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« Au commencement est la répétition.

» Henri Michaux

Pourquoi répétons-nous si souvent, et sans le vouloir, les mêmes erreurs, les mêmes actes, les
mêmes pensées ? Quel rôle jouent les souvenirs dans la répétition et comment celle-ci est-elle liée
au traumatisme, à la souffrance, à la pulsion de mort ? Ce livre propose, dans une traduction
nouvelle, trois célèbres essais consacrés par Freud à ces thèmes cruciaux de la psychanalyse :
« Remémoration, répétition, perlaboration » (1914), « Les souvenirs-écrans » (1899) et « Note
sur le “bloc magique” » (1925), ainsi que les fameuses pages d’Au-delà du principe de plaisir
(1920) consacrées au « jeu de la bobine ».
Sigmund Freud

La répétition
Mémoire et compulsion

Traduction inédite de l’allemand


par Olivier Mannoni
ÉDITIONS PAYOT & RIVAGES
www.payot-rivages.fr

Conception graphique de la couverture : Sara Deux - Illustration : © Costa/Leemage.

© Éditions Payot & Rivages, Paris, 2019 pour la présente traduction française et la présente
édition

ISBN : 978-2-228-92318-7

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Les souvenirs-écrans
Dans le cadre des traitements psychanalytiques que je prodigue (dans
des cas d’hystérie, de névrose de contrainte, etc.), je me suis souvent
retrouvé dans la situation de m’occuper des fragments de souvenirs restés
dans la mémoire d’individus depuis les premières années de leur enfance.
Comme j’y ai déjà fait allusion ailleurs, il faut accorder une grande
signification pathogène aux impressions remontant à cette période de la
vie. Mais le thème des souvenirs d’enfance présente à coup sûr et dans
tous les cas un intérêt psychologique, parce qu’une différence
fondamentale entre le comportement psychique de l’enfant et celui de
l’adulte y apparaît de manière frappante. Nul ne doute que les expériences
de nos premières années d’enfants ont laissé des traces ineffaçables à
l’intérieur de notre psyché ; mais lorsque nous questionnons notre
mémoire pour savoir quelles sont les impressions sous le coup desquelles
nous sommes et restons déterminés jusqu’à la fin de notre vie, elle ne nous
fournit ou bien rien du tout, ou bien un nombre relativement faible de
souvenirs isolés et chargés d’une valeur souvent problématique ou
énigmatique. Que la vie soit reproduite par la mémoire sous la forme
d’une chaîne cohérente de données est un phénomène qui ne survient pas
avant la sixième ou septième année, et chez beaucoup seulement après la
dixième année de vie. À partir de là s’installe toutefois aussi une relation
constante entre la signification psychique d’une expérience et le fait
qu’elle reste accrochée dans la mémoire. Ce qui paraît important en raison
de ses effets, qu’ils surviennent immédiatement ou peu après, est retenu ;
ce que l’on considère comme inessentiel est oublié. Quand je peux me
rappeler une donnée pendant longtemps, je trouve, dans le fait de cette
conservation dans la mémoire, une preuve que celle-ci a produit à
l’époque une profonde impression sur moi. J’ai l’habitude de m’étonner
quand j’ai oublié quelque chose d’important, et peut-être plus encore si je
devais avoir conservé quelque chose d’apparemment indifférent.
C’est seulement dans certains états psychiques pathologiques que des
relations valides, chez l’adulte normal, entre l’importance psychique
d’une impression et son attachement à la mémoire sont de nouveau
rompues. L’hystérique, par exemple, se révèle régulièrement amnésique
pour ce qui concerne tout ou partie des expériences qui ont provoqué le
déclenchement de ses souffrances, et qui sont pourtant devenues
importantes pour lui du fait même de ce lien de causalité, ou peuvent
l’être aussi indépendamment de lui, pas leur contenu propre. J’aimerais
considérer l’analogie entre cette amnésie pathologique et l’amnésie
normale qui affecte nos années d’enfance comme un précieux indice sur
les étroites relations entre le contenu psychique de la névrose et notre vie
d’enfants.
Nous sommes tellement habitués au fait que ces impressions
d’enfance n’aient pas laissé de souvenirs que nous méconnaissons
généralement le problème qui se dissimule derrière cette absence et que
nous avons tendance à la déduire, comme si cela allait de soi, de l’état
rudimentaire des activités psychiques chez l’enfant. En réalité, l’enfant
normalement développé nous montre une somme gigantesque de
performances psychiques ayant un haut niveau de composition, dans ses
comparaisons, dans ses déductions et dans l’expression de ses sentiments,
et l’on voit sans autre forme de procès qu’il existe forcément une amnésie
pour ces actes psychiques qui ont à ce point la même valeur que les actes
ultérieurs.
Une condition indispensable à l’élaboration de ces problèmes
psychologiques qui se rattachent aux premiers souvenirs d’enfance serait
bien entendu la collecte de matériau, en déterminant par enquête quels
souvenirs de cette période de la vie un assez grand nombre d’adultes est
capable de communiquer. Une première étape dans cette direction a été
accomplie par Victor et Catherine Henri en 1895 avec la diffusion d’un
questionnaire qu’ils avaient rédigé ; les résultats tout à fait intéressants de
cette enquête à laquelle cent vingt-trois personnes ont apporté des
réponses ont ensuite été publiés par les deux auteurs en 1897, dans le
tome III de L’Année psychologique (« Enquête sur les premiers souvenirs
de l’enfance »). Mais comme je n’ai pas l’intention, à l’heure actuelle, de
traiter le sujet dans son exhaustivité, je me contenterai de mettre en relief
ces quelques points depuis lesquels je peux réussir à introduire ce que j’ai
appelé les « souvenirs-écrans ».
L’âge de la vie auquel on situe le contenu du tout premier souvenir
d’enfance est le plus souvent la période située entre deux et quatre ans
(c’est le cas de quatre-vingt-huit personnes dans la série d’observations de
Victor et Catherine Henri). Il existe toutefois des individus dont la
mémoire remonte plus loin, y compris jusqu’à l’âge précédant la fin de la
première année, et par ailleurs des personnes pour lesquelles le tout
premier souvenir date seulement de la sixième, de la septième, voire de la
huitième année. Il est provisoirement impossible de dire en quoi ces
différences individuelles sont pour le reste liées ; mais on note, disent les
Henri, qu’une personne dont le tout premier souvenir remonte à un âge
très tendre, par exemple à la première année de la vie, dispose aussi
d’autres souvenirs épars des premières années et que la reproduction du
vécu sous forme de chaîne continue du souvenir commence chez elle à une
date antérieure — à partir de la cinquième année environ — à ce qui se
passe pour d’autres personnes dont le premier souvenir remonte à une
période plus tardive.
Ce n’est donc pas seulement la date de survenue d’un premier
souvenir, mais toute la fonction du se-souvenir qui est prématurée ou
retardée chez certaines personnes.
On accordera une attention toute particulière à la question de savoir
quel est d’ordinaire le contenu de ces tout premiers souvenirs d’enfance.
En se fondant sur la psychologie des adultes, on devrait plutôt s’attendre à
ce que soient choisies comme notables, dans le tissu du vécu, ces
impressions qui ont suscité un profond affect ou ont été, peu après,
reconnues comme significatives en raison de leurs conséquences. Une
partie des expériences recueillies par les Henri semble confirmer cette
attente, car les contenus les plus fréquents des premiers souvenirs
d’enfance qu’ils présentent dans leur étude sont d’une part des causes de
peur, de honte, de douleurs physiques, etc., et d’autre part des faits
importants comme des maladies, des décès, des incendies, des naissances
de frères et de sœurs, etc. On tendrait ainsi à supposer que le principe du
choix de la mémoire est pour l’âme des enfants le même que pour les
adultes. Il n’est pas incompréhensible, mais cela mérite tout de même une
mention explicite, que les souvenirs d’enfance conservés portent
nécessairement témoignage des impressions sur lesquelles s’est dirigé
l’intérêt de l’enfant, à la différence de celui de l’adulte. Ainsi s’explique
facilement qu’une personne dise se rappeler différents accidents arrivés à
ses poupées quand elle avait l’âge de deux ans, mais soit amnésique quant
aux événements sérieux et tristes qu’elle aurait pu percevoir à l’époque.
Cela forme un très vif contraste avec cette attente, contraste qui ne
peut que susciter un étonnement légitime, lorsque nous entendons dire que
chez certaines personnes les tout premiers souvenirs d’enfance ont pour
contenu des impressions banales et indifférentes qui, lorsqu’on les vit, ne
peuvent produire, même sur l’enfant, un effet affectif, et qui, pourtant, ont
été pourvus de tous les détails — on aimerait dire : avec une clarté
extrême — tandis que des événements concomitants n’ont pas été gardés
en mémoire, même si, selon le témoignage des parents, ils avaient à
l’époque provoqué chez l’enfant une émotion intense. Le couple Henri
parle ainsi d’un professeur de philologie dont le tout premier souvenir,
situé entre trois et quatre ans, lui montrait l’image d’une table dressée sur
laquelle se trouvait un bol de glace. À la même époque a lieu la mort de sa
grand-mère, qui, selon la déposition de ses parents, a beaucoup bouleversé
l’enfant. Cet homme, devenu professeur de philologie, ne sait cependant à
présent plus rien de ce décès, il ne se rappelle, de cette période, qu’un bol
contenant de la glace.
Un autre relate, en guise de premier souvenir d’enfance, un épisode
remontant à une promenade au cours de laquelle il avait cassé la branche
d’un arbre. Il croit pouvoir encore indiquer aujourd’hui le lieu où cela se
produisit. Il était en compagnie de plusieurs personnes et l’une d’elles vint
à son aide.
Victor et Catherine Henri affirment que les cas de ce genre sont rares ;
selon mon expérience — mais je l’ai le plus souvent collectée auprès de
névrotiques —, ils sont assez fréquents. L’une des personnes sur lesquelles
s’appuient les Henri a risqué une tentative d’explication à ces images de
souvenir incompréhensibles en arguant de leur caractère anodin,
explication que je dois qualifier de tout à fait pertinente. Cette personne
estime que dans de tels cas, la scène en question est peut-être seulement
gardée en mémoire de manière incomplète ; c’est pour cette raison qu’elle
semble insignifiante. Dans les éléments oubliés serait sans doute contenu
tout ce qui rend l’impression digne d’être relevée. Je peux confirmer que
tel est bien le cas ; plutôt que d’« éléments oubliés du vécu », je
préférerais seulement parler d’éléments « mis de côté ».
Il m’est fréquemment arrivé de lever par le traitement psychanalytique
l’occultation sur les éléments manquants du vécu enfantin et d’apporter
ainsi la démonstration que l’impression dont un tronc était resté dans le
souvenir correspondait réellement, une fois complétée, à la condition du
maintien de l’essentiel en mémoire. On n’a cependant pas apporté ainsi
une explication du choix singulier qu’opère la mémoire parmi les
éléments du vécu ; on doit d’abord se demander pourquoi c’est
précisément le significatif qui est réprimé et l’indifférent, maintenu. On
n’aboutit à une explication que si l’on pénètre plus profondément dans le
mécanisme de ce type d’épisodes ; on se forge alors l’idée que deux forces
psychiques sont à l’œuvre dans l’avènement de ces souvenirs, l’une
prenant la signification importante de ce qui a été vécu comme motivation
pour vouloir se souvenir, mais l’autre — une résistance — s’opposant à
cette distinction. Les deux forces agissant en opposé ne s’annulent pas ; il
n’arrive pas qu’une motivation terrasse l’autre — avec ou sans pertes : un
compromis s’instaure, plus ou moins analogue à la formation d’une
résultante dans un parallélogramme de forces. Ici, le compromis tient au
fait que ce n’est certes pas l’événement concerné qui fournit l’image de
souvenir — en cela, la résistance conserve son droit —, mais sans doute
un tout un autre élément psychique que des voies d’association proches
relient à l’élément choquant ; en cela apparaît de nouveau le pouvoir du
premier principe, qui aimerait fixer des impressions significatives par
production d’images reproductibles du souvenir. Le résultat du conflit est
donc qu’au lieu de l’image du souvenir justifiée à l’origine advient une
autre image, un peu décalée dans l’association par rapport à la première.
Comme les principaux éléments de l’impression sont justement ceux qui
ont provoqué l’impulsion, le souvenir remplaçant doit être dépourvu de cet
élément important ; il aura donc facilement un aspect banal. S’il nous
paraît incompréhensible, c’est que nous aimerions bien percevoir la raison
pour laquelle il a conservé le souvenir en nous fondant sur son contenu
propre alors qu’il repose sur la relation de ce contenu avec un autre,
réprimé. Pour faire appel à une métaphore populaire1, une certaine
expérience du temps de l’enfance se fait valoir dans la mémoire, non pas
parce qu’elle est elle-même de l’or, mais parce qu’elle est située auprès
de l’or.
Parmi les nombreux cas possibles de remplacement d’un contenu
psychique par un autre, cas qui trouvent tous leur réalisation dans
différentes constellations psychologiques, celui qui survient dans les
souvenirs d’enfance considérés ici, à savoir que les éléments inessentiels
d’une expérience représentent les éléments essentiels de celle-ci dans la
mémoire, est apparemment l’un des plus simples. C’est un décalage
reposant sur l’association par contiguïté ou, si l’on considère l’ensemble
de l’épisode, un refoulement avec remplacement par quelque chose de
voisin (dans le contexte local et temporel).
J’ai eu un jour l’occasion de faire une communication sur un cas très
analogue de remplacement à partir de l’analyse d’une paranoïa2. J’y
racontais l’histoire d’une femme en proie à des hallucinations à laquelle
ses voix répétaient de grands fragments de la Heiterethei3 d’Otto Ludwig,
et qui plus est les passages les plus anodins, ceux qui jouaient le moindre
rôle dans la cohérence de l’œuvre.
L’analyse a démontré que c’étaient les autres passages de la même
histoire qui avaient éveillé les réflexions les plus gênantes chez la malade.
L’affect de gêne était une motivation pour la défense, les motivations
poussant à poursuivre ces réflexions ne pouvaient pas être réprimées, et il
en résulta, en guise de compromis, que ces passages anodins surgissaient
dans le souvenir avec une force et une clarté pathologiques. Le processus
discerné ici : conflit, refoulement, remplacement par une formation de
compromis, revient dans tous les symptômes psychonévrotiques, il fournit
la clef de la compréhension de la formation du symptôme ; que l’on puisse
aussi en démontrer l’existence dans la vie psychique des individus
normaux n’est donc pas sans signification, que chez les êtres humains
normaux cela influence justement le choix des souvenirs d’enfance,
apparaît comme un nouvel indice des étroites relations, déjà soulignées,
entre la vie de l’âme chez l’enfant et le matériau psychique des névroses.
Les processus manifestement très significatifs de la défense normale
et pathologique, et les succès sur lesquels ils débouchent en termes de
déplacement, n’ont à ce jour, à ma connaissance, pas du tout été étudiés
par les psychologues, et il reste encore à déterminer dans quelles strates de
l’activité psychique et sous quelle condition ils se font valoir. La raison de
cette négligence tient sans doute au fait que notre vie psychique, dans la
mesure où elle devient l’objet de notre perception interne consciente, ne
laisse rien discerner de ces processus, si ce n’est dans les cas que nous
classons comme des « erreurs de réflexion », ou dans certaines opérations
psychiques visant l’effet comique. Affirmer qu’une intensité psychique
peut se reporter d’une représentation, qui reste alors abandonnée, sur une
autre qui joue désormais le rôle psychologique de la première, produit sur
nous un effet aussi déconcertant que, par exemple, certains traits du mythe
grec, ainsi lorsque des dieux recouvrent un humain de beauté comme
d’une enveloppe, alors que nous ne connaissons que la transfiguration par
le changement de mimique.
D’autres investigations sur les souvenirs d’enfance indifférents m’ont
ensuite enseigné que leur genèse peut encore se dérouler autrement, et que
derrière leur caractère apparemment anodin se dissimule d’ordinaire une
quantité insoupçonnée de signification. Je ne veux donc pas me limiter à
