la production de biogaz (Convers et al.,
2 383
2018).

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les productions animales dans la bioéconomie / 215

Figure 10. Exemple de bioéconomie circulaire dans un territoire à forte empreinte l­’arboriculture, au maraîchage, au jar-
animale. Configuration bioindustrielle associant sur un même site des activités dinage et espaces verts et aux grandes
de production de chaleur, de production de biogaz, d’abattage et de découpe
cultures. Ces fertilisants sont transpor-
de porcs, de traitement et de recyclage de l’eau, de traitement d’effluents et
de coproduits animaux et de production d’engrais organique (d’après Crespel- tables sur de longues distances y com-
Darcet, 2016 ; Convers et al., 2018). pris à ­l’export pour environ 15 %.
Matières
premières
Engrais
L’ensemble du dispositif permet
organiques d’augmenter l’efficience énergétique
Poissons
Pet food de l’ensemble de la filière de produc-
Oléochimie
tion de viande de porc en valorisant des
déchets pour la production d’énergie
thermique, en optimisant l’utilisation
de la chaleur produite et son recyclage
dans toute une série de processus
industriels et en produisant du biogaz
valorisé par les populations locales. Ce
dispositif permet également un meil-
MÉTHANISEUR
leur recyclage des éléments fertilisants
et limite les émissions de gaz à effet de
e
clé
cy

serre. Dans les élevages, la séparation


re
u
Ea

de phase permet de récupérer dans la


phase solide environ 55 % de l’azote
Engrais excrété et 90 % du phosphore. Elle per-
organiques Produits C1
de bovins met également de réduire les émissions
Biogaz d’ammoniac dans le bâtiment d’environ
Injection réseau
30 % contribuant ainsi à une meilleure
qualité de l’air pour les éleveurs et les
animaux, une réduction des émissions
Le site produit 80 % de l’énergie Le dispositif de production de biogaz, vers l’atmosphère et un meilleur recy-
thermique utilisée, en incinérant en cours d’installation, est constitué de clage de l’azote. L’exportation de la frac-
des déchets, principalement des 2 digesteurs et d’un post-digesteur tion solide permet à l’éleveur de réduire
sous-produits animaux de catégorie pour un volume total de 15 000 m3 . Ils la charge en N et surtout en P de son
1 et 2 provenant d’unités d’équarris- seront approvisionnés pour partie, à rai- exploitation, lui permettant ainsi de
sage extérieures et différents déchets son de 38 000 tonnes, par des solides mieux raisonner la fertilisation et d’être
organiques produits sur le site. La obtenus par séparation de phase en plus autonome pour son plan d’épan-
chaleur ainsi générée est utilisée suc- ferme de déjections porcines à l’aide dage. Enfin, les fertilisants produits
cessivement dans les différents pro- d’un système innovant de raclage en remplacent des fertilisants minéraux,
cessus d’abattage, de découpe et de V. Ceci correspond à la production de réduisant ainsi les coûts énergétiques
transformation des viandes destinées 100 000 places d’engraissement (soit de leur fabrication (ammonitrate),
à l’alimentation humaine. La chaleur 300 000 porcs à l’engrais par an) dans l’émission de GES et le recours à des
est ensuite utilisée pour le traitement une centaine d’élevages. Le reste de ressources non renouvelables (énergie,
des coproduits animaux et la produc- l’approvisionnement du digesteur phosphate minéraux).
tion de PAT et de graisses destinées (73 000 tonnes) proviendra des boues
principalement à l’alimentation des issues du prétraitement des eaux usées
animaux de compagnie et des pois- de l’abattoir. Après purification le bio
5. Quels leviers d’action
sons ainsi qu’à l’oléochimie. La chaleur méthane sera injecté dans le réseau de pour développer
restante est ensuite utilisée pour le GrDF et fournira l’équivalent de 7 MW, la bioéconomie circulaire
séchage des boues puis le maintien soit l’équivalent de 75 % de la consom-
de la température du digesteur de mation de gaz de la ville de Lamballe
méthanisation. (12 000 habitants). Il existe une diversité importante
des territoires d’élevage en France. La
L’unité de traitement et de recyclage La partie solide des digestats est répartition très hétérogène du cheptel,
de l’eau épure l’équivalent de 1,4 million centrifugée puis séchée et pour de sa composition (ruminants/mono-
de m3 d’eau usée par an. Cela permet de atteindre 85 % de matière sèche. gastriques), de l’offre de MPV et de
recycler environ 60 % de l’eau utilisée Cette fraction est ensuite valorisée l’usage des sols de la SAU, ainsi que la
sur le site. Les fractions solides issues de par une filière de production d’en- localisation de l’industrie agroalimen-
ce traitement sont valorisées principa- grais organiques qui produit environ taire amont et aval engendrent une
lement pour la production de biogaz, 80 000 tonnes de fertilisants sous forme variabilité spatiale importante des flux
puis d’engrais. granulée destinés à la viticulture, à de bioressources liés à ­l’élevage. Cette

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


216 / Jean-yves dourmad, Thomas guilbaud, Muriel tichit, Thierry BONAUDO

variabilité de densité animale s’ac- contribue à 1,1 emplois indirects en d’une même petite région agricole.
compagne d’échanges entre régions filière bovin lait, 0,8 en bovin viande, L’intérêt de cette approche sur le plan
agricoles en particulier pour l’ali- 6,1 en porc, 1,9 en volaille de chair et économique et environnemental a été
mentation des animaux et dans une 1,8 en filière œuf. La question de l’ac- confirmé (Paillat et al., 2009), mais sa mise
moindre mesure pour la valorisation ceptabilité de l’élevage dans les zones en place nécessite des concertations
des effluents d’élevage. céréalières où il a quasiment disparu se entre éleveurs et citoyens pour en favori-
pose également. ser l’acceptabilité locale. La complémen-
La concentration géographique des tarité entre exploitations d’élevage et
productions animales est observée ii) Adapter les rations en fonction de la exploitations céréalières peut aussi être
dans la plupart des pays européens disponibilité de MPV locale et nationale. recherchée à une échelle géographique
(Roguet et al., 2015) et aussi dans le Les ruminants et monogastriques sont plus large en produisant des engrais nor-
reste du monde. Elle est favorisée par les de gros consommateurs de tourteaux malisés à partir d’effluents, comme illus-
nombreux avantages économiques qui importés, notamment de tourteau de tré dans l’exemple ci-dessus (figure 10).
en résultent : gains de productivité, éco- soja (tableau 1). On peut envisager de Ceci nécessite de développer des techno-
nomies d’échelle et/ou d’aggloméra- favoriser la substitution de ces tour- logies permettant de réduire le volume
tion, développement de compétences. teaux importés par des fourrages ou des d’eau des effluents afin de pouvoir les
Les normes et incitations environne- matières premières riches en protéines transporter sur de longues distances. La
mentales (directive nitrate, Natura, produites localement (colza, tournesol, désodorisation et l’hygiénisation de ces
2000, Règlement communautaire de pois, féverole…). Cette stratégie est éga- effluents sont également des aspects
Développement Rural (RDR), condition- lement envisageable pour les élevages importants à considérer. Aujourd’hui de
nalité des paiements du 1er pilier…) et de monogastriques dans les zones de nouvelles avancées technologiques per-
les mesures du développement rural densité animale modérée. Cependant mettent de mieux gérer ces flux (métha-
(soutiens spécifiques aux agricultures dans tous les cas cela pose la question de nisation, compostage, séparation de
des zones défavorisées) sont des leviers la concurrence entre activités pour l’accès phase…). La densité des acteurs sur le
qui peuvent atténuer cette concentra- aux surfaces arables. Ceci pourrait impli- territoire, la présence ou non de filières
tion. Leur mise en place a contribué à quer de réduire la production de céréales agroalimentaires structurées sont aussi
freiner le développement de l’élevage au profit des cultures plus riches en pro- des éléments à prendre en compte. Les
dans les zones denses sans toutefois téines ou alors d’envisager de nouveaux régions à forte densité animale doivent
être efficace pour le développer dans itinéraires techniques de production de tirer avantage de la forte densité d’ac-
les autres régions où l’élevage continue céréales mieux adaptées à l’alimentation teurs, de savoir-faire et d’infrastructures
à régresser (Roguet et al., 2015). animale. Cette stratégie pourrait aussi pour développer des stratégies de valo-
favoriser la diversité d’assolement et par risation croisée. En ce sens la production
À partir des éléments exposés là, les services écosystémiques. d’énergie par méthanisation et la pro-
ci-dessus, à l’échelle nationale et au duction d’engrais organiques sont des
niveau des PRA, différentes stratégies iii) Favoriser les échanges d’aliments exemples intéressants. Il y a dans cette
de développement de bioéconomie et d’effluents entre PRA. Les échanges perspective des enjeux importants aussi
circulaire pourraient être envisagées sont déjà très importants pour les bien en termes d’innovations technolo-
pour l’élevage : MPV, notamment pour les concentrés giques qu’en termes d’innovation orga-
(céréales, tourteaux, coproduits), qui sont nisationnelles comme cela est illustré au
i) Adapter le cheptel à la disponibi- transportés sur de longues distances. Ils paragraphe 4 (figure 10).
lité locale de matières premières. Ceci existent également pour les effluents
implique une diminution des chep- d’élevages mais de manière beaucoup
tels dans les zones très denses et leur moins développée. Il convient alors
Conclusion
redéploiement dans des zones excé- de rechercher des filières de gestion
dentaires en céréales avec peu d’ani- des effluents permettant de reboucler L’élevage consomme, transforme et
maux (notamment de l’élevage de le cycle des nutriments présenté à la fournit de grandes quantités de biores-
monogastriques). Cela nécessite aussi figure 2, tout en minimisant les fuites sources dans tous les territoires français.
d’adapter la proportion de ruminants vers l’environnement. La question est de La diversité des espèces animales, des
et monogastriques à la disponibilité savoir quelle est l’échelle géographique pratiques et des bioressources consom-
de fourrage et concentré du territoire. la plus pertinente à la fois d’un point de mées et produites par l’élevage est un
Cette stratégie implique également, en vue biogéochimique et économique atout pour la bioéconomie. Cependant,
plus de la relocalisation de l’élevage, pour reboucler ces cycles (Dourmad et les flux existants et leurs déterminants
une relocalisation tout au moins par- al., 2010). Ceci est envisageable au niveau doivent être mieux renseignés pour
tielle de l’appareil amont et aval avec d’une exploitation seulement si l’on dis- être pilotés. Pour appuyer le dévelop-
des implications importantes en termes pose de surfaces d’épandage suffisantes pement de la bioéconomie, la diversité
d’emplois associés à l’élevage. Les tra- pour valoriser les effluents, ce qui n’est des activités et des bioressources des
vaux de Lang et al. (2015) indiquent que rarement pour les élevages mono- territoires doit être prise en compte
qu’en moyenne pour l’élevage fran- gastriques. On peut aussi envisager d’as- ainsi que les niveaux d’efficience aux
çais, chaque emploi direct en élevage socier plusieurs ­exploitations ­voisines différentes échelles d’organisation.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les productions animales dans la bioéconomie / 217

L’élevage à l’échelle nationale paraît volume critique à atteindre et de dis- Le métabolisme territorial, en ana-
efficace et relativement autonome tance limite d’échange. Enfin, l’organisa- lysant les flux et stock de matière et
avec d’une part une consommation tion et la gouvernance de ces flux est un d’énergie d’un système et des échanges
importante de fourrages, de coproduits point délicat à résoudre. Les points de avec l’environnement permet non seu-
et de concentrés non valorisables par verrouillages se traduisent en risques de lement de caractériser les différents
l’Homme et d’autre part la fourniture de production et/ou d’approvisionnement. territoires d’élevage (utilisation des
biens et services comme des produits Dans les filières classiques deux modes sols, offre de MPV, consommation et
animaux à haute valeur nutritionnelle de gestion sont utilisés pour mettre rejet des animaux), mais aussi de piloter
et des effluents avec un fort potentiel en adéquation offre et demande : Le
les flux dans un objectif de durabilité et
fertilisant et de production d’énergie. marché avec la fixation d’un prix ou la
co-concevoir des systèmes territoriaux
Cependant à l’échelle des territoires, en contractualisation entre acteurs. Ces
innovants. Une analyse multicritère de
fonction des densités animales et des procédures sont difficiles à mettre en
flux (N, P, K, C…), située dans le temps et
systèmes de production, les situations place, en effet pour de nombreuses
sont très inégales. Il existe des marges de bioressources il n’existe ni marché et ni l’espace est indispensable pour mettre
progrès pour mieux boucler les cycles, prix de référence, de plus sans prévisibi- en adéquation l’offre et la demande de
améliorer l’autonomie, économiser des lité et standardisation des bioressources bioressources. La concentration des élé-
intrants et diminuer les pertes vers l’envi- échangés la contractualisation est déli- ments dans les produits, coproduits et
ronnement. Plusieurs stratégies peuvent cate. Dans ces conditions, la présence déchets est aussi importante à maîtriser
être développées : un re-couplage de d’un acteur centralisateur/coordinateur, pour calculer des distances d’échange
l’élevage et de l’agriculture de la ferme qui prend les décisions mais assume viables. En ce sens des technologies
au territoire, des échanges de flux intra aussi une grande partie des risques est existent pour séparer, concentrer les
et inter-territoire entre zone d’élevage un facteur de réussite important. Les éléments, stabiliser leur qualité, afin
et de culture ou entre zone urbaine et modalités et formes de gestion/coordi- d’augmenter les distances de transport
rurale, un re-bouclage de flux à l’échelle nation doivent s’adapter aux différents envisageables et ouvrir de nouveaux
des systèmes alimentaires. contextes territoriaux. Les territoires marchés. Toutes les formes de coordi-
avec une forte densité animale et des nation devront s’appuyer sur une meil-
Les stratégies de rebouclage des filières très structurées peuvent inves- leure connaissance des disponibilités et
cycles, potentiellement très efficaces, tir sur le traitement et les échanges de demandes locales de bioressources et
présentent de nombreux verrouillages flux intra et interterritoriaux, comme
des possibilités de leur valorisation. Les
sociotechniques, organisationnels et dans l’exemple rapporté à la figure 12.
acteurs des territoires devront mettre
économiques. On peut mentionner les Les filières intégrées peuvent naturelle-
en place une gestion adaptative face
ressources limitées des acteurs (main- ment développer des outils communs
aux variations et hétérogénéités des
d’œuvre, temps…), le manque de réfé- de collecte, standardisation, etc., et
rence technique et de savoir-faire, les une gouvernance centralisée des flux flux. Si les échanges de flux sont insuf-
coûts logistique et d’investissement, les de l’amont à l’aval autour d’un acteur fisants pour boucler les cycles de nutri-
contraintes réglementaires, l’acceptabi- coordinateur. Les territoires avec moins ments, il sera nécessaire d’organiser la
lité sociale, la difficile adéquation entre d’élevage devront sans doute adopter réallocation des activités (élevage, agri-
offre et demande du fait d’une grande une stratégie d’intégration agriculture-­ culture, outil/infrastructure de collecte
diversité/hétérogénéité des flux dans élevage, d’échange multi-relationnel biotransformation) en fonction des ter-
le temps et l’espace. La dispersion des ponctuel (multiples interactions indivi- ritoires et des distances d’échange de
activités pose aussi des problèmes de duelles sans coordination centralisée). bioressources.

Références
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Résumé
La bioéconomie se définit comme l’ensemble des activités liées à la production, l’utilisation et la transformation de bioressources pour
répondre de façon durable aux besoins alimentaires et à une partie des besoins en énergie et en matériaux de la société, tout en préservant
les ressources naturelles et en garantissant la production de services environnementaux. Dans cet article nous décrivons et ­quantifions les

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Les productions animales dans la bioéconomie / 219

différents flux de bioressources associés aux activités d’élevage. À l’échelle nationale, les systèmes d’élevage sont les principaux utilisateurs
de bioressources (113 Mt) et de surfaces agricoles (55 %), pour l’alimentation des animaux. Ils contribuent largement aux apports alimen-
taires de l’Homme, principalement en protéines (60 %), lipides (40 %), minéraux et vitamines. Par leur utilisation des surfaces agricoles et
la production d’effluents organiques ils contribuent également à la fourniture de services écosystémiques, comme la biodiversité et la
fertilité des sols. Les effluents d’élevages représentent environ 19,4 Mt de matière organique correspondant à un potentiel de production
de méthane équivalent à 45 TWh d’énergie primaire, très peu valorisé pour le moment. De par son importance, l’élevage constitue donc un
facteur majeur d’équilibre ou de perturbation des cycles biogéochimiques, des services écosystémiques et de la biodiversité. Il existe des
marges importantes de progrès pour accroître sa contribution à la couverture des besoins humains et mieux boucler les cycles de matières,
en améliorant l’autonomie, en économisant des intrants et en diminuant les pertes vers l’environnement. Dans cette perspective, nous
discutons les défis et les opportunités d’une meilleure intégration de l’élevage dans la bioéconomie circulaire.

Abstract
Animal production in a circular bioeconomy
Bioeconomy is defined as the set of activities related to the production of bioresources and their utilization and processing to meet human food
requirements and contribute to society’s needs of energy and materials, while preserving natural resources and ecosystem services. In this paper,
we describe and quantify the different flows of bioresources related to animal breeding. At the national level, animal farming systems are the
main users of bioresources (113 Mt) and agricultural land (55 %) for animal feeding. They largely contribute to the supply of human food, mainly
proteins (60 %), lipids (40 %), minerals and vitamins. Through their utilisation of agricultural land and the production of organic manure, they
contribute to the production of ecosystem services, such as biodiversity and soil fertility. The production of animal manure amounts to about 19.4
Mt organic matter corresponding to a potential methane production equivalent to 45 TWh primary energy, with only a minor part of it produced
until now. Due to their importance, animal production systems are thus major factors for balancing or disrupting biogeochemical cycles, ecosys-
tem services and biodiversity. Significant margins of progress exist to improve their contribution to meeting human needs, better close nutrient
cycles, improve autonomy, and reduce inputs and losses to the environment. With this in mind, we discuss some challenges and opportunities for
a better integration of animal production into a circular bioeconomy.

DOURMAD J.-Y., GUILBAUD T., TICHIT M., BONAUDO T., 2019. Les productions animales dans la bioéconomie. In : Numéro spécial. De grands
défis et des solutions pour l’élevage. Baumont R. (Éd). INRA Prod. Anim., 32, 205-220.
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INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Évolution de la place de l’animal 2019,INRA32 Prod. Anim.,
(2), 221-232

et des points de vue
sur son élevage dans la société
française : quels enjeux
pour la recherche agronomique ?
Alexis FOSTIER
INRA, UR1037, LPGP, Campus de Beaulieu, 35042, Rennes, France
Courriel : alexfos@orange.fr

„„ Cet article explore l’évolution de la place de l’animal dans notre société et différents éléments susceptibles
d’influencer les points de vue sur son élevage. Sont ensuite repérées des orientations de la recherche agronomique
visant à répondre aux critiques faites aux élevages.

Introduction L’évaluation ­statistique par sondage sujets qui amènent certains à ­contester
des différents types de consomma- les systèmes d’élevage : les impacts sur
teurs reste délicate. Les végétariens l’environnement et sur le bien-être ani-
Depuis les années 2000, la consom- représenteraient quelques pourcents mal, les conséquences pour la santé
mation moyenne par habitant des pro- des consommateurs, mais ceux qui humaine et l’organisation de l’élevage
duits carnés baisse en France, comme déclarent réduire leur consommation (Delanoue et Roguet, 2015).
ailleurs en Europe, à l’exception de la de viande seraient au moins de l’ordre
consommation de volaille. La consom- de 50 % (Laisney, 2016 ; Anses, 2017). Nous proposons dans cet article
mation de poisson tend, elle, à stagner Delanoue et al. (2018) identifient de d’examiner brièvement les différentes
(Larochette et Sanchez-Gonzalez, 2015 ; leur côté, par des enquêtes quantita- raisons pouvant, à des degrés divers,
Nozières-Petit et al., 2018). Si l’augmen- tives et qualitatives, cinq types d’at- expliquer ces attitudes en nous inté-
tation des prix puis l’impact négatif de titudes des citoyens envers l’élevage. ressant à l’évolution de la place de l’ani-
la crise économique de 2008 sont sou- Il y a ceux qui n’ont pas d’avis et sont mal dans la société et à des éléments
vent cités comme des facteurs explica- peu intéressés par le sujet (3 %), ceux susceptibles d’influencer différents
tifs, il est admis aujourd’hui que certains qui soutiennent le modèle intensif (les points de vue sur son élevage. Seront
facteurs sociétaux ne sont pas à négli- « compétiteurs », 10 %), ceux qui sou- ensuite évoquées des orientations de
ger (Institut de l’élevage, 2018). Dans haitent une amélioration progressive recherche visant à résoudre certains
une analyse sociologique des contro- des conditions d’élevage (les « progres- problèmes de nos élevages contempo-
verses sur la consommation de viande, sistes », 51 %), ceux qui veulent la fin de rains. Cette réflexion, qui ne relève pas
Legendre et al. (2017) retiennent, dans l’élevage intensif au profit de systèmes d’une enquête sociologique, s’appuie
un souci de simplification, trois posi- alternatifs (les « alternatifs », 24 %), et sur des entretiens libres, essentielle-
tions majeures sur la consommation enfin les abolitionnistes (2 %). Les carac- ment de scientifiques, réalisés dans le
de la viande : i) une position visant téristiques de ces différents types d’at- cadre d’un groupe de travail intitulé
au maintien de la consommation titudes sont analysées plus en détail et « Perceptions des techniques d’élevage
de viande et au développement de les préoccupations principales qui res- et des biotechnologies » mis en place
l’activité des filières animales, ii) une sortent de ces analyses sont relatives par le département Physiologie animale
position prônant une consommation aux conditions de vie des animaux en et systèmes d’élevage de l’Inra, ainsi
alternative de viande, iii) une position élevage. Enfin, un groupe de travail du que sur la participation à des colloques,
« végétarienne ». Gis Élevage Demain a identifié quatre la lecture d’articles, ouvrages, rapports,

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2465 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


222 / Alexis fostier

données statistiques et enquêtes dispo- est un phénomène très récent, essen- Les Français qui consommaient, en
nibles sur cette thématique. tiellement centré sur la période inter- moyenne, 2,2 kg/habitant/an de viande
glaciaire de l’holocène (Vigne, 2007). chevaline en 1963 n’en consommaient
Les différentes espèces domestiquées plus que 0,2 kg/habitant/an en 2013.
1. Quelle place de l’animal l’ont été à des périodes différentes et Parallèlement, le nombre d’établisse-
dans notre société ? dans différentes zones géographiques. ments équestres a crû de 49 % de 2006
La plupart de nos espèces d’élevage ont à 2016. L’hippophagie en France n’aura
„„1.1 De l’animal congénère été domestiquées dans l’Asie du Sud- été qu’une parenthèse à contre-cou-
de l’Homme à l’animal Ouest et de l’Est puis, plus tardivement, rant d’un tabou ancestral (Pierre,
utilitaire domestiqué sur le continent américain. Les proces- 2003). Toutes sortes d’espèces ani-
sus de domestication font aussi l’objet males, sauvages ou domestiquées, ont
On ne peut comprendre la place de de plusieurs interprétations allant de été et sont utilisées comme symboles
l’animal d’élevage et son évolution l’énumération linéaire de différentes ou emblèmes. Ainsi, pour la période
dans notre société sans considérer étapes à caractère universel à la notion médiévale en Europe occidentale,
celle de l’animal en général. Pour la de « systèmes domesticatoires » inté- Pastoureau (1984) propose la réparti-
compréhension du fonctionnement de grant des facteurs biologiques, tech- tion d’une quarantaine d’espèces dont
groupes humains, l’ethnologue peut niques et humains et caractérisant une dizaine domestiquée, selon deux
s’intéresser aux relations de ceux-ci avec l’utilisation d’un animal dans une région axes : – du bien au mal, – de la force
les animaux (Digard, 1990). Certains donnée (Digard, 1990). Pour Delort intellectuelle à la force physique. La
archéologues font l’hypothèse, à par- (1984), la domestication « implique valeur symbolique d’une espèce peut
tir de l’interprétation des gravures et autant un changement dans les rela- changer radicalement d’une civilisation
peintures rupestres, que nos ancêtres tions socioéconomiques à l’intérieur des à une autre ou au cours de l’histoire de
se considéraient comme animal parmi groupes humains qu’une évolution des chacune d’elle.
les animaux. Leurs liens étroits avec la rapports entre l’Homme et l’animal ».
Nature pouvaient être proches de ceux Ainsi, suite à la loi sur l’élevage de 1966, „„1.3. Statut juridique
d’animistes avec des pratiques chama- les acteurs de la sélection génétique de l’animal
nistes (Pathou-Mathis, 2017). Par ailleurs, s’organisent collectivement et de diffé-
si les débats sur l’animal d’élevage se rentes manières selon les filières pour Pour le législateur contemporain,
focalisent majoritairement aujourd’hui créer un « animal nouveau » (Selmi et l’animal domestique est avant tout
sur son usage alimentaire (Burgat, 2017), al., 2014). une entité soumise au régime des biens
bien d’autres usages de l’animal par (choses matérielles faisant l’objet d’une
l’Homme ont existé et existent encore „„1.2. L’animal être appropriation privée ou publique) défi-
pour certains (Pathou-Mathis, 2017). vivant porteur de valeurs nie sur la base d’une sélection géné-
Ces usages, et leurs valeurs culturelles, symboliques tique : «  … sont considérés comme
influencent les points de vue sur la place des animaux domestiques les animaux
de l’animal dans la société. L’« anima- Le concept de statut définit une appartenant à des populations animales
lisme » vise à la défense des droits des position au sein de la société et ses sélectionnées ou dont les deux parents
animaux et sa composante la plus radi- rôles associés. Il peut être l’objet de appartiennent à des populations ani-
cale, l’« antispécisme », est apparue en réflexions philosophiques et morales, males sélectionnées » (Article 1er de l’ar-
France en 1985. Ses militants, acteurs de mais aussi être formalisé juridiquement. rêté du 11 août 2006 fixant la liste des
la « libération animale », contestent la Le statut de l’animal va dépendre de la espèces, races ou variétés d’animaux
domination de l’Homme sur l’Animal et manière dont l’Homme le considère, domestiques ; Marguénaud et al., 2018).
considèrent que le « spécisme » est à l’es- soit comme être vivant appartenant au
pèce ce que le racisme et le sexisme sont même règne biologique que lui, soit en Les premières lois traitant des mau-
respectivement à la race et au genre fonction de ses usages qui se révèlent vais traitements infligés aux animaux
(Dubreuil, 2009). extrêmement variables (Pathou-Mathis, domestiques visaient à sanctionner
2017). La consommation alimentaire une atteinte à la propriété. L’idée de
Si l’on admet que la première activité d’un animal, à une période et dans un protéger les animaux par la loi contre
de l’Homme est de satisfaire ses besoins groupe social donnés, va dépendre de une cruauté excessive n’est pas nou-
alimentaires, alors les techniques de la réputation de ses qualités nutrition- velle. La période des Lumières ouvrira
chasse et de cueillette puis de culture nelles et organoleptiques, mais aussi de sans doute la voie au droit animalier
des céréales et d’élevage aident à com- son poids symbolique positif (symbole (Hardouin-Fugier, 2009). Mais ce n’est
prendre l’évolution de nos sociétés. de richesse, de distinction et de puis- qu’en 1850 qu’une loi proposée par le
Bien que l’on parle d’une « révolution » sance par exemple) ou négatif (tabou comte de Grammont sanctionne les
agricole néolithique, il n’y a pas eu for- alimentaire par exemple). Une valeur et mauvais traitements infligés en public
cément de rupture rapide entre l’écono- un usage peuvent varier dans le temps. aux animaux domestiques (Agulhon,
mie de chasse et l’économie d’élevage L’un d’entre eux peut ainsi prendre, 1981). Ce général de cavalerie, scan-
(Delort, 1984). À l’échelle de l’histoire de au fil du temps, le dessus sur d’autres. dalisé par le comportement des char-
l’humanité, la domestication animale C’est le cas pour le cheval en France. retiers envers leurs chevaux, fonda la

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Évolution de la place de l’animal et des points de vue sur son élevage dans la société française… / 223

Ligue Française de Protection du Cheval important dans les zones rurales écono- de la région de résidence des ménages
qui existe toujours. Baratay (2008) iden- miquement fragiles. Les estimations du (15,5 % dans le Nord-Est et 25,6 % dans
tifie deux groupes parmi ces nouveaux Gis Élevages Demain pour 2015 donnent le Sud-Est). Le mode d’élevage joue-
protecteurs des animaux : d’un côté 312 000 équivalents-temps-plein (ETP) rait donc majoritairement sur le choix
des propriétaires, agronomes et vété- affectés aux activités d’élevage, aux- d’achat de par le coût de production,
rinaires qui souhaitent améliorer les quels il faut ajouter 391 000 ETP plus mais aussi, plus modestement, par sa
rendements des élevages ; de l’autre ou moins fortement tributaires de nature même. Il faudra cependant gar-
des médecins, militaires, fonctionnaires cette activité. Il est aussi un secteur der un œil critique sur les différentes
et rentiers qui y voient un élément de géostratégique majeur dans le souci méthodes visant à savoir « ce que
moralisation du peuple pour modérer qu’à l’État d’assurer la satisfaction des pensent les gens » (Kotras, 2018).
sa violence. besoins alimentaires du pays. D’après
une étude menée de 2014 à 2015 par „„2.2. Animaux et citadins
Le statut juridique de l’animal a évolué l’Anses (2017), près d’un cinquième des
dans un contexte occidental, et en parti- ménages français souffre d’une insuffi- a. L’évolution du monde rural
culier en France, au cours des dernières sance alimentaire qualitative. Enfin, l’ap- Une explication, parfois considé-
décennies, période où le militantisme provisionnement alimentaire peut être rée comme majeure, dans l’évolution
des défenseurs de la « cause animale » un moyen de pression dans les conflits des attitudes des Français vis-à-vis de
s’est développé (Lesage, 2013). En jan- inter- ou intra-étatiques, mais aussi un l’élevage réside dans l’évolution de la
vier 2018 est édité pour la première fois enjeu de poids dans les compétitions ruralité en France. Les producteurs de
un Code de l’animal où sont collectés économiques d’accès aux marchés biens agricoles étaient majoritaires au
tous les textes portant sur la juridiction mondialisés. La population mondiale xixe siècle, et ils œuvraient au sein d’une
concernant l’animal (Marguénaud et al., compte aujourd’hui 7,5 milliards d’ha- France majoritairement rurale. Au sor-
2018). La reconnaissance de sa sensibi- bitants (67 millions pour la France) et tir de la Seconde Guerre mondiale, le
lité dans le Code civil date de 2015 : « Les pourrait atteindre, selon les projec- processus d’urbanisation de la France
animaux sont des êtres vivants doués de tions moyennes de l’Onu, 8,5 milliards s’accélère. Le renversement démogra-
sensibilité. Sous réserve des lois qui les en 2030 et 9,8 milliards en 2050 (70 et phique entre les populations citadine
protègent, les animaux sont soumis au 74 millions en France selon l’Ined). Dans et rurale s’opère au xxe siècle. Ainsi, la
régime des biens » (Article 515-14) et ce contexte, et dans l’hypothèse d’une part de la population urbaine passe de
l’actuel article 528 du Code civil relatif réduction des écarts entre revenus, la 53 % en 1946 à 70 % en 1968. L’Insee
aux biens meubles ne mentionne plus consommation mondiale de viandes considère que l’exode rural est achevé
les animaux. Dans sa préface du Code continuerait d’augmenter à un rythme depuis les années 1970. En 2011, 84 %
de l’animal, Florence Burgat souligne la moyen de 1,3 % par an jusqu’en 2050. de la population vit dans des zones
contradiction « qui travaille en profon- Les choix d’achat des consommateurs urbaines. En 2014, 2,8 % des Français
deur le droit animalier : reconnaître que dépendent de facteurs intrinsèques travaillent de l’agriculture, la sylvicul-
les animaux disposent de la qualité qui et extrinsèques aux produits : facteurs ture ou la pêche, soit du même ordre
fonde des droits fondamentaux…, qu’ils psychologiques, organoleptiques et que dans l’industrie agroalimentaire
ont une « valeur intrinsèque »… et, dans le de marketing. Parmi les facteurs extrin- (2,3 %). Le sociologue Henri Mendras,
même temps, les soumettre au régime des sèques, le prix n’est pas toujours consi- dans son ouvrage de référence « La fin
biens, c’est-à-dire les traiter comme des déré comme le facteur décisif d’achat des paysans », ne met pas seulement en
ressources disponibles pour les usages qui du consommateur, mais ceci va évidem- évidence la baisse des effectifs, mais il
nous agréent ». D’une manière générale, ment dépendre de ses revenus (Font- défend l’idée que l’on assiste au rem-
le droit impliquant l’animal est com- i-Furnols et Guerrero, 2014). Au cours placement d’une civilisation paysanne
plexe et fait référence à une quinzaine de l’enquête de l’Anses (2017) évoquée par celle de nouveaux agriculteurs-pro-
de codes juridiques (Marguénaud et al., plus haut, une liste de seize critères a ducteurs : « C’est le dernier combat de
2018). été proposée aux personnes chargées la société industrielle contre le dernier
des achats des produits alimentaires carré de la civilisation traditionnelle »
dans les ménages en leur demandant (Mendras, 1967).
2. Réflexions sur d’indiquer les trois principaux suscep-
ce qui peut influencer tibles d’influencer leurs choix. Les cri- b. Les animaux en villes
différents points de vue tères les plus fréquemment retenus S’il est courant de dire que les Français
sur l’élevage animal sont le prix (48,4 %), l’habitude (42,5 %), se sont éloignés des élevages en rejoi-
le goût (38,0 %) et l’origine ou la prove- gnant les villes, il faut aussi constater
nance (36,1 %) des produits. Le mode que les élevages ont, eux, quitté les
„„2.1. Rôle socioéconomique de production arrive en 7e position avec villes. Avec l’accroissement de la popu-
de l’élevage 19,7 % des citations. L’importance de ce lation urbaine le bétail était très présent
Le secteur de l’élevage et toute la dernier critère augmente avec le niveau dans la ville au xixe siècle, où l’on trouve
chaîne de l’industrie agroalimentaire d’étude de la personne de référence du porcheries, étables et chèvreries. On
associée sont économiquement très ménage (de 14,7 % à 29,3 %) et l’âge compte à Paris 500 étables en 1892.
importants. Il joue aussi un rôle social (de 14,0 % à 26,3 %). Il dépend aussi Ce nombre est tombé à 30 en 1920

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224 / Alexis fostier

(Guillaume, 2003). Dans le département dames de la protection animale » (Burgat, l’industrialisation du pays a conduit à
de la Seine, les animaux de basse-cour 2009). Au-delà de cette vision quelque réduire la main-d’œuvre et les coûts
étaient aussi omniprésents. C’était un peu réductrice, la « sensibilité sociale » relatifs de la production agricole. Ceci
gage de sécurité alimentaire dans une actuelle à la condition animale pourrait a permis de mobiliser la force de travail
société où la disette était encore pré- s’expliquer, en partie, par cette multipli- nécessaire aux usines, puis de dégager
sente dans la mémoire collective. Ce cation des animaux de compagnie dans des revenus pour une consommation
pouvait être aussi une garantie de la les foyers français. Cependant, pour de masse des produits autres qu’ali-
qualité du produit dont on contrôlait Digard (1990), ces animaux « inutiles » mentaires. En 1849 est organisée à
la « fabrication » (Faure, 1997), alors qui « doivent être entièrement dispo- Paris l’« Exposition nationale des pro-
que les peurs alimentaires, y compris nibles pour l’Homme » et « ne servir à rien duits de l’industrie agricole et manufac-
du fait de la méfiance pour ce qui d’autre qu’à sa compagnie » n’ont rien à turière ». Un siècle plus tard la priorité
nourrit le bétail, étaient présentes au voir, dans la hiérarchie sociale donnée est toujours d’accroître la production
xixe siècle comme dans les siècles précé- aux espèces du règne animal, avec leurs et pour les zootechniciens « l’objectif
dents (Ferrières, 2002). Cette présence congénères de ferme qui n’existent pas ultime est de désigner aux éleveurs les
conduit Vialles (1987) à distinguer le en tant qu’individu. Outre les animaux combinaisons de techniques qui leur
mangeur « zoophage », qu’étaient nos de leurs foyers, les citadins rencontrent permettront de dégager les profits les
ancêtres qui fréquentaient les bou- des animaux « sauvages » en captivité plus élevés possibles » alors qu’ils sont
cheries où pendaient les carcasses, dans des parcs zoologiques qui tentent résolument engagés dans la « moderni-
du mangeur « sarcophage », que nous de produire des images de liberté avec sation » (Landais et Bonnemaire, 1996).
sommes, face à quantité de produits des reproductions de milieux natu- On passe de l’« élevage » à la « produc-
plus ou moins transformés, où l’origine rels. Des espaces pédagogiques pour tion animale » (Porcher, 2002) avec une
corporelle de la viande est peu identi- enfants, des écomusées ou des zones artificialisation extrême de la « niche
fiable. Le « zoophage » veut connaître le d’agrotourisme peuvent aussi montrer écologique » de l’animal (Gautier, 1990),
vivant qu’il consomme, alors que pour quelques animaux de « ferme » dans une concentration des exploitations, et
le « sarcophage » la viande doit être un environnement d’élevage « tradi- une banalisation de la division du tra-
anonyme. Les industries alimentaires tionnel ». L’industrie agroalimentaire vail. L’animal devient une matière pre-
participent largement à la « désanima- aime d’ailleurs utiliser ce type d’images mière pour l’industrie agroalimentaire.
lisation » dont parle Madeleine Ferrières pour ses publicités. Pour Bidaud et al. Mais à partir du milieu des années 80,
(2002). Pourtant, les nuisances occa- (2016) « plus les Français seront familiers on assiste à une remise en cause d’un
sionnées par ces animaux présents avec les animaux (et pas uniquement leur mode de développement unique et
dans les villes au xixe siècle (bruits, animal de compagnie) plus le traitement à la prise en compte de nouvelles
odeurs, zoonoses, risques d’accident de la question animale pourra se faire fonctions pour l’agriculture (Landais
avec la divagation d’animaux, spec- sur le registre de l’éthique et de la conci- et Bonnemaire, 1996). Par ailleurs, les
tacles contraires à la bonne moralité des liation, par le compromis des intérêts et filières de produits carnés et laitiers se
enfants) sont de moins en moins bien « droits » des animaux et de ceux qui les transforment avec un pilotage plus fort
acceptées. Il existe une hiérarchie dans gèrent, les élèvent, et subissent aussi par- par les opérateurs en aval de ces filières,
l’acceptation des différentes espèces. fois leur présence ». Il faudrait cependant et la question de l’essor d’alternatives
Chèvres et chevreaux sont acceptés, pouvoir distinguer ce qui est familia- aux filières dominantes reste posée
les bovins tolérés, mais les porcs sont rité avec l’animal autre que l’animal de (Nozières-Petit et al., 2018).
méprisés (Faure, 1997). Le cheval, dont compagnie et familiarité avec l’élevage,
la consommation alimentaire ne sera ses contraintes et ses pratiques. Mais b. Impacts environnementaux
légalisée qu’en 1866, conserve son pres- l’évaluation de l’effet sur l’évolution C’est un des sujets sans doute les
tige. Comme tireur de charrettes, on le des points de vue sur l’élevage d’opé- plus complexes dans la mesure où
croisera d’ailleurs encore dans nos villes rations telles que des journées « portes il implique à la fois les sphères poli-
jusqu’au milieu du xxe siècle. ouvertes » dans les exploitations reste tiques, sociétales et scientifiques. Des
encore limitée (Grannec et Roguet, méthodes élaborées d’évaluation,
Les animaux de compagnie ont 2017). Il est par ailleurs probable que le prenant en compte les effets négatifs
aujourd’hui pris la place des animaux de public intéressé par ces opérations n’est directs et indirects des élevages sur
rente dans nos villes. En 2016, un son- pas celui qui se montre le plus critique l’environnement, mais aussi leurs amé-
dage conclut à la présence d’au moins envers l’élevage (Delanoue et al., 2018). nités, peuvent conduire à des résultats
un animal familier dans près d’un foyer différents des idées reçues et médiati-
français sur deux avec 13,5 millions de „„2.3. Conditions d’élevage sées (Doreau et al., 2017 ; Dourmad et
chats et 7,3 millions de chiens (Facco, et de mise à mort de l’animal al., 2017 ; Dumont et al., 2017). Il est
2016). Cet engouement pour les ani- aussi nécessaire de prendre en compte
maux de compagnie serait-il une raison a. Industrialisation de l’élevage la diversité des systèmes d’élevage et
de l’écho favorable que recevraient les La forte croissance démographique des espèces élevées. Par exemple, des
défenseurs de la « cause animale » dans française au xixe siècle s’est accompa- questions spécifiques aux élevages de
notre société ? Pour certains, il s’agirait gnée d’une rationalisation de l’élevage poissons se posent du fait de risques,
alors d’un mouvement issu des « petites (Duby et Wallon, 1992). Par ailleurs, pour le milieu naturel, d’échappement

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Évolution de la place de l’animal et des points de vue sur son élevage dans la société française… / 225

d’animaux domestiqués (Fontaine et al., « la rue était un lieu où l’on pouvait voir raisons économiques est un acte éthi-
2009). Enfin, pour tous les élevages, égorger le bétail » (Agulhon, 1981). Puis, quement difficile à vivre pour l’éleveur
l’utilisation d’antibiotiques inquiète l’élevage et les abattoirs ont été sortis (Mouret, 2010). Tout ceci peut créer une
car elle peut induire non seulement des villes au cours du xixe siècle pour des souffrance au travail dédié à l’élevage,
des effets directs sur la flore micro- raisons hygiéniques et d’ordre public, accrue par les critiques sociales. C’est un
bienne environnante mais aussi des en évitant au peuple la vue de scènes des arguments d’une position radicale
résistances bactériennes (Ducrot et al., cruelles (Baldin, 2014). C’est au cours du contre la production animale indus-
2017). Ces risques font l’objet de plans xxe siècle que des méthodes de mise à trialisée (Porcher, 2002). Il faut, enfin,
de surveillance et de contrôle dans un mort, se voulant sans « douleur inutile », évoquer la souffrance des Hommes qui
cadre réglementaire européen. ont été développées. Il a fallu attendre travaillent durement dans les abattoirs
1964, pour qu’un décret réglemente et doivent supporter la violence exercée
c. Douleur, souffrance les conditions d’abattage en évoquant sur eux par le regard extérieur (Guigon
et bien-être des animaux cette nécessité. Il s’agit d’« humaniser » et Jacques-Jouvenot, 2007).
Les douleurs animales ont fait l’ob- la mise à mort (Baldin, 2014). La mise
jet d’une expertise collective de l’Inra à mort de l’animal, qui était devenue „„2.4. Débats philosophiques
qui identifiait des moyens pour la limi- invisible à la société dans des abattoirs
ter dans les élevages (Le Neindre et fermés, est réapparue dans les médias « Le silence des bêtes » (de Fontenay,
al., 2009). La stratégie des « 3S » a été suite aux actions transgressives d’asso- 1998) est souvent cité comme ouvrage
proposée dans cet esprit : « Supprimer, ciations comme L214 fondée en 2008. de référence sur les questions philoso-
Substituer, Soulager » (Guatteo et al., À la question de « comment tuer sans phiques de l’animalité et des différences
2012). Cependant, le concept de bien- souffrance les animaux ? », dont la for- entre l’Homme et l’animal. Ne serait-ce
être d’un animal va au-delà d’une seule mulation est relativement consensuelle, que pour les civilisations occidentales,
absence de douleur et l’Anses (2018) s’en ajoute une seconde, bien plus cli- cela fait au moins vingt-sept siècles,
le définit ainsi « [C’] est l’état mental et vante : faut-il élever des animaux pour à partir des pré-socratiques, que ces
physique positif lié à la satisfaction de les tuer ? Sur ce dernier point, la littéra- questions perdurent dans les débats
ses besoins physiologiques et compor- ture est en générale engagée (Mouret, philosophiques. Aujourd’hui, s’il existe
tementaux, ainsi que de ses attentes. Cet 2012 ; Burgat, 2017). un consensus pour admettre que l’ani-
état varie en fonction de la perception de mal est un être sensible, deux courants
la situation par l’animal ». Sa maîtrise e. Souffrance des Hommes de pensée s’opposent entre ceux qui
nécessite une meilleure appréhension C’est depuis la fin des années 80 que admettent uniquement que l’Homme
des processus cognitifs et de l’émo- les recherches sur les systèmes d’élevage a des devoirs vis-à-vis des animaux et
tion chez l’animal (Boissy et al., 2007 ; s’intéressent aux questions du travail des ceux qui considèrent que l’animal a des
Menant et al., 2016). L’état actuel des éleveurs. Il a en effet subi de fortes muta- droits (Wolff, 2017). L’animal peut être
connaissances, dont une synthèse a tions liées à des évolutions structurelles, un symbole pour interroger notre rap-
été faite dans une expertise collective techniques et sociologiques (Dedieu et port à l’altérité et l’analyse de l’attitude
récente sur la conscience animale, per- Servière, 2012). De multiples contraintes de l’Homme à son égard peut aider à
met déjà de conclure que les animaux accroissent le volume global de travail comprendre les processus de domina-
possèdent un large éventail de capaci- des éleveurs aux dépens du temps passé tion et d’exclusion (Bortolamiol et al.,
tés cognitives associées à des compor- pour construire une relation avec les 2017). Trois thèmes de réflexion peuvent
tements plus ou moins complexes (Le animaux, cette construction dépendant être explorés pour comprendre cette
Neindre et al., 2017). Mais pour ce qui de la fréquence et de la qualité (néga- attitude : i) le rapport de l’Homme à la
est de la perception de la douleur des tive, neutre ou positive) des contacts Nature, ii) la spécificité de l’humain au
animaux par l’humain, la question la Homme-Animal (Boivin et al., 2012). sein du monde animal, iii) le rapport de
plus importante est « celle, morale, de L’automatisation, censée assister l’éle- l’Homme au vivant et à la mort. C’est avec
nos réactions émotionnelles et comporte- veur dans son travail, peut mener à une Jean-Jacques Rousseau au xviiie siècle
mentales face à la douleur (la souffrance dégradation de ces contacts. Pour les que naît la thèse selon laquelle la sensi-
de l’autre – même animale – me fait souf- salariés, dont la proportion croît dans les bilité, et non la rationalité ou les capaci-
frir) ou encore la résonance que des signes grandes exploitations de régions d’éle- tés cognitives des animaux, fait que l’on
apparents de douleur produisent spon- vage industriel comme la Bretagne, ce a envers les animaux certains devoirs.
tanément en ma conscience humaine » temps passé dans l’établissement d’une Dans la même période, Bentham intro-
(Guichet, 2015). relation avec l’animal peut même être duit la notion d’« antispécisme », c’est-
parfois perçu comme non productif par à-dire ne pas faire de l’appartenance à
d. Mise à mort de l’animal le gestionnaire. Or, cette relation n’est une espèce avec ses spécificités phy-
Dans les sociétés primitives et pas seulement une éventuelle variable siques un critère discriminant de consi-
antiques, l’animal était présent dans zootechnique dans l’amélioration d’un dération morale, que l’on va retrouver au
les communautés humaines. Son rendement : c’est aussi une gratification xxe siècle avec l’émergence de l’éthique
« sacrifice » pouvait se faire avec des du travail de l’animalier. Par ailleurs, animale. Aujourd’hui, le manifeste pour
rituels ou des règles relevant du cha- l’abattage d’animaux pour des raisons un mouvement de « libération ani-
manisme ou du religieux. Plus tard, sanitaires ou, sans doute pire, pour des male » du philosophe engagé Singer

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226 / Alexis fostier

(1973), qui est toujours très actif, reste sa disposition. Cependant, sans remise étayer certaines critiques de la produc-
le fondement théorique de nombreuses en cause de la place de l’animal dans la tion dite « biologique » et des circuits
associations défendant la « cause ani- hiérarchie anthropocentrique du vivant, courts de distribution. Mais la crise dite
male ». Singer se réclame d’une éthique la position de l’Église catholique et ses de la « vache folle » (l’encéphalopathie
utilitariste fondée sur l’optimisation du recommandations ont fluctué au cours spongiforme bovine), qui éclate en
plus grand bonheur possible pour le des siècles sur le traitement à réser- 1996, aura un effet majeur dans l’am-
plus grand nombre, la valeur morale ver aux animaux. Il apparaît dans la plification de controverses sur l’éle-
de nos actions étant déterminée par seconde moitié du xixe siècle « une nou- vage au sein de toute la société avec
leurs conséquences. Pour Descola velle sensibilité » dans le contexte d’une l’expression « d’une inquiétude radicale
(2005), l’opposition Nature/Culture ne «  première vague zoophile ». L’Église vis-à-vis de la modernité » (Barbier,
domine qu’en Occident. Cet ethnologue anglicane semble moins réticente à 2003) et, plus spécifiquement, d’une
propose une typologie de représenta- cette évolution que l’Église catholique contestation de la « modernité alimen-
tions de la Nature par les peuples selon qui préfère aujourd’hui plutôt plaider taire » (Poulain, 2008). C’est alors la
les différences qu’ils établissent avec plus largement pour le respect de la menace pour l’Homme qui alimentait
d’autres êtres vivants dans leur « phy- Nature (Baratay, 2015). majoritairement la colère du public,
sicalité » (dimension matérielle, orga- davantage qu’une « sensibilité sociale »
nique, des existants humains et non „„2.6. Choix alimentaires vis-à-vis de l’animal (Larrère et Larrère,
humains) et leur « intériorité » (ce qui 1997). D’autres crises ont suivi (fièvre
donne animation et conscience à l’être). Les premiers travaux réellement aphteuse, OGM, grippe aviaire, fraude
En combinant différences ou similarités pluridisciplinaires sur l’histoire de l’ali- sur la nature des viandes, contamina-
pour la « physicalité » et l’« intériorité », mentation datent des années 1970. tion de produits laitiers par la dioxine
il définit quatre catégories ontolo- Pourtant, l’alimentation occupe une ou des salmonelles…) et la confiance
giques. L’une d’elle est caractérisée place stratégique dans le système de du consommateur et du citoyen dans
par l’acceptation de ressemblance de vie et de valeurs des sociétés. Manger le système alimentaire s’est érodée
« physicalité » de l’Homme avec les est un moyen symbolique d’identifica- (Ocha et al., 2016). Par ailleurs, des
autres êtres vivants, mais un refus de tion en s’inscrivant dans des traditions études épidémiologiques récentes ont
ressemblance d’« intériorité ». C’est, culturelles, religieuses et éthiques grâce alerté sur un lien probable entre can-
pour lui, le « naturalisme » des sociétés au respect d’un répertoire gastrono- cer et consommation de viande rouge
occidentales. L’éloignement plus ou mique (Corbeau, 2002). Ainsi, parmi les (Domingo et Nadal, 2017). Quoiqu’il en
moins prononcé de cette représenta- trois grandes religions monothéiques soit, la consommation de viandes, pois-
tion « naturaliste » de la Nature peut abrahamiques présentes en France, sons, œufs et laitages représentait 60 %
être considéré comme un des critères christianisme, islam et judaïsme, ce sont des apports protéiques en 2015 chez les
de différenciation des avis exprimés sur essentiellement ces deux dernières qui Français (Anses, 2017).
la place de l’Animal dans notre société. imposent des interdits avec l’alimenta-
On retrouve cette différenciation tion halal et casher portant sur l’espèce „„2.7. Choix culturels
dans l’analyse des utopies contempo- animale et le mode d’abattage. Manger
raines que propose Wolff (2017). Pour est aussi une source de plaisirs gustatifs, Il apparaît, dans les années 90, une
cet auteur, il existe aujourd’hui deux d’affirmation d’un lien social, de signi- opposition entre défenseurs de la
utopies antihumanistes. La première, fication d’une distinction. Ce peut être cuisine française traditionnelle, qui
supra-humaniste et anthropocentrée, aussi une prise de risque par transgres- craignent un néocolonialisme améri-
est le posthumanisme ; c’est l’utopie sion des répertoires. Poulain (2002a) cain, et tenants de la mondialisation
d’un « Homme nouveau » aux capaci- repère trois ambivalences des modèles des cultures (Poulain, 2002b). Or, la
tés considérablement accrues par les alimentaires identifiées par Beardsworth viande est un élément de la gastrono-
Nbic (Nanosciences, Biotechnologie, (1995) : – l’ambivalence du plaisir-déplai- mie française, gastronomie enregistrée
Informatique, sciences Cognitives). La sir (de la sensualité au dégoût révulsif), sur la liste représentative du patrimoine
seconde, infra-humaniste et zoocen- – l’ambivalence de la santé-maladie culturel immatériel de l’humanité par
trée, est l’animalisme visant à animaliser (de la source de vitalité à l’intoxication), l’Unesco depuis 2010. Les sous-enten-
l’Homme et à humaniser l’animal. – l’ambivalence de la vie et de la mort. dus des débats sur ces aspects culturels
ne sont pas toujours aisés à décrypter.
„„2.5. Choix religieux Un argument fort en faveur de l’indus- Ainsi, sur la question des conditions
trialisation de la production animale, des abattages rituels, d’origines reli-
Du fait des racines judéo-chrétiennes et plus largement de la production des gieuses, il peut aussi exister une ins-
de la culture dominante dans les socié- aliments, est le haut niveau de sécurité trumentalisation fondée sur des motifs
tés occidentales, il est souvent fait atteint grâce à la rationalisation et à politiques visant à stigmatiser une
référence à une lecture stricte de la l’intégration de connaissances en san- culture. Enfin, un choix alimentaire,
Genèse de la Bible pour expliquer pour- tés animale et humaine, à la standar- comme celui du végétarien, pourrait
quoi cette culture considère l’Homme, disation, à l’élaboration de normes et aussi être une forme de revendication
créé à l’image de Dieu selon ce texte, à l’obligation légale des contrôles. Cet d’une identité marquant son apparte-
comme supérieur aux animaux mis à argument est d’ailleurs avancé pour nance à une communauté particulière

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Évolution de la place de l’animal et des points de vue sur son élevage dans la société française… / 227

(Laisney, 2016). La mise en cause d’un est presque entièrement sortie de son 3. Enjeux pour la recherche
modèle alimentaire dominant pourrait ghetto… » (Lemarchand, 2008). Cette agronomique
même être liée à une contestation poli- large diffusion de l’information, et sa
tique allant jusqu’à l’émergence d’une capacité à être interactive au sein des
contre-culture (Gacon et Grillot, 2017). réseaux sociaux, participe à l’amplifica- Les critiques contemporaines sur
tion de certaines controverses. l’élevage sont sources de nouveaux
„„2.8. Sources d’information enjeux pour les chercheurs impliqués
„„2.9. Militantisme dans les productions animales, cela
L’information a fortement évolué, en termes d’objectifs, mais aussi de
à la fin du xxe et début du xxie siècle, Les associations évoquées plus haut nouvelles méthodes à développer.
dans ses modes de diffusion et dans regroupent des personnes d’origines Ce sont d’abord des enjeux d’acqui-
ses contenus. On imagine difficilement sociales diverses et aux motivations sition de nouvelles connaissances en
aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, et objectifs variés, allant de la sauve- s’aidant d’outils de recherche qui ont
la possibilité de censurer un documen- garde d’espèces sauvages menacées considérablement évolué ces trente
taire naturaliste comme « Le Sang des à la remise en cause de systèmes de dernières années : génomique, pro-
Bêtes » filmé par Georges Franju aux production, ou même de la domesti- téomique, métabolomique, imagerie,
abattoirs de Vaugirard et de la Villette cation. On parlera de radicalité lorsque miniaturisation des capteurs, géolo-
en 1949. De nombreuses associations ces objectifs mettent en cause de fortes calisation, modélisation, traitement
alimentent cette information numé- traditions (gavage des oies et canard des métadonnées… Il existe aussi une
rique. L’association « Ensemble pour les pour la production de foie gras par demande faite aux chercheurs, et de
animaux », créée en 2017 et qui vise à exemple) ou des systèmes écono- manière plus insistante qu’auparavant,
fédérer les initiatives pour inventer « un miques dominants qui sous-tendent d’être acteurs du processus d’innova-
nouveau lien entre l’être humain et l’ani- l’industrialisation de l’élevage. Dans tion (Meynard et Dourmad, 2014). Or
mal », identifie aujourd’hui 35 grandes son extrémisme utopique, l’animalisme « La notion d’innovation embarque de fait
associations impliquées en France dans pourrait même être considéré comme beaucoup de questions de natures diffé-
la « protection animale ». Outre l’infor- une animalisation de la radicalité (Wolff, rentes, auxquelles apporter des réponses
mation apportée par le monde associa- 2017). À militantisme radical, opposi- nécessite une interdisciplinarité entre
tif, de nombreux médias traditionnels tions musclées. Ce sont, par exemple sciences techniques et sciences sociales »
(journaux, périodiques, revues, chaînes et dans deux registres très différents, (Ingrand et Dedieu, 2014). Meynard
de radio et de télévision) ou divers celles d’un philosophe politiquement et Dourmad (2014) identifient quatre
forums traitent régulièrement de ce engagé s’inquiétant de dérives antihu- principaux moteurs d’innovations en
sujet sous différents angles (Laisney, manistes (Ferry, 1992) ou celles de spé- élevage : i) l’évolution de la demande
2016). Enfin, l’édition littéraire, spécia- cialistes du renseignement s’alarmant alimentaire, ii) la maîtrise des nuisances
lisée ou destinée au grand public, n’est d’actions militantes violentes (Dénécé environnementales et la protection des
pas non plus avare d’ouvrages, y com- et Abou Assi, 2016). ressources non renouvelables, iii) le
pris pamphlets et manifestes, autour travail des agriculteurs et les formes
de cette question. Digard (1990) évo- La nature des associations de pro- d’agriculture, iv) l’évolution de la place
quait déjà une inflation témoignant tection de l’animal a sensiblement de l’agriculture dans les territoires. Bien
d’un regain d’intérêt très large pour les évolué en France ces quatre dernières qu’évoqué brièvement par les auteurs
animaux domestiques. Historiquement, décennies (la revue « Cahiers antispé- dans leur exposé sur l’évolution de
les informations agricoles et maritimes cistes. Réflexion et action pour l’égalité la demande alimentaire par « l’émer-
du quotidien Ouest-France font par- animale » est fondée en 1991), en parti- gence de mouvements de défense des
tie des piliers fondateurs d’un journal culier sous l’influence de travaux théo- animaux », nous ajouterons explicite-
dont la diffusion couvre une région qui riques nord-américains sur les droits ment un cinquième moteur : le souhait
concentre aujourd’hui le potentiel agri- des animaux et sur la libération animale exprimé, y compris par des éleveurs,
cole et agroalimentaire le plus impor- (Burgat, 2009). Deux grands courants d’un plus grand respect du bien-être
tant et le plus diversifié de France. En peuvent être distingués avec les asso- des animaux ainsi qu’un souci éthique
2008, un journaliste spécialisé de ce ciations, les plus anciennes, qui prônent dans le processus de leur mise à mort.
journal constatait la disparition pro- une « déontologie de l’exploitation ani- La conception innovante d’un système
gressive à partir de 1995 de la spécificité male » (un « oui, mais sans souffrance ») d’élevage peut se faire pas à pas (évolu-
de son service agricole. Il tire ce bilan et celles qui militent pour la remise en tion progressive d’un système existant)
de l’évolution éditoriale de son journal : cause de cette exploitation (Burgat, ou de novo (invention d’un système en
«  Les problèmes d’environnement, les 2009). On assiste globalement à un rupture par rapport à l’existant). Dans
crises sanitaires, avec en porte-drapeau processus socio-historique de montée les deux cas, la démarche consistant à
la crise de la vache folle, l’utilisation géné- en puissance du « zoocentrisme » qui situer l’analyse au niveau du système
ralisée des biotechnologies en agriculture peut se définir comme « une manière de dans son ensemble est relativement
avec les OGM notamment, transforment penser les relations humains/animaux à récente (Meynard et Dourmad, 2014).
journalistiquement le fait agricole en travers le prisme des intérêts et le point de Plus largement, le concept de « bou-
fait de société. Aujourd’hui, l’agriculture vue de ces derniers » (Michalon, 2017). quets de services » fournis par les

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228 / Alexis fostier

élevages, intégrant services écosysté- adaptation des c­ omportements aux systèmes de production innovants et
miques et externalités, situe l’analyse conditions d’élevage… (Tribout, 2011 ; compétitifs, en rupture avec l’existant ».
au niveau des territoires (Dumont et al., Boichard et Brochard, 2012). Il peut Outre les disciplines directement impli-
2017). aussi s’agir de sélectionner des animaux quées dans ces productions animales,
mieux adaptés à des alimentations dont bien d’autres sont requises pour propo-
Que ce soit pour diminuer ou suppri- le contenu en composants issus de res- ser des choix d’évolutions des systèmes
mer les effets négatifs des élevages ou sources limitées doit être réduit, comme et des techniques, évaluer les consé-
pour amplifier leurs effets positifs, il est c’est le cas des huiles et farines de pois- quences potentielles de ces choix, et les
nécessaire de disposer de méthodes sons en aquaculture (Burel et Médale, mettre en œuvre. Il s’agit, en particulier,
d’évaluation robustes de ces effets 2014). des disciplines relevant des sciences
ainsi que de dispositifs analytiques ou de l’environnement, de l’alimentation
expérimentaux permettant d’en iden- La sélection de nouveaux caractères et des sciences humaines et sociales.
tifier les mécanismes. De nombreuses nécessite d’approfondir certaines ques- Plusieurs métaprogrammes de l’Inra
méthodes d’évaluation multicritères tions liées aux fonctions biologiques des témoignent de ces interdisciplinarités.
ont été proposées. Elles sont souvent animaux pour proposer de nouvelles Enfin, et plus globalement, se déve-
appliquées au niveau des systèmes méthodes de phénotypage, y compris loppent des méthodes d’évaluation des
d’élevage avec l’objectif d’améliorer moléculaire, pertinentes et non létales, impacts de la recherche en agriculture
des indicateurs de durabilité (Lairez et et si possible peu invasives pour l’animal sur la société, qui mettent l’accent sur
al., 2017). Des approches multicritères, et automatisables (Lagarrigue et Tixier- les dimensions systémiques des pro-
mais également pluridisciplinaires, Boichard, 2011). Par ailleurs, si plusieurs cessus d’innovation, la dimension mul-
sont aussi utilisées pour des objectifs facteurs interviennent pour réguler les ti-niveaux des impacts et la temporalité
plus ciblés au sein d’un système, tel effets négatifs ou positifs d’un élevage, longue (Temple et al., 2018).
que l’évaluation du bien-être animal et en particulier des facteurs écono-
(Veissier et al., 2010). La collecte et la miques et politiques (Chatellier et
validation des données récoltées est Vérité, 2003), il reste que des diagnos-
Conclusion
une étape importante de ces méthodes. tics peuvent remettre spécifiquement
Celle-ci peut être facilitée et consoli- en cause certaines méthodes et tech- Admettons que dès qu’il s’agit d’ani-
dée dans une démarche participative niques d’élevage. Leurs modifications mal, « les mises sont considérables et les
(Gouttenoire et al., 2014), démarche qui significatives ou leurs remplacements enjeux polysémiques : le théologique,
présente d’autres avantages, comme impliquent généralement des travaux l’économique, l’eschatologique, l’insti-
ceux de favoriser les partenariats et portant directement sur l’animal. C’est tutionnel, l’épistémologique s’intriquent
d’être favorable à l’innovation et à sa par exemple le remplacement de trai- à tel point que, si l’on isolait une série,
diffusion (Meynard et Dourmad, 2014). tements hormonaux pour le contrôle les débats deviendraient absurdes »
de la reproduction. Ces alternatives (De Fontenay, 1998). Nous vivons
Si l’on s’intéresse aux caractéristiques demandent en particulier d’approfondir sans doute une période de transition
de l’animal, le développement, depuis nos connaissances sur les régulations où la surabondance de viande n’est
le début des années 2000, de l’éva- des fonctions biologiques par les fac- plus un signe de progrès. À côté d’un
luation génomique comme méthode teurs externes (Chemineau et al., 2007), modèle productiviste, de nouveaux
d’estimation de la valeur génétique y compris par des mécanismes épigéné- modes d’agriculture se mettent en
individuelle des animaux d’élevage tiques. Ce peut être encore le remplace- place (Deléage, 2013). Les scénarios
permet une sélection plus efficace et ment de procédés douloureux comme les plus « durables » de prospectives
plus rapide que les méthodes reposant l’écornage des veaux et la caudectomie récentes (Agrimonde-Terra du Cirad et
sur l’évaluation des performances des des porcelets ce qui demande d’appro- de l’Inra et After2050 de l’association
descendants ou des collatéraux. Sans fondir nos connaissances sur les com- Solagro) intègrent une réduction de la
renoncer aux progrès génétique sur portements des animaux en élevage. consommation de viande correspon-
des caractères classiques, dont ceux Plus largement, mieux connaître leur dant à la tendance actuelle en France.
relatifs à la qualité des produits, les univers mental et leur représentation
objectifs de cette sélection peuvent d’un monde où l’Homme est très pré- De nombreux chercheurs de l’Inra
plus facilement intégrer de nouveaux sent peut aider à améliorer leur bien- se sont déjà investis et continuent de
caractères favorables à la réduction être et leurs interactions avec l’éleveur s’investir pour répondre aux questions
des aspects négatifs des élevages. Ce (Le Neindre et al., 2017). complexes que soulèvent l’évaluation
peut être l’augmentation des résis- objective des effets négatifs et positifs
tances aux maladies, l’augmentation Dans une réflexion sur l’avenir des de l’élevage, ainsi que dans la remédia-
de la résistance à des stress, l’accrois- recherches en productions et santé tion des premiers et la valorisation des
sement de la longévité pour diminuer animales, Herpin et Charley, 2008, écri- seconds. La question de l’acceptabilité
le nombre d’animaux laitiers non-pro- vaient : « Les recherches en productions des techniques qui en émergent se pose
ductifs, l’amélioration de l’efficacité de animales de demain devront tout à la fois non seulement pour le consommateur,
la conversion alimentaire, la réduction produire des données génériques pour la plutôt Homo oeconomicus (« être ration-
des émissions de méthane, la meilleure connaissance du vivant et proposer des nel cherchant exclusivement son propre

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Évolution de la place de l’animal et des points de vue sur son élevage dans la société française… / 229

intérêt »), mais aussi pour le citoyen, plu- agronomique s’inscriront dans ces a initié cette réflexion à partir d’inter-
tôt Homo situs (« Homme concret vivant, adaptations. views. Adel Selmi m’a accompagné
capable de conjuguer une pluralité d’im- au début de cette aventure et incité
pératifs ») (Larrère, 2003 ; Zaoual, 2005). à approfondir les aspects historiques.
Pour Pathou-Mathis (2017), « Au cours
Remerciements Agnès Girard et Maryse Corvaisier
du temps, face aux changements envi- m’ont apporté leur précieuse aide
ronnementaux, l’Homme s’est adapté. Il Benoît Malpaux, Françoise Médale documentaire. De nombreuses per-
a, selon ses besoins, modifié son système et Stéphane Ingrand m’ont incité et sonnes, collègues ou non, ont accepté
économique et ses structures sociales, ce encouragé à explorer ces questions. des entretiens et discussions. Enfin,
qui a, très souvent, entraîné une nouvelle Un groupe de travail constitué de Jean- deux relecteurs anonymes ont fait de
perception de la Nature et transformé Pierre Bidanel, Pierre Dupraz, Raphaël nombreuses suggestions constructives
ses croyances ». Si l’on adhère à cette Guatteo, Nathalie Hostiou, Marie- pour le texte final. Je les remercie tous
analyse, les objectifs de la recherche Céleste Le Bourhis et Valérie Toureau sincèrement.

