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Daniel Gile

Regards
sur la recherche en
interprétation de conférence

PRESSES UNIVERSITAIRES DE LILLE


© Presses Universitaires de Lille, 1995
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de
reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage
sans autorisation, de l'éditeur ou du Centre français d'exploi-
tation du droit de Copie.
(6 bis, rue Gabriel Laumain - 75010 Paris)

ISBN 2-85939-470-2 / ISSN 1242-4625


introduction

Dans sa progression vers l'investigation scientifique, la ré-


flexion sur l'interprétation de conférence a suivi depuis sa nais-
sance il y a une quarantaine d'années un chemin tortueux.
Issue de la pratique, et non pas d'une discipline scientifique
mère, elle a pendant longtemps été menée par des personnali-
tés fortes et des intuitions dominantes davantage que par l'ef-
fet cumulatif des résultats d'une recherche au sens plus scien-
tifique. Par ailleurs, cette réflexion était souvent localisée, avec
une communication en pointillé entre les protagonistes, et une
absence marquée d'axes de progression bien définis.
Le tableau résultant est une mosaïque de travaux, de cen-
tres, de chercheurs individuels, de circuits de communication
partiels, d'influences. Dans un important article de D. Gerver
(1976), ainsi que dans plusieurs thèses soutenues depuis les
années 70, on trouve des synthèses partielles des travaux réali-
sés sur l'interprétation, mais aucune tentative d'analyse globale
de la situation ne semble avoir été entreprise jusqu'ici.
Le présent ouvrage se place sur cette toile de fond. Il essaie
de faire une synthèse des principales tendances passées et pré-
sentes en matière de recherche sur l'interprétation, et, sur la
base d'une réflexion analytique, tourne son regard vers l'avenir
avec quelques propositions.
Ce livre se compose de quatre parties : la présentation d'un
cadre d'analyse général (chapitre 1), une analyse 'historique'
(chapitres 2 et 3), cinq présentations thématiques (chapitres 4,
5, 6, 7 et 8), et une réflexion méthodologique et stratégique'
(chapitre 9).
Le chapitre 1 propose un cadre d'analyse à travers une grille
d'observation qui classe en plusieurs catégories les auteurs de
DANIEL GILE

publications et chercheurs, ainsi que les types de textes et


;
démarches de recherche qui se sont manifestés jusqu'ici dans
le domaine de l'interprétation de conférence.
Les chapitrés 2 et 3 sont consacrés à un historique de l'évo-
lution de la réflexion sur l'interprétation. Le chapitre 2 retrace
en grandes lignes l'histoire de la recherche depuis les-années
50 et jusqu'au début de la période de renouveau qui a pris
naissance vers le milieu des années 80. Le chapitre 3 analyse
cette période, dont le mouvement se poursuit actuellement.
Les cinq chapitres suivants abordent successivement cinq
thèmes que nous considérons comme importants dans et pour
la recherche sur l'interprétation, et que nous avons choisis
comme vecteurs pour quelques idées centrales. A u chapitre 4,
nous présentons nos modèles d'Efforts, outils de recherche et
d'enseignement pour l'analyse des difficultés de l'interpréta-
tion, qui illustrent bien la nécessité d'un travail interdiscipli-
naire dans certains secteurs d'investigation, avec d'importantes
questions posées à la psychologie cognitive et à la psycholin-
guistique. En revanche, le chapitre 5, qui analyse les stratégies
et tactiques de l'interprète, est construit à partir d'une observa-
tion de la pratique sans l'apport d'éléments de connaissance
extérieurs. Il illustre à notre sens la possibilité d'arriver à des
résultats non triviaux par une démarche naturaliste (d'observa-
tion sur le terrain sans manipulations expérimentales), donc
accessible à des praticiens ne disposant pas d'un bagage théori-
que. Le chapitre 6 aborde le thème de la qualité du travail, et
montre que, aussi surprenant que cela puisse paraître, ce sujet
essentiel a pendant longtemps été délaissé par les chercheurs,
pour être enfin attaqué de front depuis quelques années seule-
ment. Le chapitre 7 traite de la formation, principale applica-
tion de la recherche sur l'interprétation et principal environne-
ment fournisseur de chercheurs, et met en relief l'absence
remarquable d'une véritable recherche y afférant. Enfin, le
chapitre 8, dernier de cette section thématique, aborde les
questions linguistiques, longtemps rejetées par les chercheurs
en interprétation, et tente de démontrer leur pertinence,
notamment en matière de formation.
Le neuvième et dernier chapitre analyse sur la base des cha-
pitres précédents des questions d'ordre méthodologique, et
propose des strategieß pour l'avenir.
Soulignons que ce livre n'est pas un panorama de la
recherche sur l'interprétation, mais une analyse de cette
recherche. Il ne saurait être exhaustif, d'une part en raison de
difficultés d'accès à des textes, notamment ceux provenant des
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 9

ex-« pays de l'Est », et d'autre part en raison de la rapidité de la


production actuelle des publications sur l'interprétation. On
pourra d'ailleurs suivre cette évolution et disposer ainsi des
éléments bibliographiques les plus récents à travers la revue
triestine The Interpreters Newsletter, qui paraît en moyenne
une fois par an, et à travers le IRTIN Bulletin, qui est préparé
deux fois par an à Paris. Dans cet ouvrage, nous nous concen-
trons sur les tendances de fond, en indiquant des références
qui permettront au lecteur désireux de mieux connaître les tra-
vaux dans des domaines particuliers et de trouver par ce biais
des faits et chiffres plus précis. L a présentation des travaux est
plus détaillée dans les parties thématiques, ainsi que dans la
partie historique portant sur les travaux des chercheurs scien-
tifiques pendant les années 60 et 70, étant donné leur impor-
tance dans l'évolution qui a conduit à la « période des prati-
ciens » et l'accès plus difficile à ces publications.
Notre v œ u est que ce livre puisse aider le lecteur à mieux
connaître et comprendre la situation et la dynamique passées
et présentes de la recherche sur l'interprétation de conférence,
et que, ayant montré l'étendue des possibilités de progression
qui s'offrent, il encourage de jeunes praticiens, ainsi que
d'éventuels chercheurs issus d'autres disciplines qui le liraient,
à se lancer à leur tour dans l'exploration de l'interprétation.
Chapitre 1

La recherche sur l'interprétation :


un cadre général

Le présent chapitre sert d'introduction à l'analyse de l'acti-


vité de recherche sur l'interprétation et aux considérations
méthodologiques qui sont développées dans les chapitres sui-
vants. Il présente un cadre général d'observation de la
recherche en interprétation, en précisant quelques caractéristi-
ques de l'activité d'interprétation de conférence, quelques
aspects problématiques de la recherche sur l'interprétation, et
quelques traits marquant le profil des chercheurs, et introduit
quelques concepts désignant les types de textes et démarches
de recherche qui sont utilisés dans les analyses subséquentes.

1. L ^interprétation de conférence : rappels

Pour mieux situer l'objet des activités de recherche présen-


tées et analysées dans ce livre, i l apparaît intéressant de rappe-
ler les principales caractéristiques de l'interprétation de confé-
rence ainsi que certains traits pertinents des professionnels qui
l'exercent.
L'interprétation de conférence est une activité récente, qui
est née entre les deux guerres mais qui a véritablement pris
son essor après la deuxième guerre mondiale (Herbert 1978).
Si elle concernait pendant les premières années les seules
conférences internationales, et notamment les conférences
tenues au sein des organisations internationales, elle a évolué
depuis pour toucher de nombreux types de réunions interlin-
guistiques : conférences, colloques, séminaires, visites de per-
sonnalités, émissions de radio et de télévision, etc., qui se dis-
12 DANIEL GILE

tinguen! non seulement par leur thème, mais aussi par les flux
d'information qui y interviennent : quantité et technicité de l'in-
formation transmise, échanges ou flux unidirectionnels,
chronologie des flux, etc. (voir une typologie des réunions aux-
quelles interviennent les interprètes de conférence dans Gile
1989b). L'on peut considérer qu'à l'heure actuelle, l'interpréta-
tion de conférence se distingue des autres types d'interpréta-
tion de langue par deux aspects. Par ses modalités fondamen-
tales, qui sont la simultanée, la consécutive et la chuchotée
(voir ci-dessous), et par le niveau de la prestation : en effet,
contrairement aux autres formes d'interprétation, telles que
l'interprétation dite 'de liaison', l'interprétation 'd'affaires' et
l'interprétation 'communautaire' ('community interpreting' ou
'dialogue interpreting' en anglais), l'interprétation de confé-
rence correspond en principe à la substitution d'un discours de
haut niveau formel et conceptuel en langue de départ par un
discours en langue d'arrivée qui le restitue dans son intégralité
au même haut niveau.
La simultanée est un mode d'interprétation où l'interprète,
assis dans une 'cabine', écoute l'orateur à travers un casque' et
restitue son discours dans le microphone en même temps,
avec un décalage moyen de l'ordre de une à quelques
secondes entre le moment de la réception de l'information et le
moment de sa restitution. E n consécutive, l'interprète est assis
dans la même salle que l'orateur. Ce dernier prononce son dis-
cours ou un segment de discours d'au moins quelques phrases
pendant que l'interprète l'écoute, en prenant des notes le cas
échéant. Puis l'orateur s'interrompt pour permettre à l'inter-
prète de traduire son discours en langue d'arrivée ; l'interpréta-
tion terminée, l'orateur reprend son discours, et ainsi de suite.
La 'vraie' consécutive se distingue de l'interprétation de liaison,
qui est la forme d'interprétation la plus générale, par le niveau
théoriquement très élevé de la qualité du discours restitué et
par la longueur des segments que traite l'interprète ; en général
plusieurs minutes à quelque dix minutes, et parfois plus, alors
que dans l'interprétation de liaison, la traduction se fait quasi-
ment phrase par phrase. Enfin, la chuchotée est une simulta-
née sans cabine : l'interprète est assis à côté de son 'client' et
lui chuchote à l'oreille la traduction d'un discours fait en salle
à mesure qu'il l'entend.
Dans la plupart des pays, l'interprétation de conférence n'est
pas réglementée. Il arrive qu'elle soit pratiquée par des traduc-
teurs* par des interprètes de,liaison, mais aussi pa^ des diplo-
mates et autres interprètes occasionnels, surtout en ce qui
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 13

concerne la consécutive, surtout dans les langues rares' pour


lesquelles i l n'existe pas un marché d'interprétation de confé-
rence régulier. E n l'absence d'un contrôle réglementaire de ces
activités, i l est difficile d'évaluer l'importance quantitative de
cette interprétation de conférence occasionnelle ou d'ama-
teurs'. En revanche, on estime à quelques milliers (probable-
ment moins de dix mille) le nombre d'interprètes de confé-
rence professionnels se définissant comme tels. L a plupart
d'entre eux ont leur domicile professionnel dans les pays euro-
péens, surtout en France, en Suisse, en Belgique et dans d'au-
tres pays d'Europe occidentale, mais i l en existe aussi un petit
nombre, de l'ordre de quelques centaines par région, en Améri-
que latine, en Amérique du Nord, en Afrique, en Asie et dans
le Pacifique-sud (où ils ne sont que quelques dizaines). Les
interprètes de conférence professionnels ont également consti-
tué en 1953 un organisme professionnel international, l'AIIC
(Association internationale des interprètes de conférence), qui
en regroupe quelque 3 000, et qui a contribué de manière
déterminante à modeler l'image de la profession dès les années
cinquante, à lui donner une déontologie, et à constituer des
programmes de formation dans des écoles professionnelles.
Ces écoles, par lesquelles passent actuellement la majorité
des candidats à l'interprétation de conférence, sont des établis-
sements d'enseignement supérieur, qui sont le plus souvent
rattachés à une université. Il s'agit d'écoles de traduction et
d'interprétation, mais par commodité, nous les désignerons
comme « écoles d'interprétation », dans la mesure où, sauf indi-
cation contraire explicite, nous nous référons dans cet ouvrage
à la seule interprétation. Notons aussi que contrairement à la
traduction, qui est le plus souvent enseignée dès le premier
cycle universitaire, l'interprétation est généralement enseignée
en troisième cycle (cinquième ou sixième année d'études supé-
rieures — voir Ch. 7).
Les écoles d'interprétation sont très sélectives, et ne décer-
nent le diplôme qu'aux candidats ayant atteint une compé-
tence opérationnelle, c'est-à-dire ceux qui sont en mesure d'in-
terpréter à titre professionnel dès l'obtention du diplôme.
L'expérience montre que la proportion des candidats qui, une
fois admis dans les écoles après sélection, parviennent à ce
niveau, est très faible, souvent inférieure à 25 %. Si upe partie
non négligeable de ces échecs est attribuable à une maîtrise
insuffisante des langues de travail, i l semble indubitable à la
communauté dés enseignants que l'interprétation de confé-
rence requiert des aptitudes intellectuelles et psychologiques
14 DANIEL GILE

particulières, qui n'ont pas encore été clairement identifiées


scientifiquement, et que l'on ne trouve que chez une faible
proportion des candidats (voir Ch. 7).
La recherche sur l'interprétation de conférence porte donc
sur une activité pratiquée par une population de très petite
taille, impliquant des mécanismes linguistiques et cognitifs peu
connus à ce jour, qui sont apparemment accessibles à une
fraction seulement de la population bilingue ou multilingue.

2. L'interprétation de conférence comme objet de recherche

2.1 La recherche sur l'interprétation dans son cadre propre

2.1.1 Traduction et interprétation : quelques différences

L'interprétation se distingue de la traduction écrite par plu-


sieurs aspects importants :

a. L'oralité
La différence la plus évidente - entre les deux types de Tra-
duction (le T majuscule identifie l'hyperonyme recouvrant la
traduction écrite et l'interprétation) tient au caractère oral de
l'interprétation, dont la signification va bien au-delà de la
nature du support physique de l'énoncé : elle implique aussi
des normes linguistiques différentes de celles de l'écrit, ainsi
qu'une participation de la prosodie et d'éléments non verbaux
que l'on ne trouve pas dans la traduction écrite.

b. Les contraintes temporelles


L'interprétation se déroule soit « en temps réel », en simulta-
née, soit en temps « quasi-réel », en consécutive. Ces con-
traintes ont des incidences pratiques importantes. E n effet,
elles privent l'interprète des possibilités tactiques d'information
et de documentation dont disposent les traducteurs en cours
de traduction, que ce soit par voie de documents, écrits ou
sonores ou par consultation de spécialistes, et l'obligent à une
préparation maximale avant m ê m e de commencer l'interpréta-
tion proprement dite (voir Ch. 5). Par ailleurs, elles sollicitent
lourdement son appareil cognitif et sont à notre avis les princi-
pales responsables de la difficulté d'interpréter, d'une part en
raison du rythme imposé de compréhension, de production et
de gestion des décisions qu'elles imposent, et d'autre part en
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 15

raison de la simultanéité des opérations qu'elles - impliquent,


avec nécessité de partager l'attention (Ch. 4).

c. L a situation de communication
L'interprétation se distingue aussi de la traduction au regard
de certains autres paramètres importants de la situation de
communication. Comme i l est indiqué ci-dessus, contrairement
à la traduction, où la communication se déroule en différé'
par rapport à la production de l'auteur, et où les réactions des
lecteurs ne peuvent intervenir que bien plus tard, en interpré-
tation, la communication est immédiate, avec tout ce que cela
implique en termes d'interaction entre orateurs, délégués et
interprètes.

2.1.2 Champs d'investigation

On peut définir plusieurs champs d'investigation de l'inter-


prétation à partir du modèle de communication suivant (Fig. 1) :

Orateur —+-Déléjjués écoutant la Langue Source

Interprète -—>-Délégués écoutant la Langue Cible

Client/Recruteur

Figure 1 : Schéma de la communication avec interprétation


en réunion multilingue

En amont, i l est intéressant d'étudier les situations où l'on


fait appel à l'interprétation : types de réunions, types de 'clients'
(les donneurs d'ouvrage), ce qu'ils attendent de l'interprétation,
considérations économiques, procédures de recrutement, con-
traintes organisationnelles, types et comportements des ora-
teurs, notamment vis-à-vis des participants qui les écoutent à
travers les interprètes et vis-à-vis des interprètes eux-mêmes.
En aval, il importe de connaître les réactions des 'délégués'
(les participants qui écoutent les orateurs, soit en langue de
départ, soit en langue d'arrivée, à travers l'interprétation), car
c'est pour eux que travaillent les interprètes. Un aspect a priori
essentiel de la recherche est l'étude de la nature et des varia-
bles déterminant la qualité de l'interprétation. Comment les
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délégués évaluent-ils la qualité du travail, en fonction de quels


critères ? Leurs appréciations varient-elles d'un individu à l'au-
tre, d'un groupe à l'autre, dans quelle mesure et de quelle
manière ? Quelle est la corrélation entre leur évaluation et une
éventuelle mesure objective' des différentes variables détermi-
nant une qualité' de l'interprétation ? L'état de la recherche
sur la qualité du travail est présentée au Ch. 6.
Par ailleurs, comme i l est expliqué au Ch. 4, l'interprétation
est souvent associée à des pertes d'information pour les délé-
gués écoutant en langue cible du fait des erreurs et omissions
de l'interprète. Il serait intéressant non seulement d'étudier la
nature et l'étendue de ces pertes, mais aussi de les comparer à
celles intervenant dans l'écoute directe de l'orateur par les
délégués ne passant pas par l'interprétation. En effet, ces
pertes peuvent différer sensiblement, d'où des incidences que
l'on ne sait déterminer à l'avance sur le rendement' du dis-
cours pour les délégués écoutant en langue cible. A notre
connaissance, i l n'existe aucune recherche là-dessus à ce jour,
de même que nous ne connaissons pas de recherches visant à
déterminer les pertes intervenant dans l'écoute directe de l'ora-
teur par les délégués.
En réalité, l'essentiel des investigations réalisées jusqu'à pré-
sent se situent non pas en amont ou en aval de l'interprétation,
mais dans le processus central. E n effet, c'est le processus qui
est le plus spectaculaire et le plus spécifique des aspects de l'in-
terprétation. Contrairement à la traduction, dont on imagine, à
tort comme le soulignent de manière répétée les spécialistes,
qu'il suffit de connaître les langues pour pouvoir la pratiquer,
l'interprétation recèle des « mystères » qui frappent dès le pre-
mier abord. En consécutive, c'est ce qui apparaît aux yeux de
l'observateur extérieur comme un exploit de mémoire ou de
prise de notes. En simultanée, plus spectaculaire encore, la
i< capacité d'écouter dans une langue et de parler dans une
autre en même temps ». Les investigateurs ont depuis toujours
cherché à comprendre les mécanismes mentaux qui rendent
possible l'interprétation.
Les champs d'investigation en amont et en aval du processus
relèvent en grande partie de l'économie, de la sociologie, de la
théorie de la communication. L'étude du processus intéresse
d'autres disciplines, notamment la psychologie cognitive, la
neurophysiologie, la psycholinguistique et d'autres branches de
la linguistique, ou plus généralement l'ensemble des sciences
cognitives.
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 17

En effet, le processus central de Finterprétation englobe


l'écoute, le traitement et la restitution du discours original en
langue d'arrivée, avec des opérations de décodage linguistique,
de mise en oeuvre de différents types de mémoire, de produc-
tion linguistique. Ce processus implique un partage de l'atten-
tion, ainsi que des prises de décisions avec gestion de risques
et gestion de difficultés. E n consécutive, i l est intéressant d'étu-
dier les mécanismes techniques, en particulier les notes prises
lors de l'écoute, ainsi que les processus mentaux qui permet-
tent à l'interprète de restituer dans son intégralité un discours
de plusieurs minutes qu'il n'a entendu qu'une seule fois. On se
penchera aussi sur l'effet des variables caractérisant le dis-
cours de l'orateur (type, composition informationnelle, langue,
débit, prosodie, indices non verbaux) sur les tactiques et la per-
formance de l'interprète. De même, on peut chercher à déter-
miner l'influence, qu'exerce sur sa prestation l'environnent
extérieur (espace, son, éclairage, température, qualité de l'air,
vue sur l'orateur, vue sur l'écran).
L'acquisition de la capacité de réagir de manière profession-
nelle à ces stimulus et contraintes appelle une étude des règles
professionnelle des interprètes, au niveau pratique et au
niveau déontologique, ainsi que des investigations sur l'évolu-
tion dans le temps des étudiants ou bilingues vers la compé-
tence d'interprète débutant, puis d'interprète confirmé. On
peut également s'intéresser aux aspects sociologiques et psy-
chologiques de la profession : quelle est l'image qu'ont d'elle les
praticiens eux-mêmes ? Les clients organisateurs de confé-
rences ? Les délégués, utilisateurs directs des services d'inter-
prétation ? Quel est le statut des interprètes dans la société ?
Quelle est leur attitude à l'égard des orateurs qu'ils interprè-
tent ? Quels sont les effets à long terme de la pratique d'un
métier où ils ne font que répéter' (en réalité — interpréter) les
idées des autres sans avoir la possibilité d'être créatifs autre-
ment qu'en tant qu'exécutants ? Comment le fait de parler a la
première personne' au nom de personnalités de tout premier
plan dans les domaines politique, scientifique, artistique ou
technologique influe-t-il sur l'image qu'ils se font d'eux-
mêmes ? Quelles sont l'étendue et la structure des connais-
sances qu'ils acquièrent au cours de leurs pérégrinations à tra-
vers les différentes sphères de la connaissance humaine au fil
des conférences ?
Cette liste n'est certes pas limitative, mais elle suffit à mon-
trer la variété des approches possibles. E n fait, toutes ces ques-
tions ont déjà été posées par les interprètes eux-mêmes, et ont
18 DANIEL GILE

engendré des réflexions nombreuses, dont certaines ont été


consignées par écrit, de manière intuitive et personnelle, dans
les livres et articles écrits sur l'interprétation depuis les années
50. E n revanche, en matière de recherche, comme le montre
l'analyse dans les chapitres suivants, ce sont essentiellement les
processus d'interprétation eux-mêmes qui ont été étudiés et
qui le sont actuellement.

2.2 La recherche sur l'interprétation comme cas particulier de


communication verbale

Au-delà d'une recherche interpréto-centrique, l'interprétation


peut être considérée comme un cas singulier d'activité de com-
munication à dominante linguistique. C'est ce que cherche à
montrer à travers quelques exemples un article de D. Gile
(1990e) sur le rôle « proligère » de la traduction et de l'interpré-
tation.
Dans cette optique, on notera que l'exigence de fidélité
oblige l'interprète et le traducteur à suivre de très près la pen-
sée de l'orateur ou de l'auteur telle qu'elle s'exprime dans son
discours, c'est-à-dire à le « comprendre », comme le soulignent
à satiété tous les praticiens et les enseignants de l'interprétation
et de la traduction. Malheureusement, pour l'instant, ils ne
définissent et ne décrivent pas avec précision la nature et
l'étendue de cette « compréhension ». En fait, l'obligation à
laquelle sont soumis les interprètes de reformuler intégrale-
ment une pensée immédiatement après son énonciation initiale
par l'orateur est potentiellement très intéressante pour quicon-
que cherche à étudier la compréhension chez l'homme, dans la
mesure où l'interprétation révèle, surtout en consécutive, des
phénomènes de compréhension et d'incompréhension qui sont
difficilement observables dans la plupart des autres circons-
tances naturelles' (par opposition à des situations expérimen-
tales en laboratoire).
Dans le cas de l'interprétation des discours spécialisés
s'ajoute le problème posé par le déficit en connaissances de
l'interprète par rapport à l'orateur et au délégué destinataire
du message. C'est là une occasion d'étudier les mécanismes de
compréhension des exposés spécialisés par des non spécialistes
(voir à ce sujet Gile 1986c).
De telles études de la compréhension peuvent conduire à
quelques nouveaux concepts. Ainsi, la pseudo-compréhension',
concept qui s'est cristallisé lors d'enquêtes auprès d'interprètes
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 19

sur le degré de compréhension qu'ils estimaient avoir atteint


par rapport à différents discours. L a pseudo-compréhension',
sentiment de comprendre ne correspondant pas à une réelle
assimilation des idées, est entre autres fonction de la familia-
rité de l'auditeur ou du lecteur avec la structure linguistique
qui véhicule le message. Le seuil de confort' est un niveau de
compréhension suffisant pour que le récepteur n'éprouve pas
une gêne subjective liée au sentiment de «ne pas compren-
dre » ; ce seuil lui permet de satisfaire les besoins fonctionnels
éventuellement liés au message du locuteur, m ê m e s'il ne saisit
qu'une fraction du message. D. Gile (1986d) évoque le cas des
étrangers vivant au Japon qui auraient, par un mécanisme psy-
chologique inexploré, développé ' une tolérance à l'incompré-
hension associée à un seuil de confort qui leur donne l'impres-
sion erronée de « tout comprendre » en écoutant les émissions
japonaises de radio et de télévision, alors qu'un examen plus
objectif permet de constater qu'ils ne saisissent qu'une partie
du discours. L a pseudo-compréhension' est corrélée avec le
seuil de confort, mais ce dernier est fonction d'un besoin fonc-
tionnel, alors que la première est définie dans l'absolu. Nous ne
connaissons pas d'études sur ces types de compréhension, et a
fortiori, aucune exploitation des possibilités offertes par l'inter-
prétation ne semble avoir été réalisée à l'exception d'une étude
de M . Dillinger (1989).
De même, les contraintes inhérentes à l'interprétation sollici-
tent lourdement la capacité de production linguistique des pra-
ticiens et permettent l'observation de différents phénomènes,
tels que les hésitations (Goldman-Eisler 1980, Ovaska 1987) ou
les interférences linguistiques.
Enfin, pour les neurolinguistes, l'interprétation présente un
champ d'investigation potentiellement intéressant au regard de
la latéralisation des fonctions linguistiques. Cette piste com-
mence d'ailleurs à être exploitée (Ch. 3). L'interprétation peut
aussi intéresser les psychologues cogniticiens en tant que cas
singulier du partage de l'attention (voir Ch. 4).

2.3 Les effets sociologiques et culturels de l'interprétation

L'incidence de la traduction écrite sur les transferts culturels


est capitale, puisque la traducticn a permis l'importation et
l'exportation d'une importante partie de la production de
connaissances et d'idées à travers le monde entier. A une
échelle bien plus modeste, l'interprétation a peut-être des effets
20 DANIEL GILE

qui sont passés jusqu'ici inaperçus et qu'il pourrait être intéres-


sant d'étudier de près.
L'interprétation permet à des personnes appartenant à des
cultures différentes et ne parlant pas la même langue de se
rencontrer et de dialoguer face à face. A u début du siècle, les
interprètes étaient relativement peu nombreux, et l'essentiel
des échanges interlinguistiques se faisaient soit par voie écrite,
soit à travers des personnes qui s'étaient préalablement fami-
liarisées, en raison des circonstances de leur vie ou à la suite
d'une démarche volontariste, avec une langue et une culture
étrangère. Depuis les années 60, l'interprétation de conférence
s'est banalisée et touche un public de plus en plus grand. Le
fait que des contacts interculturels et interlinguistiques directs
soient maintenant à la portée de personnes qui n'ont pas fait
l'effort d'apprendre une langue et une culture étrangères et
qui a priori restent bien à l'intérieur de leur propre culture a-t-
il des effets sur l'image qu'ils ont de la culture étrangère, voire
sur leur comportement à l'intérieur de leur propre culture ?
Les comportements s'internationalisent-ils davantage que par
le passé ? Dans quels secteurs ? Dans quel sens ? Ces effets
sont-ils grandement accélérés du fait de la rapidité des
échanges en interprétation par rapport à la traduction ? Ou
l'interprétation reste-t-elle marginale dans ses effets étant
donné le petit nombre de personnes qu'elle concerne, excepté
dans l'interprétation pour les média ? Il s'agit là d'un vaste
champ de recherche qui pour le moment reste totalement
inexploré.

3. Auteurs et chercheurs dans les publications sur l'interpré-


tation

3.1 Les interprètes-chercheurs

Pour mieux comprendre les mécanismes et l'évolution de la


recherche sur l'interprétation, i l est important de connaître
l'identité et les traits caractéristiques de ses acteurs, qui se
démarquent sensiblement des caractéristiques que l'on trouve
dans les communautés de chercheurs dans d'autres disciplines.
Il convient de distinguer en premier lieu les chercheurs inter-
prètes des chercheurs extérieurs'. E n effet, contrairement à la
situation dans la plupart des autres disciplines, à de rares
exceptions près, la recherche sur l'interprétation est menée par
des interprètes praticiens, et non pas par des chercheurs pro-
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 21

fessionnels'. Pour emprunter l'expression de D. Seleskovitch,


ancienne directrice de l'Ecole Supérieure d'Interprètes et de
Traducteurs (ESIT) de Paris, «les poissons deviennent ichtyolo-
gues », ce qui ne manque d'ailleurs pas de poser des problèmes :

3.1.1 L a disponibilité

La pratique de l'interprétation est un travail irrégulier et sai-


sonnier, qui peut demander de nombreux déplacements. Les
praticiens ne disposent donc pas de plages de temps régulières
qu'ils pourraient consacrer à la recherche.
Les enseignants dans les écoles professionnelles, qui sont a
priori plus motivés que leurs collègues praticiens n'exerçant
pas une activité de formation, enseignent en sus de leurs jour-
nées d'interprétation ordinaires. En effet, un consensus exis-
tant au sein de la profession et officialisé par l'AIIC à travers sa
Commission de la formation veut que la formation à la profes-
sion soit assurée par des professionnels en exercice (voir Ch. 7).
Cette règle est suivie dans les principales écoles, où la quasi-
totalité du personnel enseignant se compose d'interprètes pro-
fessionnels qui sont chargés d'un ou deux cours par semaine.
En fait, leur activité professionnelle limite déjà leur disponibi-
lité pour la formation, qui est insuffisamment rémunérée pour
qu'ils puissent renoncer à des conférences pour assurer leurs
cours régulièrement. Dans la pratique, cela implique des annu-
lations de cours et des rattrapages' ultérieurs. E n outre, la
prestation en conférence demande une préparation à domicile
ou en bibliothèque, et en saison, c'est-à-dire essentiellement à
l'automne et au printemps, les interprètes-enseignants ' sont
souvent occupés en cabine, en préparation ou en classe d'inter-
prétation 10 ou 12 heures par jour. Si l'enseignement, essentiel-
lement pratique, peut se faire avec un minimum de prépara-
tion, la recherche, elle, demande un temps considérable. De
toute évidence, i l faut être fortement motivé pour se ménager
le temps nécessaire à la recherche dans de telles conditions.

3.1.2 L a motivation

Actuellement, la quasi-totalité des interprètes-chercheurs


sont interprètes d'abord, et chercheurs accessoirement. Il
n'existe d'ailleurs pas de véritable cadre institutionnel pour la
recherche en interprétation, bien que certaines écoles l'encou-
22 DANIEL GILE

ragent, moralement surtout (notons tout particulièrement


l'école de Trieste, dont l'activité de recherche est importante —
voir Ch. 3 et 9).
Pour les interprètes, la recherche n'apporte donc pas une
rémunération financière. Bien au contraire, dans la plupart des
cas, ils doivent la financer eux-mêmes : ordinateurs, équipe-
ments d'enregistrement et autres, papeterie, déplacements,
frais d'inscription à des conférences traductologiques ne sont
pris en charge par les écoles que rarement et partiellement.
Sur le plan universitaire, la recherche permet l'obtention
d'un titre de M.A. ou de doctorat, parfois (mais pas toujours)
nécessaire à l'obtention d'un poste universitaire, mais une fois
ce ritre acquis, elle ne joue pas dans l'avancement. En effet, la
plupart des écoles d'interprétation se considèrent comme des
écoles professionnelles dont la vocation est de former des pra-
ticiens à travers un enseignement pratique, et la règle « publish
or perish » ne s'applique pas (voir Ch. 9).
Précisons tout de même que dans certaines écoles, notam-
ment ' à Heidelberg, à Trieste et à Vienne, les étudiants en
interprétation ont l'obligation de préparer des mémoires de fin
d'études pour obtenir leur diplôme, et que certains réalisent à
cette occasion de véritables projets de recherche, qui peuvent
donner lieu à des publications (voir par exemple Gran et Tay-
lor 1990 ainsi que les articles parus dans The Interpreters
Newsletter).
Sur le plan sociologique, l'activité de recherche de l'inter-
prète n'offre pas non plus de récompenses très motivantes. En
effet, la communauté des interprètes dans son ensemble ne
voit pas la recherche d'un œil très favorable (voir Ch. 2).
Il reste donc la motivation que donne le plaisir intellectuel
accompagnant l'observation, la réflexion, et la création qu'im-
plique la recherche. Toutefois, l'expérience montre que cette
motivation ne résiste pas longtemps non plus dans la plupart
des cas au rythme de travail du praticien. C'est probablement
la principale raison pour laquelle de nombreux travaux,
notamment ceux réalisés pour l'obtention d'un titre universi-
taire tel qu'un M.A. ou un doctorat, sont restés sans lendemain.
Les interprètes dont l'activité de recherche se poursuit au-delà
sont peu nombreux : une poignée de praticiens qui sont attirés
par la recherche, et quelques chercheurs qui ont la chance
d'être encadrés dans un environnement favorable. A l'ESIT à
Paris, la personnalité de D. Seleskovitch a motivé un petit
groupe de praticiens pendant de nombreuses années, jusque
vers le milieu des années 80. Dans le cas le plus général, toute-
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRETATION DE CONFÉRENCE 23

fois, les conditions extérieures ne sont pas favorables au main-


tien de la motivation.

3.13 L a formation à la recherche

Des problèmes d'un tout autre genre se posent du côté de la


formation des interprètes-chercheurs. L a plupart ont fait des
études de lettres ou de langues étrangères. Peu d'entre eux ont
été formés à la recherche en tant que telle. L a plupart ont
commencé leur activité de chercheurs parce qu'ils se sont
trouvés dans le cadre d'une école d'interprétation universitaire
et ont été soit stimulés par l'environnement, soit contraints en
raison de règles universitaires de réaliser un projet de re-
cherche. On peut distinguer deux générations d'interprètes-
chercheurs :

a. Les interprètes-chercheurs de la première génération :


Ce sont les pionniers dont l'entrée en scène se situe dans les
années 60 et 70. Leur personnalité et leurs motivations étaient
fortes, ce qui leur a permis de lancer un mouvement qui per-
dure. Toutefois, ayant pour la plupart étudié les langues
vivantes, ils n'avaient pas bénéficié d'une formation à la
recherche (à quelques exceptions près), et leurs connaissances
étaient généralement faibles dans des domaines tels que la lin-
guistique, la psychologie et la psycholinguistique.

b. Les jeunes' interprètes-chercheurs :


Ce sont les élèves des interprètes-chercheurs de la première
génération. Eux aussi sont pour la plupart des littéraires, et
eux non plus n'ont pas suivi de formation structurée à la
recherche. Toutefois, ils bénéficient de l'expérience de leurs
aînés : ils peuvent s'appuyer sur leurs résultats et s'inspirer de
leurs méthodes, en les améliorant le cas échéant là où ils les
trouvent faibles.
Dans l'ensemble, les interprètes-chercheurs attendent de la
recherche une meilleure compréhension de l'interprétation, et
accordent une grande importance aux applications en matière
de formation. Leur préférence se porte nettement sur la
recherche appliquée.
24 DANIEL GILE

3.2 Les étudiants en interprétation

Paradoxalement, les étudiants en interprétation sont souvent


plus proches de la recherche véritable que les chercheurs de la
première génération. En effet, contrairement aux pionniers, ils
sont pris en charge par des directeurs de recherche souvent
motivés et plus ou moins expérimentés, et ce dans des écoles
offrant des conditions favorables à la recherche. A Trieste,
notamment, une grande partie de la production vient des
étudiants.
Notons que si les étudiants-chercheurs connaissent moins
bien l'interprétation que les praticiens chevronnés, sur le plan
de la disponibilité, de la motivation, de l'encadrement et de
l'ouverture d'esprit, ils sont souvent mieux placés.

3.3 Les interprètes non chercheurs

D'assez nombreux textes sur l'interprétation cités dans des


textes de recherche sont rédigés par des praticiens qui ne se
définissent pas eux-mêmes comme chercheurs. Il peut s'agir
d'enseignants comme P. Longley (1978), W. Weber (1984), la
plupart des auteurs japonais, ou d'interprètes écrivant en tant
que praticiens (Coleman-Holmes 1971, Wesenfelder 1982), qui
parlent de leur expérience professionnelle et développent les
réflexions qu'elle leur inspire. Ces textes peuvent être 'anecdo-
tiques', 'informatifs' ou normatifs' (voir plus loin).

3.4 Les chercheurs 'extérieurs'

Les chercheurs 'extérieurs' sont dans leur grande majorité


des spécialistes de la psychologie, la psycholinguistique, la lin-
guistique, la sociologie, la neurophysiologie (qui co-signent par-
fois des textes avec des interprètes). Ils n'ont pas de formation
ou d'expérience en interprétation de conférence, bien que la
plupart d'entre eux aient une bonne connaissance d'une ou
plusieurs langues étrangères et que certains aient pratiqué la
traduction ou certaines formes d'interprétation en amateurs'.
Les chercheurs extérieurs' ne semblent pas attendre de leur
recherche des applications concrètes. Elle est plutôt intellec-
tuelle et vise la compréhension d'éléments spécifiques dans l'in-
terprétation, souvent en rapport avec des préoccupations psy-
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 25

chologiques, psycholinguistiques et linguistiques dépassant le


cadre de l'interprétation. •
Il y a donc dans l'approche fondamentale une assez grande
divergence entre chercheurs interprètes et chercheurs exté-
rieurs', ce qui s'est manifesté de manière répétée par des diffi-
cultés de communication entre les deux communautés (voir
Ch. 2).

4. Types de textes et démarches de recherche

Une deuxième dimension de, la grille que nous proposons


pour l'étude de la recherche sur l'interprétation porte sur les
types de démarches de recherche que l'on y trouve. L a gamme
est en effet très variée, avec des textes allant des plus person-
nels et des plus libres dans la forme et dans le fond jusqu'aux
textes les plus conformes aux us et coutumes universitaires.
En fait, comme on peut le deviner d'après la typologie des
auteurs et chercheurs présentée ci-dessus et comme i l est
expliqué plus loin, dans les travaux sur l'interprétation, les gen-
res se mélangent. D'ailleurs, beaucoup de textes qui reflètent
une démarche intuitive et non scientifique sont abondamment
cités et pris pour référence dans des publications relevant de la
recherche proprement dite ; la réciproque est moins vraie.
Nous présentons ici par commodité une classification mixte de
textes et de démarches, en commençant par des textes person-
nels, 'libres' et non universitaires, et en nous rapprochant pro-
gressivement de ceux qui correspondent aux critères usuels de
la recherche.

4.1 Les textes introductifs

Il s'agit de textes qui présentent des informations et idées


générales sur l'interprétation à l'intention du grand public ou
des étudiants en début de cursus. Ils évoquent parfois des élé-
ments pratiques, déontologiques, psychologiques et linguisti-
ques intéressants, mais ne les développent pas. Ils sont rédigés
tantôt par de simples praticiens', tantôt par des enseignants,
tantôt par des chercheurs. Les textes introductifs sont des
livres ou des chapitres de livres (notamment dans les guides
sur les métiers des langues'), des articles dans la presse non
scientifique, des plaquettes. A titre d'exemples, citons Longley
1968, Seleskovitch 1968, Nishiyama 1983).
26 DANIEL GILE

Les textes iñtroductifs ne présentent en général pas beau-


coup d'intérêt dans le domaine de la recherche. Ils ne seront
pas analysés ici en détail.

4.2 Les textes factuels professionnels

Cette deuxième catégorie désigne les textes dont le but est


d'apporter des informations factuelles sur l'interprétation : sta-
tistiques professionnelles, normes ISO pour les cabines d'inter-
prétation, autres informations sur les conditions de travail, sur
des stages de formation, etc. On les trouve surtout dans les
publications de l'AIIC et de différentes associations de traduc-
teurs et d'interprètes, parfois dans les actes de colloques sur la
traduction, dans les textes des employeurs d'interprètes.
Au regard de la recherche, ces textes ont essentiellement
une fonction de référence informationnelle.

4.3 Les textes anecdotiques

Ce genre, qui relève de la petite histoire', existe en Europe et


aux Etats-Unis (voir les articles anecdotiques dans The Jerome
Quarterly de l'université de Georgetown), mais se signale sur-
tout au Japon où quelques interprètes ont atteint le statut de
vedettes grâce aux medias, ce qui assure un bon succès com-
mercial à leurs textes anecdotiques. Ainsi, Muramatsu (1978,
1979), Nishiyama (1970, 1979), et plus récemment Shinoda et
Shinzaki (1992), ont écrit des livres sur leur expérience profes-
sionnelle truffés d'anecdotes personnelles. De temps en temps
sont également publiés dans la presse générale des articles
anecdotiques sur l'interprétation.
Au regard de la recherche, ces textes ont eux aussi une
valeur essentiellement informative, en ce sens qu'ils contien-
nent des indications pouvant aider les chercheurs à reconsti-
tuer les environnements professionnels, sociologiques et psy-
chologiques dans lesquels ûs se situent.

4.4 Les textes historiques

A côté des textes anecdotiques, il existe un certain nombre


d'articles qui traitent de l'histoire de l'interprétation de confé-
rence, essentiellement depuis les procès de Nuremberg, ainsi
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 27

que de l'histoire de l'interprétation sous ses formes plus géné-


rales depuis l'antiquité et jusqu'à l'époque contemporaine. Plu-
sieurs textes de ce type figurent parmi les publications de
Ingrid Kurz énumérées dans la bibliographie en fin d'ouvrage.
" Les textes historiques représentent une démarche quelque
peu isolée dans la recherche sur l'interprétation. Ils y consti-
tuent un système fermé et n'interagissent pas beaucoup avec
les autres types de textes.

4.5 Les textes réflexifs ' ou 'de réflexion '

Nous classons dans cette catégorie, quantitativement très


importante parmi les publications sur l'interprétation, les textes
dans lesquels leurs auteurs développent des réflexions et des
opinions de principe sur l'interprétation, fondées sur leur expé-
rience personnelle et leurs intuitions plutôt que sur la base de
l'étude systématique d'un corpus ou d'un ensemble de travaux
scientifiques, observationnels ou expérimentaux.
Les textes de réflexion portent sur une large gamme de
sujets liés aux mécanismes de l'interprétation, à sa pratique
professionnelle, à la formation. Citons à titre d'exemples
Capaldo (1980) dans une plaidoirie pour la consécutive, Cartel-
lieri (1983) sur la qualité du travail, Eberstark (1982) dans une
comparaison de la traduction et de l'interprétation, Galer
(1974) qui défend la sténographie, Kurz (1988) sur la spécialisa-
tion des interprètes, Namy (1978) sur la formation, Quicheron
(1985) sur la préparation des conférences, Romer (1985) sur le
passé et l'avenir de la profession, Thiéry (1985) sur le secret
professionnel chez l'interprète, Coleman-Holmes (1971) dans
une mordante. description de l'univers sociologique des
interprètes.
La démarche reflexive peut être qualifiée de pré-scien-
tifique', en ce sens qu'elle implique une réflexion souvent
approfondie, mais sans la rigueur et le caractère systématique
de la démarche scientifique. Il est d'ailleurs difficile d'établir
une ligne de démarcation entre les textes de. réflexion et les
textes théoriques (voir plus loin). C'est pourquoi nous ne tente-
rons pas une analyse statistique de la production théorique par
opposition à la production reflexive. Signalons cependant que
les textes de réflexion continuent à être très nombreux, notam-
ment dans les actes de colloques et conférences de traduction
et d'interprétation.
28 DANIEL GILE

4.6 Les textes normatifs

Il s'agit des publications dont le contenu consiste essentielle-


ment en des conseils, des instructions ou des normes, qu'ils
soient ou non formulés explicitement sur un ton normatif : en
effet, sans prendre un ton impératif, un auteur peut présenter
des normes d'une manière telle que son texte est une prise de
position.
Les auteurs des textes normatifs sont des praticiens et des
enseignants. On notera tout particulièrement les textes de
l'AnC §ur la déontologie professionnelle (par exemple AJQC
1982), de nombreux articles publiés dans le Bulletin de l'AIIC,
et d'autres documents destinés aux organisateurs et partici-
pants aux conférences internationales pour leur indiquer la
bonne marche à suivre pour profiter pleinement des services
de l'interprétation.
La démarche normative sous-tend également de nombreux
autres textes réflexifs et /théoriques, surtout ceux traitant de la
formation, qui a par essence un important côté normatif, la
démarche scientifique n'étant pas encore solidement établie au
sein de la communauté des interprètes-chercheurs. Il s'agit
d'ailleurs d'une caractéristique que l'on trouve aussi dans les
textes sur la traduction (voir notamment Toury 1980).

4.7 Comptes rendus et bibliographies

Nous désignons par cette catégorie de textes les comptes


rendus de travaux et de publications, ainsi que les listes biblio-
graphiques. Ces textes sont restés peu nombreux pendant une
longue période, mais, sous l'impulsion de la tendance actuelle
à l'ouverture, ils se sont multipliés depuis 1989. Notons en par-
ticulier la bibliographie non publiée, mais périodiquement mise
à jour de la Commission de la recherche de l'AIIC, les listes
bibliographiques figurant dans la revue triestine The Interpre-
ters Newsletter, le IRTIN Bulletin, qui est composé dans sa
quasi totalité d'informations bibliographiques, et les nombreux
comptes rendus de Gérard Ilg dans la revue Parallèles de
l'Ecole de Traduction et d'Interprétation de l'université de
Genève.
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 29

4.8 Les textes théoriques

• Les textes théoriques se distinguent des textes de réflexion


par un degré d'abstraction et de formalisation plus poussé, qui
les place dans la catégorie des textes universitaires.
• De nombreuses thèses de doctorat sur l'interprétation relè-
vent de la démarche théorique. Cette démarche est particuliè-
rement saillante dans les pays germanophones, mais elle figure
aussi en bonne place dans les travaux français du groupe des
théoriciens de l'ESIT.

4.9 Les textes relevant de la recherche empirique

Plus proches de la démarche scientifique qui caractérise les


sciences naturelles et de nombreux travaux modernes dans les
sciences sociales, les 'textes empiriques' sont ceux qui rendent
compte d'une observation systématique de phénomènes sur le
terrain, qu'ils soient naturels ('démarche observationnelle' ou
naturaliste') ou provoqués par le chercheur dans un environ-
nement contrôlé' (démarche expérimentale).

4.9.1 Les textes observationnels

La démarche observationnelle ou 'naturaliste' consiste à étu-


dier systématiquement par une observation rigoureuse une
situation naturelle telle qu'elle se produit sur le terrain. Dans la
démarche observationnelle, nous englobons aussi bien le sim-
ple enregistrement d'une situation que la recherche active de
renseignements, par exemple à travers des questionnaires et
interviews.
Les textes observationnels se distinguent essentiellement des
'textes factuels professionnels' non pas nécessairement par leur
contenu, mais par la démarche qui les sous-tend, en ce sens
qu'ils ne sont pas produits par désir d'informer, mais à la suite
de l'étude systématique d'un phénomène à travers l'observa-
tion d'une situation, le texte étant le reflet des résultats et non
pas un véhicule d'information conçu en tant que tel.
30 DANIEL GILE

4.9.2 Les textes expérimentaux

Il s'agit de textes rendant compte des résultats de l'observa-


tion systématique de situations provoquées délibérément par le
chercheur pour être étudiées dans des conditions pré-définies.
Nous incluons dans la démarche expérimentale non seulement
les expériences de vérification d'hypothèses telles qu'elles ont
acquis un quasi-monopole dans certaines disciplines, mais
aussi l'expérimentation dite 'ouverte', dans laquelle i l n'y a non
pas une hypothèse à vérifier, mais l'exploration d'une situation
nouvelle avec tentative de recueillir des informations.
Les deux chapitres suivants analysent la recherche sur l'in-
terprétation depuis ses débuts en utilisant les concepts ainsi
définis.
Chapitre 2

Historique de la recherche
sur l'interprétation

Un cadre général pour l'étude de la recherche sur l'interpré-


tation de conférence ayant été présenté au chapitre 1, ce
deuxième chapitre retrace l'historique des écrits sur l'interpré-
tation depuis les débuts de la réflexion théorique sur la profes-
sion et jusqu'à la période actuelle de renouveau, qui est analy-
sée au chapitre 3.

1. Les premiers écrits

Les premiers écrits sur l'interprétation de conférence, qui


datent des années 50, voire de la fin des années 40, n'ont pas
encore une optique universitaire, théorique ou expérimentale.
Ce sont pour la plupart des textes d'introduction et des textes
normatifs, rédigés par des praticiens, pour la plupart ensei-
gnants mais non chercheurs. Certains de ces écrits méritent
pourtant une mention particulière, dans la mesure où ils
posent déjà une grande partie des principes et problèmes de
fond qu'abordèrent par la suite les théoriciens et chercheurs,
et autour desquels les débats ne sont pas encore clos. Les pre-
miers articles parus durant cette période dans différentes
revues, surtout en Suisse, dans L interprète, et en Belgique
(voir la bibliographie à la fin de Van Hoof 1962, qui en cite
plus de cent datant d'avant 1961), sont devenus introuvables.
En revanche, quelques livres datant de cette période ornent
encore les rayons des bibliothèques des écoles de traduction et
d'interprétation. '
32 DANIEL GILE

Le Manuel de l'interprète de Jean Herbert (1952), qui est


considéré comme un classique, est essentiellement un ouvrage
pratique. Il aborde, de manière didactique et normative, la pra-
tique de l'interprétation, et notamment le comportement pro-
fessionnel, la préparation des conférences et la prise de notes
en consécutive. Jean Herbert indique que l'interprète doit être
«vif d'esprit », avoir une bonne mémoire et disposer d'un
« énorme vocabulaire » très disponible (p. 5). Si le concept de
vivacité d'esprit peut paraître vague, et si la nécessité d'avoir
une bonne mémoire ne fait plus l'unanimité parmi les cher-
cheurs, la notion de disponibiüté du vocabulaire, négligée pen-
dant près de 30 ans, reprend une place importante actuelle-
ment ; elle occupe notamment une place importante dans nos
modèles d'Efforts (Ch. 4) et dans notre modèle gravitationnel
de la disponibilité linguistique (Ch. 8). Jean Herbert pose aussi
que les métiers de traducteur et d'interprète sont radicalement
différents et dans une grande mesure inconciliables, que rares
sont les interprètes capables de bien traduire et les traducteurs
capables de bien interpréter (p. 6). Cette idée continue à faire
l'objet de débats parmi les chercheurs contemporains (voir par
exemple Schjoldager 1993). J. Herbert postule aussi la compré-
hension du discours par l'interprète au-delà des mots (p. 19),
idée qui continue à être étudiée, mais de manière plus précise
(voir entre autres Gile 1986c et Dillinger 1989), note l'existence
des interférences linguistiques (p. 36), déclare que le discours
original doit être bien analysé avant d'être interprété (p. 34), et,
à propos de la formation, propose déjà la répétition avec déca-
lage ou shadowing', sur lequel la polémique entre les ensei-
gnants ne semble pas près de s'éteindre (voir Ch. 7).
On n'oubliera pas non plus dans la série des premiers écrits
marquants sur l'interprétation le petit manuel de prise de notes
de Jean-François Rozan (1956), lui aussi un classique. Ouvrage
didactique et pratique, i l n'en énonce pas moins des principes
méthodologiques de portée plus générale, tels que celui de la
restitution des idées et non pas des mots dans le discours d'ar-
rivée (p. 14), et l'importance de la compréhension des enchaîne-
ments logiques dans le discours.
Henri Van Hoof, qui enseigna l'interprétation à Bruxelles,
reprend dans son livre didactique (1962) une grande partie des
idées de J.-E Rozan et de Jean Herbert. Il y ajoute quelques
observations et affirmations d'ordre théorique et pratique qui
restent elles aussi d'actualité dans la recherche sur l'interpréta-
tion. Il affirme par exemple (p. 36, p. 39) que la consécutive est
plus précise que la simultanée, èans toutefois étayer cette affir-
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 33

mation par des études empiriques. Il pose aussi, comme


J. Herbert (1952:66), que la simultanée n'est qu'une consécu-
tive accélérée. Cette idée, reprise depuis par de nombreux
enseignants (bien que contestée actuellement —voir les expli-
cations au Ch. 4), a d'importantes incidences en matière de for-
mation. Elle justifie notamment l'idée qu'il est indispensable de
bien maîtriser la consécutive avant d'aborder l'apprentissage
de la simultanée (voir à ce sujet le Ch. 7). Toujours à propos de
la simultanée et de la consécutive, H . Van Hoof affirme que la
prise de décisions (le « jugement ») est au centre même de la
consécutive, alors qu'elle est quasiment inexistante en simulta-
née, dans laquelle l'interprète est « irrémédiablement enchaîné
à l'orateur qu'il suit presque mot à mot» (p.39). Cette concep-
tion des choses est contraire aux idées actuelles et aux
méthodes d'enseignement en cours (voir par exemple Namy
1979). Autre question ayant une grande portée théorique,
H. Van Hoof parle du partage de l'attention requis lors de la
simultanée et de la consécutive. Il ne tente pas toutefois d'ap-
profondir l'idée. Il évoque aussi le bagage cognitif de l'inter-
prète, qui comporte des « notions superficielles, mais néan-
moins précises, dans un grand nombre de branches » (p. 64).
Cette qualification, qui s'en tient à un énoncé vague, concorde
bien avec l'idée du modèle flottant' de Gile (1986c), défini
comme une structure sémantique isomorphe à la structure
sémantique de l'original, mais ayant des n œ u d s nominaux
moins précisément définis, et moins bien intégrée dans le
réseau sémantique des connaissances générales du locuteur.
Enfin, dernier élément à portée théorique que nous citerons
ici, H . Van Hoof parle de la production « automatique »
d'« équivalents » linguistiques (p. 65). L'idée du 'transcodage' est
contraire à la 'théorie du sens' ; elle est combattue par le
groupe de l'ESIT (voir plus loin), mais les 'automatismes' sem-
blent bien intervenir en interprétation, et sont probablement
indispensables dans une charge cognitive lourde comme celle
de la simultanée, comme l'explique H . Nowak-Leeman (1993).
Le débat reste donc d'actualité.
Si Jean Herbert, J.-F. Rozan et Henri Van Hoof sont essentiel-
lement des enseignants et ont des préoccupations pratiques,
Dánica Seleskovitch, de Paris, a d'emblée des visées plus thé-
oriques et plus ambitieuses. Dans son livre L interprète dans les
conférences internationales (1968), elle précise que son but est
« ...d'essayer de mettre en lumière le processus mental qui rend
possible la transmission quasi instantanée d'un message oral
dans une autre langue » (p. 36).
34 DANIEL GILE

Le livre présente effectivement les intuitions de son auteur à


propos du fonctionnement mental- de l'interprétation. On y
trouve d'ailleurs une petite bibliographie qui témoigne d'une
certaine fermentation intellectuelle parmi les interprètes pen-
dant les années 60. Soulignons toutefois que cet ouvrage, qui a
lui aussi connu une grande popularité et qui a été traduit dans
plusieurs langues, ne va pas au-delà des intuitions. Il n'apporte
pas de données empiriques, expérimentales ou observation-
nelles pour étayer les idées qui y sont présentées, et ne se
réfère pas non plus aux travaux récents (à l'époque) des lin-
guistes et psychologues. E n cela, il reste réflexif.
Parallèlement à ces publications européennes commencent à
paraître des textes sur l'interprétation dans différents pays du
monde. On notera en particulier la parution de plusieurs publi-
cations japonaises :
Le premier livre japonais sur l'interprétation, Eigotsûyaku no
jissai (dont le titre a été traduit en anglais par An English
Interpreters Manual par ses auteurs, H . Fukuii et T. Asano),
paraît en 1961. Il présente des similitudes marquées avec le
Manuel de l'interprète de Jean Herbert par sa démarche géné-
rale et par les principes qui y sont soulignés : nécessité d'une
bonne connaissance de la langue de départ, d'une analyse du
contenu du discours de l'orateur, de la préparation. Le livre
comporte également des éléments d'information intéressants
sur l'interprétation à partir du japonais : les auteurs disent
entre autres que les orateurs japonais ont tendance à employer
des structures linguistiques vagues et « illogiques », que le senti-
ment premier d'avoir compris un segment de discours peut
être démenti par la difficulté qu'on éprouve à le traduire, que
les différences syntaxiques entre l'anglais et le japonais font
que la simultanée entre les deux appelle d'importants efforts
de mémoire (voir notre compte rendu dans Gile 1992d). Ces
affirmations ne sont pas étayées elles non plus par des travaux
scientifiques, mais elles constituent des témoignages intéres-
sants, surtout compte tenu des affirmations contraires de cer-
tains théoriciens occidentaux. E n tout état de cause, ces idées
sont actuellement elles aussi fortement débattues au sein de la
communauté des chercheurs en interprétation.
Un autre livre japonais sur l'interprétation, peut-être le plus
intéressant de cette période, est l'ouvrage intitulé Tsûyaku :
Eikaiwa kara dôjitsûyaku made {L'interprétation : de la conver-
sation en anglais à la simultanée), qui a été rédigé par trois
interprètes très connus au Japon (Masao Kunihiro, Sen Nis-
hiyama et Nobuo Kanayama), et publié par l'organisme de
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 35

radio et de télévision japonais N H K Ce livre, riche dans son


contenu, comporte quelques erreurs importantes et idées
reçues sur l'interprétation entre les langues occidentales (voir
Gile 1988b), mais reste remarquable, notamment par sa
démarche bien plus pragmatique que celle des livres occiden-
taux publiés à la même époque, à l'exception de celui d'Henri
Van Hoof. Parmi les idées importantes qui y figurent, notons
l'évocation de la perte qui accompagne toute transmission d'in-
formation et l'application du principe à l'interprétation; les
auteurs rendent d'ailleurs les orateurs partiellement responsa-
bles de la réussite ou de l'échec de la communication à travers
l'interprétation. Cette démarche contraste fortement avec le
point de vue quelque peu idéalisé' des auteurs occidentaux,
pour qui l'information devait passer' dans son intégralité, et
dont l'univers de référence était très interpréto-centrique. Le
livre reprend lui aussi la question de l'interprétation entre
anglais et japonais, explique que dans les conférences japo-
naises, i l y a relativement peu de véritables débats et que
toutes les décisions se prennent à l'avance, que les Japonais
répugnent à être « trop clairs » dans l'expression de leurs idées,
que dans l'interprétation du japonais se pose le problème des
homophones (voir sur cette question Gile 1986e —voir aussi le
chapitre 8). ,
Soulignons encore une fois que si les premiers textes sur l'in-
terprétation ne se conformaient pas aux règles des écrits uni-
versitaires ou de recherche, leurs auteurs étaient pour la plu-
part des professionnels et enseignants chevronnés dont
l'expérience et les préoccupations étaient sensiblement les
mêmes que celles des auteurs des textes de recherche actuels.
Dès les années 50, la formation y occupe une place prépondé-
rante, et l'on y parle déjà des limites et difficultés de la simul-
tanée {Le petit journal 1957, Hedinger 1955), de la consécutive
et de la prise de notes (Fuchs-Vidotto 1961, Priacel 1957).
Les deux principaux pôles de réflexion sur l'interprétation en
Occident à l'époque sont Genève et Bruxelles. ' Et pourtant, le
premier travail universitaire sur l'interprétation, une 'thèse' de
M A introspective de l'interprète Eva Paneth, est soutenue à
l'université de Londres en 1956. E n 1959 paraît un article de
Gérard Ilg, praticien et enseignant à Genève, sur la formation
à l'interprétation. C'est le début d'une première série d'articles
qui se dirigent peu à peu vers la théorie, puis vers la
recherche. Le mouvement va rapidement se diviser en deux:
une courte poussée de la recherche expérimentale réalisée par
des scientifiques (décrite ci-dessoijs), et parallèlement, une acti-
36 DANIEL GILE

vité de réflexion (Section 3). C'est vers le milieu des années 80


qu'apparaîtra une deuxième vague de recherche plus proche
de ce qu'il est convenu d'appeler l a démarche scientifique', en
même temps que se poursuivront la réflexion et la théorisation
personnelles (Ch. 3).

