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La mala hora de Gabriel García Márquez récrivain et la politique

PAR
Jacques GILARD
Université de Toulouse-Le Mirail
On a souvent parlé, à propos des contes et romans de Gabriel García Márquez, d'un « cycle de
Macondo >. Macondo serait cette bourgade élastique et changeante dans laquelle se déroulent tous
ses récits de fiction, étant entendu que, plus qu'une topographie précise, le lecteur doit voir dans ce
cadre un climat et une ambiance qui tourmentent les corps et les âmes. Certes, cette atmosphère
joue dans l'œuvre de García Márquez un rôle indéniable, mais accorder si peu d'importance à la
topographie revient à faire bon marché de la réalité des textes; très probablement, c'est commettre
une erreur que de parler d'un « cycle de Macondo » 0).
(1) Cette notion de « cycle de Macondo » est implicite dans les premiers travaux critiques consacrés
à l'œuvre de GGM. La parution postérieure de den años de soledad permet à présent de voir cette
question avec plus de clarté. Assez curieusement on retrouve la notion d'un « cycle de Macondo »
— affirmée avec une certaine confusion — dans une étude plus récente de Ricardo Gullón (García
Márquez o el arte de contar, Cuadernos Taurus n° 93, Madrid, 1970) : « Sus dos novelas anteriores,
La hojarasca (1955) y La mala hora (1962) no tienen la densidad y la fuerza imaginativa que Cien
años de soledad. Son, en cierto modo, preparaciones, modo de hacerse la mano para escribirla. La
segunda y la tercera de estas novelas, muchos de sus cuentos y El coronel no tiene quien le escriba
constituyen el ciclo de Macondo... »
 
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Une lecture superficielle des contes et des romans permet en effet de voir qu'il est question de deux
villages différents, si l'on se fonde sur un détail bien trivial : les moyens de communication. Dans
certains cas, c'est un petit train jaune qui relie le village au reste du monde; dans d'autres, ce sont
les bateaux d'une ligne fluviale. Le petit train est celui de Macondo (dès La hojarasca) (2), les
bateaux sont ceux d'un village anonyme, vaguement situé dans les terres basses de la côte
atlantique de Colombie (3). Et s'il est vrai que de La siesta del martes à Cien años de soledad
Macondo n'a pas manqué de changer, cet « inocente tren amarillo > permet toujours de l'identifier.
Le romancier fournit souvent d'autres données qui doivent permettre d'établir la distinction. Ainsi,
dans El coronel no tiene quien le escriba, où les barques porteuses du courrier jouent un rôle
primordial dans la vie du protagoniste, nous apprenons que le vieux colonel « abandonó a
Macondo... el miércoles veintisiete de junio de mil novecientos seis a las dos y dieciocho minutos de
la tarde » (p. 66). Dans La mala hora, où le village ne s'anime vraiment que lors des drames
collectifs et lors de l'arrivée des barques, le curé fait allusion à Antonio Isabel del Santísimo
Sacramento del Altar Castañeda y Montero, prêtre retombé en enfance, « el párroco que me
sucedió en Macondo », dit-il; plus tard, il se souviendra que lui-même, à Macondo, « había rehusado
dar cristiana sepultura a un ahorcado que los duros habitantes de Macondo se negaban a enterrar »
(4). Dans le même roman, García Márquez dit à propos de l'hôtel du village : « El propio coronel
Aureliano Buen- dia, que iba a convenir en Macondo los términos de la capitulación de la última
guerra civil, durmió una noche en aquel balcón... »
(2) Sauf pour Isabel viendo llover en Macondo, Ed. Estuario, Serie el Perseguidor, Buenos Aires,
1969, pour Relato de un náufrago (Ed. Tusquets, cuadernos marginales n° 8, Barcelone, 1970), et
pour des textes isolés parus en revues, quand nous mentionnons un ouvrage de GGM, c'est aux
éditions de Ed. Sudamericana, Buenos Aires, que nous nous référons.
(3) Ernesto Volkening fournit une indication sur ce village qu'il situe dans la basse vallée du Cauca.
Cette localisation peut-elle être retenue ? Nous ignorons sur quoi elle est fondée. Notons cependant
que dans cet article très intéressant — un des premiers sur l'œuvre de GGM — Ernesto Volkening
confond les deux villages : « Macondo o comoquiera que se le llame a aquel pueblo a orillas del
bajo Cauca... ». En ce qui concerne Macondo, sa situation géographique finit par ressembler à celle
d'Aracataca, village natal du romancier, ainsi qu'on peut le déduire de la lecture de Cien años de
soledad, c'est-à-dire entre les marécages du bas Magdalena et la Sierra Nevada de Santa Marta.
L'article cité est : Ernesto Volkening ; Los cuentos de Gabriel García Márquez o el trópico
desembrujado, in Eco, Bogotá, n° 40, 1963, pp. 275-293, repris à la suite de Isabel viendo llover en
Macondo, édition citée.
(4) C'est l'argument du premier roman de GGM, La hojarasca.
 
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Plus tard, en écrivant Cien años de soledad, sans doute pour rectifier une erreur déjà commise par
certains critiques (5), l'auteur devait nous faire assister à la création de la voie ferrée de Macondo
par Aureliano Triste (pp. 192-193) et, à propos de la liaison fluviale réalisée grâce à l'extravagance
inventive de José Arcadio Segundo, préciser que c'était « la llegada del primer y último barco que
atracó jamás en el pueblo » (p. 169).
Ainsi sur les quatre romans publiés à ce jour par García Márquez, deux seulement se déroulent à
Macondo : La hojarasca et Cien años de soledad. Les deux autres, El coronel no tiene quien le
escriba et La mala hora, ont pour cadre le village anonyme isolé par la forêt et périodiquement relié
au monde par un modeste trafic fluvial. Le conte Isabel viendo llover en Macondo est situé dès le
titre (le sifflet du train y sert de référence dans la vie quotidienne des habitants). Quant aux contes
qui composent le livre Los funerales de la Mamá Grande, deux d'entre eux seulement (La siesta del
martes et Un día después del sábado) sont situés à Macondo par le détail du train ou par le nom
même du village; tous les autres, sauf un, sont situés dans l'autre village par le détail des barques,
les noms de certains personnages ou l'événement raconté. En ce qui concerne le conte qui a donné
son titre au recueil, il se situe à Macondo, mais c'est un Macondo mythique et grotesque, qui a une
frontière commune avec l'Empire Romain d'où le Pape peut venir en gondole assister aux funérailles
de ce monument de la barbarie américaine qu'était la Mamá Grande; par rapport à l'ensemble de
l'œuvre, il s'agit ici d'un Macondo de fantaisie. D'après ce dernier exemple, la distinction établie
entre les deux villages peut sembler perdre de sa rigueur, d'autant plus que si la Mamá Grande est
morte à Macondo (ce sera confirmé par une phrase de Cien años de soledad), un passage de La
mala hora nous dit que dans le village anonyme la veuve Montiel habite la maison où mourut la
Mamá Grande, et qu'elle parle parfois au fantôme de la souveraine défunte (p. 95). Mais c'est
l'unique coïncidence des deux lieux dans toute l'œuvre de
(5) De tels détails nous paraissent plus importants que les propos attribués à GGM par Luis Harss
(dans le chapitre Gabriel García Márquez o la cuerda floja du livre Los nuestros, Buenos Aires, Ed.
Sudamericana, 1966, pp. 381-419) : € Con (Cien años de soledad) termino el ciclo de Macondo... ».
Luis Harss finit par situer La mala hora à Macondo : < Aquí la desdichada Macondo... padece una
erupción de pasquines infamatorios... ». Et il est pour le moins surprenant de retrouver cette erreur
dans le petit texte qui figure sur la deuxième couverture de l'édition de La mala hora par la
Sudamericana. On pourrait donc voir une sorte de mise en garde dans les détails que nous tirons de
Cien años de soledad.
 
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García Márquez (6). Excès peut-être, mais preuve de la cohérence d'une inspiration, et preuve en
tout cas de la continuité du monde romanesque de l'écrivain colombien. Cette continuité apparaît
d'ailleurs clairement dans les phrases citées plus haut de El coronel... et de La mala hora : le vieux
colonel et le curé ont vécu à Macondo avant d'habiter le village anonyme; le colonel Aureliano
Buendia, qui n'est qu'un nom dans l'œuvre de García Márquez avant d'apparaître dans Cien años
de soledad, est passé par ce village en se rendant à Macondo, il y a été physiquement présent. Dire
que l'on voyage d'un village à l'autre, c'est bien affirmer que le même espace les englobe à travers
tous les romans, mais un seul cas de superposition ne saurait justifier une confusion complète. S'il
n'existe pas de frontière hermétique entre ces deux univers, il n'est pas possible de les confondre, à
moins de vouloir ignorer les détails matériels et les mises en garde que l'auteur glisse dans ses
romans.
Plus important encore, pour cette distinction, est le rôle joué par la situation historique des faits
racontés, par leur place dans le temps. Après la publication de Cien años de soledad il peut sembler
risqué d'utiliser le temps comme critère dans une étude de l'œuvre de García Márquez ; et il est vrai
que les dates précises qui se trouvent dans d'autres romans ou contes, sont totalement absentes de
ce roman au temps ambigu, qui retrace pourtant la trajectoire entière d'une famille et toute l'histoire
d'une ville. Remarquons néanmoins que, dans El coronel... et La mala hora, les allusions à Macondo
et à ses personnages (le colonel Aureliano Buendia, le curé retombé en enfance, la défunte Mamá
Grande) sont des allusions au passé. En outre, dans La hojarasca, qui se déroule à Macondo,
l'action s'étale environ sur une heure d'un après-midi de l'année 1928, et les monologues intérieurs
des trois personnages embrassent l'histoire du village de 1903 à 1928, une histoire que plus rien ne
peut modifier (7). Qui plus est, le roman s'ouvre par une citation de Y Antigone de Sophocle, et tout
s'y organise autour du vieillard qui affronte la communauté décidée à empêcher l'enterrement d'un
réprouvé. Cette assimilation au modèle antique confère au roman une portée exemplaire,
irréversible. La même réduction des faits
(6) Nous considérons que les circonstances du conte La vinda de Montiel, dans le livre Los
funerales de la Mamá Grande, se confondent avec les passages consacrés au même personnage
dans le roman.
(7) On peut noter que GGM est né en 1928 ; un homme peut se sentir héritier ou victime d'un temps
et de faits qu'il n'a pas directement vécus, mais il ne saurait s'empêcher de les rejeter dans un «
autrefois > qui peut finir par lui paraître intemporel.
 