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production de savoirs, marchés et action collective. 24, 369-376. Wolff F., 2017. Trois utopies contemporaines. Éditions
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Veissier I., Botreau R., Perny P., 2010. Évaluation
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Résumé
Plusieurs travaux sociologiques ont permis d’identifier des sujets de contestation des élevages en France. Cette contestation s’accompagne
d’une baisse de la consommation moyenne par habitant des produits carnés, à l’exception de la volaille, avec une évolution des comporte-
ments alimentaires. Sans nier les effets du prix des produits carnés et du revenu des ménages sur les décisions d’achat des consommateurs,
nous nous intéressons ici à d’autres éléments pouvant influencer les points de vue des citoyens sur les élevages. Avec quelques repères
historiques, l’évolution de la place de l’animal dans la société est examinée. Sont ensuite passés en revue : poids économique de l’élevage,
conditions d’élevage et de mise à mort de l’animal, débats philosophiques, choix religieux, choix alimentaires, choix culturels, coexistence
des animaux et des citadins, intérêt des médias pour l’animal et son élevage, militantisme. Pour finir, nous évoquons brièvement les pistes
explorées par la recherche agronomique, que ce soit au niveau de l’évolution des systèmes d’élevage et de leurs impacts négatifs et positifs,
ou au niveau de la biologie de l’animal. Des données génériques sont acquises à ces différents niveaux et des approches interdisciplinaires
sont développées pour mieux appréhender des phénomènes complexes et proposer des innovations. Enfin, plusieurs méthodologies sont
utilisées pour différents types d’évaluation à différentes échelles permettant d’affiner les diagnostics, d’anticiper les conséquences d’une
innovation technologique, de repérer objectivement les progrès ou les retards par rapport à des objectifs d’amélioration des systèmes, et
aussi d’aborder la question des impacts de la recherche en agriculture sur la société.

Abstract
Evolution of animal status and point of views on animal farming in French society: what challenges for
­agricultural research?
Sociological studies have identified several points of dispute regarding animal farming in France. Furthermore, the consumption of meat pro-
ducts is decreasing except for poultry meat. In this paper, the possible reasons for this trend are analyzed by taking into consideration the views
of citizens on animal farming without denying the influence of product prices and household incomes on customers’ buying decisions. The
evolution of animal status is examined by considering the historical background. Then, various factors which could be involved in developing
points of views are considered: economical weight of the animal farming sector, farming and slaughter methods, philosophical debates, religious
options, food choices, cultural attitudes, animals in the city, information sources and activism. Finally, some new strategies of agricultural research
are highlighted. Interdisciplinary generic knowledge is produced both in animal biology and the livestock farming systems in order to decipher
complex mechanisms to propose innovative solutions. In addition, various evaluation methods are developed to improve diagnostics, anticipate
the effects of technological innovations, follow the evolution of farming systems according to improvement objectives, and analyze the impact
of agricultural research on society.

FOSTIER A., 2019. Évolution de la place de l’animal et des points de vue sur son élevage dans la société française : quels enjeux pour la
recherche agronomique ? In : Numéro spécial. De grands défis et des solutions pour l’élevage. Baumont R. (Éd). INRA Prod. Anim., 32,
221-232.
https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2465

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelles performances INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 233-246

pour les animaux de demain ?
Objectifs et méthodes de sélection
Pascale LE ROY1, Alain DUCOS2, Florence PHOCAS3
1
PEGASE, INRA, Agrocampus Ouest, 35590, Saint-Gilles, France
2
GenPhySE, Université de Toulouse, INRA, ENVT, Castanet Tolosan, France
3
GABI, AgroParisTech, INRA, Université Paris-Saclay, 78350, Jouy-en-Josas, France
Courriel : pascale.le-roy@inra.fr

„„ Les systèmes d’élevage évoluent et se diversifient pour répondre aux attentes environnementales,
économiques et sociales des citoyens, des consommateurs et des éleveurs. Les programmes de sélection animale
évoluent donc eux aussi en s’enrichissant de nouveaux caractères à améliorer et en permettant la procréation
puis la diffusion de nouveaux génotypes.

Introduction effets indépendants de son génotype assurer la fourniture de services éco-


(G) et de son environnement (E), soit systémiques. Il s’agit, d’autre part, de
P = G + E, a constitué le modèle de réfé- valoriser les interactions entre toutes
Dans les pays développés des zones rence de la sélection animale. les composantes des systèmes de pro-
tempérées, les programmes d’amélio- duction, par un recours accru aux régu-
ration génétique ont permis des gains Si cette approche simplifiée a bien lations biologiques et écologiques, afin
de productivité spectaculaires dans la conduit au progrès génétique espéré de permettre le bouclage des cycles
plupart des espèces animales au cours sur les objectifs de sélection préa- biogéochimiques et ainsi limiter les
des cinquante dernières années (Hill, lablement définis pour accroître la intrants et les pollutions. L’évolution
2016 ; Berry, 2018). Le contrôle des per- productivité et les qualités des pro- et la diversification des systèmes
formances des animaux a joué un rôle duits, elle a également conduit à des d’élevage (standard, bio, certifié, sous
essentiel dans l’obtention de ces pro- réponses corrélées défavorables sur label…), ainsi que la mondialisation
grès. Des systèmes élaborés de collecte, certaines aptitudes fonctionnelles des des échanges d’animaux et de pro-
de gestion et de traitement de l’infor- animaux (fertilité, résistance aux mala- duits, rendent aujourd’hui nécessaire
mation phénotypique et généalogique dies, longévité, comportement…), et, la complexification du modèle additif
ont été mis en place par les entreprises globalement, à une perte de robus- de description des performances par
et organismes de sélection animale tesse des animaux et une diminution la prise en compte des interactions
avec, en France particulièrement, l’ap- de la résilience des systèmes de pro- génotype x environnement (G x E) :
pui important des pouvoirs publics duction (Rauw et al., 1998 ; Star et al., P = G + E + G x E.
(Bougler, 1992 ; Selmi et al., 2014). 2008 ; Barbat et al., 2010). La volonté
actuelle s’oriente vers des approches L’objectif de cet article est de proposer
Cependant, les objectifs de sélection plus holistiques, s’inspirant des prin- les bases d’une réflexion sur les objec-
ont été le plus souvent pensés dans le cipes de l’agroécologie (Phocas et al., tifs et les méthodes de sélection d’au-
cadre de systèmes de production consi- 2017), pour concevoir des systèmes jourd’hui (la génomique) et de demain
dérés comme « standards », optimisés productifs mais moins artificialisés, (la modification ciblée des génomes)
en termes d’alimentation, de logement, plus respectueux de l’environnement qui pourraient concourir à une amélio-
d’environnement sanitaire, etc. Ainsi, et plus autonomes. Il faut, d’une part, ration génétique des espèces d’élevage
l’équation classique de la génétique utiliser et préserver au mieux les res- plus efficiente et pertinente, contri-
quantitative, décrivant la performance sources locales en adaptant les pra- buant au développement durable des
(P) d’un animal comme soumise aux tiques pour préserver la biodiversité et systèmes de productions animales.

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2466 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


234 / Pascale le roy, Alain ducos, Florence phocas

1. L’évolution des objectifs vail améliorées (risques réduits pour plus efficace de la santé et une effica-
de sélection leur santé et leur sécurité, maîtrise du cité alimentaire accrue des animaux en
temps de travail, reconnaissance de leur situation de ressources quantitative-
rôle essentiel pour assurer la sécurité ment et/ou qualitativement limitantes
Une motivation importante de la alimentaire, la qualité des productions (Phocas et al., 2014a).
diversification des systèmes d’élevage et de l’environnement).
est de répondre aux principales attentes 1.2. Économiser les ressources
des éleveurs et de la société envers Une évolution des programmes de naturelles et réduire l’impact
l’élevage. Les demandes concernent sélection animale doit accompagner environnemental de l’élevage
notamment les conditions de vie des l’évolution des systèmes d’élevage
animaux (priorité forte des citoyens répondant aux grands enjeux énoncés Face à l’accroissement de la popu-
interrogés), la sécurité sanitaire et la ci-dessus. lation humaine mondiale et de sa
qualité des produits, la compétitivité demande en protéines animales, il s’agit
des élevages et la protection de l’envi- „„1.1. Créer et diffuser de limiter la compétition pour l'usage
ronnement (Delanoue et al., 2018). des génotypes variés des terres et de l’eau, et réduire l’em-
pour des systèmes d’élevage preinte écologique des élevages en opti-
L’éthique de la relation Homme- diversifiés misant la transformation des ressources
animal est un premier enjeu fort. Ainsi, alimentaires en produits, tout en valori-
les systèmes d’élevage doivent évoluer Le point de départ de tout programme sant des ressources alimentaires locales
pour trouver des alternatives aux pra- de sélection consiste à définir l’ensemble et peu concurrentielles de l'alimentation
tiques constituant des atteintes indis- des aptitudes biologiques héritables que humaine. Dès lors que l’on peut mesurer
cutables au bien-être des animaux : l’on souhaite améliorer dans la (ou les) de manière fiable les quantités ingérées,
castration des porcelets sans anesthésie, population(s) considérée(s). Il convient on sait depuis longtemps sélectionner
écornage, coupe des queues, élimina- ensuite de résumer cet ensemble de sur l’indice de consommation (ratio de
tion de poussins, etc. Plus globalement, caractères dans une fonction – dite la quantité d’aliment consommée sur
la tendance est à la conception de dis- « objectif de sélection » – qui attribue la quantité de viande, lait ou œufs pro-
positifs d’élevage offrant aux animaux une valeur de synthèse aux candidats duite) ou la consommation résiduelle
des conditions de vie plus conformes à la sélection pour permettre un choix (écart entre la consommation réelle et
à leur statut d’être sensible, mais aussi raisonné des futurs reproducteurs parmi la consommation théorique prédite
plus fluctuantes, moins standardisées, eux. L’objectif de sélection d’une popu- d’après les performances de produc-
notamment dans les espèces de mono- lation est donc une fonction des valeurs tion) pour améliorer l’efficience de l’uti-
gastriques (porc, volailles) : élevage en génétiques « vraies » (mais inconnues) lisation de l’aliment.
groupe, accès au plein air, etc. des aptitudes à améliorer pour accroître
la valeur ajoutée des animaux pour À l’exception notable des espèces
Un autre enjeu fort pour les filières l’éleveur, la filière ou tout autre niveau aquacoles, la question n’est donc plus
de productions animales, moteur de d’organisation. Définir cette fonction vraiment la mesure de l’ingéré elle-
leur évolution actuelle, est de réussir à procure un moyen rationnel de clas- même, mais plutôt la composition de
concilier performances « économique », ser les animaux pour choisir ceux qui, la ration utilisée pour évaluer l’effica-
« environnementale » et « sociale ». à l’échelle de la population, offrent le cité alimentaire (Phocas et al., 2014b).
Comme nous le verrons, la réduction meilleur compromis entre plusieurs apti- Il faut rechercher des animaux plus
des rejets polluants est un objectif bien tudes d’intérêt économique, environne- efficaces, ingérant et valorisant mieux
identifié, mais il faut également consi- mental ou social. les prairies et les fourrages qui en
dérer que la valorisation des espaces découlent pour les ruminants, accep-
non cultivables par des prairies perma- Pour développer de nouveaux sys- tant de nouvelles ressources alimen-
nentes rend de grands services à l’en- tèmes de production conformes aux taires (algues, insectes par exemple),
vironnement (stockage de carbone, exigences du développement durable des coproduits (de cultures végétales
réserves de biodiversité – auxiliaires des filières d’élevage au XXIe siècle, il ou d’industries agroalimentaires) ou
de cultures, pollinisateurs, épuration est nécessaire de réorienter la sélec- des aliments locaux contenant plus
et régulation de l’eau…). À ces services tion vers des aptitudes différentes et de fibres alimentaires, de moindres
écosystémiques, s’ajoute un rôle écono- complémentaires de celles privilégiées qualités énergétique et protéique,
mique et social des activités d’élevage jusqu’à présent en élevage convention- pour les monogastriques. L’objectif est
qui permettent de maintenir de l’acti- nel (encadré 1) (Phocas et al., 2017). Il désormais d’améliorer l’efficacité de la
vité, et donc des emplois, dans certains faut alors proposer de nouvelles com- transformation en produits animaux
territoires. Sur le plan social, il s’agit binaisons de caractères adaptées aux de ces régimes moins riches alors que
aussi de définir les modalités d’élevage objectifs des éleveurs engagés dans un l’amélioration réalisée jusqu’à présent
et de sélection qui assurent aux éle- processus de modernisation (Ahlman a concerné l’efficacité de la transfor-
veurs, non seulement une rentabilité et al., 2014). Dans toutes les filières ani- mation de rations peu fibreuses, riches
économique de leurs exploitations, males, il s’agit d’orienter la sélection en énergie et protéines, et très diges-
mais également des conditions de tra- vers plus de robustesse, une gestion tibles. La question posée concerne alors

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelles performances pour les animaux de demain ? Objectifs et méthodes de sélection / 235

aux stress abiotiques (fréquence et


Encadré 1. Historique simplifié de l’intégration de nouveaux caractères dans
intensité accrues des anomalies météo-
les objectifs de sélection des volailles, porcs ou ruminants en filières de pro-
duction de viande (V) ou de lait (L). rologiques : périodes de forte chaleur,
précipitations exceptionnelles) et
Des années 1960 à 1980, les programmes d’amélioration génétique des animaux d’élevage ont visé une biotiques (évolution des populations
productivité maximale en réalisant une sélection sur un faible nombre de caractères de production, dont d’agents pathogènes).
certains indicateurs de la qualité des produits. Depuis les années 1990, les programmes d’amélioration
génétique se sont progressivement réorientés pour aller vers la sélection d’animaux plus efficients et En cas de stress thermique prolongé,
plus robustes. Cette réorientation est cruciale pour garantir une adaptation à une plus grande diversité on observe une diminution des niveaux
de systèmes de production et faire face aux évolutions défavorables des caractères de santé, survie et de production et de reproduction des
reproduction des animaux constatées dans certaines filières. La réorientation réalisée a accru fortement le animaux, liée principalement à une
nombre de caractères considérés dans les programmes de sélection, tant pour les filières de production de réduction de leur ingestion. Pour garan-
lait (L) que de viande (V). Il s’agit alors d’améliorer, pour tout système de production, une combinaison de tir la durabilité des systèmes de produc-
caractères ayant trait aux fonctions biologiques de production, reproduction, survie et santé des animaux. tion animale, il est donc important de
Jusqu’à présent, la prise en compte de nouveaux caractères se fait de manière cumulative dans les pro- sélectionner des animaux résistants à
grammes de sélection : les nouveaux caractères viennent en complément des caractères déjà sélectionnés, la chaleur. Jusqu’à présent, le principal
critère pris en compte dans les pro-
en faisant évoluer le poids accordé à chacun d’eux dans l’objectif de sélection global.
grammes de sélection est le maintien
des performances de production en
condition de stress thermique. D'autres
caractères, comme par exemple les
changements de température cor-
porelle, de production de chaleur ou
de rythme respiratoire sont étudiés
comme critères potentiels de sélection
de la thermo-tolérance (Renaudeau et
al., 2004).

L’émergence et/ou la sévérité de


maladies à l’échelle d’un troupeau
dépend des mesures de protection
adoptées (règles de biosécurité, vacci-
nation…), des conditions et pratiques
d’élevage (logement, alimentation,
type de conduite, utilisation de médi-
caments…), des caractéristiques des
agents pathogènes incriminés, mais
aussi de la résistance/tolérance intrin-
sèque des animaux à l’apparition de
troubles infectieux et/ou parasitaires.
Cependant, à l’exception peut-être des
quelques maladies évoquées ci-des-
sous, nos connaissances en matière de
l­’existence d’interactions génotype x lioration de celle-ci en fonction de déterminisme génétique des caractères
aliment affectant les performances et l’utilisation ultérieure des rejets, par de résistance/tolérance sont encore
induisant un reclassement éventuel des exemple en améliorant l'équilibre du relativement limitées. Un effort de
candidats à la sélection selon l’aliment ratio azote/phosphore des effluents de recherche important reste nécessaire
considéré. monogastriques (Mignon-Grasteau et dans ce domaine.
al., 2010), est une piste de recherche
Par ailleurs, à efficacité alimentaire de nouveaux caractères intéressants La sélection directement dirigée vers
constante, on peut chercher à réduire à sélectionner dans une perspective la résistance à une maladie spécifique
la quantité des déjections et des émis- agroécologique. est une approche classiquement utili-
sions de gaz à effet de serre (en particu- sée pour tenter de réduire l’impact de
lier la production de méthane entérique „„1.3. Adapter les animaux certaines pathologies. Cette stratégie
chez les ruminants). Connaître la com- à des environnements est intéressante pour les maladies à
position des rejets animaux est égale- moins contrôlés forte incidence et impact économique
ment indispensable pour leur bonne conséquent. Mise en œuvre initiale-
valorisation comme fertilisant ou pour Le changement climatique rend ment chez les bovins dès les années 80
la production d'énergie. Ainsi, l’amé- nécessaire l’adaptation des animaux dans les pays scandinaves (Heringstad

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


236 / Pascale le roy, Alain ducos, Florence phocas

et al., 2000), puis largement déployée immunitaire, comme la production un important développement des
dans tous les pays, elle a montré son d’anticorps, la réponse cellulaire et recherches sur l’hérédité mixte des
efficacité pour limiter les mammites l’activité phagocytaire (Rogel-Gaillard caractères (gènes individualisables
dans les principales espèces de rumi- et al., 2011). Toutefois, l’efficacité d’une + fond polygénique). Il s’agissait de dis-
nants laitiers (Morris, 2007 ; Rupp et al., telle approche pour améliorer la santé poser de marqueurs génétiques, c’est-
2009). D’autres programmes de sélec- générale des animaux d’élevage n’est à-dire de balises bien réparties sur les
tion, visant par exemple à améliorer pas clairement établie à l’heure actuelle, chromosomes, permettant de tracer la
la résistance des petits ruminants aux bien qu’une forte variabilité génétique transmission des segments chromo-
strongles gastro-intestinaux (Moreno- des critères de réponse immune ait somiques, et donc indirectement des
Romieux et al., 2015), à réduire l’in- été observée dans diverses espèces gènes affectant les caractères à sélec-
cidence de la tremblante classique (volailles : Lamont et al., 2003 ; porc : tionner, entre générations. Lande et
dans la majorité des races ovines euro- Flori et al., 2011 ; bovins : Thompson- Thompson ont ainsi proposé, dès 1990,
péennes (Sidani et al., 2010), ou encore Crispi et al., 2012). le principe de la Sélection Assistée par
à améliorer la résistance des poissons à Marqueurs (SAM) reposant sur l’es-
certaines maladies infectieuses comme timation de la valeur génétique des
la nécrose pancréatique chez le saumon
2. Les apports animaux en utilisant un « score molé-
(Moen et Ødegård, 2014), ont égale- de la génomique culaire » en lieu et place de la « boîte
ment eu des répercussions favorables noire » du modèle polygénique. Le
pour les filières concernées. séquençage des génomes des espèces
Le modèle de référence en génétique d’animaux domestiques (Vignal, 2011)
Si la sélection sur la résistance directe à appliquée à l’amélioration des animaux a rendu cette idée réalisable au cours
une maladie a montré son efficacité dans domestiques est le modèle d’hérédité des années 2000 grâce à la mise en
certaines situations, cette approche a polygénique proposé par Fisher (1918). évidence de centaines de milliers de
toutefois des limites importantes : Celui-ci suppose que les caractères sont marqueurs SNP (« Single Nucleotide
influencés par un très grand nombre de Polymorphisms »). Meuwissen et al.
i) améliorer la résistance à un agent gènes dont les effets individuels très (2001) ont alors proposé le concept
pathogène (ou un ensemble d’agents faibles s’additionnent. Bien qu’il soit tout de Sélection Génomique (SG) basé sur
pathogènes) n’implique pas nécessai- à fait opérationnel, il est fréquent que ce des techniques d’évaluation de la valeur
rement que l’on améliore la résistance modèle soit assez éloigné de la réalité génétique des animaux permettant l’in-
générale de l’individu ; biologique car les effets des gènes ne tégration de ces nouvelles informations
sont pas tous identiquement faibles, et (Robert-Granié et al., 2011). Le principe
ii) l’acquisition d’une résistance à une certains ont des effets individualisables de la SG est le même que celui de la SAM.
maladie particulière peut même, poten- sur certains caractères. Leur détection Il s’agit d’exploiter le Déséquilibre de
tiellement, se traduire par une susceptibi- est un problème courant en génétique Liaison (DL), à savoir l’association pré-
lité accrue à d’autres agents pathogènes, animale, qui a connu un regain d’inté- férentielle entre certains allèles (encore
induisant un risque sanitaire important rêt au début des années 1980, suite à appelés variants ou polymorphismes)
pour les populations concernées ; la mise en évidence de plusieurs gènes des marqueurs moléculaires répartis le
dits « majeurs » dans diverses espèces long du génome et des gènes causaux
iii) par ailleurs, il est rare qu’un seul (Le Roy, 1992). Une nouvelle stratégie affectant les caractères à sélectionner.
agent pathogène prédomine, et celui s’est alors développée : accroître et En pratique, des équations de prédic-
à combattre en priorité dépend for- accélérer la création du progrès géné- tion des valeurs génétiques peuvent
tement des conditions de production tique par la prise en compte explicite être établies à partir de l’analyse sta-
(Davies et al., 2009) ; d’informations sur le génome dans les tistique conjointe des performances
programmes de sélection. Depuis lors, (phénotypes) et des marqueurs (géno-
iv) enfin, cibler un mécanisme de les connaissances sur la structure et le types) observés chez les mêmes ani-
résistance unique chez l’hôte peut fonctionnement des génomes animaux maux d’une population de calibration
entraîner un contournement par le ont énormément progressé, en lien avec (souvent appelée population de réfé-
pathogène, rendant la sélection réalisée les progrès très importants des tech- rence). Ces équations peuvent ensuite
rapidement inefficace. niques utilisées pour l’étude des acides être appliquées à d’autres animaux sans
nucléiques, ADN et ARN. Les méthodes performances connues afin de prédire
Une alternative consiste à sélection- de sélection ont elles aussi évolué en la valeur génétique des candidats à la
ner pour la résistance aux troubles conséquence de façon spectaculaire. sélection dès leur naissance (en pra-
infectieux non spécifiques (Gunia et al., tique dès que l’on peut extraire l’ADN).
2015). Mais une approche encore plus „„2.1. La sélection
globale consiste à améliorer l’immu- génomique Si le premier génome rendu public,
nocompétence générale des animaux, pour une espèce animale d’élevage, a
en sélectionnant sur un ensemble de L’établissement des premières cartes été celui de la poule en 2004, c’est chez
caractères héritables représentatifs génétiques des espèces d’élevage, le bovin, séquencé deux ans plus tard,
des différentes facettes de la réponse au début des années 1990, a permis que l’utilisation d’outils génomiques

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelles performances pour les animaux de demain ? Objectifs et méthodes de sélection / 237

a ­révolutionné les programmes de sager une réduction de l’intervalle de règles à suivre pour faire une prédic-
sélection. À partir de 2008, la disponi- génération en obtenant une précision tion génomique précise (Robert-Granié
bilité des puces bovines permettant de raisonnable des valeurs génétiques et al., 2011) et sauvegarder la diversité
génotyper les individus pour 54 000 estimées avant même l’étape de phé- génétique (Colleau et al., 2015). L’intérêt
marqueurs SNP (puces 54k) a ainsi per- notypage. Si l’intérêt est évident pour du partage des informations géno-
mis la mise en œuvre d’une sélection la sélection des bovins laitiers, il peut miques entre opérateurs concurrents,
génomique à grande échelle dans les également être réel dans d’autres cas en pour la création d’une grande popu-
principales races bovines laitières en permettant une sélection précoce des lation de référence, a également été
France (Guillaume et al., 2011 ; Brochard mâles sur des caractères exprimés par démontré dans le cas de la race bovine
et al., 2013). les femelles (reproduction) ou la prise Holstein (Lund et al., 2010). Depuis, la
en compte de nouveaux caractères peu sélection génomique a été envisagée
„„2.2. Les gains génétiques héritables ou difficilement mesurables dans d’autres races bovines ou espèces
attendus (caractères de santé ou de bien-être (Coudurier, 2011 ; Le Roy et al., 2014 ;
animal). Carillier-Jacquin et al., 2017). Toutefois,
Le progrès génétique annuel dans les situations sont parfois nettement
une population est défini comme le L’évaluation génomique pourrait moins favorables que chez les bovins
gain de valeur génétique observé en donc se révéler très efficace pour amé- laitiers. Le coût économique inhérent
moyenne en 1 an chez des individus liorer les caractères fonctionnels que à l’établissement d’une population de
à la naissance et avant sélection. Son nous avons évoqués précédemment. calibration suffisamment grande pour
expression dépend de 4 paramètres : En revanche, le gain attendu ne devrait permettre une évaluation génomique
la variabilité génétique du caractère pas être à la hauteur des coûts pour précise est un enjeu majeur. Il apparaît
à améliorer, l’intensité de sélection des caractères de croissance (poids notamment de plus en plus clairement
appliquée, la précision des valeurs vif ) mesurés précocement et généra- que les espoirs fondés sur l’exploitation
génétiques prédites et l’intervalle de lement assez héritables, donc efficace- de populations de calibration com-
génération. La sélection génomique ment sélectionnés sans le recours à la munes à plusieurs races sont déçus,
peut permettre des gains de progrès génomique. Enfin, dans les populations l’influence de l’information apportée
génétique en jouant sur l’ensemble de fermées d’effectif limité où le maintien par les apparentés proches des can-
ces paramètres. d’une variabilité génétique suffisante didats à évaluer étant beaucoup plus
demeure une question importante grande sur la précision de l’évaluation
Certains caractères, comme la résis- (races à petits effectifs, lignées sélec- génomique que celle du DL historique,
tance aux maladies ou les qualités tionnées des firmes privées), la sélection même avec une densité de marquage
sensorielles des produits, peuvent se génomique permet, en caractérisant très élevée (Hozé et al., 2014). La répar-
révéler coûteux à mesurer à grande mieux l’aléa de méiose, de ne pas sur- tition de cette « mise de départ » entre
échelle. Le nombre de candidats à la représenter des pleins-frères/sœurs et les différents acteurs du programme
sélection pour lesquels une information de mieux échantillonner les candidats de sélection se pose, en particulier
phénotypique est disponible peut alors retenus dans différentes familles, ce pour les entreprises de sélection des
être faible. L’intensité de sélection peut qui contribue à ralentir l’augmentation filières monogastriques qui ne sau-
être augmentée par l’évaluation géno- de la consanguinité (Daetwyler et al., raient assumer seules ce coût. Pourtant,
mique, en élargissant la base de sélec- 2007). Enfin, chez les espèces mono- la valeur économique d’un reproduc-
tion, si le génotypage est plus facile à gastriques, et parfois aussi chez les teur de race pure à l’étage de sélection
mettre en œuvre que le phénotypage. ruminants, des gains génétiques sont d’un schéma pyramidal est élevée.
L’évaluation génomique peut égale- obtenus par l’utilisation de croisements En effet, elle est fonction de la valeur
ment permettre d’estimer plus précisé- entre populations. L’utilisation de la génétique du reproducteur, mais aussi
ment et/ou plus précocement la valeur sélection génomique permet en théo- du nombre de fois où celle-ci s’expri-
génétique d’un candidat. Ainsi, chaque rie une meilleure prédiction des effets mera aux divers maillons de la filière ;
fois que le phénotype informe peu sur génétiques non additifs attendus en par exemple, un coq de race pure sera
la valeur génétique, d’importants gains croisement, comme les effets d’hétéro- l’arrière-grand-père d’environ 275 000
de précision peuvent être obtenus par sis (Dekkers, 2007). poules pondeuses qui produiront
une évaluation génomique en compa- 85 millions d’œufs au cours de leur car-
raison avec une évaluation fondée sur „„2.3. Des programmes rière. De nombreuses questions restent
le pedigree (performances des candi- de sélection revisités ainsi en suspens et la modélisation des
dats et de leurs apparentés ; Lande et programmes de sélection est une étape
Thompson, 1990). C’est notamment le En quelques années, la sélection indispensable pour évaluer les gains
cas des caractères faiblement héritables génomique a été mise en place chez les attendus dans telle ou telle situation
(fertilité) ou nécessitant un contrôle de bovins laitiers, tant au niveau national (Tribout et al., 2013).
la descendance (production laitière) que dans le cadre de l’évaluation inter-
ou de collatéraux (ponte, qualité de la nationale des reproducteurs. Les résul- Dans un contexte d’évolution forte
viande, résistance aux maladies). Enfin, tats obtenus ont pleinement validé les des objectifs de sélection vers plus de
la sélection génomique permet d’envi- gains attendus et ont fourni certaines durabilité (voir le chapitre précédent),

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


238 / Pascale le roy, Alain ducos, Florence phocas

l’amélioration génétique de « nou-


Encadré 2. Les différents effets possibles d’interaction génotype x environ-
veaux » caractères pourrait être facilitée
nement (GxE) (d’après Phocas et al., 2017).
par l’apport d’informations génomiques
en raison du plus faible nombre d’indi-
vidus à phénotyper pour obtenir une
précision donnée des valeurs géné-
tiques prédites par rapport à une éva-
luation polygénique (Boichard et al.,
2016). Soulignons toutefois que si la
génomique permet de s’accommoder
d’un nombre plus faible d’animaux phé-
notypés, la suppression pure et simple
du contrôle de performance n’est pas
envisageable.

Par ailleurs, la structure pyramidale


des programmes de sélection en croi-
sement implique souvent des diffé-
rences d’environnements entre l’étage
de sélection et l’étage de production.
Ce problème classique des interactions
génotype x milieu peut lui aussi être
revisité à la lumière de l’évaluation
génomique. En déconnectant le calcul
de la valeur génomique des candidats
à la sélection de l’obtention des phé-
notypes, l’évaluation génomique est
une stratégie permettant de sélec-
tionner dans un environnement en
ciblant la production dans un autre.
L’opportunité de modifier l’objectif
d’un progrès génétique en race pure chez les bovins) et le f­onctionnement allèles différents, c’est-à-dire sélec-
en un progrès génétique pour une (projets « ENCODE », voir Andersson tionnées sur des ­objectifs différents,
expression en production (croisement et al., 2015) des génomes des espèces permettrait alors d’augmenter les
et interaction génotype x milieu) est d’élevage. Des approches dites de capacités d’adaptation des animaux.
donc bien réelle. « génétique-génomique » (Le Mignon La seconde hypothèse suppose quant
et al., 2010) devraient ensuite permettre à elle que le déterminisme génétique
„„2.4. Les pistes d’évolution la réconciliation des informations struc- des caractères varie d’un environne-
pour le futur turelles et fonctionnelles à l’échelle des ment à un autre (Falconer et Mackay,
génomes pour caractériser les polymor- 1996). Cette hypothèse implique de
Les technologies de séquençage des phismes causaux recherchés. sélectionner une population en fonc-
acides nucléiques continuant à évo- tion de l’environnement de production
luer de jour en jour, la prise en compte En particulier, la compréhension ciblé. Il n’est plus réellement question
des polymorphismes directement res- du déterminisme génétique des inte- de capacité d’adaptation des animaux
ponsables des effets estimés sur les ractions génotype x environnement mais de population adaptée au sys-
caractères (polymorphismes causaux), (encadré 2) fait partie des espoirs fon- tème de production (Tixier-Boichard
en lieu et place du génotypage pour dés sur ces nouvelles connaissances. et al., 2015). C’est l’hypothèse la plus
des marqueurs permettant de suivre Trois hypothèses, non exclusives, cohérente avec la démarche agro­
ceux-ci, est aujourd’hui envisageable. coexistent pour expliquer la capacité écologique évoquée précédemment. Il
En théorie, l’avantage est un effet sur les des animaux à s’adapter aux variations existe dans la littérature de nombreux
caractères, et par voie de conséquence environnementales (Bodin et al., 2010). exemples la corroborant, en particulier
une prédiction des valeurs génomiques La première se rapproche de la notion montrant une variation des effets de
des candidats, plus stable dans le temps de vigueur hybride, très utilisée en gènes « majeurs » en fonction de l’en-
intra-population, voire transférable amélioration des plantes, en suppo- vironnement : voir par exemple l’effet
d’une population à une autre. Ainsi, sant qu’un animal s’adaptera d’autant du gène « cou nu » chez la poule en
de grands programmes collaboratifs mieux qu’il est « plus hétérozygote » à fonction de la température (Monnet
sont en cours pour faire progresser la l’échelle de son génome (Gillespie et et al., 1980) ou des interactions QTL
connaissance sur la structure (projets Turelli, 1989). L’utilisation du croise- x environnement (Romé et al., 2015).
« 1 000 génomes », Daetwyler et al., 2014 ment entre populations portant des Enfin, la troisième hypothèse suppose

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Quelles performances pour les animaux de demain ? Objectifs et méthodes de sélection / 239

Encadré 3. Les zones du génome de la poule (QTL) qui influencent la moyenne et la variabilité de la couleur de la coquille
d’œuf sont différentes et dépendent de l’aliment reçu par les poules.

Un protocole expérimental a été mis en place afin de disposer de poules pondeuses, issues d’un même père, mais élevées dans des environnements différents
(Romé et al., 2015). Chaque père avait 40 filles nourries ad libitum avec un aliment dit « Basse Énergie » (BE) et 40 filles avec un aliment dit « Haute Énergie » (HE).
Toutes ces poules étaient par ailleurs élevées dans les mêmes conditions. La figure de gauche (A) représente les zones du génome (QTL) qui ont un effet fort sur la
moyenne de la couleur des coquilles des œufs pondus par les poules d’une famille. Chaque chromosome étudié est représenté par un bâton numéroté (1 à 28 pour
les autosomes, a et b pour deux groupes de liaison, Z pour le chromosome sexuel), l’axe vertical donnant la position sur le chromosome, en Mégabases. Les QTL
sont représentés par un spot coloré : en bleu, ceux détectés uniquement lorsque les poules reçoivent le régime BE ; en rouge, ceux détectés uniquement lorsque les
poules reçoivent le régime HE ; en vert, ceux détectés quel que soit le régime reçu par les poules. La figure de droite (B) représente les QTL qui ont un effet fort sur
la variabilité de la couleur des coquilles des œufs dans une famille, les codes couleur étant les mêmes que sur la figure de gauche. On peut observer que : les QTL
affectant la moyenne et ceux affectant la variabilité de la couleur de la coquille ne sont pas les mêmes ; il y a plus de QTL influençant la variabilité que la moyenne
de la couleur ; la plupart des QTL affectant la moyenne sont détectés quel que soit le régime reçu par les poules ; à l’inverse beaucoup de QTL affectant la variabilité
s’expriment avec un seul régime, c’est-à-dire qu’ils sont en interaction avec le régime alimentaire ; une majorité d’entre eux s’expriment alors uniquement lorsque les
poules reçoivent le régime BE, c’est-à-dire lorsqu’elles doivent s’adapter, en consommant plus, à un aliment non optimum par rapport à leurs besoins énergétiques.

l’existence de QTL « stabilisateurs » d’intelligence artificielle pour faire de évolué au cours des dernières décen-
qui régulent l’expression des gènes la fouille de données (« data mining ») nies, que ce soit en termes d’objectifs,
influençant les caractères lorsque afin de prédire la valeur génétique des de conception, d’organisation, de par-
l’environnement varie (Scheiner et candidats à la sélection sans modéli- tenariat, de technologies mobilisées
Lyman, 1989). Ces polymorphismes ser celle-ci, c’est-à-dire sans cher- ou d’efficacité. À l’inverse, les principes
affectent la variabilité environnemen- cher à comprendre le déterminisme fondamentaux qui sous-tendent ces
tale des caractères et non la variabilité génétique des caractères (Libbrecht programmes sont, jusqu’à ce jour, restés
génétique habituellement ciblée par et Noble, 2015). On assisterait alors les mêmes : améliorer génétiquement
la sélection (Hill et Mulder, 2010) et à une rupture historique entre ana- des populations animales d’élevage
sont donc a priori différents des QTL lyse du déterminisme génétique des nécessite dans un premier temps de
influençant la moyenne des caractères caractères et gestion des populations mettre en évidence et de quantifier la
(encadré 3 ; Romé et al., 2018). Des en sélection. variabilité d’origine génétique dispo-
expériences de sélection canalisante nible pour les principaux caractères
ont ainsi montré qu’il est possible de d’intérêt, si possible en en comprenant
sélectionner pour « stabiliser » l’expres-
3. Perspectives offertes l’origine (description du déterminisme
sion d’un caractère (Larzul et al., 2006 ; par les techniques génétique de ces caractères) ; dans un
Garreau et al., 2008). de modification second temps, on cherche à valoriser
ciblée des génomes cette variabilité génétique à travers la
Les connaissances sur la structure (ou « New Breeding mise en place de programmes de sélec-
et le fonctionnement des génomes Techniques », tion (variabilité génétique intra-popu-
devraient donc continuer à faire évo- NBT en anglais) lation), d’introgression (introduction
luer les méthodes de sélection dans les dans une population indemne, dite
années à venir. Toutefois, la quantité de receveuse, d’un allèle d’intérêt présent
données devenant gigantesque, une Comme illustré dans les paragraphes dans une autre, dite donneuse) ou de
stratégie opérationnelle pourra aussi précédents, les programmes d’amélio- croisement (variabilité génétique entre
consister à utiliser des techniques ration génétique ont très fortement populations).

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


240 / Pascale le roy, Alain ducos, Florence phocas

„„3.1. Les limites L’existence de corrélations génétiques réduit aux intrants, respectueux du
des programmes défavorables entre caractères peut bien-être des animaux et de l’environ-
d’amélioration génétique aussi conduire à la dégradation indi- nement, pour l’obtention de produits
actuels recte de caractères fonctionnels impor- aux qualités optimisées (Tizard et al.,
tants négligés ou sous-considérés dans 2016 ; Ruan et al., 2017).
Comme mentionné en introduction, les programmes de sélection, et induire
les programmes d’amélioration géné- des difficultés majeures pour certaines Plusieurs façons d’utiliser ces NBT
tique ont permis des gains de produc- populations (dégradation de la fertilité peuvent être envisagées dans une pers-
tivité spectaculaires. Ils n’en ont pas des vaches Holstein par exemple ;Berry, pective d’amélioration génétique des
moins certaines limites, clairement 2018). populations animales répondant aux
identifiées. enjeux évoqués ci-dessus.
Mais la principale limite des méthodes
Une limite importante est la relative usuelles d’amélioration génétique est a. Sélection de précision
lenteur avec laquelle les méthodes qu’elles restent tributaires de l’existence ou cisgénèse
usuelles produisent leurs effets et le d’une variabilité génétique apparue Il s’agit d’introduire (introgression
temps long nécessaire à la réalisation naturellement au sein des popula- non méiotique), dans certaines popu-
des programmes. L’introgression de tions au cours de leur évolution. Sans lations qui en étaient dépourvues,
gène(s) d’intérêt, par exemple, néces- variabilité génétique préexistante, les des variants génomiques intéres-
site plusieurs générations de croise- marges de manœuvre pour faire évo- sants décrits dans d’autres. Exemples :
ment en retour avec la population luer génétiquement les populations introgression d’un allèle « sans corne »
receveuse (6 à 8 en général). Dans cer- sont inexistantes. d’origine celtique dans le génome
taines espèces à intervalle de généra- d’animaux Holstein (Tan et al., 2013) ;
tion long, comme les bovins, la durée „„3.2. Apports des NBT introduction dans des races commer-
de tels programmes est très importante ciales nationales ou internationales
(> 20 ans), et souvent rédhibitoire dans L’idée de s’affranchir de ces limites d’allèles de résistance aux maladies
la perspective d’une application com- en utilisant certaines biotechnologies ou de thermotolérance initialement
merciale. L’introgression, même assis- du génome (transgénèse par exemple) identifiés dans des races locales « exo-
tée par marqueurs, s’accompagne aussi n’est pas récente, mais la lourdeur, la tiques » (Mérat, 1990) ; inversement,
de l’incorporation dans le génome des relative inefficacité et le coût important transfert d’allèles de productivité
animaux de la population receveuse, des techniques disponibles ont pendant sélectionnés dans certaines races spé-
au voisinage du gène d’intérêt, de longtemps limité les perspectives de cialisées vers des races locales peu
séquences non désirées, héritées de la déploiement à grande échelle de telles productives mais, par ailleurs, très bien
population donneuse (manque de pré- approches. Cependant, l’avènement de adaptées à leur environnement. Ces
cision ou de « finesse » de la technique), nouvelles techniques de modifications applications de cisgénèse ne seront
et d’une augmentation de la consangui- ciblées des génomes à partir du début toutefois pertinentes que si les allèles
nité dans ces régions (Hospital, 2005). des années 2010 (« new breeding tech- introgressés ont les mêmes effets dans
niques », ou NBT), plus précises, plus les fonds génétiques des populations
Comme évoqué précédemment, les efficaces, plus faciles à mettre en œuvre receveuses et donneuses (une valida-
objectifs de sélection incluent classi- et moins coûteuses, modifie assez lar- tion au cas par cas sera nécessaire).
quement de nombreux caractères (par- gement les perspectives (Ducos et al.,
fois plusieurs dizaines). Des corrélations 2017). Il s’agit de modifications ciblées b. Transgénèse
génétiques défavorables peuvent exis- des génomes fondées sur l’utilisation de Il s’agit de transférer des gènes d’une
ter entre certains, limitant les progrès nucléases programmables : ZFN, TALEN, espèce vers une autre, en maîtrisant le
génétiques réalisables simultanément CRIPSR-Cas9 (Petersen, 2017). Selon cer- nombre de copies et les sites d’inser-
pour chacun d’eux. Ces corrélations tains auteurs, promoteurs zélés de ces tion des transgènes, ce qui constitue
génétiques défavorables peuvent être nouvelles technologies, elles offriraient un progrès important par rapport aux
la conséquence de l’association forte des opportunités considérables pour méthodes antérieures. On peut citer par
(DL important) entre un allèle favo- l’amélioration génétique des espèces exemple :
rable pour un caractère en un locus, végétales et animales d’intérêt agrono-
et un allèle défavorable pour un autre mique. Selon eux, seule une utilisation i) la procréation de vaches transgé-
caractère en un autre locus proche. Sans rapide et résolue de ces techniques niques ayant intégré dans leur génome,
intervention directe sur le génome des permettrait de relever efficacement les en un locus précis, et exprimant dans
animaux, seule la recombinaison méio- défis importants auxquels les filières de leur glande mammaire, des gènes
tique peut contribuer à rompre ce type productions animales devront faire face humains codant des protéines aux pro-
d’association. Sur de courtes distances, au cours du XXIe siècle : procréation et priétés antimicrobiennes, rendant ces
la probabilité de recombinaison est élevage d’animaux plus robustes, tolé- animaux résistants (au moins temporai-
cependant (très) faible, ce qui nécessite rants ou résistants aux maladies infec- rement) aux mammites (et permettant
un nombre de générations important tieuses notamment (Guénet, 2017), une utilisation réduite d’antibiotiques ;
pour s’affranchir de cette contrainte. dans des systèmes ayant un recours Liu et al., 2014) ;

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Quelles performances pour les animaux de demain ? Objectifs et méthodes de sélection / 241

ii) le transfert dans des races de porc nécessaire(s) à l’interaction entre cer- gains d’efficacité qu’il est possible d’en-
domestique d’allèles de résistance à la tains virus et les hôtes qu’ils infectent, visager au niveau des programmes de
peste porcine africaine, allèles en ségré- rendant, au moins temporairement, les sélection.
gation ou fixés dans certaines popula- animaux résistants à certaines maladies
tions de suidés sauvages (encadré 4) ; (Whitworth et al., 2016) ; inactivation Bastiaansen et al. (2018) ont par
par modification ciblée de la séquence exemple étudié le cas particulier d’une
iii) la production de porcs transgé- de gène(s) codant des protéines ayant sélection conjointe d’un caractère à
niques produisant une phytase bacté- un effet allergisant dans le lait, la viande déterminisme monogénique simple
rienne leur permettant de digérer les ou l’œuf (Oishi et al., 2014). (par exemple le cornage) et d’un
phytates végétaux, ne nécessitant pas caractère polygénique (avec des pon-
de complémentation en phosphates Ces nouvelles techniques permet- dérations relatives variables pour les
minéraux biodisponibles et permet- traient également d’éliminer de façon deux types de caractères). Ces travaux
tant de réduire la teneur en phosphore accélérée les mutations récessives montrent que le temps nécessaire à la
des effluents d’élevage de 75 % (porcs indésirables qui sont en ségrégation fixation d’un allèle intéressant (pour le
Enviropig®, Golovan et al., 2001). dans certaines populations (celles caractère monogénique) est fortement
responsables de mortalité embryon- réduit en utilisant les NBT (fixation
c. Édition de génome naire précoce par exemple), et de cas- jusqu’à 4 fois plus rapide, accompa-
proprement dite ser certaines corrélations génétiques gnée d’une diminution importante du
Il s’agit de créer de nouveaux variants défavorables. nombre d’animaux présentant le phé-
génomiques non décrits jusqu’à présent notype non souhaité). Parallèlement,
dans l’espèce considérée, ni dans aucune „„3.3. Les gains d’efficacité la perte de progrès génétique pour
autre espèce. Certains de ces variants espérés le caractère polygénique (liée à la
peuvent correspondre à des mutations co-sélection de l’autre caractère) est
susceptibles de se produire naturelle- De récents travaux de simulation ont fortement réduite (jusqu’à 7 fois),
ment. Exemples : inactivation par modi- permis d’analyser les apports potentiels sans accroissement de consangui-
fication ciblée de la séquence de gène(s) de ces techniques, en quantifiant les nité. Cet article montre également, et

Encadré 4. La transgénèse : une solution pour, dans le futur, lutter contre l’épizootie de peste porcine africaine en
Europe ?

La peste porcine africaine (« African swine fever »), ou PPA, est une maladie virale contagieuse. Elle est endémique dans les pays d’Afrique subsaharienne. Dans les
espèces de suidés africains sauvages (phacochères, potamochères), les infections par le virus sont généralement asymptomatiques. À l’inverse, l’infection de porcs
domestiques ou de sangliers induit des taux de mortalité très élevés, proches de 100 %. Il n’existe à ce jour aucun traitement, ni aucun vaccin efficace, permettant
de se prémunir contre cette maladie (Arias et al., 2018). Depuis la fin des années 2000, une épizootie très importante affecte le nord et l’est de l’Europe. De très
nombreux cas (sangliers sauvages et porcs d’élevage) ont été recensés dans les pays baltes, dans la Fédération de Russie, en Pologne, en Ukraine, et, plus récemment,
en République Tchèque, en Roumanie, en Hongrie, et enfin, en septembre 2018, en Belgique, à proximité de la frontière française (deux cas chez des sangliers ; pour
un suivi en temps réel de l’épizootie, voir https://www.plateforme-esa.fr/pestes-porcines-veille-sanitaire-internationale). La PPA est une maladie réglementée à
déclaration obligatoire dans l’Union Européenne. La confirmation d’un cas positif au sein d’un élevage déclenche l’abattage de tous les animaux de l’élevage, et la
mise en place de contraintes fortes sur les mouvements d’animaux. Par ailleurs, l’arrivée de la PPA dans un pays signifie l’arrêt immédiat des exportations depuis
le pays en question. La mauvaise maîtrise de la situation épidémiologique et les mouvements de sangliers font craindre une arrivée prochaine de la maladie en
Allemagne. Le passage de la maladie du sanglier au porc domestique serait alors catastrophique, l’Allemagne étant le premier pays producteur et exportateur de
porcs en Europe. L’arrêt des exportations allemandes vers les pays tiers induirait un engorgement du marché et un effondrement des cours dans toute l’Union. La
filière porcine européenne retient donc son souffle… Dans ce contexte assez inquiétant, plusieurs équipes de recherche ont envisagé la production d’animaux
transgéniques (porcs domestiques et/ou sangliers) permettant de limiter la réplication du virus chez l’hôte infecté, et donc sa transmission entre individus. Une
solution potentiellement utile, selon ces chercheurs, pour juguler une telle épizootie. Deux stratégies complémentaires ont à ce jour été testées. Lillico et al. (2016)
ont utilisé la technique ZFN pour modifier des zygotes et, suite au transfert des embryons modifiés dans des truies receveuses, procréer des porcelets de race Large
White (n  = 3) ayant intégré dans leur génome une voire deux copies d’un haplotype de phacochère (gène RELA), supposé expliquer, au moins en partie, la résilience
de cette espèce africaine endémique vis-à-vis du virus de la PPA (Palgrave et al., 2011). Ces travaux ont permis de démontrer « l’échangeabilité » d’allèles entre
populations. Par contre, la réalisation d’un challenge infectieux pour valider la résilience des porcs transgéniques produits n’a pas été évoquée dans la publication.
Plus récemment, Hübner et al. (2018) ont envisagé d’utiliser la technique CRISPR-Cas9 pour produire des porcs (ou sangliers) transgéniques ayant intégré dans
leur génome de quoi produire l’enzyme Cas9 et un ARN guide ciblant spécifiquement une région de l’ADN du virus indispensable à sa réplication (gène p30). L’idée
n’a à ce stade été testée avec succès que sur un modèle cellulaire (la réplication du virus est bien bloquée dans les clones cellulaires ayant intégré un plasmide
d’expression permettant de produire la nucléase Cas9 et son ARN guide). Cependant, la production d’animaux par clonage somatique (à partir de fibroblastes en
culture modifiés) et l’évaluation de leur résistance au virus par un challenge infectieux sont des objectifs clairement affichés par les chercheurs. Ces travaux sont
évidemment très préliminaires, et le chemin qui débouchera, éventuellement, sur des applications pratiques et à grande échelle est encore très long. Par ailleurs,
l’évaluation de l’ensemble des conséquences épidémiologiques de ce genre d’approche reste à faire.

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242 / Pascale le roy, Alain ducos, Florence phocas

l­ogiquement, que l’intérêt des NBT (le pour la mutation souhaitée. Ce type de des mutations causales expliquant la
gain attendu dans les programmes de système (transmission héréditaire qua- variabilité génétique des caractères
sélection) est fortement dépendant de lifiée de « supermendélienne ») permet sélectionnés. L’application concrète
leur efficacité, donc du niveau de maî- d’augmenter beaucoup plus rapide- de la stratégie PAGE + SG évoquée
trise que nous en avons. ment la fréquence des allèles favorables plus haut, par exemple, nécessite de
au sein des populations. Sans surprise connaître au moins quelques dizaines
Jenko et al. (2015) ont pour leur donc, les résultats de ces simulations de régions candidates à modifications,
part évalué l’intérêt des NBT pour la montrent qu’il serait possible avec ce ce qui est encore loin d’être le cas. Les
sélection de caractères polygéniques, type de système d’accroître à nouveau connaissances actuelles suggèrent que
contrôlés par de nombreux QTN (varia- de façon substantielle les gains de pro- la majeure partie des caractères d’inté-
tions nucléotidiques responsables, grès génétique en comparaison avec rêt sont gouvernés par plusieurs cen-
individuellement, d’une faible part de ceux obtenus dans un schéma de sélec- taines à milliers de gènes ayant pour la
la variabilité génétique des caractères tion PAGE + SG. plupart des effets faibles à très faibles
quantitatifs). L’approche qu’ils pro- (ce qui est conforme à l’hypothèse qui
posent, dénommée PAGE (« Promotion „„3.4. Une mise en œuvre sous-tend le modèle d’hérédité poly-
of Alleles by Genome Editing »), consiste qui interroge génique maintes fois évoqué dans cet
à créer de novo à chaque génération article). Très peu de gènes expliquent
chez une partie des reproducteurs Ces différents résultats illustrent le plus de 1 % de la variance génétique
– taureaux dans la publication – de potentiel indiscutablement important des caractères quantitatifs d’intérêt
nouveaux variants dont l’effet (favo- des NBT pour l’amélioration génétique (production, reproduction, santé…), ce
rable) est connu, et à sélectionner les des populations animales d’élevage. qui conduit à penser que l’intérêt des
animaux sur la base d’une évaluation Cependant, entre ces potentialités théo- NBT pourrait rester limité à quelques
génomique. Le gain d’efficacité lié à riques et les réalisations concrètes pos- cas particuliers. Cependant, dans ce
l’utilisation de PAGE en complément sibles à court et moyen termes, la marge domaine aussi, nos connaissances sont
de la Sélection Génomique (SG) a été est encore grande. Pour atteindre les susceptibles d’évoluer, du fait notam-
évalué en considérant différents scé- résultats présentés dans ces travaux de ment de l’accumulation à un rythme
narios : nombre variable de modifica- simulation (et sous réserve de la perti- élevé de données issues du séquençage
tions génétiques créées par père et nence de leur réalisation), de nombreux complet de génomes (et de résultats
par génération, proportion variable obstacles restent à surmonter. d’analyses d’association).
de pères génétiquement modifiés. Les
résultats de ces simulations montrent Certains sont de nature technique et/ D’autres obstacles sont de nature
que le progrès génétique à l’issue de 20 ou scientifique. La précision des modifi- réglementaire. La production à des fins
générations de sélection est systémati- cations induites est l’une des questions commerciales (agricoles) d’organismes
quement supérieur en associant PAGE à cruciales à considérer avant d’envisager génétiquement modifiés était jusqu’à
la sélection génomique (de 1,08 à 4,12 une utilisation à grande échelle de ces présent interdite dans certains pays (en
fois supérieur à la sélection génomique techniques chez les animaux. Différents France par exemple), et soumise à des
seule). Les résultats les plus favorables travaux récents ont montré que les sys- évaluations contraignantes (longues
en matière de progrès génétique sont tèmes CRISPR-Cas9 « standards » étaient et coûteuses) dans d’autres. Certains
obtenus en modifiant relativement peu susceptibles d’induire un nombre scientifiques (par exemple Caroll et al.,
de mâles à chaque génération mais conséquent de modifications hors-cible 2016), industriels et mécènes (voir par
pour un nombre important de QTN, ce (« off target » ; Schaefer et al., 2017). Ces exemple le point de vue de Bill Gates sur
qui se traduit toutefois par une aug- résultats ont cependant été vigoureu- la question : https://www.foreignaffairs.
mentation non négligeable de la vitesse sement contestés par d’autres groupes com/articles/2018-04-10/gene-editing-
d’accroissement de la consanguinité. de chercheurs (Wang et al., 2018). Par good) se sont toutefois mobilisés de
ailleurs, différentes stratégies permet- façon importante ces dernières années
Dans une série de simulations ulté- tant de limiter ce phénomène ont déjà pour obtenir une évolution de la régle-
rieures, les mêmes auteurs (Gonen et été envisagées, et certaines testées avec mentation. Leur objectif est de passer
al., 2017) ont été un cran plus loin en succès (Komor et al., 2017). Compte d’un système dans lequel on évalue les
envisageant la possibilité de créer, tenu des efforts de recherche considé- innovations sur la base des techniques
puis de diffuser, des mutations parti- rables qui sont actuellement déployés, qui ont servi à les produire (système
culières (déjà décrites ou non) à l’aide on peut raisonnablement penser que actuel), à un système où ce sont les pro-
de méthodes dites de « forçage géné- notre niveau de maîtrise de ces tech- duits eux-mêmes qui sont (éventuelle-
tique » (ou « gene drive »). Avec ce type niques sera rapidement bien supérieur ment) évalués, au cas par cas, pour leurs
de méthode, la modification (ou la à ce qu’il est aujourd’hui. intérêts et risques, indépendamment
transmission) d’une seule copie de la des techniques dont ils sont issus. Cette
mutation chez un embryon permet Une autre limite à l’utilisation des mobilisation semble avoir déjà porté
de convertir l’autre copie (allèle « sau- NBT pour l’amélioration génétique des ses fruits, dans la mesure où certains
vage ») au cours du développement, populations animales d’élevage tient produits issus des NBT sont désormais
rendant le descendant homozygote à notre connaissance encore limitée affranchis de toute évaluation aux USA

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelles performances pour les animaux de demain ? Objectifs et méthodes de sélection / 243

(nouvelles variétés de plantes pour les- dues en matière de santé publique déjà très supérieur à ce qui était envi-
quelles des gènes particuliers ont été ou d’environnement, ou en raison de sageable avant leur déploiement il y a
inactivés par mutation ciblée ; Walz, la médiatisation croissante des asso- seulement 10 ans ! Nous parlions, à la fin
2018). Les avis rendus récemment par ciations prônant l’arrêt de la consom- des années 2000, de « révolution géno-
certaines instances en France (Office mation de produits animaux, et une mique ». Devons-nous, 10 ans après,
Parlementaire d’Évaluation des Choix tendance déjà amorcée (voir en France : nous engager résolument dans une
Scientifiques et Technologiques, Haut https://www.lemonde.fr/planete/ « nouvelle révolution NBT » ? Et si oui,
Conseil des Biotechnologies) permet- article/2018/09/06/la-consomma- dans quels buts ? Qu’est-ce qui motive
taient de penser que des évolutions tion-de-viande-en-france-recule-de- réellement cette recherche permanente
similaires pourraient avoir lieu dans puis-dix-ans_5350897_3244.html). À de « rapidité », « d’efficacité », de « com-
notre pays et ailleurs dans le monde. l’échelle mondiale, toutefois, l’élevage pétitivité » ? Est-ce, dans un monde de
Cependant, un récent arrêt de la Cour demeure un acteur majeur pour le plus en plus globalisé, ouvert, dans
de Justice Européenne, rendu public développement de systèmes agricoles lequel la compétition est toujours plus
le 25 juillet 2018, stipule clairement et alimentaires efficients et durables, forte, une dynamique inéluctable à
que « les organismes produits à partir de ainsi que pour réduire localement la laquelle on ne pourrait se soustraire ?
techniques de mutagénèse [postérieures pauvreté (Faye et Duteurtre, 2009). Qu’y gagne-t-on réellement, et qui y
à 2001 ; les NBT sont donc concernées] gagne vraiment ? Prend-on réellement
sont des OGM et doivent donc, en prin- Pour accompagner la transition vers en compte l’ensemble des consé-
cipe, faire l’objet des obligations [pro- des systèmes agroécologiques ou déve- quences induites ? Ce mouvement
cédures d’autorisation] définies par la lopper les principes de l’économie circu- permanent, de plus en plus rapide, ne
directive sur les OGM » (directive 2001/18/ laire en valorisant au mieux les biomasses nous conduit-il pas à perdre de vue des
CE). Cet arrêt ne concerne que les appli- disponibles, les effluents et les produits dimensions importantes pour le déve-
cations des nouvelles techniques aux animaux, les stratégies d’amélioration loppement de nos sociétés ?
végétaux. Les règles qui s’appliqueront génétique mises en œuvre doivent
dans l’UE aux organismes animaux préserver une diversité génétique suf- Ces questions doivent être posées au
devraient être de même nature, voire fisante intra et entre populations, et regard du droit à l’alimentation de tout
plus contraignantes encore (comme encourager l’utilisation de races dont les un chacun. D’après le comité des droits
c’est actuellement le cas aux USA). performances sont bien adaptées à une économiques, sociaux et culturels de
production locale et durable. Ainsi, il ne l’ONU (Observation générale n° 12 sur
Une dernière série de questionne- s’agit pas de rechercher un animal « type » le droit à une nourriture suffisante), c’est
ments et d’éventuels d’obstacles (et non pour les systèmes agroécologiques, mais le droit d’« avoir physiquement et écono-
des moindres), est de nature éthique des animaux aux profils variés, adaptés à miquement accès à tout moment à une
(réflexion sur les atteintes au bien-être et/ la diversité des milieux et des conduites nourriture suffisante, adéquate et cultu-
ou à l’intégrité des animaux induites par d’élevage. Les programmes de sélection rellement acceptable, qui soit produite
ces techniques ; voir par exemple Eriksson doivent donc évoluer dans toutes les et consommée de façon durable, afin de
et al., 2017), sociologique (qu’en sera-t-il filières afin qu’un nombre plus impor- préserver l’accès des générations futures à
de l’acceptation de ces innovations par tant de génotypes diversifiés soient dis- la nourriture ». Cette nourriture doit donc,
les citoyens, quand, parallèlement, la ponibles pour répondre à une gamme de non seulement être produite de manière
voix des mouvements animalistes est besoins accrue. Orienter la sélection vers écologiquement et socialement durable,
de plus en plus relayée par les médias et plus de robustesse, de santé et d’effica- mais, par ailleurs, son achat (en quantité
autres réseaux sociaux ?) et politique (ces cité alimentaire des animaux en situation suffisante pour un régime adéquat) ne
innovations sont-elles réellement utiles de ressources limitantes (en quantité et doit pas être trop coûteux ou se faire au
pour les systèmes d’élevage et plus lar- en qualité) semble toutefois nécessaire. détriment d’autres besoins et droits. En
gement le(s) modèle(s) de société que Les questions soulevées concernent matière de sélection, animale comme
l’on souhaite promouvoir ?). Toutes ces toutes les filières d’élevage, y compris végétale, les interrogations deviennent
questions sont particulièrement com- aquacoles, mais toutes n’ont pas pu faire alors : qui seront les détenteurs de cette
plexes, et ne peuvent être abordées ici l’objet d’un même développement dans génétique améliorée ? Quelles seront
en quelques lignes. Toutes méritent des cet article. les conditions d’accès aux nouveaux
débats contradictoires approfondis et génotypes pour les éleveurs ? Quel
largement ouverts. En matière de méthodes, les résultats sera l’intérêt pour les éleveurs et les
de simulations théoriques montrent citoyens/consommateurs à utiliser une
qu’une utilisation raisonnée des NBT, génétique « high-tech » ? La coexistence
Conclusion couplée à la sélection génomique, entre génétique « high-tech » et « tradi-
pourrait induire une amélioration subs- tionnelle » sera-t-elle possible ? Si oui à
Dans les pays les plus riches, la réduc- tantielle de l’efficacité des programmes quelles conditions ?
tion de la consommation de protéines de sélection. Le progrès génétique
d’origine animale est à la fois un objectif créé serait sensiblement supérieur à Le comité d’éthique INRA-CIRAD-
de plus en plus largement partagé, du celui produit dans les programmes de IFREMER a été récemment saisi par la
fait des répercussions favorables atten- sélection génomique actuels, lui-même direction des organismes pour rendre

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


244 / Pascale le roy, Alain ducos, Florence phocas

un avis concernant les conséquences ­ ’économie et de société que prépare


d ment s’appliquer aussi au domaine de
de l’utilisation des NBT en agriculture. l’édition des génomes végétaux, et plus l’élevage, et de la recherche afférente.
Un premier avis a été rendu début spécifiquement l’utilisation du système
2018, et ne concerne que les végétaux CRISPR-Cas9  ». Une autre recomman- Ne nous affranchissons pas d’une
(un complément d’avis sera rendu ulté- dation est de « Penser la définition des réflexion large et approfondie sur ces
rieurement pour les animaux). La toute priorités de recherche en fonction des questions avant d’envisager de nou-
première recommandation formulée problèmes à résoudre plutôt qu’en vertu velles transformations importantes des
dans cet avis est la suivante : « Être des potentiels de la technologie ». Ces méthodes et objectifs de sélection, et plus
vigilant quant aux formes d’agriculture, recommandations doivent naturelle- globalement de nos systèmes d’élevage.

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Bonnot A., Boscher M.Y., Bouchel D., Bouffartigue B., Tizard M., Hallerman E., Fahrenkrug S., Newell- Kerrigan M.A., Cino-Ozuna A.G., Samuel M.S.,
Bouix J., Brochard M., Dion F., Francois D., Jouhet E., McGloughlin M., Gibson J., Loos F. de, Wagner S., Lightner J.E., McLaren D.G., Mileham A.J., Wells K.,
Jullien E., Leymarie C., Moreno C.R., Orlianges M., Laible G., Han J.Y., D’Occhio M., Kelly L., Lowenthal J., Prather R.S., 2016. Gene edited pigs are protected
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Résumé
Les objectifs et méthodes d’amélioration génétique doivent évoluer pour répondre aux enjeux du développement durable des filières
d’élevage. Dans toutes les espèces, il s’agit désormais d’améliorer la robustesse des animaux en promouvant leurs capacités d’adaptation,
en intégrant dans les objectifs des programmes de sélection de nombreux caractères d’efficience, en particulier de santé et d’adaptation
à des ressources alimentaires moins standardisées et de qualité fluctuante, à des environnements changeants et variés, et au changement
climatique. Cela amène à considérer les interactions génotype x environnement dans la prédiction des valeurs génétiques et à évaluer les
performances des animaux dans des systèmes à moindres intrants, notamment alimentaires et médicamenteux. Depuis la fin des années
2000, la méthode mise en œuvre progressivement dans toutes les filières est la sélection génomique qui, en déconnectant le calcul des
valeurs génétiques des candidats à la sélection de l’obtention de phénotypes, facilite la sélection de nouveaux caractères et la prise en
compte des interactions génotype x environnement. Dans un futur relativement proche, il sera techniquement possible de mettre en œuvre
des stratégies de modification et sélection ciblées des génomes qui pourraient substantiellement accroitre les gains de progrès génétique
en comparaison avec ceux obtenus dans les programmes actuels de sélection génomique. Toutefois, l’utilisation de ces nouvelles techniques
de sélection animale pose de nombreuses questions, tant sur le plan scientifique, qu’opérationnel, éthique ou politique.

Abstract
What performance for tomorrow’s animals? Breeding goals and selection methods
Meeting the issues related to sustainable development of livestock farming requires innovations in genetics. In every sector, this is all about
improving the robustness of animals by enhancing their abilities to adapt by including numerous efficiency traits in the breeding goals of selection
programs particularly regarding health and adaptability to less standardized feed resources and of fluctuating nutritional value, changing and
varied environments, and climate change. This leads to consider genotype-by-environment interactions within genetic evaluation procedures
and to assess the performances of animals in low input systems, especially regarding feed and drug use. Since the end of the 2000s, the method
that has been progressively used in all livestock breeding sectors is genomic selection, which, by disconnecting the computation of genetic values
of selection candidates from phenotype recordings, makes it easier to select new traits and to take into account genotype-by-environment inte-
ractions. In the relatively near future, it will be technically possible to use strategies of targeted modification and selection of genomes that could
substantially increase genetic gains, in comparison with those obtained with current genomic selection programs. However, the use of these new
breeding techniques raises numerous issues on scientific, operational, ethical, and political levels.

LE ROY P., DUCOS A., PHOCAS F., 2019. Quelles performances pour les animaux de demain ? Objectifs et méthodes de sélection. In : Numéro
spécial. De grands défis et des solutions pour l’élevage. Baumont R. (Éd). INRA Prod. Anim., 32, 233-246.
https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2466

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Rôle de l’environnement précoce 2019,INRA32 Prod. Anim.,
(2), 247-262

dans la variabilité des phénotypes


et l’adaptation des animaux d’élevage
à leur milieu
Frédérique PITEL1, Fanny CALENGE2, Nadège AIGUEPERSE3, Jordi ESTELLÉ-FABRELLAS2, Vincent COUSTHAM4,
Ludovic CALANDREAU5, Mireille MORISSON1, Pascale CHAVATTE-PALMER6, Cécile GINANE3
1
GenPhySE, Université de Toulouse, INRA, ENVT, Castanet Tolosan, France
2
UMR GABI, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, 78350, Jouy-en-Josas, France
3
Université Clermont Auvergne, INRA, VetAgro Sup, UMR Herbivores, 63122, Saint-Genès-Champanelle, France
4
BOA, INRA, Université de Tours, 37380, Nouzilly, France
5
UMR Physiologie de la Reproduction et des Comportements, INRA, CNRS, IFCE, Université de Tours, 37380 Nouzilly, France
6
UMR BDR, INRA, ENVA, Université Paris Saclay, 78350, Jouy-en-Josas, France
Courriel : cecile.ginane@inra.fr

„„ Le phénotype d’un individu est l’expression de ses gènes, de son environnement, et de leurs interactions,
mais également de son histoire de vie. L’environnement précoce en particulier, via son influence sur les marques
épigénétiques, sur le microbiote et sur le comportement des animaux, participe à la construction des phénotypes
des adultes et influence leurs capacités adaptatives.