2. La période expérimentale des années 60

2.1 Présentation des travaux

Les premières tentatives de recherche proprement dite sur


l'interprétation viennent de la psychologie et de la psycholin-
guistique. Conformément à la démarche de recherche qui a
cours dans ces disciplines, les travaux qu'elles suscitent portent
sur des éléments spécifiques de l'interprétation, sans viser l'in-
tégration dans un modèle global du processus, à l'exception
d'un modèle de D. Gerver (1976) — voir plus loin.
Les premiers travaux empiriques sur l'interprétation datent
du milieu des années 60. Les psychologues français Oléron et
Nanpon (1964), intrigués par le chevauchement de l'écoute et
de la production dans la simultanée, prennent des enregistre-
ments de discours et de leur interprétation en simultanée pour
examiner l'EVS ou 'Ear-Voice Span', c'est-à-dire le décalage
temporel entre le moment où une information est formulée
par l'orateur et le moment où elle est restituée par l'interprète.
Oléron et Nanpon trouvent un décalage se situant générale-
ment entre 2 et 10 secondes, variation qu'ils attribuent à la dif-
ficulté d'organiser mentalement l'information avant de pouvoir
la restituer. Notons que E. Paneth (1956) avait déjà observé des
décalages de 2 à 4 secondes, et que des chiffres analogues ont
été trouvés par la suite par d'autres chercheurs. Oléron et Nan-
pon pensent qu'étant donné la capacité limitée de la mémoire
à court terme de l'interprète, i l ne peut se permettre un déca-
lage trop élevé. Cette idée elle aussi correspond à l'intuition des
praticiens (les effets d'un EVS trop long sont notamment ana-
lysés à travers les modèles d'Efforts au Ch. 4 du présent
ouvrage). Oléron et Nanpon ont également étudié les erreurs
de traduction (omissions et additions), et ont noté que l'inter-
prétation avait tendance à être plus longue que la traduction
écrite des mêmes textes.
A. Treisman (1965) a mesuré la rapidité avec laquelle des
sujets bilingues pouvaient traduire d'anglais en français et
inversement. D'après elle, l'EVS est fonction des contraintes
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 37

grammaticales et des 'transformations' nécessaires entre dis-


cours en langue de départ et discours en langue d arrivée. On
trouvera au Ch. 3 l'évocation de quelques résultats plus récents
concernant ces transformations.
En 1967 sont également parus deux autres articles qui
concernaient l'interprétation simultanée, mais à titre acces-
soire. Dans l'un, E.A. Lawson, qui s'intéressait à l'attention
sélective, a utilisé des écouteurs pour acheminer alternative-
ment deux discours différents vers l'oreille droite et l'oreille
gauche de ses sujets (qui n'étaient pas interprètes), et leur a
demandé d'interpréter de l'anglais en néerlandais ou inverse-
ment le discours qu'ils entendaient dans l'oreille droite ou
l'oreille gauche. Son analyse a porté sur l'interférence entre les
deux canaux telle qu'elle s'est manifestée par des 'erreurs d'in-
terprétation'. Dans le deuxième article, F. Goldman-Eisler
(1967) a comparé les paramètres rythmiques de la parole et
des pauses dans des discours spontanés, des discours lus, et
des interprétations simultanées entre français, anglais et alle-
mand. Un premier résultat de cette étude fait apparaître que
dans les trois conditions expérimentales, les pauses représen-
tent au moins 30 % du temps total de parole. Dans sa synthèse
de la recherche empirique sur l'interprétation, D. Gerver
(1976:171) note que ces résultats ont été critiqués en tant
qu'artefacts possibles de la méthode de mesure utilisée.
Une variable considérée comme très importante par l'ensem-
ble des praticiens de l'interprétation, le débit de l'orateur, a
également attiré l'attention des chercheurs (Treisman 1965,
Barik 1973 et 1975, Goldman-Eisler 1967 et 1972, Oléron et
Nanpon 1964, Chernov 1969, Gerver 1969). D'après les inter-
prètes, ce débit serait optimal aux alentours de 100 à 120
mots/minutes (Seleskovitch 1968). Plusieurs chercheurs ont
cherché à le manipuler expérimentalement pour en voir les
effets sur les interprètes. Il ressort de ces expériences que face
à des débits rapides, les interprètes ont tendance à prendre un
recul plus grand, à faire davantage de pauses et à « parler
moins » en maintenant un débit régulier (Gerver 1976:172).
Face à un débit très élevé qui menace de saturer la capacité de
l'interprète, Chernov (1969) évoque des tactiques de « compres-
sion de texte » qui seraient utilisées par les praticiens. Pour
appuyer cette idée, ü présente les résultats d'une expérience au
cours de laquelle i l a compté les syllabes dans trois textes
anglais, puis les a fait interpréter en simultanée vers le russe
par des étudiants, et a compté les syllabes dans l'interprétation.
Il s'est avéré que le russe comprenait davantage de syllabes
38 DANIEL GILE

que l'original anglais. E n outre, les versions traduites par écrit


étaient plus courtes que les versions interprétées. L a même
expérience répétée avec des interprètes confirmés à abouti à
un nombre de syllabes en russe inférieur au nombre de syl-
labes en anglais. Chernov en conclut que les interprètes che-
vronnés ont usé de tactiques « de compression » leur permet-
tant de diminuer le volume global de leur discours en langue
d'arrivée.
Dans une démarche analogue, A. Krusina (1971) a comparé
la longueur de versions anglaises, françaises et allemandes
d'un discours en tchèque. En nombre de mots, les traductions
étaient toutes de 30 à 40% plus longues que l'original. Toute-
fois, en nombre de syllabes, le rapport s'inversait. Il en conclut
qu'il vaut mieux mesurer le débit en syllabes qu'en mots.
D. Gerver (1976:174) conteste la validité de ce choix, en souli-
gnant que les syllabes ne constituent pas nécessairement des
unités sémantiques, et que la traduction porte sur le sens, et
non pas sur le son.
Un important aspect des conditions de travail de l'interprète
est le bruit environnant. D. Gerver a réalisé une étude expéri-
mentale sur cette question (Gerver 1972, 1974a). Son montage
consistait en une expérience avec douze interprètes de confé-
rence qui ont interprété en simultanée vers l'anglais ou répété
avec décalage un discours français lu sous trois niveaux de
bruit : nul, modéré et fort. L'augmentation du nombre des
erreurs en fonction du bruit s'est avérée plus grande en simul-
tanée que dans le shadowing. Par ailleurs, l'EVS est resté le
même pour les trois niveaux de bruit. Gerver en déduit que,
pour garder un E V S constant, les interprètes affrontant de dif-
ficiles conditions d'écoute préfèrent accepter de commettre
davantage d'erreurs sans tenter de les corriger.
Gerver a également étudié l'effet du bruit sur la capacité des
auditeurs de comprendre et de se rappeler une version en lan-
gue d'arrivée de textes interprétés en simultanée et en consé-
cutive en la présence de différents types de bruit. Les résultats
font apparaître une certaine différence dans la compréhension
en faveur de la consécutive.
Une autre question étudiée par les chercheurs psychologues
et psycholinguistes est celle de la segmentation du discours
source par l'interprète. Pour H . Barik (1969), les pauses dans le
discours de l'orateur marquent peut-être les frontières des uni-
tés de sens' pour l'interprète et l'aident à segmenter le discours
source en vue de sa restitution en langue d'arrivée.
F. Goldman-Eisler (1972) pense que cette segmentation peut se
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 39

faire selon trois modalités : 1'« identité », qui consiste à coder


l'ensemble du segment. de discours se situant entre deux
pauses voisines, la « fission », qui consiste à commencer à
coder ce m ê m e segment avant m ê m e qu'il soit terminé, et la
« fusion », qui est le codage d'un enchaînement de deux ou plu-
sieurs segments de discours bornés par des pauses voisines.
Les résultats de son expérience font apparaître que la fré-
quence relative d'occurrence de chacune de ces modalités
dépend notamment de la langue de départ et de la langue d'ar-
rivée dans chaque combinaison spécifique ; dans l'interpréta-
tion à partir de l'allemand, les segments stockés en mémoire
avant d'être restitués en langue d'arrivée étaient plus longs que
dans l'interprétation à partir du français et de l'anglais.
Gerver (1971) a demandé à des étudiants en fin de cursus
d'interprétation de traduire en simultanée les enregistrements
de deux types de discours lus en français : les uns étaient pré-
sentés tels quels ; dans d'autres, le, relief prosodique avait été
affaibli, et toutes les pauses de plus d'un quart de seconde
avaient été éliminées. Dans les discours en langue de départ,
80 % des pauses intervenaient au début ou à la fin de consti-
tuants majeurs et 20 % au début ou à la fin de constituants
mineurs. Dans la première condition, les pauses dans le dis-
cours en langue d'arrivée étaient situées à 55 % après des mots
marquant le début ou la fin de constituants majeurs en langue
d'arrivée, dont 89 % au même endroit qu'en langue de départ ;
30 % étaient situées au début ou à la fin de constituants
mineurs, et 15 % à l'intérieur des constituants. Dans la
deuxième condition expérimentale, dans laquelle les pauses en
langue de départ avaient été supprimées, les pourcentages res-
pectifs étaient de 32 %, 42 96 et 26 %. Par ailleurs, la restitution
du contenu s'est avérée plus complète dans la première condi-
tion (avec pauses) que dans la seconde. Gerver en conclut que
les pauses dans le discours en langue d'arrivée aident les inter-
prètes à segmenter, à comprendre et à reformuler le discours
en simultanée.
F. Goldman-Eisler (1972) a analysé la structure linguistique
des segments de discours correspondant à l'EVS. Il s'est avéré
que la majorité de ces segments comprenaient au moins une
expression predicative complète (NP + VP). F. Goldman-Eisler
définit parmi ces segments E V S ' sept types de structures
grammaticales, et présente des statistiques sur leurs fré-
quences d'occurrence selon les langues de départ, à savoir l'an-
glais, le français et l'allemand.
40 DANIEL GILE

D'après certains chercheurs, les interprètes essaieraient de


réduire l'intensité de l'effort qui leur est demandé en simulta-
née en profitant des pauses dans le discours en langue de
départ pour y insérer autant d'informations que possible en
langue d'arrivée (voir par exemple F. Goldman-Eisler 1968).
H. Barik (1973) a examiné cette hypothèse en étudiant par
ordinateur le déroulement temporel des discours de départ et
d'arrivée, et notamment les pauses de plus de 0,60 secondes y
intervenant. Il a calculé la durée totale de chacun des 4 états
suivants : l'orateur parle et l'interprète parle, l'orateur parle et
l'interprète fait une pause, l'interprète parle et l'orateur fait
une pause, l'interprète et l'orateur font une pause tous les
deux. H. Barik a ensuite calculé statistiquement la proportion
de temps de pause de l'orateur pendant lequel l'interprète
devrait parler si les pauses de son discours étaient indépen-
dantes de celles de l'orateur. Il s'est avéré que le chiffre théori-
que escompté différait sensiblement du chiffre obtenu à partir
des mesures effectuées sur les discours du corpus, ce qui,
pour Barik, tend à corroborer l'hypothèse d'une utilisation par
les interprètes des pauses dans le sens évoqué plus haut. Barik
propose une explication de la fréquence élevée de l'état où
l'orateur fait une pause pendant que l'interprète parle. Il note
que dans le discours source, les pauses onftendance à interve-
nir entre des unités de sens ; les interprètes écouteraient des
unités de sens entières avant de commencer à les interpréter,
et seraient donc davantage susceptibles de parler pendant les
pauses de l'orateur que pendant que se déroulerait l'unité de
sens dans le discours original.
Ce raisonnement est contesté par D. Gerver (1976 :182), qui
fait remarquer que la plupart des pauses mesurées par
F. Goldman-Eisler (1968) chez des orateurs dans différentes
situations étaient d'une durée inférieure ou égale à une
seconde, et qu'elles avaient une durée moyenne d'environ une
à près de deux secondes dans les discours étudiés par H. Barik
(1969). Il considère qu'étant donné ces ordres de grandeur, la
stratégie postulée par ce dernier serait peu efficace, car l'on ne
peut pas dire grand-chose en une à deux secondes.
Il n'en reste pas moins que l'état où l'orateur et l'interprète
parlent tous les deux en même temps est très fréquent: 64%
de la durée du discours de départ selon une étude de cas de
Gerver (1972a). Dans les années 70, plusieurs chercheurs sovié-
tiques, notamment Irina A. Zimnyaya, Ghelly Chernov et Ana-
toly Shiryaev, ont procédé à des vérifications et ont trouvé que
l'interprète parlait en même temps que l'orateur environ 70 %
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 41

du temps (voir Chernov 1992). Une étude plus récente sur l'in-
terprétation entre le russe et le tchèque .de I. Cenkova de Pra-
gue (1985) fait apparaître des chiffres analogues. L a simulta-
néité du discours original et du discours cible sur une partie
importante de la durée du discours est l'un des rares résultats
factuels qui soient bien documentés dans la recherche sur l'in-
terprétation. E n revanche, la question de savoir dans quelle
mesure cette simultanéité affecte la qualité de la prestation de
l'interprète n'a pas été abordée.
I. Pinter (Kurz), la première interprète de conférence à soute-
nir une thèse de doctorat sur l'interprétation (en psychologie, à
l'université de Vienne, 1969), a étudie expérimentalement la
capacité d'écouter et de parler en même temps chez quatre
groupes de sujets : des interprètes chevronnés, des étudiants en
fin de cursus d'interprétation, des étudiants en début de cur-
sus d'interprétation, et de jeunes étudiants non inscrits en
interprétation. Les sujets devaient répéter des phrases et
répondre à des questions sous différentes conditions expéri-
mentales, dont deux impliquaient une superposition temporelle
de l'écoute et de la production. Il s'est avéré que les interprètes
professionnels et les étudiants en fin de cursus d'interprétation
avaient des résultats sensiblement meilleurs que les deux
autres groupes, ce qui semble corroborer l'hypothèse d'une
amélioration de la capacité d'écouter et de parler en même
temps au fil de l'entraînement.
D. Gerver (1974b) a réalisé une expérience avec des étu-
diants en fin de cursus d'interprétation qui ont écouté, inter-
prété en simultanée ou répété avec décalage des discours enre-
gistrés, puis subi un examen de compréhension et de rappel
des passages concernés. Les résultats étaient meilleurs après
l'écoute qu'après l'interprétation et la répétition avec décalage,
ce qui semble indiquer une interférence due à la simultanéité
de l'écoute et de la production. Ce résultat est corroboré par
une récente étude de M . Viezzi (1990).
S'agissant du contenu du discours de l'interprète, H. Barik
(1971) a fait une analyse détaillée de ce qu'il considère comme
des erreurs de traduction. Il définit entre autres quatre catégo-
ries d'omission :
1. Omission de segments d'un mot, tels que des qualificatifs.
2. Omission de segments plus importants pour cause
d'incompréhension.
3. Omissions dues à un E V S trop important.
4. Omissions dues au regroupement d'éléments provenant de
propositions différentes dans le discours de départ.
42 DANIEL GILE

Barik classe les erreurs sémantiques en deux catégories,


lune où l'interprète restitue le sens de l'original, et l'autre où il
l'altère sensiblement. Il classe aussi, parmi les erreurs et omis-
sions, les changements dans l'ordre de présentation de l'infor-
mation dans le discours d'arrivée par rapport au discours de
départ.
Une autre question importante traitée par plusieurs auteurs
est celle de l'anticipation. Cette idée est évoquée intuitivement
par plusieurs auteurs, notamment • 0. Kade et C. Cartellieri
(1971), qui parlent d'un modèle stochastique du discours
construit par l'interprète avec une incertitude décroissante à
mesure qu'il se déroule. G. Chernov (1973) a demandé à des
sujets d'interpréter du russe en anglais des discours compre-
nant des passages fallacieux, en ce sens que leur début laissait
présager une suite dans un sens particulier, et que leur fin
allait dans un autre sens. Dans son expérience, 75 % des inter-
prétations des passages se sont avérées conformes aux attentes
induites, et non pas au contenu réel du discours.
Enfin, D. Gerver (1976) présente un modèle du processus
d'interprétation simultanée, qui, curieusement, n'est que rare-
ment cité. Ce modèle se fonde sur une démarche psychologi-
que axée sur le traitement de l'information, avec des opéra-
tions de stockage et de retrait d'informations réalisées sur une
mémoire tampon, différentes opérations de codage et de déco-
dage, et des transformations de structures superficielles en
structures profondes et inversement.

2.2 Un examen critique des travaux expérimentaux

En résumé, la recherche sur l'interprétation pendant les


années 60 et le début des années 70 peut se caractériser
comme suit : •
1. Elle provient presque exclusivement des psychologues et
psycholinguistes, et la grande majorité des textes sont
publiés dans des revues relevant de ces deux domaines.
2. Elle est empirique, et essentiellement expérimentale.
3. L a somme des travaux reste très modeste et très disper-
sée. On note parmi les auteurs un Américain, un Britanni-
que, quelques Soviétiques, une Autrichienne, deux Alle-
mands, mais pas de groupe constitué en laboratoire ou
appartenant à un institut de recherche.
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 43

4. Comme on pouvait s'y attendre, les phénomènes étudiés


sont ponctuels et correspondent aux préoccupations des
psychologues plutôt qu'à des questions pratiques posées
par des interprètes et directement applicables dans la pra-
tique.
5. En ce qui concerne les résultats, on ne relève pas de nou-
veautés ou de grandes découvertes, ce qui n'est guère
surprenant compte tenu du très petit nombre d'études
réalisées.
6. L a plupart des travaux présentent des faiblesses méthodo-
logiques assez importantes (voir ci-dessous).

Nous ne nous attarderons pas sur les problèmes techniques


de la recherche expérimentale des années 60 tels que ceux
posés par les appareils de mesure ou par les méthodes statisti-
ques particulières utilisées. Ce dernier point est évoqué dans
Gile 1990g. Ce qui nous semble mériter de retenir l'attention
plus longtemps, ce sont les faiblesses qui caractérisent la
démarche des chercheurs 'extérieurs' de cette époque de
manière plus fondamentale, à savoir les problèmes liés à la
méconnaissance qu'ils avaient des principes mêmes de l'inter-
prétation.
Ces faiblesses peuvent être classées en plusieurs catégories,
qui tournent autour des éléments suivants :

2.2.1 Les sujets - v

Au cours de cette première période de recherche, les expéri-


mentateurs ont beaucoup recruté comme sujets non pas des
interprètes professionnels, mais des étudiants, voire des «bilin-
gues » sans formation ni expérience en interprétation. L a ques-
tion est de savoir dans quelle mesure les performances de tels
sujets reflètent les processus intervenant chez les profession-
nels.
A cette interrogation i l n'existe pas de réponse absolue, et i l
nous semble que le rejet catégorique et a priori de toute expé-
rience dont les sujets ne sont pas interprètes professionnels,
comme il se manifeste au sein de certains groupes d'inter-
prètes chercheurs, est injustifié. Pour prendre deux exemples à
titre illustratif, i l ne semble pas déraisonnable de prendre des
étudiants ou des « bilingues » pour une première exploration
expérimentale sur la fatigue des yeux lors de la lecture des
transparents et diapositives projetés à l'écran, ou sur la qualité
44 DANIEL GILE

de l'air en cabine au cours d'une journée d'interprétation, bien


qu'il puisse exister des différences entre les interprètes profes-
sionnels et des étudiants ou amateurs. Compte tenu de la
rareté des. interprètes mobilisables comme sujets pour la
recherche (voir Ch. 9), i l apparaît au contraire intéressant de
commencer l'exploration par des non-professionnels pour
ménager les ressources potentiellement mobilisables à un stade
ultérieur.
En revanche, en ce qui concerne la recherche sur les proces-
sus centraux de l'interprétation, des doutes sont permis. Il suf-
fit pour s'en convaincre de considérer deux faits :

— Le faible taux de réussite à l'école d'interprétation :


Parmi les 'bilingues' venant se présenter aux examens d'ad-
mission des principales écoles d'interprétation, candidats qui,
en France, sont déjà titulaires d'au moins une licence, mais
plus souvent d'une maîtrise universitaire, seule une minorité
est admise en première année. Parmi eux, comme i l est men-
tionné au Ch. 1 (voir aussi le Ch. 7), seule une fraction de la
cohorte obtiendra le diplôme. Il est vrai que certains trouve-
ront un autre chemin pour accéder à la profession (d'ailleurs, i l
existe aussi des interprètes autodidactes), mais ils représentent
une minorité très faible, statistiquement peu significative et
qui, dans les pays occidentaux, tend à disparaître. Or, le
diplôme d'interprétation n'est pas un concours, mais un exa-
men de l'aptitude du candidat à exercer la profession
d'interprète.
Sur cette base, i l ne semble pas déraisonnable de penser
qu'un sujet choisi par l'expérimentateur sans raison autre que
son 'bilinguisme' et sa disponibilité a moins d'une chance sur
cinq d'avoir l'aptitude nécessaire à l'interprétation, et que
même un étudiant en dernière année de cursus d'interpréta-
tion a moins d'une chance sur deux d'avoir cette aptitude.

— L'effet d'apprentissage :
Indépendamment de la question des aptitudes linguistiques
et intellectuelles intervient l'effet de l'apprentissage. En effet, la
formation dure deux ans dans la plupart des écoles, et six mois
dans les stages intensifs proposés par les Nations Unies et la
Commission des Communautés européennes. Pendant cette
période, les étudiants apprennent un certain type d'écoute, une
certaine forme d'analyse, le partage de l'attention, le contrôle
de la production en langue d'arrivée en la présence auditive de
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 45

la langue de départ, la lutte anti-interférences plus particulière-


ment, un ensemble de tactiques pour faire face aux autres dif-
ficultés (présentées au Ch. 4). Certaines différences dans les
performances entre sujets se situant à différentes étapes de
l'apprentissage ont d'ailleurs été documentées, notamment par
I. Pinter (1969), G. Chernov (1969) et P. Gerver (1974b), qui
affirme d'ailleurs lui-même au début de sa synthèse sur la
recherche en interprétation (1976:167) que les aptitudes qui se
développent chez les interprètes ne: se retrouvent pas dans la
population générale des bilingues.
En conséquence, i l apparaît également risqué de partir de
l'hypothèse selon laquelle la prestation de sujets non formés ou
en cours d'apprentissage serait un bon reflet des processus
intervenant chez les professionnels confirmés, même s'ils pré-
sentent les aptitudes linguistiques et intellectuelles de base.

2.2.2 Les matériaux

De nombreux discours utilisés dans les expériences décrites


ci-dessus sont des textes écrits. Or, généralement, ceux-ci diffè-
rent sensiblement des discours spontanés par leur structure
grammaticale, leur densité informationnelle, et (parfois) leur
lexique (Halliday 1985). Il pourrait en résulter des différences
sensibles, tant qualitatives que quantitatives, dans les processus
engendrés dans l'interprétation. S'y ajoute le côté prosodique
qui, comme le soulignent les^ chercheurs psychologues, peut
influer fortement sur ces processus. L'importance pour l'inter-
prète de la différence entre discours spontanés et discours lus
est régulièrement soulignée par les praticiens, et a fait l'objet
d'une thèse de doctorat (Déjean Le Féal 1978). Les expériences
utilisant des discours lus ne sauraient donc a priori être consi-
dérées comme représentatives de situations sur le terrain
autres que celles où l'interprète a affaire à des orateurs lisant
des discours préparés à l'avance. "
S'y ajoute la question du type même de texte utilisé. E n
effet, en conférence, les textes lus appartiennent à un nombre
restreint de catégories. Ce sont le plus souvent des discours
officiels, des communiqués de presse, de courts extraits de
textes réglementaires et judiciaires, des résolutions, des com-
munications scientifiques, dont chacun présente peut-être des
difficultés spécifiques et donne peut-être lieu à des processus
et tactiques d'interprétation différents. On peut se demander
dans quelle mesure les p r o c e 3 s u s engagés lors de la traduction
46 DANIEL GILE

des textes utilisés dans les expériences des années 60, tels que
des articles du Courrier de l'UNESCO,/voire des phrases isolées
ou des mots isolés (Treisman 1965), sont comparables à ceux
qui interviennent dans 1 interprétation simultanée sur le terrain.

2.2.3 Les conditions expérimentaies

Un autre problème réside dans le fait que dans plusieurs


expériences, les interprètes n'ont pas travaillé dans leur combi-
naison linguistique habituelle (Barik 1973, 1975, Oléron et Nan-
pon 1964), ce qui est susceptible d'avoir modifié certains pro-
cessus, les sujets n'ayant pas nécessairement dans ces
combinaisons linguistiques inhabituelles les mêmes réflexes et
tactiques que dans leurs prestations usuelles (voir Nowak-
Leeman 1990).
De manière plus générale se pose la question de savoir si les
processus intervenant en laboratoire, c'est-à-dire dans un envi-
ronnement artificiel, où l'interprète ne réagit pas à un véritable
objectif de communication et à l'ensemble des stimulations
présentes en salle de conférence, y compris les réactions du
public, sont comparables à son travail en situation réelle. Il
s'agit là de l'un des problèmes les plus fondamentaux de la
recherche expérimentale en général, qui se pose dans bien
d'autres disciplines, surtout dans les sciences humaines (voir
Gile 1990g).

2.2.4 Les définitions, inferences et évaluations

Dans ces premiers travaux des psychologues apparaissent


aussi des problèmes ayant trait à des définitions et des raison-
nements. Certains relèvent du simple bon sens. Il en est notam-
ment ainsi de l'idée de l'utilisation des pauses de l'orateur par
l'interprète pour réduire le temps où i l devra parler et écouter
en même temps, postulée par H. Barik et F. Goldman-Eisler, et
contestée par D. Gerver (voir plus haut).
D'autres faiblesses ont une nature plus fondamentale. Ainsi,
dans une analyse de la recherche sur l'interprétation simulta-
née, C. Stenzl (1983) note des problèmes dans la définition de
la qualité du travail en interprétation. ' Sont concernées plus
spécialement les « erreurs et omissions », définies par Barik et
par Gerver — de manière « purepient subjective » de l'aveu de
ce dernier (1976: 186). Pour objectiver quelque peu ces cri-
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 47

teres, il fait appel à deux évaluateurs, qui avaient une expé-


rience « de la correction de traductions écrites jusqu'au niveau
de la première année d'université ». On peut douter de l'équiva-
lence a priori de l'évaluation à la lecture de textes écrits avec
l'évaluation à l'écoute de discours oraux. Les différences ne
tiennent pas seulement à des critères purement linguistiques
(on sait que l'oral est plus tolérant que l'écrit à la grammaire
formelle, et que des informations peuvent passer sans être ver-
balisées à travers des indices visuels ou vocaux), mais aussi
aux stratégies de fidélité des interprètes (Ch. 5), qui ne corres-
pondent pas nécessairement à celles des traducteurs. Ainsi, les
interprètes peuvent décider de modifier quelque peu un texte
tout en lui préservant sa valeur sémantique (l'une des catégo-
ries d'erreurs' selon Barik) là où les traducteurs hésiteraient.
De même, les interprètes peuvent vouloir ajouter' un mot ou
une expression par rapport à ce qu'a dit l'orateur pour être
plus clairs au bénéfice des destinataires, par exemple s'ils sup-
posent que ces délégués n'ont pas une très bonne connaissance
de la langue d'arrivée, là où les traducteurs hésiteraient à
prendre la m ê m e liberté. L a question n'est pas de savoir si les
définitions et stratégies des interprètes sont bonnes dans l'ab-
solu, mais quand on examine l'effet de facteurs perturbateurs
sur l'interprétation, i l paraît raisonnable de cerner et de mesu-
rer les déviations par rapport aux buts recherchés par les
interprètes dans leur discours, et non pas les écarts par rapport
à des définitions de tiers, dont on ne sait pas dans quelle
mesure elles correspondent à ce que recherchent les inter-
prètes. On notera aussi, à propos de H . Barik, qu'il prend le ris-
que de déterminer non seulement la nature des erreurs, mais
aussi leur origine (notamment l'incompréhension et le retard
excessif pris par l'interprète par rapport à l'orateur), sans tou-
tefois indiquer comment il trouve celle-ci.
On évoquera aussi l'EVS ou décalage temporel entre la
réception d'un message par l'interprète et sa reformulation en
langue d'arrivée. Comme le souligne C. Stenzl en citant
M. Lederer (1981a), l'EVS est difficile à mesurer, car un mot
peut être restitué par une paraphrase, par un trait prosodique
ou par d'autres moyens, et non pas par un mot précis en lan-
gue d'arrivée. E n revanche, i l est possible de mesurer l'EVS
pour les débuts et fins de phrase, ce qui peut présenter un cer-
tain intérêt : en effet, la mise en évidence d'une différence sen-
sible entre l'EVS moyen selon le couple langue de travail-
langue d'arrivée pèserait en faveur de l'hypothèse de la dépen-
dance de l'interprétation à l'égard de la combinaison linguisti-
48 DANIEL GILE

que, thèse combattue par certains théoriciens (voir Ch. 8). Tou-
jours à propos de l'EVS et de l'hypothèse de D. Gerver
(1976 :175) selon laquelle les interprètes accepteraient de sacri-
fier la précision au maintien d u n E V S constant, i l n'est pas
déraisopnable de penser que les interprètes cherchent un équi-
libre entre un E V S court ne risquant pas de surcharger leur
mémoire à court terme d'une part, et un recul suffisant leur
permettant de reformuler une information suffisamment com-
plète et bien assimilée d'autre part. Toutefois, considérer le
maintien d'un E V S constant comme un but en soi s'opposant à
la recherche de la fidélité informationnelle, c'est méconnaître
profondément la mission et les priorités des interprètes telles
qu'ils les voient (Ch. 5).
C'est donc bien essentiellement la méconnaissance de l'inter-
prétation qui fait la faiblesse de ces travaux expérimentaux de
la première génération. Ces insuffisances, mais aussi, peut-on
penser, le fait même que des chercheurs scientifiques se soient
intéressés à l'interprétation, ont poussé les praticiens à réaliser
leurs propres tentatives.

3. La période des praticiens : les années 70 et 80

3.1 Introduction

Les recherches menées par les psychologues et psycholin-


guistes sur l'interprétation ne satisfaisaient pas les praticiens,
en ce sens qu'elles n'apportaient pas de résultats applicables
susceptibles d'aider ces derniers à améliorer leur prestation ou
à mieux former leurs futurs confrères. Les praticiens étaient
également déçus au vu des faiblesses méthodologiques que
présentaient ces premiers travaux expérimentaux. Dans le
même temps, la réflexion personnelle et théorique sur l'inter-
prétation prenait de l'essor dans les écoles rattachées à des
universités, notamment à Paris. C'est ainsi que naquit un mou-
vement parallèle d'interprètes, essentiellement des enseignants,
qui décidèrent de chercher des réponses à leurs questions par
leurs propres moyens.
Dans plusieurs pays, les praticiens commencèrent à réfléchir
sur les mécanismes sous-tendant l'interprétation. De nombreux
articles parurent dans les organes des écoles, puis dans le Bul-
letin de l'AIIC, ainsi que dans différentes revues de traduction
et autres périodiques. Puis les thèses d'interprètes se multiplié-
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 49

e
rent, avec notamment la mise en place d'un cursus de 3 cycle
en traduction et en interprétation h l'ESIT à Paris.
En 1977 fut organisée à Venise, à l'initiative de deux psycho-
logues, D. Gerver et H . Wallace Sinaiko, une réunion entre
chercheurs dans les sciences linguistiques et comportementales
d'un côté, et les interprètes de l'autre, en vue d'échanger des
idées et d'élaborer des projets de coopération dans la
recherche entre les deux communautés (Gerver et Sinaiko
1978). Sur ce plan, le colloque fut un,échec, les praticiens reje-
tant la démarche des scientifiques, et i l n'y eut pas de suite.
Comme le fait remarquer Laura Gran de Trieste (Gran et
Dodds 1989:11), ce fut le début d'une longue période, quelque
dix ans, marquée par une absence presque totale de dialogue
entre les praticiens et la communauté scientifique. Il semble en
effet qu'à l'exception des chercheurs soviétiques, qui, si l'on en
juge d'après les comptes rendus qu'en font H . Salevsky (1987a)
et G. Chernov (1992), semblent s'être intéressés depuis toujours
à la psychologie, à la linguistique et à la recherche empirique,
les praticiens auteurs d'études sur l'interprétation semblent
dans l'ensemble avoir, délibérément ou non, ignoré les connais-
sances et les méthodes de la communauté scientifique.

3.2 Caractéristiques générales de la période

Avant d'analyser de manière plus détaillée l'activité de thé-


orie et de recherche menée pendant cette période, il semble
intéressant d'en indiquer en synthèse les principales caracté-
ristiques :

3.2.1 Une activité de recherche menée par des praticiens-ensei-


• ' gnants

Entre le milieu des amiées 70 et le milieu des années 80, la


quasi-totalité des travaux de recherche et de théorisation sur
l'interprétation ont été menés par des praticiens ou des ensei-
gnants de l'interprétation. Les derniers travaux de H . Barik et
de E Goldman-Eisler datent du début de la décennie, et la der-
nière publication de D. Gerver est le volume d'actes de la
conférence de Venise citée ci-dessus. A partir de ce moment là
et jusque vers le milieu des années 80, la grande majorité des
écrits réflexifs, théoriques et empiriques sur l'interprétation —
plusieurs centaines d'entrées dans notre bibliographie person-
nelle— sont signés de praticiens qui enseignaient l'interpréta-
50 DANIEL GILE

tion. On notera aussi une vingtaine de mémoires de fin


d'études réalisés par des étudiants en Allemagne (à l'école de
Heidelberg), en Italie (à l'école de Trieste) et au Japon (à la
International Christian University de Tokyo).
Les principaux centres de réflexion sur l'interprétation
durant cette période sont Paris (notamment l'ESIT), l'Alle-
magne, les Etats-Unis (notamment l'école de l'université de
Georgetown, dans le troisième tiers de la période), Tokyo, Mos-
cou et la Tchécoslovaquie. Les articles et livres de praticiens
non-enseignants viennent surtout du Japon, avec des textes de
type anecdotique.
Notons au passage que ces centres de réflexion ont une pro-
duction très modeste, puisque d'après notre bibliographie per-
sonnelle, au total, à l'exception de la France en 1981, 1984 et
1985, aucun n'a produit plus de 10 publications par an durant
cette période, la moyenne mondiale annuelle des textes pro-
duits, tous centres et toutes catégories confondues, étant de
l'ordre de 10 entre 1970 et 1974, de 20 entre 1975 et 1979, et
de 25 entre 1980 et 1984. E n outre, ces centres tournaient
autour d'un très petit nombre de théoriciens et chercheurs. Si
l'on examine le nombre des auteurs de textes sur l'interpréta-
tion appartenant à chaque centre géographique, seules l'Alle-
magne, la France et l'Union Soviétique comptent plus de 10
auteurs. A u total, l'ensemble des textes durant cette période
sont produits par quelque 80 auteurs. Il s'agit donc d'une petite
communauté, très éparpillée à travers le monde.

3.2.2 L'essentiel des travaux est de type réflexif ou théorique

Par opposition aux années 60, au cours desquelles l'essentiel


de la recherche a été mené par des chercheurs fortement
orientés vers la démarche expérimentale, les années 70 se
caractérisent par une augmentation relative de la masse des
considérations fondées sur la seule expérience personnelle de
chacun plutôt que sur une démarche d'observation systémati-
que de phénomènes spontanés ou provoqués en laboratoire.
Cette tendance personnelle se développe surtout en Occident,
notamment en France. E n même temps se cristallise dans les
deux Allemagnes, à Heidelberg, puis à Germersheim en RFA et
à Berlin et à Leipzig en RDA, un mouvement théorique axé sur
la linguistique et couplé avec la recherche théorique sur la tra-
duction écrite.
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 51

Cette caractéristique est fortement corrélée avec le fait que


l'essentiel de la recherche est mené par des praticiens et des
enseignants venant pour la plupart des disciplines littéraires, et
plus particulièrement de l'étude des langues vivantes et des
civilisations étrangères ; ni les uns ni les autres ne sont formés
à la recherche empirique. Par ailleurs, celle-ci avance par petits
pas : il s'agit d'abord de recueillir des données ; puis des hypo-
thèses sont élaborées, vérifiées à travers d'autres observations
et expériences, corrigées le cas échéant, la progression étant
très prudente. Ce type de démarche ne répondait manifeste-
ment pas à ce que cherchaient les praticiens et chercheurs, à
savoir des réponses pratiques et quasiment immédiates pour
leur permettre d'améliorer la qualité de leur travail ainsi que
leurs méthodes de formation. Troisièmement, comme il est
indiqué au Ch. 1, tant la motivation que la disponibilité man-
quaient pour ce type de travail au' long cours demandant, en
plus de la partie créative, de longs efforts de traitement méca-
nique' des données (transcription, classement, comptage ou
autres mesures, traitement statistique). On notera à cet égard
que le faible volume de recherche empirique qui a tout de
même été réalisé pendant cette période l'a surtout été dans les
pays de l'Est, notamment en Union soviétique et en Tchécoslo-
vaquie. Ce phénomène s'explique peut-être partiellement par le
fait que les enseignants et praticiens y étaient fonctionnaires,
avec des horaires relativement réguliers et des revenus plus ou
moins indépendants du nombre de journées d'interprétation
accomplies; dans les pays occidentaux, le statut libéral de la
quasi-totalité des praticiens fait qu'ils donnent la priorité non
pas à la recherche, mais à la pratique de l'interprétation, dont
provient la quasi-totalité de leurs revenus même quand ils sont
enseignants.
On mentionnera aussi les faiblesses méthodologiques des
expérimentateurs, évoquées plus haut, qui ont jeté parmi les
praticiens la suspicion non seulement à l'égard des psycholo-
gues et psycholinguistes, mais aussi à l'égard de la démarche
expérimentale en tant que telle.
En revanche, la réflexion personnelle et la théorisation com-
portaient une grande part de création et très peu de travail de
recueil et de traitement de données. Elles pouvaient se dérou-
ler au domicile du chercheur, sans contrainte d'horaires, sans
le passage obligé par l'apprentissage de méthodes d'élaboration
de plans expérimentaux et de techniques statistiques, sans la
rigueur d'une logique axée sur des domiées concrètes obtenues
dans des situations précises. E n outre, la réflexion personnelle
52 DANIEL GILE

et la théorisation permettaient aux chercheurs d'aborder d'em-


blée les questions qui fes intéressaient, à savoir les principes et
théories directement applicables à la pratique de l'interpréta-
tion et de son enseignement. L a tendance suivie dans la
recherche par les praticiens et enseignants s'explique donc fort
bien (voir aussi Moser-Mercer 1991).

3.2.3 Pes travaux fortement cloisonrjés

Durant les années 70 et jusque vers la fin des années 80, des
travaux étaient réalisés dans plusieurs centres répartis dans le
monde, en partie par des groupes de chercheurs constitués,
comme à l'ESIT à Paris, en partie par des étudiants à l'occa-
sion de leur mémoire de fin d'études, comme à Heidelberg et à
Trieste, mais souvent aussi par des individus isolés. Qui plus
est, si de nombreux chercheurs en interprétation dans diffé-
rents pays étaient au courant des travaux menés à l'ESIT
grâce à la puissante diffusion des écrits qui en émanaient, la
grande majorité d'entre eux, y compris d'ailleurs les cher-
cheurs de l'ESIT, ne savaient pas ce qui se faisait ailleurs. A u
cours de nombreuses visites dans des universités et écoles d'in-
terprétation dans différentes parties du monde depuis 1985,
nous avons pu constater que les chercheurs que nous avons
rencontrés ignoraient une proportion étonnante des travaux de
leurs confrères dans d'autres pays, voire dans leur propre pays.
A cet état de fait, quatre explications possibles :

— Les obstacles linguistiques


Ceux-ci existent même au sein de la communauté des tra-
ducteurs et interprètes. On admettra sans difficulté que les
Européens de l'Ouest et les nord-Américains n'aient pas pu lire
les textes écrits en russe, en chinois ou en japonais. E n
revanche, l'explication linguistique ne tient pas pour les Japo-
nais qui ne connaissaient pas les publications en anglais. L'obs-
tacle linguistique explique aussi que de nombreux textes rédi-
gés en allemand n'aient pas été lus en dehors des pays
germanophones (voir Stenzl 1983, Snell-Hornby 1992). Ce dont
on se rend moins compte, c'est que des textes rédigés en fran-
çais sont restés inaccessibles à de nombreux chercheurs en
interprétation, notamment en Asie et en Australie, mais aussi
dans certains pays européens.
REGARDS SUR LA RECHERCHE E N INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 53

— Des barrières politiques


Elles expliquent surtout que l'information ait eu beaucoup
de niai à circuler entre les pays de landen «bloc de l'Est» et
les pays occidentaux, d'où la méconnaissance en Occident de
ce qui se faisait en Union soviétique et en Tchécoslovaquie.

— La formation des praticiens à la recherche


Contrairement aux psychologues et psycholinguistes, les pra-
ticiens, qui n'ont pas été formés spécifiquement à la recherche,
ne suivent pas la discipline de la recherche, et notamment ne
cherchent pas systématiquement à prendre connaissance de
tous les travaux réalisés sur un thème avant de l'aborder eux-
mêmes. On est fondé à croire que s'ils étaient passés par cette
étape dans leurs travaux plutôt que de ne se fonder que sur
leurs propres observations et réflexions, la communication
entre interprètes-chercheurs, au moins dans les pays occiden-
taux, aurait été sensiblement meilleure.

— Les attitudes
Il nous semble toutefois incontestable que dans certains cas
au moins, le cloisonnement ait été le résultat non pas de fac-
teurs extérieurs, mais de la volonté — en l'occurrence le man-
que de volonté — des chercheurs. Ce facteur est notamment
manifeste chez les chercheurs japonais, qui ne semblent pas
avoir cherché à connaître les écrits occidentaux sur l'interpré-
tation. Lors d'un séjour de recherche d'un an au Japon entre
août 1985 et septembre 1986, nous avons pu nous rendre
compte que non seulement les Japonais ne lisaient pas ces
textes, mais qu'ils s'en désintéressaient, probablement en rai-
son de leur approche plus pragmatique que théorique et scien-
tifique de l'interprétation. Plus frappant encore, le groupe de
l'ESIT, dont les membres se citent constamment, mais ne se
réfèrent quasiment jamais à des travaux sur l'interprétation
extérieurs à leur école (voir Brisset 1993).

3.3 La « théorie du sens »

Pendant les années 70 intervient une véritable explosion des


publications sur l'interprétation, qui se poursuit d'ailleurs dans
les années 80. Dans cette masse de textes, le groupe de l'ESIT
54 DANIEL GILE

occupe une place très importante. Non seulement ses écrits en


représentent près de 20 %, mais y figurent notamment un livre
à grand succès, L'interprète dans les conférences internatio-
nales de D. Seleskovitch (1968), ainsi qu'une dizaine de thèses
de doctorat, face à un total de cinq thèses soutenues ailleurs
pendant la même période. C'est aussi dans les années 70 qu'a
été créé à l'ESIT un programme d'études doctorales en traduc-
tion et en interprétation, le premier dans son genre (qui est
d'ailleurs resté unique en France, alors que des chaires de tra-
duction et interprétation ont été créées ailleurs, notamment en
Autriche). Sous l'énergique impulsion de D. Seleskovitch, l'ESIT
s'est fortement implantée au sein du groupe d'écoles dont pro-
viennent la plupart des chercheurs et théoriciens de l'interpré-
tation, et ses idées, notamment la 'théorie du sens', flatteuses
pour l'interprétation et les interprètes, ont pris une position
dominante au sein de la communauté des enseignants.
La 'théorie du sens', ou 'théorie interprétative de la traduc-
tion', postule que lors de la traduction, le traducteur (ou inter-
prète) écoute le discours en langue de départ, en extrait le
'sens' ou 'message' en « oubliant volontairement » l'enveloppe
linguistique en langue de départ (Seleskovitch 1968:35), puis
reformule ce même 'sens' en langue d'arrivée sans référence à
l'enveloppe linguistique initiale. Pour traduire, trois conditions
doivent être réunies :
— La compétence traductionnelle, qui n'est pas définie
explicitement.
— La maîtrise des langues de départ et d'arrivée,
— Une bonne connaissance du sujet et de la situation de
communication.

A partir de là, le traducteur (ou interprète), qui est « l'égal


intellectuel de l'auteur ou orateur » (Seleskovitch et Lederer
1984:165-166), est en mesure de traduire, et ce quelles que
soient les langues de départ et d'arrivée, et sans difficultés par-
ticulières dues à la combinaison linguistique spécifique concer-
née (voir Ch. 8).
Ce schéma présente un attrait certain pour les enseignants-
praticiens :
— D'une part, i l correspond à une stratégie réelle qui s'est
cristallisée au fil des ans chez les interprètes, et qui a pour
mérite de les délivrer de la lenteur et des dilemmes de la servi-
tude comparatiste. L'interprète considère que son devoir de
fidélité se rapporte au 'vouloir-dire' de l'orateur tel qu'il le per-
çoit, et ne s'attarde pas sur les éventuelles divergences entre
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 55

les paroles effectivement prononcées en langue de départ et les


mots prononcés en langue d'arrivée. La 'théorie du sens' donne
à cette stratégie une justification doctrinaire qui dispense sçs
tenants d'une justification théorique ou expérimentale de ce
concept de la fidélité :
«La pratique de l'interprétation a prouvé que cette latitude
(à l'égard des mots du discours) critiquée dans le passé sur le
plan traductologique théorique comme marque d'infidélité à
l'égard de l'original, est le meilleur garant de la fidélité à son
fond et à sa forme » (Seleskovitch et Lederer 1989 :251).
— La 'théorie du sens' est d'une grande simplicité, et son
assimilation ne demande pas l'acquisition d'un bagage théori-
que. Les opérations de compréhension et de reformulation n'y
sont pas analysées en détail. L a théorie se contente d'indiquer
que la compréhension s'appuie sur les connaissances linguisti-
ques et extra-linguistiques existantes et sur les connaissances,
linguistiques et extra-linguistiques, que fournissent la situation
et le contexte.
— La 'théorie du sens' est valorisante pour l'interprète, en ce
sens qu'elle met l'accent sur l'analyse qu'il effectue à tout
moment, analyse qui le place haut sur le plan intellectuel, au-
dessus du «linguiste» qui ne fait que « transcoder », c'est-à-dire
chercher mécaniquement des équivalences linguistiques.
— Enfin, la 'théorie du sens' a des applications dans la for-
mation des traducteurs et interprètes : elle asseoit la nécessité
pour les étudiants de maîtriser parfaitement leurs futures lan-
gues de travail avant même d'entamer l'apprentissage du
métier, et concentre fortement les efforts pédagogiques sur
l'analyse plutôt que sur les équivalences linguistiques.
La solide implantation de la 'théorie du sens' dans la com-
munauté des enseignants durant cette période peut également
être attribuée à des facteurs sociologiques. En effe% son princi-
pal porte-parole, D. Seleskovitch, avait soutenu le premier doc-
torat français sur l'interprétation et créé le premier pro-
gramme doctoral sur la traduction et l'interprétation en
France. La série de thèses sur ^ l'interprétation soutenues à
l'ESIT au cours des années 70 avait renforcé le prestige de
l'école. Les idées qui y étaient défendues bénéficiaient naturel-
lement de cette situation.
L'implantation de la 'théorie du sens' dans une position
dominante a pendant de nombreuses années frappé d'un tabou
les recherches linguistiques sur l'interprétation (voir Ch. 8). A
cela s'ajoute un rejet catégorique de rexpérimentation qui,
selon les tenants de la 'théorie du sens', ne saurait être une
56 DANIEL GILE

démarche de recherche valable, car elle ne peut reproduire


l'ensemble des éléments de la communication sur le terrain,
éléments qui jouent un rôle essentiel dans les processus de
l'interprétation. Pour Seleskovitch et Lederer, seules les situa-
tions « authentiques » constituent Une bonne base pour l'obser-
vation de l'interprétation (Seleskovitch dans Seleskovitch et
Lederer 1984:263).
Les faiblesses des travaux expérimentaux menés par les psy-
chologues durant les années 60 et au début des années 70 y
étaient pour quelque chose, mais peut-être y avait-il aussi une
certaine attitude défensive de la part des praticiens-
chercheurs : ayant trouvé leur terrain de chasse, ils marquaient
leur territoire et le défendaient contre toute incursion étran-
gère en rejetant la démarche des scientifiques, et en allant jus-
qu'à poser que seuls les praticiens étaient qualifiés pour la
recherche sur l'interprétation, les autres ne comprenant pas la
nature de celle-ci. Cette attitude se manifeste d'ailleurs par un
langage parfois assez violent. Ainsi, se référant aux erreurs
commises dans les années 60, M . Lederer critique « certains
psychologues, qu'il est plus charitable de ne pas nommer ici... »
(Seleskovitch et Lederer 1984:146), et D. Seleskovitch affirme
que « depuis près d'un siècle... [la psychologie] ...se contente
d'étudier les réflexes conditionnés de petits rongeurs » (Seles-
kovitch et Lederer 1984:295).

3.4 Thèmes et réalisations

3.4.1 La formation

Pendant les années 70 et 80, les thèmes liés à la formation


des interprètes ont sans aucun doute été ceux qui ont rassem-
blé le plus grand nombre d'écrits sur l'interprétation, que ce
soit sous forme d'articles, de communications ou de livres.
Même les textes ne traitant pas explicitement de ce thème
comportent souvent des références aux applications en matière
de formation.
Si l'on examine l'ensemble de ces publications, on s'aperçoit
qu'il s'agit essentiellement de textes normatifs et réflexifs. On
notera aussi la grande place qu'y prend la consécutive, et plus
particulièrement la prise de notes. Les textes sont assez répéti-
tifs, en ce sens qu'ils reprennent les mêmes idées, parfois
contradictoires, et que les débats prennent la forme d'une suc-
cession • d'affirmations et contre-affirmations (notamment en
REGARDS SUR LA. RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 57

matière de 'shadowing', de travail vers la langue B, de chrono-


logie dans la progression de la consécutive à la simultanée),
sans tentatives d'approfondissement ou de vérification
empirique.
Quelques tentatives de recherche ont néanmoins été faites
(voir par exemple Moser 1978), mais elles ne semblent pas
avoir été suivies d'applications au sein des écoles, qui ont pré-
féré s'en tenir à des critères intuitifs. Actuellement, on peut
considérer que les méthodes en cours dans les écoles les plus
connues, teUes que décrites par exemple dans Delisle 1981 et
dans Seleskovitch et Lederer 1989, relèvent toujours de l'intui-
tion et non pas de la recherche. L a recherche sur la formation
est présentée plus amplement au Ch. 7.

3.4.2 Les modèles de l'interprétation

Si les chercheurs non interprètes, qui étaient pour la plupart


psychologues cogniticiens et psycholinguistes, se sont penchés
sur des questions précises relevant des processus linguistiques
et psychologiques intervenant en interprétation, du côté des
chercheurs-praticiens, en dehors de la formation, ce sont les
modèles de l'interprétation qui semblent avoir fait l'objet des
efforts de recherche les plus nombreux.
Le modèle le plus simple de l'interprétation est le concept
« triangulaire » de la 'théorie du sens' expliqué plus haut.
Dans la m ê m e lignée, Mariano Garcia-Landa (1978) reprend
le principe abstrait comprehension-reformulation et en expli-
cite les paramètres théoriques à travers une formule à l'allure
mathématique, en y ajoutant la différence qui peut intervenir
entre le sens que l'orateur cherche à exprimer et celui que
comprend l'interprète. M . Garcia-Landa reconnaît par là impli-
citement que la perception du discours de l'orateur par l'inter-
prète n'aboutit pas à «La compréhension » dans l'absolu,
comme semble l'impliquer le modèle triangulaire idéalisé
défendu par D. Seleskovitch.
Marianne Lederer (1981) reprend l'idée d'une compréhension
axée sur le « sens » plutôt que sur la « signification linguistique »
des mots. Elle affine quelque peu l'analyse de la phase de com-
préhension en parlant d'une compréhension par « unités de
sens » successives, qui sont l'élément de base opérationnel de
l'interprétation, et précise que l'interprète de simultanée effec-
tue huit actions qui se chevauchent dans le temps :
1. L'audition du discours
58 DANIEL GILE

2. L a compréhension du discours
3. L'intégration des unités . de sens à des connaissances
antérieures
4. L'énonciation à partir de la mémoire cognitive
5. La restitution à partir de la langue originale (opération de
calque)
6. L'évocation de termes à partir de la mémoire vocale
7. Le contrôle auditif du discours d'arrivée
8. L a prise de conscience de la situation ambiante

Marianne Lederer ne précise pas comment ces opérations


s'intègrent les unes par rapport aux autres dans un processus
cohérent, et ne fait pas intervenir dans son analyse les connais-
sances de l'époque en linguistique et en psycholinguistique.
Rappelons aussi le modèle de communication de
H. Kirchhoff (1976), dit « modèle à trois participants et deux
langues », où est montré le parcours d'un concept à partir de
son codage linguistique, puis de son expression verbale par
l'orateur, vers la compréhension' par l'interprète, qui se fait
grâce à ses connaissances, puis, à travers le codage et l'expres-
sion verbale par l'interprète, vers sa compréhension par le des-
tinataire. Ce modèle ne précise pas non plus les processus
cognitifs.
Contrastant avec ces modèles très schématiques, les modèles
de David Gerver (1976) et de Barbara Moser (1978) sont fon-
dés sur la psychologie cognitive. Ils se décomposent eux aussi
en une phase de compréhension et une phase de reformula-
tion, et comportent différentes étapes de détection de caracté-
ristiques phonétiques, d'analyses, de comparaisons entre des
contenus de mémoires à court et à long terme, de décisions
sur l'identité linguistique des segments de discours, puis une
étape de production de discours qui est détaillée en termes de
traitements linguistiques, d'opérations d'anticipation et de tests.
Enfin, i l convient d'évoquer deux modèles russes, celui de
Chernov (1978) et celui de Shiryaev (1979). Pour ce dernier, la
simultanée se compose de trois étapes : 1'« orientation », qui
correspond à la compréhension, la « recherche », qui consiste
en la prise de décisions de traduction, et 1'« exécution ». Les
« niveaux de conscience » se déterminent par un « mécanisme
de synchronisation », qui semble englober les opérations de
gestion de la capacité de traitement (voir Ch. 4). D'après Cher-
nov (1992), ce modèle n'a pas été soumis à une vérification
empirique.
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 59

Le modèle de Chernov n'est pas une description du proces-


sus d'interprétation, mais une analyse des inferences,
essentiellement de l'anticipation, qui se déroulent pendant l'in-
terprétation. Chernov considère que le savoir pré-existant de
l'interprète lui permet une certaine anticipation du contenu du
discours de l'orateur, et que ce savoir s'enrichit au fil du dis-
cours et permet une anticipation de plus en plus fine à diffé-
rents niveaux linguistiques et discursifs (le « pronostic probabi-
liste »). Chernov postule aussi des déplacements de l'attention
en fonction de la situation : quand le discours en langue de
départ est suffisamment redondant, l'interprète déplace toute
son attention vers la production de son propre discours ; inver-
sement, quand des problèmes se posent dans la compréhen-
sion en raison de difficultés linguistiques ou autres, son atten-
tion est concentrée sur le discours en langue de départ, ce qui
fait d'ailleurs que les erreurs commises éventuellement en lan-
gue d'arrivée ne sont plus corrigées. Chernov considère le pou-
voir explicatif de son modèle comme supérieur à celui de Shi-
ryaev (Chernov 1992).
Enfin, les modèles d'Efforts de Gile, présentés en détail au
Ch. 4,. ne se focalisent pas sur le processus, mais tentent d'ex-
pliquer les problèmes récurrehts à travers l'examen des
contraintes qu'implique l'interprétation en matière de capacité
de traitement.

3.4.3 Autres études et thèmes

Parmi les autres thèmes qui ont mobilisé l'attention des pra-
ticiens pendant la période s'étendant des années 70 jusque vers
le milieu des années 80, citons :

— La consécutive, et notamment la prise de notes en consé-


cutive (voir par exemple Lampe-Gegenheimer 1972, Cerrens
1975, Henderson 1976, Xlg 1980 et 1982, Kirchhoff 1979,
Capaldo 1980, Thiéry 1981, Gran 1981, Schweda-Nicholson
1985).
— Les questions linguistiques, et plus particulièrement les
problèmes de connaissance des langues chez les interprètes,
l'expression orale, le perfectionnement linguistique, le bilin-
guisme (voir Ch. 8).
— La comparaison entre la traduction et l'interprétation
(Eberstark 1982, Gile 1986b et bien d'autres).
— La qualité du travail (voir le Ch. 6).
60 DANIEL GILE

— Les problèmes de santé et de stress chez les interprètes de


conférence sont évoqués dans Kolmer 1981, Kurz 1981 et
1983c,d, Cooper, Davies et Tung 1982.
— Des questions psycho-sociologiques touchant essentielle-
ment le statut des interprètes sont traitées dans Kurz 1983a,
Zeller 1984, Rojas 1987, Kondo 1988.
— L'histoire de l'interprétation intéresse elle aussi quelques
auteurs praticiens. Outre les comptes rendus sur les procès de
Nuremberg et sur l'évolution de la profession sous sa forme
moderne (Haensch 1956, Herbert 1978, Nishiyama 1988, Ram-
ier 1988), i l existe quelques travaux sur l'interprétation dans
l'antiquité et à d'autres moments de l'histoire (Glaesser 1956,
une petite série d'articles d'I. Kurz enumeres dans la bibliogra-
phie en fin d'ouvrage, Bertone 1987, etc.).
Toutefois, la plupart des ces travaux (à l'exception des textes
historiques) sont des essais de réflexion ou textes normatifs
plutôt que des travaux de recherche proprement dits, et la
grande majorité des centaines de textes qui ont été produits
durant cette période sont assez éloignés de la recherche telle
qu'elle se définit dans la plupart des disciplines universitaires.

Le tableau qui se dégage donc vers le milieu des années 80


est celui d'une recherche majoritairement axée sur la spécula-
tion et la théorie, ne cherchant pas à renouer le contact avec
la communauté scientifique, à vérifier les idées par les faits ou
à découvrir des faits nouveaux.
Pourtant, i l existe un noyau d'interprètes-fortement motivés
par la recherche qui ne se satisfont pas de cette situation, qui
appellent à une recherche de type différent, et qui réalisent des
projets plus conformes à la démarche scientifique. C'est sous
leur impulsion, et notamment grâce à un environnement favo-
rable créé à Trieste, que commence la période de renouveau
dans laquelle nous nous trouvons actuellement.
Chapitre 3

Tendances récentes
dans la recherche sur l'interprétation

1. Introduction

En novembre 1986, la Scuola Superiore per Interpret! e Tra-


duttore (SSLM), école de traduction et d'interprétation de
l'Université de Trieste, organisait une grande conférence sur
les « aspects théoriques et pratiques de la formation à l'inter-
prétation » (Gran et Dodds 1989). A u cours de cette réunion,
quelques idées fortement ancrées dans le dogme dominant
furent contestées ouvertement pour la première fois dans une
telle enceinte, et des appels furent lancés pour une collabora-
tion avec les chercheurs des autres disciplines potentiellement
concernées. Cette conférence marque un tournant dans la
recherche sur l'interprétation et le début d'une nouvelle
période, qui se poursuit actuellement.
En réalité, si la conférence de Trieste apparaît comme un
repère symbolique, le renouveau couvait depuis un certain
temps déjà. Dès le début des années 80, voire quelque peu
avant, des signes avant-coureurs de l'évolution apparaissaient
timidement. Ainsi, en 1979, Linda Anderson, interprète de
conférence, soutenait au Canada une étude de M.A. dans
laquelle elle mesurait l'effet sur la prestation de l'interprète
d'une connaissance préalable du contenu du discours, et de la
présence ou de l'absence de l'image de l'orateur devant l'inter-
prète (sur moniteur cathodique). En 1983, Jennifer Mackintosh,
également interprète, soutenait à Londres un travail de M.A.
expérimental sur l'interprétation avec relais. Toujours en 1983,
Catherine Stenzl de Londres soutenait une 'thèse' de M.A. dans
laquelle elle analysait la recherche passée et appelait vigoureu-
62 DANIEL GILE

sèment à la recherche empirique. A u cours des années 1980,


Gile réalisait quelques études empiriques, notamment sur la
constitution d'énoncés à partir de messages non verbaux (voir
Ch. 6), sur la détérioration de la qualité du français des élèves
interprètes au cours des exercices d'interprétation (Gile 1987),
sur la sensibilité dès informateurs aux fautes et maladresses de
langue (Gile 1985a), sur la perception de certains types d'ho-
mophones dans la compréhension du japonais à l'écoute (Gile
1986e).
Toutefois, à l'époque, les chercheurs désireux d'adopter une
démarche plus proche de la recherche scientifique étaient iso-
lés face au paradigme dominant. C'est à l'occasion de la confé-
rence de Trieste que se sont manifestées pour la première fois
de manière très nette des convergences autour d'un nouveau
paradigme, ce qui a donné une forte impulsion au mouvement
auquel nous assistons actuellement.
Ce chapitre décrit les tendances présentes à travers l'analyse
des activités des différents centres, et de la forme et du
contenu des recherches proprement dites.

2. Les centres nouveaux ou en renouvellement

Comme il est expliqué au chapitre 1, la recherche sur l'inter-


prétation se fait à partir d'un petit nombre de centres, dont
une dizaine représentent l'essentiel de la production de textes
sur le plan mondial Sous cet angle, la situation reste inchan-
gée depuis le début des années 80.
En outre, la composition des centres constitués au cours des
années 70 et avant a peu évolué : dans la plupart des cas, les
chercheurs et théoriciens sont enseignants et praticiens, et à
quelques noms près, les principaux auteurs de publications res-
tent les mêmes. Les types de textes provenant de ces auteurs
restent eux aussi sensiblement les mêmes, avec une majorité
de textes de réflexion ou théoriques, consacrés à des questions
de formation, aux ressemblances et différences entre traduc-
tion et interprétation, à la consécutive, aux conditions de tra-
vail des interprètes, à leur qualification, à l'histoire de l'inter-
prétation. Dans ces centres, la recherche empirique est
quasiment inexistante (à l'exception toutefois des travaux
soviétiques et quelques autres travaux dans les pays de l'Est),
que ce soit à l'ESIT, à TETI de Genève, dans les différents cen-
tres allemands, ou aux Etats-Unis.
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 63

En revanche, on a vu apparaître depuis le milieu des années


80 quelques nouveaux centres, qui se sont avérés particulière-
ment productifs. Par commodité, nous les désignons ici par la
région, le pays ou la ville où ils se trouvent, car si certains sont
des écoles, d'autres correspondent à une concentration géogra-
phique de chercheurs et d'études sans identité institutionnelle :

2.1 L'Australie

Les textes australiens sur l'interprétation de conférence


étaient quasiment inexistants jusqu'en 1989, date de la publica-
tion des actes de la conférence de Trieste (Gran et Dodds
1989). A cette occasion parut un article descriptif général du
marché australien de l'interprétation par A. Gentile (1989) du
Victoria College, Victoria. Depuis 1991, l'activité australienne
s'est grandement développée dans la réflexion et la recherche
sur l'interprétation, notamment grâce à l'impulsion donnée par
le Key Center for Asian Languages and Studies de l'université
du Queensland à Brisbane, spécialisé dans la traduction et l'in-
terprétation anglais-japonais, qui a organisé les deux premières
conférences nationales australiennes sur la traduction et l'in-
terprétation. Parmi les articles publiés par des chercheurs aus-
traliens figurent notamment des travaux empiriques réalisés
par Peter Davidson et Ng Bee Chin, qui avait été engagée par
le Key Center pour entreprendre des travaux de recherche sur
la traduction et l'interprétation (voir bibliographie en fin d'ou-
vrage). L a création de ce poste de recherche en traductologie
dans une école de traduction et d'interprétation reste à notre
connaissance une initiative . rare. Notons en passant qu'il
n'existe plus, ayant été remplacé par un poste de chercheur en
enseignement des langues, mais que le centre de Brisbane
reste actif dans la recherche traductologique. C'est notamment
lui qui, avec la Japan Association of Translators de Tokyo,
organise la série des conférences IJET — International Japa-
nese/English Translation Conference, et qui a accueilli la qua-
trième de la série, en juillet 1993.
Quelques autres universités australiennes s'intéressent à la
traduction et à l'interprétation. Notons en particulier la Univer-
sity of Western Sydney Macarthur, où un programme de M.A.
en traductologie a été créé en 1992.
64 DANIEL GILE

2.2 Le Japon

Comme i l est expliqué au Ch. 2 (voir aussi Gile 1988c), les.


publications japonaises sur l'interprétation étaient depuis 1961
assez nombreuses, avec une dizaine de livres et de nombreux
articles anecdotiques et introductifs. Rappelons à ce propos
que l'interprétation est, dans l'esprit du public japonais, une
activité fortement associée à ce qui y est considéré comme une
véritable discipline, à savoir la maîtrise de l'anglais, et la
grande majorité des publications sur l'interprétation entrent
dans la rubrique des textes sur l'apprentissage de l'anglais.
C'est notamment le cas d'un assez ambitieux projet de
recherche réalisé en 1991 à l'université Sainte Sophie de Tokyo
(voir ci-dessous), qui, bien que portant sur l'interprétation de
conférence, est présenté comme un projet sur l'enseignement
des langues étrangères à travers l'enseignement de l'interpré-
tation.
Cependant, la recherche proprement dite était totalement
absente du Japon, et la communication avec le reste du monde
était elle aussi inexistante. C'est à la fin des années 80 que, sen-
sibilisé par la recherche à l'étranger, Masaomi Kondo, inter-
prète de conférence et professeur d'économie, résolut de lan-
cer une véritable activité de recherche au Japon. Il créa en
novembre 1990 la Interpreting Research Association of Japan
et lança une revue de recherche, Tsûyakurironkenkyû
{Interpreting Research), dont le premier numéro parut en juil-
let 1991. L a plupart des membres de l'association enseignent
l'interprétation dans des écoles privées, et se préoccupent
essentiellement des problèmes de formation. Les numéros de
Interpreting Research parus jusqu'ici comportent surtout des
essais, avec quelques études de cas, des réflexions sur la pro-
fession d'interprète, un questionnaire, des comptes rendus sur
des cours de formation, et, dans les trois derniers numéros,
des comptes rendus et bibliographies.
Par ailleurs, une assez importante opération de recherche
comprenant notamment plusieurs études empiriques a été lan-
cée à l'université Sainte Sophie de Tokyo (Watanabe 1991, voir
Section 4 plus loin et notre compte rendu Gile 1992d). Il sem-
blerait que ce projet n'ait pas abouti à la formation d'une
équipe de recherche stable au sein de ladite université, et qu'il
n'ait pas eu d'autre suite.
D'autres auteurs japonais publient des articles sur la traduc-
tion à titre individuel ou pour le compte d'une entreprise de
traduction. L a communication entre les chercheurs japonais
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 65

semble quasiment inexistante, à l'exception de la communica-


tion interne au sein de la Interpreting Research Association,
qui est bien organisée, avec des réunions régulières program-
mées. Cet isolement des théoriciens et chercheurs japonais à
l'intérieur de leur propre pays reflète aussi le morcellement du
marché professionnel de l'interprétation au Japon.
Les initiatives entreprises ces dernières années, bien que peu
nombreuses, montrent la capacité des Japonais de mobiliser
des forces impressionnantes quand ils le souhaitent. On trouve
notamment dans le projet de l'université Sainte Sophie une
étude sur 129 sujets (Izumi 1991), taille d'échantillon inégalée
jusqu'ici dans les travaux sur l'interprétation. Le Japon, totale-
ment absent en matière de textes théoriques et de recherche
jusqu'en 1991, est devenu le centre le plus productif au cours
de la période 1990 à 1992, avec 32 textes rédigés par 27
auteurs. A u cours de la même période, l'Italie, deuxième en
nombre de textes publiés, en a produit 29, et la France en a
contribué 27 (d'après notre bibliographie personnelle). Cepen-
dant, pour le moment, en l'absence d'un programme complet
de formation à l'interprétation dans un institut universitaire (à
part quelques cours isolés, notamment à l'université Sainte
Sophie), il n'existe pas de motivation à la recherche propre-
ment dite, si ce n'est une certaine stimulation de l'extérieur à
travers des contacts avec le Key Center de l'université du
Queensland et avec quelques chercheurs européens. L'avenir
de la recherche au Japon dépend à notre avis de l'institution-
nalisation de l'interprétation comme discipline universitaire à
part entière, ce que réclame d'ailleurs avec insistance
M. Kondo (voir par exemple 1991).

2.3 Trieste

Si les premiers textes triestins sur l'interprétation datent du


début des années 80, au cours de la deuxième moitié de la
même décennie, la recherche à la Scuola Superiore di Lingue
Moderne per Interpreti e Traduttori de l'université de Trieste a
connu une intensification spectaculaire, triplant par rapport à
la première moitié. Plus significatif, la plupart de ces textes
sont des mémoires de diplôme (« Graduation thesis ») et des
articles les résumant, ce qui assure un renouvellement perma-
nent de la recherche. Sur le plan des effectifs des chercheurs,
le centre triestin est d'ailleurs le plus grand au monde, avec
66 DANIEL GILE

une trentaine d'auteurs de publications sur l'interprétation (ce


chiffre comprend les auteurs des mémoires de fin d'études).
Autres caractéristiques importantes du centre triestin :
— La recherche empirique y a une place de choix, ce qui
tranche avec tous les autres centres (voir Gran et Taylor 1990)
— La recherche interdisciplinaire y est fermement implantée,
essentiellement dans la coopération avec la neurophysiologie
(voir Section 4.1)
— L'école de Trieste est à l'origine d'une intense activité de
publication, et édite une revue de recherche, The Interpreters
Newsletter.
A bien des égards, le centre triestin est donc exemplaire.