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racontés aux dimensions d'un livre préexistant se retrouve d'ailleurs dans Cien años de soledad : ce
roman n'est rien d'autre que l'histoire des Buendia et de Macondo, figée pour l'éternité dans les
manuscrits du gitan Melquíades (8). Par contre nous avons vu que les deux autres romans se
situent après Macondo; ne se ramenant à aucun livre, ils se placent dans un temps vécu
directement, l'éphémère présent de l'Histoire. Et le monde dans lequel se déroulent El coronel... et
La mala hora est bien le monde contemporain, celui des grandes crises internationales, des
dictatures et des rébellions, de l'information truquée. Pour un colombien, c'est le temps de la
Violence (9).
On voit donc combien il importe de ne pas confondre ces deux villages : au delà des différences
matérielles qui permettent de les distinguer dès l'abord, le lecteur doit découvrir que l'inspiration dont
ils sont nés ne s'applique pas toujours au même objet. Macondo représente ce que l'on a laissé
derrière soi, le passé immuable, le temps du mythe. Le village anonyme, c'est le présent, l'Histoire
qui se fait, la tragédie de la politique (10).
Nous avons évoqué la cohérence du monde romanesque de Garcia Márquez. Les deux romans de
thème contemporain que sont El coronel... et La mala hora présentent des cas de concordance qui
méritent d'être soulignés. De toute évidence, ces deux livres ont été conçus en même temps; ou,
plus précisément, le premier (pour la rédaction comme pour la publication) semble être un fragment
du second, fragment qui aurait pris assez de poids pour acquérir son autonomie et naître avant
l'autre. D'où un certain nombre de points communs qui d'un livre à l'autre révèlent une sorte de
simultanéité dans la fiction. Il s'agit du même village; les mêmes personnages s'y retrouvent pour
faire les mêmes gestes; on s'y livre aux mêmes mauvaises actions ; on y prononce parfois des
phrases semblables.
(8) Ici encore il est possible de faire allusion à l'auteur : il est l'un des personnages de son propre
roman (Gabriel, l'ami du dernier Aureliano Buendia) et il quitte Macondo à tout jamais, rejetant la
ville dans le passé.
(9) Le pays est identifiable, bien que GGM ne le nomme jamais dans son œuvre.
(10) Bien que tel ne soit pas notre propos ici, il faut remarquer qu'il n'y a pas de rupture véritable
entre les romans « contemporains » et les romans € mythiques » dans la production de GGM. De
même qu'il y a eu déplacement normal dans l'espace, de Macondo à l'autre village, il y a eu dans ce
monde un simple écoulement du temps, de son passé à son présent, matérialisé par la trajectoire de
vie de certains personnages vieillissants.
 
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C. de CARAVELLE
El coronel no tiene quien le escriba La mala hora
• El coronel levantó la vista. Vio al alcalde en el balcón del cuartel en una actitud discusiva. Estaba
en calzoncillos y franela, hinchada la mejilla sin afeitar, (p. 15).
• Un poco después de las siete sonaron en la torre las campanadas de la censura cinematográfica.
El padre Ángel utilizaba ese medio para divulgar la calificación moral de la película de acuerdo con
la lista clasificada que recibía todos los meses por correo. La esposa del coronel contó doce
campanadas.
— Mala para todos — dijo. (p. 21).
• En el espejo se dio cuenta (el alcalde) de que se le estaba hinchando la mejilla. Destapó una ca-
jita de vaselina mentolada y se la untó en la parte dolorida tensa y sin afeitar, (p. 15).
• El alcalde se afeitó el lado derecho, y se dejó en el izquierdo la barba de ocho días (p. 75).
• El padre Ángel fue a la base de la torre y dio doce toques espaciados. Trinidad estaba ofuscada.
— Se equivocó, padre — dijo ... — Es una película buena para todos, (p. 23).
• Por primera vez en su vida (el padre Ángel) experimentó un oscuro sentimiento de soberbia
cuando dio las doce campanadas rotundas de la prohibición absoluta, (p. 105).
• Sentado a la puerta de su despacho el padre Ángel vigilaba el ingreso para saber quiénes asistían
al espectáculo a pesar de sus doce advertencias, (p. 62).
• « La pobreza es el mejor remedio contra la diabetes ».
« Gracias por la receta » dijo don Sabas... « Pero no la acepto para evitarle a usted la calamidad de
ser rico ». El médico vio sus propios dientes reflejados en la cerradura niquelada del maletín, (p.
73).
• « Me gustaría sembrar las rosas », dijo (la mujer) de regreso a la hornilla. El coronel colgó el
espejo en el horcón para afeitarse.
— Si quieres sembrar las rosas, siémbralas — dijo.
— Se las comen los puercos, (p. 80).
• Por último recostó un taburete en la puerta de la calle... y se dispuso a verificar públicamente
quiénes entraban al cine contraviniendo su advertencia, (p. 105).
• Inmediatamente (don Sabas) reaccionó : — Lo que pasa es que en este país no hay una sola
fortuna que no tenga a la espalda un burro muerto.
El médico recibió la frase inclinado sobre el aguamanil. Vio reflejada en el agua su propia reacción :
un sistema dental tan correcto que no parecía natural, (p. 102).
• — Pueden hasta sembrar — dijo (el alcalde).
La mujer respondió sin levantar la cabeza : « Se lo comen los puercos ». (p. 77).
 
O. GARCÍA MÁRQUEZ : L'ÉCRIVAIN ET LA POLITIQUE 63
Mais cette simultanéité de la fiction s'efface si nous cherchons à dater l'action de chacun de ces
romans. García Márquez, quant à lui, se garde de le faire clairement. Dans certains de ses récits
antérieurs à Cien años de soledad, il donne une chronologie très précise du passé : c'est le cas
dans El coronel... (comme dans le conte Los funerales de la Mamá Grande), mais le moment même
de l'action n'est pas affecté d'une date chiffrée, comme si l'auteur craignait d'être contraint ou
compromis par elle. Par contre il fournit une clé qui permet au lecteur de situer le roman sans
ambiguïté : l'action de El coronel... se déroule pendant un automne où le fait principal en politique
internationale est la crise du canal de Suez, autrement dit l'automne 1956. La réalité politique
colombienne, bien qu'elle se manifeste douloureusement, est présentée asez vaguement
(information censurée, propagande subversive clandestine, répression policière) pour ne suggérer ni
une date ni une localisation précises. Des allusions trop claires aux événements colombiens de
l'époque auraient dénaturé le récit centré sur l'attente obstinée du protagoniste : au milieu du chaos,
le colonel attend une pension qu'on lui doit depuis soixante ans. On retrouve le même procédé dans
La mala hora où l'élément qui permet de reconnaître l'année de l'action est présenté avec discrétion.
Au début du roman, le curé s'éveille au matin du mardi 4 octobre; dans les dernières lignes du livre,
il s'éveille au matin du vendredi 21 octobre. Bien sûr, le fait que tel quantième tombe tel jour de la
semaine se répète périodiquement, mais un leit-motiv du roman (il y a un nouveau gouvernement
depuis deux ans) situe l'action en 1955; dans l'histoire de la Colombie: sous la présidence du
général Gustavo Rojas Pinilla. García Márquez reprend même un argument qu'utilisait l'opposition
dans les polémiques de l'époque (ll). Bien qu'elle ne soit que suggérée, la date
(11) Cf. J.J. Osorio Lizarazo, Colombia donde los Andes se disuelven, Santiago de Chile, Ed.
Universitaria, 1955 : € Los convictos de los más horrendos crímenes fueron sacados de los
presidios donde pagaban su pena, armados con ametralladoras y convertidos en autoridad con la
consigna expresa : Maten, maten » (p. 123). Cette accusation portée contre le régime de Laureano
Gómez, est reprise dans La mala hora et étendue à Gustavo Rojas Pinilla : < Para nadie es un
secreto que tres de (los agentes) son criminales comunes, sacados de las cárceles y disfrazados de
policías > dit l'alcade (p. 129). On peut trouver de multiples confirmations de ces faits, évoqués avec
la rigueur de l'historien, dans l'ouvrage de Germán Guzmán, La violencia en Colombia (parte
descriptiva), Cali, Ed. Progreso, 1968. Il est à noter qu'aucun nom propre ne figure dans le roman, et
qu'il n'est jamais question de libéraux ou de conservateurs. On a reproché à GGM ces imprécisions
évidemment volontaires ; c'est le cas de José Miguel Oviedo (Garcia Márquez, la infinita violencia
colombiana, in Amaru, Lima, n° 1, 1967, pp. 87-89). Mais cette imprécision n'est qu'apparente : la
date une fois suggérée par l'auteur, le lecteur peut toujours combler ces lacunes. Le romancier
estime avoir mieux à faire qu'à € raconter » les vicissitudes de la vie politique de son pays.
 