une simple affirmation, mais exposer largement un exemple particulier
qui m’apparaît, parmi un grand nombre d’autres analogues, comme le plus
instructif, et qui, parce qu’il s’attache à un individu non névrotique, ou
très peu, gagne certainement en valeur.
Un homme de trente-huit ans, ayant suivi une formation universitaire
et ayant témoigné, bien qu’exerçant une profession sans rapport, un intérêt
pour les questions psychologiques depuis que j’ai pu, par la psychanalyse,
le libérer d’une petite phobie, a attiré l’an passé mon attention sur ses
souvenirs d’enfance, lesquels avaient déjà joué un certain rôle dans
l’analyse. Lorsque je lui eus fait connaître l’enquête de Victor et Catherine
Henri, il me fit part du tableau suivant :
« Je dispose d’un assez grand nombre de premiers souvenirs d’enfance
que je peux dater avec une grande certitude. J’ai en effet quitté à l’âge de
trois ans mon petit village natal pour aller m’installer dans une grande
ville ; or il se trouve que mes souvenirs se déroulent tous dans le lieu où je
suis né, c’est-à-dire qu’ils se situent dans mes deuxième et troisième
années. Ce sont le plus souvent des scènes courtes, mais très bien
conservées et pourvues de tous les détails de la perception sensorielle, tout
au contraire de mes images de souvenir remontant aux années de maturité
et qui sont totalement dénuées d’éléments visuels. À partir de la troisième
année, les souvenirs se font plus chiches et moins distincts ; des failles
apparaissent, qui doivent englober plus d’une année ; c’est seulement à
partir de la sixième ou de la septième année, je crois, que le flot du
souvenir devient linéaire. Je répartis par ailleurs en trois groupes les
souvenirs qui vont jusqu’à l’abandon de mon premier lieu de résidence.
Un premier groupe est formé par ces scènes dont mes parents m’ont parlé,
après coup, à plusieurs reprises ; pour celles-ci, je ne suis pas certain
d’avoir eu dès le début l’image du souvenir ou de me l’être créée d’après
un récit de ce type. Je note qu’il existe aussi des épisodes auxquels ne
correspond aucune image du souvenir, bien que mes parents me les aient
dépeints à plusieurs reprises. J’accorde plus de valeur au deuxième
groupe ; ce sont des scènes qu’on ne m’a pas racontées — autant que je
sache — et dont une partie ne pouvait pas non plus m’être racontée parce
que je n’ai pas revu les personnes qui y participaient : nurse, compagnons
de jeu de ma jeunesse. Quant au troisième groupe, j’en parlerai
ultérieurement. Pour ce qui concerne le contenu de ces scènes, et du même
coup leur prétention à être maintenues en mémoire, j’aimerais affirmer
que sur ce point je ne suis pas totalement désorienté. Je ne peux certes pas
dire que les souvenirs conservés correspondent aux faits les plus
importants de cette époque, ou à ce que je considérerais aujourd’hui
comme tel. De la naissance d’une sœur, de deux ans et demi plus jeune que
moi, je ne sais rien ; le départ, la vue du chemin de fer, le long voyage en
voiture qui l’a précédée n’ont laissé aucune trace dans ma mémoire. J’y ai
en revanche gravé deux petits incidents pendant le trajet en train ; vous
vous le rappelez, ils sont apparus dans l’analyse de ma phobie. Mais ce qui
aurait dû me laisser la plus forte impression, c’est tout de même une
blessure au visage qui m’a fait perdre beaucoup de sang et a été recousue
par un chirurgien. Je peux encore palper aujourd’hui la cicatrice qui
témoigne de cet accident, mais je ne connais aucun souvenir qui renvoie
directement ou indirectement à cette expérience. Peut-être d’ailleurs
n’avais-je pas encore deux ans à cette époque.
« Dès lors je ne m’étonne pas des images et des scènes des deux
premiers groupes. Ce sont toutefois des souvenirs déplacés d’où l’essentiel
est le plus souvent resté à l’écart ; mais dans certains d’entre eux, il est au
moins présent sous forme d’allusion, et dans d’autres il m’est facile
d’effectuer le complément selon certains indices ; quand je procède ainsi
s’instaure à mes yeux une bonne cohérence entre les différents fragments
du souvenir, et je vois clairement quel intérêt enfantin a recommandé à la
mémoire ces événements-là précisément. Mais il en va différemment pour
le contenu du troisième groupe, dont je me suis abstenu de parler jusque-
là. Il s’agit en l’espèce d’un matériau — une assez longue scène et
plusieurs petits tableaux — dont je ne sais vraiment pas quoi faire. La
scène me paraît passablement indifférente et sa fixation,
incompréhensible. Permettez-moi de vous les dépeindre : je vois une
prairie rectangulaire, un peu escarpée, verte et couverte d’une herbe
dense ; dans la verdure, un très grand nombre de fleurs jaunes,
apparemment du pissenlit ordinaire. Au-dessus de la prairie, une maison
paysanne devant la porte de laquelle se tiennent deux femmes qui
bavardent énergiquement de choses sans importance, la paysanne au
foulard et une nurse. Sur la prairie jouent trois enfants, je suis l’un d’entre
eux (entre deux et trois ans), les deux autres sont mon cousin, qui doit
avoir une année de plus que moi, et ma cousine, presque exactement du
même âge que moi, sa sœur. Nous cueillons les fleurs jaunes et chacun
d’entre nous tient dans ses mains un certain nombre de fleurs déjà
coupées. C’est la petite fille qui porte le plus beau bouquet ; mais nous, les
garçons, nous lui tombons dessus comme si nous nous étions mis d’accord
auparavant et nous lui arrachons les fleurs. Elle remonte la prairie en
pleurant et la paysanne lui donne, en consolation, un grand morceau de
pain noir. À peine avons-nous vu cela que nous jetons les fleurs, courons,
nous aussi, vers la maison et réclamons du pain à notre tour. On nous en
donne effectivement, la paysanne tranche la miche avec un long couteau.
Dans mon souvenir, ce pain à un goût tellement délicieux, et la scène
s’arrête là. »
« Qu’est-ce qui, dans cette expérience, justifie la dépense de mémoire
qu’il m’a incité à produire ? Je me suis vainement cassé la tête à ce sujet ;
l’accent doit-il être porté sur notre comportement désagréable à l’égard de
la petite fille ? Le jaune du pissenlit, auquel bien entendu je ne trouve rien
de beau aujourd’hui, m’aurait-il visuellement séduit à l’époque ? Ou bien,
après ce chahut sur la prairie, le pain m’a-t-il paru à ce point meilleur que
d’habitude qu’il m’en est resté une impression ineffaçable ? Je ne peux
pas trouver non plus de relations entre cette scène et l’intérêt, difficile à
deviner, qui relie les autres scènes enfantines. »
« D’une manière générale, j’ai l’impression que quelque chose ne
collait pas vraiment dans cette scène ; le jaune des fleurs ressort bien trop
fortement de l’ensemble et le bon goût du pain me paraît aussi exagéré,
comme dans une hallucination. Je ne peux m’empêcher de me rappeler,
ici, des images que j’ai vues un jour dans une exposition parodique où
certains éléments n’étaient pas peints, mais appliqués de manière
sculpturale, et il s’agissait bien entendu des éléments les plus malvenus,
par exemple les crinolines des dames représentées. Pouvez-vous
m’indiquer un chemin qui mènerait à l’élucidation ou à l’interprétation de
ce souvenir d’enfance superflu ? »
Je jugeai adéquat de demander depuis quand ce souvenir d’enfance
l’occupait, s’il pensait qu’il revenait périodiquement dans sa mémoire
depuis l’enfance ou s’il était apparu à un moment donné, plus tard, sous un
prétexte dont on pouvait se souvenir. Cette question fut toute la
contribution que j’eus à apporter pour accomplir la tâche ; le reste, mon
partenaire, qui n’était pas un novice dans ce genre de travaux, le trouva de
lui-même.
Il répondit : « Je n’y ai pas encore réfléchi. Maintenant que vous
m’avez posé cette question, j’ai presque la certitude qu’au cours de mes
jeunes années ce souvenir d’enfance ne m’a pas du tout occupé. Mais je
peux aussi concevoir le prétexte d’où est parti le réveil de ce souvenir, et
de beaucoup d’autres remontant à mes premières années. À dix-sept ans en
effet, alors que j’étais lycéen, je suis revenu y faire des séjours pendant
mes vacances, et ce comme invité d’une famille avec laquelle nous étions
amis depuis cette première époque. Je sais très bien quelle foison
d’émotions s’est emparée de moi en ce temps-là. Mais je vois bien qu’il
me faut vous raconter un très vaste pan de ma biographie ; il fait partie du
problème, et vous l’avez invoqué en posant votre question. Écoutez donc :
je suis l’enfant de gens à l’origine fortunés qui, je le crois, avaient vécu
assez confortablement dans ce petit trou de province. J’avais à peu près
trois ans lorsque survint une catastrophe dans la branche industrielle dans
laquelle mon père était actif. Il perdit sa fortune et nous fûmes contraints
de quitter le village pour aller nous installer dans une grande ville.
Suivirent de longues et dures années ; je crois qu’elles ne méritaient pas
qu’on s’en rappelât quoi que ce soit. En ville, je ne me suis jamais senti
vraiment à mon aise ; je pense à présent que la nostalgie des belles forêts
de ma terre natale, dans lesquelles, à peine ai-je pu marcher, j’avais déjà
l’habitude d’échapper à mon père en courant, comme en témoigne un
souvenir conservé d’autrefois, ne m’a jamais abandonné. Ce furent mes
premières vacances à la campagne, celles que je pris à dix-sept ans, et
j’étais, comme je l’ai dit, l’hôte d’une famille avec laquelle nous étions
liée d’amitié et qui avait très bien réussi depuis notre déménagement.
J’eus l’occasion de comparer le confort et le calme qui y régnaient avec
notre mode de vie chez nous, à la ville. Aucune échappatoire ne sert plus à
rien maintenant : je dois avouer que quelque chose d’autre encore
m’excita puissamment. J’étais âgé de dix-sept ans et la famille qui
m’accueillait avait une fille de quinze ans dont je tombai aussitôt
amoureux. Ce fut ma première exaltation, assez intense, mais tenue
parfaitement secrète. La jeune fille partit au bout de quelques jours dans
l’internat d’où on l’avait fait sortir pour les vacances, et cette séparation
après une si brève connaissance fut ce qui attisa pour de bon mon désir
nostalgique. Je m’adonnais au long de nombreuses heures à des
promenades solitaires dans ces magnifiques forêts retrouvées, occupé à
bâtir des chimères qui, étrangement, ne visaient pas le futur, mais
s’efforçaient d’améliorer le passé. Ah, s’il n’y avait pas alors eu cet
effondrement économique, si j’étais resté sur la terre où j’étais né, si
j’avais grandi à la campagne et étais devenu aussi vigoureux que les
jeunes hommes de la maison, les frères de l’aimée, si j’avais repris la
profession de mon père et, enfin, épousé la jeune fille qui, pendant toutes
ces années, aurait dû me devenir familière ! Je ne doutais bien sûr pas un
seul instant que dans les conditions que créait mon imagination je l’aurais
aussi ardemment aimée que je le ressentais réellement à l’époque. Ce qui
est singulier, c’est que lorsque je la revois aujourd’hui, à l’occasion — il
se trouve qu’elle s’est mariée ici —, elle m’est très extraordinairement
indifférente, et pourtant je peux me rappeler avec une grande précision
combien de temps, ensuite, la couleur jaune de la robe qu’elle portait lors
de notre première rencontre a encore produit de l’effet sur moi lorsque je
revoyais la même couleur quelque part.
– Cela paraît tout à fait similaire à la remarque que vous avez glissée,
selon laquelle le pissenlit commun ne vous plaît plus aujourd’hui. Ne
présumez-vous pas qu’il existe une relation entre le jaune dont s’habillait
la jeune fille et le jaune tellement éclatant des fleurs dans votre scène
infantile ?
– Possible, et pourtant ce n’était pas le même jaune. La robe était
plutôt jaune brun, comme de la peinture dorée. Cependant je peux au
moins vous fournir une image qui pourrait vous être utile à titre
d’intermédiaire. J’ai constaté plus tard dans les Alpes que certaines fleurs
qui, dans la plaine, ont des couleurs lumineuses, se teintent quand elles
sont en altitude de nuances plus sombres. Si je ne me trompe pas, on
trouve souvent dans les montagnes une fleur très semblable au pissenlit,
mais qui est jaune sombre et correspondrait alors tout à fait, quant à la
couleur, à la robe de celle que j’aimais jadis. Mais je n’ai pas encore
terminé, j’en viens à une deuxième occasion qui a réveillé en moi mes
impressions d’enfant. À dix-sept ans, j’avais revu le village. Trois ans plus
tard, j’étais, pendant les vacances, en visite chez mon oncle, je revis donc
les enfants qui avaient été mes premiers compagnons de jeu, le même
cousin âgé d’une année de plus que moi et la même cousine, qui avait mon
âge, lesquels apparaissent tous dans la scène enfantine de la prairie aux
pissenlits. Cette famille avait quitté mon village natal en même temps que
nous et avait recouvré une belle prospérité dans une ville lointaine.
– Et n’êtes-vous pas alors de nouveau tombé amoureux, mais cette fois
de la cousine, et n’avez-vous pas échafaudé de nouvelles scènes
imaginaires ?
– Non, cette fois-là il en est allé autrement. Je fréquentais déjà
l’université et j’étais tout à mes livres ; pour ma cousine, je n’avais pas le
moindre intérêt. Je n’ai pas, à ma connaissance, conçu de tels fantasmes à
cette époque. Mais je crois que mon père et mon oncle caressaient le
projet de me faire abandonner mes études absconses pour d’autres que je
pourrais mieux exploiter dans la pratique, de me faire m’installer après
mes études dans le village où habitait mon oncle et de prendre ma cousine
pour épouse. Lorsque l’on a compris combien j’étais profondément engagé
dans le projet qui était le mien, on abandonna sans doute de nouveau le
plan ; mais je pense que je l’ai certainement deviné. Plus tard, devenu
jeune érudit, quand l’urgence de la vie s’est durement emparée de moi et
qu’il m’a fallu attendre si longtemps une place dans cette ville, il m’est
sans doute parfois arrivé de penser qu’en réalité mon père ne me voulait
que du bien lorsqu’il avait voulu, avec ce projet de mariage, me savoir
dédommagé de cette perte que la première catastrophe m’avait value pour
toute ma vie.
– C’est donc à cette époque de dure lutte pour gagner votre pain que
j’aimerais situer l’apparition de la scène d’enfance en question, si vous me
confirmez encore qu’au cours des mêmes années vous avez noué votre
première relation avec les Alpes.
– C’est exact ; les randonnées en montagne étaient alors l’unique
plaisir que je me fusse autorisé. Mais je ne vous comprends pas encore
tout à fait.
– Nous y venons. Dans votre scène d’enfance, vous faites ressortir,
comme l’élément le plus intense, le fait que vous trouvez le pain de
campagne extraordinairement bon. Vous ne remarquez pas que cette
représentation, ressentie de manière presque hallucinatoire, correspond à
l’idée de votre fantasme, dans lequel vous vous voyez resté sur votre terre
natale, marié à cette jeune fille, donnant à votre vie un cours agréable,
exprimé symboliquement par le bon goût qu’avait votre pain, cette image
pour laquelle vous vous êtes battu au cours de cette période plus tardive ?
Et le jaune des fleurs désigne la même jeune fille. Vous avez du reste,
dans la scène d’enfance, des éléments qui ne peuvent être mis en relation
qu’avec le deuxième fantasme, si vous aviez épousé votre cousine. Jeter
les fleurs pour les échanger contre du pain ne me semble pas être un
mauvais déguisement pour l’intention que votre père avait à votre égard.
Vous deviez renoncer à vos idéaux sans visée pratique et vous engager
dans des études qui vous permettraient de “gagner votre pain”, n’est-ce
pas ?
– J’aurais donc fusionné les deux séries de fantasmes sur la manière
dont j’aurais pu donner un tour plus agréable à ma vie, le “jaune” et le
“pain de campagne”, d’un côté, le fait de jeter les fleurs et les personnes,
de l’autre ?
– C’est bien cela ; vous avez projeté les deux fantasmes l’un sur
l’autre et vous en avez fait un souvenir d’enfance. L’histoire des fleurs
alpines est alors en quelque sorte la marque indiquant l’époque de cette
fabrication. Je peux vous assurer que l’on fait très souvent ce genre de
choses inconsciemment, que dans une certaine mesure on en fait un
poème.
– Mais dans ce cas ce ne serait pas un souvenir d’enfance, mais un
fantasme renvoyé dans l’enfance. Une sensation me dit pourtant que cette
scène est authentique. Comment cela est-il compatible ?
– Les indications fournies par notre mémoire ne bénéficient
strictement d’aucune garantie. Mais je veux bien vous concéder le fait que
la scène est authentique ; dans ce cas, vous avez puisé dans une quantité