2.4 La région Scandinave

Les Scandinaves, très peu connus dans le domaine de la


recherche traductologique jusqu'aux années 80, ont fortement
intensifié leurs activités ces dernières années et se sont sensi-
blement ouverts sur la communauté traductologique interna-
tionale, notamment à travers la série des « Language Interna-
tional Conferences » ' sur l'enseignement de la traduction et
l'interprétation (voir Dollerup et Loddegaard 1992 et Dollerup
et Lindegaard 1994), et l'activité régulière de S. Tirkkonen-
Condit en faveur de la recherche empirique en traductologie
(Tirkkonen-Condit 1991 et Tirkkonen-Condit et Laffling 1993).
Ces deux activités ont une audience internationale. Les pays
nordiques tiennent également des colloques périodiques inter-
nes, les SSOTT ou « Scandinavian Symposium on Translation
Studies », dont le quatrième, qui s'est tenu à Turku en Finlande
(Gambier et Tommola 1993), a attiré lui aussi une participation
internationale. Enfin, l'école de Turku a organisé en coopéra-
tion avec l'école de Trieste et l'ISIT à Paris une conférence
internationale sur l'interprétation en août 1994.
Un certain renouvellement de la recherche y est assuré par
le système des mémoires, qui a produit plusieurs travaux inté-
ressants en traductologie, et notamment des mémoires sur l'in-
terprétation, qui proviennent de plusieurs universités finlan-
daises (mais qui sont peu accessibles pour les chercheurs
étrangers, étant écrits en suédois ou en finnois sans traduction
en anglais). Par ailleurs, plusieurs travaux sur l'interprétation
sont en cours au Danemark.
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 67

2.5 L'Autriche

L'Autriche est un centre relativement ancien, d'où sont issus


plusieurs chercheurs connus et actifs : I. Kurz, H . Bühler,
M. Bowen (actuellement à Georgetown, aux Etats-Unis),
B. Moser-Mercer (actuellement à Genève).
L'école de Vienne est d'ailleurs l'un des centres où les étu-
diants préparent des mémoires de fin d'études, dont certains
consacrés à l'interprétation (voir par exemple Zeller 1984). Ces
derniers sont toutefois peu nombreux, et le nombre d'auteurs
autrichiens de publications sur l'interprétation est faible, une
petite dizaine. A l'heure actuelle, la recherche à Vienne se
démarque surtout par sa qualité, grâce notamment à une lon-
gue et dynamique activité de I. Kurz. Deux doctorats sur l'in-
terprétation (Pöchhacker 1992 et Strolz 1992) ont également
été soutenus récemment. De manière plus générale, la direc-
trice actuelle de l'école de Vienne, M . Snell-Hornby, lui a
imprimé un fort élan dans le sens de la recherche, qui s'est
manifesté entre autres par la tenue en 1992 d'une grande
conférence sur «La traductologie comme interdiscipline » et
par la création, lors de cette conférence, d'une société savante
européenne de traductologie, la « European Society for Trans-
lation Studies ». Une deuxième école de traduction et d'inter-
prétation, rattachée à l'université de Graz, s'intéresse égale-
ment à la recherche, avec quelques projets en cours.

2.6 L'Allemagne

En Allemagne, plusieurs centres universitaires ont été à l'ori-


gine de textes sur l'interprétation. Notons plus particulièrement
l'école de Heidelberg, à laquelle appartiennent quelques 40%
des auteurs allemands, et les centres de l'ex-Allemagne de l'Est,
surtout Berlin (voir les références concernant les travaux de
H. Salevsky dans la bibliographie en fin d'ouvrage) et Leipzig,
où l'on connaît bien les travaux soviétiques.
Les récents événements politiques qui ont aboli le rideau de
fer ont permis aux chercheurs de l'Est et de l'Ouest de mieux
communiquer. Notons par ailleurs que les chercheurs alle-
mands en interprétation se situent dans la mouvance de la
Translationswissenschaft, la traductologie au sens large, et que
leur optique est plus théorique qu'empirique et fortement rat-
68 DANIEL GILE

tachée à la linguistique, et plus spécialement à la linguistique


textuelle (« Textlinguistik »).

2.7 La Suisse

Comme i l est expliqué au Ch. 2, avec les travaux des profes-


seurs de l'Ecole de Traducteurs et d'Interprètes de l'université
de Genève tels que J. Herbert (1952), J.-F. Rozan (1959) et G. Ilg
(voir bibliographie en fin d'ouvrage), la Suisse a été le premier
centre de réflexion sur l'interprétation dès les années 50. Les
interprètes suisses ont continué à produire des essais sur l'en-
seignement de l'interprétation, notamment dans Parallèles, l'or-
gane de l'ETI. Ils n'ont toutefois que peu abordé des questions
plus théoriques et n'ont pas entrepris de recherches propre-
ment dites, avec la notable exception de B. Moser-Mercer.
Depuis le début des années 90, Parallèles suit de près l'évolu-
tion de la recherche sur l'interprétation à travers des comptes
rendus réguliers, rédigés pour la plupart par G. Ilg. Dans sa
philosophie comme dans la qualification de la plupart de ses
enseignants, l'ETI reste toutefois une école à vocation profes-
sionnelle, et non pas à vocation de recherche.

2.8 Les républiques tchèque et slovaque

En ex-Tchécoslovaquie, des praticiens et universitaires réflé-


chissent depuis de nombreuses années à l'interprétation, et
plusieurs dizaines de textes, dont quelques thèses de doctorat,
y ont été publiées. Cependant, la quasi-totalité de ces publica-
tions étaient en langue tchèque, et la situation politique avait
gardé la Tchécoslovaquie dans un isolement quasiment total
par rapport à l'Occident. Depuis l'ouverture des pays de l'Est,
la situation a considérablement changé. Le périodique Acta
Universitatis Carolinae Translatologica Pragensia de l'université
Charles de Prague en est à son cinquième volume, et l'on y
trouve plusieurs articles sur l'interprétation. Par ailleurs, la
même université a organisé en octobre 1992 une conférence
internationale sur la traduction et l'interprétation, et plusieurs
interprètes tchèques et slovaques effectuent des visites et des
stages dans des écoles de traduction et d'interprétation d'Eu-
rope occidentale. L'activité de recherche proprement dite est
actuellement faible dans les républiques tchèque et slovaque,
notamment pour des raisons économiques. En effet, par rap-
REGARDS SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 69

port à l'interprétation, relativement bien rémunérée, les traite-


ments des enseignants universitaires et chercheurs sont très
faibles. L a déficience motivationnelle qui en résulte et qui
s'ajoute à l'absence de considération à l'égard des traductolo-
gues de la part des autres universitaires pose un problème
structurel fondamental. Les perspectives de développement en
l'absence d'une solution à ce problème sont difficiles à estimer.
A cet égard, la récente décision de créer un programme de
doctorat en traductologie à l'université Charles de Prague est
encourageante.

2.9 L'Asie hors-Japon

Hormis le Japon, centre fortement activé ces dernières


années, seules les régions chinoises se sont manifestées à tra-
vers des textes de réflexion ou de recherche sur l'interpréta-
tion. D'après notre bibliographie, depuis 1987, une dizaine de
publications chinoises y ont. été consacrées, dont la moitié
environ viennent de Hong Kong et un tiers de la nouvelle école
de traduction et d'interprétation de l'université F u Jen à Taipei.
Il est probable qu'il existe d'autres publications en chinois de
Chine continentale auxquelles les chercheurs du reste du
monde n'ont pas accès.
Ces publications sont à l'évidence très peu nombreuses, et ne
justifient pas encore l'appelation « centre de recherches » pour
la région chinoise. Cependant, depuis la fin des années 80, on
voit quelques participants chinois aux conférences de traducto-
logie. Le système des mémoires de fin d'études à l'école de
l'université F u Jen, qui a déjà produit une étude socio-
professionnelle sur l'interprétation (Tseng 1992), permet lui
aussi d'espérer une certaine accélération de l'activité.

3. Autres centres et activités individuelles

3.1 La France

Comme i l est indiqué au Ch. 2, pendant la période dite « des


praticiens », et surtout au cours de la première moitié des
années 80, la France a eu un rôle important dans le milieu de
la réflexion théorique sur l'interprétation, surtout par la voie
de l'ESIT. L a situation a sensiblement changé depuis la
deuxième moitié de la décennie. En effet, alors que de nou-
70 DANIEL GILE

veaux centres apparaissaient et que la recherche s'orientait


vers des idées et expériences nouvelles, l'équipe de l'ESIT n'a
pas suivi. A l'exception d'un livre normato-refléxif de
D. Seleskovitch et M . Lederer (1989) sur l'enseignement de l'in-
terprétation, ainsi que d'une thèse théorico-normative sur la
fidélité en traduction (Donovan 1990), l'ESIT a été peu active.
Les travaux de D. Gile, relativement nombreux, sont ceux d'un
invididu, et non pas d'un groupe.

3.2 Les Etats-Unis

Aux Etats-Unis, la plupart des textes sur l'interprétation ont


pour auteurs D. et M . Bowen, de la division de traduction et
d'interprétation de l'université de Georgetown. Son organe tri-
mestriel, The Jerome Quarterly, se compose en général de
brefs articles qui relèvent de la vulgarisation.
Quelques rares textes viennent aussi de l'école de traduction
et d'interprétation du Monterey Institute of International Stu-
dies (MHS 1989, Weber 1984). D'autres ont été publiés par la
American Translators Association, dans les actes de ses confé-
rences annuelles et dans la Scholarly Monograph Series, qui
comprend notamment un volume consacré à l'interprétation
(D. et M . Bowen 1990). Là aussi, à l'exception de quelques
textes de N . Schweda-Nicholson rapportant des études empiri-
ques, i l s'agit d'essais réflexifs, de textes sur la formation et de
textes historiques. Enfin, récemment apparu sur la scène, l'in-
terprète de langue des signes Bill Isham (1993) apporte à tra-
vers une démarche expérimentale une contribution promet-
teuse à la recherche sur les aspects psycholinguistiques de
l'interprétation.

3.3 Le Canada

Le Canada, pays bilingue, est particulièrement actif dans la


recherche sur la traduction et la terminologie, avec de multi-
ples centres universitaires, une recherche florissante et de
nombreuses publications, dont des revues de haut niveau au
Québec. Il présente aussi une certaine activité universitaire
dans le domaine de l'interprétation de liaison et d'interpréta-
tion auprès des tribunaux. En comparaison, en matière d'inter-
prétation de conférence, l'activité de recherche y est singulière-
ment faible, les apports étant essentiellement individuels.
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 71

Depuis le mémoire de M.A. de L. Anderson, en 1979, la seule


activité de recherche suivie est celle de S. Lambert de l'univer-
sité d'Ottawa, à laquelle s'ajoute occasionnellement un article
ou projet de recherche isolé, tel que le doctorat de M . Dillinger
i l 989).

3.4 L'Amérique latine

L'amérique latine est elle aussi un centre actif de formation


et de réflexion sur la traduction, comme il apparaît à la lecture
de Informaciones SUT, le bulletin du service latino-américain
d'information sur la traduction de l'UNESCO. Cette activité se
traduit notamment par de nombreuses conférences et
échanges entre les pays de la région. Toutefois, en dépit de ses
contacts avec l'Espagne, l'Amérique latine est peu connue pour
ses activités traductologiques en Europe, probablement pour
des raisons linguistiques d'une part, mais aussi et surtout pour
des raisons financières, car l'argent manque aux chercheurs
latino-américains pour se rendre en Europe et y participer aux
colloques et conférences traductologiques. En matière de
recherche sur l'interprétation, on évoquera surtout plusieurs
mémoires de fin d'études faits à l'ISIT à Mexico. Il existe peut-
être d'autres travaux, inconnus en Europe, comme le donne à
penser une récente lettre personnelle que nous avons reçue de
la part d'une enseignante cubaine, Lourdes Arencibia Rodri-
guez, à laquelle elle joignait des copies de quelques textes
didactiques et réflexifs non publiés dont elle est l'auteur, en
évoquant les difficultés matérielles auxquelles se heurtent les
enseignants et chercheurs sur place, notamment le manque
d'argent et de papier.

3.5 Autres pays

Les autres pays ont une activité quantitativement très res-


treinte, avec de rares articles écrits par un ou quelques prati-
ciens ou enseignants. Ainsi, la seule recherche connue actuelle-
ment en Pologne est celle d'A. Kopczynski ; le seul auteur
bulgare connu est B. Alexieva ; en Israël, on citera Ruth Mor-
ris, auteur de quelques publications sur l'interprétation lors du
procès de • John Ivan Demjanjuk, et M . Shlesinger, dont la
recherche est plus variée. Il existe d'autres auteurs européens,
américains, africains et asiatiques, parfois réputés dans la com-
72 DANIEL GILE

munautë internationale de l a recherche sur l'interprétation,


mais dont la position est individuelle, et non pas représentative
d'un centre géographique ou institutionnel.

La faible productivité collective de ces pays ne saurait toute-


fois être considérée comme un bon indicateur de leur contri-
bution à la recherche sur l'interprétation. En effet, dans l'état
embryonnaire de celle-ci, seule une fraction des textes publiés
comporte une innovation factuelle, conceptuelle ou méthodo-
logique, la plupart étant plutôt répétitifs. Dans ces conditions,
la contribution de chaque chercheur individuel peut être bien
plus grande que dans les disciplines mieux établies, où des
normes scientifiques sont plus régulièrement respectées. C'est
ainsi que deux auteurs canadiens (L. Anderson et S. Lambert),
un auteur israélien (M. Shlesinger), un auteur bulgare (B.
Alexieva), un auteur polonais (A. Kopczynski), ont peut-être
contribué davantage par la nature de leur recherche, en partie
empirique, qu'un plus grand nombre d'auteurs dans des cen-
tres plus productifs quantitativement.

4. Nature et thèmes de la recherche

Comme i l est indiqué au début de ce chapitre, dans sa struc-


ture fondamentale, l'environnement de la recherche en inter-
prétation n'a pas beaucoup évolué depuis les années 70 et 80.
En effet, la quasi-totalité des chercheurs sont aujourd'hui
encore praticiens et/ou enseignants de l'interprétation, et les
contraintes en matière de motivation, de formation et de dis-
ponibilité mentionnées au Ch. 1 restent les mêmes.
En conséquence, la nature même de la recherche, ainsi que
les thèmes abordés, n'ont pas beaucoup évolué non plus. Une
grande proportion des textes, qui sont pour la plupart réflexifs
ou théoriques, portent sur la formation, sur la consécutive, sur
des thèmes professionnels. Les différences observées par rap-
port à la « période des praticiens » sont principalement les
suivantes :
a. L'essentiel du travail de recherche est toujours réalisé par
des praticiens, mais ceux-ci s'évertuent de plus en plus à utili-
ser les idées et résultats des études faites sur la traduction
écrite dans le domaine traductologique, ainsi que des résultats
de la linguistique et la psychologie. On voit notamment appa-
raître, à Trieste (voir par exemple Gran et Fabbro 1987), à
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 73

Vienne (Kurz 1993) et en Finlande (Tommola et Niemi 1980),


quelques projets interdisciplinaires.
b. Des appels de plus en plus nombreux se font entendre -en
faveur de la recherche empirique, ce qui correspond d'ailleurs
à une récente tendance observée également dans la recherche
sur la traduction écrite. Le nombre d'études empiriques sur
l'interprétation a augmenté de manière spectaculaire depuis le
milieu des années 80 (voir par exemple Gran et Taylor 1990 et
les numéros 2 à 4 de la revue triestine The Interpreters News-
letter. La Section 5 de ce chapitre en énumère une importante
partie, et quelques autres études sont présentées dans les
autres chapitres. Notons cependant que, en dépit de cette aug-
mentation en chiffres absolus, d'après notre bibliographie per-
sonnelle, quelque 15 % seulement des textes publiés entre 1985
et 1992 correspondent à des travaux empiriques.
c. Plusieurs travaux se sont attachés à l'étude de la spécificité
de l'interprétation selon les langues (voir plus loin), alors que le
thème même était banni de plusieurs centres importants pen-
dant la période des praticiens (voir Ch. 2).
d. La communication entre interprètes, très peu présente jus-
que vers le milieu des années 80, a fait un grand bond en
avant, comme il est précisé dans la Section 5 de ce chapitre.
Parmi les projets intéressants par leur direction et leur
démarche, signalons les travaux suivants :

4.1 Etudes neurophysiologiques

En 1984, F. Fabbro et L. Gran ont commencé à étudier trois


groupes d'étudiantes à l'université de Trieste, dont un groupe
d'étudiantes en fin d'études d'interprétation. A u cours de tests
d'écoute dichotiques, i l s'est avéré que pour les tâches langa-
gières, l'hémisphère gauche était supérieur à l'hémisphère droit
pour tous les sujets à l'exception du groupe d'étudiantes en fin
de cursus d'interprétation, chez qui l'anglais langue passive
était également représenté dans les deux hémisphères, ce qui
semblait être l'effet du fort niveau d'entraînement à l'interpré-
tation que subissaient ces sujets (Gran et Fabbro 1988). En
1987, une deuxième expérience de latéralisation a été réalisée
par paradigme verbal manuel sur un groupe de 14 étudiantes
droitières en cursus d'interprétation. A u cours des tâches expé-
rimentales, qui n'étaient pas toutefois des opérations d'inter-
prétation, aucune différence significative entre les deux hémi-
sphères n'est apparue chez les sujets.
74 DANIEL GILE

Dans une expérience plus proche des conditions de la


simultanée, S. Lambert (1989b) a comparé les performances
d'un groupe d'interprètes selon que le discours original était
acheminé vers leur oreille droite, leur oreille gauche ou vers
les deux à la fois. Il s'avère que les droitiers faisaient moins
d'erreurs quand le message était présenté à leur oreille droite
(donc à l'hémisphère gauche) que lorsqu'il était présenté à
l'oreille gauche ou aux deux oreilles à la fois.
Dans une autre étude sur la latéralisation cérébrale, V. Daro
(1989) a réalisé des expériences de shadowing, de traduction
allemand-italien de séries de mots isolés, et en même temps
d'exercices de mémorisation de 1 à 3 mots distincts envoyés
dans l'oreille opposée à celle qui servait aux deux autres exer-
cices. L a comparaison des erreurs dans ces expériences a fait
apparaître une nouvelle fois que dans les fonctions langagières,
il semble y avoir moins de dissymétrie inter-hémisphérique
chez les interprètes de simultanée que chez les sujets bilingues
ne pratiquant pas l'interprétation.
Ivo Ilic (1990) a fait écouter à un groupe de 12 interprètes
professionnels femmes et à des étudiantes des phrases
anglaises et leur traduction en italien, ainsi que des phrases ita-
liennes et leur traduction en anglais, en alternant langue
source et langue cible ainsi que l'oreille dans laquelle chacune
était acheminée. Les sujets devaient, après chaque phrase et sa
traduction, dire si celle-ci était correcte. Un assez bon équilibre
entre hémisphère droit et hémisphère gauche a été mis en évi-
dence pour ce qui est des fonctions linguistiques chez les inter-
prètes professionnels. Dans l'ensemble, les professionnels ont
mieux reconnu les erreurs sémantiques dans la traduction, et
les étudiants ont mieux reconnu les erreurs syntaxiques. Par
ailleurs, les interprètes professionnels ont obtenu des scores
bien plus élevés que les étudiantes dans l'identification des
erreurs sémantiques dans les phrases en langue non maternelle
envoyées dans l'oreille gauche (hémisphère droit).
Enfin, Green, Schweda-Nicholson et coll. (1990) ont comparé
la latéralisation cérébrale durant le shadowing et l'interpréta-
tion simultanée. Il est apparu une fois de plus que si l'hémi-
sphère gauche était plus actif pendant le shadowing, il n'en
était pas de même pendant la simultanée. Ces résultats don-
nent à croire, eux aussi, que la pratique de la simultanée per-
met aux interprètes de développer les fonctions linguistiques
de l'hémisphère droit.
Au-delà de cette symëtrisation des hémisphères cérébraux
pour les fonctions du langage, V. Daro (1990) a réalisé une
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 75

expérience dite de paradigme d'interférence verbale-manuelle,


durant laquelle il s'est avéré que la latéralisation hémisphé-
rique gauche des fonctions linguistiques n'était pas la m ê m e
selon la vitesse de la production du discours. Elle en conclut
que l'asymétrie inter-hémisphérique tend à baisser à mesure
que la production du discours devient plus rapide.
La publication la plus récente sur l'interprétation dans l'opti-
que de la neurophysiologie porte sur un projet réalisé par l'ins-
titut de neurophysiologie et l'institut de traduction et d'inter-
prétation de l'université de Vienne (Kurz 1993). Il s'agissait
d'examiner l'activité cérébrale des interprètes au cours de dif-
férentes conditions expérimentales, et notamment de voir s'il
existait des différences entre la simultanée et le repos, et entre
la simultanée et d'autres . tâches cognitives, d'identifier les
zones cérébrales les plus impliquées dans la simultanée, et de
comparer la latéralisation cérébrale en fonction de la langue
employée (maternelle ou non).
I. Kurz (1993) présente un cas d'espèce, dans lequel une
interprète professionnelle germanophone a alterné entre
périodes de repos et 6 activités cognitives : « simultanée men-
tale » (sans énonciation et production de son) de l'allemand
vers l'anglais, « simultanée mentale » de l'anglais vers l'alle-
mand, shadowing en allemand, shadowing en anglais, écoute
dune musique de Mozart et calcul arithmétique. Les résultats
suggèrent que :
1. L'électrœncéphalogramme contient des informations sur
l'activité de réflexion verbale.
2. L'activité intervenant durant la simultanée se distingue
nettement de celle accompagnant les autres tâches cogni-
tives.
3. La simultanée implique les deux hémisphères, surtout
dans les régions temporales, davantage à gauche qu'à
droite.
4. L'hémisphère droit semble être plus important pour la lan-
gue non maternelle que pour la langue maternelle, ce qui
corrobore les résultats italiens cités plus haut.

4.2 Etudes sur la spécificité linguistique de l'interprétation

Au cours des dernières années, plusieurs études empiriques


ont porté sur les problèmes spécifiques de l'interprétation entre
une langue source donnée et une langue d'arrivée donnée.
Rappelons que si dans les pays de l'Est, le sujet avait été
76 DANIEL GILE

abordé par le passé, riotamment par des chercheurs soviéti-


ques (voir Ch. 1) et par H . Salevsky (1983) dans la combinaison
russe-allemand, il avait été pour ainsi dire proscrit en Occident.
A Trieste, L. Avirovic a étudié les caractéristiques du serbo-
croate et leurs incidences sur la formation des interprètes
(1990). M. Fusco (1990) et M. Russo (1990) se penchent sur le
problème des langues fortement apparentées à travers l'exem-
ple de l'espagnol et de l'italien. A. Giambagli (1990) a comparé
les transformations grammaticales intervenant en consécutive
dans l'interprétation vers l'italien à partir de l'anglais d'une
part, et du français de l'autre. Le numéro spécial de la revue
The Interpreters Newsletter sur l'interprétation du japonais
(1992) comporte également plusieurs articles consacrés aux
spécificités de celui-ci (par P. Davidson, D. Gile, M . Kondo, H.
Uchiyama). Enfin, à Taiwan, R. Setton examine le cas du chi-
nois (1993).
Pour l'instant, ces travaux se cantonnent pour la plupart au
niveau des constatations linguistiques et des hypothèses, sans
que puissent y être présentés des faits indiquant l'incidence de
ces spécificités sur la charge mentale ou sur les performances
des interprètes. Le mouvement est toutefois lancé, et l'on peut
probablement s'attendre à des résultats plus tangibles à terme.
Voir aussi le Ch. 8.

4.3 Autres sujets

Parmi les autres domaines étudiés figurent en bonne place la


formation, qui continue de susciter des textes essentiellement
réflexifs, et la qualité du travail, dont l'exploration commence
à s'orienter vers des études empiriques (voir les chapitres 6 et
7).
Par ailleurs, on relève une assez grande variété de sujets
traités par des études empiriques, le plus souvent à Trieste,
avec peu ou pas de replications pour l'instant. Outre les tra-
vaux mentionnés dans les autres chapitres, on citera à titre
illustratif :
— Les pauses en simultanée : I. Cenkova (1989), P. Ovaska
(1987).
— Une comparaison des résultats d'un exercice de paraphra-
sage simultané italien-italien d'étudiants se destinant à l'inter-
prétation d'une part, et d'étudiants en fin de cursus de l'autre :
Chiara Russo (1990).
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 77

— Une comparaison de la traduction à vue et de la simulta-


née au regard de la rétention d'information : Maurizio Viezzi
(1989, 1990). Dans cette étude, i l est apparu, comme dans les
travaux antérieurs de D. Gerver et de S. Lambert (1989), que
l'information était mieux retenue après l'écoute qu'après l'in-
terprétation simultanée. Par ailleurs, l'information était mieux
retenue après la lecture simple qu'après la traduction à vue.
Enfin, l'information était d'autant mieux retenue que les trans-
formations morpho-syntaxiques appelées par la traduction
étaient plus faibles. Ces résultats intéressants semblent indi-
quer que la rétention d'information est fonction inverse du
coût de l'opération de traduction en capacité de traitement.
— Les erreurs et omissions dans l'interprétation de discours
médicaux : Cristina Galli (1990). Un résultat intéressant qui res-
sort de cette étude est l'absence d'une différence significative
dans la performance des interprètes selon qu'ils travaillaient
vers leur langue A ou leur langue B (voir Ch. 4).
— La restitution des chiffres en consécutive : Maria Selena
Alessandrini (1990)
— La fréquence vocale lors de la lecture de textes dans diffé-
rentes langues : Valeria Daro (1990)
— L'effet d'un retour casque avec retard sur la performance
des interprètes : Edith Spiller-Bosatra et Valeria Daro (1992).
— Une étude par questionnaire sur les principaux facteurs
perçus par les interprètes comme importants pour l'accomplis-
sement de leur mission : Janet Altman, de l'université Heriot-
Watt à Edimbourg (1990).
— Une étude par questionnaire, auprès d'étudiants et d'inter-
prètes professionnels, sur ce qui rend l'interprétation facile ou
difficile :Izumi 1991.
— La compréhension chez les interprètes : Mike Dillinger de
l'université McGill à Montréal (1989, 1990). Dans cette étude,
l'auteur, qui n'est pas interprète, a cherché à vérifier les diffé-
rences entre les modalités de compréhension intervenant chez
les interprètes et chez les bilingues, et a abouti à la conclusion
qu'il n'y avait pas de différences significatives entre les deux
groupes. Ce travail intelligent et fouillé pose toutefois des pro-
blèmes méthodologiques sérieux du fait que les discours
n'étaient peut-être pas représentatifs de discours réalisés en
conférence (voir Ch. 9).
— Le travail terminologique chez les interprètes de confé-
rence : B. Moser-Mercer (1992), dans une étude par question-
naire.
78 DANIEL GILE

5. La communication .

Les chercheurs en interprétation communiquent entre eux


de plus en plus. Cette tendance apparaît dans la variété des
références bibliographiques qui clôturent les articles publiés au
cours des dernières années, par opposition au cloisonnement
qui les caractérisait par le passé, mais aussi dans la plus
grande participation des interprètes aux grandes conférences
de traductologie. L'école de traduction et d'interprétation de
l'université de Trieste a largement contribué à cette améliora-
tion de la communication à travers la revue The Interpreters
Newsletter, la première du genre. Elle a été suivie par la revue
japonaise Tsûyakurironkenkyû {Interpreting Research). L'AIIC
a constitué une Commission de la recherche qui suit elle aussi
les activités de recherche en interprétation de par le monde et
qui a préparé une bibliographie, périodiquement mise à jour.
Par ailleurs, un réseau international d'information sur la
recherche et la théorie en interprétation (IRTIN) a été consti-
tué à Paris et publie deux fois par an un bulletin d'information,
dont la philosophie, qui vise une diffusion aussi large que pos-
sible de données brutes, est assez proche de celle du bulletin
de traductologie TRANSST L'IRTIN a vu sa taille augmenter
très rapidement, et i l s'étend maintenant sur cinq continents.
Enfin, avec l'ouverture politique de ces dernières années, l'Est
et l'Ouest commencent à communiquer, et le Japon, qui s'était
enclavé depuis toujours en matière de recherche en interpréta-
tion (voir Gile 1988c), s'est également mis à s'intéresser aux
travaux occidentaux : on trouve notamment dans Tsûyakuri-
ronkenkyû des articles qui passent en revue des publications
occidentales. Toutefois, les résultats occidentaux ne sont que
très peu utilisés dans la recherche japonaise.
Ce mouvement de communication se démarque aussi par
une plus grande ouverture d'esprit de la part des praticiens
chercheurs, et la hiérarchie rigide qui était imposée jusque
vers le milieu des années 80 par les personnes en place dans le
monde de l'enseignement, et accessoirement de la recherche,
s'est effondrée. Ainsi, l'on a vu non seulement lors de la confé-
rence de Trieste, mais aussi à d'autres réunions, et notamment
lors d'un atelier de formation de professeurs d'interprétation
organisé à Bruxelles sous l'égide de la Commission de la for-
mation de l'AIIC en février 1991, des échanges sur un pied
d'égalité entre les représentants des écoles traditionnellement
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 79

considérées comme les meilleures, et des interprètes parfois


plus jeunes enseignant dans des écoles moins réputées.

6. Conclusion

Il nous semble indubitable que depuis la deuxième moitié


des années 80, l'esprit de la recherche en interprétation a
changé. L'évolution n'est pas due à une modification des condi-
tions fondamentales dans lesquelles s'effectue la recherche, car
les contraintes de temps et de motivation et la pauvreté des
moyens financiers sont restés les mêmes. Le mouvement vient
d une dynamique de personnes. Les idées de l'ancienne généra-
tion ne s'étant pas renouvelées, des chercheurs isolés
essayaient depuis plus de dix ans de tracer leur propre voie.
Dans une évolution naturelle fortement accélérée par les initia-
tives de l'école de Trieste et de quelques chercheurs indivi-
duels, la communication entre ces efforts personnels a fini par
s'établir, et un effet d'entraînement a pu s'instaurer. Il se
trouve que ce nouveau paradigme privilégie l'ouverture, la
communication et la progression par des moyens plus scientifi-
ques que dans les précédentes décennies. L a dynamique
pourra-t-elle échapper durablement aux contraintes environne-
mentales qui ont pesé sur la communauté des interprètes cher-
cheurs par le passé ? Les perspectives sont analysées en fin
d'ouvrage.
Chapitre 4

Les modèles d'Efforts


de l'interprétation

1. Introduction

Une partie non négligeable des textes publiés sur l'interpréta-


tion tente d'expliquer la manière dont celle-ci fonctionne, et
vise notamment l'élaboration de modèles descriptifs exhaustifs
(voir Ch. 2). Plutôt que de tenter de modéliser dans leur totalité
des processus encore peu connus, i l est également possible,
dans une démarche moins ambitieuse, de partir des difficultés
manifestes de l'interprétation, pour tenter d'en modéliser les
aspects susceptibles d'expliquer les problèmes récurrents. C'est
dans cette optique qu'ont été élaborés les modèles d'Efforts
présentés dans ce chapitre. /

2. De la difficulté d'interpréter

Dans les textes sur l'interprétation, les limites, voire les


défaillances de l'interprète ne sont que rarement mentionnées.
Quand elles le sont, les auteurs ont tendance à les attribuer à
de mauvaises conditions de travail. Cette discrétion des cher-
cheurs s'explique au moins partiellement par leur apparte-
nance à la profession et par les problèmes psychologiques et
sociologiques qu'impliquerait une étude trop détaillée et trop
explicite des insuffisances de l'interprétation (voir Shlesinger
1989).
Pourtant, en simultanée comme en consécutive, l'interpréta-
tion comporte des difficultés m ê m e pour les interprètes les
plus chevronnés, comme elle se manifeste notamment par la
82 DANIEL GILE

fatigue de l'interprète, mais elle se voit surtout à travers des


erreurs, omissions et autres baisses ou insuffisances de la qua-
lité de l'interprétation. Concrètement, ces défaillances de
l'interprète donnent lieu à deux catégories de symptômes :

a. Symptômes se révélant dans la forme


— Dégradation de la qualité de la voix (voix plus aiguë, lais-
sant apparaître un effort ou une tension — voir Daro 1990).
— Dégradation de la clarté de renonciation et de l'accent
(notamment par interférence avec l'autre langue en présence).
— Dégradation de la qualité prosodique de l'interprétation:
pauses, intonation, rythme.
— Dégradation de la qualité linguistique de l'interprétation :
fautes et maladresses de langue sur les plans lexicologique, ter-
minologique, grammatical, stylistique, pragmatique.

b. Symptômes se révélant dans le fond


Il s'agit essentiellement d'omissions non justifiées d'éléments
d'information présents dans le discours en langue d'arrivée
(certaines omissions sont stratégiques et peuvent être considé-
rées comme légitimes' — voir Ch. 5), d'ajouts d'information
non justifiés, de déformations de l'information.

2.1 Exemple

A titre d'illustration des types de manifestations de la diffi-


culté d'interpréter que l'on peut rencontrer sur le terrain, nous
présentons ci-dessous la transcription d'un segment de dis-
cours et de son interprétation par un professionnel en situation
authentique. Il s'agit d'un discours en anglais, fait par un ora-
teur américain lors d'une conférence sur la pêche • en août
1982. Le segment présenté ici correspond à quelque 70
secondes de discours. Dans le discours de l'interprète (en fran-
çais), des majuscules indiquent des fautes et-maladresses.

Discours original

1 Before I dissertate on some of my ideas, first of


2 all Bob Kearney says to me he says « I would much
3 rather you have said your piece before lunch so
4 we could have a good laugh and enjoy our lunch ».
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 83

5 And I took that as a compliment and then I wanted to


6 answer Cliff's request about now that we found this
7 tremendous resource what are we going to do with it
8 and how we gonna utilize it ? I purposely did not
9 go back to my room and outline what I was going to
10 talk about, because if I did I would probably say a lot
11 of things that really weren't on my mind and I would
12 try to tailor it after the context of this meeting.
13 But I would like to say that the work of the
14 Commission and the purpose of this particular
15 meeting is intriguing to me because I have been
16 following the work of Bob and his group for the
17 last three or four years...

Discours interprété

1 Avant de commenter certaines de mes idées, surtout


2 E N C E Q U E / M O N A M I a dit « J ' E S P E R E que tu A U R A S FINI

3 ton discours avant le déjeuner afin que nous A Y O N S un


4 bon déjeuner par la suite ». J'ai pris cela comme un
5 compliment et et j'ai voulu répondre à la question de
6 Cliff sur la façon de T R O U V E R ces ressources comment
7 nous allons les utiliser. A dessein, je ne suis pas
8 retourné / J E N E S U I S P A S R E V E N U S U R C E Q U E J ' A I D I T
9 A U P A R A V A N T . . . . Le travail de la Commission et
10 le T H È M E de cette réunion E S T U N P E T I T / M E S U R P R E N D
11 un peu j'ai suivi le travail de Bob D A N S son groupe
12 D E P U I S / A U C O U R S des trois dernières années...

Les aspects sonores de la dégradation de la forme (voix,


énonciation, accent et prosodie) ne peuvent être vus à travers
cette transcription écrite, à défaut d'un codage spécifique. On
entrevoit toutefois des ' perturbations dans le rythme du dis-
cours d'arrivée à travers quatre incidents où l'interprète se
reprend : à la ligne 2 ( « E N C E Q U E / M O N A M I a dit »), aux lignes
7 et 8 («je ne suis pas retourné / J E N E SUIS PAS R E V E N U »), aux
lignes 10 et 11 (« E S T U N PETIT / M E S U R P R E N D un peu ») et 12
(« DEPUIS / A U C O U R S »). Il est d'ailleurs intéressant de noter que
ces incidents s'enchaînent en cascade, ce qui s'explique peut-
être par un enchaînement de déséquilibres dans la gestion de
la capacité de traitement par l'interprète à la suite d'un pre-
mier 'déclencheur' (voir Section 8).
Sur le plan linguistique, on relève une maladresse stylistique
à la troisième ligne du discours de l'interprète (« afin que nous
AYONS . un bon déjeuner »).
En ce qui concerne le fond, on relève les fautes suivantes :
84 DANIEL GILE

1. L'omission de « first of all » (lignes 1 et 2 de l'original).


2. L'omission du nom Bob Kearney, remplacé par « M O N
A M I » (ligne 2).
3. Une déformation de l'information véhiculée aux lignes 1 et
2 de l'original : « I would much rather you have said your piece
before lunch » signifie «j'aurais préféré que vous disiez ce que
vous aviez à dire avant le déjeuner ».
4. L'omission de « so we could have a good laugh » (« afin que
nous puissions bien en rire »), aux lignes 3 et 4 de l'original.
5. Une déformation de « now that we found this ... resource »
(« maintenant que nous avons trouvé cette ressource »), aux
lignes 6 et 7.
6. L'omission de « tremendous » (« importante », « superbe »,
etc.), à la ligne 7 de l'original.
7. Une déformation de «I ... did not go back to my room »
(«je ne suis pas retourné dans ma chambre »), aux lignes 8 et 9
de l'original
8. Une longue omission de « ...and outline what I was going to
talk about, because if I did I would probably say a lot of things
that really weren't on my mind and I would try to tailor it
after the context of this meeting. But I would like to say
that... », aux lignes 9 à 13 de l'original. Ce passage, dont la logi-
que n'est pas très claire, signifie apparemment « ...et faire un
plan de ce que j'allais dire, car si je le faisais je dirais probable-
ment beaucoup de choses que je ne pense pas vraiment et j'es-
saierais d'adapter mon propos à cette réunion précise. Mais ce
que j'aimerais dire, c'est que... ».
9. Une déformation de « intriguing » (ligne 15 de l'original).
10. Une déformation de «Bob and his group » (ligne 16 de
l'original).
11. Une déformation de « three or four years » (ligne 17 de
l'original).

2.2 Les fautes et maladresses en interprétation : fréquence et


importance

Dans les 70 secondes de discours reproduites ci-dessus, on


relève donc 11 fautes sur le fond et plusieurs maladresses dans
la forme. Or, le discours est lent (moins de 150 mots/minute)
et non technique, i l est fait par un locuteur natif dans un
accent compréhensible et avec des caractéristiques prosodi-
ques qui ne semblent pas anormales, et les conditions de tra-
REGARDS SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 85

vail de l'interprète, notamment sur le plan acoustique, étaient


bonnes.
On peut donc se demander si l'interprète enregistré était
incompétent, s'il traversait au moment de l'enregistrement une
période difficile qui réduisait son aptitude à interpréter, ou s'il
s'agit là d'une image représentative des limites de l'interpréta-
tion dans l'ensemble. L a réponse à la première question est
négative : l'interprète enregistré avait une bonne réputation
auprès de ses collègues et dé ses clients. Par ailleurs, le même
segment de discours a été utilisé par la suite pour une expé-
rience sur les noms propres (Gile 1984), dans laquelle le nom-
bre des fautes et maladresses commises par une dizaine d'in-
terprètes professionnels travaillant dans des conditions
analogues a été similaire, ce qui semble confirmer qu'il ne
s'agit nullement, dans ce cas précis, d'une contre-performance
individuelle.
Peut-on donc considérer que cette fréquence des fautes et
maladresses, de l'ordre d'une dizaine par minute d'interpréta-
tion, est représentative du niveau de prestation moyen' sur le
terrain ?
Si l'on se reporte à d'autres extraits de discours originaux et
d'interprétations publiés, notamment dans des thèses de docto-
rat (Seleskovitch 1975, Lederer 1978, Pöchhacker 1992, Strolz
1992), l'on y trouvera de nombreux segments de plusieurs
minutes d'interprétation sans une seule faute. Le tableau qui se
dégage de ces extraits diffère très sensiblement de celui que
donne l'extrait présenté ci-dessus.
A l'observation, la fréquence des fautes et maladresses
observées en interprétation présente une forte variabilité, qui
ne peut pas toujours s'expliquer par des raisons précises au-
delà de certains déclencheurs de difficultés que les interprètes
connaissent bien (voir Section 8). Dans l'extrait reproduit plus
haut, c'est, au dire d'une partie des interprètes qui ont parti-
cipé à l'expérience sur les noms propres, la logique un peu 'tor-
tueuse' de l'orateur qui est en cause. Il arrive aussi que l'on ne
puisse faire de diagnostic, fût-il impressionniste.
La détermination des caractéristiques statistiques de la fré-
quence des fautes et maladresses est intéressante dans des
études corrélationnelles et causales où sont également étudiés
des facteurs de difficulté précis. En l'absence d'un tel cadre, la
variabilité de cette fréquence est telle qu'elle rend vide de sens
la notion de moyenne. Il n'en reste pas moins intéressant de
noter que les fautes et maladresses peuvent être très fré-
86 DANIEL GILE

quentes, même chez des interprètes compétents et dans de


bonnes conditions de travail.
Au-delà de la fréquence des fautes et maladresses, il importe
de savoir quelle est leur importance qualitative. A cet égard, on
notera également une grande variabilité. A titre d'exemple,
dans le segment de discours reproduit plus haut, l'omission de
« first of all », première 'faute' sur la liste, n'a probablement pas
grande importance. A l'autre extrême, on peut évoquer une
conférence de préparation à une course transatlantique en
avion, pendant laquelle les interprètes ont été incapables de
reproduire les noms, les chiffres et les codes nécessaires au
déroulement des vols. Dans ce cas précis, les fautes étaient très
graves, en ce sens qu'elles réduisaient à près de zéro l'impact
du discours. Dans la plupart des cas, l'importance qualitative
des fautes et maladresses se situe entre les deux. Là aussi, la
notion de moyenne n'a pas beaucoup de sens ; il convient de
noter simplement que ces fautes et maladresses ne sont pas
dans l'ensemble inoffensives, et qu'il importe donc de les limi-
ter autant que possible.

3. Fautes et maladresses non liées aux processus mentaux de


y
l in terpréta tion

3.1 Problèmes environnementaux

Certaines fautes et maladresses survenant dans l'interpréta-


tion peuvent être imputées, partiellement ou entièrement, à
des phénomènes extérieurs au discours de l'orateur et aux
mécanismes de l'interprétation. Il arrive par exemple que le
son parvenant aux oreilles de l'interprète soit d'un volume ou
d'une qualité insuffisante du fait que les appareils électroni-
ques sont défaillants ou ont été mal installés, que l'orateur est
trop éloigné de son microphone, qu'il s'en détourne tout en
parlant, qu'il a oublié de le mettre en marche. Ces facteurs de
difficulté sont très fréquents mais ne sont pas traités ici. En
effet, leur solution passe par des mesures techniques et par
une information et une action d'éducation et de discipline, qui
sont marginales dans l'optique cognitiviste et linguistique adop-
tée dans cet ouvrage.
REGARDS SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 87

3.2 Connaissances et compréhension de l'interprète

D'autres problèmes d'interprétation sont attribuables à une


compréhension insuffisante du discours original par l'inter-
prète indépendamment des contraintes cognitives de l'interpré-
tation. Ils peuvent être liés à des termes techniques ou à des
noms propres peu connus ou non connus de l'interprète, à un
discours ayant un contenu particulièrement dense, un raison-
nement . difficile à suivre, etc. Dans le segment de discours
reproduit plus haut, même en écoutant à plusieurs reprises le
passage représenté par écrit aux lignes 10 à 12 de la transcrip-
tion de l'original, on ne voit pas très bien ce qu'entend l'orateur
quand il dit :

« ... I purposely did not go back to my room and outline what I was
going to talle about, because if I did I would probably say a lot of
things that really weren't on my mind and I would try to tailor it
after the context of this meeting. »

Cette opacité du message pourrait expliquer son omission


par l'interprète.
Notons que chez les professionnels compétents, notamment
ceux qui ont suivi une formation et ont été sélectionnés dans
l'une des grandes' écoles d'interprétation, i l est relativement
rare que les connaissances linguistiques générales soient en
cause. Il peut arriver qu'un mot ou une expression ne soient
pas connus de l'interprète, surtout dans les registres littéraires
et dans des variantes nationales ou sociolectes particuliers,
quand les orateurs ne parlent pas la langue standard', mais la
fréquence de ces incidents de parcours est probablement de
l'ordre de quelques unités à quelques dizaines d'unités par an,
soit un ordre de grandeur négligeable par rapport à la masse
des centaines d'incidents qui peuvent se produire par journée
de travail.
De même, s'agissant de professionnels compétents, i l est rare
que la capacité d'expression des interprètes et leur connais-
sance générale de la langue active vers laquelle ils travaillent
soient insuffisantes. L a chose peut se produire plus souvent
dans des registres spécifiques (langage juridique, langage mili-
taire, langage religieux, etc.), qui peuvent être considérés
comme des registres de spécialité.
88 DANIEL GILE

4. Les contraintes de l'interprétation

Les facteurs environnementaux et l'insuffisance des connais-


sances linguistiques et extra-linguistiques de l'interprète ne suf-
fisent pas à expliquer tous les incidents de parcours, comme le
montre le cas du segment de discours reproduit plus haut, et
comme nous l'avons constaté régulièrement sur des discours
enregistrés et leur interprétation. Les erreurs surviennent sou-
vent sur des segments de discours qui ne présentent aucune
difficulté apparente, que ce soit dans les facteurs environne-
mentaux, dans le raisonnement, dans la technicité du lexique
ou dans la complexité de la syntaxe. Il convient donc de cher-
cher ailleurs les raisons des problèmes.
Nous avons suivi pendant un an (Gile 1987) cinq étudiants
francophones en deuxième (et dernière) année du cursus d'in-
terprétation à l'ESIT au cours de leurs entraînements en classe
et en groupes de travail. Les exercices étaient de trois types :
— Exposés : présentation par un étudiant d'un exposé oral,
préparé ou improvisé, mais jamais lu. Les exposés servaient de
'discours' qui devaient être interprétés par les autres étudiants.
— Exercices d'interprétation consécutive, faits sur la base
d'exposés oraux, préparés, improvisés ou lus.
— Exercices d'interprétation simultanée, faits sur la base
d'exposés oraux, préparés, improvisés ou lus.
Des exposés faits en français et des discours interprétés vers
le français à partir de l'anglais et de l'allemand ont été enregis-
trés et étudiés au regard des fautes et maladresses de français
qu'ils comportaient. En l'absence d'un jeu de normes générale-
ment admises pour l'oral, les fautes et maladresses (désignées
sous le nom d'écarts' par rapport aux normes d'acceptabilité)
v
ont été déterminées à l'aide de dix informateurs locuteurs
natifs (Gile 1985a). Les fréquences des écarts dans les trois
types d'exercices ont la physionomie suivante (tableau 1) :

Etudiant A B C D E
Simultanée 42 30 37 38 31
Consécutive 35 24 31 11 16
Exposé 11 10 5 8 *

* Pas d'exposés enregistrés

Tableau 1 : Nombre moyen d'écarts par 100 mots


de discours en français
REGARDS SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 89

On constate pour tous les sujets l'existence de trois paliers,


avec, dans un ordre croissant des fréquences des défaulances,
les exposés, la consécutive et la simultanée, phénomène qui
peut s'expliquer par la comparaison suivante :.

L exposé
-—Dans l'exposé, l'orateur exprime ses propres idées ou
énonce des connaissances acquises avant le début de son
discours.
— Il choisit ses propres mots et ses propres tournures avant
et pendant son exposé, et ce à son propre rythme.
— Il n'a pas besoin de commencer à énoncer une idée tant
que celle-ci n'est pas claire dans son esprit.
— Il est libre de modifier le déroulement de son discours à
tout moment.
— Il peut concentrer toute son attention sur la formulation
du discours.

La consécutive
— En consécutive, l'interprète énonce des idées qui ne sont
pas les siennes, et i l doit souvent reformuler des informations
dont il vient seulement de prendre connaissance.
— Pour préparer son discours, i l n'a que le temps de l'inter-
vention de l'orateur, pendant laquelle son attention est égale-
ment prise par l'écoute et l'analyse du discours et par la prise
de notes.
— En revanche, au moment de la reformulation, i l peut par-
ler à son propre rythme.
— L'interprète connaît l'ensemble du segment de discours
qu'il va interpréter avant d'en commencer la reformulation.
Sur ce plan, il est parfois en meilleure situation que l'orateur, à
qui il arrive de devoir improviser.
— L'interprète est dans son intervention astreint à la fidélité
au discours de l'orateur, et ne peut y changer que des élé-
ments mineurs (voir Ch. 5).
— Au cours de la phase de reformulation, une partie de son
attention est consacrée à la lecture des notes et à un effort de
mémoire.

La simultanée
— En simultanée comme en consécutive, l'interprète exprime
des idées qui ne sont pas les siennes et reformule des informa-
tions dont il vient seulement de prendre connaissance.
90 DANIEL GILE

— Pour préparer son discours, i l ne dispose que de quelques


fractions de secondes à une ou deux secondes, et son rythme
suit de très près celui de l'orateur : il ne peut le devancer, sinon
pour terminer une phrase dont i l prévoit la fin, et ne peut se
permettre de prendre trop de retard, sous peine de perdre de
l'information (voir plus loin).
— Son horizon ne dépasse guère la phrase, voire un segment
de phrase dans le discours de l'orateur. Par opposition à la
consécutive, en simultanée, non seulement l'interprète n'a pas
un champ de vision correspondant à un enchaînement de plu-
sieurs idées, mais il doit souvent commencer à interpréter une
idée avant même de l'avoir saisie dans sa totalité.
— Pendant que l'interprète fait son discours, son attention
est fortement partagée, puisqu'il doit en même temps écouter
la suite du discours de l'orateur.

Au regard de la production linguistique du discours, on


relève donc deux différences importantes entre l'exposé et l'in-
terprétation, qu'elle soit consécutive ou simultanée :
— L'obligation de fidélité : Alors que l'intervenant parlant en
son nom propre peut laisser son discours dévier par rapport à
sa pensée sans même que ses auditeurs s'en rendent compte,
l'interprète n'a pas cette latitude. Comme le montrent et l'expli-
quent les psychologues cogniticiens et psycholinguistes (voir
par exemple Aitchison 1987, Clark et Clark 1977, Matthei et
Roeper 1983), la production du discours est une tâche com-
plexe et difficile. Souvent, quand la production d'un énoncé
reflétant ' une idée précise pose des difficultés au locuteur,
l'idée est sacrifiée au bénéfice de la facilité linguistique, surtout
dans l'oral. Comme l'explique Colin Cherry (1978 :79),

« We pay a price with the possession of a language, for we become


prone to verbal habits. It is only too easy to use clichés, proverbs
and slogans as a substitute for reasoned statements »

Par manque de motivation, d'énergie' ou de souplesse,


l'homme tend à se laisser dériver, suit les courants de la loi du
moindre effort et se laisse infléchir dans la production du dis-
cours par des 'tics' et habitudes linguistiques, ce qui débouche
sur un énoncé peu ou prou infidèle à sa pensée. D'après Frieda
Goldman-Eisler (1958 : 67-68) :

« ...Fluent speech was shown to consist of habitual combinations of


words such as were shared by the language community and such
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 91

as had become more or less automatic... Thus speakers are keeping


up with pressure of time, and the need for being intelligible and
maintaining rapport will be tempted and constrained to having
recourse to ready-made verbal sequences, phrases and clichés, and
subjective meaning itself will be guided through these channels and
modified as a result. »

L'interprétation ne permet pas un tel laisser-aller et agit donc


en révélateur de cette difficulté d'énoncer.
— La deuxième différence essentielle, qui est la plus appa-
rente mais pas nécessairement la plus importante, est le
contraste entre le caractère unilingue de l'exposé et le carac-
tère bilingue de l'interprétation. On ne sait pas exactement
comment s'opère mentalement le passage de la réception dans
une langue vers la production dans une autre, et la théorie
selon laquelle les deux sont dissociées à travers une étape de
'déverbalisation' durant laquelle ne subsiste plus aucune trace
linguistique est contestable (voir notamment Kolers 1978).
Cependant, il est raisonnable de supposer que la coordination
bilingue, et surtout la lutte contre les interférences linguisti-
ques que risque d'engendrer la présence simultanée de deux
systèmes linguistiques 'actifs', demandent un effort elles aussi.
Il semble toutefois que le principal facteur de difficulté en
interprétation est la pression du temps, qui comprime des acti-
vités d'analyse et de production dans de très courts délais et
qui impose notamment une simultanéité des activités et un
partage important de l'attention. C'est dans cette optique
qu'ont été mis au point les 'modèles d'Efforts'.

5. Opérations automatiques et non automatiques

Initialement, nous avons élaboré le modèle d'Efforts de la


simultanée sur une base intuitive pour expliquer la grande fré-
quence des fautes et maladresses d'interprétation qui ne pou-
vaient être attribuées ni à des facteurs environnementaux, ni à
une difficulté particulière de la compréhension ou de la pro-
duction en tant que telles. Par la suite, des textes de psycholo-
gie cognitive et de psycholinguistique ont permis d'asseoir ce
modèle sur le concept de 'capacité de traitement' et sur une
masse considérable de travaux de recherche réalisés autour de
ce même concept.
L'une des bases de l'idée est la notion de 'capacité de trans-
mission' d'un canal, formulée par D. Shannon à la fin des
92 DANIEL GILE

années 40 : tout canal de transmission d'information a un débit


informationnel maximum qui ne peut être dépassé. Cette idée
a été reprise, adaptée à leurs besoins et intégrée dans leurs
modèles par les psychologues cogniticiens (Moray 1967, Kah-
nemann 1973, Richard 1980), sous une forme plus générale de
'Système de traitement général à capacité limitée' ou S ACAL.
Les opérations mentales chez l'homme se classeraient en deux
catégories : les opération 'automatiques' et les opérations qui
ne le sont pas. Ces dernières passent par définition par le
SACAL, dont elles consomment une partie de la capacité de
traitement disponible. Si deux opérations non automatiques
passent par le SACAL en m ê m e temps, la consommation de
l'une s'ajoute à la consommation de l'autre. Par définition, les
opérations automatiques ne passent pas par le SACAL et ne
consomment pas de capacité de traitement.
En réalité, cette dichotomie est quelque peu simpliste. Les
opérations répétitives 's'automatisent' progressivement, et il est
difficile de définir un seuil très précis où une opération passe
de la catégorie 'automatique' à la catégorie 'non automatique'.
Cependant, certaines opérations appartiennent clairement à
l'une ou à l'autre. D'après Richard (1980:149-150), les opéra-
tions non automatiques, qui passent par le SACAL, sont celles
qui ne peuvent être automatisées : détection d'un stimulus
bref, identification d'un stimulus non familier présenté dans
des conditions défavorables, stockage en mémoire d'une infor-
mation devant être réutilisée par la suite, élaboration d'une
réponse non automatisée, contrôle de la précision d'un geste,
opérations cognitives relevant du système symbolique. Les opé-
rations automatiques, qui ne relèvent pas du SACAL, sont l'en-
codage d'un stimulus familier présenté dans des conditions
favorables, le déclenchement d'une réponse automatisée, et le
déroulement d'un programme moteur sans contrôle.
Les modèles d'Efforts de l'interprétation se fondent sur l'idée
que les opérations mentales qui interviennent dans celle-ci sont
consommatrices de capacité de traitement.

6. Les Efforts en interprétation simultanée

6.1 Les trois Efforts

La simultanée comporte un grand nombre d'opérations


cognitives. Dans l'analyse fonctionnelle réalisée pour l'élabora-
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 93

tion du modèle d'Efforts de la simultanée, trois groupes d'opé-


rations ont été définis :

L'Effort d'écoute et d'analyse


Il englobe l'ensemble des opérations mentales qui intervien-
nent entre la perception du son du discours par les organes
auditifs et le moment où l'interprète a attribué un sens (ou plu-
sieurs potentialités de sens) au segment de discours qu'il a
entendu, ou le moment où il renonce à le faire.

L'Effort de production du discours


Celui-ci englobe l'ensemble des opérations mentales qui
interviennent entre le moment où l'interprète décide de trans-
mettre une information ou une idée et le moment où il produit
vocalement l'énoncé qu'il a élaboré pour le faire.

L'Effort de mémoire à court terme


• L'Effort de mémoire à court terme correspond à l'ensemble
des opérations liées au stockage en mémoire de segments de
discours entendus jusqu'à leur restitution en langue d'arrivée,
à leur perte si elles disparaissent de la mémoire, ou à la déci-
sion de l'interprète de ne pas les restituer.

Cet Effort intervient essentiellement pour quatre raisons :


— Une raison physique, dans la mesure où un certain temps
s'écoule dans la plupart des cas entre le moment où un son est
entendu et celui où il est restitué (mais s'il est anticipé par l'in-
terprète, i l peut être restitué avant m ê m e d'avoir été entendu).
A fortiori, s'agissant de syllabes, de mots ou de tournures, leur
identification et leur compréhension prennent un certain
temps, puisque les sons sont perçus physiquement de manière
quasiment linéaire et que l'analyse porte sur des segments
sonores, et non pas sur des points. D'après Graesser (1981:53),
les mots à l'intérieur d'une proposition sont stockés en
mémoire à court-terme jusqu'à ce que le récepteur arrive à la
fin de la proposition.
— Des raisons " tactiques : l'interprète attend plus ou moins
longtemps avant de restituer un segment de discours pour se
donner le temps de mieux le comprendre grâce au contexte. Il
peut également souhaiter attendre pour se donner davantage
de recul et donc une plus grande marge de m a n œ u v r e dans
renonciation en langue d'arrivée.
94 DANIEL GILE

— Il peut aussi être obligé d'attendre en raison des diffé-


rences syntaxiques, entre langue de départ et langue d'arrivée
(voir plus loin).
— H peut également arriver que l'interprète prenne du retard
par rapport à un segment dense, rapide ou difficile à formuler
du discours original, et ce retard entraîne automatiquement le
stockage d'informations en mémoire.
Il existe d'autres opérations mentales qui interviennent dans
l'interprétation, notamment la construction progressive d'une
base de connaissances sur le sujet et sur la conférence concer-
née et son stockage en mémoire à long terme. Une grande par-
. tie de cette opération peut être considérée comme faisant par-
tie de l'Effort d'écoute et d'analyse. Les autres opérations
auxquelles on peut penser ne relèvent pas directement du pro-
cessus central de l'interprétation. C'est pourquoi nos modèles
d'Efforts s'articulent autour des trois groupes d'opérations
définis plus haut.

6.2 Les Efforts sont-ils automatiques ?

6.2.1 L'Effort d'écoute

Dans la vie quotidienne, la compréhension des textes et des


discours donne l'impression d'être un acte spontané qui ne
requiert aucun effort. E n réalité, cet acte comporte des opéra-
tions multiples dans un enchaînement complexe (voir par
exemple Noizet 1980, Eysenck et Keane 1990:296). Plutôt que
de reprendre l'ensemble des résultats obtenus dans ce
domaine, dont on trouvera des explications dans les livres de
psycholinguistique, nous nous contenterons d'en souligner
quelques éléments saillants pour expliquer le caractère non
automatique de la compréhension du discours par l'interprète.
Les travaux réalisés dès les années 50 et 60, notamment par
Miller, Liberman et Pollack, montrent que la compréhension
du discours ne consiste pas en la réception intégrale et passive
d'un signal acoustique correspondant de manière univoque à
un enchaînement de phonèmes, de syllabes ou de mots. En
effet, des phénomènes physiques et physiologiques font que les
sons émis pour vocaliser un segment de discours sont variables
non seulement d'un locuteur à un autre, mais aussi d'un
moment à l'autre chez le même locuteur (voir par exemple
Haton et Liénard 1979).
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 95

. Par ailleurs, les informations véhiculées par chaque segment


de signal portent non seulement sur le segment de discours
visé, mais aussi sur des segments de discours voisins (Liber-
man et coll., 1967). En effet, chaque segment est susceptible
d'influencer phonétiquement le segment voisin : une consonne,
une voyelle, une syllabe n'aura pas nécessairement le m ê m e
son selon les consonnes, voyelles ou syllabes qui la précèdent
et qui la suivent. E n fait, l'auditeur interprète les sons captés à
partir de certaines de leurs caractéristiques physiques, les
'traits discriminants', qui correspondent essentiellement à des
variations dans la fréquence et l'intensité du signal sonore, en
suivant les règles phonologiques, lexicales, syntaxiques et
sémantiques de la langue concernée (Studdert-Kennedy
1974:2350).
Ces règles sont probabilistes : les traits discriminants perçus
sont interprétés en fonction d'un ensemble de possibilités dont
certaines sont plus probables que d'autres, le profil des proba-
bilités étant déterminé par : ~
— L'apport linguistique du contexte : l'apprentissage d'une
langue implique l'acquisition d'un système affectant des proba-
bilités d'occurrence absolues et transitionnelles aux mots, pho-
nèmes, lettres, syllabes et autres éléments linguistiques dans
l'enchaînement du discours (Hörmann 1972).
— Le bagage extra-linguistique de l'auditeur, composé de ses
connaissances extra-linguistiques préalables à l'échange, et des
connaissances apportées par le contexte ; ce bagage superpose
au système probabiliste linguistique un système probabiliste
extra-linguistique très puissant (voir Slama-Cazacu 1961).
Ces systèmes probabilistes ont un rôle décisif dans la com-
préhension de la parole, puisqu'ils déterminent dans une
grande mesure ce que l'auditeur entend' (Hörmann 1972:79),
parfois en dépit des caractéristiques physiques perçues du son
émis : dans un montage expérimental, un segment acoustique
composé d'un toussotement suivi de la syllabe anglaise « ite » a
été incorporé dans une phrase parlant de chiens féroces, et les
sujets ont cru entendre clairement les mots « bite » ou « fight »
(Warren 1970). Des 'illusions acoustiques' analogues ont égale-
ment été notées par Miller et Skinner. E n effet, explique Hör-
mann (1972:78), « ...la compréhension d'un message implique
toujours plus que ce qui est contenu dans le signal lui-même...
si le récepteur du message sait que les chiffres y sont plus pro-
bables que les mots, i l pensera que /ka.../ a plus de chances
d'être quatre' que catastrophes' ».
96 DANIEL GILE

Trois éléments intéressent particulièrement l'interprète dans


ces aspects de la compréhension du discours oral :
— Le facteur temps : l'analyse des sons captés prend un cer-
tain temps, d'autant plus long que la quantité d'information
qu'ils véhiculent est plus grande (Le Ñy 19 J8).
f

— L'attention ou capacité de traitement : l'analyse des


signaux demande une • capacité de traitement d'autant plus
importante, elle aussi, que la quantité d'information à traiter
est plus grande (Miller 1973).
— La capacité de la mémoire à court terme : on sait que la
mémoire à court terme a une capacité limitée, qui est de l'or-
dre de 7 morceaux' d'information (chunks' en anglais - Miller
1956). Cette limite oblige l'interprète à stocker les informations
véhiculées par les enchaînements de sons sous forme de mor-
ceaux' plus grands que les phonèmes ou même les mots (Mas-
saro 1975).
De toute évidence, le processus d'analyse aboutissant à la
compréhension du discours n'est pas automatique, ne serait-ce
qu'en raison du fait qu'il fait intervenir le stockage d'informa-
tions en mémoire à court terme à des fins de comparaison
avec des éléments stockés en mémoire à long terme, puis la
prise de décisions interprétatives. Le fait que ce processus soit
rapide et le plus souvent inconscient explique qu'il puisse être
perçu comme spontané' et sans efforts', maisr il ne l'est pas au
sens strict du terme, comme le montrent diverses expériences
réalisées en psychologie cognitive (voir Richard 1980).
En interprétation interviennent des facteurs qui rendent la
compréhension du discours encore plus consommatrice de
capacité de traitement. Ils sont essentiellement liés à l'infério-
rité des connaissances pertinentes des interprètes par rapport à
celles des délégués. En effet, de manière générale, l'orateur
parle aux délégués, et non pas aux interprètes. En consé-
quence, sur le plan informationnel comme sur le plan linguisti-
que, son discours est adapté aux connaissances des délégués,
et non à celles des interprètes. Pour ces derniers, le discours
original comporte davantage d'informations nouvelles, davan-
tage d'informations imparfaitement connues, moins d'éléments
connus, donc redondants, qui permettent l'anticipation ou la
reconstruction de segments de son mal entendus. Il en résulte
des besoins plus grands en capacité de traitement.
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 97

;
6.2.2 L Effort de production

La Section 4 ci-dessus explique et illustre les raisons pour


lesquelles la production du discours ne saurait être classée
dans la catégorie des opérations automatiques. .Signalons à ce
propos que les pauses d'hésitation, considérées comme le prin-
cipal indicateur des difficultés de la production, ont fait l'objet
de nombreux travaux de recherche chez les psycholinguistes.
En interprétation, plusieurs facteurs augmentent les besoins
de l'Effort de production en capacité de traitement :
— En premier lieu interviennent à nouveau les connaissances
des interprètes, inférieures à celles de l'orateur. Ce déficit leur
rend plus difficile la réorganisation du message en langue d'ar-
rivée quand i l s'agit de contourner des difficultés d'expression
par des paraphrases. E n outre, sur le plan linguistique, dès que
le vocabulaire ou le registre est un tant soit peu spécialisé, i l
est moins disponible chez l'interprète que chez l'orateur-
spécialiste (voir Ch. 8).
— En outre, en simultanée, la nécessité de parler au rythme
de l'orateur plutôt qu'au rythme naturel de l'interprète consti-
tue une lourde contrainte. L a seule compréhension du discours
original au rythme de l'orateur ne semble pas peser aussi
lourd, si l'on en juge par le fait que les auditeurs ne s'en plai-
gnent que lorsque l'orateur est particulièrement rapide ou que
son discours est particulièrement dense.
— Troisièmement, l'interprète se trouve souvent dans la
nécessité de commencer la reformulation d'une idée en langue
d'arrivée avant d'avoir une idée très claire de l'ensemble de
l'idée ou des enchaînements dans le discours initial ; cela
l'oblige à choisir des débuts de phrase neutres' qui lui laissent
une certaine marge de m a n œ u v r e dans la suite, ou à se débat-
tre avec des fins de phrases parfois rendues difficiles par la
direction inattendue que prend la phrase de l'orateur.
— Enfin, la nécessité de lutter consciemment contre les
interférences linguistiques provenant de la langue de départ
accroît encore les besoins en capacité de traitement.
En revanche, certains aspects de la production du discours
sont probablement facilités par la situation particulière de l'in-
terprète de simultanée :
— D'une part, i l est souvent en mesure de suivre la syntaxe
de la phrase en langue de départ et a donc moins de décisions
syntaxiques à prendre que l'orateur. Rappelons, comme le sou-
lignent beaucoup d'enseignants de l'interprétation, qu'une telle
tactique présente le très réel danger d'un calque syntaxique
98 DANIEL GILE

aboutissant à u¿& énoncé.peu naturel et peu compréhensible en


langue d'arrivée. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le cal-
que est déconseillé, voire formellement interdit pendant le cur-
sus de. formation à l'interprétation. Cependant, dans la prati-
que, on constate qu'il intervient assez souvent.
— D'autre part, sur le plan lexical, l'accès aux mots et termes
techniques en langue d'arrivée peut être facilité par les choix
déjà réalisés par l'orateur, surtout quand les termes employés
en langue d'arrivée sont phonologiquement proches de ceux
employés en langue de départ. Il y a là aussi risque d'interfé-
rence linguistique, mais l'effet faciHtateur est certainement très
important, voir capital dans la terminologie scientifique et
technique.
En résumé, la situation de l'interprète en tant que produc-
teur du discours diffère sensiblement de celle du locuteur ordi-
naire. Les opérations lui sont facilitées d'un côté, mais compor-
tent en tout état de cause des composantes non automatiques.
Les erreurs et maladresses constatées sur le terrain et en labo-
ratoire en sont la plus éloquente manifestation.