Introduction pics de chaleur ; problèmes sanitaires, même si la sélection faite jusque-là


­prédation, et plus largement stress par l’Homme a cherché à favoriser des
émanant de la combinaison d’une ou animaux productifs et donc, dans une
Les systèmes d’élevage et les animaux plusieurs de ces composantes), qui certaine mesure, capables de se satis-
qui les constituent sont confrontés peuvent affecter intensément et par- faire des conditions dans lesquelles ils
à de multiples contraintes (environ- fois durablement leur production, leur sont élevés, on constate encore divers
nementales, sociales, alimentaires…) santé et leur bien-être. problèmes d’ordre sanitaire, éthique ou
auxquelles ils doivent s’adapter. Ceci environnemental. Les évolutions des
est particulièrement vrai pour les sys- Depuis quelques décennies, un systèmes d’élevage (et les contraintes
tèmes qui s’orientent vers les concepts nombre croissant d’études se sont inté- qui s’y rattachent) sont parfois plus
de l’agroécologie, et qui impliquent une ressées à l’impact de l’environnement rapides que ne peut l’être la sélection,
sollicitation des relations écologiques durant les premières phases de la vie qui par ailleurs ne peut se faire que sur
entre les composantes du système, sur les capacités de l’animal à survivre quelques caractères. Les effets de l’en-
un moindre contrôle de l’environne- et se reproduire face aux différents vironnement sur le développement de
ment et l’acceptation d’une part plus challenges rencontrés ultérieurement. l’individu, sur la façon dont il peut per-
importante d’aléas (Dumont et al., La compréhension de cette « prépara- mettre de « façonner, d’affiner » les phé-
2014). L’objectif est d’avoir des indivi- tion » (ou « programmation ») est deve- notypes, à une échelle de temps plus
dus capables de s’adapter aux diffé- nue un sujet d’étude pour plusieurs courte, sont donc particulièrement inté-
rents challenges auxquels ils seront disciplines de la biologie (physiologie, ressants à étudier. Ainsi, comprendre
potentiellement confrontés au cours éthologie, génétique, mais aussi bio- les interactions entre les influences
de leur carrière (séparation mère/jeune, logie évolutive et de la conservation environnementales et les processus de
réallotements, restrictions/transitions (Langenhof et Komdeur, 2018)) et développement peut aider à prédire
alimentaires, environnements artificia- concerne aussi bien des espèces sau- quelles influences peuvent être délé-
lisés et appauvris ; aléas climatiques, vages que domestiques. En élevage, tères ou au contraire bénéfiques, quels

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2467 INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


248 / Frédérique pitel et al.

types de réponses inadaptées peuvent études). Parmi les différents ­processus d’une mémoire persistante des per-
être réversibles et comment les pra- ­comportementaux, celui des apprentis- turbations antérieures. On parle alors
tiques d’élevage peuvent faciliter le sages sera particulièrement considéré, de « programmation métabolique »,
bon développement de l’individu voire à la fois comme processus d’élabora- accompagnée d’impacts physiolo-
la réversibilité de certaines réponses. tion des phénotypes, mais également giques et/ou morphologiques à long
comme cible via l’impact de l’expé- terme. Ce mécanisme de programma-
Dans cette revue, nous n’avons pas rience précoce sur les capacités d’ap- tion métabolique au cours des phases
l’ambition d’être exhaustifs quant aux prentissage qui peuvent conférer à précoces de la vie est très étudié chez
connaissances actuelles sur l’influence l’animal une meilleure adaptation à des l’Homme et a conduit au concept de la
de l’environnement précoce sur la situations nouvelles ultérieures. DoHAD (Origines Développementales
construction et la variabilité des phé- Environnementales et Épigénétiques
notypes et de l’adaptation des animaux Nous aborderons donc successive- de la Santé et des Maladies). Ce phé-
d’élevage à leur milieu. Nous considé- ment ces trois domaines (épigéné- nomène a fait l’objet de nombreuses
rons comme environnement précoce, tique, microbiote, comportement), qui études chez les rongeurs et, plus récem-
en accord avec la bibliographie qui illustrent comment les expériences ment, chez les animaux d’élevage. Nous
sera sollicitée dans la suite de l’article, vécues précocement peuvent avoir des prendrons ici des exemples choisis chez
les périodes de vie allant de la concep- effets, bénéfiques ou délétères, sur le des espèces aviaires et des mammifères,
tion à la maturité sexuelle, avec une phénotype adulte, et qui peuvent per- et tout particulièrement chez le lapin,
attention plus marquée pour la période mettre de proposer des leviers précoces une espèce d’intérêt agronomique qui
périnatale. Certains processus intergé- d’amélioration des performances, de la présente aussi la caractéristique d’être
nérationnels seront également abor- santé ou du bien-être des animaux. utilisée comme modèle biomédical
dés, considérant que « l’environnement (Esteves et al., 2018), notamment en
précoce » est notamment constitué des biologie du développement (Fischer
marques apposées sur les gamètes par
1. Programmation et al., 2012, Theunissen et al., 2017).
la génération précédente. Nous ne épigénétique du génome
présenterons pas l’ensemble des pro- pendant le développement „„1.2. Programmation
cessus biologiques impliqués dans la par l’alimentation des mères
« construction » des phénotypes sous
„„1.1. Notions introductives
l’effet de l’environnement précoce, et L’une des manières les plus simples
nous nous focaliserons sur les rôles des L’environnement prénatal est connu de modifier l’environnement pendant
processus épigénétiques et comporte- pour influencer le phénotype adulte le développement sans intervenir direc-
mentaux (notamment apprentissages) chez plusieurs espèces (Sinclair et al., tement sur l’embryon est de modifier
ainsi que sur ceux du microbiote. Les 2016), par la modification de marques les apports nutritionnels du milieu dans
processus épigénétiques jouent un épigénétiques. Ces marques épigéné- lequel il se développe, via l’alimentation
rôle majeur dans l’influence de l’envi- tiques – telles que la méthylation de de la mère.
ronnement pendant le développement l’ADN et les modifications des histones,
précoce sur la construction des phéno- mais aussi les ARN non codants – sont Chez les espèces avicoles, un grand
types adultes. Ils permettent donc d’of- des éléments interagissant avec l’ADN nombre d’études ont été menées pour
frir des leviers intéressants pour orienter qui modifient l’expression du génome évaluer les effets de la supplémentation
les performances en agissant très pré- sans en modifier la séquence. Elles ou de la carence en une grande variété
cocement sur les éléments biotiques constituent l’épigénome, qui est mis en de nutriments – tels que les vitamines,
ou abiotiques (alimentation, tempé- place dès le développement embryon- les minéraux, les protéines, les acides
rature…). L’environnement précoce naire et qui diffère selon le type cellulaire gras ou les antioxydants – pour optimi-
joue en outre un rôle important dans et la spécificité tissulaire. Ces épigé- ser le régime alimentaire des femelles.
la constitution du microbiote digestif, nomes affectent l’expression des gènes, Ces études ont été très utiles pour amé-
dont le rôle sur l’expression des phé- conduisant à des phénotypes cellulaires liorer les caractères de production chez
notypes est de plus en plus clairement distincts à partir d’un seul génome (dif- les poules pondeuses et de poulets de
établi, notamment dans le domaine de férentiation cellulaire). Ils sont ensuite chair, mais plus récemment, une atten-
la santé. Caractériser ce rôle, en particu- transmis à travers les mitoses, contri- tion a été portée aux performances des
lier grâce aux nouveaux outils de méta- buant à maintenir l’état métabolique descendants. En effet, le régime alimen-
génomique, devrait permettre d’ouvrir tout au long de la vie (Skinner, 2011). taire de la mère impacte les ressources
de nouvelles voies d’amélioration des Des perturbations biotiques (varia- nutritionnelles déposées dans l’œuf qui
performances par des pratiques d’éle- tion de la qualité ou de la quantité peuvent avoir une incidence, à leur tour,
vage permettant d’influencer, direc- de nutriments, taux d’hormones…) sur l’état physiologique du nouveau-né
tement ou non, la composition du ou abiotiques (pic de chaleur…) pen- et, plus tard, sur le phénotype de
microbiote. Enfin, l’expérience précoce dant la vie prénatale peuvent induire l’adulte (Moran, 2007 ; Morisson et al.,
sera également considérée ici par ses des modifications de ces épigénomes, 2017). Ainsi, l’influence du régime ali-
effets sur le comportement de l’animal qui sont ensuite transmises au cours mentaire des reproducteurs sur la com-
(à plus ou moins long terme selon les du développement et sont le support position corporelle, le poids corporel et

INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


Rôle de l’environnement précoce dans la variabilité des phénotypes et l’adaptation des animaux d’élevage à leur milieu / 249

le taux de croissance des descendants des lapereaux mais induit des effets sur adulte (Hue-Beauvais et al., 2017) et,
a été rapportée (Calini et Sirri, 2007). l’activité spontanée des descendants chez les femelles, le développement
Chez le poulet de chair, une réduction mâles et femelles (Simitzis et al., 2015). de la glande mammaire est perturbé
de l’apport en protéines chez les mères Les effets très différents observés dans (Hue-Beauvais et al., 2015), ce qui pour-
diminue leurs performances de ponte. ces deux études indiquent bien l’impor- rait entraîner des effets sur la deuxième
Cette réduction en protéines a un effet tance des périodes critiques de déve- génération.
différent entre les deux sexes des des- loppement pendant lesquelles sont
cendants ; elle augmente le poids des appliquées les restrictions alimentaires. Les exemples ci-dessus démontrent la
descendants mâles et diminue celui des possibilité de modifier le phénotype des
femelles, à 35 jours d’âge, les femelles Dans une étude utilisant le lapin descendants en modifiant (par carence
ayant, de plus, des performances de pour modéliser la situation humaine, il ou supplémentation) l’alimentation
ponte réduites (Lesuisse et al., 2018). a été montré qu’un régime hyper gras de la mère. L’impact de l’alimentation
Chez le canard, la carence en méthio- administré à des femelles à partir de la peut avoir des effets bénéfiques ou
nine chez la mère peut même affecter période pré-pubère induit des pertur- délétères en fonction du régime utilisé.
les phénotypes des petits-enfants, par bations de l’expression des gènes dans En outre, chez les oiseaux comme chez
la voie paternelle (Brun et al., 2015). l’embryon, puis un retard de croissance les mammifères, certains phénomènes
intra-utérin suivi de l’apparition d’ano- dépendent du sexe des descendants. Il
Chez le lapin en élevage, les femelles malies métaboliques (métabolismes est donc nécessaire de caractériser fine-
sont soumises à des rythmes de repro- lipidique et glucidique) chez les des- ment une « programmation nutrition-
duction intensifs et la combinaison cendants adultes (Picone et al., 2011). nelle » avant d’en généraliser la pratique
temporelle de la lactation et de la De plus, l’étude des adaptations placen- en élevage.
reproduction induit des états de déficit taires à ce régime démontre des effets
énergétique important, en particulier dépendant du sexe du fœtus, avec une „„1.3. Programmation
chez les primipares (Fortun-Lamothe, relative protection des fœtus femelles par influence directe
2006 ; Lorenzo et al., 2014), comme qui ne présentent pas de dyslipidémie sur l’embryon
c’est aussi le cas chez les bovins. La importante comme cela est observé
sous-nutrition maternelle à différents chez les fœtus mâles (Tarrade et al., a. Programmation
stades de gestation induit des modifi- 2013). En période post-natale, les fonc- par manipulation du contenu
cations de la fonction endocrine chez tions testiculaire (Dupont et al., 2014) de l’œuf
la mère, en particulier de la résistance à et ovarienne (Leveille et al., 2014) sont La manipulation in ovo des nutriments
l’insuline, qui pourraient être à l’origine affectées, mais la fertilité n’a pas été est un moyen plus direct d’influencer
de programmation fœtale (Menchetti évaluée. En terme de supplémentation le phénotype des descendants. Ainsi,
et al., 2015). Une sous-nutrition mater- des femelles, peu de données existent un grand nombre d’articles rapportant
nelle peut ainsi, sans affecter le poids sur les aspects de programmation l’utilisation de la supplémentation in
ni les paramètres métaboliques mater- (Arias-Alvarez et al., 2013a ; Cardoso et ovo en nutriments pour améliorer la
nels, induire une réduction de la crois- Bao, 2009). Des résultats ont été obte- capacité des œufs à éclore, la crois-
sance fœtale ainsi que des adaptations nus avec la supplémentation prolon- sance, la santé, ou la capacité de réten-
placentaires associées à des signes de gée du régime des femelles avec des tion en eau du filet chez les poulets ont
nécrose et d’apoptose dans le placenta acides gras oméga-3 qui a permis de été publiés (Wei et al., 2011 ; Kadam
(Lopez-Tello et al., 2017), qui est l’agent réduire l’apoptose dans les embryons et al., 2013).
majeur de la programmation gesta- et d’améliorer la croissance fœtale à la
tionnelle chez les mammifères (Tarrade première mais pas à la deuxième mise- Une revue récente détaille par
et al., 2015). Dans une étude où les bas (Rodriguez et al., 2018). exemple l’influence de l’injection dans
femelles étaient sous-nourries durant l’œuf de divers produits (acides ami-
la première moitié ou les deux tiers de la Enfin, chez les mammifères, la période nés, hormones, probiotiques…) sur le
gestation, la prise alimentaire des mères de lactation est aussi une période cri- développement et les phénotypes qui
était augmentée en fin de gestation tique de la programmation de l’indi- en résultent (Roto et al., 2016).
après la période de restriction, entraî- vidu. Ainsi, il a été montré qu’un régime
nant la naissance de portées de poids favorisant l’obésité enrichi en gras et Une autre façon de manipuler le
plus élevé avec une survie plus impor- en sucre induit chez la mère une accé- contenu de l’œuf est d’enlever une
tante que chez les mères qui n’avaient lération de la maturation de la glande partie du contenu d’albumen et de
subi aucune restriction (Manal et al., mammaire durant la gestation et une le remplacer par une solution saline
2010). Enfin, une étude s’intéressant aux modification de la composition du lait stérile. Chez les poulets de chair par
impacts de l’alimentation des mères sur avec en particulier une augmentation exemple, la sous-nutrition protéique
le comportement des descendants a de sa teneur en lipides (Hue-Beauvais a été explorée en enlevant 10 % de
montré qu’une restriction maternelle et al., 2011). Après adoption, les lape- l’albumen des œufs fécondés avant
à 50 % des recommandations, limitée reaux mâles et femelles nés de mères l’incubation (Everaert et al., 2013). Le
à la fin de gestation, ne modifie pas témoins et nourris avec ce lait sont poids des poussins à l’éclosion a dimi-
significativement le poids de naissance significativement plus gras à l’âge nué dans le groupe traité, qui présentait

INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


250 / Frédérique pitel et al.

un métabolisme protéique altéré. Dans 39,5 °C 12 heures par jour, pendant les améliorer la reproduction des animaux
une autre étude, les poules privées d’al- jours 7 à 16 de l’incubation. Ce traite- incluent l’utilisation d’hormones pour
bumen pendant leur développement ment relativement facile à appliquer stimuler la croissance folliculaire et
embryonnaire ont donné naissance à améliore la résistance à la chaleur l’ovulation (eCG). Il a été démontré
des poussins avec un poids corporel post-éclosion, jusqu’à 35 jours d’âge chez les rongeurs que la stimulation
réduit jusqu’à l’âge de trois semaines, (Loyau et al., 2015). Une réduction de la hormonale seule peut induire des effets
ce qui suggère des impacts multigéné- température des individus suite à la TM sur le développement embryonnaire
rationnels de la dénutrition protéique a été observée de l’éclosion jusqu’à 70 (Duranthon et Chavatte-Palmer, 2018).
prénatale (Willems et al., 2015). jours d’âge, associée à des différences Chez le lapin, le traitement de la mère
de taux d’hormones thyroïdiennes à l’eCG réduit l’expression de gènes
En système commercial, l’élevage des plasmatiques participant à la régula- impliqués dans la réponse au stress oxy-
reproducteurs et l’incubation des œufs tion du métabolisme basal (Loyau et dant de l’embryon (Arias-Alvarez et al.,
sont fortement contrôlés, et la méthode al., 2013 ; Piestun et al., 2013). Lors d’un 2013b) mais les effets à long terme n’ont
de supplémentation in ovo pourrait y stress thermique à 35 jours d’âge, une pas été étudiés. Encore peu utilisées en
être adaptée avec succès. diminution de la mortalité de 50 % des élevage cunicole, les techniques de pro-
individus TM mâles a été observée par création médicalement assistée sont
Chez les lapins, l’importance de la rapport aux animaux contrôles (Piestun largement utilisées chez l’humain. Des
période périconceptionnelle pour la et al., 2008). Les auteurs ont également études chez le lapin ont montré que les
programmation des descendants est observé des modifications des concen- dynamiques de méthylation de l’ADN
aussi soulignée dans une étude démon- trations en corticostérone et hormones dans les embryons pré-implantatoires
trant l’impact d’une hyperglycémie thyroïdiennes pendant le coup de cha- sont altérées par la culture in vitro (Reis
dans la période de croissance follicu- leur allant dans le sens d’une réduction e Silva et al., 2012). De plus, d’autres
laire et de développement embryon- du stress et du métabolisme basal chez travaux montrent que la congélation
naire, sur la fonction placentaire et le les poulets TM. Dans le muscle pecto- par vitrification des embryons de lapin
développement fœtal à terme après ral des poulets TM, ce traitement ne modifie la méthylation du promoteur
que ces embryons ont été transférés modifie l’expression que d’une tren- de POU5F1, un gène impliqué dans la
dans des femelles non-hyperglycé- taine de gènes en conditions d’élevage pluripotence (Saenz-de-Juano et al.,
miques (Rousseau-Ralliard et al., 2018). standard, mais induit des changements 2014b) et affecte la fonction placentaire
dans l’expression d’un grand nombre de (Saenz-de-Juano et al., 2014a).
b. Acclimatation à la chaleur gènes en cas de coup de chaleur ulté-
chez l’oiseau rieur. Ceci pourrait être expliqué par Les exemples décrits ici illustrent
Chez le poulet de chair, il est possible une reprogrammation partielle de l’épi- les capacités de l’environnement pré-
d’améliorer la tolérance à la chaleur en génome des animaux lors de la TM qui coce à « programmer » les phénotypes
augmentant la température de démar- persisterait au cours du développement adultes mais, dans la plupart des cas, les
rage de l’élevage à 38 °C au lieu de 30 °C et conditionnerait une réponse adaptée mécanismes épigénétiques impliqués
pendant 24 h aux jours 3 ou 5 (Yahav en cas d’exposition ultérieure à un stress restent à décrire. Au-delà des travaux
et McMurtry, 2001). Cet accroissement thermique (Loyau et al., 2016). à mener dans ce domaine, étudier la
post-natal de la thermo-tolérance transmission épigénétique des effets
impliquerait la reprogrammation épi- Enfin, il est intéressant de noter que de l’environnement des reproducteurs
génétique de plusieurs régulateurs de les expositions embryonnaires à des sur les générations suivantes permet-
la température dans les neurones de températures variables sont également tra en outre d’évaluer si les schémas
l’aire préoptique de l’hypothalamus étudiées pour leurs impacts sur la pro- de sélection pourraient être améliorés
(Yossifoff et al., 2008 ; Kisliouk et al., duction autres que l’acclimatation à la en tenant compte de ces phénomènes
2014). Cependant ces traitements température, tels que la croissance ou (encadré 1).
nécessitent de chauffer des volumes la santé des animaux (pour revue voir
d’air importants en bâtiment et restent Loyau et al., 2015). Notamment, l’expo-
donc difficiles à mettre en place sur le sition à des stimulations froides lors de
2. Microbiote
terrain. l’incubation est associée à une réduc- et programmation
tion de l’incidence d’ascite chez les pou-
Un autre levier d’amélioration des lets de chair exposés au froid (Shinder „„2.1. Notions introductives
capacités de thermorégulation des et al., 2011).
oiseaux a été identifié lors de l’em- Les microbiotes, du fait de leur
bryogenèse, pendant la mise en place c. Influence des techniques influence sur l’homéostasie de leurs
de l’axe hypothalamo-hypophyso-thy- de reproduction chez le lapin hôtes, ont émergé ces dernières années
roïdien et surrénalien. La Thermo- Lors de la mise à la reproduction qui comme des acteurs majeurs à consi-
Manipulation embryonnaire (TM) du a lieu peu de temps après la mise bas, dérer dans les recherches menées en
poulet de chair correspond à une aug- la réceptivité sexuelle et la fertilité des médecine mais aussi en production
mentation cyclique de la température femelles sont réduites. Les stratégies animale. Les approches de séquen-
d’incubation des œufs de 37,8 °C à mises en place dans les élevages pour çage à haut-débit qui se sont dévelop-

INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


Rôle de l’environnement précoce dans la variabilité des phénotypes et l’adaptation des animaux d’élevage à leur milieu / 251

dans de nombreux domaines de la bio-


Encadré 1. Effets multigénérationnels de l’environnement maternel.
logie (Calenge et al., 2014).
L’environnement parental a un effet sur la génération G1, et il est particulièrement évident chez les mam-
mifères où le développement se déroule entièrement dans les voies génitales de la mère, tout d’abord On considère maintenant non plus
librement dans l’oviducte et l’utérus (phase embryonnaire) puis par l’intermédiaire du placenta (phase seulement l’animal, mais l’holobionte,
fœto-placentaire), qui est un acteur majeur de la programmation. Les effets du régime maternel peuvent c’est-à-dire l’animal et ses micro-
également se manifester dans la génération G2, puisque la génération G1 qui se développe porte les biotes, dont le microbiote intestinal.
cellules germinales primordiales qui se développeront en un animal G2. L’environnement maternel peut Le microbiote intestinal a de fait un
effet sur quasiment tous les phéno-
donc affecter directement les deux générations suivantes, G1 et G2, mais pas la G3, à moins qu’il y ait eu
types animaux classiquement étudiés :
une transmission épigénétique transgénérationnelle. Peu d’études « transgénérationnelles » existent chez
santé, bien-être, robustesse, efficacité
les oiseaux (Guerrero-Bosagna et al., 2018). La première à avoir démontré la transmission d’un effet de
alimentaire et résistance aux infec-
l’environnement sur trois générations concerne la caille (Leroux et al., 2017) : deux « épilignées » de cailles tions. Chez l’Homme comme chez les
ont été produites en injectant ou non dans les œufs, avant incubation, de la génistéine, une isoflavone animaux d’élevage, il est clair qu’une
naturelle dans le soja, modificatrice de la méthylation. Après 3 générations parallèles de reproduction, bonne santé repose sur la présence
sans autre injection, plusieurs caractères ont été affectés par le traitement des ancêtres, comme l’âge d’un microbiote sain. Toute la difficulté
au premier œuf (retardé de 8 jours) et des caractères de comportement. La variabilité génétique entre est cependant de définir les caracté-
épilignées ayant été minimisée grâce à un dispositif de croisements « en miroir », les différences observées ristiques d’un microbiote sain. Cette
sont probablement dues, au moins en partie, à une transmission épigénétique transgénérationnelle. Chez question fait l’objet de nombreux tra-
le lapin, une étude a démontré que la vitrification des embryons et leur transfert s’accompagne dans la vaux de recherche, notamment chez
deuxième génération d’une augmentation de la taille des portées et du nombre de lapereaux nés vivants l’Homme, qui comparent les micro-
(Lavara et al., 2014). Dans un modèle biomédical d’exposition à des gaz d’échappement diesel durant la biotes de personnes malades et de
gestation, des effets de l’exposition maternelle ont été observés sur la fonction placentaire et le métabo- personnes saines pour identifier les
lisme fœtal en deuxième génération (fœtus et placentas G2) (Valentino et al., 2016). éléments clés du microbiote qui dis-
tinguent les deux cohortes : espèces
Environnement maternel
(dont régime alimentaire)
bactériennes, diversité, richesse,
gènes, fonctions ou métabolites. Des
Mère = G0
travaux similaires sont actuellement
menés chez les animaux d’élevage et
Environnement abiotique nous donnent des indices sur ce qui
(dont stress thermique)
constitue un microbiote sain dans un
Descendant = G1
contexte d’élevage donné.
Cellules germinales = G2
„„2.2. Le microbiote
intestinal précoce est-il
important pour toute la vie
pées ces dernières années ont en effet les gènes présents, quelles fonctions de l’animal ?
autorisé une description du microbiote remplissent-ils). Chez l’Homme ces pro-
­intestinal beaucoup plus exhaustive grès méthodologiques ont engendré L’une des raisons de l’intérêt crois-
qu’auparavant, chez l’Homme puis une révolution dans notre compréhen- sant suscité dans le domaine de la
chez les animaux d’élevage. Les pro- sion de la physiologie humaine ; il est production animale par les études du
grès méthodologiques à cet égard ont devenu clair que le microbiote intesti- microbiote intestinal est la possibilité
été marqués par l’établissement d’un nal forme avec son hôte une symbiose de le moduler pour tenter de modifier
métagénome intestinal humain de réfé- essentielle à la santé humaine (Gilbert sa composition vers un état jugé favo-
rence (Qin et al., 2010), qui a été suivi et al., 2018). Il en est de même chez les rable et ainsi réguler les phénotypes
de métagénomes de référence chez la animaux d’élevage. Ainsi le microbiote animaux d’intérêt, en particulier la santé
souris (Xiao et al., 2015), le porc (Xiao intestinal est indispensable au déve- et l’efficacité alimentaire. Nutrition,
et al., 2016), le rat (Pan et al., 2018), le loppement de l’intestin et du système probiotiques, prébiotiques, pratiques
chien (Coelho et al., 2018) et les bovins immunitaire à la naissance ; il synthétise d’élevage, génétique de l’hôte ont un
(Hess et al., 2011 ; Li et al., 2018 ; Stewart des métabolites essentiels à son hôte, effet plus ou moins documenté sur le
et al., 2018). L’acquisition de ces méta- qui peuvent circuler dans tout l’orga- microbiote intestinal et jouer sur ces
génomes autorise une caractérisa- nisme et réguler sa physiologie et son facteurs devrait permettre de réguler
tion non seulement taxonomique des métabolisme ; il participe au bon fonc- ce dernier (Calenge et al., 2014) (enca-
échantillons de microbiote, comme le tionnement du système immunitaire, dré 2). Un certain nombre de travaux
permettent déjà les approches ciblant aidant ainsi à combattre les infections ; chez la poule domestique et le porc
le gène de l’ARN ribosomique 16S, et il a un effet de résistance à la colo- documentent ainsi l’effet sur le micro-
plus courantes (quelles espèces bacté- nisation intestinale par des microorga- biote d’antibiotiques, anticoccidiens,
riennes sont présentes, en quelle quan- nismes pathogènes. C’est pourquoi sa vaccins, pré ou probiotiques, levures
tité) mais aussi fonctionnelle (quels sont prise en compte est devenue essentielle ou encore génétique de l’hôte.

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252 / Frédérique pitel et al.

En particulier, la possibilité d’orienter


Encadré 2. Modulation précoce du microbiote intestinal pour une améliora-
précocement la composition du micro-
tion durable des phénotypes. 
biote intestinal chez les animaux très
jeunes pour influencer divers carac- Santé
Productivité
Santé

tères phénotypiques suscite beaucoup + Bien-être


Productivité
Bien-être
+
d’intérêt. Le microbiote intestinal à la
Maturation du système immunitaire
naissance n’étant pas encore constitué, Animal jeune
Contribution du microbiote intestinal
Animal adulte

la période péri-natale constitue une - Environnement


fenêtre d’intervention possible pour - Microbiotes intestinal/
vaginal de la mère Microbiote
Microbiote
sa modulation, avec un effet supposé - Génétique de la mère jeune Diversité/Richesse adulte
et des descendants
bénéfique à court et à long terme à la - Alimentation
fois, comme on peut l’observer chez - Traitements

l’Homme (Arrieta et al., 2014). La consti-


tution du microbiote intestinal est en Comment moduler le microbiote jeune ? Effets d’une
Alimentation précoce modulation précoce
effet progressive, changeant en qualité Pré/probiotiques du microbiote
comme en quantité de la naissance Éclosion en élevage et autres pratiques d’élevage intestinal sur l’animal
Sélection génétique de l’hôte adulte ?
jusqu’à l’âge adulte pour rester stable
en termes de nombre d’espèces bacté-
riennes présentes, mais peut cependant
fluctuer qualitativement selon les varia- composition initiale du microbiote tesse future de l’animal, peu de travaux
tions de l’environnement. dominée par des lactobacilles bien le démontrent concrètement chez les
adaptés à l’apport de nutriments du lait animaux d’élevage. Chez le poulet, il
Chez l’Homme il est considéré qu’un maternel, le sevrage est accompagné est démontré que des animaux axé-
microbiote adulte sain est résilient, d’un changement radical de la compo- niques ont un répertoire de cellules T
c’est-à-dire qu’après une perturbation sition microbienne dans l’intestin avec intestinales de moindre complexité, à
causant une diminution de sa richesse une augmentation très significative la fois dans les intestins et dans la rate
et de sa diversité (infection, prise d’an- de la présence de bactéries caracté- (Mwangi et al., 2010), et une moindre
tibiotiques), il revient, sinon à la même ristiques du microbiote « adulte », et production de cytokines ; néanmoins
composition, du moins à une composi- notamment celles du genre Prevotella les conséquences de ce déficit sur la
tion considérée comme saine, avec une (Mach et al., 2015). Ainsi, le microbiote capacité de résistance aux infections
diversité et une richesse comparables à des jeunes porcelets évolue après et la robustesse au sens large restent
celles qu’il possédait avant la perturba- sevrage vers une composition plus à démontrer. Une autre étude montre
tion. Tout laisse à penser qu’il en est de complexe et notamment vers une struc- que la réactivité émotionnelle chez la
même chez les animaux d’élevage, bien turation en deux entérotypes majeurs, caille est réduite chez des animaux axé-
que peu de travaux le démontrent. Il est qui par ailleurs ont été décrits comme niques, démontrant ainsi le lien entre
donc crucial que les animaux d’élevage associés aux variations de caractères de présence d’un microbiote intestinal et
acquièrent un microbiote comportant production (Mach et al., 2015 ; Ramayo- comportement des animaux (Kraimi
une diversité et une richesse suffisantes Caldas et al., 2016). et al., 2018). Restent cependant à iden-
pour être résilient. Sans cela, le micro- tifier les composantes du microbiote
biote risque de passer à un état de Chez les oiseaux, la colonisation du ­responsables de cet effet.
dysbiose, c’est-à-dire un déséquilibre microbiote démarre essentiellement
écologique (perturbation qualitative à l’éclosion, ce qui permet de définir a „„2.3. Comment moduler
et quantitative des espèces présentes) priori une fenêtre d’influence externe le microbiote intestinal
aux conséquences défavorables pour plus claire que chez les mammifères. des jeunes ?
les caractères phénotypiques de l’ani- Ainsi par exemple, une étude montre
mal (santé, performances). chez le poulet que la supplémentation À défaut de bien connaître les carac-
précoce en probiotiques ou la vacci- téristiques d’un microbiote sain, il est
Chez les mammifères d’élevage nation contre les salmonelles, c’est-à- généralement considéré que l’établis-
comme le porc, le processus naturel dire dès le premier jour de vie, affecte sement précoce d’un microbiote com-
d’implantation du microbiote intestinal le microbiote plus tardif (14 et 28 plexe, c’est-à-dire riche et divers, est
accompagne la maturation de l’immu- jours) (Ballou et al., 2016). Néanmoins favorable à l’hôte. D’où l’importance du
nité intestinale (encadré 2) et est for- les auteurs ne font pas de lien avec microbiote intestinal et du microbiote
tement influencé par l’environnement les phénotypes des animaux. Si tout vaginal de la mère à la naissance, mais
et des facteurs biologiques (Everaert et laisse à penser que l’établissement aussi de tous les microorganismes pré-
al., 2017). De plus, la colonisation micro- précoce d’un microbiote favorable sents dans l’environnement (Everaert
bienne de l’intestin est perturbée par le ne peut qu’aider au développement et al., 2017) (encadré 2). Chez le poulet
sevrage, surtout lorsqu’il est effectué à correct du système immunitaire et par exemple, il est démontré depuis
un âge très précoce, comme c’est le cas de l’appareil digestif, contribuant ne longtemps que la présence d’un micro-
pour le porc. En effet, en partant d’une serait-ce que par ce biais à la robus- biote complexe d’animal adulte et sain

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Rôle de l’environnement précoce dans la variabilité des phénotypes et l’adaptation des animaux d’élevage à leur milieu / 253

augmente la résistance des poussins à performances (encadré 2). Si beaucoup moment donné à la fois de la situation
la colonisation intestinale par les sal- de travaux de recherche mentionnent à laquelle il est confronté et de son
monelles, par un mécanisme d’exclu- un effet favorable de la modulation du état interne (physiologique et psycho-
sion compétitive (Nurmi et Rantala, microbiote intestinal sur la santé et la logique). Le comportement est égale-
1973). Plusieurs produits commerciaux productivité de l’hôte, peu (voire aucun) ment flexible et plus rapide à modifier
exploitant le microbiote d’animaux font mention de l’effet à l’âge adulte que des traits morphologiques ou un
adultes sains sont encore actuellement d’interventions effectuées précocement processus physiologique (Kappeler
commercialisés et largement utilisés sur le microbiote. C’est certainement un et al., 2013). Enfin, il peut se transmettre
pour lutter contre les salmonelles. Les volet prometteur de recherches à déve- entre générations de façon directe chez
outils d’étude du microbiote actuelle- lopper. Les outils de métagénomique à les espèces sociales ou bénéficiant d’un
ment disponibles devraient permettre présent disponibles seront à cet égard soin parental, mais également grâce à
bientôt d’identifier les causes de cette d’une aide considérable pour identifier des mécanismes épigénétiques.
exclusion compétitive et les éléments les facteurs (microorganismes, espèces
clés du dialogue hôte-microbiote qui y bactériennes, souches, gènes, fonctions, Il existe différents mécanismes biolo-
conduisent. De façon plus générale, les métabolites…) impliqués dans le dia- giques qui affectent le développement
conditions actuelles de production de logue moléculaire entre hôte et micro- des comportements, dont plusieurs
poussins ont tendance à retarder l’ex- biote et les voies fonctionnelles activées. font appel à de l’apprentissage, à dif-
position des animaux à un microbiote férents degrés (encadré 3). Dans la
complexe. En particulier, l’alimentation suite de cette partie, nous illustrerons
des poussins n’a souvent lieu que 24 à
3. Processus les effets de l’expérience précoce sur le
48 h après l’éclosion. La nutrition pré- comportementaux comportement chez diverses espèces
coce des animaux, y compris la prise de animales en entrant par les facteurs
pro- ou pré-biotiques, est actuellement „„3.1. Notions introductives environnementaux : habitat, alimen-
une stratégie envisagée pour y remé- tation, environnement social, et stress
dier. Par ailleurs, certaines entreprises Le comportement animal, ou « l’en- qui intègre souvent plusieurs de ces
testent actuellement l’éclosion directe semble des manifestations motrices facteurs et qui est particulièrement
des œufs dans les élevages et non dans observables d’un individu à un moment considéré en élevage dans le cadre de
l’environnement aseptisé des couvoirs, et dans un lieu particulier » (Campan et l’amélioration du bien-être animal.
afin de réduire le stress des animaux et Scapini, 2002), a évolué ces dernières
favoriser l’établissement de ce micro- décennies d’une vision figée prédéter- 3.2. Facteurs
biote. Néanmoins, peu de travaux étu- minée, basée sur un patrimoine géné- environnementaux
dient l’effet durable d’interventions tique et des capacités neurologiques ou a. Habitat
précoces sur le microbiote. physiologiques, vers une vision évolu- Lorsqu’on parle d’habitat, pour des
tive où l’interaction de facteurs internes animaux conduits en captivité, les effets
Enfin, la transmission d’un micro- et externes à l’organisme façonne précoces étudiés sont le plus souvent
biote favorable par la mère est un sujet la gamme de réponses de l’individu liés à l’enrichissement du milieu de vie,
d’étude actuel chez les animaux d’éle- aux facteurs de son environnement qui est supposé améliorer la flexibilité
vage. Le génotype de la mère, mais (Lickliter, 2007). Plus généralement, comportementale, les capacités cogni-
aussi la constitution de son propre l’uniformité de certains comporte- tives et donc l’adaptation de l’animal
microbiote influencent vraisemblable- ments au sein d’une espèce n’implique à des situations nouvelles. En effet,
ment celui de ses descendants. De plus, pas forcément l’absence d’effets de l’ex- confronter le jeune animal à une diver-
suite à la découverte de la présence de périence au cours du développement, sité de stimuli environnementaux, doit
microorganismes dans le placenta avant comme l’ont montré plusieurs travaux lui permettre d’acquérir une meilleure
la naissance, l’hypothèse d’une implan- de Gilbert Gottlieb chez les canards, et expérience de l’environnement auquel
tation prénatale a été formulée, même avant lui Zing-Yang Kuo dans les années il pourra être confronté plus tard.
si cette idée demeure controversée. 1920. Ce dernier fut l’un des premiers
à proposer la possibilité que certains Dans la bibliographie, des espèces
„„2.4. Conclusion : comportements des nouveau-nés, sup- élevées en vue de réintroduction dans
une piste prometteuse posés « innés », seraient la conséquence le milieu naturel ont fait l’objet de plu-
pour l’amélioration d’expériences faites avant la naissance sieurs études testant les impacts de
de la robustesse et ainsi que le comportement ne com- l’enrichissement précoce sur les com-
des animaux mencerait pas à la naissance (voir pétences et la flexibilité comportemen-
Lickliter, 2007 pour synthèse). tale ultérieures (travaux de Salvanes
L’environnement d’élevage des ani- et collaborateurs notamment chez
maux à la naissance joue un rôle impor- Le comportement joue un rôle très les poissons). Ainsi, chez le cabillaud
tant dans la constitution du microbiote important dans l’adaptation de l’ani- (Gadus morhua), le type d’environne-
digestif, qui lui-même contribue à l’ex- mal à son environnement. Il peut être ment (nu ou enrichi avec des galets
pression des phénotypes, en particu- vu comme l’intégration de toutes et des algues artificielles pendant 18
lier ceux qui sont liés à la santé et aux les p
­ erceptions qu’a l’individu à un semaines) a modifié le comportement

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254 / Frédérique pitel et al.

b. Alimentation
Encadré 3. Principaux processus d’apprentissage.
Selon le type de production, les ani-
L’apprentissage est un changement durable du comportement d’un individu, face à une situation, qui maux d’élevage ont des possibilités
résulte d’une expérience préalable (Pearce, 2013 ; Darmaillacq et Lévy, 2015). L’apprentissage dépend à la variables de composer leur régime ali-
fois des capacités cognitives de l’individu mais également des facteurs contextuels comme les processus mentaire, mais d’un point de vue évo-
sensoriels, motivationnels et moteurs. lutif, la capacité qu’a le jeune animal à
sélectionner des aliments nutritifs et à
Apprentissages individuels éviter des aliments toxiques est primor-
– Apprentissages associatifs : capacité de l’animal à associer un événement à un autre (stimulus à réponse). diale car un mauvais choix peut avoir
On parle de conditionnement : des conséquences délétères voire mor-
telles. Il n’est donc pas étonnant que
i) Conditionnement classique : association d’un Stimulus Neutre (SN) à un autre Stimulus Conditionnel certains mécanismes favorisant la sélec-
(SC), entraînant une Réponse Inconditionnelle (RI de type réflexe). Permet à l’animal d’anticiper un tion d’un régime alimentaire approprié,
événement négatif ou positif avant sa réalisation mais il reste passif. aient évolué.
ii) Conditionnement opérant : association d’un comportement avec un stimulus par le biais d’un effet
favorable/défavorable (renforcement) qui influence la probabilité que le comportement se reproduise. Dès la vie fœtale, l’alimentation de la
L’animal apprend de façon active, par essai-erreur ou par un phénomène de compréhension soudaine mère peut influencer les préférences
(« insight »). alimentaires du jeune, comme chez les
– Apprentissages non associatifs (ou latents) : reposent sur la simple exposition à un phénomène sans ovins où les agneaux dont les mères
valence ou contingence particulière. ont reçu une ration enrichie en huile
essentielle d’origan pendant la gesta-
i) Habituation (désensibilisation) : diminution graduelle d’une réponse ou d’un comportement, suite tion ont une préférence plus marquée
à la présentation répétée d’un stimulus déclencheur. Plusieurs techniques d’élevage ou d’expérimen- pour cette flaveur que leurs congénères
tation visant à limiter le stress sont basées sur ce processus. n’ayant pas eu cette expérience, jusqu’à
ii) Apprentissage perceptif : apprentissage permettant de définir par perception sensorielle (vision, l’âge d’au moins sept mois (Altbäcker
audition, goût, toucher) les caractéristiques d’un stimulus et de les mémoriser. À la base notamment et al., 1995 ; Simitzis et al., 2008). Ce type
des apprentissages spatiaux (représentation de l’environnement). d’imprégnation par des flaveurs avant la
iii) Empreinte (imprégnation) : processus durable de reconnaissance et d’attachement envers un naissance n’est pas spécifique des mam-
facteur/objet/individu provoquant une préférence généralisée pour ce stimulus. Ne peut avoir lieu mifères. Chez le poulet, l’exposition à
une flaveur (fraise) pendant l’incuba-
que pendant une courte période précoce (période sensible).
tion (j15 à j20), notamment via une
Apprentissages sociaux application de l’odeur sur la coquille a
Un apprenti observe le comportement d’un modèle vis-à-vis d’un stimulus et tente de reproduire le induit une préférence spécifique pour
comportement. cette flaveur ajoutée dans la litière ou
– Apprentissages par observation (ou vicariant) : orienté vers le stimulus, par exemple un raton cherche dans l’eau de boisson, entre 2 et 4 jours
à décortiquer une pomme de pin par observation de sa mère. après l’éclosion (Sneddon et al., 1998).
De même, le comportement alimen-
– Apprentissages par imitation : orienté vers la reproduction d’un comportement et non vers le stimulus taire et la peur chez de jeunes poussins
qui l’a provoqué, par exemple un rat pousse un levier à gauche si un modèle le fait, bien qu’il soit aussi ont été affectés par l’alimentation de
récompensé à droite. la mère (aliment présentant l’odeur du
Ces apprentissages ne sont pas exclusifs. Ils mobilisent différentes catégories de mémoires et des processus menhaden (poisson)) (Aigueperse et al.,
cognitifs variés et complexes. Par leur association, l’animal est capable de développer des représentations 2013).
et des catégorisations de son environnement.
Après la naissance, un autre type
d’apprentissage intervient pour orien-
ter et façonner le comportement ali-
de groupe des poissons ultérieurement, serait adaptatif car en zone nue, la pro- mentaire : les apprentissages associatifs
lorsque les animaux étaient confron- tection vient du groupe, tandis qu’elle à la base de la théorie des apprentis-
tés aux deux types d’environnements. vient du camouflage lorsque des abris sages alimentaires. Chez les ruminants,
Les poissons issus de l’environnement sont disponibles. En termes de capaci- de nombreux travaux ont étudié ces
enrichi formaient un banc en environ- tés d’apprentissage, une autre étude capacités et leurs facteurs de variation.
nement nu mais étaient plus disper- chez les saumons (Salmo salar) a mon- Ces animaux (bovins, ovins, caprins)
sés quand ils avaient la possibilité de tré qu’un enrichissement du milieu avec sont ainsi capables d’établir des aver-
se cacher. En revanche, les poissons des galets et des structures flottantes, sions pour des aliments induisant des
issus de l’environnement nu n’ont pas de 10 à 12 mois d’âge, s’est traduit par conséquences négatives (malaise gas-
montré ce type de flexibilité comporte- une meilleure capacité d’apprentissage tro-intestinal, faible digestibilité…), et
mentale (Salvanes et al., 2007). Le chan- spatial des poissons, comparée à celle inversement des préférences pour les
gement de comportement de groupe des individus n’ayant pas eu cette expé- aliments associés à des récompenses
des ­poissons du traitement enrichi rience (Salvanes et al., 2013). énergétiques, protéiques, minérales

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Rôle de l’environnement précoce dans la variabilité des phénotypes et l’adaptation des animaux d’élevage à leur milieu / 255

ou ayant des propriétés médicinales c. Environnement social continuité des travaux de Gottlieb
(Provenza, 1995 ; Ginane et al., 2005 ; Le comportement social est une (1991), Lickliter et Lewkowicz (1995)
Juhnke et al., 2012). La nature, le nombre composante importante de l’adapta- ont montré chez les cailleteaux qu’en
et l’intensité des conséquences, la fami- tion à des challenges chez les espèces absence de stimulations prénatales via
liarité avec l’aliment ou encore le com- qui vivent en groupe, comme c’est le les autres membres de la nichée, les
portement des congénères sont autant cas de la plupart de nos espèces d’éle- poussins juste éclos n’exprimaient pas
de facteurs qui impactent la force et la vage. Selon ses caractéristiques, l’envi- les réponses typiques de leur espèce
durabilité de l’apprentissage. Pour le ronnement social peut permettre de aux sollicitations maternelles. Cela
jeune animal, les premières expériences tamponner les effets d’un stress ou à illustre le fait que l’environnement péri-
vécues créent une dichotomie entre ce l’inverse de créer lui-même un stress natal normal produit ce que les auteurs
qui est familier et non familier (Provenza aux effets délétères potentiellement appellent une « canalisation » du com-
et Villalba, 2006). Par la suite, la « valeur » importants (Sachser et al., 2011). En portement en fournissant au jeune une
d’un aliment nouveau (notamment son élevage, nombreux sont les challen- gamme de stimulations sensorielles à
statut de sécurité) pourra être anticipée ges liés à l’environnement social qui une période optimale (pour une atten-
en regard des expériences passées, via peuvent affecter les capacités futures tion particulière à ces stimulations), qui
des processus de généralisation et caté- de l’individu à s’adapter à des variations permettront le développement percep-
gorisation (Ginane et Dumont, 2011). de son environnement (social mais pas tif propre à l’espèce (Gottlieb, 1991 ;
seulement) : absence de la mère, modi- Lickliter, 2007).
En élevage, des problèmes d’accepta- fication(s) de la composition ou de la
bilité de nouveaux aliments lors de tran- densité des groupes, isolement, etc. Après la naissance, on retrouve un
sitions alimentaires sont fréquemment Suivant le caractère social de l’espèce effet de la présence/composition de
rencontrés, comme chez les porcelets considérée, plusieurs acteurs sociaux la fratrie sur le phénotype des jeunes,
au sevrage (Langendijk et al., 2007) en peuvent influencer le jeune : parents, comme une plus grande émotivité
raison d’une néophobie alimentaire. fratrie ou congénères. La mère reste observée chez les rats élevés dans de
Une diversité alimentaire précoce un acteur majeur et sa présence en éle- petites fratries, malgré un même mater-
devrait sans doute être plus considérée vage devient un enjeu important ces nage que dans les grandes fratries
pour faciliter ces transitions. Pour aller dernières années ; nous ferons donc un (Dimitsantos et al., 2007). On retrouve
dans ce sens, Catanese et al. (2012) ont focus sur son rôle. des résultats similaires chez les cane-
montré que des ovins tendaient ainsi à tons et les poussins (Gaioni, 1982 ;
accepter plus rapidement des flaveurs Comme pour l’alimentation, l’ex- Jones et Harvey, 1987). L’interprétation
ou des aliments nouveaux lorsqu’ils périence sociale commence dès la est qu’il y aurait un stress précoce lié à
avaient reçu un régime diversifié dans gestation/formation de l’œuf, et un une compétition plus importante au
le jeune âge, indiquant une néophobie stress social prénatal peut induire des sein des grandes fratries, qui program-
plus transitoire (Catanese et al., 2012). modifications comportementales chez merait les jeunes à être plus résistants
Au-delà des expériences individuelles les jeunes, comme une augmentation lors de futures situations stressantes.
par essai-erreur, le modèle social est du niveau d’anxiété, avec parfois des Une autre période sensible identifiée
un facteur important du développe- effets différents chez les mâles et les par les travaux de Kaiser et Sachser
ment des préférences alimentaires. femelles (rat : Brunton et Russell, 2010 ; (Sachser et al., 2011 pour revue) est
L’observation des congénères peut en cochon d’inde : Sachser et al., 2011 ; voir l’adolescence, qui représente un stade
effet aider considérablement le jeune également Brunton, 2013 pour revue). de la vie de l’individu potentiellement
animal à déterminer quoi, où et com- Par exemple, chez ces derniers, les stressant et dangereux. Nous utilisons
ment consommer (Galef et Giraldeau, filles présentaient une masculinisation ici le terme employé par les auteurs,
2001) et à élaborer son répertoire ali- comportementale et neurobiologique et renvoyons le lecteur à la synthèse
mentaire de façon plus rapide et plus tandis que les mâles présentaient une de Spear (2000) consacrée à ce sujet.
durable (Biquand et Biquand-Guyot, infantilisation. Chez les porcs ayant L’adolescence, qui peut être définie
1992) que s’il devait tester par lui-même expérimenté un stress prénatal, on a comme la période s’étendant de la
les différents aliments disponibles. À pu observer une plus grande réacti- puberté à la maturité sexuelle ou à
titre d’illustration, une étude d’adoption vité au sevrage, des réponses de stress l’arrêt de la croissance, est associée à
croisée a montré que des chevreaux éle- plus longues suite à un mélange d’in- certains comportements comme une
vés par une chèvre de race Damascus dividus, ainsi qu’une occurrence plus recherche de la nouveauté, la prise
(consommant plus de Pistacia lentiscus forte de comportements maternels de risques ou une augmentation des
(riche en tannins) que la race Mamber), anormaux, en comparaison d’indivi- interactions sociales, qui permettent
sélectionnent plus ce fourrage que ceux dus témoins (Jarvis et al., 2006). Chez au jeune de prendre son indépen-
élevés par une mère de race Mamber, la caille, Guibert et al. (2010)ont mon- dance. Les différents travaux réalisés
indépendamment de leur propre race. tré qu’une instabilité sociale pendant par Kaiser et Sachser sur les cochons
L’apprentissage (social) semble donc ici la formation de l’œuf conduisait à des d’inde indiquent l’existence d’une
être plus important que la génétique cailleteaux plus émotifs, probablement relation causale entre les expériences
dans l’élaboration des préférences ali- par modification hormonale de la com- sociales stressantes vécues à l’adoles-
mentaires (Glasser et al., 2009). position des œufs. Également, dans la cence, l’agressivité à l’âge adulte et le

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degré de stress social. Ce serait via ces activation prolongée de la réponse au conséquences « pathologiques » (i.e.
expériences stressantes à l’adolescence stress peut avoir des effets délétères un effet secondaire, délétère, d’un
que les jeunes mâles apprendraient les sur l’organisme (Abbott et al., 2003). Le stress maternel) ou s’ils auraient une
règles sociales nécessaires pour s’adap- stress est connu pour être un puissant valeur adaptative. Ces auteurs privilé-
ter à leurs congénères (capacité à éva- modulateur des processus d’apprentis- gient la deuxième option car les béné-
luer l’adversaire et à se soumettre aux sage et de mémoire (Silberman et al., fices sont souvent supérieurs aux coûts
mâles de rangs supérieurs afin d’éviter 2016). Ainsi, des jeunes nés de mères (Groothuis et al., 2005 ; Sachser et al.,
les affrontements et les blessures asso- stressées présentent des difficultés 2011). Également, la généricité de l’in-
ciées). On peut voir dans ces influences d’apprentissage spatial (Lindqvist et al., fluence de l’expérience précoce au sein
une dimension adaptative via une 2007 ; Coulon et al., 2015), avec toute- de plusieurs taxa est un argument en
préparation de l’individu aux futurs fois une modulation par le génotype faveur d’une sélection des mécanismes
challenges environnementaux. de la mère. Également, le stress préna- impliqués et donc d’une valeur adap-
tal pourrait prédisposer les individus à tative. Il est probable néanmoins que
Un point particulièrement important développer des phénotypes anxieux ou les deux mécanismes existent, avec des
de l’environnement social est la mère. dépressifs (Weinstock, 2001), indiquant relations de cause à effet qui peuvent
Sa simple absence/présence peut avoir des effets aussi sur le développement avoir ou pas une valeur adaptative,
des conséquences fortes sur le dévelop- des comportements socioémotion- avoir une valeur adaptative sur le court
pement du comportement des jeunes. nels (Veenema, 2009). Néanmoins, le terme sans forcément en avoir une sur le
Une privation maternelle peut induire stress dans le jeune âge ne doit pas long terme, ou dans un environnement
par exemple des déficits sociaux, être vu uniquement comme un fac- mais pas dans d’autres (par exemple un
conduisant à une augmentation de teur défavorable. Il peut améliorer la stress précoce qui induit une vigilance
l’agressivité et une baisse de motivation résilience plutôt que la vulnérabilité de et une hyperréactivité chez le jeune lui
sociale, une émotivité plus importante l’animal, notamment dans une situa- conférant un avantage dans un environ-
et l’apparition de stéréotypies (Bertin tion stressante ultérieure (Langenhof nement où sa survie est menacée, mais
et Richard-Yris, 2005 ; Shimmura et al., et Komdeur, 2018). Par exemple, des un désavantage lorsqu’elle ne l’est pas).
2010 ; Veissier et al., 2013). Lorsqu’elle poulets soumis à un stress d’isolement De manière similaire, les changements
est présente, la mère et ses caractéris- pendant les trois premières semaines épigénétiques induits par l’environne-
tiques influencent les jeunes, comme après l’éclosion ont montré de meil- ment peuvent être perçus comme une
dans l’étude d’adoption croisée chez leures performances d’apprentissage faculté d’adaptation à court terme : ils
la caille où l’émotivité des jeunes était que leurs congénères non soumis à ce permettent une plasticité phénoty-
liée à celle de leur mère adoptive, avant stress, suggérant une meilleure capa- pique de l’individu directement sou-
d’être affectée par leur lignée (sélec- cité d’adaptation dans une situation mis au stress et potentiellement de ses
tionnée sur l’émotivité) (Houdelier et al., stressante (Goerlich et al., 2012). descendants sans nécessité de modi-
2011), de façon similaire à l’exemple des fier la séquence d’ADN. En ce sens, ils
chèvres Mamber et Damascus cité dans induisent une réponse aux variations
la section précédente. Ceci met en évi-
4. Coûts et bénéfices de l’environnement plus souple et plus
dence une influence postnatale directe de l’élaboration précoce rapide que celle permise par le génome
de la mère sur le développement phé- des phénotypes seul (Kelly et al., 2012).
notypique des jeunes, via deux méca-
nismes parallèles : i) le soin qu’elle Le challenge est alors d’appréhender
„„4.1. Valeur adaptative
leur donne, en apportant une base de les évènements et expériences précoces
sécurité (« maternal care », exemple Dans les parties précédentes, divers qui pourront conférer un avantage
du léchage/toilettage des jeunes chez exemples ont montré comment l’expé- adaptatif ou un désavantage, selon le
la souris, Francis et al., 1999), et ii) le rience précoce peut orienter les phéno- type d’animal et le(s) type(s) d’environ-
modèle qu’elle représente avec une types et les capacités d’adaptation des nement au(x)quel(s) il sera confronté
transmission non génétique de cer- animaux. Les recherches sur ces effets tout au long de sa carrière de produc-
tains comportements par observation ont notamment mené à l’utilisation du tion. C’est cette connaissance, qui n’est
ou imitation (cf. encadré 3 et Formanek terme « programmation » avec la notion encore que fragmentaire, qui permettra
et al., 2008 ; Aigueperse et al., 2018). sous-jacente que cette programmation d’aller vers des recommandations en
prépare le jeune individu aux challen- termes de pratiques.
d. Stress ges qu’il pourra rencontrer ultérieu-
Le concept de stress décrit une rement, et donc qu’elle possède une „„4.2. Programmation,
réponse biologique de l’organisme lui certaine valeur adaptative. plasticité et réversibilité
permettant de s’adapter rapidement
à une situation de déséquilibre et de Dans la bibliographie sur le stress, Si l’on considère que l’expérience
rétablir son équilibre interne via des certains auteurs ont discuté ce point précoce peut « préparer » ou « program-
modifications physiologiques, neu- en posant la question de savoir si les mer » le jeune animal à l’environnement
robiologiques et comportementales. effets des stress précoces sur les phé- qu’il rencontrera plus tard, plusieurs élé-
Malgré cette fonction adaptative, une notypes ultérieurs seraient de simples ments doivent être considérés.

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Rôle de l’environnement précoce dans la variabilité des phénotypes et l’adaptation des animaux d’élevage à leur milieu / 257

Un premier élément concerne la Ceci est particulièrement intéressant riences précoces sont nombreuses et
sensibilité aux stimuli environne- en élevage, où les milieux de vie sont peuvent affecter une grande variété
mentaux dans le jeune âge. On peut appauvris voire très appauvris dans un de mécanismes impliqués dans la
comprendre qu’une trop grande sen- certain nombre de cas. Comme décrit construction de l’individu, et ce dans
sibilité à l’environnement précoce précédemment, l’environnement pré- un temps relativement court. Ces
puisse mener à une inadaptation ; coce peut également être modulé via éléments nous questionnent sur les
pour que l’environnement précoce l’environnement des parents pour conséquences des pratiques d’éle-
module les phénotypes de façon améliorer l’adaptation des descen- vage, où, en partie par ignorance ou
adaptative, la fenêtre de temps et la dants via des phénomènes épigéné- sous-estimation de leur importance
gamme de stimuli devront être, res- tiques (acclimatation, modification du dans le développement des individus,
pectivement, la plus longue et la plus régime alimentaire…). des étapes potentiellement essen-
variée possible. Néanmoins, pour des tielles sont altérées ou supprimées
espèces à durée de vie longue, il reste Enfin, deux autres éléments doivent (absence du modèle maternel, isole-
peu probable que les stimuli envi- être considérés dans la réflexion sur les ment…). D’un autre côté, l’existence
ronnementaux précoces soient des relations entre programmation et plas- de ces influences précoces nous offre
prédicteurs adéquats de l’environne- ticité : ce sont la durabilité des effets une opportunité d’agir pour tenter de
ment futur (Burton et Metcalfe, 2014). et leur réversibilité. Si l’on considère développer les capacités d’adaptation
Certains auteurs ont alors proposé une orientation délibérée des phé- des animaux, et nous questionne donc
que les effets de l’environnement notypes par l’environnement précoce sur les bénéfices qu’il pourrait y avoir à
précoce ne seraient pas basés sur une en élevage, il faut que les effets soient (re)considérer ces étapes importantes
prédiction de l’environnement futur, durables, dans la limite de la durée de dans les pratiques.
mais plutôt de l’état somatique futur vie de l’animal en production ou de la
de l’individu (Nettle et al., 2013), lui période spécifique à laquelle on sou- Plus précisément, compte tenu
conférant une capacité à faire face à haite certains effets. Les effets d’une notamment de l’évolution actuelle du
d’autres environnements. expérience précoce peuvent perdurer, climat, une meilleure compréhension
depuis quelques jours, à plusieurs mois, des mécanismes épigénétiques gou-
La plasticité phénotypique peut être plusieurs années, voire à la génération vernant la réponse de l’embryon aux
définie comme la diversité des phéno- suivante (Burton et Metcalfe, 2014). températures élevées et aux modifi-
types observables à partir d’un même En termes d’adaptation, la réversibi- cations de l’alimentation parentale
génotype, permise par la flexibilité lité est également très importante car pourrait ouvrir de nouvelles voies
des processus de développement via les individus peuvent se trouver dans pour améliorer l’adaptation des ani-
une sensibilité à l’environnement des environnements auxquels ils n’ont maux à ces nouvelles contraintes. Un
(notamment précoce ; voir Langenhof pas été préparés. Quelques études deuxième levier d’amélioration des
et Komdeur (2018) pour revue). Si à montrent qu’une telle réversibilité, ou performances via l’environnement
l’échelle d’une population cette plas- du moins une atténuation des effets, précoce pourrait passer par une carac-
ticité crée de la variabilité et donc est possible. Ainsi, chez des agneaux térisation des relations entre micro-
un potentiel adaptatif, à l’échelle de stressés chroniquement, un enrichis- biote et génome de l’hôte, donnant
l’individu, l’orientation de son phéno- sement du milieu a posteriori permet des pistes d’action pour en optimiser
type peut réduire son adaptabilité à d’améliorer le biais cognitif négatif lié les effets. Enfin, l’enrichissement du
d’autres environnements et d’autres aux stress précoces, en induisant un milieu, i.e. l’apport de stimuli environ-
challenges (par exemple Sachser jugement plus « optimiste » lors de nementaux permettant d’améliorer le
et al., 2011). D’un autre côté, l’envi- situations ambigües (Destrez et al., fonctionnement biologique d’un ani-
ronnement prénatal peut à travers 2014). mal (Newberry, 1995), est un moyen
l’expérience de la mère, signaler les d’augmenter les expériences (environ-
conditions de vie future du jeune et Chez le rat, il a également été mon- nementales, sociales, alimentaires…)
donc mener à un développement plus tré que les soins maternels jouent sur de l’animal et pourrait développer ses
adaptatif de certains traits ou com- le transcriptome hippocampique du capacités d’apprentissage et limiter sa
portements (Henriksen et al., 2011), jeune et sur le développement de com- sensibilité physiologique, immunitaire
d’où en élevage, l’intérêt d’être vigi- portements liés au stress, mais qu’une ou comportementale.
lant lors des périodes de gestation. partie de ces différences d’expression
L’adaptabilité peut être améliorée de gènes peut être réversible, ce qui Un apport de connaissances complé-
si la gamme de stimuli rencontrés s’exprime lors de tests comportemen- mentaires est toutefois nécessaire pour
précocement est grande : les enri- taux (Weaver et al., 2006). mieux appréhender les conséquences
chissements (de différents types, par de pratiques appliquées dans le jeune
exemple habitat, alimentation) dans âge, à la fois à court et long terme, afin
le jeune âge ont montré des effets
Conclusion d’optimiser le rapport entre les coûts
positifs sur la plasticité de l’individu potentiels (de mise en œuvre notam-
et sa capacité à gérer de nouveaux Les divers exemples présentés dans ment) et les bénéfices pour l’éleveur et
challenges (Salvanes et al., 2007). cette revue montrent que les expé- l’animal.

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258 / Frédérique pitel et al.

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INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


260 / Frédérique pitel et al.

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INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


Rôle de l’environnement précoce dans la variabilité des phénotypes et l’adaptation des animaux d’élevage à leur milieu / 261

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Résumé
Les animaux d’élevage sont confrontés à de multiples contraintes environnementales auxquelles ils doivent s’adapter. De plus en plus
d’études s’intéressent à l’impact de l’environnement précoce sur les phénotypes des animaux et leurs capacités à s’adapter aux différents
challenges rencontrés ultérieurement. Dans cette revue, nous nous intéressons aux connaissances actuelles sur l’influence de l’environne-
ment précoce sur la construction et la variabilité des phénotypes et de l’adaptation des animaux d’élevage à leur milieu, en prenant des
exemples dans différentes espèces. Nous nous focalisons sur les rôles de trois contributeurs importants de la construction des phénotypes :
les mécanismes épigénétiques, le microbiote et les processus comportementaux. Les mécanismes épigénétiques, qui modulent l’expres-
sion du génome sous l’effet de perturbations environnementales intervenues pendant le développement, peuvent induire une variété de
phénotypes dont les caractéristiques peuvent perdurer jusqu’à l’âge adulte, voire se transmettre à la génération suivante. La constitution du
microbiote digestif est elle aussi très dépendante de l’environnement précoce, et joue un rôle important dans l’expression des phénotypes,
notamment dans le domaine de la santé. Enfin, l’expérience précoce influence considérablement le comportement de l’animal, en particulier
ses capacités d’apprentissage, qui peuvent lui conférer une meilleure adaptation à des situations nouvelles ultérieures. Les études menées
dans ces domaines permettent de définir de nouveaux leviers d’action pour tenter d’optimiser les capacités d’adaptation de nos animaux,
notamment par les voies de l’alimentation des animaux jeunes ou de leurs parents voire de leurs grands-parents, de l’acclimatation pendant
le développement, ou plus généralement par des modifications de l’environnement, en particulier de l’environnement social.

Abstract
Role of the early environment in phenotypic variability and adaptation of animals to their environment
Farm animals face multiple environmental constraints to which they must adapt. More and more studies are investigating the impact of the early
environment on animal phenotypes and their ability to adapt to the various challenges encountered later. Here we review current knowledge on
the influence of the early environment on the construction and variability of phenotypes and adaptation of farm animals to their environment,
taking examples from different species. We focus on the roles of three major contributors to the construction of phenotypes: epigenetic mecha-
nisms, microbiota, and behavioural processes. Epigenetic mechanisms, which modulate genome expression under the influence of environmental
disturbances during development, can induce a variety of phenotypes whose characteristics can persist into adulthood, or even be transmitted
to the next generation. The constitution of the digestive microbiota is also highly dependent on the early environment, and plays an important
role in the expression of phenotypes, especially in the field of animal health. Finally, early experiences greatly influence an animal’s behaviour,
especially its learning abilities, which can give it a better chance of adapting to new situations later on. The studies carried out in these fields make
it possible to define new levers for action to try to optimise the adaptability of our animals, in particular through the feeding of young animals or
their parents or even grandparents, acclimatisation during development, or more generally through changes in the environment, in particular
the social environment.

PITEL F., CALENGE F., AIGUEPERSE N., FABRELLAS J.E., COUSTHAM V., CALANDREAU L., MORISSON M., CHAVATTE-PALMER P., GINANE C.,
2019. Rôle de l’environnement précoce dans la variabilité des phénotypes et l’adaptation des animaux d’élevage à leur milieu. In : Numéro
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INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


Gérer la diversité animale INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 263-280

dans les systèmes d’élevage :
laquelle, comment
et pour quels bénéfices ?
Marie-Angélina MAGNE1, Marie-Odile NOZIÈRES-PETIT2, Sylvie COURNUT3, Émilie OLLION4, Laurence PUILLET5,
David RENAUDEAU6, Laurence FORTUN-LAMOTHE7
1
AGIR, Université de Toulouse, ENSFEA, INRA, INPT, INP- EI PURPAN, 31320, Castanet-Tolosan, France
2
INRA, UMR SELMET, 2 place Viala, 34000, Montpellier, France
3
Université Clermont Auvergne, AgroParisTech, Inra, Irstea, VetAgro Sup, UMR Territoires, F-63000, Clermont-Ferrand, France
4
ISARA-Lyon, équipe AGE 23 Rue Jean Baldassini, 69007, Lyon, France
5
UMR Modélisation Systémique Appliquée aux Ruminants, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, 75005, Paris, France
6
INRA, UMR PEGASE, Agrocampus Ouest, 35590, St Gilles, France
7
GenPhySE, Université de Toulouse, INRA, INPT, ENVT, 31320, Castanet-Tolosan, France
Courriel : marie-angelina.magne@inra.fr

„„ La biodiversité, et en particulier, la diversité animale est présentée comme un levier prometteur pour adapter
les systèmes d’élevage aux aléas et opérer leur transition agroécologique. Pourtant, la majorité des éleveurs,
conseillers, enseignants et chercheurs ont des difficultés à l’envisager comme un atout dans la gestion des
élevages. Nous proposons un cadre conceptuel et des pistes pour aider à analyser la diversité animale et ses
modalités de gestion en élevage pour la valoriser.

Introduction dont celui de l’agrobiodiversité, enten- 2013) et aux fluctuations des apports
due comme la diversité des végétaux alimentaires (Delaby et al., 2009).
cultivés et des animaux domestiques
Durant la seconde moitié du XXe siècle, (Altieri, 1987), ce qui, à terme, remet Face à ces limites, les orientations et
le développement de l’élevage sur un en cause la capacité d’adaptation des les pratiques agricoles ont été inflé-
modèle productiviste a permis une systèmes de production aux chan- chies par exemple en intégrant des
augmentation de la production ani- gements globaux (Hoffmann, 2013). aptitudes fonctionnelles dans les sché-
male grâce à i) la sélection des plantes Deuxièmement, l’augmentation à court mas de sélection des vaches laitières
et des animaux sur des traits de produc- terme de la productivité qu’il permet (Phocas et al., 2014). Cependant la
tion ; ii) l’utilisation d’intrants (aliments est souvent négativement corrélée à capacité de ces évolutions à s’affran-
concentrés, produits phyto-zoo-sani- la productivité à long terme (Weiner, chir de ces limites est questionnée.
taires…) permettant de réduire l’hé- 2003). À titre d’exemple, la forte pro- C’est pourquoi, des systèmes d’élevage
térogénéité environnementale et les ductivité animale des vaches laitières, alternatifs ont émergé, mettant en
effets des facteurs limitants la produc- permise grâce à la sélection sur la pro- évidence la nécessité et la faisabilité
tion ; et iii) la standardisation et rationa- duction laitière annuelle, a entraîné d’une transition agroécologique en
lisation des modes de production ainsi une détérioration des performances élevage. L’agroécologie repose notam-
que la spécialisation des fermes et des de reproduction (Mackey et al., 2007 ; ment sur l’hypothèse que la biodiver-
régions (Mazoyer, 1982). Les limites de Sørensen et al., 2008), de la longévité sité, et en particulier l’agrobiodiversité
ce modèle sont aujourd’hui bien docu- (Knaus, 2009), une plus grande sensibi- est un levier essentiel pour assurer
mentées (Brussaard et al., 2015 ; Duru lité aux problèmes sanitaires (Oltenacu la durabilité des fermes d’élevage et
et Therond, 2015). Premièrement, il a et Broom, 2010), aux variations de l’en- pour accroître leurs capacités d’adap-
contribué au déclin de la biodiversité, vironnement climatique (Gauly et al., tation dans des environnements non

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2496 INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


264 / Marie-angélina magne et al.