innombrable de choses analogues ou différentes parce qu’en raison de son
contenu — en soi indifférent — cette scène se prêtait à la représentation
des deux scènes imaginaires qui avaient pour vous une signification
suffisante. À un tel souvenir, dont la valeur tient au fait qu’il représente
dans la mémoire des impressions et des réflexions issues de périodes
ultérieures et dont le contenu est rattaché à ce qui vous est propre par des
relations symboliques et analogues, je donnerais le nom de souvenir-écran.
En tout cas, vous cesserez de vous étonner du fréquent retour de cette
scène dans votre mémoire. On ne peut plus dire qu’elle soit anodine dès
lors que, comme nous l’avons découvert, elle est destinée à exprimer les
principaux tournants de votre biographie, l’influence des deux ressorts les
plus puissants, la faim et l’amour.
– Oui, soit, elle a représenté la faim. Mais où est l’amour ?
– Dans le jaune des fleurs, me semble-t-il. Je ne peux cependant pas
nier que la représentation de l’amour dans cette scène d’enfance reste bien
en deçà de mes autres expériences.
– Non, pas du tout. C’est bien la représentation de l’amour qui en
constitue l’élément principal. Je le comprends seulement à présent !
Pensez-y donc : prendre sa fleur à une jeune fille, cela signifie tout de
même : déflorer. Quel contraste entre l’insolence de ce fantasme et ma
timidité lors de la première occasion, mon indifférence à la seconde.
– Je peux vous assurer que ce genre de fantasmes hardis sont le
complément régulier de la timidité juvénile.
– Mais dans ce cas ce ne serait pas un fantasme conscient que je peux
me rappeler, mais un fantasme inconscient qui se transforme en ces
souvenirs d’enfance ?
– Des réflexions inconscientes qui prolongent les conscientes. Vous
vous dites : si j’avais épousé une telle ou une telle, et derrière cela naît le
moteur qui vous conduit à vous représenter ce mariage.
– Je peux prolonger cela moi-même à présent. Le plus séduisant, dans
tout ce sujet, pour le jeune vaurien, c’est l’idée de la nuit de noces ; que
sait-il de ce qui suit ? Mais cette représentation n’ose pas se présenter au
grand jour, l’humeur dominante, celle de la modestie et du respect envers
la sauvegarde de la jeune fille la réprime.
– Ainsi, elle reste inconsciente.
– Et se rabat, comme échappatoire, en devenant un souvenir d’enfance.
Vous avez raison, c’est précisément ce qu’il y a de grossier dans le
fantasme qui constitue la raison pour laquelle il ne se développe pas pour
devenir une scène imaginaire consciente, mais doit se contenter d’être
accueilli sous les traits d’une allusion dans une scène d’enfance et sous
une forme fleurie.
– Mais pourquoi justement dans une scène d’enfance, si je puis poser
la question ?
– Peut-être précisément pour qu’elle reste anodine. Pouvez-vous
imaginer plus puissant contraste avec des intentions d’agression sexuelle
aussi nettes, que des jeux d’enfants ? D’ailleurs des raisons plus générales
sont déterminantes pour l’éludement des pensées et souhaits refoulés par
passage dans les souvenirs d’enfance, car vous pouvez démontrer la
présence tout à fait régulière de ce type de comportements chez les
personnes hystériques. Il semble aussi que le souvenir de choses passées
depuis longtemps soit soulagé en soi par un motif de plaisir. “Forsan et
haec olim meminisse juvabit4.”
– S’il en est ainsi, j’ai perdu toute confiance dans l’authenticité de
cette scène aux pissenlits. Je me reproche le fait qu’en moi, lors des deux
prétextes mentionnés, apparaisse la réflexion suivante, étayée par des
motifs très tangibles : si tu avais épousé telle ou telle jeune fille, ta vie
aurait été beaucoup plus agréable. Que le courant sensuel en moi répète la
réflexion de la proposition conditionnelle dans de telles représentations
qui peuvent lui offrir une satisfaction ; que cette deuxième version de la
même réflexion, en raison de son incompatibilité avec la disposition
sexuelle dominante, demeure inconsciente, mais est de ce fait même en
mesure de perdurer dans la vie psychique alors même que la version
consciente a été écartée depuis longtemps par la réalité transformée ; que
la proposition restée inconsciente s’efforce selon une loi en vigueur,
comme vous dites, de se transformer en une scène d’enfance qui peut
devenir consciente en raison de son caractère anodin ; qu’elle doit à cette
fin subir une nouvelle transformation, ou plutôt deux, une première qui ôte
à la proposition antérieure ce qu’elle a de choquante en exprimant cet
élément choquant sous forme d’image, une seconde qui moule la
proposition ultérieure dans une forme qui soit capable de représentation
visuelle, ce à quoi est employé la représentation médiane pain/études
permettant de gagner son pain. Je comprends qu’en produisant un tel
fantasme j’ai en quelque sorte fabriqué un accomplissement des deux
souhaits réprimés — le souhait de défloraison et le désir de bien-être
matériel. Mais à présent que je peux rendre compte aussi complètement
que possible des motifs qui ont mené à la naissance de la scène imaginaire
des pissenlits, je suis forcé d’admettre qu’il s’agit, en l’espèce, de quelque
chose qui ne s’est absolument pas produit, mais a été introduit de manière
clandestine et illégitime parmi les souvenirs d’enfance.
– Je dois toutefois à présent tenir le rôle de défenseur de l’authenticité.
Vous allez trop loin. Vous m’avez entendu dire que toute scène imaginaire
réprimée a tendance à éluder en se transformant en scène d’enfance ;
ajoutez-y à présent que cela ne se produit pas lorsqu’il se trouve une trace
de souvenir dont le contenu offre des points de contact avec le fantasme
qui, d’une certaine manière, vient à sa rencontre. Une fois qu’on a trouvé
un point de contact de ce type — ici, c’est la défloraison, le fait d’enlever
la fleur — le reste du contenu du fantasme est remodelé par toutes les
représentations intermédiaires admissibles (pensez au pain !) jusqu’à ce
qu’il en ait résulté de nouveaux points de contact avec le contenu de la
scène d’enfance. Il est tout à fait possible que dans ce processus la scène
d’enfance elle-même soit soumise à des transformations ; je considère
comme certain le fait que des falsifications du souvenir sont aussi
produites par cette voie. Dans votre cas, la scène d’enfance semble avoir
été seulement ciselée ; pensez à la manière démesurée dont le jaune est
mis en relief, et au bon goût exagéré du pain. Mais le matériau brut était
utilisable. Si tel n’avait pas été le cas, ce souvenir n’aurait justement pas
pu se détacher de tous les autres pour s’élever à la conscience. Vous
n’auriez pas reçu une telle scène comme souvenir d’enfance, ou bien peut-
être une autre, car vous savez combien il est facile à notre Witz5 de jeter
des ponts qui font la jonction entre chaque lieu et tous les autres. Outre
votre sentiment, que je ne voudrais pas sous-estimer, un autre élément
encore plaide toutefois pour l’authenticité de votre souvenir aux pissenlits.
Il contient des traits qui ne peuvent être remplacés par vos
communications et ne sont pas non plus conformes aux significations
issues de l’imagination. C’est par exemple le cas quand votre cousin vous
aide à voler les fleurs à la petite. Pourriez-vous associer un sens à une telle
aide lors d’une défloration ? Ou bien encore à ce groupe formé par la
paysanne et la nurse, en haut, devant la maison ?
– Je ne crois pas.
– Le fantasme ne recoupe donc pas totalement la scène d’enfance, elle
ne fait que s’y adosser sur quelques points. Cela plaide pour l’authenticité
du souvenir d’enfance.
– Croyez-vous qu’une telle interprétation de souvenirs d’enfance en
apparence anodins soit souvent à sa place ?
– D’après mon expérience, très souvent. Voulez-vous essayer, pour
vous amuser, de vérifier si les deux exemples que le couple Henri a
communiqués admettent d’être interprétés comme des souvenirs occultant
des expériences et des souhaits plus tardifs ? Je veux parler du souvenir de
la table dressée sur laquelle se trouve un bol de glace, ce qui doit être lié à
la mort de la grand-mère, et la deuxième celle de la branche que l’enfant
brise au cours d’une promenade, recevant à cette occasion l’aide d’un
autre ? »
Il prit un moment de réflexion : « Je ne sais pas par quel bout prendre
le premier. C’est très vraisemblablement un déplacement dans le jeu, mais
les maillons intermédiaires ne peuvent être devinés. Pour la deuxième, je
me permettrais une interprétation si la personne qui la communique
comme la sienne n’était pas un Français.
– Maintenant c’est moi qui ne vous comprends pas. Qu’est-ce que cela
change ?
– Cela change beaucoup, dans la mesure où l’expression du langage
constitue probablement le lien entre le souvenir-écran et ce qu’il occulte.
En allemand, sich einen ausreissen6 est une allusion vulgaire et bien
connue à la masturbation. La scène renverrait dans la petite enfance le
souvenir d’une incitation à la masturbation qui aurait eu lieu
ultérieurement, puisque quelqu’un l’y aide. Or ce n’est pas vrai, parce
qu’il y a tant d’autres personnes présentes dans cette scène d’enfant.
– Alors que cette invitation à la masturbation a forcément eu lieu dans
la solitude et dans le secret. C’est précisément cette opposition qui plaide,
à mes yeux, en faveur de votre conception ; elle sert, pour sa part, à rendre
cette scène anodine. Savez-vous ce que cela signifie, quand nous voyons
en rêve “beaucoup de personnes inconnues”, ce qui arrive si fréquemment
dans les rêves de nudité dans lesquels nous nous sentons si effroyablement
gênés ? Rien d’autre que… le secret, ce qui est donc exprimé par son
contraire. Du reste, l’interprétation reste une plaisanterie ; nous ne savons
vraiment pas si le Français reconnaîtra une allusion à la masturbation dans
les mots casser une branche d’un arbre7 ou dans une phrase un peu
rectifiée. »
Le concept de souvenir-écran, comme souvenir qui ne doit pas sa
valeur mnésique à son propre contenu, mais à sa relation avec un autre
contenu réprimé, pourrait être devenu à peu près clair d’après l’analyse
qui précède, restituée aussi fidèlement que possible. En fonction de la
nature de cette relation, on peut distinguer différentes classes de
souvenirs-écrans.
Nous avons trouvé pour deux de ces classes des exemples parmi nos
prétendus tout premiers souvenirs d’enfance, à savoir lorsque nous plaçons
sous ce concept de souvenir-écran la scène infantile incomplète et rendue
anodine par ce caractère incomplet. On peut prévoir que des souvenirs-
écrans se formeront aussi à partir des restes de mémoire des périodes
ultérieures de la vie. Celui qui garde à l’esprit le caractère principal de ces
souvenirs, une grande capacité mnésique doublée d’un contenu totalement
indifférent, pourra facilement démontrer la présence de nombreux
exemples de ce type dans sa mémoire. Une partie de ces souvenirs-écrans
chargés d’un contenu vécu ultérieurement doit sa signification à la relation
avec des expériences de la première enfance restées réprimées, c’est-à-
dire l’inverse de ce qui se passe dans le cas que j’ai analysé, dans lequel
un souvenir d’enfance est justifié par quelque chose qu’on a vécu
ultérieurement. Selon que l’on se trouve face au premier ou au second
rapport temporel entre ce qui occulte et ce qui est occulté, on peut
qualifier le souvenir-écran de rétrograde ou d’anticipateur. Sous un autre
angle, on fait la distinction entre souvenirs-écrans (ou souvenirs-
forteresses8) positifs et négatifs, dont le contenu réside dans le rapport du
contraire au contenu réprimé. Le sujet mériterait sans doute qu’on s’y
consacrât plus en détail ; je me contente ici d’attirer l’attention sur les
processus complexes — du reste parfaitement analogues à la formation de
symptômes hystériques — qui participent à la protection de notre
patrimoine de mémoire.
Nos tout premiers souvenirs d’enfance feront toujours l’objet d’un
intérêt particulier, parce que le problème mentionné ici en introduction
— comment il se fait que les impressions les plus efficaces pour tout
l’avenir n’ont pas besoin de laisser une image mnésique —, invite à
réfléchir à la genèse des souvenirs conscients en général. On tendra
certainement, dans un premier temps, à exclure les souvenirs-écrans que
l’on vient de traiter parmi les restes de souvenirs d’enfance comme des
éléments hétérogènes et à se faire, des autres images, l’idée simple
qu’elles naissent en même temps que l’expérience, comme conséquence
immédiate de l’intervention de ce qu’elle fait vivre et, à partir de ce
moment, reviennent temporellement selon les lois bien connues de la
reproduction.
L’observation plus fine produit cependant certains traits qui
s’accordent mal avec cette conception. Ainsi et avant tout la suivante :
dans la plupart des scènes infantiles significatives et qui, pour le reste, ne
soulèvent pas de problème, on voit dans le souvenir sa propre personne
comme un enfant dont on sait qu’on est soi-même cet enfant ; mais on voit
cet enfant comme le verrait un observateur situé à l’extérieur de la scène.
Victor et Catherine Henri ne manquent pas d’attirer l’attention sur le fait
que beaucoup des personnes dont ils citent les témoignages à l’appui de
leur thèse soulignent explicitement cette singularité des scènes d’enfance.
Il est clair à présent que cette image-souvenir ne peut pas être la répétition
fidèle de l’impression reçue à l’époque. Il est vrai qu’on se trouvait au
cœur de la situation et qu’on ne faisait pas attention à soi-même, mais au
monde extérieur.
À chaque fois que, dans un souvenir, notre propre personne apparaît
comme un objet parmi d’autres objets, on peut revendiquer cette
opposition entre le moi qui agit et le moi qui se souvient comme une
preuve du fait que l’impression d’origine a subi une élaboration. On dirait
qu’ici, une trace de souvenir d’enfance aurait été transposée
rétroactivement dans le sculptural et le visuel, à une époque (d’éveil)
ultérieure. Mais jamais rien d’une reproduction de l’impression originelle
ne nous est venu à la conscience.
Il faut reconnaître à un deuxième fait l’aptitude à plaider par une
démonstration encore supérieure en faveur de cette autre conception des
scènes d’enfance. Parmi les souvenirs infantiles d’expériences
importantes, souvenirs qui se présentent avec le même degré de résolution
et de clarté, on trouve un ensemble de scènes qui se révèlent falsifiées
quand on les soumet à un contrôle — par exemple au moyen du souvenir
des adultes. Ce n’est pas qu’ils aient été librement inventés ; ils étaient
faux dans la mesure où ils transposent une situation dans un endroit où elle
n’a pas eu lieu (c’est aussi le cas dans un exemple communiqué par les
Henri), mêlent ou échangent des personnes ou se font, d’une manière
générale, reconnaître comme la composition de deux expériences à part.
La simple infidélité du souvenir ne joue précisément pas un rôle
considérable ici, dans la grande intensité sensorielle des images et dans la
performance de la fonction de mémoire des jeunes ; une investigation
détaillée montre au contraire que de telles falsifications sont
tendancieuses, c’est-à-dire qu’elles servent les fins du refoulement et du
remplacement d’impressions repoussantes ou désagréables. Ces souvenirs
falsifiés doivent donc eux aussi s’être formés à une période de la vie où de
tels conflits et entraînements au refoulement pouvaient déjà se faire valoir
dans le psychique, c’est-à-dire longtemps après le temps qu’ils rappellent
dans leur contenu. Ici aussi, toutefois, le souvenir falsifié est la première
chose dont nous ayons connaissance ; le matériau constitué par les traces
de souvenir à partir duquel ce souvenir falsifié a été forgé nous est resté
inconnu sous sa forme originelle.
Avec une telle compréhension, la distance se réduit, dans notre
appréciation, entre les souvenirs-écrans et les autres souvenirs de
l’enfance. Peut-être est-il douteux, d’une manière générale, que nous
ayons des souvenirs conscients venus de l’enfance, et non plutôt des
souvenirs de l’enfance. Nos souvenirs d’enfance ne nous montrent pas les
premières années de la vie telles qu’elles étaient, mais telles qu’elles sont
apparues au cours de périodes d’éveil ultérieures. Ces souvenirs d’enfance
n’ont pas émergé pendant ces périodes d’éveil, comme on a coutume de le
dire, ils ont au contraire été formés à cette époque et une quantité de
motifs qui n’ont pas pour intention de respecter la fidélité historique a
influencé aussi bien cette formation que le choix des souvenirs.
Rémémoration, répétition
et perlaboration
Conseils supplémentaires sur la technique
de la psychanalyse