6.2.3 L'Effort de mémoire

L'Effort de mémoire en simultanée répond parfaitement à la


définition des opérations non automatiques donnée plus haut
par J.-F. Richard, puisqu'il s'agit bien de stocker des informa-
tions en mémoire pour les réutiliser ensuite. Qui plus est, en
interprétation simultanée, le rythme de stockage et de
recherche de l'information dépend de l'orateur, et non pas de
l'interprète. Il en est de même de la quantité d'information à
manier.
En fait, i l semble que l'Effort de mémoire à court terme soit
particulièrement critique dans l'interprétation et qu'il explique
de nombreuses difficultés, comme i l est exposé plus loin.

7. Le modèle d'Efforts de la simultanée

7.1 Présentation du modèle

Les interprètes sont apparemment conscients de la concur-


rence entre différents Efforts depuis longtemps. Ils mention-
nent notamment depuis les années 60 les limites de la capacité
de la mémoire à court terme et ses incidences sur les tactiques
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 99

de production (voir par exemple Fukuii et Asano 1961, Kade et


Cartellieri 1971, Lederer 1978, Moser 1978, Wilss 1978). Cepen-
dant, les modèles d'Efforts semblent être la première tentative
d'intégrer le concept dans un modèle explicatif.
Le modèle d'Efforts de la simultanée se présente sous la
forme suivante :

(1) E+ M+ P+ C - T

E désigne les besoins en capacité de traitement de l'Effort


d'écoute et d'analyse
M désigne les besoins en capacité de traitement de l'Effort
de mémoire à court terme
• P désigne les besoins en capacité de traitement de l'Effort
de production du discours en langue d'arrivée
C désigne la capacité de traitejnent nécessaire à la coordi-
nation des trois Efforts. Il semble en effet exister des éléments
expérimentaux démontrant qu'en la présence de plus de deux
activités simultanées non automatiques, les besoins en capacité
de traitement comprennent non seulement la somme des
besoins individuels, mais aussi une certaine capacité de traite-
ment pour la coordination entre les activités (Eysenck et
Keane 1990:114).
T est le total des besoins.

Ce modèle appelle trois observations :


— A tout moment, chacun des Efforts traite en principe un
segment différent du discours original. Dans le schéma le plus
simple, si celui-ci se compose d'une succession de segments 1,
2, 3, 4, 5 etc., au m ê m e moment, P traitera le segment 1, M le
segment 2, E le segment 3, puis P le segment 2, M le segment
3, E le segment 4 et ainsi de suite. E n réalité, les opérations
peuvent être bien plus complexes, avec des segmentations, des
fusions et des permutations de segments.
— La capacité de traitement totale nécessaire à l'interpréta-
tion est éminemment variable, puisqu'elle dépend des besoins
pour chaque segment de discours.
— A fortiori, la capacité de traitement nécessaire à chaque
Effort est variable.

La formule (1) représente donc une somme instantanée et


variable des besoins en capacité de traitement.
100 DANIEL GILE

Toutefois, le modèle ne prend véritablement un sens que


sous la forme de l'inéquation (2) :

(2) E + M+ P + C= T ^ D

où D désigne la capacité de traitement totale disponible

Qette capacité de traitement totale disponible D peut varier


d'un moment à l'autre. On sait qu'elle est finie, mais rien ne
prouve qu'elle est constante dans le temps.
L'inéquation (2) indique une condition nécessaire à une
bonne interprétation : pour que l'interprète puisse accomplir
correctement sa tâche, il faut qué la capacité totale nécessaire
T soit inférieure (ou égale) à la capacité totale disponible D.
En réalité, cette condition ne suffit pas, car i l peut arriver
que la capacité totale disponible soit suffisante mais que la
part affectée par l'interprète (consciemment ou non) à l'un des
Efforts soit insuffisante au regard de la tâche qu'il doit accom-
plir au moment concerné. Il convient donc d'ajouter d'autres
conditions de fonctionnement, représentées par les inéquations
(3), (4) et (5), qui indiquent l'absence d'une insuffisance locali-
sée de capacité de traitement pour un Effort donné.

(3) E < D (E)


(4) M < D (M)
(5) P < D (P)

où D(E) indique la capacité disponible pour l'Effort d'écoute et


d'analyse pour la tâche qu'il doit accomplir au moment
concerné, et où D(M) et D(P) indiquent respectivement la capa-
cité disponible pour l'Effort de mémoire et pour l'Effort de*
production en égard aux tâches qu'ils doivent accomplir au
même moment.

7.2 Les défaillances


7.2.1 Sources de défaillances

Au regard du modèle d'Efforts, des défaillances peuvent sur-


venir dans deux cas :

La saturation
La saturation correspond au cas où le total des besoins
dépasse le total disponible (inéquation (2) non réalisée). Dans
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 101

une telle condition, Fun des Efforts au moins ne disposera pas


de la capacité nécessaire au traitement du segment qui le
concerne au moment voulu. L a saturation est déclenchée par
une augmentation des besoins en capacité de traitement dans
un ou plusieurs Efforts (voir plus loin).

Le déficit individuel
Le 'déficit individuel' correspond au cas où l'un des Efforts
ne dispose pas de la capacité de traitement nécessaire à l'exé-
cution de sa tâche, alors que la capacité totale disponible est
supérieure au total des besoins : l'inéquation (2) est réalisée,
mais les inéquation(s) (3) et/ou (4) et/ou (5) ne le sont pas. Les
déficits individuels surviennent notamment chez les étudiants
et débutants, qui n'ont pas encore acquis la maîtrise de la ges-
tion de leur capacité de traitement, mais aussi chez des profes-
sionnels chevronnés, en cas de défaillance passagère, par
exemple à un moment de fatigue, et au moment où survient
de manière inopinée un segment de discours plus complexe
que prévu.

7.2.2 Les manifestations des défaillances

Il convient de souligner qu'une saturation ou un déficit indi-


viduel ponctuels n'engendrent pas nécessairement une défail-
lance ou une détérioration de la qualité de la prestation. Il est
possible en effet que la charge de traitement soit telle qu'un
transfert de capacité de traitement puisse se faire d'un Effort à
un autre sans effets négatifs. Par exemple, si les segments de
discours arrivant en Ecoute ne requièrent pas un important
effort et si la mémoire à court terme n'est pas surchargée, un
segment difficile à reformuler en Production peut être stocké
un moment supplémentaire en mémoire, le temps de transfé-
rer une certaine capacité de traitement de l'Effort d'écoute à la
Production. Autre exemple, un élément d'information non saisi
à un moment donné peut être retrouvé par l'interprète grâce à
une redondance dans le discours original quelques segments
de discours plus loin. L'interprète peut aussi changer de tacti-
que dans le traitement d'un segment de discours pour consom-
mer moins de capacité de traitement, en optant par exemple
pour un synonyme ou une paraphrase plutôt que pour la for-
mulation visée initialement (voir Ch. 5).
Dans d'autres cas, la saturation ou le déficit individuel dans
l'un des Efforts engendrent bien une détérioration de la qualité
102 DANIEL GILE

de l'interprétation. Celle-ci peut se traduire par une perte d'in-


formation, par une déformation de l'information, par une dété-
rioration de la qualité linguistique du discours en langue d'arri-
vée, par une prestation moins claire, moins convaincante,
moins agréable à écouter. Comme i l est expliqué au Ch. 6, ces
pertes, déformations et autres baisses de qualité ne sont pas
toujours perceptibles ou perçues par les observateurs lors de la
prestation, mais elles peuvent aussi être très apparentes :
fautes dans les noms propres, terminologie maladroite, fautes
de grammaire, problèmes de prononciation, discours en langue
d'arrivée au contenu illogique ou peu plausible.

7.2.3 Les enchaînements déficitaires

Dans l'étude des défaillances en interprétation, le concept


d'enchaînements déficitaires' est particulièrement important,
car i l permet d'expliquer certaines défaillances portant sur des
segments de discours qui ne semblent pas poser de problèmes
en eux-mêmes.
Les défaillances liées à l'insuffisance en capacité de traite-
ment se produisent souvent à la suite d'un enchaînement, que
l'événement déclencheur ait été une saturation ou un déficit
individuel. En effet, la saturation est une insuffisance qui se
répercute nécessairement sur au moins l'un des Efforts et crée
au moins un déficit individuel.
Les déficits peuvent engendrer la perte d'une information au
moment même où ils se produisent. Ainsi, un déficit suffisam-
ment important dans l'Effort d'écoute peut empêcher l'inter-
prète de capter un segment de discours au moment où il est
énoncé, et provoquer son omission. Cependant, il est très fré-
quent qu'un déficit provoque un problème à distance.
A titre d'illustrations, on peut considérer les cas suivants :
Exemple 1
L'interprète ne trouve pas immédiatement un terme qu'il
recherche en langue d'arrivée. Il affecte à l'Effort de produc-
tion davantage de capacité de traitement pour le trouver - au
détriment de l'Effort d'écoute, et perd ainsi une information
dans un segment ultérieur du discours original.
Exemple 2,
Le fort accent étranger d'un orateur oblige l'interprète à
consacrer une grande quantité de capacité de traitement à l'Ef-
fort d'écoute. Il en résulte un déficit dans l'Effort de produc-
tion, qui se traduit par une énonciation plus lente en langue
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 103

d'arrivée. Le retard s'accumule, et les informations à stocker


en mémoire à court terme finissent par dépasser la capacité de
celle-ci, d'où perte d'information.
Exemple 3
Comme dans l'exemple 2, le fort accent étranger d'un ora-
teur " oblige l'interprète à consacrer une grande quantité de
capacité de traitement à l'Effort d'écoute. Il en résulte un défi-
cit dans l'Effort de production, qui se ralentit. Pour rétablir
l'équilibre, l'interprète reprend une partie de la capacité de
traitement affectée à l'Effort d'écoute pour l'attribuer à l'Effort
de production. Il en résulte un déficit dans l'Effort d'écoute, et
la perte d'une information à l'écoute.
Dans ces trois cas, la perte se produit non pas sur le segment
de discours déclencheur du déficit, mais sur un élément
ultérieur.
Les mécanismes en jeu deviennent plus complexes encore si
l'on tient compte non seulement des besoins et des disponibili-
tés, mais aussi de la latence des réactions de l'interprète. E n
effet, celui-ci peut par exemple augmenter la part de capacité
de traitement affectée à l'Effort d'écoute quand il reconnaît un
segment difficile, ce qui peut se produire avant le début dudit
segment si celui-ci est anticipable, mais aussi après le début de
son énonciation par l'orateur, s'il ne l'est pas.
A titre d'exemple, une phrase peu dense comportant un seg-
ment informationnellement dense :

« Mister Chairman, Ladies and Gentleman, the Pacific Islands Deve-


lopment Fund and has committed large funds to the project. »

Globalement, cette phrase se décompose comme suit :


t -t : « Mister Chairman, Ladies and Gentlement, the » (faible
0 2

densité informationnelle)
t -t : « Pacific Islands Development Fund » (forte densité
2 4

informationnelle)
t ~fin : « has committed large funds to the project » (faible den-
4

sité informationnelle)

De manière très grossière, on peut suivre la dynamique thé-


orique de la répartition de la capacité de traitement selon le
schéma de la Fig.l :
104 DANIEL GILE

Figure 1 : Représentation schématique de la capacité de traitement dépen-


sée lors de l'interprétation simultanée d'une phrase simple com-
portant un segment dense
I : débit informationnel d u discours
E : capacité de traitement d é p e n s é e par l'Effort d'écoute et d'analyse
P : capacité de traitement d é p e n s é e par l'Effort de production
M : capacité de traitement d é p e n s é e par l'Effort de m é m o i r e
T : capacité de traitement totale d é p e n s é e
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 105

a. L'Effort d'écoute
— De t à t , l'orateur prononce la formule standard de
0 2

début d'intervention, et l'Effort d'écoute de l'interprète est à un


niveau de capacité de traitement très bas.
— En t , l'orateur commence à prononcer le nom propre,
2

segment informationnellement dense si l'interprète ne le


connaît pas. L'interprète s'en rend compte en t et consacre
3

davantage d'attention à l'écoute de ce nom.


— En t , l'orateur finit de prononcer le nom propre et passe
4

à un segment de discours moins dense que le nom propre,


mais plus dense que la formule standard par laquelle i l a com-
mencé son intervention. L'interprète s'en rend compte en t et 5

libère vers d'autres Efforts une partie de la capacité qui était


engagée dans l'Effort d'écoute. .
— Le restant de ce segment se maintient dans l'ensemble au
même niveau de densité informationnelle, et le niveau de capa-
cité • de traitement consacré à l'écoute reste plus ou moins
constant.

b. L'Effort de production
L'Effort de production commence en t une fois que l'inter-
1;

prète a reconnu la formule. En l'occurrence, i l parle aussi vite


que l'orateur et termine sa restitution en même temps que lui.
Puis, reconnaissant une difficulté dans le nom propre, il ne dit
rien pendant un moment pour consacrer l'essentiel de sa capa-
cité à l'écoute. Ce n'est qu'en t , après s'être assuré que le nom
6

propre est terminé, qu'il recommence à produire, à un niveau


de consommation de capacité de traitement plus élevé que
pour la formule.

c. L'Effort de mémoire
Pendant la formule d'appel standard qui marque le début de
l'intervention, l'Effort de mémoire est quasiment nul, puisque
l'interprète évoque en langue d'arrivée la même formule d'ap-
pel, qu'il connaît bien, et qu'il termine son énonciation en
même temps que l'orateur. Lorsque ce dernier commence à
prononcer le nom propre, comme l'interprète attend avant de
reprendre son propre discours, l'information s'accumule en
mémoire à court terme de t jusqu'en t , moment où l'inter-
4 6

prète commence à restituer le discours. A partir de t , elle 6


106 DANIEL GILE

commence à baisser progressivement, à mesure que l'inter-


prète la restitue en langue d'arrivée et peut la laisser disparaî-
tre de sa mémoire à court terme.

d. L a capacité totale utilisée


Rappelons que ce schéma est une construction théorique,
simplifiée à l'extrême, qui ne vise pas à permettre le calcul de
valeurs précises, mais à montrer comment les décalages entre
les événements du discours original et les opérations de gestion
de la capacité de traitement chez l'interprète peuvent engen-
drer des défaillances à distance.
Si l'on considère la somme des éléments de'capacité de trai-
tement utilisés dans chaque Effort, on voit qu'alors que le seg-
ment le plus dense du discours se situe entre t et t , c'est
2 4

entre t et t que la somme est la plus élevée. Pendant qu'est


6 7

prononcé ledit segment, il existe bien un intervalle court, de t 3

à t , où le total est élevé, mais le reste du temps, il est moyen.


4

Dans ce schéma, une perturbation momentanée des condi-


tions d'écoute, par exemple, a bien plus de chance d'aboutir à
une défaillance entre t et t , où le discours ne présente pas de
6 7

difficulté particulière, qu'entre t et t .


2 4

Il va sans dire qu'une vérification des hypothèses sur les-


quelles est bâti ce modèle à l'aide d'indicateurs physiologiques
dans des mesures en ligne présenterait un intérêt capital, mais
pose encore des problèmes (voir Section 12).

8. Les 'déclencheurs'

Dans l'ensemble, les 'déclencheurs' de problèmes, c'est-à-dire


les éléments et caractéristiques du discours original qui engen-
drent des problèmes de saturation et de déficit individuel tels
qu'ils sont connus et répertoriés par les interprètes, sont de
deux types : ceux qui augmentent les besoins en capacité de
traitement, et ceux dont le traitement, en l'occurrence à
l'écoute, est particulièrement vulnérable à une baisse de
l'attention.

8.1 Déclencheurs par augmentation des besoins en capacité de


traitement

Dans l'optique des modèles d'Efforts, ces déclencheurs sont


REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 107

essentiellement ceux qui imposent à l'interprète le traitement


dune grande quantité d'information par unité de temps, et
ceux dont le traitement pose des problèmes qualitatifs.
Dans la première catégorie, on notera en premier lieu les dis-
cours informationnellement denses. Ces discours augmentent
en effet les besoins en capacité de traitement dans deux
Efforts : L'Effort d'écoute et d'analyse, puisque l'interprète doit
comprendre une plus grande quantité d'information par unité
de temps, et l'Effort de production, car l'interprète doit refor-
muler une plus grande quantité d'information par unité de
temps. Sont concernés les discours rapides, les textes lus (en
raison de leur plus grande densité informationnelle), les enu-
merations, qui sont plus denses dans la mesure où elles com-
portent peu d'éléments de transition et de liaison à faible
contenu informationnel.
Parmi les déclencheurs qui posent des problèmes qualitatifs,
notons les accents dont l'interprète n'a pas l'habitude, et les
structures linguistiques inhabituelles ou grammaticalement
incorrectes, par exemple chez des orateurs ne parlant pas leur
langue maternelle. Dans tous ces cas, l'augmentation des
besoins en capacité de traitement porte essentiellement sur
l'Effort d'écoute et d'analyse.
Un cas particulier est celui des noms propres composés',
c'est-à-dire formés de deux ou plusieurs mots nominaux et
adjectifs, éventuellement reliés entre eux par des mots gram-
maticaux (« Organisation internationale des producteurs de... »,
« Association pour la recherche sur... »). Ces noms propres pré-
sentent deux éléments de difficulté. D'une part, ils sont denses,
car les mots pleins qui les composent ne sont séparés que par
un petit nombre d'éléments de liaison à faible densité informa-
tionnelle (le plus souvent des conjonctions). D'autre part, dans
la plupart des cas, pour des raisons syntaxiques, leur restitu-
tion en langue d'arrivée demande un réagencement de ces élé-
ments : par exemple, d'anglais en français :

1 2 3 4
« International Association of Conference Interpreters »
« Association internationale des interprètes de conférence »
2 1 4 '3

Il en résulte une activité de mémoire à court terme fort


intense. On peut en effet supposer que l'interprète balaie une
première fois le nom en langue de départ pour décider lequel
de ses éléments doit être restitué en premier. Puis il restitue
108 D A N I E L GILE

cet élément en langue de départ et le stocke pour référence. Il


balaie une nouvelle fois le nom en langue de départ pour
déterminer le deuxième élément, puis l'ajoute au nom en lan-
gue d'arrivée. Le processus se poursuit ainsi, avec des réfé-
rences continuelles au nom en langue de départ et aux élé-
ments de nom déjà restitués en langue d'arrivée, ce qui accroit
très sensiblement l'effort à fournir.
L'augmentation des besoins en capacité de traitement asso-
ciée à des différences syntaxiques entre la langue de départ et
la langue d'arrivée, important problème potentiel qui a donné
lieu à de nombreuses controverses, est traitée plus en détail au
Ch. 8 à propos des problèmes linguistiques de l'interprétation.

8.2 Segments de discours vulnérables à l'écoute

A côté des déclencheurs par augmentation des besoins en


capacité de traitement, i l existe des déclencheurs dont le risque
est lié à leur vulnérabilité à l'écoute. Il s'agit de segments de
discours courts et peu redondants, tels que les chiffres et les
noms propres dits simples' (non structurés en groupes de
mots, par opposition aux noms propres 'composés'), dont le
taux de restitution dans la pratique est très bas (voir Gile
1984). E n raison de leur faible redondance, il suffit d'une
baisse d'attention momentanée ou d'une interférence sonore
ou autre pour qu'ils ne soient pas reconnus.
Il est également possible que certains mots ordinaires en lan-
gue de départ soient plus vulnérables que d'autres pour la
même raison, mais la dépendance de la redondance à l'égard
du contexte est telle que l'on ne saurait les qualifier de 'déclen-
cheurs' au même titre que les chiffres et les noms propres sim-
ples. L a question est toutefois évoquée dans un contexte plus
large, celui de la langue, au Ch. 8.

9. Le modèle d'Efforts de la consécutive

Contrairement à la simultanée, la consécutive peut être


décomposée en deux phases bien distinctes, l'une pendant
laquelle l'interprète assimile le discours de l'orateur et prend
des notes, et l'autre pendant laquelle il le restitue en langue
d'arrivée.
Dans l'optique de la capacité de traitement, la phase d'écoute
peut se décomposer en trois Efforts :
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 109

Ecoute en consécutive = E + M + P N + C

E désigne le même Effort d'écoute et d'analyse qu'en


simultanée
PN désigne la production non pas du discours en langue
d'arrivée, mais de notes écrites
M correspond à un Effort de mémoire à court terme, simi-
laire à celui qui intervient en simultanée.
En effet, pöpr les raisons déjà évoquées pour la simultanée,
une certaine attente est indispensable entre l'arrivée de l'infor-
mation dans le cerveau de l'interprète et sa consignation par
écrit, sous une forme ou une autre.
C désigne l'Effort de coordination des autres Efforts,
comme en simultanée.
J^es notes font l'objet d'une importante masse de publica-
tions, essentiellement didactiques. Rappelons à ce stade, avant
d'y revenir plus loin, qu'elles ne constituent pas une représen-
tation écrite du discours dans sa totalité, mais un ensemble de
repères destinés à faciliter la recomposition du discours par
l'interprète lors de la deuxième phase. Néanmoins, en raison
du temps requis pour le mécanisme manuel de l'écriture, la
prise de notes est une activité qui intervient sinon sans discon-
tinuer, du moins pendant une très importante partie du temps
d'écoute.
La phase de reformulation, quant à elle, peut être modélisée
de la manière suivante :

Reformulation en consécutive — M L T + Lect + P

MLT correspond à un Effort de. mémoire à long terme', à


savoir l'évocation du segment de discours à interpréter
Lect est l'effort de lecture et de décodage des notes prises
pendant la première phase.
P est la production du discours en langue d'arrivée, comme
en simultanée

Durant cette seconde phase, l'interprète peut partager son


attention à son rythme ; û ne dépend pas du rythme d'arrivée
des informations dans le discours de l'orateur. Qui plus est, i l
110 DANIEL GILE

peut déplacer toute son attention d un Effort à l'autre en cas


de nécessité sans risquer de se trouver en déficit de capacité
pour le traitement d'un nouveau segment. Enfin, loin de
concurrencer l'Effort de mémoire à long terme, l'Effort de lec-
ture des notes peut faciliter celui-ci. C'est pourquoi nous n'indi-
quons pas d'Effort C dans cette deuxième phase de la
consécutive.
De toutes ces considérations, i l ressort que du point de vue
de la capacité de traitement, pour un interprète compétent,
seule la phase d'écoute est critique en consécutive. Si elle a été
solide, la phase de reformulation devrait se dérouler sans
difficultés.
' Les problèmes liés à la capacité de traitement se présentent
pendant la phase d'écoute de la consécutive de la même
manière qu'en simultanée, avec des phénomènes de saturation
et de déficit individuel. L a principale différence entre la simul-
tanée et la consécutive à cet égard se situe dans l'Effort de
production. En effet, l'Effort de production du discours est
subordonné à l'obligation de fidélité : l'interprète doit restituer
la totalité du message de l'orateur en langue d'arrivée. En
revanche, la production des notes n'est pas une obligation, car
les notes ne sont qu'une aide à la reproduction, et i l n'est pas
nécessaire de noter un élément de discours pour pouvoir le
reconstituer. Dans le cas d'interventions courtes, i l arrive d'ail-
leurs souvent que l'interprète ne prenne pas de notes du tout.
Dans le cas plus général, l'interprète note des éléments plus ou
moins nombreux, mais en tout état de cause, il ne note jamais
toute l'information qu'il entend et qu'il reconstituera. E n cas
d'augmentation des besoins en capacité de traitement, il a en
consécutive, au moins théoriquement, la possibilité d'éliminer
complètement l'Effort de production des notes et l'Effort de
mémoire à court terme qui lui est associé. L'option n'est pas
toujours viable, car selon les cas, l'absence de notes risque de
peser plus ou moins lourd sur la capacité de l'interprète de
reconstituer l'intervention par la suite, mais elle est bien réelle.
En tout état de cause, la prise de notes semble peser lourde-
ment dans la consommation de capacité de traitement, au
moins pendant la phase d'apprentissage de la consécutive. Sur
le terrain, on observe régulièrement une baisse de la qualité de
l'écoute chez des étudiants dès qu'ils commencent à aborder la
prise de notes, et ils disent eux-même que lorsqu'ils prennent
des notes, ils comprennent' moins bien. Une petite expérience
que nous réalisons régulièrement à titre pédagogique au
moment du premier contact des étudiants avec la prise de
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 111

notes (Gile 1991b) montre d'ailleurs assez clairement l'impact


que celle-ci a en matière de capacité de traitement. L'expéri-
mentateur explique qu'il va faire un discours que les étudiants
devront interpréter en consécutive. Les étudiants sont divisés
en deux groupes, dont l'un seulement a le droit de prendre des
notes. L'expérimentateur fait une intervention contenant de
nombreux noms propres, qui sont un indicateur sensible de la
qualité de l'écoute (Gile 1984), et compare ensuite le nombre
de noms propres reçus' par chaque groupe. Il s'avère réguliè-
rement que les résultats sont meilleurs chez le groupe d'étu-
diants qui n'ont pas pris de notes.

10. Les Efforts en traduction à vue et en simultanée avec texte

La traduction à vue est une variante de l'interprétation qui


est parfois demandée aux interprètes comme aux traducteurs.
Il s'agit de traduire oralement un texte au rythme de la lecture.

Dans cet exercice, l'Effort d'écoute est remplacé par un


'Effort de lecture', qui n'est pas rythmé par l'orateur. De
même, l'Effort de production se fait au rythme de l'interprète.
Par ailleurs, le texte en langue de départ étant écrit (et quasi-
ment toujours imprimé), les problèmes de reconnaissance des
mots à l'écoute disparaissent. Pour la m ê m e raison, il n'y a pas
de risque de perte d'informations stockées en mémoire à
court-terme comme c'est le cas en simultanée et lors de la
phase d'écoute de la consécutive. En apparence, la traduction
à vue devrait donc être facile. On s'aperçoit toutefois qu'il n'en
est rien. E n fait, même des étudiants qui ont une assez bonne
maîtrise de la consécutive peuvent éprouver des difficultés en
traduction à vue. Il semblerait que ces difficultés puissent être
attribuées principalement à trois facteurs :
— Le travail porte sur un texte écrit, donc dense et structuré
syntaxiquement d'une manière qui n'en facilite pas le traite-
ment en petits segments consécutifs distincts.
—- Quand l'interprète découvre un texte lu, i l n'est pas aidé,
comme en interprétation, par le rythme et la prosodie de la
lecture. Il en résulte probablement un accroissement relatif des
besoins en capacité de traitement de l'Effort de lecture par
rapport à l'Effort d'écoute et d'analyse en interprétation.
— La présence permanente sous les yeux de l'interprète du
texte en langue de départ allège sans doute l'Effort de
mémoire, mais impose probablement une consommation sup-
112 DANIEL GILE

plémentaire de capacité de traitement pour lutter contre les


interférences linguistiques.
A ces facteurs s'ajoute peut-être une surcharge de la capa-
cité de traitement due au fait que la réception se fait par voie
visuelle, alors que la reformulation est toujours vocale. Y
aurait-il des interférences, ou l'absence d'un partage des res-
sources, possible dans la simultanée, dans ce passage de la
réception visuelle à la production vocale ? Dans la traduction à
vue, i l ne devrait toutefois pas y avoir de défaillances liées à
un 'déficit individuel' ou à une saturation de la capacité de
traitement disponible.
La simultanée avec texte est une variante de la simultanée
ordinaire' : i l s'agit de l'interprétation simultanée d'un discours
que lit l'orateur et dont l'interprète dispose en cabine. Dans ce
mode intermédiaire entre la simultanée et la traduction à vue,
l'on retrouve l'aide vocale et prosodique que donne l'orateur-
lecteur à l'interprète, l'élimination des problèmes de reconnais-
sance au son, et la réduction de l'Effort de mémoire à court
terme grâce à la présence visuelle du texte sous les yeux de
l'interprète. En revanche, le texte, qui présente les caractéristi-
ques de densité de l'écrit, est rythmé par l'orateur, qui a sou-
vent tendance à le lire très vite. En outre, une certaine sur-
charge de l'Effort de coordination est probable du fait de la
nécessité pour l'interprète de comparer en permanence le mes-
sage perçu auditivement, par la voix de l'orateur, et celui que
présente le texte. Une autre difficulté spécifique de ce mode
d'interprétation est liée à la tendance de l'interprète, qui, en
simultanée avec texte, ne craint pas les pertes afférentes à une
surcharge de la mémoire, à chercher à restituer les informa-
tions dans leur totalité à partir du texte écrit même quand il a
pris beaucoup de retard par rapport à l'orateur. L'écart peut se
creuser au-delà de ce qui est rattrapable. Par ailleurs, tenté de
se reposer sur l'écrit plutôt que sur le discours prononcé par
l'orateur, l'interprète risque, précisément en raison de ce retard
et de sa concentration sur l'écrit, de ne pas capter et de ne pas
pouvoir suivre l'orateur dans d'éventuelles modifications du
discours par rapport au texte écrit (sauts' et autres omissions,
ajouts).

11. L'anticipation

Etant donné l'importance de l'élément probabiliste dans la


compréhension du discours oral, les phénomènes anticipatoires
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 113

y ont un rôle capital, comme c'est d'ailleurs le cas dans la lec-


ture. Les psychologues et psycholinguistes qui se sont penchés
sur l'interprétation soulignent son importance dans la simulta-
née (Flores d'Arcais 1978, Le Ny 1978). Les interprètes en par-
lent eux aussi : elle apparaît dans la phase d'écoute du modèle
de la simultanée de B. Moser (1978), elle est au c œ u r d'un arti-
cle de W. Wilss sur l'interprétation à partir de l'allemand
(1978), et C. Cartellieri (1983) la décrit comme l'une des princi-
pales composantes de la simultanée. D'après Kade et Cartellieri
(1971), qui reprennent les idées de Chernov (voir Ch. 2), l'inter-
prétation simultanée comporte un processus stochastique de
compréhension et de reformulation du discours au cours
duquel l'interprète anticipe de manière de plus en plus précise
à mesure que le discours se déroule. L'importance de l'antici-
pation en simultanée est illustrée par l'expérience de G. Cher-
nov 1973 évoquée au Ch. 2.
C'est le cas de l'interprétation allemand-français qui a Je plus
souvent attiré l'attention des interprètes sur l'anticipation. M .
Lederer (1981) explique que la possibilité d'interpréter une
phrase allemande sans attendre le verbe conclusif et sans sur-
charger la mémoire résulte de la capacité de l'interprète d'anti-
ciper le sens avant la fin de la phrase sur la base des premiers
éléments entendus. D'autres auteurs, tels que G. Ilg (1978) et
W. Wilss (1978), pensent que l'anticipation est moins aisée dans
l'interprétation à partir de l'allemand. Gérard Ilg (1978) notam-
ment décrit une stratégie destinée à aider l'interprète de simul-
tanée à surmonter les problèmes posés par les différences syn-
taxiques entre l'allemand et le français langue d'arrivée, qui est
fondée essentiellement sur les possibilités et les difficultés de
l'anticipation dans la compréhension du discours oral en alle-
mand (voir aussi Ch. 8). L'anticipation est également perçue
comme un moyen de restructurer le discours pour réduire les
risques d'interférences linguistiques (Seleskovitch 1981).

11.1 Les effets potentiels de Vanticipation

En l'absence de toute capacité anticipatoire, tout signal (en


l'occurrence tout phonème, mot ou groupe de mots) est équi-
probable, et l'interprète ne peut optimiser la répartition de sa
capacité de traitement disponible entre les Efforts. Il en
résulte, en ce qui concerne l'Effort d'écoute, un risque de défi-
cit individuel susceptible de provoquer une défaillance, ou au
contraire une attribution de capacité de traitement au-delà des
114 DANIEL GILE

besoins, qui retentit sur la capacité disponible pour les autres


Efforts et risque elle aussi de provoquer une défaillance. La
capacité anticipatoire permet donc en principe une optimisa-
tion de la répartition de la capacité de traitement.
L'anticipation permet aussi de réduire la capacité de traite-
ment nécessaire au traitement du signal, puisqu'elle abaisse la
quantité d'information (nouvelle) qu'il introduit. Par là, elle
diminue aussi le temps nécessaire à son traitement (Peterfalvi
1970, Richaudeau 1981:43).
D'un autre côté, une anticipation erronée est susceptible de
'coûter' cher à l'interprète, quand elle l'entraîne dans une voie
sans issue et l'oblige à rebrousser chemin par la suite. D'où la
prudence conseillée par les professeurs d'interprétation dans la
tactique de restitution anticipée du début de phrase (voir Ch. 5).

11.2 L'anticipation linguistique

L'anticipation linguistique porte sur les probabilités transi-


tionnelles afférentes aux règles phonologiques, grammaticales,
stylistiques et autres propres à la langue, ainsi qu'à la longueur
des unités lexicales mêmes. L'anticipation extra-linguistique est
fonction de la rhétorique du discours et des connaissances
extra-linguistiques de l'interprète, et varie donc essentiellement
en fonction de facteurs situationnels et personnels, peu explo-
rés jusqu'ici. Sur le plan pratique, i l est souvent difficile de
séparer l'anticipation extra-linguistique de l'anticipation linguis-
tique, mais l'existence d'éléments linguistiques susceptibles de
permettre l'anticipation avec un apport extra-linguistique faible
ou nul ne fait pas de doute :
• A u niveau lexical, les expressions idiomatiques, proverbes et
dictons constituent des segments de discours assez longs qui,
une fois identifiés, permettent de réduire sensiblement la capa-
cité de traitement affectée à l'Effort d'écoute. C'est à ce type
d'anticipation que pense probablement M. Lederer (1981.76)
quand elle affirme que :

« ...la prévision rend l'audition pratiquement inutile, car il suffit


d'entendre « vous vous êtes dépensé... » pour prévoir « sans comp-
ter » et « vous n'avez pas ménagé... » pour anticiper « vos efforts » »

Au niveau grammatical,

« ...la présence d'un mot de liaison permet de mettre en œuvre un


REGARDS SUR LA RECHERCHE E N INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 115

certain nombre de stratégies' (Clark et Clark 1977) : on peut y voir


le début d'un constituant plus large (Fodor et Garrett 1967), et
chercher alprs des mots pleins appropriés à ce type de constituant
(par exemple, après un déterminant, chercher un nom) ; de même,
en ce qui concerne les propositions, on peut utiliser le premier mot
d'une proposition pour tenter de déterminer la fonction de cette
proposition dans la phrase, ce qui est particulièrement intéressant
quand ce premier mot est une conjonction annonçant une subor-
donnée adverbiale (parce que, si, avant que, puisque...) ou une
subordonnée relative (qui, que, dont...). Pour ce qui est des mots
pleins, les suffixes aideront à déterminer la catégorie grammaticale,
et, une fois identifié l'un ou l'autre mot plein, on pourra chercher
d'autres mots pleins qui s'y rapportent : un verbe transitif demande
un nom, un adverbe demande un verbe, etc., et on les cherchera
de préférence dans le voisinage le plus proche. » (Costermans
1980:121)

En tout état de cause, les mots outils tels que les interroga-
tifs (que, où, comment, etc.), les articles et les mots de coordi-
nation, dont la charge informative au sens sémantique est plu-
tôt faible, sont des prédicteurs (Richaudeau 1981:48) et ont
donc une grande utilité potentielle en simultanée. 11 en est de
même des désinences, surtout dans les langues où les substan-
tifs ont une déclinaison plutôt riche (notamment dans les lan-
gues slaves et en grec), car elles peuvent faciliter l'anticipation
en indiquant le rôle grammatical ou fonctionnel des éléments
apparaissant en début de phrase et donnent donc des indices
sur la suite à venir.
Les considérations ci-dessus mettent en relief les problèmes
susceptibles d'être posés par un orateur faisant son interven-
tion dans une langue mal maîtrisée, problèmes évoqués plus
haut à propos de l'Effort d'écoute. Au-delà des éventuels pro-
blèmes d'accent, en ne respectant pas les probabilités transi-
tionnelles propres à la langue, il rend l'anticipation plus difficile
et plus risquée.
Par ailleurs, i l ne semble pas déraisonnable de penser que
dans les langues où les indications grammaticales sont peu
nombreuses, par exemple en japonais, l'anticipation linguisti-
que est moins facile. De même, étant donné l'importance syn-
taxique et la charge informationnelle du verbe dans le discours
(Noizet 1980), il est plausible que sa présence vers le début de
la phrase dans certaines langues favorise l'anticipation, et que
son emplacement en fin de phrase dans d'autres langues, telles
que l'allemand ou le japonais, ait un effet contraire.
116 DANIEL GILE

On peut également évoquer la progression de la marge de


liberté syntaxique dans la construction de la phrase comme
facteur susceptible d'influencer les possibilités d'anticipation.
Dans certaines langues plus que dans d'autres, les choix faits
successivement déterminent la suite de la phrase. En japonais,
notamment, les particules et la nominalisation tardive de
groupes verbaux permettent des échappatoires et des revire-
ments jusqu'à la toute dernière partie de la phrase, ce qui ren-
drait l'anticipation difficile (Fukuii et Âsano 1961). En
revanche, toujours en japonais, les phrases se terminent sou-
vent par des fins de phrase de plusieurs syllabes ayant un
contenu informationnel quasiment nul qui peuvent être antici-
pées grâce à l'intonation de l'orateur, mais aussi grâce à des
prédicteurs particuliers. L a possibilité qui en résulte d'anticiper
sur plusieurs syllabes peut théoriquement avoir une impor-
tante incidence sous l'angle des modèles d'Efforts (Gile 1992b).
On peut également énumérer les obstacles linguistiques à
l'anticipation. Certains tiennent aux caractéristiques grammati-
cales des langues concernées. D'autres sont d'ordre stylistique.
F. Richaudeau (1981:41) cite deux types de structures qui font
obstacle à l'anticipation linguistique :
— L'énumération, qui « s'oppose particulièrement au proces-
sus d'anticipation, le sujet récepteur ne pouvant prévoir quand
la chaîne de concepts égrenés cessera pour faire place à un
prédicat. »
— L'enchâssement, qui interrompt le flux logique d'une pro-
position en y intercalant une autre.
On notera qu'une partie des caractéristiques de renoncé qui
en facilitent l'anticipation ou au contraire le rendent difficile
relèvent de la langue (grammaire, longueur des unités lexi-
cales), alors que d'autres relèvent du style personnel de l'ora-
teur. L a part relative de chacune de ces catégories dans l'anti-
cipation n'est pas connue. Il serait techniquement envisageable
de l'étudier à travers un très grand échantillon statistique de
discours, de langues et d'orateurs, mais au stade actuel de l'ex-
ploration de l'interprétation, l'effort paraît inaccessible.

12. Réalité et perspectives dans les modèles d'Efforts sous


l'angle de la recherche

Les modèles d'Effort constituent un cadre conceptuel cohé-


rent, susceptible d'expliquer de nombreuses fautes et mala-
dresses commises par les interprètes et de servir de grille pour
REGARDS SUR LA RECHERCHE E N INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 117

évaluer l'efficacité de différentes stratégies et tactiques profes-


sionnelles (Ch. 5).
Sur le plan de la recherche, leur principale faiblesse réside
dans le fait qu'ils restent théoriques et intuitifs : ils ont beau
s'appuyer sur des concepts et résultats de la recherche linguis-
tique et psycholinguistique, leur vérification expérimentale est
problématique.
En effet, i l est très difficile de mesurer la consommation et
les besoins en capacité de traitement avec une fiabilité et une
précision suffisantes, surtout compte tenu des variations très
rapides que postulent ces modèles : à la vitesse du discours
spontané, qui est de l'ordre de 100 à 250 mots/minute, il fau-
drait mesurer des indicateurs ayant une latence d'une fraction
de seconde. L a plupart des indicateurs physiologiques connus
(rythme cardiaque, tension artérielle, mouvements muscu-
laires, résistance électrique de la peau) n'ont pas cette vitesse
de réaction. Il semblerait que le diamètre de la pupille varie en
fonction de la « charge mentale » avec une latence de quelque
0,5 secondes. J. Tommola de Turku, en Finlande, a comparé la
dilatation moyenne de la pupille de 9 étudiants de simultanée
dans trois conditions expérimentales : l'écoute d'un discours, sa
répétition avec décalage (shadowing') et son interprétation
simultanée. E n moyenne, la dilatation était plus grande en
simultanée qu'en répétition avec décalage, et plus grande en
répétition que dans l'écoute (Tommola et Hyönä 1990). Selon
la même méthode, Tommola et Niemi (1985) ont pu faire appa-
raître des variations dans la dilatation de la pupille selon la
complexité de la structure syntaxique du discours de départ.
Ces études nous semblent présenter un intérêt considérable :
pour la première fois, l'on a pu mesurer les variations de la
capacité de traitement totale utilisée à travers un indicateur
physiologique, et ce en ligne'. Notons que pour des raisons
techniques, i l a fallu demander aux sujets de poser leur men-
ton sur un appui et de fixer un point précis pendant l'expé-
rience. Ces conditions artificielles limitent le champ d'applica-
tion de la méthode.
Une autre direction prometteuse est celle des mesures
directes de l'activité cérébrale par électro-encéphalographie ou
par imagerie médicale non invasive. Comme i l est indiqué au
Ch. 3, une première exploration de l'activité cérébrale lors de
l'interprétation par E E G a été réalisée à Vienne (Kurz 1992a et
Petsche 1993), où a été a étudiée la latéralisation cérébrale
dans différentes conditions expérimentales, notamment l'inter-
prétation vers la langue A et vers la langue B. Là aussi, des
118 DANIEL GILE

problèmes techniques se posent, dans la mesure où l'interpré-


tation était « mentale », sans articulation vocale, car celle-ci
aurait provoqué des interférences dans les mesures.
Par ailleurs, s'il est possible de mesurer les variations des
besoins totaux en capacité de traitement, i l est difficile de dis-
tinguer les besoins individuels à moins de modifier sensible-
ment ou de supprimer l'un des Efforts, au risque de fausser
toute la structure et la dynamique du système, et ce en raison
de l'interdépendance de ces Efforts dans le temps.
Enfin, les défaillances elles-mêmes ne sont pas nécessaire-
ment perceptibles, comme i l est indiqué au Ch. 6, et quand
elles ne se manifestent que par un ralentissement du débit ou
par une élégance moindre du discours en langue d'arrivée, il
nous semble très difficile de mettre la chose en évidence.
En résumé, i l est envisageable de valider ou de réfuter en
partie les modèles d'Efforts par des mesures en ligne de la
capacité de traitement, ce qui permettra d'en affiner progressi-
vement les éléments, mais il semble difficile pour le moment
de viser une validation totale de l'explication de la dynamique
des défaillances qu'ils postulent.
Chapitre 5
—_— ( —- —-
Stratégies et tactiques
de l'interprète

Comme il est montré au Ch. 4, Les contraintes qui pèsent sur


l'interprétation rendent son exercice difficile, et tant les risques
de défaillances que les occurrences de défaillances sont nom-
breux. Il apparaît donc intéressant d'étudier les stratégies et
tactiques dont usent les interprètes pour y faire face.

1. Stratégies fondamentales de fidélité

1.1 Qualité et fidélité

Il est difficile de donner une définition absolue' de la qualité


en interprétation, car, comme il est expliqué au Ch. 6, les
attentes semblent varier non seulement selon la position de
chacun dans l'acte de communication (orateur, auditeur com-
prenant la langue de. départ, auditeur ne comprenant pas la
langue de départ, président de séance, interprète actif, inter-
prète recruteur, client), mais aussi selon le type de conférence
(culturelle, politique, technique, de loisir ou d'études, de négo-
ciation, etc.), sans parler d'une variabilité individuelle tenant à
la personnalité de chacun.
Le présent chapitre étudie les stratégies et tactiques utilisées
en interprétation. Il le fait du point de vue de l'interprète, qui
concorde généralement avec celui des autres acteurs dans les
directions générales suivies, sinon dans le poids relatif accordé
à chaque composante.
Les idées exprimées ici résultent de l'observation de la prati-
que, et notamment de l'auto-observation, ainsi que des infor-
120 DANIEL GILE

mations recueillies lors de conversations avec des praticiens, y


compris des professeurs d'interprétation. L'ensemble de ces
sources donne l'impression d'une grande convergence sur les
principes. Pour ces praticiens et enseignants, la qualité consiste
essentiellement en :
— L a transmission aux destinataires de la totalité du mes-
sage' de l'orateur, c'est-à-dire de ce qu'il veut transmettre (par
opposition aux autres informations que peut véhiculer son dis-
cours pour différentes raisons, comme il est expliqué plus loin).
— La transmission de ce message d'une manière claire pour
les auditeurs.
— La transmission du message de manière convaincante, ce
qui implique la justesse du registre et de la terminologie.
— La transmission du message d'une manière agréable pour
l'auditeur : voix, prosodie, comportement hors cabine des
interprètes.
Parmi ces trois objectifs, c'est le concept de fidélité qui a
toujours intrigué les chercheurs, que ce soit en interprétation
ou en traduction. L a question est traitée plus loin sur la base
d'une expérience empirique (voir aussi Gile 1985b).

1.2 Liberté et fidélité

Pour quiconque connaît le temps nécessaire à la production


d'un texte d'arrivée fidèle et linguistiquement acceptable en
traduction, la question de savoir comment il est possible de
produire un discours fidèle en interprétation à la vitesse de
renonciation spontanée apparaît fondamentale. Deux opinions
semblent prédominer : selon l'une, étant donné la vitesse des
opérations, l'interprète ne saurait aller au-delà d'une approxi-
mation du discours de départ ; selon l'autre, la fidélité se paie
au prix d'une qualité linguistique inférieure mais néanmoins
acceptable à l'oral, car les normes grammaticales et stylistiques
de l'oral sont moins strictes que celles de l'écrit.
Dans les écoles d'interprétation, l'optique est différente. Non
seulement les professeurs combattent fortement le littéralisme,
comme le font aussi leurs collègues professeurs de traduction
(voir Harris .1981), mais ils préconisent souvent une liberté par
rapport au discours de départ qui semble aller au-delà de ce
qu'acceptent la plupart des professeurs de traduction, du
moins dans le domaine de la traduction scientifique et techni-
que (dans la traduction littéraire, il semble y avoir une sou-
plesse bien plus grande). Ils approuvent notamment la para-
REGARDS S U R LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 121

phrase et les changements volontaires de structures de phrase,


y compris de petits changements dans l'agencement de l'infor-
mation, et acceptent à l'occasion des synthèses, voire des
commentaires sur des passages du discours original. '
Ce point de vue peut s'expliquer sous l'angle tactique, si l'on
considère qu'il s'agit de mesures destinées à limiter les inci-
dences d'un problème ponctuel, tel que des perturbations dans
les conditions d'écoute ou un discours trop rapide ou trop
complexe. Il s'agit alors d'essayer de sauver' le maximum de
ce qui peut l'être dans une optique de gestion de crise'. Notons
toutefois que certains enseignants estiment que l'interprétation
doit être complète ou ne pas être, et qu'ils préconisent l'arrêt
de l'interprétation quand les conditions de travail sont mau-
vaises. Cette attitude, encore relativement fréquente dans cer-
tains milieux il y a une vingtaine d'années, est en voie de dispa-
rition (voir Section 3.1).
En revanche, on peut se demander si la grande liberté préco-
nisée dans l'interprétation se justifie en tant que stratégie
usuelle. Sous cet angle, on peut rappeler que des observateurs
ont souvent l'impression d'une fidélité « parfaite » même quand
l'interprète s'est éloigné peu ou prou du discours de départ
(voir Ch. 6). En fait, contrairement aux lecteurs de textes, qui
peuvent théoriquement passer autant de temps qu'ils le souhai-
tent à lire et relire un passage qui les intéresse et l'examiner
minutieusement, les auditeurs entendent le discours une seule
fois et n'en ont pas un souvenir textuel complet —les traces
linguistiques d'un énoncé capté semblent en effet disparaître
de la mémoire à court terme bien plus vite que ses traces
sémantiques (Sachs 1967). Autrement dit, les déviations par
rapport à une fidélité « littérale » peuvent perdre toute signifi-
cation pratique dans la mesure où elles ne sont pas perçues.
Toutefois, ces considérations d'ordre pratique ne justifient
pas à elles seules la liberté que prennent les interprètes même
quand ils n'y sont pas contraints, en ce sens qu'une erreur non
perçue n'en demeure pas moins une erreur. Les stratégies de
fidélité des interprètes ont trois autres justifications, qui pren-
nent tout leur sens en se fondant sur la première :
— La tendance actuelle des interprètes (et traducteurs), telle
qu'elle se manifeste notamment dans la philosophie officielle
des principales écoles professionnelles, est de considérer qu'ils
traduisent essentiellement un message' ou des informations
énoncés au service d'une intention de communication. Celle-ci
consiste, dans les discours non-littéraires, à informer, à expli-
quer, à convaincre. L a fidélité due au discours n'est donc pas
122 DANIEL GILE

une fidélité linguistique, mais essentiellement une fidélité à


l'orateur, que l'on représente, et à ses intérêts, donc à son
intention de communication. Comme l'écrit D. Seleskovitch
(1968:172), « L'interprète vise constamment à faire réagir ses
auditeurs à l'intervention de l'orateur dans le sens désiré par
celui-ci ». L a 'fidélité linguistique' est donc reléguée à une
deuxième place ; elle est quasiment assimilée à une contrainte
superposée à la tâche principale.
— D'autre part, le discours produit spontanément est 'bruité'
par des facteurs extérieurs au message, à l'intention et à la
physionomie linguistique voulue par l'orateur (problèmes de
maîtrise linguistique chez l'orateur, stress, facteurs perturba-
teurs environnementaux). Il apparaît donc légitime de ne pas
tenir compte qk ce 'bruit' au même titre que du 'message' pro-
prement dit.
— Enfin, certains changements sont rendus indispensables
par les différences inter-linguistiques.

1.3 Une expérience dénonciation

Ces deux derniers éléments apparaissent dans une expé-


rience d'énonciation que nous réalisons régulièrement avec des
étudiants, des traducteurs et interprètes professionnels et des
chercheurs (voir par exemple Gile 1985b). Une idée simple est
présentée au tableau graphiquement. L'expérimentateur expli-
que aux participants la situation de communication ; dans
l'exemple de la Fig. 1, ils sont assis à côté du conducteur, aper-
çoivent le panneau routier et souhaitent informer le conduc-
teur de ce que dit le panneau. Puis l'expérimentateur leur
demande d'écrire sur papier l'énoncé qu'ils produiraient en
situation, chacun dans sa langue maternelle.
Dans cette expérience, les énoncés produits diffèrent quasi-
ment tous les uns des autres, les différences pouvant être
minimes, mais aussi très importantes. A titre d'exemple, voici
quelques énoncés en français recueillis pour la Fig. 1 :

1. « Encore 50 kilomètres jusqu'à Paris »


2. « Plus que 50 kilomètres »
3. « 50 kilomètres »
4. « Nous sommes à 50 kilomètres de Paris »
5. « On est à 50 kilomètres de Paris »
6. « Il y a un panneau qui dit que nous sommes à 50 kilomètres de Paris »
7. « Le panneau dit que nous sommes à 50 kilomètres de Paris »
REGARDS S U R L AR E C H E R C H E E NINTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 123

8. « D'après le panneau, on est à 50 kilomètres de Paris »


9. « Paris est à 50 kilomètres d'ici »
10. « Paris : 50 kilomètres »

Figure 1 : Dessin utilisé pour une expérience sur renonciation

Une partie de la variabilité s'explique par des différences


dans la perception de la situation de communication par les
participants. D'autres différences semblent relever d'une varia-
bilité personnelle dans le processus d'énonciation chez le locu-
teur. Ainsi, les sujets choisissent d'encadrer le message, qui
porte en substance sur la distance, de différentes manières : en
mentionnant spécifiquement le panneau, en rappelant Paris,
etc. En outre, pour des raisons liées à des règles linguistiques,
leurs énoncés apportent d'autres informations, qui sont étran-
gères au message : par exemple, le fait que Paris est une entité
singulière et que la distance de 50 kilomètres s'applique au
moment de renonciation (informations véhiculées par le pré-
sent et le singulier dans « est »), ou que les relations entre le
locuteur et son interlocuteur sont de nature telle que le pre-
mier pense pouvoir se permettre la tournure familière « on
est ». Dans ces énoncés, on peut donc distinguer, en plus du
message' du locuteur, des 'informations secondaires', à savoir
les informations d'encadrement', les 'informations induites par
les contraintes linguistiques', et des informations dites 'person-
124 DANIEL GILE

nelles' (voir Gile 1985b), dont une partie n'y figurent pas par la
volonté du locuteur.
Autre fait intéressant, quand, dans une variante de l'expé-
rience, on retire aux participants la feuille portant le premier
énoncé et qu'on leur demande d'énoncer une nouvelle fois la
même idée, une partie d'entre eux forment m\ énoncé diffé-
rent du premier. Interrogés sur les raisons pour laquelle les
deux énoncés ne sont pas identiques, ils répondent soit ne pas
savoir, soit avoir changé d'optique', soit avoir pensé que le
deuxième énoncé était meilleur que le premier sur le plan lin-
guistique ou communicationnel.
De ces variations, il apparaît que lors de renonciation spon-
tanée, le locuteur n'obéit pas à des lois déterministes qui abou-
tissent à un énoncé particulier, mais qu'il produit des énoncés
dont il peut penser qu'ils ne sont pas nécessairement optimaux
au regard de l'acte de communication qu'ils servent, et qu'il
peut souhaiter modifier par la suite. Ces observations concor-
dent avec le fait que même dans l'écrit, où les auteurs dispo-
sent de plus de temps que les locuteurs produisant spontané-
ment un énoncé oral, les modifications et corrections sont
monnaie courante.
L'ensemble de ces facteurs semblent justifier une certaine
liberté dans renonciation spontanée qu'est l'interprétation, à
condition que cette liberté soit au service de l'efficacité de la
communication, dans la recherche d'un énoncé plus clair, plus
convaincant, plus acceptable sur le plan linguistique, mais qui
respecte néanmoins le message, l'esprit et le style de l'orateur.
Ils expliquent aussi que cette liberté soit moindre en traduc-
tion. D'une part, l'énoncé écrit à traduire a pu faire l'objet d'un
contrôle et d'éventuelles améliorations qui ont abouti à sa
forme actuelle, ce qui peut réduire la variabilité involontaire
chez l'auteur par rapport à renonciation orale spontanée. D'au-
tre part, le style' perçu par le lecteur dépend uniquement de
l'énoncé qu'il lit en langue d'arrivée, alors que le style' de l'ora-
teur en interprétation apparaît aussi à travers sa présence phy-
sique sur les lieux, donc son image et éventuellement sa voix.
En interprétation, la partie vocale et la partie non-verbale de la
traduction jouent donc un rôle non négligeable dans la recons-
titution du style' de l'orateur.
REGARDS S U RL A R E C H E R C H E E NINTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 125

1.4 Priorités dans la fidélité

Concrètement, les interprètes semblent suivre les priorités


stratégiques suivantes :

a. Le message de l'orateur doit être intégralement transmis


b. Les informations secondaires présentes dans l'énoncé en lan-
gue de départ sont transmises en langue d'arrivée (dans le cas
où elles sont reconnues en tant que telles), mais seulement si
leur présence ne nuit pas excessivement (de l'avis subjectif de
l'interprète) à l'obtention de l'effet recherché. Dans la hiérar-
chie qui en résulte, les informations d'encadrement et les infor-
mations personnelles semblent être prioritaires.
c. Le message' s'analyse et se restitue au niveau moléculaire'
du mot, du groupe de mots, de la proposition ou de la phrase.
Sauf cas particulier, l'interprète ne cherche pas à fusionner les
messages moléculaires en un macro-message' dans son propre
discours. De même, les autres types d'informations s'analysent
et se restituent au niveau de la proposition ou de la phrase.

2. Stratégies de préparation ad hoc des conférences

Contrairement à la traduction écrite, qui permet l'acquisition


des informations nécessaires en cours de traduction, l'interpré-
tation demande une préparation avant le travail sur le dis-
cours, car une fois engagé dans le processus, l'interprète a très
peu de temps et ne peut se déplacer pour aller rechercher des
informations qui lui manquent.
La préparation des conférences par les interprètes vise
essentiellement l'acquisition des connaissances nouvelles néces-
saires à l'interprétation, ainsi que l'activation des connaissances
pertinentes existantes. En effet, les connaissances sont plus ou
moins 'disponibles', en ce sens que leur évocation en compré-
hension ou en production lors de l'interprétation demande plus
ou moins de temps et de capacité de traitement. L'importance
de cette 'disponibilité' apparaît sous l'éclairage des modèles
d'Efforts du Ch. 4 : plus les connaissances sont disponibles,
moins les besoins en capacité de traitement sont élevés dans
l'Effort d'écoute, et éventuellement dans l'Effort de production
et l'Effort de mémoire à court terme. Là aussi, l'interprétation
contraste fortement avec la traduction, où une forte disponibi-
lité des connaissances est utile, mais non critique.
126 DANIEL GILE

2.1 La preparation ad hoc

On peut distinguer la préparation continue et la préparation


ad hoc pour une conférence particulière. L a première vise à
approfondir et à entretenir les connaissances générales de l'in-
terprète, car au-delà du domaine spécifique dans lequel se
situe une conférence, il y est souvent fait allusion à des faits
culturels anciens ou modernes, et notamment à l'actualité
sociale, économique, politique, technologique ou scientifique,
qui ne touchent pas directement le thème de la conférence.
Les interprètes sont donc supposés avoir une culture générale
assez large, qu'ils entretiennent en se tenant au courant de
l'actualité. Les moyens de communication de masse sont le
véhicule privilégié de ces efforts.
La préparation ad hoc, quant à elle, est principalement docu-
mentaire (mais pas exclusivement, comme il est expliqué plus
loin). Elle se fonde sur les textes de la conférence concernée
(programmes, abstracts, textes des communications, informa-
tions sur les participants, etc.), ainsi que sur des textes exté-
rieurs à la conférence, choisis ' parce qu'ils contiennent des
informations susceptibles d'être pertinentes et utiles lors de la
conférence. Elle porte sur des éléments linguistiques, principa-
lement des termes spécialisés, et sur des éléments extra-
linguistiques (informations sur le sujet, les idées, les partici-
pants, leurs positions respectives, etc).
Essentiellement, la préparation documentaire consiste en
trois opérations : la lecture de textes, le repérage et éventuelle-
ment le marquage physique des éléments d'information perti-
nents, et, le plus souvent, la préparation de listes de termes ou
de glossaires pour la conférence. Les méthodes pratiques sont
assez peu variées, si ce n'est dans les détails, comme dans la
manière de marquer un terme (souligner, entourer, marquer
au feutre, etc.), ou dans l'organisation du lexique (tri alphabéti-
que, classement chronologique ou par sujet, glossaire manus-
crit, dactylographié ou préparé sur ordinateur).

2.2 Préparation thématique et préparation terminologique

La préparation ad hoc peut se diviser chronologiquement en


trois étapes : Ja préparation avant la conférence, la préparation
de dernière minute, et la préparation en cours de conférence.
REGARDS S U RLA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 127

La préparation avant la conférence est celle où l'interprète a la


plus grande liberté de manœuvre, puisqu'il dispose d'un cer-
tain temps et peut se déplacer. L a préparation de dernière
minute intervient quand l'interprète se trouve sur les lieux de
la conférence, reçoit des documents supplémentaires et peut
interroger des spécialistes sur place. Enfin, la préparation en
cours de conférence consiste en l'utilisation des interventions
déjà entendues et des textes remis aux interprètes une fois la
réunion commencée pour la préparation des interventions qui
doivent suivre.
La principale question stratégique qui se pose en matière de
préparation ad hoc porte sur la préparation avant la confé-
rence, et plus précisément sur l'équilibre idoine entre une pré-
paration terminologique et une préparation 'thématique'. Etant
donné les contraintes de temps, surtout en période chargée, les
interprètes, qui peuvent ne disposer que de quelques jours,
voire de quelques heures pour la préparation, n'ont souvent
pas le temps de travailler à fond sur les deux.
La préparation terminologique consiste principalement à
rechercher les termes spécifiques susceptibles d'apparaître lors
des interventions, ainsi que leurs équivalents dans les diffé-
rentes langues de travail concernées. L a préparation 'thémati-
que' vise l'acquisition de connaissances sur les concepts, les
idées et les mécanismes plutôt que sur les termes. Il va de soi
que la préparation thématique apporte sa moisson de termes,
car les concepts s'expriment en termes, et que la préparation
terminologique apporte des connaissances thématiques, car le
travail n'est pas uniquement terminographique. Toutefois, les
termes acquis lors d'une préparation essentiellement thémati-
que ne sont pas tous pertinents et ne répondent souvent qu'à
une petite partie des besoins. De même, les connaissances thé-
matiques acquises lors d'une préparation terminologique sont
essentiellement taxinomiques et ne couvrent pas tous les
besoins.
En faveur de la préparation thématique, on peut faire valoir
l'aide que peut apporter la connaissance de la structure
conceptuelle du domaine pour l'analyse du discours de départ.
En revanche, la macrostructure des discours spécialisés qui
sont faits en conférence ne semble pas différer dans ses com-
posantes principales en fonction du degré de spécialisation. Il
s'agit toujours de la présentation d'une action et de ses consé-
quences, de la comparaison entre deux concepts, méthodes,
procédés ou objets, de l'accumulation d'arguments en faveur
ou contre une idée, de la description, selon une progression
128 DANIEL GILE

plus ou moins standard, dune expérience scientifique, etc.


L'articulation macrostructurelle du discours ne pose donc pas
à l'interprète beaucoup de problèmes liés à la spécialité concer-
née, même si la fréquence de différents types de macrostruc-
tures varie selon les domaines.
En revanche, les problèmes de compréhension et de restitu-
tion se posent souvent dans les parties moléculaires' du dis-
cours (Lederer 1981:53), au niveau de la phrase, et sont le
plus souvent situés dans le vocabulaire technique, en interpré-
tation comme en traduction. C'est pourquoi, dans une optique
utilitaire, il semble raisonnable de privilégier la préparation ter-
minologique quand l'interprète dispose de peu de temps.
D'après nos observations sur le terrain, c'est également la ten-
dance générale de la quasi-totalité des professionnels.
Il est intéressant de noter que dans les écoles, les professeurs
d'interprétation préconisent souvent une démarche thématique
partant de l'assimilation du contenu des ouvrages de vulgarisa-
tion (D. Seleskovitch 1968 :113). Etant donné les considérations
énoncées plus haut, on peut s'interroger sur l'efficacité de la
démarche, en tout cas à court terme, face aux difficultés
qu'apporte chaque conférence, où tant les concepts que les
termes peuvent aller bien au-delà de ceux qu'on trouve dans le
texte de vulgarisation. En revanche, à long terme, l'acquisition
de connaissances de base bien structurées est susceptible de
favoriser une implantation plus solide en mémoire et une meil-
leure compréhension d'éléments de connaissance spécialisés.