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C. de CARAVELLE
est primordiale dans La mala hora; tout le roman est fondé sur l'attitude des gens du village devant
ce gouvernement aux intentions ambiguës : l'alcade essaie de convaincre que le gouvernement
apportera d'appréciables changements, alors que la majorité pense : « Son los mismos con las
mismas » (p. 77).
Les dates réelles diffèrent donc, comme l'usage que semble en faire García Márquez. Ce fait doit
avoir son importance pour des romans de thème contemporain. Un retour à la simultanéité de la
fiction pourra le confirmer. Nous nous référons ici à l'arrivée du cirque qui se retrouve dans les deux
romans et qui, dans les deux cas, est vue du même endroit : la boutique du syrien Moisés.
El coronel no tiene quién le escriban La mala hora
• Sólo entonces descubrió (el coronel) el circo. Reconoció la carpa remendada en el techo de la
lancha del correo. Por un instante perdió al administrador para buscar las fieras entre las cajas
apelotonadas sobre las otras lanchas. No las encontró.
— Es un circo — dijo — . Es el primero que viene en diez años.
El sirio Moisés verificó la información. Habló a su mujer en una mescolanza de árabe y español. Ella
respondió desde la trastienda. El hizo un comentario para sí mismo y luego tradujo su preocupación
al coronel.
— Esconde el gato, coronel. Los muchachos se lo roban para vendérselo al circo.
El coronel se dispuso a seguir al administrador.
— No es un circo de fieras — dijo.
— No importa — replicó el sirio — . Los maromeros comen gatos para no romperse los huesos.
Siguió al administrador a través de los bazares del puerto hasta la plaza, (p. 81-82).
Il s'agit bien de la même scène : dans la même boutique, le syrien tient les mêmes propos. Mais le
vieux colonel et l'alcalde ne se rencontrent pas chez Moisés. A ce moment-là, ils n'existent pas, ne
peu-
• El sirio Moisés le hizo caer en la cuenta de una novedad : llegaba un circo. El alcalde advirtió que
era cierto, aunque no habría podido decir por qué. Tal vez por un montón de palos y trapos de
colores amontonados en el techo de la lancha, y por dos mujeres exactamente iguales embutidas
en idénticos trajes de flores, como una misma persona repetida.
— Al menos viene un circo — murmuró.
El sirio Moisés habló de fieras y malabaristas. Pero el alcalde tenía otra manera de pensar en el
circo. Con las piernas estiradas miró la punta de sus botas.
— El pueblo progresa — dijo, (p. 78-79).
 
O. GARCÍA MÁRQUEZ : L'ÉCRIVAIN ET LA POLITIQUE 65
vent pas exister, l'un pour l'autre. Le colonel attend le courrier qui lui anoncera peut-être l'octroi de
sa pension; l'alcalde « tenía otra manera de pensar en el circo » : en parlant à sa façon de politique.
Il est évident qu'en écrivant les mots que nous venons de souligner, García Márquez pensait à El
coronel..., ou même en avait le manuscrit sous les yeux, et marquait ainsi sa volonté de faire autre
chose. C'est que dans le même cadre et à partir des mêmes situations il développe deux fictions aux
perspectives différentes. On peut, d'ores et déjà, parler d'une attitude plus politique dans La mala
hora. Cette orientation peut se trouver confirmée si l'on considère un thème fréquent dans les contes
et romans de García Márquez.
Déjà présent dans la littérature colombienne et exalté par José Eustasio Rivera, le thème des forces
naturelles se retrouve chez García Márquez, mais singulièrement démystifié. Dans Cien años de
soledad ce sont des fourmis, inquiétantes mais minuscules, qui minent l'œuvre dérisoire des
hommes, accélèrent le vieillissement de Macondo et rapprochent la ville de sa ruine. Et si le
romancier emploie le mot caraïbe « huracán » pour désigner le grand vent qui fait disparaître
Macondo, le qualificatif « bíblico » est là pour rappeler qu'une simple référence au tellurisme ne
saurait rendre compte du fait. Il est vrai que les allusions au climat (le temps qu'il fait ou qu'il va
faire) ne manquent pas dans les œuvres de García Márquez. On a depuis longtemps signalé la
place occupée par la chaleur comme élément de la réalité romanesque (12). Il faudrait y ajouter la
pluie qui, lorsqu'elle dure, fait entrer les créatures de Garcia Márquez dans un « hiver » vite
intolérable. La canicule et le déluge tropicaux sont bien sûr des aspects des forces de la nature,
mais le romancier leur ôte toute noblesse en n'y voyant que ce qui affecte l'homme dans son
comportement le plus humblement quotidien et finit par l'accabler. Dans Isabel viendo llover en
Macondo, la pluie catastrophique qui s'abat sur le village dilue les sensations, fige les corps et
efface le temps, au point que la jeune femme est vraisemblablement morte lorsque son monologue
intérieur s'achève; le lecteur se retrouve alors devant une réalité autre (fantastique ?), une réalité où
rien ne rappelle la nature grandiloquente complaisamment décrite par les romanciers hispano-
américains de générations antérieures. La même donnée objective (cinq jours de pluie
ininterrompue, ou, peut-être, cinq semaines) semble être à la base du déluge prodigieux de Cien
años de soledad : dans la réalité, cinq jours de
(12) Cf. Ernesto Volkening, o.c.
 
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pluie (ou cinq semaines) peuvent paraître interminables et être ressentis comme cinq années : point
de départ d'une fabulation où la pluie ne dure pas banalement cinq ans mais, avec une précision
malicieuse, quatre ans, onze mois et deux jours.
Ces deux cas extrêmes ne sont que l'élaboration d'une constante de l'œuvre de García Márquez :
les misères prosaïques d'un tropique dépouillé des fausses splendeurs de l'exotisme. Les hommes
suffoquent de chaleur, ou souffrent des nombreux maux dus aux périodes de pluie, tout
particulièrement aux pluies du mois d'octobre, « el mes aciago ». La flore intestinale du vieux colonel
se transforme alors en champignons et lis vénéneux, le père Angel a mal aux vertèbres, et le nègre
Carmichael devine trop aisément que le beau temps n'est pas pour demain : « No escampará en
dos días. Me lo están diciendo los callos ». Il s'agit bien là d'une constante de l'œuvre, que l'on
retrouve plus nettement dans El coronel... et dans La mala hora : dès leur réveil, les personnages
ont à s'inquiéter du temps qu'il fait et le récit d'une journée est toujours ponctué d'allusions à la pluie
ou à la chaleur.
Que la canicule annonce tous les orages, que les pluies d'octobre puissent devenir signe de
malheur, comme l'air limpide de décembre une promesse de paix, cela semble aller de soi. C'est
que le probable souci d'une vision rigoureuse des choses n'empêche pas Garcia Márquez de viser
au-delà, de déceler en toute chose un sens caché. Création minutieuse d'une atmosphère, peut-
être, mais aussi et surtout recherche de signes. Un exemple précis indique que La mala hora
occupe une place à part dans l'œuvre du romancier colombien.
Dans un moment de répit que lui luisse sa rage de dents, l'alcade quitte son logement et se rend à
l'hôtel du village pour s'y restaurer. L'aspect énigmatique du personnage, le doute fondamental que
García Márquez entretient tout au long du roman, est souligné par son absence de réactions à
l'apparition de la jeune servante :
Acudió una muchacha muy joven, con un traje muy corto y ajustado y senos como piedras. El
alcalde ordenó el almuerzo sin mirarla, (p. 55).
Un geste anodin de la jeune fille confirme l'impression retirée des pages précédentes et précise la
portée du roman :
De regreso a la cocina, la muchacha encendió un aparato de radio colocado en una repisa al final
del comedor. Entró un boletín de noticias, con citas de un discurso pronunciado la noche anterior
por el presidente de la república, y luego una lista de los nuevos artículos de prohibida importación,
(p. 55-56).
 
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Bavardage pompeux et interdictions : García Márquez suggère en quelques mots toute une
atmosphère d'hypocrisie et d'oppression, une atmosphère de guerre civile qui ne dit pas son nom.
C'est alors que se produit un fait qui différencie La mala hora des autres romans de son auteur, y
compris El coronel... :
A medida que la voz del locutor ocupaba el ambiente se fue haciendo más intenso el calor, (p. 56).
La tragédie politique, masquée par une information dirigée, finit par s'exprimer dans une réalité
irréfutable : la donnée objective de la chaleur. Cette chaleur s'impose à tous :
Cuando la muchacha volvió con la sopa, el alcalde trataba de contener el sudor abanicándose con
la gorra. — A mí también me hace sudar el radio — dijo la muchacha (p. 56).
La jeune fille, image de la féminité naïve, et l'alcade, indifférent aux choses du sexe, représentant de
la tyrannie, sont au moins rapprochés par ce fait : malgré le mensonge, la Violence existe pour tous,
personne ne lui échappe. Cette chaleur n'est pas seulement la manifestation du tropique : elle
assume ici le rôle de signifiant avec une clarté que l'on ne retrouve jamais dans d'autres récits. Elle
est le signe d'un malaise de la société tout entière, au-delà des limites du petit village isolé dans la
forêt.
Sur les murs du village apparaissent un matin des placards injurieux qui mettent en cause la vie
privée de certaines personnes, provoquant aussitôt un meurtre. Il en apparaîtra d'autres les jours
suivants et la vie du village va se trouver suspendue à une attente insupportable, due à la peur ou
au goût du scandale. De toute évidence, les préceptes de la morale ne sont guère respectés dans
cette bourgade. Tel est l'élément anecdotique qui fournit le point de départ de La mala hora. S'il
s'agit de l'amorce du récit, il semble abusif de dire que le livre est exclusivement centré sur cette
anecdote. On pourrait plutôt y voir un signe : le père Angel qui imposait — ou croyait imposer — les
bonnes mœurs à ses paroissiens, intrigué par une remarque ironique du médecin :
Más grave aún si no lo sabe por el confesonario, (p. 104).
va se montrer plus rigoureux que de coutume lors de la confession à laquelle il oblige sa servante
Trinidad, et apprendre sur la vie familiale dans sa paroisse plus qu'il n'aurait osé soupçonner. C'est
un
 