Il ne me semble pas superflu de mettre sans cesse en garde les


apprenants sur les profondes transformations qu’a connues la technique
psychanalytique depuis ses débuts. D’abord, dans la phase de la catharsis
breuerienne, la focalisation directe sur le moment de la formation du
symptôme et l’effort obstiné visant à faire reproduire les processus
psychiques de cette situation pour les diriger vers un déroulement, par le
biais de l’activité consciente. L’activité du souvenir et l’abréaction étaient
à l’époque les objectifs que l’on devait atteindre à l’aide de l’état
hypnotique. Ensuite, après le renoncement à l’hypnose, s’est imposée la
tâche consistant à deviner, à partir des idées venant librement à l’analysé,
ce dont il refusait de se souvenir. Le travail d’interprétation et la
communication de ses résultats au malade devaient permettre de
contourner la résistance ; la focalisation sur les situations de la formation
de symptôme, et sur ces autres situations s’installant derrière les moments
de vexation, restait conservée, l’abréaction reculait et paraissait remplacée
par la dépense de travail que l’analysé devait produire dans le
dépassement, qui lui était imposé, de la critique des idées qui lui venaient
(en respectant la règle fondamentale de la ψα). Enfin s’est formée la
technique conséquente actuelle dans laquelle le médecin renonce à se
focaliser sur un moment ou un problème déterminé, se contente d’étudier
la surface psychique de l’analysé concerné et utilise essentiellement l’art
de l’interprétation pour reconnaître les résistances qui apparaissent à cette
surface et amener le malade à en prendre conscience. Alors s’établit une
nouvelle espèce de division du travail : le médecin met au jour des
résistances inconnues du malade ; une fois celles-ci maîtrisées, le malade
raconte souvent sans aucune peine les situations et les contextes oubliés.
L’objectif de ces techniques est naturellement resté inchangé. En termes
descriptifs, il s’agit de combler les lacunes du souvenir. En termes
dynamiques, de dépasser les résistances de refoulement.
On doit rester reconnaissant à l’ancienne technique hypnotique de
nous avoir présenté différents processus psychiques de l’analyse par
isolement et schématisation. Seul ce moyen nous a donné le courage de
créer nous-mêmes et de maintenir transparentes des situations complexes
dans la cure analytique.
Dans ces traitements hypnotiques, le travail mnésique prenait une
forme très simple. Le patient se déplaçait dans une situation antérieure
qu’il semblait ne jamais confondre avec la situation actuelle, partageait les
processus psychiques de celle-ci tant qu’ils étaient restés normaux, et y
ajoutait ce que pouvait produire la transposition, sous forme de processus
conscients, des épisodes à l’époque inconscients.