2.3 Un cas d'espèce

A notre connaissance, aucune étude empirique n'a été réali-


sée pour comparer les mérites de la composante thématique et
de la composante terminologique de la préparation en interpré-
tation. Sur cette dernière, il n'existe qu'une étude de cas, faite
par Gile (1989a), dans laquelle était examiné le taux de couver-
ture terminologique des lexiques réalisés lors d'une préparation
thématique.
La conférence préparée était un atelier de rythmologie dans
une réunion de cardiologie, avec interprétation anglais-
français. Aucun document de conférence n'avait été fourni à
l'interprète, qui avait donc dû chercher des sources par lui-
même. .Un cardiologue avait • conseillé la lecture des chapitres
de rythmologie dans un livre de cardiologie précis, rédigé en
anglais. Le même cardiologue avait ensuite indiqué les équiva-
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E NINTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 129

lents en français. En tout, 110 termes techniques ont été rele-


vés dans le livre, retenus et rassemblés dans un lexique.
Plusieurs constatations ont été faites lors de cette étude de
cas :
— Le dictionnaire médical considéré par les interprètes de
conférence et traducteurs comme le plus complet dans les lan-
gues concernées (WJ. Gladstone, Dictionnaire anglais-français
des sciences médicales et paramédicales, St-Hyacinthe, Québec,
et Paris, Edisem et Maloine) couvrait moins de 50 % des
entrées du lexique.
— Les entrées du lexique ne couvraient qu'une fraction du
vocabulaire spécialisé effectivement employé lors de la confé-
rence. Pour des raisons pratiques, i l n'a pas été possible de
faire une liste exhaustive des termes nouveaux' apparus en
conférence et n'ayant pas été vus lors de la préparation, mais
lors d'un échantillonnage quasi-aléatoire de 11 segments de 10
minutes répartis sur les 4 jours de la conférence, une moyenne
de quelque 12 termes nouveaux' par segment a été relevée.
—- La plupart des termes utilisés en conférence et n'apparais-
sant pas dans le lexique n'ont pas posé de problèmes de com-
préhension ou de traduction en raison de leur similitude mor-
phologique avec d'autres termes connus, en langue d'arrivée
ou en langue de départ. Si les deux langues avaient été plus
éloignées (français et allemand, français et russe, français et
japonais), les problèmes auraient probablement été bien plus
nombreux.

3. Stratégies et tactiques en ligne

3.1 Les tactiques en simultanée

En dépit de sa préparation, l'interprète se heurte très réguliè-


rement à des problèmes en cours d'interprétation. Un terme
technique, un nom propre ou un chiffre peuvent être mal
compris, que ce soit par manque de connaissances, par déficit
individuel dans l'Effort d'écoute au moment où il est énoncé,
ou en raison d'une difficulté technique, par exemple de mau-
vaises conditions acoustiques. Même compris, le même élé-
ment peut poser des problèmes à la restitution, notamment :
— Si l'interprète ignore le terme ou le nom correspondant en
langue d'arrivée
—-En raison d'un 'trou de mémoire'
130 DANIEL GILE

— L'élément en question peut avoir été oublié par l'inter-


prète entre l'écoute et le moment de la restitution
— En raison d'une insuffisance de la capacité de traitement
disponible pour la production au moment voulu
— En raison d'une interférence linguistique venant de la lan-
gue de départ.
Face à de telles difficultés, l'interprète peut avoir recours à
une vingtaine de tactiques, qui s'appliquent chacune à une ou
à plusieurs catégories de déclencheurs ou de difficultés :

1. L a reconstitution par le contexte


Un effort conscient permet souvent de reconstituer, par ana-
lyse logique du contexte et de la situation et à l'aide des traits
pertinents entendus, un élément de discours qui n'a pas été
compris clairement.
Cette tactique, qui répond à des problèmes à l'écoute, n'est
que l'extension consciente et volontaire d'une activité mentale
qui fait partie de la perception du discours en conditions
ordinaires.

2. L'attente
Face à un problème de compréhension, l'interprète choisit
parfois d'attendre que le contexte lui donne davantage d'éclair-
cissements et tergiverse, par exemple en ralentissant renoncia-
tion de son discours ou en recourant au remplissage', à savoir
la production d'un segment d'énoncé n'apportant aucune infor-
mation nouvelle mais permettant d'éviter le 'blanc' (par exem-
ple à travers des formules telles que « comme je vous le disais,
Monsieur le Président, mes chers collègues », « c'est donc un
problème important », etc.).
Le coût de cette tactique se mesure essentiellement en
retard pris par rapport à l'orateur.

3. La mobilisation du collègue passif


En simultanée, les interprètes travaillent par équipes d'au
moins deux personnes en cabine. En cas de difficulté, l'inter-
prète passif (qui ne parle pas), dont la capacité de traitement
est disponible, peut être mobilisé pour aider son collègue actif.
Il peut avoir mieux entendu ou mieux compris le segment en
question ou avoir une bonne solution pour sa restitution, et
peut l'écrire sur une feuille pour son collègue. En outre, sa dis-
ponibilité lui permet de consulter un document ou un diction-
naire, ce que ne peut faire l'interprète actif sous peine de per-
dre trop de temps et de capacité de traitement.
REGARDS SUR LA RECHERCHE E N INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 131

Cette tactique peut être très efficace. En théorie, elle fait


partie de la procédure de travail standard en cabine de simul-
tanée. Dans la pratique, elle n'est pas toujours mise en œuvre,
car les interprètes peuvent se retrouver seuls en cabine au
moment où se produit une difficulté, et même quand ils ne le
sont pas, l'interprète passif préfère souvent se reposer plutôt
que de se concentrer sur le discours original et son interpré-
tation.

4. La consultation de documents en cabine


Dans la mesure où une information se trouve dans des
documents présents en cabine, l'interprète peut les consulter
tout en travaillant. Cette tactique est consommatrice de temps
et de capacité de traitement, et peut par là générer des satura-
tions et des déficits individuels. Toutefois, elle est difficilement
contournable. En effet, les interprètes ne peuvent stocker en
mémoire toutes les informations dont ils sont susceptibles
d'avoir besoin en conférence, et tenter d'en assimiler systéma-
tiquement un maximum est une stratégie économiquement
peu raisonnable, surtout quand i l s'agit d'éléments d'informa-
tion qui risquent fort de ne pas être mentionnés en conférence
ou qui le sont une ou deux fois en tout. L a consultation de
documents en cabine est également nécessaire quand les inter-
venants se réfèrent spécifiquement à des passages figurant
dans des textes écrits, notamment en comité de rédaction.
Le coût de la tactique en temps et en capacité de traitement
peut être réduit dans une certaine mesure grâce à une bonne
préparation, et notamment à travers une disposition intelli-
gente des documents en cabine, qui permet de les retrouver
facilement, et un bon marquage de l'information, qui en faci-
lite le repérage en cours d'interprétation.

5. La restitution à un niveau d'abstraction plus élevé


Il s'agit de remplacer un terme par un hyperonyme
(« streptokinase » par « enzyme », « répéteur » par « machine »),
un nom de personne par une fonction, par une nationalité ou
par un autre attribut de la personne (« Monsieur Katzantzakis
a déclaré » peut ainsi être rendu par « l'auteur a dit », par «le
délégué grec a dit », par « une personne a dit »), une idée par
une autre idée plus abstraite.
Cette tactique s'applique tant à un segment de discours mal
compris qu'à un segment que l'interprète a du mal à rendre
avec précision dans la langue d'arrivée.
132 DANIEL GILE

6. La reproduction phonétique approximative


Un nom mal entendu peut être rendu par une approxima-
tion phonétique, l'interprète essayant de reproduire le son tel
qu'il l'a entendu. Cette tactique peut également être utilisée
pour un terme technique non compris, s'il est raisonnable de
supposer que ce terme en langue de départ est connu des
auditeurs de l'interprète ou peut être compris par eux.

7. L'omission tactique
Il s'agit d'une omission consciente de l'information véhiculée
par un segment donné si l'interprète ne l'a pas comprise, s'il l'a
oubliée ou s'il a du mal à la restituer en langue d'arrivée.
L'omission tactique' se distingue de l'omission inconsciente,
qui intervient par exemple quand l'interprète n'a pas assez de
capacité de traitement dans l'Effort d'écoute et d'analyse et
qu'il n'enregistre' pas un segment de discours donné.

8. L'interpellation des auditeurs


En cas de difficulté de compréhension ou de restitution, l'in-
terprète peut choisir d'en informer les auditeurs en sortant de
son rôle d'alter ego de l'orateur, à travers une interpellation
telle que « ...et un autre produit dont l'interprète n'a pas saisi le
nom » (variante 'information') . Il peut aussi leur demander de
demander à l'orateur de ralentir, de brancher son microphone
si celui-ci est hors-tension, de se rapprocher du microphone s'il
en est trop loin (variante 'demande d'intervention').
Si cette tactique peut avoir une certaine efficacité là où les
autres sont impuissantes, notamment dans sa variante
'demande d'intervention', elle a peut-être un effet perturbateur.
En effet, elle change brusquement les règles du jeu, l'interprète
n'étant plus 'transparent' mais intervenant actif. Elle peut aussi
gêner ou embarrasser les auditeurs en leur demandant d'inter-
venir alors qu'ils ne le souhaitent pas. Aucune des études sur la
qualité du travail n'a abordé cette question jusqu'à présent.

9. L'explication ou la paraphrase
Face à la difficulté de restituer un terme technique ou un
concept par un terme précis ou une expression consacrée en
langue d'arrivée, l'interprète peut choisir d'expliquer ou de
paraphraser l'expression. Par' exemple, en électronique, ne
connaissant pas le terme français consacré pour le terme
anglais 'action impulse', i l peut parler de «la recherche d'une
5
ligne par sélecteur actionné par impulsions » ; en médecine
REGARDS S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 133

dentaire, ne retrouvant pas le terme français 'tronculaire' pour


'mandibular block', il peut parler d'« anesthésie régionale ».

10. La simplification
Face à un segment de discours que l'interprète a du mal à
comprendre ou à restituer, il choisit parfois de le restituer sous
une forme simplifiée, en n'en rendant pas tous les éléments. L a
simplification implique donc des omissions, mais à un niveau
plus 'régional' que ponctuel. L a restitution de l'information à
un niveau d'abstraction plus élevé (tactique 5) est un cas parti-
culier de la tactique de simplification.

11. Le discours parallèle


Dans des cas extrêmes où les conditions de travail sont parti-
culièrement mauvaises et où l'interprète pense qu'il est impéra-
tif de parler, par exemple dans une situation où les compo-
santes diplomatiques sont essentielles et le côté inforpiatif du
discours est négligeable, i l peut être amené à formuler un dis-
cours parallèle sur un segment donné, en s'efforçant de le ren-
dre compatible avec l'identité et la position de l'orateur et avec
la situation.
Cette tactique pose évidemment des problèmes déontologi-
ques, dans lesquels nous n'entrerons pas ici.

12. La 'naturalisation sauvage'


Il s'agit de l'adaptation phonétique ou morphologique d'un
terme dont l'équivalent en langue d'arrivée est inconnu de
l'interprète.
Par exemple, le terme anglais 'transputer' a été rendu en
français par 'transputer' prononcé « transput ère », le verbe
anglais 'to drive' par la création spontanée 'driver' (dans ce
deuxième cas, i l s'est avéré par la suite que certains Français
utilisaient spontanément ce verbe « français » qu'ils avaient
peut-être créé eux-mêmes). -

13. Le 'transcodage'
Il s'agit de traduire littéralement l'expression ou le terme
dont l'équivalent consacré en langue d'arrivée est inconnu de
l'interprète. Ainsi, dans une conférence, le terme français 'télé-
détection' a été rendu en anglais par « télédétection » (le terme
idoine dans le contexte eut été 'remote sensing').

14. Le repvoi des auditeurs à une autre source d'information


134 DANIEL GILE

Dans les conférences spécialisées, les interventions sont sou-


vent accompagnées de diapositives ou transparents montrant
des chiffres et noms de personnes, de lieux, de produits, de
procédés. L'interprète qui n'a pas bien saisi un nom ou un chif-
fre à l'écoute peut renvoyer les auditeurs à l'écran, par exem-
ple en parlant des « produits que vous voyez énumérés à
l'écran » ou des « chiffres que montre le transparent ». Il peut
aussi renvoyer les auditeurs à des informations figurant au
programme de la conférence ou dans un autre document dont
ils disposent (textes d'interventions, résumés, textes publici-
taires, etc.).

15. La permutation des informations dans la restitution


Cette tactique, signalée par M . Lederer (1978), répond à un
besoin de sécurité face à un risque de saturation de la
mémoire à court terme. Lors d'une enumeration de noms, on
constate souvent que l'interprète restitue les derniers noms
d'abord. Dans la mesure où i l le fait très rapidement, sur la
base de la trace phonique, il fait peut-être l'économie de la
capacité de traitement nécessaire à leur traitement sémantique
et réduit ainsi la charge totale de l'Effort de mémoire à court
terme. On sait que la trace phonique d'un message verbal dis-
paraît rapidement, alors qu'il subsiste plus longtemps une trace
sémantique, qui correspond à un niveau d'analyse plus pro-
fond (Sachs 1967). Si l'interprète devait restituer l'énumération
dans l'ordre où elle est énoncée en langue de départ, le temps
passé l'obligerait à un traitement sémantique sur l'ensemble de
ses éléments.

16. La prise de notes


S'agissant des chiffres et de certains noms, l'interprète pré-
fère parfois les noter par écrit pour ne pas les oublier. L a perte
des chiffres, notamment, est un phénomène bien connu en
interprétation, et c'est face aux chiffres que la tactique de la
notation est le plus souvent utilisée. Cette tactique est toutefois
coûteuse en temps et en capacité de traitement.

17. L a modification du décalage chronologique orateur-inter-


prète
En modifiant l'écart chronologique entre son discours et
celui de l'orateur (EVS), l'interprète peut agir dans une cer-
taine mesure sur les besoins en capacité de traitement pour
chacun des Efforts. En. se rapprochant de l'orateur, il réduit les
besoins de l'Effort de mémoire. En revanche* il prend le risque
REGARDS S U RL AR E C H E R C H E E NINTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 13 5

de se tromper dans la compréhension du discours et d'avoir à


déployer un intense effort de production par la suite pour
redresser une phrase partie dans la mauvaise direction' (voir
Ch. 4). En s'éloignant de l'orateur, l'interprète réduit l'incerti-
tude et donc les risques de surcharge dans l'Effort de produc-
tion, mais augmente les besoins de l'Effort de mémoire.
L'un des principaux apprentissages de la simultanée lors de
la formation initiale des interprètes est probablement celui de
la gestion de cette tactique en fonction des difficultés. Nous
pensons que cet apprentissage est essentiellement inconscient,
bien que des conseils ponctuels puissent également être donnés
par des enseignants.

18. La restitution anticipée des premiers segments de la phrase


En cas de grosse différence syntaxique entre la langue de
départ et la langue d'arrivée et en cas de structure enchâssée
en langue de départ, pour éviter de surcharger la mémoire,
l'interprète peut faire de petites phrases ou des débuts de
phrases neutres', c'est-à-dire ne l'engageant pas dans une voie
précise (voir Ilg 1978). Cette tactique présente toutefois le ris-
que d'obliger l'interprète à consacrer un important effort au
rattrapage' si la phrase ou le début de phrase qu'il a énoncé
s'avère incompatible avec l'expression du reste du message.

19. La 'fermeture' du microphone


Citons enfin cette autre mesure extrême, prise parfois quand
les conditions de travail sont si mauvaises que l'interprète s'es-
time incapable de faire un discours cohérent, et préfère, par
« dignité » (Seleskovitch 1968 :221) ou par « probité profession-
nelle » (Constantin Andronikoff, dans sa préface à Seleskovitch
1968), mettre son microphone hors tension.
Cette tactique était encore préconisée dans certaines écoles à
la fin des années 70. Il semble toutefois qu'elle soit en voie de
disparition. Si dans les années 50, période où les interprètes
jouissaient d'un grand prestige, cette protestation pouvait avoir
pour effet un ralentissement de l'orateur ou une autre amélio-
ration sensible des conditions de travail, avec la banalisation
progressive intervenue dans la profession, elle ne paraît plus
acceptable pour le client et les délégués. L'interprète préfère
actuellement interpeller les auditeurs pour leur faire observer
le problème, puis faire de son mieux en usant des autres tacti-
ques énumérées plus haut.
136 DANIEL GILE

3.2 Critères de choix des tactiques

Chacune de ces tactiques est adaptée aux circonstances en


fonction d u n petit nombre de lois générales, expliquées ci-
dessous. Notons aussi que pour un même segment de discours
posant problème, l'interprète peut avoir recours à plusieurs
tactiques successivement. Par exemple, face à une phrase mal
comprise, i l peut tergiverser, puis simplifier, puis, le contexte
lui ayant donné des indications, reconstituer la phrase.
Les tactiques peuvent être appréciées en fonction de leur
coût, qui peut se mesurer selon trois variables principales :

— Le coût en temps et en capacité de traitement


La corrélation entre les deux peut être directe ou indirecte.
Ainsi, l'explication peut demander du temps et une capacité de
traitement liée à un effort d'analyse et d'expression. En
revanche, la mobilisation du collègue passif et l'interpellation
des auditeurs sont coûteuses en temps, mais leur coût en
capacité de traitement provient essentiellement du retard
qu'elles engendrent et qui appelle un effort accru pour le
rattrapage.

— La perte d'information
Chaque tactique a un coût potentiel en information perdue'
dans le discours en langue d'arrivée. Notons qu'une perte dans
le discours n'implique pas nécessairement une perte d'informa-
tion pour les auditeurs. E n effet, une information précisée
dans un segment de discours peut être répétée ailleurs, ou être
déjà connue des auditeurs. C'est pourquoi même des tactiques
impliquant un véritable abandon d'information dans le dis-
cours (omission, passage à un plus grand niveau d'abstraction,
etc.) peuvent n'affecter en rien la transmission du Message aux
auditeurs. Par ailleurs, même une information non restituée
qui est inconnue des auditeurs peut avoir pour ceux-ci une
valeur négligeable, voire négative (informations superflues,
parfois agaçantes pour les délégués). Sur le plan déontologi-
que, l'omission d'une telle information s'oppose à l'obligation
de fidélité. Sur le plan tactique, elle permet parfois de sauve-
garder une information plus importante. Aucune recherche n'a
tenté d'étudier les déterminantes de l'importance des informa-
tions primaires' (faisant partie du Message) pour les délégués,
ni la capacité des interprètes d'évaluer cette importance.
REGARDS S U R LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 137

— Les effets psychologiques ' de la tactique


Outre l'aspect purement informationnel de chaque tactique,
les interprètes tiennent compte de ses incidences psychologi-
ques' éventuelles. Ainsi, l'omission, si elle n'est pas détectée par
les délégués, peut donner une (fausse) impression d'aisance
chez l'interprète. E n revanche, l'interpellation des auditeurs
met en relief les difficultés qu'il éprouve et peut le discréditer.

On semble donc fondé à considérer que le choix des tacti-


ques par l'interprète obéit à cinq lois générales :

1. La loi de maximisation du rendement informationnel


Déontologiquement parlant, la loi prioritaire que suit l'inter-
prète dans le choix de ses tactiques est celle de la maximisa-
tion du rendement informationnel de son discours. Notons que
dans la sélection de la tactique à suivre, l'interprète tient pro-
bablement compte non seulement du segment problématique
pour lequel la tactique est nécessaire, mais également des seg-
ments voisins, qui risquent d'être affectés par la tactique. Ainsi,
il ne choisira pas la consultation de documents pour restituer
un segment difficile si celle-ci, en prenant un temps et une
capacité de traitement considérables, est susceptible de l'empê-
cher de restituer un segment voisin important.
Signalons un cas spécial, où l'importance relative du coût en
temps est très grande par rapport au coût en capacité de trai-
tement. Il s'agit de la simultanée pour la radio et la télévision,
où il est particulièrement important de ne pas faire attendre
l'auditeur/le téléspectateur. Dans ce cas particulier, où les
échanges sont en outre plus interactifs que dans la réunion
multilingue courante et où l'aspect informationnel a souvent
moins d'importance, la restitution de l'information dans sa
totalité a une importance moindre dans la qualité du travail.

2. La loi de l'impact maximum


Compte tenu de la philosophie de loyauté professionnelle de
l'interprète vis-à-vis de l'orateur et des ses intérêts, les tacti-
ques choisies visent, indépendamment de la loi de maximisa-
tion du rendement informationnel et parfois à son encontre,
l'impact maximum du discours sur les auditeurs. Cette loi
prend notamment sa signification dans le traitement des
erreurs de l'orateur (voir Section 3.5 plus loin), mais elle per-
met aussi d'établir des priorités entre les informations à trans-
mettre et oriente la manière dont elles sont restituées.
138 DANIEL GILE

Dans la plupart des situations d'interprétation, la loi de l'im-


pact maximum ne pose pas de problèmes particuliers, en ce
sens que les intérêts communicationnels de l'orateur conver-
gent avec ceux des auditeurs ou sont au moins acceptables
pour eux. Il existe toutefois des situations particulières où cela
n'est pas le cas, notamment lors des interrogatoires de témoins
par les avocats au cours de procédures judiciaires (voir Morris
1989).

3. L a loi du moindre effort


Cette loi est étrangère à toute considération technique, mais
sa présence est postulée dans une grande partie des activités
humaines (Zipf 1949), et notamment dans le langage (Miller
1962). I. Pinchuk l'érigé en principe fondamental de la traduc-
tion technique (1977: 206) :

«In any event an adequate translation will always be one that has
been produced with just enough expenditure of time and energy to
meet the needs of the consumer. It should not be of a higher qua-
lity than he requires if this will introduce a higher cost... »

Nous n'avons entendu aucun professionnel ou enseignant


prendre une telle position économique' sur l'interprétation. Le
discours dans les écoles vise le meilleur résultat, et non pas un
équilibre entre la dépense et le résultat. Néanmoins, l'observa-
tion sur le terrain du choix des tactiques par des interprètes en
cabine s'explique souvent mieux par la loi du moindre effort
que par d'autres raisonnements.

4. La loi d'auto-protection
Parfois, les interprètes perdent un élément important dans le
discours et choisissent de ne pas en informer les auditeurs, les
privant ainsi de la possibilité de demander à l'orateur de répé-
ter ou de préciser. Un tel choix s'oppose à la loi du rendement
maximum et ne peut pas toujours s'expliquer par la loi du
moindre effort. Il s'agit plutôt pour l'interprète de se protéger
en ne laissant pas apparaître ses difficultés et faiblesses.
Il convient toutefois de souligner que de telles tactiques ne
relèvent pas toujours de la loi d'auto-protection. E n effet, des
interpellations répétées sont susceptibles de nuire non seule-
ment à l'interprète, mais aussi à l'orateur, en ce sens qu'elles
interrompent le fil du discours pour l'auditeur et abaissent le
taux de réception. Notons aussi que parfois le discours est si
visiblement ininterprétable, y compris aux yeux de l'auditeur,
REGARDS S U RLA R E C H E R C H E E NINTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 139

que l'interprète ne perdrait rien en crédibilité à interpeller les


auditeurs en leur précisant qu'il n'est pas en mesure de leur
transmettre la totalité de l'information. C'est notamment le cas
quand des orateurs s'expriment dans une langue qu'ils maîtri-
sent manifestement très mal et qu'ils parlent avec un accent
très fort, et quand ils sont particulièrement rapides ou confus.
Dans de telles circonstances, l'interprète peut expliquer une
fois ces difficultés, puis interpréter de son mieux. En interpel-
lant les auditeurs de manière répétée, i l ne se protège pas
davantage, mais réduit sensiblement l'impact de la partie du
discours qu'il est en mesure de restituer, et risque d'irriter les
délégués.

5. La loi de recherche de la sécurité


Face à des problèmes prévisibles (enumeration, discours
denses, etc.), les interprètes peuvent chercher à assurer une
certaine sécurité dans la transmission informationnelle. C'est le
principe même de la prise de notes en consécutive, mais il
semble que cette loi agisse aussi dans la prise de notes en
simultanée et dans le raccourcissement du décalage entre ora-
teur et interprète.
La première, la seconde et la cinquième de ces lois répon-
dent à des principes déontologiques ; la troisième et la qua-
trième relèvent plutôt de la faiblesse humaine. L'équilibre entre
elles dépend essentiellement de l'équilibre entre l'honnêteté ou
la conscience professionnelle de l'interprète, qui privilégient la
loi du rendement maximum, et différents facteurs qui agissent
pour la plupart dans le sens contraire, à savoir :
— L'état de santé et la fatigue de l'interprète.
— Les mauvaises conditions de travail, qui d'ailleurs engen-
drent une plus grande fatigue, et qui peuvent démotiver
l'interprète.
— L'attitude des participants à l'égard des interprètes.
Celle-ci peut agir dans les deux sens et a peut-être une inci-
dence bien plus grande qu'il n'est généralement admis. En
effet, de nombreux interprètes comparent leur travail à une
activité sportive dans laquelle un minimum est dû et où il est
possible de faire mieux au prix d'un gros effort supplémen-
taire. Selon que les délégués et orateurs semblent intéressés
par ce que fait l'interprète et s'efforcent éventuellement de lui
faciliter la tâche, ou au contraire sont indifférents à ses efforts
et ont une attitude désagréable, l'interprète est plus ou moins
motivé pour faire l'effort supplémentaire.
— L'importance que l'interprète attribue à son image
140 DANIEL GILE

La motivation de l'interprète dépend aussi de l'importance


qu'il attribue à la qualité de son travail telle qu'il la perçoit ou
telle qu'elle est perçue sur le terrain. Ainsi, quand i l est écouté
en ligne' par un autre interprète ou par un client dont la réac-
tion à son travail lui importe, i l peut avoir tendance à suivre
davantage la loi de l'auto-protection. Quand i l sait que son tra-
vail va être écouté attentivement avec possibilité de détecter
toutes ses erreurs, par exemple quand son discours est enregis-
tré et doit être étudié de près et éventuellement comparé avec
celui de l'orateur, les tactiques choisies sont susceptibles de
correspondre davantage aux exigences de la loi du rendement
maximum. Quand i l sait que personne ne l'écoute vraiment, il
peut avoir davantage tendance à se laisser porter par la loi du
moindre effort.
— La tension nerveuse dans laquelle se trouve l'interprète
Un interprète très tendu et angoissé est susceptible de suivre
davantage la loi de la recherche de la sécurité qu'un interprète
plus décontracté.

3.3 Les stratégies et tactiques en consécutive

Les stratégies et tactiques énumérées ci-dessus à propos de


la simultanée s'appliquent également pour la plupart à la
consécutive. Soulignons cependant que sur le plan tactique, en
consécutive, les interprètes travaillent souvent seuls et ne peu-
vent donc mobiliser leur collègue passif. E n outre, étant donné
leur présence à côté de l'orateur et le fait que celui-ci ne parle
pas pendant qu'ils interprètent, ils peuvent également lui
demander des précisions sur un segment qu'ils n'ont pas com-
pris ou pas retenu, ce qu'ils ne peuvent pas faire en simulta-
née. Cette vingtième tactique n'a aucun coût en capacité de
traitement, car elle intervient entre la phase d'écoute et. la
phase de reformulation (voir Ch. 4) et ne compromet pas la
suite du traitement de l'information. En revanche, elle est sus-
ceptible de porter atteinte à la crédibilité de l'interprète, au
même titre que la tactique d'interpellation des auditeurs.
Cependant, la plus grande différence entre simultanée et
consécutive en cours d'interprétation est liée à la prise de
notes. Sur le plan stratégique, certains enseignants de l'inter-
prétation, notamment les Allemands de l'école de Heidelberg
(Matyssek 1989), proposent l'apprentissage d'un système de
symboles relativement complet. De même, S. Allioni de Trieste
(1989) propose un système grammatical' particulier, où la
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 141

structure des notes reflète différentes caractéristiques gram-


maticales' du discours. L a maîtrise d'un système complet de
symboles présente l'avantage d'une économie de temps
considérable. Or, le temps d'écriture est un facteur déclen-
cheur de problèmes très important (voir Ch. 4). Cependant, tant
que les symboles ne sont pas parfaitement maîtrisés, leur
recherche en mémoire est susceptible de demander beaucoup
de temps et de capacité de traitement, et l'apprentissage est
long. C'est pourquoi la plupart des enseignants pensent qu'il est
préférable que les étudiants n'apprennent pas séparément un
système de symboles, mais qu'ils créent ceux dont ils ont
besoin au fil de leur expérience. Aucune étude empirique n'a
apporté jusqu'à présent des indications sur l'efficacité relative
de chacune de ces options.
Sur le plan tactique, le moyen le plus efficace de faire face à
une difficulté due à un déficit en capacité de traitement
durant la phase d'écoute consiste à interrompre la prise de
notes pour consacrer la totalité de l'attention disponible à
l'écoute. Cette tactique n'a aucun coût en capacité de traite-
ment ou en temps, mais elle implique un risque d'oubli lors de
la reformulation. Elle va donc à l'encontre de la recherche de
la sécurité.

3.4 Les stratégies et tactiques en traduction à vue et simultanée


avec texte

Tant dans la traduction à vue que dans la simultanée avec


texte, une stratégie universellement utilisée est la préparation
du texte. Il s'agit essentiellement du marquage des éléments
difficiles à la compréhension ou à la restitution et de l'éven-
tuelle indication manuscrite d'équivalents contextuels.
Parmi les techniques de marquage, rappelons la segmenta-
tion du texte par des traits obliques, qui permet à l'interprète
de délimiter visuellement des unités de traitement, ainsi que la
numérotation des éléments d'une structure linguistique devant
être restituée dans un ordre différent.
Sur le plan tactique, le résumé, c'est-à-dire la simplification
par omission sélective, est une méthode à laquelle les inter-
prètes ont souvent recours quand ils prennent du retard par
rapport à l'orateur.
142 DANIEL GILE

3.5 Tactiques face aux erreurs de l'orateur

Face à une erreur manifeste de l'orateur, l'interprète peut


user de trois tactiques :
— La restituer telle quelle en langue d'arrivée. Cette tactique
obéit à la recherche de la sécurité, mais va à l'encontre des lois
du rendement informationnel et de l'effet maximum.
— La corriger en suivant les lois du rendement et de l'effet
maximum, et en prenant le risque de se tromper.
— S'en référer aux auditeurs, en leur signalant ce que l'ora-
teur a dit et en exprimant ses doutes. Cette tactique donne elle
aussi une certaine sécurité à l'interprète, mais va à l'encontre
de la recherche de l'impact maximum, puisqu'elle dessert
l'orateur.

4. Commentaires méthodologiques

Comme i l est précisé dans la Section 1, le présent chapitre


décrit des faits dégagés au cours d'une observation personnelle
sur le terrain ; i l les explique à travers les modèles d'Efforts et
une réflexion personnelle, plutôt que sur la base de l'expéri-
mentation ou d'une autre démarche scientifique systématique.
On peut donc légitimement s'interroger sur le bien-fondé des
indications présentées dans les pages qui précèdent.
En tant qu'interprète de conférence et enseignant de l'inter-
prétation, nous considérons que les faits mêmes sont générali-
sés et très clairs dans l'esprit des interprètes. L a question qui se
pose est de savoir comment en démontrer l'existence sur une
base scientifiquement verifiable. L a chose serait probablement
possible à travers des questionnaires et interviews, ainsi qu'une
expérimentation finement réglée pour provoquer des tactiques
particulières chez les sujets. Trois séries de problèmes se
posent à propos d'une telle démarche :
— Les efforts à déployer pour mettre en évidence l'existence
de ces tactiques et stratégies paraissent disproportionnés si l'on
ne cherche que la confirmation explicite d'une réalité qui, au
sein de la profession, ne semble pas vraiment contestable. Ces
efforts prendront en revanche tout leur sens si l'on vise une
quantification des tactiques et de leurs effets.
— Compte tenu des 'bruits' et incertitudes inhérents aux pro-
cédures observationnelles et expérimentales (biais dans
l'échantillonnage, erreurs d'observation, erreurs dans l'enregis-
trement des données, erreurs et incertitudes cjans les montages
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 143

expérimentaux, interférences induites par les questions dans


les questionnaires et interviews, variabilité statistique), l'expéri-
mentation risque d'aboutir à des incertitudes égales ou supé-
rieures à celles que comporte la simple observation.
— Enfin, les obstacles psychologiques qui se dressent dans
l'étude des tactiques auprès des praticiens sont redoutables,
puisque certaines sont contraires à la déontologie de l'interpré-
tation, et toutes mettent en évidence les faiblesses de
l'interprète.
Comme i l est indiqué aux chapitres 2 et 3, la recherche sur
l'interprétation n'en est qu'à ses débuts. Si les textes spéculatifs
abondent, les études descriptives manquent (Stenzl 1983). L a
présente enumeration fait partie d'un effort descriptif et pour-
rait servir de base à une réflexion sur les phénomènes qualita-
tifs intervenant dans la communication à travers l'interpréta-
tion, ainsi qu'à à des recherches futures plus précises. Mais
compte tenu des difficultés énumérées plus haut et du prix à
payer pour les surmonter, à ce stade descriptif de l'étude des
stratégies et tactiques des interprètes, une démarche scientifi-
que rigoureuse et précise ne semble pas idoine. Si dans quel-
ques uns de ses aspects, l'interprétation se prête à des
méthodes expérimentales et quantitatives, dans d'autres, elle
rejoint d'autres disciplines des sciences humaines avec une
forte composante spéculative. Il ne nous semble pas acceptable
de s'en tenir à des spéculations là où une vérification empiri-
que semble réalisable, mais i l faudra probablement accepter,
pendant longtemps encore, des méthodes plus subjectives et
moins rigoureuses dans l'étude de certains aspects de l'inter-
prétation touchant à des facteurs psycho-sociologiques et dé-
ontologiques.
Chapitre 6

La qualité en interprétation
de conférence

1. introduction

Dans tous les écrits fondamentaux, dans toutes les écoles


spécialisées, ainsi que dans les associations professionnelles
telles que l'AIIC, on souligne que l'interprétation de conférence
est non pas une opération linguistique, mais un service de
communication ayant pour finalité de faire passer des « mes-
sages ». Une telle prise de position devrait conduire naturelle-
ment à une interrogation sur les modalités et la qualité de
cette transmission de messages en communication multilingue.
Et pourtant, J. Carroll notait en 1978 que les travaux de
recherche sur la qualité en interprétation étaient très rares.
Non seulement i l y avait peu d'études empiriques cherchant à
cerner des réalités sur le terrain, mais même sur le plan théori-
que, l'attitude assez consensuelle des chercheurs était
interpréto-centrique : la qualité était définie par eux, selon leur
vue du service en question, et non pas par les commanditaires
et les bénéficiaires, et jusqu'à une date fort récente, les cher-
cheurs n'éprouvaient pas le besoin de préciser ses contours, ni
de réexaminer leur point de vue de manière critique. Dans un
article sur la qualité publié dans le Bulletin de l'AIIC
(1979:113), ce point de vue apparait clairement :

« Senior members of AUG, with a sigh and a smile, refer to the sub-
ject of quality as « the monster of Loch Ness ». They don't mean to
say that quality doesn't exist. They feel that it gets talked about a
lot, but that nobody has ever managed to catch (define) it for all
the world to see and believe and that nothing can be done about it.
DANIEL GILE

The quality of an interpreter's performance and the monster of


Loch Ness have another feature in common : those who see; it reco-
gnize it immediately. And interpreters instinctively, without having
an official A U G definition, agree on what is good quality and what
isn't. »

Le présent chapitre présente quelques réflexions person-


nelles sur cette notion centrale de qualité, évoque les travaux
réalisés sur ce thème, et analyse les questions méthodologiques
qui se sont posées lors de ces travaux.

2. Le cadre de la communication en interprétation de con-


férence

La 'qualité de l'interprétation' mesure une prestation de ser-


vice ; i l apparaît donc intéressant de l'analyser d'abord en tant
que telle, dans son cadre naturel.

2.1 L'interprète est-il le « double« de l'orateur ?

Généralement, l'axe de communication central en interpréta-


tion est conçu (Fig. 1) comme reliant linéairement l'orateur,
l'interprète et le délégué (ce singulier désigne ici collectivement
les délégués qui écoutent l'interprète).

Orateur . >- Interprète • - — ^ Délégué

Figure 1 : L'axe de communication central en interprétation

Dans cet axe, l'interprète de conférence est un médiateur


«transparent», qui se confond avec l'orateur en produisant à
l'intention du délégué un discours en langue d'arrivée « équiva-
lent » au discours en langue de départ. C'est ainsi que se définit
la mission de l'interprète de conférence (par opposition notam-
ment aux interprètes de liaison) de manière apparemment
consensuelle dans l'ensemble des milieux professionnels.
Or, comme i l est expliqué au Ch. 4, pour des raisons techni-
ques liées à la capacité cognitive de l'interprète, cet objectif
n'est pas toujours réalisable. Concrètement, le contenu du dis-
cours d'arrivée s'écarte souvent du contenu de l'original en
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 147

dépit des efforts de l'interprète. Il y a donc un décalage entre


la réalité et l'image projetée, dû entre autres au fait que le
délégué reçoit l'interprétation à la place de l'original et non pas
en tant que résumé ou commentaire.
Ce décalage pose un problème déontologique et moral : l'in-
terprète a-t-il le droit de se présenter comme le « double » de
l'orateur quand il ne peut l'être ? A-t-il le droit de parler « à la
première personne du singulier » quand i l sait qu'il perd des
informations ? Doit-il au contraire présenter son discours
comme une reproduction plus ou moins bonne de l'original ?
Quelles seraient les conséquences professionnelles et commer-
ciales' de ce changement ? Cette question n'a pas été abordée
jusqu'ici dans la recherche sur l'interprétation.
Sans entrer dans une analyse approfondie de ces choix pro-
fessionnels, il est également intéressant d'évoquer, au regard
de la recherche, le problème psychologique qu'ils peuvent
poser. En effet, l'interprète, qui se fixe pour objectif la produc-
tion d'un discours « équivalent » à l'original et qui n'est pas en
mesure de le faire, subit une frustration qu'il exprime réguliè-
rement sur le terrain. Il serait intéressant d'étudier ces réac-
tions à court et à long terme, leur influence sur l'image qu'a
l'interprète de sa profession et de lui-même, et leurs éven-
tuelles incidences comportementales : désintérêt à l'égard de
l'interprétation, baisse du professionalisme, notamment en ce
qui concerne la préparation des conférences, recherche d'acti-
vités plus satisfaisantes en dehors de l'interprétation, etc.

2.2 Les forces en présence

Le schéma de la Fig. 1 pose le principe de la loyauté de l'in-


terprète à l'égard de l'orateur, mais ne tient pas compte de
l'existence de différentes forces qui le poussent dans d'autres
directions.
• On citera premièrement le problème des éventuelles contra-
dictions entre les convictions personnelles de l'interprète et
celles de l'orateur. Ces contradictions peuvent généralement
être prévues au moment du recrutement, quand sont données
des indications sur le thème de la réunion et sur l'identité des
participants. L'interprète a alors la possibilité de refuser le
contrat, ou de décider qu'il l'accepte en s'obîigeant en consé-
quence à servir loyalement les orateurs qu'il interprétera,
même si leurs opinions sont contraires aux siennes. Il est rare •
que ces contradictions posent un véritable problème moral aux
148 DANIEL GILE

interprètes. Reste à savoir si en interprétant un orateur dont ils


n'acceptent pas les opinions, ils sont aussi efficaces en tant que
communicateurs à son service que dans le cas contraire. L a
même question se pose quand ils interprètent des orateurs à
l'égard desquels ils éprouvent des sentiments négatifs : désap-
probation morale, préjugés ethniques ou sociaux. L a question
est méthodologiquement difficile à étudier étant donné l'ab-
sence de critères et d'instruments suffisamment fiables et pré-
cis pour mesurer la qualité du travail. Elle ne semble pas avoir
été souvent abordée dans les textes sur l'interprétation, même
les textes de réflexion, anecdotiques ou prescriptifs, et l'on
peut penser qu'elle n'est pas ressentie comme un problème réel
dans la profession. Elle doit se poser avec davantage d'acuité
dans l'interprétation communautaire' (« community interpre-
ting », destinée aux immigrés).
Il existe toutefois d'autres forces en présence, auxquelles on
pense moins spontanément et qui sont peut-être plus impor-
tantes. En effet, la configuration des acteurs de la communica-
tion en interprétation ne se limite pas à l'orateur, à l'interprète
et aux délégués qui l'écoutent. En deuxième et en troisième
ligne, l'on trouve d'autres personnages dont l'influence à
l'égard de l'interprétation varie selon la situation (Fig. 2) :

Figure 2 : Le cadre de communication en interprétation


de conférence

a. Les délégués
Les délégués qui écoutent l'orateur en langue de départ
n'ont pas besoin de l'interprétation et ont tendance à considé-
rer l'interprète comme un élément étranger et souvent gênant
dans la communication, car l'interprétation implique des
contraintes : préparation de documents, nécessité de parler
dans un microphone, débit limité dans les interventions, réu-
REGARDS SUR LA RECHERCHE E N INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 149

nions plus longues, notamment dans le cas de la consécutive. Il


s'ensuit qu'une présence non minoritaire de délégués de cette
catégorie peut engendrer une pression supplémentaire sur l'in-
terprète :
Quand la plupart des participants n'écoutent pas l'interpréta-
tion, ils tendent à ne pas tenir compte dans leurs interventions
de la participation des étrangers, d'où le non-respect des
contraintes susmentionnées et une dérive vers des échanges ne
concernant que les participants locaux, tant dans le fond que
dans l'expression. Il en résulte des discours plus difficiles à
interpréter pour les étrangers, à qui manquent des repères cul-
turels pour comprendre les échanges.
. En consécutive, notamment, quand seule une petite minorité
de délégués passe par l'interprétation, l'interprète est soumis à
une pression le poussant à abréger son discours en parlant
plus vite, voire en résumant les interventions au lieu de les
reproduire intégralement. Cette pression peut se traduire par
des manifestations d'impatience de la part des délégués, voire
par des instructions explicites du président de séance. Il arrive
aussi qu'un délégué ayant compris la langue de départ inter-
vienne sans attendre l'interprétation, obligeant ainsi l'interprète
à insister pour interpréter, ou à traduire par la suite les deux
interventions bout à bout, ce qui peut nuire à la qualité de la
transmission des échanges aux délégués qui suivent à travers
l'interprétation.
Il existe aussi des environnements particuliers où les exi-
gences de certains délégués vont à l'encontre de l'aspiration de
l'interprète à réaliser une restitution de qualité du discours de
l'orateur telle que décrite plus haut. Le cas le plus frappant est
celui des procès en justice, où un avocat peut chercher à dés-
tabiliser un témoin, notamment en lui coupant la parole et en
exploitant ses mots précis pour le piéger (voir à ce sujet Morris
1989).

b. Le client
Le client, défini ici comme le donneur d'ouvrage qui paie
rinterprète, peut avoir des intérêts différents de ceux de l'ora-
teur, et peut donc faire pression dans un sens qui ne favorise
pas la fidélité de l'interprète à l'égard de l'orateur. S'il est lui-
même organisateur de réunions avec interprétation ou chef-
interprète, il peut souhaiter éviter d'attirer l'attention des orga-
nisateurs de la réunion sur les problèmes liés à l'interprétation
(voir Section 4.1). Dans un tel cas, i l est susceptible de ne pas
150 DANIEL GILE

insister sur la qualité des conditions de travail : préparation


d une documentation, respect du programme, choix d'un
emplacement adéquat pour la cabine, etc. Par ailleurs, il consi-
dère parfois que l'interprète a une obligation de loyauté profes-
sionnelle à son égard en tant que donneur d'ouvrage, plutôt
qu'à l'égard de l'orateur, ce qui va à l'encontre de la neutralité'
ou loyauté tournante' (loyauté à chaque orateur tour à tour)
qui est à la base de la déontologie de la profession.

c. Le recruteur
Le recruteur est parfois le client (qui paie), et souvent un
autre interprète. Même si la rémunération vient d'ailleurs, pour
s'assurer une quantité suffisante de travail, l'interprète dépend
davantage du recruteur que des délégués, qui en général réa-
gissent peu à la bonne ou mauvaise qualité de la prestation
(voir à ce sujet le livre satirique, mais souvent fort juste, de
J. Coleman-Holmes 1971). L a présence du recruteur sur le ter-
rain peut donc avoir des incidences importantes sur le compor-
tement des interprètes. Quand i l s'agit d'un collègue, sa pré-
sence en cabine peut avoir un effet très stimulant sur la
qualité du travail de l'interprète 'actif, car i l peut mieux éva-
luer la qualité du travail que les délégués en salle (voir plus loin).

d. Les autres interprètes


Leur influence est comparable à celle du collègue recruteur,
et peut aider l'interprète actif à maintenir son effort.

e. Le président de séance
En tant que gestionnaire du déroulement de la réunion, qui
a autorité pour donner et reprendre la parole aux intervenants
et pour intervenir lui-même à tout moment, le président de
séance a un rôle important, notamment au regard du maintien
de conditions de travail acceptables : horaires, débit de l'ora-
teur, documents, discipline de microphone, etc.

f. Les techniciens
Responsables du matériel électronique dans la salle d'inter-
prétation, ils ont à ce titre un rôle essentiel, tant pour le son
que pour l'aménagement de l'espace dans la salle, notamment
en ce qui concerne le positionnement de la cabinejl'interpréta-
tion et de l'écran sur lequel seront projetés transparents et dia-
positives. Parfois, ils aident aussi à faire respecter la discipline
REGARDS SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 151

du microphone. Dans certaines réunions, notamment avec


équipement mobile et dans des environnements bruyants ou
présentant des problèmes techniques, la compétence et la vigi-
lance des techniciens sont indispensables à un déroulement
correct de la réunion.

Les conflits d'intérêt ayant une incidence sur la loyauté pro-


fessionnelle n'interviennent en général qu'entre orateurs, desti-
nataires, clients et présidents de séance. On ne dispose pas
d'études sur les éventuels effets de ces conflits sur la presta-
tion des interprètes.

2.3 La fidélité

La loyauté' de l'interprète à l'égard de l'orateur s'articule


principalement à travers sa fidélité au discours original. Les
écrits sur la fidélité abondent dans les revues sur la traduction.
Ils sont essentiellement réflexifs et normatifs (voir notamment
Donovan 1990 pour une étude reflexive sérieuse du sujet),
mais nous n'avons connaissance d'aucune tentative de justifier
les positions de principe par des éléments empiriques.
Les stratégies de fidélité des interprètes (voir Ch. 5) ont des
conséquences importantes sur l'évaluation de leurs perfor-
mances dans des études empiriques. En effet, une restitution
complète des informations de l'original reflète peut-être une
perte de contrôle de la part de l'interprète face à un discours
trop rapide, trop dense ou trop difficile à comprendre pour
d'autres raisons, alors que l'ajout ou l'omission de certaines
informations reflète peut-être non pas une baisse des perfor-
mances, mais plutôt l'aboutissement d'un processus de prise de
décisions visant à optimiser l'impact du discours. Les cher-
cheurs non familiarisés avec les stratégies et tactiques des
interprètes risquent de tirer de l'observation d'un corpus des
conclusions erronées. C'est notamment ce que l'on reproche à
Henri Barik (voir Bros-Brann 1976 et Stenzl 1983).

3. La perception de la qualité

La qualité du travail en interprétation est donc fonction non


seulement de contraintes affectant sa faisabilité, mais aussi des
normes de l'observateur. A u regard de la recherche empirique
se posent aussi des problèmes méthodologiques liés à la capa-
152 DANIEL GILE

cité de chacun des acteurs concernés (Fig. 2) d'évaluer ladite


qualité. Face à la certitude de l'AIIC citée plus haut, face aux
affirmations de D. Seleskovitch, pour qui les interprètes,
« Witnessing the results of their own performance they are
always able to see whether their listeners have clearly unders-
tood their translation » (1977:84), affirmations reprises par
C. Donovan (1990:19), on trouve des opinions discordantes.
Ainsi, C. Cartellieri (1983) considère qu'il n'existe pas de para-
mètres de qualité fiables, et d'autres collègues évoquent diffé-
rents problèmes d'évaluation. Pour G. Ilg (1988), un interprète
n'évalue pas un collègue comme le ferait un délégué. C. Stenzl
(1983 :30) ajoute qu'il est difficile d'évaluer une prestation sans
tenir compte de l'identité des délégués qui l'écoutent.
W.E. Lambert (1978) et C. Namy (1978) soulignent la difficulté
d'écouter l'original et l'interprétation en même temps, difficulté
expliquée ci-dessous. A l'Ecole de Genève, explique Namy, il
faut souvent recourir aux enregistrements pour parvenir à un
accord entre les membres d'un jury d'interprétation. Si Carroll
(1978) considère qu'il y a corrélation entre intelligibilité et fidé-
lité d'une interprétation, Stenzl (1983) n'est pas d'accord, et fait
observer que l'une n'implique pas l'autre. Dans le même esprit,
selon K. Varantola (1980), on dit souvent qu'un interprète par-
lant d'un ton agréable et assuré peut tromper son monde. En
revanche, W. Weber (1984:2) affirme qu'une interprétation
défectueuse se repère immédiatement. Les pages suivantes
analysent ces appréciations.

3.1 La fidélité informationnelle du discours de l'interprète

Le déterminant le plus évident de la qualité de l'interpréta-


tion est sa fidélité informationnelle. Il se trouve que cette fidé-
lité est difficile à évaluer en situation de conférence pour l'en-
semble des personnes qui y participent.

a. L'orateur :
En simultanée, il parle en même temps que l'interprète et ne
peut donc l'écouter et juger sa prestation. Il arrive que les ora-
teurs portent un casque et contrôlent l'interprétation tout en
parlant. Toutefois, écouter l'interprétation d'un segment de dis-
cours en le comparant à l'original, tout en prononçant un
deuxième segment et en préparant mentalement le segment
suivant, représente une charge cognitive probablement inabor-
REGARDS S U RL A R E C H E R C H E E NINTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 153

dable pour la plupart des orateurs. Parfois les orateurs n'écou-


tent l'interprétation que pour s'assurer que les interprètes « sui-
vent ». Dans ce cas, leur contrôle ne se fait que par rapport à
quelques repères tels que les mots de la fin d'une phrase ou
d'une proposition. En tout état de cause, i l n'y a pas de
contrôle de l'intégralité du discours d'arrivée.
En consécutive, la situation est différente, dans la mesure où
l'orateur a le loisir d'écouter la restitution de son discours par
l'interprète. En principe, s'il comprend la langue d'arrivée, il
peut contrôler le discours cible. Sa capacité d'évaluer la qualité
de celui-ci est toutefois limitée par le fait qu'en général, i l ne se
rappelle pas avec précision l'ensemble de son propre discours.
Il peut reconnaître une erreur ou un ajout dans le discours de
l'interprète, mais est susceptible de ne pas y détecter une omis-
sion, surtout s'il s'agit d'un passage d'importance secondaire.
L'existence de ce phénomène se confirme quotidiennement
dans les écoles d'interprétation, lors des exercices de consécu-
tive en classe : lorsqu'il est demandé à un étudiant de relever
les inexactitudes et omissions dans l'interprétation que fait un
autre étudiant d'un exposé fait par lui-même auparavant, i l est
le plus souvent incapable de pointer le doigt sur de telles
défaillances informationnelles (voir Gile a.p. b).

b. Les délégués écoutant en langue de départ


En simultanée, les délégués qui écoutent l'orateur en langue
de départ ne se préoccupent pas de l'interprétation, qu'ils n'en-
tendent pas. E n consécutive, i l entendent l'interprète, et ceux
d'entre eux qui connaissent suffisamment bien la langue d'arri-
vée se retrouvent dans la même situation que l'orateur qui la
comprend, dont le cas est évoqué ci-dessus.

c. Les délégués écoutant en langue d'arrivée


Ces délégués, les véritables destinataires de l'interprétation,
n'ont pas en principe une compréhension suffisante de la lan-
gue de départ pour écouter le discours original. En principe, ils
ne peuvent donc pas juger de l'intégrité informationnelle du
discours de l'interprète. En revanche, ils peuvent y déceler cer-
taines erreurs manifestes, quand le discours en langue d'arri-
vée leur semble incompatible avec ce qu'ils savent du sujet et
de l'orateur.

d. Les interprètes passifs présents


154 DANIEL GILE

Les interprètes passifs' ont la compétence linguistique néces-


saire, mais sont limités dans leur capacité d'évaluation par les
mêmes difficultés que les délégués. En simultanée, s'ils sont
assis dans la même cabine que l'interprète actif, ils ont la possi-
bilité technique et la disponibilité pour l'écouter en même
temps qu'ils écoutent l'original, ce qui n'est pas le cas du délé-
gué, dont la principale préoccupation est en principe l'écoute
du discours de l'orateur. Toutefois, pour l'interprète passif, le
contrôle implique deux opérations simultanées : l'écoute d'un
segment de discours original, et la comparaison de la restitu-
tion d'un segment précédent en langue d'arrivée avec un seg-
ment antérieur du discours original. Il charge donc son Effort
de mémoire davantage que lors de la pratique de la simulta-
née. En consécutive, l'interprète passif lui aussi ne se rappelle
la totalité du discours original que s'il prend des notes comme
son collègue actif, auquel cas i l peut réaliser un contrôle inté-
gral de la fidélité de l'interprétation.

e. Autres acteurs
S'agissant du client éventuellement présent, d'un recruteur
non interprète, du président de séance ou animateur de table
ronde et des techniciens, tous se retrouvent essentiellement
dans la même situation que les délégués écoutant en langue de-
départ ou en langue d'arrivée, avec les mêmes contraintes et
limites.

Il apparaît donc clairement que si une évaluation grossière


de la fidélité informationnelle de l'interprétation peut être faite
par les participants sur la base d'erreurs captées au vol, en
simultanée, personne n'est en mesure de l'évaluer de manière
fine et fiable, et en consécutive, seul un interprète passif qui se
donne la peine d'écouter le discours et de prendre des notes
comme s'il allait l'interpréter lui-même est capable de le faire.
Ces considérations expliquent, partiellement au moins, pour-
quoi i l existe parfois une grande disparité entre les opinions
qu'ont différents interprètes du travail d'un même collègue
(Bertone 1989). C'est aussi la raison pour laquelle les affirma-
tions de D. Seleskovitch et de W. Weber semblent peu fondées.
En réalité, comme il est expliqué plus haut, non seulement les
délégués ne peuvent évaluer correctement la fidélité d'une
interprétation, mais même quand ils le peuvent, ils ne réagis-
sent pas nécessairement. Le conseil de M . Lederer (1978), qui
REGARDS S U RLA R E C H E R C H E E NINTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 155

préconise l'écoute des sessions de questions et réponses, au


cours desquelles l'interprétation est « vraiment » _ mise à
l'épreuve pour en évaluer la qualité, n'est pas non plus suffi-
sant, car des personnes interpellées peuvent répondre a côté'
de la question sans que l'on sache si l'acte est volontaire, s'il est
le résultat d'un manque de discipline dans l'expression, ou si
elles n'ont simplement pas compris la question ; elles peuvent
au contraire répondre de manière pertinente en ayant saisi une
partie seulement de la question, ou répondre de manière non
pertinente sans que la chose soit apparente. Il est d'ailleurs per-
mis de penser que les participants à une conférence ne réagis-
sent que sur certains points qui les intéressent particulière-
ment. Citons à titre anecdotique, mais révélateur, une expé-
rience vécue lors d'une conférence où l'interprète recruteur
était bien introduit auprès des délégués, ce qui lui permettait
de leur poser des questions très directes. A u cours de cette
conférence, l'un des orateurs a fait une intervention peu claire
sur un appareil opto-électronique. Conscient de la difficulté
d'interpréter un aussi mauvais exposé, l'interprète recruteur
s'est renseigné auprès des délégués sur leur réaction à l'inter-
prétation du discours. Il s'est avéré que tous étaient très satis-
faits, à l'exception de deux personnes, les représentants d'une
société concurrente de la première qui fabriquait un appareil
similaire. Il semblerait que seuls ces deux délégués aient eu
besoin de comprendre l'exposé de manière précise et qu'ils
aient jugé l'interprétation en fonction de ces besoins. Ce sont
aussi les seuls qui se soient rendus compte des faiblesses du
discours en langue d'arrivée.
Techniquement, i l est possible de contourner la difficulté en
enregistrant le discours original et le discours de l'interprète et
en comparant les enregistrements. Toutefois, cette procédure,
très consommatrice de temps, n'est envisageable que pour les
chercheurs, par opposition aux délégués, qui sont sur les lieux
de la réunion pour y participer et non pas pour évaluer les
interprètes (sauf dans les cas où des enregistrements sont faits
pour les besoins de la conférence). E n outre, pour les cher-
cheurs se pose un problème d'accès au corpus, qui est traité
plus avant dans la Section 4.1.

3.2 Qualité de l'enveloppe' du discours de l'interprète

L"enveloppe' du discours de l'interprète peut se décrire en


termes de langue, d'usage terminologique, de clarté, de proso-
156 DANIEL G I L E

die, de qualité de la voix (voir à ce propos les propositions de F.


Pôchhacker 1992 pour une analyse très fine de ces paramètres,
ainsi que l'expérience de M . Shlesinger (1992) décrite dans la
Section 4.2), et le cas échéant en termes d'expression faciale et
gestuelle.
Contrairement à la fidélité informationnelle, la qualité de la
voix, de la prosodie et de l'expression faciale et gestuelle de
l'interprète se laissent généralement évaluer assez facilement
par tous les acteurs qui ont la possibilité technique d'écouter et
de voir l'interprète, qu'ils comprennent ou non les langues de
départ et d'arrivée.
En revanche, la qualité de la langue et la clarté de l'expres-
sion ne peuvent être évaluées correctement que par les per-
sonnes qui ont une maîtrise suffisante du sujet et de la langue
d'arrivée. Dans la pratique, si l'on exclut les contrôles occasion-
nels réalisés par le client, par le président de séance ou par des
délégués écoutant normalement en langue de départ et
curieux de savoir comment se déroule l'interprétation, cette
évaluation est faite essentiellement par les interprètes passifs et
par les délégués écoutant en langue d'arrivée. Quant à la préci-
sion de l'usage terminologique, elle ne peut être évaluée que
par les spécialistes, donc par les délégués écoutant en langue
d'arrivée ou par les interprètes passifs s'ils sont spécialisés.
Il apparaît dès ce stade de l'analyse que :
— Le contrôle de la fidélité informationnelle ne peut être
réalisé que par un petit nombre d'acteurs; en tout état de
cause, ce contrôle demande un effort considérable.
— L'évaluation de la présentation se fait beaucoup plus faci-
lement, et souvent spontanément et inconsciemment. Il est
donc fort possible que pour de nombreux délégués, l'impres-
sion d'une prestation plus ou moins bonne soit déterminée par
la qualité de la présentation plutôt que par la fidélité réelle de
l'interprète à l'orateur, surtout si les éventuelles erreurs et
omissions n'affectent pas la cohérence et la plausibilité du dis-
cours par rapport aux attentes et connaissances de l'évalua-
teur. C'est ce qui expliquerait l'évaluation parfois étonnamment
généreuse des délégués pour une prestation que l'interprète
estime lui-même médiocre ou mauvaise.

3.3 Autres aspects de la qualité du travail

Considérer que la qualité du travail de l'interprète est uni-


quement fonction de l'efficacité de la communication d'orateur
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 157

à destinataire et que la fidélité et la qualité de l'enveloppe sont


ses seuls déterminants, c'est ne pas tenir compte de l'univers
social, psychologique et économique dans lequel s'inscrit
l'interprétation, où d'autres critères de qualité ont un poids
bien réel.
A titre d'exemple, si lors de réunions face à face, il apparaît
peu important que les hommes soient interprétés par des
hommes et les femmes par des femmes, dans les interpréta-
tions radio et télédiffusées, cet appariement compte pour les
réalisateurs. Pour d'autres conférences, la tenue vestimentaire
et la qualité du comportement des interprètes en cabine et
hors cabine sont importantes. Ainsi, nous avons vu de nom-
breux cas où certains interprètes ont été préférés à d'autres en
raison de leur capacité de «s'intégrer» aux délégués —pour
reprendre l'expression du client. Inversement, des interprètes
jugés «insuffisamment aimables» ont été exclus du recrute-
ment, quelle que fût la qualité de leurs discours en langue
d'arrivée. Par ailleurs, certaines composantes comportemen-
tales de la qualité de la prestation peuvent être qualifiées de
«techniques». Ainsi, l'interprète travaillant lors de visites de
chef d'Etat à chef d'Etat doit savoir comment se placer par
rapport aux interlocuteurs à tout moment, quand passer de la
chuchotée à la consécutive et inversement, quand traduire et
quand se taire, quand se tenir à distance et quand se rappro-
cher des interlocuteurs à travers les différentes étapes du par-
cours officiel et officieux. Des erreurs à cet égard peuvent
avoir un effet très préjudiciable à la qualité de sa prestation.
La recherche sur ces composantes comportementales de la
qualité pose de considérables problèmes d'accès aux informa-
teurs potentiels.
Parmi les qualités comportementales, certaines appellent des
réactions et évaluations contradictoires. Ainsi, chez un inter-
prète, la rigueur peut être appréciée des collègues, notamment
quand elle conduit à des exigences en matière d'information,
car elle augmente les chances de l'équipe d'obtenir des docu-
ments en vue de la préparation de la conférence ; en revanche,
elle peut être mal vue par le client, qui préfère souvent une
plus grande souplesse, fût elle délétère au regard de la fidélité
aux discours.
Autre qualité périphérique par rapport à la prestation de
communication proprement dite, la capacité de l'interprète de
s'intégrer dans l'équipe d'interprètes dans laquelle il travaille.
Cet aspect de la qualité du travail est particulièrement impor-
tant pour les missions en déplacement, où les interprètes, et
158 DANIEL GILE

parfois les délégués et interprètes, se retrouvent pendant une


période de plusieurs jours en groupe feirmé et plus au moins
isolé. A qualité de prestation communicationnelle plus ou
moins égale, le choix du recruteur se porte souvent sur l'inter-
prète dont le comportement hors-cabine lui convient mieux,
plutôt que sur l'interprète dont la prestation est un peu meil-
leure. On observe également sur le marché des cas où cet
aspect comportemental est un déterminant bien plus important
que la performance de l'interprète en cabine.
Il est intéressant de noter que dans la plupart des écoles pro-
fessionnelles, l'enseignement formel porte exclusivement sur la
composante verbale de la qualité, et que les aspects comporte-
mentaux ne sont que rarement abordés, même quand ils tou-
chent directement l'efficacité communicationnelle: comporte-
ment de l'interprète en cabine face au micro (maintien d'une
distance toujours égale entre l'interprète et son micro, manipu-
lation non bruyante des documents, emploi du bouton toussoir
plutôt que du bouton de mise hors-tension du microphone,
réactions face à un orateur qui parle sans un micro dans la
salle, face à un orateur trop rapide, etc.), et de manière plus
générale, comportement de l'interprète avec les orateurs, les
délégués, les techniciens.