Figure 1. La démarche séquentielle suivie pour construire, tester et tirer profit a­ nalyser l’ensemble de ce que recouvre
du cadre conceptuel pour l’analyse intégrée de la gestion de la diversité animale la gestion de la diversité animale en
en élevage.
élevage dans chaque étude (partie 2).
Examen de plusieurs travaux La troisième étape a consisté en l’ana-
Construction du cadre
Étape 1
de recherche où la diversité
conceptuel : ses composantes lyse croisée de ces quatre études. Elle a
animale est en jeu au filtre
d’une première grille de lecture
et ses déclinaisons permis d’identifier des régularités et des
différences dans les façons d’instruire les
différentes composantes du cadre et de
Sélection et lecture Test du cadre conceptuel et validation faire émerger des besoins en recherche
de 4 exemples de travaux de sa pertinence pour l’analyse pour analyser de manière intégrée la
Étape 2 de recherche (études) intégrée de la gestion de la diversité
au travers du cadre conceptuel animale en élevage gestion de la diversité animale en éle-
vage (partie 3). La dernière étape a
consisté en une analyse réflexive sur la
Analyse transversale des 4 études démarche adoptée pour construire et
en termes de façons d’instruire Identification des besoins
Étape 3 les différentes composantes du cadre, en recherche
utiliser le cadre pour formuler quelques
d’approches et d’enjeux pistes d’utilisation de ce dernier dans la
recherche, l’enseignement et le conseil
en élevage (partie 4).
Analyse réflexive sur la démarche Formulation de pistes d’utilisation
Étape 4 adoptée pour construire et utiliser du cadre conceptuel en recherche,
le cadre conceptuel enseignement et conseil en élevage 1. Présentation du cadre
conceptuel pour analyser
la diversité animale
­ ptimaux et variables (Darnhofer et al.,
o leurs déclinaisons (partie 1 de l’article). et ses modes de gestion
2010 ; Biggs et al., 2012 ; Dumont et al., La deuxième étape a consisté à sélec- en élevage
2013 ; Duru et al., 2015). Si des travaux tionner quatre études (exemples de
en font la preuve, la grande majorité recherche) et à les instancier selon le
porte sur l’agrobiodiversité végé- cadre développé. Ces études ont été Le cadre conceptuel que nous pro-
tale, et notamment celles des prairies sélectionnées pour être contrastées en posons comprend quatre composantes
(Damour et al., 2018). Ceux portant sur termes de diversité animale considérée (figure 2).
l’agrobiodiversité animale (appelée et de façon et degré d’instruction des
diversité animale ci-après) sont moins différentes composantes du cadre. Cette Deux composantes (en haut, figure 2)
nombreux, plus récents et épars. Nous étape a permis de tester le cadre concep- visent à analyser la diversité animale en
faisons l’hypothèse que cette situation tuel et d’en montrer la pertinence pour interrogeant à la fois la forme qu’elle
résulte d’abord d’un manque de forma-
lisation partagée par les zootechniciens
Figure 2. Cadre conceptuel pour analyser de manière intégrée la gestion de la
de ce que recouvre la notion de diver-
diversité animale en élevage.
sité animale et de sa gestion à l’échelle
des systèmes d’élevage. - Génétique - Échelle
- Phénotypique organisationnelle
Cet article vise donc à développer - Spécifique - Échelle temporelle
un cadre conceptuel pour analyser de - Fonctionnelle
manière intégrée la gestion de la diver-
sité animale à l’échelle des systèmes Formes que Niveaux auxquels
recouvre la diversité se construit
d’élevage et à proposer des pistes de la diversité et s’exprime
recherche pour identifier les conditions
dans lesquelles elle est bénéfique sur le La diversité
long terme. Pour cela, nous avons mis
en œuvre une démarche séquentielle animale
en quatre étapes (figure 1). en élevage

La première étape a consisté à exa- Gestion Bénéfices retirés


miner plusieurs travaux de recherche de la diversité par l’éleveur
de la diversité
dans lesquels la diversité animale en
élevage était en jeu à partir d’une - Éleveur(s) gestionnaire(s)
Combinaison

première grille de lecture construite - Pratique(s) d’élevage - Fourniture de biens

selon notre expertise. Elle a permis de - Indicateurs de gestion - Efficience, autonomie


stabiliser les différentes composantes - Déterminants - Résistance, résilience
du cadre conceptuel et d’en identifier

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Gérer la diversité animale dans les systèmes d’élevage : laquelle, comment et pour quels bénéfices ? / 265

prend (§ 1.1) et les niveaux organisa- physiologiques (âge, parité, efficacité Elle renvoie à l’association d’entités
tionnel et temporel auxquels elle se digestive, production de lait, poids, animales ayant des fonctionnements
construit et s’exprime (§ 1.2). Les deux conformation…), comportemen- (ou aptitudes) biologiques ou écolo-
autres composantes (en bas, figure 2) taux (activité au pâturage, relation à giques différents (par exemple, race à
visent à analyser les modalités de ges- l’Homme), ou biochimiques (groupes viande vs race laitière) ou des réponses
tion de la diversité animale en élevage sanguins). Elle est le résultat conjoint de biologiques et écologiques à des per-
(§ 1.3) et le(s) bénéfice(s) qu’en retire ou la diversité génétique et des effets de turbations différentes (par exemple,
en attend l’éleveur (§ 1.4). Nous préci- l’environnement physique, chimique et phénotype tolérant au stress clima-
sons que si le niveau de la population social. La diversité phénotypique (âge, tique vs phénotype sensible). À titre
animale est fondamental pour gérer poids, conformation…) peut induire d’exemple, en aquaculture le fonction-
sur le long terme la diversité animale une diversité de produits animaux à nement de l’écosystème est optimisé
au sein des espèces et des races, nous mettre sur le marché. par un assemblage fonctionnel entre
focalisons ici sur sa gestion à l’échelle du espèces de poissons (détritivores, végé-
système d’élevage. Dès lors, les popu- La diversité spécifique renvoie aux tariens, carnivores) aux caractéristiques,
lations animales sont vues comme des associations d’espèces animales en fonctions et habitats complémentaires
ressources à disposition de l’éleveur élevage. Des études ont portées sur (reproduction, thermophilie, alimenta-
pour acquérir de la diversité animale les associations bovins-ovins (Cournut tion ; Néori et al., 2004).
qu’il doit ensuite utiliser, entretenir et et al., 2012 ; Meisser et al., 2013 ;
valoriser au sein de son élevage. D’Alexis et al., 2014) et bovins-équins „„ 1.2. Les niveaux
(Martin-Rosset et Trillaud-Geyl, 2011). organisationnels
„„1.1. Les différentes formes À l’inverse, peu d’études portent sur et temporels auxquels
de la diversité animale les associations entre espèces de rumi- la diversité animale
nants et espèces monogastriques alors se construit et s’exprime
La diversité est le caractère de ce qui que ces deux catégories d’animaux
est varié, hétérogène, différent. Cette ont des rôles complémentaires dans la Les différentes formes de diversité
notion s’oppose à celles d’uniformité, chaîne alimentaire au sein des écosys- animale, leur coexistence voire leur
d’homogénéité et de ressemblance. tèmes (ingestion de fourrages et dégra- emboîtement au sein des systèmes
dation des polymères des constituants d’élevage sont liées au fait que ces der-
La diversité génétique désigne le pariétaux des végétaux vs ingestion de niers sont des systèmes biologiques
degré de variété (ou polymorphisme) graines et tubercules et dégradation des pilotés (ou systèmes biotechniques ;
des gènes au sein d’une même espèce, autres constituants, respectivement). Dedieu et al., 2008). Ces systèmes sont
race ou lignée. Elle est le support de la en effet constitués d’un emboîtement
sélection génétique qui a pour principe Enfin, potentiellement supportée par de niveaux d’organisation du vivant. Le
de choisir, parmi la variabilité existante, les trois précédentes formes de diver- fonctionnement et la dynamique d’en-
les animaux porteurs des versions (ou sité (figure 3), la diversité fonctionnelle semble résultent du fonctionnement et
allèles) favorables aux gènes d’inté- est mentionnée comme celle intéres- de la dynamique de chacun des niveaux
rêt comme reproducteurs ; ceci pour sante en élevage (Tichit et al., 2011). d’organisation sous-jacents et de leurs
transmettre ces allèles favorables
d’une génération à une autre et donc
Figure 3. Les différentes formes de diversité animale et les niveaux d’organisation
permettre l’amélioration génétique où elle se construit et s’exprime.
de la population animale concernée
(espèce, race ou lignée). Les gènes Diversité fonctionnelle
d’intérêt peuvent concerner des carac-
tères de production ou des aptitudes
Types de diversité animale

fonctionnelles telles que la résistance à


des agents pathogènes ou la capacité
de reproduction dans un milieu donné
pour améliorer la robustesse des ani- Diversité Diversité Diversité
génétique phénotypique spécifique
maux (Phocas et al., 2017 ;  § 2.4). La
diversité génétique est également le
support d’actions de conservation et
de valorisation de races à petits effectifs
Système
Système
(Audiot, 1995). Gènes
Gènes Organe
Organe Animal Troupeau
Troupeau d’élevage
d’élevage
Population

La diversité phénotypique décrit la


variabilité des traits observables et Niveaux d’organisation
mesurables pour un animal. Ces carac- Flèches en pointillés : niveaux d’organisation où la diversité se construit ; Flèches en tirets : niveaux
tères peuvent être physionomiques d’organisation où la diversité animale s’exprime ; Flèches pleines : diversité fonctionnelle supportée par
(gabarit, couleur de la robe, cornes), les autres formes de diversité animale.

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interactions, pilotés par les pratiques la diversité phénotypique des chèvres (renouvellement, réforme, gestion des
de l’éleveur. Ainsi, le fonctionnement selon leurs stratégies d’allocation des accouplements…), et des pratiques
dynamique d’un atelier de production ressources alimentaires aux fonctions de commercialisation (exploitation et
animale résulte de celui des groupes biologiques de reproduction et de valorisation d’un ensemble de produits
d’animaux qui le composent. Le fonc- lactation. Les chèvres « généralistes » animaux : animaux vendus en vif pour
tionnement dynamique d’un animal ont de bonnes performances de repro- la reproduction ou pour l’engraisse-
résulte de celui des différents systèmes duction (90 % taux de mise bas) et ment, lait, œuf, viande, poisson et leurs
d’organes qui le composent (organes du des performances laitières moyennes dérivés). Ces pratiques permettent de
système digestif, reproducteur, respira- (700 L/lactation) quel que soit l’envi- créer ou acquérir la diversité animale,
toire…). À cet emboîtement de niveaux ronnement. Les chèvres « spécialistes » de l’utiliser (l’orienter, la valoriser, la
d’organisation du vivant s’ajoute un ont des performances de reproduction segmenter) et de la renouveler ou pas
emboîtement des échelles de temps. moyennes (70 % de taux de mise bas) (la réduire, l’amplifier, la maintenir).
En effet, le fonctionnement dynamique et des performances laitières élevées en Ainsi, un éleveur vendant l’ensemble
des systèmes d’élevage repose sur des environnement favorable (1 000 L) et de ses agneaux sous Signe de l’Identi-
processus spécifiques à chaque niveau faibles en environnement défavorable fication de la Qualité et de l’Origine à
d’organisation s’inscrivant différem- (600 L). Le troupeau, à l’échelle de plu- une organisation de producteurs, peut
ment dans le temps. Par exemple, alors sieurs campagnes de production, est le chercher à réduire la diversité phéno-
qu’au niveau cellulaire, les processus niveau d’organisation où la diversité des typique dans son élevage, en groupant
métaboliques s’opèrent à l’échelle de animaux s’exprime et où les bénéfices les naissances et/ou complémentant de
la minute, au niveau du troupeau, le qui en sont retirés sont évalués. Ainsi, manière plus importante les agneaux
processus de renouvellement s’opère à les simulations ont montré que la diver- doubles, de façon à construire des lots
l’échelle de plusieurs années. sité phénotypique des chèvres dans le de vente les plus homogènes possibles
troupeau, à savoir la combinaison de en poids, conformation et état de gras.
Pour caractériser la diversité ani- chèvres « spécialistes » et « généra- À l’opposé, un éleveur vendant des
male en élevage et la gérer pour en listes », est bénéfique pour diminuer la agneaux en vente directe peut chercher
tirer parti sur le long terme, il est utile variabilité interannuelle de la produc- à augmenter la diversité phénotypique
d’appréhender la complexité liée à tion laitière du troupeau en réponse à par l’organisation des naissances et
l’intrication de ces différents niveaux. des variations de l’environnement. l’élevage des jeunes, en particulier par
Il s’agit de distinguer (figure 3) : i) le les pratiques de reproduction et d’ali-
niveau organisationnel et temporel „„1.3. La gestion mentation, de façon à avoir tout au long
auxquels se construit la diversité ani- de la diversité animale de l’année des animaux hétérogènes,
male, à savoir les niveaux auxquels des en élevage adaptés à des consommateurs indi-
éléments constitutifs interagissent par viduels qui expriment des demandes
le biais de processus biologiques ; et ii) Décrire et comprendre la gestion de différentes (Nozières, 2014). Parmi les
le niveau organisationnel et temporel la diversité animale nécessite d’identifier pratiques d’élevage, le choix des ani-
auxquels la diversité animale s’exprime, le(s) gestionnaire(s) de cette diversité, les maux reproducteurs, l’alimentation
à savoir le niveau plus englobant auquel modalités de gestion c’est-à-dire ici les différenciée entre lots ou les pratiques
la diversité animale est bénéfique pour pratiques d’élevage liées à la diversité, d’allotement sont les plus mobilisées
le système. L’analyse du niveau où se les indicateurs de gestion et les détermi- pour gérer la diversité. Cette gestion s’or-
construit la diversité animale est liée à nants de ces modalités de gestion. ganise à différents niveaux, à différents
sa forme (§1.1). L’analyse du niveau où moments d’une année ou d’une série
elle s’exprime permet de comprendre L’éleveur, ou le collectif de travail de d’années, et dans l’espace (§ 1.2). Ainsi,
ses modalités de gestion (§1.3) et les la ferme, est le premier acteur gestion- dans des systèmes d’élevage associant
bénéfices qui en sont attendus/retirés naire de la diversité animale en élevage. bovins et ovins, les surfaces peuvent
par l’éleveur (§1.4). Cependant, selon l’organisation de la être pâturées de façon séparée, alternée
sélection dans la filière de production ou simultanée, suivant les objectifs de
Dans les modèles d’élevage dévelop- considérée, il est utile de spécifier le type l’éleveur en matière de niveaux de pro-
pés pour tester les bénéfices à retirer d’éleveur concerné. C’est particulière- duction de chacun des troupeaux et de
de certaines modalités de gestion de la ment le cas en filière porcine ou avicole valorisation des ressources (§ 2.3). Dans
diversité animale, ces niveaux d’organi- où il est utile d’identifier comment est d’autres situations, les pratiques mises
sation et de temps sont clairement iden- gérée la diversité animale à chacun des en œuvre par l’éleveur peuvent ne pas
tifiés. Par exemple, en élevage caprin, la étages que sont les sélectionneurs, les tenir compte de la diversité animale.
question de l’intérêt de la diversité ani- multiplicateurs ou les producteurs (§ 2.4). C’est le cas des éleveurs qui alimentent
male pour la résilience du troupeau a toutes les vaches laitières de leur trou-
été abordée en construisant un modèle L’éleveur gère la diversité animale peau de manière identique même si elles
combinant le niveau animal et le niveau via une combinaison de pratiques : des sont de race et/ou de potentiel laitier dif-
troupeau (Tichit et al., 2012). Le niveau pratiques de conduite de troupeaux férent (§ 2.2). Enfin, il nous semble per-
animal, à l’échelle d’une campagne de (reproduction, santé, alimentation), des tinent de distinguer la diversité animale
production, est celui où se construit pratiques de configuration de troupeaux subie, c’est-à-dire celle qui découle du

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fonctionnement du système d’élevage tion financière dans la construction de les produits obtenus et les ressources uti-
mais « sans être voulue », de la diversité leur offre. La gestion de la diversité des lisées à cette fin. Lorsque l’on focalise sur
animale pilotée, c’est-à-dire celle qui produits, à leur échelle, complète celle la valorisation des ressources internes à
fait l’objet d’une gestion basée sur des effectuée par l’éleveur. Cela permet de la ferme, alors l’efficience intègre l’auto-
objectifs et des indicateurs, formalisés faire coïncider globalement au sein de nomie. Ainsi, la diversité animale dans les
ou non. la filière l’offre de produits animaux, élevages peut être un moyen de mieux
par essence inégalement répartie, fluc- valoriser les ressources disponibles (res-
Pour mettre en œuvre ces pratiques tuante et aléatoire dans le temps et sources alimentaires pour les animaux,
de gestion de la diversité animale, dans l’espace, à une demande (consom- main-d’œuvre, foncier, équipement) sur
l’éleveur collecte, recherche et orga- mation) constante et concentrée dans la ferme. Elle peut consister en la complé-
nise un certain nombre d’informations, les centres urbains (Malassis, 1979). mentarité entre les éléments du système
internes et externes au système d’éle- dans le but « d’exploiter au mieux toute la
vage (Magne et al., 2011). Les données „„1.4. Les bénéfices retirés gamme des ressources et des conditions
collectées sur le système biotechnique par l’éleveur de la gestion offertes » (Reboud et Malezieux, 2015).
renvoient d’abord à la façon dont il per- de la diversité animale Ainsi l’association d’ovins à viande et
çoit et caractérise la diversité animale de vaches laitières sur une même ferme
aux niveaux où elle se construit et où La quatrième composante du cadre permet de mieux valoriser la diversité
elle s’exprime pour lui (et pour ses renvoie aux bénéfices potentiels retirés des ressources herbagères (dans l’es-
interlocuteurs ; § 1.2). Mais sont éga- ou attendus de la gestion de la diver- pace et dans le temps), les deux espèces
lement convoquées des informations sité animale en élevage. Le bénéficiaire ayant ni les mêmes comportements ni
sur l’environnement physique, social que nous considérons est l’éleveur, les mêmes besoins alimentaires ni les
et économique de l’élevage, et sur la bien qu’il en existe d’autres (les orga- mêmes sensibilités aux strongles gas-
façon dont la diversité animale évo- nismes de sélection, les acteurs de la tro-intestinaux. L’association d’espèces
lue sous l’effet des modifications de société civile…). Les bénéfices sont aux cycles de production différents peut
l’environnement. Tout ou partie de ces les avantages que l’éleveur retire des permettre d’être plus efficient en travail
informations peuvent être formalisées processus biologiques et écologiques en le répartissant sur la campagne de
au travers d’indicateurs. Les indicateurs assurés/supportés par la diversité ani- production.
de performances zootechniques, tels male gérée.
que les niveaux de production laitière Un troisième bénéfice potentiel de la
et leurs variations interannuelles sur la Le premier bénéfice concerne l’amé- gestion de la diversité animale concerne
ferme ou entre fermes mais aussi les lioration de la fourniture de biens (pro- l’amélioration de la résilience du système
index de sélection construits à l’échelle duits animaux, coproduits animaux…) d’élevage, définie ici comme sa capacité
d’une population animale sélectionnée, et la construction d’un produit brut, à se maintenir, mais aussi à s’adapter à
peuvent être mobilisés. nécessaire pour élaborer un revenu. des évolutions de son environnement
La gestion de la diversité animale peut (Dedieu et Ingrand, 2010). La diversité
Le choix des pratiques mises en ainsi permettre d’élargir la gamme de animale peut, en effet, permettre de
œuvre pour gérer la diversité animale biens à un instant t et sur une cam- tamponner un aléa, qu’il soit climatique,
dépend de deux types de déterminants pagne via la complémentarité des économique, sanitaire ou zootechnique,
selon qu’ils sont internes à l’élevage ou cycles de production et d’améliorer la et offrir des possibilités d’adaptation
à l’éleveur (valeurs, normes et objectifs qualité et la quantité des biens produits et de transformation du système d’éle-
de l’éleveur) ou externes (orientation via la complémentarité fonctionnelle vage (Darnhofer et al., 2010 ; Nozières
des filières, ressources disponibles qu’elle supporte. Par exemple, mobiliser et al., 2011). Ainsi, la diversité spéci-
dans l’environnement). Ces détermi- la diversité raciale au sein de troupeaux fique ovin-bovin permet de réajuster
nants constituent des facteurs freinant de bovins laitiers permet de produire les ressources herbagères et le stock
ou facilitant la mise en œuvre des pra- du lait en quantité tout en gardant une aux besoins des animaux (Cournut et al.,
tiques de gestion de la diversité ani- bonne qualité laitière, et en valorisant 2012) en cas d’aléas climatique, et la
male en élevage. Ainsi les organismes convenablement les produits carnés diversité phénotypique gérée par la
et entreprises de sélection animale, grâce à la complémentarité des apti- conduite des ovins (reproduction, ali-
en structurant fortement la variabilité tudes des races de type spécialiste et mentation et allotement) permet d’adap-
génétique disponible parmi les repro- généraliste (§ 2.2). De même, le pâtu- ter la commercialisation aux évolutions
ducteurs mis sur le marché, peuvent rage mixte de génisses et de chèvres du marché (Nozières et Moulin, 2016).
freiner l’utilisation de la diversité ani- permet d’améliorer le gain de poids
male en élevage. De même, les struc- des chèvres et la production animale Si chacun de ces trois types de béné-
tures d’achat des produits d’élevage en globale tout en améliorant la gestion fices peut être évalué indépendam-
aval émettent, vis-à-vis des élevages, des pâturages (D’Alexis et al., 2014). ment l’un de l’autre, il ressort que c’est
une demande d’animaux homogènes souvent la recherche d’une combinai-
ou hétérogènes selon les circuits et les Le deuxième bénéfice relève de l’amé- son entre eux qui est attendue ou reti-
périodes, voire les accompagnent tech- lioration de l’efficience du système d’éle- rée de la gestion de la diversité animale
niquement ou simplement par incita- vage, définie ici comme le rapport entre dans les élevages (§ 3 et 4).

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2. Lecture de quatre conceptuel pour rendre compte de diversité a évolué dans le temps, sous
études traitant quatre travaux de recherche menés à quelle(s) influence(s), et enfin quels
de la diversité animale l’INRA (et appelés études par la suite) et bénéfices ils en retirent. Ce travail ques-
en élevage au filtre traitant de la diversité animale et de sa tionne la diversité intra-spécifique du
du cadre conceptuel gestion en élevage (tableau 1). point de vue des éleveurs eux-mêmes.
Il se base sur un échantillon d’élevages
proposé „„2.1. Étude 1. Points de vue composé de 25 troupeaux comportant
des éleveurs de bovins une seule race – mono-race – (11 en
Pour comprendre quelle diversité laitiers sur la diversité intra- race Holstein, 7 en race Montbéliarde,
animale est bénéfique en élevage et troupeau et ses bénéfices 6 en Normande, 1 en Ferrandaise),
les conditions dans lesquelles elle 9 troupeaux comportant plusieurs
peut l’être, il est utile de considérer Ollion (2015)décrit la manière dont races – multi-races – (5 mixant les races
l’ensemble des quatre composantes les éleveurs de vaches laitières caracté- Holstein et Montbéliarde, 2 mixant les
du cadre conceptuel proposé. Pour risent les formes de diversité animale races Holstein et Normande, 1 mixant
démontrer cela, nous utilisons le cadre dans leur élevage, comment cette les races Holstein et Simmental et

Tableau 1. Présentation des quatre études au regard du cadre conceptuel proposé pour décrire et comprendre la diversité
animale dans les systèmes d’élevage.

Niveaux auxquels la diversité Gestion de la diversité


Type Formes se construit et s’exprime Bénéfices retirés animale :
de production de diversité
de la diversité animale modalité (M), indicateur (I)
animale animale
Organisationnel Temporel ou déterminants (D)

Production de biens (via M : diversité subie vs. pilotée


hétérosis, complémentarité
I : diversité comportementale,
De la carrière lait/viande, volume
génétique, physionomique,
Étude 1. Génotype Animal de l’animal à lait et taux) ;
performance
Bovins laitiers et Phénotype  Troupeau, la campagne Efficience (économique,
en cours au travail) ; D : Éviter la consanguinité
Résilience (aléas et la routine ; rechercher
climatique) l’hétérosis

M : trois modes de


Production de biens gestion selon le degré de
(lait/viande, qualité/ renouvellement de la diversité
quantité lait) ; animale (la réduire, segmenter,
Efficience (en amplifier) et le type d’utilisation/
Étude 2. Génotype Animal Année valorisation (complémentarité
concentrés) ;
Bovins laitiers et Fonction  Troupeau (campagne) de production et efficience)
Résilience (capacité à se
renouveler) ; I : diversité fonctionnelle
Compromis entre supportée par les races
bénéfices D : degré de rationalisation
du système

Production de biens M : intensité de


(lait de vache/viande complémentarité entre espèces
Étude 3. d’agneaux ; production
Troupeau I : diversité spécifique ovin
Bovins laitiers Année fourragère) ;
Espèce  système viande-bovin lait
et ovins à (campagne) Efficience (alimentaire,
d’élevage D : Organisation du travail,
viande travail, économique) ;
Résilience (aléas degré de rationalisation du
climatique, économique) système, valorisation sous AOP

M : trier et orienter


Efficience économique les reproducteurs selon
pour la filière (entreprises leur phénotype de robustesse
de sélection) ; à la chaleur
Génotype et Animal Résistance vis-à-vis
Étude 4. Porc Bande I : prédicteurs de la robustesse
phénotype  Troupeau de stress thermique
des porcs à la chaleur
et efficience économique
pour les éleveurs D : recherche de rationalisation
commerciaux des systèmes d’élevage
et de la filière

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Gérer la diversité animale dans les systèmes d’élevage : laquelle, comment et pour quels bénéfices ? / 269

Figure 4. Réponses de 39 éleveurs de bovins laitiers sur les dynamiques d’évolution le temps par la pratique du croisement
et les bénéfices retirés de la diversité animale au sein de leur troupeau. entre races laitières dans le troupeau.
Éleveurs
(39) Vingt-cinq éleveurs parmi les 37
soulignent qu’ils retirent différents
bénéfices du maintien de la diver-
Est-ce qu’il y a de la diversité dans votre troupeau ?
sité intra-troupeau (figure 4). Ainsi, la
diversité comportementale et physio-
Oui
Non nomique des animaux leur permet de
(37)
(2) faciliter la gestion de la consanguinité
et donc d’améliorer l’efficience au tra-
Comment cette diversité a-t-elle évolué dans le temps ?
vail. Cette gestion passe par le main-
tien d’une base génétique assez large
Hétérogénéisation Maintien Homogénéisation pour le renouvellement des femelles
(3) (6) (28) et le choix de mâles d’origine diversi-
fiée. La diversité raciale (4/37) permet
Quel(s) bénéfice(s) tirez vous de la diversité dans votre troupeau ?
d’améliorer la fourniture de biens du
système d’élevage lorsque les races ont
- Aucun (12)
- Éviter la consanguinité (2) - Éviter la consanguinité (8) des orientations productives contras-
- Hétérosis (2)
- Hétérosis (3) - Éviter la routine (6) tées : quantité (Holstein) vs qualité
- Économique (1)
- S’adapter (3) - Économique (3) du lait (Montbéliarde, Simmental), ou
- S’adapter (3) conjuguent une image touristique
(Abondance) et de bonnes perfor-
mances de production (Holstein). La
1 mixant Holstein, Montbéliarde et ou des ­c roisements (n = 15) « c’est diversité permet aussi de mieux gérer
Abondance, avec des effectifs autres plus rancunier que les noires les rouges, les aléas (6/37) ou de s’adapter au mar-
que la race Holstein allant de 10 à 75 % les abondances, ça a plus de carac- ché : réorientation de la production
du troupeau) et 5 troupeaux en croi- tère ». Les éleveurs la caractérisent vers plus de quantité ou de matière
sement, avec des effectifs de vaches la diversité phénotypique de leurs utile selon les prix, possibilité de tam-
croisées allant de 50 à 100 % du trou- animaux selon des critères physiono- ponner l’effet d’aléas de nature variée
peau sur des schémas de croisement miques (morphologie, robe, cornage, « Ce que je dis, c’est que si t’as des années
allant de 3 à 5 voies utilisant des races n = 31/39), comportementaux (carac- aléatoires, des situations alimentaires qui
variées (Holstein, Normande, Jersiais, tère, tempérament, comportement sont pas optimales, sur un troupeau très
Montbéliarde, Rouge scandinave, alimentaire ; n = 18/39), capacité à mélangé, certains animaux vont résister
Holstein Néozélandaise, Brunes des moduler la production laitière en cas mieux que d’autres, et si la situation s’in-
Alpes). d’aléas (n = 34/39) ou physiologiques verse, ça sera l’inverse. Ça doit donner un
(qualité et quantité de lait), âge, lon- peu d’amortissement, amortir un peu les
Quasiment tous les éleveurs gévité, compromis de performance diverses fluctuations ».
(n = 37/39) considèrent avoir de la diver- (par exemple, lait vs fertilité ou lait vs
sité dans leur troupeau (figure 4). longévité, n = 9). „„2.2. Étude 2. Modes
de gestion et bénéfices
Dans leurs discours, ils abordent Parmi les 37 éleveurs mentionnant retirés de troupeaux bovins
la diversité sous deux formes : géné- avoir de la diversité dans leur troupeau, laitiers multi-races
tique et phénotypique. Une majorité 28 ont cependant constaté qu’elle s’était
d’éleveurs (24/39) mentionne l’origine réduite dans le temps, pour certains de Magne et al. (2016) ont étudié les
génétique des animaux comme critère manière consciente et volontaire, pour performances et les modes de gestion
de diversité intra-troupeau avec des d’autres, plutôt de manière subie et de troupeaux bovins lait multi-races
éleveurs qui distinguent leurs vaches difficilement explicable. Après analyse en Aveyron, soit 16 % des élevages
selon leur origine maternelle (19/39) des pratiques d’élevage, il ressort que du contrôle laitier du département en
« Olympe, eh ben, toutes ses filles, elles cette réduction résulte de pratiques 2010. La diversité animale étudiée ici est
ont le même caractère, elles vont être de conduite de troupeaux (sélection la diversité fonctionnelle supportée par
dociles », et ceux qui les caractérisent du renouvellement, réforme, gestion la diversité génétique (race spécialiste
selon l’origine paternelle (5/39) « il y des accouplements) orientées par la vs généraliste). La race Holstein (Ho)
a des taureaux qui nous déçoivent et recherche d’une vache « idéale », et est qualifiée de race spécialiste en lait
d’autres où, on ne misait pas forcément donc basées sur des règles de décisions et les autres races, parmi lesquelles la
dessus, et on a 4-5 filles et il n’y a rien à uniformes pour l’ensemble des animaux Montbéliarde (Mb), la Normande (No),
redire ». Certains éleveurs associent la du troupeau. Chez les neuf autres éle- la Simmental (Si) et la Brune (Br) sont
diversité à l’origine génétique des ani- veurs, la diversité a été maintenue ou qualifiées de races généralistes. Un trou-
maux à travers des races différentes augmentée (pour trois éleveurs) dans peau est dit multi-race (TMR) si : i) il est

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composé de vaches des deux types de renouveler) et efficience en concentrés fonctionnelle à la race Ho en termes de
races et ii) aucun des deux types de race relativement aux troupeaux mono- reproduction et d’aptitude à produire
ne représente plus de 80 % de l’effectif races. En effet, s’ils produisent moins de du lait avec des taux élevés à partir de
total du troupeau. L’analyse des perfor- lait que les TRS, ils sont plus économes ressources fourragères locales et de peu
mances individuelles des vaches des en concentrés, ont de meilleures per- de concentrés. Trois de ces éleveurs
deux types de races au sein de 22 TMR formances de reproduction et des taux cherchent à combiner ces aptitudes
(parmi lesquels 13, 3, 3, 3 combinent protéiques supérieurs. S’ils ont des per- et un bon niveau de production dans
de la Ho avec respectivement des Mb, formances de reproduction inférieures un nouveau génotype via du croise-
Si, Br et No) confirme une complémen- au TRG, ils produisent plus de lait, avec ment laitier alternatif. En lien avec leur
tarité fonctionnelle des deux types de des taux équivalents et ont une meil- quête d’efficience alimentaire, ces éle-
races sur certains traits. Ainsi, intra-trou- leure efficience en concentrés tout en veurs pratiquent des vêlages tardifs
peau, les vaches de type spécialiste étant aussi économes en concentrés. En (les génisses valorisant des ressources
ont produit plus de lait (en moyenne revanche, les TMR n’offrent pas d’avan- fourragères à faible valeur alimentaire)
+ 1 137 kg/an) pour une durée de lac- tages en termes de santé de la mamelle et distribuent les concentrés sur la
tation plus longue (en moyenne + 38 j) par rapport aux troupeaux mono-races. base des besoins des vaches de types
que les vaches de type généraliste. généralistes qu’ils sélectionnent sur la
Inversement, ces dernières ont produit L’analyse des pratiques d’élevage production de lait. Le groupe 2 compte
du lait avec des teneurs en protéines dans les 22 TMR a permis d’identifier huit élevages. Les races généralistes
(en moyenne + 2,1 g/kg) et en matières trois groupes d’éleveurs ayant diffé- présentes sont la Mb, la Br, la Si, la No
grasses (en moyenne + 2,2 g/kg) plus rentes façons d’utiliser, de renouveler dans respectivement quatre, deux,
élevées et avaient un rang de lactation et de valoriser la diversité raciale (Gi = 1 deux et un élevages. Cinq élevages
légèrement plus long (+ 5 mois). à 3). Le choix de la race Ho a toujours sont à dominante Ho et trois ont des
pour finalité une production de lait proportions équilibrées entre Ho et
Les bénéfices retirés de la gestion de en quantité important ; le choix de la races généralistes. Pour ces éleveurs,
la diversité des types de races au sein de race généraliste associée est liée à une la complémentarité fonctionnelle des
TMR ont été évalués en comparant les complémentarité fonctionnelle diffé- deux races résulte de l’aptitude à pro-
performances de l’ensemble des TMR rente ciblée au niveau des élevages de duire du volume de lait de la race de
du contrôle laitier aveyronnais (n = 83) chaque groupe. Le groupe 1 compte six type spécialiste et de la mixité de pro-
à celles des Troupeaux monoRaces de élevages. Dans ces élevages, les races duction lait/viande de la race de type
type Spécialiste (405 TRS) et de type généralistes sont la Si (2 élevages), la généraliste. Ces éleveurs segmentent
Généralistes (117 TRG) (tableau 2). No (2 élevages) ou la Br (2 élevages). certaines de leurs pratiques en fonc-
Trois élevages sont à dominante Ho tion du type de race : i) ils pratiquent
Les TMR présentent un profil de per- (i.e. comptent entre 60 et 80 % de Ho) du croisement viande sur en moyenne
formances intéressant entre production et trois à dominante d’une race géné- 30 % des vaches de type généraliste
de lait (quantité et taux), reproduction raliste. Ces éleveurs utilisent la race pour optimiser l’aptitude bouchère de
(résilience au sens de capacité à se généraliste pour sa complémentarité leurs veaux alors qu’ils le pratiquent peu

Tableau 2. Performances moyennes de 83 Troupeaux Multi-Races (TMR), troupeaux mono-races constitués d’animaux de
type spécialiste (405 TRS) ou de type généraliste (117 TRG) en Aveyron en 2010.

Performances exprimées en moyennes (écart type) TRS TMR* TRG**

Quantité de lait/VL (kg/an) 7 497a(1 091) 6 457b(1 059) 6 028c(879)

Taux protéique (g/kg) 33,1c(0,9) 33,6b(1,2) 34,9a(1,1)

Taux butyreux (g/kg) 41,8b(1,6) 42ab(1,8) 42,5a(2,1)

Taux de cellules somatiques (1 000 cellules/mL) 266,9a(100,2) 265,8a(105,2) 205,8b(86,3)

Intervalle Vêlage Vêlage (jours) 430a(30) 414b(26) 399c(27)

Concentré distribué (kg/VL/an) 1 747a(416) 1 537b(397) 1 581b(342)

Efficience en concentré (g/kg de lait) 234b(52) 239b(50) 266a(64)

a, b, c : les moyennes affectées d’une lettre différente diffèrent au seuil de P < 0,05.
*Parmi les 83 TMR, 53 ont pour race dominante, la race Ho, 19 la race Mb, 5 la race Br et 6 la race Si.
**Parmi les 117 TRG, 50 sont composés de Mb, 34 de Si, 32 de Br et 1 de No.

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Gérer la diversité animale dans les systèmes d’élevage : laquelle, comment et pour quels bénéfices ? / 271

sur la Ho, et seulement en cas d’échec à mier vêlage est à 24 mois pour toutes „„2.3. Étude 3. Modes
plus de 3 IA ; ii) quatre d’entre eux pra- les vaches afin de réduire les périodes de gestion d’élevage
tiquent un vêlage précoce sur les vaches improductives et d’empêcher l’engrais- associant des bovins laitiers
Ho et un vêlage tardif pour les vaches sement des vaches généralistes. Les et des ovins à viande
de type généraliste ; iii) ils ajustent les quantités de concentrés sont adaptées
quantités de concentrés distribués en au niveau de production quelle que soit Cournut et al. (2012) ont analysé les
fonction de la production de lait des la race. Les éleveurs veillent à maintenir modes de gestion de 18 élevages auver-
vaches. Le groupe 3 compte huit éle- la composition des races qu’ils ont dans gnats associant des bovins laitiers et
vages : sept sont composées de Ho-Mb leur troupeau car ils ont investi dans la des ovins à viande. Ils ont caractérisé
et un de Ho-Br. Quatre élevages sont génétique des deux races. l’organisation dans l’espace et le temps
à dominante Ho, trois ont des propor- des interactions entre espèces animales
tions équilibrées entre les deux races et L’analyse comparée des perfor- ainsi qu’entre animaux et ressources
un est à dominante la race généraliste. mances des élevages dans ces trois végétales, en lien avec les caractéris-
La complémentarité fonctionnelle à la groupes conforte l’idée que la com- tiques structurelles de la ferme et les
production de lait de la Ho que les éle- plémentarité entre volume de lait pro- objectifs de production de l’éleveur.
veurs de ce groupe recherchent est la duit et efficience en concentrés sont Ils ont aussi précisé les leviers mobili-
résistance aux maladies de la race géné- les bénéfices retirés des TMR : les trois sés par les éleveurs en cas d’aléas cli-
raliste. Ils ciblent leurs pratiques sur la groupes ne présentent pas de diffé- matiques. Quatre modes de gestion
conduite des vaches Ho et cherchent à rences significatives en termes de per- d’élevage ont été discriminés selon la
réduire le degré de dissemblance entre formances hormis pour le volume de configuration du pâturage entre les
les deux types races pour intensifier lait/VL/an (G3 > G2 > G1) et l’efficience deux troupeaux, et le niveau d’inten-
la production laitière et rationaliser le en concentré (G1 = G3 < G2). Les béné- sification des surfaces en lien avec le
travail. Un éleveur pratique même le fices en termes de production de viande niveau de productivité des animaux
croisement d’absorption. L’âge au pre- n’ont pu être évalués faute de données. (figure 5). Dans ces modes de gestion

Figure 5. Quatre modes de gestion d’élevage combinant des bovins laitiers et ovins à viande en Auvergne.

Bovins Bovins Bovins


Bovins lait lait lait lait

Ovins
Ovins Ovins viande Ovins
viande viande viande

Conduite Conduite Conduite Conduite


disjointe juxtaposée ajustée imbriquée
STRUCTURE

200 ha SAU 140 ha SAU 130 ha SAU 80 ha SAU


80 VL 60 VL 35 VL 30 VL
580 brebis 330 brebis 330 brebis 260 brebis
3-4 associés 3 associés 2-3 associés Couples ou exploit. seul
1020 m altitude 880 m altitude 780 m altitude 960 m altitude
ASSOLEMENT

Prairies Permanentes Prairies Temporaires Maïs ensilage Céréales


PRODUCTIVITE

6 000 litres/VL/an 7 000 litres/VL/an 5 500 litres/VL/an 4 750 litres/VL/an

1,1 agneaux/brebis/an 1,4 agneaux/brebis/an 0,9 agneaux/brebis/an 0,9 agneaux/brebis/an

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272 / Marie-angélina magne et al.

qui expriment des niveaux différents en diversifiant les activités (agrotou- a­ nimaux, définie ici comme la capa-
d’imbrication des deux troupeaux, les risme), et en recherchant l’autonomie cité pour un animal à exprimer son
leviers mobilisés en cas d’aléas clima- alimentaire (assolement comprenant potentiel génétique dans une large
tiques ne sont pas les mêmes. des céréales et des prairies tempo- gamme d’environnements, est donc
raires et chargement animal faible : devenue une priorité pour la filière et
Dans la conduite dite « disjointe » 0,7 UGB/ha de SFP). Dans ces élevages plus particulièrement pour les éleveurs
(3 fermes), les deux espèces sont la gestion des deux troupeaux permet sélectionneurs et multiplicateurs. Or, la
conduites de façon séparée sur des d’élargir la gamme des produits fournis sensibilité à la chaleur des porcs varie
sites différents ayant chacun leur siège. via la fabrication de fromage de vache généralement d’un animal à l’autre
La priorité est donnée à la qualité du et la diversification des produits ovins. à l’intérieur d’une même lignée avec
lait de vaches pour la fabrication de La complémentarité fonctionnelle des certains animaux ayant une croissance
fromage AOP (Saint-nectaire, Fourme espèces au pâturage est mobilisée via plus faible et plus variable dans l’en-
d’Ambert), et à la production de lait du pâturage alterné et éventuellement vironnement tropical par rapport au
de vaches et de viande ovine à l’herbe mixte. En cas d’aléas climatiques, les climat tempéré (figure 6). Caractériser
en altitude. Ces systèmes extensifs à ajustements se font sur le troupeau et utiliser cette variabilité pour catégo-
base de prairies permanentes, ont un ovin et couvrent un large champ allant riser les animaux selon leur robustesse
faible chargement animal (0,8 UGB/ de la modification des ressources four- a constitué l’objet de cette étude. Les
ha de SFP). Les éleveurs mobilisent ragères qui leur sont allouées, jusqu’à bénéfices attendus sont l’amélioration
la diversité spécifique pour utiliser au la réduction de son effectif. Enfin, dans de la résilience et de l’efficience écono-
mieux les ressources herbagères d’alti- la conduite « imbriquée » (4 fermes), mique des systèmes d’élevage (multi-
tude qui permettent de produire dans toutes les parcelles peuvent être pâtu- plicateurs ou producteurs) en rendant
les filières de qualité. Ils utilisent les rées par l’une ou l’autre des espèces les performances des animaux moins
estives qu’ils font pâturer par les brebis et le pâturage alterné est majoritai- sensibles aux variations de l’environ-
vides et les génisses, comme levier de rement pratiqué. L’assolement com- nement climatique.
résilience aux aléas climatiques. Dans prend un peu de céréales et de prairies
la conduite « juxtaposée » (5 fermes), temporaires et le chargement est faible L’objet de cette étude a consisté
les surfaces allouées aux deux espèces (0,7 UGB/ha de SFP). La priorité est de à fournir des outils pour identifier
sont séparées mais proches du siège simplifier l’organisation du travail et de dans une population d’animaux, les
d’exploitation. La priorité est donnée valoriser la qualité des produits à par- individus les moins sensibles à la
à la productivité (en moyenne 7 000 L tir de l’utilisation de ressources fourra- chaleur (i.e. les plus robustes) à l’aide
de lait par vache et par an et conduite gères locales (efficience). La gestion de de biomarqueurs obtenus dans des
ovine en 3 agnelages en 2 ans), grâce la complémentarité sur les ressources matrices facilement accessibles (sang,
à un assolement où les prairies tem- s’étend ici à l’ensemble des ressources salives, fèces). Ainsi Dou et al. (2017)
poraires productives, les céréales et le disponibles. Dans ces fermes, c’est la montrent qu’il est possible d’iden-
maïs prennent une part importante. Le faible exigence productive pour les tifier avec une bonne précision des
chargement animal est le plus impor- animaux des deux espèces qui permet animaux robustes ou sensibles à la
tant de l’échantillon (1,1 UGB/ha de de résister en cas d’aléas. chaleur à partir d’une simple prise
SFP) et le recours à l’achat de fourrage de sang et l’analyse du métabolome
est fréquent en cas d’aléas climatiques. Ce travail montre que les bénéfices plasmatique. En termes de gestion en
La mixité d’espèce est utilisée pour retirés de l’existence d’une diversité élevage, sous réserve de validation, ces
étaler sur l’année la fourniture de pro- interspécifique dans ces élevages dif- biomarqueurs pourraient être utilisés
duits des deux espèces en quantité. Les fèrent selon ses modalités de gestion et par les multiplicateurs pour orienter
ressources fourragères sont gérées de notamment selon les équilibres recher- la diversité phénotypique des repro-
façon intensive et vise à satisfaire les chés par les éleveurs entre production, ducteurs en évitant (par exemple) d’ex-
besoins des deux troupeaux : la com- efficience et résilience. porter des animaux sensibles dans des
plémentarité fonctionnelle des deux régions chaudes. La capacité de ces
espèces au pâturage est peu mobi- „„2.4. Étude 4 : Gestion biomarqueurs à prédire un phéno-
lisée. Dans la conduite « ajustée » (6 de la diversité phénotypique type complexe comme la sensibilité
fermes), les brebis ont leurs propres de la tolérance à la chaleur à la chaleur pourrait être également
parcelles de pâturage mais pâturent dans élevages porcins utilisée pour identifier les marqueurs
aussi celles dédiées aux vaches après génétiques ayant une influence sur ce
leur passage afin de nettoyer les refus. Dans les élevages commerciaux caractère d’intérêt et les utiliser dans
La priorité est donnée à la sécurisation de porcs, les perturbations environ- des programmes de sélection avec la
économique en misant sur une large nementales et plus particulièrement construction d’un index de robustesse
gamme de produits (lait et fabrication climatiques ne permettent pas d’expri- des animaux reproducteurs. Dans les
de fromage, veaux croisés et agneaux mer pleinement le potentiel génétique élevages commerciaux, cette diversité
légers produits à faibles coûts), en des animaux ce qui entraine une perte phénotypique sera à gérer par le choix
améliorant la valorisation (agricul- d’efficience économique. La recherche des reproducteurs adaptés au contexte
ture biologique et/ou vente directe) d’une plus grande robustesse des climatique ciblé.

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Gérer la diversité animale dans les systèmes d’élevage : laquelle, comment et pour quels bénéfices ? / 273

Figure 6. Distribution du poids vif à 23 semaines d’âge dans deux populations prédicteurs destinés à outiller sa ges-
de porcs de même lignée (backcross LWxCR) et élevés en conditions tempérées tion en élevage. Cette étude est donc en
(bleu, n = 634 porcs) ou en conditions tropicales (orange, n = 664 porcs ; Adapté
amont de la caractérisation des moda-
de Rosé et al. 2017).
lités de gestion et de l’évaluation des
4,5 bénéfices en élevage.

4,0 Les trois autres études se focalisent


principalement sur les deux autres
3,5 composantes du cadre conceptuel,
à savoir la gestion de la diversité ani-
3,0 male dans les élevages et les bénéfices
qui en sont retirés. En revanche, pour
Fréquence (%)

2,5 caractériser ces deux composantes,


les approches adoptées dans ces trois
2,0 études sont différentes (tableau 3). Les
études 1 et 3 reposent exclusivement
1,5
sur une approche à dires d’éleveurs
alors que l’étude 2 combine l’approche
1,0
à dires d’éleveurs avec des analyses
quantitatives à partir de données de
0,5
performances issues des élevages.
0,0
Ainsi, concernant la caractérisation de
40 60 80 100 120 140 la diversité animale en élevage, l’étude
1 contribuent à identifier les indicateurs
Poids vif à 23 semaines d’âge (kg)
réellement utilisés par les éleveurs pour
Tropical Tempéré cela dans leur troupeau de vaches lai-
tières, mais sans les objectiver, ni tester
leur validité. Dans les études 2 et 3, la
3. Analyse transversale conceptuel. Ainsi l’étude 4 se centre caractérisation de la diversité animale
des études et perspectives essentiellement sur les deux premières est définie a priori à partir des complé-
de recherche composantes du cadre (formes de mentarités fonctionnelles théoriques
diversité animale et niveau d’organi- des espèces (étude 3) ou des types de
sation où elle existe) car son enjeu est race (étude 2). La validité de cette com-
L’analyse des quatre études montre de caractériser de manière objective plémentarité fonctionnelle est testée
que la diversité animale est instruite de la diversité fonctionnelle des porcs (la a posteriori à partir de l’évaluation des
manière souvent incomplète au regard thermotolérance) aux échelles où elle performances entre type de races au
des quatre composantes du cadre se construit, à partir de la définition de sein des troupeaux multi-races dans

Tableau 3. Types d’approche scientifique adoptée dans chacune des quatre études instanciées selon le cadre et contribution
de chacune d’elles à trois fronts de recherche identifiés pour analyser de manière intégrée la diversité animale en élevage.

Étude 2 Étude 3
Étude 1 Étude 4
Bovins laitiers Bovins laitiers
Bovins lait Porc
multi-race et ovins à viande

Type À dires d’éleveurs X X X


d’approche
scientifique
développée Données troupeaux, animaux X X

Caractériser la diversité
animale et comprendre les ** ** * ***
mécanismes sous-jacents
Les fronts
de recherche Caractériser les modes de
* *** ***
gestion de la diversité animale

Évaluer les bénéfices *** *** *

Le nombre d’étoiles traduit le degré de contribution de chacune des quatre études aux trois fronts de recherche identifiés comme structurant les travaux menés
sur la gestion de la diversité animale en élevage : * marginal ; ** important ; *** très important.

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274 / Marie-angélina magne et al.

l’étude 2 ou à dires d’éleveurs dans l’espace, rôle de régulation des strongles cialistes dans les troupeaux multi-races.
l’étude 3. Enfin, les études 1 et 3 identi- gastro-intestinaux). Cela conforte l’idée Le degré de dissemblance renvoie aux
fient les bénéfices retirés de la gestion soutenue en écologie, zootechnie et en variables utilisées pour partitionner
de la diversité animale dans les élevages agronomie (Petchey et al., 2004 ; Tichit les animaux en groupes fonctionnels
à partir de ce qu’en disent les éleveurs. À et al., 2011 ; Duru et al., 2013 respective- (par exemple la réponse aux stress
l’inverse, l’étude 2 les évaluent à partir ment) selon laquelle la diversité fonc- thermique des porcs dans l’étude 1, les
de la comparaison des performances tionnelle est plus intéressante à étudier différences d’aptitudes biologiques des
de troupeaux multi-races à celles des que la richesse spécifique. vaches de races généraliste et spécia-
troupeaux mono-races d’une part et liste dans l’étude 2). Enfin, la nature et
de la comparaison des performances Le second besoin de recherche l’intensité des interactions entre entités
des troupeaux multi-races selon leurs identifié est intimement lié au précé- renvoie à des effets de complémenta-
modes de gestion d’autre part. dent. Il s’agit d’affiner les variables (par rité fonctionnelle qui ont été identifiées
exemple, traits morphologiques, com- dans les études analysées. Par exemple
Ce positionnement des études sur portementaux… ; performances zoo- la complémentarité au pâturage des
les quatre composantes du cadre tra- techniques individuelle ; paramètres/ brebis allaitantes et vaches laitières
duit des contributions partielles de marqueurs biologiques) utilisées pour dans les troupeaux mixtes ou la com-
ces études à trois fronts de recherche : catégoriser les groupes fonctionnels plémentarité entre le volume de lait
caractériser la diversité animale et com- (ou décrire la diversité fonctionnelle) et le taux des matières utiles pour les
prendre les mécanismes biologiques et présents en élevage en s’appuyant sur troupeaux multi-races. D’autres natures
écologiques sous-jacents ; caractériser la compréhension des mécanismes bio- d’interactions telles que celles utilisées
les modalités de gestion pertinentes logiques et écologiques sous-jacents. en écologie (neutralisme, coopération,
pour tirer parti de la diversité animale Plusieurs limites ressortent dans les compétition, apprentissage…) restent
en élevage ; évaluer les bénéfices reti- façons de partitionner l’ensemble les à décrire et documenter pour les sys-
rés de la gestion de diversité animale animaux présents dans l’élevage en tèmes d’élevage. Ces cadres nous
en élevage et leurs combinaisons groupes fonctionnels ; elles résultent semblent pertinents pour mieux carac-
(tableau 3). S’il convient de mieux arti- d’un manque de variables faciles d’ac- tériser la diversité animale, quel que soit
culer ces fronts de recherche, l’analyse cès en amont pour réaliser ce partition- le niveau organisationnel considéré :
des quatre études et de la littérature nement. C’est tout l’enjeu de l’étude 1 atelier, troupeau, ferme, territoire, pays.
nous amène à formuler ci-après des qui vise à identifier des biomarqueurs
besoins de recherche pour chacun facilement dosables dans les matrices „„3.2. Caractériser
d’eux. telles que le sang et l’urine pour par- les modes de gestion
titionner les porcs selon leur thermo- de la diversité animale
„„3.1. Mieux caractériser tolérance. Dans les études 2 et 3 les pertinents pour en tirer parti
et comprendre la diversité individus sont partitionnés sur la base sur le long terme
animale pour la gérer d’une complémentarité fonctionnelle
en élevage théorique des animaux, hypothèse qui Nous formalisons trois enjeux de
n’est pas toujours testée faute de don- recherche visant à mieux caractériser
Deux besoins de recherche ont été nées de performances disponibles en les modalités de gestion de la diversité
identifiés pour caractériser et com- élevage. L’élevage de précision devrait animale pertinents pour en tirer parti
prendre la diversité animale en élevage. aider à dépasser cette limite, en assu- sur le long terme.
rant le suivi, en routine, de paramètres
Le premier porte sur une meilleure phénotypiques ou génétiques utiles. De Le premier enjeu consiste à appro-
description et compréhension de la plus, les cadres développés en écologie fondir les effets des pratiques d’éle-
diversité fonctionnelle et de ses liens par Biggs et al. (2012) et Vigglizo (1994) vage élémentaires ou combinées sur la
avec les autres formes de diversité pour décrire la biodiversité pourraient diversité animale en élevage et inver-
(figure 2). En effet, les quatre études permettre d’affiner le partitionnement sement en intégrant différents pas de
montrent qu’en zootechnie, ce qui est et la caractérisation des entités animales temps et niveaux d’organisation. En
en jeu est plus la diversité fonctionnelle dans un élevage. Ces auteurs proposent effet, il ressort un manque de formali-
supportée par d’autres formes de diver- de distinguer : la variété de ces entités, sation des combinaisons de pratiques
sité animale que ces dernières en tant à savoir leur nature et leur nombre ; qui permettent de créer la diversité
que telles. Ainsi, associer deux espèces leur abondance relative ; leur degré de animale, de l’utiliser/la valoriser et de
au pâturage ne présente d’intérêt que dissemblance ; et la nature et l’intensité la renouveler dans le temps. Les trois
si elles ont des aptitudes au pâturage des interactions entre elles. La variété modes d’élevage des troupeaux mul-
complémentaires (préférences alimen- renvoie aux formes de diversité animale ti-races de bovins laitiers constituent
taires, hauteur d’herbe pâturée…) leur dans le cadre conceptuel proposé et est une tentative en ce sens. Il s’agit aussi
permettant de contribuer différemment utilisée dans les quatre études analy- de raisonner les effets des pratiques de
au fonctionnement de l’élevage (par sées. En revanche, l’abondance relative gestion de la diversité animale sur le
exemples, rôle de régulation des dyna- n’est traitée que dans l’étude 2 à travers long terme et à différents niveaux d’or-
miques de végétations dans le temps et la part de vaches généralistes et de spé- ganisation selon la filière de production

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Gérer la diversité animale dans les systèmes d’élevage : laquelle, comment et pour quels bénéfices ? / 275

considérée (­producteur, multiplicateur, de la diversité animale. Dans la littéra- son intérêt. En effet, dans l’étude 4, le
sélectionneur d’une part, échelle éle- ture, la gestion de la diversité dans les bénéfice attendu est la résilience des
vage et population d’autre part). À titre systèmes agricoles est souvent men- élevages naisseurs-engraisseurs dotés
d’exemple, dans l’étude 4, les biomar- tionnée comme associée à une néces- d’animaux plus robustes vis-à-vis d’un
queurs de sensibilité à la chaleur ont saire réorganisation du travail (Duru stress thermique. Il s’agira de vérifier s’ils
été développés pour trier les repro- et al., 2015 ; Darnhofer et al., 2010). sont effectivement plus résilients que
ducteurs avant leur vente dans les éle- Cependant, aucune étude n’en apporte lorsqu’ils abritaient des animaux pré-
vages producteurs. Ainsi, selon l’origine la preuve notamment quand il s’agit de sentant différents degrés de robustesse.
géographique (tempérée ou tropicale) gestion de la diversité animale en éle- De même, dans les études 1 et 3, il s’agit
ou la saison, les éleveurs multiplica- vage. Il convient d’étudier le travail dans d’objectiver l’évaluation des bénéfices
teurs auront un outil pour valoriser la ses dimensions i) organisationnelle : que disent retirer les éleveurs de la ges-
diversité animale dans leur élevage et comment est organisée dans l’espace et tion de la diversité animale dans leurs
fournir des animaux reproducteurs ou dans le temps l’adéquation entre tâches élevages. Nous formulons deux enjeux
de la semence, adaptés aux conditions à réaliser pour gérer la diversité et la de recherche.
climatiques des élevages producteurs. main-d’œuvre disponible ; et ii) cogni-
Cela conduira à réduire la diversité des tive : quelles informations les éleveurs Le premier porte sur l’évaluation des
robustesses au stress thermique des mobilisent-ils pour gérer la diversité combinaisons de bénéfices retirés de la
animaux intra-élevage producteurs animale ? comment construisent-ils de gestion de la diversité animale en éle-
mais à maintenir une diversité à l’échelle nouveaux indicateurs de pilotage et vage. En effet, les études montrent que
de la population (quel que soit l’étage réajustent-ils leurs objectifs en fonction ce qui est attendu ou retiré de la gestion
considéré). Dans le futur, ces biomar- des bénéfices retirés ? de la diversité animale dans les élevages
queurs pourraient être utilisés comme est le plus souvent une combinaison
des phénotypes pour la recherche de Le dernier enjeu de recherche est de plusieurs bénéfices (production de
marqueurs génétiques en lien avec la d’identifier les freins et leviers à la ges- biens, résilience, efficience, autonomie
tolérance à la chaleur. L’exploitation tion de la diversité animale en élevage. en intrants, qualité de vie au travail)
de ces derniers dans des schémas de Dans les études analysées, certains et non un seul. Ces combinaisons ren-
sélection permettrait de sélectionner facteurs semblent ressortir comme voient par ailleurs à des compromis
des animaux moins sensibles aux varia- freinant ou facilitant la gestion de la que sont prêts à faire les éleveurs. Pour
tions de conditions climatiques. Ce pro- diversité animale intra-élevage (par conduire ces évaluations, des ques-
cessus de sélection pourrait conduire à exemple, organisation et libéralisation tions méthodologiques se posent, de
réduire la diversité animale au sein de la des marchés, organisation de la sélec- même ordre que celles posées par les
population mais aussi potentiellement tion génétique, normes de l’éleveur…). évaluations multicritères (Lairez et al.,
dans les élevages qui préféreront des Cependant, peu d’études portent expli- 2017). Cela interroge notamment les
porcs robustes quel que soit l’environ- citement sur l’analyse de ces freins dispositifs et méthodes à développer
nement climatique. Enfin, tout comme et leviers à la gestion de la diversité pour respectivement acquérir et traiter
pour l’intégration culture-élevage animale intra-élevage (Magne et al., des données de performances des trou-
(Moraine et al., 2017), l’échelle spatiale 2017). L’enjeu est alors de les identifier peaux qui sont de différentes natures
(intra-ferme, petits collectifs de fermes, et catégoriser selon qu’ils renvoient à (santé, reproduction, production de dif-
région…) à laquelle penser la gestion des facteurs : humains (valeurs, normes, férents produits, qualité des produits,
de la diversité animale en élevage se connaissance…), socioéconomiques efficience et qualité du travail…), et
pose. L’échelle supra-ferme permettrait (organisation des marchés…), technolo- relèvent de niveaux temporels et d’or-
de s’affranchir des verrouillages relatifs giques (techniques de phénotypage…), ganisation différents .
à la spécialisation des filières, des éle- biophysiques (niveau d’exposition à des
vages et des compétences des éleveurs. aléas climatiques, économiques, sani- Le deuxième enjeu de recherche
Mais elle nécessite de dépasser d’autres taires…). Il s’agit aussi de les analyser consiste à mieux intégrer la coévolu-
verrous organisationnels pour reconce- du point de vue des éleveurs mais aussi tion entre les pratiques d’élevage, la
voir, en collectif, des pratiques de confi- de celui d’acteurs de l’environnement diversité animale et les performances
guration, de conduite et de valorisation sociotechnique de l’élevage. du système dans l’évaluation des béné-
des animaux à l’échelle des fermes pour fices retirés de la gestion de diversité
valoriser la diversité animale à l’échelle „„3.3. Évaluer les bénéfices animale en élevage. La coévolution met
du territoire. retirés de la gestion en avant deux points clefs : évaluer les
de la diversité animale bénéfices retirés : i) au regard des moda-
Le deuxième enjeu de recherche en élevage lités de gestion de la diversité animale
porte sur l’analyse des reconfigurations mises en œuvre par les éleveurs ; ii) sur
du travail (physique, humain et cogni- L’analyse comparée des quatre études des pas de temps moyens à longs pour
tif ) des éleveurs, induites par la gestion montre qu’un effort de recherche doit intégrer les dynamiques des processus
de diversité animale en élevage. Dans porter sur l’évaluation des bénéfices reti- biologiques à l’origine de la diversité
les études 1 et 3, le travail conditionne rés de la gestion de la diversité ­animale animale et de leur interaction avec les
certains choix de pratiques de gestion en élevage afin d’élargir la preuve de pratiques d’élevage. Ce dernier point

INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


276 / Marie-angélina magne et al.

est particulièrement important lors- identifiées dans les études analysées conceptuel développé ambitionne
qu’on cherche à évaluer la résilience dans cet article ; d’être ­générique et donc utilisable dans
retirée de la gestion de la diversité ani- différents contextes d’élevage et par dif-
male en élevage. Cependant, les dispo- ii) génétique pour mutualiser et arti- férents acteurs de l’élevage notamment
sitifs de recherche ne sont pas toujours culer les travaux menés sur la diver- les enseignants et les conseillers.
adaptés (ou disponibles) pour une sité animale aux échelles que sont les
évaluation sur le long terme. Les suivis systèmes d’élevage et les populations Ainsi, le cadre et plus globalement
d’élevage et la modélisation/simulation animales (Phocas et al., 2017). En effet, la démarche d’utilisation qui en est
constituent des outils prometteurs pour il ressort que ces deux niveaux de créa- faite dans le papier, présente un fort
cela. La modélisation présente en plus tion, d’organisation et d’utilisation de potentiel pédagogique, ceci pour
l’intérêt de pouvoir dissocier la compo- la diversité animale sont intimement trois raisons. D’abord, le cadre struc-
sante décisionnelle de la composante liés alors qu’ils sont souvent pensés ture le raisonnement de la gestion de
biologique de l’élevage (Tichit et al., indépendamment ; la diversité animale en élevage autour
2011 ; Blanc et al., 2013). de quatre composantes univoques
iii) microbiologie et médecine vétéri- (figure 2). Ensuite, les quatre études
naire d’une part et agronomie d’autre instanciées sur ces quatre compo-
4. Implications part pour mieux formaliser les liens/ santes constituent des cas concrets
scientifiques et pratiques relations entre la diversité animale aidant à l’appropriation du cadre.
élevée et la biodiversité associée. Cette Enfin, l’analyse transversale de ces
„„4.1. Un cadre intégrateur dernière peut être une diversité micro- études permet d’extraire des régula-
et support de discussion bienne hébergée dans l’animal (cf. syn- rités et des différences dans les modes
entre acteurs thèse de Calenge et al., 2014 sur les de gestion de la diversité animale en
liens entre microbiote et phénotype élevage. Ces trois éléments facilitent
Le cadre conceptuel que nous propo- animal), une diversité microbienne l’apprentissage et la compréhension
sons constitue une carte mentale d’élé- hébergée dans le milieu environnant d’un objet complexe (Barth, 2013),
ments à intégrer et questionner pour de l’animal (bâtiment, pâture) ou bien comme l’est la gestion de la diversité
gérer la diversité animale en élevage. encore une diversité végétale cultivée animale en élevage. Le cadre peut être
Son instanciation sur des cas d’étude ou non ; utilisé par les enseignants en zootech-
constitue un support de discussion nie de l’enseignement supérieur ou
entre experts de différents horizons iv) sciences humaines et sociales, plus technique agricole pour former les
pour concevoir des actions à mettre particulièrement en économie pour apprenants à décliner concrètement
en œuvre pour pouvoir la gérer dans évaluer les bénéfices retirés de la diver- l’un des concepts clefs de l’agroécolo-
les systèmes d’élevage. L’instanciation sité animale en élevage et en sciences gie qu’est la biodiversité dans la ges-
du cadre sur différents travaux de de gestion ou sociologie pour com- tion des systèmes d’élevage. Former
recherche a permis d’engager des prendre les déterminants sociotech- les futurs éleveurs et conseillers en
discussions entre chercheurs en zoo- niques et sociologiques des modes élevage à considérer la diversité
technie s’inscrivant dans des enjeux de de gestion de la diversité animale en animale comme une ressource pour
recherche différents et travaillant sur élevage. gérer les élevages dans une pers-
des systèmes d’élevage différents. Cet pective agroécologique est d’ailleurs
espace de discussion qu’offre le cadre Le cadre peut être aussi utilisé entre clairement explicité comme un enjeu
d’analyse peut être ouvert à d’autres chercheurs et acteurs de l’élevage (éle- d’apprentissage dans les référentiels
chercheurs et plus largement à d’autres veurs, conseillers, organismes de sélec- de diplômes de l’enseignement tech-
acteurs de l’élevage. tion, opérateurs de l’aval de la filière…) nique agricole français. Enfin, le cadre
pour faire exprimer et faire-valoir les constitue un outil pour faire échan-
Il serait utile de le partager et de le différents points de vue (convergences ger les apprenants sur les freins et
mettre en discussion avec des cher- et divergences) et les intégrer dans les les appuis actuels à la gestion de la
cheurs en : processus de co-conception de modes diversité animale en élevage. Ce fai-
de gestion de la diversité animale. sant, il offre l’opportunité d’imaginer
i)zootechnie mais travaillant sur des des leviers d’action techniques, orga-
espèces ou productions qui n’ont pas „„4.2. Contribution nisationnels, cognitifs, économiques
été étudiées en tant que telles ici (ex : et implications pour former pour dépasser ces freins.
volailles ou poissons). Cela permettrait et conseiller en élevage
de conforter la généricité du cadre Pour les conseillers en élevage, les
proposé et de faire émerger des diffé- Cet article n’est pas une revue exhaus- quatre études déclinées sur le cadre
rences dans la gestion de la diversité tive des travaux sur la diversité animale conceptuel constituent des exemples
entre type de production (ex : mono- en élevage et n’a pas vocation à définir concrets de gestion de la diversité
gastriques vs ruminants) ou des types les « bonnes pratiques de sa gestion animale dans les systèmes d’élevage
de de complémentarités fonction- en élevage », laquelle doit être pen- et montrent que cette diversité peut
nelles intra ou interspécifiques non sée en contexte. En revanche, le cadre être pilotée et être bénéfique pour les

INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


Gérer la diversité animale dans les systèmes d’élevage : laquelle, comment et pour quels bénéfices ? / 277

éleveurs. Cela permet de contrebalan- Conclusion de la diversité animale en élevage et


cer la vision souvent négative que ces un support de discussion pour pen-
acteurs ont de la diversité animale en ser les projets de recherche et de
élevage, laquelle est plutôt subie et à Dans cet article, nous développons, recherche-développement à venir. Il
réduire car non bénéfique/viable dans à partir de travaux de recherche menés constitue aussi un outil pour former et
le contexte économique actuel. À titre à l’INRA, un cadre conceptuel original accompagner les éleveurs à concevoir
d’exemple, dans le conseil, les trou- pour analyser de manière intégrée la et développer des modalités de gestion
peaux de bovins laitiers multi-races diversité animale et ses modalités de de la diversité animale en élevage qui
sont souvent considérés comme des gestion à l’échelle des systèmes d’éle- sont bénéfiques sur le long terme pour
troupeaux en transition vers des trou- vage et nous proposons des pistes de eux et dans leurs contextes.
peaux mono-races ou comme une recherche pour identifier les conditions
conséquence de l’achat d’un second dans lesquelles elle est bénéfique sur
troupeau alors que pour nombre d’éle- le long terme. Nous formalisons ainsi
Remerciements
veurs, ils présentent des bénéfices et ce que recouvre la diversité animale
sont à maintenir. Par ailleurs, le cadre en élevage, concept clef de l’agroé- Nous dédions cet article à Muriel
conceptuel peut être utilisé par et avec cologie mais que les acteurs de l’éle- Tichit qui nous a quittés en avril 2019.
les conseillers pour repenser collecti- vage y compris les chercheurs ont des Directrice de recherche à l’INRA au sein
vement les données à recueillir en difficultés à s’emparer. En déclinant le du département Sciences pour l’Action
élevage pour produire des références cadre sur quatre cas d’études, nous et le Développement, docteure en zoo-
sur les bénéfices (ou non) à gérer de la illustrons les formes que peut prendre technie, elle a conduit des travaux pion-
diversité animale en élevage. Il serait la diversité animale, à différents niveaux niers sur le rôle et les services rendus
alors utile que les structures de conseil organisationnel et temporel, la manière par la biodiversité en agriculture.
construisent et suivent dans le long dont elle peut être gérée en élevage et
terme des réseaux d’élevages basés les bénéfices qui peuvent en être reti- Muriel, merci pour l’héritage scien-
sur de la diversité animale et pour rés. Ce cadre conceptuel constitue un tifique que tu nous laisses sur cette
cela qu’elles bénéficient de soutiens outil pour intégrer des connaissances thématique et qui a ouvert de grandes
financiers. produites ou à produire sur la gestion perspectives de recherche.