Je rattache ici quelques remarques que tout analyste a vues confirmées


par son expérience. L’oubli d’impressions, de scènes, d’expériences
vécues se réduit le plus souvent à un « barrage » opposé à celles-ci.
Lorsque le patient parle de cet élément « oublié », il manque rarement
d’ajouter : « En réalité je l’ai toujours su, seulement je n’y ai pas pensé. »
Il n’est pas rare qu’il exprime la déception inspirée par le fait qu’il ne lui
soit pas venu à l’esprit suffisamment de choses qu’il puisse reconnaître
comme « oubliées » et auxquelles il n’ait plus jamais pensé depuis
qu’elles sont survenues. Et pourtant même ce désir-là trouve satisfaction,
surtout dans les hystéries de conversion. L’« oubli » connaît une nouvelle
restriction du fait que l’on tient compte des souvenirs-écrans dont la
présence est si générale. Dans certains cas m’est venue l’impression que
l’amnésie infantile connue, tellement importante pour nous sur le plan
théorique, est totalement contrebalancée par les souvenirs-écrans. Dans
ces derniers ne sont pas seulement conservés quelques éléments essentiels
issus de la vie de l’enfance, mais en réalité tout ce qui est essentiel. Il
suffit de s’entendre à les développer à partir de ces éléments au moyen de
la psychanalyse. Ils représentent ainsi les années oubliées de l’enfance
d’une manière aussi suffisante que le contenu manifeste du rêve représente
les pensées du rêve.
L’autre groupe de processus psychiques que l’on peut opposer, comme
acte purement interne, aux impressions et aux résultats, les fantasmes, les
processus relationnels, les motions des sentiments, les contextes, doit être
considéré de manière particulière dans son rapport à l’oubli et au souvenir.
Il arrive avec une singulière fréquence, en l’espèce, que soit « remémoré »
quelque chose qui n’a jamais pu être « oublié » parce qu’il n’a été noté à
aucun moment, n’a jamais été conscient et qu’il semblait de surcroît
parfaitement indifférent, pour le déroulement psychique, qu’un tel
« contexte » soit conscient et qu’il ait ensuite été oublié, ou qu’il n’ait
jamais atteint la conscience. La conviction que le malade acquiert au cours
de l’analyse est totalement indépendante d’un tel souvenir.
Dans les multiples formes de la névrose de contrainte, en particulier,
ce qui a été oublié se limite le plus souvent à la dissolution de liens, à
l’ignorance de séries, à l’isolement de souvenirs.
Pour un type particulier d’expériences tout à fait importantes qui ont
lieu dans des périodes très précoces de l’enfance et ont été à l’époque
vécues sans être comprises, mais ont trouvé après coup compréhension et
interprétation, il est le plus souvent impossible d’éveiller un souvenir. Par
les rêves, on accède à leur connaissance et les motifs les plus
contraignants issus de la structure de la névrose nous forcent à y croire, on
peut aussi se persuader que l’analysé, une fois ses résistances surmontées,
n’évalue pas l’absence du sentiment de souvenir (sensation de déjà connu)
contre l’acceptation de celles-ci. Cet objet réclame toutefois tant de
prudence critique, apporte tant de neuf et de déconcertant que je lui
réserve un traitement à part portant sur du matériau approprié.
De ce déroulement au cours tellement lisse qu’il en est réjouissant, il
ne reste que très peu, et souvent rien, quand on applique la nouvelle
technique. Il y a aussi des cas, ici, qui se comportent pendant un moment
comme dans la technique hypnotique, et ne cessent qu’ultérieurement de
remplir leur office ; mais d’autres cas se comportent d’emblée
différemment. Si nous nous arrêtons au dernier type pour caractériser la
différence, nous pouvons dire que l’analysé ne se rappelle strictement rien
de ce qui a été oublié et refoulé, mais qu’il l’agit. Il ne le reproduit pas
comme souvenir, mais comme acte, il le réitère, sans savoir bien entendu
qu’il le répète.
Par exemple : l’analysé ne raconte pas qu’il se souvient avoir été rétif
et incrédule face à l’autorité des parents, mais il se comporte de cette
manière envers le médecin. Il ne se rappelle pas qu’il est resté bloqué,
désemparé et sans aide, dans son exploration sexuelle infantile, mais il
présente un amas de rêves confus et d’idées incidentes, il se plaint de
n’arriver à rien et pose comme son destin de ne jamais mener une
entreprise à son terme. Il ne se rappelle pas que certaines activités
sexuelles lui ont inspiré une honte intense et qu’il a redouté de les
découvrir, mais il montre qu’il a honte du traitement auquel il s’est à
présent soumis, il cherche à le dissimuler à tous, etc.
Avant toute chose, il commence la cure par une répétition de ce type.
Souvent, quand on communique la règle fondamentale de la psychanalyse
à un patient ayant une biographie agitée et une longue histoire de malade,
et quand on lui demande ensuite ce qui lui vient à l’esprit, quand on attend
que ses communications se déversent par flots, on commence par constater
qu’il ne trouve rien à dire. Il se tait et affirme que rien ne lui vient à
l’esprit. Ça n’est bien entendu rien d’autre que la répétition d’une attitude
homosexuelle qui avance sous forme de résistance contre tout souvenir.
Tant qu’il reste en traitement, il ne se débarrassera plus de cette contrainte
de répétition ; on comprend enfin qu’il s’agit de sa manière de se souvenir.
Bien entendu, le rapport de cette contrainte de répétition avec le
transfert et la résistance nous intéressera au premier chef. Nous ne tardons
pas à remarquer que le transfert n’est lui-même qu’un morceau de
répétition et que la répétition est le transfert du passé oublié, transfert non
pas sur le médecin, mais sur tous les autres domaines de la situation
actuelle. Nous devons donc être prêts à ce que l’analysé s’adonne à la
contrainte de répétition, qui remplace maintenant l’impulsion du souvenir,
non seulement dans sa relation personnelle avec le médecin, mais aussi
dans toutes les autres activités et relations simultanées de sa vie, par
exemple lorsque, pendant la cure, il choisit un objet, assume une mission,
se lance dans une entreprise. La part de la résistance est elle aussi facile à
discerner. Plus grande est la résistance, plus le souvenir sera
abondamment remplacé par l’agir (répétition). La remémoration idéale
menée, dans l’hypnose, sur ce qui a été oublié correspond tout de même à
un état dans lequel la résistance a été totalement écartée. Si la cure débute
sous le patronage d’un transfert clément et inexprimé, elle permet dans un
premier temps de plonger dans le souvenir comme sous hypnose tandis
que les symptômes de la maladie, pour leur part, se taisent ; mais si, dans
la suite du déroulement, ce transfert devient hostile, ou trop puissant, et
doit donc faire l’objet d’un refoulement, alors le souvenir prend aussitôt sa
place à l’agir. Ensuite, ce sont les résistances qui déterminent l’ordre dans
la succession de ce qu’il faut répéter. Dans l’arsenal du passé, le malade
va chercher les armes avec lesquelles il se défend contre la poursuite de la
cure, et dont nous devons le défaire pièce par pièce.
Nous avons donc entendu que l’analysé répète au lieu de se souvenir,
qu’il répète dans les conditions de la résistance. Nous pouvons à présent
poser cette question : mais que répète-t-il ou qu’agit-il au juste ? La
réponse est qu’il répète tout ce qui, sortant des sources de son refoulé,
s’est déjà imposé dans son être manifeste, ses inhibitions et attitudes
inutilisables, ses traits de caractère pathologiques. Il est vrai que pendant
le traitement, il répète aussi tous ses symptômes. Et nous pouvons à
présent noter qu’en mettant en relief la contrainte de répétition, nous
n’avons pas gagné de nouveaux faits, mais seulement une conception plus
homogène. Nous prenons à présent conscience que l’état pathologique de
l’analysé ne peut pas prendre fin avec le début de son analyse, que nous ne
devons pas traiter sa maladie comme une affaire historique, mais comme
un pouvoir actuel. Cet état pathologique est alors amené pièce par pièce à
l’horizon et dans le domaine d’efficience de la cure, et tandis que le
malade le vit comme quelque chose de réel et d’actuel, nous devons mener
sur lui un travail thérapeutique qui consiste en bonne partie à le ramener
vers le passé.
Le travail mnésique que l’on provoque sous hypnose ne pouvait que
produire l’impression d’une expérience en laboratoire. Ce dont on
provoque la répétition pendant le traitement analytique, selon la nouvelle
technique, revient à invoquer un morceau de vie réelle et ne peut donc pas
être anodin et sans risques dans tous les cas. À quoi se rattache tout le
problème de « l’aggravation pendant la cure », aggravation souvent
inévitable.
Avant tout, l’introduction du traitement fait déjà en sorte que le
malade change son attitude consciente à l’égard de la maladie. Il s’est en
général contenté de se lamenter à son propos, de la considérer comme une
absurdité, d’en sous-estimer l’importance, mais il a pour le reste prolongé
dans ses expressions le comportement de refoulement, la politique de
l’autruche qu’il pratiquait à l’égard de ses origines. Il peut ainsi arriver
qu’il ne connaisse pas correctement les conditions de sa phobie, qu’il
n’entende pas le contenu véritable de ses idées de contrainte ou qu’il
n’appréhende pas l’intention véritable de son impulsion de contrainte.
Cela, bien entendu, la cure ne peut rien en faire. Il doit rassembler le
courage nécessaire pour occuper son attention avec les phénomènes de sa
maladie. La maladie elle-même ne doit plus être à ses yeux rien de
méprisable, mais plutôt devenir un digne adversaire, une partie de son être
qui s’appuie sur de bons motifs et dont il s’agit de tirer quelque chose de
précieux pour sa vie ultérieure. La réconciliation avec le refoulé qui
s’exprime dans les symptômes est ainsi préparée depuis le début, mais on
admet aussi une certaine tolérance à l’état pathologique. Si ce nouveau
rapport à la maladie aggrave les conflits et si des symptômes encore
indistincts jusqu’alors sont poussés vers l’avant, il est facile de consoler le
patient en lui faisant remarquer que ces dégradations sont non seulement
nécessaires, mais provisoires, et que l’on ne peut pas tuer un ennemi s’il
est absent ou n’est pas suffisamment près de soi. Mais la résistance peut
vouloir exploiter la situation au profit de ses intentions et abuser de la
permission d’être malade. Elle semble alors faire cette démonstration :
« Regardez donc ce qui arrive lorsque je m’engage pour de bon dans ces
choses-là. N’ai-je pas eu raison de les abandonner au refoulement ? » Les
personnes jeunes et enfantines, en particulier, ont l’habitude d’utiliser
volontiers ce qui, dans la cure, les dirige vers l’état pathologique, pour
opérer une plongée délectable dans les symptômes de la maladie.
D’autres périls proviennent du fait qu’au cours de la cure, des motions
de pulsion nouvelles et profondément ancrées, qui ne s’étaient pas encore
imposées, peuvent accéder à la répétition. Enfin, les actions du patient en
dehors du transfert peuvent provoquer des lésions provisoires de
l’existence, ou même être choisies de telle sorte qu’elles dévalorisent
durablement la santé qu’il faut atteindre.
La tactique que doit employer le médecin dans cette situation est
facile à justifier. Pour lui, le travail mnésique à l’ancienne manière, la
reproduction sur le domaine psychique, demeure l’objectif auquel il se
tient, même s’il sait aussi que l’on ne peut pas l’atteindre avec la nouvelle
technique. Il se prépare à une lutte constante avec le patient afin de retenir
dans le domaine psychique toutes les impulsions que celui-ci aimerait
guider vers la motricité, et lorsqu’il parvient à liquider par le travail du
souvenir quelque chose que le patient voudrait évacuer par une action, il
considère cela comme un triomphe de la cure. Lorsque le transfert a rendu
ce lien utilisable d’une manière ou d’une autre, le traitement parvient à
empêcher le malade de commettre toutes les autres actions de réparation
plus significatives et d’en utiliser le principe in statu nascendi comme
matériau du travail thérapeutique. La meilleure manière de protéger le
malade contre la concrétisation de ses impulsions est de l’obliger, pendant
la durée de la cure, à ne pas prendre des décisions d’importance vitale, par
exemple à ne pas choisir un travail ou un objet amoureux définitif, mais à
attendre, pour tous ces projets, le moment de la guérison.
On épargne volontiers, en l’occurrence, ce qui, de la liberté
personnelle de l’analysé, est compatible avec ces précautions, on ne
l’empêche pas de mettre en œuvre des intentions anodines, quoique
stupides, et l’on n’oublie pas, en cela, que l’homme ne peut en réalité
apprendre que par les dommages qu’il subit et par sa propre expérience. Il
existe sans doute aussi des cas que l’on ne peut pas retenir de s’engager
pendant le traitement dans une quelconque entreprise totalement déplacée,
et qui deviennent seulement par la suite modelables et accessibles à
l’élaboration psychanalytique. Il arrive aussi forcément, parfois, que l’on
n’ait pas le temps de poser la bride du transfert aux pulsions sauvages, ou
que le patient, dans une action de répétition, déchire le lien qui le rattache
au traitement. Je peux choisir, en guise d’exemple extrême, le cas d’une
dame d’un certain âge qui avait à plusieurs reprises, dans des états de
somnolence, quitté sa maison et son mari, et s’était réfugiée quelque part
sans jamais être consciente du motif de cette « fuite dans la
précipitation ». Elle entra en traitement chez moi avec un transfert tendre
bien formé, augmenta celui-ci d’une manière fort inquiétante au cours des
premiers jours et prit aussi avec moi la « fuite dans la précipitation » au
bout d’une semaine avant que je n’aie eu le temps de lui dire quoi que ce
soit qui fût susceptible de l’empêcher de commettre cette répétition.
Mais le moyen principal de juguler la contrainte de répétition du
patient est de la convertir en une raison d’accomplir le travail mnésique.
Nous la rendons inoffensive, mieux, utilisable, en lui accordant son droit
de remplir son office dans certains domaines. Nous lui ouvrons le transfert
comme une scène sur laquelle il lui est permis de se déployer dans une
liberté presque complète et où il lui est imposé de nous présenter à tous ce
qui s’est dissimulé dans la vie psychique de l’analysé en termes de
pulsions pathogènes. Pourvu que le patient montre suffisamment de
prévenance pour respecter les conditions d’existence du traitement, nous
parvenons régulièrement à donner à tous les symptômes de la maladie une
nouvelle signification de transfert, à remplacer sa névrose commune par
une névrose de transfert dont il peut être guéri par le travail thérapeutique.
Le transfert crée ainsi entre la maladie et la vie un royaume intermédiaire
à travers lequel s’accomplit la transition entre celle-là et celle-ci. Le
nouvel état a repris tous les caractères de la maladie, mais il représente
une maladie artificielle qui est partout accessible à nos interventions. Il est
simultanément un fragment de vécu réel, mais rendu possible par des
conditions particulièrement favorables et ayant la nature d’un état
provisoire. À partir des réactions de répétition qui apparaissent dans le
transfert, les chemins bien connus mènent ensuite à l’éveil des souvenirs
qui s’engagent comme d’eux-mêmes une fois les résistances dépassées.
Je pourrais mettre ici un terme à cet essai si son titre ne m’obligeait
pas à faire entrer dans la représentation un autre élément de la technique
analytique. On le sait, le dépassement des résistances est induit par le fait
que le médecin met au jour la résistance que l’analysé n’a jamais reconnue
et la communique au patient. Il semble à présent que des débutants en
analyse tendent à prendre cette introduction pour la totalité du travail. On
m’a souvent demandé conseil pour des cas où le médecin se plaignait
d’avoir présenté sa résistance au malade, et que pourtant rien n’avait
changé, pire, que la résistance s’était renforcée pour de bon et que toute la
situation était devenue encore plus opaque. La cure, disait-on, semblait ne
plus avancer. Cette attente maussade se révélait toujours erronée. La cure
était en règle générale en excellente voie ; le médecin avait seulement
oublié que le fait de désigner la résistance par son nom ne peut avoir pour
conséquence la cessation immédiate de celle-ci. Il faut laisser au malade
le temps de se plonger dans la résistance qu’il connaît, de la perlaborer, de
la surmonter en prolongeant, en dépit de cette résistance, le travail d’après
la règle analytique fondamentale. C’est seulement en se plaçant à la
hauteur de cette règle que l’on trouve, en travaillant de pair avec l’analysé,
les motions de pulsion refoulées qui alimentent la résistance et dont le
patient se convainc de l’existence et de la puissance par une expérience de
ce type. Le médecin n’a en l’espèce rien d’autre à faire que d’attendre et
de tolérer un déroulement qui ne peut ni être évité, ni toujours être
accéléré. S’il s’en tient à cette idée, il évitera souvent l’impression
illusoire d’avoir échoué là où il prolonge pourtant le traitement au long de
la bonne ligne.
Cette perlaboration, cette traversée de la résistance par le travail peut,
dans la pratique, devenir une mission pénible pour l’analysé et une
épreuve de patience pour le médecin. Mais c’est cette fraction du travail
qui exerce le plus grand effet de transformation sur le patient et qui
distingue le traitement analytique de toute influence liée à la suggestion.
Du point de vue théorique, on peut mettre cela sur le même plan que
l’« abréaction » des charges affectives coincées par le refoulement, sans
laquelle le traitement hypnotique restait sans influence.
Note sur le « bloc magique »
Quand je me méfie de ma mémoire — le névrotique le fait, on le sait,
dans des proportions remarquables, mais la personne normale a lui aussi
toutes les raisons d’agir ainsi —, je peux compléter et garantir sa fonction
en prenant une note écrite. La surface qui conserve cette note, la tablette
ou la feuille de papier, est alors en quelque sorte un élément matérialisé de
l’appareil du souvenir que je porte d’ordinaire, invisible, en moi-même.
Pourvu que je me rappelle le lieu où est rangé ce « souvenir » ainsi fixé, je