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mal que le prêtre, pourtant bien placé, ignorait jusqu'alors, et que les affiches infamantes ont fait
apparaître au grand jour. Moins frappants parce que moins énigmatiques en apparence, d'autres
faits jouent dans le roman un rôle semblable à celui des placards : la dent cariée de l'alcade, avec
les procédés policiers qu'il doit employer pour se faire soigner, révèle tout un passé de tueries
politiques; les inondations qui chassent des rives du fleuve les gens qui y vivaient, dévoilent la
corruption du pouvoir; le bref épisode de la vache morte qui empuantit le village, permet de signaler
le chômage et la misère qui accablent un secteur de cette société injuste. Tout comme l'affaire des
placards, ces faits en eux-mêmes symboliques dévoilent le malaise dont souffrent le village et le
pays; s'ajoutant les uns aux autres, ils sont la preuve que les choses ne peuvent plus durer, le signe
qu'une rupture est imminente.
Il est d'ailleurs symptomatique que la première et la dernière scène du livre aient été conçues en
parallèle. Quand s'ouvre le roman, le père Angel voit, de la porte de l'église, « el mecanismo del
pueblo funcionando a precisión » ; à la fin, au contraire, c'est un petit cataclysme que lui raconte
Mina :
Parece que se volvieron locos buscando hojas clandestinas. Dicen que levantaron el entablado de
la peluquería, por casualidad, y encontraron armas. La cárcel está llena, pero dicen que los
hombres se están echando al monte para meterse en las guerrillas (p. 202).
Ce parallélisme dans la construction permet à García Márquez un effet assez remarquable : le récit
ne s'achève pas. En effet la dernière phrase laisse le lecteur en suspens :
Mina también se detuvo, con la caja vacía bajo el brazo, e inició una sonrisa nerviosa antes de
terminar la frase, (p. 203).
Si l'on se réfère au premier chapitre, on croit comprendre que les affiches sont toujours là et qu'elles
continuent, au milieu du chaos, à dénoncer des turpitudes cachées. Ces affiches avaient annoncé
cette nuit de colère; elles semblent encore présentes, comme un sarcasme, comme pour affirmer
qu'il ne sert à rien de noyer une révolte dans le sang. Cette probable réapparition ultime permet de
ne pas minimiser le rôle qu'ont joué ces feuilles furtivement collées aux murs et aux portes. Elles ont
servi de catalyseur aux passions de l'intrigue, comme à l'intérêt de la lecture. Le succès durable du
roman policier est là pour nous rappeler la valeur de l'énigme comme élément dynamique de la
narration. Cependant, on ne saurait
 
G. GARCÍA MÁRQUEZ : L'ÉCRIVAIN ET LA POLITIQUE 69
reprocher à l'écrivain de laisser volontairement cette énigme sans solution. Si ces affiches avaient
un auteur, si l'identité de cet auteur nous était révélée, le roman n'aurait plus de raison d'être (13).
Nous avons évoqué la surprise du père Angel lorsque la confession impromptue qu'il impose à
Trinidad lui révèle les laideurs morales de sa paroisse. Le curé est pourtant un zélé censeur des
coutumes. La censure cinématographique (carillon et surveillance de l'entrée du cinéma) en est
l'aspect le plus visible; il oblige aussi les femmes à porter des manches longues et combat le
concubinage. Dans les premières pages du roman (en particulier lors de sa conversation avec les
dames patronnesses), il se montre convaincu que ses efforts ont été récompensés :
Dentro de pocos años, iré a decirle al prefecto apostólico : ahí le dejo ese pueblo ejemplar, (p. 48).
Les affiches ne l'inquiètent guère au début; il dira même, quelques jours plus tard, au médecin qui le
questionne :
No pienso en ellos (los pasquines). Pero si usted me obligara a hacerlo, le diría que son obra de la
envidia en un pueblo ejemplar, (p. 104).
La réaction ironique du médecin va l'inquiéter, et la confession de Trinidad lui apportera la
confirmation qu'il redoutait : son travail — dix-neuf ans de sa vie — a été vain. En effet, les
spectateurs rentrent au cinéma par une porte dérobée; les femmes mettent des manches amovibles
à leur robe avant d'aller à la messe; enfin, García Márquez nous montre que les liaisons illégitimes
existent toujours, sans que la confession ait permis au prêtre de le savoir. Ainsi que l'affirme le
médecin, les secrets dévoilés par les placards doivent être presque tous vrais. Le père Angel a
échoué.
On peut en dire autant pour l'autre grand personnage du roman : l'alcade. Les massacres
d'autrefois, l'affectation de libéralisme des deux dernières années n'ont servi à rien : dans la dernière
scène du roman, on apprend par Mina que la lutte reprend de plus belle. C'est d'ailleurs une
caractéristique du roman. Aucun personnage n'est, à vrai dire, un acteur. Certains ne sont que des
témoins. Les autres sont plutôt passifs, dans la mesure où leur activité se limite à essayer
d'empêcher les événements. Ils n'y parviennent plus; des forces longtemps comprimées vont
éclater.
(13) Ernesto Volkening (A propósito de « La mala hora », in Eco, Bogotá, n° 40, 1963, pp. 294-304)
estime que la solution Fuenteooejuna n'est qu'une solution de désespoir pour l'auteur engagé dans
une impasse ; on trouve le même reproche dans l'étude de Luis Harss, o.c, et dans l'article de José
Miguel Oviedo, o.c.
 
70 C. de CARAVELLE
Ce fait échappe à l'attention, du moins pendant un certain temps, parce que l'affaire des placards
nous est imposée dès le début de façon très brutale : la deuxième scène du roman est l'histoire d'un
crime qui vient dérégler le mécanisme du village. Après avoir trouvé une affiche sur sa porte, César
Montero tue le musicien Pastor, amant présumé de sa femme. Le meurtre est d'autant plus frappant
qu'il est exécuté de façon très froide, comme il paraît impossible que soit commis un crime
passionnel. La conséquence funeste de l'apparition de cette première affiche est trop grave pour
que l'on ne confère pas une importance capitale à son origine mystérieuse. L'attention des habitants
du village est détournée vers cette origine, comme l'est momentanément celle du lecteur. En nous
entraînant sur cette fausse piste, le romancier peut ainsi nous faire pénétrer peu à peu la réalité du
village où les drames des années précédentes ont laissé des traces profondes, presque des
habitudes; il évite ainsi un retour en arrière systématique. Le premier chapitre du roman comporte
un certain nombre de touches rapides qui ne prennent leur sens qu'en s'ajoutant et en se
complétant. Lorsque l'alcalde répond au curé accouru après le meurtre :
No se preocupe, padre, que no le va a pasar nada (a César Montero) (p. 18),
nous ne soupçonnons pas encore que, jusqu'alors, la justice expé- ditive était la règle dans le
village. La réaction du médecin convoqué pour l'autopsie :
Evidentemente, esto es un gran progreso (p. 19), celle du juge, appelé pour le constat : ¿Y de
dónde le salió esta novelería ? (p. 20),
éclairent un peu cette première donnée furtive. Vers la fin du chapitre, une remarque du prêtre
permet de deviner que l'usage des armes à feu est trop répandu dans ce pays :
El padre Angel vio entonces que no era un revólver sino una linterna de pilas lo que llevaba (el
empresario del salón de cine) en el cintu- rón. (p. 24).
Peu après, on apprend que le respect des morts (le respect de la vie humaine) est un fait inusité;
l'alcade et la politique ne sont pas étrangers à cet état de choses :
— Pero dar cine hoy — dijo (el padre) — es una falta de consideración habiendo un muerto en el
pueblo. También eso hace parte de la moral.
 