4. Aspects méthodologiques de la recherche sur la qualité

4.1 Problèmes d'accès

De l'analyse qui précède, il ressort que la qualité en interpré-


tation est composée de plusieurs éléments de nature diffé-
rente, que l'importance relative de ces composantes varie selon
les types de conférence et les types de publics, et que la fidélité
n'est évaluée que de manière approximative et peu fiable sur le
terrain. Il s'ensuit que pour cerner de plus près sa réalité, il
serait nécessaire de procéder à des recherches empiriques sur
des échantillons nombreux, englobant des types de confé-
rences, de délégués, de situations linguistiques et d'interprètes
suffisamment variés pour pouvoir donner un tableau représen-
tatif de la réalité sur le terrain.
Or, c'est précisément dans ces recherches empiriques que se
pose de manière aiguë l'un des problèmes les plus difficiles
dans la recherche sur l'interprétation, à savoir le problème
d'accès au corpus.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 159

L'accès à des conférences pour des études empiriques est


rendu difficile par les facteurs suivants :

a. La variété des conférences physiquement accessibles aux


chercheurs
De pays en pays, voire de ville en ville, la situation est très
différente au regard des variables déterminant la qualité et sa
perception: types de réunions, langues de travail, nombre et
niveau de qualification des interprètes, conditions de travail.
Les différences sont particulièrement importantes entre pays
d'Europe occidentale et pays d'Asie et d'Afrique, mais elles
prennent également de l'ampleur à mesure que l'on évolue de
l'Europe occidentale vers l'Europe de l'Est, le Canada, les
Etats-Unis, les pays d'Amérique latine, l'Océanie.
Un chercheur ou une équipe de chercheurs travaillant dans
un pays donné auront du mal à couvrir' les conditions régnant
dans d'autres parties du monde, ne serait-ce que pour des rai-
sons financières, mais également pour des raisons linguistiques.

b. La confidentialité des réunions


Certaines réunions, notamment les assemblées générales de
sociétés, les visites politiques, certaines réunions dans les orga-
nisations internationales, ont une participation très restreinte et
ne sont donc pas accessibles aux chercheurs.

c. Les recruteurs
Si les organisateurs des réunions et les délégués ont tout
intérêt à ce que la qualité du travail des interprètes soit éva-
luée de manière fiable et précise, le point de vue du recruteur
est parfois différent. Dans l'ensemble, il fait partie de l'une des
trois catégories suivantes :
— Il peut avoir une fonction adrninistrative chez le client
(société, association, organisation internationale, organisme
public) en tant que Directeur, responsable de la communica-
tion, assistant d'un responsable, etc.
— Il peut être chef-interprète (dans une organisation interna-
tionale) et donc avoir la responsabilité du recrutement des
interprètes, voire de l'ensemble des questions touchant à
l'interprétation.
— Il est souvent interprète-conseil, et agit comme consultant
indépendant pour le compte du client.
160 DANIEL GILE

Dans les trois cas, le recruteur porte une partie de la respon-


sabilité des résultats de l'interprétation, partie qui est très
grande dans le deuxième et le troisième cas. Si, dans l'absolu, il
est de son intérêt d'avoir une idée aussi précise que possible de
la qualité du travail à attendre d'une situation d'interprétation
donnée, il peut redouter d'un autre côté de voir apparaître au
grand jour des faiblesses dans le travail de l'équipe qu'il a
constituée, que la faute lui en incombe ou non. Les responsa-
bles administratifs chez un client ont par ailleurs pour priorité
le bon fonctionnement de la réunion à laquelle ils travaillent,
et craignent la gêne qu'est susceptible d'occasionner une
démarche de recherche sous forme de questionnaires ou d'in-
terviews. Les chef-interprètes, qui doivent souvent lutter avec
l'administration de leur organisation pour assurer de meil-
leures rémunérations, un meilleur statut et de meilleures
conditions de travail pour les interprètes, peuvent craindre la
mise en évidence de défaillances dans le travail de ces der-
niers, qui peut avoir des effets néfastes. Quant aux interprètes-
conseils indépendants, ils sont en concurrence commerciale'
avec d'autres collègues remplissant les mêmes fonctions, et
craignent toute intervention qui risque de leur nuire sur ce
plan. C'est pourquoi quand des chercheurs s'adressent à ces
recruteurs pour leur demander la permission de réaliser une
étude sur la qualité de l'interprétation, ils essuient souvent des
refus.

d. Les interprètes
Les interprètes de conférence sont peu accessibles pour
deux raisons. La première est leur petit nombre : quelques mil-
liers en tout dans le monde, quelques centaines au maximum
sur les plus gros marchés (Paris, Bruxelles, Genève, Tokyo).
Selon les pays et les combinaisons linguistiques, leur forma-
tion, leur situation économique, leur statut professionnel et
leur compétence sont très variables. Comme il a été indiqué
plus haut, il n'est pas possible à une équipe de recherche locali-
sée en un endroit du monde de couvrir toute cette variété
d'environnements et de situations.
La deuxième raison de la difficulté d'accès du fait des inter-
prètes est leur vulnérabilité. Vulnérabilité psychologique tout
d'abord : les interprètes ont par formation et par idéal profes-
sionnel l'ambition de parvenir à une fidélité informationnelle
complète', et ressentent douloureusement le fait que souvent,
ils n'arrivent pas à réaliser cet objectif (voir Ch. 4). La vulnéra-
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 161

bilité des interprètes est également professionnelle : d'une part,


la mise en évidence de défaillances dans leur prestation risque
de leur nuire face au client, et d'autre part, elle les affaiblit
face aux collègues recruteurs. Même si les chercheurs promet-
tent la confidentialité des résultats de leur recherche, il persiste
une certaine méfiance. En outre, du fait même de la
recherche, une sensibilisation des délégués ou du client, nuisi-
ble au statu quo, peut se produire. Enfin, les chercheurs sont
souvent interprètes eux-mêmes. Dans ce cas, les interprètes
qu'ils observent s'exposent avec toutes leurs faiblesses aux
yeux de collègues qui sont par ailleurs recruteurs potentiels,
d'où une réticence compréhensible.

4.2 Recherches empiriques publiées et en cours

Face à ces problèmes, si de très nombreuses publications


portent sur la qualité du travail en ce sens qu'elles analysent
différents aspects des performances des interprètes, les études
empiriques ciblées sur l'évaluation de la qualité du travail en
interprétation restent pour l'instant très peu nombreuses.
Et pourtant, sur le plan méthodologique, la démarche qui
s'impose en première intention' est assez simple, puisqu'il s'agit
de l'interrogation par questionnaires et interviews (voir Gile
1983b). C'est d'ailleurs de cette manière qu'ont procédé les
rares chercheurs qui ont réalisé des travaux empiriques sur le
sujet. En 1986, Hildegund Bûhler a interrogé par questionnaire
des interprètes membres de la commission des admissions et
du classement linguistique de l'ALTC sur l'importance relative
de 15 variables sémantiques et pragmatiques du discours de
l'interprète au regard de la qualité du travail.
Pour vérifier le degré de convergence entre les critères de
ces interprètes et. ceux des délégués, Ingrid Kurz (1989b) a
construit son propre questionnaire, reprenant les huit premiers
critères de Bùhler, et l'a distribué à des délégués participant à
une conférence médicale. Des 47 questionnaires rendus se
dégage le tableau suivant :
La concordance du sens du discours en langue d'arrivée
avec celui de la langue de départ a été jugée comme le facteur
le plus important, comme c'était d'ailleurs le cas dans le ques-
tionnaire de Bùhler.
De même, la cohérence logique du discours en langue d'arri-
vçe a été jugée très importante dans les deux questionnaires.
162 DANIEL G I L E

On notera toutefois que les interprètes ont accordé à ce critère


un poids plus important que les délégués.
L'emploi des termes appropriés a lui aussi été jugé important
par les deux groupes.
En ce qui concerne l'intégrité de l'information rendue en lan-
gue d'arrivée par rapport à l'information dans le discours origi-
nal, les délégués ont accordé à ce critère un poids sensible-
ment inférieur à celui qui leur avait été attribué par les
interprètes dans le questionnaire de Bùhler. Ingrid Kurz expli-
que toutefois ce décalage par une interprétation différente de
l'idée d'mtégrité', les interprètes considérant que celle-ci dési-
gne le seul message, et les délégués englobant dans leur
réponse toutes les redites et les redondances du discours.
Un important décalage apparaît en ce qui concerne la flui-
dité du discours («fluency of delivery»), que les interprètes
considèrent comme plus importante que les délégués. De
même, la correction grammaticale est considérée comme rela-
tivement peu importante par les délégués dans le questionnaire
de Kurz, ce qui contraste avec le poids qui lui est accordé par
les interprètes interrogés par Bûhler. Enfin, toujours dans le
domaine linguistique, l'accent natif' et la qualité de la voix sont
considérés comme importants par les interprètes et moins
importants par les délégués.
En conclusion, Ingrid Kurz note qu'une forte corrélation
entre les deux groupes n'a été trouvée qu'en ce qui concerne
les critères « essentiellement nécessaires à la communication » ;
en revanche, les critères linguistiques et phonétiques ont été
jugés bien plus importants par les interprètes que par les
délégués.
De son côté, Lydia Meak de Trieste (1990) a rédigé un ques-
tionnaire qu'elle a présenté à dix médecins italiens ayant cha-
cun une spécialité différente. Les neuf questions, auxquelles les
répondants devaient ajouter des observations et suggestions,
portaient respectivement sur :
— l'efficacité générale de la simultanée pour la compréhen-
sion de discours dans une langue non connue
— les éléments les plus dérangeants de l'interprétation
— l'importance de la connaissance par l'interprète des fonc-
tions de l'orateur et d'autres renseignements sur sa personne
— les éléments d'un tableau qu'il est indispensable de
restituer
— les éléments à traduire lors du commentaire sur un film
ou sur des diapositives
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 163

— les branches de la médecine qui nécessitent une précision


particulière
— l'effet de la rapidité du discours de l'interprète
— l'importance des conclusions
— la nécessité de traduire les abréviations.

Des réponses, il apparaît entre autres que les médecins ita-


liens font preuve d'une certaine indulgence à l'égard des inter-
prètes en matière terminologique, mais qu'ils sont plus exi-
geants quant à la connaissance générale du sujet traité.
Dans une étude de cas publiée en 1990, Gile a interrogé par
questionnaire des délégués médecins sur la qualité d'une pres-
tation d'interprétation au cours d'une conférence médicale. Les
questions portaient sur :
— La qualité générale de l'interprétation
— La qualité linguistique de l'interprétation
— La qualité de l'usage terminologique dans l'interprétation
— La fidélité
— La qualité de la voix et de la prosodie des interprètes
— Les principales faiblesses de l'interprétation

Cette étude visait elle aussi non pas une évaluation «objec-
tive » de la qualité du travail, mais une exploration de l'impor-
tance relative qu'accordaient les délégués à chacun des cri-
tères. Malheureusement pour cette tentative (mais heureuse-
ment pour les délégués et interprètes concernés), les
évaluations ont toutes été très positives, ce qui n'a pas permis
de mesurer le poids relatif de chacun des éléments de qualité
par rapport à l'évaluation globale. On notera toutefois que chez
les deux répondants qui ont donné une évaluation négative de
la qualité vocale et prosodique de l'interprétation, l'évaluation
de la qualité globale n'a pas souffert.
Reprenant le travail par questionnaire pour constituer des
échantillons plus grands et pour avancer vers une plus grande
discrimination par groupes d'utilisateurs, Ingrid Kurz (1992) a
élargi son étude de 1988 à deux groupes supplémentaires: les
délégués à une conférence sur le contrôle de qualité, et à une
conférence du Conseil de l'Europe sur les équivalences des
« périodes d'études », toutes les deux tenues en 1989.
Des résultats, il apparaît une fois de plus que le critère de
concordance du sens de l'original avec celui de la traduction
est le plus important pour tous les groupes, à l'exception des
délégués du Conseil de l'Europe, qui ont considéré le bon
usage terminologique comme plus important. La cohérence
164 DANIEL GILE

logique du discours a été considérée comme le deuxième cri-


tère le plus important par l'ensemble des groupes à l'exception
des médecins, qui lui ont attribué le même poids qu'à la
concordance du sens, et des délégués du Conseil de l'Europe,
qui lui ont attribué la quatrième place, après la terminologie, la
concordance du sens et l'intégrité de l'information transmise.
Dans l'ensemble, la correction terminologique arrivait en
troisième place, mais elle était première pour les délégués du
Conseil de l'Europe et deuxième pour les ingénieurs. L'intégrité
de l'information arrive en quatrième place, et la fluidité de la
prestation en cinquième place.
La correction grammaticale de l'interprétation, considérée
comme importante par les interprètes interrogés par Bùhler, a
été créditée d'un poids très inférieur par les délégués, notam-
ment les ingénieurs. La qualité de la voix et la qualité de l'ac-
cent des interprètes ont eux aussi été évalués comme peu
importants.
En Pologne, A. Kopczynski (1992) a réalisé une étude pilote
sur la qualité en interrogeant par questionnaire 20 spécialistes
des «humanités» (philologues, historiens, juristes, écono-
mistes), 23 scientifiques, techniciens et médecins, et 14 diplo-
mates, en faisant la distinction entre orateurs et délégués. Dans
la première question, il était demandé aux répondants quelle
était la plus importante fonction de l'interprétation. La seconde
question reprenait la première, mais en proposant des réponses
et en demandant leur classement. La troisième question
demandait quels étaient les éléments « irritants » en interpréta-
tion, et la quatrième proposait différentes réponses et deman-
dait leur classement. Suivaient cinq questions sur le degré de
participation de l'interprète à la communication outre le rôle
de traduction proprement dit : L'interprète doit-il s'identifier à
l'orateur? Imiter la prosodie du discours de l'orateur? Etre
visible ou rester dans l'ombre ? Corriger d'éventuelles erreurs
de l'orateur ? Résumer le discours ? Ajouter ses propres
explications ?
Les résultats sont assez uniformes. Il apparaît pour l'ensem-
ble de ces groupes que le critère de qualité le plus important
est la restitution détaillée du contenu du discours. En
deuxième place arrive la précision terminologique. L'impor-
tance de celle-ci est confirmée par la convergence des orateurs
et délégués sur le premier « irritant », à savoir un usage termi-
nologique incorrect. Au deuxième rang des « irritants », les ora-
teurs placent l'inexactitude dans la restitution du contenu de
leur discours, et les délégués dans les phrases non terminées et
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 165

rincorrection grammaticale de l'interprétation. Quant au


«degré de participation» de l'interprète, tous considèrent que
ce dernier doit s'identifier à l'orateur et qu'il doit rester invisi-
ble. Il est intéressant de noter que les orateurs tendent à
accepter que les interprètes les corrigent, alors que les délé-
gués présentent une tendance opposée.
Signalons enfin une intéressante étude expérimentale de M .
Shlesinger (1992), dans laquelle elle a cherché à comparer l'ef-
fet de certaines variables de présentation sur la compréhension
et le rappel de l'interprétation. A ces fins, elle s'est servie d'en-
registrements de passages d'interprétation qu'elle a transcrits.
Plus de trois ans après, elle a demandé aux interprètes auteurs
des interprétations initiales de lire les transcriptions, et a enre-
gistré la lecture. Le résultat était un jeu d'enregistrements d'in-
terprétations spontanées d'une part, et d'interprétations lues
d'autre part. Puis elle a fait écouter les enregistrements à des
sujets, et a comparé la compréhension et le rappel du contenu
des enregistrements dans les deux types d'enregistrements.
Dans l'ensemble, les résultats étaient meilleurs dans le cas de
l'interprétation lue, ce qui va à l'encontre des idées générale-
ment admises dans la profession, qui favorisent les discours
spontanés (voir notamment Déjean Le Féal 1978).
La Commission de la recherche de l'ALIC a lancé une impor-
tante étude par questionnaire sur la qualité. A titre de prépara-
tion, au cours de l'année 1992, plusieurs membres ont réalisé
des interviews en demandant essentiellement aux délégués ce
qu'ils attendaient de l'interprétation et ce qui les gênait dans
l'interprétation. Dans la seule série relativement importante (22
personnes), réalisée par une étudiante lors d'une conférence
sur la ville de Berlin dans un centre culturel à Paris, le princi-
pal « irritant » apparu portait sur la qualité prosodique de l'in-
terprétation, alors que la correction terminologique et la cor-
rection linguistique du discours en langue d'arrivée n'ont pas
été mentionnées.
L'opinion exprimée dans le Bulletin de l'AIIC sur la qualité en
tant que «monstre du Loch Ness», impossible à cerner mais
identifiable dès qu'elle est visible, semble sérieusement ébran-
lée au vu de ces résultats. Les grandes divergences observées
dans les études citées plus haut peuvent être attribuées à diffé-
rents facteurs, notamment aux différences entre les groupes
d'utilisateurs, qui permettraient d'expliquer des résultats appa-
remment surprenants. C'est ce que fait Ingrid Kurz en se ser-
vant d'une typologie des conférences mise au point par Gile
(1989b). La variabilité des situations, voire des pays et des
166 DANIEL G I L E

comportements culturels y afférant, ainsi que la variabilité de


l'expérience passée des délégués en matière d'interprétation,
peut se refléter dans les attentes. De toute évidence, l'image est
complexe, et justifie des études à grande échelle si l'on veut
parvenir à des conclusions solides.
io8 DANIEL GILE

— Comme il est indiqué au Ch. 1, la grande majorité des


auteurs de textes sur l'interprétation sont enseignants, et sont
donc particulièrement intéressés par le sujet.
— La formation est un thème sur lequel il est possible
d'écrire des textes substantiels sans introduire d'éléments de
théorie ou de recherche, d'où une plus grande facilité de pro-
duction. Par ailleurs, de tels textes sont acceptés même par des
interprètes généralement hostiles à la théorie et à la recherche.
Le présent chapitre ne cherche pas à rendre compte de
manière détaillée de l'ensemble des textes sur la formation à
l'interprétation. La majorité d'entre eux sont réflexifs et nor-
matifs et ne répondent pas aux critères de la recherche. Qui
plus est, ils sont très répétitifs. Il existe par ailleurs de nom-
breux textes de recherche qui touchent la formation indirecte-
ment, notamment en ce qui concerne les langues, la gestion de
la capacité de traitement, la compréhension. Ces textes et tra-
vaux sont évoqués dans les autres chapitres de ce livre (voir
aussi un intéressant tour d'horizon dans Mackintosh 1989). Le
présent chapitre est consacré à une synthèse de la situation sur
le terrain en matière de formation, à une présentation des
idées qui ont cours dans ce domaine, et à des observations et
interrogations méthodologiques.
D'après Ch. Thiéry, qui a dirigé pendant de nombreuses
années la section d'interprétation de l'ESIT à Paris, « beaucoup
d'interprètes, et non des moindres, ont acquis une grande com-
pétence professionnelle sans suivre un enseignement quelcon-
que » ; il ajoute qu'en théorie, « il n'y a rien dans cet apprentis-
sage qui ne puisse être fait sur le tas, en l'absence de tout
enseignement» (Thiéry 1981:105-106). D'autres enseignants,
tels que W. Weber, ancien directeur de l'école de traduction et
d'interprétation du Monterey Institute of International Studies,
considèrent qu'il est de la plus grande importance de passer
par la filière de formation institutionnelle, car à quelques
exceptions près, lors de leurs débuts, les autodidactes acquer-
raient tous de mauvaises habitudes et feraient des erreurs qui
pèseraient sur le restant de leur carrière (Weber 1984:2).
Quoi qu'il en soit, sur tous les marchés d'interprétation un
tant soit peu importants, européens, canadiens et japonais, la
plupart des interprètes passent actuellement par la filière de la
formation à l'école, qui remplit, outre l'enseignement des prin-
cipes et techniques de la profession, deux fonctions :
— Une fonction de filtre : les écoles font un important travail
de sélection en n'octroyant le diplôme qu'aux étudiants ayant
atteint un niveau de compétence opérationnel' de l'avis des
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 169

membres des jurys d'examen, qui sont en principe tous inter-


prètes confirmés et reconnus. Notons que le taux de réussite
est faible, de 30 à 50 96 des candidats à l'ESIT selon les années
d'après D. Seleskovitch 1981:41, et souvent moins. A travers
cette fonction de filtre, les écoles contribuent à préserver un
niveau élevé de qualification dans une professipn qui n'est
réglementée que dans un très petit nombre de pays.
— Une fonction de passerelle pour l'accès au marché du tra-
vail: les écoles étant en étroites relations avec la profession,
elles facilitent grandement les débuts professionnels de leurs
diplômés.

2. Idées consensuelles

Depuis l'institutionnalisation du métier d'interprète de confé-


rence, après la deuxième guerre mondiale, la formation à l'in-
terprétation s'est cristallisée dans des écoles universitaires
prises en charge par des professionnels. Les premières se
situaient à Genève, Heidelberg, Paris, Vienne. Par la suite, de
nouvelles écoles ont été créées dans d'autres villes, en Europe,
puis ailleurs dans le monde.
Or, pendant les années cinquante et soixante, les praticiens,
qui étaient peu nombreux, voyageaient beaucoup et se
voyaient souvent. Contrairement aux chercheurs, les praticiens
enseignants ont toujours beaucoup communiqué entre eux.
Leur désir commun de donner un fondement solide à la pro-
fession d'interprète de conférence s'est notamment concrétisé
à travers la fondation de l'AHC, qui joue elle aussi un rôle
important dans la détermination de la politique de la formation
au sein de la profession. Rappelons que dans les grandes'
écoles d'interprétation, la plupart des enseignants sont eux-
mêmes membres de l'AIIC, qu'ils sont souvent connus et
influents dans la profession, et que la Commission de la forma-
tion se compose en majorité de représentants des écoles. Cette
situation explique que les principes fondamentaux de la forma-
tion se soient développés de manière remarquablement homo-
gène, bien qu'il existe certaines divergences sur des questions
techniques. Aujourd'hui encore, le consensus règne sur une
partie importante du champ de la formation.
Ce consensus se voit dans la réitération, dans des textes de
différents auteurs, des mêmes règles de base. Citons à titre
d'exemple une récente brochure de l'AIIC intitulée Conseils
170 DANIEL GILE

aux étudiants souhaitant devenir interprètes de conférence


(1991), qui précise entre autres les principes suivants :
— Les études d'interprétation de conférence sont réservées
aux titulaires d'un diplôme universitaire ou d'une expérience
ou qualification équivalente.
Plusieurs écoles ont d'ailleurs fait le choix d'un niveau d'en-
trée plus élevé encore, en exigeant la licence, voire la maîtrise,
à l'admission (voir Keiser 1979:12 et Skuncke 1979:2 dans
ALIC 1979). Cette exigence universitaire est expliquée officielle-
ment par la nécessité d'une certaine maturité intellectuelle
chez l'interprète. Peut-être relève-t-elle aussi d'un désir de
poser d'emblée le statut social de l'interprétation de conférence
à un niveau élevé.
— L'admission à la formation en interprétation de confé-
rence est conditionnée par les résultats à un test d'admission
au cours duquel sont contrôlées les connaissances linguistiques
du candidat, ses capacités d'analyse et de synthèse et sa cul-
ture générale.
Le préalable sur lequel insistent le plus les enseignants est la
compétence linguistique, qui doit en principe se situer dès l'ad-
mission au niveau requis pour le travail en cabine. Autrement
dit, dans les écoles d'interprétation, on forme à une certaine
discipline intellectuelle et à des techniques plutôt qu'aux lan-
gues. Cette distinction, elle aussi, nous semble motivée en réa-
lité non seulement par des considérations techniques, mais
aussi par une aspiration à un statut social plus élevé pour les
écoles d'interprétation que pour les écoles de langues. Dans les
faits, la condition de maîtrise opérationnelle des langues de tra-
vail à l'admission n'est pas toujours remplie, et des cours de
perfectionnement linguistique s'avèrent souvent indispensables
(voir Ch. 8).
— Le responsable du programme de formation doit lui-
même être un interprète de conférence en exercice « ayant une
réputation internationale ». Les autres enseignants doivent eux
aussi être des praticiens en exercice.
Dans un compte rendu succinct d'une table ronde sur la for-
mation d'interprètes de conférence dans les pays du Bénélux
tenue ên 1969, le ton est encore plus ferme : « Si l'on veut avoir
la certitude que l'enseignement répond à la réalité profession-
nelle, il est absolument indispensable que ce soient des inter-
prètes professionnels qui assurent l'enseignement de l'interpré-
tation» (AUC 1979). En effet, comme l'explique D. Seleskovitch
(1981:25), les interprètes, «...connaissant les modalités d'exer-
cice de la profession, sachant quel est le niveau requis,
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 171

conscients des aptitudes nécessaires, [sont] les plus aptes à


définir le contenu de l'enseignement ». Cette exigence très forte
affirme et stabilise le statut professionnel, et non pas universi-
taire, des écoles d'interprétation. Sur le plan de la formation,
elle pose des problèmes pratiques et méthodologiques : les bons
praticiens ne sont pas nécessairement de bons enseignants, et
leur disponibilité limitée ne leur permet pas toujours d'assurer
leurs cours avec la régularité voulue (voir Hofer 1986). Sur le
plan de la recherche, cette exigence est associée aux pro-
blèmes évoqués dès le Ch. 1.
— La formation doit porter tant sur la consécutive que sur la
simultanée.
Cette règle peut sembler anachronique à une époque où sur
de nombreux marchés, la consécutive a quasiment disparu
(Seleskovitch 1981:38). Pourtant, sur le plan de la formation,
la consécutive continue à être considérée comme très impor-
tante (voir Section 4.1.2).
— L'entraînement doit se dérouler dans des conditions aussi
proches que possible de la réalité professionnelle.
— Il s'agit donc de simuler d'aussi près que possible la situa-
tion de l'interprète professionnel sur le terrain. A l'évidence,,
dans les écoles d'interprétation (par opposition aux stages de
formation dans les organisations internationales telles que les
Nations Unies et la Commission des communautés euro-
péennes), cette simulation a des limites (durée des exercices,
environnement physique, absence de Vrais' délégués, situation
de communication où les seuls enjeux sont éducatifs, etc.). Il
est intéressant de noter qu'au-delà des déclarations de prin-
cipe, aucun projet de recherche n'a été réalisé pour vérifier
l'effet de ces limites sur l'efficacité de l'apprentissage.

3. Aptitudes à l'interprétation et sélection

3.1 Les aptitudes fondamentales

Les aptitudes fondamentales nécessaires à l'interprétation


font l'objet de nombreux textes de réflexion. A titre d'illustra-
tion, qui reprend les idées généralement admises, W. Keiser
(1978) en énumère treize (la quatorzième dans la liste ci-
dessous, qui est très fréquemment mentionnée par d'autres
auteurs et enseignants, découle de la huitième, à savoir la
curiosité intellectuelle) :
172 DANIEL GILE

1. Une bonne connaissance des langues de travail


2. Une bonne capacité d'analyse
3. Une bonne capacité de synthèse
4. Une capacité intuitive d'extraction du sens du discours
5. Une bonne capacité de concentration
6. Une bonne mémoire à court-terme et à long terme
7. Une voix et une présentation acceptables
8. La curiosité intellectuelle
9. L'honnêteté intellectuelle
10. Le tact et un certain sens diplomatique
1 i . Une bonne endurance physique
12. Une bonne endurance nerveuse
13. Une bonne santé
14. Une bonne culture générale

Certaines sont évidentes (la connaissance des langues, ainsi


qu'une voix et une présentation acceptables). D'autres s'expli-
quent par des contraintes professionnelles (honnêteté, tact,
curiosité intellectuelle). D'autres encore ne sont pas expliquées
ou documentées. Ainsi, on peut se demander ce qu'est réelle-
ment la capacité intuitive d'extraction du sens du discours', et
pourquoi l'endurance physique et la bonne santé sont néces-
saires dans un métier qui ne nécessite aucun effort physique
particulier et qui se déroule généralement dans des conditions
de confort qui, tant sur le plan de l'environnement physique du
travail que sur celui des horaires, ne semblent pas plus péni-
bles que dans de nombreuses autres professions où l'on ne
souligne pas ces conditions de santé et d'endurance physique.
D. Gerver, psychologue qui enseigna à l'université de Stirling
en Ecosse, a réalisé à l'école d'interprétation de la Polytechnic
of Central London des tests de personnalité sur les étudiants
de ladite école ainsi que sur des interprètes professionnels. Ces
tests n'ont pas permis de dégager un profil psychologique
caractéristique (Longley 1989). D'autres travaux sociologiques,
réalisés à partir de questionnaires et consacrés aux différences
entre les profils des interprètes et ceux des traducteurs (Hen-
derson 1987, Suzuki 1988), n'apportent guère d'éléments com-
plémentaires sur le plan psychologique. La plupart des écoles
visent en réalité dans leurs contrôles des aptitudes fonction-
nelles plutôt que des profils de personnalité.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 173

3.2 Les tests d'admission

Les tests d'admission sont un sujet qui revient régulièrement


dans les publications sur l'interprétation. Leur importance est
grande en raison du très fort taux d'échec constaté dans les
écoles.
Dans leur forme la plus simple, qui est adoptée par de nom-
breuses écoles, les tests d'admission se composent des élé-
ments suivants, avec quelques variantes (voir Keiser 1978) :
— Des interviews dans les langues de travail du candidat:
ces interviews aident à contrôler sa connaissance desdites lan-
gues et permettent aux membres du jury de se faire une idée
de sa personnalité, et notamment de sa capacité d'expression.
— Un exposé improvisé sur un sujet d'actualité. Il est destiné
à vérifier la capacité d'expression orale du candidat, sa curio-
sité intellectuelle, sa culture générale, ainsi que sa maîtrise de
la langue concernée.
— Un contrôle de la compréhension d'un exposé non techni-
que fait par l'un des membres du jury ou d'un texte écrit non
technique : il est demandé au candidat de résumer le texte ou
exposé et/ou de répondre à des questions le concernant.
— Parfois, un exercice de traduction à vue, qui permet de
vérifier la compréhension d'un texte en langue de départ, ainsi
que la capacité de séparation des deux langues en contact chez
le candidat.

Dans certaines écoles, des épreuves de traduction écrite font


également partie de la sélection des élèves-interprètes. A l'ISIT,
elles permettent d'éliminer un grand nombre de candidats dont
les connaissances linguistiques sont à l'évidence trop faibles,
avant de présenter les autres à l'oral. A la Polytechnic of Cen-
tral London, un exercice de shadowing avait également été
incorporé dans la batterie de tests (Longley 1978). D'autres
auteurs, tels que S. Lambert (1992a), proposent d'utiliser des
tests de Cloze pour évaluer la connaissance des langues, la
compréhension et la capacité d'anticipation des candidats.
Une idée intéressante est proposée par B. Moser (1978), qui
part d'une base double: d'une part, l'idée selon laquelle une
certaine période d'adaptation serait susceptible de révéler des
aptitudes qui n'apparaissent peut-être pas pleinement lors-d'un
examen unique et très court; d'autre part, l'analyse cognitive
des opérations de la simultanée conduit B. Moser à se concen-
trer sur des aptitudes spécifiques. D'où l'idée de proposer aux
candidats un cours préparatoire d'une quinzaine de séances
174 DANIEL GILE

d'entraînement à des tâches particulières, le tout étant suivi


d'un examen. Les exercices proposés sont les suivants :
— En guise d'entraînement au partage d'attention, des exer-
cices de shadowing et d'écoute avec comptage ou comptage à
rebours, suivis de la présentation par l'étudiant d'un résumé
du discours entendu.
— Des exercices d'analyse et de réexpression sous forme de
paraphrasage.
— Des exercices de détection et de notation de chiffres dans
des discours qui en contiennent beaucoup.

A la fin du stage, chaque candidat fait l'objet d'une recom-


mandation : « favorable », « favorable avec réserves », ou « défa-
vorable» à la poursuite des études en interprétation. Selon
Moser (1985), un suivi de 4 ans fait apparaître une forte corré-
lation entre les résultats de ce stage et ceux des études subsé-
quentes au Monterey Institute of International Studies.
Dans l'ensemble, les écoles considèrent que leurs méthodes
de sélection ont fait leurs preuves, en ce sens que peu de can-
didats inaptes à l'interprétation sont admis, même s'il arrive
que des candidats possédant les aptitudes de base soient refu-
sés (Keiser 1978). Cette appréciation nous semble discutable,
dans la mesure où l'efficacité d'un test s'évalue aussi bien sur
les faux positifs que sur les faux négatifs. En outre, il existe
d'autres filtres au cours des études, et surtout celui des exa-
mens du diplôme, où le taux d'échec reste très élevé, puisqu'il
est supérieur, voire très supérieur à 50 % dans la majorité des
écoles. Peut-on dans ces conditions parler de tests d'admission
efficaces? Pour répondre à la question, il faudrait en savoir
davantage sur les raisons des échecs en cours et en fin de for-
mation. Précisons en passant que dans une étude observation-
nelle récente réalisée à Trieste par A. Gringiani (1990), la fiabi-
lité des tests dans son école s'est avérée médiocre. Il ne s'agit là
toutefois que d'une étude de cas, et ce dans un système uni-
versitaire où il n'existe pas de sélection à l'entrée (c'est le cas
en Italie et en Allemagne) : de ce fait, les candidats se présen-
tant à l'admission diffèrent peut-être de ceux qui se présentent
dans des écoles plus sélectives, ce qui pourrait avoir une inci-
dence sur l'efficacité des examens d'admission.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 175

3.3 Sélection en cours et en fin de parcours

Si la sélection à l'admission est souvent débattue dans les


textes sur la formation, il n'en est pas de même de la sélection
en cours et en fin de parcours. Et pourtant, la proportion des
abandons spontanés chez les étudiants admis aux programmes
est assez élevée, probablement supérieure à 50 % dans la plu-
part des écoles (observations personnelles). En outre, dans les
cursus de deux ans, le passage de la première à la deuxième
année est également marqué par un filtre : sur la base du tra-
vail de l'année ou d'un examen de fin d'année, les enseignants
peuvent recommander le passage au niveau supérieur, le
redoublement de la première année, un séjour linguistique à
l'étranger ou l'abandon de la filière. Dans les stages de six mois
de la Commission des communautés européennes, des filtres
du même type sont disposés à intervalles réguliers, à la fin du
deuxième mois, puis à la fin du quatrième mois.
S'agissant de l'examen final dit « du diplôme », les tâches et
critères de réussite ou d'échec sont très clairement définis. En
effet, les épreuves consistent en une succession d'exercices
simulant les principales formes d'interprétation que le candidat
aura à accomplir dans sa vie professionnelle dans ses langues
de travail : simultanée, consécutive et traduction à vue. Quant
au niveau de performance requis, il est celui d'un interprète
professionnel prêt à travailler en cabine. Dans les principales
écoles d'interprétation, les jurys d'examen se composent d'in-
terprètes professionnels, dont une partie au moins ne font pas
partie du corps enseignant de l'école concernée, ainsi que de
représentants d'organisations recrutant des interprètes. La for-
mule est remarquablement homogène et semble être considé-
rée consensuellement comme adéquate par l'ALTC et les écoles.
C'est pourquoi la profession et les enseignants semblent ne pas
s'interroger sur les examens du diplôme comme ils s'interro-
gent sur les examens d'admission, bien qu'en réalité l'enjeu des
examens de sortie soit plus important.
On notera l'absence d'études empiriques sur la validité de
ces tests. Là aussi, si l'on en juge d'après l'intégration profes-
sionnelle des diplômés, rares sont les réussites non méritées.
En revanche, on ne sait pas quel est le taux des échecs non
justifiés. Signalons toutefois qu'il n'est pas rare que des candi-
dats malheureux à l'école se lancent tout de même dans la
profession, s'y intègrent et soient considérés par leurs pairs
comme des interprètes compétents. Il est donc fort possible,
comme l'affirment certains collègues, que les tests du diplôme
176 DANIEL G I L E

soient plus sélectifs que ne l'exigerait le maintien d'une qualité


acceptable aux yeux des praticiens sur le marché.
Sur le plan professionnel, il s'agit là d'un moyen de régula-
tion permettant théoriquement d'élever le niveau moyen des
interprètes de conférence. Toutefois, on ne dispose pas
d'études empiriques permettant de voir si une telle évolution a
effectivement eu lieu. Sur le plan humain, cette forte sélecti-
vité des examens pose un problème dans le système européen
et américain: les études d'interprétation demandent un fort
investissement psychologique, et souvent un investissement de
temps considérable: la plupart des programmes durent deux
ans, et la durée effective de la formation est souvent prolongée
par le redoublement d'au moins l'une des années, ou par une
année d'interruption pour perfectionnement linguistique dans
un pays étranger. Un échec au diplôme aboutit à la perte de
tout cet investissement, du moins sur le plan formel des
diplômes. Deux autres formules existent pourtant :
— Le programme de traduction et d'interprétation de l'uni-
versité du Queensland, en Australie, conduit au M.A., diplôme
universitaire que les étudiants acquièrent au terme de leurs
deux années d'études quel que soit le verdict quant à leurs
aptitudes à l'interprétation professionnelle. Parallèlement, il
existe un système national d'accréditation géré par la NAATI
(National Accréditation Authority for Translation and Interpré-
tation), qui propose des examens d'interprétation de différents
niveaux (les étudiants peuvent se présenter à un examen d'in-
terprétation «communautaire», de niveau moins élevé que
celui de l'interprétation de conférence), et qui sanctionne l'apti-
tude professionnelle. Ainsi, l'investissement des étudiants abou-
tit à un titre universitaire monnayable sur le marché du tra-
vail, même s'il n'aboutit pas à un diplôme professionnel.
— Dans certaines écoles d'interprétation japonaises, un
« diplôme de fin d'études » est remis à tous les participants à la
fin de leur scolarité. Toutefois, ce diplôme seul n'a pas de
valeur professionnelle. La véritable qualification intervient lors-
que les agences de traduction, qui réalisent également les pro-
grammes de formation (les écoles sont privées et leur appar-
tiennent), recrutent les diplômés et leurs décernent un label'
d'interprète « C » (débutant), puis « B » (confirmé), puis « A » (de
« première classe »), selon leur évaluation de la qualité du tra-
vail effectué sur le terrain. Dans cette formule, contrairement
au système normalisé des écoles européennes et de quelques
écoles américaines, la sélection est informelle et personnelle.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 1.77

4. Les méthodes de formation

Dans toutes les écoles d'interprétation, l'enseignement se fait


essentiellement à travers des exercices d'interprétation simu-
lant la réalité : exercices de consécutive, de simultanée avec et
sans texte, de traduction à vue. Les différences entre les écoles
se manifestent dans l'abord de ces exercices et dans les cours
et exercices périphériques :

4.1 La formation à la consécutive

4.1.1 Premiers contacts

Il est rare que les étudiants arrivant dans une école soient
soumis d'emblée à des exercices d'interprétation proprement
dits. En général, une préparation, même courte, est de rigueur.
La forme la plus généralisée de ces premiers contacts est la
« consécutive sans notes » ou « mémorisation », où les étudiants
doivent résumer de courts exposés sans avoir le droit de pren-
dre des notes. L'exercice peut être fait dans une seule langue,
puis avec une langue de départ et une langue d'arrivée. Les
exposés deviennent progressivement plus longs, plus difficiles,
et il est demandé aux étudiants de les restituer d'une manière
de plus en plus complète (voir les différents articles à ce sujet
dans Delisle 1981, Gerver & Sinaiko 1978, Gran et Dodds 1989,
ainsi que dans Seleskovitch et Lederer 1989).
Ces exercices sensibilisent les étudiants à la nature de
l'écoute requise, à la nécessité d'analyser le discours original,
aux exigences de rigueur dans la restitution, et les préparent à
la « vraie » consécutive avec prise de notes.

4.1.2 La consécutive

Comme il est indiqué plus haut, la consécutive n'a plus la


même valeur que par le passé en tant qu'outil professionnel,
mais reste très importante sur le plan pédagogique. En fait,
dans plusieurs écoles, dont l'ESIT et l'ISIT à Paris, une année
entière, soit la moitié du cursus, est consacrée à la consécutive
à l'exclusion de la simultanée; la consécutive continue d'ail-
leurs à être pratiquée jusqu'à la fin de la deuxième année, et
178 DANIEL GILE

les épreuves de consécutive à l'examen du diplôme sont élimi-


natoires au même titre que les épreuves de simultanée. En
revanche, dans d'autres écoles, notamment à la Polytechnic of
Central London et à l'ETI à Genève, la consécutive et la simul-
tanée peuvent être enseignées indépendamment l'une de l'au-
tre (AIIC 1979:25-26).
Certains enseignants critiquent la doctrine du passage obliga-
toire par la consécutive (voir Francis 1989), en faisant valoir
qu'il n'a jamais été démontré que les aptitudes nécessaires à la
consécutive et à la simultanée sont les mêmes, et qu'enseigner
la consécutive à des étudiants qui ne s'en serviront peut-être
jamais n'est pas une bonne politique, surtout dans le cadre
d'un programme de formation court.
Il n'existe à ce jour aucune étude systématique sur l'apport
de la consécutive à la progression de l'apprentissage et à l'amé-
lioration du résultat final en matière de simultanée. En
revanche, il semble y avoir accord parmi les enseignants sur le
fait que la consécutive est un excellent outil de formation à
l'analyse et un excellent outil d'observation des étudiants. En
effet, la séparation chronologique entre l'étape d'écoute et
l'étape de reformulation est un frein au psittacisme (AÏÏC
1979:38) et une incitation à l'analyse, et la performance en
consécutive permet de détecter un manque d'analyse là où la
même erreur ou maladresse en simultanée pourrait être inter-
prétée comme ayant pour origine une interférence linguistique
ou un problème de production en langue d'arrivée.
Comme il a déjà été mentionné au Ch. 2 et au Ch. 4, les
écrits sur la consécutive, et notamment sur la prise de notes,
sont très nombreux, et peuvent préconiser des systèmes très
élaborés, voire fondés sur une grammaire des notes' (Allioni
1989). Cependant, là aussi, aucune recherche n'est venue
appuyer les affirmations des uns et des autres. Rappelons seu-
lement un modeste résultat de recherche empirique, à savoir
une confirmation expérimentale de l'influence néfaste de la
prise de notes sur la qualité de l'écoute chez les étudiants
débutants à travers l'indicateur des noms propres (Gile 1991b,
voir Ch. 4).

4.2 La formation à la simultanée

De même que la consécutive est précédée d'une période


d'exercices préparatoires, l'entraînement à la simultanée est lui
aussi précédé d'une certaine préparation.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 179

Celle-ci prend en général la forme d'exercices de partage de


l'attention. L'exercice d'écoute et de comptage à rebours (ou
autres modes de comptage non automatiques) semble unani-
mement accepté. La répétition avec décalage ou shadowing,
quant à elle, a donné lieu à de très nombreuses controverses
(voir notamment Lambert 1992a). On lui reproche surtout de
ne pas « ressembler » à l'interprétation, en ce sens qu'elle impli-
que la répétition mot pour mot du discours original sans effort
de réexpression, ce qui ne serait d'aucune utilité et favoriserait
le psittacisme. Pour la psychologue cogniticienne S. Lambert,
l'exercice présente apparemment (elle ne le précise pas, mais
sa logique semble claire) l'avantage de demander une certaine
analyse, puisque les éléments linguistiques sont reconnus, mais
l'Effort de production requis est moins contraignant que dans
la vraie simultanée, ce qui le rend utile comme préparation à
la simultanée. B. Strolz (1992), quant à elle, pense que le par-
tage de l'attention nécessaire au shadowing est très vite appris ;
il n'a donc qu'une utilité très limitée dans le temps. On notera
là aussi l'absence de toute tentative de vérification systémati-
que par les faits des affirmations en faveur ou contre cet exer-
cice d'entraînement.
De manière plus générale, non seulement la répétition avec
décalage, mais aussi d'autres exercices sont condamnés par de
nombreux enseignants orthodoxes' au nom du principe de la
similitude maximum entre les exercices faits en classe et le tra-
vail sur le terrain, formulé par les premiers enseignants et
réaffirmé depuis de manière répétée (AIIC 1979). Ce principe
relevait certainement du bon sens initialement, quand des sys-
tèmes d'enseignement furent mis en place par des praticiens
de l'interprétation qui n'avaient aucune connaissance en psy-
chologie cognitive et en psycholinguistique. Toutefois, il nous
semble que son maintien face aux contre-arguments scientifi-
ques, sans aucune tentative d'analyse, relève du conservatisme
idéologique, d'autant plus que dans divers domaines, et notam-
ment dans les disciplines sportives, l'entraînement par des
exercices sensiblement différents de l'activité-cible est chose
courante et parfaitement admise.
Une autre controverse porte sur la formation à la simultanée
vers la langue B. Comme il est expliqué au Ch. 4, les interprètes
sont partagés sur le travail en simultanée vers la langue B
(tout en admettant le travail vers le B en consécutive, où les
contraintes de temps et les risques d'interférence linguistique
sont moins importants). Si ses adversaires les plus farouches
reconnaissent sa nécessité dans certaines circonstances,
ISO DANIEL G I L E

notamment pour les langues rares (Seleskovitch et Lederer


1989), ils n'acceptent pas le principe de la formation à l'inter-
prétation vers la langue B. En effet, ils estiment que la
méthode doit être acquise dans les sens B fers A et C vers A,
et qu'une fois maîtrisée, elle sera aisément transférée dans le
sens A vers B sans formation supplémentaire. Pour eux, entraî-
ner les étudiants dans le travail vers le B équivaut à ouvrir la
porte à la facilité, au manque de rigueur et au psittacisme
(AUC 1979:31).
On notera qu'aucune recherche sur l'éventuel effet délétère
du travail vers le B en cours de formation n'a été effectuée à
ce jour, de même qu'aucune étude n'a cherché à vérifier la
transférabilité de la maîtrise acquise dans l'interprétation dans
un sens langue X - langue Y vers l'interprétation dans une
autre combinaison linguistique. Ce principe de la transférabilité
de la maîtrise acquise dans une combinaison linguistique et
dans une modalité d'interprétation vers d'autres combinaisons
linguistiques et d'autres modalités est très fondamental dans
certaines écoles, notamment à l'ESIT, et conduit à une
démarche pédagogique axée sur la méthodologie au détriment
de l'acquisition de connaissances et de mécanismes spécifiques.
On soulignera par ailleurs que certains marchés, et non des
moindres, sont presque exclusivement bilingues. C'est notam-
ment le cas du marché japonais, très actif. Dans ces environne-
ments professionnels, tout interprète étant destiné à travailler
vers sa langue B autant que vers sa langue A (les interprètes
disposant de deux langues A sont très rares), on peut s'interro-
ger sur ropportunité de ne former les étudiants qu'à l'interpré-
tation dans un sens linguistique. Ne serait-il pas plus raisonna-
ble de cerner de plus près les risques réels qu'implique un
entraînement à l'interprétation vers une langue B et de mettre
au point des stratégies visant à les réduire ? Il est intéressant
d'observer que dans les pays occidentaux (on connaît très peu
la situation dans les ex-pays de l'Est), aucune méthodologie n'a
été mise au point (ou tout au moins publiée) pour répondre à
cette situation. Peut-être la chose est-elle partiellement attri-
buable au tabou qui a frappé pendant longtemps le travail vers
le B dans les centres les plus actifs en matière d'enseignement,
de théorie et de recherche.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 181

4.3 Les cours périphériques

4.3.1 Les cours d'acquisition de connaissances thématiques

En marge de l'apprentissage des principes et techniques de


l'interprétation proprement dite, la plupart des écoles offrent,
dans une mesure très variable, des cours permettant aux étu-
diants d'acquérir des connaissances thématiques pertinentes. Il
s'agit en général de cours sur l'économie, les relations interna-
tionales, les institutions politiques. Rares sont les cours portant
sur des sujets scientifiques et technologiques, qui fournissent
pourtant une très importante partie du travail de la majorité
des interprètes.
Une autre modalité d'acquisition de connaissances perti-
nentes est celle des exercices d'interprétation qui sont consa-
crés, pendant une période de plusieurs jours à plusieurs
semaines, à des domaines particuliers (microélectronique,
SIDA, sidérurgie, construction navale, etc.). A travers la prépa-
ration et les exercices, les étudiants entrent en contact avec les
idées et les termes propres au domaine étudié.
Aucune étude ne semble avoir été réalisée sur l'utilité de
l'acquisition de connaissances préalables en cours de formation
initiale, ni sur l'effet sur la qualité de l'interprétation de l'ab-
sence d'une telle formation. On notera que dans la vie profes-
sionnelle, une expérience ou une connaissance préalable du
domaine est très appréciée des collègues recruteurs et des
clients et constitue, à tort ou à raison, un « argument de recru-
tement» important. Des études sur la qualité en fonction des
connaissances thématiques préexistantes chez l'interprète pré-
senteraient donc un intérêt pratique non négligeable, en ce
sens qu'elles permettraient éventuellement de mieux orienter
les cours d'acquisition de connaissances thématiques.

4.3.2 Les cours de perfectionnement linguistique

En dépit du principe qui veut que tout candidat admis à


l'école d'interprétation possède déjà ses langues de travail au
niveau requis pour l'interprétation professionnelle sur le ter-
rain, de nombreux étudiants en interprétation présentent des
faiblesses linguistiques, qui sont d'ailleurs souvent à l'origine de
leur échec aux différents examens.
Or, dans le domaine de l'enseignement des langues étran-
gères, il ne semble pas exister de programmes de perfectionne-
182 DANIEL G I L E

ment linguistique au niveau de maîtrise nécessaire à l'interpré-


tation de conférence, axé sur l'oral, sur la disponibilité et sur
des registres particuliers, notamment techniques et oratoires
(voir Ch. 8). C'est pourquoi les cours de perfectionnement lin-
guistique mis en place par plusieurs écoles restent pour l'ins-
tant artisanaux, et n'ont donné lieu qu'à un petit nombre de
publications (Lafrance 1976, Déjean Le Féal 1978, Ilg 1978,
Association des amis de l'ESIT 1987).

4.3.3 Les cours « théoriques »

Dans la plupart des écoles, la formation à l'interprétation se


compose essentiellement d'exercices préparatoires tels que
décrits plus haut et d'exercices d'interprétation proprement
dits. Dans un petit nombre d'entre elles, des explications 'thé-
oriques' sont données aux étudiants pour leur permettre de
comprendre les problèmes auxquels ils se heurtent et la raispn-
d'être des méthodes que leur proposent les enseignants pour y
faire face. A l'ESIT, il s'agit d'un cours annuel en première
année où les explications sont données au niveau de la vulgari-
sation. A l'ISIT, il existe un cours semestriel de première année
où sont présentés des concepts et modèles de base. Il s'agit
notamment d'un modèle de communication, de modèles d'Ef-
forts pour la consécutive et la simultanée (voir Ch. 4) et d'un
modèle gravitationnel' de la disponibilité linguistique (Ch. 8),
qui ont d'ailleurs été mis au point à des fins pédagogiques (voir
Gile a.p. a).
Dans tous ces cas, l'effet de ces cours sur les étudiants, que
ce soit en termes de résultats pratiques au cours des exercices
d'interprétation ou en termes de motivation, n'a pas été mesuré.

5. Conclusion

Rappelons que la quasi-totalité des chercheurs en interpréta-


tion sont des enseignants, que la formation est l'application par
excellence de la recherche dans ce domaine, et qu'une grande
partie des textes sur l'interprétation porte sur la formation.
Rappelons aussi que c'est dans les écoles que l'on trouve les
conditions les plus favorables à la recherche, notamment des
étudiants intéressés et un environnement universitaire.
Dans ces conditions, il est frappant de voir à quel point les
méthodes restent intuitives et artisanales et à quel point la
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 183

véritable recherche sur la formation reste absente. La situation


dans ce domaine nous semble refléter clairement la position
d'ensemble de la recherche dans les milieux de l'interprétation,
position qui reste d'une grande faiblesse en dépit de la masse
de textes universitaires publiés depuis les années 50.
Sur le plan pratique, force est de constater que la recherche
n'a pas encore fourni aux enseignants d'indications solides sur
l'efficacité relative des programmes qt méthodes de formation
employés dans les différentes écoles. Si dans la thèse d'I. Pinter
(1969), il s'est avéré que la capacité d'écouter et de parler en
même temps était bien fonction de la durée de la formation
antérieure, dans une étude de M . Viezzi (1990), les taux de
rétention d'information après des tâches d'écoute simple, de
lecture, de simultanée et de traduction à vue n'ont pas fait
apparaître de différences entre étudiants et professionnels. Par
ailleurs, dans l'étude de D. Gile sur les fautes et maladresses de
langue survenant en interprétation (1987) évoquée au Ch. 4,
aucune progression n'a été relevée entre le début et la fin de
l'année universitaire. Les écoles seraient-elles plus efficaces
comme filtres que dans leur fonction de formation ?
En tout état de cause, le champ d'investigation reste large-
ment ouvert, avec de nombreuses possibilités de recherche, et,
dans ce domaine précis, un accès facile aux sujets.

!
Chapitre 8

Aspects linguistiques
de l'interprétation

1. Introduction

Une caractéristique singulière de la recherche sur l'interpré-


tation, activité de communication centrée autour de la langue,
est la très faible place qu'y a occupé pendant longtemps la
recherche sur les questions linguistiques.
Le phénomène semble essentiellement attribuable à un rejet
catégorique de ce thème de la part des chercheurs praticiens
pendant toutes les années 70 et jusque vers le milieu des
années 80, période pendant laquelle le monde de la recherche
en interprétation était fortement dominé par la 'théorie du
sens' (voir Ch. 2). Pour les tenants de cette théorie, les langues
ont dans l'interprétation un rôle d'outil à vocation de transpa-
rence, et les préoccupations linguistiques relèvent de l'appren-
tissage des langues et non pas de l'interprétation proprement
dite (voir Ch. 2 et Section 2.3 du présent chapitre) ; celle-ci se
résumerait essentiellement à une analyse intellectuelle, suivie
de la production 'spontanée' d'un discours.
Cette position a fortement influé sur le statut des disciplines
linguistiques dans la recherche sur l'interprétation au sein de la
communauté des praticiens-chercheurs. En effet, les tenants
de la 'théorie du sens' refusent d'étudier au plan linguistique
les modalités de décodage et de codage. Ils postulent notam-
ment qu'à partir du moment où les langues sont maîtrisées et
le sujet et la situation connus, la compréhension ne pose
« aucun problème » en interprétation, où les ambiguïtés n'exis-
tent pas (Seleskovitch dans Seleskovitch et Lederer 1984:120,
274). La production du discours elle non plus ne pose pas de
136 DANIEL GILE

problème : « Sachant ce que nous voulons dire, nous énonçons


les pensées les plus complexes, et les mots viennent nous servir
avec une spontanéité presque totale» (Seleskovitch 1968:43)
...«Si le sens a été parfaitement saisi, l'original parfaitement
déverbalisé, les mots pour le dire arriveront aisément, du
moins en langue maternelle » (Seleskovitch et Lederer 1989:97).
Cette position théorique est, rappelons le, en contradiction
avec les connaissances linguistiques et psycholinguistiques
actuelles en matière de compréhension et de production du
discours. Elle a pu exercer un certain attrait sur des praticiens
enseignants (voir Ch. 4), mais à mesure que l'on reconnaissait
le niveau souvent insuffisant de la maîtrise linguistique chez
les étudiants admis en école d'interprétation (voir de Clarens
1973, Carroll 1978, Keiser 1978), il a bien fallu traiter le pro-
blème. Quant aux chercheurs et praticiens non enseignants, en
dehors du groupe de l'ESIT, ils ne semblent pas avoir vraiment
adhéré à l'idée de l'indépendance de l'interprétation vis-à-vis
des paramètres linguistiques si l'on en juge d'après la masse
des articles parus dans différents pays depuis les années 60.
Il n'est pas étonnant que l'étude des aspects linguistiques de
l'interprétation ait pris un certain essor depuis le milieu des
années 80, période charnière de changement de paradigme et
de montée en force d'une tendance plus pragmatique dans la
réflexion sur l'interprétation. Le présent chapitre formule quel-
ques questions et problèmes fondamentaux qui se posent à
propos des aptitudes linguistiques de l'interprète, et présente
des idées et travaux réalisés sur ce thème.

2. Les besoins linguistiques

2.1 Etendue des connaissances

L'AHC définit les langues de travail en prenant pour réfé-


rence la connaissance de la langue maternelle (AÏÏC 1982:10) :
— Les langues 'A' sont des langues maternelles ou rigoureu-
sement équivalentes à des langues maternelles.
— Les langues 'B', sans être des langues maternelles, permet-
tent aux interprètes de se faire comprendre parfaitement.
— Les langues ' C doivent être «totalement comprises» par
l'interprète.
Ces critères sont de toute évidence insuffisants, car, selon
son niveau culturel et sa catégorie socio-professionnelle, un
locuteur natif peut avoir des connaissances linguistiques varia-
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 187

bles, éventuellement inférieures par certains aspects à celles


d'un locuteur non-natif cultivé qui parle la langue concernée
avec un accent étranger et avec des fautes.
Pour préciser, D. Seleskovitch parle d'une connaissance de la
langue de travail de l'interprète comprenant entre autres une
«base de vocabulaire équivalant au minimum à celle d'un
homme cultivé dont cette langue est la langue maternelle»
(1968:136). Cette définition constitue une meilleure approxi-
mation, mais reste insuffisante. D'une part, la notion
d'«homme cultivé» est quelque peu imprécise. Elle peut par
exemple désigner une personne qui a beaucoup lu, notamment
dans les domaines littéraires et artistiques, mais qui n'a pas
nécessairement une grande connaissance des questions techni-
ques et industrielles. Or, sur le plan pratique, le lot de la majo-
rité des interprètes de conférence est de travailler pour l'essen-
tiel à des conférences industrielles, scientifiques ou techniques
où le langage littéraire et artistique n'a pas cours, mais où une
très large part du vocabulaire important est technique. D'autre
part, le vocabulaire du locuteur natif est également composé
d'éléments de vocabulaire enfantin, scolaire, familier, voire
. argotique qui n'interviennent quasiment jamais en conférence.
L'idée d'une équivalence par rapport à la langue maternelle ne
semble donc pas justifiée.
En participant à des conférences et en lisant des transcrip-
tions d'interventions, on est amené à classer le langage des
conférences en trois composantes :

a. Le langage non spécialisé


Ce langage correspond probablement à ce que D. Selesko-
vitch appelle la « base » dans la citation ci-dessus. Il englobe le
vocabulaire et les structures grammaticales non techniques
employés dans les échanges en cours de séance, par opposition
aux échanges à bâtons rompus qui interviennent pendant les
pauses et en dehors des séances de travail. A notre connais-
sance, aucune étude descriptive de ce langage n'a été réalisée
jusqu'ici. Une telle recherche, qui nécessiterait un vaste corpus
en raison de la grande diversité des conférences, demanderait
un très important travail de transcription de discours qui ne
paraît pas envisageable sans des moyens humains et financiers
considérables. D'où l'approximation de D. Seleskovitch, qui est
reprise en général par d'autres enseignants. Elle conduit à
considérer que le vocabulaire et les structures grammaticales
de base du langage non spécialisé sont celles du vocabulaire
10;j DANIEL GILE

non technique et deç structures grammaticales que l'individu


peut utiliser au cours de ses études supérieures et de sa vie
personnelle et professionnelle d'adulte dans des circonstances
plus ou moins formelles.
Compte teiiu du nombre d'entrées figurant dans les diction-
naires courants et de la proportion de termes techniques, argo-
tiques et littéraires parmi elles, le vocabulaire de ce langage
non spécialisé se situe probablement à quelques dizaines de
milliers de mots, les noms propres et les variantes désinen-
tielles n'étant pas comptés. On peut considérer aussi que ce
vocabulaire est relativement stable, en ce sens que seule une
faible proportion de ses éléments change au cours d'une car-
rière professionnelle.

b. Les langages de spécialité


Les langages de spécialité dans les conférences internatio-
nales se distinguent principalement du langage non spécialisé
par leurs termes techniques, qui se chiffrent par milliers ou
par dizaines de milliers selon le domaine, comme l'attestent les
glossaires et dictionnaires spécialisés. Certains langages de spé-
cialité comportent également des tournures et expressions par-
ticulières, mais celles-ci sont en général relativement peu nom-
breuses dans les échanges oraux par rapport à l'ordre de
grandeur du nombre des termes spécialisés.
Parmi les langages de spécialité, il en est un qui intéresse
particulièrement les interprètes de conférence travaillant pour
les organisations internationales et pour des organes législatifs
et judiciaires. Il s'agit du langage de la procédure, qui est rela-
tivement restreint dans son étendue, mais qui compte une pro-
portion élevée d'expressions et tournures particulières (par
opposition à des termes isolés).
Une caractéristique importante des langages de spécialité est
la forte évolutivité de leur vocabulaire. D'après la revue Media
et Langage (N.16, oct-nov 1982), la langue française s'enrichit
annuellement d'environ 10 000 termes dans les seuls domaines
scientifiques et techniques. L'innovation lexicale est particuliè-
rement importante dans les domaines dont traitent les confé-
rences internationales, qui sont souvent par définition à
l'avant-garde du progrès : informatique, médecine, techniques
spatiales, sciences de l'environnement, etc. L'interprète se
trouve donc aux prises avec un vocabulaire technique en
constant renouvellement.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 189

c. Le langage oratoire
Enfin, dans certains types de réunions, notamment les réu-
nions diplomatiques et politiques, mais aussi dans certaines
réunions culturelles, intervient un langage où abondent des
mots et structures linguistiques oratoires, voire littéraires.
La répartition de ces trois catégories de langage dans les
conférences est variable. Si toutes englobent une large part de
langage général non spécialisé, certaines comportent une forte
part de langage de spécialité et peu de langage oratoire, et
d'autres un langage plutôt oratoire et non spécialisé. Qui plus
est, dans les langages de spécialité, qui, cumulativement, sont
bien plus riches que le langage non spécialisé, seul un petit
sous-ensemble de spécialités est concerné à chaque confé-
rence. Il en résulte que selon leur 'marché', les interprètes peu-
vent avoir besoin de connaissances linguistiques sensiblement
différentes.

2.2 La disponibilité linguistique et le Modèle gravitationnel

Comme il est expliqué au Ch. 4, la compréhension et la pro-


duction du discours sont des opérations non automatiques;
elles nécessitent du temps et une certaine capacité de traite-
ment, qui revêtent une importance critique dans la capacité de
l'interprète d'accomplir sa tâche. En dépit des fortes intuitions
des pionniers, et notamment de J. Herbert (voir Ch. 2), la dispo-
nibilité lexicale et grammaticale n'a jamais été étudiée au
regard des besoins de l'interprétation. Les leaders du mouve-
ment de la 'théorie du sens' considéraient que :

...«après la période d'apprentissage de la langue, la langue mater-


nelle bascule dans le réflexe et devient un outil aussi immédiate-
ment et aussi naturellement disponible pour exprimer un vouloir
dire que le sont les mains pour faire des gestes, allumer une ciga-
rette ou écrire une lettre ; on réussit ces gestes sans qu'il soit néces-
saire de les guider consciemment. De même on dit ce que l'on veut
sans avoir à choisir aucun des phonèmes qui les construisent, et
l'on écrit sans avoir à guider consciemment la main dans chacun
des pleins et des déliés de l'écriture» (Seleskovitch, dans Selesko-
vitch et Lederer 1984:111).

D'autres chercheurs, tout en étant conscients de certaines


difficultés linguistiques de l'interprétation (voir Déjean Le Féal
190 DANIEL GILE

1981, Lederer 1981, Thiéry 1981), ne les ont pas associées à la


notion de disponibilité. La seule théorie existante en la matière
semble être notre Modèle gravitationnel, expliqué ci-dessous,
qui cadre bien avec le principe des modèles d'Efforts de l'inter-
prétation (Ch. 4).
La disponibilité linguistique est une mesure du temps et de
la capacité de traitement nécessaires à la compréhension d'une
structure linguistique donnée à l'écoute, et du temps et de la
capacité de traitement nécessaires à la production d'une struc-
ture linguistique donnée à partir d'une idée. En tant que telle,
elle est un important élément des besoins en temps et en capa-
cité de traitement de l'Effort d'écoute et de l'Effort de
production.
Le Modèle gravitationnel de la disponibilité linguistique est
essentiellement une représentation visuelle de la distribution
des éléments linguistiques connus d'un locuteur selon leur
degré de disponibilité dans une situation donnée et à un
moment donné. Il s'agit donc en principe d'un 'instantané'.
Notons toutefois que de même qu'un cliché photographique
instantané permet de mettre en évidence les caractéristiques
permanentes d'un visage, l'instantané gravitationnel permet
potentiellement de faire des inférences sur les caractéristiques
permanentes de l'individu qu'il représente en situation, voire
d'une population d'individus partageant des caractéristiques
similaires.
La morphologie du Modèle est celle d'un système gravita-
tionnel composé d'un Noyau central et d'Orbites sur lesquelles
'gravitent' des Eléments linguistiques, à savoir les unités lexi-
cales et les règles de 'grammaire' au sens large (Fig. 1). Le
Noyau représente les Eléments linguistiques très centraux,
dont la fréquence d'occurrence dans la vie courante du locu-
teur est si élevée qu'ils sont maintenus en permanence à un
très haut niveau de disponibilité (voir plus loin). En revanche,
les Eléments gravitant sur des Orbites ont une disponibilité
variable, représentée par la distance entre leur Orbite et le
Noyau. Plus un Elément est disponible, plus il gravite sur une
Orbite proche du Noyau. Les Orbites éloignées correspondent
à une disponibilité moindre.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 191

Figure 1 : Le modèle gravitationnel de la disponibilité linguistique

Le système gravitationnel couvre deux Zones, la Zone dite


active', où gravitent les Eléments dont le locuteur dispose
pour l'expression écrite ou orale, et la Zone dite passive', où
gravitent les Eléments que le locuteur peut comprendre, mais
qu'il n'est pas capable d'évoquer pour l'expression active. Par
commodité, la Zone passive est représentée comme limitrophe
extérieure de la Zone active. Intuitivement, cela correspond à
la tendance des Eléments passifs à devenir actifs dès qu'ils
dépassent un seuil de disponibilité, et inversement.
La dynamique du Modèle gravitationnel s'exprime en quel-
ques lois simples, mais dont les incidences pratiques sont
importantes. Les principales d'entre elles sont les suivantes
192 DANIEL GILE

(voir aussi Gile 1987). Précisons d'emblée qu'il s'agit de lois


dérivées de l'observation personnelle, qui n'ont pas encore pu
faire l'objet de vérifications systématiques :

1. La tendance centrifuge
Un Elément non stimulé tend à dériver vers l'extérieur du
système: s'il est initialement dans la Zone active, il tend à
migrer vers des Orbites de plus en plus décentrées, puis vers la
Zone passive, où il continue le cas échéant à dériver vers l'ex-
térieur jusqu'à sa disparition hors du Système.