peux à tout moment le « reproduire » à mon gré et je suis certain qu’il
reste inchangé, c’est-à-dire qu’il a échappé aux déformations auxquelles il
aurait peut-être été soumis dans ma mémoire.
Si je veux me servir de cette technique pour apporter une amélioration
importante à ma fonction mnésique, je constate que deux procédés
différents sont à ma disposition. Je peux, premièrement, choisir une
surface d’écriture qui garde intacte, pour une durée indéterminée, la note
qui lui a été confiée, c’est-à-dire une feuille de papier sur laquelle j’écris à
l’encre. J’obtiens alors une « trace mnésique durable ». L’inconvénient de
ce procédé tient au fait que la capacité d’accueil de la surface scripturale
s’épuise rapidement. Une fois la feuille entièrement noircie par l’écriture,
il n’y a pas de place pour de nouvelles notes et je me vois contraint
d’utiliser une autre feuille vierge. L’avantage de cette procédure, fournir
une « trace durable », peut aussi perdre sa valeur pour moi si l’intérêt que
m’inspire la note s’éteint au bout d’un certain temps et si je ne veux plus
la « garder en mémoire ». L’autre procédé n’a pas ces deux défauts. Quand
j’écris, par exemple, à la craie sur une ardoise, j’ai une surface d’accueil
qui demeure susceptible de recevoir du texte d’une longueur illimitée et
dont je peux détruire les notes dès qu’elles ne m’intéressent plus, sans
devoir jeter la surface d’écriture proprement dite. L’inconvénient est que
je ne peux pas conserver de trace durable. Si je veux inscrire de nouvelles
notes sur le tableau, je dois effacer celles dont il est déjà couvert. La
possibilité illimitée de recevoir du texte et la conservation de traces
durables semblent donc s’exclure pour les dispositifs que nous utilisons
comme substitut à notre mémoire, il faut ou bien renouveler la surface
d’accueil, ou bien détruire la note.
Les appareils supplétifs que nous avons inventés pour améliorer ou
amplifier nos fonctions sensorielles sont tous construits comme l’organe
sensoriel lui-même ou comme des parties de celui-ci (lunettes, chambre
photographique, cornet acoustique, etc.). Mesurés à cette aune, les
dispositifs auxiliaires dont nous disposons pour notre mémoire paraissent
particulièrement lacunaires, car notre appareil psychique accomplit
précisément ce que ceux-ci ne peuvent pas accomplir ; il est capable
d’accueillir sans limites des perceptions toujours nouvelles et en crée
pourtant des traces mnésiques durables — quoique non immuables. Dans
L’Interprétation du rêve, en 1900, j’ai déjà exprimé la supposition que
cette capacité inhabituelle doit être attribuée à la prestation de deux
systèmes différents (organes de l’appareil psychique). Que nous possédons
un système W-Bw1, qui accueille les perceptions, mais n’en conserve pas
de traces durables, en sorte qu’il peut se comporter comme une feuille
vierge à l’égard de toute perception. Les traces durables des stimuli
enregistrés arrivaient, écrivais-je, dans des « systèmes mnésiques » situés
à l’arrière. Plus tard (Au-delà du principe de plaisir), j’ai ajouté cette
remarque que le phénomène inexplicable de la conscience apparaît dans le
système de perception à la place des traces durables.
Voici quelque temps est apparu dans le commerce, sous le nom de
bloc magique, un petit appareil qui promet de meilleures prestations que la
feuille de papier ou l’ardoise. Il ne prétend pas être plus qu’une tablette à
écrire sur laquelle on peut effacer les notes en effectuant une manœuvre
pratique. Mais si on l’étudie de plus près, on trouve dans sa construction
une remarquable concordance avec ce que je suppose de la construction de
notre appareil de perception et l’on se convainc qu’il peut bel et bien
fournir les deux, une surface d’accueil toujours disponible et des traces
durables des notes accueillies.
Le bloc magique est une tablette, entourée d’une bordure de papier,
elle-même taillée dans une masse de cire ou de résine brun foncé sur
lequel on pose une feuille mince et transparente, solidement fixée à
l’extrémité supérieure du tableau de cire et posée sans attache sur la partie
inférieure. Cette feuille est la partie la plus intéressante de ce petit
instrument. Elle est elle-même composée de deux strates qui peuvent être
séparées l’une de l’autre, extérieurement, par les deux rebords biaisés. La
couche supérieure est une plaque de celluloïd transparente, l’inférieure un
papier de cire mince, et donc translucide. Quand on ne se sert pas de
l’ustensile, la surface inférieure du papier de cire colle légèrement à la
surface supérieure de la tablette de cire.
On utilise ce bloc magique en écrivant sur la plaque de celluloïd de la
feuille qui recouvre la tablette de cire. On n’a besoin pour cela ni de
crayon ni de craie, car l’écriture ne dépend pas du fait que l’on dépose du
matériau sur la surface de réception. C’est un retour à la manière dont les
Anciens écrivaient sur de petites tablettes d’argile et de cire. Un stylet
pointu grave la surface dont les creux produisent alors « l’écriture ». Sur le
bloc magique, ce gravage ne se produit pas directement, mais par
l’intermédiaire de la feuille couvrante qui se trouve au-dessus. Aux
emplacements avec lesquels il entre en contact, le stylet presse la face
inférieure du papier ciré contre la tablette de cire, et ces sillons deviennent
visibles sous forme d’écriture noire sur la surface normalement lisse et
gris clair du celluloïd. Si l’on veut détruire ce que l’on a écrit, il suffit de
détacher la feuille couvrante composite, en tirant légèrement par la partie
inférieure libre afin de l’ôter de la tablette de cire. Le contact intime entre
le papier ciré et la tablette de cire sur les emplacements gravés, contact sur
lequel reposait l’apparition visible de l’écriture, est ainsi défait et ne se
rétablit pas non plus lorsque les deux surfaces entrent de nouveau en
contact. Le bloc magique est alors vierge de toute écriture et prêt à
accueillir de nouvelles inscriptions.
Les petites imperfections de cet ustensile ne présentent bien entendu
pas d’intérêt pour nous, qui voulons seulement étudier la manière dont il
se rapproche de la structure de l’appareil psychique de perception.
Si, après avoir écrit sur le bloc magique, nous détachons
précautionneusement la plaque de celluloïd du papier ciré, nous voyons
l’écriture tout aussi distinctement sur la surface de celui-ci et nous
pouvons demander en quoi la plaque de celluloïd peut bien être nécessaire.
L’expérience montre alors que le mince papier peut très facilement être
froissé ou déchiré si l’on écrit directement dessus avec le stylet. La feuille
de celluloïd est donc une enveloppe protectrice censée éviter au papier ciré
des interventions dommageables depuis l’extérieur. Le celluloïd est une
« protection contre l’irritation » : la strate qui absorbe réellement les
stimuli est le papier. Qu’on m’autorise à le rappeler ici : j’ai expliqué dans
Au-delà du principe de plaisir que notre appareil psychique est composé
de deux strates, une protection extérieure contre les irritations, qui doit
réduire l’ampleur des stimuli arrivants, et sur la surface d’accueil des
stimuli, en dessous, le système W-Bw.
Cette analogie n’aurait pas grande valeur si l’on ne pouvait la suivre
plus avant. Si l’on soulève toute la feuille de protection — celluloïd et
papier ciré — de la tablette de cire, l’écriture disparaît et ne se restaure
pas non plus par la suite, comme nous l’avons mentionné. La surface du
bloc magique est vide d’écriture et capable d’en accueillir de nouveau.
Mais on constate facilement que la trace durable de l’écrit sur la tablette
de cire proprement dite est conservée et lisible sous l’éclairage adéquat.
Le bloc ne fournit donc pas seulement une surface d’accueil toujours
réutilisable, comme la tablette d’ardoise, mais aussi des traces durables de
l’inscription, comme le bloc à papier ordinaire ; il résout le problème
consistant à unir les deux prestations en les répartissant sur deux éléments
— systèmes — séparés et reliés l’un à l’autre. Or c’est de la même
manière que, selon mon hypothèse évoquée plus haut, notre appareil
psychique accomplit la fonction de perception. La strate qui absorbe les
stimuli — le système W-Bw — ne forme pas de traces durables, les bases
du souvenir s’établissent dans d’autres systèmes adjacents.
Nous ne devons pas nous laisser perturber par le fait que les traces
durables des inscriptions reçues ne soient pas exploitées dans le cas du
bloc magique ; il suffit qu’elles soient présentes. Il faut bien que
l’analogie d’un appareil supplétif de ce type avec l’organe modèle prenne
fin quelque part. Le bloc magique ne peut pas non plus, il est vrai,
« reproduire » l’écriture de l’intérieur une fois qu’elle a été effacée ; ce
serait réellement un bloc magique s’il pouvait l’accomplir comme le fait
notre mémoire. Il ne me semble tout de même pas trop osé de mettre sur le
même plan, d’un côté, la feuille de protection composée de celluloïd et de
papier ciré, et de l’autre le système W-Bw et sa protection contre
l’irritation, la tablette de cire et l’inconscient qui se trouve derrière, le
devenir-visible de l’écrit et sa disparition avec l’éclairement et la
disparition de la conscience lors de la perception. Mais je l’avoue,
j’incline à mener la comparaison encore plus loin.
Dans le cas du bloc magique, l’écriture disparaît à chaque fois qu’est
aboli le contact intime entre le papier qui reçoit le stimulus et la tablette
de cire qui conserve l’impression. Cela concorde avec une idée que je me
suis faite depuis très longtemps sur le mode de fonctionnement de
l’appareil de perception psychique, mais que j’ai jusqu’ici gardée pour
moi. J’ai supposé que les innervations nerveuses sont envoyées, par
poussées rapides et périodiques, depuis l’intérieur vers le système
totalement perméable qu’est le W-Bw, et en sont ensuite retirées. Tant que
le système est occupé de cette manière, il reçoit les perceptions
accompagnées par la conscience et retransmet l’excitation dans les
systèmes de souvenir inconscients ; dès que l’investissement est retiré, la
conscience s’éteint et la prestation apportée par le système est suspendue.
Ce serait comme si l’inconscient, par le biais du système W-Bw, étirait
vers le monde extérieur des tentacules très rapidement retirés après avoir
savouré leurs excitations. Je laissais donc les interruptions qui, dans le cas
du bloc magique, se produisent de l’extérieur, survenir par la discontinuité
du courant d’innervation, et l’on trouvait dans mon hypothèse, au lieu
d’une véritable suppression du contact, l’inexcitabilité périodique du
système de perception. J’émis par ailleurs la supputation que ce mode de
travail discontinuel du système W-Bw est à la base de la représentation du
temps.
Si l’on imagine que, tandis qu’une main écrit sur la surface du bloc
magique, une autre détache périodiquement sa feuille protectrice de la
surface de la tablette de cire, on aurait une matérialisation de la manière
dont je voulais me représenter notre appareil de perception psychique.
La répétition
Vingt-cinq années de travail intensif ont eu ce résultat que les buts
prochains auxquels tend la technique psychanalytique sont aujourd’hui
tout autres qu’au début. Tout d’abord le médecin-analyste ne pouvait viser
rien d’autre qu’à deviner l’inconscient qui est caché au malade, en
rassembler les éléments et le communiquer au moment opportun. La
psychanalyse était avant tout un art d’interprétation. Comme la tâche
thérapeutique n’était pas pour autant liquidée, on fit aussitôt un pas de
plus en se proposant d’obliger le malade à confirmer par ses propres
souvenirs la construction de l’analyste. Par cet effort, l’accent se trouva
déplacé sur les résistances du malade ; tout l’art fut alors de découvrir ces
résistances le plus tôt possible, de les montrer au malade et de l’inciter à
les abandonner, en usant de cette influence qu’un homme peut exercer sur
un autre (c’est là qu’intervient la suggestion opérant comme « transfert »).
Mais alors il devint toujours plus clair que le but fixé — rendre
conscient l’inconscient — ne pouvait être pleinement atteint même par
une telle voie. Le malade ne peut pas se souvenir de tout ce qui est en lui
refoulé et peut-être précisément pas de l’essentiel, de sorte qu’il
n’acquiert pas la conviction du bien-fondé de la construction qui lui a été
communiquée. Il est bien plutôt obligé de répéter le refoulé comme
expérience vécue dans le présent au lieu de se le remémorer comme un
fragment du passé, ce que préférerait le médecin. Cette reproduction qui
survient avec une fidélité qu’on n’aurait pas désirée a toujours pour
contenu un fragment de la vie sexuelle infantile, donc du complexe
d’Œdipe et de ses ramifications ; elle se joue régulièrement dans le
domaine du transfert, c’est-à-dire de la relation au médecin. Quand on a
mené le traitement jusqu’à ce point, on peut dire que la névrose antérieure
est maintenant remplacée par une nouvelle névrose, la névrose de
transfert. Le médecin s’efforce de limiter le plus possible le domaine de
cette névrose de transfert, de pousser le plus de contenu possible dans la
voie de la remémoration et d’en abandonner le moins possible à la
répétition. Le rapport qui s’établit entre remémoration et reproduction est
différent en chaque cas. En règle générale, le médecin ne peut épargner à
l’analyse cette phase de la cure ; il est forcé de lui laisser revivre un
certain fragment de sa vie oubliée mais il doit veiller à ce que le malade
garde une certaine capacité de surplomber la situation qui lui permette
malgré tout de reconnaître dans ce qui apparaît comme réalité le reflet
renouvelé d’un passé oublié. Y parvient-on, on a obtenu la conviction du
malade et atteint le résultat thérapeutique qui en dépend.
Pour mieux arriver à concevoir cette « compulsion de répétition » qui
se manifeste dans le traitement psychanalytique des névrosés, il faut avant
tout se libérer de l’idée erronée selon laquelle on aurait affaire, lorsqu’on
combat les résistances, à la résistance de l’« inconscient ». L’inconscient,
c’est-à-dire le « refoulé », n’oppose aux efforts de la cure aucune espèce
de résistance ; en fait il ne tend même à rien d’autre qu’à vaincre la
pression qui pèse sur lui pour se frayer un chemin vers la conscience ou
vers la décharge par l’action réelle. La résistance dans la cure provient des
mêmes couches et systèmes supérieurs de la vie psychique qui avaient
produit le refoulement en son temps. Mais comme l’expérience nous a
appris que les motifs des résistances, et les résistances mêmes, sont
d’abord inconscients dans la cure, nous sommes invités à rectifier une
impropriété de notre terminologie. Nous échapperons à l’obscurité en
opposant non pas le conscient et l’inconscient mais le moi, avec sa
cohésion, et le refoulé. Il est certain qu’une grande part du moi est elle-
même inconsciente, précisément ce que l’on peut nommer le noyau du
moi ; le terme de préconscient ne recouvre qu’une petite partie du moi1.
Maintenant que nous avons remplacé une terminologie purement
descriptive par une terminologie systématique ou dynamique, nous
pouvons dire que la résistance de l’analysé provient de son moi et nous
saisissons du coup que la compulsion de répétition doit être attribuée au
refoulé inconscient. Il est vraisemblable qu’elle ne peut se manifester
avant que le travail de la cure ne soit venu à sa rencontre en relâchant le
refoulement2.
Il n’est pas douteux que la résistance du moi conscient et préconscient
est au service du principe de plaisir ; elle veut éviter le déplaisir que
provoquerait la libération du refoulé tandis que nos efforts tendent à
obtenir que ce déplaisir soit admis, en faisant appel au principe de réalité.
Mais la compulsion de répétition, cette manifestation de force du refoulé,
quel est donc son rapport au principe de plaisir ? Il est clair que la majeure
partie des expériences que la compulsion de répétition fait revivre ne peut
qu’apporter du déplaisir au moi puisque cette compulsion fait se
manifester et s’actualiser des motions pulsionnelles refoulées ; mais il
s’agit d’un déplaisir qui, nous l’avons déjà montré, ne contredit pas le
principe de plaisir, déplaisir pour un système et en même temps
satisfaction pour l’autre. Mais le fait nouveau et remarquable qu’il nous
faut maintenant décrire tient en ceci : la compulsion de répétition ramène
aussi des expériences du passé qui ne comportent aucune possibilité de
plaisir et qui même en leur temps n’ont pu apporter satisfaction, pas même
aux motions pulsionnelles ultérieurement refoulées.
La floraison précoce de la vie sexuelle infantile est destinée au déclin
parce que les désirs y sont incompatibles avec la réalité et parce que
l’enfant n’a pas atteint un stade de développement suffisant. Elle trouve sa
fin dans les circonstances les plus pénibles, au milieu de sentiments
profondément douloureux. La perte d’amour et l’échec portent au
sentiment d’estime de soi un préjudice durable qui reste comme cicatrice
narcissique ; c’est là, selon mon expérience et les vues de Marcinowski3,
ce qui contribue plus que tout au « sentiment d’infériorité » si commun
chez les névrosés. La recherche sexuelle, qui se voit assigner des limites
par le développement corporel de l’enfant, n’aboutit pas à une conclusion
satisfaisante ; d’où, plus tard, cette plainte : je ne puis rien mener à bien,
rien ne peut me réussir. Le lien de tendresse qui attachait l’enfant surtout
au parent de sexe opposé, a succombé à la déception, à l’attente vaine de la
satisfaction, à la jalousie que suscite la naissance d’un nouvel enfant, cette
preuve sans équivoque de l’infidélité de l’aimé ou de l’aimée ; sa propre
tentative, menée avec un sérieux vraiment tragique, pour créer lui-même
un enfant, échoue de façon humiliante ; la diminution de sa part de
tendresse, les exigences croissantes de l’éducation, les paroles sévères et,
à l’occasion, une punition lui révèlent finalement toute l’ampleur du
dédain qui est devenu son lot. On retrouve régulièrement ici un petit
nombre de modes typiques selon lesquels se termine l’amour qui
caractérise cette période.
Voici que, dans le transfert, les névrosés répètent et font revivre avec
beaucoup d’habileté toutes ces circonstances non désirées et toutes ces
situations affectives douloureuses. Ils aspirent à interrompre la cure alors