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Résumé
La biodiversité, et en particulier la diversité animale, est présentée comme un levier prometteur pour la transition agroécologique et la
résilience des systèmes d’élevage. Or, les travaux traitant de cette question sont peu nombreux, récents et épars. Cet article vise à déve-
lopper un cadre conceptuel pour analyser de manière intégrée la diversité animale et ses modalités de gestion à l’échelle des systèmes
d’élevage et à proposer des pistes de recherche pour y contribuer. Ce cadre est structuré en quatre composantes : i) les formes que recouvre
la diversité animale, ii) les niveaux organisationnel et temporel auxquels elle se construit et s’exprime, iii) ses modes de gestion et iv) les
bénéfices retirés par l’éleveur. Quatre études de recherche contrastées en termes de diversité animale analysée ont été revisitées au travers
du cadre conceptuel proposé. Leur relecture et leur analyse transversale montrent l’intérêt d’articuler les quatre composantes du cadre
pour raisonner de manière intégrée la gestion de la diversité animale en élevage afin d’en tirer parti sur le long terme. Elles permettent
aussi d’identifier trois fronts de recherche à investiguer conjointement : affiner la caractérisation de la diversité animale en élevage, mieux
caractériser ses modes de gestion y compris ses déterminants et approfondir l’évaluation des différents bénéfices retirés de sa gestion. Des
pistes d’utilisation du cadre en recherche, en enseignement et dans conseil en élevage sont enfin proposées.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


Gérer la diversité animale dans les systèmes d’élevage : laquelle, comment et pour quels bénéfices ? / 279

Abstract
Managing animal diversity in livestock farming systems: which diversity? Which forms of management
­practices? For which benefits?
Biodiversity, and particularly animal diversity chosen by farmers, is seen as a promising lever for the agroecological transition and the resilience
of livestock farming systems (LFSs). However, there are few researches on it, and when available they are recent and scattered. This paper aims at
developing a conceptual framework to create an integrated view of the management of animal diversity in LFSs and provide some avenues in this
research topic. The framework consists of four interrelated components: the forms of animal diversity, the organizational and temporal levels at
which it is built and takes place, the forms of its management in LFSs and the benefits from its management for the farmers. The framework was
applied on four research studies contrasted in terms of the forms of animal diversity. The crossed case-study analysis showed that articulating
the four components enables to manage in an integrated way the animal diversity in LFSs and take advantage of it in the long term. It revealed
three novel research directions aiming at deepening the characterization of animal diversity, the understanding of its management in LFSs and
the assessment of the various benefits derived from its management. Some avenues for using the framework in research, teaching and advice in
LFS were finally suggested.

MAGNE M.-A., NOZIÈRES-PETIT M.-O., COURNUT S., OLLION É., PUILLET L., RENAUDEAU D., FORTUN-LAMOTHE L., 2019. Gérer la diversité
animale dans les systèmes d’élevage : laquelle, comment et pour quels bénéfices ? In : Numéro spécial. De grands défis et des solutions
pour l’élevage. Baumont R. (Éd). INRA Prod. Anim., 32, 263-280.
https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2496

INRA Productions Animales, 2019, numéro 1


Élevage de précision et bien-être 2019,INRA32 Prod. Anim.,
(2), 281-290

en élevage : la révolution numérique


de l’agriculture permettra-t-elle
de prendre en compte les besoins
des animaux et des éleveurs ?
Isabelle VEISSIER1, Florence KLING-EVEILLARD2, Marie-Madeleine MIALON1, Mathieu SILBERBERG1,
Alice DE BOYER DES ROCHES1, Claudia TERLOUW1, Dorothée LEDOUX1, Bruno MEUNIER1, Nathalie HOSTIOU3
1
Université Clermont Auvergne, INRA, Vetagro Sup, UMR Herbivores, 63122, Saint-Genès-Champanelle, France
2
Institut de l’Élevage, 75595, Paris, France
3
Université Clermont Auvergne, Inra, Irstea, VetAgro Sup, AgroParisTech, UMR Territoires, 63122, Saint-Genès-Champanelle,
France
Courriel : isabelle.veissier@inra.fr

„„ Au XXe siècle, la révolution verte a permis de « rationaliser » l’élevage, en améliorant l’alimentation, le


logement, la sélection et la conduite des animaux sur la base des connaissances scientifiques et techniques.
Toutefois, le point de vue de l’animal a été oublié, conduisant à des situations extrêmes à l’encontre de leur bien-
être. Qu’en sera-t-il avec la révolution numérique ?

Introduction l­ ’espèce (par exemple aliments unique- numérique. Des capteurs sont utilisés
ment liquides pour les veaux de bouche- dans les champs, les bâtiments, sur les
rie), mélanges répétés d’animaux selon animaux pour contrôler de nombreux
Au cours de la seconde moitié du leur potentiel de production entrainant paramètres afin d’ajuster finement la
XXe siècle, la révolution verte a pro- une instabilité sociale, des agressions conduite de l’exploitation (Guarino et
fondément modifié l’agriculture, dont et un stress chronique, etc. Ces éle- Berckmans, 2015). On parle d’Élevage
l’élevage. L’alimentation, le logement vages, dits « industriels » ont fait l’ob- de Précision (EdP) (en anglais « Precision
et la conduite des animaux ont été jet de multiples critiques, par exemple Livestock Farming » ou encore « Smart
profondément remodelés et rationa- dans le livre « Animal machines » de Farming ») qui se définit par l’utilisation
lisés, c’est-à-dire améliorés sur la base Ruth Harrison en 1964 (van de Weerd coordonnée de capteurs (environne-
des connaissances scientifiques et tech- et Sandilands, 2008) ou le rapport mentaux ou embarqués sur l’animal)
niques disponibles. Le phénotype de Brambell en 1965 (Brambell, 1965). Ces et de techniques de l’information et
l’animal a été fortement modifié sous critiques ont incité les pouvoirs publics de communication dans le but d’aider
l’effet d’une sélection génétique forte- et les instances européennes à formuler l’éleveur à piloter son élevage, en anti-
ment axée sur les caractères de produc- des accords entre pays (Conventions et cipant certaines situations qui pour-
tion (croissance, production laitière…). Recommandations du Conseil de l’Eu- raient devenir critiques pour un animal
Toutefois, le point de vue de l’animal a rope) et à adopter des directives par donné ou pour l’ensemble de l’élevage.
été oublié, conduisant à des situations l’Union Européenne pour que les ani- L’élevage de précision se développe
extrêmes qui ont un impact défavo- maux soient protégés dans les élevages, dans les fermes. Ainsi en 2015, 67 %
rable sur son comportement et son au cours de leur transport ou à l’abat- des élevages de plus de 50 vaches lai-
bien-être : sol complet en caillebotis tage (Veissier et al., 2008). tières du Grand-Ouest français étaient
réduisant le confort de repos, aliments équipés d’au moins un objet connecté
ne permettant pas l’expression de com- Nous assistons maintenant à une nou- (Idele, 2015). Il concerne surtout les
portements ­a limentaires propres à velle révolution agricole : la révolution grandes fermes.

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2478 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


282 / Isabelle veissier et al.

Les techniques de l’EdP ont été déve- cinq libertés sont couvertes (Farm Animal ­ éveloppés pour l’aide à la détection
d
loppées essentiellement pour augmen- Welfare Council, 1992) : des chaleurs (Saint-Dizier et Chastant-
ter la rentabilité des élevages et réduire Maillard, 2018), sont basés sur la détec-
la charge de travail en appliquant des i) ne pas souffrir de la faim ou de la tion des activités des animaux : c’est
systèmes automatiques pour surveiller soif – grâce à un accès à une nourriture parce qu’un animal est détecté hyperac-
– et parfois contrôler – les animaux et adéquate et à de l’eau fraîche assurant la tif que l’on détectera un œstrus ou au
leur environnement. Certains systèmes bonne santé et la vigueur des animaux ; contraire parce qu’il est hypoactif que
permettent de détecter l’œstrus d’une l’on suspectera un problème de santé.
femelle et de l’inséminer au moment ii) ne pas souffrir d’inconfort – grâce Grâce à des accéléromètres, il est pos-
le plus opportun pour maximiser les à un environnement approprié com- sible de savoir si un animal marche, s’il
chances de fécondation, d’autres per- portant des abris et une aire de repos est debout ou couché (bovins : Benaissa
mettent de détecter une boiterie à un confortable ; et al., 2017 ; ovins : Barwick et al., 2018 ;
stade précoce ou un déséquilibre de volailles : Casey-Trott et Widowski, 2018).
l’état nutritionnel ou encore des para- iii) ne pas souffrir de douleurs, de L’activité d’un animal peut également
mètres d’ambiance anormaux dans une blessures ou de maladies – grâce à la être déduite de sa position grâce aux
étable (température ou humidité éle- prévention ou au diagnostic rapide et systèmes de localisation en temps réel :
vées, forte teneur en gaz carbonique…) au traitement en cas de problème ; un animal à côté de l’auge est considéré
et peuvent aider à prendre des mesures comme en train de manger, il est consi-
correctives rapidement. iv) pouvoir exprimer les compor- déré au repos s’il est dans l’aire de cou-
tements naturels propres à l’espèce chage, et s’il est en dehors de l’aire de
Les avantages des outils de l’EdP sont – grâce à un espace suffisant, un envi- repos il peut être vu en déplacement ou
le suivi en continu et sans l’intervention ronnement approprié aux besoins debout immobile (par exemple avec le
de l’Homme, la détection des anoma- des animaux, et le contact d’autres système CowView commercialisé par la
lies via le développement d’algorithmes congénères ; société GEA). En particulier, le compor-
(comparaison des valeurs anormales tement alimentaire est détecté par les
par rapport aux valeurs habituelles de v) ne pas éprouver de peur ou de outils de l’EdP. Chez les ruminants il est
l’animal ou en référence à des normes détresse – grâce à des conditions d’éle- possible de distinguer l’activité d’inges-
calculées par ailleurs) et l’alerte à l’éle- vage et des pratiques n’induisant pas de tion et de rumination (Giovanetti et al.,
veur en temps réel ou presque afin de souffrances psychologiques. 2016 ; Andriamandroso et al., 2017). Or,
l’aider à prendre les décisions quant à la les animaux malades passent généra-
conduite de son élevage. Dans certains En matière de bien-être, au-delà de lement, moins de temps à manger (et
cas, ces outils sont reliés à des systèmes l’état physique de l’animal, son état mangent moins) que les animaux sains,
mécaniques qu’ils vont activer pour mental est primordial, c’est-à-dire ce et ils passent également plus de temps
corriger l’anomalie : mise en route de qu’il ressent (Duncan, 2002). Dans cet au repos (Borderas et al., 2009 ; De Boyer
ventilateurs si la température dans un article nous discuterons comment l’éle- Des Roches et al., 2017). Chez les rumi-
bâtiment est excessive par exemple. vage de précision peut aider à respec- nants, la rumination est très sensible
ter ces libertés, au-delà de la simple aux troubles de santé. Ainsi le temps
La dématérialisation du suivi de l’éle- détection des problèmes de santé et les passé à ruminer diminue chez les bovins
vage par les techniques de l’EdP peut conséquences sur le travail de l’éleveur malades (Stangaferro et al., 2016a ;
être considérée par le citoyen comme notamment dans sa relation à l’animal. Stangaferro et al., 2016b ; Stangaferro
une industrialisation excessive des pro- et al., 2016c ; Steensels et al., 2017). Ce
ductions animales, laissant peu de place sont ces variations de comportement
à l’animal en tant qu’être sensible, en
1. L’élevage de précision qui sont généralement utilisées dans
interaction avec son environnement, y pour mieux prédire les outils d’élevage de précision pour
compris l’éleveur. Toutefois, les données la santé et le bien-être alerter l’éleveur en cas de problème (ou
générées par des capteurs de l’EdP pour- des animaux grâce avertir d’un problème).
raient fournir des informations cruciales aux données
pour surveiller et améliorer le bien-être de comportement D’autres modifications comporte-
des animaux. Notamment, les troubles mentales, potentiellement détectables
de santé sont un enjeu majeur pour le avec les capteurs de l’EdP, peuvent être
bien-être animal. Les détecter précoce- Plusieurs systèmes d’EdP (tableau 1) observées en cas de maladie. Ainsi un
ment et suivre leur évolution font partie sont proposés afin de détecter préco- animal malade a tendance à s’isoler de
de la gestion du bien-être en élevage, cement les troubles de santé, ceux-ci ses congénères, ce qui est interprété
en permettant d’adapter le traitement ayant des répercussions économiques comme un moyen de limiter la pro-
et ainsi limiter les souffrances. importantes (Steensels et al., 2016 ; pagation des maladies. Les activités de
Steensels et al., 2017). jeux, particulièrement présentes chez
Néanmoins, le bien-être d’un animal ne les jeunes animaux (jeux de contact
se limite pas à sa bonne santé p­ hysique. Chez les bovins, les dispositifs avec des objets, jeux locomoteurs avec
Il est souvent vérifié en ­s’assurant que d’élevage de précision – initialement l’animal qui sautille…) et le toilettage

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Élevage de précision et bien-être en élevage : la révolution numérique de l’agriculture… / 283

Tableau 1. Dispositifs de l’élevage de précision et utilisation possible pour le bien-être animal.

Perspectives
Capteurs Espèce Informations mesurées Références
pour le bien-être animal

Temps passé à réaliser


Meunier et al., 2018
un comportement
Géolocalisation
en temps réel
Proximité entre congénères :
Rocha et al., 2019
BV relations préférentielles

Niveau d’activité
Benaissa et al., 2017 Pouvoir exprimer
Posture debout/couché les comportements propre
à l’espèce
Niveau d’activité
OV Barwick et al., 2018
Posture debout/couché

Niveau d’activité
Casey-Trott et Widowski,
Vol
Accéléromètre 2018
Posture debout/couché

Giovanetti et al., 2016


Ne pas souffrir de la faim
Ru Ingestion et rumination
ou de la soif
Andriamandroso et al., 2017

De Boyer des Roches


Ingestion et rumination
et al., 2017

BV
Niveau d’activité
Stangaferro et al.,
2016a, b, c.
Microphone Rumination

Géolocalisation Modification du rythme


Veissier et al., 2017
en temps réel journalier d’activité
BV
Ne pas souffrir
pH mètre intra-ruminal Niveau de pH du rumen Villot et al., 2017 de douleurs, de blessures
ou de maladies
Accéléromètres Activité

Microphone Rumination

Compteur à lait BV Niveau de production laitière Steensels et al., 2016

Puce de radio-identification Visite au robot de traite

Balance corporelle Variation du poids vif

OV Expression faciale Lu et al., 2017


Caméra vidéo
Ne pas souffrir de peur
Interactions agonistiques Lee et al., 2016
ou de détresse
PC
Microphone Vocalisation Cordeiro et al., 2018

BV : bovin ; OV : Ovin ; Vol : volaille ; Ru : Ruminant ; PC : Porcin.

(animal se léchant) sont souvent dimi- c­ hangements dans le rythme journa- Les animaux peuvent aussi devenir
nués lors d’épisodes de douleur ou de lier d’activité semblent également des plus « irritables » lors de certaines mala-
fièvre (Mintline et al., 2013 ; Mandel signes précoces de maladies (Veissier dies. Ainsi, l’acidose ruminale subaiguë,
et al., 2017 ; Mandel et al., 2018). Les et al., 1989, 2017). maladie nutritionnelle le plus souvent

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


284 / Isabelle veissier et al.

présente chez les ruminants à fort ­ roblèmes et également une évaluation


p en vérifiant que les animaux ne sont
potentiel de production, due à une dimi- des expériences positives des animaux. pas malades, blessés ou stressés. Or
nution du pH du contenu ruminal, est En outre, les mesures de ces indicateurs le bien-être implique non seulement
difficile à détecter du fait de l’absence précoces de bonne santé permettent l’absence de souffrance, mais aussi
de signe clinique spécifique. Or elle se une surveillance des animaux sans les la possibilité d’avoir des expériences
traduit par des modifications du com- perturber par un examen rapproché. positives (Wathes et al., 2013). Outre
portement des animaux : diminution du la satisfaction de leurs besoins de base
temps passé à manger ou à ruminer et Certains comportements délétères (nourriture, aire de repos, confort ther-
aussi hyper- réactivité face à des stimuli comme le picage des plumes chez les mique…) les animaux sont motivés
extérieurs et agressivité entre congé- volailles et les morsures de queues chez pour exprimer une large gamme de
nères (Commun et al., 2012). Des outils les cochons peuvent avoir des consé- comportements : exploration de l’en-
d’élevage de précision permettent d’en- quences désastreuses : blessures ouvertes vironnement, toilettage, manipulation
visager l’utilisation conjointe de bolus voire cannibalisme. Ces comportements d’objets (Martin et Bateson, 1985),
intra-ruminaux pour un suivi en temps ont une origine multifactorielle : taille contacts positifs entre congénères
réel du pH du rumen (Villot et al., 2017) des groupes et densité élevées, sols en (flairage, jeu de tête…) (Bouissou et
et d’autres capteurs traçant l’activité caillebotis, environnements pauvres, etc. al., 2001). Les contacts positifs sont à
des animaux afin d’améliorer la détec- Le picage chez les poules pourrait être l’origine de relations préférentielles
tion précoce de l’acidose (Silberberg et détecté par analyse d’image, en identi- durables avec leurs congénères fami-
al., 2017). Ces changements reflètent le fiant les pertes de plumes ou le sang de liers qui apportent un « soutien social »,
malaise ressenti par l’animal en raison blessures, de même chez les porcs pour par la diminution du stress dans des
de la maladie qui affecte les motivations les morsures de la queue. Ce type de situations perturbantes (Mounier et al.,
d’un comportement (Aubert, 1999). technique a déjà été mis au point pour 2006 ; Raussi et al., 2010 ; Rault, 2012).
détecter les lésions des pattes chez les
Plus généralement, les changements volailles au moment de l’abattage (com- Les outils de l’EdP (tableau 1) pour-
dans le comportement peuvent indiquer mercialisé par la société Meyn). Des outils raient fournir des informations sur le
l’état mental d’un animal. À l’instar d’une similaires pourraient être développés en fonctionnement des groupes sociaux,
maladie, le stress influence le comporte- élevage et limiter ainsi ces comporte- les animaux de production appartenant
ment. Des animaux stressés chronique- ments délétères. à des espèces grégaires. En particulier
ment peuvent devenir hyper réactifs dans les espèces qui à l’état naturel
(Boissy et al., 2001) ou au contraire apa- Ces recherches doivent être approfon- vivent en grands groupes (comme les
thiques (Broom, 1987), c’est-à-dire réa- dies afin d’utiliser au mieux les outils d’éle- bovins, les ovins et les caprins), les rela-
gir de manière exagérée ou au contraire vage de précision actuels pour assurer le tions entre les animaux sont régies par
ne pas réagir à un événement extérieur bien-être des animaux, voire développer des relations de dominance-subordina-
selon l’évaluation qu’ils font de leur pos- des outils spécifiques pour la détection tion et par des liens préférentiels. Dans
sibilité d’action sur cet événement. C’est des blessures en ferme par exemple. Dans des groupes instables, les relations de
pourquoi, au-delà de la détection de la les systèmes d’élevage plus extensifs en dominance-subordination sont sou-
maladie, l’élevage de précision pourrait plein-air type pastoralisme avec un grand vent prépondérantes, conduisant à
servir à évaluer le niveau de mal-être nombre d’animaux sur de grandes sur- une augmentation de la fréquence des
induit par cette maladie, à condition faces et peu de main-d’œuvre, les outils agressions entre les animaux. Ces agres-
que les modifications subtiles des com- de l’EdP devraient apporter une aide sions peuvent être détectées grâce aux
portements soient intégrées dans les précieuse aux éleveurs pour notamment systèmes de l’EdP. Par exemple, chez
systèmes de décision. Des travaux sont retrouver un animal isolé et potentielle- les porcs, les contacts tête-à-tête, les
conduits pour enrichir les outils actuels ment malade. Cependant des questions coups et les poursuites peuvent être
de l’EdP afin de prendre en compte le pratiques telle que l’acheminement et le détectés par des analyses d’image (Lee
rythme d’activité, le toilettage ou encore stockage des données, l’autonomie en et al., 2016). Les relations préférentielles
la réaction des animaux à l’approche énergie des dispositifs embarqués et le entre des animaux se traduisent par des
d’un observateur (Johansson et al., 2015 ; coût des capteurs sont encore particuliè- individus qui restent à proximité les uns
Veissier et al., 2017 ; Meunier et al., 2018).  rement critiques (Bocquier et al., 2014). des autres, échangent des interactions
positives et synchronisent leurs acti-
En complément aux altérations com- vités (Veissier et al., 1990). L’équilibre
portementales connues comme étant
2. L’élevage de précision entre les interactions agressives vs
associées aux maladies des animaux pour suivre l’expression positives, la proximité et la synchro-
(comportement alimentaire, activité du répertoire nisation des activités informent sur la
physique), l’EdP pourrait alors donner comportemental cohésion du groupe animal. À l’heure
accès à de nouveaux indicateurs diffi- des animaux actuelle, ces éléments sont difficile-
cilement observables par les éleveurs ment accessibles aux éleveurs car ils
(activités de jeu, expressions faciales, demandent des observations lourdes ;
rythmes d’activité…). Ceux-ci per- À l’heure actuelle, le bien-être des ani- seuls des cas extrêmes d’agressivité
mettraient une détection précoce des maux est souvent évalué ­partiellement sont facilement détectables lors d’ob-

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Élevage de précision et bien-être en élevage : la révolution numérique de l’agriculture… / 285

servations de routine des troupeaux. tressaillements épidermiques (Costa 4. L’élevage de précision


Une détection par des outils de l’EdP et al., 2014 ; Hausberger et al., 2016). À et les relations Homme-
semble possible en se basant sur des l’heure actuelle cette connaissance est animal
analyses d’image pour la détection des peu utilisée en élevage, sauf lorsque
interactions, sur la localisation des ani- l’éleveur détecte lui-même ce genre d’ex-
maux pour évaluer leur proximité, ou pression grâce à son expérience des ani- La relation Homme-animal se
encore sur leur activité pour évaluer la maux et une connaissance précise de ses construit quotidiennement dans les
synchronisation (voir exemples précé- propres animaux. Cependant, certaines interactions entre l’éleveur et ses ani-
demment). Cela nécessite de dévelop- espèces de type proie peuvent minimi- maux. C’est un enjeu important pour la
per des algorithmes spécifiques pour ser ou masquer des signes de douleur en sécurité de l’éleveur, sa facilité à travail-
les intégrer aux outils existants ou en présence d’un prédateur ou de l’Homme ler avec les animaux, et également pour
développer de nouveaux. Ainsi, dans un (Ashley et al., 2005), ce qui peut rendre sa motivation pour le métier et le plaisir
article récent (Rocha et al., 2019), nous difficile la détection par observation en à travailler au contact des animaux. En
montrons qu’un système de positionne- direct. Récemment, des chercheurs ont outre, la relation Homme-animal contri-
ment peut servir à détecter les relations développé des algorithmes d’analyse bue au bien-être de l’animal (Boivin et
préférentielles et les changements dans d’images afin de détecter la douleur au al., 2003). Si cette relation est bonne,
la cohésion de groupe, lorsque les ani- travers des expressions faciales de mou- elle se traduit par des comportements
maux sont mélangés. tons (Lu et al., 2017, tableau 1). Pour le de confiance et d’approche vis-à-vis de
moment, les émotions positives sont l’Homme et si elle est dégradée, par des
De même, selon l’espèce considérée, peu abordées. Par ailleurs, les analyses comportements de peur et d’évitement.
l’utilisation de brosses pour le toilet- d’image ne semblent pas le seul moyen
tage, la manipulation d’objets, l’explo- d’exploration ; les sons émis par les ani- La relation Homme-animal pourrait
ration de l’environnement, l’accès au maux peuvent aussi nous renseigner être mise à mal par les outils de l’EdP
pâturage ou à un parcours pourraient sur leur état. Ainsi des rats émettent qui modifient l’approche de l’animal. En
être suivis par des outils de l’EdP. On des ultrasons spécifiques lorsqu’on les effet, en fournissant des informations
peut ainsi imaginer de détecter le pas- chatouille, signant vraisemblablement en continu à l’éleveur sur ses animaux,
sage des animaux à proximité de ces un état de plaisir (Panksepp et Burgdorf, les capteurs risquent de restreindre le
éléments et de les identifier grâce à une 2003), les brebis émettent des bêle- contact physique et donc les liens aux
identification électronique. ments bas au contact de leurs agneaux, animaux. Ceci est encore plus vrai si les
et à l’inverse des cris de détresse sont capteurs sont associés à des automates
facilement reconnaissables dans bon remplaçant le travail quotidien de l’éle-
3. Les outils de l’élevage nombre d’espèces telles que le porc veur, robot de traite ou distributeur
de précision pour décrire (Cordeiro et al., 2018). d’aliment, qui permettaient jusqu’alors
les émotions des animaux de renforcer le lien Homme-animal. En
L’étude des émotions des animaux et effet, les occasions d’observer directe-
les nouveaux moyens d’analyse (image, ment les animaux, leur comportement,
Les attentes sociétales en matière son…) ouvrent des pistes pour détecter leur santé et leur bien-être peuvent se
de bien-être des animaux résultent de et mieux gérer la douleur et les autres réduire (Cornou, 2009). Or ces occasions
la reconnaissance de la sensibilité de émotions en élevage. Les dispositifs permettent à l’éleveur et aux animaux
ceux-ci (Anonyme, 1997). Cela signifie actuels d’EdP commercialisés (en parti- de mieux se connaître. Une peur chez
qu’ils sont capables de ressentir des culier ceux utilisant des accéléromètres l’animal face à l’Homme pourrait alors
émotions : peur, colère, frustration, joie, ou le positionnement des animaux, plus facilement s’installer, d’autant plus
contentement, etc. (Veissier et al., 2009). tableau 1) devraient être affinés par le chez les animaux d’un tempérament
Les émotions peuvent être détectées développement d’algorithmes spéci- peureux (Boivin et al., 2012).
au travers des expressions faciales chez fiques pour extraire des informations
l’Homme. Il en est de même chez les propres au bien-être animal. D’autres Quand les éleveurs parlent d’obser-
animaux bien que ce domaine ait été dispositifs basés sur la reconnaissance vation, ils évoquent, soit le temps passé
peu exploré jusqu’à présent (Descovich d’image devraient voir le jour. Pour cela parmi les animaux, soit la consultation
et al., 2017). Ainsi les postures d’oreilles des collaborations sont nécessaires des informations sur l’ordinateur. La
des moutons peuvent renseigner sur entre ingénieurs développeurs d’ou- distinction entre ces deux types d’ob-
leur état de surprise, peur ou colère tils et d’applications et biologistes – en servation n’est pas toujours faite, ainsi
(Boissy et al., 2011). La douleur induit particulier des éthologues – pour déve- « observer les animaux » peut devenir
des changements caractéristiques dans lopper des algorithmes appropriés afin « regarder l’écran » (Kling-Eveillard et
les postures et l’expression faciale des de détecter les anomalies vs des signes Hostiou, 2017). Une étude, conduite en
animaux. Par exemple, les chevaux positifs de bien-être animal, calculer Bretagne auprès de 25 éleveurs ayant
adoptent des postures particulières des seuils d’alerte ou des indicateurs des vaches laitières, des truies gestantes
lorsqu’ils souffrent : encolure horizon- (résumant la situation sur une période ou des poulets de chair a montré que les
tale, œil fermé, tensions musculaires des de temps donnée) ou encore produire moments d’observation des animaux
joues, au-dessus des yeux et des nasaux, une évaluation globale. ont changé car seuls quelques éleveurs

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


286 / Isabelle veissier et al.

(5 sur 25, dont 4 femmes) disent regar- ces connaissances supplémentaires ne les ovins, les volailles et les porcs et
der d’abord les animaux le matin en concernent pas tous les animaux, et l’étourdis­sement au gaz utilisé pour les
démarrant leur activité, alors que tous les éleveurs ne considèrent pas mieux porcs et les volailles. À la différence de
les autres commencent par regarder connaitre les animaux qui n’ont pas de la tige perforante et l’électronarcose,
l’ordinateur et les alertes du jour (Kling- problèmes, certains les qualifient d’ail- l’étourdis­sement au gaz n’induit pas
Eveillard et Hostiou, 2017). Cependant, leurs d’« invisibles » puisqu’ils ne sont la l’inconscience de manière instantanée.
tous les éleveurs ne délèguent pas les cause d’aucune alerte.
décisions aux outils. Nombreux sont Il est essentiel d’utiliser plusieurs
ceux qui associent données fournies par Ce recours aux capteurs peut aussi se indicateurs pour vérifier la perte de
le capteur et observations directes : par traduire par une diminution de l’usage conscience avant la saignée. À la suite
exemple, dans l’étude citée plus haut, de l’« œil de l’éleveur » et une confiance de l’étourdissement par tige perforante
des aviculteurs pèsent un échantillon « aveugle » dans les données produites ou par gaz de l’animal, la perte de la
de poulets de chair manuellement en par l’outil pour la prise de décision. posture debout associée à l’absence de
complément du peson automatique et L’élevage de Précision entraîne un chan- tentatives de redressement, l’absence
la plupart des éleveurs laitiers vérifient gement de nature du métier d’éleveur de mouvements oculaires et de réflexe
visuellement que la vache désignée par avec l’acquisition de nouvelles compé- cornéen (fermeture de la paupière lors-
le détecteur comme étant en chaleurs tences mais parfois également la perte qu’on effleure la cornée) ainsi que de
l’est bien avant d’appeler l’inséminateur. de compétences « traditionnelles » la respiration rythmique indiquent un
Une autre étude a montré que seuls et peut se traduire pour certains éle- dysfonctionnement généralisé du tronc
15 % des éleveurs laitiers déléguaient veurs par une démotivation vis-à-vis cérébral et par conséquent, une perte
entièrement la décision d’inséminer du métier et de la relation aux animaux de conscience (Terlouw et al., 2016b ;
au détecteur (Disenhaus et al., 2016). (Cornou, 2009). tableau 2). En revanche, immédiate-
Des situations nouvelles et favorables ment après l’électronarcose, à cause
à des interactions positives peuvent se des phases de mouvements toniques
mettre en place et fournir à l’éleveur
5. Le cas particulier et cloniques qu’elle induit, certains
des occasions d’observer les animaux de l’abattage signes sont difficiles à évaluer. Dans
et de compléter les informations col- ce cas, la perte de la posture debout
lectées par les capteurs. Certains éle- associée à l’absence de tentatives de
veurs réinvestissent le temps libéré par Au moment de l’abattage, l’étour- redressement et la présence d’un état
l’automatisation dans l’observation et dissement doit induire un état d’in- tonique durant au moins 10 secondes
la présence auprès des animaux, le fait conscience qui dure jusqu’à ce que la indiquent qu’une quantité suffisante
de côtoyer leurs animaux contribuant mort soit provoquée par la saignée. La d’électricité a traversé le cerveau et
à améliorer la relation Homme-animal. conscience peut être décrite comme que l’animal est inconscient, bien que
« un état d’esprit dans lequel il existe une la conscience puisse revenir si l’ani-
Les relations entre les éleveurs et connaissance de sa propre existence et mal n’est pas saigné rapidement. Au
leurs animaux sont diverses entre les de l’existence de son environnement » contraire, la posture debout, des tenta-
exploitations. Des profils d’éleveurs (Damasio, 2010). Les mammifères et les tives de redressement, des réflexes ocu-
caractérisés par un rapport au métier oiseaux sont capables d’expériences laires, la respiration ou la vocalisation
et à l’animal différents ont été identi- conscientes (Le Neindre et al., 2018). suggèrent un état de conscience ou de
fiés et s’avèrent associés à des pratiques Le bon fonctionnement du cortex est retour de conscience quelle que soit la
et des représentations de l’élevage de nécessaire pour connaître, comprendre technique utilisée (tableau 2 ; Terlouw
précision différentes (Kling-Eveillard et et donner un sens à ce qui est perçu, et al., 2016b). Des pédalages sont sou-
Hostiou, 2017). Ainsi, certains éleveurs pour avoir une perception consciente vent observés après l’étourdissement.
apprécient particulièrement la moder- de l’environnement et de soi (Crick et Leur simple présence n’est pas indica-
nité du métier apportée par l’élevage de Koch, 1995 ; Laureys, 2005). Lorsqu’il est trice d’un mauvais étourdissement car il
précision et disent également consulter réalisé correctement, l’étourdissement s’agit de mouvements réflexes (Terlouw
d’abord l’ordinateur le matin, tandis que réduit fortement l’activité électrique et al., 2015). En revanche, des mouve-
d’autres éleveurs sont moins intéressés du cortex voire l’annule (Newhook et ments similaires volontaires impliquent
par ces aspects mais expriment leur Blackmore, 1982 ; Raj et al., 2006). Par le cortex cérébral et sont donc indica-
satisfaction de mieux connaître leurs conséquent, le cortex ne traite plus les teurs de conscience, mais comme les
animaux individuellement depuis l’in- informations venant du corps ou de l’en- deux types de mouvements se res-
troduction de l’EdP. Le recours à des vironnement et l’animal est inconscient. semblent, il est difficile de les discrimi-
capteurs facilite le travail des éleveurs ner en routine (Terlouw et al., 2016b).
avec ses animaux. Dans l’enquête citée Différentes techniques permettent
précédemment, la majorité des éle- d’étourdir les animaux (Terlouw et Les outils de l’EdP pourraient être utili-
veurs laitiers et porcins qui ont accès al., 2016a) : le pistolet à tige perfo- sés en complément du contrôle humain
à des informations individuelles disent rante utilisé pour toutes les espèces, pour évaluer le niveau de conscience.
mieux connaître les animaux « à pro- l’électronarcose ou l’étourdissement Un tel système, basé sur l’induction
blèmes », signalés par une alerte. Mais électrique utilisé principalement chez d’un possible réflexe ­cornéen au moyen

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Élevage de précision et bien-être en élevage : la révolution numérique de l’agriculture… / 287

Tableau 2. Indicateurs pour évaluer l’état de conscience ou d’inconscience après D’autre part, des guides de contrôles
l’application de différentes techniques d’étourdissement. de l’étourdissement définissent des
seuils au-delà duquel on doit conclure
Indicateur Interprétation Technique à une dérive du procédé, qui sans ce
suivi ne serait détectée qu’au moment
Tige perforante d’un échec d’étourdissement. Les ins-
truments et techniques utilisés pour
Absence de posture l’étourdissement sont alors inspectés
Electronarcose
debout et améliorés pour prévenir ces échecs.
Gaz Des outils informatiques en ligne per-
mettraient d’affiner cette démarche.
Inconscience Tige perforante
Absence de réflexes
oculaires Conclusion
Gaz et perspectives
Tige perforante
Absence de respiration
Gaz Les techniques d’EdP offrent un large
éventail de possibilités d’utiliser les
Tige perforante signes comportementaux des animaux
pour suivre leur état de bien-être, qu’il
Présence de réflexes s’agisse de leur santé, des relations
Electronarcose
oculaires
sociales, de la relation Homme-animal
Risque de conscience Gaz ou plus généralement de stress liés à
ou de retour des événements ou un environnement
de conscience Tige perforante contraignant. De plus, l’enregistrement
en continu des troubles de bien-être
Présence de respiration Electronarcose (de santé ou autres) ou des étourdis-
sements défectueux avant abattage
Gaz permet d’obtenir une vue d’ensemble
de leur fréquence et gravité pour une
Tige perforante ferme ou un abattoir, afin que des
plans de correction soient décidés et
Posture debout Electronarcose mis en œuvre pour améliorer la situa-
tion dans le futur. En parallèle, ces
Gaz outils contribueraient au bien-être de
l’éleveur dans sa satisfaction d’avoir
Tige perforante des animaux qui vont bien (détection
Tentatives coordonnées précoce des maladies, expression de
et orientées Conscience Electronarcose comportement propre à l’espèce…),
de redressement
dans la réalisation de son travail d’éle-
Gaz veur (sécurité dans la manipulation
des animaux, diminution de certaines
Tige perforante contraintes de son métier, relation
positive avec ses animaux…).
Vocalisations Electronarcose
Toutefois, utiliser des outils d’EdP
Gaz
n’implique pas que le bien-être des
animaux et des éleveurs seront néces-
sairement assurés :
de jets d’air et l’analyse d’images pour décision de ré-étourdir immédiatement
vérifier l’absence de clignement de un animal lorsqu’il y a un doute sur son i) le bien-être des animaux est un
l’œil est en cours de développement1. état d’inconscience. concept holistique : tous les aspects
Cet outil assistera les opérateurs dans la doivent être couverts et on ne peut se
Des guides de bonnes pratiques en contenter d’un outil contrôlant un seul
matière de protection des animaux for- aspect (par exemple la bonne alimenta-
1  http://www.web-agri.fr/conduite-elevage/
sante -animale/ar ticle/cet-automatique -
malisent les procédés à suivre lors de tion ou la bonne santé) pour prétendre
controle-l-etourdissement-des-animaux-en- l’abattage (collaborations Instituts tech- assurer le bien-être d’un animal dans sa
abattoir-1184-139390.html niques, Inra, Ministère de l’agriculture). globalité ;

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


288 / Isabelle veissier et al.

ii) l’EdP peut aider les éleveurs à Il est à prévoir que ces outils se loin, on ­pourrait imaginer une réduc-
détecter des anomalies et identifier les diversifient et se démocratisent. tion drastique des contacts Homme-
environnements inadéquats mais les Reste à savoir s’il s’agira d’une ins- animaux, ces derniers n’ayant plus
solutions restent à mettre en place pour trumentation des animaux pour tou- besoin de l’éleveur pour la plupart
remédier aux problèmes ; jours plus de profit, au risque qu’ils des tâches quotidiennes et pouvant
deviennent des machines comme exprimer plus librement leur réper-
iii) l’EdP doit être intégré aux pro- le dénonçait Ruth Harrison (van de toire comportemental.
cédures de gestion de l’élevage. Il Weerd et Sandilands, 2008), ou au
implique une nouvelle façon de tra- contraire d’une individualisation du Espérons donc que les animaux ne
vailler et d’organiser le temps de travail soin de l’animal : ration alimentaire seront pas une nouvelle fois oubliés
libéré qui ne doit pas conduire à un adaptée à l’individu, confort indivi- mais que leur bien-être et celui de leurs
manque d’intérêt envers les animaux. dualisé, suivi individuel de la santé, éleveurs seront une préoccupation cen-
Au contraire, l’animal devra rester au suivi de leurs émotions et de leur trale dans cette nouvelle révolution de
centre des préoccupations. état de conscience. En allant plus l’agriculture.

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Résumé
Les techniques d’élevage de précision ont été développées essentiellement pour augmenter la rentabilité et réduire la charge de travail
en appliquant des processus automatiques de surveillance des animaux et de leur environnement. Par exemple, la détection de l’œstrus
permet une insémination rapide, tandis que la détection des boiteries à un stade précoce ou d’un déséquilibre nutritionnel ou même des
paramètres d’ambiance anormaux dans l’étable peuvent aider à prendre des mesures correctives rapidement. Les données générées par les
capteurs pourraient également contribuer au bien-être des animaux. Un système détectant les problèmes de santé (par exemple, mammite

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


290 / Isabelle veissier et al.

ou cétose chez les vaches laitières) peut faire partie de la gestion du bien-être. En plus et surtout, certains dispositifs de l’élevage de précision
sont basés sur la détection du comportement animal directement ou indirectement par la position des animaux : temps passé à se nourrir,
ruminer, se reposer, marcher, etc. Des changements subtils de comportement peuvent indiquer l’état mental d’un animal : hyper-réactivité
vs apathie, isolement social, modification du rythme quotidien d’activité, réduction du comportement de jeu ou du toilettage, hyper-agres-
sivité. Ces changements peuvent être autant de signes de malaise dus à la maladie, au stress, à l’instabilité sociale, etc. Ainsi les techniques
de l’élevage de précision offrent un large éventail de possibilités d’utiliser des signes de comportement animal pour aborder le bien-être
dans des élevages modernes, qu’il s’agisse du bien-être lié à l’état de santé, aux relations sociales, aux relations Homme-animal ou à un
environnement quelconque stressant. À l’heure actuelle, ces possibilités sont peu explorées. Par ailleurs, l’élevage de précision modifie le
travail des agriculteurs et potentiellement leurs interactions avec les animaux. Il est nécessaire que les animaux restent au centre de l’at-
tention si l’on veut respecter leur bien-être et ce en harmonie avec celui de l’éleveur.

Abstract
Precision Livestock Farming and animal welfare: is the numerical revolution of agriculture able to take into
account animals’ and farmers’ needs?
Precision Livestock Farming techniques have been developed essentially to increase profitability and reduce workload by applying automatic
processes to monitor animals and their environment. For instance detecting oestrus allows timely insemination, while detecting lameness at an
early stage or imbalance in the nutritional status or even abnormal ambiance parameters in the barn can help take remedial actions quickly.
The data generated by Precision Livestock Farming sensors could also support animal welfare. A system detecting health problems (e.g. mastitis,
ketosis in dairy cows) can be part of welfare management. In addition and maybe more importantly, some Precision Livestock Farming devices are
based on animal behaviour detection directly, or indirectly through the position of animals: time spent feeding, ruminating, resting, walking, etc.
Subtle changes in behaviour can indicate the mental state of an animal hyper-reactivity vs. apathy, social isolation, changes in the daily rhythm
of activity, reduction in play behaviour and grooming, hyper-agressivity. These changes can be all signs of malaise due to disease, stress, social
instability, etc. We argue that Precision Livestock Farming techniques offer a wide range of possibilities to use animal behavioural signs to address
animal welfare in modern livestock farming, be the welfare related to health status, social relations, human-animal relationship or more general
effects of a stressful environment. At present, these possibilities have been little explored, and they deserve more research. In addition, the use of
Precision Livestock Farming is changing farmers’ work and potentially their interactions with animals. It is necessary that the animals remain at
the centre of attention if one wants to address adequately their welfare in harmony with the farmer.

VEISSIER I., KLING-EVEILLARD F., MIALON M.-M., SILBERBERG M., DE BOYER DES ROCHES A., TERLOUW C., LEDOUX D., MEUNIER B.,
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INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Évolution de l’usage INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 291-304

des antibiotiques en filières bovines :
état d’avancement et perspectives
Valérie DAVID1, Florence BEAUGRAND2, Émilie GAY3, Jacqueline BASTIEN4, Christian DUCROT5
1
Institut de l’Élevage, 75595, Paris, France
2
BIOEPAR, INRA, Oniris, Université Bretagne Loire, 44307, Nantes, France
3
Université de Lyon, Anses Laboratoire de Lyon, Unité Épidémiologie et appui à la surveillance, 69394, Lyon, France
4
Société nationale des groupements techniques vétérinaires, 75011, Paris, France
5
ASTRE, Université de Montpellier, CIRAD, INRA, 34988, Montpellier, France
Courriel : christian.ducrot@inra.fr

„„ La mise en place du plan EcoAntibio visant à réduire les risques d’antibiorésistance a permis une forte
mobilisation des différents partenaires de l’élevage et de la profession agricole dans les filières bovines. Des actions
ont été menées à différentes échelles et des travaux de recherche conduits, notamment en sciences humaines et
sociales. Cet article fait un point sur les avancées et actions en cours, et propose certaines perspectives1.

Introduction dans le cadre du plan EcoAntibio 2017 jeunes broutards), qui se traduisent
(Ministère de l’agriculture, 2016) et l’ob- par des risques importants de maladies
jectif de réduction de 25 % de l’usage infectieuses respiratoires nécessitant
des antibiotiques en 5 ans a été atteint ; l’usage d’antibiotiques.
Le développement des résis- le plan EcoAntibio 2 (2017-2021) encou-
tances aux antibiotiques en méde- rage la poursuite de ces activités pour L’objectif de cet article est de faire le
cine humaine et animale, tant dans pérenniser les efforts réalisés (Ministère point sur l’usage des antibiotiques dans
les pays développés que les pays en de l’agriculture, 2017) et réduire de les filières bovines et son évolution, de
développement, fait peser le risque 50 % l’exposition des animaux de rente présenter les différentes approches
de se trouver, à moyenne échéance, à la colistine, car c’est un antibiotique développées au cours des années pas-
dans une impasse thérapeutique pour de dernier recours pour certaines infec- sées pour faire évoluer cet usage ainsi
le traitement des infections bacté- tions chez l’Homme. que les freins rencontrés et les diffi-
riennes humaines (Zahar et Lesprit, cultés à les lever, puis d’envisager les
2014). Aussi, afin de préserver le bien En filières bovines, il existe diffé- perspectives pour aller plus loin dans
commun que sont les antibiotiques, les rents enjeux liés à l’usage des anti- cette évolution. Sont abordées notam-
instances internationales (WHO, 2016 ; biotiques. La filière laitière est avant ment les approches préventives mises
FAO, 2016 ; OIE, 2016) ont adopté des tout concernée par la question des en œuvre, la rationalisation de l’utilisa-
plans concertés pour optimiser l’usage infections de la mamelle, et viennent tion des antibiotiques et le recours aux
des antibiotiques et promouvoir la ensuite diverses maladies infectieuses alternatives thérapeutiques. Un autre
recherche de solutions préventives ou moins fréquentes. En filière allaitante article sera consacré ultérieurement
alternatives, tant chez l’Homme que et boucherie, un enjeu important aux filières hors sol qui ont conduit des
chez l’animal. concerne la période néonatale (mala- approches particulières pour réduire
dies néonatales) ainsi que les périodes l’usage des antibiotiques, liées aux
En France, sur le versant vétérinaire, un d’allotement d’animaux pour l’engrais- pratiques d’élevage hors sol et à leur
ensemble d’actions ont été ­entreprises sement (que ce soit les veaux ou les organisation.

1  Cet article a fait l’objet d’une présentation aux 24es Journées Rencontres Recherches Ruminants (David et al., 2018).

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2485 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


292 / Valérie david, Florence beaugrand, Émilie gay, Jacqueline BASTIEN, Christian DUCROT

1. État des lieux Figure 1. Évolution de l’ALEA bovins de 1999 à 2016 (d’après Anses, 2017).
de l’usage d’antibiotiques 0,4
dans les élevages bovins
en France 0,35
0,3

„„1.1. Données globales 0,25

ALEA
0,2
Il n’existe pas encore en France de
système national d’enregistrement des 0,15
prescriptions et/ou des délivrances 0,1
d’antibiotiques comme c’est le cas
0,05
au Danemark par exemple (DANMAP,
2016). En revanche, l’Agence Nationale 0

2014/15
1999
2000
2001
2002

2003
2004
2005

2006
2007
2008
2009
2010

2011
2012
2013

2016
du Médicament Vétérinaire (ANMV) de
l’Anses assure un suivi national annuel
des ventes d’antibiotiques depuis
1999 (Anses, 2017). Ces données sont
complétées par des études pharmaco-­
épidémiologiques ponctuelles appor- pour les antibiotiques critiques (cépha- dernières années, cette baisse étant
tant des informations sur des aspects losporines de 3e et 4e générations et plus marquée pour les traitements en
qualitatifs ou quantitatifs de l’usage des fluoroquinolones, dont on a un besoin lactation (figure 2).
antibiotiques. impérieux en santé publique), avec
un léger report sur les familles plus Deux enquêtes en région Auvergne-
Un des points clés dans l’estimation anciennes telles que les aminosides, Rhône-Alpes, menées avec d’autres
de l’usage des antibiotiques est le choix pénicillines et sulfamides. méthodologies, aboutissent à des
des indicateurs. La quantité utilisée (en résultats du même ordre de grandeur.
tonnage) est l’indicateur le plus facile à „„1.2. Données par filière La première enquête, réalisée en 2016
collecter, mais aussi celui qui présente auprès d’élevages laitiers et allaitants
le plus de limites car il ne tient compte Les données de suivi des ventes conventionnés, a obtenu un ALEA de
ni des différences de posologies entre d’antibiotiques ne permettent pas de 0,31 pour les bovins laitiers (en baisse
les différentes molécules ni de la popu- différencier les bovins laitiers et les sur les 4 dernières années) et de 0,21
lation animale traitée. C’est pourtant cet bovins allaitants pour les traitements pour les bovins allaitants (stable sur
indicateur qui est utilisé à l’échelle euro- oraux et parentéraux. Par contre, un les 4 dernières années) (Sulpice et al.,
péenne car il est actuellement le seul calcul spécifique est effectué pour les 2017). La deuxième enquête, réalisée en
calculable pour l’ensemble des pays traitements intramammaires, en attri- 2016 auprès de 11 élevages laitiers et 11
membres (European Medicines Agency, buant tous ces types de traitements élevages allaitants, a permis de différen-
European Surveillance of Veterinary aux vaches laitières, et en différen- cier, en plus des types de production,
Antimicrobial Consumption, 2017). ciant la période de lactation et le taris- les voies d’administration (Mlala et al.,
Mais, de plus en plus, des indicateurs sement. Il en ressort que le nombre 2018). Il en ressort que la filière bovine
d’exposition sont utilisés. de traitements intramammaires par laitière est un peu plus consommatrice
vache laitière est en légère baisse ces que la filière allaitante pour la voie
L’ANMV utilise dans son rapport (Anses,
2017) l’ALEA (« Animal Level of Exposure to
Antimicrobials ») qui approche le nombre Figure 2. Évolution du nombre annuel de traitements intramammaires par vache
laitière depuis 1999 (d’après Anses, 2017).
de traitements reçus par animal pour une
période donnée (ici l’année). La quantité 2,0
de traitements/vache laitière

vendue est divisée par la dose par traite- 1,8


ment (avec la posologie indiquée dans 1,6
Nombre annuel

l’autorisation de mise sur le marché et 1,4


1,2
un poids animal fixe par spécialité et par
1,0
espèce) et par la biomasse de la popula- 0,8
tion animale potentiellement consom- 0,6
matrice. L’ALEA chez les bovins était de 0,4
0,248 en 2016, avec une évolution à la 0,2
baisse ces dernières années (figure 1). 0,0
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014

2015

2016
2014/15

Le calcul des ALEA par famille d’anti-


biotiques montre une baisse m­ arquée Lactation Tarissement

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 293

Tableau 1. Médiane du nombre annuel de traitements par animal, par type de a. Biosécurité
production, âge des animaux et voie d’administration (d’après Mlala et al., 2018). La biosécurité consiste à limiter l’in-
troduction et la diffusion des patho-
Nombre annuel de traitements par animal gènes dans et à l’extérieur du troupeau.
Types La mise en œuvre de la biosécurité par
d’animaux Voie Voie intra- Voie intra-
Voie orale Total les éleveurs bovins est en lien avec
injectable mammaire utérine
leurs représentations de l’importance
de ces mesures pour préserver leur
Allaitants
cheptel (Frappat et al., 2012 ; Sarrazin
et al., 2014) qui sont différentes de
Adultes 0,200 0 0,023 0,019 0,512
celles des autres productions (Laanen
et al., 2014). Des enquêtes conduites
Jeunes 0,109 0,045 – – 0,167
par Idele en 2014 (Mounaix et al., 2015)
auprès des éleveurs bovins ont en effet
Laitiers
montré que les éleveurs connaissent
Adultes 0,333 0 2,600 0,029 2,933
de manière générale les mesures de
biosécurité mais qu’ils appréhendent
Jeunes 0,105 0,049 – – 0,216
mal les risques justifiant leur mise en
œuvre, que cette dernière est en géné-
ral limitée dans le temps (abandonnée
quand une situation sanitaire problé-
orale, et sans surprise beaucoup plus filière. Pour contribuer à la pérennisation matique redevient normale) et qu’elle
­consommatrice pour la voie intramam- de cet observatoire, le développement se heurte souvent à des freins liés aux
maire (tableau 1). d’un carnet sanitaire informatisé permet- habitudes de travail, aux équipements
tant la centralisation de l’information est et bâtiments. Sur ce sujet, les éleveurs
La production de veaux de boucherie, en cours. ont aussi déclaré être plus en attente de
de par ses spécificités et notamment retours d’expériences d’autres éleveurs
le mélange de jeunes veaux d’origines D’autres démarches sont en réflexion que des conseils prodigués par leur
diverses lors de l’allotement, est une dans les filières bovines afin de consti- vétérinaire ou d’autres intervenants en
production pour laquelle l’usage d’an- tuer des observatoires de l’usage des élevage. Pour progresser sur ce sujet, il
tibiotiques est plus important. Dans les antibiotiques. est donc apparu nécessaire de faire évo-
rapports Anses de suivi des ventes de luer les représentations des éleveurs en
médicaments vétérinaires contenant des matière de biosécurité et de rechercher
antibiotiques, un focus sur cette produc-
2. Leviers techniques avec eux des voies d’amélioration pour
tion a été fait pendant quelques années, pour un usage sa mise en œuvre. Ce travail est en cours
et le nombre de traitements oraux par ciblé et raisonné dans le projet Co’innobios, dans le cadre
veau a été estimé pour les données des antibiotiques du plan EcoAntibio. Il s’appuie sur des
2009 à 2013. Ce nombre de traitements collectifs d’éleveurs bovins viande et
était passé de 6,0 en 2009 à 4,2 en 2013 donne déjà des résultats positifs : une
(Anses, 2014b). Une enquête ponctuelle Trois approches complémentaires perception améliorée et partagée de
réalisée en 2014 a estimé le nombre de sont mises en œuvre pour réduire la biosécurité, et des outils d’auto-éva-
traitements par veau à 8,5 en moyenne, l’usage des antibiotiques et limiter luation co-élaborés par les éleveurs et
mais la méthodologie était très différente l’émergence de résistances aux antibio- qu’ils souhaitent partager pour favoriser
puisqu’il s’agissait d’une estimation à par- tiques : i) la prévention de l’apparition et la sensibilisation du plus grand nombre
tir des prescriptions d’antibiotiques et de la dissémination des maladies, ii) un d’éleveurs (Mounaix, communication
des dates de traitements indiquées dans usage plus raisonné des antibiotiques, personnelle).
le registre d’élevage, et pas à partir des et iii) l’utilisation de médicaments
ventes des fabricants (Jarrige et al., 2017). ­alternatifs aux antibiotiques. b. Pratiques d’élevage
À la suite de cette enquête ponctuelle, Renforcer voire faire évoluer certaines
un observatoire de l’usage des anti- „„2.1. Prévention sanitaire pratiques est une condition nécessaire
biotiques dans la filière (Chanteperdrix et zootechnique à un moindre usage des antibiotiques.
et al., 2016b) a été mis en place. En effet,
plus qu’un chiffre ponctuel qui est diffi- Certaines pratiques et conditions Dans la filière laitière, la maîtrise des
cilement comparable à d’autres du fait d’élevage, certains modes de conduite infections mammaires reste une ques-
de méthodes de calcul différentes, c’est peuvent exposer les animaux à des tion cruciale. Afin de renforcer la préven-
l’évolution de l’indicateur choisi qui a agents infectieux et les rendre plus sus- tion et ainsi réduire la prévalence des
du sens. Les premiers résultats issus de ceptibles de développer une maladie. mammites en élevage laitier, l’interpro-
cet observatoire semblent indiquer une Pour réduire ce risque plusieurs axes de fession laitière a lancé dès 2013 un pro-
baisse importante de l’usage dans la progrès existent. En voici quelques-uns. gramme national de ­communication et

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


294 / Valérie david, Florence beaugrand, Émilie gay, Jacqueline BASTIEN, Christian DUCROT

d’accompagnement des éleveurs et de Figure 3. Représentation du déficit de protection immunitaire acquise dans le
leurs conseillers, dénommé « les mam- premier mois de vie des veaux (d’après Hulbert et Moisà, 2016).
mites, j’anticipe ». Cette communication
a porté ses fruits puisque depuis 2014,
on observe une réduction notable de
la moyenne nationale des concentra-
tions en cellules somatiques des laits
produit par les troupeaux laitiers fran-
çais : la moyenne nationale a diminué
de 30 000 cellules/mL de lait entre
2014 et 2017 (Roussel et Ballot, 2017,
­communication personnelle2).

Le veau, futur adulte en devenir, doit


aussi faire l’objet d’une attention parti-
culière. En effet, il a un système immu-
nitaire fonctionnel à la naissance, mais les filières broutards/taurillons (projet critères liés à la santé (concentrations
du fait d’un placenta empêchant le WelHbeef financé par l’Institut Carnot en cellules somatiques dans le lait,
passage des anticorps maternels vers le France Futur Élevage, projet Sant’Innov mammites cliniques) ou en lien avec
fœtus, il naît agammaglobulinémique. Il financé par le programme PSDR 43 du la santé (aplombs, conformation de la
lui faudra quelques jours pour dévelop- Grand-Ouest) et veaux de boucherie. mamelle et longévité).
per une immunité adaptative acquise ;
il est donc indispensable qu’il boive c. Bâtiments d’élevage Chez les vaches laitières, un index
dans les premières heures suivant sa La conception et l’entretien des bâti- cellules est disponible depuis 1997.
naissance une quantité suffisante d’un ments d’élevage sont des éléments Un index mammite clinique a été
colostrum de qualité pour ingérer les clefs de la prévention des maladies. mis en place en 2010. Combiné à l’in-
immunoglobulines d’origine maternelle Ils font partie des facteurs de risque dex cellules, il constitue aujourd’hui
et acquérir une immunité adaptative majeurs des maladies d’élevage. Les un index « santé de la mamelle » qui
dite passive (Hulbert et Moisà, 2016) points clefs sont divers et leur impor- représente respectivement 16, 18 et
(figure 3). Cette phase est souvent un tance varie selon les maladies. Parmi 14,5 % des objectifs de sélection des
point critique dans les exploitations eux cependant on peut citer la qualité races Normande, Prim’Holstein et
laitières, d’où l’importance de commu- générale de l’ambiance (humidité, tem- Montbéliarde (Minery, 2016 ; Institut
niquer sur la bonne préparation des pérature, ventilation et renouvellement de l’Élevage, 2018).
vaches au vêlage garante d’un colos- de l’air), les surfaces disponibles et leur
trum de qualité, et sur la surveillance entretien, la nature des sols, l’existence L’outil génomique vise à prédire la
et les soins à apporter au veau nourris- d’espaces dédiés à certaines situations valeur génétique d’un animal à l’aide
son. Une nouvelle campagne de sensi- (zone de vêlage, infirmerie, logement d’un test réalisé grâce à une puce ADN
bilisation des éleveurs sur ce sujet est des vaches taries…). Au démarrage du contenant plusieurs dizaines de milliers
en cours de préparation, orchestrée par plan EcoAntibio 2017, le constat a été de marqueurs. Cette révolution permet
l’interprofession laitière. fait par l’ensemble des acteurs que le d’accélérer le progrès génétique et de
bâtiment restait un point critique dans prendre en compte de nouveaux cri-
Certaines pratiques, situations ou la maîtrise de la santé animale. Pour tères parmi lesquels la résistance aux
certains environnements (manipula- progresser dans la prise de conscience maladies. Parmi les travaux qui ont
tions, transport, réallotements, chan- par les différents acteurs des liens entre permis de progresser dans ce domaine
gements alimentaires, vêlage, stress bâtiment et santé, un travail d’explicita- on peut citer le projet Parabov (Blériot
thermique…) peuvent générer du tion, de formalisation et de diffusion a et al., 2013) initié en 2011 qui a permis
stress, impactant les défenses immu- été entrepris. Il a réuni des experts bâti- de définir un référentiel pour la collecte
nitaires de l’animal, et le rendant ainsi ments et des vétérinaires et a abouti à de données de lésions du pied des
plus fragile aux infections (Hulbert des brochures techniques largement bovins, enregistrées lors du parage. Ce
et Moisá, 2016). Des travaux sont en diffusées. travail a été suivi de différents travaux,
cours pour voir dans quelle mesure il dont ceux soutenus par Apis-Gène (pro-
est possible de faire évoluer certaines d. Sélection génétique gramme POD²), visant à développer la
pratiques pour minimiser le stress ou Les objectifs de sélection intègrent, collecte en routine des données de
le répartir différemment sur la durée. au-delà des critères de production, parage des pieds des bovins laitiers, en
Ces travaux concernent en particuliers conformation et reproduction, certains vue d’une évaluation génétique. Le pro-
jet GénoSanté démarré en 2015 a quant
3  PSDR 4 http://www.psdr.fr/PSDR.php?categ=
à lui pour objectif global de produire
2  https://les-mammites-j-anticipe.com/ 103&lg=FR&PHPSESSID=ogt0trdj1tq31se88748f9 des outils de sélection et de conseil
informations/observatoire-des-cellules/ 12e7#ancre415 pour améliorer la santé productive des

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 295

vaches laitières. Les premiers résultats considérées (bronchopneumonies cette qualité. Compte tenu de ces avis,
ont abouti en 2016 à un index relatif infectieuses enzootiques, BVD, gas- le prix plancher de broutards vaccinés
à l’acétonémie (maladie métabolique) troentérites néonatales et entérotoxé- s’est avéré compliqué à estimer et très
pour les races Normande, Prim’Holstein mies), mais qu’une forte proportion variable (Mounaix, communication per-
et Pie Rouge (Barbat-Leterrier et al., d’éleveurs serait prête à l’envisager. Elle sonnelle). Des travaux complémentaires
2016) et depuis fin 2017 à deux nou- a aussi mis en évidence le rôle prépon- ont été réalisés pour analyser les effets
veaux index de résistance aux boite- dérant du vétérinaire dans la décision comparés de différentes modalités de
ries (un index de résistance aux lésions de mise en œuvre des plans de prophy- vaccination (Mounaix et al., 2018).
infectieuses et un de résistance aux laxie vaccinale (Deleu, 2015). À l’issue
lésions non infectieuses) pour les races de ce travail, une campagne de com- „„2.2. Usage raisonné
Prim’Holstein et Pie Rouge4. munication a été mise en place par le des antibiotiques
Ministère de l’agriculture pour promou-
e. Vaccination voir la vaccination en élevage bovin : la a. Évolution des prescriptions
La vaccination contre certaines mala- campagne Vaccin’acteur. Une vaste réflexion et des actions
dies peut avoir un rôle dans la réduc- pour préserver l’efficacité des anti-
tion de l’usage des antibiotiques. Des Au-delà de ces enquêtes globales, biotiques ont été conduites dans le
maladies virales sont aussi concernées, des travaux plus ciblés ont été conduits cadre des recommandations de l’Anses
car la prévention de ces maladies évite par Idele en partenariat avec ONIRIS (Anses, 2014a) et du plan EcoAntibio.
des surinfections bactériennes qui sur la vaccination des broutards pour Recommandations et mesures des
doivent être traitées avec des antibio- prévenir les maladies respiratoires des plans convergent vers une limitation
tiques. Dans le cadre du plan EcoAntibio taurillons. Ces travaux, réalisés dans des usages au strict nécessaire et vers
2017, le Syndicat de l’Industrie du le cadre du plan EcoAntibio, visaient l’abandon de pratiques à risque pour
Médicament Vétérinaire (SIMV) a mené à répondre aux questionnements de l’émergence et la sélection de méca-
deux études visant à identifier les freins groupements de producteurs ou de nismes de résistance. Pour atteindre les
à la vaccination en élevage bovin, et le coopératives agricoles qui ont entrepris objectifs du plan EcoAntibio 2017, plu-
rôle du vétérinaire dans la décision de des actions pour promouvoir la vaccina- sieurs mesures ont été déployées, avec
vacciner (Deleu, 2015). tion des broutards. Les objectifs étaient des objectifs quantitatifs de réduction
d’identifier les déterminants sociaux et d’usage des antibiotiques et des objec-
La décision de mettre en place la économiques de cette vaccination. Les tifs qualitatifs de parcimonie d’usage
vaccination est souvent prise suite à enquêtes conduites auprès des éleveurs d’antibiotiques d’importance critique.
un épisode infectieux avec un impact naisseurs et/ou engraisseurs de brou- Parmi celles-ci, les vétérinaires pres-
sanitaire marquant, par exemple des tards mettent en évidence une bonne cripteurs ont élaboré des recomman-
pertes d’animaux. Mais la pratique de la perception générale de la vaccination dations d’usage des antibiotiques lors
vaccination est rarement acquise défini- par les éleveurs et ceci indépendam- de séances de consensus conduites par
tivement. Les éleveurs la remettent en ment du lien avec le vétérinaire. Les la Société Nationale des Groupements
cause en permanence en fonction de modalités pratiques de la vaccination Techniques Vétérinaires (SNGTV). Ces
leur perception de l’efficacité, du coût spécifique des broutards avant leur recommandations d’usage des antibio-
et du risque encouru. Plus on s’éloigne entrée dans les ateliers d’engrais­sement tiques ont été déclinées par maladie et
de l’événement sanitaire déclencheur, étaient cependant mal connues (plan- par filière de production animale et ont
plus la tentation d’interrompre la vac- ning des injections, pathogènes incri- fait l’objet d’une supervision de l’Anses
cination est forte (Deleu, 2015). minés dans les problèmes respiratoires (Journal officiel, 2015).
à l’engraissement…). Plusieurs freins
Les points positifs attendus de la à la vaccination des broutards par les De nombreuses mesures réglemen-
vaccination sont d’ordre économique naisseurs ont été identifiés, plutôt rela- taires sont venues par ailleurs encadrer
(moins de pertes), psychologique tifs à l’organisation du travail. Le résul- les prescriptions et les délivrances des
(sérénité) et organisationnel (diminu- tat le plus marquant de l’enquête est antibiotiques :
tion des interventions sur les animaux, l’absence de relation/connexion entre
planification des interventions…). Les éleveurs naisseurs de broutards et éle- i) retrait des antibiotiques de la liste
freins énoncés relèvent principalement veurs engraisseurs. Ce manque de tra- positive pour les groupements agréés
de l’organisation du chantier de vacci- çabilité constitue un frein important au d’éleveurs5 ;
nation, du temps passé et du respect développement de la vaccination des
des protocoles vaccinaux et d’hygiène. broutards chez le naisseur (Mounaix
L’étude a montré que 31 % des éle- et al., 2018).
veurs de bovins disent ne jamais vac-
ciner leurs bovins contre les 4 ­maladies Les personnes enquêtées (nais-
seurs ou engraisseurs) souhaitaient en
5  Arrêté du 19 décembre 2014 modifiant l’arrêté
majorité une valorisation de la qualité du 28 juin 2011 fixant la liste des médicaments
4  https://www.evolution-xy.fr/fr/actualite/ globale des broutards et ils plaçaient vétérinaires prévue au deuxième alinéa de l’article
deux-nouveaux-index-sante-pied la vaccination parmi les éléments de L. 5143-6 du code de la santé publique.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


296 / Valérie david, Florence beaugrand, Émilie gay, Jacqueline BASTIEN, Christian DUCROT

ii) guide réglementaire de bonnes Le traitement sélectif consiste à dis- sont considérées comme infectées, et
pratiques d’emploi des antibiotiques6 ; criminer les vaches qui nécessitent un reçoivent un traitement antibiotique.
traitement antibiotique seul ou avec un Ce traitement antibiotique n’est pas
iii) restriction des conditions de pres- obturateur, des vaches pour lesquelles suffisant pour prévenir les nouvelles
cription des antibiotiques critiques7. un obturateur est indiqué pour prévenir infections pendant la période sèche ;
les infections pendant le tarissement et elles peuvent recevoir en plus un obtu-
Suite à la découverte de gènes de des vaches pour lesquelles aucun traite- rateur s’il existe un risque pendant la
résistance à la colistine portés par ment n’est requis. Cette stratégie impose période sèche. Les critères décision-
des plasmides et aux avis de l’EMA un processus de sélection des vaches nels pour le traitement sélectif sont
(« European Medicines Agency ») et de basé sur leur statut infectieux et sur les résumés dans le tableau 2.
l’Anses, des mesures de restriction risques de nouvelles infections inhérents
d’usage de cette molécule ont été à l’animal et/ou à la conduite d’élevage. La stratégie de traitement sélectif fait
ajoutées : actuellement l’objet d’une promotion
L’élaboration de cette stratégie a fait (Roussel et al., 2016) ; elle requiert un
i) arrêt des traitements préventifs uti- l’objet d’études conduites par ONIRIS engagement des éleveurs et de leurs
lisant la colistine et limitation des traite- en partenariat avec Idele (Roussel et al., vétérinaires. Les éleveurs ont besoin
ments à 7 jours ; 2006). Les vaches saines, i.e. celles dont d’être rassurés, motivés et informés
le CCI (comptage cellulaire individuel) pour sélectionner les vaches éligibles à
ii) retrait des autorisations de mise sur dans le mois précédant le tarissement l’une ou l’autre modalité de traitement.
le marché (AMM) nationales des asso- est inférieur à 100 000 cellules/mL de Ce travail est fait lors de l’établissement
ciations d’antibiotiques contenant de lait, peuvent ne recevoir qu’un obtura- du protocole de soin annuel avec le
la colistine ; teur, sous réserve qu’elles n’aient pas vétérinaire traitant, après évaluation
été affectées par une mammite durant du statut épidémiologique du troupeau
iii) recommandation de l’EMA de ce même mois. À condition qu’elles au regard des affections mammaires.
fixer pays par pays des objectifs natio- ne soient pas exposées à un risque L’expérience montre qu’un accompa-
naux à ne pas dépasser d’ici 3 à 4 ans, à particulier de nouvelles infections gnement en continu des éleveurs pour
savoir pour la France ne pas dépasser le pendant la période sèche, les vaches statuer au fur et à mesure sur les trai-
seuil de 5 mg/kg de biomasse ; saines pourraient ne recevoir aucun tements à administrer à chaque vache
traitement. Les vaches dont les CCI sont est un gage de réussite. Des outils pour
iv) exigence de réduction de 50 % des supérieurs à 100 000 cellules/mL de lait, aider les éleveurs dans le choix des
usages de colistine sur 5 ans inscrite
dans le plan EcoAntibio 2.
Tableau 2. Tableau décisionnel pour le choix d’une stratégie de traitement au
tarissement (Roussel et al., 2016).
b. Traitement sélectif
au tarissement
Le traitement antibiotique systéma- Facteurs de risque par vache(1) Autres facteurs de risque(2)
tique des vaches au tarissement était
Mammite Plus de
un des points des plans de maîtrise des Au moins
clinique dans 2 facteurs Pas de risque
infections mammaires dans les années un risque
les 3 derniers mois de risque
1970 pour guérir les vaches infectées et
prévenir les nouvelles infections pen- OUI Atb Atb + Obt
dant la période sèche. Dans les années
2000 les obturateurs de trayons ont fait Vache
NON NON Rien ou Obt Obt
leur apparition dans l’objectif de préve- « saine »
nir les nouvelles infections pendant le OUI Obt Obt
tarissement. Actuellement un traite-
ment sélectif est préconisé pour éviter NON Atb Atb + Obt
un usage inutile d’antibiotique (SNGTV, Vache
« infectée »
2013 ; Journal officiel, 2015). OUI Atb + Obt Atb + Obt

Atb : Traitement antibiotique au tarissement.