O. GARCÍA MÁRQUEZ : L'ÉCRIVAIN ET LA POLITIQUE 71
El empresario lo miró.
— El año pasado la misma policía mató un hombre dentro del cine, y apenas sacaron al muerto se
siguió la película.
— Ahora es distinto — dijo el padre — , el alcalde es un hombre cambiado.
— Cuando vuelva a haber elecciones volverá la matanza — replicó el empresario exasperado — .
Siempre, desde que el pueblo es pueblo, sucede la misma cosa. (p. 25).
Ce n'est qu'au début du deuxième chapitre que tout s'éclaire. On apprend que le prédécesseur du
juge Arcadio a été assassiné dans son bureau par les policiers eux-mêmes.
Y todo porque dijo en una borrachera que él estaba aquí para garantizar la pureza del sufragio, (p.
31).
Si l'énigme des affiches suit son cours, il ne faut pas ignorer qu'elle doit être replacée dans un
ensemble plus vaste où les règles d'une politique sanglante déterminent la vie et la mort. Dans la
suite du roman, les détails sont nombreux qui précisent le cadre ainsi fixé. Les conversations où de
tels détails apparaissent, révèlent en outre une exaspération des esprits qui finira par prendre la
forme de feuilles de propagande clandestine, aboutissement élaboré et enfin conscient des affiches
du début (I4). Dans ce cas également, ce n'est que progressivement que le contenu de ces feuilles
nous est révélé. C'est la capture de Pepe Amador, un jeune homme surpris pendant qu'il distribuait
des tracts, qui fait rebondir le roman jusqu'alors engagé dans l'insoluble énigme des affiches et en
démasque le vrai sujet; cette arrestation réveille les violences : il s'agissait seulement de la fin d'une
trêve.
Cet aboutissement, peu satisfaisant en apparence, s'explique par le fait que le seul véritable acteur
agit dans l'ombre : il s'agit du peuple opprimé et humilié, mais prêt à se rebeller. En réalité on ne le
voit guère, et il semble le plus souvent passif. Ainsi Pepe Amador, dont la mort, au dernier chapitre,
répond à celle de Pastor (qu'elle
(14) II faut tenir compte de cette continutité : le passage de l'affiche anonyme et calomnieuse au
tract clandestin et politique est une preuve de l'unité de La mala hora. Dans cette progression, tout
se passe comme si l'écrivain et le lecteur devaient prendre peu à peu conscience de la nature
politique des faits racontés. Ce trait est ignoré dans les critiques consacrées à La mala hora
auxquelles nous avons pu avoir accès. Comme dans les articles déjà cités, Mario Benedetti
(chapitre García Márquez o la vigilia dentro del sueño du livre Letras del continente mestizo, Ed.
Arca, Montevideo, 1967), Hernando Téllez (Gabriel García Márquez : « La mala hora » in
Cuadernos, Paris, n° 81, 1964, pp. 87-88) et Emmanuel Carballo (Gabriel García Márquez : un gran
novelista americano, in Revista de la UNAM, México, n° 3, 1967, pp. 10-16) ne tiennent pas compte
de cette relation et considèrent les placards comme un prétexte, ou un élément parmi d'autres.
 
72 C. de CARAVELLE
complète et « explique » ) , est l'image même de la soumission superficielle et de la rébellion
profonde. Il est d'abord un prisonnier résigné, puis une loque meurtrie par la torture, enfin un
cadavre recroquevillé, singulièrement discret à tout moment, mais inébranlable dans ses convictions
puisqu'il meurt sans avoir révélé les filières de la propagande subversive : l'exemple même de
l'héroïsme authentique. Sa mère n'apparaît que trois fois; sanglotant d'angoisse quand son fils est
prisonnier, hurlant de douleur quand se répand la nouvelle de l'assassinat, elle n'est rien d'autre
qu'une femme qui pleure, profondément passive donc, mais incapable d'oublier et de pardonner. Ce
sont là des moments tragiques où sont dissipés les doutes sur la nature réelle de la crise qui va se
dénouer. De la même façon, lorsque l'évidence apparaît, après l'arrestation de Pepe Amador, et que
l'alcade arme à nouveau les trois criminels de sa petite brigade de gendarmerie, la seule image que
l'auteur nous donne des réactions populaires est une image statique : en compagnie du père Angel,
la famille de Mina commente cette décision avec une tranquillité qui pourrait sembler de la passivité
s'il n'y avait dans ces propos une sereine mais pénétrante clairvoyance : on est revenu au temps
des crimes. Seule l'imminence du danger donne à l'attitude de cette famille une nuance de gravité,
mais elle est, au fond, proche de la réaction qu'avaient eue tous les villageois quelques jours plus tôt
en apprenant que, pour en finir avec les affiches, l'alcade avait décidé de réinstaurer le couvre-feu et
d'organiser des rondes de civils armés :
... El temor no era el sentimiento dominante. Había más bien una sensación de victoria colectiva por
la confirmación de lo que estaba en la conciencia de todos : las cosas no habían cambiado, (p.
141).
Cette confirmation venait récompenser la rancune tenace de la majorité, qui se manifestait déjà
chez les plus humbles, ainsi qu'avait pu le constater le curé :
Aquella tarde, el padre Angel observó que también en la casa de los pobres se hablaba de los
pasquines, pero de un modo diferente y hasta con una saludable alegría, (p. 104).
Il s'agit donc surtout d'une tension cachée, d'une attitude de résistance. Cette attitude apparaît lors
de la reconstruction du quartier des pauvres, dont l'alcade saura tirer un profit substantiel par la
suite. Dans une scène intense de violence rentrée, une femme dans laquelle s'incarnent toutes les
haines accumulées par les victimes, insulte froidement l'alcade qui s'est « invité » à déjeuner chez
elle. Au cours d'un dialogue très sec, esquivant le regard de son hôte, elle exprime une rancune et
un mépris lourds de toutes les menaces.
 
O. GARCÍA MÁRQUEZ : L'ÉCRIVAIN ET LA POLITIQUE 73
Después sirvió en un mismo plato un pedazo de carne sancochada, dos trozos de yuca y medio
plátano verde, y lo llevó a la mesa. De un modo ostensible, puso en aquel acto de generosidad toda
la indiferencia de que era capaz. El alcalde, sonriendo, buscó con los suyos los ojos de la mujer.
— Hay para todos — dijo.
— Quiera Dios que se le indigeste — dijo la mujer.
— ¿ Hasta cuándo van a seguir así ? — preguntó el alcalde. La mujer habló sin que se alterara su
expresión apacible.
— Hasta que nos resuciten los muertos que nos mataron.
— Estamos tratando de hacer un pueblo decente.
La mujer recogió la ropa limpia en el alambre y la llevó al cuarto. El alcalde la siguió con la mirada
hasta escuchar la respuesta :
— Este era un pueblo decente antes que vinieran ustedes, (p. 77).
C'est dans ce monde, bien sûr, que se prépare la révolte; c'est à ces pauvres que s'adresse la
propagande clandestine, c'est de là que sortent les hommes qui, à la fin du roman, prennent le
maquis.
Mais aucune action n'apparaît dans le livre. Il est remarquable que García Márquez ait pu écrire le
roman d'une révolte sans jamais montrer un acte effectif, en consacrant si peu de pages, et des
pages si immobiles, au seul véritable acteur (15).
Si l'on considère quels sont les personnages dont s'occupe le romancier, on voit que ce sont ceux
qui dominent le village. D'abord les autorités : le père Angel, autorité spirituelle, et l'alcade, autorité
temporelle. Le juge Arcadio est extrêmement effacé : il n'est que le représentant d'une institution
que les circonstances ont mise en sommeil. Derrière le curé et l'alcade se trouvent les familles
puissantes, les aristocrates terriens d'une autre époque : les Asís, et quelques autres familles dont il
n'est guère question, mais où se recrutent aussi les dames patronnesses; une demi-douzaine de
familles que la veuve Asís, une Mamá Grande démythifiée, confond avec le village même. Aussi
riches, mais moins respectés, sont les parvenus comme don Sabas ou les Montiel : le premier,
ancien opposant, a trahi sa cause pour collaborer avec le défunt Chepe Montiel et
(15) Emmanuel Carballo ne relève pas la distinction qui peut s'établir entre les diverses catégories
de personnages qui figurent dans le roman ; c En La mala hora no hay héroes particulares, sino un
héroe colectivo, los habitantes de esta aldea, a los que uno por uno ilumina en determinado
momento, y a los que después deja que sigan viviendo en las tinieblas * (o.c). Cela revient à effacer
les antagonismes sociaux qui sous-tendent le roman et à faire de La mala hora l'image d'une simple
crise morale.
 
74 C. de CARAVELLE
l'alcade au moment des persécutions; don Sabas et Montiel se sont ainsi emparés aisément des
biens de ceux que la police assassinait ou proscrivait. Ce sont des caciques brutaux : Chepe Montiel
faisait rosser ceux qui osaient s'opposer à lui; don Sabas achète pour quelques pesos des jeunes
filles qu'il jette à la rue quand elles ont cessé d'être à son goût. Mais cette richesse et ce pouvoir
sont récents, et don Sabas doit acquitter certains « impôts municipaux » que l'alcade invente et fixe
à son gré. Encore proches de leur point de départ, ces caciques sont plus vulnérables, mais sont
aussi d'autant plus haïs du petit peuple. Les autres personnages sont moins riches, mais n'en font
pas moins partie des classes favorisées. Le médecin, le dentiste, disposent de bonnes ressources; il
faut remarquer cependant que leurs idées en font des opposants discrets ou déclarés : le docteur
Giraldo diffusait autrefois la propagande clandestine; le dentiste continue à le faire, et il est le seul
opposant à ne pas avoir quitté le village malgré des menaces de mort (16).
L'anecdote des affiches permet à García Márquez de souligner cette division en classes. Tous ces
personnages se définissent par rapport aux placards, qu'ils soient mis en cause par l'un d'eux ou
qu'ils redoutent que cela se produise. Les dames patronnesses s'en inquiètent vivement, et García
Márquez nous fait assister au drame familial que provoque l'une de ces affiches chez les Asís. Dans
une conversation avec le père Angel qui la presse de régulariser sa situation, la concubine du juge
dit :
... Hago todas mis cosas a la luz del día. La prueba es que nadie se gasta su tiempo poniéndome
un pasquín, y en cambio a todos los decentes de la plaza, los tienen empapelados, (p. 81).
Les parvenus sont également attaqués par les affiches, mais don Sabas ne s'en soucie guère : le
désir de décence ne saurait affecter ce fondateur de lignée, fier de sa virilité; dans son cas, la seule
attitude concevable est le cynisme. Il est révélateur que, parmi les personnages que l'on pourrait
situer dans les classes moyennes, seul l'intègre Carmichael ait trouvé une affiche sur sa porte un
certain matin : son honnêteté ne l'a pas mis à l'abri de l'insulte car il est un trop zélé serviteur de la
fortune des Montiel. Il semble bien que, parmi les gens respectables, seuls échappent à l'insulte
ceux qui veulent remettre en question un ordre injuste. Ces affiches ne sont
(16) Les rapports du dentiste et de l'alcade sont assez longuement détaillés dans le roman,
contrairement à ce qui se passe dans le très bref conte Un día de estos du recueil Los funerales de
la Mamá Grande, où le sous-entendu constitue le procédé essentiel. Il serait intéressant d'étudier en
parallèle les traitements différents que donne GGM à la scène de l'extraction de la dent cariée.
 