qu’elle est inachevée, ils savent se procurer à nouveau l’impression d’être
dédaignés, contraindre le médecin à leur parler durement et à les traiter
froidement, ils trouvent à leur jalousie les objets appropriés, ils
remplacent l’enfant jadis ardemment désiré par le projet ou la promesse
d’un important cadeau le plus souvent aussi peu réel que celui-ci. Rien
dans tout cela qui ait pu autrefois produire du plaisir ; on pourrait supposer
que ces choses devraient aujourd’hui susciter moins de déplaisir en
resurgissant comme souvenir ou dans les rêves qu’en prenant forme dans
une nouvelle expérience vécue. Il s’agit naturellement de l’action de
pulsions qui devaient normalement mener à la satisfaction ; mais aucune
leçon n’a été tirée du fait que, même jadis, elles n’ont apporté que du
déplaisir au lieu de la satisfaction attendue4. Cette action des pulsions est
répétée malgré tout ; une compulsion y pousse.
Ce que la psychanalyse révèle dans les phénomènes de transfert chez
les névrosés peut être retrouvé dans la vie de certaines personnes non
névrosées. Celles-ci donnent l’impression d’un destin qui les poursuit,
d’une orientation démoniaque de leur existence, et la psychanalyse a
d’emblée tenu qu’un tel destin était pour la plus grande part préparé par le
sujet lui-même et déterminé par des influences de la petite enfance. La
compulsion qui se manifeste là n’est pas différente de la compulsion de
répétition des névrosés, même si les personnes en question n’ont jamais
présenté les signes d’un conflit névrotique aboutissant à la formation de
symptômes. C’est ainsi qu’on connaît des personnes dont toutes les
relations humaines vont vers la même issue : bienfaiteurs que leurs
protégés, si différents soient-ils, abandonnent après quelque temps avec
rancune, comme s’il leur était dévolu de boire l’ingratitude jusqu’à la lie ;
hommes dont toutes les amitiés s’achèvent par la trahison de l’ami ; ceux
qui, de façon indéfiniment répétée, placent quelqu’un d’autre dans une
position de grande autorité, soit pour eux seuls, soit aussi pour le public, et
qui renversent eux-mêmes cette autorité au bout d’un temps donné pour la
remplacer par une autre ; amoureux dont chaque affaire de cœur avec les
femmes traverse les mêmes phases et conduit à la même fin, etc. Cet
« éternel retour du même » ne nous étonne guère lorsqu’il s’agit d’un
comportement actif de l’intéressé et que nous découvrons dans sa nature
un trait de caractère immuable qui ne peut que se manifester dans la
répétition des mêmes expériences. Nous sommes bien plus fortement
impressionnés par les cas où la personne semble vivre passivement
quelque chose sur quoi elle n’a aucune part d’influence ; et pourtant elle
ne fait que revivre toujours la répétition du même destin. Qu’on pense par
exemple à l’histoire de cette femme dont les trois maris successifs
tombèrent malades peu de temps après qu’elle les eût épousés et qu’elle
dut soigner jusqu’à leur mort5. La description poétique la plus saisissante
d’une telle destinée nous est donnée par Le Tasse, dans son épopée
romantique La Jérusalem délivrée. Le héros Tancrède tue, sans savoir que
c’est elle, sa bien-aimée Clorinde dans un combat où elle a revêtu
l’armure d’un chevalier ennemi. Après les funérailles, il pénètre dans
l’inquiétante forêt enchantée qui frappe d’effroi l’armée des Croisés. Là, il
fend un grand arbre avec son épée mais, de la blessure de l’arbre, jaillit du
sang, et la voix de Clorinde, dont l’âme était exilée dans l’arbre, se plaint
à lui qu’il ait de nouveau blessé sa bien-aimée.
De telles observations, tirées du comportement dans le transfert et du
destin des hommes, nous encouragent à admettre qu’il existe
effectivement dans la vie psychique une compulsion de répétition qui se
place au-dessus du principe de plaisir. Du coup nous voici enclins à
rapporter à cette compulsion les rêves de la névrose d’accident et
l’impulsion à jouer chez l’enfant. Cependant, il faut bien dire que nous ne
pouvons saisir que rarement les effets de la compulsion de répétition à
l’état pur, sans la collaboration d’autres motifs. Dans le cas du jeu des
enfants, nous avons déjà mis en évidence les autres interprétations
possibles de sa manifestation. Compulsion de répétition et satisfaction
pulsionnelle aboutissant directement au plaisir semblent ici se recouper en
une intime association. Les phénomènes du transfert sont manifestement
au service de la résistance du moi qui fait bonne garde pour maintenir le
refoulement ; la compulsion de répétition, que la cure cherchait à mettre à
son service, est pour ainsi dire tirée de son côté par le moi, solidement
attaché au principe de plaisir6. Dans ce qu’on pourrait appeler compulsion
de destin, une grande part nous semble compréhensible rationnellement
sans qu’on éprouve le besoin de faire intervenir un nouveau et mystérieux
motif. Le cas le moins douteux est peut-être celui du rêve d’accident,
mais, en y réfléchissant de plus près, on est bien obligé d’admettre que,
même dans les autres exemples, l’action des motifs qui nous sont déjà
connus ne rend pas compte adéquatement des faits. Il subsiste un résidu
suffisant pour justifier l’hypothèse de la compulsion de répétition qui nous
apparaît comme plus originaire, plus élémentaire, plus pulsionnelle que le
principe de plaisir qu’elle met à l’écart. Mais, s’il existe dans le
psychisme une telle compulsion de répétition, nous voudrions bien en
connaître quelque chose : à quelle fonction elle correspond, dans quelles
conditions elle peut intervenir et quelle est sa relation au principe de
plaisir dont, après tout, nous avons jusqu’ici admis la domination sur le
cours des processus d’excitation dans la vie psychique ?
Compulsion et répétition :
le jeu de la bobine
Les différentes théories du jeu des enfants n’ont été que récemment
reprises et appréciées du point de vue psychanalytique par Sigmund
Pfeifer dans un article d’Imago (1919, V, 41) auquel je renvoie mes
lecteurs. Ces théories s’efforcent de découvrir les mobiles du jeu des
enfants mais sans mettre au premier plan le point de vue économique, la
considération du gain de plaisir. Sans vouloir embrasser l’ensemble de ces
phénomènes, j’ai profité d’une occasion qui s’offrait à moi pour expliquer,
chez un petit garçon d’un an et demi, le premier jeu qu’il ait inventé. Ce
fut là plus qu’une observation hâtive, car je passai plusieurs semaines sous
le même toit que l’enfant et ses parents, et il s’écoula un certain temps
avant que cette activité énigmatique et sans cesse répétée me livrât son
sens.
L’enfant n’était nullement précoce dans son développement
intellectuel ; à l’âge d’un an et demi, il ne pouvait dire que quelques mots
compréhensibles ; il utilisait en outre un certain nombre de sons offrant un
sens intelligible pour l’entourage. Il était pourtant en bons termes avec ses
parents et leur unique servante et l’on louait son « gentil » caractère. Il ne
dérangeait pas ses parents la nuit, il obéissait consciencieusement à
l’interdiction de toucher toute sorte d’objets et d’entrer dans certaines
pièces ; et surtout il ne pleurait jamais quand sa mère l’abandonnait
pendant des heures, bien qu’il fût tendrement attaché à cette mère qui ne
l’avait pas seulement nourri elle-même, mais encore élevé et gardé sans
aucune aide extérieure. Cependant ce bon petit garçon avait l’habitude, qui
pouvait être gênante, de jeter loin de lui dans un coin de la pièce, sous le
lit, etc., tous les petits objets dont il pouvait se saisir, si bien qu’il n’était
souvent pas facile de ramasser son attirail de jeu. En même temps, il
émettait avec une expression d’intérêt et de satisfaction un o-o-o-o, fort et
prolongé, qui, de l’avis commun de la mère et de l’observateur, n’était pas
une interjection, mais signifiait « parti2 ». Je remarquai finalement que
c’était là un jeu et que l’enfant n’utilisait tous ses jouets que pour jouer
avec eux à « parti ». Un jour, je fis une observation qui confirma ma façon
de voir. L’enfant avait une bobine en bois avec une ficelle attachée autour.
Il ne lui venait jamais, par exemple, l’idée de la traîner par terre derrière
lui pour jouer à la voiture ; mais il jetait avec une grande adresse la
bobine, que retenait la ficelle, par-dessus le rebord de son petit lit à
rideaux où elle disparaissait, tandis qu’il prononçait son o-o-o-o riche de
sens ; il retirait ensuite la bobine hors du lit en tirant la ficelle et saluait
alors sa réapparition par un joyeux « voilà3 ». Tel était donc le jeu
complet : disparition et retour ; on n’en voyait en général que le premier
acte qui était inlassablement répété pour lui seul comme jeu, bien qu’il ne
fût pas douteux que le plus grand plaisir s’attachât au deuxième acte4.
L’interprétation du jeu ne présentait plus alors de difficulté. Le jeu
était en rapport avec les importants résultats d’ordre culturel obtenus par
l’enfant, avec le renoncement pulsionnel qu’il avait accompli
(renoncement à la satisfaction de la pulsion) pour permettre le départ de sa
mère sans manifester d’opposition. Il se dédommageait pour ainsi dire en
mettant lui-même en scène, avec les objets qu’il pouvait saisir, le même
« disparition-retour ». Il est bien sûr indifférent, pour juger de la valeur
affective de ce jeu, de saisir si l’enfant l’avait lui-même inventé ou s’il se
l’était approprié après que quelque chose le lui eut suggéré. Nous
porterons notre intérêt vers un autre point. Le départ de la mère n’a pas pu
être agréable à l’enfant ou même seulement lui être indifférent. Comment
alors concilier avec le principe de plaisir le fait qu’il répète comme jeu
cette expérience pénible ? On voudra peut-être répondre que le départ
devait être joué, comme une condition préalable à la joie de la
réapparition, et que c’est en celle-ci que réside le but véritable du jeu.
Mais l’observation contredit cette façon de voir : le premier acte, le
départ, était mis en scène pour lui seul comme jeu et même bien plus
souvent que l’épisode entier avec sa conclusion et le plaisir qu’elle
procurait.
L’analyse d’un exemple unique comme celui-ci ne permet pas de
trancher avec assurance ; à considérer les choses sans préjugé, on acquiert
le sentiment que l’enfant a transformé son expérience en jeu pour un autre
motif. Il était passif, à la merci de l’événement ; mais voici qu’en le
répétant, aussi déplaisant qu’il soit, comme jeu, il assume un rôle actif.
Une telle tentative pourrait être mise au compte d’une pulsion d’emprise
qui affirmerait son indépendance à l’égard du caractère plaisant ou
déplaisant du souvenir. Mais l’on peut encore proposer une autre
interprétation. En rejetant l’objet pour qu’il soit parti, l’enfant pourrait
satisfaire une impulsion, réprimée dans sa vie quotidienne, à se venger de
sa mère qui était partie loin de lui ; son action aurait alors une
signification de bravade : « Eh bien, pars donc, je n’ai pas besoin de toi,
c’est moi qui t’envoie promener ! » Ce même enfant dont j’avais observé
le premier jeu à un an et demi avait coutume, un an plus tard, de jeter à
terre un jouet contre lequel il était en colère en disant : « Va-t’en à la
guerre ! » On lui avait raconté alors que son père absent était à la guerre
et, loin de regretter son père, il manifestait de la façon la plus évidente
qu’il ne voulait pas être dérangé dans la possession exclusive de la mère5.
Nous avons d’autres exemples d’enfants qui expriment des mouvements
intérieurs hostiles de cet ordre en rejetant au loin des objets à la place des
personnes6. Nous en venons donc à nous demander si la poussée à élaborer
psychiquement une expérience impressionnante et à assurer pleinement
son emprise sur elle peut bien se manifester de façon primaire et
indépendamment du principe de plaisir. Dans l’exemple que nous
discutons, l’enfant ne pourrait répéter dans son jeu une impression
désagréable que parce qu’un gain de plaisir d’une autre sorte, mais direct,
est lié à cette répétition.
Une étude plus poussée du jeu des enfants ne ferait pas pour autant
cesser notre hésitation entre deux conceptions. On voit bien que les
enfants répètent dans le jeu tout ce qui leur a fait dans la vie une grande
impression, qu’ils abréagissent ainsi la force de l’impression et se rendent
pour ainsi dire maîtres de la situation. Mais, d’autre part, il est bien clair
que toute leur activité de jeu est influencée par le désir qui domine cette
période de leur vie : être grand, pouvoir faire comme les grands. On
observe aussi que le caractère déplaisant de l’expérience vécue ne la rend
pas toujours inutilisable pour le jeu. Si le docteur examine la gorge de
l’enfant ou lui fait subir une petite opération, on peut être certain que cette
expérience effrayante sera le contenu du prochain jeu ; mais nous ne
devons pas pour autant négliger l’existence d’un gain de plaisir provenant
d’une autre source. En même temps qu’il passe de la passivité de
l’expérience à l’activité du jeu, l’enfant inflige à un camarade de jeu le
désagrément qu’il avait lui-même subi et se venge ainsi sur la personne de
ce remplaçant.
Quoi qu’il en soit, il ressort de cette discussion que l’hypothèse d’une
pulsion spéciale d’imitation comme motif du jeu est superflue. Enfin il
faut encore rappeler que chez l’adulte le jeu et l’imitation artistiques qui
visent, à la différence de ce qui se passe chez l’enfant, la personne du
spectateur, n’épargnent pas à celui-ci, par exemple dans la tragédie, les
impressions les plus douloureuses et pourtant peuvent le mener à un haut
degré de jouissance. Nous avons bien là la preuve que, même sous la
domination du principe de plaisir, il existe plus d’une voie et d’un moyen
pour que ce qui est en soi déplaisant devienne l’objet du souvenir et de
l’élaboration psychique. Ces cas et ces situations qui ont un gain de plaisir
comme issue finale pourraient faire l’objet d’une esthétique d’orientation
économique ; mais, pour notre dessein, ils ne nous servent à rien car ils
présupposent l’existence et la domination du principe de plaisir et ils ne
prouvent pas que des tendances soient à l’œuvre au-delà du principe de
plaisir, c’est-à-dire des tendances plus originaires que celui-ci et
indépendantes de lui.
[…]
Les manifestations d’une compulsion de répétition, que nous avons
décrites dans les toutes premières activités de la vie psychique de l’enfant
ainsi que dans les expériences vécues de la cure psychanalytique,
présentent à un haut degré le caractère pulsionnel et, là où elles s’opposent
au principe de plaisir, le caractère démoniaque. Dans le jeu des enfants,
nous croyons saisir ceci : l’enfant répète l’expérience vécue même
déplaisante pour la raison qu’il acquiert par son activité une maîtrise bien
plus radicale de l’impression forte qu’il ne le pouvait en se bornant à
l’éprouver passivement. Chaque nouvelle répétition semble améliorer
cette maîtrise vers laquelle tend l’enfant ; et même dans le cas
d’expériences plaisantes, il ne se lasse jamais de les faire se répéter et il
s’en tiendra, inflexiblement, à l’identité de l’impression. Ce trait de
caractère est appelé à disparaître plus tard. Un mot d’esprit qu’on entend
pour la deuxième fois n’aura presque plus d’effet, une représentation
théâtrale n’arrive jamais plus à produire la seconde fois l’impression
qu’elle avait laissée la première fois ; en fait, il est difficile de décider un
adulte qui a beaucoup aimé un livre à le relire aussitôt en entier. La
nouveauté sera toujours la condition de la jouissance. Mais l’enfant, lui, ne
se fatigue jamais, jusqu’à ce que l’adulte excédé refuse de réclamer à
celui-ci de répéter un jeu qu’il lui a montré ou qu’ils ont organisé
ensemble ; et lorsqu’on lui a raconté une belle histoire, c’est la même
qu’il veut entendre toujours et encore au lieu d’une nouvelle histoire ; il
s’en tient inflexiblement à l’identité de la répétition et il corrige chaque
modification dont le narrateur s’est rendu coupable, alors que celui-ci
avait peut-être espéré acquérir par là un mérite supplémentaire. Il n’y a
pas là contradiction au principe de plaisir ; il est évident que répéter,
retrouver l’identité constitue en soi une source de plaisir. En revanche,
chez l’analysé, il apparaît clairement que la compulsion à répéter dans le
transfert les événements de l’enfance se place de toute façon en dehors et
au-dessus du principe de plaisir. Le patient se conduit là d’une façon tout à
fait infantile et nous montre que les traces mnésiques refoulées de ses
expériences vécues originaires ne sont pas présentes en lui à l’état lié et
sont en fait, dans une certaine mesure, inaptes au processus secondaire.
C’est aussi à cette absence de liaison qu’elles doivent leur capacité de
former, par conjonction avec les restes diurnes, un fantasme de désir qu’il
appartient au rêve de présenter de façon figurée. C’est la même
compulsion de répétition qui vient si souvent s’opposer à nous comme
obstacle thérapeutique quand, à la fin de la cure, nous voulons faire en
sorte que le malade soit complètement détaché du médecin. Il faut
admettre aussi que, lorsque les personnes non familiarisées avec l’analyse
éprouvent une angoisse obscure, redoutant d’éveiller quelque chose qu’on
ferait mieux, à leur avis, de laisser dormir, c’est au fond une crainte de
voir survenir cette compulsion démoniaque.
Sources des textes
« Les souvenirs-écrans » (« Über Deckerinnerungen ») a paru en 1899
dans la revue Monatsschrift für Psychiatrie und Neurologie, vol. 6, no 3,
p. 215-230.
« Remémoration, répétition et perlaboration » (« Erinnern,
Wiederholen und Durcharbeiten ») a paru en 1914 dans la revue
Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse, vol. 2, no 6, p. 485-491.
« Note sur le “bloc magique” » (« Notiz über den “Wunderblock” ») a
paru en 1925 dans la revue Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse,
vol. 11, no 1, p. 1-5.
« La répétition » (titre de l’éditeur) est extrait d’Au-delà du principe
de plaisir (Jenseits des Lustprinzips, 1920), traduit par Jean Laplanche et
J.-B. Pontalis, préface d’Élise Pestre, Paris, Payot, coll. « Petite
Bibliothèque Payot », 2010, chapitre III, p. 59-70.
« Compulsion et répétition : le jeu de la bobine » est lui aussi extrait
d’Au-delà du principe de plaisir, op. cit., p. 51-58 et p. 93-95.
SIGMUND FREUD
AUX ÉDITIONS PAYOT & RIVAGES