Obt : Mise en place d’un obturateur au tarissement.
6  Arrêté du 22 juillet 2015 relatif aux bonnes Vaches saines : celles dont le comptage cellulaire individuel dans le mois précédant le tarissement est
pratiques d’emploi des médicaments contenant inférieur à 100 000 cellules/mL de lait (Vaches infectées : CCI supérieur à 100 000 cellules/mL de lait).
une ou plusieurs substances antibiotiques en (1)  Les facteurs de risque vache : numéro de lactation, position du plancher de la mamelle par rapport
médecine vétérinaire. au jarret, présence gerçures, blessures ou lésions au niveau du trayon, longueur du trayon, perte de lait
7  Décret n° 2016-317 du 16 mars 2016 relatif à la avant vêlages, perte de lait après tarissement.
prescription et à la délivrance des médicaments (2)  Les facteurs de risque diffèrent si les animaux sont en bâtiment ou au pâturage. Ils sont moindres
utilisés en médecine vétérinaire contenant une ou au pâturage. Au pâturage : état des zones de couchage, introduction ou non des vaches taries dans le
plusieurs substances antibiotiques d’importance troupeau en production avant le vêlage ; en bâtiment : surface de couchage, entretien et hygiène du
critique. logement, ventilation du bâtiment, surface des aires d’exercice.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 297

vaches à traiter sont disponibles8, ou des modes d’action pharmacologiques alternatifs en substitution partielle ou
en cours de développement. vis-à-vis des bactéries ou de l’animal totale des antibiotiques utilisés lors de
infecté, en prévention ou en traitement la métaphylaxie précoce des veaux de
c. Traitement des boiteries des maladies d’étiologie bactérienne boucherie, approche consistant à trai-
Dans son rapport de 2014, l’Anses fai- (Ducrot et al., 2017). Sur les bactéries, ter un lot entier dès lors qu’un certain
sait état d’un recours aux traitements l’activité peut être antibactérienne ou nombre d’animaux du lot sont clini-
antibiotiques souvent non justifié dans réduire la virulence des bactéries en quement atteints. Parmi les produits
le traitement des affections podales. Or, perturbant, par exemple, la communi- testés on trouve de l’acide citrique,
la quasi-totalité d’entre elles ne néces- cation bactérienne (« quorum sensing ») du tryptophane, des probiotiques
sitent pas de traitement antibiotique. ou la formation de biofilm. Sur l’animal, (microorganismes vivants ajoutés à la
Dans la majorité des cas, un parage les propriétés des plantes peuvent être ration pour conférer un bénéfice en
curatif associé ou non à la mise en place anti-inflammatoires, immuno-modula- matière de santé) et des prébiotiques
d’une talonnette est suffisant. Une trices ou physiologiques, réduisant les (substances alimentaires ajoutées
seule exception, le panaris, ­nécessite signes cliniques de l’infection tout en pour promouvoir de façon sélective la
un ­traitement antibiotique par voie aidant aux processus de guérison. croissance de certaines bactéries de
générale (Guattéo et al., 2010 ; Journal type probiotique ou l’activité du micro-
officiel, 2015). Un traitement local anti- En filière bovin lait, Joly et al. (2016) bisme intestinal). Ces travaux conduits
septique ou antibiotique peut aussi et Hellec et Manoli (2018) ont montré en station expérimentale ont permis de
être nécessaire pour certaines lésions qu’une partie des éleveurs qui sou- mettre en évidence des résultats zoo-
de la maladie de Mortellaro. Pour sen- haitent réduire l’utilisation d’antibio- techniques globalement satisfaisants
sibiliser les éleveurs, une campagne de tiques se tournent vers les formations mais des résultats sanitaires contrastés,
communication a été conduite dans le sur les approches alternatives pour la des coûts vétérinaires détériorés et des
cadre du plan EcoAntibio, 2017 ; elle santé animale, ou s’appuient sur des conditions de travail non transposables
conseille d’établir un diagnostic pré- communautés de pratiques entre éle- en élevage commercial (Chanteperdrix
cis des lésions à l’origine de la boiterie veurs. Sont notamment discutées et et al., 2016a). En complément et pour
avant tout traitement antibiotique. partagées des pratiques basées sur répondre aux attentes des éleveurs, un
l’utilisation d’alternatives aux anti­ travail visant à élaborer un guide d’aide
d. Démarche de filière biotiques telles que phytothérapie ou à la décision sur l’utilisation des subs-
pour les veaux de boucherie homéopathie (dont le principe est de tances alternatives aux antibiotiques
Dès 2015, Interbev veaux a lancé une soigner un patient en diluant très for- dans la filière veau de boucherie est en
campagne de sensibilisation qui s’est tement des substances qui, données cours de réalisation. Ce travail sera basé
matérialisée par une charte interpro- à dose supérieure, provoqueraient sur un recensement des substances d’in-
fessionnelle de bonne maîtrise sanitaire des symptômes similaires à ceux du térêt et sur une évaluation des publica-
et de bon usage des traitements médi- patient). Les études qualitatives réali- tions existantes basée sur la méthode
camenteux en production de veaux de sées sur le terrain montrent l’engoue- proposée par l’Anses (Anses, 2018).
boucherie. Elle implique l’ensemble des ment de certains types d’éleveurs pour
acteurs de la filière que ce soient les des thérapeutiques à base de plantes ; Concernant les broutards, des essais
vétérinaires, les éleveurs, les entreprises c’est notamment le cas de ceux qui visant à tester l’efficacité des phéro-
d’intégration, les organisations de pro- ont obligation de réduire l’usage d’an- mones apaisantes sur les troubles
ducteurs et les techniciens intervenant tibiotiques par le cahier des charges respiratoires des jeunes bovins à l’en-
en élevage. auquel ils adhèrent, particulièrement graissement viennent de se terminer. Ils
en agriculture biologique ou dans le indiquent un effet positif de la réduc-
„„2.3. Traitements alternatifs cas de certaines Appellations d’Ori- tion du stress en matière de comporte-
gine Contrôlée (Poizat et al., 2017). Les ment et de santé. Un effet des apaisines
Afin de limiter l’usage d’antibio- mêmes études montrent en revanche a été observé sur l’expression des com-
tiques en cas de maladie ou de situa- la réserve des conseillers agricoles et portements de déplacement, interpré-
tion à risque, une alternative est de vétérinaires face à l’utilisation de ces tés comme exploratoires, mais aussi sur
se tourner vers d’autres molécules ou thérapeutiques alternatives (Poizat l’immunité et les signes cliniques des
produits. Les observations de terrain et al., 2017), qui tient au manque de troubles respiratoires. Cependant, ces
(Joly et al., 2016 ; Poizat et al., 2017) preuves scientifiques disponibles quant effets restent peu perceptibles pour les
montrent un intérêt pour la phytothéra- à leur efficacité, à l’absence de données éleveurs (Guiadeur et al., 2018).
pie, qui désigne l’utilisation des plantes sur les résidus, les délais d’attente et la
à des fins thérapeutiques. Les plantes toxicité potentielle des produits pour Les travaux d’ores et déjà conduits en
contiennent en effet un très grand le consommateur, et au flou réglemen- élevage sur l’efficacité des huiles essen-
nombre de molécules pouvant avoir taire (Ducrot et al., 2017). tielles pour la maîtrise des infections
mammaires (Le Guenic et al., 2015 ;
Dans la filière veau de boucherie, des Anses, 2018), n’ont pas encore abouti
8  http://idele.fr/services/outils/traitement- essais ont été conduits depuis 2012. Ils à des résultats probants mais d’autres
selectif-au-tarissement.html ont permis d’évaluer certains produits travaux sont actuellement en cours.

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298 / Valérie david, Florence beaugrand, Émilie gay, Jacqueline BASTIEN, Christian DUCROT

Un rapport récent de l’Anses (Anses, pour les animaux producteurs de den- gradation d’une utilisation systématique
2018) recense les substances et prépa- rées, les substances thérapeutiques d’antibiotiques à une reconfiguration
rations commerciales qui sont revendi- entrant dans la préparation doivent complète vers un système d’exploitation
quées, comme étant une solution pour disposer d’une LMR (Limite Maximale sans antibiotiques (Bluhm et Cholton,
limiter l’usage des antibiotiques chez de Résidus). Enfin, le produit à base 2016). On retrouve ces profils dans les tra-
les animaux dans différentes filières de de plantes peut aussi être considéré jectoires d’une cinquantaine d’éleveurs
productions animales. Les préparations dans certains cas comme un additif à décrits dans les projets de recherche
commerciales les plus fréquemment l’alimentation animale, avec un effet TRAJ et RedAB financés respectivement
citées contiennent majoritairement positif sur la production, le rendement par le métaprogramme Gestion intégrée
des plantes, des huiles essentielles, des ou le bien-être, en influençant la flore de la santé des animaux de l’INRA et le
probiotiques, des acides organiques gastro-intestinale ou la digestibilité des programme CasDAR (Bonnet-Beaugrand
et des acides gras. Le rapport souligne aliments pour animaux (fonctions défi- et al., 2016). L’intérêt de la typologie des
l’hétérogénéité des données dispo- nies par le règlement européen (direc- trajectoires (tableau 3) est d’associer les
nibles pour en évaluer l’innocuité et tive 2009/767/CE)). La réglementation motivations des éleveurs et leurs modes
l’efficacité, et la nécessité de travaux en matière d’alimentation animale doit d’apprentissage.
approfondis pour lever les incertitudes alors être respectée.
sur leur efficacité et leur innocuité. En France, si le suivi des ventes de
L’Anses recommande également de médicaments vétérinaires contenant
porter la question du statut juridique de
3. Appui des antibiotiques par l’Anses est publié
ces produits au niveau européen dans et accompagnement chaque année, il n’existe pas de réfé-
le cadre du plan de lutte contre la résis- pour le changement rences individuelles d’usage des anti-
tance aux antibiotiques, afin que soient de pratiques biotiques qui permettraient aux éleveurs
étudiées la pertinence et la faisabilité de de se situer, comme cela peut être le cas
créer un statut spécifique pour les pro- dans d’autres pays européens (aux Pays
duits induisant la réduction de l’usage
„„3.1. Diversité Bas, en Belgique, au Danemark ou en
des antibiotiques, sans les considérer
de motivations Allemagne) (EMA et EFSA, 2016).
comme des médicaments vétérinaires. Confrontés à des injonctions sociales
ou réglementaires, les éleveurs sont sus- Les motivations des éleveurs à réduire
a. Réglementation ceptibles d’adopter différentes attitudes leur usage ne reposent donc pas sur
Il y a en effet consensus sur la néces- face à l’utilisation d’antibiotiques (Ducrot des normes techniques, mais sont
sité d’adapter le cadre réglementaire et al., 2018). Dans une étude menée dans intrinsèques. Elles peuvent reposer
pour les produits à base de plantes les exploitations de lycées agricoles, a sur une recherche d’efficience accrue,
(Ducrot et al., 2017). Compte tenu de la priori sensibilisées car participant à l’en- mais aussi sur la réponse à l’injonction
définition juridique actuelle du médi- seignement et se devant d’être au fait des sociale de réduire l’usage des antibio-
cament vétérinaire (directive 2001/82/ préoccupations scientifiques et socié- tiques, voire s’inscrire dans un souhait
CE, Code de la Santé Publique article tales, on observe quatre profils types de conversion de l’élevage à des pra-
L 5141-2), dès lors que le produit reven- ­d’utilisation ­d’antibiotiques, avec une tiques plus écologiques (Hill et Mac Rae,
dique des indications de prévention et
de traitement des maladies infectieuses
Tableau 3. Différents types de trajectoires de changement dans l’usage des anti-
avec une présentation destinée à une biotiques, en fonction du déclencheur, des références recherchées et du mode
administration à l’animal, il relève du d’usage des antibiotiques (d’après Bluhm et Cholton, 2016 ; Bonnet-Beaugrand
statut de médicament vétérinaire et et al., 2016).
doit se conformer à cette réglementa-
tion et suivre le processus d’évaluation Trajectoire Mode d’usage
Déclencheur Références
conduisant à une Autorisation de Mise de changement des antibiotiques
sur le Marché (AMM). Très peu de ces
produits ont actuellement cette AMM. Diverses
Sans réduction d’usage Systématiques Aucun
références
Dans le cadre de la cascade (article
L 5143-4 du Code de la Santé Publique) À certaines conditions
Substitution Volonté
qui détermine les conditions de pres- Formations
aux antibiotiques de réduire
cription en l’absence de médicament Avec alternatives
vétérinaire approprié autorisé, le
vétérinaire peut également prescrire Recherche
Recherche d’efficience Diverses pratiques d’efficience ou Conseil expert
une préparation magistrale à base de problème
drogues végétales et produits dérivés,
qui sera fabriquée dans le respect de Reconfiguration du Peu d’antibiotiques Échanges
bonnes pratiques réglementaires de Innovation
système d’élevage nécessaires avec les pairs
préparation extemporanée. Toutefois

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Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 299

1995). Ces motivations se heurtent à la module de formation interne aux GTV certains faisant valoir une prescription
façon dont les éleveurs appréhendent et module, élaboré conjointement par plus importante des spécialités à forte
le risque associé à la diminution d’usage la SNGTV et l’administration vétérinaire, marge (Kim, 2015 ; Boblin, 2016) et
des antibiotiques. En effet, ces derniers déployé dans le cadre de la formation d’autres montrant que l’amélioration
constituent une solution économique- continue au mandat sanitaire. Enfin, de cette même marge n’a pas d’impact
ment efficace d’assurance contre l’ap- un réseau expérimental de référents sur la prescription (Montesinos, 2016 ;
parition d’un dommage lié à la maladie antibiotiques mis en place récemment Serrand, 2016). Dans certains pays
(Lhermie et al., 2015). permet aux vétérinaires praticiens d’in- européens, il est établi un benchmar-
terroger des référents sur des stratégies king entre les pratiques des vétérinaires
„„3.2. Conseil de diagnostic et/ou de traitements et pour guider l’évolution des prescrip-
et accompagnement d’avoir accès à une base documentaire tions (Pays-Bas, Belgique, Suisse),
par les professionnels et à des questions récurrentes sur un site chaque vétérinaire voyant son niveau
de santé animale dédié. de prescription comparé à celui de ses
collègues. Quoi qu’il en soit, le débat
Pour une partie des éleveurs, l’accom- Cependant, la disponibilité accrue des renforce la mutation du rôle du vétéri-
pagnement par les conseillers en santé informations via les nouvelles technolo- naire de la prescription vers le conseil
animale (vétérinaire, Groupement de gies de l’information et la complexité du de long terme davantage fondé sur une
Défense Sanitaire (GDS), technicien) changement de pratiques – tant dans la approche globale de la santé.
demeure un point clef dans l’applica- décision que dans la mise en œuvre –
tion de nouvelles pratiques. Soit les amènent une redéfinition du rôle des „„3.3. Accompagnement
éleveurs restent dans une situation conseillers en élevage, qui dépasse collectif : formation
classique, et l’appui de leur conseiller leur rôle usuel d’experts. Leur position- et groupes de pairs
leur permet d’explorer de nouvelles nement évolue ; le vétérinaire et les
pratiques en confortant leur confiance conseillers accompagnent les éleveurs La relation de conseil n’est pas le
en eux (Hellec et Manoli, 2018). Soit dans un changement long, avec une seul mode d’accompagnement vers
ils recherchent une efficience maxi- co-construction des solutions à appor- la réduction de l’utilisation des anti­
male en ayant recours à une expertise ter et une capitalisation des essais-er- biotiques, et comme déjà évoqué,
scientifique et des solutions éprouvées reurs (par exemple Rénier et al., 2018). nombre d’éleveurs recourent plutôt
(Bonnet-Beaugrand et al., 2016). à des formations pour appréhender
La convergence des visions entre éle- des alternatives aux antibiotiques. Ils
La réduction des antibiotiques en veurs et conseillers a alors un impact mènent eux-mêmes des expérimenta-
élevage fait partie intégrante de la for- sensible sur le changement (Poizat et al., tions dans leur exploitation, souvent
mation des vétérinaires. Ainsi, l’usage 2017). Cependant, cet impact peut aussi sans protocole de validation très éta-
raisonné des antibiotiques est un des bien être un moteur qu’un frein selon bli ni sans en référer à leurs conseillers
thèmes majeurs de la formation ini- que l’éleveur et son conseiller consi- et vétérinaire usuels (Joly et al., 2016 ;
tiale des vétérinaires. Le référentiel de dèrent la réduction d’antibiotiques Ducrot et al., 2018). Ces essais peuvent
compétences 2017 stipule ainsi dans comme un acquis déjà dépassé (modèle aboutir à un abandon comme à un long
les compétences attendues : « bonnes de production moderne), comme un processus d’apprentissage et de conso-
pratiques d’administration, notamment projet sur lequel ils s’engagent (rela- lidation des nouvelles pratiques.
l’usage prudent et raisonné des antibio- tion interventionniste) ou comme une
tiques et antiparasitaires », à charge pour contrainte réglementaire externe (rela- Enfin, une autre partie des éleveurs
les écoles de développer les modalités tion autonomiste) (Buller et al., 2015). s’appuie sur des groupes de pairs pour
d’enseignement adéquates. En outre, Dans ce dernier cas, tant les éleveurs partager des expériences, se former,
l’antibiothérapie et l’antibiorésistance que les conseillers perçoivent un trop élaborer leur décision. Il peut s’agir de
constituent un des sujets majeurs de for- grand risque sur les performances de groupes formels (par exemple menés
mation continue dispensée par la SNGTV production pour réduire l’usage des par une chambre d’agriculture ou un
pour les vétérinaires exerçant en produc- antibiotiques (Frappat et al., 2015 ; centre de partage en agriculture biolo-
tions animales. De nombreux supports Duval et al., 2017). gique) ou de groupes informels. Parfois,
ont été et sont mis à disposition via le ces groupes se constituent sur des
bulletin des GTV, via les Journées natio- Pour le vétérinaire, la réduction forums virtuels (Phillips et al., 2018). Ce
nales des GTV qui réservent une large d’usage des antibiotiques pose aussi mode d’apprentissage repose sur une
place aux antibiotiques et à leurs effets. des questions déontologiques, éco- longue tradition de démonstrations à la
Ce thème était central dans l’édition nomiques et régulatrices du fait de ferme (Burton et al., 2018) ou de forma-
2010 des journées, un atelier lui est dédié la coexistence de ses deux missions tion « au champ » (« farmer field school »,
chaque année. Un référentiel paru en de prescription et de délivrance des Cooreman et al., 2018). Labarthe estime
2013 pour les traitements des affections médicaments (Fortané, 2016). Les tra- que c’est le mode principal de diffusion
mammaires définit les bonnes pratiques vaux sont contradictoires sur l’impor- des pratiques innovantes (Labarthe,
en la matière. Des modules de formation tance du conflit d’intérêt qui pourrait 2010). Des expériences prometteuses
sont régulièrement diffusés en région : limiter l’implication des vétérinaires, sur la réduction d’antibiotiques ont

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300 / Valérie david, Florence beaugrand, Émilie gay, Jacqueline BASTIEN, Christian DUCROT

ainsi été menées au Danemark (sous (Poizat et al., 2017). De plus, on constate mené grâce entre autres à la dynamique
le nom de « stable schools », école davantage d’observance, mais aussi portée par le plan EcoAntibio. Il en est
à l’étable) (Vaarst et al., 2007) et en d’usages d’antibiotiques dans certaines résulté diverses actions réglementaires
Angleterre (Morgans et al., 2018). Dans filières avec un label de qualité qu’en et techniques destinées à réduire l’usage
les deux cas, le rôle du facilitateur a filière conventionnelle (Fabreguettes, des antibiotiques en général et cibler
été souligné, pour aider à l’élaboration 2017). particulièrement certains antibiotiques
de plans d’actions suivis. En France, dits critiques. De fait, la consommation
les conseillers en élevage associent Dans la filière allaitante, les diffé- d’antibiotiques a diminué au fil du temps
conseil et démarches collectives (Kling rents acteurs de la chaîne de valeur et cela devrait encore continuer si cer-
et Frappat, 2010 ; Ruault, 2015). Ainsi échangent jusqu’ici peu ou pas d’in- taines actions conduites actuellement
une formation aux méthodes alterna- formation sur les questions de santé et diffusent largement dans la population,
tives aux antibiotiques peut laisser une n’en font pas un élément de négocia- à titre d’exemple le traitement sélectif au
large part à l’échange d’expérience (Joly tion (Poizat et al., 2018b). Pourtant, des tarissement.
et al., 2017). Il peut même s’agir d’une initiatives existent, principalement à
démarche centrée sur la co-construction l’initiative des intermédiaires entre nais- Malgré les recommandations d’usage
de solutions innovantes. C’est le pari que seurs et engraisseurs. Une coopérative formulées par la profession vétérinaire,
fait le projet Co-Innobios financé par le de l’Ouest de la France met ainsi à dis- l’usage des antibiotiques garde néan-
plan EcoAntibio sur le développement position de ses adhérents engraisseurs moins une assez forte part de sub-
de mesures de bio­sécurité en élevage une évaluation des risques sanitaires jectivité. Dans cet esprit, des actions
bovin allaitant. basée sur des outils innovants élaborés conduites en Europe du Nord ont per-
dans le cadre d’un projet PSDR pour mis une avancée remarquable. Basées
En s’appuyant sur ces trois modalités à leur permettre d’adopter des modes sur la mesure de consommation d’anti-
la fois, recours à l’expertise, formation et de traitement plus sélectifs. D’autres biotiques par élevage avec comparaison
échanges entre pairs, le projet CasDAR dispositifs plus largement adoptés pro- aux autres élevages, ces actions visent
RedAB a mené une expérimentation meuvent un protocole validé de vacci- la prise de conscience de la situation et
qui associe un suivi par un conseiller nation des broutards chez les naisseurs, des marges de progrès possibles ; elles
en élevage et des classes virtuelles où moyennant une prime complémentaire sont suivies d’actions volontaires avec
le formateur a un double rôle d’apport à l’achat par l’engraisseur. la coopération du vétérinaire. La filière
de connaissances et de facilitation des veau de boucherie est entrée dans une
échanges entre éleveurs (Poizat et al., La filière laitière dispense depuis démarche de ce type, qui devrait être
2018a). longtemps des messages clefs à la fois objet de réflexion pour les autres filières
sur la maîtrise des numérations cellu- afin de voir de quelle manière de telles
„„3.4. Approches à l’échelle laires des troupeaux et sur le respect du approches pourraient être utilisées sans
de la filière délai d’attente avant remise en produc- être perçues, ni utilisées comme outil
tion du lait produit par une vache trai- de sanction.
À une échelle plus large, les filières tée aux antibiotiques. Ces normes ont
de productions animales se sont asso- pour objet de préserver tant la santé Sur le plan technique, le développe-
ciées aux actions du plan EcoAntibio, du consommateur que les capacités ment de l’utilisation des capteurs en
en partie par conviction, en partie pour de transformation du lait par les flores élevage et les outils liés aux biotechnolo-
anticiper un risque portant sur leur d’intérêt technologique. gies pourraient permettre pour certaines
réputation ou sur une éventuelle régle- maladies une amélioration des capaci-
mentation interdisant l’usage préventif Il manque actuellement des travaux tés de dépistage précoce, de diagnostic
des antibiotiques. Une segmentation permettant d’explorer le consentement précis, et d’optimisation des traitements.
des productions en fonction de l’utili- à payer du consommateur pour des Des questions se posent néanmoins sur
sation ou non d’antibiotiques, avec une produits issus d’animaux élevés sans la valeur prédictive de ces tests et leur
valorisation de produits « sans antibio- antibiotique, les relations entre acteurs usage en routine. Différentes équipes
tique » auprès du consommateur, serait ou le seuil au-delà duquel les coûts de recherche mènent des investigations
possible, mais n’est pas pratiquée dans de la réduction à l’échelle de la filière dans ces domaines. Plus en amont, cer-
la filière bovine française à ce jour. Par sont supérieurs aux bénéfices attendus taines équipes de recherche tablent
ailleurs, la valorisation des produits par (Rushton, 2015 ; Raboisson et al., 2016 ; sur un potentiel d’amélioration de la
les labellisations de qualité existantes a Lhermie et al., 2017). résistance des animaux et de l’immu-
des impacts contradictoires sur l’usage nité par des approches nutritionnelles
d’antibiotiques. Le cahier des charges particulières, par la manipulation du
de l’agriculture biologique limite l’uti-
4. Perspectives microbiote intestinal, par le potentiel
lisation d’antibiotiques, notamment en génétique des animaux, et des travaux
prévention, mais ne l’interdit pas, et on En filières bovines, comme dans les sont menés dans ce sens. Enfin, des
observe les mêmes mésusages chez autres filières d’ailleurs, un travail impor- études sont conduites sur le potentiel
les éleveurs de la filière agriculture bio- tant de prise de conscience des risques de molécules ou approches qui pour-
logique qu’en filière conventionnelle liés à l’usage des antibiotiques a été raient représenter dans certains cas des

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 301

alternatives thérapeutiques aux antibio- conditions de transport), la préparation Conclusion


tiques, notamment les peptides antimi- des broutards à l’allotement incluant la
crobiens (petites molécules produites vaccination, et la juste répartition de la
par les organismes vivants et ayant des plus-value de ces mesures entre nais- Des avancées importantes ont été
activités bactéricides), certains extraits seur et engraisseur, seraient de nature faites depuis une dizaine d’années
végétaux, les bactériophages (virus à réduire l’utilisation d’antibiotiques pour rationaliser et diminuer l’utili-
ayant la capacité de détruire des bacté- dans cette filière. La filière des veaux de sation des antibiotiques en élevage
ries, mécanisme appelé phagothérapie) boucherie est elle aussi assez forte utili- bovin. Certaines pistes méritent d’être
ou la manipulation du « quorum sen- satrice d’antibiotiques. Une analyse de la poursuivies pour aller plus loin dans
sing » (dialogue moléculaire entre bac- chaîne de valeur le long de la filière, du cette démarche, que ce soit sur le ter-
téries qui déclenche certaines propriétés naisseur à l’engraisseur, et des conditions rain ou en recherche. Dans tous les
particulières des colonies de bactéries) de transport, d’allotement et d’engrais- cas, les progrès à venir nécessitent
(Ducrot et al., 2017). sement devrait donner des pistes pour des approches intégrées entre acteurs
améliorer la santé des veaux et réduire qui peuvent avoir des points de vue
Les travaux conduits sur la compréhen- le besoin en antibiotiques. La troisième et des intérêts différents. La dyna-
sion des usages d’antibiotiques ouvrent thématique concerne l’évolution du mique impulsée par le plan EcoAntibio
d’autres perspectives qui impliquent conseil en élevage pour proposer une devrait être un atout pour amener les
pour certaines une remise en question approche plus globale et intégrée de la partenaires autour d’une même table
de certaines formes d’organisation des santé. L’offre de service de la profession et les stimuler pour lever les blocages
professionnels. En voici principalement vétérinaire ne correspond qu’imparfai- et inventer des solutions face aux dif-
trois. La première concerne une évolu- tement à la demande de certains types ficultés à résoudre.
tion de l’organisation de la filière d’en- d’éleveurs qui sont dans l’attente d’un
graissement des broutards pour limiter conseil différent, avec un autre rapport
les risques de maladies respiratoires et entre conseiller et éleveur et un autre
Remerciements
l’usage d’antibiotiques en métaphylaxie. rapport du vétérinaire à la vente d’anti-
Une évolution des modalités d’allote- biotiques. Des travaux et réflexions sur Les auteurs remercient l’ANMV pour
ment pour limiter les risques de maladie chacune de ces questions ont été amor- la fourniture des données sur la vente
(taille et mode de constitution des lots, cés et doivent être poursuivis. des médicaments vétérinaires.

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Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 303

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Résumé
Cet article présente les actions récentes conduites en France pour réduire l’usage des antibiotiques en filières bovines dans le cadre du plan
EcoAntibio. Les données sur la vente et l’usage d’antibiotiques montrent une diminution globale au fil des années, notamment pour les
antibiotiques critiques, différente selon les filières. Les différents partenaires de l’élevage se sont mobilisés pour agir chacun à son niveau et
de manière coordonnée pour contribuer à une rationalisation des usages d’antibiotiques. Sont notamment présentées les actions conduites
pour promouvoir la biosécurité dans les élevages, l’évolution de certaines pratiques d’élevage et de conseil, l’amélioration des bâtiments
d’élevage et la vaccination. Concernant les pratiques vétérinaires, des évolutions réglementaires ont été mises en œuvre ; la profession
vétérinaire les a accompagnées de recommandations précises en matière de prescription antibiotique. L’utilisation des alternatives théra-
peutiques est évoquée, avec ses limites, difficultés et contraintes réglementaires. Divers résultats issus des sciences humaines et sociales
sont aussi abordés, concernant les points de vue et représentations des acteurs sur l’usage des antibiotiques, les conditions d’une diminu-
tion d’usage dans les élevages, les difficultés rencontrées quand différents acteurs sont impliqués. Diverses perspectives sont proposées,
d’ordre technique, sociologique et organisationnel.

Abstract
Evolution of antimicrobial usages in dairy and beef cattle industries: state of progress and prospects
This paper presents the actions carried out to allow a decrease of the use of antimicrobials in the French cattle industry during the EcoAntibio action
plan. The data on antimicrobial sales and uses show a global decrease along the years, especially for critically important antimicrobials, with a
contrast depending on the type of production. The different partners in the cattle industry have been strongly involved in taking actions, each at
its level, and in a coordinated way with the others, in order to contribute to a rationalized use of antimicrobials. This paper presents actions carried
out to promote biosecurity measures on farms, the change of different husbandry and adviser practices, the improvement of farm housing and the
use of vaccination. The veterinary profession has proposed clear guidelines for antimicrobials prescription, and different regulatory measures were
implemented. The use of therapeutic alternatives is presented, with the difficulties encountered and the regulatory constraints. Different outputs
from social sciences are presented, concerning the points of view and representations on antimicrobials use, the conditions required to decrease
this use of antimicrobials on farms, and the difficulties related to the involvement of different stakeholders. Different perspectives are proposed,
from a technical, sociological and organizational point of view.

DAVID V., BEAUGRAND F., GAY E., BASTIEN J., DUCROT C., 2019. Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovins lait et bovins
viande : état d’avancement et perspectives. In : Numéro spécial. De grands défis et des solutions pour l’élevage. Baumont R. (Éd). INRA
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INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Intégrer les changements INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 305-322

d’échelle pour améliorer
l’efficience des productions animales
et réduire les rejets
Philippe FAVERDIN, Jaap VAN MILGEN
PEGASE, INRA, Agrocampus Ouest, 35590, Saint-Gilles, France
Courriel : philippe.faverdin@inra.fr

„„ Rechercher des animaux et des conduites permettant de produire en consommant moins de ressources
alimentaires est une voie prometteuse pour répondre aux défis de l’élevage. Quels sont les gains possibles
que l’on peut attendre de systèmes d’élevage plus efficients ? Peut-on améliorer l’efficience pour tous les défis
simultanément ou existe-t-il des dilemmes ? Cette revue discute les avancées dans ce domaine en insistant sur
l’importance d’étudier le changement d’échelle dans les solutions proposées pour garantir les bénéfices espérés.

Introduction : L’élevage contexte d’une population de 9 mil- souvent même pas les terres arables
en perte de légitimité liards d’êtres humains sur une planète des autres. L’étude Agrimonde (rapport
dont la finitude des ressources devient INRA-CIRAD, 2009) et le livre de Daniel
palpable. Nahon (2012) insistent sur la finitude
Aujourd’hui, le contexte de l’élevage des terres labourables et les limites d’ex-
a beaucoup évolué et il vit une tension L’enjeu est donc de résoudre la tension pansion des surfaces cultivées compte
de plus en plus grande entre, d’une importante dans ce contexte entre pro- tenu de la dégradation actuelle des
part, le citoyen qui y voit souvent de duire plus et produire mieux, avec moins sols cultivés. Réduire l’emprise de l’éle-
la souffrance animale, des émissions de nuisances. La publication du rapport vage sur les terres labourables est donc
polluantes, une forte emprise sur les FAO « Livestock’s Long Shadow » (FAO, un enjeu majeur, mais leur rôle dans la
terres arables et une concurrence pour 2006) a mis en évidence l’impact de l’éle- conservation de ces sols, de leur matière
l’alimentation humaine et, d’autre part, vage sur l’environnement. La mesure de organique et de leur biodiversité est
le consommateur qui reste très deman- l’importance du changement climatique essentiel.
deur des produits animaux pour amé- et du rôle potentiel de l’élevage dans les
liorer son alimentation. L’élevage est émissions de gaz à effet de serre a fait L’amélioration de l’efficience des pro-
passé historiquement d’une position émerger un problème environnemen- ductions animales est une piste intéres-
d’auxiliaire des systèmes de culture tal nouveau et global, faisant suite aux sante à la fois pour diminuer l’utilisation
et de transformateur de ressources impacts plus locaux ou territoriaux déjà des ressources en compétition en par-
non consommables à une position de connus de l’eutrophisation, de l’acidifi- ticulier avec l’alimentation humaine
premier consommateur des produits cation et de la biodiversité. Cet impact et réduire les impacts sur l’environne-
des systèmes de culture. Les engrais, est encore plus fort pour les ruminants ment. À ce titre elle a été et est encore
la motorisation et la spécialisation des en raison des fermentations entériques largement explorée ces dernières
systèmes ont été des moteurs de cette et des émissions de méthane, puis- années, notamment à l’échelle ani-
évolution. La question de la durabilité sant Gaz à Effet de Serre (GES), qu’elles male dans de grands projets nationaux
de l’élevage n’est donc pas tant d’assu- génèrent. Le poids de l’élevage sur (« Beefefficiency » aux USA, Deffilait et
rer la pérennité des systèmes d’élevage l’occupation des sols apparaît égale- Beefalim en France) ou internationaux
tels qu’ils sont aujourd’hui, que de voir ment très important, mais ces analyses (projets européens « Feed-a-Gene » et
comment l’élevage peut contribuer ne pondèrent pas les sols suivant leur « GenTore »). Cependant il convient de
au développement durable dans le potentiel agronomique, ne distinguant resituer les gains d’efficience possibles

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2499 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


306 / Philippe faverdin, Jaap van milgen

à des échelles plus agrégées pour en de produire autant en réduisant les de l’élevage. C’est donc bien ces trois
évaluer la performance. Cette revue ­ressources utilisées. Cependant, on peut dimensions construites de façon cohé-
discutera dans un premier temps la définir de très nombreuses efficiences rente qui doivent structurer demain la
difficulté de la notion même d’effi- suivant les produits et ressources réflexion sur le positionnement de l’éle-
cience et de son évaluation. Les pistes (ou impacts) que l’on considère et les vage et les systèmes d’élevage dans le
d’amélioration de l’efficience alimen- unités que l’on utilise (matière sèche, défi de l’agroécologie face au système
taire dans le domaine de la produc- énergie, protéines, euros…). La notion alimentaire mondial.
tion de viande et de lait seront ensuite d’efficience ne prend donc pleinement
évoquées pour évaluer les marges de son sens que dans un cadre plus large „„1.2. Pertinence : Raisonner
progrès et les limites de ces approches. d’analyse systémique. Dans leur ana- la place de l’élevage
Les pistes pour essayer de réduire les lyse du problème du système alimen- dans la valorisation
rejets à risque vers l’environnement taire mondial,Rastoin et Ghersi (2010) des ressources
seront ensuite abordées. Enfin, la der- rappellent la pertinence du modèle du
nière partie se proposera d’étudier dans triangle de la performance de Gilbert L’élevage a tendance à valoriser de
quelle mesure il est possible ou non de (figure 1) qui place l’efficience comme plus en plus de ressources utilisables
retrouver lorsque l’on change d’échelle un des éléments clés, mais pas unique, par l’Homme au nom d’une meilleure
vers des niveaux plus globaux les effets de l’amélioration de la performance. efficience alors qu’il devrait d’abord
bénéfiques des stratégies proposées Celle-ci doit se raisonner en regard de servir à valoriser les ressources que
à des échelles animal-troupeau pour la pertinence des moyens utilisés et de l’Homme utilise peu ou pas à des fins
améliorer l’efficience alimentaire et l’efficacité obtenue. alimentaires. Dans ce domaine, la pre-
réduire les impacts sur l’environnement. mière place revient clairement aux
La pertinence consiste à mettre ruminants qui restent les seuls animaux
en adéquation les objectifs avec les à valoriser à des fins alimentaires des
1. L’efficience : ressources et moyens disponibles. quantités importantes de biomasses
de quoi parle-t-on ? L’efficience permet d’utiliser avec le meil- cellulosiques que l’Homme ne sait pas
leur rendement les ressources dispo- valoriser autrement que pour la trans-
„„1.1. Définition nibles pour une activité en fonction de formation énergétique. Cependant les
cette pertinence. Enfin l’efficacité permet monogastriques peuvent également
L’efficience est définie généralement des mesurer l’écart entre les résultats et valoriser de nombreuses ressources
comme un ratio entre produits et res- les objectifs recherchés. Ce triangle, sou- alimentaires non consommées par
sources. Un processus est d’autant plus vent considéré sous un angle purement l’Homme. Dans l’alimentation humaine,
efficient qu’il est capable de produire économique, s’adapte bien à la question la biomasse végétale concerne essen-
plus à partir des mêmes ressources ou du système alimentaire et de la place tiellement les fruits (grains et graines,
gousses, fruits), les racines et les tuber-
cules des végétaux cultivés. Même ces
Figure 1. Le triangle de la performance (Rastoin et Ghersi, 2010). produits destinés à la consommation
Objectifs humaine génèrent une part importante
de coproduits, de sous-produits et de
déchets non consommés par l’Homme.
Les autres produits de la biomasse
végétale, riches en cellulose, sont peu
Pertinence Efficacité utilisés directement, mais représentent
l’essentiel de la biomasse produite par la
photosynthèse (FranceAgriMer, 2012).

Historiquement, les ruminants, tout


en produisant de la viande, du travail
et du lait, valorisent quant à eux les
ressources cellulosiques, le cas échéant
Performance prélevées sur le « saltus » dans le cas du
pastoralisme, et permettent de recy-
cler la matière organique et transférer
Moyens les éléments fertilisants vers les sols
(Ressources) Résultats cultivés de l’« ager » afin d’accroître les
rendements des cultures. Les mono-
gastriques avaient un rôle essentiel
Efficience
dans la valorisation des déchets de
l’alimentation humaine et de ressources
naturelles peu exploitées par l’Homme

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Intégrer les changements d’échelle pour améliorer l’efficience des productions animales et réduire les rejets / 307

comme les insectes ou les annélides. Si crédible une approche uniquement définir les équilibres de production à
l’agriculture familiale était particuliè- analytique du perfectionnement des atteindre pour une approche durable
rement à même d’utiliser ruminants, processus pour améliorer l’efficience des du territoire. Une fois définies les res-
porcs et volailles pour jouer ce rôle productions animales. L’évaluation multi- sources que l’on peut allouer aux diffé-
dans le fonctionnement de l’agroéco- critère est intéressante, mais elle montre rents systèmes de production au sein
système, les systèmes d’élevages indus- ses limites à l’échelle du système de des territoires, il devient intéressant
triels ont considérablement réduit cette production sans une approche globale d’améliorer l’efficience de leur utilisa-
dimension, utilisant beaucoup plus de préalable, car elle prend difficilement tion dans ces systèmes.
ressources alimentaires valorisables en compte la dimension de l’allocation
aussi par l’Homme. Il faut cependant optimale de ressources ou de capacités De nombreux paramètres techniques
nuancer ce propos car de nombreuses productives d’un territoire. Les ressources peuvent être impliqués dans l’efficience
productions animales peuvent produire en eau, l’utilisation des terres en fonction alimentaire d’un système d’élevage. Ils
presque autant de protéines consom- de leur potentiel et de leurs facteurs de concernent généralement les perfor-
mables qu’elles n’en consomment risques, les charges maximales accep- mances productives des animaux et
(Laisse et al., 2018). Il convient donc de tables de polluants, les seuils minimas de du troupeau ainsi que les pertes ali-
transposer ce principe de valorisation structures favorisant la biodiversité sont mentaires et d’animaux (figure 2). Ces
de bio-ressources peu ou pas consom- autant de contraintes qui ne peuvent paramètres sont souvent intéressants
mées par l’Homme dans nos modes s’envisager qu’à des échelles agrégées sur le plan économique et environne-
de production modernes en créant (territoriales, nationales, mondiales). Un mental, car l’amélioration d’efficience
des circuits d’échanges de ressources, système de production agricole peut ne est généralement associée à une réduc-
de diversification des assolements et pas apparaître inefficient analysé seul, tion des coûts et des émissions. Les
d’organisation de l’occupation des ter- mais peut trouver une place clé dans un principaux leviers d’action concernent
ritoires qui profitent des plus-values de territoire pour atteindre certains objec- les choix génétiques, la conduite de
l’élevage tout en préservant les cultures tifs environnementaux, paysager ou de l’alimentation, la gestion de la repro-
de rente pour l’Homme. biodiversité. L’approche par bouquet de duction et de la santé.VandeHaar (2012)
services (Ryschawy et al., 2017) est sans a modélisé le fonctionnement d’un
Pour raisonner la pertinence, il faut pri- doute une approche à privilégier pour système d’élevage laitier pour montrer
vilégier l’approche globale des impacts passer du système de production au combien chaque levier de la conduite
et de l’utilisation des ressources dans les territoire et raisonner des allocations de permettait de gagner sur l’efficience
territoires pour les objectifs de produc- ressources. énergétique et protéique globale du
tion souhaités (ou souhaitables) avant de système de production. Les résultats
concevoir les systèmes de productions et „„1.3. Efficience : Accroître de simulation (tableau 1) montrent que
leur évaluation. De même, la capacité de l’efficience de l’utilisation les gains d’efficience de chaque levier
résilience face aux impacts d’utilisation des ressources des systèmes sont modestes, mais qu’ils peuvent se
des ressources doit être prise en compte. d’élevage combiner pour améliorer significative-
La spécialisation des systèmes de pro- ment l’efficience globale du système.
duction a conduit à optimiser chaque Le volet précédent a permis d’assu- L’efficience de conversion des aliments
système spécialisé indépendamment de rer, d’une part la pertinence entre res- par les animaux eux-mêmes sera évo-
son environnement. Mais cette approche sources et impacts et, d’autre part, de quée dans la seconde partie de cette
néglige la dimension systémique en
considérant implicitement que la meil-
leure performance résulterait obligatoire- Figure 2. Exemple d’un système d’élevage laitier et des nombreux paramètres
ment de la somme des systèmes unitaires techniques (en rouge) qui sont susceptibles d’affecter l’efficience du système de
les plus performants. Cette vision totale- production.
ment agrégative était particulièrement Ressources Produits
adaptée à une recherche disciplinaire.
Ce postulat a conduit à améliorer cha-
Production, traite Lait
cun des processus sans se préoccuper Vaches

des conséquences sur les autres. S’il est Fécondité Réforme


Consommation

peut-être pertinent dans un espace sans


Renouvellement
contraintes et avec peu d’interactions, il Sexe Ratio
est clair que ce n’est pas le cas aujourd’hui. Génisses

Pour la production bovine, il est difficile Aliments Croissance

de conserver à une échelle globale les Mâles


Viande
Âge export
bénéfices techniques et environnemen- abattage
Fermentation Croissance
taux en partant des processus élémen- Conservation
Refus
taires à cause des i­nteractions entre Mortalité
les entités du système global (Faverdin
Pertes
et Peyraud, 2010). Ce verrou rend peu

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


308 / Philippe faverdin, Jaap van milgen

Tableau 1. Impacts des changements de conduite sur les efficiences énergétiques C’est donc bien l’optimisation de
et protéiques d’un système de production de lait aux USA (adapté de VandeHaar, l’ensemble du système d’élevage qui
2012).
permet d’améliorer l’efficience alimen-
Efficience Énergétique (%) Protéique (%) taire, mais elle passe aussi par l’amélio-
ration de processus plus élémentaires
Efficience de base 211 282 en vérifiant bien que leur performance
est conservée dans les changements
Augmentation de la production d’échelle. L’amélioration de l’efficience
+ 0,7 + 0,4 des processus de transformation
de 10 % (950 L/an)
des ressources par les animaux et de
Augmentation de la longévité réduction de leurs émissions a fait
+ 0,6 + 0,5
de 3 à 4 lactations l’objet de développements importants
en recherche ces dernières années en
Diminution des besoins d’entretien jouant à la fois sur la sélection géné-
+ 1,1 + 1,2
de 10 % tique et sur les conduites alimentaires.
Ces éléments seront évoqués plus en
Augmentation de l’efficacité digestive détails dans les parties 2 et 3 de cet
+ 1,2 + 1,0
de 10 %
article.
Réduction de l’âge au 1er vêlage
+ 0,3 + 0,3 „„1.4. Efficacité : Développer
de 2 mois
des indicateurs et des outils
Réduction de l’intervalle vêlage – adaptés pour évaluer
+ 0,4 + 0,4 la performance des systèmes
vêlage de 1 mois
par rapport aux objectifs
Réduction de 2 % de la teneur attendus
+ 0,0 + 1,3
en protéines après 150 j de lactation
Il existe de nombreuses raisons pour
1
Efficience calculée par le rapport entre l’énergie des aliments produits (lait, viande) rapportée à l’énergie
brute consommée par les animaux. lesquelles l’amélioration des proces-
2
Efficience calculée par le rapport entre les protéines des aliments produits (lait, viande) rapportée à aux sus à un niveau d’organisation donné
protéines consommées par les animaux. ne permet pas d’obtenir les objectifs
définis au départ (Faverdin et Peyraud,
revue. On peut aussi remarquer que au silo, pertes à l’auge). L’autre type de 2010). Piloter des systèmes agricoles sur
les leviers de l’efficience alimentaire ne « perte » concerne les pertes animales. des principes d’efficience est bien plus
concernent pas seulement l’alimenta- L’efficience alimentaire du troupeau complexe que de les piloter sur la pro-
tion, mais de nombreux éléments de porcin ou bovin viande diminue avec duction. Ce changement est encore plus
la conduite d’élevage, en particulier la l’augmentation du taux de mortalité, complexe si cette notion d’efficience
réduction des périodes improductives mais aussi avec le stade auquel cette n’est pas qu’économique, mais concerne
et des pertes. mortalité a lieu. Chez le porc, le taux de également les ressources (utilisation de
mortalité in utero et avant le sevrage est ressources par unité de produit) et les
Les pertes vont aussi avoir un impact quantitativement important, mais les impacts (impacts par unité de produit,
important sur l’efficience alimentaire. conséquences sur l’efficience alimen- très utilisés dans les analyses de cycle de
Le premier type de perte concerne les taire sont beaucoup plus importantes vie). Il est donc impératif de vérifier que
ressources alimentaires. En élevage de si un porc meurt juste avant l’abattage. les résultats obtenus sont bien en accord
porcs, les systèmes de distribution d’ali- Dourmad et al. (2015) ont estimé qu’un avec les objectifs recherchés au départ
ment ont un impact sur le gaspillage porcelet sevré a eu besoin de 41,5 kg et que l’on a été efficace (figure 1). Des
d’aliments. Brumm et Gonyou (2001) d’aliment, consommé par la truie. méthodes, des modèles, des indicateurs
considèrent qu’un taux de gaspillage de La mort d’un porc juste avant l’abat- et des outils sont nécessaires pour aider
moins de 6 % est satisfaisant pour des tage représente une perte d’aliment au pilotage des systèmes de production
« bons » nourrisseurs. Le poids de l’ani- d’environ 320 kg (y compris l’aliment et mesurer les progrès réalisés au travers
mal, la taille de groupe (par rapport aux consommé par la truie). En termes de des stratégies mises en place.
nourrisseurs), la forme de distribution pertes alimentaires, cette mortalité d’un
d’aliment (soupe ou sec), la restriction porc à 115 kg est donc équivalente à Les techniques d’évaluation multicri-
alimentaire ont un effet sur le gaspillage une mortalité de presque 8 porcelets tère se sont beaucoup développées et
d’aliment. Pour les ruminants, la simple entre la naissance et le sevrage. Pour fournissent des approches originales
conservation des fourrages sous forme les bovins allaitants, la perte d’un veau pour étudier l’efficience des systèmes
d’ensilage est associée à des pertes est équivalente à la perte de la consom- de productions animales (Lairez et al.,
importantes, de l’ordre de 20 %, par mation alimentaire de sa mère pendant 2015). L’étude des systèmes de produc-
rapport à la biomasse récoltée (pertes une année, soit près de 4 à 5 tonnes tion, observés ou modélisés, fournit un
au champ, jus, fermentations, pertes d’aliments. nombre de données et d’indicateurs

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Intégrer les changements d’échelle pour améliorer l’efficience des productions animales et réduire les rejets / 309

potentiels très conséquent pour évaluer des challenges importants a consisté à ainsi pour 1 kg de protéines déposées,
la production, les facteurs de production, améliorer l’efficience de conversion des entre 2,5 et 3,5 kg d’eau seront égale-
les impacts et l’économie. Un trop grand aliments par les animaux eux-mêmes. ment déposés. Il ressort de ce calcul
nombre d’indicateurs rend très difficile L’utilisation de la diversité génétique que raisonner l’indice de consomma-
l’interprétation des performances des pour sélectionner les animaux les plus tion sur la base du poids vif n’est pas la
systèmes de production. L’analyse de efficients pour convertir les aliments même chose que de raisonner en éner-
cycle de vie offre une possibilité intéres- dans un produit animal (lait ou viande gie déposée et cela montre des limites
sante d’agréger les différents indicateurs principalement) est intéressante car de ce critère pour évaluer l’efficience.
dans de grands indicateurs d’impacts. elle peut assez rapidement concerner Pour mieux caractériser l’efficience
Mais cette transformation génère encore de grands effectifs. Mais pour sélection- individuelle, il est apparu intéressant
beaucoup d’indicateurs (voire les multi- ner les animaux, il faut définir le critère d’utiliser d’autres indicateurs, moins ou
plie) pour évaluer les systèmes et repé- utilisé et essayer de comprendre les pas liés à la productivité de l’animal, en
rer les conduites les plus intéressantes. modifications biologiques associées particulier l’ingestion résiduelle.
Parmi toutes les méthodes d’analyse pour mieux en cerner les intérêts et les
multicritère, les méthodes d’analyse des limites. L’ingestion résiduelle ou la Consom­
frontières d’efficience sont intéressantes mation Moyenne Journalière Résiduelle
car elles permettent de ne comparer que „„2.1. Comment mesurer d’aliment (CMJR, ou RFI en anglais pour
des systèmes comparables entre eux sur l’efficience alimentaire « Residual Feed Intake ») reflète la diffé-
une échelle unique d’efficience tout en des animaux dans rence entre la consommation réelle et
prenant en compte plusieurs entrées et un objectif de sélection ? la consommation prévue sur la base de
plusieurs sorties dans la même analyse. la performance réalisée. Des animaux
Cette approche a été réalisée sur les sys- La première étape de l’amélioration a ayant une CMJR élevée consomment
tèmes laitiers français en essayant de été obtenue par la sélection sur la pro- plus pour des performances équiva-
construire un indicateur d’éco-efficience ductivité des animaux. Plus les gains lentes et, en conséquence, sont donc
à partir des indicateurs d’analyse de cycle de poids journalier ou les productions moins efficients (figure 3). Cet indi-
de vie (énergies non renouvelables, sur- de lait par animal augmentaient, plus cateur est de plus en plus utilisé et si
face, émissions de GES, eutrophisation, l’efficience alimentaire, définie comme l’on ne pouvait recenser dans le « Web
acidification) et des différentes produc- le ratio entre la production réalisée et of Science » (www.webofknowledge.
tions (lait, viande, cultures) (Soteriades la quantité d’aliments consommée, com) que 40 publications avec ce mot
et al., 2016a). Certains développements augmentait. Le ratio inverse, l’in- clé en 2008, il y en avait 169 en 2018.
de la méthode d’analyse de frontière per- dice de consommation (kg d’aliment Pour les animaux en croissance, le
mettent aussi de voir comment les dif- consommé/kg gain de poids) est plus modèle d’ingestion est expliqué par le
férentes dimensions de la performance souvent utilisé comme un indicateur gain de poids, la composition du gain
(productions, impacts, ressources) de l’inefficience alimentaire. Depuis des (principalement en porcs, via le pour-
peuvent être associées positivement ou années, l’indice de consommation en centage de viande maigre et l’épaisseur
négativement pour tendre vers le meil- production de viande ou de lait ne cesse de lard dorsal) et les besoins d’entretien
leur résultat. Il est intéressant de voir que de diminuer. En porcs par exemple, les (Gilbert et al., 2017a). Pour des femelles
l’intensification des systèmes à l’animal valeurs voisines de 3,2 au milieu des laitières, si les approches basées sur la
ou à l’hectare tend à réduire cet indice années 1970 ont baissé pour atteindre CMJR semblent également pertinentes,
d’éco-efficience alors que l’autonomie des valeurs de 2,6 maintenant (Knap elles nécessitent de longues périodes
des systèmes l’améliore (Soteriades et Wang, 2012). Une grande partie de de mesures d’ingestion pour prendre en
et al., 2016b). Couplées à des outils de cette amélioration est due au fait que compte la dynamique de la lactation,
modélisation, ces analyses d’efficience les animaux sont devenus plus maigres. même si les travaux récents montrent
pourraient également permettre de En lait, il fallait 8,95 MJ d’énergie par kg que les mesures en milieu de lactation
comparer différents scénarios à des de lait à la sortie de la dernière guerre sont les plus représentatives de l’en-
échelles assez larges (territoire, région) mondiale contre seulement 3,85 MJ en semble du cycle. Le modèle de calcul
et constituer des outils intéressants pour 2005 aux USA (Capper et al., 2009). des CMJR pour les vaches laitières uti-
la décision et boucler sur les évolutions lise le lait et la composition du lait, le
d’allocations à prévoir dans le cadre de Cependant, l’indicateur indice de poids et de façon moins systématique
la pertinence. consommation n’est pas indépendant les variations de poids ou d’état corpo-
de la vitesse de croissance ou de la pro- rel pour tenir compte des variations des
duction de lait journalière et demeure réserves (Løvendahl et al., 2018).
2. Améliorer l’efficience très peu corrélé à l’ingestion des ani-
alimentaire des animaux maux. Par ailleurs, pour la production L’utilisation de ces indicateurs montre
de viande, la densité énergétique des une variabilité importante de la CMJR
lipides est beaucoup plus importante dans la plupart des espèces. Suivant les
L’analyse du triangle de performance que la densité énergétique des proté- études, les modèles statistiques utilisés
a montré l’importance de l’étape d’effi- ines (39,8 vs 23,8 kJ/g) et le dépôt de et les espèces, on note un coefficient de
cience pour accroître la ­performance. Un protéines est associé au dépôt d’eau, variation de 5 à 14 %. Ce coefficient de

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


310 / Philippe faverdin, Jaap van milgen

Figure 3. Illustration de la mesure de l’efficience par la consommation moyenne meilleure transformation de l’aliment
journalière résiduelle d’aliments pour des vaches laitières (données issues de par l’animal. Globalement, il y a trois
Fischer et al., 2018a).
grands types de mécanismes liés au
27 devenir de l’énergie ingérée qui per-
mettent expliquer ces différences de
CMJR : la digestibilité, le métabolisme
et son rendement, et les diverses formes
25
Ingestion observée (kg MS/j)

d’utilisation de l’énergie.