O. GARCÍA MÁRQUEZ : L'ÉCRIVAIN ET LA POLITIQUE 75
donc pas placées au hasard : elles expriment le ressentiment populaire; elles sont la première forme
de revanche du petit peuple opprimé. Preuve supplémentaire qu'on ne peut reprocher à Garcia
Márquez son explication du type de Fuenteovejuna pour l'énigme des affiches. La devineresse d'un
cirque de passage affirme justement :
— Es todo el pueblo y no es nadie, (p. 149).
Dans ce contexte, les faits et gestes du père Angel prennent une nuance bien particulière si on les
dépouille de leur possible sens religieux et moral. On peut dire qu'il est le défenseur des
propriétaires traditionnels. D'abord peu sensible aux inquiétudes exprimées par les dames
patronnesses, il finit par se rendre aux raisons de la veuve Asís qui craint qu'une affiche mettant en
doute l'honneur conjugal de l'un de ses fils ne provoque une tragédie. Pour satisfaire la veuve, le
père Angel promet de prononcer un sermon sur le thème des placards. N'est-ce pas elle qui
subvient à la nourriture du prêtre ? Les règles qui régissent leurs rapports sont d'ailleurs mises en
lumière lors du sermon : mal à l'aise, le père Angel tient des propos trop confus au goût de la veuve
qui le sanctionne en quittant l'église de façon spectaculaire, suivie de tous ses fils. Plus tard, une
indiscrétion du postier permet de supposer qu'elle sollicite la mutation de ce curé trop mou à son
gré. Plus significative encore est la seule initiative importante que prenne le père Angel au cours du
roman. Il avait accepté de prononcer le sermon sans croire à sa necesité, mais la confession de
Trinidad l'en a convaincu. Cependant, il ne s'en tient pas là, et s'adresse à l'alcade pour lui
demander d'agir. L'alcade décide alors le rétablissement du couvre-feu. Ainsi le père Angel est-il
responsable de la sortie des fusils dans le village; anodine au début, cette sortie des fusils finit par
avoir des conséquences sanglantes (17). La fin du livre est claire sur ce point : le père Angel
n'entend pas (ne veut pas entendre) les fusillades de la dernière nuit :
Durmió como un santo. Oyó, en el silencio de la queda, los susurros emocionados, las tentativas
preliminares de las cuerdas templadas por el hielo de la madrugada, y por último una canción de
otro tiempo, (p. 201).
(17) Ces fusils fournissent d'ailleurs au romancier l'occasion de faire une très discrète allusion au
rôle des Etats-Unis dans la vie nationale : « El peluquero encendió un cigarrillo y examinó el fusil a
la luz del fósforo. Era un arma nueva — Es made in usa — dijo » (p. 147). Cette discrétion serait à
comparer avec la clarté de la mise en cause contenue dans Cien años de soledad, lors des
péripéties dues à la présence de la compagnie bananière.
 
76 C. de CARAVELLE
Les nuits précédentes, comme tous les habitants du village, le curé avait entendu les bruits de
bottes des rondes policières; mais voici qu'il entend les préparatifs d'une sérénade que les
circonstances rendent rigoureusement impossible : le mot « queda » figure dans la phrase pour le
rappeler. Constatant l'échec de sa mission, le père Angel a réagi en contribuant, coûte que coûte, au
rétablissement de l'ordre, pour ensuite ignorer les conséquences de ses actes. L'argument qu'il avait
employé pour convaincre l'alcade d'abord réticent, était révélateur :
— Se trata, si así se puede decir — culminó — , de un caso de terrorismo en el orden moral, (p.
130).
C'était dépasser les vœux des nantis du village. Car la veuve Asís n'aurait jamais entrepris une telle
démarche. Les aristocrates locaux ne veulent pas se compromettre avec celui qui n'est qu'un
exécutant peu décoratif et dangereux :
— Acuérdate que una cosa es cuidar el pellejo y otra cosa es saber guardar las distancias (p. 171).
dit la veuve à l'un de ses fils qui a invité l'alcade chez elle. Il n'y a pas de complicité avec le policier
(cela différencie les Asís de don Sabas), mais il existe une identité de vues entre les membres de
cette classe et le pouvoir que représente ce gendarme impitoyable. En effet, avant même que
l'alcade ne soit devenu familier au lecteur, un des dames patronnesses en visite au presbytère
déclare au père Angel :
— Además pensamos que el país se está recuperando y que esta calamidad de ahora (los
pasquines) puede ser un inconveniente, (p. 48).
Cette phrase contient le thème constant des propos politiques que l'alcade tient à plusieurs reprises
par la suite.
Celui-ci a d'autres activités, de même que le père Angel, outre ses initiatives « sociales », accomplit
tous les devoirs que lui impose sa condition de prêtre. Mais les activités annexes de l'alcade
éclairent un autre aspect de cette société. Peu avant les dernières élections (18), investi de pouvoirs
absolus, il est arrivé au village pour en éliminer tous les opposants au régime d'alors. Il a rempli sa
mission par la violence, avec l'aide de trois criminels transformés
(18) II s'agit des élections qui assurèrent la permanence du parti conservateur au pouvoir en 1950,
selon la chronologie du roman, conforme à celle de l'histoire du pays.
 
G. GARCÍA MARQUEZ : L'ÉCRIVAIN ET LA POLITIQUE 77
en gendarmes. Ce temps est passé; du moins s'efforce-t-il de le faire croire en servant avec une
diligence ostensible le nouveau pouvoir instauré entretemps. Mais après avoir imposé une certaine
politique par la terreur, il veut profiter de l'espèce de paix qui s'est établie, et essaie de s'enrichir.
N'ayant pas prise sur les fortunes les plus anciennes, il s'efforce de soutirer de l'argent aux
nouveaux riches et à tous ceux qu'il peut rançonner sans risque, ou d'utiliser ses pouvoirs pour se
livrer à des combinaisons profitables. Toutes ses initiatives tendent vers ce but. Il affame César
Montero, après son meurtre, pour le convaincre de verser un lourd tribut; on comprend qu'en
échange il ne le livrerait pas à la Justice. Aux pauvres gens chassés par l'inondation il donne un
terrain municipal, pour prouver ensuite que ce terrain lui appartient personnellement et empocher le
dédommagement de l'expropriation. Il exige des entrepreneurs de spectacles des impôts
municipaux d'un genre très personnel; il décidera même d'exproprier le patron du cinéma. Les vols
de bétail commis par don Sabas aux dépens de la veuve Montiel lui sont une source de revenus
substantiels (impôt et non amende). Il tentera enfin de s'emparer gratuitement de l'héritage de
Chepe Montiel. La sauvagerie de son action de la dernière nuit — spontanée et non plus conforme à
des ordres reçus — s'explique autant par l'intérêt qu'il a à maintenir cette paix factice que par
l'habitude de la violence. La corruption du pouvoir, à tout moment présente, vient ainsi compléter
cette image d'une société déséquilibrée.
La nature de l'argument est donc clairement politique. Le roman montre que par tous les moyens
(religion étouffante, brutalité sanglante) une minorité s'efforce d'assujettir à l'injustice un peuple
vaincu momentanément, mais trop amer pour oublier et assez courageux pour ne pas désespérer.
Cet argument entrainait le recours à un assez grand nombre de personnages. On a reproché à
García Márquez cette multiplicté au nom du dépouillement de El coronel... (19) Mais ce dernier
roman s'attache à des détails plus individuels, à la vie quotidienne d'une victime des aliénations
qu'impose un ordre inique, et remonte d'aileurs fort loin dans le passé historique du pays par le biais
de souvenirs personnels du protagoniste. La mala hora parle de circonstances collectives et ne
pouvait revenir en arrière que modéré-
(19) En particulier Luis Harss, o.c ; voir ainsi une critique plus générale de E. Volkening, A propósito
de « La mala hora », o.c.
 
78 C. de CARAVELLE
ment : une communauté n'a pas la mémoire aussi minutieuse qu'un individu solitaire, et la
conversation (la multiplicité) peut seule lui permettre de reconstituer la vérité avec assez de
précision. En outre, tous les personages qui figurent dans La mala hora ont un rôle à jouer. Ainsi, la
passivité du juge Arcadio est révélatrice de la situation générale; le juge disparaît d'ailleurs dès qu'il
comprend que les violences vont reprendre. De la même façon, le très falot Benjamin permet de
mieux savoir quelles transformations a subies le village. Autrefois il vivait de la rédaction de
réclamations ou de requêtes ; maintenant, il n'a plus rien à faire. Et il n'est pas inutile de savoir que
la femme qu'il aime platoniquement depuis des années est, en secret, la maîtresse d'un des frères
Asís, preuve qu'un homme respectueux des principes n'est pas à sa place dans cette société. La
lente dégradation qu'évoquait El coronel... est très différente du passé de La mala hora où tout est
déterminé par cette période de violences commencée cinq ans auparavant : pour les uns (les
mécontents, la majorité) il y a eu « avant les élections » une époque heureuse, puis « après les
élections » l'époque douloureuse qui dure encore; pour les autres il y a eu la violence — qu'ils ne
cherchent pas à justifier — et la période plus tranquille ouverte par le changement de pouvoir (20).
Les premiers pensent que cette dernière période n'est qu'une accalmie trompeuse, et les faits leur
donnent raison.
On pourrait remarquer ici que l'époque mise en scène par Garcia Márquez est justement celle où il
dut s'exiler pour raisons politiques ; les principaux faits nationaux auxquels il se réfère sont aisément
identifiables si Ton sait déchiffrer les clés qu'il glisse dans ses romans afin de les dater
discrètement. On pourrait donc se demander si García Márquez agit en romancier engagé. Les faits
que raconte La mala hora sont assez forts en eux-mêmes pour donner à deviner l'attitude
personnelle de l'auteur, comme sont assez choquantes certaines phrases que prononcent ses
personnages. C'est le cas lorsque don Sabas évoque sa jeunesse :
Tiempos felices en que una muchachita de dieciséis años costaba menos que una novilla, (p. 103).
(20) On trouve une seule allusion de ce genre dans El coronel... : « El pueblo yacía estragado por
diez años de historia > (p. 84). Il s'agit des dix ans qui ont suivi le retour des conservateurs au
pouvoir en 1946 (encore une fois, c'est au lecteur qu'il appartient de déduire). Si les allusions
historiques ne manquent pas dans El coronel..., elles sont centrées sur les souvenirs familiaux du
vieux protagoniste ; les circonstances collectives n'y occupent jamais toute la place, sauf dans le cas
que nous venons de citer.
 