Les incontournables :
Cinq leçons sur la psychanalyse, suivi de : Contribution à l’histoire du mouvement
psychanalytique
Psychopathologie de la vie quotidienne
Totem et tabou
Introduction à la psychanalyse
Malaise dans la civilisation

Les grands textes théoriques :


Trois essais sur la théorie sexuelle
Au-delà du principe de plaisir
Psychologie des foules et analyse du moi, suivi de : Psychologie des foules (Gustave Le Bon)
Le Moi et le Ça
Pulsions et destins des pulsions
L’Inconscient
Deuil et mélancolie
Pour introduire le narcissisme
L’Amour de transfert, et autres textes sur le transfert et le contre-transfert
La Répétition. Mémoire et compulsion
Inhibition, symptôme et angoisse
Essais de psychanalyse

Les cas cliniques :


Dora. Fragment d’une analyse d’hystérie
Le Petit Hans, suivi de : Sur l’éducation sexuelle des enfants
L’Homme aux rats. Un cas de névrose obsessionnelle, suivi de : Nouvelles Remarques sur les
psychonévroses de défense
Le Président Schreber. Un cas de paranoïa
L’Homme aux loups. D’une histoire de névrose infantile
Cinq psychanalyses
Le Rêve de l’injection faite à Irma
Anna O. (avec J. Breuer)

Névroses, sexualité, société :


Sur le rêve
Névrose et psychose
Le Roman familial des névrosés, et autres textes
Mémoire, souvenirs, oublis
Psychologie de la vie amoureuse
La Féminité
La Sexualité infantile
Du masochisme. Les aberrations sexuelles ; Un enfant est battu ; Le problème économique du
masochisme
Trois mécanismes de défense : le refoulement, le clivage et la dénégation
L’Inquiétant familier, suivi de : Le Marchand de sable
L’Homme Moïse et la religion monothéiste
Notre relation à la mort
Le Président T.W. Wilson. Portrait psychologique (avec W. C. Bullitt)
Pourquoi la guerre ? (avec A. Einstein)

Textes divers :
Sur les névroses de guerre (avec S. Ferenczi et K. Abraham)
Une névrose diabolique au XVIIe siècle, précédé de : La Peau de chagrin
Correspondance avec Stefan Zweig
À propos de cette édition :
Cette édition électronique du livre La répétition. de Sigmund Feud a été
réalisée le 26 janvier 2019 par les Éditions Payot & Rivages.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage (ISBN : 978-2-228-
92284-5).
Le format ePub a été préparé par Facompo, Lisieux.
Notes
1. C’est l’expression : « Zeit ist Gold » (« Le temps, c’est de l’or »). (N.d.T.)

2. Sigmund Freud, « Nouvelles remarques sur les névropsychoses de défense » (« Weitere Bemerkungen über die
Abwehr-Neuropsychosen », Neurologisches Zentralblatt, vol. 15, no 10, 1896), in L’Homme aux rats, traduit par Cédric
Cohen Skalli, préface de Jean Triol, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2010, p. 151-190. (N.d.T.)

3. Die Heiterethei und ihr Widerspiel, Aus dem Regen in die Traufe, roman de 1857. (N.d.T.)

4. « Un jour peut-être ce souvenir vous sera doux » (Virgile, Énéide, livre I, vers 203). (N.d.T.)

5. Vivacité d’esprit. (N.d.T.)

6. Littéralement : « s’en arracher un ». Le terme employé plus haut pour exprimer l’idée qu’il « arrache » les fleurs
est entreissen, « arracher ». (N.d.T.)

7. En français dans le texte. (N.d.T.)

8. Trutzerinnerungen, le terme est formé d’après le préfixe du mot Trutzburg, « le château fort ». (N.d.T.)
Notes
1. Wahrnehmung-Bewusstein : perception-conscience. (N.d.T.)
Notes
1. Cette phrase, depuis le point, date de 1921. Dans la version de 1920, le texte est le suivant : « Il se peut qu’une
grande part du moi soit elle-même inconsciente ; le terme de préconscient ne recouvre probablement qu’une partie du
moi. » (N.d.T.)

2. [Note ajoutée en 1923.] J’ai montré ailleurs [dans « Remarques sur la théorie et la pratique de l’interprétation du
rêve » (« Bemerkungen zur Theorie und Praxis der Traumdeutung »), 1923] que ce qui vient ici aider la compulsion de
répétition c’est « l’action suggestive » de la cure, c’est-à-dire la docilité à l’égard du médecin, qui est profondément
enracinée dans le complexe parental inconscient.

3. « Les Sources érotiques des sentiments d’infériorité » (« Die erotischen Quellen der Minderwertigkeitsgefühle »),
Zeitschrift für Sexualwissenschaft, IV, 1918.

4. Phrase ajoutée en 1921. (N.d.T.)

5. Voir sur ce point les remarques pertinentes de Jung dans « La signification du père pour le destin de l’individu »
(« Die Bedeutung des Vaters für das Schicksal des Einzelnen »), Jahrbuch für Psychoanalyse, I, 1909.

6. Dans les éditions antérieures à 1923, on trouve le texte suivant : « La compulsion de répétition est pour ainsi dire
appelée à son secours par le moi, solidement attaché au principe de plaisir. » (N.d.É.)
Notes
1. « Les manifestations des pulsions érotiques de l’enfant dans le jeu » (« Äusserungen infantil-erotischer Triebe im
Spiele », 5, 243).

2. En allemand : fort. (N.d.T.)

3. En allemand : da. (N.d.T.)

4. Cette interprétation fut pleinement confirmée par une observation ultérieure. Un jour où sa mère avait été absente
pendant de longues heures, elle fut saluée à son retour par le message Bébé o-o-o-o, qui parut d’abord inintelligible. Mais
on ne tarda pas à s’apercevoir que l’enfant avait trouvé pendant sa longue solitude un moyen de se faire disparaître lui-
même. Il avait découvert son image dans un miroir qui n’atteignait pas tout à fait le sol et s’était ensuite accroupi de sorte
que son image dans le miroir était « partie ».

5. Quand cet enfant eut cinq ans et neuf mois, sa mère mourut. Maintenant qu’elle était « partie » (o-o-o) pour de
bon, le petit ne manifesta aucun chagrin [Trauer]. Il est vrai que dans l’intervalle un deuxième enfant était né, éveillant en
lui la jalousie la plus vive.

6. Voir « Un souvenir d’enfance tiré de “Poésie et Vérité” » (« Eine Kindheitserinnerung aus “Dichtung und
Wahrheit” »), Imago, V, 1917 ; GW, XII, p. 15-26.

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