2. L'effet centripète de la stimulation


Un Elément stimulé par son utilisation, active ou passive,
tend à devenir plus disponible, c'est-à-dire à migrer vers des
Orbites plus centrales. Il peut notamment passer de la Zone
passive à la Zone active.

3. L'effet de la fréquence de stimulation


La 'force' de l'effet centripète de la stimulation est fonction
de la fréquence de stimulation. Plus un Elément est stimulé
souvent, plus il a tendance à migrer vers le centre. Cet effet
peut d'ailleurs être considéré comme un corollaire des deux
premières lois : chaque stimulation a un effet centripète et cha-
que intervalle entre deux stimulations entraîne une migration
centrifuge ; l'augmentation de la fréquence de stimulation cor-
respond à une multiplication des poussées centripètes et à un
raccourcissement des intervalles centrifuges.

4. La force de la stimulation active


Dans l'ensemble, une stimulation active (utilisation de l'Elé-
ment par le locuteur dans l'expression active) a un effet centri-
pète plus fort qu'une stimulation passive (qui intervient quand
le locuteur lit ou entend l'Elément dans un texte ou discours
d'autrui).

5. L'effet d'accompagnement
Quand un Elément subit une poussée centripète du fait
d'une stimulation, il est accompagné, dans une mesure varia-
ble, par d'autres Eléments qui lui sont associés. Cette associa-
tion peut être morphologique, phonétique, grammaticale, gra-
phique, psychologique. Elle s'exerce aussi d'une langue à
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 193

l'autre. Elle a d'ailleurs deux effets interlinguistiques intéres-


sants. L'un, positif, rend un Elément en langue étrangère plus
disponible à la suite de la stimulation d'un Elément dans une
autre langue, qui lui est associé. L'autre, le revers de la
médaille, est l'interférence linguistique qui entrave l'expression
ou la compréhension dans une langue en raison de l'intrusion
dans le système d'un Elément associé en langue étrangère
(c'est notamment le cas des Taux amis').

Le Modèle gravitationnel peut être utilisé pour l'analyse de


l'apprentissage des langues étrangères, mais son intérêt dans le
présent contexte, qui est aussi sa véritable raison d'être, réside
dans ses applications à l'interprétation de conférence. Citons à
titre d'exemples les éléments suivants :

1. Le phénomène de la dérive centrifuge met en relief la néces-


sité d'une stimulation fréquente et régulière des langues de tra-
vail. Une langue de travail, fût-elle maternelle, se perd si elle
n'est pas stimulée. Dans ce domaine, l'improvisation est dange-
reuse. Les interprètes parlent parfois de « réflexes » qu'ils n'ont
pas quand ils n'ont pas l'habitude de travailler à partir d'une
langue donnée ou vers une langue donnée. En toute probabi-
lité, cette absence de «réflexes» correspond, partiellement au
moins, à une disponibihté insuffisante des Eléments pertinents.
2. Etant donné les contraintes que subit l'interprète en matière
de capacité de traitement, il apparaît que seules les parties les
plus disponibles des Zones active et passive sont utilisables
chez lui, par opposition à la totalité du système chez le traduc-
teur. Il s'agit donc pour l'interprète de disposer dans ses lan-
gues actives d'une partie très disponible suffisamment riche
dans sa Zone active pour couvrir les besoins. En revanche, il
devra éviter d'aller chercher pour s'exprimer des Eléments peu
disponibles, surtout dans une langue non maternelle, car le
coût de leur emploi en temps et en capacité de traitement ris-
que de le conduire à une saturation ou à un déficit individuel
des Efforts, et donc à une défaillance.
Dans la durée, avec la stimulation répétée d'une partie limi-
tée de son vocabulaire, l'interprète finit peut-être par présenter
un aspect typique et bipolarisé de la Zone active, où certains
éléments sont aussi disponibles que chez un locuteur natif, et
d'autres le sont nettement moins que chez un tel locuteur,
avec une pauvreté relative des Orbites intermédiaires.
194 DANIEL GILE

3. Avec le Modèle gravitationnel, la distinction entre langues


actives et langues passives prend également un sens fonction-
nel. La langue active doit être stimulée en permanence pour
rester suffisamment disponible dans ses composantes perti-
nentes. Quant à la langue passive, elle doit être comprise rapi-
dement et facilement, mais ne nécessite pas une grande dispo-
nibilité active. Sa stimulation peut donc être passive. Certains
interprètes pensent d'ailleurs (Déjean Le Féal 1978) que les
interférences sont plus importantes entre deux langues actives
qu'entre langues actives et langues passives. 11 apparaîtrait
donc préférable, pour l'entretien des langues passives, de se
contenter d'une stimulation passive, en évitant la stimulation
active.

Au-delà de l'aspect qualitatif de la disponibilité des langues


de travail, le Modèle gravitationnel fait apparaître l'intérêt
potentiel d'une analyse quantitative de la disponibilité. En effet,
si l'on observe par exemple que la migration centripète peut
être relativement rapide, parfois quasiment immédiate en
situation de conférence pour certains termes techniques, et
que la dérive centrifuge ne devient généralement manifeste
qu'après plusieurs semaines, plusieurs mois ou plusieurs
années d'absence de stimulation, une évaluation quantitative
précise et concrète de la disponibilité et de la dynamique gravi-
tationnelle serait intéressante. Quels sont concrètement les
seuils de disponibilité utiles ? À partir de quel moment les
dérives centrifuges ont-elles une incidence sensible sur l'inter-
prétation ? Quelles sont les formes et les fréquences de stimu-
lation qui produisent les meilleurs effets ? Quelle est la vérita-
ble différence d'efficacité entre la stimulation active et la
stimulation passive? Il apparaît malheureusement difficile de
répondre à ces questions. En effet, si la rapidité de la compré-
hension ou de l'évocation d'un mot, ou encore de la construc-
tion d'une phrase hors contexte peuvent être mesurées en
laboratoire, en situation d'interprétation, la situation, le
contexte et les interrelations entre la langue passive et la lan-
gue active se conjuguent pour rendre des mesures véritable-
ment révélatrices des mécanismes réels extrêmement difficiles
à réaliser.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 195

2.3 La robustesse de la maîtrise linguistique

Outre l'existence même des Eléments linguistiques dans le


Système gravitationnel de l'interprète et une disponibilité suffi-
sante pour ses besoins, se pose le problème de la robustesse de
sa maîtrise des langues de travail, et surtout de la langue
active, face aux contraintes de l'interprétation. Ces contraintes
sont essentiellement :
— le manque de capacité de traitement résultant de la simul-
tanéité des trois efforts
— le stress accompagnant la fatigue, le 'trac' et la difficulté
d'aborder des domaines de connaissance peu connus de l'inter-
prète, parfois avec très peu de préparation
— en interprétation simultanée, le traitement simultané de la
langue de départ et de la langue d'arrivée.
Par robustesse, nous entendons ici le maintien de la disponi-
bilité des Eléments linguistiques, ainsi que la résistance aux
interférences linguistiques face à ces contraintes. On constate
en effet chez les étudiants, et même chez certains profession-
nels, un affaiblissement de la capacité d'expression dans les
langues actives en cours d'interprétation, et notamment en
simultanée, par rapport à l'expression libre.
Une seule étude empirique a été réalisée sur cette question
(Gile 1987). Il s'agit de la comparaison des fautes et mala-
dresses survenues lors de trois types d'exercices réalisés par
des étudiants en première année d'interprétation à l'ESIT (voir
Ch. 4). Les erreurs et maladresses relevées étaient les moins
nombreuses dans les exposés et les plus nombreuses en simul-
tanée, la consécutive prenant une place intermédiaire.
Notons que cette étude n'a mesuré que les erreurs et mala-
dresses, c'est-à-dire des manifestations claires de l'effet des
contraintes de l'interprétation sur la performance. D'autres
effets peuvent se traduire par une régression de la disponibilité
ou par un rétrécissement du champ des Eléments disponibles à
différents niveaux de disponibilité; ces phénomènes ne sont
pas faciles à détecter. Ils peuvent aboutir à une richesse ou à
une élégance moindre de la prestation, ou à des dépenses
accrues en temps de recherche et en capacité de traitement,
qui peuvent se manifester par des défaillances plus nom-
breuses dont l'origine linguistique est difficile à déterminer.
Etant donné l'importance de la question, une quantification
serait là aussi souhaitable afin que l'on puisse sélectionner des
candidats plus résistants' s'il en existe et éviter des échecs pré-
visibles, et éventuellement afin que l'on puisse mettre au point
196 DANIEL GILE

des stratégies, tactiques et méthodes de formation pour amé-


liorer la robustesse de l'outil linguistique chez les interprètes.

2.4 Le perfectionnement linguistique

Sur le plan pratique, les exigences linguistiques sont donc


particulièrement sévères. Or, on ne dispose pas de tests per-
mettant de mesurer les différents aspects du niveau linguisti-
que des candidats à l'école d'interprétation avec une précision
suffisante. Cette imprécision est probablement l'une des princi-
pales causes d'échec chez de nombreux candidats admis dans
les écoles. H importe donc de mettre au point des tests suffi-
samment performants. Il serait également intéressant de met-
tre au point des méthodes de perfectionnement linguistique
susceptibles de conduire les candidats rapidement et efficace-
ment à un niveau adéquat. En effet, du fait de la baisse très
rapide de la fréquence des mots dans la masse naturelle' du
discours en fonction inverse de leur rang de fréquence, l'im-
mersion linguistique simple paraît peu efficace pour le perfec-
tionnement linguistique à un niveau élevé (voir Gile 1994), et
des méthodes plus structurées s'imposent.
A ces fins, U convient aussi d'affiner l'étude lexicométrique
des langues (le problème est moins critique sur le plan gram-
matical), et d'étudier la progression des locuteurs étrangers
dans l'apprentissage selon différentes méthodes. A l'heure
actuelle, au-delà des conseils intuitifs et personnels (voir par
exemple Déjean Le Féal 1976), il semble n'y avoir qu'une seule
étude de cas sur ce sujet, réalisée avec le japonais au cours
d'une période d'auto-perfectionnement d'un an (Gile 1988a).

3. La spécificité de l'interprétation par langues

3.1 Introduction

Comme il est expliqué au début de ce chapitre, certains thé-


oriciens de l'interprétation considèrent celle-ci comme une
activité mentale qui, si les langues de travail sont bien
connues, transcende la langue et s'en affranchit à travers la
«déverbalisation» (Seleskovitch 1975). Reprenant à leur
compte l'affirmation de Jakobson (1959) selon laquelle «ail
cognitive expérience and its classification is conveyable in any
existing language», ils en déduisent que «tout ce qui est dit
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 197

dans une langue est exprimable dans une autre » (à condition


que les deux langues appartiennent à des civilisations ayant
atteint un degré de développement comparable, ajoute D.
Seleskovitch, 1968:144), et en tirent la conclusion que «tout
est traduisible ».
En se fondant sur leur expérience personnelle de l'interpréta-
tion, ces praticiens-chercheurs nient la spécificité de la traduc-
tion par langues :

«Les praticiens ne remarquent que très rarement les différences


inter-linguistiques quand ils interprètent, car quelles que soient les
différences entre langue de départ et langue d'arrivée, ils n'éprou-
vent aucun mal à formuler les idées de l'orateur dans leur langue
maternelle, à condition que ces idées soient claires et qu'ils connais-
sent bien la langue de départ » (Seleskovitch 1977).

Les porte-parole de la thèse de la non spécificité affirment


que la compréhension du discours est la même en interpréta-
tion que dans les conditions habituelles d'échanges oraux, et
qu'elle est la même dans toutes les langues (Lederer 1981a). Ils
rejettent notamment l'impression d'une difficulté accrue de
l'interprétation à partir de l'allemand vers le français comme
une illusion attribuable à une insuffisante maîtrise de cette lan-
gue de départ (Seleskovitch dans Seleskovitch et Lederer
1984:193; voir aussi Lederer, pp. 148-149, dans le même
ouvrage) :

' « Vu sous l'angle du processus, il serait absurde d'affirmer que l'al-


lemand ne peut être compris aussi vite que le français parce qu'il a
des emboîtements syntaxiques ou parce qu'il place le verbe ou la
négation en fin de phrase; c'est une connaissance de l'allemand et
non de syntaxe ».

D. Seleskovitch affirme aussi (dans Seleskovitch et Lederer


1989:137) que:

«L'interprète français qui comprend l'allemand aussi bien qu'un


Allemand n'aura pas plus de problèmes à interpréter à partir de
cette langue qu'à partir d'une langue plus proche »

Cette argumentation apparaît défendable face à des inter-


prètes débutants ou non compétents, mais est difficile à soute-
nir devant les déclarations contraires d'interprètes chevronnés
germanophones. On notera par ailleurs que si M. Lederer
m DANIEL GILE

(1981a: 257-259) et d'autres montrent de manière assez


convaincante que la difficulté posée par la position finale du
verbe dans la phrase allemande peut être illusoire du fait des
capacités d'anticipation de l'interprète, D. Seleskovitch recon-
naît implicitement une certaine spécificité linguistique à l'inter-
prétation en préconisant dans la consécutive un apprentissage
de la structuration des notes en fonction de la langue d'arrivée
(1981:40),
En tout état de cause, la thèse de la non spécificité est loin
d'être partagée par tous les praticiens. Les tenants européens
de la thèse contraire opposent eux aussi dans leurs publica-
tions l'exemple de l'allemand (Ilg 1978, Wilss 1978, Le Ny 1978,
Kurz 1983, Strolz 1992). Pour les auteurs japonais, la spécificité
linguistique de l'interprétation semble évidente, et ils en pré-
sentent les conséquences présumées sans même engager le
débat sur la question (Fukuii et Asano 1961, Kunihiro, Nis-
hiyama et Kanayama 1969).
La question n'est pas sans importance, et a des corollaires
immédiats en matière d'enseignement. Si l'interprétation est
spécifique par langues, les spécificités doivent être explorées,
pour mieux armer à terme les étudiants de stratégies et de tac-
tiques précises face aux difficultés qui se poseront dans la pra-
tique (voir par exemple Pinhas 1976). Dans le cas contraire,
l'enseignement unilingue de l'interprétation (voir Feldweg 1980
et Gile 1983a) pourrait être développé, et le transfert inter-
linguistique des compétences présenterait des possibilités inté-
ressantes dans la formation pour les langues rares ou les lan-
gues non connues des enseignants.
La présente section passe en revue les spécificités théoriques
de l'interprétation par langues. Elle évoque les différences
potentielles dans la compréhension du discours, puis dans la
production du discours, et enfin dans les conditions de la
simultanée, en prenant notamment comme illustration l'exem-
ple du japonais. Cette dernière langue, peu exploitée jusqu'à
présent dans les analyses, présente des caractéristiques mar-
quées et intéressantes que partagent peut-être d'autres langues
de manière moins visible. L'étude de son cas peut conduire à
reconsidérer les idées nées de la seule étude des langues occi-
dentales et à formuler de nouvelles hypothèses.

3.2 Différences potentielles dans la compréhension du discours

La compréhension du discours en condition d'interprétation


R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 199

correspond-elle vraiment à celle qui intervient dans la vie quo-


tidienne comme l'affirment M. Lederer et d'autres ? On rappel-
lera en premier lieu qu'en conférence, les connaissances extra-
linguistiques, qui interviennent dans la compréhension des
énoncés verbaux, ne sont pas les mêmes chez l'interprète et
chez les destinataires du discours. Par ailleurs, les contraintes
d'écoute auxquelles est soumis l'interprète sont bien plus
lourdes puisque, ne pouvant se concentrer sur les seuls points
du discours qui l'intéressent, il est obligé de tout comprendre
dans une mesure suffisante pour pouvoir restituer le message
en langue d'arrivée. Enfin, son écoute se déroule dans des
conditions de partage de l'attention particulièrement ardues
qui ne se rencontrent pas usuellement dans la vie quotidienne
(Ch. 4). Il nous semble plausible que ces différences appellent
des stratégies et tactiques d'écoute et de compréhension qui
diffèrent quantitativement, voire qualitativement, de celles de
l'auditeur ordinaire, et qui dépendent peut-être en partie de la
langue concernée. Par ailleurs, il n'est pas exclu non plus que
même dans l'écoute ordinaire, le poids relatif des stratégies et
tactiques diffère selon la langue.

3.2.1 Les mots

Parmi les éléments linguistiques susceptibles d'affecter la


compréhension du discours figurent les caractéristiques mor-
phologiques et phonétiques des unités lexicales, mots gramma-
ticaux ou mots pleins'. Comme il est signalé au Ch. 4, les mots
courts sont, du fait de leur faible redondance interne, plus vul-
nérables que d'autres au bruit et aux baisses d'attention. Si la
redondance externe', découlant du contexte et de la situation,
rétablit peut-être une certaine robustesse en situation de com-
munication ordinaire, il est fort possible que les différences
entre les langues là-dessus aient davantage d'impact dans la
situation d'interprétation du fait des conditions particulières
dans lesquelles elle se déroule, notamment en simultanée.
Citons à titre d'exemple les mots du chinois, ou encore les
kango en japonais : il s'agit de mots composés de la juxtaposi-
tion de plusieurs caractères chinois et prononcés a la chinoise'.
Etant donné l'absence presque totale des tons en japonais et le
faible nombre de phonèmes distincts dans cette langue, les
homophones et quasi-homophones japonais sont très nom-
breux. Dans un petit dictionnaire umlingue japonais de quel-
que 60 000 entrées, 36,4 96 des entrées ont des homophones,
200 DANIEL GILE

contre 11,6 96 des entrées en chinois dans un dictionnaire du


même type (Hayashi 1982:132). Dans les langues occidentales,
la proportion des homophonies est pour ainsi dire négligeable,
comme on peut le constater en feuilletant les dictionnaires de
langue. Les homophonies sont souvent mentionnées par les
Japonais eux-mêmes comme des obstacles à la compréhension
à 1 écoute (Ikeda 1982:654, Iwabuchi 1977:84, Kanno
1978:71, Kindaichi 1957:113, Oide 1965:81-82). Les inter-
prètes citent souvent eux aussi de tels problèmes dans leurs
écrits (voir par exemple Kuiiihiro, Nishiyama et Kanayama
1969, Kurita 1975, Muramatsu 1978, 1979). Dans certains livres
de japonais, on trouve même des listes d'homophones courants
posant des problèmes d'ambiguité en contexte; Ikeda
(1982:698-708) en énumère quelque quatre cents.
Dans une étude sur la question, D. Gile (1986e) a interrogé
des Japonais et des Occidentaux, interprètes et non-interprètes,
sur la fréquence des problèmes posés à l'écoute par des homo-
phones. Les réponses ont fait apparaître une fréquence plus
élevée en japonais que dans les langues occidentales. Au cours
de la même étude, Gile a fait lire à un locuteur natif devant
des étudiants japonais plusieurs séries de kango ayant des
homophones. Dans cette expérience, le plus souvent, les kango
entendus hors contexte n'étaient pas reconnus de manière uni-
voque comme des binômes mot-sens: soit ils n'ont évoqué
aucun sens dans l'esprit de l'auditeur, soit ils en ont évoqué
plusieurs, sans qu'il fût possible de les départager sans recours
au contexte. Du fait que les homophones et les problèmes qui
y sont associés sont nettement moins nombreux dans les lan-
gues occidentales, ces résultats sont compatibles avec l'idée
d'une spécificité de l'interprétation par langues dans la compo-
sante lexicale.

3.2.2 Les redondances grammaticales

Dans la théorie de l'information, le concept de redondance


joue un rôle important. Il s'applique à une 'information' qui
n'en est pas une car son contenu figure déjà ailleurs dans le
signal. La redondance est néanmoins utile, car elle renforce la
probabilité de réception de l'information. En effet, elle donne
au récepteur une 'deuxième chance' de capter une information
perdue en raison d'une défaillance momentanée du système ou
d'un 'bruit' (autre perturbation du signal ou des conditions de
sa réception).
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 201

En interprétation, étant donné la fréquence élevée des


'déclencheurs' et des saturations et déficits individuels qu'ils
peuvent engendrer (voir Ch. 4), la redondance prend une
importance particulière. D'une part, elle donne à l'interprète
cette 'deuxième chance'; d'autre part, elle réduit la densité
informationnelle du discours, et par là les besoins en capacité
de traitement.
Une partie de la redondance intervenant dans le discours
dépend du 'style' personnel du locuteur et du contexte qu'il y
introduit. Toutefois, les redondances grammaticales, qui relè-
vent des 'informations induites par les contraintes linguistiques'
(voir Ch. 5), peuvent elles aussi avoir une importance. considé-
rable.
Les redondances grammaticales se manifestent essentielle-
ment par les désinences (conjugaisons, déclinaisons et accords)
et par les mots outils (articles, conjonctions, prépositions, pro-
noms, particules etc.), qui peuvent réitérer une information
également donnée par d'autres élément du discours («NOUS
commençONS, LA nouvELLE méthode, LES animAUX, etc.).
Dans cette optique, on est fondé à se demander s'il n'existe
pas davantage de redondances phonétiquement détectables
dans certaines langues que dans d'autres. Si une différence
régulière et importante n'apparaît pas immédiatement entre les
langues occidentales les plus utilisées en interprétation (anglais,
français, allemand, espagnol), elle est très nette quand on com-
pare ces langues avec le chinois ou le japonais. En japonais, il
n'existe pas de déclinaisons, pas d'accords, les désinences ver-
bales y sont peu nombreuses, les articles et pronoms relatifs y
sont inconnus, sans que d'autres éléments grammaticaux vien-
nent donner les mêmes renseignements. La redondance pro-
prement grammaticale du japonais semble bien être inférieure
à celle des langues occidentales.

3.2.3 Les structures de phrases

Par ailleurs, il semblerait que certaines structures de phrases


facilitent la compréhension en augmentant la puissance d'anti-
cipation du récepteur (lecteur ou auditeur), et que d'autres,
telles l'enchâssement, y fassent obstacle, notamment en raison
des besoins accrus en capacité de mémoire à court terme
qu'elles impliquent (Richaudeau 1973, 1981). Or, les enchâsse-
ments sont plus ou moins fréquents selon les langues. Ils le
202 DANIEL GILE

sont plus particulièrement dans celles où le déterminant pré-


cède le déterrniné, comme le japonais.
En revanche, toujours en japonais, les fins de phrase sont
souvent linguistiquement prévisibles, en ce sens qu'elles corres-
pondent à des formules d'atténuation, de politesse ou de clô-
ture grammaticale de la phrase annoncées par des 'prédicteurs'
linguistiques. Au-delà de ces prédicteurs, les fins de phrase qui
ne comportent aucune information nouvelle peuvent s'étaler
sur de nombreuses syllabes : dans une étude de Gile (1992b),
46 % des phrases dans un corpus de 23 discours japonais
authentiques se sont avéré avoir des fins de phrase prévisibles
d'au moins 5 syllabes, et 9 % avaient des fins de phrase prévisi-
bles d'au moins 8 syllabes. Dans un échantillon de 12 discours
français et 10 discours anglais, ces fins de phrase étaient
inexistantes. Dans un échantillon de 6 discours allemands, des
fins de phrase prévisibles pour raison grammaticale ont été
observées sur 12 96 des phrases. Toutes avaient une longueur
inférieure ou égale à 5 syllabes et se composaient de verbes et
de combinaisons de verbes. Compte tenu du débit moyen
d elocution, qui est généralement considéré comme étant de
l'ordre de 5 ou 6 syllabes par seconde (100 à 250 mots par
minute), le répit ainsi donné à l'interprète travaillant à partir
du japonais, qui s'étend souvent de une à trois secondes en
comptant les pauses d'hésitation, constitue potentiellement un
moment privilégié pour rattraper un retard dans la prise de
notes en consécutive ou dans la production en simultanée. En
outre, il est fort possible que sur un plan plus 'mécanique',
l'anticipation permette de réduire sensiblement les risques de
saturation en capacité de traitement et de déficit individuel
(voir Ch. 4).
Sur ce plan précis, les différences de structures permettent
peut-être des stratégies et tactiques différentes. Il est vrai que
l'anticipation du discours est en partie indépendante de la lan-
gue. Ainsi, on peut anticiper la réaction affective d'un orateur
à une remarque qui lui a été faite, sa position de principe sur
différents points, sa stratégie discursive et jusqu'à l'articulation
logique de son discours. Cependant, l'anticipation à dominante
linguistique est elle aussi très importante, comme il est montré
dans l'étude de Gile précitée. Dans le corpus étudié, seules des
formules du type «Merci Monsieur le Président» ont pu per-
mettre l'anticipation de la fin de phrase en français et en
anglais. C'est là que prennent toute leur signification les fins de
phrase prévisibles en japonais.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 203

3.2.4 Eléments culturels

La langue reflète aussi des comportements culturels qui sont


susceptibles de faciliter, ou au contraire de rendre plus difficile
la compréhension du discours pour l'interprète. Dans ce
contexte, on évoquera une fois de plus le japonais, qui
contraste dans son usage en communication avec les langues
occidentales. Selon de nombreux auteurs japonais, les Nippons
répugnent à prendre des responsabilités individuellement, ou à
exprimer des opinions de manière trop claire ou tranchée.
Parmi les nombreux ouvrages analysant les comportements
culturels japonais, signalons deux textes intéressant plus parti-
culièrement la traduction et l'interprétation, Condon et Saito
1974, et le numéro spécial de Meta 33/1(1988) sur la traduction
et l'interprétation au Japon. Dans le discours des Japonais, on
trouve de fréquentes formes atténuatives, qui peuvent expri-
mer aussi bien une atténuation de forme ou de politesse qu'un
doute réel, sans que l'on puisse distinguer les deux, ainsi que
des articulations logiques peu explicites, et plus généralement
des phrases linguistiquement ou informationnellement ellipti-
ques. En effet, dans la tradition japonaise, la communication
interpersonnelle doit pouvoir se réaliser sans qu'interviennent
les mots (voir Hara 1988, Kondo 1988, Mizutani 1985). En
outre, les Japonais font preuve d'une très grande liberté dans
l'emploi de leur langue, que ce soit sur le plan lexical ou sur le
plan grammatical (voir Gile 1988d).
Ces manifestations linguistiques très connues des caractéris-
tiques culturelles des Japonais sont abondamment commen-
tées par les Japonais eux-mêmes, et notamment par des inter-
prètes. Si, aux dires des Japonais, elles rendent parfois difficile
la compréhension pour des auditeurs en situation ordinaire, il
est probable qu'elles ont des effets plus importants encore sur
la compréhension chez les interprètes en conférence, et ce en
raison de l'infériorité de leurs connaissances extra-linguistiques
pertinentes par rapport à celles des délégués.

3.3 Différences potentielles dans la production du discours

Ces différences concernent essentiellement la souplesse de


construction de l'énoncé en langue d'arrivée, ainsi que la lar-
204 DANIEL GILE

geur de la gamme des choix possibles à chaque articulation .de


la production.
Au niveau lexical, on peut parler d'un usage plus ou moins
souple selon les langues. Si cet usage est relativement précis en
français, il lest très peu en japonais (voir Gile 1988d), et
appelle peut-être un niveau d'effort différent dans révocation
lexicale.
La richesse lexicale de la langue peut avoir elle aussi une
certaine importance dans la production du discours, car elle
détermine en partie les efforts requis pour le choix lexical.
Quand les champs sémantiques ne concordent pas dans la lan-
gue de départ et dans la langue d'arrivée, on peut supposer un
effort de prise de décisions accru, et éventuellement un effort
supplémentaire d'explication ou de paraphrase.
La souplesse grammaticale dune langue peut elle aussi
influer éventuellement sur la difficulté de production des
énoncés. La question est de savoir dans quelle mesure chaque
choix grammatical ou lexical dans une phrase restreint les
choix suivants. L'allemand et le français, par exemple, présen-
tent dans l'ensemble une succession de choix de plus en plus
limités. En japonais, en revanche, il peut y avoir des échappa-
toires' par rapport à la direction prise initialement, et ce jus-
qu'en fin de phrase.
La possibilité plus ou moins grande de construire la phrase
en langue d'arrivée à partir d'éléments d'information recueillis
dans le discours en langue de départ sans s'engager dans une
direction précise facilite potentiellement l'Effort de production,
ainsi d'ailleurs que l'Effort de mémoire, puisque l'interprète
peut garder en mémoire à court terme une quantité d'informa-
tion plus faible en moyenne que celle qu'il doit engranger
quand il travaille vers une langue à constructions plus rigides.
Un autre élément pertinent est la longueur relative des énon-
cés pour une information donnée. Que ce soit en raison de la
longueur des mots ou des structures linguistiques condition-
nées par la grammaire, à contenu informationnel et communi-
cationnel équivalent, les phrases dans une langue peuvent
avoir une longueur habituellement supérieure ou inférieure
aux phrases dans une autre langue. A titre d'exemple, les Japo-
nais considèrent que le japonais est plus long' que l'anglais
(Fukuii et Asano 1961), et le chinois est probablement plus
court' que la plupart des autres langues. Cette différence peut
rendre la production plus difficile dans la langue longue', ne
serait-ce que par le simple effort articulatoire et sa durée supé-
rieure dans les langues les plus longues', car elle peut avoir
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 205

des incidences sur la charge de la mémoire à court-terme de


l'interprète (Ch. 4).

3.4 Les différences entre langue de départ et langue d'arrivée

Ce dernier élément appelle l'évocation d'un autre aspect des


spécificités linguistiques potentielles de l'interprétation, à savoir
les différences entre la langue de départ et la langue d'arrivée.
Outre les différences dans la longueur moyenne des énoncés
dans les langues concernées, on peut mentionner les éléments
suivants :

— L'écart lexical entre langue de départ et langue d'arrivée :


Cet écart peut être morphologique. Il tient alors principale-
ment à l'existence ou l'absence de racines lexicales communes.
Ainsi, les langues latines, les langues germaniques, et de
manière générale, une grande partie des langues occidentales
partagent de nombreuses racines gréco-latines qui diffèrent
des racines des langues asiatiques. Quand les deux langues
concernées dans une opération d'interprétation sont morpholo-
giquement proches, les interprètes ont probablement davan-
tage de facilité à comprendre le vocabulaire en langue de
départ, même s'il est technique et relativement rare, et à évo-
quer les termes correspondants en langue d'arrivée.
La topographie sémantique des deux langues en présence
peut également être plus ou moins proche, en ce sens que les
champs sémantiques s'assemblent et se décomposent de
manière plus ou moins similaire. Dans certains cas, le 'décou-
page' de la réalité par les deux langues est proche et permet
l'évocation du sens d'un mot ou d'une expression par un mot
ou une expression correspondants ; dans d'autres, les diffé-
rences dans les 'découpages' oblige l'interprète à prendre des
décisions d'approximation, qui lui coûtent peut-être davantage
de temps et de capacité de traitement.

— Les différences grammaticales entre les deux langues :


Sur le plan grammatical, les similitudes permettent de pro-
duire des phrases présentant les informations dans un ordre
similaire, alors que d'éventuelles différences obligent l'inter-
prète à une gymnastique mentale qui modifie l'ordre des infor-
mations dans la langue d'arrivée et qui suppose un plus grand
Effort de mémoire à court terme. Un cas particulier de ce pro-
blème est celui des noms propres dits composés' (voir Ch. 4).
206 DANIEL GILE

Il convient toutefois de préciser que si les similitudes entre


langue de départ et langue d'arrivée sont susceptibles de facili-
ter la production ou de réduire l'Effort de mémoire à court
terme, elles peuvent aussi favoriser le psittacisme et aggraver
le risque d'interférences linguistiques (voir Fusco 1990).
Soulignons enfin que pour le moment, ces considérations
restent théoriques. Si de nombreux auteurs les mentionnent
sur une base intuitive ou anecdotique, rares sont les études qui
ont mesuré les effets des différences interlinguistiques sur
l'interprétation.
Le travail le plus vaste réalisé dans ce contexte est probable-
ment celui de Heidemarie Salevsky (1983), de Berlin, qui a fait
interpréter en allemand 35 textes lus représentant quelque 200
pages et une dizaine d'heures de transcriptions d'interventions
russes faites à l'ONU, pour y étudier différentes structures
russes ainsi que les structures utilisables pour leur restitution
en allemand. Notons que l'étude est restée théorique, et que
l'effet réel des différences entre les deux langues sur l'interpré-
tation sur le terrain n'a pas été examiné.
A Trieste, Chiara Russo (1990) a étudié expérimentalement
l'effet des différences syntaxiques hispano-italiennes sur l'inter-
prétation simultanée de l'espagnol vers l'italien chez 6 inter-
prètes professionnels, et a trouvé que certaines structures
posaient des problèmes qui se traduisaient par des faiblesses
dans la version italienne du discours.
Toujours à Trieste, Anna Giambagli (1990) a montré que les
transformations syntaxiques opérées en consécutive pour le
passage en italien sont plus nombreuses et plus complexes
quand l'interprétation se fait à partir de l'anglais que lorsque la
langue de départ est le français.
En Australie, H . Uchiyama (1992) a étudié quelques transfor-
mations syntaxiques nécessaires dans l'interprétation japonais-
anglais, et P. Davidson (1992) a examiné la segmentation d'un
discours japonais lors de son interprétation vers l'anglais par
des étudiants.
Ces travaux restent anecdotiques, mais à terme, leur multi-
plication devrait permettre de parvenir à une image plus claire
de l'effet réel des différences syntaxiques entre langue de
départ et langue d'arrivée sur les performances de l'interprète.
Chapitre 9

La recherche en interprétation :
données et stratégies

1. De la réflexion spéculative à la recherche empirique

1.1 Introduction

Les chapitres précédents font apparaître le caractère intuitif,


réflexif ou théorique de l'essentiel de la recherche réalisée jus-
qu'ici en interprétation. E n 1969, Ingrid Pinter soulignait dans
sa thèse que les affirmations de, ses collègues praticiens sur
l'aptitude à l'interprétation se fondaient exclusivement sur des
descriptions et observations générales, qui reposaient sur l'ex-
périence personnelle de leurs auteurs et qui n'avaient aucun
poids scientifique. Dix ans plus tard, dans son mémoire de
M A , la Canadienne Linda Anderson (1979) se référait à une
affirmation de Hannah (1966) selon laquelle les interprètes
pouvaient fonctionner de manière effective avec 60% de la
teneur du discours de l'orateur, et observait que les publica-
tions sur l'interprétation abondaient en affirmations du même
type sur la manière dont l'interprète arrive à faire son travail
et sur les conditions favorisant ou constituant obstacle à la
réalisation de sa tâche ; d'après Anderson, ces affirmations
semblaient fondées intuitivement, mais restaient en grande
partie non vérifiées' expérimentalement (1979:3). Dans un
autre mémoire de M A , Catherine Stenzl de Londres (1983)
met en exergue l'absence d'observations et de descriptions sys-
tématiques de l'interprétation telle qu'elle se pratique, par
opposition à des réflexions « spéculatives ». Elle note qu'il est
passionnant de se livrer à des spéculations sur les processus
mentaux qu'implique l'interprétation, mais souligne que ces
208 DANIEL GILE

spéculations ne peuvent que soulever des questions. Pour y


répondre, i l faudrait une base de faits plutôt que des hypo-
thèses. Avant de pouvoir mettre au point des modèles un tant
soit peu solides du processus d'interprétation dans son ensem-
ble, i l faudrait disposer de modèles validés empiriquement de
la compréhension et de la production du discours, ainsi que de
la mémoire des discours (p. 47).

1.2 La réflexion spéculative dans la recherche sur l'interpré-


tation

En fait, si la « littérature » sur l'interprétation comporte un


grand nombre de textes de réflexion, à l'exception des études
expérimentales des années 60 et du début des années 70, ainsi
que d'un petit effort depuis la fin des années 80, elle ne rend
compte que de très peu d'efforts d'investigation répondant à la
« démarche scientifique ». Il suffit pour s'en convaincre de
l'examiner au regard des deux critères suivants, qui se retrou-
vent dans la plupart sinon dans tous les ouvrages consacrés
aux méthodes de recherche dans les disciplines scientifiques :

1. L a recherche scientifique se fonde essentiellement sur des


faits : « le progrès scientifique vient d'abord de l'accroissement
du nombre des faits donnés, de l'accroissement du stock d'ob-
servations sur lequel l'hypothèse peut prendre appui » (Fouras-
tié 1966:115).
On ne niera pas que les réflexions des interprètes ont à leur
source des faits, mais, comme le soulignent Ingrid Pinter,
Linda Anderson, Catherine Stenzl et bien d'autres, ces faits
n'ont pas été recueillis dans le cadre d'une démarche systéma-
tique, puis vérifiés et évalués. Il s'agit plutôt d'observations
faites au hasard des conférences, non notées, puis filtrées et
interprétées en fonction des souvenirs et opinions de chacun,
sans procédure de vérification. Une partie non négligeable des
idées qui se sont cristallisées à travers ces processus pourraient
relever du « terrorisme trompeur des faits et phénomènes four-
nis par l'expérience immédiate... l'empirisme naïf que le nouvel
esprit scientifique a finalement reconnu comme l'un des obsta-
cles les plus redoutables qu'il ait dû surmonter dans le champ
des sciences du vingtième siècle » (Peraldi 1982 : 10).

2. Dans la recherche scientifique, les méthodes et raisonne-


ments doivent être explicités pour le lecteur ou auditeur (selon
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 209

que le rapport est écrit ou oral), afin que celui-ci puisse les
évaluer, notamment au regard de leur validité et de leur fiabi-
lité, et procéder éventuellement à des replications d expé-
riences pour en vérifier les résultats. Pour certains scientifi-
ques, «le critère de la valeur scientifique d'une méthode
restera nécessairement le caractère contrôlable des résultats
qu'elle fournit » (Reuchlin 1969 :35).
Or, dans la plupart des textes sur l'interprétation, les
méthodes et données sur lesquelles se fondent les idées expri-
mées ne sont pas explicitées. Ainsi, Catherine Stenzl (1983 :47)
explique que dans son livre, M. Lederer (1981) ne reproduit pas
l'ensemble des discours en langue d'arrivée de son corpus et
ne donne que peu d'informations fondées sur le corpus dans
son ensemble ; i l en résulte l'impossibilité d'évaluer la représen-
tativité des passages dont elle parle.
Quelques exemples ' récents de cette caractéristique des
textes sur l'interprétation peuvent être trouvés dans un
ouvrage collectif de D. Seleskovitch et M . Lederer (1989), où
les deux auteurs affirment notamment que « scientifiquement
le cas est clair : dans tous les secteurs du langage on comprend
plus qu'on ne peut exprimer... Dans une langue étrangère
aussi, on peut comprendre beaucoup plus qu'on ne peut expri-
mer» (p. 135). On se demandera pourquoi «le cas » est si clair.
On peut aussi contester l'affirmation sur la base de l'observa-
tion des apprenants de langues étrangères qui arrivent à expri-
mer un message en choisissant les mots et les structures qu'ils
connaissent, alors qu'ils ne comprennent pas le m ê m e message
formulé par un locuteur natif avec des mots et des structures
choisis par lui et qu'ils connaissent mal ou ne connaissent pas.
D. Seleskovitch et M. Lederer n'expliquent d'ailleurs pas d'où
vient leur certitude « scientifique », et ne citent aucune étude et
aucun auteur à l'appui de leur affirmation.
Autre exemple, à la fin du même livre, elles écrivent :

« Nous avons p r é s e n t é dans cet ouvrage les principes et les


m é t h o d e s qui constituent les fondements raisonnes de l'enseigne-
ment de l'interprétation ; ... ces principes et ces m é t h o d e s ont subi
le test irréfutable de la vérification empirique ; leur validité est
attestée par la réussite des nombreux interprètes qui ont été for-
m é s à les appliquer et qui sont aujourd'hui au tout premier rang de
leur profession » (p. 265).

Là aussi, aucun détail n'est donné sur le « test irréfutable de


la vérification empirique », et i l est impossible à un • lecteur de
210 DANIEL GILE

réaliser une replication de la démarche qui a conduit D. Seles-


kovitch et M . Lederer à leur conclusion.
Enfin, dans la version publiée de la thèse de doctorat d'Etat
de D. Seleskovitch (1975), différentes affirmations sont faites,
dont l'idée selon laquelle

«... les orateurs qui formulent très rapidement ne gênent pas les
interprètes, car un orateur rapide r é p è t e sa pensée ou l'explicite là
o ù d'autres font des pauses, de sorte que l'on peut affirmer que la
m a t i è r e que traite l'interprète, à savoir le sens, n'est pas proportion-
nelle à la quantité de paroles p r o n o n c é e s par unité de temps, mais
que la densité de l'information reste toujours à peu près la
même... » (p. 116).

Des conversations avec de nombreux collègues interprètes


nous donnent à penser que l'idée selon laquelle la rapidité du
débit ne gêne pas les interprètes est loin d'être partagée par
tous les professionnels. On notera aussi et surtout, sur le plan
méthodologique, que l'affirmation sur la constance de la den-
sité informationnelle du discours n'est pas appuyée par la pré-
sentation de faits ou de références.
Ces travaux ne sont pas dénués de valeur pour autant,
comme il est expliqué plus loin, mais ils posent quelques pro-
blèmes à ceux qui souhaitent les utiliser comme fondement
pour approfondir leur compréhension des processus de
l'interprétation.
Comme il est expliqué au Ch. 3, la présence des affirmations
spéculatives, notamment celles qui ne correspondent pas à l'ex-
périence vécue de tous les interprètes, a des conséquences sur
le statut de la recherche au sein de la communauté scientifi-
que et au sein de la communauté des interprètes. Dans cette
section, il sera fait abstraction de cet aspect de la question en
faveur d'une comparaison de fond entre les avantages et
inconvénients respectifs de la démarche intuitive et spéculative
et de la démarche scientifique dans leur application à l'étude
de l'interprétation.
Plus concrètement, on est amené à se poser la question de
savoir si une démarche exclusivement intuitive est utile dans
l'exploration de l'interprétation même si elle ne répond pas aux
critères de la recherche scientifique, ou si les règles de celle-ci
sont indispensables à tout progrès véritable.
REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 211

1.3 Réflexion spéculative contre recherche scientifique

La théorisation intuitive est fondée sur l'expérience. et les


impressions personnelles, et n'est pas soumise aux règles de
systématisation, de contrôle et d'objectivation qui font partie
de la démarche scientifique. Contrairement à celle-ci, la spécu-.
lation ne comporte donc pas de barrières institutionnalisées
contre les dérives et les erreurs, et en cas d'erreur il est diffi-
cile de remonter le raisonnement ou la procédure pour en
trouver la source précise. Peut-on pour autant en déduire que
les conclusions auxquelles conduit la théorisation intuitive sont
moins Vraies' ou moins utiles que celles auxquelles amène la
démarche scientifique ?
La réponse à cette question n'est pas simple. L a recherche
scientifique parvient, souvent à des conclusions analogues à
celles de la théorisation intuitive, mais au prix d'un effort bien
plus coûteux et d'un temps de cheminement bien plus long en
raison des méthodes mises en œuvre : observation systémati-
que consommatrice de temps et d'efforts, expérimentation,
replication des expériences et tentatives de recoupement, véri-
fications multiples, prudence systématique dans les inferences
et dans les conséquences tirées. Par ailleurs, en dépit des
points et méthodes de contrôle intégrés dans la démarche
scientifique, celle-ci n'est pas exempte d'erreurs, qu'elles soient
dues à des méthodes ou équipements défectueux ou à l'effet
du hasard, par exemple dans le tirage au sort intervenant dans
les procédures d'échantillonnage et dans les inferences statisti-
ques. Les erreurs humaines, de raisonnement, de manipula-
tion, ou simplement de recueil de données, n'en sont pas
absentes non plus.
La réflexion sur l'interprétation s'est d'abord imposée en rai-
son des besoins liés à la formation : il s'agissait de mieux com-
prendre ce qu'on allait enseigner pour pouvoir mieux l'ensei-
gner. Les erreurs éventuelles n'avaient pas des conséquences
aussi graves que des erreurs dans la conception d'un équipe-
ment médical ou d'une centrale électrique. En outre, le résultat
pouvait toujours être contrôlé à travers les examens de
diplôme des étudiants. En revanche, à l'époque, la progression
dans la réflexion sur l'interprétation devait être très rapide, car
les besoins en matière de formation étaient immédiats. La thé-
orisation intuitive de Jean Herbert et d'autres pionniers a
conduit les premiers enseignants à une conception de l'inter-
prétation comme une activité intellectuelle fondée sur la com-
préhension à travers l'analyse, et sur la reformulation d'un
212 DANIEL GILE

message plutôt que d'un « texte ». Cette philosophie reste domi-


nante dans l'ensemble des « grandes » écoles d'interprétation,
où elle est à la base d'une orientation de la formation axée sur
l'analyse du discours et sur la recherche du 'Message' plutôt
que sur une démarche comparatiste. On objectera que la vali-
dité de cette orientation n'est pas démontrée. Il est possible
que les méthodes pratiques qui en sont l'émanation ne soient
pas les meilleures ; i l est possible que la domination de la 'thé-
orie du sens' ait freiné le développement de méthodes plus effi-
caces. Néanmoins, cela n'empêche pas les écoles de former de
bons interprètes. Les méthodes intuitives semblent favoriser
une certaine discipline intellectuelle chez les étudiants, puis-
qu'elles insistent sur l'analyse et la prise de décisions, et
réduire les interférences linguistiques dans le discours en lan-
gue d'arrivée, puisqu'elles bannissent le mot-à-mot et sensibili-
sent les étudiants à l'effet gênant pour l'auditeur d'un discours
qui ne respecte pas le génie de la langue concernée. Il convient
de tenir compte aussi du facteur historique. Quelles que soient
les critiques que l'on peut formuler à l'égard des méthodes de
la première génération des chercheurs interprètes, la cristalli-
sation de la 'théorie du sens' est indissolublement associée au
développement d'un mouvement universitaire puissant qui a
renforcé le statut universitaire de l'interprétation de confé-
rence ; dans les deux principales écoles en France, celle-ci est
e
maintenant enseignée en tant que cursus de 3 cycle. De
même, l'impulsion qui a lancé le mouvement a également ins-
piré une grande masse de textes universitaires, dont plusieurs
doctorats, et mis en ' marche un véritable mouvement de
réflexion et de recherche sur l'interprétation, dont sont issus
des chercheurs qui ont opté pour une démarche de recherche
plus proche des principes admis plus généralement par la com-
munauté scientifique. Le premier élan spéculatif de la réflexion
sur l'interprétation a donc également eu cette fonction positive.
Néanmoins, i l semblerait qu'au delà des applications à la for-
mation et de l'incitation à la recherche, la démarche intuitive
n'ait pas beaucoup fait avancer la compréhension et la
connaissance de l'interprétation et de ses mécanismes depuis
vingt ans. Il apparaît dans les différents chapitres de ce livre
que sur des questions accessoires comme sur des questions
fondamentales, les avis divergent, et les débats n'avancent pas
faute d'arguments nouveaux et de données empiriques à l'ap-
pui des affirmations et contre-affirmations des uns et des
autres ; depuis les années 70, peu d'idées nouvelles sont appa-
rues, même dans la démarche intuitive. Par ailleurs, les
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 213

modèles qui ont été constitués, notamment par B. Moser


(1978) et par î). Gile, ne peuvent être testés et éventuellement
rejetés ou améliorés sans l'apport de faits pertinents soigneuse-
ment recueillis et analysés.
C'est dans ce contexte qu'apparaît l'intérêt de la recherche
scientifique de type empirique, avec ses avantages liés à sa
progression contrôlable et fondée sur des faits systématique-
ment recueillis et analysés.

1.4 L interprétation comme objet de recherche

Par commodité, il peut être intéressant de représenter l'inter-


prétation comme un processus P avec une entrée E et une sor-
tie S se déroulant dans un environnement donné (Fig.l). L'en-
trant' ('input' en anglais) est ce qui arrive vers lp processus
pour être transformé par celui-ci, en l'occurrence le discours
en langue de départ et tous les autres éléments d'information
pertinents que l'interprète recueille pendant son travail. Le sor-
tant' (output' en anglais) est ce que produit le processus, en
l'occurrence le discours en langue d'arrivée.

Figure 1 : L'interprétation comme processus

A travers ce modèle, deux constatations s'imposent :

a. Dans le processus d'interprétation, l'entrant et le sortant peu-


vent être observés dans de bonnes conditions
v
L'interprétation est une action publique', qui peut être
observée par tout participant à la conférence concernée. Si
certaines réunions ont un caractère confidentiel ou à participa-
tion restreinte, beaucoup d'entre elles sont accessibles à tout
observateur au prix d'une inscription et d'un éventuel droit de
participation. Par ailleurs, le processus d'interprétation est bien
délimité dans le temps, se tient sur une période courte, en un
214 D A N I E L GILE

lieu physiquement circonscrit : la salle de conférence en consé-


cutive, et la cabine d'interprétation en simultanée. En outre, il
est entièrement contenu dans le travail d'une personne. Quand
un discours est interprété en plusieurs langues, il y 3 autant de
processus que d'interprètes actifs et que de langues d'arrivée.
L'entrant se compose essentiellement du discours en langue de
départ, des éventuels graphiques montrés sur écran (diaposi-
tives ou transparents), des éventuels supports écrits dont dis-
pose l'interprète, de l'image de l'orateur et de l'image et des
sons provenant de la salle tels que perçus par l'interprète. En
mode simultané, le sortant se compose du son du discours en
langue d'arrivée tel qu'il parvient dans le casque des délégués
qui l'écoutent (théoriquement, s'y ajoute l'image de l'interprète
en cabine, mais en général les délégués ne s'y réfèrent pas) ; en
mode consécutif, i l se compose du discours verbal et des
gestes et expressions faciales de l'interprète. Souvent, l'essentiel
de l'entrant est circonscrit dans le son de la voix de l'orateur
qui fait son intervention en langue de départ. C'est notamment
le cas quand l'interprète ne le voit pas ou le voit mal, quand il
ne dispose pas de documents écrits, quand i l n'y a pas de sup-
port graphique sur écran, quand la salle ne réagit pas de
manière perceptible pour l'interprète, quand celui-ci ferme les
yeux pour se concentrer.
En outre, si de nombreux interprètes considèrent que la
vision directe de l'orateur et de la salle est importante, en ce
sens qu'elle apporte des éléments non-verbaux qui servent à
l'interprétation, et si ce point de vue a été officialisé par l'AIIC
qui a incorporé dans ses contrats-type une clause dans ce sens,
d'après deux études empiriques, cet apport visuel n'aurait pas
nécessairement une importance significative, du moins dans
certains types de discours et de circonstances (Anderson 1979,
Balzani 1990).
Quoi qu'il en soit, la partie sonore de l'entrant et du sortant
peut être observée (au sens large du terme) en totalité, et la
partie visuelle peut elle aussi être observée dans de bonnes
conditions. Qui plus est, la partie sonore de l'entrant et du sor-
tant peut être enregistrée en totalité, et la partie visuelle peut
elle aussi être, enregistrée dans de bonnes conditions par des
caméras.
Au regard du processus étudié, ces conditions d'observation
sont assez exceptionnelles dans les sciences comportementales,
car la plupart des aspects du comportement humain sont diffi-
ciles à décrire et à enregistrer de manière un tant soit peu
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 215

complète en raison de leur caractère long, complexe, distribué


dans l'espace et dans le temps, et difficile à circonscrire.

b. Le processus d'interprétation n'est pas facile à observer


En traduction, une partie du processus mental se manifeste
concrètement par des actes de recherche documentaire et ter-
minologique, de rédaction et de correction théoriquement
observables (concrètement, la recherche documentaire et ter-
minologique est difficile à observer en raison de sa distribution
dans le temps et dans l'espace). Les TAP (Think Aloud Proto-
cols), dans lesquels les sujets traduisent tout en commentant
leur travail à mesure qu'il se déroule, donnent peut-être aussi
un aperçu sur le processus, mais on ne sait pas dans quelle
mesure ils sont représentatifs du processus et dans quelle
mesure ils le modifient (voir notamment Toury 1991).
En interprétation,, la recherche documentaire et terminologi-
que se déroule surtout en amont du processus central E n
consécutive, on peut observer la prise de notes. Mais les opéra-
tions de mémoire à court terme ne sont pas directement
observables, et les opérations d'énonciation ne laissent apparaî-
tre que le résultat, une fois les décisions prises. Les incidents
de parcours tels que les faux départs, les hésitations, les fautes
et les maladresses donnent des indices pour l'analyse du pro-
cessus, mais là aussi, celui-ci ne peut pas être directement
observé.
Un certain nombre de règles normatives sur la qualité sou-
haitable du produit du processus, à savoir le discours en lan-
gue d'arrivée, ont été formulées par les praticiens : ce discours
doit être « fidèle » au discours original, fidèle au génie de la
langue d'arrivée, clair, logique, agréable à écouter. Des règles
ont également été formulées pour la partie contrôlable et maî-
trisable du processus : i l faut acquérir des connaissances utiles
à travers une préparation ad hoc, prendre des notes de telle
manière en consécutive, rester à telle 'distance' de l'orateur en
simultanée, faire appel à telles tactiques en cas de difficulté
(Ch. 5). Cependant, une grande partie du processus, notam-
ment l'ensemble des opérations de décodage du discours en
langue de départ, de stockage et de recherche d'informations
dans la mémoire à court terme, de production du discours en
langue d'arrivée, reste inconnue, précisément en raison de l'im-
possibilité de l'observer directement.
En réalité, même dans les conditions les plus banales de la
vie courante, les opérations usuelles de compréhension et de
216 DANIEL GILE

production du discours sont loin d'être comprises. En interpré-


tation, la situation se complique du fait de la simultanéité des
trois Efforts, avec les phénomènes de coordination et de
concurrence (interférences) qu'elle implique, outre la présence
simultanée de deux systèmes linguistiques distincts dans le
processus (Ch. 4).

2. Les problèmes de la recherche empirique en interprétation

Outre les problèmes liés à la nature du processus et le fait


qu'il ne peut être observé directement, se posent des pro-
blèmes plus concrets d'ordre 'environnemental' :

2.1 La variabilité des situations

Parmi les variables affectant les rapports entre l'entrant et le


sortant du processus, on peut citer à titre illustratif :
— L a nature du couple langue de départ-langue d'arrivée :
l'annuaire de l'AXIC fait apparaître comme langues de travail
de ses membres plus de dix langues, dont le français, l'anglais,
l'allemand, mais aussi le russe, le chinois, le japonais, l'arabe et
l'hébreu, qui appartiennent à des familles linguistiques diffé-
rentes. Si certains théoriciens pensent que le processus est
identique quelles que soient les langues, d'autres sont convain-
cus du contraire (voir Ch. 8). Dans le doute, les échantillons
devraient couvrir de nombreux couples de langues différents.
— Le sens du travail de l'interprète (vers une langue mater-
nelle, vers une langue active non maternelle, à partir d'une lan-
gue maternelle, à partir d'une autre langue), ainsi que le degré
de maîtrise qu'a l'interprète de chacune de ces langues.
— Le rapport entre l'information véhiculée par le discours et
les connaissances pré-existantes de l'interprète, qu'elles soient
spécialisées ou non, linguistiques ou extra-linguistiques. Ce rap-
port détermine en grande partie la capacité de traitement et le
temps nécessaires au traitement de l'information, éventuelle-
ment les stratégies et tactiques qui seront employées, ainsi que
la capacité de l'interprète de comprendre et d'anticiper.
— La personnalité, l'expérience et les facultés mentales et
morales de l'interprète, et notamment sa motivation, sa cons-
cience professionnelle, son endurance, son intelligence analyti-
que, la capacité de sa mémoire à court terme.
— L'état de fatigue physique et nerveuse de l'interprète.
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 217

— Le type d'intervention, en fonction des intentions sous-


jacentes de l'orateur, dû type de raisonnement, de la densité
informationnelle du discours.
— Les conditions d'énonciation du discours : traits prosodi-
ques, voix de l'orateur, son comportement face au microphone.
— L'environnement de travaû de l'interprète : aménagement
de l'espace, aération, température (voir Kurz 19§3c,d), éclai-
rage, position de la cabine par rapport à l'orateur, par rapport
à l'écran, par rapport aux délégués.
— L a composition de l'équipe d'interprètes, et notamment les
relations entre ses membres.

En l'absence de données empiriques suffisantes, on ne sait


pas dans quelle mesure la variabilité dans chacun de ces
aspects affecte les mécanismes intervenant dans l'interpréta-
tion qualitativement et quantitativement. Toutefois, de' l'avis de
nombreux interprètes, ces variables comptent, et il semble pru-
dent d'en envisager l'hypothèse dans toute recherche empiri-
que (voir Gile 1991a). E n conséquence, les projets de recherche
doivent être - quantitativement importants par la taille des
échantillons et par le nombre de replications nécessaires dans
des environnements divers.

2.2 L'accessibilité des sujets

Or, comme il est expliqué au Ch. 6, si une base de faits quan-


titativement importante est nécessaire pour assurer la repré-
sentativité des résultats empiriques, on trouve d'importants
obstacles psychologiques et pratiques qui rendent difficile la
constitution d'échantillons nombreux ou de grande taille.
Ces difficultés sont l'une des raisons pour lesquelles les
études empiriques sont peu nombreuses. Les rares travaux de
ce genre réalisés dans le domaine de l'interprétation le sont
généralement avec de petits échantillons (avec une exception,
une étude faisant appel à un échantillon de très grande taille
au Japon, dans Watanabe 1991), et quasiment sans replications.
Par ailleurs, la variabilité dans les différents aspects de l'in-
terprétation, expliquée plus haut, est en grande partie une
fonction géographique. Par exemple, à Bruxelles, la grande
majorité des journées de travail sont effectuées sur place pour
la Commission des communautés européennes, ce qui impli-
que un certain type d'environnement, qui se caractérise
notamment par l'interprétation pour des groupes multilingues
218 DANIEL GILE

dont les membres travaillent ensemble depuis longtemps et se


connaissent bien. Aux Etats-Unis, l'essentiel du travail en
dehors de l'ONU est bilingue ; i l est souvent réalisé pour le
Département d'Etat, avec une grande part de consécutive. Au
Canada, la combinaison est essentiellement bilingue français-
anglais, avec de nombreuses conférences traitant de questions
canadiennes plutôt qu'internationales, et de fréquents voyages.
A Tokyo, il existe un mélange de marché privé et de marché
public, les principales langue de travail étant le japonais et l'an-
glais. En Israël, une très importante partie des conférences a
une composante culturelle judaïque. Autant dire qu'il est très
difficile, dans une démarche observationnelle ou naturaliste',
d'assurer la représentativité des phénomènes relevés dans le
cadre d'une étude par rapport à la population totale des inter-
prètes et des conférences (voir aussi Ch. 6).

2.3 Un environnement professionnel peu incitatif à la recherche

Comme il est indiqué au Ch. 1, contrairement à la plupart


des autres disciplines de recherche, pour lesquelles i l existe des
infrastructures universitaires ou des structures spécifiques de
recherche publiques ou privées, l'interprétation de conférence
ne dispose quasiment d'aucune base de ce type.
On ajoutera que l'environnement professionnel n'est pas très
incitatif lui non plus. En effet, de même que les traducteurs, la
plupart des interprètes professionnels ont vis-à-vis de la
recherche une attitude d'indifférence au mieux, et d'hostilité
au pire (voir par exemple Gémar 1983, Komissarov 1985, Viag-
gio 1988, Seleskovitch 1989, Sager 1992). Cette attitude peut
s'expliquer en partie au moins par la nature des travaux réali-
sés jusqu'à présent. On trouve d'une part les recherches psy-
chologiques et linguistiques qui portent sur des points précis
dont les applications à la pratique ne sont pas directement visi-
bles ou immédiates (voir Ch. 2). Par ailleurs, la précision même
de la recherche et de la terminologie scientifique rendent la
compréhension des travaux et de leurs résultats difficile aux
non initiés (voir Moser-Mercer 1991). Quant à la recherche réa-
lisée par les praticiens, elle est soit de type théorique, soit de
type méditatif. Pour la partie théorique se posent une fois de
plus des problèmes de compréhension de la part des collègues
praticiens, auxquels s'ajoute l'absence d'applications à la prati-
que. Dans la partie reflexive, les idées des chercheurs ne se dis-
tinguent guère dans leur nature et dans leur pouvoir explicatif
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 219

de celles des praticiens, et l'auréole universitaire dont se sont


parés les théoriciens sur la base de ces idées a pu irriter leurs
collègues. En outre, comme i l est montré plus haut, certaines
idées exprimées par les chercheurs-praticiens sont en contra-
diction avec celles de nombreux professionnels, et ne sont pas
présentées avec l'appui de faits et de raisonnements suffisam-
ment persuasifs pour convaincre les sceptiques.

2.4 L interdisciplinarité

Une autre difficulté de la recherche empirique sur l'interpré-


tation a sa source dans la multiplicité des disciplines que
concerne à l'évidence la transformation d'un discours en lan-
gue de départ en un discours en langue d'arrivée dans les
conditions de la consécutive et de la simultanée. Comme i l
apparaît tout au long de cet ouvrage, même dans une optique
très interpréto-centrique, la psycholinguistique doit intervenir
quand i l s'agit d'étudier la compréhension et la production du
discours ainsi que les interférences entre langue de départ et
langue d'arrivée, et la psychologie cognitive est la discipline la
plus à même d'analyser les problèmes de capacité de traite-
ment, et notamment de partage de l'attention. Pour rechercher
des indices plus précis sur la charge mentale' qu'impliquent les
contraintes de l'interprétation, il paraît intéressant de se tour-
ner du côté de la physiologie, qu'il s'agisse de la neurophysiolo-
gie, des phénomènes vocaux (Spiller-Bosatra et Daro 1992),
oculaires (Tommola et Niemi 1986) ou autres. A un niveau
comportemental plus général, i l est intéressant de cerner de
plus près le profil psychologique que requiert l'interprétation,
et d'étudier les mécanismes sociologiques de la communication
interlinguistique en situation de conférence, compte tenu des
différences culturelles entre les interlocuteurs, qui relèvent de
l'ethnologie —sans oublier la linguistique, ne serait-ce que
pour ses outils descriptifs et analytiques.
Certes, chaque chercheur a pour vocation de se spécialiser
dans l'un des aspects de l'interprétation sans avoir nécessaire-
ment à en connaître les autres en profondeur. Néanmoins,
s'agissant de l'étude du processus d'interprétation, qui se
retrouve dans une grande majorité des travaux entrepris sur
l'interprétation, une certaine familiarité avec la linguistique, la
psycholinguistique et la psychologie cognitive s'impose.
Dès lors se pose la question de l'acquisition de ce savoir.
Celle-ci peut s'envisager de trois manières :.
220 DANIEL GILE

— Par 1 autoformation du chercheur interprète. Possible dans


le cadre d'une collaboration interdisciplinaire, elle est dans l'en-
semble assez difficile d'abord pour le chercheur-interprète indi-
viduel s'il n'est pas guidé par un spécialiste.
— Par une formation complémentaire des interprètes cher-
cheurs. Celle-ci n'existe pas encore, m ê m e dans les rares pro-
grammes de recherche en traductologie. Des propositions en
ce sens sont faites plus loin.
— Par une démarche inverse, consistant à orienter en
matière d'interprétation le chercheur 'extérieur', linguiste, psy-
cholinguiste ou neurophysiologue. Comme il est expliqué dans
les chapitres précédents, depuis le milieu des années 70, on ne
trouve quasiment pas de membres de ces communautés scien-
tifiques dans la recherche sur l'interprétation, bien que l'on
recommence à voir depuis peu, notamment à Trieste, une col-
laboration entre interprètes et neurophysiologues.

2.5 La complexité du phénomène

Une autre difficulté qui se pose dans l'étude empirique de


l'interprétation, et en particulier dans la recherche sur les pro-
cessus, tient à la complexité de cette activité, dans laquelle il
est très difficile d'isoler des phénomènes. Par exemple, dans la
production de son discours d'aboutissement, l'interprète peut
s'aider, dans la recherche d'un mot ou d'une structure syntaxi-
que, des mots et des structures du discours en langue de
départ, de même qu'il risque d'en subir les interférences. Il est
donc possible que les mécanismes entrant en jeu dans la pro-
duction du discours en interprétation soient sensiblement diffé-
rents de ceux qui se produisent en situation de communication
unilingue (voir aussi les chapitres 4 et 8).
Il apparaît difficile d'appliquer directement à l'interprétation
les résultats d'expériences réalisées en laboratoire dans un
environnement où les contraintes sont très différentes de celles
de l'environnement professionnel. De même, dans la réalisation
d'études expérimentales, i l est assez difficile de s'assurer que la
tâche confiée aux sujets, et en particulier les discours de
départ manipulés dans lesquels sont contrôlées plusieurs varia-
bles, représentent effectivement une situation analogue à l'in-
terprétation en situation professionnelle. Les interprètes ont été
prompts à souligner, à propos des expériences des psycholo-
gues et linguistes au cours des années 60 et 70, que
1'« interprétation » de phrases isolées et de mots isolés ne met-
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 221

tait peut-être pas en jeu les mêmes mécanismes de compré-


hension et de production et les mêmes stratégies et tactiques
que l'interprétation sur le terrain (voir Ch. 2). De même, un dis-
cours construit ad hoc par l'expérimentateur pour présenter
certaines caractéristiques linguistiques et logiques, qui est lu en
laboratoire, ne représente peut-être pas de manière adéquate
un discours de conférence, notamment dans son vocabulaire
et sa rhétorique, et ne déclenche peut-être pas les mêmes
mécanismes de vérification, d'anticipation et de raisonnement
par analogie. C'est la principale réserve que l'on opposera au
travail expérimental de M . Dillinger (1989), très fouillé par ail-
leurs, mais construit exclusivement sur deux discours de ce
type.
A mesure que la base de données disponible s'élargira, la
pertinence ou non pertinence de chacun des éléments de l'en-
vironnement d'interprétation devrait apparaître plus claire-
ment, mais il semble risqué pour le moment de tirer des
conclusions sur l'interprétation de conférence à partir d'expé-
riences de laboratoires trop contrôlées'.