G. GARCÍA MÁRQUEZ : L'ÉCRIVAIN ET LA POLITIQUE 79
Ou lorsque la veuve Asís affirme sérieusement :
La Divina Providencia está de nuestra parte, (p. 171).
A aucun moment on n'a l'impression, pourtant, de se trouver devant une littérature de dénonciation.
C'est ainsi qu'un texte récent de García Márquez (21), d'autant plus intéressant qu'il ne s'agit pas
d'un texte de fiction, évoque précisément l'histoire de son pays dans les années 1953-55. Il parle de
« la dictadura militar y folclórica de general Gustavo Rojas Pinilla cuyas dos hazañas más
memorables fueron una matanza de estudiantes en el centro de la capital cuando el ejército
desbarató a balazos una manifestación pacífica, y el asesinato por la policía secreta de un número
nunca establecido de taurófilos dominicales que abucheaban a la hija del dictador en la plaza de
toros ». Or on trouve dans La mala hora une allusion au premier de ces incidents :
La viuda (de Montiel) empezaba a sollozar. « Por fortuna mis hijas están lejos >, decía. « Dicen que
no quieren volver a este país salvaje donde asesinan a estudiantes en la calle, y yo les digo que
tienen razón, que se queden en París para siempre >. (p. 94).
Il faut souligner que ce fait n'est pas présenté comme indiscutable dans le cours du récit, mais
évoqué par un personnage qui, en outre, en attribue l'affirmation à d'autres. García Márquez
n'assume pas l'évocation des faits réels : il les fait entrer dans l'expérience de ses personnages (22).
L'écrivain ne s'engage pas.
La matière choisie se prête pourtant à la prédication politique. Mais l'auteur se garde de dire en
termes trop clairs qu'il décrit une situation de crise de société : ce serait nier le roman même. Aussi
l'énigme des affiches ne reçoit-elle pas de solution définitive; aussi le roman s'achève-t-il sur une
scène tronquée : la narration n'a pas le dernier mot. Beaucoup de faits restent mystérieux : les
pluies torrentielles d'octobre, la page de dents de l'alcade ont une apparence de châtiment, et les
conversations que l'auteur saisit ici ou là renforcent cette impression. Le mécontentement populaire
est une explication suffisante pour bien des situations et incidents, mais recourir exclusivement à
cette explication laisserait ignorer l'explosion de ces forces inconnues qui ne cessaient de multiplier
les signes.
(21) Prologue, rédigé en février 1970, à Relato de un náufrago, o.c, reportage réalisé en 1955 pour
le compte de El Espectador de Bogotá.
(22) C'était la même démarche à propos du fait, déjà signalé, de l'utilisation de criminels comme
gendarmes (cf. n. 10). Cette fusillade, dont plusieurs étudiants furent les victimes, eut lieu à Bogotá
le 9 juin 1954 ; cf. Germán Guzman, o.c, p. 159.
 
80 C. de CARAVELLE
Tel est le rôle que l'on peut assigner aux souris : elles rongeaient l'église et se prenaient
nombreuses aux pièges que plaçait Trinidad ; mais elles se font plus rares à l'approche de la
dernière nuit, et il n'y en a pas une seule dans les pièges quand se lève le dernier matin : les leurres,
tous les leurres, sont devenus inefficaces. De tels détails ont plus d'importance aux yeux du
romancier que tous les incidents qui ont pu se produire à Bogotá ou ailleurs au cours de ces années
troublées. C'est que la réalité est trop énigmatique, trop respectable en un sens, pour fournir
seulement le motif d'un pamphlet.
On peut en trouver la preuve dans la sorte de fascination que ses personnages exercent sur García
Márquez (23). Le lecteur est tenté parfois de se référer à certaines catégories de romans hispano-
américains antérieurs et aux personnages qui y évoluent, mais le texte ne présente en réalité aucun
type déjà défini; on n'y trouve que des individus. Don Sabas est peut-être un cacique comme
beaucoup d'autres, mais il apparaît surtout comme un vieil obèse libidineux, martyrisé par un
diabète qu'il soigne avec application. Dans le cas du père Angel et de l'alcade, on pourrait penser à
ces couples que constituent, dans bon nombre de romans, les curés et les tyrans villageois, et voir
dans La mala hora une image de plus de la collusion, si souvent dénoncée, du clergé rural et des
despotes locaux; ou une image de plus de l'incapacité des prêtres à faire respecter par les caciques
les normes de la morale chrétienne. Si nous nous en tenons aux actes qui comptent dans la
progression du récit, il est vrai que le père Angel essaie d'agir comme garde-chiourme d'une morale
étriquée, et qu'il est complice du déchaînement de la dernière nuit. García Márquez ne cherche pas
plus à escamoter le fait qu'à le dénoncer. C'est que le curé ne cesse pas d'exister en dehors de ses
initiatives malheureuses. Il est profondément affligé par la mort de Pepe Amador. L'auteur le suit
dans ses promenades, note ses sensations et reste attentif à ses réflexions solitaires, à ses
moments de doute et aux souvenirs amers que sa conscience tourmentée suscite pendant ses nuits
d'insomnie. Ses rapports avec l'alcade peuvent rappeler les archétypes évoqués plus haut; mais ils
sont traités avec beaucoup de nuances : toujours déçu, le curé ne perd jamais l'espoir de voir
l'alcade s'améliorer et renoncer définitivement à ses exactions. Les propos que tient le père Angel
au chef politique varient singulièrement dans le ton; le registre dont se sert Garcia
(23) Nous sommes ici en désaccord avec Hernando Téllez, o.c. : « ¿ Qué falta en este libro ? Tal
vez una dimensión de profundidad, de espesor, cierta trascendencia de los caracteres, cierto relieve
más hondo de los personajes, una actitud más amorosa del autor con ellos mismos... »
 
G. GARCÍA MARQUEZ : L'ÉCRIVAIN ET LA POLITIQUE 81
Márquez dans ces conversations est d'une grande richesse : le curé parle parfois sévèrement, ou
avec une réserve polie, ou même avec une note de cordiale gaîté. Rapports professionnels en
quelque sorte, qui n'excluent pas des notations beaucoup plus intimes où Garcia Márquez, effaçant
toute perspective sociale, dépassant les stéréotypes de la tradition littéraire, plonge tout à coup au
fond même des êtres :
El alcalde trató de torcerle el cuello a la botella. El padre Angel lo vio pasearse de un extremo a otro
del cuarto, aplomado y esbelto, sin ningún signo de madurez física, y experimentó un definido
sentimiento de inferioridad, (p. 128).
De la même façon, bien que l'alcade soit un assassin et un prévaricateur, García Márquez
n'épilogue jamais sur ces traits qui ne sont que des aspects en quelque sorte extérieurs au
personnage lui- même. L'alcade n'est jamais vu comme odieux (24). Honnêtement l'écrivain
s'efforce de voir ce qui se passe chez sa créature, sans donner une interprétation trop clairement
définie en termes « sociaux », qui pourrait n'être qu'arbitraire et fausse. Lorsque naît dans l'esprit de
l'alcade l'idée d'un enrichissement illicite, il est remarquable que García Márquez ne le dise pas (ne
le dénonce pas ) ; seule l'intéresse la façon dont se met en marche et fonctionne le mécanisme
mental du personnage. Ainsi lorsque l'alcade aperçoit tout le profit qu'il pourra tirer de l'exode dû aux
inondations, nous apprenons seulement qu'une idée naît et se développe, et percevons tout au plus
son cheminement fugitif :
El hombre le explicó que estaban trasladando la casa a terrenos más altos. El alcalde preguntó
adonde la habían llevado y el hombre señaló hacia el sur con el sombrero :
— Por allá arriba, a un terreno que nos alquiló don Sabas por treinta pesos.
El alcalde examinó los muebles. Un mecedor desarticulado, ollas rotas : cosas de gente pobre.
Reflexionó un instante. Finalmente dijo :
— Llévense esas casas con todos sus corotos al terreno que está desocupado junto al cementerio
(...). Son terrenos del municipio y no les cuestan nada.
Il agira de même avec le propriétaire du cinéma qui lui propose de lui vendre son affaire :
(24) On peut d'ailleurs noter avec quelle curiosité GGM relève l'aspect enfantin des trois criminels de
la gendarmerie. Il en va de même lorsque, dans El coronel..., le vieillard est tenu en joue par le
soldat qui a tué son fils quelques mois plus tôt.
 