La digestion de la ration est la pre-


23 mière étape d’utilisation de l’énergie
ingérée et elle peut varier entre ani-
maux. La variation de la digestibilité
21 pourrait expliquer une partie de la
variation de la CMJR (Nkrumah et al.,
Efficients 2006 ; Richardson et Herd, 2004). Parmi
Inefficients les phénotypes associés aux variations
19 de CMJR, les composantes du compor-
CMJR efficients
CMJR inefficients tement alimentaire semblent souvent
associées, même s’il reste à faire le lien
17 avec les modifications digestives (Fischer
17 19 21 23 25 27 et al., 2018b). Cependant, peu d’études
Ingestion prévue par le modèle (kg MS/j) ont spécifiquement étudié la variation
Le modèle d’ingestion est construit à partir des variables explicatrices de production de lait (énergie du de la digestibilité chez les bovins, princi-
lait), de poids métabolique (poids_vif 0,75) et de variation de poids sur la période. Les vaches ayant un palement en raison de la difficulté et du
résidu positif (en rouge) sont moins efficientes que celles qui ont un résidu négatif (en bleu) puisque leur coût requis pour mesurer ce caractère.
ingestion observée est supérieure à ce que le modèle prévoit. De plus, les résultats disponibles ne per-
mettent généralement pas de conclure
variation semble cependant plus faible l’ordre de 10 % sur la consommation parce que la précision de la mesure est
pour les femelles laitières (6 %) que d’aliments pour des animaux en crois- faible. Récemment, de nouvelles tech-
pour les animaux en croissance, bovins sance, mais probablement moins sur les niques d’étude des communautés micro-
ou porcs (8 à 14 %). Les travaux récents femelles laitières. La faible corrélation biennes ont montré des différences dans
de Fischer et al. (2018a) montrent que la entre l’efficience calculée en début de la population microbienne du rumen
variabilité de CMJR associée à l’effet ani- lactation et celle observée sur toute entre les bovins à CMJR élevées et faibles.
mal représente une faible proportion la lactation (Fischer, 2017 ; Løvendahl Des différences significatives dans la
des quantités ingérées chez la vache lai- et al., 2018). morphologie du tractus intestinal, avec
tière, contrairement aux autres espèces. des modifications cellulaires de l’épithé-
Ceci peut sans doute s’expliquer par la D’autres approches analogues basées lium dans les cryptes de l’intestin grêle à
part et la stabilité du coût énergétique sur la production résiduelle au lieu de la fois dans le duodénum et dans l’iléon,
de la fonction lactation lorsque l’on l’ingestion résiduelle ont été proposées ont été observées chez des bouvillons
prend en compte la composition du à partir de modèles destinés à expliquer plus efficaces (Montanholi et al., 2013).
lait dans la consommation d’énergie. la production (lait ou gain de poids) à Chez les porcs, les résultats ne montrent
Face à l’importance du métabolisme partir de variables décrivant l’ingestion pas de différence entre deux lignées
de la glande mammaire, les variations et le poids de l’animal. Les résidus de divergentes sur les CMJR (Montagne
de dépenses d’entretien représentent ces modèles sont très liés à l’indice de et al., 2014), même si la capacité diges-
une part beaucoup plus faible des consommation et à la production de tive semble avoir une composante géné-
dépenses énergétiques. L’héritabilité de lait (Løvendahl et al., 2018) ou au gain tique chez le porc (Noblet et al., 2013)
ce caractère varie beaucoup suivant les de poids (Arthur et al., 2001) et assez ainsi que chez les volailles (de Verdal
études (0,05 à 0,4), mais il semble assez peu à la consommation. Ces modèles et al., 2011). Globalement, la digestion
facile de sélectionner des animaux sur semblent apporter moins de valeur semble plus expliquer les variations de
ce caractère. Chez les porcs, l’INRA a ajoutée que ceux sur l’ingestion. CMJR chez les bovins (Herd et Arthur,
conduit une expérience de sélection 2009) que chez les monogastriques
divergente sur la CMJR sur neuf géné- „„2.2. Quels mécanismes (Gilbert et al., 2017a).
rations de porcs (Gilbert et al., 2017a ; biologiques expliquent
Gilbert et al., 2017b). La sélection a l’amélioration de l’efficience Une source d’économie d’énergie pos-
résulté en une différence importante alimentaire des animaux ? sible concerne des modifications signi-
entre les deux lignées en consomma- ficatives du métabolisme basal. Chez
tion alimentaire (435 g/j). En pratique, Il est intéressant de comprendre les le porc en croissance et chez la poule
la sélection permettrait de gagner de mécanismes pouvant expliquer cette pondeuse, les lignées CMJR – ont une

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Intégrer les changements d’échelle pour améliorer l’efficience des productions animales et réduire les rejets / 311

production de chaleur réduite à jeun. Herd, 2004) et chez les vaches laitières aptitude à mobiliser leurs réserves
Des différences liées au métabolisme (Fischer et al., 2018b). ­corporelles. On peut craindre que la
oxydatif peuvent expliquer ce résul- sélection de la CMJR conduise à des
tat et conduisent à des différences de Il existe donc de nombreux méca- vaches ayant moins de réserves cor-
coût énergétique de l’entretien (Barea nismes susceptibles d’expliquer des dif- porelles ou les sollicitant plus, avec
et al., 2010). Chez les bovins à viande, férences d’efficience alimentaire entre des risques potentiels sur la santé et
Richardson et Herd (2004) attribuaient animaux. Par conséquent on peut se la reproduction. Les travaux récents
une part importante des différences demander si sélectionner sur l’efficience de Hardie et al. (2017) montrent que
de CMJR à des modifications de turno- alimentaire peut avoir des effets néga- lorsque seuls la production de lait et
ver protéique. Montanholi et al. (2008) tifs ou positifs sur des fonctions d’inté- le poids sont introduits dans le modèle
ont mesuré par thermographie des rêt autres que la production. de la CMJR, il existe un lien entre l’effi-
températures plus élevées, en particu- cience et des gènes candidats impliqués
lier au niveau des joues et du museau, „„2.3. Sélectionner dans la gestion des réserves (leptine,
chez des taurillons à CMJR élevée. Les sur l’efficience alimentaire récepteurs adrénergiques). On peut
différences de niveau d’ingestion sont peut-il réduire la robustesse donc craindre de renforcer le caractère
également de nature à réduire les coûts des animaux ? maigre des vaches laitières si on sélec-
énergétiques liés à la digestion comme tionne l’efficience sans introduire ce
l’ont confirmé des différences de poids Il est souvent suggéré que les animaux caractère dans le modèle. Le dévelop-
des viscères (Labussière et al., 2015). Ces les plus efficients en termes de croissance pement de nouvelles méthodes à haut
résultats confirment que l’existence de ou de production de lait pourraient être débit de mesure de l’état corporel des
différences dans le métabolisme suscep- moins robustes et donc plus sensibles aux vaches laitières par imagerie 3D (Fischer
tibles d’expliquer les écarts d’efficience. facteurs de stress. Cette idée est basée sur et al., 2015) offre des perspectives inté-
l’hypothèse que les ressources allouées ressantes pour mieux appréhender ce
Le troisième grand type de diffé- à la croissance ne peuvent pas être uti- caractère et l’introduire dans les équa-
rence associée aux différences de CMJR lisées pour d’autres fonctions comme la tions de calcul de la CMJR, ce qui n’est
concerne les formes d’utilisation de reproduction ou le système immunitaire pas possible avec le bilan énergétique.
l’énergie. Une première forme d’écono- ou peuvent utiliser de façon plus intense
mie consiste à mettre plus de dépôts les réserves corporelles. Comme indiqué précédemment, l’ef-
protéiques (et de l’eau associée) que lipi- ficience ne doit certainement pas être
diques dans la croissance des animaux. L’expérience conduite à l’INRA sur la considérée comme seul critère pour
Chez les bovins à viande, les travaux de sélection divergente de la CMJR des améliorer la durabilité des élevages.
Richardson et Herd (2004) sur des sélec- porcs n’a pas permis de confirmer cette Des aliments qui n’entrent pas ou moins
tions divergentes de bovins basées sur la hypothèse. Les deux lignées répon- en compétition directe avec l’alimen-
consommation résiduelle d’aliment n’at- daient de façon similaire à un challenge tation de l’Homme sont généralement
tribuaient à la composition corporelle inflammatoire provoqué artificiellement plus riches en fibres alimentaires. Le
qu’une faible part des gains possibles. en termes de fièvre, concentration de défi pour l’avenir n’est donc pas « com-
Cependant chez les porcs, les lignées haptoglobines (une protéine de phase ment peut-on améliorer l’efficience ? »
CMJR – (plus efficientes) ont un taux aiguë et indicateur d’inflammation) et mais plutôt « comment peut-on faire
de maigre supérieur, ce qui contribue à dynamique de consommation alimen- au mieux avec un aliment qui est de
améliorer les rendements en carcasse, taire (Merlot et al., 2016), même si les moindre qualité ? ». On peut en effet
mais aussi à dégrader certains carac- stratégies métaboliques pour y arriver craindre que certaines aptitudes propres
tères de qualité de la viande (Gilbert différaient entre les deux lignées. Bien à améliorer l’efficience alimentaire avec
et al., 2017a). L’autre forme d’utilisation au contraire, sélectionner les animaux des régimes d’excellente valeur alimen-
d’énergie souvent observée de façon pour l’efficience semble les rendre plus taire ne soient pas conservées avec des
plus importante chez les animaux inef- robustes. Les animaux plus efficients rations de plus faible valeur. Peu de
ficients est une augmentation de l’acti- étaient affectés moins longtemps par travaux permettent pour l’instant de
vité physique. Le coût énergétique de la un challenge inflammatoire (Labussière répondre avec certitude à cette ques-
station debout peut être élevé et a été et al., 2015) et leur état était moins altéré tion. Dans un essai avec des bovins à
bien quantifié chez la truie (Noblet et al., par des conditions sanitaires dégradées viande recevant deux types de rations
1993). Cette augmentation de l’activité (Chatelet et al., 2018). Les résultats obte- différentes entre les phases de crois-
physique a été bien observée sur les nus à l’INRA sur la sélection divergente sance et d’engraissement, les auteurs
lignées de porcs sélectionnées sur leur de la CMJR étaient similaires à ceux d’une ont observé une corrélation géné-
CMJR + et – (Meunier-Salaün et al., 2014), expérience conduite à l’« Iowa State tique modérée entre l’efficience des
avec moins de temps passé debout et University » (Young et Dekkers, 2012). animaux mesurée avec l’une et l’autre
moins d’interactions sociales pour les des deux rations, indiquant l’existence
animaux efficients. Des constations simi- La sélection de la CMJR chez les ani- possible d’une interaction entre géné-
laires sur le temps passé debout et sur les maux en croissance conduit générale- tique et environnement pour la CMJR
déplacements ont été faites également ment à des animaux plus maigres. Les (Durunna et al., 2011). Chez les porcs, la
chez les bovins à viande (Richardson et vaches laitières présentent une forte sélection de lignées d ­ ivergentes sur la

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


312 / Philippe faverdin, Jaap van milgen

CMJR n’avait pas permis d’observer de Les connaissances actuelles en nutrition des animaux permet de réduire les
différences de capacité digestive pour des ruminants permettent de prévoir émissions associées à leur production.
des régimes conventionnels ou riches assez précisément les principaux flux Le choix de matières premières ayant
en fibres (Montagne et al., 2014). On n’a d’éléments à l’échelle de l’animal. moins d’impact sur la perte de carbone
donc pour l’instant peu d’éléments indi- des sols dans la formulation des ali-
quant que la nature du régime perturbe „„3.1. Cycle du carbone ments des monogastriques (Espagnol
beaucoup les classements d’efficience et al., 2018) constitue également une
des animaux. Ce n’interdit pas de se a. Le gaz carbonique piste de réduction des émissions de gaz
poser la question des types de ration Le gaz carbonique (CO2) est un gaz à à effet de serre (GES), même s’il y a un
avec lesquels les animaux doivent être effet de serre dont la concentration a léger surcoût à l’aliment ainsi formulé.
sélectionnés pour les décennies futures. fortement augmenté dans l’atmosphère Chez les ruminants, l’utilisation des prai-
avec l’augmentation de la population ries représente une voie importante de
du globe et de ses activités. Cette aug- maintien du carbone dans les sols et
3. Réduire les rejets mentation contribue principalement dans certaines conditions d’augmenta-
vers l’environnement au réchauffement climatique d’origine tion de son stockage (Dollé et al., 2013).
anthropique. Cependant le CO2 direc-
tement rejeté par les animaux, même b. Le méthane
Les rendements de la biotransforma- s’il représente des flux importants, n’est Le méthane (CH4) est un gaz à effet de
tion des aliments en produits animaux pas considéré comme ayant un impact serre, 25 fois plus puissant que le CO2,
ne sont pas très élevés (10 à 40 % de sur l’environnement, car il provient en généralement associé à des fermenta-
l’énergie ou des protéines consom- général du CO2 prélevé dans l’atmos- tions anaérobiques. Les émissions de
mées). Ainsi, le carbone (C) et l’azote phère par les plantes au cours de la méthane sont en lien avec les fermenta-
(N) couplés grâce à la photosynthèse même année. Les impacts liés au CO2 tions dans le tube digestif des animaux
dans les végétaux consommés par sont principalement dus au déstoc- et pendant le stockage des effluents.
les animaux se retrouvent largement kage du carbone des sols. Celui-ci a lieu Les émissions entériques sont principa-
découplés dans les rejets des animaux, principalement lors du changement lement liées à la digestion microbienne
ce qui peut constituer à la fois un atout d’usage des sols en libérant le carbone dans le rumen des ruminants et dans
agronomique pour la fertilisation des des matières organiques du sol. L’autre une moindre mesure dans le gros intes-
cultures et des risques pour l’environ- source d’émission de CO2, nettement tin de tous les animaux. De nombreuses
nement. Ces rejets sont constitués prin- plus faible, concerne l’utilisation de synthèses existent pour faire l’état de
cipalement des effluents, intégrant les carbone fossile comme source d’éner- l’art de cette question (Gerber et al.,
urines et les fèces, mais aussi des rejets gie pour l’élevage, directement sur l’ex- 2013 ; Hristov et al., 2013). Nous nous
gazeux émis directement par l’animal. ploitation ou en amont, notamment limiterons donc à présenter les grandes
Ces différents rejets conduisent à l’ap- pour la culture des aliments nécessaires pistes actuelles dans ce domaine en
parition de formes de C (méthane) ou à l’alimentation. montrant aussi les limites associées à
de N (ammoniac, protoxyde d’azote, ces différentes stratégies.
nitrate…) qui présentent des risques Si le déstockage du carbone fossile
pour l’environnement. Les stratégies est le premier facteur d’augmentation • Réduire les émissions de méthane enté-
pour limiter ces risques à l’échelle de des émissions de CO2 dans l’atmosphère rique des ruminants
l’animal vont consister i) à limiter le terrestre, l’élevage est principalement
découplage du carbone et de l’azote, concerné par les changements d’usage Les archées présentes dans le rumen
notamment en limitant les pertes dans des sols qu’induit son développement. sont capables d’éliminer l’hydrogène
l’urine car l’urée conduit très vite à la La recherche croissante de sols arables produit dans le rumen en le combinant
formation d’ammoniaque, et ii) à aug- pour les cultures annuelles est un fac- avec le CO2 pour produire le méthane.
menter l’efficacité d’utilisation des teur de libération du carbone séques- Trois grandes stratégies, les inhibiteurs
protéines et des glucides des végétaux tré dans les sols vers l’atmosphère. de la synthèse du méthane, l’alimenta-
pour la synthèse du lait et de la viande. Les retournements de prairies ou la tion et la sélection génétique ont mon-
déforestation sont des facteurs impor- tré des possibilités intéressantes pour
Chez les ruminants, cette maîtrise du tants de libération de CO2 stocké dans limiter cette production et les impacts
couplage est compliquée par le rôle les sols. Dans son rapport « Livestock’s associés. D’autres approches, telle la
spécifique de la digestion microbienne long shadow », la FAO (2006) chiffrait vaccination, font également l’objet de
dans la panse. Cette digestion permet les émissions de CO2 liées à l’élevage à recherches, mais doivent encore faire
de fermenter la cellulose qui serait seulement 0,16 GT par an sans l’usage preuve de leur efficacité.
indigestible autrement et de synthéti- et le changement d’usage des sols, mais
ser des protéines microbiennes, mais à 2,7 GT/an en les intégrant, soit plus L’utilisation d’inhibiteurs de la réac-
elle dégrade des protéines végétales que les émissions de méthane par l’éle- tion de synthèse du méthane est une
en ammoniac. Elle produit aussi du vage (2,2 GT CO2 eq/an). La réduction stratégie qui peut s’avérer très efficace
méthane (CH4) et du gaz carbonique qui de la consommation d’aliments par en agissant de manière ciblée sur sa
représentent une perte énergétique. l’amélioration de l’efficience a­ limentaire production. La revue de Patra et al.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Intégrer les changements d’échelle pour améliorer l’efficience des productions animales et réduire les rejets / 313

(2017) dresse un panorama assez large 2016 ; Kandel et al., 2017). Les travaux impliqués dans les mécanismes d’effi-
des connaissances sur les mécanismes de Pinares-Patiño et al. (2013) chez les cience chez les ruminants (Løvendahl
et solutions envisagées pour réduire moutons ont démontré des possibilités et al., 2018). Les mesures à haut débit
cette production. Des molécules, de réduire les émissions par la voie de des émissions de méthane restent un
comme les dérivés nitro-oxy (3NOP et la sélection avec des héritabilités éga- frein important à la sélection d’animaux
méthyl 3NOP), ont montré dans des lement assez bonnes sur les émissions moins émetteurs, mais sont indispen-
essais zootechniques conduits avec de méthane en g/j, mais plus faibles sables pour vérifier que l’on peut
des bovins à viande, des bovins laitiers sur les productions de méthane par kg réellement simultanément améliorer
et des ovins, que des doses faibles de de MS d’aliment ingéré (héritabilité de l’efficience alimentaire et réduire les
quelques g de 3NOP par bovin et par 0,13). Des résultats d’héritabilité de ces émissions de méthane.
jour apportés dans la ration permettent paramètres ont également été obtenus
des réductions importantes et répé- avec des effectifs importants de bovins • Réduire les émissions de méthane des
tables de la production de méthane à viande (Donoghue et al., 2016), mais effluents
(environ 25 à – 30 %) sans effet négatif ils montrent des corrélations géné-
avéré pour l’instant (Jayanegara et al., tiques positives élevées entre l’émission La production de méthane par les
2018). D’autres inhibiteurs intéressants de méthane (g/j) et les paramètres de effluents constitue également une
ont été identifiés, comme les méta- croissance qui doivent inciter à orien- source importante d’émission de
bolites secondaires des plantes, mais ter la sélection plus sur une émission de méthane dans l’atmosphère, qui ne
leur action semble plus aléatoire pour méthane résiduelle négative (émission concerne pas seulement les rumi-
l’instant et nécessite encore des tra- de méthane observée moins émission nants. Ceci est particulièrement vrai
vaux importants pour préconiser leur de méthane prédite) que sur les émis- dans les systèmes de production où
utilisation. L’acceptabilité de ces inhi- sions totales de méthane. De même les animaux sont élevés en bâtiments,
biteurs par les consommateurs reste pour les vaches laitières, des résul- car les émissions de méthane ont
cependant à étudier. tats obtenus à partir des émissions lieu principalement pendant le stoc-
de méthane estimées par analyse des kage anaérobique des effluents, soit
L’alimentation est aussi un moyen spectres infrarouges du lait montrent dans les litières paillées, soit dans les
possible de réduire les émissions de des corrélations génétiques positives fosses à lisier, mais sont négligeables
méthane. La revue de Doreau et al. avec la fertilité des vaches (Kandel et al., au pâturage. Les facteurs d’émissions
(2011) dresse un inventaire des solu- 2018), une sélection contre les émis- proposés par l’IPCC (2006) montrent
tions possibles. On peut notamment sions de méthane pouvant contribuer bien les différences d’émissions de
agir par l’ajout de lipides ou par l’aug- à dégrader la reproduction. Les straté- méthane liées aux différents types
mentation d’amidon en remplace- gies de contre-sélection génétique sur d’effluents (figure 4). On notera aussi
ment des fibres alimentaires dans la les émissions de méthane devront donc l’effet important de la température, qui
ration pour réduire les émissions de veiller à ne pas altérer d’autres carac- dans les systèmes produisant du lisier
méthane. Ces stratégies sont cepen- tères d’intérêt. accroît fortement les facteurs d’émis-
dant susceptibles d’effets associés non sions. Avec les effets du réchauf­f ement
négligeables, certains positifs comme Le lien entre efficience alimentaire climatique, il faut donc craindre que
l’enrichissement du lait en acides gras (CMJR) et émissions de méthane (g/j) ces émissions augmentent si les sys-
insaturés, d’autres négatifs comme les est complexe et les premiers résultats tèmes de stockage n’évoluent pas.
émissions de GES induites par la pro- montrent qu’il ne sera pas facile de En dehors du pâturage qui est une
duction de ces aliments et par les coûts cumuler les gains sur les deux straté- solution économique pour limiter les
associés qui peuvent réduire leur perti- gies. La sélection de bovins à viande émissions de méthane, les solutions
nence par rapport à d’autres mesures sur l’efficience alimentaire montre que, techniques pour réduire ces émissions
(Pellerin et al., 2017). pour une même alimentation, les ani- existent, mais sont souvent couteuses.
maux les plus efficients émettent plus Si les méthaniseurs ou les torchères
La sélection génétique est une voie de méthane par kg d’aliment ingéré permettent de réduire les émissions
prometteuse puisse qu’elle peut concer- que les animaux les moins efficients de GES des systèmes lisiers, leur coût
ner un nombre très important de rumi- (Herd et al., 2016 ; Renand et al., 2016). reste élevé par tonne de CO2 eq évité
nants, même s’il faut attendre plusieurs Des premiers résultats obtenus chez (Pellerin et al., 2017).
années pour voir les effets du progrès les vaches laitières Holstein (Olijhoek
génétique dans ces espèces. La revue et al., 2018) montrent également des „„3.2. Cycle de l’azote
de Pickering et al. (2015) fait le point relations positives entre efficience et
sur l’état des possibilités de réduction production de méthane (g/kg de MS), La transformation de l’azote non
des émissions de méthane par la sélec- ce qui fait que le gain d’efficience ne se réactif de l’air en azote réactif a connu
tion génétique. Plus récemment, des traduit pas par une émission réduite de une croissance extraordinaire avec la
travaux ont permis d’estimer que l’hé- méthane comme on pourrait le penser fabrication des engrais azotés de syn-
ritabilité des émissions de méthane (g/j) compte tenu de la baisse d’ingestion. thèse pour augmenter les rendements
chez les vaches laitières serait comprise Ce résultat suggère que la digestibilité des cultures alors que le rôle de la fixa-
entre 0,20 et 0,25 (Lassen et Løvendahl, et le transit peuvent être fortement tion symbiotique a peu augmenté en

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


314 / Philippe faverdin, Jaap van milgen

Figure 4. Facteurs d’émissions du méthane en fonction des différents modes de Chez les ruminants, limiter l’apport
gestion des effluents et de la température moyenne (d’après IPCC, 2006). en protéines métabolisables augmente
90 leur rendement d’utilisation (Brun-
Lafleur et al., 2010 ; Sauvant et al., 2015).
De même l’amélioration de l’équilibre
80 en acides aminés digestibles permet
d’accroître le rendement de l’utilisation
70 des protéines métabolisables (Haque
et al., 2012). En général, le faible ren-
dues à la gestion des effluents (%)
Facteur d'émissions du méthane

dement marginal d’utilisation des pro-


60 téines fait que la baisse de production
induite par une réduction d’apport pro-
50 téique est moins forte que la baisse de
consommation de ces protéines, favo-
risant ainsi une meilleure utilisation de
40 ces protéines. Un premier travail dans
ce sens a permis de montrer qu’avec des
30 régimes à base d’ensilage de maïs, on
pouvait réduire de plus de 40 % la quan-
tité de tourteaux nécessaires par kg de
20 matières protéiques du lait (Cutullic
et al., 2013) grâce à une augmentation
10 de près de 10 points de l’efficience d’uti-
lisation des protéines alimentaires. S’il
faut accepter une réduction de la pro-
0 duction de lait par vache de 5 % seule-
5 10 15 20 25 30 ment, celle-ci a lieu sans altération de
Température (°C) l’efficience énergétique (kg de lait/kg
MS consommée).
Bassin/Lagune Liquide/Lisier Fumier/solides
Méthaniseur Pâture/Parcours Chez le porc, moins de 20 % de l’azote
Ces facteurs d’émissions s’appliquent aux matières organiques contenues dans les effluents. ingéré par le porc est non-digestible et
donc excrété dans les fèces alors qu’en-
comparaison. Ce fort accroissement a. Maximiser le rendement viron 50 % de l’azote ingéré est excrété
de l’azote réactif conduit à la cascade de l’utilisation des protéines dans les urines (Dourmad et al., 1999).
de l’azote (Galloway et al., 2003) qui métabolisables Maximiser le rendement de l’utilisation
se traduit par l’émission de nombreux L’alimentation de précision a pour but des protéines passe surtout par l’op-
composés à risques pour l’environne- d’ajuster l’alimentation individuellement timisation du profil en acides aminés
ment (N2O pour le réchauffement cli- en fonction de besoins spécifiques de dans l’aliment par rapport aux besoins
matique, NO3 pour l’eutrophisation des chaque animal. Ce qui est nouveau dans de l’animal. Ceci permet de réduire la
milieux aquatiques, NH3 pour l’acidifi- ce concept, c’est que cet ajustement ne teneur en protéines dans l’aliment,
cation) et pour la santé humaine (NH3 se fait plus seulement en fonction de de réduire l’excrétion de l’azote dans
et maladies respiratoires). L’élevage modèles a priori, mais aussi en fonction les urines, et de maximiser le rende-
joue un rôle important dans cette cas- des réponses des animaux eux-mêmes. ment d’utilisation des protéines. Une
cade de l’azote par sa consommation En effet, les modèles de prévision peinent réduction importante de la teneur en
importante d’aliments et notamment à prévoir parfaitement les réponses indi- protéines est possible en utilisant des
de protéines qu’il utilise avec un ren- viduelles. Le monitoring va permettre de acides aminés libres, comme la lysine,
dement souvent faible, de 10 à 40 %. savoir plus de choses sur l’état des ani- la méthionine, la thréonine, le trypto-
La question d’essayer de réduire l’uti- maux et leurs réponses aux conditions phane et la valine. Il est admis qu’une
lisation de protéines et les émissions d’élevage, l’alimentation de précision va réduction de la teneur de protéines
liées à leur transformation est donc permettre d’intégrer cette information dans l’aliment de 1 point résulte en
un enjeu important de l’élevage. Cette pour corriger les apports afin d’apporter une réduction d’excrétion d’azote de
réduction des protéines doit permettre aux animaux ce qui convient le mieux, au 8 à 10 %.
de réduire l’excrétion d’azote, en parti- bon moment et avec l’efficience maxi-
culier urinaire, qui est difficile à conser- male. Ce concept, déjà utilisé pour l’ali- Le concept de « protéine idéale » a
ver pour la fertilisation dans la gestion mentation en concentrés énergétiques été développé dans les années 1960
des effluents et qui contribue pour des vaches laitières utilisant des robots et permet d’exprimer les besoins en
beaucoup aux émissions de l’élevage de traite, peut bien entendu s’appliquer acides aminés par rapport à la lysine.
en termes de NH3 et N2O. à l’alimentation protéique. L’évolution des besoins en acides

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Intégrer les changements d’échelle pour améliorer l’efficience des productions animales et réduire les rejets / 315

a­ minés au cours de la croissance est préliminaires semblent indiquer que le ce ­compromis (Vérité et Journet, 1977),
prise en compte d’abord par rapport à rendement marginal pourrait être très mais cette technologie a actuellement
l’évolution du besoin en lysine (en kg variable entre individus au sein d’une disparu compte tenu des risques à la
d’aliment ou par rapport à l’énergie) population. Si c’est confirmé, cela pour- production en usine. Le développe-
et les autres acides aminés suivent le rait offrir une possibilité intéressante, ment de nouvelles méthodes est donc
besoin en lysine selon le profil de la pro- non seulement dans un contexte d’ali- important et de nombreux complé-
téine idéale. Le besoin en lysine (et donc mentation de précision, mais aussi pour ments protéiques combinant une ou
ceux des autres acides aminés) diminue étudier l’héritabilité de ce rendement plusieurs technologies apparaissent
au cours de la croissance. Pour maximi- marginal et d’essayer de l’améliorer par aujourd’hui sur le marché. Le traite-
ser le rendement d’utilisation des proté- la sélection génétique. ment des tourteaux ou des graines par
ines, il est important de suivre, au mieux, la chaleur pour favoriser la formation
cette diminution dans les apports. Les b. Réduire la dégradabilité de réactions de Maillard, l’utilisation de
systèmes d’alimentation en bi-phase, des protéines tannins naturels ou d’huiles essentielles
ou en multi-phase où plusieurs aliments de l’alimentation sont autant de solutions proposées
sont distribués en fonction du stade de des ruminants à fort besoin aujourd’hui pour favoriser le by-pass
croissance, permettent d’améliorer l’ef- L’alimentation des vaches laitières des protéines alimentaires du rumen.
ficience d’utilisation d’azote. Or, avec le fortes productrices nécessite des Ces nouvelles solutions posent cepen-
développement des outils de monito- apports importants de protéines méta- dant des difficultés pour évaluer l’im-
ring, il est maintenant possible d’aller bolisables pour satisfaire les besoins pact de ces traitements sur les valeurs
plus loin et de développer des systèmes de synthèse des matières protéiques alimentaires des sources protéiques, en
d’alimentation de précision. Il ne s’agit du lait. Si les microbes du rumen particulier lorsqu’elles sont supposées
pas uniquement de suivre les besoins peuvent synthétiser une part impor- avoir une action systémique. Il convient
moyens en acides aminés au cours de tante des protéines à partir des fer- de proposer rapidement de nouvelles
la croissance, mais d’y apporter une mentations de la ration dans le rumen, méthodologies pour quantifier les gains
dimension individuelle. Il s’agit ici d’es- cela est généralement insuffisant pour de protéines métabolisables permis par
timer la croissance (ou le dépôt de pro- couvrir les besoins en protéines des ces solutions, probablement en utilisant
téines) et la consommation d’aliment vaches laitières. Pour y parvenir, il faut des réponses biologiques.
attendus pour ainsi nourrir chaque donc accroître la part de protéines
individu selon ces propres besoins. Par qui échappe à la dégradation par les „„3.3. Cycle du phosphore
rapport à un système de l’alimentation microbes dans le rumen, soit en appor-
en trois phases, une système d’alimen- tant plus de protéines globalement, Comme pour l’azote, améliorer l’uti-
tation de précision (en multi-phases mais avec une inefficience importante, lisation du phosphore passe par l’opti-
et individualisé), l’apport en lysine a soit en augmentant la part des proté- misation des apports par rapport aux
pu être réduit par 27 % et l’excrétion ines qui échappe à la dégradation en besoins. Si l’apport raisonnable en
d’azote par 22 %, sans conséquences les protégeant mieux de l’attaque par fertilisants organiques aux cultures est
sur les performances (Andretta et al., les microbes, ce qui permet d’économi- un atout important pour les besoins
2014). ser des protéines, de réduire l’excrétion des plantes en phosphore, l’excès de
urinaire d’azote et de mieux valoriser ces apports conduit, par ruissellement
Le fait que la majorité de l’azote soit les ressources protéiques utilisées. Il particulaire des matières organiques, à
excrété via les urines est dû au catabo- est donc intéressant de traiter ces proté- une eutrophisation des milieux aqua-
lisme des acides aminés. Ce catabo- ines avec différentes technologies pour tiques. Même si en France, l’élevage ne
lisme pourrait être dû à un apport en accroître leur protection. Ceci est pos- contribue globalement que pour 10 %
acides aminés supérieur aux besoins et sible en particulier avec des rations à aux rejets de phosphore (Meschy et al.,
donc potentiellement « évitable ». Une base d’ensilage de maïs dans la mesure 2008), la concentration des élevages sur
autre partie est liée aux besoins de l’en- où plus de la moitié des protéines sont certains territoires constitue un facteur
tretien, mais cette partie est considérée apportées par les seuls compléments de risque important. L’utilisation opti-
comme relativement faible (van Milgen protéiques. male de cette ressource limitée sur la
et Dourmad, 2015). La majorité du cata- planète est donc un enjeu important
bolisme dit « inévitable » est dû au fait Le dilemme de la protection des pro- pour l’élevage. La revue de Meschy
que les acides aminés ne peuvent pas téines pour une meilleure efficience et al (2008) brosse un tableau tou-
être utilisés avec un rendement margi- de leur utilisation par les ruminants jours d’actualité des pistes permettant
nal de 100 %, même si l’apport en un vient de l’équilibre qu’il faut trouver une bonne maîtrise des apports de
acide aminé est limitant pour le dépôt entre une protection efficace contre phosphore dans les différentes filières
protéique. Ces rendements marginaux la dégradation par les microbes dans animales.
sont différents entre acides aminés le rumen, et la conservation d’une
essentiels (van Milgen et al., 2008 ; van bonne digestibilité des protéines qui Contrairement aux ressources azo-
Milgen et Dourmad, 2015) et ils pour- sortent du rumen dans l’intestin. La tées, le phosphore dans les ressources
raient aussi être affectés par le poids technique des tourteaux tannés au for- d’origine végétale, majoritairement
de l’animal (NRC, 2012). Des études maldéhyde avait bien réussi à trouver sous forme de phytates, est peu

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316 / Philippe faverdin, Jaap van milgen

­ igestible directement. La phytase per-


d Que ce soit pour l’azote ou pour les été choisis dans cet article pour illustrer
met de dégrader le phytate. Chez les minéraux, la maîtrise des apports dans deux types d’interactions importantes,
ruminants, l’hydrolyse des phytates est l’alimentation pour permettre une effi- celles entre l’élevage et le territoire et
en grande partie réalisée par les phy- cience de leur utilisation élevée est un celles liées à la coproduction de lait et
tases des microbes du rumen. Mais les enjeu important pour réduire les rejets de viande et d’en évaluer les consé-
phytates sont peu ou pas digestibles vers l’environnement. Il convient cepen- quences sur les performances globales.
par les monogastriques (Humer et al., dant de noter que ces éléments N et P
2015). Chez les porcs, la digestibilité ont des impacts majoritairement locaux „„4.1. Interactions élevage
fécale de phosphore est aux alentours (à l’exception du N2O). Les aspects d’or- – territoire concernant
de 30 % pour le maïs, et les tourteaux ganisation territoriale et de concentra- les impacts du cycle
de soja et de colza. Cette même valeur tion des élevages sont donc importants de l’azote
est valable pour les céréales comme le pour la maîtrise de ces impacts et pour
blé et l’orge si la phytase endogène faire en sorte que la vertu fertilisante Les principes d’augmentation de
est détruite par un traitement ther- des effluents organiques ne se trans- l’efficience protéique des vaches lai-
mique, mais la digestibilité est plus forme pas en pollution des milieux tières vus précédemment convergent
élevée si ce n’est pas le cas (Sauvant aquatiques. pour indiquer que des systèmes rela-
et al., 2002). C’est pour cette raison que tivement intensifs à l’animal, avec des
des phytases d’origine microbienne rations utilisant des quantités impor-
ont été développées et elles sont lar-
4. Les gains d’efficience tantes d’ensilages de maïs et un apport
gement utilisées dans l’alimentation alimentaire et de réduction de protéines contrôlé vont permettre
des monogastriques. La digestibilité des rejets à l’échelle des réduire les rejets d’azote pour une
augmente de façon curvilinéaire avec animale sont-ils conservés même production de lait. La figure 5
l’apport de phytase microbienne et aux échelles supérieures ? illustre la comparaison du bilan azoté
les phytases produites par des bacté- annuel d’une vache laitière moyenne
ries et des levures semblent être plus dans une conduite de système herba-
efficaces que celles initialement pro- En passant en revue les pistes d’amé- ger et d’une vache forte productrice
duites par des champignons (Humer lioration de l’efficience, notamment dans un système basé sur des rations
et al., 2015). Ces apports de phytases celles de la figure 2, il est clair que la complètes à base d’ensilage de maïs
ont largement contribué à réduire les plupart d’entre elles sont bien de nature avec une complémentation protéique
apports de phosphore dans l’alimenta- à réduire également les impacts sur l’en- équilibrée. Il en ressort que l’efficience
tion des monogastriques. Néanmoins, vironnement, soit par la diminution des d’utilisation de l’azote par la vache lai-
la digestibilité de phosphore dépasse ressources utilisées, soit par la réduction tière est supérieure dans le système
rarement le 60 à 70 %, même avec des des émissions associées, soit les deux. le plus intensif à base d’ensilage de
apports de phytases élevés (Dourmad Nous avons plusieurs fois mentionné maïs et que les rejets d’azote sont plus
et Jondreville, 2007). ces effets bénéfiques attendus. Cela faibles : 2,4 g de N excrété par g de N
paraît trivial et pourrait nous dispenser Lait vs 3,1 g de N dans le système herba-
Le besoin en phosphore (et en cal- de le vérifier. Cependant, le triangle de ger. Les écarts sont encore plus impor-
cium) est principalement déterminé la performance doit nous inciter à véri- tants sur les émissions d’azote urinaire
par les besoins osseux et par l’expor- fier l’efficacité des solutions retenues qui sont les plus à risque : 1,1 g de N uri-
tation de ces minéraux dans le lait. par rapport aux objectifs recherchés. naire excrété par g de N Lait vs 1,7 g de
Comme pour l’azote, le besoin en Plusieurs effets systémiques peuvent N dans le système herbager. La gestion
phosphore (exprimé en g P digestible/ en effet annihiler les effets bénéfiques de l’azote dans ces systèmes herbagers
kg d’aliment) diminue au cours de la attendus. Cette perte de bénéfice devrait donc être théoriquement plus
croissance, mais le besoin pour maxi- attendu vient généralement des inte- problématique.
miser la minéralisation osseuse est ractions entre entités du système ou
supérieur au besoin pour maximiser la entre processus qui n’ont pas été prises L’analyse des pertes d’azote des sys-
croissance. Pour améliorer l’efficience en compte. Des exemples ont déjà été tèmes de production laitiers montre
d’utilisation de phosphore, l’alimen- cités et on pourrait donner l’exemple cependant que les systèmes herbagers
tation par phases est donc un levier des gains d’émissions directes de ont toujours moins d’impacts que les
important. Dans une étude récente, méthane par l’alimentation de bovins systèmes basés sur l’utilisation d’en-
Gonzalo et al. (2018) utilisaient l’alimen- en élevage et en finition qui peuvent silage de maïs. Deux grands facteurs
tation minérale par phases, mais avec être compensés, après analyse par cycle expliquent ce phénomène. Le premier
des périodes de sous-alimentation en de vie, par des augmentations d’émis- facteur est lié au fait que l’augmenta-
P et Ca. La sous-alimentation améliorait sions, notamment liées aux ressources tion de la production par vache induit
l’efficience d’utilisation de phosphore nécessaires pour y parvenir (Nguyen la plupart du temps une intensification
sans conséquences sur la croissance et et al., 2012). Chaque situation étant de la production par hectare notam-
la minéralisation osseuse et permettait particulière, il est difficile de ne pas ment liée à la production de maïs et
de réduire l’apport en phosphore diges- procéder à partir d’exemples pour ana- un achat important de compléments
tible jusqu’à 34 %. lyser ce problème. Deux exemples ont protéiques. Cette augmentation de la

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Intégrer les changements d’échelle pour améliorer l’efficience des productions animales et réduire les rejets / 317

Figure 5. Bilan azote annuel d’une vache laitière (animal moyen en supposant „„4.2. Interactions liées
30 % de primipares dans le troupeau) dans un système « herbager » (gras) et à la coproduction : exemple
dans un système « intensif ensilage de maïs » (italiques) en kg de N par an et
entre parenthèses en % de l’ingéré pour les sorties du système (d’après Faverdin
du lait et de la viande
et Peyraud 2010).
Le changement d’échelle concer-
Lait produit N urine nant l’efficience alimentaire et les
N autres
7 500 kg/an 7 (4 %) 60 (39 %) émissions de GES devrait théorique-
10 500 kg/an 7 (4 %) 55 (30 %) ment poser moins de problème, car
ce sont des facteurs à impact global
et non pas local comme l’exemple
de l’azote. Les gains d’efficience liés
N gestation GPV
N fèces à l’augmentation de production par
2 (1 %)
2 (1 %) 51 (33 %) animal, grâce au progrès génétique
65 (36 %) laisse présager des gains très impor-
tants sur les émissions associées. Dans
l’étude de l’efficience des vaches lai-
N ingéré N lait tières, la synthèse de Knapp et al.
155 kg/an 36 (23 %) (2014) souligne les effets très positifs
181 kg/an 51 (28 %) de l’augmentation de production sur
la baisse des émissions de méthane
­ ression d’azote par hectare conduit
p des effluents qui en découle favorisent par kg de lait produit, d’environ 60 %
donc généralement à des pertes d’azote les émissions d’ammoniac qui ont des d’après les calculs de Capper et al.
par hectare plus importantes, notam- effets sur les petites particules et l’acidi- (2009). L’analyse des données d’in-
ment au niveau des nitrates (Chatellier fication. Ces émissions d’ammoniac ne ventaire d’émissions ne sont cepen-
et Vérité, 2003). De plus, il existe sans vont pas réduire pour autant l’eutrophi- dant pas aussi optimistes. L’analyse
doute une plus forte réorganisation de sation, les dépôts d’ammoniac condui- des données françaises en est un bon
l’azote en matières organiques avec les sant in fine à la formation de nitrates. Le exemple, très intéressant car le ratio
systèmes herbagers lorsque la prairie tableau 2 illustre les différences impor- entre production de viande et de lait
n’est pas retournée au profit d’un stoc- tantes d’émissions d’ammoniac dans par le cheptel bovin évolue très peu
kage net dans les sols limitant les pertes les systèmes herbagers et montre que au cours des dernières décennies
de nitrate par lessivage. Sinon, lorsque celles-ci ne sont pas liées directement (figure 6). Les statistiques montrent
les prairies entrent dans les rotations à l’efficience d’utilisation de l’azote par une constante augmentation de la
avec le maïs, la minéralisation devient les animaux. production de lait par vache laitière
plus importante. Le second facteur (environ + 100 kg de lait/vache/an) et
concerne le temps de présence des ani- L’amélioration de l’efficience de de viande par animal pour les animaux
maux en bâtiments qui est important conversion de l’azote par les animaux de race à viande (gain de poids et for-
avec les fourrages conservés et géné- ne garantit donc pas de réduire les mat, environ + 2 à + 3 kg de carcasse
ralement plus réduit avec le pâturage. risques de la cascade de l’azote et peut de vache de réforme /an) liée en partie
Le temps en stabulation et le stockage même les aggraver. aux progrès de la sélection génétique.

Tableau 2. Comparaison de différents systèmes laitiers plus ou moins herbagers sur l’autonomie, l’efficience et les émissions
de NH3 (d’après Faverdin et al., 2014 à partir des données de l’Institut de l’Élevage, 2011).

Nord et Est Grand Ouest

Maïs (% SFP) Maïs > 30 10 < Maïs < 30 Maïs < 10 Maïs > 30 10 < Maïs < 30 Maïs < 10

Lait (kg/VL) 8 169 7 500 6 334 7 827 6 786 5 608

N ingéré (kg/VL/an) 187 181 152 165 163 142

N excrété (kg/T lait) 17,4 18,8 18,8 15,6 18,4 19,6

Autonomie N 49 % 57 % 78 % 67 % 73 % 79 %

Efficience de l’N 23,6 % 22,4 % 21,4 % 25,7 % 23,1 % 21,4 %

NH3 (kg N/T Lait) 4,9 4,0 1,8 2,2 3,4 1,7

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318 / Philippe faverdin, Jaap van milgen

Figure 6. Évolution en France des productions moyennes annuelles de lait par soulignait qu’une augmentation de
vache laitière et du ratio entre production de viande et production de lait entre production de lait dans l’exploitation
1972 et 2008 (d’après les données Eurostats, 2009).
laitière se traduisait par une baisse de
7000 100 production de viande à même produc-
90
tion de lait et qu’il fallait prendre en
6000

Kg équivalent carcasse/T lait


compte les émissions liées à ce défaut
80 de production de viande pour ne pas
Lait/Vache/an (kg)

5000 70 commettre de biais dans l’analyse


60 (expansion de système). Ce constat est
4000
confirmé par le travail de Zehetmeier
50
3000 + 103 kg lait/vache/an et al. (2012) qui teste l’effet d’un scé-
40 nario d’augmentation de production
2000 30 laitière et montre des effets positifs sur
20 les émissions par kg de lait à l’échelle
1000 de l’exploitation laitière seule, mais rien
10
de significatif en prenant en compte la
0 0 modification de production de viande
1960 1970 1980 1990 2000 2010
qui doit être compensée à plus grande
Année échelle si l’on suppose que la consom-
mation n’a pas été affectée. La modéli-
Cette progression des performances ­ algré ces augmentations de per-
m sation du cheptel bovin français pour
de production s’accompagne souvent formance de production. Comment étudier différents scénarios d’évolu-
de moindres performances au niveau expliquer que ces augmentations de tion de l’élevage sur les émissions de
des qualités d’élevage (longévité, performances individuelles des ani- GES sous contrainte de maintien de la
reproduction, mortalité des veaux…). maux grâce à la spécialisation qui production montre une grande inertie
Cependant, on peut constater que s’accompagnent d’une augmentation des émissions de CH4 du cheptel face
la production moyenne de lait ou de d’efficience à l’échelle animale et de à la spécialisation des races en raison
viande du cheptel français, exprimée moindres émissions à risque pour l’en- de la moindre productivité en viande
par vache (laitières et allaitantes) ou vironnement ne se retrouvent pas à du troupeau laitier lorsque sa spécia-
par bovin présent en France, n’a prati- grande échelle ? lisation laitière s’accroît (Puillet et al.,
quement pas progressé depuis 20 ans 2014). Tous ces résultats sont donc
malgré l’augmentation des perfor- L’explication de ce paradoxe a été contraires aux effets spectaculaires,
mances individuelles de production des proposée dans l’article de Cederberg mais dépourvus de vision systémique,
animaux (figure 7, Pflimlin et al., 2009). et Stadig (2003) qui ont étudié les pro- publiés par Capper et al. (2009). À l’op-
De même, les émissions de GES et les blèmes d’allocation lait et viande dans posé, les trajectoires des animaux pour
consommations d’aliments associées l’évaluation par analyse de cycle de vie la viande et leur âge d’abattage, l’âge
ne semblent pas beaucoup diminuer d’une exploitation laitière. Ce travail au premier vêlage, et le sexage des
semences en prenant en compte les
Figure 7. Évolution en France des productions annuelles de lait et de viande expri- effets de ressources alimentaires utili-
mées par vache (laitière ou allaitante) ou par bovin présent entre 1970 et 2008 sées (accroissement de terres labourées
(d’après Pflimlin et al., 2009 à partir des données Eurostats).
vs prairies stockant du carbone) restent
300 3500 des options importantes pour gérer les
(kg équivalent carcasse/animal/an)

Production/vache émissions de CH4 à un niveau global.


Production de lait/animal (kg/an)

250 3000
Production de viande

Ce cas complexe de la coproduction


2500
200 du lait et de la viande par le chep-
tel bovin montre clairement que l’on
2000
150
ne peut pas extrapoler simplement
1500 à grande échelle (cheptel national)
des gains d’efficience et d’émissions à
100
1000 risques pour l’environnement observés
Production/bovin à l’échelle de l’animal. Cette remarque
50 500 est d’autant plus importante pour des
impacts à effet globaux pour lesquels
0 0 on pourrait penser qu’il suffit de faire le
1970 1980 1990 2000 2010 produit de ces gains individuels avec les
Année effectifs pour estimer les effets globaux.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Intégrer les changements d’échelle pour améliorer l’efficience des productions animales et réduire les rejets / 319

Ces deux exemples illustrent clai- solutions visant à améliorer les processus pour concevoir la complémentarité des
rement que des indicateurs trop sim- élémentaires d’efficience de conversion systèmes et activités agricoles (cultures,
plistes d’efficience ne permettent pas des aliments par les animaux ou par le élevages) et des services/dis-services
toujours d’atteindre les objectifs sou- troupeau, cela ne suffit pas toujours à associés au sein des territoires qu’il faut
haités, principalement parce qu’ils ne améliorer l’efficience globale. La quête être créatif. Les approches de recherche
résistent pas au changement d’échelle. de l’indicateur idéal d’efficience est sans en écologie industrielle ou dans l’étude
Même si l’augmentation de productivité doute vaine, mais une combinaison des du métabolisme territorial offrent des
est un des leviers important dans cer- différents indicateurs en fonction des perspectives intéressantes pour y arri-
tains contextes permettant d’améliorer objectifs recherchés est indispensable. ver. Ensuite c’est dans l’optimisation du
l’efficience et de diminuer les rejets, elle fonctionnement global des systèmes
ne peut garantir à elle seule la consom- Les interactions entre les différentes d’élevage que l’on pourra réellement
mation de ressources et la baisse des entités à différents niveaux d’orga- améliorer la performance de l’élevage
émissions. Seule une approche systé- nisation montrent que les bénéfices et faire de celui-ci un allié puissant de
mique des effets induits par les chan- espérés peuvent être perdus avec le la conversion des bio-ressources en
gements de conduites proposés permet changement d’échelle. Si l’on propose en limitant les impacts sur l’environne-
de vérifier que l’on pourra atteindre les ou imagine une solution à un niveau ment. Enfin, des études pour aller plus
objectifs recherchés, même si cela est d’organisation élémentaire, il est impor- loin dans l’évaluation multicritère qu’une
plus complexe à étudier et nécessite tant de se donner les moyens de vérifier simple multiplication d’indicateurs sont
souvent des modèles plus élaborés. son efficacité à des niveaux d’organisa- nécessaires et doivent permettre d’aider
tion plus agrégés. La science propose à faire ce lien entre ressources, produc-
souvent une démarche agrégative pour tions et territoires.
Conclusion résoudre des problèmes globaux, en fai-
sant l’hypothèse que si l’on peut décrire
Cette synthèse montre qu’il existe précisément et améliorer chaque entité
Remerciements
de nombreux niveaux d’organisation du système, la performance globale en
sur lesquels on peut agir pour accroître sera améliorée. Les exemples évoqués Les auteurs remercient les différents
l’efficience alimentaire des productions dans cet article montrent que ce n’est financeurs des projets consacrés à l’ef-
animales et réduire les risques pour pas toujours vrai. Des approches « désa- ficience alimentaire des animaux d’éle-
l’environnement qui constitue en enjeu grégatives » déclinant des optimums (ou vage et dont les travaux ont contribué
majeur pour l’élevage. La recherche a des contraintes) globaux à des échelles à cette synthèse : Le projet DEFFILAIT
beaucoup contribué à améliorer la pro- infra restent encore largement à inventer ANR-15-CE20-0014 a reçu un finance-
ductivité des animaux et plus récem- pour aborder les questions d’optimisa- ment de l’ANR et d’Apis-Gène, le projet
ment la conversion des aliments en tion d’allocation des ressources et de la GenTORE a reçu un financement du pro-
produits animaux pour améliorer l’effi- place de l’élevage dans cette valorisation gramme H2020 de l’Union européenne
cience alimentaire des élevages. Ces tra- (« penser global, décliner local »). Pour au titre de la convention de subvention
vaux ont largement permis d’accroître l’élevage, c’est principalement dans l’op- n° 727213 et le projet Feed-a-Gene a
l’efficience des productions animales et timisation de l’allocation des ressources reçu un financement du programme
de réduire certains impacts. Cependant, alimentaires liée à l’utilisation des sols et H2020 de l’Union européenne au titre
si l’on doit continuer de s’appuyer sur des à la valorisation/gestion de bioproduits de la convention n° 633531.

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Li C., Basarab J. A., Price M. A., Wang Z., Moore S.S., mondial: Concepts et méthodes, analyses et dyna- lactation. Ann. Zoot., 26, 183-205.
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methane production, and energy partitioning in beef Renand G., Vinet A., Maupetit D., 2016. Relations entre biological basis of residual feed intake as a mea-
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INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


322 / Philippe faverdin, Jaap van milgen

Résumé
L’élevage est soumis à des défis considérables pour s’adapter au problème de compétition sur les ressources, notamment alimentaires, et
aux problèmes environnementaux. L’amélioration de l’efficience de conversion des ressources alimentaires en produits animaux est une
voie importante susceptible de répondre simultanément aux deux enjeux. Cette revue définit cette notion d’efficience en la plaçant dans
le cadre plus global du triangle de la performance : pertinence, efficience et efficacité. Elle montre l’importance de mettre en perspective
ces questions d’efficience alimentaire des animaux en abordant la question du changement d’échelle. Dans les secteurs de production de
viande et de lait, elle fait le point sur les travaux conduits pour améliorer l’efficience à la fois par la sélection d’animaux capables de mieux
transformer les aliments en produits animaux et par une conduite alimentaire plus précise et mieux équilibrée. Elle évoque les principales
avancées pour réduire les émissions à risques pour l’environnement. Raisonner l’efficience alimentaire et les émissions de rejets à l’échelle
de l’animal pour la production de lait ou de viande offre des perspectives de progrès importants, mais ne garantit pas toujours une amé-
lioration de l’efficience à une échelle plus globale, ni une réduction des impacts sur l’environnement. Il faut donc bien prendre soin de
vérifier que les stratégies proposées sont efficaces et permettent d’atteindre les objectifs recherchés avec des indicateurs appropriés. La
prise en compte des effets du changement d’échelle pour améliorer la performance globale est un vrai nouveau défi pour la recherche.

Abstract
Integrate scale changes to improve the efficiency of livestock production (systems?) and reduce emissions
Livestock production is facing the challenge to adapt to the problem of competition for resources (especially food resources) and to reduce its
environmental impact. Improving the efficiency of converting food resources into animal-derived products is an important way to address both
issues simultaneously. This review paper addresses the notion of efficiency by placing it in a broader context of the performance triangle composed
of relevance, efficiency, and effectiveness. We will show that feed efficiency issues have to be considered at different levels of organization. For the
meat and dairy production sectors, we address research that has been carried out to improve feed efficiency through selection of animals that are
better capable of transforming feed resources into animal-derived products and through feeding techniques in which the nutrient supply is better
adjusted to the animal’s requirement. We also discuss progress that has been made to reduce the environmental impact of livestock production.
Considering feed efficiency and emission reduction at the animal level is important and offers a considerable prospect for progress. However, it does
not guarantee that efficiency is improved and that environmental impact is reduced at higher levels of organization. It is important to ensure that
the proposed livestock management strategies are effective and that they achieve the desired objectives using appropriate indicators. Accounting
for the effect of scale changes on the overall performance of livestock production is a new challenge for research.

FAVERDIN P., VAN MILGEN J., 2019. Intégrer les changements d’échelle pour améliorer l’efficience des productions animales et réduire les
rejets. In : Numéro spécial, De grands défis et des solutions pour l’élevage. Baumont R. (Éd). INRA Prod. Anim., 32, 305-322.
https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2499

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelle science pour les élevages INRA Prod. Anim.,
2019, 32 (2), 323-338

de demain ? Une réflexion
prospective conduite à l’INRA
Jean-Louis PEYRAUD1, Joël AUBIN2, Marc BARBIER3, René BAUMONT4, Cécile BERRI5, Jean-Pierre BIDANEL6,
Christine CITTI7, Corinne COTINOT8, Christian DUCROT9, Pierre DUPRAZ10, Philippe FAVERDIN11, Nicolas FRIGGENS12,
Sabine HOUOT13, Marie-Odile NOZIÈRES-PETIT14, Claire ROGEL-GAILLARD6, Véronique SANTÉ-LHOUTELLIER16
1
INRA, Direction Scientifique Agriculture, 75338, Paris, France
2
SAS, Agrocampus Ouest, INRA, 35000, Rennes, France
3
INRA – ESIEE – CNRS – UPEM, UMR LISIS, 77454, Marne La Vallée, France
4
Université Clermont Auvergne, INRA, VetAgro Sup, UMR Herbivores, 63122, Saint-Genès-Champanelle, France
5
BOA, INRA, Université de Tours, 37380, Nouzilly, France
6
GABI, AgroParisTech, INRA, Université Paris-Saclay, 78350, Jouy-en-Josas, France
7
IHAP, Université de Toulouse, INRA, ENVT, 31076, Toulouse, France
8
UMR BDR, ENVA, INRA, Université Paris-Saclay, 78350, Jouy-en-Josas, France
9
ASTRE, Université de Montpellier, CIRAD, INRA, 34988, Montpellier, France
10
INRA – AgroCampus Ouest, UMR SMART-LERECO, 35042, Rennes, France
11
PEGASE, INRA, Agrocampus-Ouest, 35042, Rennes, France
12
UMR Modélisation Systémique Appliquée aux Ruminants, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, 75005, Paris,
France
13
UMR ECOSYS, INRA-AgroParisTech-Université Paris-Saclay, 78850, Thiverval-Grignon, France
14
SELMET, CIRAD, INRA, Montpellier SupAgro, 34000, Montpellier, France
15
INRA, UR QuaPA, 63122, Saint-Genès-Champanelle, France
Courriel : jean-louis.peyraud@inra.fr

„„ Pour clore ce numéro spécial sur « De grand défis et des solutions pour l’élevage », cet article synthétise une
large réflexion prospective conduite à l’INRA au cours des derniers mois sur le statut et le rôle de l’élevage au
sein de systèmes agri-alimentaires circulaires et durables, et sur les nouveaux fronts de science et priorités de
recherche pour les années à venir qui en découlent.

Introduction les évolutions de la consommation de 1. Ambitions et périmètre


produits animaux et les différents piliers de la réflexion scientifique
de la durabilité. Elle devait aussi per- prospective
Dans un contexte où l’élevage est au mettre d’identifier les nouveaux fronts
cœur de nombreuses controverses, le de science et les défis technologiques,
président de l’INRA, Philippe Mauguin, a analyser le positionnement à l’inter- „„1.1. Impulser une nouvelle
souhaité que soit conduite une réflexion national de l’institut, définir les colla- dynamique aux recherches
scientifique prospective pour explorer borations à construire, en particulier sur et pour l’élevage
les futurs possibles en explorant de à l’international et analyser les consé-
réelles ruptures. L’objectif était d’éclairer quences en terme d’évolution du dis- L’ambition du chantier a été double.
l’INRA sur les actions à mettre en œuvre positif de recherche. Cet article fait l’état Premièrement, il s’agissait de repen-
pour développer une recherche ambi- des lieux du résultat de ces réflexions, ser la place, les rôles et contributions
tieuse sur et pour l’élevage de demain en particulier sur l’analyse des enjeux, de l’élevage et en quoi il doit se trans-
afin de favoriser et accompagner les le cadre conceptuel pour penser les éle- former pour contribuer pleinement
changements. Cette réflexion devait vages demain et donne un résumé des au développement de systèmes agri-­
intégrer les différentes filières animales, thématiques principales retenues. alimentaires plus durables : réductions

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2591 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


324 / Jean-louis peyraud et al.

des impacts environnementaux, amé- évolutive et l’annotation fonctionnelle dans de nombreux pays qui pourtant
lioration de la sécurité nutritionnelle, des génomes animaux, l’étude fine sont confrontés aux mêmes enjeux
production des services utiles à la de l’architecture génétique des carac- de pollution locale, de gestion des
société et contribution au développe- tères, l’étude approfondie des cellules territoires et de bien-être animal que
ment économique des territoires. On souches, les travaux sur la biologie des les pays européens. Enfin, les condi-
parle ici de systèmes agri-alimentaires vecteurs de parasites et des interactions tions de l’élevage européen restent
au sens où l’objectif est de produire entre hôtes et agents pathogènes pour différentes de celles d’autres régions
des aliments pour l’Homme, ce qui est identifier de possibles solutions théra- du monde telles que les méga-fermes
le premier objectif de l’agriculture, mais peutiques ou vaccinales, les travaux chinoises ou les grands troupeaux
aussi des biens non alimentaires (éner- sur la surveillance des maladies et les bovins du continent américain ou
gie, produits biosourcés) et des biens agents pathogènes émergents et l’iden- d’Océanie et, à l’autre extrémité, les
non marchands comme la santé des tification des agents pathogènes et des petites exploitations familiales de pays
écosystèmes. La seconde ambition était toxiques. Il s’agit aussi de travaux sur en développement qui ne posent pas
d’identifier et promouvoir des théma- des développements méthodologiques les mêmes questions.
tiques de recherches interdisciplinaires comme par exemple les ontologies, la
permettant d’explorer les nouveaux combinaison de la génétique quantita- Pour autant, il n’est pas possible d’exa-
fronts de science et les défis techno- tive et de la génétique des populations, miner la situation en Europe sans consi-
logiques, porteurs d’avenir et donnant l’intégration des données génétiques, dérer le niveau mondial. À cette échelle
de nouvelles perspectives aux travaux épigénétiques, métagénomiques, le globale, l’élevage joue un rôle essentiel
sur l’élevage afin de renforcer l’excel- développement de modèles pour la pour éradiquer la faim, la pauvreté, la
lence scientifique de l’INRA, d’affirmer sélection génomique intégrative ou malnutrition et les déficiences en micro-
une position de leader et de lever des encore l’utilisation de l’intelligence nutriments (HLPE, 2016) et apporte
verrous de connaissances et méthodo- artificielle pour découvrir de nouveaux une contribution à tous les objectifs du
logiques (voire réglementaires) pour biomarqueurs. développement durable tels que définis
développer les innovations permet- par les Nations Unies (FAO, 2018). Sur
tant de faire progresser l’élevage. La „„1.2. Périmètre les plans environnementaux et des mar-
production de connaissances doit aussi de la réflexion chés, il y a nécessité d’inclure les effets
permettre d’éclairer les porteurs d’en- environnementaux délocalisés de l’éle-
jeux et le débat public à partir d’une La réflexion a été centrée sur l’élevage vage européen au premier rang des-
argumentation basée sur des faits français et européen mais en considé- quels on peut citer la contribution au
scientifiques. rant un emboîtement d’échelles vers réchauffement climatique et les effets
le niveau mondial. En effet, les sys- induits par les importations de soja. Par
La posture adoptée a considéré que tèmes européens partagent les mêmes ailleurs, l’élevage européen étant dans
les fronts de science actuels et futurs enjeux, certains spécifiques, voire en un marché ouvert, une bonne vision des
se situent à l’interface entre les disci- décalage avec le reste du monde. De évolutions de la demande en produits
plines et que seule l’approche inter- ce point de vue, l’élevage européen animaux et en aliments du bétail, ainsi
disciplinaire permettra de penser la peut dans une certaine mesure avoir qu’une connaissance des dynamiques
complexité des systèmes biologiques, un rôle précurseur annonciateur de production dans d’autres parties du
agronomiques et alimentaires en d’évolutions qui pourraient avoir lieu monde sont nécessaires pour éviter une
renouvelant les questions scientifiques, aussi à terme dans d’autres régions du déstabilisation des marchés intérieurs
et d’aborder les grands enjeux de l’éle- monde et éclairer des voies de progrès par des importations massives de pro-
vage. L’objectif a donc été de réfléchir pouvant bénéficier aux pays tiers. Les duits animaux fabriqués de manière
les fronts de science nécessitant de systèmes agri-alimentaires européens non durable et loin des standards de
renforcer les interactions entre commu- se distinguent par une consomma- qualité européens et, à l’inverse, pour
nautés scientifiques travaillant sur des tion de produits animaux élevée par analyser les marchés porteurs pour des
disciplines, thématiques et fenêtres de habitant mais qui diminue. À l’in- productions européennes.
temps différentes. Les questions rele- verse, la consommation augmente
vant principalement d’une seule dis- dans d’autres parties du monde, en Enfin, l’opportunité d’élargir les
cipline ou de collaborations déjà bien lien avec l’accroissement démogra- recherches de l’INRA au niveau mon-
établies n’ont pas été incluses (où à la phique, l’urbanisation et l’améliora- dial, sur des thématiques où nous
marge) dans la réflexion qui de ce fait tion du niveau de vie (Chine, Sud Est sommes reconnus (agroécologie,
n’a pas vocation à représenter toutes Asiatique) ou devrait s’accroître dans génomique…) aura plusieurs intérêts :
les activités de l’INRA dans le secteur de d’autres régions (Afrique de l’Ouest et i) l’élevage est souvent le parent pauvre
l’élevage. Pour autant, ces recherches de l’Est) pour améliorer l’état de santé des approches globales en particulier
contribuent à alimenter les approches des populations et réduire les retards parce que les systèmes d’élevage sont
mises en avant dans la réflexion pros- de croissance (voire les cas d’anémie) complexes, difficiles à représenter de
pective. Il s’agit par exemple, et sans des enfants. Les attentes sociétales en façon réaliste en modélisation, en tout
vouloir être exhaustif, des travaux sur la Europe vis-à-vis de l’élevage sont plus cas beaucoup plus que les systèmes
caractérisation, l’étude de la dynamique fortes et évoluent plus rapidement que de culture ; ii) renforcer (au-delà du

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelle science pour les élevages de demain ? Une réflexion prospective conduite à l’INRA / 325

métaprogramme GLOFOOD et de
Encadré 1. Organisation de la réflexion prospective scientifique
l’étude Agrimonde Terra) la présence
de l’INRA dans les rapports internatio- La réflexion a été animée par un groupe de pilotage de 15 chercheurs appartenant à plusieurs départe-
naux concernant l’élevage, développer ments de recherche et couvrant les principales filières animales et domaines de compétences. Le groupe
des modèles d’élevage en interaction animé par Jean-Louis Peyraud était constitué de Joel Aubin (Phase), Marc Barbier (SAD), René Baumont
avec les systèmes de culture et appor- (Phase), Cécile Berri (Phase), Jean Pierre Bidanel (GA), Christine Citti (SA), Corinne Cotinot (Phase),
ter de la généricité en complémen- Christian Ducrot (SA), Pierre Dupraz (SAE2), Nicolas Friggens (Phase), Philippe Faverdin (Phase), Sabine
tarité des travaux du CIRAD qui sont Houot (EA), Marie-Odile Nozières-Petit (SAD), Claire Rogel-Gaillard (GA), Véronique Santé-Lhoutellier
plus centrés sur l’étude de cas et par
(CEPIA). Un comité de pilotage composé des chefs de départements les plus concernés (GA, Phase,
là, contribuer à améliorer les systèmes
SA, SAD, SAE2 et EA) et directeurs de métaprogrammes (Glofoods, Ecoserv, Gisa, Selgen), du Directeur
locaux. L’accès à ces terrains d’étude
Scientifique Agriculture et de Philippe Chemineau (DARESE) s’est réuni à deux reprises durant la première
plus diversifiés permettrait en retour
de mettre à l’épreuve nos idées,
moitié du chantier pour aider à cadrer le dispositif.
concepts et modèles. Le groupe d’animation a identifié dix thèmes de travail en réponse à des enjeux cognitifs et finalisés
stratégiques pour l’INRA et ayant vocation à promouvoir des approches systémiques et interdisciplinaires
„„1.3. Une réflexion dédiée et, pour certains d’entre eux au moins, à affirmer un leadership de l’INRA au plan international. Les
à l’élevage d’animaux 10 groupes de travail (GT) ont mobilisé 104 chercheurs de l’INRA et de l’IRSTEA. Ces groupes, animés
terrestres et de poissons par un chercheur (ou un tandem) issu du groupe de pilotage ont analysé les gaps de connaissance, les
enjeux de recherche, les questions scientifiques émergentes, les verrous méthodologiques, et réalisé une
Le chantier (encadré 1) a concerné
analyse critique de notre dispositif.
toutes les filières animales dont l’aqua-
culture, l’élevage dans les territoires GT1 : Compréhension des enjeux sociétaux et économiques autour de l’élevage (P. Dupraz, SAE2)
ruraux et les différentes formes d’éle- GT2 : Élaboration précoce des phénotypes des animaux et des caractères de production (C Cotinot, Phase
vage périurbain et urbain (espaces verts et C. Rogel-Gaillard, GA)
animalisés…). En revanche, concernant GT3 : Compréhension des régulations chez l’animal en production (N Friggens, Phase)
les substituts à la viande nous avons GT4 : Gestion intégrée de la santé et du Bien-être animal (C. Ducrot et C. Citti, SA)
considéré que la viande in vitro (ou les GT5 : L’élevage pour valoriser des ressources alimentaires variées dans un contexte de changement cli-
produits obtenus par impression 3D matique (R. Baumont, Phase, et Jean-Louis Peyraud, DSA-Agriculture)
tels que le surimi) n’entrait pas dans le GT6 : Gestion des effluents de l’élevage (S. Houot, EA)
périmètre de la réflexion concernant
GT 7 : Qualité des produits et des coproduits animaux (C. Berri, Phase)
les volets techniques. Il est en effet
GT 8 : Les bouquets de services de l’élevage (J. Aubin, Phase et P. Dupraz, SAE2)
illusoire de vouloir concurrencer par la
GT 9 : Valorisation de la diversité à différents niveaux d’organisation (M.O. Nozières-Petit, SAD)
recherche publique des travaux dispo-
sant de financements privés considé-
GT 10 : L’élevage à l’ère du numérique (P. Faverdin et L. Brossard, Phase)
rables et cette production souffre par En complément, les groupes filières animales (https://www6.inra.fr/groupes-filieres/Filieres-Animales)
ailleurs de nombreuses limites qui font ont été mobilisés pour faire remonter les besoins et questions de recherches avec une entrée par les grands
douter de sa pertinence (Hocquette challenges socio-économiques à relever.
et al., 2013). La production d’insectes
(ou d’autres sources de protéines Deux séminaires ouverts aux Instituts techniques ont été programmés courant 2018 pour éclairer le
comme la lombriculture) est considérée contexte socio-économique de l’élevage et faire émerger des questions de recherche. Le séminaire « Où va
dans le cadre des possibilités offertes l’élevage ? Contexte sociétal » a permis d’échanger sur les controverses concernant l’élevage. Le séminaire
pour la production de protéines pour « Où va l’élevage ? Contexte économique », co-organisé avec le chantier sur la PAC (H. Guyomard), a
l’alimentation animale à partir du concerné la dichotomie entre une demande quantitative pour les produits animaux qui s’accroit hors Europe
recyclage de déchets. En revanche, la alors qu’elle stagne/baisse sur le marché intérieur européen qui semble s’orienter vers une demande de
production d’insectes pour l’alimen- montée en gamme de la qualité. Les échanges ont aidé à construire une vision partagée, analyser les drivers
tation humaine n’est pas considérée sociétaux et économiques, à dessiner un avenir pour les filières d’élevage et mettre en avant les questions
d’un point de vue zootechnique, mais de recherche à aborder, afin de fournir des éléments permettant d’argumenter les choix à effectuer.
l’évaluation globale de ces filières reste
un enjeu pour nos recherches. Il faut
pouvoir évaluer leurs impacts environ- 2. L’élevage au cœur contribue de manière substantielle à
nementaux et économiques par rap- de multiples enjeux l’économie. Le chiffre d’affaire est de
port à la production de viande blanche environnementaux, 165 milliards d’euros par an en 2015,
et l’acceptabilité des produits par le sociétaux et économiques ce qui représente 45 % de celui du
consommateur (Sommes-nous prêts à secteur agricole en Europe (37 % en
manger des insectes en Europe ? Quelle L’élevage est une composante clé France). L’UE-28 est généralement
saveur des produits ?). La question du de la vitalité de nombreux territoires autosuffisante en produits d’origine
cortège microbien/parasite accompa- et il est présent dans presque toutes animale et exporte sur les marchés
gnant la production d’insectes reste les régions avec une grande diversité mondiaux pour 19,5 milliards d’euros
une ­question majeure. de systèmes de production ; le s­ ecteur (Dumont et al., 2016). L’essentiel de la

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


326 / Jean-louis peyraud et al.

biomasse végétale produite en France plus récemment alimenter les contro- équilibres. Les filières doivent faire face
et en Europe (et au plan mondial aussi) verses sur l’élevage, notamment la à une instabilité croissante des prix,
n’est pas consommable par l’Homme question du bien-être animal et des des marchés et des revenus, pénali-
et l’élevage en est le principal consom- conditions d’élevage dans le cadre sant in fine l’attractivité des métiers
mateur (Dronne, 2018). L’alimentation des modèles « intensifs » (Delanoue (Nozières-Petit et al., 2018) à un moment
animale joue aussi un rôle économique et Roguet, 2015). Ces controverses et où la pyramide des âges est défavorable
et de tampon majeur pour les grandes leur intensité varient selon les filières et la question du renouvellement des
filières végétales (céréales, colza) en et les pays, avec une attention particu- générations est posée. L’abandon du
valorisant les écarts entre l’offre de lière sur la résistance aux antibiotiques métier d’éleveur et la non reprise d’ex-
grains et la demande des marchés pour au Danemark, des controverses très ploitations risquent d’être des moteurs
la consommation humaine interne et fortes autour du bien-être animal en déterminants dans la baisse des effec-
l’export de manière structurelle, mais Allemagne, aux Pays Bas, au Royaume tifs d’animaux, avant même l’impact
aussi lorsque des déséquilibres de mar- Uni, dans les Pays Scandinaves et plus des réglementations. Les exploitations
chés apparaissent. Pour autant l’élevage récemment en France alors que les pays s’agrandissent pour des raisons d’éco-
est confronté à une crise de légitimité, du Sud et la Pologne sont moins sen- nomie d’échelle, mais les structures de
environnementale, sociale et écono- sibles à ces questions (pour le moment plus grande taille sont plus difficiles à
mique sans précédent et il doit évoluer du moins). Enfin, il est aussi établi transmettre, rendent plus difficile l’op-
en profondeur. qu’une forte consommation de viande timisation des pratiques agro-écolo-
rouge et de viandes transformées est giques et vont à l’encontre des souhaits
„„2.1. Enjeux et moteurs associée à un risque accru de cancer de la société. Dans ce contexte déjà
des évolutions colorectal (Bouvard et al., 2015) et les difficile, les filières françaises ont perdu
politiques nutritionnelles encouragent en compétitivité face à la concurrence
Des déséquilibres écologiques liés une réduction de la consommation de européenne et mondiale (Turolla et al.,
à l’intensification des systèmes, à leur viande dans les pays de l’OCDE. L’OMS 2018 ; SENAT, 2019). La reconquête pour
spécialisation et à leur concentration sur recommande un équilibre 50/50 entre l’élevage français des parts de marchés
certains territoires sont apparus dès les protéines animales et végétales pour intérieurs doit être instruite face à des
années 1980 avec la question du nitrate une alimentation saine alors que les concurrents très compétitifs – comme
en Bretagne et la qualité de l’eau (Hénin, pays d’Europe de l’Ouest sont plutôt c’est le cas en volaille où 70 % de la
1980 ; Peyraud et al., 2014). Par la suite, il proches d’un ratio 65/35 et avec un consommation hors foyer provient de
y a eu une prise de conscience des effets apport protéique globalement excé- l’importation – et dans un contexte où
plus globaux de l’élevage sur le chan- dentaire. Une diminution modérée de la la consommation baisse (viande rouge)
gement climatique avec les émissions consommation sera un moteur majeur où au mieux stagne (volaille) et où la
de gaz à effet de serre, et sur la perte pour le futur de l’élevage. Au final et production ne correspond pas toujours
de biodiversité liée à la disparition de la pris dans leur ensemble, ces impacts de à la demande nationale.
forêt primaire permettant la culture du l’élevage sur l’environnement, sur l’uti-
soja (rapport « Livestock Long Shadow », lisation des ressources, sur le bien-être „„2.2. Mais aussi
FAO, 2006). Plus récemment les ques- des animaux et sur la santé humaine des opportunités
tions des émissions d’ammoniac et de ont conduit certains auteurs à préconi- sont à saisir
particules fines affectant la qualité de ser une réduction importante (50 % ou
l’air, les risques de pollution chimique plus) de la consommation de produits Au niveau économique, l’Europe
et biologique des écosystèmes par animaux en Europe (Meier et Christen, peut bénéficier de la forte demande
dissémination de pathogènes, de rési- 2012 ; Heller et al., 2013 ; Westhoek et al., mondiale en visant des marchés rému-
dus médicamenteux et de gènes de 2014 ; Poore et Nemecek, 2018). nérateurs faisant valoir la compétitivité
résistance aux antibiotiques par les hors coût de ses produits : empreintes
effluents sont apparus comme autant Une autre série d’enjeux est interne environnementales relativement plus
de nouveaux défis. L’élevage est aussi aux filières animales. Le modèle de faibles, sécurité sanitaire des produits
questionné pour son utilisation impor- développement historique fondé sur et exigences de bien-être des animaux
tante des ressources naturelles (Godfray la substitution du travail par du capital plus élevées que pour les autres pays
et al., 2010 ; Foley et al., 2011) dont la et des consommations intermédiaires exportateurs sur les marchés de masse
terre, l’eau, l’énergie fossile qui pour- – encore ancré dans les esprits, les (cf. Dumont et al., 2017) et, notam-
raient être valorisées directement en économies d’échelle incitant toujours ment les produits français, dont les
alimentation humaine, en particulier à l’agrandissement des structures -, la produits sous signe officiel de qualité,
via des productions végétales dont une demande de l’aval pour des produits avec l’image de gastronomie qui les
partie est directement consommables plus homogènes, des volumes toujours caractérise. Sur le marché interne, les
par l’Homme. plus importants et disponibles toute ambitions de la grande distribution et
l’année et les relations complexes et des transformateurs, leur souhait de
Au-delà des impacts sur la qualité parfois difficiles entre les producteurs, diversifier les produits dès l’amont de
de l’environnement et l’utilisation des l’amont et l’aval des filières, rendent la filière et l’évolution des demandes
ressources, d’autres sujets sont venus difficile l’instauration de nouveaux d’une partie des consommateurs de

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelle science pour les élevages de demain ? Une réflexion prospective conduite à l’INRA / 327

plus en plus soucieux de leur alimenta- manière beaucoup plus marginale en systèmes agri-alimentaires circulaires
tion vers des qualités premium (Obsoco, Europe. et durables. Si la recherche d’efficience
2016), relayées en France par les États accrue d’utilisation des ressources reste
généraux de l’alimentation (EGA, ate- une priorité car elle permet d’assurer
lier 11) vont forcer les évolutions vers
3. Une vision un volume de production pour l’indus-
des productions plus durables et un pour l’élevage demain trie et l’export et que des progrès sont
accroissement (sans doute modéré) des et les recherches à mener encore possibles. Cette recherche d’ef-
productions de niche. ficience n’est pas suffisante car elle ne
garantit pas la résilience des systèmes
„„3.1. Un nouveau
Concernant l’environnement et l’uti- de production face aux aléas clima-
paradigme pour construire
lisation des ressources, le rôle de l’éle- tiques, sanitaires et elle ne traduit pas
le futur de l’élevage
vage est reconnu comme essentiel pour l’aptitude des systèmes de production à
boucler les cycles de nutriments dans Des progrès significatifs ont été restaurer la qualité des écosystèmes et à
le cadre d’approches agro-écologiques accomplis depuis le début des années sécuriser les ressources ou au contraire
reposant sur les ressources naturelles, 1980 sur la réduction des émissions par à continuer à les dégrader même si c’est
les services écosystémiques, les pro- unité de produit, grâce à la recherche plus lentement que par le passé. C’est
cessus écologiques et le recyclage des d’une efficience accrue des facteurs de pourquoi au-delà de la recherche d’une
éléments nutritifs en privilégiant les production. Mais les travaux conduits efficience accrue, qui est une approche
engrais organiques plutôt que syn- ont principalement cherché à optimiser portée par le concept « d’intensification
thétiques (HLPE, 2016 et 2019 ; Mottet le fonctionnement des systèmes dans durable », il faut aussi capter l’aptitude
et al., 2017 ; de Boer et van Ittersum, une logique de progrès incrémentiel, des pratiques à maintenir, voire « régé-
2018) et en exploitant la capacité des d’approche linéaire supposant les res- nérer » la qualité des écosystèmes et des
animaux à valoriser les biomasses non sources non limitées et en pensant ressources (HLPE, 2019) par le dévelop-
directement utilisables en alimenta- l’optimisation de la production d’un pement d’une agriculture et d’un éle-
tion humaine (Wilkinson, 2011 ; Laisse seul produit sans considérer les effets vage agro-écologique (INRA, 2012).
et al., 2018). Il y a donc aussi, à côté secondaires et les autres maillons des
des démarches visant la réduction des systèmes agri-alimentaires. Les modes Les systèmes agri-alimentaires cir-
impacts, des opportunités à saisir pour de consommation sont aussi analysés culaires et durables doivent intégrer
développer un élevage plus durable et sous l’angle des empreintes des diffé- une production végétale et un élevage
dont les rôles et services sont reconnus rents produits pris indépendamment les économes en ressources non (ou peu)
et appréciés par la société. La figure 1 uns des autres. Ces analyses linéaires ne renouvelables, qui non seulement pro-
récapitule les principaux challenges prennent pas correctement en compte duisent une alimentation saine à un
que l’élevage doit relever et en quoi les nombreuses et complexes interac- prix abordable, mais éliminent aussi
il doit se transformer pour contribuer tions existant au sein des systèmes les pertes en recyclant les biomasses
positivement aux objectifs du dévelop- alimentaires entre différents produits. entre secteurs, contribuent à entretenir
pement durable (ODD) tels qu’ils ont été Dans un monde aux ressources finies la qualité des écosystèmes et assurent
définis par les nations unies (voir aussi- et avec des écosystèmes parfois forte- la sécurité des ressources, et produisent
FAO, 2018). Les ODD ont été rassemblés ment dégradés (sol, aquifères, atmos- d’autres biens et services reconnus par
en quatre grands domaines pour une phère), les adaptations à accomplir sont la société, à commencer par le stockage
lecture simplifiée. L’élevage contribue majeures et interrogent sur la place et le de carbone dans les sols, la préserva-
aux autres ODD (FAO, 2018), mais de rôle que doit tenir l’élevage au sein des tion de la biodiversité ou la production

Figure 1. Challenges à relever pour une contribution renforcée de l’élevage aux objectifs du développement durable.