3. Perspectives et stratégies

Face aux difficultés énumérées plus haut, i l apparaît impor-


tant de viser des stratégies spécifiques. E n effet, aucun de ces
problèmes n'a vocation à disparaître spontanément :
— La variabilité des situations et la complexité du phéno-
mène sont intrinsèques.
' — L'accessibilité physique des interprètes pourra s'améliorer
si le marché s'élargit, mais il n'y pas de raison pour que les fac-
teurs limitant leur accessibilité psychologique et profession-
nelle disparaissent.
— La complexité de l'interprétation et la nécessité d'une
démarche interdisciplinaire sont des données immuables ; les
difficultés qu'elles impliquent ne s'atténueront qu'à la mesure
des progrès réalisés dans la recherche.
— Enfin, i l apparaît que pour modifier la physionomie de
l'environnement professionnel et universitaire qui entoure la
recherche en interprétation, i l faudrait que celle-ci produise
des résultats différents, ou qu'elle soit mieux expliquée aux
communautés professionnelle et universitaire.
C'est pourquoi i l nous apparaît opportun de viser trois axes
de progression stratégiques pour améliorer la situation :
222 DANIEL GILE

3.1 L'incitation à la recherche

Comme i l est expliqué dans les premiers chapitres de ce


livre, la quasi-totalité des travaux théoriques et de recherche
sur l'interprétation sont réalisés par des enseignants ; ce sont
les plus motivés par la recherche du fait de l'environnement
universitaire dans lequel ils se trouvent et de leur activité
pédagogique, qui appelle des interrogations sur la nature des
processus en jeu, sur les raisons des échecs et des succès, et
sur les éventuelles méthodes permettant d'améliorer la presta-
tion des étudiants et des professionnels.
Les étudiants eux aussi sont attirés par l'exploration de cette
discipline qu'ils essaient de maîtriser, pour des raisons qui
essentiellement ne sont pas très différentes de celles de leurs
enseignants. A u cours de nos visites dans différentes écoles de
traduction et d'interprétation d'Europe, d'Amérique, d'Asie et
d'Australie, nous avons presque toujours rencontré un très
grand intérêt de la part des étudiants à l'égard des questions
théoriques.
Il semble donc naturel de concentrer les efforts d'incitation à
la recherche dans ce milieu relativement accueillant des écoles
d'interprétation, d'autant plus qu'il se prête assez bien à d'éven-
tuelles mesures de réorganisation favorisant la recherche, ce
qui n'est pas le cas du milieu professionnel. Deux axes d'efforts
nous semblent envisageables dans les écoles :

1. La sensibilisation à la théorie et à la recherche lors de la for-


mation professionnelle initiale :
Actuellement, les écoles d'interprétation sont en grande
majorité dirigées en étroite coopération avec des praticiens, et
sont perçues comme ayant une vocation essentiellement pro-
fessionnelle, et non pas universitaire. Dans cet esprit, elles for-
ment à la maîtrise d'un savoir-faire, et non pas à l'acquisition
de connaissances. Il s'ensuit que l'on ne saurait y consacrer
trop de temps et d'efforts à la théorie et la recherche sans
modifier sensiblement l'équilibre des programmes d'une
manière incompatible avec leur fonction fondamentale. Un
cours unique de sensibilisation à la réflexion sur l'interpréta-
tion nous semble toutefois acceptable, potentiellement utile et
susceptible d'être bien accueilli par les étudiants s'il est bien
conçu. Un tel cours existe d'ailleurs dans de nombreuses écoles
(voir Ch. 7). Toutefois, n'y sont présentés que des concepts et
des modèles théoriques, et non pas des considérations liées aux
méthodes de recherche.
REGARDS SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 223

En revanche, il existe certaines écoles où l'obtention du


diplôme de fin d'études requiert statutairement un projet don-
nant lieu à un mémoire. Ce projet de fin d'études est une
bonne occasion de sensibiliser les étudiants à la recherche.
Comme i l est indiqué au Ch. 3, à l'occasion de ces projets ont
été réalisés un certain nombre de travaux qui ne sont pas sans
valeur, et qui ont donné le goût de la recherche aux étudiants
et valorisé les écoles concernées sur le plan universitaire. Il
nous semble que cette direction est prometteuse.

2. L'introduction de normes de qualification universitaire. et


d'exigences de recherche dans les écoles d'interprétation :
A l'heure actuelle, l'accès à des postes dans une grande par-
tie des écoles d'interprétation n'est pas subordonné à une qua-
lification universitaire de haut niveau telle qu'un doctorat. Rien
n'indique que la qualité de la formation des étudiants à l'inter-
prétation en souffre, mais la situation n'est pas favorable à la
recherche. Nous n'envisageons pas le doctorat obligatoire pour
l'ensemble des enseignants ; une telle condition serait fort
démotivante pour les praticiens ayant vocation d'enseigner, et
priverait les écoles de leurs forces vives. Toutefois, l'institution-
nalisation d'une qualification universitaire pour quelques
postes, comme c'est notamment le cas à l'ESIT, nous semble
souhaitable. Elle aurait l'avantage supplémentaire et non négli-
geable de stabiliser' les interprètes à vocation pédagogique et
de recherche dans une véritable carrière universitaire, leur
permettant ainsi de consacrer davantage de temps et d'efforts
à l'enseignement et réduisant d'autant les problèmes d'organi-
sation plus ou moins graves qui se posent dans les écoles à
effectifs exclusivement 'free lance'. Encore faudrait-il que ce
soient des interprètes-chercheurs qui soient nommés à ces
postes. Si, faute de candidats interprètes, ce sont des universi-
taires étrangers à l'interprétation qui les occupent, le résultat
aura été contraire à l'effet souhaité. D'où l'importance d'une
stratégie générale d'incitation à la recherche auprès des
praticiens. •, • .
Par ailleurs, on notera que les écoles d'interprétation univer-
sitaires sont institutionnellement et physiquement proches des
centres de recherche universitaires, et qu'elles sont bien pla-
cées pour entretenir des contacts avec les chercheurs dans les
disciplines intéressant l'interprétation. Elles partagent parfois
les mêmes bibliothèques, et peuvent négocier l'accès pour
leurs étudiants et enseignants aux bibliothèques spécialisées.
De même, elles peuvent inviter des chercheurs linguistes, psy-
224 DANIEL GILE

chologues ou autres à présenter des conférences, et organiser


éventuellement des journées d'information interdisciplinaires.
Nous avons pris part à quelques réunions de ce type, et avons
constaté des réactions positives de la part des participants. Ces
actions de sensibilisation pourraient avoir un effet à long terme.
Deux autres stratégies d'incitation à la recherche nous sem-
blent importantes. L'une est un effort d'information, destiné
aux praticiens, et visant à leur expliquer l'intérêt de la
recherche en dépit de l'absence de résultats applicables à court
terme. Il s'agit de créer un environnement moins hostile et de
susciter d'éventuelles vocations. A cet égard, le rôle de la Com-
mission de la recherche, voire de la Commission de la forma-
tion de l'AnC, qui, appartenant à un important organisme pro-
fessionnel, s'occupent de recherche et de formation, semble
particulièrement intéressant. Par ailleurs, dans l'orientation des
futurs chercheurs, i l convient de veiller à la qualité des projets
réalisés, et, dans la mesure du possible, de suggérer aux étu-
diants des sujets plus concrets que théoriques. De toute évi-
dence, cette incitation ne saurait être restrictive, et des étu-
diants ou chercheurs motivés par un thème relevant de la
recherche fondamentale devraient également être encouragés
à l'aborder. Cependant, s'agissant de personnes n'ayant pas
encore porté leur choix sur un sujet, des suggestions concer-
nant des recherches ayant une application pratique présentent
un double avantage : elles sont motivantes, et pourraient aider
à modifier l'image de la recherche que se sont fait de nom-
breux interprètes. Des exemples de projets ayant une applica-
tion pratique sont donnés à la Section 3.3.4.

3.2 La formation

C'est dans le domaine de la formation que se situe probable-


ment le plus grand potentiel de développement de la recherche.
Rappelons que parmi les principaux problèmes dont souffre
la communauté des praticiens-chercheurs en matière d'inter-
prétation figurent leur faible compétence en matière de
méthodes de recherche et leur manque de connaissances dans
les disciplines pertinentes. Là aussi, c'est dans le cadre des
écoles que l'on peut rechercher prioritairement des solutions.
L'action requise est double : i l s'agit d'une part d'une formation
à la recherche en tant que telle, et d'autre part de l'acquisition
des éléments de connaissance thématiques les plus utiles à la
recherche sur l'interprétation.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E C O N F É R E N C E 225

Dans la recherche intervient au niveau le plus fondamental


la « démarche scientifique », à laquelle sont superposées les
techniques appropriées. Dans la plupart des disciplines scienti-
fiques, les deux sont enseignées dans un même cursus. Le
caractère interdisciplinaire de l'interprétation fait que la chose
y est plus difficile : les techniques. utilisées en linguistique, en
psychologie cognitive et en neurophysiologie sont variées et
assez nombreuses. C'est pourquoi nous préconiserons une for-
mation de base, axée sur les méthodes de recherche dans les
sciences sociales (psychologie, sociologie, sciences de l'éduca-
tion), suivie éventuellement d'un perfectionnement spécialisé
selon les besoins des projets des chercheurs.
Cette formation pourrait être recherchée initialement dans
un département universitaire spécialisé dans les sciences
sociales. Une fois une certaine compétence acquise par les
interprètes issus de ces premières promotions, ceux-ci pour-
raient assurer une formation adaptée aux besoins spécifiques
de la recherche sur l'interprétation dans le cadre de l'école où
ils enseigneraient.
Etant donné la vocation essentiellement professionnelle des
écoles d'interprétation, i l nous semble peu souhaitable de pro-
poser la formation à la recherche aux étudiants en interpréta-
tion préparant leur diplôme professionnel. Elle interviendrait
plutôt en option, pour les candidats à un diplôme universitaire
de haut niveau. Le principe du programme doctoral parallèle à
la formation professionnelle, adopté par l'ESIT à Paris, nous
semble intéressant en ce sens qu'il est accessible aux étudiants
inscrits en interprétation ainsi qu'à des candidats extérieurs au
programme professionnel.
Sur le plan formel, le programme proposé dans les écoles
d'interprétation pourrait se composer d'une formation de base
d'un an, sanctionnée ou non par un diplôme (le D.E.A. en
France), et d'un perfectionnement d'un an accompagnant la
préparation du projet de recherche individuel, mémoire ou
thèse. Le programme s'articulerait par exemple comme suit :

Première année
— Un cours de méthodes de recherche, où seraient ensei-
gnées la « démarche scientifique » et des techniques de base. Il
existe de nombreux livres sur les méthodes de recherche dans
les sciences sociales que l'on pourrait utiliser à ces fins au prix
d'une légère adaptation (voir par exemple Babbie 1992,
Frankfort-Nachmias et Frankfort 1992, Robert 1988).
226 D A N I E L GILE

— Un cours parallèle présentant de manière critique la


recherche réalisée dans le domaine de l'interprétation.
— Une série d'exercices d'application, essentiellement des
replications d'études observationnelles et expérimentales.
— Le cas échéant, l'acquisition, dans un département univer-
sitaire ou un centre de recherche approprié, de connaissances
thématiques spécialisées.

Deuxième année
— Un séminaire dans lequel seraient discutés en classe lors
de réunions périodiques l'ensemble des projets des étudiants,
selon leur état d'avancement.
— Le perfectionnement thématique et le perfectionnement
technique dans les méthodes de recherche appropriées auprès
d'un département universitaire ou d'un centre de recherche
approprié.

3.3 Les stratégies de recherche

Etant donné l'ensemble des problèmes présentés dans les


chapitres précédents, en attendant que la recherche sur l'inter-
prétation arrive à maturité et prenne véritablement son essor,
un certain nombre de stratégies nous semblent propres à facili-
ter la progression, surtout s'agissant des praticiens chercheurs :

3.3.1 De petits projets

En raison des problèmes évoqués plus haut, notamment les


problèmes de formation à la recherche, de disponibilité des
chercheurs praticiens et d'accès à des sujets, une proportion
non négligeable des projets de mémoire et de thèse choisis par
les étudiants n'aboutissent jamais. L'un des moyens suscepti-
bles de réduire la proportion de ces échecs consisterait à orien-
ter les jeunes chercheurs sur de petits projets, qui nécessitent
de petits échantillons et un travail de durée limitée.
En limitant l'ambition des projets de recherche, on réduit
certes la portée potentielle de chaque projet individuel, mais en
augmentant probablement ses chances d'aboutissement. L'effet
escompté est double : d'une part, augmenter la masse des tra-
vaux achevés dans le domaine de l'interprétation, et d'autre
part, motiver davantage chaque chercheur à travers un pre-
mier succès. Une telle stratégie ne se justifiera peut-être plus
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E C O N F É R E N C E 227

quand la recherche sur l'interprétation aura beaucoup pro-


gressé, car il ne sera peut-être plus possible d'apporter une
véritable contribution sans un projet d'envergure, mais dans la
situation actuelle, même de petits projets peuvent apporter des
faits nouveaux et intéressants.

3.3.2 Des projets méthodologiquement simples

En raison de l'absence d'une formation spécifique à la


recherche de la plupart des praticiens-chercheurs, leurs tra-
vaux présentent souvent des faiblesses méthodologiques (voir
notamment Gile 1991a). Une partie de ces faiblesses sont attri-
buables à un manque de discipline et de rigueur dans le rai-
sonnement, et peuvent être prévenues par une formation
appropriée telle que présentée dans la Section 3.2. Il existe par
ailleurs des problèmes plus techniques, relevant notamment
des méthodes d'analyse statistique et des plans expérimentaux
complexes destinés à démêler des enchevêtrements d'in-
fluences entre variables. Pour résoudre correctement de tels
problèmes, il est indispensable d'avoir une solide expérience
des méthodes de recherche ou de faire appel à un spécialiste.
Or, de tels spécialistes n'existent pas encore parmi les cher-
cheurs en interprétation. Il nous semble donc préférable d'évi-
ter des projets ambitieux comportant de tels obstacles, qui pré-
sentent en outre l'inconvénient d'être longs, donc en con-
tradiction avec le premier principe présenté ci-dessus.
Plus précisément, dans la recherche par les praticiens cher-
cheurs, nous pensons que l'expérimentation classique avec
tests d'hypothèses par statistiques inférentielles ne doit être
entreprise que sous la direction d'un spécialiste chevronné
ayant une grande expérience de la recherche expérimentale et
une bonne compréhension des méthodes statistiques. Quand
un tel guide n'est pas disponible, i l nous semble préférable de
s'en tenir à des techniques de statistique descriptive élé-
mentaires.

3.3.3 La replication

Etant donné la faiblesse de la base factuelle existante dans la


recherche sur l'interprétation, i l nous semble particulièrement
important d'encourager la replication de projets empiriques,
tant observationnels qu'expérimentaux.
228 DANIEL GILE

Or, la replication, ne comportant pas d'innovation, est peu


attrayante pour le chercheur. Compte tenu des problèmes de
motivation se posant dans la recherche sur l'interprétation, il
importe de rechercher des mesures incitatives particulièrement
fortes. C'est là qu'interviennent une nouvelle fois les écoles et
les programmes de formation à la recherche, qui devraient à
notre avis comporter obligatoirement des exercices de repli-
cation.
Notons à ce propos que la replication, outre son caractère
indispensable dans la recherche empirique, a également une
grande importance pédagogique. E n effet, elle permet aux étu-
diants de se familiariser avec la pratique des méthodes de
recherche sans les faire passer par de longues étapes de
conceptualisation. Par ailleurs, à travers la réalisation de la
replication et la comparaison avec le projet initial et d'autres
replications éventuelles, les étudiants peuvent noter les fai-
blesses du travail initial et des textes qui en rendent compte, et
développer ainsi leur sens critique.

3.3.4 Exemples de projets pour étudiants et praticiens débutant


dans la recherche

A titre illustratif, nous présentons ci-dessous trois types de


projets empiriques qui nous semblent réalisables par des débu-
tants et qui correspondent aux critères énoncés plus haut.

a. Etudes terminométriques et lexicométriques :


On ne sait pas quels sont les termes et les unités lexicales
non techniques (il s'agit du langage non spécialisé tel que défini
au Ch. 8) les plus fréquemment employés en conférence dans
différents domaines. S'il existe de nombreux lexiques et dic-
tionnaires, aucun ne donne la fréquence relative des termes
qui y figurent. Or, de telles informations peuvent permettre de
cerner un vocabulaire minimum à enseigner aux étudiants ou
à acquérir pour une conférence dans un domaine donné. L'en-
registrement de conférences entières et leur dépouillement
permettent de recueillir des informations potentiellement utiles
là-dessus. Accessoirement, en procédant à ce genre d'exercice,
méthodologiquement très simple bien que • très prenant en
temps, les étudiants et praticiens peuvent se familiariser eux-
mêmes avec les lexiques spécialisés des domaines concernés.
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E C O N F É R E N C E 229

b. Etudes sur les glossaires dans le cadre de la préparation de


conférences :
Les études sur les glossaires sont un bon exemple de projets
simples, de petite taille et utiles, en ce sens qu'elles améliorent
les connaissances terminologiques du chercheur dans le
domaine concerné au cours de son travail sur le corpus, et
qu'elles sont susceptibles d'aider à dégager des stratégies et
tactiques utiles pour leur préparation.
Citons, parmi les questions auxquelles on peut tenter de
répondre à travers de telles études, les interrogations sui-
vantes : Quelle est la taille moyenne d'un glossaire et quelles en
sont les variations ? Quelle en est la taille utile (problèmes de
complétude, de vitesse de consultation, de proportion de
termes notés et non utilisés, de termes utilisés en conférence et
non trouvés lors de la préparation) ? Quelle est la durée de sa
préparation ? Quelle en est la fiabilité ? Dans quelle mesure les
glossaires sont-ils transférables d'interprète à interprète et de
conférence à conférence ? Comment améliorer cette transféra-
bilité ? Quelle est la présentation optimale d'un glossaire (tri
alphabétique, classement sémantique, noms propres et sigles
séparés, etc.) ? Comment l'améliorer ?
Ces études sont essentiellement fondées sur l'observation de
la pratique professionnelle. Elles peuvent également faire l'ob-
jet d'exercices pédagogiques en classe, où seraient comparées
différentes stratégies et différentes sources au regard d'un
exercice d'interprétation réalisé par la suite. Le Ch. 14 de Gile
1989a présente un exemple de projet de ce type sous sa forme
la plus simple d'étude de cas.

c. Fautes de langue :
Si l'existence de fautes de langue en interprétation est
connue, personne n'a recherché systématiquement des régula-
rités qui permettraient de concevoir des stratégies correctrices.
Un travail de redherche relativement simple et potentielle-
ment très utile pour les étudiants en interprétation consisterait
à repérer, à classer et à compter les fautes de langue com-
mises lors d'exercices d'interprétation, en recherchant notam-
ment des régularités dans les types de problèmes survenant
dans la langue active non maternelle des étudiants en fonction
de leur langue maternelle (fautes de langue typiques des étu-
diants anglophones en français, des étudiants francophones en
allemand, etc.).
230 D A N I E L GILE

Signalons que si la démarche fondamentale dans une telle


exploration est simple, sa réalisation pose des problèmes
méthodologiques qui le sont moins, notamment en matière de
définition opérationnelle des fautes de langue, car les normes
d'acceptabilité linguistique sont. plus difficiles à cerner dans
l'oral que dans l'écrit (voir Gile 1985a).

3.3.5 Une recherche interdisciplinaire

Depuis la conférence de Venise de 1977 (Gerver et Sinaiko


1978), de nombreux appels à la collaboration interdisciplinaire
ont été lancés, notamment par les organisateurs de la confé-
rence de Trieste (Gran et Dodds 1989) et par E. Arjona-Tseng
(1989), qui souligne, comme nous le faisons dans ce livre, que
les interprètes n'ont pas les connaissances et le savoir-faire
scientifiques nécessaires à l'exploration des mécanismes en jeu.
Comme le montre l'examen des problèmes survenant dans la
formation et dans la pratique de l'interprétation, la recherche
sur les processus impliqués ne saurait se passer de l'apport de
la psychologie cognitive et de la psycholinguistique, et les pers-
pectives sont également très intéressantes du côté de la neuro-
linguistique. On peut aussi espérer un important apport de la
sociologie, voire de l'ethnologie, à l'étude de la communication
à travers l'interprétation, qui a une grande importance pour la
compréhension de la qualité du travail.
Un autre élément qui nous semble capital est celui du recul
du chercheur par rapport à l'objet de sa recherche. Si, dans
toute recherche scientifique, un tel recul ne peut être que rela-
tif pour des raisons psychologiques tenant à la motivation
même du chercheur, il nous semble que dans le cas de l'inter-
prétation, l'engagement affectif des praticiens est particulière-
ment fort. D'une part, comme i l est expliqué dans les chapitres
précédents, les interprètes-chercheurs ne sont pas des cher-
cheurs professionnels. L'activité de recherche chez eux corres-
pond à une motivation particulièrement forte. L a plupart d'en-
tre eux enseignent également dans des écoles dont le statut
universitaire est plutôt faible. Dans ces conditions, on peut rai-
sonnablement s'attendre à un biais important dans leur
recherche dans le sens d'une surévaluation des performances.
G. 11g (1980) et C. Stenzl (1983) parlent d'une attitude défensive
des interprètes. Selon Stenzl (1983 :42),

« We are quite pleased when psychologists confirm that ours is a


R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E C O N F É R E N C E 231

complex job which requires a number of highly developed skills,


but we are perhaps less inclined to document the limits of our skills
and to face the occasions when we did not properly understand a
speaker or were unable to adequately render a message even if we
had understood it ».

M . Shlesinger va plus loin (1989 : 8) :

« Those describing interpretation from the practitioner's standpoint


are sometimes prone to a certain lack of detachment which sur-
faces in these writings i n the form of a sense of awe at an impossi-
ble job incredibly done ».

Par ailleurs, étant donné leur activité de praticiens, ces cher-


cheurs ne sont pas libres de rendre compte de toutes leurs
pensées et de tous les résultats de leurs recherches, sous peine
de se brouiller avec une partie de leurs collègues et de perdre
une partie de leur travail.
C'est pourquoi l'intervention de spécialistes non interprètes
semble fortement indiquée. L'expérience montre toutefois que
le travail avec ces spécialistes ne va pas sans difficultés. D'une
part, les spécialistes ne connaissent en général pas l'interpréta-
tion et la voient uniquement sous l'angle de leur discipline,
d'où des divergences de vue de deux types :
— Différences méthodologiques, les spécialistes ne compre-
nant pas les contraintes qui limitent l'efficacité, voire la validité
de leurs méthodes et procédures dans l'étude de l'interprétation.
— Différences dans les centres d'intérêt :. certains phéno-
mènes qui paraissent intéressants, voir très importants pour les
interprètes, notamment ceux qui ont trait à l'amélioration de
leurs performances dans la pratique, peuvent paraître dénués
de tout intérêt aux yeux des psychologues ou linguistes.
Du côté des interprètes, outre la faible disponibilité pour la
recherche, évoquée au Ch. 1, se pose le problème du niveau
nécessairement faible des connaissances dans le domaine des
spécialistes avec lesquels on cherche à coopérer. Cette diffi-
culté est d'ailleurs classique dans tout travail interdisciplinaire,
le spécialiste étranger' ayant nécessairement une connaissance
du domaine voisin inférieure à celle de ceux qui y travaillent
régulièrement. Dans le cas de l'interprétation s'ajoute une diffi-
culté supplémentaire du fait que le chercheur interprète n'a
pas de spécialité scientifique propre qui le mette en position
d'égalité, ou même en position de respectabilité scientifique
vis-à-vis des spécialistes à qui il s'adresse. Il en résulte une dif-
232 DANIEL GILE

ficulté dans le dialogue, dans la mesure où à moms d'avoir l'es-


prit particulièrement ouvert, les spécialistes en question auront
tendance à accorder peu de crédit aux idées du praticien.
L'amélioration de la situation passe à notre avis par des acti-
vités de formation telles qu'évoquées dans la Section 3.2, ainsi
que par un travail interdisciplinaire à deux vitesses :
— Des projets conçus et pilotés par les spécialistes, où les
interprètes servent de consultants pour les aspects profession-
nels. On voit de tels exemples dans Tommola et Niemi (1986),
ainsi que dans Kurz 1993.
— De véritables projets interdisciplinaires, quand le niveau
de connaissances et de savoir-faire de l'interprète rend la chose
possible.

En tout état de cause, actuellement, i l nous semble impor-


tant que tout chercheur non-interprète entreprenant un travail
sur l'interprétation consulte des interprètes, et ce non seule-
ment sur les aspects de la pratique professionnelle, mais égale-
ment sur des questions méthodologiques, afin d'éviter les
erreurs qui ont été commises systématiquement par le passé.

3.4 Stratégies de communication

3.4.1 L a communication avec la profession

Etant donné la forte dépendance des chercheurs à l'égard


des praticiens, i l semble important de modifier quelque peu le
climat d'indifférence, voire d'hostilité qui règne actuellement
au sein de la profession à l'égard de la recherche. Un effort de
communication paraît utile dans ce sens. Or, les praticiens
chercheurs sont par définition fortement intégrés dans le corps
professionnel des interprètes ; en outre, il existe depuis plu-
sieurs années une Commission de la recherche au sein de
l'AIIC, et le Bulletin de l'AIIC publie des articles*et comptes ren-
dus sur la recherche, sans que cela semble avoir changé les
choses. On notera d'ailleurs une situation analogue dans le
domaine de la traduction, où i l existe également des praticiens
chercheurs et des revues professionnelles qui publient des arti-
cles de recherche.
Il nous semble qu'un véritable changement n'interviendra
peut-être que lorsque la recherche comportera davantage de
projets pratiques' et qu'elle produira plus de résultats applica-
bles, ou au moins reconnus par la communauté scientifique,
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E C O N F É R E N C E 233

ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent. Peut-être un contact


avec la recherche lors de la formation initiale à l'école (voir
Section 3.2 plus haut) est-il également susceptible d'apporter
une contribution dans ce sens. L'effort de communication avec
la profession devra toutefois être poursuivi par ailleurs.

3.4.2 L a communication avec la communauté scientifique

Une telle communication est une partie intégrante de l'effort


d'ouverture interdisciplinaire qui doit être entrepris par les pra-
ticiens chercheurs pour dépasser les limites de compétence qui
les freinent encore. A l'heure actuelle, les praticiens chercheurs
ne sont pas en mesure d'apporter à ces spécialistes des élé-
ments factuels ou théoriques suffisamment solides. A u regard
de la collaboration scientifique, ils se trouvent donc essentielle-
ment dans une position de demandeurs. En revanche, ils peu-
vent proposer aux scientifiques :
— Un champ d'investigation peu exploré
— Un appui logistique sous la forme d'informations pratiques
et de mise à disposition de volontaires pour des travaux, ainsi
que de matériel et matériaux (cabines, discours enregistrés ou
transcrits, etc.)
— Un savoir-faire professionnel et des intuitions souvent très
fortes concernant le fonctionnement de l'interprétation.

La forme de coopération la plus naturelle à l'heure actuelle


nous semble être celle où le spécialiste conçoit et réalise. L'in-
terprète, quant à lui, a un rôle parfois très important dans la
préparation matérielle et intellectuelle du projet, et peut
notamment exercer un droit de regard sur certains choix
méthodologiques ; néanmoins, i l reste un peu en retrait (voir
Section 3.3.5 çi-dessus). C'est également cette modalité de pro-
gression, où les résultats sont publiés par les spécialistes, dans
leur langage et dans leurs revues, qui permet probablement la
meilleure diffusion de l'information sur la recherche en inter-
prétation au sein de la communauté scientifique. Quand un
nombre suffisant d'interprètes auront acquis les connaissances
et le savoir-faire nécessaires, des rôles plus équilibrés, voire
des projets indépendants entièrement conçus et réalisés par
des praticiens chercheurs, pourront assurer une communica-
tion suffisante.
234 DANIEL GILE

3.4.3 L a communication au sein de la communauté des prati-


ciens chercheurs

Cependant, laxe de communication le plus"important au


stade actuel est très probablement celui de la communication
interne. On se rappellera l'isolement des chercheurs qui a
caractérisé la période dite « des praticiens » (Ch. 2) pendant les
années 70 et jusque vers le milieu, voire la fin des années 80,
ainsi que la stagnation à laquelle il a été associé. On évoquera
aussi l'évolution depuis le début de la période de renouvelle-
ment, au cours de la deuxième moitié des années 80, avec la
Commission de la recherche de l'AIIC, la revue The Interpre-
ters Newsletter de l'école de Trieste, et l'IRTIN. Etant donné la
petite taille et la dispersion géographique de la communauté
des praticiens chercheurs, i l nous semble que la communica-
tion entre eux a une importance vitale pour une progression
de la recherche de type scientifique, tant au regard de l'infor-
mation, qui est une partie essentielle de cette progression, que
de la motivation. C'est pourquoi nous attachons une grande
importance aux véhicules de communication que sont les bul-
letins et revues spécialisés, ainsi qu'à la participation de cher-
cheurs interprètes à des colloques de recherche.
Conclusion

Comme i l était annoncé dans l'Introduction à cet ouvrage, il


apparaît qu'après une quarantaine d'années de progression, la
recherche en interprétation en est encore à ses premiers pas',
avec de nombreuses ouvertures théoriques, mais bien peu
d'exploitées, ne serait-ce que partiellement.
Face à • la mosaïque existante, certains, comme F. Pöch-
hacker (1992), C. Stenzl (1983) et H . Salevsky (1987) déplorent
l'absence de cohérence dans la recherche, craignent la disper-
sion des efforts et proposent des cadres théoriques intégra-
teurs, essentiellement dans le cadre d'une théorie globale de la
traduction (Allgemeine Translationstheorie). A la lecture de
leurs textes, qui ne contiennent que des considérations géné-
rales bien que fort pertinentes, sans propositions concrètes et
précises, on peut craindre que ces structures soient trop
vastes, trop éloignées de la vérification empirique, qu'elles res-
tent insuffisamment dynamisantes et productives.
Nous pensons plutôt que la progression gagnera à s'appuyer
sur des travaux empiriques, qui permettront de constituer une
base factuelle, de vérifier des hypothèses, d'en élaborer de
nouvelles. A terme, la mosaïque devrait se transformer en un
ensemble plus ' cohérent, car le nombre de questions fonda-
mentales qui se posent est relativement limité, et les faits
recueillis dans des études spécifiques auront probablement des
incidences qui déborderont de leur cadre d'origine. Cependant,
la recherche empirique pose les problèmes de disponibilité et
de motivation que l'on sait. Nous proposons d'y répondre, au
moins partiellement, par les stratégies évoquées au Ch. 9..
236 DANIEL GILE

Quelles sont les perspectives de progression dans la


recherche en interprétation telles qu'elles apparaissent actuel-
lement ?
A travers l'analyse faite dans ce livre, on voit apparaître
deux types de centres actifs:
— Ceux qui opèrent véritablement en tant que groupes, avec
une interaction productive entre les membres. C'est notam-
ment le cas des centres où la recherche est intégrée dans la
formation (tels l'école de Trieste). Dans ce premier cas de
figure, c'est le système qui assure la continuité. L'interaction
prend aussi d'autres formes, notamment autour d'une person-
nalité, même quand l'infrastructure institutionnelle est absente
ou faible ; tel est le cas à la Interpreting Research Association
of Japan, animée par M . Kondo.
— Les 'centres' qui peuvent se définir tels quels sur le plan
géographique, mais où l'interaction entre les chercheurs est
faible, sinon inexistante. C'est le cas en Australie, au Canada,
en Espagne, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Suisse.
Seul le premier de ces modèles, celui où la recherche est
intégrée dans la formation, nous semble porter en lui les élé-
ments d'une continuité structurelle. Dans le deuxième cas, la
productivité du centre dépend très fortement des activités indi-
viduelles d'une ou plusieurs personnalités centrales, et risque
de se désintégrer s'ils cessent leur activité de recherche, la
continuité ne pouvant être assurée que par d'éventuels succes-
seurs, à travers un fragile système de filiation. Le devenir des
centres diffus du troisième type est encore plus aléatoire.
De manière plus générale, i l semble raisonnable de postuler
un certain nombre de conditions à une activité de recherche
suivie en matière d'interprétation dans un centre donné :

a. L'existence d'un marché local de l'interprétation:


Ce marché est important dans la mesure où i l assure des
possibilités d'observation sur le terrain. Un marché inexistant
ou trop petit limite celle-ci, d'où une aggravation des pro-
blèmes d'échantillonnage, voire d'accès aux interprètes suscep-
tibles de se prêter à l'observation ou l'expérimentation. Le mar-
ché local de l'interprétation est aussi un réservoir de praticiens-
chercheurs.

b. L'existence d'une structure universitaire d'accueil:


A l'évidence, celle-ci est nécessaire tant pour former que
pour motiver et accueillir les chercheurs. Jusqu'à présent, les
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E C O N F É R E N C E 237

centres les plus productifs avaient comme structures d'accueil


des écoles d'interprétation, mais i l est concevable que des
départements de linguistique et de psychologie, voire de
í

sociologie ou de communication, jouent le même rôle dans


une optique de recherche à dominante plus scientifique.

c. Les possibilités de communication avec d'autres chercheurs:


La condition de communication peut paraître évidente, tant
elle fait intrinsèquement partie de la recherche scientifique en
tant que facteur de progrès par la confrontation des idées, rai-
sonnements, méthodes et résultats. Rappelons cependant. que
dans le domaine de l'interprétation, tous les centres n'ont pas
toujours cherché la communication. Nous pensons d'ailleurs
que cela a été un important facteur de déclin pour certains
d'entre eux. Notons aussi que la communication semble avoir
un important effet motivant sur les auteurs de textes publiés et
les participants à des colloques, avec un effet d'entraînement
sensible.

d. Un nombre suffisant de chercheurs sur place:


Une masse critique assurant la motivation et la communica-
tion interne, de m ê m e que la visibilité pour les chercheurs
extérieurs, paraît importante pour la viabilité de l'activité d'un
centre. Il est difficile de déterminer le nombre minimum de
chercheurs qui assurerait cette masse critique, car celle-ci
dépend aussi des autres conditions. Ainsi, un groupe de 3 per-
sonnes dont la productivité est assez régulière, qui communi-
quent entre elles et avec l'extérieur et qui bénéficient d'une
même structure d'accueil peut former à lui seul un 'centre'
actif. En revanche, trois personnes, appartenant chacune à un
autre centre d'accueil universitaire ou de recherche, et ne
communicant pas entre elles, ne représentent pas une masse
significative.
Les conditions ci-dessus ne sont pas indispensables à - la
recherche au sens strict ; certaines activités de recherche ont
été conduites dans des centres où elles ne sont pas réunies. Par
exemple, l'Australie et la Finlande, qui ont produit plusieurs
travaux ces dernières années, ne disposent que d'un tout petit
marché local. Inversement, les structures d'accueil universi-
taires au Japon sont très peu favorables à la recherche, alors
que les collègues japonais ont été très productifs depuis le
début des années 1990. Cependant, i l semble raisonnable de
supposer qu'au-delà de phénomènes isolés et de courte durée,
238 DANIEL GILE

les activités de recherche dans ces centres resteront limitées


dans le temps et dans l'envergure par un environnement non
favorable.
A ces conditions fondamentales s'ajoutent d'importants fac-
teurs institutionnels, motivationnels et financiers, qui sont
expliqués dans les premiers et dans le dernier chapitre de ce
livre —sans compter les politiques personnelles des responsa-
bles d'écoles de traduction et d'interprétation.
A l'évidence, au regard de ces considérations, le plus grand
potentiel se situe en Europe, du moins en ce qui concerne l'in-
terprétation de conférence. L'Amérique du Nord, elle, a un
important marché d'interprétation communautaire et auprès
des tribunaux, de même que l'Australie, qui d'ailleurs est insti-
tutionnellement très organisée en la matière. Dans ces deux
régions, les conditions institutionnelles et financières sont favo-
rables, mais le marché de l'interprétation de conférence est
très modeste. Au Japon, i l n'y a pas encore de véritable struc-
ture d'accueil universitaire pour la recherche, en dépit du pro-
jet unique mené à l'université Sainte-Sophie (Watanabe 1991).
Quant à l'activité dans les autres régions du monde, elle ne
porte pas pour l'instant de promesse particulière.
A l'heure actuelle, la recherche dans la région européenne
semble être en plein essor, dans le cadre d'un paradigme scien-
tifique et avec une volonté de communication de la part de
nombreux centres. En particulier, un colloque de recherche
sur l'interprétation, co-organisé par l'université de Turku, par
l'école de Trieste et par l'ISIT de Paris s'est tenu en Finlande
en août 1993. On ne manquera pas non plus de noter la géné-
reuse ouverture vers les interprètes faite par les traducteurs.
Ainsi, la Chaire CERA de l'université catholique de Louvain,
programme de recherche traductologique, qui a été tenue jus-
qu'à présent par des traductologues, d'horizons plutôt litté-
raires d'ailleurs, a été confiée en 1993 à D. Gile, un interprète
n'ayant aucune compétence littéraire. Par ailleurs, la revue tra-
ductologique Target, dont les préoccupations ont jusqu'à pré-
sent porté essentiellement sur la traduction écrite, prépare
actuellement un numéro spécial, le premier, -qui porte sur l'in-
terprétation de conférence.
Tous ces signes sont encourageants, et une certaine dynami-
que favorable semble bien s'être installée. Toutefois, tant que
la recherche en interprétation ne sera pas davantage institu-
tionnalisée, avec un statut et des structures universitaires, le
mouvement restera fragile. Le pronostic est donc plutôt opti-
miste, mais prudent.
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A Brisset, 53
Bros-Brann, 151
Acta Universitatis Carolinae Trans- Bühler, 67, 161, 162, 164
latologica Pragensia, 68 Bulletin de l'AIIC, 28, 48, 145, 146,
AIIC, 13, 21, 26, 28, 78, 145, 152, 165,232
161, 165, 169, 170, 175, 178,
179, 180, 186, 314, 216, 224,
232, 234 C
Aitchison, 90
Alessandrini, 77 Capaldo, 27, 59
Alexieva, 71, 72 Carroll, 145, 152, 186
Allioni, 141, 178 Cartellieri, 27, 42, 99, 113, 152
Altman, 77 Cenkova, 41, 76
American Translators Association, Cerrens, 59
70 Chaire C E R A , 238
Anderson, 61, 71, 72, 207, 208, 214 Chernov, 37, 38, 40, 41, 42, 45, 49,
Andronikoff, 135 58, 59, 113
Arencibia Rodriguez, 71 Cherry, 90
Arjona-Tseng, 230 Clark, 90,115
Asano, 34, 99, 116, 198, 204 Coleman-Holmes, 24, 27, 150
Association des amis de l'ESIT, 182 Commission des C o m m u n a u t é s
Avirovic, 76 e u r o p é e n n e s , 217
Condon, 203
Cooper, 60
B Costermans, 115

Babbie, 225
Balzani, 214 D
Barik, 37, 38, 40, 41, 42, 46, 47,
49, 151 Daro, 74, 77, 82,219
Bertone, 60, 154 Davidson, 63, 76, 206
Bowen, 67, 70 Davies, 60
260 DANIEL GILE

De Clarens, 186
Déjean Le Féal, 45, 165, 182, 189,
194, 196 G
Delisle, 57, 177
Dillinger, 19, 32,71,77, 221 Galer, 27
Dodds, 49,61,63, 167, 177, 230 Galli, 77
Dollerup, 66, 167 Gambier, 66
Donovan, 70, 151, 152 Garcia Landa, 57
Garrett, 115
Gémar, 218
E Gentile, 63
Germersheim, 50
Eberstark, 27, 59 Gerver, 7, 36, 37, 38, 39, 40, 41,
Ecole de Genève ETI - Genève, 28, 42, 45, 46, 48, 49, 58, 77, 172,
35, 62, 67, 68,152, 178 177, 230
Ecole de l'université de George- Giambagli, 76, 206
town, 26, 50, 67, 70 Gile, 12, 18, 19, 32, 33, 34, 35, 43,
Ecole de l'université de Heidel- 46, 59, 62, 64, 70, 76, 78, 85,
88, 108, 111, 116, 120, 122, 124,
berg, 50, 52, 67, 140
128, 153, 161, 163, 165, 167,
Ecole de l'université de Vienne,
178, 182, 183, 187, 192, 195,
67, 75
196, 198, 200, 202, 203, 213,
Ecole de Trieste ( S S L M de l'uni-
217, 227, 229, 230, 238
versité de Trieste), 49, 50, 52,
Gladstone, 129
60,61,65,66,78,234, 236, 238
Glaesser, 60
ESIT, 21, 22, 29, 33, 49, 50, 52, 53,
Goldman-Eisler, 19, 37, 38, 39, 40,
54, 55, 62, 69, 70, 88, 168, 169,
46, 49, 90
177, 180, 182, 186, 195, 223,225
Graesser, 93
EST-European Society for Trans-
Gran, 22, 49, 59, 61, 63, 66, 72, 73,
lation Studies, 67
167, 177, 230
ETI voir école de Genève Green, 74
Eysenck, 94, 99 Gringiani, 174

F m

Fabbro, 72, 73 Haensch, 60


Feldweg, 198 Halliday, 45
Flores d'Arcáis, 113 Hannah, 207
Fodor, 115 Hara, 203
Fourastié, 208 Harris, 120
Francis, 178 Haton, 94
Frankfort, 225 Hayashi, 199
Frankfort-Nachmias, 225 Hedinger, 35
Fuchs-Vidotto, 35 Henderson, 59, 172
f u k u i i , 34, 99, 116, 198, 204 Herbert, 11, 32, 33, 34, 60, 68,
Fusco, 76, 206 189,211
R E G A R D S S U R LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E C O N F É R E N C E 261

Hof er, 171 Komissarov, 218


H ö r m a n n , 95 Kondo, 60, 64, 65, 76, 203, 236
Hyönä, 117 Kopczynski, 71,72, 164
Krusina, 38
Kunihiro, 34, 198, 200
I Kurita, 200
K u r z , 27, 41, 60, 67, 73, 75, 117,
LTET, 63 135, 161, 162, 163, 198,217, 232
Ikeda, 200
Hg, 28, 35, 59, 68, 113, 135, 152,
167, 182, 198, 230 L
Ilic, 74
Informaciones SUT, 71 L'interprète, 31
International Christian University, Laffling, 66
50 Lafrance, 182
Interpreting Research Association Lambert, 71, 72, 74, 77, 173, 179
of Japan, 64, 65, 236 Lambert W.E., 152
IRTIN, 78, 234 Lampe-Gegenheimer, 59
IRTINBulletin, 9, 28 Lawson, 37
Isham, 70 L e N y , 96, 113, 198
ISIT (Mexico), 71 Le petit journal, 35
ISIT (Paris), 66, 173, 177, 182, 238 Lederer, 47, 54, 55, 56, 57, 58, 70,
Iwabuchi, 200 85, 99, 113, 114, 128, 134, 154,
Izumi, 65, 77 167, 177, 180, 185, 186, 189,
190, 197, 198,209,210
Liberman, 94, 95
J Liénard, 94
Lindegaard, 66, 167
Jakobson, 196 Loddegaard, 66, 167
Japan Association of Translators, Longley, 24, 25, 172, 173
63

M
K
Mackintosh, 61, 168
Kade, 42,99, 113 Massaro, 96
Kahnemann, 92 Matthei, 90
Kanayama, 34, 198, 200 Matyssek, 141
Kanno, 200 Meak, 162
Keane, 94, 99 Média et langages, 188
Keiser, 170, 171, 173, 174, 186 Meta, 203
Key Center for Asian Languages MŒS-Monterey Institute for Inter-
and Studies, 63, 65 national Studies, 70, 167, 168,
Kindaichi, 200 174
Kirchhoff, 58, 59 Miller, 94, 95, 96, 138
Kolers, 91 Mizutani, 203
Kolmer, 60 Moray, 92
262 DANIEL GILE

Morris, 71,138,149
Moser, 57, 58, 99, 113, 173, 174,
213
Moser-Mercer, 52, 67, 68, 77,218 0
Muramatsu, 26, 200
Quicheron, 27

N R

NAATI, 176 Ramler, 60


Namy, 27, 33, 152 Reuchlin, 209
Nanpon, 36, 37,46 Richard, 92, 96, 98
Ng, 63 Richaudeau, 114, 115, 116, 201
N H K , 35 Robert, 225
Niemi, 73, 117,219, 232 Roeper, 90
Nishiyama, 25, 26, 34, 60, 198, 200 Rojas, 60
Romer, 27
Noizet, 94, 115
Nowak-Leeman, 33, 46 Rozan, 32, 33, 68, 167
Russo, 76, 206
Nuremberg, 26, 60

O Sachs, 121, 134


Sager, 218
Oide, 200
Saito, 203
Oléron, 36, 37, 46
Salevsky, 49, 67, 76, 206, 235
Ovaska, 19, 76
Schjoldager, 32
Schweda-Nicholson, 59, 70, 74
Seleskovitch, 21, 22, 25, 33, 37, 54,
55, 56, 57, 70, 85, 113, 122, 128,
P 135, 152, 154, 167, 169, 170,
171, 177, 180, 185, 186, 187,
Paneth, 35, 36, 167 189, 196, 197, 198, 209,210,218
Parallèles, 28, 68 Setton, 76
Peraldi, 208 Shannon, 91
Peterfalvi, 114 Shinoda, 26
Petsche, 117 Shinzaki, 26
Pinchuk, 138 Shiryaev, 40, 58, 59
Pinhas, 198 Shlesinger, 71, 72, 81, 156, 165, 231
Pinter, 41, 45, 183,207, 208 Sinaiko, 49, 177, 230
Pöchhacker, 67, 85, 155, 235 Skinner, 95
Pollack, 94 Skuncke, 170
Polytechnic of Central London, Slama-Cazacu, 95
172, 173, 178 Snell-Hornby, 52, 67
Priacel, 35 Spiller-Bosatra, 77,219
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E C O N F É R E N C E

SSOTT-Scandinavian Symposium
on Translation Theory, 66
Stenzl, 46, 47, 52, 61, 143, 151, V
152, 207, 208, 209/ 230, 235
Strolz, 67, 85, 179, 198 V a n Hoof, 31, 32, 33,35
Studdert-Kennedy, 95 Varantola, 152
Suzuki, 172 Viaggio, 218
Viezzi,41,77, 183

T
W
Target, 238
Taylor, 22, 66, 73 Warren, 95
The Interpreters Newsletter, 9, 22, Watanabe, 64,217, 238
28, 66, 73, 76, 78, 234 Weber, 24, 70, 152, 154, 168
The Jerome Quarterly, 26, 70 Wesenfelder, 24
Thiéry, 27, 59, 168, 190 Wüss, 99, 113, 198
Tirkonnen-Condit, 66
Tommola, 66, 73, 117, 219, 232
Toury, 28,215
TRANSST, 78
Treisman, 36, 37, 46 Zeller, 60, 67
Tseng, 69 Zimnyaya, 40
Zipf, 138
Tsûyakurironkenkyû (Interpreting
Research), 64, 78
Tung, 60

Uchiyama, 76, 206


Union Soviétique, 51, 53
Université catholique de L o u vain,
238
Université Charles de Prague, 68,
69
Université d'Ottawa, 71
Université de Graz, 67
Université de Turku, 66, 238
Université du Queensland, 176
Université Fu-Jen, 69
Université Heriot-Watt, 77
Université MacGill, 77
Université Sainte Sophie, 64, 65,
238
University of Sydney MacArthur,
63
Index des termes e í concepts

L a structure d u livre et sa table des matières détaillée ont été c o n ç u e s


pour permettre de trouver facilement les sections o ù sont traités les diffé-
rents concepts. Cet ' index est c o m p o s é à titre complémentaire, notam-
ment pour permettre de trouver des définitions et pour attirer l'attention
sur quelques passages o ù sont m e n t i o n n é s les concepts ci-dessus et aux-
quels le lecteur pourrait ne pas penser s p o n t a n é m e n t .

A chuchotée, 12
chunks, 96
accents, 107, 139 client, 15, 149
air (qualité de l'air), 44 compression de texte, 37, 38
aisance (apparente de l'interprète), conditions de travail, 139, 160
137 consécutive sans notes, 177
Allgemeine Translationswissen- constituants, 39
schaft, 235 contraintes liées à l'interprétation,
anticipation, 42, 59, 201, 202 148-149
aptitudes, 13, 45
convictions personnelles, 147, 148
attitudes, 139-140, 230
correction grammaticale, 162, 164
automatismes, 33
créativité, 17

B
D

bruit, 38, 122


débit d u discours, 37
décalage entre réception et refor-
C mulation, 12
décisions, 33
calque, 97, 98 déficit individuel, 101
charge mentale', 117 déficit informationnel, 18, 96, 97
chiffres, 108 délégués, 15
266 DANIEL GILE

densité informationnelle des dis- informations primaires, 136-137


cours, 210 informations secondaires, 123
déontologie, 13, 133, 136, 139, 143 intérêts communicationnels, 138
désinences, 115 interférence verbale-manuelle, 75
'déverbalisation', 91, 196 interférences linguistiques, 91, 97,
dialogue interpreting, 12 98, 112, 113, 130, 194
disponibilité des connaissances, interprétation communautaire, 12,
125 148, 176
disponibilité linguistique, 32, 190 interprétation d'affaires, 12
interprétation de conférence, 12
inteprétation de liaison, 12, 146
E 'interprétation mentale', 75, 118
interprète passif, 130, 140
écarts, 88 'irritants', 164, 165
Effort de lecture, 111
E V S — Ear-Voice Span, 36, 38,
39,41,47, 48, 134 J
expérimentation ouverte, 30
'jugement', 33

F
K
fatigue, 139, 195
faux amis, 193 kango, 199, 200
fins de phrase, 116, 201
fission, 39
fluidité du discours, 162 L
flux d'informations, 12
formation à l'interprétation vers le langage de la p r o c é d u r e , 188
B , 179, 180 langue A, 186
fusion, 39 langue B, 186
langue C, 186
langue des signes, 70
G latence, 103, 117
lexicométrie, 196
grammaire des notes, 141 liberté syntaxique, 116
longueur des énoncés, 204
loyauté professionnelle, 137
H loyauté tournante, 150

homophones, 35, 62, 199, 200


M

I 'mémorisation', 177
message, 120, 121
image de l'interprète, 17, 140 modèle flottant, 33
indicateurs physiologiques, 117 mots outils, 115
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E C O N F É R E N C E 267

N S

naturaliste (démarche-), 8, 29 S A C A L - Système de traitement


noms propres composés, 107 général à capacité limitée, 92
noms propres simples, 108 santé, 60, 139
normes, 14, 88, 151,230 saturation, 100
segmentation d u discours, 38
seuil de confort, 19
O shadowing, 32, 38, 57, 74, 75, 117,
174, 179
observationnelle (démarche-), 29 signification linguistique', 57
ouvrages de vulgarisation, 128 simultanée, 12
simultanéité, 41
situations authentiques, 56
P souplesse grammaticale, 204
statut des interprètes, 60, 160, 170
stress, 60, 195
pauses, 37, 39, 40, 76, 97
syllabes, 37, 38
pertes, 35, 136
symboles, 141
précision de la consécutive, 32
prédicteurs, 115, 202
préparation continue, 126
T
préparation terminologique, 127
préparation t h é m a t i q u e , 127
TAP - Think Aloud Protocols, 215
probabilités transitionnelles, 95,
télévision, 137, 157
114
tension nerveuse, 140
p r o c é d u r e s judiciaires, 138
tests de Cloze, 173
pronostic probabiliste', 59
textes écrits, 45
prosodie, 13,45, 111, 120
textes lus, 107
pseudo-compréhension, 18-19
Textlinguistik, 68
pupille, 117 'théorie d u sens', 33, 54, 55, 57,
185, 189,212
trac, 195
R trace phonique, 134
trace s é m a n t i q u e , 134
radio, 137, 157 traduction, 14
recherche appliquée, 23 traits discriminants, 95
recherche empirique, 51 'transcodage', 55
réglementation, 12 transformations grammaticales,
remplissage, 130 76, 77
rendement d u discours, 16 Translationswissenschaft, 67
respectabilité scientifique, 231
richesse lexicale, 204
rythme, 37, 90, 97, 109
268 DANIEL GILE

unités de sens', 38, 57, 58

vision directe, 214


vulnérabilité des interprètes, 160
Table des tableaux et illustrations

• S c h é m a de la communication avec interprétation en r é u n i o n mul-


tilingue 15

• Nombre moyen d'écarts par 100 mots de discours en français . . . . . . 88

• Représentation s c h é m a t i q u e de la capacité de traitement dé-


pensée lors de l'interprétation simultanée d'une phrase simple
comportant un segment dense 104

9
Dessin utilisé pour une expérience sur renonciation . . . . . . . . . . . . . . . . 123

• L'axe de communication central en interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146

• L e cadre de communication en interprétation de conférence . . . . . . . 148

• Le m o d è l e gravitationnel de la disponibilité linguistique . . . . . . . . . . . . 191

9
L'interprétation comme processus .. 213
Table des matières

INTRODUCTION 7

CHAPITRE 1
La recherche sur l'interprétation : un cadre général
1. L'interprétation de conférence : r a p p e l s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
2. L'interprétation de conférence comme objet de recherche . . 14
2.1 La recherche sur l'interprétation dans son cadre
propre . . . . . . . . . . . — 14
2.1.1 Traduction et interprétation : quelques diffé-
rences 14
2.1.2 Champs d'investigation . . . . . . . . . . — . . . . . . . . . . . . 15
2.2 La recherche sur l'interprétation comme cas particu-
lier de communication verbale — . . 18
2.3 Les effets sociologiques et culturels de l'interprétation . 19
3. Auteurs et chercheurs dans les publications sur l'in-
terprétation — . — ... 20
3.1 Les interprètes-chercheurs 20
3.1.1 L a disponibilité — 21
3.1.2 L a motivation 21
3.1.3 L a formation à la recherche 23
3.2 Les étudiants en interprétation . . . . . . . . . . . . . — . . . . — 24
3.3 Les interprètes non chercheurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
3.4 Les chercheurs extérieurs'............................. 24
4. Types de textes et d é m a r c h e s de r e c h e r c h e . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
4.1 Les textes introductifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
4.2 Les textes factuels professionnels....... — ............ 26
4.3 Les textes anecdotiques 26
4.4 Les textes historiques................................... 26
4.5 Les textes 'réflexifs'ou de réflexion'. — . . . . . . — . . . . . 27
4.6 Les textes normatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
4.7 Comptes rendus et bibliographies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
272 DANIEL G I L E

4.8 Les textes théoriques . ........ 29


4.9 Les textes relevant de la recherche empirique . . . . . . . . . . 29
4.9.1 Les textes observationnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
4.9.2 Les textes e x p é r i m e n t a u x . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

CHAPITRE 2
Historique de la recherche sur l'interprétation
1. Les premiers écrits .., 31
2. L a période expérimentale des a n n é e s 6 0 — 36
2.1 Présentation des travaux 36
2.2 Un examen critique des travaux expérimentaux.. 42
2.2.1 Les sujets — 43
2.2.2 Les m a t é r i a u x — .— . 45
2.2.3 Les conditions expérimentales 46
2.2.4 Les définitions, inferences et évaluations 46
3. L a période des praticiens : les a n n é e s 7 0 et 8 0 48
3.1 Introduction 48
3.2 Caractéristiques générales de la période 49
3.2.1 Une activité de recherche m e n é e par des pra-
ticiens - ens eignants — . 49
3.2.2 L'essentiel des travaux est de type réflexif o u
théorique • 50
3.2.3 Des travaux fortement cloisonnés 52
3.3 La « théorie du sens » ................... 53
3.4 Thèmes et réalisations 56
3.4.1 L a formation . . . . . . . . . . . . . . — 56
3.4.2 Les modèles de l'interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
3.4.3 Autres é t u d e s et t h è m e s 59

CHAPITRE 3
Tendances récentes dans la recherche sur l'interprétation
1. Introduction • 61
2. Les centres nouveaux o u en renouvellement 62
2.1 VAustralie. 63
2.2 Le Japon 64
2.3 Trieste 65
2.4 La région Scandinave...— . . . . . — 66
2.5 L'Autriche 67
2.6 L'Allemagne — ... 67
2.7 La Suisse — 68
2.8 Les républiques tchèque et slovaque 68
2.9 L'Asie hors-Japon 69
3. Autres centres et activités individuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
3.1 La France. — 69
3.2 Les Etats-Unis 70
3.3 Le Canada 70
3.4 L'amérique latine.... — 71
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRETATION D E C O N F É R E N C E . 273

3.5 Autres pays — ... — . — . . . . . . . . . . . . 71


4. Nature et t h è m e s de la r e c h e r c h e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
4.1 Etudes neurophysiologiques — 73
4.2 Etudes sur la spécificité linguistique de l'interprétation 75
4.3 Autres sujets... — . . . — . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
5. L a c o m m u n i c a t i o n . . . . . . . . . . . . . . . — 78
6. Conclusion.. — 79

CHAPITRE 4
Les modèles d'Efforts de l'interprétation
I. Introduction .... .... — ........ 81
2. De la difficulté d'interpréter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
2.1 Exemple................................................ 82
2.2 Les fautes et maladresses en interprétation : fréquence
et importance........................................... 84
3. Fautes et maladresses non liées aux processus mentaux de
l'interprétation 86
3.1 Problèmes environnementaux.......................... 86
3.2 Connaissances et compréhension de l'interprète . . . . . . . 87
4. Les contraintes de l'interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
5. Opérations automatiques et non automatiques 91
6. Les Efforts en interprétation s i m u l t a n é e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
6.1 Les trois Efforts.. — 92
6.2 Les Efforts sont-ils automatiques ? . . . . . — . . . . . . . . . . . . 94
6.2.1 L'Effort d'écoute 94
6.2.2 L'Effort de production . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
6.2.3 L'Effort de m é m o i r e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
7. L e m o d è l e d'Efforts de l a simultanée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
7.1 Présentation du modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
7.2 Les défaillances. 100
7.2.1 Sources de défaillances 100
7.2.2 Les manifestations des défaillances . . . . . . . . . . . . . . 101
7.2.3 Les e n c h a î n e m e n t s déficitaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
8. Les d é c l e n c h e u r s . . . . — .. • 106
8.1 Déclencheurs par augmentation des besoins en capa-
cité de traitement — 106
8.2 Segments de discours vulnérables à l'écoute . — . . . . . . . 108
9. Le m o d è l e d'Efforts de la consécutive .. — 108
10. Les Efforts en traduction à vue et en simultanée avec texte . 111
II. L'anticipation 112
11.1 Les effets potentiels de l'anticipation 113
11.2 L'anticipation linguistique......... — ........ — . . . . . 114
12. Réalité et perspectives dans les modèles d'Efforts sous
l'angle de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . — . . . . . . . 116
274 DANIEL GILE

CHAPITRE 5
Stratégies et tactiques de l'interprète
1. Stratégies fondamentales de fidélité — .— • 119
1.1 Qualité et fidélité 119
1.2 Liberté et fidélité 120
1.3 Une expérience dénonciation 122
1.4 Priorités dans la fidélité 125
2. Stratégies de préparation ad hoc des conférences . . . . . . . . . . . 125
2.1 La préparation ad hoc 126
2.2 Préparation thématique et préparation terminologique. 126
2.3 Un cas d'espèce .., 128
3. Stratégies et tactiques en ligne — 129
3.1 Les tactiques en simultanée — 129
3.2 Critères de choix des tactiques — 136
3.3 Les stratégies et tactiques en consécutive — 140
3.4 Les stratégies et tactiques en traduction à vue et en simul-
tanée avec texte 141
3.5 Tactiques face aux erreurs de l'orateur 142
4. Commentaires m é t h o d o l o g i q u e s . . . . . . — . — . — . . — . . . 142

CHAPITRE 6
La qualité en interprétation de conférence
1. Introduction — 145
2. L e cadre de la communication en interprétation de con-
férence — . — 146
2.1 L'interprète est-il le « double » de l'orateur ? . . . . . . . . . . . . 146
2.2 Les forces en p r é s e n c e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |47
2.3 La fidélité. 151
3. L a perception de la qualité . . . . — 151
3.1 La fidélité informationnelle du discours de l'interprète. 152
3.2 Qualité de l'enveloppe'du discours de l'interprète*..... 155
3.3 Autres aspects de la qualité du travail 156
4. Aspects méthodologiques de la recherche sur la qualité . . . . . 158
4.1 Problèmes d'accès 158
4.2 Recherches empiriques publiées et en cours — . . . — 161

CHAPITRE 7
La recherche sur la formation à l'interprétation de conférence
1. Introduction 167
2. Idées consensuelles 169
3. Aptitudes à l'interprétation et sélection 171
3.1 Les aptitudes fondamentales 171
3.2 Les tests d'admission 173
3.3 Sélection en cours et en fin de parcours........... . 175
4. Les m é t h o d e s de formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
4.1 La formation à la consécutive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E C O N F É R E N C E 275

4.1.1 Premiers contacts — . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177


4.1.2 L a consécutive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
4.2 La formation à la simultanee . . . . . . . . . . . — . . . . . . . . . . . . . . . . 178
4.3 Les cours périphériques..................................... 181
4.3.1 Les cours d'acquisition de connaissances thé-
matiques — 181
4.3.2 Les cours de perfectionnement linguistique 181
4.3.3 Les cours « théoriques » 182
5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . — . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182

CHAPITRE 8
Aspects linguistiques de l'interprétalion
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
2. Les besoins linguistiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
2.1 Etendue des connaissances............................. 186
2.2 La disponibilité linguistique et le Modèle gravitationnel 189
2.3 La robustesse de la maîtrise linguistique . . . . . . . . . . . . . . . 194
2.4 Le perfectionnement linguistique 196
3. L a spécificité de l'interprétation par langues . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
3.1 Introduction 196
3.2 Différences potentielles dans la compréhension du
discours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
3.2.1 Les mots 199
3.2.2 Les redondances grammaticales . . . . . . . . — . . . . . 200
3.2.3 Les structures de phrases 201
3.2.4 Eléments culturels 202
3.3 Différences potentielles dans la production du discours 203
3.4 Les différences entre langue de départ et langue d'ar-
rivée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

CHAPITRE 9
La recherche en interprétation : données et stratégies
1. De la réflexion spéculative à la recherche empirique . . . . . . . . 207
1.1 Introduction 207
1.2 La réflexion spéculative dans lu recherche sur l'in-
terprétation 208
1.3 Réflexion spéculative contre recherche scientifique..... 211
1.4 L'interprétation comme objet de recherche. 213
2. Les problèmes de la recherche empirique en interprétation . 216
2.1 La variabilité des situations — 216
• 2.2 L'accessibilité des sujets — 217
2.3 Un environnement professionnel peu incitatif à la
recherche — 218
2.4 L'in. terdisciplinante 219
2.5 La complexité du phénomène .......................... 220
3. Perspectives et stratégies 221
3.1 L'incitation à la recherche.............................. 222
.276 D A N I E L GILE

3.2 La formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224


3.3 Les strategies de recherche , 226
3.3.1 De petits projets 226
3.3.2 Des projets m é t h o d o l o g i q u e m e n t s i m p l e s . . . . . . . . 227
3.3.3 L a replication .. — . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
3.3.4 Exemples de projets pour étudiants et prati-
ciens d é b u t a n t dans la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . 228
3.3.5 Une recherche interdisciplinaire . . . . — . . . . . . . . . 230
3.4 Stratégies de communication — 232
3.4.1 L a communication avec la profession . . . . . . . . . . . 232
3.4.2 L a communication avec la c o m m u n a u t é scien-
tifique . . . . . . . . . . . . . . . . — . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233
3.4.3 L a communication au sein de la c o m m u n a u t é
des praticiens chercheurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234

CONCLUSION. - 235
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 239
INDEX DES NOMS 259
INDEX DES TERMES ET CONCEPTS 000
T A B L E DES TABLEAUX ET ILLUSTRATIONS 000
ACHEVÉ D'IMPRIMER AUX P R E S S E S
DE L'UNIVERSITÉ C H A R L E S D E G A U L L E / LILLE Ht

OUVRAGE FAÇONNÉ
PAR L'IMPRIMERIE C E N T R A L E D E L'ARTOIS
TE
RUE S M A R G U E R I T E A ARRAS
er
DÉPÔT LÉGAL : 1 TRIMESTRE 1995

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