82 C. de CARAVELLE
— Es claro : a usted no le vendría el cura con el cuento de los toque- citos.
El alcalde reflexionó antes de responder :
— Me suena — dijo.
Pero no se dejó concretar, (p. 107).
Ce n'est que plus tard que l'on comprend qu'il a alors décidé l'expropriation. Définir ce qui se passe
alors comme un trait de corruption administrative équivaudrait à renoncer à une vérité modeste
certes, mais aussi passionnante que la vie elle-même. Saisir ainsi l'infime instant où se forme une
idée, voir comment fonctionne ce mécanisme mystérieux, telle est la curiosité qui tourmente
l'écrivain.
C'est également à un mystère que s'attache García Márquez quand il observe le comportement de
l'alcade à l'égard des femmes. Il y a une indifférence évidente aux charmes féminins, ainsi que l'on
pouvait le déduire de la scène du restaurant. Mais cette indifférence semble bien ne pas gêner
l'alcade, comme l'indique sa réaction à l'invite de Casandra, la devineresse du cirque :
Cuando dieron las doce, ella se tendió bocabajo en la hamaca, extendió hacia él un brazo adornado
con un juego de pulseras sonoras y le pellizcó la nariz.
— Es tarde, niño — dijo — . Apaga la luz. El alcalde sonrió.
— No era para eso — dijo. Ella no comprendió.
— ¿ Sabe echar la suerte ? — preguntó el alcalde, (p. 108).
Cette aisance pourrait exclure l'hypothèse de l'impuissance, mais l'alcade reste tout à fait ambigu
dans la mesure où il apparaît tantôt sensible à la silhouette d'un homme :
César Montero inició el laborioso proceso de incorporarse. Cuando estuvo en pie, al alcalde se vio a
sí mismo : minúsculo y triste frente a una bestia monumental. Hubo una especie de fervor en la
mirada con que lo siguió hasta la ventana, (p. 85).
et tantôt ému par une femme :
Protegiéndose los ojos con las manos, la mujer se retorció quejumbrosamente, y él sufrió un
instante con sus uñas color de plata y su axila depilada.
Ce doute contribue à rendre plus réelle l'existence du personnage; mais cette absence de preuve
définitive en faveur de telle ou telle interprétation sert surtout à établir sa solitude : l'alcade ignore les
sentiments :
 
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... Casandra puso el naipe.
— ¿ Amor o negocios ? — preguntó. El alcalde se secó el sudor de las manos.
— Negocios — dijo. (p. 108).
Cette solitude avait été matérialisée passagèrement par la rage de dents du début. C'est le stigmate
des personnages de García Márquez, et particulièrement de ceux qui jouissent d'un certain pouvoir
politique (25). Ce tyran a des faiblesses, mais elles ne sont marquées d'aucune médiocrité. Il n'y a
pas de personnage négatif pour García Márquez.
A cet égard, il faut remarquer avec quelle minutie le romancier suit le réveil de ses personnages. Il
accorde beaucoup de prix à ces moments où ils accèdent à la conscience. Ces instants ambigus
sont analysés avec finesse; ainsi cette seconde où l'alcade agit avec une très grande précision sans
être encore conscient de ce qu'il fait :
El alcalde desenfundó el revolver con un instantáneo movimiento de la mano izquierda. Hasta el
último músculo de su cuerpo estaba listo para disparar cuando despertó por completo y reconoció al
juez Arcadio. (p. 158).
Par de tels détails, García Márquez dépasse les subtilités artificielles de la psychologie romanesque,
et confère à ses personnages un poids, une réalité qui est celle de l'existence même. Ses
personnages sont vrais parce qu'ils oscillent entre la conscience et le sommeil, entre le souvenir et
l'oubli, entre la sensation et la léthargie. Ils oscillent entre l'existence et le néant (26). Cette
existence est ressentie avec d'autant plus de force qu'elle paraît plus précaire et menacée. La façon
dont elle est suggérée, la façon dont son mystère est sondé, suffiraient à justifier l'œuvre :
El padre Angel se incorporó con un esfuerzo solemne. Se frotó los párpados con los huesos de las
manos, apartó el mosquitero de punto y permaneció sentado en la estera pelada, pensativo un
instante, el tiempo indispensable para darse cuenta de que estaba vivo (p. 7) (27).
(25) Peut-être est-ce là qu'il faut chercher l'unité thématique de l'œuvre de GGM, plutôt que dans un
hypothétique cycle de Macondo. Il est intéressant de constater que le personnage de l'alcade
occupe une place prépondérante dans le livre ; et que le seul retour en arrière le concernant porte
sur son arrivée au village : il se demandait alors avec angoisse comment il ferait pour s'imposer.
(26) Sur le réveil, cet aspect apparemment exigu de la vie quotidienne, GGM varie ses effets avec
bonheur, par exemple (p. 168) : < Mateo Asís trató de calcular la hora por la posición de los gallos.
Finalmente salió a flote en la realidad ».
(27) Si l'on peut rapprocher La mala hora et El coronel..., c'est autant en fonction de cet aspect que
de coïncidences ou d'analogies dans l'évocation de l'époque et du milieu.
 
84 C. de CARAVELLE
C'est de la même observation inquiète que procède la création de l'atmosphère; nous avons déjà dit
que García Márquez ne prétend pas limiter son lecteur à une interprétation politique des faits, car
les choses ne lui paraissent pas si simples. Si l'auteur accorde tant d'importance aux détails, ce
n'est pas une démarche naturaliste qu'il cherche à suivre : il ne s'agit pas d'illustrer mais de trouver
une autre dimension de la réalité, d'entrevoir un peu mieux la vérité des choses; en témoignent ces
deux pages admirables où Garcia Márquez étend au maximum la durée des huit tintements
d'horloge qui annoncent le début du couvre-feu : on y sent une attention pour toutes choses, qui
renonce seulement lorsque le fait devient si ténu que l'esprit ne peut plus l'appréhender :
El río se detuvo. « En una noche como ésta », murmuró alguien en la oscuridad, en el instante en
que sonó la octava campanada, profunda, irrevocable, y algo que había empezado a chisporrotear
quince segundos antes se extinguió por completo, (p. 145-146).
Le romancier s'arrête au bord de l'abîme et laisse son lecteur devant l'inconnaissable des êtres et
des choses C28).
Ces remarques nous font aboutir bien au-delà de la notion courante d'œuvre engagée. La nature
politique des romans à thème contemporain de García Márquez est indubitable, et surtout celle de
La mala hora, puisqu'il y est question d'une difficile libération, acte politique par excellence. García
Márquez — et l'analyse du roman le démontre clairement — a choisi son camp, comme il a choisi
sans
(28) Ces éléments suffiraient à détruire l'idée assez répandue d'une objectivité pure et simple du
narrateur, aussi bien dans La mala hora que dans El coronel... L'inspiration fantastique du premier
conte publié par GGM (La tercera resignación, consulté par nous dans Letras Nacionales, Bogotá,
n° 20, 1968, pp. 7-15), que l'on trouve aussi dans des écrits vraisemblablement plus récents comme
Alguien desordena estas rosas (in Revista de la UNAM, México, n° 9, 1967, pp. 10-11) est loin d'être
oubliée ici. Il ne manque pas non plus des traits de ce merveilleux dont on s'est plu à souligner le
jaillissement à chaque page de Cien años de soledad, en le présentant comme absolument
nouveau. Les dialogues de la veuve Montiel avec le fantôme de la Mamá Grande (La mala hora, p.
95) devraient inciter à nuancer de tels jugements. D'ailleurs, le ton péremp- toire de certains
passages est tout proche lui aussi des affirmations redondantes du dernier roman de GGM ; ainsi
dans la scène de l'extraction de la dent cariée (La mala hora, p. 69) : « Pasado el momento más
terrible de su vida, el alcalde aflojó la tensión de los músculos y permaneció exhausto en la silla,
mientras los signos oscuros pintados por la humedad en el cartón del cielo raso se fijaban en su
memoria hasta la muerte » (souligné par nous ; à comparer avec le spectacle simplement cruel,
d'épopée minuscule, saisi par le narrateur dans le conte Un dia de estos : « ... vio (el alcalde) el
cielorraso desfondado y una telaraña polvorienta con huevos de araña e insectos muertos »).
 
G. GARCÍA MÁRQUEZ : L'ÉCRIVAIN ET LA POLITIQUE 85
ambiguïté son interprétation des faits historiques Í29). L'homme avait son opinion sur ces faits et
cette opinion a déterminé l'argument du livre. Mais l'engagement de l'homme ne compromet pas
l'écrivain. Celui-ci cherche au-delà des certitudes politiques; l'existence du roman, son intérêt, vient
d'une quête : l'artiste veut savoir quels êtres se cachent sous l'apparence des bourreaux, des
voleurs et des bien-pensants, quelle réalité insaisissable recouvrent des événements douloureux. La
mala hora est le fruit d'une interrogation, d'une inquiétude de l'écrivain devant les hommes et les
faits de son pays et de son temps. Pour García Márquez, la création était une façon de trouver la
réponse à ses propres questions.
(29) Est-il bien utile de préciser que GGM, originaire d'une région traditionnellement libérale, fut en
outre collaborateur d'un journal libéral ? Les haines partisanes n'intéressent pas l'écrivain, et son
lecteur pourra aboutir seul à des conclusions précises qui dépassent de loin les questions de la
politique des partis. Il n'en est pas moins étonnant de constater que ce roman si décidément
politique, nous laisse plus de latitude que Cien años de soledad (que l'on pense notamment au récit
des luttes civiles ou à celui des méfaits de la compagnie bananière), alors que pourtant le recul
historique était à peu près nul, s'il est vrai que la rédaction du livre a été entreprise dès 1957, lors du
séjour de GGM à Paris.
Persée © 2005-2020

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