Domaines Challenges

Sécurité alimentaire - Accroître la disponibilité en aliment pour un prix abordable


et nutritionnelle - Améliorer la sécurité nutritionnelle (produits animaux)

Développement - Contribuer à la vitalité des territoires et à la qualité de vie


économique - Promouvoir des systèmes de productions acceptables
des territoires - Accroître la résilience des systèmes d’élevage
- Contrôler les maladies (émergentes) infectieuses
Santé et bien-être
(one-health) - Améliorer la santé et le bien être des animaux
- Assurer la sécurité sanitaires avec moins de médecines
Changement - Accroître l’efficience d’utilisation des ressources et assurer leur pérennité
climatique
- Réduire les émissions et boucler les cycles de nutriments
et pérennité
des ressources - Accroître la biodiversité et éviter les pertes de biodiversité

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


328 / Jean-louis peyraud et al.

d’énergie renouvelable (figure 2). La de ­changer d’approche et de concevoir pistes déjà explorées et qui doivent
circularité vise à rétablir des boucles des systèmes visant en priorité à respec- continuer de l’être.
entre différents éléments du système ter les animaux et les Hommes et amé-
global à différents niveaux ce qui a de liorant la qualité de vie des éleveurs. Ces Le développement de systèmes
nombreuses implications. L’élevage systèmes doivent réduire le risque de agri-alimentaires circulaires et durables
y joue un rôle essentiel (Mottet et al., développement de résistance aux anti- ne peut s’envisager sans un élevage
2017 ; Van Zanten et al., 2018) et doit biotiques (O’Neill, 2016) dans un monde lui-même multiperformant, dont l’em-
être considéré comme une des clés au où santé animale et santé humaine sont preinte carbone soit neutre, résilient
sein des territoires pour apporter des liées et où l’Homme et l’animal par- au changement climatique et assu-
solutions. La circularité peut se définir tagent une même pharmacopée. L’OMS rant la santé de l’animal, de l’Homme
à différentes échelles, de l’exploitation a adopté en 2015 un plan pour com- et des écosystèmes. La recherche doit
agricole au monde, mais la dimension battre la résistance aux antibiotiques permettre de lever les verrous en tra-
territoriale (à différentes échelles : sous le concept de « One World, One vaillant sur les émissions de GES (CH4,
inter-exploitations, bassin de produc- Health » reconnaissant que la santé de N2O, CO2), le stockage de C et l’adapta-
tion, bassin de vie…) est déterminante l’Homme était liée à celle des animaux tion aux changements climatiques au
pour la connaissance, la mobilisation et et des écosystèmes. L’amélioration des niveau de l’animal, des effluents, de la
l’entretien des ressources disponibles. conditions de vie des animaux et la pré- conduite des systèmes, des filières et
Elle pose les questions de la diversité vention des maladies, plutôt que leur des outils de politiques publiques inci-
des territoires, de la valorisation de la traitement, deviennent ainsi la priorité. tant aux changements tout en contri-
diversité des systèmes d’élevage et de Le concept de « One Welfare » a été pro- buant à fortement réduire voire annuler
la gouvernance pour la mise en œuvre posé (Fraser, 2016) pour souligner les les émissions vers les agroécosystèmes
de tels systèmes. liens entre bien-être animal et bien-être des autres formes d’N réactif (ammo-
humain et reconnaître que tous deux niac, nitrate) et du phosphore. Dans le
Par ailleurs, la santé et le bien-être dépendent d’un bon état écologique de même temps, et d’ailleurs les deux sont
des animaux (hors cadre des maladies l’environnement. liés, il faut mettre le bien-être et la santé
infectieuses zoonotiques où beaucoup des animaux et des Hommes au cœur
de travaux ont été et sont réalisés) „„3.2. Repenser les voies des préoccupations pour la conception
ont jusqu’ici été étudiés pour corriger de progrès des systèmes de nouveaux systèmes d’élevage. Ces
les effets délétères apparus avec l’ac- d’élevage objectifs peuvent être source de ten-
croissement de la productivité, mais sions et des compromis seront à trou-
sans considérer les liens avec la santé La prise en compte d’un périmètre ver. Par exemple, l’accès des animaux à
humaine et celle des écosystèmes. plus large considérant l’élevage comme des parcours extérieurs pour le bien-être
Dans un contexte de forte contesta- un des éléments d’une bioéconomie peut conduire à une maîtrise plus diffi-
tion de l’élevage et d’enjeux sanitaires circulaire ouvre de nouvelles perspec- cile des émissions vers l’air et l’eau, et de
majeurs (antibiorésistance), il convient tives de progrès en complément des la santé (exposition à la faune sauvage).

Figure 2. Représentation des rôles de l’élevage au sein de systèmes agri-­ La question de la diversité et de
alimentaires circulaires et durables. la diversification à tous les niveaux
(notamment de l’animal, des troupeaux
et des systèmes) devient centrale dans
une approche agroécologique. Ceci
conduit à une évolution du paradigme
Engrais chimiques Industrie,
de la recherche dans toutes les disci-
C

commerce
op

(N, P, K),
ro

Énergie fossile, plines pour comprendre ses intérêts et


d
ui
ts

Biocides
Aliments limites et aider à son pilotage. En outre,
les prix souvent bas et variables des pro-
Aliments pour
Systèmes animaux duits animaux et les crises sanitaires
de culture
et prairies Élevage Produits biosourcés,
invitent à revenir sur la question de la
énergie renouvelable diversité des modèles de production et
du lien avec celle de l’organisation des
Re
s

ts )
tit
N (N

en , C filières et des marchés. Il est nécessaire


ut
ut , P

flu K
io
rim , K

Ef , P,
ns
en )

Sol (N d’éclairer la question des économies de


ts

Biosphère
et climat taille, de gamme et des effets d’agglo-
mération et d’analyser comment se sai-
sir des préférences des consommateurs
pour mieux orienter la construction de
la qualité des produits de l’élevage au
Santé des écosystèmes Bien-être et santé sein des filières et en ciblant au mieux
Sécurité des ressources de la société
leurs débouchés.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelle science pour les élevages de demain ? Une réflexion prospective conduite à l’INRA / 329

„„3.3. Repenser les liens ces flux. L’élevage doit aussi s’entendre ici la compréhension et la maîtrise des
entre élevage, productions de façon très large en considérant les microbiomes (et aussi des micronutri-
végétales et dynamique synergies, antagonismes et hybrida- ments et des polluants) tout au long de
des territoires tions qui peuvent apparaître entre les la chaîne alimentaire. Un autre domaine
types d’élevage (intensif vs extensif, concerne l’étude des conséquences de
Le (re)couplage animal-végétal monogastrique vs ruminant…). Il faut l’adoption de systèmes de productions
est essentiel pour l’amplification des considérer les différents rôles de l’éle- plus agroécologiques sur la qualité
approches agroécologiques. Il doit vage, et non uniquement la production des produits et sa variabilité, les consé-
contribuer à une agriculture assurant d’aliments et de produits biosourcés, quences pour la transformation, les
le recyclage des éléments nutritifs, comme une clé d’entrée pour imagi- conditions d’adoption des innovations
plus efficiente globalement et moins ner des solutions, ce qui n’exclut pas par l’ensemble des acteurs des filières
consommatrice d’énergie fossile et de de confronter les deux approches dans de l’amont à l’aval et le développement
produits chimiques, plus autonome en un second temps. Le (re)couplage pose d’outils d’authentification et de contrôle
protéines, assurant la fertilité des sols, enfin des questions autour de nouveaux des conditions d’élevage.
entretenant la biodiversité, valorisant modèles économiques et de la gestion
les paysages et offrant des opportunités de la sécurité sanitaire.
de développement de circuits alimen-
4. Un cadre conceptuel
taires locaux. Ce (re)couplage concerne „„3.4. Repenser pour développer
la valorisation optimisée des effluents la filière, les liens entre les innovations
pour réduire le recours aux engrais miné- élevage, transformation
raux de synthèse et entretenir le stock et consommation
„„4.1. Les leviers
de matière organique du sol (initiative des produits animaux
de l’agroécologie
4p1000). Il concerne aussi la diversifica-
et de l’économie circulaire
tion des rotations et des assolements, La reconnexion entre élevage, trans-
l’alimentation animale offrant des formation et consommation nécessite La mise en œuvre de l’agroécologie
degrés de liberté bien plus importants un changement de paradigme pour les s’appuie sur la recherche et le renfor-
que l’alimentation humaine pour utiliser recherches sur la qualité des produits cement des synergies entre les com-
et remobiliser dans la chaîne alimentaire animaux, afin de créer de la valeur en posantes du système de production
une très grande diversité de biomasses réponse aux attentes sociétales qui sont ainsi que sur la diversification des sys-
végétales non directement utilisables multiples ; ce qui concerne non seule- tèmes, l’organisation spatiotemporelle
en alimentation humaine. L’échelle et ment la qualité intrinsèque des produits des cycles biologiques pour boucler
les modalités du (re)couplage peuvent (sanitaire, nutrition, saveur, aptitudes les cycles de nutriments, réduire les
être très variables depuis le niveau de pour la transformation), mais aussi leur émissions et l’usage des intrants (eau,
l’exploitation, d’échanges entre exploi- qualité extrinsèque (liées aux modes énergie, engrais, biocides), améliorer
tations voisines jusqu’aux échanges de production et de distribution) aux- la santé des écosystèmes, accroître la
entre territoires. De manière plus dis- quelles les consommateurs sont de plus biodiversité, la production des services
ruptive, la réintroduction de l’élevage en plus sensibles. écosystémiques et la résilience des
dans des territoires où il a disparu, voire systèmes de production face aux aléas
l’utilisation de l’élevage comme outil du Ce volet amène de nouvelles ques- (climatiques, sanitaires, économiques).
biocontrôle (désherbage, lutte contre les tions. La première concerne l’évaluation Il s’agit de maximiser le recours aux pro-
parasites) dans les zones spécialisées en de la place des produits animaux au sein cessus biologiques, leurs interactions
grandes cultures, vignes et vergers sont de régimes alimentaires durables c’est- et la biodiversité domestique à tous les
à considérer. Le (re)couplage présente à-dire nutritionnellement adéquats, niveaux d’organisation en substitution
un intérêt tout particulier dans le cadre socialement acceptables et moins néga- des intrants chimiques (INRA, 2012).
du développement de l’agriculture bio- tivement impactant sur l’environnement L’économie circulaire explore quant
logique où l’élevage fournit des engrais dans un contexte de transition alimen- à elle les possibilités de bouclage des
bon marché et où il peut bénéficier en taire. De nombreuses études concluent cycles de matière et d’énergie dans
retour d’aliments locaux certifiés bio à à la nécessité de réduire, parfois drasti- une démarche souvent trans-secto-
prix intéressant. quement, la consommation de produits rielle et trans-systèmes. Elle repose sur
animaux, mais les conséquences restent le recyclage des biomasses entre les
Toutes ces évolutions interpellent la mal renseignées notamment sur l’envi- différentes étapes de production en
recherche dans trois dimensions. Il faut ronnement et le développement écono- priorité pour réduire la consommation
considérer les flux de matières et d’éner- mique et social des territoires selon les de ressources et les émissions vers l’en-
gie dans les territoires (métabolisme scénarios d’usage des terres ainsi libérées vironnement. L’agroécologie et l’éco-
territorial) avec des approches quan- par l’élevage. Des questions nouvelles nomie circulaire sont complémentaires
titatives dynamiques et spatialisées apparaissent aussi sur la construction de pour produire avec moins d’intrants
et transformer ces informations sous la qualité des produits animaux tout au (Dumont et al., 2013 ; Thomas et al.,
formes d’indicateurs (au sens large) long de la chaîne. Un domaine majeur de 2014), l­’intensité du lien au sol déter-
permettant de comprendre et piloter connaissance et d’innovations concerne minant le niveau d’articulation entre

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


330 / Jean-louis peyraud et al.

les leviers de l’agroécologie et ceux de dans la chaîne alimentaire, les biomasses développement de nouveaux biomar-
l’économie circulaire. non directement comestibles par queurs, source importante d’innova-
l’Homme et dont la ressource pourrait tions technologiques.
Ces démarches permettent de renou- augmenter à l’avenir (diversification des
veler en profondeur les questions de rotations, ressources aquatiques, valori- Les nouvelles technologies du numé-
recherche. Le développement de pra- sation des résidus alimentaires, insectes rique (capteurs, robotique, internet des
tiques agroécologiques en élevage produits par recyclage de résidus…). Il objets, « block-chain »…) fournissent
amène à considérer le temps long en renouvelle les questions sur l’efficience des outils et des concepts innovants
privilégiant les capacités d’adaptation digestive et l’alimentation des trou- pour la gestion de l’élevage, et le phéno-
des animaux et des systèmes dans le peaux, la disponibilité des ressources, et typage sur de grands effectifs pour une
temps, et non plus la production maxi- pose la question de l’évaluation environ- sélection génomique efficace. Le traite-
male à court terme ce qui était souvent nementale et sanitaire de ces nouvelles ment en continu et automatisé d’une
l’objectif des recherches par le passé. filières et de leur gouvernance. Il conduit énorme quantité de données offre aussi
Les pratiques agroécologiques néces- aussi à s’interroger sur de nouvelles valo- de nouvelles possibilités pour la certifi-
sitent de modifier la relation au risque risations des coproduits de l’élevage cation et une transparence accrue des
et de considérer la diversification des avec, en premier lieu, les effluents par la relations entre entreprises et avec les
productions (potentielle économie de production d’énergie ou l’extraction et la consommateurs en ce qui concerne
gamme) et des systèmes au sein des valorisation de nutriments (N et P) ou de les modes de production. L’innovation
territoires comme un levier pour faire molécules d’intérêt et les possibilités de dans les procédés technologiques doit
face à l’accroissement de la dépen- transfert entre territoires et, en second permettre d’améliorer la valeur nutri-
dance aux conditions du milieu et à la lieu, la valorisation des carcasses, voire tionnelle des coproduits végétaux pour
sensibilité aux aléas par rapport aux sys- de lait et d’œufs grâce à de nouveaux l’alimentation animale, les traitements
tèmes conventionnels dans lesquels il développements technologiques pour des effluents et les coproduits issus des
s’agissait de contrôler les fluctuations la production de molécules bioactives carcasses.
environnementales. Elles amènent aussi et/ou d’ingrédients fonctionnels d’inté-
à piloter par des actions à différentes rêt pour d’autres industries (pharmaceu- „„4.3. Le levier
échelles (de l’animal à la mosaïque pay- tiques notamment). de l’innovation
sagère), le métabolisme des agroéco- organisationnelle
systèmes associant l’élevage au sein des „„4.2. Le levier
territoires. Ceci recouvre notamment de l’innovation La coopération entre les différentes par-
la gestion plus préventive et moins technologique ties prenantes concernées, l’évolution des
curative de la santé et du bien-être des politiques publiques et des marchés sont
troupeaux, le bouclage des cycles de Les innovations technologiques des éléments essentiels pour la transition
nutriments et la gestion de la matière dans les domaines des biotechnolo- de l’élevage qui nécessite de nouvelles
organique des sols, la recherche d’une gies, du numérique et des procédés perspectives partagées, de nouveaux
plus grande autonomie alimentaire des industriels peuvent et doivent contri- partenariats, de nouvelles chaînes de
troupeaux, la limitation des intrants. buer aux approche agroécologiques et valeur. Ces évolutions doivent aussi
Elles amènent également à repenser la d’économie circulaire. Ceci recouvre i) reposer sur une connaissance précise
préservation, la caractérisation et l’uti- les connaissances sur le génome et le des différentes trajectoires d’évolution
lisation de la biodiversité : l’utilisation phénotypage à haut débit qui doivent de consommation de produits animaux
et la gestion des ressources génétiques permettre une sélection plus précise en France, en Europe et dans le monde
animales ; la valorisation de plantes pré- sur des caractères d’intérêt socioéco- et des motivations qui les sous-tendent
sentant des caractères d’intérêt comme nomique et de disposer d’animaux plus pour mieux orienter la production.
notamment des légumineuses (autono- robustes, plus adaptables et efficients et
mie en protéines et azote, intérêts de des produits animaux aux qualités amé- Les principaux leviers d’action
métabolites secondaires pour la santé liorées (Phocas et al., 2017) ; ii) la maî- concernent la définition de dispositifs et
des troupeaux) ; la gestion spatiotem- trise du microbiome et de l’épigénome instruments de régulation (motivations
porelle de la diversité des ressources ; la animal via la mise en œuvre d’une pro- pour la production de services, taxation
gestion de la matière organique et de la grammation précoce des individus (in pour des dis-services, alignement des
biomasse de (micro)organismes du sol ; utero, in ovo, pendant la période péri- politiques publiques avec des objectifs
la préservation de la biodiversité végé- natale) pour pouvoir moduler l’expres- de santé…), la recherche de nouvelles
tale et des habitats par des pratiques sion du génome de manière ciblée et solidarités entre les acteurs du monde
d’élevage adaptées notamment afin orienter les phénotypes ; et iii) la maî- de l’élevage, de l’amont vers l’aval, et
de maintenir des services de régulation trise et la gestion des communautés les autres acteurs des territoires pour
(pollinisation…) ou culturels et sociaux. microbiennes pour améliorer la santé développer de nouveaux systèmes bien
par des approches préventives, basées acceptés socialement et réalistes d’un
Le développement de l’économie cir- sur l’écologie microbienne. La prédic- point de vue économique. Ils concernent
culaire permet pour sa part de réexami- tion des capacités d’adaptation et des aussi la gestion de la coexistence et de
ner la capacité des animaux à recycler, performances des animaux nécessite le l’hybridation entre systèmes dominants

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelle science pour les élevages de demain ? Une réflexion prospective conduite à l’INRA / 331

et systèmes alternatifs pour répondre de science à développer pour contribuer l’application des principes d’économie
à différentes demandes des consom- à inscrire l’élevage comme contributeur publique à l’élevage et aux produits
mateurs, l’innovation dans les collectifs au développement de systèmes agri-ali- animaux conduirait à des politiques
de travail et la répartition de la valeur mentaires durables On peut noter que très éloignées de celles qui sont actuel-
ajoutée pour une attractivité accrue des bon nombre de travaux conduits dans lement en place telles que la taxation
métiers et le maintien de l’emploi rural. les départements de sciences animales des émissions de GES (donc de la
Enfin les effets environnementaux, socié- de l’INRA, trouvent naturellement leur viande rouge et des engrais) plutôt que
taux et économiques de l’élevage étant place dans cette vision, notamment au des aides publiques aux ruminants,
fortement imbriqués, le développement sein de la priorité 3. le soutien aux prairies permanentes
de scénarios prospectifs permettant une plutôt qu’aux terres arables, etc. qui
vision globale des performances (notion „„5.1. Priorité 1 : Développer peuvent avoir des effets majeurs sur la
de bouquets de services/dis-services) de des élevages créateurs reconfiguration de l’élevage. La deu-
l’élevage afin de pourvoir les articuler, de valeurs et répondant xième question concerne la place de
de pointer des synergies et des antago- aux attentes sociétales l’élevage dans la chaîne de valeur, le
nismes et au final de gérer les compro- maintien de l’emploi en élevage, l’at-
mis en rendant visibles les arbitrages Les divergences fortes entre les tractivité des métiers dans les zones
sont nécessaires (Ryschawy et al., 2017 ; attentes sociétales et les déterminants rurales et les modes de coopération et
Ryschawy et al., 2019) et doivent aussi de la rentabilité des élevages d’une part, de contractualisation entre les diffé-
contribuer à programmer les recherches. et entre le soutien public à l’élevage et rents acteurs concernés pouvant créer
ses effets environnementaux et sociaux de la valeur et des carrières attrayantes
d’autre part, posent des questions de et contribuer à la transition vers des
5. Priorités scientifiques recherche nouvelles. Quatre domaines modèles d’élevage innovants. La troi-
et nouveaux fronts de recherche ont été identifiés. sième question concerne les détermi-
de science nants des évolutions structurelles des
a. Comprendre les enjeux entreprises (exploitations, industries)
sociétaux et économiques qui et leurs conséquences sur les perfor-
Pour répondre aux enjeux de l’élevage, se nouent autour de l’élevage mances de l’élevage pour éclairer les
quatre priorités scientifiques ont été défi- La première question concerne l’ana- possibilités d’évolution des systèmes,
nies (tableau 1). Elles mettent en avant lyse des conséquences d’un aligne- leur répartition territoriale, notam-
les ruptures thématiques et méthodolo- ment des politiques publiques avec ment en revisitant les questions d’éco-
giques à envisager et les nouveaux fronts les objectifs de santé publique car nomie de taille, de gamme et les effets

Tableau 1. Liste des priorités scientifiques, des enjeux de recherche associées et des thématiques des groupes de travail (GT)
les plus impliqués.

Priorité scientifique Enjeu des recherches GT

Comprendre les enjeux qui se nouent autour de l’élevage et dans


1. Développer des élevages créateurs quelle mesure les différents modes d’élevage peuvent contribuer
de valeurs et répondant aux attentes à rendre une diversité de services pour la société (économique, 1, 7, 8, 9
sociétales environnementaux, alimentaires, culturels, patrimoniaux) en fonction
des territoires et de leur spécificité

2. Utiliser l’aptitude des animaux


Accroitre l’efficience d’utilisation des biomasses végétales,
à valoriser des biomasses diverses
particulièrement celles non consommées par l’Homme, tout en limitant
pour développer une agriculture 5, 6
les pertes, en améliorant la qualité des sols et en réduisant les intrants
agro-écologique bouclant les cycles
et l’usage des ressources non renouvelables
de nutriments

Disposer de systèmes d’élevage conçus autour du bien-être


et de la santé des animaux, climato intelligents et réduisant
3. Améliorer les aptitudes des animaux
au minimum (quasi suppression) l’usage des intrants médicamenteux,
et proposer des systèmes d’élevage 2, 3, 4, 5, 7
et disposer d’une diversité d’animaux plus efficients et robustes,
durables
adaptés à des conditions d’élevage variées et pas forcément optimales,
et produisant des produits adaptés à la demande

Étudier comment des évolutions (techniques, organisationnelles)


permises par l’émergence du numérique et de la massification
4. Faire entrer l’élevage dans l’ère
des données permettent de mieux répondre aux attentes 10
du numérique
des éleveurs, des consommateurs et des citoyens vis-à-vis
des trois premières priorités

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


332 / Jean-louis peyraud et al.

­ ’agglomération, l’analyse du rôle de la


d pesticides, la place de la gouvernance l’on veut l’appliquer à des systèmes,
qualité des produits, de la traçabilité des territoires face à celle des filières des territoires et à nos régimes alimen-
et comprendre l’influence des normes qui domine aujourd’hui, etc. Ces taires. Les progrès concernent la prise
privées et publiques sur la capacité études doivent prendre en compte la en compte des dynamiques tempo-
à conquérir de nouveaux marchés. place respective des ruminants et des relles et la spatialisation des effets, la
En lien avec les priorités suivantes monogastriques car leurs performances mobilisation de modèles plus précis
concernant l’amélioration génétique environnementales sont contrastées – pour les phénomènes se déroulant
et la re-conception des systèmes et ils peuvent être complémentaires ou sur un pas de temps long (stockage
d’élevage, il est nécessaire de pro- en compétition selon les territoires et de C), le développement d’indicateurs
gresser sur l’analyse des causalités de les objectifs -, ainsi que la diversité des pour prendre en compte les services
long terme. Il s’agit de quantifier dans territoires en distinguant a minima le (biodiversité, emplois, culturels…), la
quelle mesure les politiques, la PAC Grand Ouest fourrager, le Centre spé- qualité nutritionnelle des produits et
en particulier, ont orienté, et peuvent cialisé en céréaliculture, les zones de l’économie. Les approches par ACV
orienter dans le futur, les systèmes montagnes humides et les territoires « conséquentielle » incluant les effets
d’élevages au travers des conditions de polyculture élevage. indirects sur les filières connexes des
d’installations et du progrès technique changements de pratiques sont riches
induit par les prix et leurs anticipations c. Évaluer les systèmes de perspectives mais encore insuffisam-
par les différents acteurs des systèmes d’élevage pour les faire ment développées.
agri-alimentaires. progresser et alimenter
le débat public d. Accroître et valoriser
b. Évaluer les rôles de l’élevage L’approche par les bouquets de ser- la diversité pour développer
et des produits de l’élevage vices vise à décrire les performances un élevage multiperformant
au sein des systèmes économiques, sociales et environne- Dans une logique de développe-
agri-alimentaires mentales de l’élevage, à comprendre ment de systèmes agro-écologiques
La disponibilité alimentaire comme leurs déterminants biologiques, tech- la diversité devient un objet central de
condition nécessaire à la sécurité ali- niques, culturels et économiques, à ana- recherches. À l’échelle des systèmes, la
mentaire globale et la place des pro- lyser les synergies et les antagonismes prise en compte explicite de la diversité
duits animaux dans la diète est une entre les performances et in fine à expli- et de la diversification ouvre de nou-
question centrale. Les modèles d’équi- citer les choix. Elle permettra d’aborder veaux fronts de recherche. Ils concernent
libre globaux qui explorent par grandes des questions concernant l’évolution sa caractérisation et la mise en évidence
régions différents scénarios démogra- des compromis entre les services et de ses intérêts en regard des fonctions
phiques et climatiques doivent être dis-services, les relations entre services attendues, et la définition des conditions
améliorés par une prise en compte plus et résilience des systèmes, l’évaluation d’expression de cet intérêt en tant que
explicite de l’élevage qui n’est approché de l’élevage dans les approches circu- source d’adaptabilité/de résilience, d’ef-
que par des coefficients d’efficience laires territorialisées, l’évaluation des ficience et de constance de la produc-
moyens et par une meilleure connais- interactions entre élevage et biodiver- tion. Ils concernent aussi les modalités
sance et utilisation des trajectoires de sité à différentes échelles et la question de son pilotage en comprenant mieux
consommation de produits animaux de la valorisation de services mar- l’organisation de l’action collective pour
dans les différentes parties du monde. chands et non marchands. Toutefois, ce pilotage, les objectifs et outils de
Les modèles localisés de métabolisme cette notion, encore nouvelle, néces- gouvernance, d’action publique pour
territorial visent à évaluer ex-ante des site des apports méthodologiques appuyer et gérer cette diversité. La ques-
scenarios d’évolution de l’agriculture concernant l’extension de la notion de tion de la réintroduction de l’élevage au
en intégrant les effets des pratiques. services écosystémiques à des notions sein de territoires où il a disparu est une
Cette approche, trop peu développée, de dynamisme économique et de bien- question à fort enjeu. Aux échelles infra
doit permettre la recherche d’optimum être des populations ; la délimitation du les questions concernent l’intérêt de
entre les différentes productions pour système étudié et des services (diversité la diversité animale pour mieux gérer
maximiser la valorisation des biomasses des bénéficiaires, réalité des processus, les systèmes et notamment l’évolution
produites avec réduction des impacts centres de décision économiques et des schémas de sélection animale pour
locaux et globaux. Ceci concerne par politiques…) afin d’appréhender cor- répondre à la diversité de la demande,
exemple l’organisation repensée entre rectement les interactions entre élé- les complémentarités entre types d’ani-
cultures et élevage qui permet de ments du système et celles du système maux en regard de la diversité crois-
mieux répondre à ces objectifs que avec son environnement et la construc- sante des ressources. Elles concernent
l’organisation par filières, la recherche tion d’indicateurs et de systèmes d’in- aussi les modalités d’une diversification
de valeur ajoutée par passage d’un ter- dicateurs. En complément, l’évaluation amont des produits sachant que les ver-
ritoire en agriculture bio, la recherche des systèmes par la méthode d’Ana- rous financiers, technologiques, logis-
d’une efficience maximale en visant lyse de Cycle de Vie (ACV), largement tiques, etc. semblent très importants et
des marchés à l’export ou les apports utilisée, doit encore progresser pour empêchent les opérateurs de réadapter
de l’élevage pour contribuer à la diver- prendre en compte les fortes interac- leurs stratégies pour mieux répondre à
sification des cultures et réduire les tions entre produits et activités lorsque l’attente.

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelle science pour les élevages de demain ? Une réflexion prospective conduite à l’INRA / 333

„„5.2. Priorité 2 : exemple le fractionnement des légumi- doivent permettre de développer des
Utiliser l’aptitude neuses fourragères pour leur utilisation dynamiques d’innovation pour recon-
des animaux à valoriser en alimentation des porcs. La troisième quérir la qualité des eaux, substituer
des biomasses variées pour question concerne l’évaluation de l’in- des engrais organiques aux minéraux,
une agriculture bouclant térêt agronomique et environnemen- réaliser des transferts vers des territoires
les cycles de nutriments tal de la valorisation par l’animal de ces aux sols pauvres en matière organique.
ressources plutôt qu’une utilisation par La diversification des débouchés des
La question de l’alimentation des ani- retour direct au sol ou après traitement effluents est un autre enjeu. La méthani-
maux et de la gestion des effluents sont et/ou valorisation énergétique (métha- sation qui contribue au développement
des éléments clés i) pour la recherche nisation, compostage). Enfin, la valorisa- des énergies renouvelables génère des
d’une éco-efficience accrue des sys- tion de protéines d’invertébrés (insectes questions sur l’efficience du procédé,
tèmes agri-alimentaires, ii) pour une mais aussi vers de terre) produits par les équilibres à trouver entre produc-
moindre dépendance aux engrais recyclage de biomasses de déchets tion de biogaz, qualité des digestats et
minéraux et aux protéines importées, alimentaires humains ou d’effluents évolution du stock de carbone des sols,
iii) pour le développement d’une ali- ou de protéines d’origine aquatique et les effets sur le métabolisme territo-
mentation locale et aujourd’hui sou- (algues) pose la question de l’efficience rial (évolution des cultures, interactions
haitée sans OGM et iv) contribuant à la globale du recyclage, de la valorisation entre exploitations, compétitions éven-
transition énergétique. Les nouveaux par l’animal de ces protéines en substi- tuelles entre élevage et méthanisation
fronts de science concernent trois tution du soja, de la qualité nutrition- pour l’accès aux ressources, flux accrus
domaines : nelle et sanitaire des produits animaux d’éléments). L’utilisation des effluents
et de l’acceptabilité par la société de comme substrats pour l’extraction de
a. Remobiliser dans la chaîne ces nouveaux modes d’alimentation molécules d’intérêt (acides organiques
alimentaire des gisements des animaux. L’utilisation en tant que pour l’industrie chimique, composés
de biomasse et de protéines produits de biocontrôle pour la santé ligno-cellulosiques pour la production
non comestibles par l’Homme, animale de certains composés des légu- de fibres, nutriments pour la production
grâce à l’élevage mineuses ou des algues est un champ d’insectes, d’algues, de bio-engrais)
L’élevage peut permettre de valo- qui mérite d’être exploré. sont des pistes à explorer.
riser des biomasses produites par la
diversification des rotations rendue b. Gérer les effluents d’élevage c. Réduire les émissions
nécessaire pour limiter l’usage des pour boucler les cycles de méthane des ruminants
pesticides et de nouveaux gisements de nutriments et contribuer Plusieurs voies sont à explorer simul-
de coproduits peuvent aussi être identi- à la fertilité des sols tanément pour réduire les émissions de
fiés (Halmemies-Beauchet-Filleau et al., Les voies de progrès pour accroître méthane des ruminants. Au plan global,
2018). Ces nouvelles ressources alimen- l’efficience de la valorisation agrono- la réduction des effectifs de ruminants,
taires seront souvent très variables dans mique des effluents et limiter les émis- souvent évoquée pour réduire les
l’espace, le temps et en qualité ce qui sions vers l’eau et l’air concernent la prise émissions, peut avoir des contre-effets
pose des questions spécifiques. Leur en compte de manière intégrée de l’en- non analysés à ce jour. Les ruminants
utilisation raisonnée nécessite le déve- semble des maillons (de l’alimentation consomment de grandes quantités de
loppement de systèmes d’information animale qui affecte la composition des biomasse sur la planète et la question
basés sur des simulateurs permettant effluents à l’épandage au champ), de du devenir de ces ressources fibreuses
d’évaluer la disponibilité et les prix, l’ensemble des processus liés au cycles face à des scénarios de réduction de
en tenant compte des compétitions biogéochimiques du C, de l’N et du P, et l’élevage doit être évaluée car leur
d’usage, des contextes locaux (agrono- de la connaissance des dynamiques de récolte mécanique ou leur décomposi-
mique, économique, moyens de trans- minéralisation des formes organiques tion pourraient être une source majeure
ports, organisations entre acteurs…) de l’N avec leurs effets sur les compo- de GES comme d’ailleurs le retourne-
et de la gestion de la sécurité sanitaire. santes de la fertilité des sols selon les ment des prairies lié à la réduction du
Une deuxième question concerne l’ef- types d’effluents et les procédés tech- nombre de ruminants. L’étude de scé-
ficience d’utilisation par l’animal. Il nologiques appliqués (séparation de narios alternatifs permettant de réduire
s’agit notamment de comprendre l’ori- phase, compostage…). Si la maîtrise les effectifs bovins nationaux tout en
gine des variations interindividuelles des émissions gazeuses (volatilisation maintenant les niveaux de produc-
(comportement alimentaire, digestion, d’ammoniac, émission de gaz à effet de tion (engraissement d’animaux issus
microbiote) qui seront exacerbées avec serre) tout au long des filières de gestion du troupeau laitier, baisse des effectifs
ces ressources souvent de moindre qua- des effluents d’élevage reste un enjeu allaitants et recherche de précocité)
lité, de prédire les performances des fort, il importe aussi de mieux connaître sont à explorer. Au niveau de l’animal, il
troupeaux en réponse aux variations l’impact des épandages sur la dissémi- faut comprendre les relations entre effi-
de l’offre alimentaire et développer de nation de contaminants (antibiotiques, cience digestive et rejets de méthane,
procédés technologiques pour amélio- pathogènes) et leur transfert dans la pour développer des programmes de
rer leur valeur nutritionnelle et sanitaire chaîne alimentaire. À l’échelle des ter- sélection efficace car les deux perfor-
ou diversifier les utilisations comme par ritoires, des démarches participatives mances apparaissent antagonistes, et

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


334 / Jean-louis peyraud et al.

étudier les possibilités de modifica- nécessite de passer d’une vision sta- des rôles multiacteurs des écosystèmes
tions de l’écosystème microbien du tique de l’animal telle qu’elle a été microbiens pour l’hôte et sa santé, la
rumen lors de son implantation dans développée jusqu’à maintenant à une mise en évidence et la compréhension
les premiers stades de la vie. Au niveau vision dynamique prenant en compte de la transmission non génétique de
de l’alimentation, l’utilisation d’additifs de manière beaucoup plus intégrée certains caractères dans la variabilité des
peut être efficace, mais il reste à préci- que par le passé les différentes fenêtres phénotypes ; l’analyse des mécanismes
ser les conséquences sur la qualité des temporelles au cours de la vie et entre physiologiques et comportementaux
produits animaux (présence de rési- générations ainsi que l’ensemble des du développement des capacités senso-
dus), la santé animale, l’acceptabilité performances (reproduction, produc- rielles, cognitives et émotionnelles des
par les consommateurs et les condi- tion, robustesse, longévité, capacité animaux, et de leur état de conscience ;
tions de rentabilité de leur utilisation. d’adaptation à la chaleur, caractéris- la compréhension du développement
L’utilisation de fourrages riches en com- tique des produits…) ce qui doit per- des tissus et organes. Au cours de la
posés secondaires (saponine, tannins) mettre l’étude des effets à long terme vie de l’animal il s’agit d’étudier ses
est une voie prometteuse à explorer. des évènements se déroulant dans des capacités d’adaptation et notamment
phases précoces et de caractériser l’ap- de savoir si et comment des animaux
„„5.3. Priorité 3 : Améliorer titude des animaux à faire des compro- sélectionnés dans un environnement
les aptitudes des animaux mis et à s’adapter à des environnements favorable s’adaptent à un milieu plus
et proposer des systèmes variables au cours de leur vie. Cela changeant ; d’être capable de prédire
et filières d’élevage durables implique de décloisonner les compé- les conséquences de la sélection d’un
tences sur les différentes périodes de la caractère sur les autres fonctions de
Cette priorité, très vaste, recouvre le vie et les différentes fonctions étudiées, l’animal ; de caractériser les états men-
cœur des compétences des départe- et de renforcer les collaborations entre taux des animaux et leur robustesse
ments des sciences animales de l’INRA. biologistes, biostatisticiens et bio-infor- comportementale ; de comprendre les
maticiens pour l’intégration de données relations entre le bien-être animal, la
a. Développer les capacités hétérogènes et complexes. santé et la conscience qu’un animal a
d’adaptation des animaux de son état. Enfin un troisième champ
Le développement de systèmes d’éle- Les principaux fronts de science concerne l’étude des relations entre
vages agroécologiques renouvelle les concernent la compréhension de communautés microbiennes et santé
priorités scientifiques de la recherche l’élaboration précoce des phéno- des animaux et des Hommes. Il s’agit
sur les animaux. Il faut développer leurs types (phase périconceptionnelle, vie de comprendre les fonctions des com-
capacités d’adaptation face à un envi- embryo-larvaire/fœtale, période néo- munautés microbiennes (liens entre les
ronnement plus changeant, qu’elles natale jusqu’au sevrage) (figure 3). différents microbiomes, assemblages
soient de nature comportementale ou L’holobionte est une échelle nouvelle à microbiens les plus résilients/béné-
physiologique, répondre à la question prendre en compte. Il s’agit d’analyser fiques aux différentes étapes de la vie),
de la qualité de vie et développer une les interactions [Génome x Épigénome d’analyser les modes de transmission
gestion préventive plutôt que curative x Microbiome] et Environnement ce qui des agents pathogènes et d’évaluer les
de la santé. La réponse à ces enjeux recouvre notamment la compréhension risques de transmission au regard des

Figure 3. Élaboration précoce et étude des phénotypes : couplage santé, bien être, reproduction, production, longévité,
adaptation au chaud, réduction des émissions de méthane, qualité des produits.

Environnement : exposome, systèmes (alimentation, logement, conduite relations sociales...), climat

Gestation Péri-post-natale
Péri-conception Croissance, vie adulte productive et vieillissement
Incubation Post-éclosion

Fécondation Diff.Cellules Naissance Sevrage Puberté Adulte


Germinales Éclosion 1ère prise
alimentaire
- Suivi longitudinal des phénotypes : production,
Génome x Génome x Épigénome x qualité des produits, reproduction, comportements,
Épigénome x Microbiomes : installation compromis fonctionnels, etc.
Microbiomes et diversification chez le jeune - Réponses à des perturbations subies
de la mère (alimentation, climat, pathogènes...)
(mammifères) Maturation des systèmes
immunitaire et nerveux
Interactions sociales et cognition

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelle science pour les élevages de demain ? Une réflexion prospective conduite à l’INRA / 335

pratiques, de développer des méthodes c. Améliorer la qualité „„5.4. Priorité 4 :


de pilotage des écosystèmes microbiens des produits animaux Faire entre l’élevage
au bénéfice de la santé et du bien-être. et innover dans la valorisation dans l’ère du numérique
L’ensemble de ces recherches doit des coproduits animaux
dépasser le seul cadre de la compréhen- Au-delà des travaux sur l’élaboration Les perspectives offertes par les tech-
sion des phénomènes pour développer de la qualité des produits animaux, nologies du numérique sont extrême-
des méthodes d’intervention permet- de nouveaux fronts de science sont ment attractives dans de très nombreux
tant de les maîtriser (levier des innova- à considérer. Ils concernent le déve- domaines : gestion du bien-être (objec-
tions technologiques dans la figure 2) et loppement d’outils prédictifs peu ou tivation de l’état de l’animal dans le
de prédire les effets sur l’animal. pas invasifs de la qualité intrinsèque cadre d’une obligation de résultat), de la
(sanitaire, nutritionnelle, sensorielle, santé (meilleure détection des maladies
b. Développer des systèmes technologique) afin d’évaluer sa varia- à la fois plus précoce et plus exhaustive,
d’élevage climato-intelligents bilité qui peut être augmentée dans meilleure caractérisation des symp-
conçus pour le bien-être le cas de pratiques d’élevage plus tômes), de l’alimentation (ajustement
et de la santé des animaux agro-écologiques et plus diversifiées en fonction des réponses animales à
et des Hommes et la gérer par exemple en orientant l’échelle du groupe ou de l’individu),
Les recherches doivent concerner dif- les produits vers différents segments de la reproduction (des informations
férents niveaux d’échelle en interaction de marchés, notamment dans le cas en continu sur les comportements et
et intégrer le changement climatique des filières viande. Un deuxième front certains paramètres biologiques des
qui va challenger les animaux et les sys- concerne la découverte, à partir de pro- individus). Enfin, la sélection génétique
tèmes fourragers. À l’échelle de l’animal duits animaux, de biomolécules pou- a beaucoup à gagner de ces informa-
il s’agit de mettre en place un environ- vant se substituer avantageusement tions à haut débit, le génotypage étant
nement adapté au fonctionnement à certaines molécules chimiques de aujourd’hui bien moins limitant que
écologique et évolutif des espèces et de synthèse utilisées en santé publique. le phénotypage à grande échelle des
favoriser les processus naturels de régu- Les recherches de peptides à activité caractères d’intérêt zootechnique.
lation du métabolisme. Il s’agit aussi de biologique ont démarré sur le lait (par
favoriser les processus de régulation des exemple les complexes immuno-aller- a. Utiliser les technologies
agents pathogènes en étudiant les inte- gènes) et les œufs, et l’identification du numérique en élevage
ractions antagonistes avec des espèces de telles molécules dans les viandes Il faut déterminer en quoi ces techno-
pathogènes, l’immunité naturelle et pourrait être un débouché pour cer- logies permettent de mieux répondre
induite des animaux, les communautés tains bas morceaux non commerciali- aux nouveaux enjeux de l’élevage.
d’espèces animales limitant la diffusion sés ou à faible valeur marchande ou en L’enjeu des recherches réside bien
des agents pathogènes, l’automédica- fin de date limite de consommation. Un plus dans l’étude de la plus-value per-
tion, les apprentissages des jeunes. À troisième front concerne l’étude de l’ori- mise par l’information que dans les
l’échelle des troupeaux et de l’exploita- gine du microbiote des aliments afin développements des techniques en
tion, il faut concevoir des systèmes mul- d’en déduire les pratiques d’élevage elles-mêmes, ce qui n’interdit pas de
tiperformants en s’appuyant sur une qui permettraient d’assurer la qualité les qualifier pour mieux en cerner les
meilleure prise en compte, voire l’arrêt, sanitaire des produits et, dans le cas des usages et de participer à leur dévelop-
des pratiques traumatisantes (castration, produits laitiers au lait cru, une diversité pement en partenariat. Les questions
caudectomie, débecquage, dégriffage, microbienne élevée favorable au déve- concernent ici quatre points. En premier
écornage…), la recherche de l’expression loppement des qualités gustatives des lieu, il s’agit de déterminer les gains
naturelle des comportements, la néces- fromages. Enfin, un dernier front de rendus possibles par la gestion de la
sité de limiter les périodes à risque pour science concerne l’étude exhaustive des diversité individuelle en élevage à partir
la santé, la pression infectieuse et les pra- fonctionnalités et bioactivités ainsi que des informations disponibles en dyna-
tiques réduisant les émissions. Un point des procédés d’extraction des protéines mique et en combinant la connaissance
particulier concerne l’analyse des syner- fibreuses des carcasses (collagène, élas- de la diversité génétique (possibilités
gies et antagonismes entre un bien-être tine, kératine, cf. Ferraro et al., 2016) ou du génotypage) et la diversité phé-
animal amélioré et les émissions de GES des produits animaux eux-mêmes (lait notypique. Il devient en effet possible
et des différentes formes d’azote réactif et œuf ) pour des applications avancées aujourd’hui de passer d’une gestion
et de phosphore. À l’échelle des filières dans le domaine de la biomédecine, des basée sur la production et les besoins
et territoires, il s’agit de développer des biomatériaux et de l’agro-alimentaire. associés à une gestion en dynamique
systèmes de surveillance de nouvelle La bioactivité des résidus peptidiques sur des critères beaucoup plus variés et
génération pour la circulation/transmis- issus de ces protéines ouvre aussi à la des actions ciblées. En deuxième lieu, la
sion des agents pathogènes, de réfléchir possibilité de remplacer des compo- recherche doit préciser comment il est
à de nouvelles organisations au sein des sants synthétiques largement utilisés possible de valoriser au mieux toute la
filières/territoires pour encourager la par l’industrie alimentaire d’aujourd’hui masse d’informations qui va débarquer
réduction des usages ­d’antibiotiques ainsi que la récupération du phosphore dans les élevages demain. La structu-
et plus généralement d’engager des pour limiter notre dépendance en ce ration des systèmes d’information est
démarches collectives vertueuses. type d’intrants. décisive et doit permettre de restituer

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


336 / Jean-louis peyraud et al.

à l’éleveur les données de façon claire Conclusion développement de nouvelles méthodes


pour les décisions, voire de déléguer d’investigation pour un suivi non invasif
l’application de celles-ci à des robots. des animaux et de l’élargissement des
Il faut analyser les conséquences sur le Cette réflexion scientifique prospec- capacités de phénotypage ainsi que
métier d’éleveur de ces technologies tive a permis de développer une vision du développement de méthodes alter-
qui suppriment des tâches d’astreinte pour le positionnement de l’élevage natives à l’expérimentation animale
mais en créent de nouvelles (entre- au sein de systèmes agri-alimentaires permettant d’approfondir les proces-
tien/surveillance des équipements), circulaires et durables et de fournir un sus physiologiques en reproduisant in
qui peuvent être source de stress cadre conceptuel pour le développe- vitro la micro-anatomie d’un organe
(alarmes trop nombreuses) et conduire ment futur des recherches et des inno- (organoïdes) et d‘analyser les interac-
à un moindre investissement dans les vations. Repositionner l’élevage au tions entre organes (Organ-on-chips).
savoirs faire. Le déploiement de ces cœur des systèmes agri-alimentaires, À l’échelle des systèmes d’élevage, il
nouvelles technologies va également ouvre de nouvelles perspectives pour est indispensable de renouveler les
modifier l’organisation des acteurs du améliorer simultanément les diffé- compétences de zootechniciens ayant
conseil et de la sélection et permettre rentes dimensions de l’élevage. Cette une vision systémique pour conduire
de développer la traçabilité des modes approche permet aussi de positionner des travaux souvent à l’interface entre
de production pour le consommateur. l’élevage non plus uniquement comme disciplines et de conception innovante
Enfin, développer des outils permettant un élément aux impacts négatifs qu’il de systèmes ainsi que de renforcer
d’évaluer le retour sur investissement faut réduire, mais aussi comme une celles en sciences humaines et sociales
de ces technologies est une véritable ressource pour trouver des solutions liées à l’élevage qui apparaissent trop
question de recherche. innovantes améliorant la durabilité modestes face aux enjeux des contro-
des systèmes agri-alimentaires. Les verses liées aux questions du bien-être
b. Utiliser les technologies évolutions à réaliser et les progrès à et santé des animaux et des Hommes, de
du numérique pour acquérir accomplir nécessitent une recherche l’acceptabilité de substituts à la viande
de la connaissance ambitieuse qui ne peut pas être réa- et plus généralement de l’éthique en
Pour la recherche, ces outils sont une lisée dans la seule continuité des élevage.
formidable opportunité de vision large recherches actuelles. Des ruptures sont
« macroscopique » de systèmes bio- à réaliser tant au niveau des théma- Le deuxième concerne l’intégra-
logiques en complément de la vision tiques de recherche que des méthodes tion de l’élevage dans des probléma-
« microscopique » permise par les révo- d’approche. Il est notamment indis- tiques plus globales relatives au (re)
lutions technologiques des « omics ». La pensable de renforcer les approches couplage entre élevage et produc-
possibilité d’intégrer les données issues interdisciplinaires, non seulement tions végétales. Une clé d’entrée très
des capteurs utilisés dans les élevages entre biologistes du domaine animal, transformante pour l’agriculture serait
commerciaux permet de changer de mais aussi avec les sciences du végétal, de développer des recherches pour
dimension dans nos objets d’étude et les sciences sociales et économiques réduire notre dépendance à l’azote
d’observer de grands effectifs dans des et les sciences des données. Parmi les de synthèse et aux importations de
environnements et avec des conduites virages à négocier, trois sont d’une protéines pour l’alimentation animale
très différentes pour un phénotypage importance toute particulière : et produire une alimentation saine et
à grande échelle. Dans ce contexte, nutritionnellement adéquate. Cette
l’INRA n’est plus le principal fournisseur Le premier concerne, le dévelop- thématique converge avec l’objectif
de données, mais il a un rôle important pement d’une vision dynamique et de réduction des émissions de GES,
pour relier ces informations à haut débit intégrée de l’animal et des systèmes notamment de N2O qui est le principal
avec des données difficiles à acquérir d’élevage en intégrant les différents GES de l’agriculture en Europe, avec la
en élevage mais accessibles par l’ex- niveaux d’approche et les différentes réduction des produits phytosanitaires
périmentation (émissions gazeuses, échelles temporelles et spatiales. Cet via la diversification des rotations, l’ali-
aptitudes digestives…). Ce travail est enjeu va nécessiter de développer des mentation animale offrant de degrés
indispensable pour interpréter et uti- approches analytiques de long terme de liberté pour réfléchir à cette diver-
liser ces données en élevage, mais les permettant des suivis longitudinaux et sification, et l’introduction de légumi-
liens entre ces données n’étant pas intergénérationnels d’animaux placés neuses dans un objectif de réduction
nécessairement mécanistes, il faudra dans des conditions contrôlées et de de l’usage des engrais de synthèse. Les
associer des techniques de fouilles quitter l’approche animal/lot moyen fronts de science concernent la modé-
de données et d’apprentissage auto- pour s’intéresser aux trajectoires lisation de scénarios prospectifs, l’éta-
matique pour réaliser des sauts tech- d’évolution. Au final il faut disposer blissement de rotations et assolements
nologiques et faire avancer les fronts de modèles animaux construits par un plus vertueux, l’analyse de la complé-
de science. Ces nouvelles technolo- vécu différent alors que jusqu’à présent mentarité ou compétition entre types
gies doivent aussi nous permettre de nous disposions essentiellement de d’élevage pour titrer au mieux partie
développer des biomarqueurs peu ou modèles génétiques reposant sur des des biomasses, la gestion des effluents,
pas invasifs et des systèmes d’aide à la lignées expérimentales divergentes. la génétique végétale et animale avec
décision. Cet enjeu doit aussi s’accompagner du de nouveaux objectifs de sélection, les

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


Quelle science pour les élevages de demain ? Une réflexion prospective conduite à l’INRA / 337

technologies de procédés pour le trai- animaux (ou à des échelles infra) et sont à trouver entre des approches en
tement des aliments pour l’Homme et au niveau des systèmes d’élevage, des intelligence artificielle (« data driven »)
coproduits pour les animaux, le déve- filières et des territoires. Les questions et les modèles plus mécanistes simu-
loppement et la gouvernance de nou- soulevées concernent la fréquence lant les processus biologiques. Même
velles chaînes de valeur à l’échelle des d’acquisition, la gestion d’un afflux si quelques recrutements de « data
territoires. massif de données souvent hétéro- scientists » peuvent s’envisager dans
gènes et leur utilisation. Ce dernier un domaine où la technologie évolue
Le troisième est lié au développe- point soulève des questions de nature très vite, c’est surtout de chercheurs
ment des « data sciences ». De nom- scientifique sur la meilleure façon de ayant une double compétence « éle-
breux travaux font appel à l’utilisation les utiliser à des fins de compréhen- vage/data » dont nous avons besoin
d’approches d’analyse de données sion des phénomènes étudiés, de pour développer des collaborations,
collectées dans des conditions très nature méthodologique pour analyser avec l’INRIA en particulier, et capi-
variées pour couvrir une gamme de la complexité des données collectées taliser sur l’opportunité de l’Institut
situations environnementales, tant et de nature technique renvoyant aux Convergences Agriculture Numérique
spatiales que temporelles, aussi large capacités de calcul, à l’algorithmique #Digitag, seul Institut Convergences
que possible à la fois au niveau des et aux logiciels. Des complémentarités dédié à l’agriculture.

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Scientifique collective). Ryschawy J., Dumont B., Therond O., Donnars C., Turolla S., Bouamra-Mechemache Z., Chatelier V.,
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Résumé
L’ambition de l’Atelier de Réflexion Prospective sur l’élevage a été de repenser la place, les rôles de l’élevage et en quoi il doit se transfor-
mer pour contribuer pleinement au développement de systèmes agri-alimentaires plus durables ainsi que d’identifier des thématiques de
recherches interdisciplinaires permettant d’explorer des fronts de science ou méthodologiques porteurs d’avenir pour lever les verrous de
connaissances. La réflexion a été animée par un groupe de 15 chercheurs et en a mobilisé une centaine. À partir d’une analyse du contexte
et des drivers d’évolution des systèmes nous proposons un nouveau cadre conceptuel et des voies de progrès pour penser l’élevage de
demain. L’élevage doit s’inscrire dans le cadre de systèmes agri-alimentaires circulaires dans lesquels il doit contribuer, au-delà d’une
efficience accrue des moyens de production, à la préservation de la qualité des ressources et à la production d’une alimentation à un prix
abordable. Il faut repenser les systèmes pour qu’ils soient climato-intelligents et répondent aux enjeux de santé et du bien-être des animaux
et des Hommes ; repenser les liens entre élevage, production végétale et territoire pour maximiser les recyclages et repenser les liens entre
élevage, transformation et consommation des produits de l’élevage. Les innovations doivent être basées sur les principes de l’agroécologie
complétés par ceux de l’économie circulaire et par la mobilisation des leviers des (bio)technologies et de l’innovation organisationnelle. Le
texte décrit quatre grandes priorités scientifiques avec leurs enjeux de recherche et produit des recommandations pour un plan d’action.

Abstract
Science for tomorrow’s livestock farming: A forward thinking conducted at INRA
The ambition of the foresight on livestock farming was to rethink the place, the roles of livestock and how it should be transformed to fully contribute
to the development of more sustainable agri-food systems. It was also to identify cross-disciplinary research themes that explore promising fronts
of science or methodologies to solve knowledge locks. The foresight was managed by a group of 15 researchers and mobilized a hundred resear-
chers. Based on an analysis of the context and the drivers for the evolution of the systems, we propose a new conceptual framework to think about
innovations. Livestock farming must be part of circular agri-food systems in which it must contribute, beyond an increased efficiency of production
factors, to the preservation of the quality of the resources and to the production of a food at an affordable price. Systems need to be rethought to be
climate-smart and to respond to the health and welfare challenges of animals and people, rethink the linkages between livestock, crop production
and territories to maximize recycling and rethink livestock linkages, processing and consumption of livestock products. Innovations should be
based on the principles of agro-ecology supplemented by those of the circular economy and mobilizing levers of (bio) technologies and organi-
zational innovation. The text describes 4 major scientific priorities with their research issues and produces recommendations for an action plan.

PEYRAUD J.-L., AUBIN J., BARBIER M., BAUMONT R., BERRI C., BIDANEL J.-P., CITTI C., COTINOT C., DUCROT C., DUPRAZ0 P., FAVERDIN P.,
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(Éd). INRA Prod. Anim., 32, 323-338.
https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2591

INRA Productions Animales, 2019, numéro 2


2019
Volume 32 – Numéro 2

Contents

Major challenges and solutions


for livestock farming
Special issue “Major challenges and solutions for livestock farming”:
Foreword. P. MAUGUIN 85
The journal “INRA Productions Animales” in the scientific production
in the animal sciences and husbandry. R. BAUMONT, A. GIRARD 87
Livestock, land use and food security in 2050: Insights from the Agrimonde-
Terra foresight. C. LE MOUËL, O. MORA 95
Revue éditée par l’INRA Secrétariat d’Édition
Internationalization of markets in animal production. V. CHATELLIER 111
4 numéros par an Administration du site web
https://productions-animales.org/ Pascale Béraud The evolution of consumption of animal products in France: F. CAILLAVET, A. FADHUILE,
INRA multiple challenges. V. MICHÈLE 131
Hébergée par l’Université de Bordeaux : Unité Mixte de Recherche sur les Herbivores
Portail de revues scientifiques en libre accès 63122 Saint-Genès-Champanelle What role for animal products in tomorrow’s human diet? D. RÉMOND 147
https://open.u-bordeaux.fr/journals/ e-mail : paurh-ara@inra.fr Livestock intensification in rural areas and the provision
of socio-environmental and cultural services. J.P. DOMINGUES et al. 159
Directeur de la publication Maquette
Christian Huyghe DESK The economic performance of European livestock farming: From the “cost
INRA Paris, Directeur Scientifique « Agriculture » 25 Boulevard de la Vannerie competitiveness” to the “non-cost competitiveness”. V. CHATELLIER, P. DUPRAZ 171
53940 Saint-Berthevin
Livestock and territory: which interactions and what questions? J. LASSEUR et al. 189
Directeur scientifique http://www.desk53.com.fr/
Rédacteur en chef J.-Y. DOURMAD, T. GUILBAUD,
René Baumont Composition, photogravure, impression Animal production in a circular bioeconomy. M. TICHIT, T. BONAUDO 205
INRA DESK
Unité Mixte de Recherche sur les Herbivores 25 Boulevard de la Vannerie Evolution of animal status and point of views on animal farming in French
63122 Saint-Genès-Champanelle 53940 Saint-Berthevin society: what challenges for agricultural research? A. FOSTIER 221
e-mail : rene.baumont@inra.fr http://www.desk53.com.fr/ What performance for tomorrow’s animals? Breeding goals and selection
methods. P. LE ROY, A. DUCOS, F. PHOCAS 233
Role of the early environment in phenotypic variability and adaptation
of animals to their environment. F. PITEL et al. 247
N° ISSN : 2273-774X (édition papier) 2273-7766 (édition électronique)
Managing animal diversity in livestock farming systems: which diversity?
N° ISBN : 978-2-7380-1433-7 (édition papier) 978-2-7380-1434-4 (édition électronique) Which forms of management practices? For which benefits? M.-A. MAGNE et al. 263

Copyright © 2019 Precision Livestock Farming and animal welfare: is the numerical revolution
Reproduction même partielle interdite sans l’autorisation des auteurs et de l’INRA of agriculture able to take into account animals’ and farmers’ needs? I. VEISSIER et al. 281
Evolution of antimicrobial usages in dairy and beef cattle industries:
Comité de rédaction state of progress and prospects. V. DAVID et al. 291
Élisabeth Baéza (INRA Tours), Nathalie Bareille (Oniris Nantes), Denis Bastianelli (CIRAD Montpellier), Isabelle Cassar-Malek
(INRA Clermont-Theix), Élodie Chaillou (INRA Tours), Vincent Chatellier (INRA Nantes), Luc Delaby (INRA Rennes), Anne Farruggia Integrate scale changes to improve the efficiency of livestock production
(INRA Saint Laurent de la Prée), Laurence Fortun-Lamothe (INRA Toulouse), Bénédicte Lebret (INRA Rennes), Sophie Lemosquet (systems?) and reduce emissions. P. FAVERDIN, J. VAN MILGEN 305
(INRA Rennes), Pascale Le Roy (INRA Rennes), Philippe Lescoat (AgroParis Tech), Marie-Odile Nozières (INRA Montpellier),
Science for tomorrow’s livestock farming: A forward thinking conducted
Edwige Quillet (INRA Jouy-en-Josas), Daniel Sauvant (AgroParis Tech)
at INRA. J.-L. PEYRAUD et al. 323

Institut National de la Recherche Agronomique – 147 rue de l’Université – 75338 Paris Cedex 07
2019 / Volume 32 / Numéro 2
DANS CE NUMÉRO
85 Numéro spécial « De grands défis et des solutions 233 Quelles performances pour les animaux
pour l’élevage » : Avant-propos. de demain ? Objectifs et méthodes de sélection.
P. Mauguin P. Le Roy, A. Ducos, F. Phocas
87 La revue INRA Productions Animales 247 Rôle de l’environnement précoce dans la variabilité
dans la production scientifique en élevage
et sciences animales.
des phénotypes et l’adaptation des animaux
d’élevage à leur milieu.
2019
R. Baumont, A. Girard F. Pitel, F. Calenge, N. Aigueperse,
Volume 32 – Numéro 2

Numéro spécial 30 ans    De grands défis et des solutions pour l’élevage


J. Estellé-Fabrellas, V. Coustham, L. Calandreau,
95 Productions animales, usage des terres et sécurité
M. Morisson, P. Chavatte-Palmer, C. Ginane
alimentaire en 2050 : l’éclairage de la prospective
­Agrimonde-Terra.
C. Le Mouël, O. Mora
263 Gérer la diversité animale dans les systèmes
d’élevage : laquelle, comment et pour quels
bénéfices ?
Numéro spécial
111 L’internationalisation des marchés en productions
M.-A. Magne, M.-O. Nozières-Petit,
animales.
S. Cournut, É. Ollion, L. Puillet, D. Renaudeau,
V. Chatellier
L. Fortun-Lamothe
131 L’évolution de la consommation de produits
281 Élevage de précision et bien-être en élevage :
animaux en France : de multiples enjeux.
la révolution numérique de l’agriculture
F. Caillavet, A. Fadhuile, V. Michèle
permettra-t-elle de prendre en compte les besoins
147 Quelle place pour les produits animaux des animaux et des éleveurs ?
dans l’alimentation de demain ? I. Veissier, F. Kling-Eveillard, M.-M. Mialon,
D. Rémond M. Silberberg, A. De Boyer des Roches, C. Terlouw,
159 Les effets du processus d’intensification D. Ledoux, B. Meunier, N. Hostiou

ans
de l’élevage dans les territoires. 291 Évolution de l’usage des antibiotiques en filières
J.P. Domingues, T. Bonaudo, B. Gabrielle, C. Perrot, bovines : état d’avancement et perspectives.
Y. Trégaro, M. Tichit V. David, F. Beaugrand, É. Gay, J. Bastien, C. Ducrot
171 Les performances économiques 305 Intégrer les changements d’échelle
de l’élevage européen : de la « compétitivité coût » pour améliorer l’efficience des productions
à la « compétitivité hors coût ». animales et réduire les rejets.
V. Chatellier, P. Dupraz P. Faverdin, J. Van Milgen
189 Élevage et territoires : quelles interactions 323 Quelle science pour les élevages de demain ?
et quelles questions ? Une réflexion prospective conduite à l’INRA.
J. Lasseur, T. Bonaudo, J.-P. Choisis, M. Houdart, M. J.-L. Peyraud, J. Aubin, M. Barbier, R. Baumont,
Napoléone, M. Tichit, B. Dedieu C. Berri, J.-P. Bidanel, C. Citti, C. Cotinot, C. Ducrot,
205 Les productions animales dans la bioéconomie. P. Dupraz, P. Faverdin, N. Friggens, S. Houot,
J.-Y. Dourmad, T. Guilbaud, M. Tichit, T. ­Bonaudo M.-O. Nozières-Petit, C. Rogel-Gaillard,
V. Santé-Lhoutellier
221 Évolution de la place de l’animal et des points

De grands défis
de vue sur son élevage dans la société française :
quels enjeux pour la recherche agronomique ?
A. Fostier

30 €
ISBN : 978-2-7380-1433-7
et des solutions
-:HSMHNI=UVYXX\:
pour l’élevage

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